Popular Tales
HISTOIRES
OU
CONTES
DU TEMPS PASSÉ.
Avec des Moralitéz.
A PARIS,
Chez Claude Barbin, sur le
second Peron de la Sainte-Chapelle,
au Palais.
Avec Privilége de Sa Majesté.
M.DC.XCVII.
TABLE
des Contes de ce Recüeil.
| La belle au bois dormant | p. 1 |
| Le petit chaperon rouge | p. 20 |
| La Barbe bleüe | p. 23 |
| Le Maistre Chat, ou le Chat Botté | p. 30 |
| Les Fées | p. 37 |
| Cendrillon, ou la petite pantoufle de verre | p. 41 |
| Riquet à la Houppe | p. 50 |
| Le petit Pouçet | p. 60 |
A
MADEMOISELLE
Mademoiselle,
On ne trouvera pas étrange qu'un Enfant ait pris plaisir à composer les Contes de ce Recüeil, mais on s'étonnera qu'il ait eu la hardiesse de vous les presenter. Cependant, Mademoiselle, quelque disproportion qu'il y ait entre la simplicité de ces Recits, & les lumieres de vostre esprit, si on examine bien ces Contes, on verra que je ne suis pas aussi blamable que je le parois d'abord. Ils renferment tous une Morale trés-sensée, & qui se découvre plus ou moins, selon le degré de pénetration de ceux qui les lisent; d'ailleurs comme rien ne marque tant la vaste estenduë d'un esprit, que de pouvoir s'élever en même-temps aux plus grandes choses, & s'abaisser aux plus petites; on ne sera point surpris que la même Princesse, à qui la Nature & l'éducation ont rendu familier ce qu'il y a de plus élevé, ne dédaigne pas de prendre plaisir à de semblables bagatelles. Il est vray que ces Contes donnent une image de ce qui se passe dans les moindres Familles, où la loüable impatience d'instruire les enfans, fait imaginer des Histoires dépourveuës de raison, pour s'accommoder à ces mêmes enfans qui n'en ont pas encore; mais à qui convient-il mieux de connoître comment vivent les Peuples, qu'aux Personnes que le Ciel destine à les conduire? Le desir de cette connoissance à poussé des Heros, & même des Heros de vostre Race, jusque dans des huttes & des cabanes, pour y voir de prés & par eux-mêmes ce qui s'y passoit de plus particulier: Cette connoissance leur ayant paru necessaire pour leur parfaite instruction. Quoi qu'il en soit, Mademoiselle,
Je suis avec un trés-profond respect,
MADEMOISELLE,
De Vôtre Altesse Royale,
Le trés-humble &
trés-obéissant serviteur,
P. Darmancour.
LA BELLE
AU BOIS
DORMANT
CONTE.
Il estoit une fois un Roi & une Reine, qui estoient si faschez de n'avoir point d'enfans, si faschez qu'on ne sçauroit dire. Ils allerent à toutes les eaux du monde, vœux, pelerinages, menuës devotions; tout fut mis en œuvre, & rien n'y faisoit: Enfin pourtant la Reine devint grosse, & accoucha d'une fille: on fit un beau Baptesme; on donna pour Maraines à la petite Princesse toutes les Fées qu'on pust trouver dans le Pays, (il s'en trouva sept,) afin que chacune d'elles luy faisant un don, comme c'estoit la coustume des Fées en ce temps-là, la Princesse eust par ce moyen toutes les perfections imaginables. Aprés les ceremonies du Baptesme toute la compagnie revint au Palais du Roi, où il y avoit un grand festin pour les Fées. On mit devant chacune d'elles un couvert magnifique, avec un estui d'or massif, où il y avoit une cuillier, une fourchette, & un couteau de fin or, garni de diamans & de rubis. Mais comme chacun prenoit sa place à table, on vit entrer une vieille Fée qu'on n'avoit point priée parce qu'il y avoit plus de cinquante ans qu'elle n'estoit sortie d'une Tour, & qu'on la croyoit morte, ou enchantée. Le Roi lui fit donner un couvert, mais il n'y eut pas moyen de lui donner un estuy d'or massif, comme aux autres, parce que l'on n'en avoit fait faire que sept pour les sept Fées. La vieille crût qu'on la méprisoit, & grommela quelques menaces entre ses dents: Une des jeunes Fées qui se trouva auprés d'elle, l'entendit, & jugeant qu'elle pourrait donner quelque fâcheux don à la petite Princesse, alla dés qu'on fut sorti de table, se cacher derriere la tapisserie, afin de parler la derniere, & de pouvoir réparer autant qu'il luy seroit possible le mal que la vieille auroit fait. Cependant les Fées commencerent à faire leurs dons à la Princesse. La plus jeune luy donna pour don qu'elle seroit la plus belle personne du monde, celle d'aprés qu'elle auroit de l'esprit comme un Ange, la troisiéme qu'elle auroit une grace admirable à tout ce qu'elle feroit, la quatriéme qu'elle danseroit parfaitement bien, la cinquiéme qu'elle chanteroit comme un Rossignol, & la sixiéme qu'elle joüeroit de toutes sortes d'instrumens dans la derniere perfection. Le rang de la vieille Fée estant venu, elle dit en branlant la teste, encore plus de dépit que de vieillesse, que la Princesse se perceroit la main d'un fuseau, & qu'elle en mourroit. Ce terrible don fit fremir toute la compagnie, & il n'y eut personne qui ne pleurât. Dans ce moment la jeune Fée sortit de derriere la tapisserie, & dit tout haut ces paroles: Rassurez-vous Roi et Reine, vostre fille n'en mourra pas: il est vrai que je n'ay pas assez de puissance pour défaire entierement ce que mon ancienne a fait. La Princesse se percera la main d'un fuseau; mais au lieu d'en mourir, elle tombera seulement dans un profond sommeil qui durera cent ans, au bout desquels le fils d'un Roi viendra la réveiller. Le Roi pour tâcher d'éviter le malheur annoncé par la vieille, fit publier aussi tost un Edit, par lequel il deffendoit à toutes personnes de filer au fuseau, ny d'avoir des fuseaux chez soy sur peine de la vie. Au bout de quinze ou seize ans, le Roi & la Reine estant allez à une de leurs Maisons de plaisance, il arriva que la jeune Princesse courant un jour dans le Château, & montant de chambre en chambre, alla jusqu'au haut d'un donjon dans un petit galletas, où une bonne Vieille estoit seule à filer sa quenoüille. Cette bonne femme n'avoit point ouï parler des deffenses que le Roi avoit faites de filer au fuseau. Que faites-vous-là, ma bonne femme, dit la Princesse; je file, ma belle enfant, luy répondit la vieille qui ne la connoissoit pas. Ha! que cela est joli, reprit la Princesse, comment faites-vous? donnez-moy que je voye si j'en ferois bien autant. Elle n'eust pas plutost pris le fuseau, que comme elle estoit fort vive, un peu estourdie, & que d'ailleurs l'Arrest des Fées l'ordonnoit ainsi, elle s'en perça la main, & tomba évanouie. La bonne vieille bien embarrassée, crie au secours: on vient de tous costez, on jette de l'eau au visage de la Princesse, on la délasse, on luy frappe dans les mains, on luy frotte les temples avec de l'eau de la Reine de Hongrie; mais rien ne la faisoit revenir. Alors le Roy, qui estoit monté au bruit, se souvint de la prédiction des Fées, & jugeant bien qu'il falloit que cela arrivast, puisque les Fées l'avoient dit, fit mettre la Princesse dans le plus bel appartement du Palais, sur un lit en broderie d'or & d'argent; on eut dit d'un Ange, tant elle estoit belle; car son évanoüissement n'avoit pas osté les couleurs vives de son teint: ses jouës estoient incarnates, & ses lévres comme du corail: elle avoit seulement les yeux fermez, mais on l'entendoit respirer doucement, ce qui faisoit voir qu'elle n'estoit pas morte. Le Roi ordonna qu'on la laissast dormir en repos, jusqu'à ce que son heure de se réveiller fust venuë. La bonne Fée qui luy avoit sauvé la vie, en la condamnant à dormir cent ans, estoit dans le Royaume de Mataquin, à douze mille lieuës de là lorsque l'accident arriva à la Princesse; mais elle en fut avertie en un instant par un petit Nain, qui avoit des bottes de sept lieuës, (c'estoit des bottes avec lesquelles on faisoit sept lieuës d'une seule enjambée.) La Fée partit aussi tost, & on la vit au bout d'une heure arriver dans un chariot tout de feu, traisné par des dragons. Le Roi luy alla presenter la main à la descente du chariot. Elle approuva tout ce qu'il avoit fait; mais comme elle estoit grandement prévoyante, elle pensa que quand la Princesse viendroit à se réveiller, elle seroit bien embarassée toute seule dans ce vieux Château: voicy ce qu'elle fit. Elle toucha de sa baguette tout ce qui estoit dans ce Chasteau, (hors le Roi & la Reine) Gouvernantes, Filles-d'Honneur, Femmes-de-Chambre, Gentilshommes, Officiers, Maistrés-d'Hostel, Cuisiniers, Marmitons, Galopins, Gardes, Suisses, Pages, Valets-de-pied; elle toucha aussi tous les chevaux qui estoient dans les Ecuries, avec les Palfreniers, les gros mâtins de basse cour, & la petite Pouffe, petite chienne de la Princesse, qui estoit auprés d'elle sur son lit. Dés qu'elle les eust touchez, ils s'endormirent tous, pour ne se réveiller qu'en même temps que leur Maistresse, afin d'estre tout prests à la servir quand elle en auroit besoin: les broches mêmes qui estoient au feu toutes pleines de perdrix & de faizans s'endormirent, & le feu aussi. Tout cela se fit en un moment; les Fées n'estoient pas longues à leur besogne. Alors le Roi & la Reine aprés avoir baisé leur chere enfant sans qu'elle s'éveillast, sortirent du Chasteau, & firent publier des deffenses à qui que ce soit d'en approcher. Ces deffenses n'estoient pas necessaires, car il crut dans un quart-d'heure tout au tour du parc une si grande quantité de grands arbres & de petits, de ronces & d'épines entrelassées les unes dans les autres, que beste ny homme n'y auroit pû passer: en sorte qu'on ne voyoit plus que le haut des Tours du Chasteau, encore n'estoit-ce que de bien loin. On ne douta point que la Fée n'eust encore fait là un tour de son metier, afin que la Princesse pendant qu'elle dormiroit, n'eust rien à craindre des Curieux.
Au bout de cent ans, le Fils du Roi qui regnoit alors, & qui estoit d'une autre famille que la Princesse endormie, estant allé à la chasse de ce costé-là, demanda ce que c'estoit que des Tours qu'il voyoit au dessus d'un grand bois fort épais, chacun luy répondit selon qu'il en avoit ouï parler. Les uns disoient que c'estoit un vieux Château où il revenoit des Esprits; les autres que tous les Sorciers de la contrée y faisoient leur sabbat. La plus commune opinion estoit qu'un Ogre y demeuroit, & que là il emportoit tous les enfans qu'il pouvoit attraper, pour les pouvoir manger à son aise, & sans qu'on le pust suivre, ayant seul le pouvoir de se faire un passage au travers du bois. Le Prince ne sçavoit qu'en croire, lors qu'un vieux Paysan prit la parole, & luy dit: Mon Prince, il y a plus de cinquante ans que j'ay ouï dire à mon pere, qu'il y avoit dans ce Chasteau une Princesse, la plus belle du monde; qu'elle y devoit dormir cent ans, & qu'elle seroit reveillée par le fils d'un Roy, à qui elle estoit reservée. Le jeune Prince à ce discours se sentit tout de feu; il crut sans balancer qu'il mettroit fin à une si belle avanture, & poussé par l'amour & par la gloire, il résolut de voir sur le champ ce qui en estoit. A peine s'avança-t-il vers le bois, que tous ces grands arbres, ces ronces & ces épines s'écarterent d'elles-mesmes pour le laisser passer: il marche vers le Chasteau qu'il voyoit au bout d'une grande avenuë où il entra, & ce qui le surprit un peu, il vit que personne de ses gens ne l'avoient pû suivre, parce que les arbres s'estoient rapprochez dés qu'il avoit esté passé. Il ne laissa pas de continuer son chemin: un Prince jeune & amoureux est toûjours vaillant. Il entra dans une grande avancour où tout ce qu'il vit d'abord estoit capable de le glacer de crainte: c'estoit un silence affreux, l'image de la mort s'y presentoit par tout, & ce n'estoit que des corps étendus d'hommes & d'animaux, qui paroissoient morts. Il reconnut pourtant bien au nez bourgeonne, & à la face vermeille des Suisses, qu'ils n'estoient qu'endormis, & leur tasses où il y avoit encore quelques goutes de vin, montroient assez qu'ils s'estoient endormis en beuvant. Il passe une grande cour pavée de marbre, il monte l'escalier, il entre dans la salle des Gardes qui estoient rangez en haye, la carabine sur l'épaule, & ronflans de leur mieux. Il traverse plusieurs chambres pleines de Gentilshommes & de Dames, dormans tous, les uns de bout, les autres assis; il entre dans une chambre toute dorée, & il vit sur un lit, dont les rideaux éstoient ouverts de tous côtez, le plus beau spectacle qu'il eut jamais veu: Une Princesse qui paroissoit avoir quinze ou seize ans, & dont l'éclat resplendissant avoit quelque chose de lumineux & de divin. Il s'approcha en tremblant & en admirant, & se mit à genoux auprés d'elle. Alors comme la fin de l'enchantement estoit venuë, la Princesse s'éveilla; & le regardant avec des yeux plus tendres qu'une premiere veuë ne sembloit le permettre; est-ce vous, mon Prince, luy dit-elle, vous vous estes bien fait attendre. Le Prince charmé de ces paroles, & plus encore de la maniere dont elles estoient dites, ne sçavoit comment luy temoigner sa joye & sa reconnoissance; il l'assura qu'il l'aimoit plus que luy-mesme. Ses discours furent mal rangez, ils en plûrent davantage, peu d'éloquence, beaucoup d'amour: Il estoit plus embarassé qu'elle, & l'on ne doit pas s'en estonner; elle avoit eu le temps de songer à ce qu'elle auroit à luy dire; car il y a apparence, (l'Histoire n'en dit pourtant rien) que la bonne Fée pendant un si long sommeil, luy avoit procuré le plaisir des songes agreables. Enfin il y avoit quatre heures qu'ils se parloient, & ils ne s'étoient pas encore dit la moitié des choses qu'ils avoient à se dire.
Cependant tout le Palais s'estoit réveillé avec la Princesse; chacun songeoit à faire sa charge, & comme ils n'estoient pas tous amoureux, ils mouroient de faim; la Dame d'honneur pressée comme les autres, s'impatienta, & dit tout haut à la Princesse que la viande estoit servie. Le Prince aida à la Princesse à se lever; elle estoit tout habillée & fort magnifiquement; mais il se garda bien de luy dire qu'elle estoit habillée comme ma mere grand, & qu'elle avoit un collet monté, elle n'en estoit pas moins belle. Ils passerent dans un Salon de miroirs, & y souperent, servis par les Officiers de la Princesse; les Violons & les Hautbois joüerent de vieilles pieces, mais excellentes, quoy qu'il y eut prés de cent ans qu'on ne les joüast plus; & aprés soupé sans perdre de temps, le grand Aumonier les maria dans la Chapelle du Chateau, & la Dame-d'honneur leur tira le rideau; ils dormirent peu, la Princesse n'en avoit pas grand besoin, & le Prince la quitta dés le matin pour retourner à la Ville, où son Pere devoit estre en peine de luy: le Prince luy dit, qu'en chassant il s'estoit perdu dans la forest, & qu'il avoit couché dans la hutte d'un Charbonnier, qui luy avoit fait manger du pain noir & du fromage. Le Roi son pere qui estoit bon-homme, le crut, mais sa Mere n'en fut pas bien persuadée, & voyant qu'il alloit presque tous les jours à la chasse, & qu'il avoit toûjours une raison en main pour s'excuser, quand il avoit couché deux ou trois nuits dehors, elle ne douta plus qu'il n'eut quelque amourette: car il vêcut avec la Princesse plus de deux ans entiers, & en eut deux enfans, dont le premier qui fut une fille, fut nommée l'Aurore, & le second un fils, qu'on nomma le Jour, parce qu'il paroissoit encore plus beau que sa sœur. La Reine dit plusieurs fois à son fils, pour le faire expliquer, qu'il falloit se contenter dans la vie, mais il n'osa jamais se fier à elle de son secret; il la craignoit quoy qu'il l'aimast, car elle estoit de race Ogresse, & le Roi ne l'avoit épousée qu'à cause de ses grands biens; on disoit même tout bas à la Cour qu'elle avoit les inclinations des Ogres, & qu'en voyant passer de petits enfans, elle avoit toutes les peines du monde à se retenir de se jetter sur eux; ainsi le Prince ne voulut jamais rien dire. Mais quand le Roy fut mort, ce qui arriva au bout de deux ans, & qu'il se vit le maistre, il declara publiquement son Mariage, & alla en grande ceremonie querir la Reine sa femme dans son Chasteau. On luy fit une entrée magnifique dans la Ville Capitale, où elle entra au milieu de ces deux enfans. Quelque temps aprés le Roi alla faire la guerre à l'Empereur Cantalabutte son voisin. Il laissa la Regence du Royaume à la Reine sa mere, & luy recommanda fort sa femme & ses enfans: il devoit estre à la guerre tout l'Esté, & dés qu'il fut parti, la Reine-Mere envoya sa Bru & ses enfans à une maison de campagne dans les bois, pour pouvoir plus aisément assouvir son horrible envie. Elle y alla quelques jours aprés, & dit un soir à son Maistre d'Hôtel, je veux manger demain à mon dîner la petite Aurore. Ah! Madame, dit le Maistre d'Hôtel; je le veux, dit la Reine (& elle le dit d'un ton d'Ogresse, qui a envie de manger de la chair fraische) & je la veux manger à la Sausse-robert. Ce pauvre homme voyant bien qu'il ne falloit pas se joüer à une Ogresse, prit son grand cousteau, & monta à la chambre de la petite Aurore: elle avoit pour lors quatre ans, & vint en sautant & en riant se jetter à son col, & luy demander du bon du bon. Il se mit à pleurer, le couteau luy tomba des mains, & il alla dans la basse-cour couper la gorge à un petit agneau, et luy fit une si bonne sausse, que sa Maîtresse l'assura qu'elle n'avoit jamais rien mangé de si bon. Il avoit emporté en même temps la petite Aurore, & l'avoit donnée à sa femme pour la cacher, dans le logement qu'elle avoit au fond de la basse-cour. Huit jours aprés la méchante Reine dit à son Maistre-d'Hôtel, je veux manger à mon souper le petit Jour: il ne repliqua pas, résolu de la tromper comme l'autre fois; il alla chercher le petit Jour, & le trouva avec un petit fleuret à la main, dont il faisoit des armes avec un gros Singe, il n'avoit pourtant que trois ans: il le porta à sa femme qui le cacha avec la petite Aurore, & donna à la place du petit Jour, un petit chevreau fort tendre, que l'Ogresse trouva admirablement bon.
Cela estoit fort bien allé jusques-là, mais un soir cette méchante Reine dit au Maistre-d'Hôtel, je veux manger la Reine à la mesme sausse que ses enfans. Ce fut alors que le pauvre Maistre-d'Hôtel desespera de la pouvoir encore tromper. La jeune Reine avoit vingt ans passez, sans compter les cent ans qu'elle avoit dormi: sa peau estoit un peu dure, quoyque belle & blanche; & le moyen de trouver dans la Ménagerie une beste aussi dure que cela: il prit la résolution pour sauver sa vie, de couper la gorge à la Reine, & monta dans sa chambre, dans l'intention de n'en pas faire à deux fois; il s'excitoit à la fureur, & il entra le poignard à la main dans la chambre de la jeune Reine: Il ne voulut pourtant point la surprendre, & il lui dit avec beaucoup de respect, l'ordre qu'il avoit receu de la Reine-Mere. Faites vostre devoir, luy dit-elle, en lui tendant le col; executez l'ordre qu'on vous a donné; j'irai revoir mes enfans, mes pauvres enfans que j'ay tant aimez, car elle les croyoit morts depuis qu'on les avoit enlevez sans lui rien dire. Non, non, Madame, lui répondit le pauvre Maistre-d'Hôtel tout attendri, vous ne mourrez point, & vous ne laisserez pas d'aller revoir vos chers enfans, mais ce sera chez moy où je les ay cachez, & je tromperay encore la Reine, en luy faisant manger une jeune biche en vostre place. Il la mena aussi-tost à sa chambre, où la laissant embrasser ses enfans & pleurer avec eux: il alla accommoder une biche, que la Reine mangea à son soupé, avec le même appetit que si c'eut esté la jeune Reine. Elle estoit bien contente de sa cruauté, & elle se préparoit à dire au Roy à son retour, que les loups enragez avoient mangé la Reine sa femme & ses deux enfans.
Un soir qu'elle rodoit à son ordinaire dans les cours & basse-cours du Chasteau pour y halener quelque viande fraische, elle entendit dans une sale basse le petit Jour qui pleuroit, parce que la Reine sa mere le vouloit faire foüetter, à cause qu'il avoit esté méchant, & elle entendit aussi la petite Aurore qui demandoit pardon pour son frere. L'Ogresse reconnut la voix de la Reine & de ses enfans, & furieuse d'avoir esté trompée, elle commande dés le lendemain au matin, avec une voix épouventable, qui faisoit trembler tout le monde, qu'on apportast au milieu de la cour une grande cuve, qu'elle fit remplir de crapaux, de viperes, de couleuvres & de serpens, pour y faire jetter la Reine, & ses enfans, le Maistre-d'Hôstel, sa femme & sa servante: elle avoit donné ordre de les amener les mains liées derriere le dos. Ils estoient là, & les bourreaux se preparoient à les jetter dans la cuve, lorsque le Roi qu'on n'attendoit pas si tost, entra dans la cour à cheval; il estoit venu en poste, & demanda tout estonné ce que vouloit dire cet horrible spectacle; personne n'osoit l'en instruire, quand l'Ogresse, enragée de voir ce quelle voyoit, se jetta elle-mesme la teste la premiere dans la cuve, & fût devorée en un instant par les vilaines bestes qu'elle y avoit fait mettre. Le Roi ne laissa pas d'en estre fasché, elle estoit sa mere, mais il s'en consola bientost avec sa belle femme & ses enfans.
MORALITÉ.
LE
PETIT CHAPERON
ROUGE
CONTE.
Il estoit une fois une petite fille de Village, la plus jolie qu'on eut sçû voir; sa mere en estoit folle, & sa mere grand plus folle encore. Cette bonne femme luy fit faire un petit chaperon rouge, qui luy seïoit si bien, que par tout on l'appelloit le Petit chaperon rouge.
Un jour sa mere ayant cui & fait des galettes, luy dit, va voir comme se porte ta mere-grand, car on m'a dit qu'elle estoit malade, porte luy une galette & ce petit pot de beure. Le petit chaperon rouge partit aussi-tost pour aller chez sa mere-grand, qui demeuroit dans un autre Village. En passant dans un bois elle rencontra compere le Loup, qui eut bien envie de la manger, mais il n'osa, à cause de quelques Bucherons qui estoient dans la Forest. Il luy demanda où elle alloit; la pauvre enfant qui ne sçavoit pas qu'il est dangereux de s'arrester à écouter un Loup, luy dit, je vais voir ma Mere-grand, & luy porter une galette avec un petit pot de beurre, que ma Mere luy envoye. Demeure-t'elle bien loin, lui dit le Loup? Oh ouy, dit le petit chaperon rouge, c'est par de-là le moulin que vous voyez tout là-bas, là-bas, à la premiere maison du Village. Et bien, dit le Loup, je veux l'aller voir aussi; je m'y en vais par ce chemin icy, & toi par ce chemin-là, & nous verrons qui plûtost y sera. Le Loup se mit à courir de toute sa force par le chemin qui estoit le plus court, & la petite fille s'en alla par le chemin le plus long, s'amusant à cueillir des noisettes, à courir aprés des papillons, & à faire des bouquets des petites fleurs qu'elle rencontroit. Le Loup ne fut pas long-temps à arriver à la maison de la Mere-grand, il heurte: Toc, toc, qui est-là? C'est vôtre fille le petit chaperon rouge (dit le Loup, en contrefaisant sa voix) qui vous apporte une galette, & un petit pot de beurre que ma Mere vous envoye. La bonne Mere-grand qui estoit dans son lit à cause qu'elle se trouvoit un peu mal, luy cria, tire la chevillette, la bobinette chera, le Loup tira la chevillette, & la porte s'ouvrit. Il se jetta sur la bonne femme, & la devora en moins de rien; car il y avoit plus de trois jours qu'il n'avoit mangé. Ensuite il ferma la porte, & s'alla coucher dans le lit de la Mere-grand, en attendant le petit chaperon rouge, qui quelque temps aprés vint heurter à la porte. Toc, toc: qui est là? Le petit chaperon rouge qui entendit la grosse voix du Loup, eut peur d'abord, mais croyant que sa Mere-grand estoit enrhumée, répondit, c'est vostre fille le petit chaperon rouge, qui vous apporte une galette & un petit pot de beurre que ma Mere vous envoye. Le Loup luy cria, en adoucissant un peu sa voix; tire la chevillette, la bobinette chera. Le petit chaperon rouge tira la chevillette, & la porte s'ouvrit. Le Loup la voyant entrer, lui dit en se cachant dans le lit sous la couverture: mets la galette & le petit pot de beurre sur la huche, & viens te coucher avec moy. Le petit chaperon rouge se deshabille, & va se mettre dans le lit, où elle fut bien estonnée de voir comment sa Mere-grand estoit faite en son deshabillé, elle luy dit, ma mere-grand que vous avez de grands bras! c'est pour mieux t'embrasser, ma fille: ma mere-grand que vous avez de grandes jambes? c'est pour mieux courir mon enfant: ma mere-grand que vous avez de grandes oreilles? c'est pour mieux écouter mon enfant. Ma mere-grand que vous avez de grands yeux? c'est pour mieux voir, mon enfant. Ma mere-grand que vous avez de grandes dens? c'est pour te manger. Et en disant ces mots, ce méchant Loup se jetta sur le petit chaperon rouge, & la mangea.
MORALITÉ.
LA
BARBE BLEUË.
Il estoit une fois un homme qui avoit de belles maisons à la Ville & à la Campagne, de la vaisselle d'or & d'argent, des meubles en broderie, & des carosses tout dorez; mais par malheur cet homme avoit la Barbe-bleüe: cela le rendoit si laid & si terrible, qu'il n'estoit ni femme ni fille qui ne s'enfuit de devant luy. Une de ses Voisines, Dame de qualité avoit deux filles parfaitement belles. Il luy en demanda une en Mariage, & luy laissa le choix de celle qu'elle voudroit luy donner. Elles n'en vouloient point toutes deux, & se le renvoyoient l'une à l'autre, ne pouvant se resoudre à prendre un homme qui eut la barbe bleüe. Ce qui les degoûtoit encore, c'est qu'il avoit déja épousé plusieurs femmes, & qu'on ne sçavoit ce que ces femmes estoient devenuës. La Barbe bleuë pour faire connoissance, les mena avec leur Mere, & trois ou quatre de leurs meilleures amies, & quelques jeunes gens du voisinage, à une de ses maisons de Campagne, où on demeura huit jours entiers. Ce n'estoit que promenades, que parties de chasse & de pesche, que danses & festins, que collations: on ne dormoit point, & on passoit toute la nuit à se faire des malices les uns aux autres: enfin tout alla si bien, que la Cadette commença à trouver que le Maistre du logis n'avoit plus la barbe si bleüe, & que c'estoit un fort honneste homme. Dés qu'on fust de retour à la Ville, le Mariage se conclut. Au bout d'un mois la Barbe bleüe dit à sa femme qu'il estoit obligé de faire un voyage en Province, de six semaines au moins, pour une affaire de consequence; qu'il la prioit de se bien divertir pendant son absence, qu'elle fit venir ses bonnes amies, qu'elle les menast à la Campagne si elle vouloit, que par tout elle fit bonne chere: Voila, luy dit-il, les clefs des deux grands garde-meubles, voilà celles de la vaisselle d'or & d'argent qui ne sert pas tous les jours, voilà celles de mes coffres forts, où est mon or & mon argent, celles des cassettes où sont mes pierreries, & voilà le passe-par-tout de tous les appartemens: pour cette petite clef-cy, c'est la clef du cabinet au bout de la grande gallerie de l'appartement bas: ouvrez tout, allez par tout, mais pour ce petit cabinet je vous deffens d'y entrer, & je vous le deffens de telle sorte, que s'il vous arrive de l'ouvrir, il n'y a rien que vous ne deviez attendre de ma colere. Elle promit d'observer exactement tout ce qui luy venoit d'estre ordonné: & luy, aprés l'avoir embrassée, il monte dans son carosse, & part pour son voyage. Les voisines & les bonnes amies n'attendirent pas qu'on les envoyast querir pour aller chez la jeune Mariée, tant elles avoient d'impatience de voir toutes les richesses de sa Maison, n'ayant osé y venir pendant que le Mari y estoit, à cause de sa Barbe bleuë qui leur faisoit peur. Les voilà aussi-tost à parcourir les chambres, les cabinets, les garderobes, toutes plus belles & plus riches les unes que les autres. Elles monterent en suite aux gardemeubles, où elles ne pouvoient assez admirer le nombre & la beauté des tapisseries, des lits, des sophas, des cabinets, des gueridons, des tables & des miroirs, où l'on se voyoit depuis les pieds jusqu'à la teste, & dont les bordures les unes de glace, les autres d'argent, & de vermeil doré, estoient les plus belles & les plus magnifiques qu'on eut jamais veuës: Elles ne cessoient d'exagerer & d'envier le bon heur de leur amie, qui cependant ne se divertissoit point à voir toutes ces richesses, à cause de l'impatience qu'elle avoit d'aller ouvrir le cabinet de l'appartement bas. Elle fut si pressée de sa curiosité, que sans considerer qu'il estoit malhonneste de quitter sa compagnie, elle y descendit par un petit escalier dérobé, & avec tant de precipitation, qu'elle pensa se rompre le cou deux ou trois fois. Estant arrivée à la porte du cabinet, elle s'y arresta quelque temps, songeant à la deffense que son Mari luy avoit faite, & considerant qu'il pourrait luy arriver malheur d'avoir esté desobeïssante; mais la tentation estoit si forte qu'elle ne put la surmonter: elle prit donc la petite clef, & ouvrit en tremblant la porte du cabinet. D'abord elle ne vit rien, parce que les fenestres estoient fermées; aprés quelques momens elle commença à voir que le plancher estoit tout couvert de sang caillé, & que dans ce sang se miroient les corps de plusieurs femmes mortes, & attachées le long des murs. (C'étoit toutes les femmes que la Barbe bleuë avoit épousées & qu'il avoit égorgées l'une aprés l'autre.) Elle pensa mourir de peur, & la clef du cabinet qu'elle venoit de retirer de la serrure luy tomba de la main: aprés avoir un peu repris ses esprits, elle ramassa la clef, referma la porte, & monta à sa chambre pour se remettre un peu, mais elle n'en pouvoit venir à bout, tant elle estoit émeuë. Ayant remarqué que la clef du cabinet étoit tachée de sang, elle l'essuia deux ou trois fois, mais le sang ne s'en alloit point; elle eut beau la laver, & mesme la frotter avec du sablon & avec du grais, il demeura toûjours du sang, car la clef estait Fée, & il n'y avoit pas moyen de la nettoyer tout-à-fait: quand on ôtoit le sang d'un costé, il revenoit de l'autre. La Barbe-bleuë revint de son voyage dés le soir mesme, & dit qu'il avoit reçeu des Lettres dans le chemin, qui luy avoient appris que l'affaire pour laquelle il estoit party, venoit d'estre terminée à son avantage. Sa femme fit tout ce qu'elle pût pour luy témoigner qu'elle estoit ravie de son promt retour. Le lendemain il luy redemanda les clefs, & elle les luy donna, mais d'une main si tremblante, qu'il devina sans peine tout ce qui s'estoit passé. D'où vient, luy dit-il, que la clef du cabinet n'est point avec les autres: il faut, dit-elle, que je l'aye laissée là-haut sur ma table. Ne manquez pas, dit la Barbe bleuë de me la donner tantost; aprés plusieurs remises il falut apporter la clef. La Barbe bleuë l'ayant considerée, dit à sa femme, pourquoy y a-t-il du sang sur cette clef? je n'en sçais rien, répondit la pauvre femme, plus pasle que la mort: Vous n'en sçavez rien, reprit la Barbe bleuë, je le sçay bien moy, vous avez voulu entrer dans le cabinet? Hé bien, Madame, vous y entrerez, & irez prendre vostre place auprés des Dames que vous y avez veuës. Elle se jetta aux pieds de son Mari, en pleurant et en luy demandant pardon, avec toutes les marques d'un vrai repentir de n'avoir pas esté obeissante. Elle auroit attendri un rocher, belle & affligée comme elle estoit; mais la Barbe bleuë avoit le cœur plus dur qu'un rocher: Il faut mourir, Madame, luy dit-il, & tout à l'heure. Puis qu'il faut mourir, répondit-elle, en le regardant, les yeux baignez de larmes, donnez moy un peu de temps pour prier Dieu. Je vous donne un demy-quart-d'heure, reprit la Barbe bleüe, mais pas un moment davantage. Lors qu'elle fut seule, elle appella sa sœur, & luy dit, ma sœur Anne, car elle s'appelloit ainsi, monte je te prie sur le haut de la Tour, pour voir si mes freres ne viennent point, ils m'ont promis qu'ils me viendroient voir aujourd'huy, & si tu les vois, fais-leur signe de se hâter. La sœur Anne monta sur le haut de la Tour, & la pauvre affligée luy crioit de temps en temps, Anne, ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir. Et la sœur Anne luy répondoit, je ne vois rien que le Soleil qui poudroye, & l'herbe qui verdoye. Cependant la Barbe bleüe tenant un grand coutelas à sa main, crioit de toute sa force à sa femme, descens viste, ou je monteray là-haut. Encore un moment s'il vous plaist, luy répondoit sa femme, & aussi-tost elle crioit tout bas, Anne, ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir, & la sœur Anne répondoit, je ne voy rien que le Soleil qui poudroye, & l'herbe qui verdoye. Descens donc viste, crioit la Barbe bleuë, ou je monteray là haut. Je m'en vais, répondoit sa femme, & puis elle crioit Anne, ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir. Je vois, répondit la sœur Anne, une grosse poussiere qui vient de ce costé-cy. Sont-ce mes freres? Helas, non, ma sœur, c'est un Troupeau de Moutons. Ne veux-tu pas descendre, crioit la Barbe bleuë. Encore un moment répondoit sa femme & puis elle crioit, Anne, ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir. Je vois, répondit-elle, deux Cavaliers qui viennent de ce costé-cy, mais il sont bien loin encore: Dieu soit loué, s'écria-t'elle un moment aprés, ce sont mes freres; je leur fais signe tant que je puis de se haster. La Barbe bleüe se mit à crier si fort que toute la maison en trembla. La pauvre femme descendit, & alla se jetter à ses pieds tout épleurée & toute échevelée: Cela ne sert de rien, dit la Barbe bleuë, il faut mourir, puis la prenant d'une main par les cheveux, & de l'autre levant le coutelas en l'air, il alloit luy abbattre la teste. La pauvre femme se tournant vers luy, & le regardant avec des yeux mourans, le pria de luy donner un petit moment pour se recueillir: Non, non, dit-il, recommande-toy bien à Dieu; & levant son bras.... Dans ce moment on heurta si fort à la porte, que la Barbe bleuë s'arresta tout court: on ouvrit, & aussitost on vit entrer deux Cavaliers, qui mettant l'épée à la main, coururent droit à la Barbe bleüe. Il reconnut que c'étoit les freres de sa femme, l'un Dragon & l'autre Mousquetaire, desorte qu'il s'enfuit aussi-tost pour se sauver: mais les deux freres le poursuivirent de si prés, qu'ils l'attraperent avant qu'il pust gagner le perron: Ils luy passerent leur épée au travers du corps, & le laisserent mort. La pauvre femme estoit presque aussi morte que son Mari, & n'avoit pas la force de se lever pour embrasser ses Freres. Il se trouva que la Barbe bleüe n'avoit point d'heritiers, & qu'ainsi sa femme demeura maîtresse de tous ses biens. Elle en employa une partie à marier sa sœur Anne avec un jeune Gentilhomme, dont elle estoit aimée depuis long-temps; une autre partie à acheter des Charges de Capitaine à ses deux freres; & le reste à se marier elle-mesme à un fort honneste homme, qui luy fit oublier le mauvais temps qu'elle avoit passé avec la Barbe bleuë.
MORALITÉ.
Autre Moralité.
LE MAISTRE CHAT,
OU
LE CHAT BOTTÉ.
CONTE.
Un Meusnier ne laissa pour tout biens à trois enfans qu'il avoit, que son Moulin, son Asne, & son Chat. Les partages furent bien-tôt faits, ny le Notaire, ny le Procureur n'y furent point appellés. Ils auroient eu bien-tost mangé tout le pauvre patrimoine. L'aisné eut le Moulin, le second eut l'Asne, & le plus jeune n'eut que le Chat. Ce dernier ne pouvoit se consoler d'avoir un si pauvre lot: Mes freres, disoit-il, pourront gagner leur vie honnestement en se mettant ensemble; pour moi, lors que j'aurai mangé mon chat, & que je me seray fait un manchon de sa peau, il faudra que je meure de faim. Le Chat qui entendoit ce discours, mais qui n'en fit pas semblant, luy dit dun air posé & serieux, ne vous affligés point, mon maistre, vous n'avez qu'à me donner un Sac, & me faire une paire de Bottes pour aller dans les brousailles, & vous verez que vous n'êtes pas si mal partagé que vous croyez. Quoique le Maistre du Chat ne fit pas grand fond là-dessus, il lui avoit veu faire tant de tours de souplesse, pour prendre des Rats & des Souris; comme quand il se pendoit par les pieds, ou qu'il se cachoit dans la farine pour faire le mort, qu'il ne desespera pas d'en estre secouru dans sa misere. Lorsque le chat eut ce qu'il avoit demandé, il se botta bravement; & mettant son sac à son cou, il en prit les cordons avec ses deux pattes de devant, & s'en alla dans une garenne où il y avoit grand nombre de lapins. Il mit du son & des lasserons dans son sac, & s'estendant comme s'il eut esté mort, il attendit que quelque jeune lapin, peu instruit encore des ruses de ce monde, vint se fourer dans son sac pour manger ce qu'il y avoit mis. A peine fut-il couché, qu'il eut contentement; un jeune étourdi de lapin entra dans son sac, & le maistre chat tirant aussitost les cordons le prit & le tua sans misericorde. Tout glorieux de sa proye, il s'en alla chez le Roy & demanda à luy parler. On le fit monter à l'Appartement de sa Majesté, où estant entré il fit une grande reverence au Roy, & luy dit, voylà, Sire, un Lapin de Garenne que Monsieur le Marquis de Carabas (c'estoit le nom qu'il lui prit en gré de donner à son Maistre) m'a chargé de vous presenter de sa part. Dis à ton Maistre, répondit le Roy, que je le remercie, & qu'il me fait plaisir. Un autre fois il alla se cacher dans un blé tenant toûjours son sac ouvert; & lors que deux Perdrix y furent entrées, il tira les cordons, & les prit toutes deux. Il alla ensuite les presenter au Roy, comme il avoit fait le Lapin de garenne. Le Roy receut encore avec plaisir les deux Perdrix, & luy fit donner pour boire. Le chat continua ainsi pendant deux ou trois mois à porter de temps-en-temps au Roy du Gibier de la chasse de son Maistre. Un jour qu'il sçeut que le Roy devoit aller à la promenade sur le bord de la riviere avec sa fille, la plus belle Princesse du monde, il dit à son Maistre: si vous voulez suivre mon conseil, vostre fortune est faite; vous n'avez qu'à vous baigner dans la riviere à l'endroit que je vous montreray, & ensuite me laisser faire. Le Marquis de Carabas fit ce que son chat lui conseilloit, sans sçavoir à quoy cela seroit bon. Dans le temps qu'il se baignoit, le Roy vint à passer, & le Chat se mit à crier de toute sa force: au secours, au secours, voila Monsieur le Marquis de Carabas qui se noye. A ce cry le Roy mit la teste à la portiere, & reconnoissant le Chat qui luy avoit apporté tant de fois du Gibier, il ordonna à ses Gardes qu'on allast viste au secours de Monsieur le Marquis de Carabas. Pendant qu'on retiroit le pauvre Marquis de la riviere, le Chat s'approcha du Carosse, & dit au Roy que dans le temps que son Maistre se baignoit, il estoit venu des Voleurs qui avoient emporté ses habits, quoy qu'il eût crié au voleur de toute sa force; le drosle les avoit cachez sous une grosse pierre. Le Roy ordonna aussi-tost aux Officiers de sa Garderobbe d'aller querir un de ses plus beaux habits pour Monsieur le Marquis de Carabas. Le Roy luy fit mille caresses, & comme les beaux habits qu'on venoit de luy donner relevoient sa bonne mine (car il estoit beau; & bien fait de sa personne) la fille du Roy le trouva fort à son gré, & le Comte de Carabas ne luy eut pas jetté deux ou trois regards fort respectueux, & un peu tendres, qu'elle en devint amoureuse à la folie. Le Roi voulut qu'il mõtast dans son Carosse, & qu'il fust de la promenade: Le Chat ravi de voir que son dessein commençoit à réussir, prit les devants, & ayant rencontré des Paysans qui fauchoient un Pré, il leur dit, bonnes gens qui fauchez, si vous ne dites au Roy que le pré que vous fauchez appartient à Monsieur le Marquis de Carabas, vous serez tous hachez menu comme chair à pasté. Le Roy ne manqua pas à demander aux Faucheux à qui estoit ce Pré qu'ils fauchoient. C'est à Monsieur le Marquis de Carabas, dirent-ils tous ensemble, car la menace du Chat leur avoit fait peur. Vous avez là un bel heritage, dit le Roy, au Marquis de Carabas. Vous voyez, Sire, répondit le Marquis, c'est un pré qui ne manque point de rapporter abondament toutes les années. Le maistre chat qui alloit toûjours devant, rencontra des Moissonneurs, & leur dit, Bonnes gens qui moissonnez, si vous ne dites que tous ces blez appartiennent à Monsieur le Marquis de Carabas, vouz serez tous hachez menu comme chair à pasté. Le Roy qui passa un moment aprés, voulut sçavoir à qui appartenoient tous les blés qu'il voyoit. C'est à Monsieur le Marquis de Carabas, répondirent les Moissonneurs, & le Roy s'en réjoüit encore avec le Marquis. Le Chat qui alloit devant le Carosse, disoit toûjours la même chose à tous ceux qu'il rencontroit; & le Roy estoit estonné des grands biens de Monsieur le Marquis de Carabas. Le maistre Chat arriva enfin dans un beau Château dont le Maistre estoit un Ogre, le plus riche qu'on ait jamais veu, car toutes les terres par où le Roy avoit passé estoient de la dépendance de ce Chasteau: le Chat qui eut soin de s'informer qui estoit cet Ogre, & ce qu'il sçavoit faire, demanda à luy parler, disant qu'il n'avoit pas voulu passer si prés de son Chasteau, sans avoir l'honneur de luy faire la réverence. L'Ogre le receut aussi civilement que le peut un Ogre, & le fit reposer. On m'a assuré, dit le Chat, que vous aviez le don de vous changer en toute sorte d'Animaux, que vous pouviez, par exemple, vous transformer en Lyon, en Elephant? cela est vray, répondit l'Ogre brusquement, & pour vous le montrer, vous m'allez voir devenir Lyon. Le Chat fut si éfrayé de voir un Lyon devant luy, qu'il gagna aussi-tost les goûtieres, non sans peine & sans peril, à cause de ses bottes qui ne valoient rien pour marcher sur les tuiles. Quelque temps aprés le Chat ayant veu que l'Ogre avoit quitté sa premiere forme, descendit, & avoüa qu'il avoit eu bien peur. On m'a assuré encore, dit le Chat, mais je ne sçaurois le croire, que vous aviez aussi le pouvoir de prendre la forme des plus petits Animaux, par exemple, de vous changer en un Rat, en une souris; je vous avoüe que je tiens cela tout à fait impossible. Impossible? réprit l'Ogre, vous allez voir, & en même temps il se changea en une Souris qui se mit à courir sur le plancher. Le chat ne l'eut pas plustost aperçûë, qu'il se jetta dessus, & la mangea. Cependant le Roy qui vit en passant le beau Chasteau de l'Ogre, voulut entrer dedans. Le Chat qui entendit le bruit du Carosse qui passoit sur le pont levis, courut au devant, & dit au Roy: Vostre Majesté soit la bien venuë dans le Chasteau de Monsieur le Marquis de Carabas. Comment Monsieur le Marquis, s'écria le Roy, ce Chasteau est encore à vous, il ne se peut rien de plus beau que cette cour & que tous ces Bastimens qui l'environnent: voyons les dedans s'il vous plaist. Le Marquis donna la main à la jeune Princesse, & suivant le Roy qui montoit le premier, ils entrerent dans une grande Sale où ils trouverent une magnifique colation que l'Ogre avoit fait preparer pour ses amis qui le devoient venir voir ce même jour-là mais qui n'avoient pas osé entrer, sçachant que le Roi y estoit. Le Roy charmé des bonnes qualitez de Monsieur le Marquis de Carabas, de même que sa fille qui en estoit folle; & voyant les grands biens qu'il possedoit, luy dit, aprés avoir beu cinq ou six coups, il ne tiendra qu'à vous Monsieur le Marquis que vous ne soyez mon gendre. Le Marquis faisant de grandes réverences, accepta l'honneur que luy faisoit le Roy; & dés le même jour épousa la Princesse. Le Chat devint grand Seigneur, & ne courut plus aprés les souris, que pour se divertir.
MORALITÉ.
Autre Moralité.
LES FÉES.
CONTE.
Il estoit une fois une veuve qui avoit deux filles, l'aînée luy ressembloit si fort & d'humeur & de visage, que qui la voyoit voyait la mere. Elles étoient toutes deux si desagreables & si orgueilleuses qu'on ne pouvoit vivre avec elles. La cadette qui estoit le vray portrait de son Pere pour la douceur & l'honnesteté, estoit avec cela une des plus belles filles qu'on eust sçeu voir. Comme on aime naturellement son semblable, cette mere estoit folle de sa fille aînée, & en même temps avoit une aversion effroyable pour la cadette. Elle la faisoit manger à la Cuisine & travailler sans cesse.
Il falloit entre-autre chose que cette pauvre enfant allast deux fois le jour puiser de l'eau à une grande demy lieuë du logis, & qu'elle en raportast plein une grande cruche. Un jour qu'elle estoit à cette fontaine, il vint à elle une pauvre femme qui la pria de lüy donner à boire? Ouy da, ma bonne mere, dit cette belle fille, & rinçant aussi tost sa cruche, elle puisa de l'eau au plus bel endroit de la fontaine, & la luy presenta, soûtenant toûjours la cruche afin qu'elle bût plus aisément. La bonne femme ayant bû, luy dit, vous estes si belle, si bonne, & si honneste, que je ne puis m'empêcher de vous faire un don, (car c'estoit une Fée qui avoit pris la forme d'une pauvre femme de village, pour voir jusqu'où iroit l'honnesteté de cette jeune fille.) Je vous donne pour don, poursuivit la Fée, qu'à chaque parole que vous direz, il vous sortira de la bouche ou une Fleur, ou une Pierre précieuse. Lorsque cette belle fille arriva au logis, sa mere la gronda de revenir si tard de la fontaine. Je vous demande pardon, ma mere, dit cette pauvre fille, d'avoir tardé si long-temps, & en disant ces mots il luy sortit de la bouche deux Roses, deux Perles, & deux gros Diamans. Que voy-je-là, dit sa mere tout estonnée, je crois qu'il luy sort de la bouche des Perles & des Diamants, d'où vient cela, ma fille, (ce fut là la premiere fois qu'elle l'appella sa fille.) La pauvre enfant luy raconta naïvement tout ce qui luy estoit arrivé, non sans jetter une infinité de Diamants. Vrayment, dit la mere, il faut que j'y envoye ma fille, tenez Fanchon, voyez ce qui sort de la bouche de vôtre sœur quand elle parle, ne seriez-vous pas bien aise d'avoir le mesme don, vous n'avez qu'à aller puiser de l'eau à la fontaine, & quand une pauvre femme vous demandera à boire, luy en donner bien honnestement. Il me feroit beau voir, répondit la brutale aller à la fontaine: Je veux que vous y alliez, reprit la mere, & tout à l'heure. Elle y alla, mais toûjours en grondant. Elle prit le plus beau Flacon d'argent qui fut dans le logis. Elle ne fut pas plustost arrivée à la fontaine qu'elle vit sortir du bois une Dame magnifiquement vestuë qui vint luy demander à boire, c'estoit la même Fée qui avoit apparu à sa sœur, mais qui avoit pris l'air & les habits d'une Princesse, pour voir jusqu'où iroit la malhonnesteté de cette fille. Est-ce que je suis icy vennuë, luy dit cette brutale orgueileuse, pour vous donner à boire, justement j'ai apporté un Flacon d'argent tout exprés pour donner à boire à Madame? J'en suis d'avis, beuvez à même si vous voulez. Vous n'estes guere honneste, reprit la Fée, sans se mettre en colere: & bien, puisque vous estes si peu obligeante, je vous donne pour don, qu'à chaque parole que vous direz, il vous sortira de la bouche ou un serpent ou un crapau. D'abord que sa mere l'aperçeut, elle luy cria, Hé bien ma fille! Hé bien, ma mere, luy répondit la brutale, en jettant deux viperes, deux crapaux. O! Ciel, s'écria la mere, que vois-je-là, c'est sa sœur qui en est cause, elle me le payera; & aussitost elle courut pour la battre. La pauvre enfant s'enfuit, & alla se sauver dans la Forest prochaine. Le fils du Roi qui revenoit de la chasse, la rencontra, & la voyant si belle, luy demanda ce qu'elle faisoit là toute seule & ce qu'elle avoit à pleurer. Helas! Monsieur, c'est ma mere qui m'a chassée du logis. Le fils du Roi qui vit sortir de sa bouche cinq où six Perles, & autant de Diamants, la pria de luy dire d'où cela luy venoit. Elle luy conta toute son avanture. Le fils du Roi en devint amoureux, considerant qu'un tel don valoit mieux que tout ce qu'on pouvoit donner en mariage à une autre, l'emmena au Palais du Roi son pere, où il l'épousa. Pour sa sœur elle se fit tant haïr, que sa propre mere la chassa de chez elle; & la malheureuse aprés avoir bien couru sans trouver personne qui voulut la recevoir, alla mourir au coin d'un bois.
MORALITÉ.
Autre Moralité.
CENDRILLON
OU LA PETITE
PANTOUFLE DE VERRE.
CONTE.
Il estoit une fois un Gentil-homme qui épousa en secondes nopces une femme, la plus haütaine & la plus fiere qu'on eut jamais veuë. Elle avoit deux filles de son humeur, & qui luy ressembloient en toutes choses. Le Mari avoit de son costé une jeune fille, mais d'une douceur & d'une bonté sans exemple, elle tenoit cela de sa Mere, qui estoit la meilleure personne du monde. Les nopces ne furent pas plûtost faites, que la Belle-mere fit éclater sa mauvaise humeur, elle ne pût souffrir les bonnes qualitez de cette jeune enfant, qui rendoient ses filles encore plus haissables. Elle la chargea des plus viles occupations de la Maison: c'estoit elle qui nettoyoit la vaiselle & les montées, qui frottoit la chambre de Madame, & celles de Mesdemoiselles ses filles: elle couchoit tout au haut de la maison dans un grenier sur une méchante paillasse, pendant que ses sœurs estoient dans des chambres parquetées, où elles avoient des lits des plus à la mode, & des miroirs où elles se voyoient depuis les pieds jusqu'à la teste; la pauvre fille souffroit tout avec patience, & n'osoit s'en plaindre à son pere qui l'auroit grondée, parce que sa femme le gouvernoit entierement. Lors quelle avoit fait son ouvrage, elle s'alloit mettre au coin de la cheminée, & s'asseoir dans les cendres, ce qui faisoit qu'on l'appelloit communément dans le logis Cucendron; la cadette qui n'estoit pas si malhonneste que son aisnée, l'appelloit Cendrillon; cependant Cendrillon avec ses méchans habits, ne laissoit pas d'estre cent fois plus belle que ses sœurs, quoy que vestuës tres-magnifiquement.
Il arriva que le fils du Roi donna un bal, & qu'il en pria toutes les personnes de qualité: nos deux Demoiselles en furent aussi priées, car elles faisoient grande figure dans le Pays. Les voilà bien aises & bien occupées à choisir les habits & les coëffures qui leur seïeroient le mieux; nouvelle peine pour Cendrillon car c'estoit elle qui repassoit le linge de ses sœurs & qui godronoit leurs manchettes: on ne parloit que de la maniere dont on s'habilleroit. Moy, dit l'aînée, je mettray mon habit de velours rouge & ma garniture d'Angleterre. Moy, dit la cadette, je n'auray que ma juppe ordinaire; mais en récompense, je mettray mon manteau à fleurs d'or, & ma barriere de diamans, qui n'est pas des plus indifferentes. On envoya querir la bonne coëffeuse, pour dresser les cornettes à deux rangs, & on fit acheter des mouches de la bonne Faiseuse: elles appellerent Cendrillon pour luy demander son avis, car elle avoit le goût bon. Cendrillon les conseilla le mieux du monde, & s'offrit mesme à les coëffer; ce qu'elles voulurent bien. En les coëffant, elles luy disoient, Cendrillon, serois-tu bien aise d'aller au Bal? Helas, Mesdemoiselles, vous vous mocquez de moy, ce n'est pas là ce qu'il me faut: tu as raison; on riroit bien, si on voyoit un Culcendron aller au Bal. Une autre que Cendrillon les auroit coëffées de travers; mais elle estoit bonne, & elle les coëffa parfaitement bien. Elles furent prés de deux jours sans manger, tant elles estoient transportées de joye: on rompit plus de douze lacets à force de les serrer pour leur rendre la taille plus menuë, & elles estoient toûjours devant leur miroir. Enfin l'heureux jour arriva, on partit, & Cendrillon les suivit des yeux le plus longtems qu'elle pût; lors qu'elle ne les vit plus, elle se mit à pleurer. Sa Maraine qui la vit toute en pleurs, luy demanda ce qu'elle avoit: Je voudrois bien.... Je voudrois bien.... Elle pleuroit si fort qu'elle ne pût achever: sa Maraine qui estoit Fée, luy dit, tu voudrois bien aller au Bal, n'est-ce pas; Helas ouy, dit Cendrillon en soûpirant: Hé bien, seras tu bonne fille, dit sa Maraine, je t'y feray aller? Elle la mena dans sa chambre, & luy dit, va dans le jardin & apporte-moy une citroüille: Cendrillon alla aussi-tost cueillir la plus belle qu'elle put trouver, & la porta à sa Maraine, ne pouvant deviner comment cette citroüille la pourroit faire aller au Bal: sa Maraine la creusa, & n'ayant laissé que l'écorce, la frappa de sa baguette, & la citroüille fut aussi-tost changée en un beau carosse tout doré. Ensuite elle alla regarder dans sa sourissiere, où elle trouva six souris toutes en vie, elle dit à Cendrillon de lever un peu la trappe de la sourissiere, & à chaque souris qui sortoit, elle lui donnoit un coup de sa baguette, & la souris estoit aussi-tost changée en un beau cheval; ce qui fit un bel attelage de six chevaux, d'un beau gris de souris pommelé: Comme elle estoit en peine de quoy elle feroit un Cocher, je vais voir, dit Cendrillon, s'il n'y a point quelque rat dans la ratiere, nous en ferons un Cocher: Tu as raison, dit sa Maraine, va voir: Cendrillon luy apporta la ratiere, où il y avoit trois gros rats: La Fée en prit un d'entre les trois, à cause de sa maîtresse barbe, & l'ayant touché, il fut changé en un gros Cocher, qui avoit une des plus belles moustaches qu'on ait jamais veuës. Ensuite elle luy dit, va dans le jardin, tu y trouveras six lezards derriere l'arrosoir, apporte-les-moy, elle ne les eut pas plûtost apportez, que la Maraine les changea en six Laquais, qui monterent aussi-tost derriere le carosse avec leurs habits chamarez, & qui s'y tenoient attachez, comme s'ils n'eussent fait autre chose de toute leur vie. La Fée dit alors à Cendrillon: Hé bien, voilà de quoy aller au bal, n'es-tu pas bien aise? Ouy, mais est ce que j'irai comme cela avec mes vilains habits: Sa Maraine ne fit que la toucher avec sa baguette, & en même tems ses habits furent changez en des habits de drap d'or & d'argent, tout chamarez de pierreries: elle luy donna ensuite une paire de pantoufles de verre, les plus jolies du monde. Quand elle fut ainsi parée, elle monta en carosse; mais sa Maraine luy recommanda sur toutes choses de ne pas passer minuit, l'avertissant que si elle demeuroit au Bal un moment davantage, son carosse redeviendroit citroüille, ses chevaux des souris, ses laquais des lezards, & que ses vieux habits reprendroient leur premiere forme. Elle promit à sa Maraine qu'elle ne manqueroit pas de sortir du Bal avant minuit: Elle part, ne se sentant pas de joye. Le Fils du Roi qu'on alla avertir, qu'il venoit d'arriver une grande Princesse qu'on ne connoissoit point, courut la recevoir; il luy donna la main à la descente du carosse, & la mena dans la salle où estoit la compagnie: il se fit alors un grand silence; on cessa de danser, & les violons ne joüerent plus, tant on estoit attentif à contempler les grandes beautez de cette inconnuë: on n'entendoit qu'un bruit confus, ha, qu'elle est belle! le Roi même tout vieux qu'il estoit, ne laissoit pas de la regarder, & de dire tout bas à la Reine, qu'il y avoit long-tems qu'il n'avoit vû une si belle & si aimable personne. Toutes les Dames estoient attentives à considerer sa coëffure et ses habits, pour en avoir dés le lendemain de semblables, pourveu qu'il se trouvast des étoffes assez belles, et des ouvriers assez habiles. Le Fils du Roi la mit à la place la plus honorable, & ensuite la prit pour la mener danser: elle dança avec tant de grace, qu'on l'admira encore davantage. On apporta une fort belle collation, dont le jeune Prince ne mangea point, tant il estoit occupé à la considerer. Elle alla s'asseoir auprés de ses sœurs, & leur fit mille honnestetez: elle leur fit part des oranges & des citrons que le Prince luy avoit donnez; ce qui les estonna fort, car elles ne la connoissoient point. Lorsqu'elles causoient ainsi, Cendrillon entendit sonner onze heures trois quarts: elle fit aussi-tost une grande reverence à la compagnie, & s'en alla le plus viste qu'elle pût. Dés qu'elle fut arrivée, elle alla trouver sa Maraine, & aprés l'avoir remerciée, elle luy dit qu'elle souhaiteroit bien aller encore le lendemain au Bal, parce que le Fils du Roi l'en avoit priée. Comme elle estoit occupée à raconter à sa Maraine tout ce qui s'étoit passé au Bal, les deux sœurs heurterent à la porte; Cendrillon leur alla ouvrir: Que vous estes longtems à revenir, leur dit-elle, en baillant, en se frottant les yeux, & en s'étendant comme si elle n'eust fait que de se réveiller: elle n'avoit cependant pas eu envie de dormir depuis qu'elles s'estoient quittées: Si tu estois venuë au Bal, luy dit une de ses sœurs, tu ne t'y serois pas ennuyée: il y est venu la plus belle Princesse, la plus belle qu'on puisse jamais voir; elle nous a fait mille civilitez, elle nous a donné des oranges & des citrons. Cendrillon ne se sentoit pas de joye: elle leur demanda le nom de cette Princesse; mais elles luy répondirent qu'on ne la connoissoit pas, que le Fils du Roi en estoit fort en peine, & qu'il donneroit toutes choses au monde pour sçavoir qui elle estoit. Cendrillon sourit & leur dit, elle estoit donc bien belle? Mon Dieu que vous estes heureuses, ne pourrois-je point la voir? Helas! Mademoiselle Javotte, prestez-moy votre habit jaune que vous mettez tous les jours: vraiment, dit Mademoiselle Javotte, je suis de cet avis, prestez vostre habit à un vilain Cucendron comme cela, il faudroit que je fusse bien folle. Cendrillon s'attendoit bien à ce refus, & elle en fut bien aise, car elle auroit esté grandement embarrassée si sa sœur eut bien voulu luy prester son habit. Le lendemain les deux sœurs furent au Bal, & Cendrillon aussi, mais encore plus parée que la premiere fois. Le Fils du Roi fut toûjours auprés d'elle, & ne cessa de luy conter des douceurs; la jeune Demoiselle ne s'ennuyoit point, & oublia ce que sa Maraine luy avoit recommandé; de sorte qu'elle entendit sonner le premier coup de minuit, lors qu'elle ne croyoit pas qui fut encore onze heures: elle se leva & s'enfuit aussi legerement qu'auroit fait une biche: le Prince la suivit, mais il ne pût l'attraper; elle laissa tomber une de ses pantoufles de verre, que le prince ramassa bien soigneusement. Cendrillon arriva chez elle bien essouflée, sans carosse, sans laquais, & avec ses méchants habits, rien ne luy estant resté de toute sa magnificence, qu'une de ses petites pantoufles, la pareille de celle qu'elle avoit laissé tomber. On demanda aux Gardes de la porte du Palais s'ils n'avoient point veu sortir une Princesse; ils dirent qu'ils n'avoient vû sortir personne, qu'une jeune fille fort mal vestuë, & qui avoit plus l'air d'une Paysanne que d'une Demoiselle. Quand ses deux sœurs revinrent du Bal, Cendrillon leur demanda si elles s'estoient encore bien diverties, & si la belle Dame y avoit esté: elles luy dirent que oüy, mais qu'elle s'estoit enfuye lorsque minuit avoit sonné, & si promptement qu'elle avoit laissé tomber une de ses petites pantoufles de verre, la plus jolie du monde; que le fils du Roy l'avoit ramassée, & qu'il n'avoit fait que la regarder pendant tout le reste du Bal, & qu'assurément il estoit fort amoureux de la belle personne à qui appartenoit la petite pantoufle. Elles dirent vray, car peu de jours aprés, le fils du Roy fit publier à son de trompe, qu'il épouseroit celle dont le pied serait bien juste à la pantoufle. On commença à l'essayer aux Princesses, ensuite aux Duchesses, & à toute la Cour, mais inutilement: on la porta chez les deux sœurs, qui firent tout leur possible pour faire entrer leur pied dans la pantoufle, mais elles ne purent en venir à bout. Cendrillon qui les regardoit, & qui reconnut sa pantoufle, dit en riant, que je voye si elle ne me seroit pas bonne: ses sœurs se mirent à rire & à se mocquer d'elle. Le Gentilhomme qui faisoit l'assay de la pantoufle ayant regardé attentivement Cendrillon, & la trouvant forte belle, dit que cela estoit juste, & qu'il avoit ordre de l'essayer à toutes les filles: il fit asseoir Cendrillon, & approchant la pantoufle de son petit pied, il vit qu'elle y entroit sans peine, & qu'elle y estoit juste comme de cire. L'étonnement des deux sœurs fut grand, mais plus grand encore quand Cendrillon tira de sa poche l'autre petite pantoufle qu'elle mit à son pied. Là-dessus arriva la Maraine qui ayant donné un coup de sa baguette sur les habits de Cendrillon, les fit devenir encore plus magnifiques que tous les autres.
Alors ses deux sœurs la reconnurent pour la belle personne qu'elles avoient veuë au Bal. Elles se jetterent à ses pieds pour luy demander pardon de tous les mauvais traittemens qu'elles luy avoient fait souffrir. Cendrillon les releva, & leur dit en les embrassant, qu'elle leur pardonnoit de bon cœur, & qu'elle les prioit de l'aimer bien toûjours. On la mena chez le jeune Prince, parée comme elle estoit: il la trouva encore plus belle que jamais, & peu de jours aprés il l'épousa. Cendrillon qui estoit aussi bonne que belle, fit loger ses deux sœurs au Palais, & les maria dés le jour même à deux grands Seigneurs de la Cour.
MORALITÉ.
Autre Moralité.
RIQUET
A LA HOUPPE.
CONTE.
Il estoit une fois une Reine qui accoucha d'un fils, si laid & si mal fait, qu'on douta long-tems s'il avoit forme humaine. Une Fée qui se trouva à sa naissance, asseura qu'il ne laisseroit pas d'estre aimable, parce qu'il auroit beaucoup d'esprit; elle ajoûta même qu'il pourroit en vertu du don qu'elle venoit de luy faire, donner autant d'esprit qu'il en auroit, à la personne qu'il aimeroit le mieux. Tout cela consola un peu la pauvre Reine, qui estoit bien affligée d'avoir mis au monde un si vilain marmot. Il est vray que cet enfant ne commença pas plustost à parler, qu'il dit mille jolies choses, & qu'il avoit dans toutes ses actions je ne sçay quoi de si spirituel, qu'on en estoit charmé. J'oubliois de dire qu'il vint au monde avec une petite houppe de cheveux sur la teste, ce qui fit qu'on le nomma Riquet à la houppe, car Riquet estoit le nom de la famille.
Au bout de sept ou huit ans la Reine d'un Royaume voisin accoucha de deux filles, la premiere qui vint au monde estoit plus belle que le jour: la Reine en fut si aise, qu'on apprehenda que la trop grande joye qu'elle en avoit ne luy fit mal. La même Fée qui avoit assisté à la naissance du petit Riquet à la houppe estoit presente, & pour moderer la joye de la Reine, elle luy declara que cette petite Princesse n'auroit point d'esprit, & qu'elle seroit aussi stupide qu'elle estoit belle. Cela mortifia beaucoup la Reine; mais elle eut quelques momens aprés un bien plus grand chagrin, car la seconde fille dont elle acoucha, se trouva extrémement laide. Ne vous affligez point tant Madame, luy dit la Fée; vostre fille sera récompensée d'ailleurs, & elle aura tant d'esprit, qu'on ne s'appercevra presque pas qu'il luy manque de la beauté. Dieu le veuille, répondit la Reine, mais n'y auroit-il point moyen de faire avoir un peu d'esprit à l'aînée qui est si belle? Je ne puis rien pour elle, Madame, du costé de l'esprit, luy dit la Fée, mais je puis tout du costé de la beauté; & comme il n'y a rien que je ne veüille faire pour vôtre satisfaction, je vais luy donner pour don, de pouvoir rendre beau ou belle la personne qui luy plaira. A mesure que ces deux Princesses devinrent grandes, leurs perfections crûrent aussi avec elles, & on ne parloit par tout que de la beauté de l'aisnée, & de l'esprit de la cadette. Il est vray aussi que leurs défauts augmenterent beaucoup avec l'âge. La cadette enlaidissoit à veuë d'œil, & l'aisnée devenoit plus stupide de jour en jour. Ou elle ne répondoit rien à ce qu'on luy demandoit, ou elle disoit une sottise. Elle estoit avec cela si mal-adroite, qu'elle n'eust pû ranger quatre Porcelaines sur le bord d'une cheminée sans en casser une, ny boire un verre d'eau sans en répandre la moitié sur ses habits. Quoy que la beauté soit un grand avantage dans une jeune personne, cependant la cadette l'emportoit presque toûjours sur son aînée dans toutes les Compagnies. D'abord on alloit du costé de la plus belle pour la voir & pour l'admirer, mais bien tost aprés, on alloit à celle qui avoit le plus d'esprit, pour luy entendre dire mille choses agreables; & on estoit estonné qu'en moins d'un quart d'heure l'aînée n'avoit plus personne auprés d'elle, & que tout le monde s'estoit rangé autour de la cadette. L'aisnée quoyque fort stupide, le remarqua bien, & elle eut donné sans regret toute sa beauté pour avoir la moitié de l'esprit de sa sœur. La Reine toute sage qu'elle estoit, ne pût s'empêcher de luy reprocher plusieurs fois sa bestise, ce qui pensa faire mourir de douleur cette pauvre Princesse. Un jour qu'elle s'estoit retirée dans un bois pour y plaindre son malheur, elle vit venir à elle un petit homme fort laid & fort desagreable, mais vestu tres-magnifiquement. C'estoit le jeune Prince Riquet à la houppe, qui estant devenu amoureux d'elle sur ses Portraits qui courroient par tout le monde, avoit quitté le Royaume de son pere pour avoir le plaisir de la voir et de luy parler. Ravi de la rencontrer ainsi toute seule, il l'aborde avec tout le respect & toute la politesse imaginable. Ayant remarqué aprés luy avoir fait les complimens ordinaires, qu'elle estoit fort melancolique, il luy dit; je ne comprens point, Madame, comment une personne aussi belle que vous l'estes, peut estre aussi triste que vous le paroissez; car quoyque je puisse me vanter d'avoir veu une infinité de belles personnes, je puis dire que je n'en ay jamais vû dont la beauté aproche de la vostre. Cela vous plaist à dire, Monsieur, luy répondit la Princesse, & en demeure là. La beauté, reprit Riquet à la houppe, est un si grand avantage qu'il doit tenir lieu de tout le reste; & quand on le possede, je ne voy pas qu'il y ait rien qui puisse nous affliger beaucoup. J'aimerois mieux, dit la Princesse, estre aussi laide que vous & avoir de l'esprit, que d'avoir de la beauté comme j'en ay, & estre beste autant que je le suis. Il n'y a rien, Madame, qui marque davantage qu'on a de l'esprit, que de croire n'en pas avoir, & il est de la nature de ce bien là, que plus on en a, plus on croit en manquer. Je ne sçay pas cela, dit la Princesse, mais je sçay bien que je suis fort beste, & c'est de là que vient le chagrin qui me tuë. Si ce n'est que cela, Madame, qui vous afflige, je puis aisément mettre fin à vostre douleur. Et comment ferez-vous, dit la Princesse; J'ay le pouvoir, Madame, dit Riquet à la houppe, de donner de l'esprit autant qu'on en sçauroit avoir à la personne que je dois aimer le plus; & comme vous estes, Madame, cette personne, il ne tiendra qu'à vous que vous n'ayez autant d'esprit qu'on en peut avoir, pourvû que vous vouliez bien m'épouser. La Princesse demeura toute interdite, & ne répondit rien. Je voy, reprit Riquet à la houppe, que cette proposition vous fait de la peine, & je ne m'en estonne pas; mais je vous donne un an tout entier pour vous y resoudre. La Princesse avoit si peu d'esprit, & en même temps une si grande envie d'en avoir, qu'elle s'imagina que la fin de cette année ne viendroit jamais; de sorte qu'elle accepta la proposition qui luy estoit faite. Elle n'eut pas plustost promis à Riquet à la houppe, qu'elle l'épouseroit dans un an à pareil jour, qu'elle se sentit tout autre qu'elle n'estoit auparavant; elle se trouva une facilité incroyable à dire tout ce qui luy plaisoit, & à le dire d'une maniere fine, aisée et naturelle: elle commença dés ce moment une conversation galante, & soutenuë avec Riquet à la houppe, où elle brilla d'une telle force, que Riquet à la houppe crut luy avoir donné plus d'esprit qu'il ne s'en estoit reservé pour luy-même. Quand elle fut retournée au Palais, toute la Cour ne sçavoit que penser d'un changement si subit & si extraordinaire, car autant qu'on luy avoit oüy dire d'impertinences auparavant, autant luy entendoit-on dire des choses bien sensées & infiniment spirituelles. Toute la Cour en eut une joye qui ne se peut imaginer, il n'y eut que sa cadette qui n'en fut pas bien aise, parce que n'ayant plus sur son aînée l'avantage de l'esprit, elle ne paroissoit plus auprés d'elle qu'une Guenon fort desagreable. Le Roi se conduisoit par ses avis, & alloit même quelquefois tenir le Conseil dans son Appartement. Le bruit de ce changement s'estant répandu, tous les jeunes Princes des Royaumes voisins firent leurs efforts pour s'en faire aimer, & presque tous la demanderent en Mariage; mais elle n'en trouvoit point qui eust assez d'esprit, & elle les écoutoit tous sans s'engager à pas un d'eux. Cependant il en vint un si puissant, si riche, si spirituel & si bien fait, qu'elle ne pust s'empêcher d'avoir de la bonne volonté pour luy. Son pere s'en estant apperçeu, luy dit qu'il la faisoit la maistresse sur le choix d'un Epoux, & qu'elle n'avoit qu'à se déclarer. Comme plus on a d'esprit, & plus on a de peine à prendre une ferme resolution sur cette affaire, elle demanda, aprés avoir remercié son pere, qu'il luy donnast du temps pour y penser. Elle alla par hazard se promener dans le même bois où elle avoit trouvé Riquet à la houppe, pour rêver plus commodement à ce qu'elle avoit à faire. Dans le tems qu'elle se promenoit, rêvant profondement, elle entendit un bruit sourd sous ses pieds, comme de plusieurs personnes qui vont & viennent & qui agissent. Ayant presté l'oreille plus attentivement, elle ouït que l'un disoit apporte-moy cette marmite, l'autre donne-moy cette chaudiere, l'autre mets du bois dans ce feu. La terre s'ouvrit dans le même temps, & elle vit sous ses pieds comme une grande Cuisine pleine de Cuisiniers, de Marmitons & de toutes sortes d'Officiers necessaires pour faire un festin magnifique. Il en sortit une bande de vingt ou trente Rotisseurs, qui allerent se camper dans une allée du bois autour d'une table fort longue, & qui tous, la lardoire à la main, & la queuë de Renard sur l'oreille, se mirent à travailler en cadence au son d'une Chanson harmonieuse. La Princesse estonnée de ce spectacle, leur demanda pour qui ils travailloient. C'est, Madame, luy répondit le plus apparent de la bande, pour le Prince Riquet à la houppe, dont les nopces se feront demain. La Princesse encore plus surprise qu'elle ne l'avoit esté, & se resouvenant tout à coup qu'il y avoit un an qu'à pareil jour, elle avoit promis d'épouser le Prince Riquet à la houppe, elle pensa tomber de son haut. Ce qui faisoit qu'elle ne s'en souvenoit pas, c'est que quand elle fit cette promesse, elle estoit une bête, & qu'en prenant le nouvel esprit que le Prince luy avoit donné, elle avoit oublié toutes ses sottises. Elle n'eut pas fait trente pas en continuant sa promenade, que Riquet à la houppe se presenta à elle, brave, magnifique, & comme un Prince qui va se marier. Vous me voyez, dit-il, Madame, exact à tenir ma parole, & je ne doute point que vous ne veniez ici pour executer la vostre, & me rendre, en me donnant la main, le plus heureux de tous les hommes. Je vous avoüeray franchement, répondit la Princesse, que je n'ay pas encore pris ma resolution là-dessus, & que je ne croy pas pouvoir jamais la prendre telle que vous la soühaitez. Vous m'étonnez, Madame, lui dit Riquet à la houppe: Je le croy, dit la Princesse, & assurément si j'avois affaire à un brutal, à un homme sans esprit, je me trouverais bien embarassée. Une Princesse n'a que sa parole, me diroit-il, & il faut que vous m'épousiez, puisque vous me l'avez promis; mais comme celuy à qui je parle est l'homme du monde qui a le plus d'esprit, je suis seure qu'il entendra raison. Vous sçavez que quand je n'estois qu'une beste, je ne pouvois neanmoins me resoudre à vous épouser, comment voulez-vous qu'ayant l'esprit que vous m'avez donné, qui me rend encore plus difficile en gens que je n'estois, je prenne aujourd'huy une résolution que je n'ay pû prendre dans ce temps-là. Si vous pensiez tout de bon à m'épouser, vous avez eu grand tort de m'oster ma bestise, & de me faire voir plus clair que je ne voyois. Si un homme sans esprit, répondit Riquet à la houppe, serait bien reçeu, comme vous venez de le dire, à vous reprocher vostre manque de parole, pourquoi voulez-vous, Madame, que je n'en use pas de mesme, dans une chose où il y va de tout le bonheur de ma vie; est-il raisonnable que les personnes qui ont de l'esprit, soient d'une pire condition que ceux qui n'en ont pas; le pouvez-vous prétendre, vous qui en avez tant, & qui avez tant souhaité d'en avoir? mais venons au fait, s'il vous plaist: A la reserve de ma laideur, y a-t'il quelque chose en moy qui vous déplaise, estes-vous malcontente de ma naissance, de mon esprit, de mon humeur, & de mes manieres? Nullement, répondit la Princesse, j'aime en vous tout ce que vous venez de me dire. Si cela est ainsi, reprit Riquet à la houppe, je vais estre heureux, puisque vous pouvez me rendre le plus aimable de tous les hommes. Comment cela se peut-il faire? luy dit la Princesse. Cela se fera, répondit Riquet à la houppe, si vous m'aimez assez pour souhaiter que cela soit; & afin, Madame, que vous n'en doutiez pas, sçachez que la même Fée qui au jour de ma naissance me fit le don de pouvoir rendre spirituelle la personne qu'il me plairoit, vous a aussi fait le don de pouvoir rendre beau celuy que vous aimerez, & à qui vous voudrez bien faire cette faveur. Si la chose est ainsi, dit la Princesse, je souhaite de tout mon cœur que vous deveniez le Prince du monde le plus beau & le plus aimable; & je vous en fais le don autant qu'il est en moy. La Princesse n'eut pas plustost prononcé ces paroles, que Riquet à la houppe parut à ses yeux, l'homme du monde le plus beau, le mieux fait, & le plus aimable quelle eust jamais vû. Quelques-uns asseurent que ce ne furent point les charmes de la Fée qui opererent, mais que l'amour seul fit cette Metamorphose. Ils disent que la Princesse ayant fait reflexion sur la perseverance de son Amant, sur sa discretion, & sur toutes les bonnes qualitez de son ame & de son esprit, ne vit plus la difformité de son corps, ny la laideur de son visage, que sa bosse ne luy sembla plus que le bon air d'un homme qui fait le gros dos; & qu'au lieu que jusqu'à lors elle l'avoit vû boiter effroyablement, elle ne luy trouva plus qu'un certain air penché qui la charmoit; ils disent encore que ses yeux qui estoient louches, ne luy en parurent que plus brillans, que leur déreglement passa dans son esprit pour la marque d'un violent excez d'amour, & qu'enfin son gros nez rouge eut pour elle quelque chose de Martial et d'Heroïque. Quoyqu'il en soit, la Princesse luy promit sur le champ de l'épouser, pourvû qu'il en obtint le consentement du Roy son Père. Le Roy ayant sçû que sa fille avoit beaucoup d'estime pour Riquet à la houppe, qu'il connoissoit d'ailleurs pour un Prince tres-spirituel & tres-sage, le receut avec plaisir pour son gendre. Dés le lendemain les nopces furent faites, ainsi que Riquet à la houppe l'avoit prévû, & selon les ordres qu'il en avoit donnez longtemps auparavant.
MORALITÉ.
Autre Moralité.
LE PETIT
POUCET
CONTE.
Il estoit une fois un Bucheron & une Bucheronne, qui avoient sept enfans tous Garçons. L'aîné n'avoit que dix ans, & le plus jeune n'en avoit que sept. On s'estonnera que le Bucheron ait eu tant d'enfans en si peu de temps; mais c'est que sa femme alloit viste en besongne, & n'en faisoit pas moins que deux à la fois. Ils estoient fort pauvres, & leur sept enfans les incommodoient beaucoup, parce qu'aucun d'eux ne pouvoit encore gagner sa vie. Ce qui les chagrinoit encore, c'est que le plus jeune estoit fort delicat, & ne disoit mot, prenant pour bestise, ce qui estoit une marque de la bonté de son esprit: il estoit fort petit, & quand il vint au monde il n'estoit gueres plus gros que le pouce, ce qui fit que l'on l'appella le petit Poucet. Ce pauvre enfant estoit le souffre douleurs de la maison, & on luy donnoit toûjours le tort. Cependant il estoit le plus fin, & le plus avisé de tous ses freres, & s'il parloit peu, il écoutait beaucoup. Il vint une année tres-fâcheuse, & la famine fut si grande, que ces pauvres gens resolurent de se deffaire de leurs enfans. Un soir que ces enfans estoient couchez, & que le Bucheron estoit auprés du feu avec sa femme, il luy dit, le cœur serré de douleur? Tu vois bien que nous ne pouvons plus nourir nos enfans: je ne sçaurois les voir mourir de faim devant mes yeux, & je suis resolu de les mener perdre demain au bois, ce qui sera bien aisé, car tandis qu'ils s'amuseront à fagoter, nous n'avons qu'à nous enfuir sans qu'ils nous voyent. Ah! s'écria la Bucheronne, pourrois-tu bien toy-même mener perdre tes enfans? Son mary avoit beau luy representer leur grande pauvreté, elle ne pouvoit y consentir; elle estoit pauvre, mais elle estoit leur mere: Cependant ayant consideré quelle douleur ce luy seroit de les voir mourir de faim, elle y consentit, & alla se coucher en pleurant. Le petit Poucet oüit tout ce qu'ils dirent, car ayant entendu de dedans son lit qu'ils parloient d'affaires, il s'estoit levé doucement, & s'estoit glissé sous l'escabelle de son pere pour les écouter sans estre vû. Il alla se recoucher & ne dormit point le reste de la nuit, songeant à ce qu'il avoit à faire. Il se leva de bon matin, & alla au bord d'un ruisseau, où il emplit ses poches de petits cailloux blancs, & ensuite revint à la maison. On partit, & le petit Poucet ne découvrit rien de tout ce qu'il sçavoit à ses freres. Ils allerent dans une forest fort épaisse, où à dix pas de distance on ne se voyoit pas l'un l'autre. Le Bucheron se mit à couper du bois & ses enfans à ramasser les broutilles pour faire des fagots. Le pere & la mere les voyant ocupez à travailler, s'éloignerent d'eux insensiblement, & puis s'enfuirent tout à coup par un petit sentier détourné. Lors que ces enfans se virent seuls, ils se mirent à crier & à pleurer de toute leur force. Le petit Poucet les laissoit crier, sçachant bien par où il reviendroit à la maison; car en marchant il avoit laissé tomber le long du chemin les petits cailloux blancs qu'il avoit dans ses poches. Il leur dit donc, ne craignez-point mes freres, mon Pere & ma Mere nous ont laissez icy, mais je vous remeneray bien au logis, suivez-moy seulement, ils le suivirent, & il les mena jusqu'à leur maison par le même chemin qu'ils estoient venus dans la forest. Ils n'oserent d'abord entrer, mais ils se mirent tous contre la porte pour écouter ce que disoient leur Pere & leur Mere.
Dans le moment que le Bucheron & la Bucheronne arriverent chez eux, le Seigneur du Village leur envoya dix écus qu'il leur devoit il y avoit longtems, & dont ils n'esperoient plus rien: Cela leur redonna la vie, car les pauvres gens mouroient de faim. Le Bucheron envoya sur l'heure sa femme à la Boucherie. Comme il y avoit long-temps qu'elle n'avoit mangé, elle acheta trois fois plus de viande qu'il n'en falloit pour le souper de deux personnes. Lors qu'ils furent rassassiez; la Bucheronne dit, helas, où sont maintenant nos pauvres enfans, ils feroient bonne chere de ce qui nous reste là: Mais aussi Guillaume, c'est toy qui les as voulu perdre, j'avois bien dit que nous nous en repentirions, que font-ils maintenant dans cette Forest? Helas! mon Dieu, les Loups les ont peut être déjà mangez; tu es bien inhumain d'avoir perdu ainsi tes enfans. Le Bucheron s'impatienta à la fin, car elle redit plus de vingt fois qu'ils s'en repentiroient & qu'elle l'avoit bien dit. Il la menaça de la battre si elle ne se taisoit. Ce n'est pas que le Bucheron ne fust peut-estre encore plus fâché que sa femme, mais c'est qu'elle luy rompoit la teste, & qu'il estoit de l'humeur de beaucoup d'autres gens, qui ayment fort les femmes qui disent bien, mais qui trouvent trés importunes celles qui ont toûjours bien dit. La Bucheronne estoit toute en pleurs? Helas! où sont maintenant mes enfans, mes pauvres enfans? Elle le dit une fois si haut que les enfans qui étoient à la porte l'ayant entendu, se mirent à crier tous ensemble, nous voyla, nous voyla. Elle courut viste leur ouvrir la porte, & leur dit en les embrassant, que je suis aise de vous revoir, mes chers enfans, vous estes bien las, & vous avez bien faim; & toy Pierrot comme te voylà crotté, vien que je te débarboüille. Ce Pierrot estoit son fils aîné qu'elle aimoit plus que tous les autres, parce qu'il estoit un peu rousseau, & qu'elle estoit un peu rousse. Ils se mirent à Table, & mangerent d'un apetit qui faisoit plaisir au Pere & à la Mere, à qui ils racontoient la peur qu'ils avoient euë dans la Forest en parlant presque toûjours tous ensemble: Ces bonnes gens étoient ravis de revoir leurs enfans avec eux, & cette joye dura tant que les dix écus durerent; mais lors que l'argent fut dépensé ils retomberent dans leur premier chagrin; & résolurent de les perdre encore, & pour ne pas manquer leur coup, de les mener bien plus loin que la premiere fois. Ils ne purent parler de cela si secrettement qu'ils ne fussent entendus par le petit Poucet, qui fit son compte de sortir d'affaire comme il avoit déjà fait; mais quoy qu'il se fut levé de bon matin pour aller ramasser des petits cailloux, il ne put en venir à bout, car il trouva la porte de la maison fermée à double tour. Il ne sçavoit que faire lors que la Bucheronne leur ayant donné à chacun un morceau de pain pour leur déjeuné, il songea qu'il pourroit se servir de son pain au lieu de cailloux en le jettant par miettes le long des chemins où ils passeroient, il le serra donc dans sa poche. Le Pere & la Mere les menerent dans l'endroit de la Forest le plus épais & le plus obscur, & dés qu'ils y furent ils gagnerent un faux fuyant & les laisserent là. Le petit Pouçet ne s'en chagrina pas beaucoup, parce qu'il croyait retrouver aisément son chemin par le moyen de son pain qu'il avoit semé par tout où il avoit passé; mais il fut bien supris lors qu'il ne put en retrouver une seule miette, les Oiseaux étoient venus qui avoient tout mangé. Les voyla donc bien affligés, car plus ils marchoient plus ils s'égaroient, & s'enfonçoient dans la Forest. La nuit vint, & il s'éleva un grand vent qui leur faisoit des peurs épouventables. Ils croyoient n'entendre de tous côtés que les heurlemens de Loups qui venoient à eux pour les manger. Ils n'osoient presque se parler ny tourner la teste. Il survint une grosse pluye qui les perça jusqu'aux os; ils glissoient à chaque pas & tomboient dans la boüe, d'où ils se relevoient tout crottés, ne sçachant que faire de leurs mains. Le petit Pouçet grimpa au haut d'un Arbre pour voir s'il ne découvriroit rien; ayant tourné la teste de tous costés, il vit une petite lueur comme d'une chandelle, mais qui estoit bien loin par de-là la Forest. Il descendit de l'arbre; & lors qu'il fut à terre il ne vit plus rien; cela le desola. Cependant ayant marché quelque temps avec ses freres du costé qu'il avoit veu la lumiere, il la revit en sortant du Bois. Ils arriverent enfin à la maison où estoit cette chandelle, non sans bien des frayeurs, car souvent ils la perdoient de veuë, ce qui leur arrivoit toutes les fois qu'ils descendoient dans quelques fonds. Ils heurterent à la porte, & une bonne femme vint leur ouvrir. Elle leur demanda ce qu'ils vouloient, le petit Pouçet luy dit, qu'ils étoient de pauvres enfans qui s'estoient perdus dans la Forest, & qui demandoient à coucher par charité. Cette femme les voyant tous si jolis se mit à pleurer, & leur dit, helas! mes pauvres enfans, où estes vous venus? sçavez vous bien que c'est icy la maison d'un Ogre qui mange les petits enfans. Helas! Madame, luy répondit le petit Pouçet, qui trembloit de toute sa force aussi bien que ses freres; que ferons-nous? Il est bien seur que les Loups de la Forest ne manqueront pas de nous manger cette nuit, si vous ne voulez pas nous retirer chez vous. Et cela étant nous aimons mieux que ce soit Monsieur qui nous mange, peut-estre qu'il aura pitié de nous, si vous voulez bien l'en prier. La femme de l'Ogre qui crut qu'elle pourroit les cacher à son mary jusqu'au lendemain matin, les laissa entrer & les mena se chauffer auprés d'un bon feu, car il y avoit un Mouton tout entier à la broche pour le soupé de l'Ogre. Comme ils commençoient à se chauffer ils entendirent heurter trois ou quartre grands coups à la porte, c'estoit l'Ogre qui revenoit. Aussi-tost sa femme les fit cacher sous le lit, & alla ouvrir la porte. L'Ogre demanda d'abord si le soupé estoit prest, & si on avoit tiré du vin, & aussi-tost se mit à table. Le Mouton estoit encore tout sanglant, mais il ne luy en sembla que meilleur. Il fleuroit à droite & à gauche, disant qu'il sentoit la chair fraîche. Il faut luy dit sa femme, que ce soit ce Veau que je viens d'habiller que vous sentez. Je sens la chair fraîche, te dis-je encore une fois, reprit l'Ogre, en regardant sa femme de travers, & il y a icy quelque chose que je n'entens pas; en disant ces mots, il se leva de Table, & alla droit au lit. Ah, dit il, voila donc comme tu veux me tromper maudite femme, je ne sçais à quoy il tient que je ne te mange aussi; bien t'en prend d'être une vieille beste. Voila du Gibier qui me vient bien à propos pour traiter trois Ogres de mes amis qui doivent me venir voir ces jours icy. Il les tira de dessous le lit l'un aprés l'autre. Ces pauvres enfans se mirent à genoux en luy demandant pardon, mais ils avoient à faire au plus cruël de tous les Ogres, qui bien loin d'avoir de la pitié les dévoroit déjà des yeux, & disoit à sa femme que ce seroit là de friands morceaux lors qu'elle leur auroit fait une bonne sausse. Il alla prendre un grand Couteau, & en approchant de ces pauvres enfans, il l'aiguisoit sur une longue pierre qu'il tenoit à sa main gauche. Il en avoit déja empoigné un, lorsque sa femme luy dit, que voulez vous faire à l'heure qu'il est, n'aurez-vous pas assez de temps demain matin? Tay-toy, reprit l'Ogre, ils en seront plus mortifiés. Mais vous avez encore là tant de viande, reprit sa femme, voilà un Veau, deux Moutons & la moitié d'un Cochon. Tu as raison dit l'Ogre, donne leur bien à souper affin qu'il ne maigrissent pas, & va les mener coucher. La bonne femme fut ravie de joye, & leur porta bien à souper, mais ils ne purent manger tant ils étoient saisis de peur. Pour l'Ogre il se remit à boire, ravi d'avoir de quoy si bien regaler ses Amis. Il but une douzaine de coups plus qu'à l'ordinaire, ce qui luy donna un peu dans la teste, & l'obligea de s'aller coucher.
L'Ogre avoit sept filles qui n'étoient encore que des enfans. Ces petites Ogresses avoient toutes le teint fort beau, parce qu'elles mangeoient de la chair fraîche comme leur pere; mais elles avoient de petits yeux gris & tout ronds, le nez crochu & une fort grande bouche avec de longues dents fort aiguës & fort éloignées l'une de l'autre. Elles n'estoient pas encore fort méchantes; mais elles promettoient beaucoup, car elles mordoient déja les petits enfans pour en succer le sang. On les avoit fait coucher de bonne heure, & elles estoient toutes sept dans un grand lit, ayant chacune une Couronne d'or sur la teste. Il y avoit dans la même Chambre un autre lit de la même grandeur; ce fut dans ce lit que la femme de l'Ogre mit coucher les sept petits garçons, aprés quoi elle s'alla coucher auprés de son mary. Le petit Poucet qui avoit remarqué que les filles de l'Ogre avoient des Couronnes d'or sur la teste, & qui craignoit qu'il ne prit à l'Ogre quelques remords de ne les avoir pas égorgés dés le soir même, se leva vers le milieu de la nuit, & prenant les bonnets de ses freres & le sien, il alla tout doucement les mettre sur la teste des sept filles de l'Ogre aprés leur avoir osté leurs Couronnes d'or qu'il mit sur la teste de ses freres & sur la sienne, afin que l'Ogre les prit pour ses filles, & ses filles pour les garçons qu'il vouloit égorger. La chose réüssit comme il l'avoit pensé; car l'Ogre s'étant éveillé sur le minuit, eut regret d'avoir differé au lendemain ce qu'il pouvoit executer la veille, il se jetta donc brusquement hors du lit, & prenant son grand Couteau, allons voir, dit il, comment se portent nos petits drolles, n'en faisons pas à deux fois; il monta donc à tâtons à la Chambre de ses filles & s'approcha du lit où étoient les petits garçons, qui dormoient tous excepté le petit Pouçet, qui eut bien peur lors qu'il sentit la main de l'Ogre qui luy tastoit la teste, comme il avoit tasté celle de tous ses freres. L'Ogre qui sentit les Couronnes d'or; vrayment, dit il, j'allois faire là un bel ouvrage, je voy bien que je bus trop hier au soir. Il alla ensuite au lit de ses filles où ayant senti les petits bonnets des garçons. Ah, les voilà, dit-il nos gaillards? Travaillons hardiment; en disant ses mots, il coupa sans balancer la gorge à ses sept filles. Fort content de cette expedition, il alla se recoucher auprés de sa femme. Aussi-tost que le petit Poucet entendit ronfler l'Ogre, il reveilla ses frères, & leur dit de s'habiller promptement & de le suivre. Ils descendirent doucement dans le Jardin, & sauterent par dessus les murailles. Ils coururent presque toute la nuit, toûjours en tremblant & sans sçavoir où ils alloient. L'Ogre s'estant éveillé dit à sa femme, va-t'en là haut habiller ces petits droles d'hier au soir; l'Ogresse fût fort estonnée de la bonté de son mary, ne se doutant point de la maniere qu'il entendoit qu'elle les habillast, & croyant qu'il luy ordonnoit de les aller vestir, elle monta en haut où elle fut bien surprise lorsqu'elle aperçût ses sept filles égorgées & nageant dans leur sang. Elle commença par s'évanoüir (car c'est le premier expedient que trouvent presque toutes les femmes en pareilles rencontres.) L'Ogre craignant que sa femme ne fût trop longtemps à faire la besongne dont il l'avoit chargée, monta en haut pour luy aider. Il ne fut pas moins estonné que sa femme lors qu'il vit cet affreux spectacle. Ah, qu'ay-je fait, s'écria-t-il, ils me le payeront les malheureux, & tout à l'heure. Il jetta aussi-tost une potée d'eau dans le nez de sa femme, & l'ayant fait revenir, donne-moy viste mes bottes de sept lieuës, luy dit-il, afin que j'aille les attraper. Il se mit en campagne, & aprés avoir couru bien loin de tous costés, enfin il entra dans le chemin où marchoient ces pauvres enfans qui n'étoient plus qu'à cent pas du logis de leur pere. Ils virent l'Ogre qui alloit de montagne en montagne, & qui traversoit des rivieres aussi aisément qu'il auroit fait le moindre ruisseau. Le petit Poucet qui vit un Rocher creux proche le lieu où ils estoient, y fit cacher ses six freres, & s'y fourra aussi, regardant toûjours ce que l'Ogre deviendroit. L'Ogre qui se trouvoit fort las du long chemin qu'il avoit fait inutilement, (car les bottes de sept lieues fatiguent fort leur homme,) voulut se reposer, & par hazard il alla s'asseoir sur la roche où les petits garçons s'estoient cachez. Comme il n'en pouvoit plus de fatigue, il s'endormit aprés s'estre reposé quelque temps; & vint à ronfler si effroyablement, que les pauvres enfans n'en eurent pas moins de peur, que quand il tenoit son grand Couteau pour leur couper la gorge. Le petit Poucet en eut moins de peur, & dit à ses freres de s'enfuir promptement à la maison, pendant que l'Ogre dormoit bien fort, & qu'ils ne se missent point en peine de luy. Ils crurent son conseil & gagnerent viste la maison. Le petit Poucet s'estant approché de l'Ogre, luy tira doucement ses bottes, & les mit aussi-tost; les bottes estoient fort grandes & fort larges; mais comme elles estoient Fées, elles avoient le don de s'agrandir & de s'appetisser selon la jambe de celuy qui les chaussoit, de sorte qu'elles se trouverent aussi justes à ses pieds & à ses jambes que si elles avoient esté faites pour luy. Il alla droit à la maison de l'Ogre où il trouva sa femme qui pleuroit auprés de ses filles égorgées. Vostre mari, luy dit le petit Poucet, est en grand danger, car il a esté pris par une troupe de Voleurs qui out juré de le tuër s'il ne leur donne tout son or & tout son argent. Dans le moment qu'ils luy tenoient le poignard sur la gorge, il m'a aperceu & m'a prié de vous venir avertir de l'estat où il est, & de vous dire de me donner tout ce qu'il a vaillant sans en rien retenir, parcequ'autrement ils le tuëront sans misericorde: Comme la chose presse beaucoup, il a voulu que je prisse ses bottes de sept lieuës que voilà pour faire diligence, & aussi afin que vous ne croyez pas que je sois un affronteur. La bonne femme fort effrayée luy donna aussi-tost tout ce qu'elle avoit; car cet Ogre ne laissoit pas d'estre fort bon mari, quoy qu'il mangeast les petits enfans. Le petit Poucet estant donc chargé de toutes les richesses de l'Ogre s'en revint au logis de son pere, où il fut receu avec bien de la joye.
Il y a bien des gens qui ne demeurent pas d'acord de cette derniere circonstance, & qui prétendent que le petit Poucet n'a jamais fait ce vol à l'Ogre; qu'à la verité, il n'avoit pas fait conscience de luy prendre ses bottes de sept lieües, parce qu'il ne s'en servoit que pour courir aprés les petits enfans. Ces gens-là asseurent le sçavoir de bonne part, & même pour avoir bû & mangé dans la maison du Bucheron. Ils assurent que lorsque le petit Poucet eut chaussé les bottes de l'Ogre, il s'en alla à la Cour, où il sçavoit qu'on estoit fort en peine d'une Armée, qui étoit à deux cens lieües de-là, & du succés d'une Bataille qu'on avoit donnée. Il alla, disent-ils, trouver le Roi, & luy dit que s'il le souhaitoit, il luy rapporteroit des nouvelles de l'Armée avant la fin du jour. Le Roi luy promit une grosse somme d'argent s'il en venoit à bout. Le petit Poucet rapporta des nouvelles dés le soir même, & cette premiere course l'ayant fait connoître, il gagnoit tout ce qu'il vouloit; car le Roi le payoit parfaitement bien pour porter ses ordres à l'Armée, & une infinité de Dames luy donnoient tout ce qu'il vouloit pour avoir des nouvelles de leurs Amans, & ce fut là son plus grand gain. Il se trouvoit quelques femmes qui le chargeoient de Lettres pour leur maris, mais elles le payoient si mal, & cela alloit à si peu de chose, qu'il ne daignoit mettre en ligne de compte ce qu'il gagnoit de ce côté-là. Aprés avoir fait pendant quelque temps le mêtier de courier, & y avoir amassé beaucoup de bien, il revint chez son pere, où il n'est pas possible d'imaginer la joye qu'on eut de le revoir. Il mit toute sa famille à son aise. Il achepta des Offices de nouvelle création pour son pere & pour ses freres; & par là il les établit tous, & fit parfaitement bien sa Cour en même-temps.
MORALITÉ.
FIN.
Extrait du Privilége du Roy.
Par Grace & Privilége du Roy, Donné à Fontainebleau, le 28. Octobre 1696. Signé Louvet, & Scelé: Il est permis au Sieur P. Darmancour, de faire Imprimer par tel Imprimeur ou Libraire qu'il voudra choisir, un Livre qui a pour titre, Histoires ou Contes du temps passé, avec des Moralités; & ce pendant le temps & espace de six années consecutives, avec défense à tous Imprimeurs & Libraires de Nôtre Royaume, ou autres: d'Imprimer ou faire imprimer, vendre & distribüer ledit Livre sans son consentement, ou de ceux qui auront droit de lui; pendant ledit temps, sur les peines portées plus au long par ledit Privilége: Et ledit Sieur P. Darmancour a cedé son Privilége à Claude Barbin, pour en joüir par luy, suivant l'accord fait entr'eux.
Registré sur le Livre de la Communauté des Imprimeurs & Libraires de Paris le 11. Janvier 1697.
Signé, P. Aubouin,
Syndic.
Les Exemplaires ont esté fournis.
CONTES
EN VERS
PAR Mr. PERRAULT,
De l'Academie Françoise.
TABLE.
| Préface | p. 77 |
| Peau d'Asne, Conte | p. 83 |
| Les Souhaits Ridicules, Conte | p. 107 |
| Griselidis, Nouvelle | p. 113 |
La manière dont le public a reçu les pièces de ce recueil, à mesure qu'elles lui ont été données séparément, est une espèce d'assurance qu'elles ne lui déplairont pas, en paroissant toutes ensemble. Il est vrai que quelques personnes, qui affectent de paroître graves, et qui ont assez d'esprit pour voir que ce sont des contes faits à plaisir, et que la matière n'en est pas fort importante, les ont regardées avec mépris; mais on a eu la satisfaction de voir que les gens de bon goût n'en ont pas jugé de la sorte.
Ils ont éte bien aises de remarquer que ces bagatelles n'étoient pas de pures bagatelles, qu'elles renfermoient une morale utile, et que le récit enjoué dont elles étoient enveloppées n'avoit été choisi que pour les faire entrer plus agréablement dans l'esprit et d'une manière qui instruisît et divertît tout ensemble. Cela devoit me suffire pour ne pas craindre le reproche de m'être amusé à des choses frivoles. Mais, comme j'ai affaire à bien des gens qui ne se payent pas de raisons, et qui ne peuvent être touchés que par l'autorité et par l'exemple des anciens, je vais les satisfaire là-dessus.
Les fables milésiennes, si célèbres parmi les Grecs, et qui ont fait les délices d'Athènes et de Rome, n'étoient pas d'une autre espèce que les fables de ce recueil. L'histoire de la Matrone d'Ephèse est de la même nature que celle de Griselidis: ce sont l'une et l'autre des Nouvelles, c'est-à-dire des récits de choses qui peuvent être arrivées et qui n'ont rien qui blesse absolument la vraisemblance. La fable de Psyché, écrite par Lucien et par Apulée, est une fiction toute pure et un conte de vieille, comme celui de Peau d'Ane. Aussi voyons-nous qu'Apulée le fait raconter, par une vieille femme, à une jeune fille que des voleurs avoient enlevée, de même que celui de Peau d'Ane est conté tous les jours à des enfants par leurs gouvernantes et par leurs grand'mères. La fable du laboureur qui obtint de Jupiter le pouvoir de faire, comme il lui plairoit, la pluie et le beau temps, et qui en usa de telle sorte qu'il ne recueillit que de la paille sans aucuns grains, parce qu'il n'avoit jamais demandé ni vent, ni froid, ni neige, ni aucun temps semblable, chose nécessaire cependant pour faire fructifier les plantes; cette fable, dis-je, est de même genre que le conte des Souhaits ridicules, si ce n'est que l'un est sérieux et l'autre comique; mais tous les deux vont à dire que les hommes ne connoissent pas ce qui leur convient, et sont plus heureuz d'être conduits par la Providence, que si toutes choses leur succédoient selon qu'ils le désirent.
Je ne crois pas qu'ayant devant moi de si beaux modèles, dans la plus sage et la plus docte antiquité, on soit en droit de me faire aucun reproche. Je prétends même que mes fables méritent mieux d'être racontées que la plupart des contes anciens, et particulièrement celui de la Matrone d'Ephèse et celui de Psyché, si on les regarde du côté de la morale, chose principale dans toutes sortes de fables, et pour laquelle elles doivent avoir été faites. Toute la moralité qu'on peut tirer de la Matrone d'Ephèse est que souvent les femmes qui semblent les plus vertueuses le sont le moins, et qu'ainsi il n'y en a presque point qui le soient véritablement.
Qui ne voit que cette morale est très-mauvaise, et qu'elle ne va qu'à corrompre les femmes par le mauvais exemple, et à leur faire croire qu'en manquant à leur devoir elles ne font que suivre la voie commune? Il n'en est pas de même de la morale de Griselidis, qui tend à porter les femmes à souffrir de leurs maris, et à faire voir qu'il n'y en a point de si brutal ni de si bizarre dont la patience d'une honnête femme ne puisse venir à bout.
A l'égard de la morale cachée dans la fable de Psyché, fable en elle-même très-agréable et très-ingénieuse, je la comparerai avec celle de Peau d'Ane, quand je la saurai; mais, jusqu'ici, je n'ai pu la deviner. Je sais bien que Psyché signifie l'âme; mais je ne comprends point ce qu'il faut entendre par l'Amour, qui est amoureux de Psyché, c'est-à-dire de l'âme, et encore moins ce qu'on ajoute, que Psyché devoit être heureuse tant qu'elle ne connoîtroit point celui dont elle étoit aimée, qui étoit l'Amour; mais qu'elle seroit très-malheureuse dès le moment qu'elle viendroit à le connoître: voilà pour moi une énigme impénétrable. Tout ce qu'on peut dire, c'est que cette fable, de même que la plupart de celles qui nous restent des anciens, n'ont été faites que pour plaire, sans égard aux bonnes mœurs, qu'ils négligeoient beaucoup.
Il n'en est pas de même des Contes que nos aïeux ont inventés pour leurs enfants. Ils ne les ont pas contés avec l'élégance et les agréments dont les Grecs et les Romains ont orné leurs fables; mais ils ont toujours eu un très-grand soin que leurs contes renfermassent une morale louable et instructive. Partout la vertu y est récompensée, et partout le vice y est puni. Ils tendent tous à faire voir l'avantage qu'il y a d'être honnête, patient, avisé, laborieux, obéissant, et le mal qui arrive à ceux qui ne le sont pas.
Tantôt ce sont des fées qui donnent pour don à une jeune fille qui leur aura repondu avec civilité, qu'à chaque parole qu'elle dira, il lui sortira de la bouche un diamant ou une perle; et, à une autre fille qui leur aura répondu brutalement, qu'à chaque parole il lui sortira de la bouche une grenouille ou un crapaud. Tantôt ce sont des enfants qui, pour avoir bien obéi à leur père et à leur mère, deviennent grands seigneurs; ou d'autres qui, ayant été vicieux et désobéissans, sont tombés dans des malheurs épouvantables.
Quelque frivoles et bizarres que soient toutes ces fables dans leurs aventures, il est certain qu'elles excitent dans les enfants le désir de ressembler à ceux qu'ils voient devenir heureux, et en même temps la crainte des malheurs où les méchans sont tombés par leur méchanceté. N'est-il pas louable à des pères et à des mères, lorsque leurs enfants ne sont pas encore capables de goûter les vérités solides et dénuées de tout agrément, de les leur faire aimer, et, si cela se peut dire, de les leur faire avaler, en les enveloppant dans des récits agréables et proportionnés à la foiblesse de leur âge! Il n'est pas croyable avec quelle avidité ces âmes innocentes, et dont rien n'a encore corrompu la droiture naturelle, reçoivent ces instructions cachées; on les voit dans la tristesse et dans l'abattement tant que le héros ou l'héroïne du conte sont dans le malheur, et s'écrier de joie quand le temps de leur bonheur arrive; de même qu'après avoir souffert impatiemment la prospérité du méchant ou de la méchante, ils sont ravis de les voir enfin punis comme ils le méritent. Ce sont des semences qu'on jette, qui ne produisent d'abord que des mouvements de joie et de tristesse, mais dont il ne manque guère d'éclore de bonnes inclinations.
J'aurois pu rendre mes contes plus agréables, en y mêlant certaines choses un peu libres dont on a accoutumé de les égayer; mais le désir de plaire ne m'a jamais assez tenté pour violer une loi que je me suis imposée, de ne rien écrire qui pût blesser ou la pudeur, ou la bienséance. Voici un madrigal qu'une jeune demoiselle de beaucoup d'esprit a composé sur ce sujet, et qu'elle a écrit au-dessous du conte de Peau d'Ane que je lui avois envoyé:
[100] From the Griselidis of 1695.
PEAU D'ASNE.
CONTE.
A MADAME LA MARQUISE DE L.
Par Mr. Perrault, de L'Academie Françoise.
[101]Homme Sauvage qui mangeoit les petits enfans.
LES SOUHAITS RIDICULES.
CONTE.
A MADEMOISELLE DE LA C.
Par Mr. Perrault, de L'Academie Françoise.
GRISELIDIS.
NOUVELLE.
par mr. perrault, de l'academie françoise.
A MADEMOISELLE ——
A MONSIEUR ——
EN LUI ENVOYANT
GRISELIDIS.
Si je m'étois rendu à tous les differens avis qui m'ont été donnez sur l'ouvrage que je vous envoye, il n'y seroit rien demeuré que le Conte tout sec & tout uni, & en ce cas j'aurois mieux fait de n'y pas toucher & de le laisser dans son papier bleu, où il est depuis tant d'années. Je le lûs d'abord à deux de mes amis. Pourquoi, dit l'un, s'étendre si fort sur le caractere de vôtre Héros, qu'a-t-on affaire de savoir ce qu'il faisoit le matin dans son conseil, & moins encore à quoi il se divertissoit l'aprésdînée.
Tout cela est bon à retrancher. Otez-moi, je vous prie, dit l'autre, la réponse enjoüée qu'il fait aux Deputes de son peuple, qui le pressent de se marier; elle ne convient point à une Prince grave & serieux: vous voulez bien encore, poursuivit-il, que je vous conseille de supprimer la longue description de vôtre chasse? Qu'importe tout cela au fond de votre histoire? Croyez-moi ce sont de vains & ambitieux ornemens qui apauvrissent vôtre Poëme au lieu de l'enrichir. Il en est de même ajoûta-t-il, des préparatifs qu'on fait pour le mariage du Prince, tout cela est oiseux, & inutile. Pour vos Dames qui rabaissent leurs coëffures, qui couvrent leurs gorges, & qui allongent leurs manches, froide plaisanterie! Aussi bien que celle de l'Orateur qui s'applaudit de son éloquence: je demande encore, reprit celui qui avoit parlé le premier, que vous ôtiez les reflexions Chrêtiennes de Griselidis, qui dit, que c'est Dieu qui veut l'éprouver, c'est un sermon hors de sa place. Je ne saurois encore souffrir les inhumanitez de vôtre Prince, elles me mettent en colere, je les supprimerois. Il est vrai qu'elles sont de l'histoire; mais il n'importe. J'ôterois encor l'Episode du jeune Seigneur qui n'est là que pour épouzer la jeune Princesse, cela allonge trop vôtre Conte; Mais lui dis-je, le Conte finiroit mal sans cela. Je ne saurois que vous dire, répondit-il, je ne laisserois pas que de l'ôter.
A quelques jours de là je fis la même lecture à deux autres de mes amis, qui ne me dirent pas un seul mot sur les endroits dont je viens de parler, mais qui en reprirent quantité d'autres. Bien loin de me plaindre de la rigueur de vôtre Critique, leur dis-je, je me plains de ce qu'elle n'est pas assez severe, vous m'avez passé une infinité d'endroits que l'on trouve tres dignes de censure. Comme quoi, dirent-ils? On trouve leur dis-je, que le caractère du Prince est trop étendu, & qu'on n'a que faire de savoir ce qu'il faisoit le matin & encore moins l'aprésdînée. On se moque de vous, dirent-ils tous deux ensemble, quand on vous fait de semblables critiques. On blâme, poursuivis-je, la réponse que fait le Prince à ceux qui le pressent de se marier, comme trop enjoüée & indigne d'un Prince grave & sérieux. Bon, reprit l'un d'eux, & où est l'inconvenient qu'un jeune prince d'Italie, païs où l'on est accoûtumé à voir les hommes les plus graves & les plus élevez en dignité dire des plaisanteries, & qui d'ailleurs fait profession de mal parler, & des femmes & du mariage, matieres si sujettes à la raillerie, se soit un peu réjoüi sur cet article. Quoi qu'il en soit je vous demande grace pour cet endroit comme pour celui de l'Orateur qui croyoit avoir converti le Prince, & pour le rabaissement des coëffures; car ceux qui n'ont pas aimé la réponce enjouée du Prince ont bien la mine d'avoir fait main basse sur ces deux endroits-là. Vous l'avez deviné, lui dis-je. Mais d'un autre côté, ceux qui n'aiment que les choses plaisantes n'ont pû souffrir les reflexions Chrétiennes de la Princesse, qui dit que c'est Dieu qui la veut éprouver. Ils pretendent que c'est un sermon hors de propos. Hors de propos? reprit l'autre; non seulement ces reflexions sont necessaires au sujet: mais elles y sont absolument necessaires. Vous aviez besoin de rendre croyable la patience de vôtre Héroïne, & quel autre moyen aviez-vous que de lui faire regarder les mauvais traitemens de son Epoux comme venans de la main de Dieu? Sans cela on la prendroit pour la plus stupide de toutes les femmes, ce qui ne feroit pas assurement un bon effet.
On blâme encore leur dis-je l'Episode du jeune Seigneur qui épouse la jeune Princesse. On a tort reprit-il, comme vôtre ouvrage est un veritable Poëme, quoique vous lui donniez le titre de nouvelle, il faut qu'il n'y ait rien à desirer quand il finit. Cependant si la jeune Princesse s'en retournoit dans son Couvent sans être mariée aprés s'y être attenduë, elle ne seroit point contente, ni ceux qui liroient la nouvelle:
Ensuite de cette conference, j'ai pris le parti de laisser mon ouvrage tel à peu prés qu'il a été lû dans l'Academie. En un mot j'ai eu soin de corriger les choses qu'on m'a fait voir être mauvaises en elles-mêmes; mais à l'égard de celles que j'ai trouvé n'avoir point d'autre défaut que de n'être pas au goût de quelques personnes peut-être un peu trop délicates, j'ai crü n'y devoir pas toucher.
Quoi qu'il en soit, j'ai crû devoir m'en remettre au public, qui juge toûjours bien. J'apprendrai de lui ce que j'en dois croire, & je suivrai exactement tous ses avis, s'il m'arrive jamais de faire une seconde édition de cet ouvrage.
FINIS.
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