Pour l'Amour du Laurier: Roman
PRÉFACE
LETTRE A LA LECTRICE
Madame,
Le roman que j’ai le très grand honneur de vous présenter ici aurait de quoi vous surprendre avant de vous charmer, si quelqu’un ne se hasardait pas à vous l’expliquer tout d’abord. En deux mots, voici comment : c’est une intrigue entre jeunes gens contemporains et personnages fabuleux.
En littérature, vous le savez, certaines choses sont admises et d’autres ne le sont point. Il est reconnu que nous pouvons faire converser les Grecs avec les divinités de leurs mythologies, et les Croisés avec des ondines. Cela est parfaitement licite et on ne nous dira rien si tel est notre goût, pourvu que nous parlions en termes décents. Mais, le XIIIe siècle passé, toute imagination nous est interdite. Nous entrons, paraît-il, dans une Histoire nouvelle, à la mort de saint Louis, sans qu’on nous dise avec clarté pourquoi les temps antérieurs étaient un peu moins historiques, ou les suivants moins fabuleux. Gœthe a fait preuve d’une hardiesse extrême en laissant monter Faust sur le dos de Chiron. Victor Hugo a soulevé les risées du Second Empire en publiant un dialogue avec une certaine « Bouche d’Ombre » qui n’était pas de chair et d’os. Quant à M. de Banville, qui causait en prose et tout éveillé avec les fées du bois de Meudon, son cas fut considéré comme pathologique.
Je ne comprends pas du tout pourquoi.
Réfléchissez, madame, que si un personnage est en effet surnaturel, les lois de la nature étant immuables, il n’est pas plus hétéroclite de notre temps que trois mille années plus tôt. On est surnaturel ou on ne l’est pas. Aucun zoologue ne vous citera un animal qui serait surnaturel au XXe siècle et qui ne l’eût pas été au XIIe. S’il est réellement impossible qu’un Centaure, c’est-à-dire un mammifère, ait trois paires de pattes comme un insecte, cela n’était pas moins impossible à l’origine du monde, car, si les espèces ont varié, les caractères généraux des familles animales sont restés identiques à leur premier aspect. Si donc vous admettez qu’Ulysse ait pu rencontrer les Sirènes, vous n’avez plus le droit de sourire à nos romans lorsqu’ils vous disent que nous aussi, nous avons entendu des Voix sur la mer.
« Ulysse, répondez-vous, croyait aux Sirènes ; Nous n’y croyons plus. » Mais comment donc, madame, mais nous y croyons. Je crois aux Sirènes de toute mon âme, comme je crois à la Muse qui est auprès de moi au moment où je vous écris et qui me dicte ces phrases un peu comme elles lui viennent, avec beaucoup de laisser-aller dans le style et dans la pensée parce que c’est une très jeune Muse qui ne s’attarde pas ce soir aux finesses de la syntaxe. Comment ne croirais-je pas en elle, puisque je l’entends, puisque je la vois ?
Douter que les demi-dieux existent ! ce serait douter de la poésie pure. Il y a toujours eu des nymphes dans les bois ; il suffit de les prier pour les apercevoir à travers la mousse des chênes et les chevelures des roseaux. Les fleurs ne sont faites que pour elles, les prairies pour leurs pieds nus, les clairières pour leurs danses, les sous-bois pour leurs sommeils. La nuit forme leurs lignes avec du clair de lune et le jour avec de l’ombre. Tout est vivant dans l’invisible, tous les souffles ont un esprit, toutes les fontaines une âme immortelle.
Voilà ce que M. Gilbert de Voisins vous dira beaucoup mieux tout à l’heure avec son talent créateur et sa foi de poète sincère. Ne protestez pas trop tôt que vous ne croyez plus aux Sirènes. Quand vous aurez lu ce livre-ci, vous les entendrez partout.
PIERRE LOUŸS.