Préfaces et manifestes littéraires
MADAME SAINT-HUBERTY
PRÉFACE DE LA PREMIÈRE ÉDITION[49]
Avec l'ambition de mettre dans mes biographies—un peu des Mémoires des gens qui n'en ont pas laissé,—j'achetais, il y a une quinzaine d'années, chez le bouquiniste bien connu de l'arcade Colbert, les papiers de la Saint-Huberty. Peu à peu, avec le temps, à ces papiers se joignaient les lettres de la chanteuse, que les hasards des ventes amenaient en ma possession. Enfin, quand le paquet de matériaux autographes et de documents émanant de la femme me paraissait suffisant, je complétais mon étude par la lecture de tous les cartons de l'ancienne Académie royale de musique, conservés aux Archives nationales, de ces correspondances de directeurs, que je m'étonne de voir si peu consultées, de ces rapports vous initiant à tous les détails secrets des coulisses, au sens dessus dessous produit à Versailles par l'audition d'un nouvel opéra,—et qui vous montrent Louis XVI avançant le conseil des ministres, pour leur permettre d'assister à la représentation de DIDON jouée pour la première fois par la Saint-Huberty.
EDMOND DE GONCOURT.
Auteuil, février 1880.
ART FRANÇAIS
LA PEINTURE À L'EXPOSITION DE 1855
PRÉFACE[50]
La peinture est-elle un livre? La peinture est-elle une idée? Est-elle une voix visible, une langue peinte de la pensée? Parle-t-elle au cerveau? Son but et son action doivent-ils être d'immatérialiser cela qu'elle fait de couleurs, d'empâtements et de glacis? sa préoccupation et sa gloire de mépriser ses conditions de vie, le sens naturel dont elle vient, le sens naturel qui la perçoit. La peinture est-elle en un mot un art spiritualiste?
N'est-il pas plutôt dans ses destins et dans sa fortune de réjouir les yeux, d'être l'animation matérielle d'un fait, la représentation sensible d'une chose, et de ne pas aspirer beaucoup au delà de la récréation du nerf optique? La peinture n'est-elle pas plutôt un art matérialiste, vivifiant la forme par la couleur, incapable de vivifier par les intentions du dessin, le par dedans, le moral, le spirituel de la créature?
Autrement, qu'est le peintre?—Un esclave de la chimie, un homme de lettres aux ordres d'essences et de sucs colorants, qui a, pour toucher les oreilles de l'âme, du bitume et du blanc d'argent, de l'outremer et du vermillon.
Croit-on, au reste, que ce soit abaisser la peinture que de la réduire à son domaine propre, ce domaine que lui ont conquis le génie de ces palettes immortelles: Véronèse, Titien, Rubens, Rembrandt, Vélasquez, grands peintres, vrais peintres! flamboyants évocateurs des seules choses évocables par le pinceau: le soleil et la chair!—ce soleil et cette chair que la nature refusa toujours aux peintres spiritualistes, comme si elle voulait les punir de la négliger et de la trahir.
EDMOND ET JULES DE GONCOURT.
L'ART DU XVIIIe SIÈCLE[51]
PRÉFACE DE L'ÉDITION ORIGINALE
Le livre a été commencé par deux frères, en des années de jeunesse et de bonne santé, avec la confiance de le mener à sa fin. Tout un mois, chaque année, au sortir des noires et mélancoliques études de la vie contemporaine, il était le travail dans lequel se recréait, comme en de riantes vacances, leur goût du temps passé. Et il y avait entre eux deux une émulation pour définir en une phrase, pour faire dire à un mot, le cela presque inexprimable qui est dans un objet d'art. C'était leur livre préféré, le livre qui leur avait donné le plus de mal.
Deux années encore, et l'histoire de l'art français du XVIIIe siècle, dans toutes ses manifestations véritablement françaises, était terminée. Une année allait paraître l'ÉCOLE DE WATTEAU, contenant les biographies de Pater, de Lancret, de Portail, encadrées dans un historique de la domination du Maître pendant tout le siècle. À cet avant-dernier fascicule devait succéder, l'année suivante, un travail général sur la sculpture du temps, où se serait détachée, comme l'expression la plus originale de la sculpture rococo, la petite figure du sculpteur CLODION.
Ces deux années n'ont pas été données à la collaboration des deux frères. Le plus jeune est mort. Le vieux ne se sent pas le courage—et pourquoi ne le dirait-il pas—le talent d'écrire, lui tout seul, les deux études qui manquent au livre. Du reste, s'il s'en croyait capable, un sentiment pieux que comprendront quelques personnes le pousserait, le pousse aujourd'hui à vouloir qu'il en soit de ce livre, ainsi que de la chambre d'un mort bien-aimé, où les choses demeurent telles que les a trouvées la mort.
EDMOND DE GONCOURT.
GAVARNI
L'HOMME ET L'OEUVRE
PRÉFACE DE LA PREMIÈRE ÉDITION[52]
Nous avons aimé, admiré Gavarni.
Nous avons beaucoup vécu avec lui. Pendant de longues années, nous avons été presque la seule intimité du misanthrope. Il éprouvait pour le plus jeune de nous deux une sorte d'affection paternelle; et la solitude du Point-du-Jour s'ouvrait à notre visite avec cet aimable mot d'accueil: «Mes enfants, vous êtes la joie de ma maison!»
Ce sont, dans leur vagabondage libre et leur franche expansion, les causeries, les confidences de cette intimité que nous donnons ici. Ce sont des journées entières passées ensemble, des soirées où nous nous attardions, oublieux de l'heure et de la dernière gondole de Versailles; ce sont les lentes et successives retrouvailles d'un passé, revenant à Gavarni au coin de son feu, ou au détour d'une allée de son jardin,—une biographie, pour ainsi dire parlée,—où la parole du causeur, de l'homme qui se raconte, est notée avec la fidélité d'un sténographe.
Le fils de Gavarni, Pierre Gavarni, que nous ne saurions trop remercier, a complété notre travail sur la vie de son père, par la communication entière de ses papiers. Il nous a confié ses fragments de mémoires, ses carnets, ses notules, ses récits de voyages, ses cahiers de mathématique, au parchemin graissé et noirci par une compulsation continue, et où la littérature écrite à rebours se mêle aux X, enfin les feuilles volantes qui livrent des épisodes de son existence.
Gavarni, en effet, fut toujours très écrivassier de ses impressions, de ses sensations, de ses aventures psychologiques, et, sauf les dernières années de sa vieillesse, où le philosophe ne formule plus sur ses journaux que des pensées,—toute sa vie, il l'a écrite.
Nous trouvons, jeté sur un morceau de papier, avec le désordre d'une note:
Il me manque le premier volume de ma vie d'enfant… J'ai presque tout le reste en portefeuille… J'aimerais qu'on écrivît sans esprit. On ne s'écrit pas, on s'imprime.[53]
Le soir où il écrivait cela, Gavarni avait près de lui une maîtresse d'ancienne date; et, pour se tenir compagnie, il avait tiré d'un tiroir secret un petit livre rouge, à coins usés, usés, usés.
Le volume laissé sur la table de nuit, il se faisait par avance une joie, sa maîtresse couchée et endormie, de se plonger dans le petit livre rouge avec recueillement, solennité, religion.
Il y avait déjà quelque temps qu'il entendait, sans y prendre garde, crier du papier derrière lui, quand il se retourna.
Elle en avait fait des papillotes… Et c'étaient deux années de la vie de Gavarni.
* * * * *
Donc il y a des années dans la vie de Gavarni dont les femmes ont fait des papillotes, il y a encore des années égarées et perdues; mais, malgré ces petits malheurs, nul artiste jusqu'ici, croyons-nous, n'a laissé sur lui-même autant de documents que Gavarni.
Et avec l'inconnu et l'inédit de ces documents authentiques et sincères, nous essayons aujourd'hui, dans ce livre, de faire connaître à la France son grand peintre de moeurs.
EDMOND ET JULES DE GONCOURT.
Auteuil, janvier 1870.
LA MAISON D'UN ARTISTE
PRÉFACE DE LA PREMIÈRE ÉDITION[54]
En ce temps, où les choses, dont le poète latin a signalé la mélancolique vie latente, sont associées si largement par la description littéraire moderne, à l'histoire de l'Humanité, pourquoi n'écrirait-on pas les mémoires des choses, au milieu desquelles s'est écoulée une existence d'homme?
EDMOND DE GONCOURT.
Auteuil, ce 26 juin 1880.
JAPONISME
L'ART INDUSTRIEL JAPONAIS
FRAGMENTS D'UNE PRÉFACE INÉDITE D'UN OUVRAGE EN PRÉPARATION
Voici dans une vitrine un netzké en fer, signé par SHÛRAKU (de
Yedo),—un artiste vivant dans les premières années du XIXe siècle.
En haut du netzké, un peu plus grand qu'une pièce de deux francs, se voit incisée, dans le fer, une patte d'oiseau, une patte de grue; mais de la grue absente, volante en dehors du petit rond de métal, il n'y a que la patte—et ce qu'a représenté au milieu du tout petit disque noir le ciseleur, le savez-vous?—c'est dans la damasquinure d'un miroitement argenté, le reflet renversé de la grue, déjà montée dans le ciel, le reflet sous la lumière de la lune, en une rivière, coupée par de grands roseaux.
Et penser qu'il existe de bons petits journalistes parisiens qui n'ont pas assez d'ironies méprisantes pour l'art d'un pays, où les ouvriers sont de tels poètes!
* * * * *
Il y a des années, par un après-midi d'hiver, je tombais chez M. Bing, au moment où l'on déballait un arrivage du Japon.
Parmi les menus objets réunis sur un plateau de laque, se trouvait une petite écritoire de poche—qu'au Japon, ils appellent yataté (porte-flèche), composée d'un étui de la grosseur d'un gros sucre d'orge contenant le pinceau de blaireau pour écrire, et d'un petit seau fermé, où est renfermée l'espèce d'éponge en poil de lapin, imbibée d'encre de Chine. La petite bimbeloterie fabriquée de deux morceaux de bambou représentait des jeux d'enfants gravés en noir sur le jaune fauve du bois, des jeux d'enfants n'ayant rien de bien remarquable, mais le bibelot avait pour moi l'intérêt d'un objet usuel, ancien, et j'étais confirmé dans cette supposition par une longue inscription gravée sous le petit seau, et par un raccommodage,—un de ces raccommodages naïfs et francs, ainsi qu'on a l'habitude de les faire, là-bas, aux objets d'une certaine valeur.
J'offris un prix qui ne fut pas accepté, et d'assez mauvaise humeur, j'abandonnai l'écritoire,—toutefois avec le regret lancinant, qu'on a tout le long du chemin, en s'en allant, à l'endroit des objets ayant en eux une attirance secrète, inexplicable. Et puis le regret de la chose manquée devint dans la nuit un si violent désir de la posséder, que le lendemain matin, je retournais chez M. Bing. L'écritoire était vendue à M. Marquis, le chocolatier, collectionneur d'un goût supérieur dans l'exotique, et qui a été un des premiers à posséder les plus beaux et les plus curieux objets japonais.
Deux ou trois années se passèrent, et un jour, M. Marquis se dégoûtait de sa collection de l'extrême Orient, et je retrouvai la petite écritoire de poche chez les Sichel, où je l'achetai. La pauvre écritoire restait des années chez moi, très peu regardée par les amateurs, très peu appréciée même par les Japonais, dont l'un cependant, M. Otsouka, reconnut que c'était une écritoire du XVIIe siècle—personne au monde n'ayant un soupçon de la main illustre qui avait fabriqué cette curiosité.
Enfin un jour, Hayashi, en train de visiter ma collection, tirait l'écritoire d'un tiroir, et je voyais ses doigts pris d'un tremblement religieux, comme s'ils touchaient une relique, et je l'entendais, le Japonais, me dire d'une voix émotionnée: «Vous savez, vous possédez là une chose… une chose très curieuse… une chose fabriquée par un des quarante-sept ronins!»
Et détachant une feuille de papier d'un cahier qu'il avait sur lui, il me traduisait incontinent dessus l'inscription gravée sur le fond du seau de l'écritoire.
[Illustration:
[Caractères japonais] | ten. | nom de séries d'années. | wa. | san. | 3e.
| ki. |
| | fin du printemps.
| shun. |
| ni. | | | 2e mois. | gatsu. |
| aka. | nom du maître | ô. | des 47 ronins.
| shin. | sujet
| ô. | nom de famille | taka. | du ronin.
| nobu. | prénom
| kiyo. | du ronin.
| horu. |
| | sculptée.
| korco. |
]
Traduction qui peut se résumer ainsi: Sculpté par Otaka Noboukiyo sujet du prince Akao, en 1683, à la fin du printemps.
Oui, vraiment, cette écritoire, ce petit objet de la vie usuelle, a été fabriqué par un vassal du prince Akao, par un de ces quarante-sept héros qui se vouèrent à la mort pour venger leur seigneur et maître, par un de ces hommes dont la mémoire est devenue une sorte de religion au Japon, en ce pays, adorateur du sublime, et qui, au dire d'Hayashi, n'accueille et n'aime de toute notre littérature européenne que les drames de Shakespeare et la tragédie du CID, de Corneille.
* * * * *
Un curieux fait dans l'histoire de l'humanité que ce grand acte de dévouement accompli dans une société féodale par toute une famille de vassaux, et que, depuis deux siècles, le Japon célèbre par le théâtre, le roman[55], l'image.
Un daimio, du nom de Takumi-no-Kami, portant un message du mikado à la cour de Yédo, fut cruellement offensé par Kolsuké, l'un des grands fonctionnaires du Shogun[56]. On ne tire pas le sabre dans l'enceinte du palais, sans encourir la peine de mort et la confiscation de ses biens. Takumi se contint à la première offense, mais à une seconde il ne fut pas maître de lui, et courut sur son insulteur, qui, légèrement blessé, put s'enfuir.
Takumi fut condamné à s'ouvrir le ventre. Son château d'Akô fut confisqué, sa famille réduite à la misère, et ses gentilshommes tombés à l'état de ronins, de déclassés, de déchus, d'épaves, selon l'expression japonaise.
Mais Kuranosuké, le premier conseiller du daimio et quarante-six des samuraï attachés à son service, avaient fait le serment de venger leur maître. Et le serment prononcé, ces hommes, pour endormir les défiances de Kotsuké qui les faisait surveiller par ses espions à Kioto, se séparèrent et se rendirent dans d'autres villes, sous des déguisements de professions mécaniques.
Kuranosuké fit mieux pour tromper Kotsuké. Il simula la débauche, l'ivrognerie, à ce point, qu'un homme de Satzuma, le trouvant étendu dans un ruisseau, à la porte d'une maison de thé, et le croyant ivre-mort, lui cria: «Oh! le misérable, indigne du nom de Samouraï, qui, au lieu de venger son maître, se livre aux femmes, au vin!» Et l'homme de Satzuma, en lui disant cela, le poussait du pied et urinait sur sa figure.
Le fidèle serviteur poussa encore plus loin la sublimité de son dévouement. Il accablait d'injures sa femme, la chassait ostensiblement de sa maison, ne gardant auprès de lui que son fils aîné, âgé de seize ans.
Mais il faut lire le récit de cette comédie surhumaine dans le roman du
Japonais Tamenaga Schounsoui, et qui laisse bien loin derrière elle la
comédie de l'avilissement d'un Lorenzaccio, dans le proverbe d'Alfred de
Musset.
* * * * *
«Ah! pauvre créature que je suis! Quels heureux jours que ceux d'autrefois, quand il ne trouvait à faire aucun reproche à sa femme!» s'écrie la malheureuse épouse qui attribue les mauvais traitements de son mari à un dérangement de la cervelle causé par la mort du prince.
Et la femme retirée, toute sanglotante après avoir jeté un regard d'ineffable tendresse sur l'apparent dormeur,—Kuranosuké se lève, sans aucune trace d'ivresse dans les manières et avec des traits exprimant la plus vive émotion.
«Ô dieux, dit-il en gémissant, quelle fidélité! C'est plus que je n'en peux supporter!»
Pendant qu'il parlait, les larmes ruisselaient sur ses joues.
«C'est le modèle des femmes. Au lieu de me blâmer de ce qui peut sembler un crime de ma part, elle invente des excuses à ma conduite et prend pour elle toute la faute. Je vais mettre un terme à cela sur-le-champ. Elle ne sera pas témoin du rôle que j'ai à jouer pour faire réussir mon plan. D'un autre côté, mes petits-enfants ne se souviendront pas de moi comme d'un ivrogne imbécile. Je vais la renvoyer. Mais encore, comment m'y prendrai-je?»
Cet homme énergique et brave arpentait la chambre, et dans son angoisse, il se tordait les bras et grinçait des dents. Tout sage qu'il était, il avait oublié, en entreprenant de jouer le rôle d'un débauché, qu'il lui serait impossible de fatiguer le dévouement de sa femme. Le seul parti qu'il eût à prendre, était de lui donner une lettre de divorce, et de l'envoyer avec ses plus jeunes enfants chez son père, lequel comprendrait, il en était certain, la véritable raison qui le poussait à agir ainsi et donnerait à la pauvre femme consolation et conseil.
À ce moment, il entendit la voix de ses enfants, et sa femme qui leur disait très bas:
—«Ne faites pas de bruit, mes petits; votre papa n'est pas bien, vous le dérangeriez.
—Est-ce qu'il a encore cette drôle de maladie de l'autre jour? demanda l'aîné.
—Chut! chut! dit la mère. Votre papa a beaucoup d'ennuis, et il ne faut pas parler ainsi.»
L'infortuné pensa à ses devoirs envers son prince mort, et s'armant d'un coeur d'acier contre tout sentiment, il se recoucha et recommença à faire semblant de sommeiller.
—«Honorable mari, votre bain est prêt.
—Mon bain? s'écria-t-il, en se levant et en prenant un flageolet, dont il se mit à jouer. Puis brusquement: Je sors.»
Il se dirigea vers la porte. Aussitôt sa femme ramassa son chapeau de ronin, et le lui présenta à genoux, en disant:
—«Honorable époux, mettez ceci. Vous avez des ennemis aux environs.»
Kuranoské se retourna et lui dit:
—«Assez. Vous causez trop. Je vous donnerai une lettre de divorce et vous aurez à retourner chez votre père. Je vous accorderai la permission de vous charger de nos deux plus jeunes enfants. Mon domestique vous accompagnera.»
Avant qu'elle eût pu répondre, il avait mis son chapeau et descendait le sentier, en chancelant. Sa femme le regarda s'éloigner comme si elle venait de s'éveiller d'un songe.
* * * * *
C'est alors que Kotsuké (celui qui a commis un grand forfait, entend dans le trottinement d'une souris les pas du vengeur), tout à fait rassuré par l'indignité de la vie de son ennemi, se relâchait de la surveillance qu'il faisait exercer autour de son habitation, renvoyait une partie de ses gardes.
La nuit de la vengeance était enfin arrivée, et la voici telle que nous la fait voir la suite des planches d'un album. Une froide nuit d'hiver (décembre 1701) à l'heure du boeuf (2 heures du matin), dans une tourmente de neige, les conjurés, vêtus d'un surtout noir et blanc pour se reconnaître, et en dessous de toile d'acier, marchent silencieusement vers le yashki de l'homme dont ils se sont promis d'aller déposer la tête sur le tombeau de leur seigneur.
Ils escaladent la palissade. Ils enfoncent à coups de marteau la porte intérieure. Ils égorgent les samouraïs de Kotsuké, dans l'effarement grotesque de grosses femmes, se sauvant chargées d'enfants. Ils poursuivent les fuyards jusque sur les poutres du plafond, d'où ils les précipitent en bas.
Mais de Kotsuké, point. On ne le trouve nulle part, et on désespérait même de le découvrir, quand Kuranosuké, plongeant les mains dans son lit, s'aperçoit que les couvertures sont encore chaudes. Il ne peut être loin. On sonde les recoins à coups de lance et bientôt on le tire de sa cachette,—un coffre à charbon,—déjà blessé à la hanche.
Une planche en couleur nous montre le vieillard, habillé d'une robe de satin blanc, et traîné tout tremblant devant le chef de l'expédition.
À ce moment Kuranosuké se met à genoux devant le blessé, et après les démonstrations de respect dues au rang élevé du vieillard, lui dit: «Seigneur, nous sommes des hommes de Takumi-no-Kami. Votre Grâce a eu une querelle avec lui. Il a dû mourir et sa famille a été ruinée. En bons et fidèles serviteurs nous vous conjurons de faire hara-kiri (s'ouvrir le ventre). Je vous servirai de second, et après avoir en toute humilité recueilli la tête de Votre Grâce, j'irai la déposer en offrande sur la tombe du seigneur Takumi.»
Kotsuké ne se rendant pas à l'invitation qui lui était faite, Kuranosuké lui coupait la tête avec le petit sabre qui avait servi à son maître à s'ouvrir le ventre.
Alors les 47 ronins se dirigeaient vers le petit cimetière du temple de la Colline-du-Printemps, où reposait le seigneur d'Akô sous trois couches de pierre, surmontées d'une plaque et de son épitaphe ainsi conçue:
Le grand Samuraï, couché en paix… et qui durant sa vie jouit des titres honorables de Majordome général et de Grand-homme-ayant-le-privilège-d'audience-avec-le-Mikado.
Et leur offrande faite de la tête de Kotsuké, se regardant déjà comme morts, ils demandaient aux bonzes de les ensevelir, et se rendaient au tribunal.
Condamnés sur l'avis de Hayashi Daigaku, chef des académiciens, consulté par le pouvoir exécutif, les quarante-sept ronins s'ouvraient le ventre, et enterrés autour du corps de leur maître, la sépulture du prince d'Akô et de ses fidèles serviteurs devenait un lieu de pèlerinage.
* * * * *
Telle est l'histoire de ces quarante-sept hommes dont faisait partie le fabricateur de la petite écritoire de poche. On conçoit, après le déchiffrement de l'inscription par Hayashi, l'intérêt que j'eus à savoir la part qu'il avait pu prendre à l'expédition contre la résidence de Kotsuké; part dont je ne trouvais trace ni dans le roman de Tamenaga Shounsoui, ni dans les légendes du vieux Japon de M. Mitfort; on comprend la curiosité que j'éprouvai même à faire connaissance avec la personne de mon artiste-héros, par un portrait, une figuration, une représentation quelconque.
Et je me mis à fouiller mes albums, et je trouvai le recueil qui porte pour titre: Sei tû Guishi deu (LES CHEVALIERS DU DEVOIR ET DU DÉVOUEMENT), ou le peintre Kouniyoshi nous représente les ronins dans l'action de l'attaque du yashki de Kotsuké: l'un portant une bouteille d'alcool «pour panser les blessures et faire de grandes flammes afin d'épouvanter l'ennemi», l'autre «tenant deux chandelles et deux épingles de bambou pour servir de chandeliers», celui-ci éteignant avec de l'eau les lampes et les braseros, celui-là ayant aux lèvres le sifflet «dont les trois coups prolongés» doivent annoncer la découverte de Kotsuké; et presque tous dans des poses de violence et d'élancement, brandissant à deux mains des sabres et des lances, et tous enveloppés d'un morceau d'étoffe de soie bleue, avec leurs lettres distinctives sur leurs uniformes, leurs armes, leurs objets d'équipement, et tous ayant sur eux un yatate, écritoire de poche, et dans leur manche un papier expliquant la raison de l'attaque[57].
L'album, montré à Hayashi, en le priant de désigner Otaka dans les quarante-sept ronins représentés, et en lui demandant s'il ne connaissait pas quelque détail imprimé sur l'homme, il me dit en feuilletant l'album: «Le voici, Otaka!… ou plutôt Quengo Tadao… car il y a une défense d'indiquer les vrais noms des ronins, et ils sont représentés avec les noms défigurés qu'ils ont au théâtre.» Et disant cela, Hayashi avait le doigt sur la planche, où est imprimé, en couleur, un guerrier au casque bleu, au vêtement noir et blanc doublé de bleu, la tête baissée, les deux mains sur le bois d'une lance, un pied en l'air, un autre appuyé à plat sur le sol, et portant un furieux coup de haut en bas.
Puis comme Hayashi cherchait dans sa mémoire, s'il connaissait quelque détail biographique sur Otaka, ses yeux s'arrêtant sur la demi-page de caractères gravés au-dessus du guerrier, il s'écria: «Mais sa biographie… la voici!» Et je la donne telle qu'il me l'a traduite d'après le texte d'Ippitsou-an.
Tadao appartient héréditairement à une famille vassale de Akao. Dès sa jeunesse, il se fit remarquer par son dévouement au maître, tel qu'il n'y en a pas deux. Son talent dans la tactique et les manoeuvres de cavalerie lui fit un renom brillant. Après le désastre de la maison de son maître, il est venu à Yedo, en cachant au fond du coeur l'idée de la vengeance. Mais ouvertement il se présenta comme artiste, se fit appeler Shiyó dans la société de poésie, et fut ami de Kikakou, célèbre poète de ce temps. Il fut admis également à la société de thé de Tchanoyu et fut élève de Yamada Sôhen, célèbre maître de thé, qui connaissait Kira (Kotsuké) assez intimement. Il parvint ainsi à se mettre au courant des habitudes de son ennemi. Afin de se renseigner le mieux possible, il se déguisa en marchand d'objets de bambou[58], et de balais, qu'il offrait naturellement dans les meilleures conditions, et fréquenta la résidence de Kira. Il sut ainsi que le 14e jour du 12e mois, était le jour du grand nettoyage, et que ce jour le monde s'enivre et dort de fatigue. C'est ainsi qu'il indiqua à Oishi la nuit qu'il fallait choisir pour attaquer. Pendant ce combat, il fut blessé dans les ténèbres de la nuit, et l'on croit que c'est Kobayashi Heihati qui fut son adversaire.
On remarquera la phrase se déguisa en marchand d'objets de bambou, qu'il lui arrivait de fabriquer lui-même, ainsi que le prouve la petite écritoire de poche de ma collection.
EDMOND DE GONCOURT.
NOTES:
[1: Chez Dumineray, éditeur, 1851, un vol. in-18.]
[2: EN 18.. paraissait dans la première huitaine de décembre avec cette note au verso du titre:
Ce roman a été livré à l'impression le 5 novembre.
Sauf les couvertures, il était complètement imprimé le 1er décembre.
Au reste,—qui le lira?]
[3: Ce roman portait pour titre dans la première édition: LES HOMMES DE LETTRES.]
[4: E. Dentu, libraire-éditeur, 1860, un volume in-18.]
[5: Édition illustrée de dix eaux-fortes, gravées par James Tissot, un volume grand in-8°, publié chez G. Charpentier, 1875.]
[6: Charpentier, libraire-éditeur, 1864. 1 vol. in-18.]
[7: Maison Quantin, 1886, un volume des Chefs-d'oeuvre du roman contemporain, illustré de dix compositions par Jeanniot, gravées par Muller, petit in-4°.]
[8: G. Charpentier, 1877. 1 vol. in-18.]
[9: Rapports des docteurs Lélut et Baillarger dans la Revue pénitentiaire, t. II, 1845.—Exemples de folie pénitentiaire aux États-Unis, cités par le Dictionnaire de la politique, de Maurice Block.]
[10: Charpentier, 1879, 1 vol. in-18.]
[11: À propos de la réalité que j'ai mise autour de ma fabulation, je tiens à remercier hautement M. Victor Franconi, M. Léon Sari, et les frères Hanlon-Lee qui ne sont pas seulement les souples gymnastes que tout Paris applaudit, mais qui raisonnent encore de leur art comme des savants et des artistes.]
[12: G. Charpentier, éditeur, 1882. 1 volume in-18.]
[13: Cette expression, très blaguée dans le moment, j'en réclame la paternité, la regardant, cette expression, comme la formule définissant le mieux et le plus significativement le mode nouveau de travail de l'école qui a succédé au romantisme: l'école du document humain.]
[14: G. Charpentier et Cie, éditeurs, 1884. 1 vol. in-18.]
[15: La langue française, d'après le dictionnaire de l'Académie, est peut-être, de toutes les langues des peuples civilisés du monde, la langue possédant le plus petit nombre de mots.]
[16: Lettre de M. Taine, publiée dans l'ÉVÉNEMENT du 7 octobre 1883.]
[17: CHATEAUBRIAND ET SON GROUPE LITTÉRAIRE, par Sainte-Beuve, qui jette en note, au bas de mes citations: «La nouveauté, une nouveauté originale, c'est là, le point important et le secret des grands succès.»]
[18: Voir cette préface à l'autobiographie JOURNAL DES GONCOURT, Mémoires de la vie littéraire.]
[19: Librairie internationale A. Lacroix, Verboeckhoven et Cie, 1866. 1 volume in-8°.]
[20: Nous appelons l'attention du public sur cette date, qui a son importance pour l'originalité de notre pièce.]
[21: Dans la première édition d'HENRIETTE MARÉCHAL, nous avons dit, d'après l'annonce des journaux de théâtre, que nous avions été reçus à l'unanimité. C'est une erreur. Nous avons été simplement reçus, d'après le renseignement officiel que nous communique l'archiviste du Théâtre-Français, M. Léon Guillard.]
[22: Voir les deux pièces que nous donnons à l'Appendice.]
[23: Nous n'avons que le temps de remercier, en courant, MM. Jules
Janin, Théophile Gautier, Nestor Roqueplan, Paul de Saint-Victor, Ernest
Feydeau, Jules Vallès, Xavier Aubryet, Louis Ulbach, Francisque Sarcey,
Jouvin, Jules Richard, Jules Claretie, Camille Guinbut, Henri de
Bornier, et tous ceux que nous oublions.]
[24: À propos de ceci, M. Feydeau, dans un remarquable article, rappelait que ce fait d'une haute protection n'était pas nouveau; que M. Augier avait eu besoin de la volonté de l'Empereur pour se faire rendre par la censure le FILS DE GIBOYER; M. Alexandre Dumas fils, de l'intervention de M. de Morny, pour faire lever l'interdiction de la DAME AUX CAMÉLIAS.—Et puisque ici les noms de ces deux maîtres du théâtre moderne viennent sous notre plume, disons à M. Émile Augier et à M. Alexandre Dumas fils, combien nous avons été consolés par les bravos donnés par eux à une pièce, qu'honorait encore l'applaudissement de Mme Sand.]
[25: E. Dentu, 1873. 1 vol. in-8°.]
[26: Seul le titre a été changé. La pièce a été lue sous le titre de MADEMOISELLE DE LA ROCHEDRAGON. Mais le matin de la lecture, sur l'annonce des journaux, nous recevions la visite d'une personne qui nous apprenait l'existence d'une marquise de la Rochedragon, d'une vieille femme qui souffrait de l'idée de se voir affichée, imprimée. Nous n'avions pu nous refuser à un changement de nom.]
[27: M. Carvalho, alors directeur du Vaudeville, avait eu l'idée de monter LA PATRIE EN DANGER, dans le temps où il jouait l'Arlésienne d'Alphonse Daudet.]
[28: (Note de la seconde édition.) Un journal nous a accusé de nous être inspiré pour le type de Boussanel du Cimourdain de M. Hugo; nous n'avons qu'à répondre ceci: l'impression de notre pièce a précédé la publication de QUATRE-VINGT-TREIZE. Mais un critique légitimiste ne nous a-t-il pas sérieusement reproché d'avoir plagié MADAME BENOITON dans RENÉE MAUPERIN, roman paru deux ou trois ans avant la représentation de M. Sardou?]
[29: G. Charpentier, 1879. 1 volume in-18.]
[30: La NUIT DE LA SAINT-SYLVESTRE a été publiée dans l'Éclair. C'est un petit proverbe spirituel, mais dont l'esprit a un peu trop la bouche en coeur.]
[31: Une lettre de M. Monval, archiviste de la Comédie-Française, qui a bien voulu, deux fois, faire la recherche, me dit que la pièce de LA NUIT DE LA SAINT-SYLVESTRE, et celle des INCROYABLES ET MERVEILLEUSES, peut-être présentée en dernier lieu, sous le titre du RETOUR À ITHAQUE, n'existent pas aux archives. Il se demande si les manuscrits n'auraient pas été remis directement aux examinateurs qui les auraient égarés.]
[32: Les journalistes qui me disaient que ma tentative était absurde, et que seules les moeurs de la bourgeoisie présentaient de l'intérêt, ne se doutaient guère, que plus de cent ans avant, quand paraissait MARIANNE, les gazetiers jetaient à Marivaux qu'il n'y avait uniquement que les aventures de l'aristocratie qui pouvaient intéresser le public, qu'au fond les moeurs des bourgeois étaient de basses moeurs, indignes de la lecture d'un homme qui se respecte.]
[33: Ma préface imprimée, j'apprends que la NUIT DE LA SAINT-SYLVESTRE, une des deux pièces déposées par moi au Théâtre-Français, et que je réclamais il y a trois mois, vient d'être vendue en vente publique, le 26 mai, à la vente de M. Aubry, libraire. Je signale le fait aux auteurs qui, dans le temps, auraient déposé des pièces au Théâtre-Français, et croiraient pouvoir les retirer à leur heure.]
[34: G. Charpentier et Cie, éditeurs, 1887, 3 vol. in-18.]
[35: Je refonds dans notre JOURNAL le petit volume des IDÉES ET SENSATIONS qui en étaient tirées, en les remettant à leur place et à leur date.]
[36: E. DENTU, libraire, 1854, 1 vol. in-8.]
[37: E. DENTU, libraire, 1855, 1 vol. in-8.]
[38: Librairie académique, DIDIER ET Cie, libraires-éditeurs, 1865, 2 vol. in-18.]
[39: E. DENTU (1857-1858), 2 vol. in-16.]
[40: Note de la seconde édition. Des changements ont été apportés à la première édition. Indépendamment de corrections et d'additions, des notices qui ont pris ou doivent prendre leur place naturelle dans d'autres livres, telles que les notices de Watteau, de la du Barry, de la Camargo, ont été remplacées par des études sur Lagrenée l'aîné, sur Collin d'Harleville, sur la comtesse d'Albany.]
[41: G. CHARPENTIER, éditeur, 1878, 1 vol. grand in-8, illustré d'encadrements de pages et de reproductions de tableaux, dessins, gravures du temps.]
[42: Librairie de FIRMIN DIDOT fils, frères et Cie, 1860, 2 volumes in-8°.]
[43: Addition à la préface de l'édition de 1860, qui se trouve dans l'édition en trois volumes in-18, publiés par G. CHARPENTIER, 1878-1879.]
[44: Librairie FIRMIN-DIDOT ET Cie, 1862, 1 volume in-8.]
[45: Ces trois volumes sont restés à l'état de projets.]
[46: POULET-MALASSIS et DE BROISE, 1861. 1 vol. in-18.]
[47: Addition à la préface de la première édition, publiée dans l'édition illustrée donnée par DENTU en 1877, petit in-4°.]
[48: Addition à la préface de la première et de la deuxième édition, donnée dans l'édition publiée par G. CHARPENTIER en 1885.]
[49: DENTU, 1882, petit in-8° carré illustré.]
[50: E. DENTU, libraire-éditeur, 1855. Brochurette tirée à 42 exemplaires.]
[51: Édition publiée chaque année par fascicules contenant quatre eaux-fortes gravées par Jules de Goncourt, et imprimés par Perrin à 200 exemplaires. DENTU, libraire-éditeur, 1859-1873.]
[52: HENRI PLON, imprimeur-éditeur, 1873, 1 vol. in-8.]
[53: Dans cette édition, tout cet inédit, pour mieux le faire sentir et apprécier par le lecteur, nous le donnons en italique.]
[54: G. CHARPENTIER, éditeur, 1881, 2 vol. in-18.]
[55: LES FIDÈLES RONINS, roman historique japonais, par Tamenaga Shounsoui, traduit sur la version anglaise de MM. Shionchiro Saito et Edward Greey, par B. H. Gausseron. Quantin, 1882.]
[56: TALES OF OLD JAPAN, by A.-B. Mitfort. London, Macmillan, 1871.]
[57: C'était la copie des instructions rédigées par Kuranosuké, dont l'original existerait encore au temple de la Colline-du-Printemps, et qui, au milieu de recommandations relatives aux préparatifs du combat, à l'échange des mots de passe, etc., etc., contient ce curieux paragraphe: «Avant de partir, prenez médecine. Faites-le, que vous soyez bien portant ou non. L'émotion subite rend souvent malade un homme robuste.»]
[58: La date de la fabrication de l'objet, 1683, si elle est juste,—l'exécution du prince d'Akô ayant eu lieu en 1690,—semblerait indiquer que la petite écritoire fut exécutée, avant que Otaka fût ronin et marchand d'objets de bambou, mais ainsi qu'au Japon, les gens, qui ne font pas profession d'être artistes, sculptent des netzkés pour leur plaisir. Otaka, plus tard, comme marchand d'objets de bambou, aurait utilisé le talent d'agrément de sa jeunesse.]
[57: C'était la copie des instructions rédigées par Kuranosuké, dont l'original existerait encore au temple de la Colline-du-Printemps, et qui, au milieu de recommandations relatives aux préparatifs du combat, à l'échange des mots de passe, etc., etc., contient ce curieux paragraphe: «Avant de partir, prenez médecine. Faites-le, que vous soyez bien portant ou non. L'émotion subite rend souvent malade un homme robuste.»]