Quelques aspects du vertige mondial
NEW-YORK
Entrevu par un Oriental très vieux jeu.
———
Le jour se lève. L'hélice du paquebot qui m'amène a ralenti son tournoiement fébrile: évidemment nous arrivons, nous sommes devant New-York.
Et, comme par un pressentiment qu'une grande chose extraordinaire va se passer, j'ouvre la fenêtre de ma cabine. En effet, là-bas, en face, une sorte de colosse de Rhodes, une femme exaltée se dresse sur le ciel, le bras tendu dans un geste magnifique. Sans l'avoir jamais vue, je la reconnais, il va sans dire; la statue de la Liberté, qui veille à l'entrée de l'Hudson!... Elle est haute comme une tour. Les pluies et les vents lui ont déjà donné la patine vert-de-gris des antiques déesses de l'Egypte. Sur un piédestal en pierres roses, aussi grand qu'une citadelle, elle surgit, pâlement verdâtre, dans le brouillard du matin et dans les fumées que le soleil dore. Elle est superbement symbolique et terrible. On dirait qu'elle fait à l'univers entier des signes d'appel; on dirait qu'elle crie: «Hurrah! C'est ici la porte! Hurrah! Entrez tous dans la fournaise! Jetez-vous tête baissée dans le gouffre des affaires, du bruit, de l'agitation et de l'or!»
Et le voici qui s'ouvre devant nous, ce gouffre quasi-infernal. Jadis, ce n'était que l'entrée d'une large rivière, entre des roseaux et des arbres. Aujourd'hui, c'est quelque chose qui, pour mes yeux épris d'Orient et de lignes pures, tient du cauchemar, mais arrive quand même à une sorte de beauté tragique, par l'excès même de l'horreur. Mille tuyaux crachent des fumées noires ou des vapeurs en tourbillons blancs, qui se mêlent, qui s'enroulent, qui embrouillent l'horizon comme sous des sarabandes de nuages. Le long des deux rives, à perte de vue, s'alignent les docks couverts, qui sont de gigantesques carcasses toutes pareilles, en ferraille couleur de deuil. Partout des inscriptions raccrocheuses s'étalent en lettres de dix mètres de haut, les unes blanches ou rouges sur les fonds noirs, les autres aériennes soutenues par des charpentes d'acier. On est assourdi par des sifflets stridents, des plaintes gémissantes de sirènes, des grondements de moteurs, des fracas d'usines. Et, au-dessus de tout cela que tant de fumées enveloppent, plus haut, plus haut, comme des géants poussés trop vite et trop efflanqués, des géants qui allongeraient démesurément le cou pour mieux voir, les gratte-ciel surgissent effarants et invraisemblables, les uns carrés, les autres pointus, les gratte-ciel à trente, quarante ou cinquante étages, surveillant ce pandémonium par leurs myriades de fenêtres...
Ah! on vient, me réclamer ma «feuille d'entrée», un questionnaire que chacun doit remplir avant d'être admis à poser le pied sur le sol d'Amérique. Moi qui avais oublié! En hâte je griffonne mes réponses. Un peu stupéfiantes, les questions: «Etes-vous anarchiste? Etes-vous polygame? N'êtes-vous pas idiot? N'avez-vous jamais donné de signes d'aliénation mentale? Possédez-vous plus de cinquante dollars de patrimoine? Combien de condamnations avez-vous subies? etc...» De telles précautions témoignent du juste souci qu'ont les Américains de ne pas admettre chez eux les hôtes «non désirables» (undesirables),—et nous devrions bien en faire autant à Tunis, pour les émigrants que nous envoie chaque jour l'Italie.—C'est égal, ce formulaire suranné est un peu naïf car si l'on était idiot ou maboul, il est probable qu'on n'en conviendrait pas, surtout par écrit.
*
* *
Deux ou trois heures plus tard, après d'interminables formalités de douane et des batailles sur les docks contre des journalistes armés de kodaks, je me trouve enfin au centre de New-York, confortablement installé et très haut perché dans un hôtel à je ne sais combien d'étages, où fonctionnent de prodigieux ascenseurs. Je domine de mes fenêtres la plupart des bâtisses d'alentour, où tout est rouge, d'un rouge sombre tirant sur le chocolat. Murs de briques rouges. Toits en terrasses, sans tuiles bien en tendu, mais couverts de je ne sais quel «imperméable» peint en rouge,—et ce sont des promenoirs pour les habitants, leurs chiens et leurs chats; des messieurs en bras de chemise (car il fait très chaud, une chaleur mouillée de Gulf-Stream) y lisent les journaux à dix pages, des ménagères y battent leurs tapis ou bien y font sécher leurs lessives. Au-dessus des toits, un peu partout, s'élancent des charpentes en fer pour soutenir en plein ciel les grandes lettres des affiches-réclames, ou bien pour élever, comme à bout de bras, les énormes tonneaux peints en rouge qui contiennent les provisions d'eau en cas d'incendie. Trop de choses en l'air, vraiment, trop de ferrailles, trop d'écritures zigzaguant sur les nuages. Et çà et là, auprès ou au loin, des gratte-ciel se dressent isolés—sortes de maisons-asperges, pourrait-on dire—qui font mine d'épier avec indiscrétion tout ce qui se passe alentour. D'en bas m'arrive un continuel vacarme; en plus des autos comme à Paris, c'est le Métropolitain qui fonctionne sur de bruyantes passerelles en fer, à hauteur de premier ou de deuxième étage; sans trêve, les trains se poursuivent ou se croisent. Et il y en a d'autres en dessous, qu'on entend rouler comme des ouragans dans les profondeurs du sol. C'est la ville de la trépidation et de la vitesse!
Regardés de mes hautes fenêtres, les passants me semblent tout écrasés et courtauds. Les femmes, avec la mode actuelle, disparaissent sous leur chapeau trop large, ressemblent à un disque où des plumets s'agitent. Et, au milieu de ces gens empressés qui cheminent le long des trottoirs, de tout petits êtres décrivent des courbes folles: des «enfants à roulettes», qui, déjà pris d'une frénésie d'aller vite, font du skating éperdument sur l'asphalte.
Quatre heures, le moment où j'avais fait dire à des journalistes que je les recevrais. Et il m'en arrive un, puis deux, puis dix, puis vingt, puis trente!... Tous ont l'abord courtois et cordial, et bien volontiers je leur tends la main. Mais où donc les mettre? Mon salon n'a plus assez de chaises; qu'on ouvre ma chambre à coucher, on en fera asseoir sur mon lit; pour les occuper, qu'on leur offre des cigarettes!
Et je suis sur le banc des accusés, au milieu de tout ce monde. Un seul parle français et traduit aux autres mes paroles ahuries, qui sont aussitôt notées sur des carnets. «Qu'est-ce qu'il a dit? Qu'est-ce qu'il a dit?» Je n'aurais jamais cru que mes reparties, généralement ineptes, pourraient être si précieuses.
—«Mon cher maître, voulez-vous d'abord nous exposer ce que vous pensez des femmes américaines.»
—«Moi! Mais rien encore: je n'ai pas eu le temps de sortir, je n'en ai vu qu'une seule, une femme de chambre rencontrée dans l'ascenseur, et c'était une négresse!»
—«Bien. Écrivez: M. Pierre Loti diffère son jugement et demande à réfléchir.»
A l'instant même, en voici deux qui font leur entrée, deux Américaines, demoiselles journalistes, le kodak au cran de sûreté. Elles ont l'air intelligent, éveillé, gracieux et d'ailleurs très comme il faut. Je les fais asseoir à mes côtés; l'une d'elles s'excuse d'être encore en tenue de voyage: c'est qu'elle arrive à peine du Congo, où elle était allée chasser le rhinocéros... Et l'interrogatoire continue. La littérature, l'hygiène, la politique, la religion, et l'économie sociale, tout y passe. Quelle haute idée ont-ils donc de mon omnicompétence, pour enregistrer avec tant de soin mes plates réponses:
—«Mon cher maître, êtes-vous d'avis que la convention de Genève autorisera l'emploi des aéroplanes militaires? Mon cher maître, êtes-vous partisan de la castration pour les assassins, qu'un de nos philanthropes vient de proposer?»
Les deux gentilles misses parlent français. Leurs questions particulières s'entre-croisent avec celles de l'interprète général. Et bientôt c'est le plus étourdissant des coq-à-l'âne, où se heurtent la réélection de M. Fallières, les suffragettes, la castration des assassins, la représentation proportionnelle et les randonnées du rhinocéros. Que va-t-il sortir de ce tohu-bohu, et quel effet d'ensemble cela donnera-t-il, en imprimé, dans les journaux de cette nuit?...
Mais j'avais pensé que ce serait assommant, et au contraire! C'est d'ailleurs si nouveau pour moi, qui, en France, ne reçois jamais un reporter, c'est si imprévu, si drôle, et ils ont si bonne grâce, que vraiment je m'amuse.
Quand ils sont tous partis, les grandes lettres que j'aperçois par mes fenêtres, les grandes lettres dans le ciel, commencent à éclairer le brumeux et lourd crépuscule, chaque inscription prenant feu d'un seul coup, l'une en rouge, l'autre en bleu, l'autre en vert; ce sont des réclames lumineuses et clignotantes; New-York en est couvert et on m'a bien recommandé d'aller le soir admirer dans les rues cette féerie quotidienne.
A neuf heures donc, je descends me mêler à la foule, sur les larges trottoirs de Broadway. Malgré les costumes parisiens des femmes, malgré les «complets» et les horribles «melons» pareils aux nôtres, ce n'est pas la foule de Paris; les allures ont je ne sais quoi de plus décidé, de plus volontaire, de plus excentrique aussi. Et quel méli-mélo de toutes les races! On reconnaît au passage des Japonais, des Chinois tondus à l'européenne, des Grecs, des Levantins, des Scandinaves aux cheveux pâles.—Quelqu'un du pays me disait ce soir: «New-York n'est pas encore tout à fait l'Amérique, il n'en est plutôt que le seuil, où s'arrêtent d'abord en débarquant les foules disparates qui nous viennent d'Europe. A la seconde génération, quand tous ces gens se sont mêlés, croisés, nous voyons naître alors de vrais Américains qui ont une cohésion parfaite et l'amour de leur patrie nouvelle, vérifiant la devise «e pluribus unum». Ceux-là se fixent plus volontiers dans nos villes de l'intérieur, où il faut aller pour se sentir vraiment aux États-Unis, et voir la race entreprenante et forte, rajeunie comme un arbre taillé, qui résulte du mariage de toutes ces énergies».—Beaucoup de femmes élégantes, sur les trottoirs de Broadway, et beaucoup de très belles, du moins quand elles ne sont pas crûment éclaboussées par de blêmes soleils électriques leur donnant des teints de cadavres; mais trop de négresses, en vérité; à chaque instant, sous quelque grand chapeau garni de roses, passe une figure toute noire. Les opulentes boutiques, les étalages derrière d'immenses glaces, sont comme le long de nos boulevards. Mais l'électricité qui ruisselle ici, qui règne en souveraine, est mille fois plus agressive que chez nous; il semble que tout vibre et crépite sous l'influence de ces courants innombrables, dispensateurs de la force et de la lumière; on est comme électrisé soi-même et un peu frémissant. Mon Dieu, que de bruit dans Broadway! Presque sans trêve, il faut se résoudre a entendre courir en vertige au-dessus de sa tête, sur les vibrantes passerelles de ferrailles, des files de wagons-monstres, bondés de monde et étincelants de feux. En revenant d'ici, Paris va me sembler une bonne vieille petite ville arriérée et calme, aux maisonnettes basses; d'ailleurs aucune de ses illuminations du 14 juillet n'approche des fantasmagories qui, les soirs quelconques, se jouent à New-York. Partout des lumières multicolores, qui changent et scintillent, formant et déformant des lettres; elles dégringolent en cascade du haut en bas des maisons, ou traversent les voies comme des banderoles tendues. Mais c'est en l'air surtout qu'il faut regarder—malgré le fracas souterrain des trains express qui vous feraient baisser instinctivement les yeux vers le sol—c'est en l'air, au faîte des extravagantes bâtisses, au-dessus des toits; là sont les réclames lumineuses, qui remuent par des trucs nouveaux, les visions qui dansent. Un marchand de je ne sais quoi a surmonté sa boutique d'une course de chars romains où l'on voit des chevaux gigantesques agiter avec frénésie leurs pattes de feu. Un marchand de parapluies a érigé une bonne femme qui gesticule avec son ombrelle ouverte. Un marchand de mercerie exhibe un énorme chat, tout en feu jaune, qui dévide un peloton de feu rouge et s'entortille avec le fil. Un marchand de brosses à dents, le plus cocasse de tous, fait gigoter dans le ciel un diablotin qui roule des prunelles de feu vert, en brandissant de chaque main une brosse de 10 mètres de long... Vite, vite, les apparitions se dessinent, se démènent, s'effacent, reviennent, vite, si vite que le regard se trouble à les suivre. Et de temps à autre, au bout d'un gratte-ciel non éclairé, qui montait invisible dans l'atmosphère de brume et de fumée, quelque affiche géante, que l'on dirait suspendue comme une constellation, éclate en feu rouge, vous martèle un nom dans l'esprit, et se hâte de s'éteindre. Tout cela, pour ma mentalité d'Oriental, est déroutant et même un peu diabolique; mais c'est si drôle et en même temps si ingénieux, que je m'amuse et presque j'admire...
Ce que je vais raconter de ma première nuit de New-York fera sourire les Américains; aussi bien est-ce dans ce but que je l'écris. Dans un livre du merveilleux Rudyard Kipling, je me rappelle avoir lu les épouvantes du sauvage Mowgli la première fois qu'il coucha dans une cabane close: l'impression de sentir un toit au-dessus de sa tête lui devint bientôt si intolérable, qu'il fut obligé d'aller s'étendre dehors à la belle étoile. Eh bien! j'ai presque subi cette nuit une petite angoisse analogue,—et c'étaient les gratte-ciel, c'étaient les grandes lettres-réclames au-dessus de moi, c'étaient les grands tonneaux rouges montés sur leurs échasses de fonte; trop de choses en l'air, vraiment, pas assez de calme là-haut. Et puis, ces six millions d'êtres humains tassés alentour, ce foisonnement de monde, cette superposition à outrance oppressaient mon sommeil. Oh! les gratte-ciel, déformés et allongés en rêve! Un en particulier (celui du trust des caoutchoucs, si je ne m'abuse), un qui surgit là très proche, un tout en marbre qui doit être d'un poids à faire frémir! Il m'écrasait comme une surcharge, et parfois quelque hallucination me le montrait incliné et croulant...
C'est dimanche aujourd'hui; le matin se lève dans une brume lourde et moite; il fera une des chaudes journées de cette saison automnale qu'on appelle ici «l'été indien». Sur New-York pèse la torpeur des dimanches anglais et, dans les avenues, les voitures électriques ont consenti une trêve d'agitation. Rien à faire, les théâtres chôment et demain seulement je pourrai commencer à suivre les répétitions du drame qui m'a amené en Amérique. Mais dans le voisinage, tout près, il y a Central-Park, que j'aperçois par ma fenêtre, avec ses arbres déjà effeuillés; j'irai donc là, chercher un peu d'air et de paix.
Central-Park est comme un bois de Boulogne ouvert en pleine ville, avec des allées pour les cavaliers, des allées pour les autos, d'immenses prairies pour le football, et des recoins presque solitaires pour les idylles. Les feuillages sont les mêmes qu'en France, mais flétris par un plus précoce automne après un été plus brûlant. Çà et là des blocs de rochers noirs se lèvent, comme s'ils avaient crevé les pelouses, et c'est le sol même de New-York qui reparaît à nu, ce sol dur et homogène qui a favorisé la hardiesse des maisons à trente ou quarante étages, écrasantes de lourdeur. Le parc est tellement grand que parfois on se croirait en pleine campagne, si toujours un ou deux gratte-ciel dans le lointain n'élevaient au-dessus de la cime des arbres leurs têtes indiscrètes, semblables à des maisons chimériques du pays de Gulliver... Les gens élégants doivent avoir fui la ville, car je ne rencontre aujourd'hui que des petits bourgeois endimanchés, des «enfants à roulettes», d'austères vieilles misses à lorgnon qui doivent être des institutrices. Et solitairement je vais m'asseoir au bord d'une allée.
A peine suis-je là qu'un bruit très léger me fait tourner la tête. A côté de moi, sur mon banc, un amour de petit écureuil gris vient de bondir et il me regarde en faisant le beau, debout sur son arrière-train, relevant sa belle queue de chat angora... Oh! en voici un second, plus hardi encore, qui saute sur mes genoux! J'en aperçois aussi qui courent sur l'herbe ou qui jouent dans les branches.—Et c'est une des choses gracieuses et touchantes de New-York, cette tribu de petits êtres libres qui a pris possession de Central-Park et que tout le monde protège; on leur bâtit des maisonnettes de poupée sur les arbres, les promeneurs leur apportent des bonbons et des graines qu'ils viennent manger à la main; rien ne les effraie plus, ni le galop des cavaliers, ni le bruit de ces «enfants à roulettes», aussi gentils et effrontés qu'eux-mêmes, qui font du skating sur l'asphalte de tous les sentiers.
Le déclin du jour amène pour moi d'intolérables mélancolies dans ce parc d'automne, au milieu de cet humble petit monde du dimanche, qui est si hétéroclite et qui m'est si inconnu; au-dessus des bosquets d'ombre, les lointains gratte-ciel, rougis à la pointe par le soleil couchant, me donnent une impression d'exil que je n'avais jamais éprouvée, même en plein désert; les écureuils gris, par précaution contre les chats qui vont bientôt rôder, remontent dans leurs maisonnettes suspendues; le crépuscule commence à m'étreindre, et j'ai envie de m'enfuir vers les rues plus animées où je coudoierai plus de monde. Je ne sais si déjà je m'américanise, mais je sens ce soir qu'il me faut du mouvement et du bruit.
Dans les quartiers qui entourent le parc, toutes ces hautes maisons, que de richesses elles étalent et quel luxe dominateur! C'est presque trop; la proportion, la mesure manquent un peu. Les entrées où veillent des mulâtres galonnés, sont de marbré ou de porphyre, avec des colonnades grecques, byzantines ou gothiques, avec de lourdes et somptueuses grilles en bronze ou en fer forgé qui feraient honneur à nos cathédrales. Et tout cela vient de surgir presque en un jour! C'est humiliant en vérité pour notre vieille Europe qui a mis des siècles à bâtir ses villes célèbres et n'a jamais eu assez d'or pour faire aussi beau. Mais, à tant de luxe, quelque chose manque, quelque chose que l'on ne définit pas, et qui est peut-être tout simplement l'âme d'un passé...
Neuf heures, et nuit brumeuse. Quand je suis accoudé à ma haute fenêtre, avant de redescendre me plonger dans la fantasmagorie des rues, une sérénade tout à fait burlesque éclate sans préambule, en bas, sur un trottoir de Broadway. Des voix d'hommes hurlent ensemble une sorte de cantique de guerre, accompagné à l'unisson par des trombones et des cors de chasse. Qu'est-ce que c'est que ce charivari, mon Dieu?—Ah! l'armée du Salut! Un bataillon qui est venu se poster là pour tâcher de sauver au passage les égarés du dimanche soir s'acheminant vers les bouges de l'alcool. Eh bien! après la première minute de stupeur et de sourire, on oublie le ridicule de cela pour céder à une impression plutôt grave. Dans cette ville où trépident nuit et jour les transactions et les affaires, il y a donc place encore pour le vieux rêve religieux qui berça les hommes pendant des siècles. Ce rêve, il est vrai, a pris une forme délirante, tapageuse, effrénée, ici où tout est neuf et excessif; mais on le sent là, bien vivant quand même, derrière cette musique de maison de fous. Et on ne sourit plus.
II
Aujourd'hui, pour la première fois, j'assiste à une répétition de la Fille du Ciel. C'est sans décors, sans costumes, en tenue de ville, dans une salle nue, dépendant du théâtre. Oh! l'étrange impression d'entendre les acteurs dire no et yes, d'écouter mes phrases que je reconnais bien mais qui me font l'effet de s'être amusées à se déguiser en phrases anglaises... Je ne sais plus par qui fut énoncé l'axiome: une traduction, c'est l'envers d'une broderie. Je ne prétends pas qu'elle fût merveilleuse, la broderie que nous avions faite, et je reconnais d'ailleurs que l'envers en a été recoloré avec une habileté consommée; mais, quand même, c'est toujours un envers. Miss Viola Allen[17] me paraît une idéale impératrice, et, malgré son chapeau parisien si en contraste avec les choses qu'elle doit dire, sa voix donne le petit frisson quand elle s'anime; à la scène finale, je vois même de vraies larmes perler au bord de ses jolis yeux vifs, qu'il sera facile de rendre délicieusement chinois en les retroussant au coin avec des peintures. Comme toutes les femmes ont l'air honnête dans ce théâtre! Les gentilles petites actrices chargées des rôles secondaires sont tellement correctes elles aussi, tellement comme il faut, et se tiennent comme des jeunes filles du monde! Mais, dans cette salle où sans doute je vais revenir tant de fois m'enfermer, il fait triste, de la tristesse particulière à tous les théâtres quand les illusions du soir y cèdent la place à la lumière appauvrie du jour.
Libéré à quatre heures, je circule au hasard, en auto, dans les rues que je n'avais pu voir encore animées par la pleine activité des jours de travail. La foule qui parle toutes les langues, les femmes aux allures décidées sans effronterie, les hommes tout rasés sous de larges casquettes, marchent vite, indifférents au fracas des chemins de fer suspendus ou souterrains.
A un angle de Broadway, sous les passerelles de ferraille ébranlées par le continuel passage des trains express, voici un rassemblement qui grossit, qui bourdonne; les voitures sont arrêtées, les policemen s'agitent, on dirait une émeute. Tout ce monde regarde avidement un tableau noir sur lequel, de temps à autre, quelqu'un ajoute un signe à la craie. Les jumelles, les monocles, les innombrables lunettes d'or sont braqués là-dessus comme si le sort du monde allait s'y inscrire, et, chaque fois qu'un nouveau chiffre y apparaît, c'est tantôt un silence morne chez les spectateurs, tantôt une joie délirante, avec des battements de mains et des cris. Qu'est-ce que ça peut bien être?—le cours de la Bourse?—Non, tout simplement, il s'agit de certain jeu de paume national; une grande partie se dispute en ce moment à la campagne, l'équipe de New-York contre celle d'une ville voisine, et un ingénieux système automatique apporte ici au marqueur l'indication des coups... Et tous ces hommes, que l'on croirait si positifs, se passionnent à ce point! Il faut en vérité que cette race, issue de toutes nos races vieillies, se soit retrempée de jeunesse sur le sol d'Amérique. Et j'admire surtout combien, ces implantés d'hier ont déjà pris l'amour du clocher,—d'où découle nécessairement l'amour plus noble de la patrie.
Les gratte-ciel! Il faudra beaucoup de temps pour que mes yeux s'y résignent. Si encore ils étaient groupés, une avenue qui en serait bordée arriverait peut-être à un effet de fantastique beauté. Mais non, ils surgissent au hasard, alternant avec des bâtisses normales ou parfois basses; alors on dirait des maisons atteintes par quelque maladie de gigantisme, et qui se seraient mises à allonger follement comme les asperges en avril. Ce qui me déroute, habitué que j'étais aux villes de pierre comme en France, ou aux villes de bois comme en Orient, c'est de ne voir ici que de l'acier, du ciment armé, des briques sanguinolentes, et surtout je ne sais quelle composition d'un brun rouge qui donne des maisons en chocolat, même des églises, des clochers en chocolat. Voici, dans la cinquième avenue, qui est comme on sait le quartier des milliardaires, l'habitation des Vanderbilt, en pur style Moyen Age et en pierre pour de vrai; on l'aimerait dans un parc, sous de vieux chênes; mais un voisin gratte-ciel la surplombe et l'écrase. Voici une cathédrale gothique, capable de rivaliser avec les nôtres; mais les gratte-ciel d'à côté montent plus haut que ses flèches aiguës; alors elle est diminuée au point de ressembler à un joujou de Nuremberg. Au bord de l'Hudson, tel autre richissime a eu la fantaisie impériale de se faire construire le château de Blois, avec des pierres apportées de France, et ce serait presque une merveille; mais derrière, plus haut que les donjons et les girouettes, monte bêtement un gratte-ciel couronné d'une réclame lumineuse; alors cela n'existe plus. Cette ville, qui regorge de coûteuses magnificences, a poussé d'un élan trop rapide et trop fougueux; il me paraît qu'elle aurait besoin d'être coordonnée, émondée, et surtout calmée.
*
* *
Evadé aujourd'hui du théâtre, où il fait toujours noir en plein midi comme dans une cave, je m'en vais en auto, par l'avenue qui s'appelle River Side, remonter le long du cours de l'Hudson pour essayer de trouver enfin la campagne et le silence. Les trouverai-je réellement quelque part? Pour l'instant, des embarras de voitures ou d'automobiles élégantes m'entourent comme si je me rendais au bois de Boulogne. Mais, sans restriction cette fois, je m'incline devant la majesté d'une telle avenue. D'un côté, le grand fleuve que l'on domine; de l'autre, une interminable bordure de gratte-ciel (des demi-gratte-ciel, d'une quinzaine d'étages seulement) qui arrivent à un effet esthétique parce qu'ils s'alignent bien; ils ont du reste la couleur blanche et gaie de la pierre véritable, ils respirent le luxe clair et de bon aloi. Je ne crois pas qu'aucune capitale du vieux monde possède une promenade d'une telle opulence.
Dans le fleuve, des escadres de guerre sont mouillées, de superbes escadres que l'Amérique réunit en ce moment pour se donner, en une grande fête, le spectacle de sa jeune puissance navale; les dreadnoughts dorment là, imposants de laideur terrible, surmontés de ces nouveaux mâts à l'américaine, larges et ajourés, qui ressemblent à des tours Eiffel; auprès d'eux, des croiseurs, des contre-torpilleurs dorment aussi; et une multitude de batelets, de mouches électriques, s'empressent alentour. Sur la berge, des milliers de curieux stationnent pour regarder. En prévision de cette prochaine fête de la marine, des pavillons de l'Amérique, rayés blanc et rouge avec semis d'étoiles sur leur coin bleu, commencent à flotter aux fenêtres des hautes maisons somptueuses. Et sur tout cela rayonne le beau soleil de l'«été indien». C'est comme une révélation de New-York que je viens de m'offrir aujourd'hui, et tout ce que je découvre, en faisant ainsi l'école buissonnière, est franchement admirable.
Mais la campagne, le silence, où donc les atteindrai-je? Ma course accélérée dure depuis plus d'une heure, et les gratte-ciel me suivent toujours, en files aussi orgueilleuses, témoignant que cette ville contient des riches par milliers. Il est vrai, sur la rive d'en face, au lieu des tuyaux d'usine qui pendant des kilomètres s'obstinaient à l'enlaidir, il n'y a déjà plus maintenant que des rochers et de grands bois; si près de la ville, c'est une surprise et un repos.
Enfin, enfin, la route que je suivais s'enfonce parmi des buissons et des arbres, l'air s'imprègne de la bonne senteur des mousses d'automne; je suis sorti de la fournaise humaine! C'est la campagne que j'avais tant souhaité atteindre, et elle est plus boisée, plus sauvage peut-être qu'aux entours immédiats de Paris. Mais je m'y sens quand même en exil, car les arbres et les plantes, à bien regarder, diffèrent légèrement des nôtres; les asters, que nous ne connaissons que dans nos jardins, croissent ici à profusion parmi des rochers noirs; sur tous ces feuillages des bois, les bruns et les rouges de l'arrière-saison s'accentuent davantage que chez nous, arrivent à des teintes sensiblement plus ardentes. Non, ce pays n'est pas le mien... Et puis, une campagne sans paysans, sans vieux clochers protecteurs autour desquels se groupent les villages, autant dire qu'elle n'a pas l'air vrai...
*
* *
Les jours qui passent m'acclimatent assez rapidement à New-York. Les maisons me semblent moins extravagantes de hauteur et, quand je traverse Broadway, j'écoute moins le fracas des trains sur les passerelles de fer.
Un peu partout je découvre des choses amusantes à force d'imprévu, d'audace, de disproportion et de luxe colossal. On m'a montré ce matin comme typique certain café-restaurant qui éclipse tous les cafés-restaurants du monde. La salle d'en bas, qui coûta cinq millions, a été construite pour enchâsser le tableau de Rochegrosse acheté à grands frais: le Festin de Balthazar. Sur toutes les murailles de marbre vert, on a ciselé les mêmes bas-reliefs qu'à Persépolis; en marbre vert également sont les puissantes colonnes à têtes cornues, et les gigantesques taureaux ailés à visage humain. Mais, comiques au milieu de ces splendeurs déréglées, il y a les rangs de petites tables pour les consommateurs, et il y a les garçons en frac apportant à la ronde les bocks ou les coktails!...
Aux répétitions de la Fille du Ciel, qui occupent mes journées, la féerie commence à se dessiner; nous sortons peu à peu des incohérences et du chaos des premières heures. Des décors qu'aucun théâtre parisien n'aurait risqués font revivre d'inimaginables passés chinois, des jeux de lumière électrique dont nous ignorons encore le secret imitent des limpidités de ciel, ou des lueurs de bûcher et d'incendie. Dans les jardins de l'impératrice, aux grands arbres tout roses de fleurs, des cigognes et des paons réels se promènent sur des pelouses jonchées—parce que cela se passe au printemps—de milliers de pétales qui ont dû tomber des branches comme une pluie. Là, aux rayons d'un clair soleil artificiel, je vois revivre, chatoyer tous les étranges et presque chimériques atours de soie et d'or copiés sur de vieilles peintures que j'ai rapportées, ou sur des costumes réels que j'ai exhumés naguère de leurs cachettes au fond du palais de Pékin.
Les moments les plus singuliers, je crois, sont ces entr'actes, ces repos durant lesquels la féerie s'échappe, pour ainsi dire, de la scène, pour déborder sur les fauteuils d'orchestre. La vaste salle somptueuse, envahie alors par tous les figurants, n'en demeure pas moins plongée dans des ténèbres presque absolues; quelqu'un qui arriverait du dehors, où il fait jour, percevrait seulement que des formes humaines sont assises là, partout, et que le discret murmure de leurs voix sonne étrange; ce sont des voix chinoises qui chuchotent en chinois, et ces gens, qui simulent des spectateurs dans l'ombre, sont de pure race jaune... Quand les yeux s'habituent à l'obscurité, ou si quelque lueur électrique vient à filtrer de la scène, on découvre que tout ce monde, de la tête aux pieds, est vêtu avec l'apparat des anciennes cours Célestes. Il y a même des groupes de ces petites déesses armées et casquées qui portent aux épaule des pavillons en faisceaux éployés et semblent avoir des ailes. Un peu fantastique vraiment, ce grand théâtre sans lumière, où les auditeurs, échangeant à mi-voix des phrases lointaines devant la toile baissée, sont pareils aux guerriers, aux Génies, sculptés dans les vieilles pagodes...
Le plus étonnant pour moi, c'est que ces figurants ne sont pas des gens quelconques, mais des étudiants des universités. L'un d'eux, habillé comme un seigneur du temps des Ming et qui, dans la vie privée, prépare son doctorat en médecine, vient un jour m'expliquer de la part de ses camarades, très courtoisement et dans l'anglais le plus correct, pourquoi ils ont accepté de venir: «C'est un tel plaisir pour nous, me dit-il, de nous trouver ainsi replongés dans le passé de notre pays, de voir reconstituée la Chine de nos ancêtres».
*
* *
Cette nuit, pour avoir une vue d'ensemble des fantasmagories de New-York, je monte au sommet de l'hôtel du Times, qui est l'un des plus stupéfiants gratte-ciel. A un angle de rue, dans un quartier de maisons à peine hautes, il se dresse tout seul, grêle, efflanqué, paradoxal, avec un air de chose qui n'aura jamais la force de rester debout. Très aimablement, les rédacteurs m'avaient convié. Un ascenseur-express, qui jaillit comme une fusée, nous enlève d'un bond jusqu'au vingt-cinquième étage, d'où nous grimpons sur la plate-forme extrême. Là souffle une bise âpre et froide—déjà l'air vif des altitudes—et, de tous côtés, dans le cercle immense qui va finir à l'horizon, l'électricité s'ébat à grand spectacle. Auprès, au loin, partout, des mots, des phrases s'inscrivent au-dessus de la ville en grandes lettres de feu, éblouissent un instant, disparaissent et puis reviennent. Des figures gesticulent et gambadent, parmi lesquelles j'ai déjà de vieilles connaissances, comme par exemple le farfadet qui brandit ses gigantesques brosses à dents. La plus diabolique de toutes est une tête de femme, qui se dessine dans l'air, soutenue par d'invisibles tiges d'acier, et qui occupe sur le ciel autant d'espace que la Grande Ourse; pendant les quelques secondes où elle brille, son œil gauche cligne des paupières comme pour un appel plein de sous-entendus, et on dirait d'une jeune personne fort peu recommandable. Qu'est-ce qu'on peut bien vendre en dessous, dans la boutique qu'elle surmonte et où elle vous convie d'un signe tellement équivoque? Peut-être tout simplement d'honnêtes comestibles ou de chastes parapluies. Il va sans dire, aucune montagne n'aurait des parois aussi verticales que ce gratte-ciel; en bas, les foules en marche le long des trottoirs, les foules sur lesquelles, en cas de chute, on irait directement s'aplatir comme un bolide, font songer à des grouillements d'insectes qui seraient lents pour cause de trop petites pattes, tandis que les files de wagons, dont la ville est sillonnée, paraissent de longues chenilles phosphorescentes qui ramperaient sans vitesse. Et une clameur monte de ces rues, comme une plainte de bataille ou de misère, entrecoupée par les grondements de tous ces trains en fuite... Babel effrénée, pandémonium où se heurtent les énergies, les appétit, les détresses de vingt races en fusion dans le même creuset.
Malgré le froid qui cingle le visage, c'est presque un soulagement, une délivrance, de se sentir là sur ce sommet artificiel; les six millions d'êtres qui, à vos pieds, dans la région basse, se coudoient, luttent et souffrent, au moins ne vous oppressent plus; même il est presque angoissant de penser qu'il va falloir redescendre tout à l'heure de ce haut perchoir où la poitrine s'emplissait d'air pur, redescendre et se replonger dans cette vaste mer humaine qui fermente et bouillonne partout alentour. Quelle inexplicable manie ont les hommes de s'empiler ainsi, de s'étager les uns par-dessus les autres, de s'accoler en grappes comme font les mouches sur les immondices,—quand il reste encore ailleurs des espaces libres, des terres vierges!... Vue d'ici, la ville paraît infinie; aussi loin que les yeux peuvent atteindre, l'électricité trace des zigzags, tremble, palpite, éblouit, écrit des mots de réclame avec des éclairs, et finalement, vers l'horizon où il n'est plus possible de rien lire, va se fondre en une lueur froide d'aurore boréale. Jamais encore New-York ne m'avait paru si terriblement la capitale du modernisme; regardé la nuit et de si haut, il fascine et il fait peur.
*
* *
Aujourd'hui, la «première» de la Fille du Ciel, au Century Theatre. Cette langue étrangère me déroute à tel point que je ne me sens pas tout à fait responsable de ce que mes personnages racontent. Vraiment, pour reconnaître ma pièce, je devrais plutôt faire abstraction du dialogue et, m'efforçant de ne pas entendre, n'assister au spectacle qu'avec mes yeux, comme si c'était une simple pantomime,—une pantomime certes qui dépasse mon attente par son exactitude et sa splendeur. Grâce à la consciencieuse magie des peintres et des costumiers, la vieille Chine impériale, qui ne se reverra jamais plus, est là devant moi, avec le jeu de ses nuances rares, l'inconcevable étrangeté de ses atours, avec ses dragons, ses monstres, tout son mystère. Pour compléter l'illusion, il y a même le son rauque des voix chinoises, et, pendant l'acte de la bataille, quand les soldats délirants se précipitent en une ruée suprême vers leur impératrice pour tomber tous à ses pieds, je crois réentendre ces clameurs qui faisaient frissonner, en Chine, aux jours de réelles tueries.
A la scène finale cependant, dès que l'empereur Tartare et la Fille-du-Ciel sont seuls en présence, je me reprends à écouter ce qu'ils disent; leur jeu est d'ailleurs si expressif que je me figure presque les entendre parler ma propre langue. Et quand la Fille-du-Ciel tend la main pour recevoir la perle empoisonnée qui va lui ouvrir les portes du Pays des Ombres, son geste et son regard émeuvent comme si vraiment elle allait mourir...
Maintenant la toile tombe; c'est fini; ce théâtre ne m'intéresse plus. Une pièce qui a été jouée, un livre qui a été publié, deviennent soudain, en moins d'une seconde, des choses mortes... J'entends des applaudissement et de stridents sifflets (contrairement à ce qui se passe chez nous, les sifflets à New-York, indiquent le summum de l'approbation). On m'appelle, sur la scène, on me prie d'y paraître, et j'y reparais cinq ou six fois, tenant par la main la Fille-du-Ciel, qui est tremblante encore d'avoir joué avec toute son âme. Une impression étrange, que je n'attendais pas: aveuglé par les feux de la rampe, je perçois la salle comme un vaste gouffre noir, où je devine plutôt que je ne distingue les quelques centaines de personnes qui sont là, debout pour acclamer. Je suis profondément touché de la petite ovation imprévue, bien que j'arrive à peine à me persuader qu'elle m'est adressée. Et puis me voici reparti déjà pour de nouveaux ailleurs. J'étais venu à New-York afin de voir la matérialisation d'un rêve chinois, fait naguère en communion avec Mme Judith Gautier. J'ai vu cette matérialisation; elle a été splendide. Maintenant que mon but est rempli, ce rêve tombe brusquement dans le passé, s'évanouit comme après un réveil, et je m'en détache...
Demain matin, je dois prendre le paquebot pour la France. Je ne puis prétendre qu'en ce court voyage j'aie vu l'Amérique. Puis-je seulement dire que j'aie vu New-York? Non, car j'y ai surtout vécu prisonnier sous une sorte de coupole obscure,—le Century Theatre avec sa pénombre de chaque jour. C'est là, dans cette grande salle rouge et or, parmi les fantastiques spectateurs des répétitions, figurants échappés de vieilles potiches ou de vieilles ciselures, c'est là que j'ai rencontré à peu près les seules femmes américaines qu'il m'ait été donné d'approcher.
Ces inconnues, admises pour avoir montré patte blanche au régisseur, entraient discrètement, sans faire de bruit, presque à tâtons, effarées par tous ces personnages casqués d'or, qui occupaient les stalles. Elles n'étaient jamais les mêmes que la veille, mes visiteuses. Non sans peine elles parvenaient à me découvrir, après avoir interrogé quelques-unes de ces étranges figures, qui balbutiaient des réponses vagues, en chinois. Assises enfin à mes côtés, elles étaient tout de suite gentilles et pleines de bonne grâce, malgré l'insuffisance de la présentation. Filles de richissimes ou pauvres petites journaleuses, elles appartenaient à tous les mondes. Et on causait, dans une sorte de plaisante camaraderie sans lendemain, pour ne se revoir jamais; c'était à demi-voix, pour ne pas troubler les acteurs qui, tout près de nous, se disaient des choses tragiques, dans quelque vieux palais de Nankin, sous de faux rayons de lune, ou bien à la lueur d'un faux incendie. Détail qui m'amusait, en général elles apportaient, par précaution contre la longueur de la séance—la répétition durait plusieurs heures d'affilée—des sandwichs ou des petits gâteaux, et il me fallait partager cette dînette dans les ténèbres. Plusieurs d'entre elles me connaissaient beaucoup, sans m'avoir encore vu nulle part; c'est là l'inconvénient—ou le charme, si l'on veut—de s'être trop donné dans ses livres. Quelques-unes avaient vu ma maison de Rochefort, d'autres, en canotant sur la Bidassoa, avaient aperçu mon ermitage basque. Grandes voyageuses, presque toutes, elles étaient allées à Stamboul, à Pékin, dans les différents lieux de la Terre que j'ai essayé de décrire, et la traversée de l'Atlantique pour venir chez nous leur semblait un rien comme promenade. Passant vite d'un sujet à un autre, elles disaient des choses incohérentes mais profondes; elles différaient des femmes de chez nous par quelque chose de plus indépendant et de plus masculin dans la tournure d'esprit; beaucoup plus libres certes, mais sans qu'il y eût jamais place entre nous pour l'équivoque. Et, après avoir causé un peu de tout, dans une intimité intellectuelle favorisée par l'ombre, on se saluait pour ne se revoir jamais.
En quittant ce pays, j'ai un vrai remords de n'avoir pu répondre comme je l'aurais souhaité à tant de lettres cordiales et jolies que chaque courrier m'apportait, à tant d'invitations téléphoniques, m'arrivant aux rares heures où j'habitais mon perchoir. D'aimables inconnus m'écrivaient, avec la plus touchante bonne grâce: «Venez donc un peu vous reposer chez nous, à la campagne; au bord de l'eau, sous nos arbres, vous trouverez du silence». Et j'étais élu membre honoraire d'une quantité de cercles. Comment faire, avec si peu de temps à moi? Au moins voudrais-je, ici, exprimer à tous ma reconnaissance et mon regret.
Dès que la Fille du Ciel a été livrée au public, j'ai employé de mon mieux mes trois ou quatre jours de liberté avant le départ. Mais combien il était embarrassant de choisir: pourquoi accepter ici et s'excuser ailleurs?
Je suis allé luncher à la magnifique et colossale Université de Columbia, auprès de quoi nos universités françaises sembleraient de pauvres petits collèges de province. J'ai voulu paraître dans différents clubs puisque l'on avait eu la bonté de m'en prier. J'ai répondu à l'invitation naïve des jeunes filles de l'école Washington-Irving qui m'avait particulièrement charmé par sa forme; elles étaient là deux ou trois centaines de petites étudiantes de quinze à seize ans qui, pour m'accueillir, avaient placardé aux murs des écriteaux de bienvenue; après m'avoir chanté la Marseillaise, elles ont continué par un hymne où de temps à autre revenait mon nom prononcé par leurs voix fraîches, et en partant j'ai serré de bon cœur toutes ces mains enfantines. On m'a fêté à l'Alliance française où après le dîner, il y a eu, dans un grand hall, un défilé dont j'ai été ému profondément; tandis qu'un orchestre jouait cette Marseillaise qui, à l'étranger, nous semble toujours la plus belle musique, des Français de tous les mondes, les uns très élégants, les autres plus modestes, se sont tour à tour approchés de moi; des jeunes, des très vieux dont le regard attendri disait la crainte de ne plus revoir la France; des aïeuls à chevelure blanche m'amenant leurs petites-filles qui m'avaient lu et souhaitaient me voir; là encore j'ai serré plusieurs centaines de braves mains que je sentais vraiment amicales, et je ne sais comment dire merci à tant et tant de familles qui ont bien voulu se déranger pour me témoigner un peu de sympathie.
En somme si, au premier abord, pour l'Oriental obstinément arriéré que je suis, l'Amérique ne pouvait que sembler effarante—en tant que chaudière gigantesque où, pour créer du nouveau, se mêlent et bouillonnent tumultueusement les génies de tant de races diverses—si l'Amérique m'est restée jusqu'à la fin peu compréhensible, avant de la quitter j'ai pourtant senti qu'elle était quand même et surtout le pays de la pensée chaleureuse, de la franche hospitalité et du bon accueil. Elle est en plein vertige, c'est incontestable, vertige de vitesse, d'innovations, de téméraires industries. Mais il y a vertige et vertige, comme il y a ivresse et ivresse. Suivant une locution populaire, les uns ont le vin gai, les autres le vin triste, ou le vin batailleur. Eh bien, tandis que la Germanie a le vertige homicide et féroce, on peut assurément dire que l'Amérique l'a amusant et aimable.
NOS AMIS D'AMÉRIQUE
———
21 Janvier 1917.
A la frontière d'Espagne, l'autre jour, j'ai rencontré un de nos vrais amis d'Amérique, qui descendait de l'express de Madrid, et qui, avec une hâte et une aisance tout à fait yankee, comptait prendre le soir même à Bordeaux le paquebot pour New-York.
La France ne sait pas assez quels amis ardents elle compte là-bas, en dehors des sphères officielles, dans le monde où l'on est libre de toute pression politique, chez ces Américains qui ne suivent que l'impulsion de leur propre sens moral, de leur propre cœur généreux et indigné. Parmi ceux-là, qui sont légion, l'un des plus considérables est ce voyageur, M. W. Waren, que j'ai été si heureux de trouver comme compagnon de route depuis Hendaye jusqu'à la Gironde. Il était plein d'entrain et de joie parce qu'il venait de réussir cette téméraire entreprise, d'aller à Madrid,—où les Boches, hélas! manœuvrent avec tout leur impudent cynisme,—et d'y prononcer contre eux un violent réquisitoire, de dénoncer une fois de plus leur infamie. Et il me conta cette conférence, à laquelle assistaient les ambassadeurs de l'Entente: «J'ai dit tout ce que j'avais à dire, et, quand je les ai traités d'assassins, j'ai senti que la salle entière était avec moi!» En effet, les journaux espagnols du lendemain enregistraient le succès de sa parole; elle avait d'autant plus porté qu'elle était celle d'un Neutre, que ne pouvait guider aucun intérêt personnel.
Voici bientôt deux ans et demi que je connais M. Whitney Waren, l'ayant rencontré sur le front, aux lendemains de la bataille de la Marne. Sans se soucier des obus, il se promenait là, son kodak à la main; dans une exaltation de révolte et de dégoût, il photographiait, pour les mettre sous les yeux de ses compatriotes, toutes nos ruines, nos villes, nos cathédrales partout saccagées, si inutilement et ignominieusement, sans excuse militaire possible, dans la seule frénésie de détruire...
Oh! pour qui a vu tout cela, entendre aujourd'hui parler doucereusement leur Kaiser; depuis qu'il a manqué son coup de la paix, l'entendre parler de l'agression subie par l'Allemagne et de la rage destructive des Alliés, ne serait-ce pas amusant à donner le fou rire, si ce n'était lugubre comme les divagations des fous. Qu'il les fasse donc un peu voir, ces monuments, ces villes sur quoi notre rage s'est acharnée! Est-ce Louvain, ou Ypres, ou Arras? Ou bien nos basiliques de Reims ou de Soissons? Ou bien encore les vieilles églises vénitiennes? Qu'il les montre aux Neutres, nos crimes de dévastation, et surtout qu'il cache les siens, qu'il les cache à la Postérité qui laissera sa Germanie clouée au pilori, tant que les hommes auront une histoire écrite, tant qu'il tiendront de justes et indélébiles archives.
Notre rage destructive, à nous les Alliés!... Oh! pauvre histrion déjà aux abois, il faut en vérité pour oser proférer ces paroles, pour jeter ce défi au sens commun, il faut qu'il ait perdu, non seulement toute conscience, mais aussi toute notion de l'amer ridicule,—ou alors qu'il ait une bien méprisante certitude des épaisses crédulités allemandes! Et, ce qui est peut-être le comble du grotesque, c'est de le voir, lui, continuer de jouer la comédie même dans l'intimité, devant sa séquelle toute seule, derrière les portants de la scène, jusque dans la coulisse. Il y a peu de jours, avant de jouer sa dernière carte en risquant le coup de la paix, n'a-t-il pas écrit à son Bethmann une lettre intime où s'étalent les sentiments les plus désintéressés et les plus tendres. Des journaux en ont donné la formule exacte, que je confesse avoir oubliée. Mais, à quelques mots près, cela disait: «Pour délivrer le monde de cette calamité, dont mon doux cœur saigne, il faudrait un homme magnanime et d'un détachement surhumain. Eh! bien moi, cher complice, moi tel que vous me voyez, moi Guillaume le vainqueur, je serai cet homme; moi, j'aurai ce courage!» Oh! pauvre, pauvre histrion de la Mort, qui donc, en lisant cela, n'a pas haussé les épaules et souri de dédain?...
*
* *
Depuis cette époque de la Marne, déjà lointaine, j'ai rencontré un peu partout, sur le front des Vosges, sur le front d'Alsace, ce Whitney Waren, notre fidèle ami, toujours insouciant du danger,—et de plus en plus je voyais s'exalter son admiration pour nos chers soldats, son dégoût pour l'horreur germanique. Il a été accueilli par tous nos généraux que charmait son ardeur pour la sainte cause; il est allé même dans les tranchées des Italiens, pour y constater à quel point ils sont dignes de nous.
Et sa conviction, si documentée et si profonde, n'a cessé d'être puissamment communicative. Combien d'articles a-t-il publiés dans les journaux des États-Unis, combien de conférences il a faites, à Paris, à Madrid, à New-York, à Boston, pour protester contre la neutralité de son pays, dans l'immense conflit que l'Allemagne a osé ouvrir entre la Pensée et la Ferraille barbare! J'ajouterai que son fils, entraîné par son exemple, s'est engagé à dix-sept ans dans nos ambulances de Verdun où il vient d'être proposé pour la croix de guerre, et que Mme Whitney Waren, présidente à New-York du Secours national, s'est entièrement consacrée, avec ses filles, aux œuvres charitables françaises.
On me demandera sans doute: qui donc est votre Whitney Waren, quel titre a-t-il pour jouer un tel rôle?—Quel titre! Mais, Dieu merci, il n'en a aucun; aucune mission officielle ne lui a été confiée. Et c'est là précisément ce qui donne à ses actes une si rare et inappréciable valeur. De sa profession, il était architecte, ce qui ne me semble pas conduire fatalement à la vie si militante qu'il s'est choisie. Mais le cœur, chez lui, l'a emporté sur les considérations d'intérêt, et il a tout quitté pour se faire l'un des grands continuateurs de cette traditionnelle amitié franco-américaine, instituée par La Fayette.
Ce n'est pourtant pas de lui en particulier que j'ai voulu parler ici, ce n'est nullement une réclame personnelle que j'ai tenté de lui faire. Non, je ne l'ai cité que parce qu'il est typique; il ressemble, en ce qui nous concerne, à l'immense majorité de ses compatriotes; tous évidemment n'ont pas fait pour nous autant qu'il a fait lui-même, mais tous n'en avaient point les possibilités matérielles, tous n'avaient pas non plus son énergie ni son indépendance. Lui, nous pouvons le considérer comme représentant bien l'âme clairvoyante de la véritable population américaine, et cette âme, nous ne le saurons jamais trop, est, grâce à Dieu, absolument ce que nous pouvions souhaiter qu'elle fût.
IL PLEUT SUR L'ENFER
DE LA SOMME
Quand nous aurons achevé de conquérir les territoires de nos ennemis, si quelque individu de ces races inférieures, qu'on appelle anglaise, française, russe, italienne, américaine ou espagnole, s'avise d'élever la voix pour autre chose que pour implorer grâce, nous le détruirons comme un pantin de vil limon. Et quand nous aurons démoli leurs cathédrales caduques, nous édifierons nos sanctuaires plus splendides, pour glorifier notre force, destructive des nations pourries.
(Écrit en 1914 par un professeur d'Heidelberg, qui n'est pas sensiblement plus bouffi ni plus féroce que la moyenne des allemands.)
———
Novembre 1916.
Elle tombe, la pluie, la pluie glacée, depuis combien d'heures, on ne sait plus, depuis tout le temps, dirait-on; elle tombe régulière, épaisse, comme d'un gigantesque arrosoir aux trop larges trous, et on n'imagine plus que jamais elle puisse finir. Au milieu de l'encombrement, du bruit, des cahots, ma voiture roule, vite quand même, depuis un temps sans doute très long, mais dont la longueur, à force de monotonie, n'est plus appréciable. Sur la sinistre route,—sorte de voie sacrée qui mène au front,—entre deux rangs de squelettes d'arbres tous pareils, passe en même temps que moi un charroi continu, qui coule nuit et jour, comme l'eau empressée des fleuves. Et ce sont d'énormes camions, uniformément peints en ce bleu neutre qui dans le lointain tout de suite les efface, les rend invisibles à travers la brume ou les ruissellements de la pluie; énormes et lourds, en courant ils défoncent le sol; le roulement de leurs moteurs, leurs tressauts à chaque ornière mènent un bruit qui jamais ne fait trêve, et l'air mouillé en est tout vibrant; ils sont bondés de soldats aux capotes bleuâtres, ou bien de projectiles et de machines à tuer; ils emportent là-bas par milliers les victimes fièrement souriantes pour le grand holocauste sublime, ou bien ramènent des débris humains qui vivent encore, et ils se dépêchent tous comme si la Mort s'impatientait de les attendre. Les chauffeurs de leurs innombrables machines, emmitouflés de peaux de bique, nous montrent tous en passant de pareilles petites figures jaunes avec des yeux retroussés à la chinoise, des figures comme on en avait connu là-bas en Extrême-Asie... Ah! des Annamites, imprévus ici sous cette pluie d'hiver: mais tout est sens dessus dessous dans le monde, tout est Babel, en 1916!... Et il y en a tant et tant de ces camions, et depuis tant de jours, sur cette route pourtant large, que les maigres arbres des bords sont tous égratignés, à hauteur d'auto, par ces ferrures, en marche perpétuelle. De droite et de gauche, ce que l'on aperçoit de la campagne est hideux, hideux à glacer l'âme; rien que de la terre retournée, détrempée, et des flaques d'eau sale, et puis des horizons noyés, perdus sous ces nuages bas qui traînent, éternisant le si froid déluge. Il fait à peine jour, tant le ciel est plein d'eau; rien n'indique l'heure, on ne sait pas si c'est midi, ou le crépuscule. Pour que cette voie, trop fréquentée et écrasée, demeure praticable, il faut, bien entendu, la réparer continuellement, et, de distance en distance, les barrages des cantonniers compliquent et retardent l'intense circulation; chaque fois qu'on va les rencontrer, ces barrages de malheur, un soldat vous l'annonce en agitant un pavillon rouge qui ruisselle de pluie; alors il faut se tasser sur un seul bord de la route, camions ou voitures se jetant les uns sur les autres, tout ce qui s'en va là-bas ou tout ce qui retourne à l'arrière, et cela devient la plus inextricable mêlée. A un moment donné, nous engageons nos roues avec celles d'une voiture d'ambulance qui revient vers les hôpitaux; elle est fermée de toutes parts, mais il en coule, goutte à goutte, du sang, qui fait des petites taches rondes sur la boue; elle a l'air d'égrener un chapelet rouge, pour qu'on puisse la suivre à la piste: quelque hémorragie soudaine, sur laquelle on se représente un médecin attentivement penché... J'en avais croisé tant et plus, de ces voitures-là, pendant mes randonnées en auto, mais jamais encore je n'en avais vu saigner... Passent maintenant quelques centaines de prisonniers aux houppelandes grises, aux figures roses et sournoises, qui nous reviennent du front sous la débonnaire surveillance de grands diables, à tournure un peu étrange, vêtus et encapuchonnés de toile cirée jaune-serein. Oh! les étonnants bergers qui nous ramènent ce vilain troupeau! Sous leur capuchon pointu, d'un si beau jaune, le visage qui apparaît, encadré d'un passe-montagne bleu, est noir comme de la suie... Eux, c'est au Sénégal, à la côte de Guinée, qu'on les avait rencontrés jadis, nus sous le soleil torride, et les voilà transportés sous le ciel pluvieux de la Somme, emmaillotés comme des momies! Il a fallu nous arrêter tout à fait pour ce défilé des Boches, de peur de leur écraser les pieds, et nous avons tout loisir d'examiner ces teints chlorotiques, ces petites prunelles de faïence pâle qui se détournent et fuient! Nous sommes tellement moins vilains que ça, nous autres! Après les avoir vus, on reporte volontiers son regard sur les braves soldats de chez nous, que les camions entraînent et qui tout à l'heure seront à la bataille; la comparaison immédiate est toute à leur honneur, et comme on salue fraternellement leur teint de santé, leurs yeux plus foncés, plus francs et plus vifs.
Il pleut, il pleut, il fait gris et il fait sombre. Il faut consulter sa montre pour se convaincre qu'il est à peine 2 heures, car vraiment on croirait que la nuit commence. Tous ces moteurs et toutes ces énormes roues si pesantes, qui se suivent et se pressent en files ininterrompues, ébranlent le sol et font trop de bruit pour que l'on distingue nettement la canonnade, et de plus il s'y mêle le tambourinement de la pluie fouettante et la rage du vent contre les pauvres arbres de la route; toutefois quelques coups, de plus en plus forts, dominent ce fracas monotone et viennent nous rappeler que nous approchons de la ligne de feu. Dans les champs inondés et à l'abandon, qui ne sont plus que des déserts de boue, il y a maintenant, en guise de cultures, d'immenses étalages de choses pour tuer, obus, torpilles, etc.; affreuses choses, dont les cuivres brillent un peu au milieu des grisailles ambiantes; elles sont alignées en bon ordre, en belle symétrie, sur des madriers qui les isolent des flaques d'eau; elles couvrent de grands espaces de terrain, comme faisaient jadis les foins ou les blés. En ce moment même, des hommes, embourbés jusqu'aux genoux, s'occupent à étendre par-dessus d'immenses toiles, peinturlurées comme des décors de théâtre: vu de très haut, tout ce camouflage doit représenter de l'herbe bien verte, des rochers bruns, des pierrailles blanches, etc. Et c'est pour tromper les yeux perçants de ces nouveaux oiseaux d'acier qui, de nos jours, empoisonnent l'air, transportent là-haut jusque dans les nuages le tohu-bohu et l'horreur d'en bas. En effet, s'ils apercevaient cela, les vilains oiseaux boches en maraude, on se représente les explosions que propageraient leurs bombes parmi nos vastes plantations de mitraille.
Par degrés nous pénétrons dans ces zones, inimaginables à force de tristesse et de hideur, que l'on a récemment qualifiées de lunaires. La route, réparée en hâte depuis notre récente avance française, est encore à peu près possible, mais n'a pour ainsi dire plus d'arbres; de l'allée d'autrefois, restent seulement quelques troncs, pour la plupart fracassés, déchiquetés à hauteur d'homme, et quant au pays alentour, il ne ressemble plus à rien de terrestre; on croirait plutôt, c'est vrai, traverser une carte de la Lune, avec ces milliers de trous arrondis, imitant des boursouflures crevées. Mais dans la Lune, au moins il ne pleut pas, tandis qu'ici tout cela est plein d'eau; à l'infini, ce sont des séries de cuvettes trop remplies, que l'averse inexorable fait déborder les unes sur les autres; la terre des champs, la terre féconde avait été faite pour être maintenue par le feutrage de l'herbe et des plantes, mais ici un déluge de fer l'a tellement criblée, brassée, retournée, qu'elle ne représente plus qu'une immonde bouillie brune où tout s'enfonce. Çà et là, des tas informes de décombres, d'où pointent encore des poutres calcinées ou des ferrailles tordues, marquent la place où furent les villages. On reste confondu devant de telles destructions, qui sont le «dernier cri», les miracles de la guerre moderne. Et il faut se dire, hélas! que ce gâchis macabre s'étend, tout pareil, pendant des lieues et des lieues, sur ce qui s'appelait naguère encore des provinces françaises!
Voilà donc ce que les hommes ont fait de la Terre, qui, aux origines, leur avait été donnée habitable, verte et douce, bien revêtue d'arbres et d'herbages! Le voilà, le suprême aboutissement de ce que de pauvres esprits s'obstinent à appeler le progrès! Oh! combien étaient sages ces penseurs des vieilles civilisations, qui ne permettaient la science qu'aux représentants de certaines castes sacrées, jugés dignes d'en détenir les néfastes secrets! Aujourd'hui, le moindre imbécile joue des explosifs à sa fantaisie, le plus laid et le plus obtus des professeurs allemands possède la clef des arcanes de la chimie et exerce sa patience de termite à en tirer le plus diabolique rendement possible pour bouleverser notre sol et exterminer en masse, à la grosse, notre précieuse jeunesse française. Rien que cela d'ailleurs est presque une condamnation de la science, qu'elle soit accessible à un peuple incurablement barbare et que, pour en développer les effets, il suffise de s'y appliquer d'une façon obstinée, avec une ténacité à peine intelligente. Bien inférieur, en effet, ce peuple-là, qui n'excelle que dans les industries précises, serviles et terre à terre, et n'a pas su reconnaître encore à quels inutiles sacrifices son kaiser le mène, et à quelles hécatombes sans compensations! Quand donc ouvriront-ils les yeux, ces êtres aux obéissances moutonnières, pour distinguer les vraies mobiles du Monstre, qui lutte et qui tue avec la rage d'une bête forcée au gîte, non pour défendre l'Allemagne, mais pour défendre sa propre personnalité, sa dynastie, sa morgue, son trône maculé de sang et de cervelle! Quand donc cette plèbe à tête carrée, qui se confie à de si impudents consommateurs de vies humaines, comprendra-t-elle qu'il suffirait de jeter par-dessus bord, comme nous disons en marine, le kaiser, avec sa plus immédiate séquelle, pour se réhabiliter déjà un peu aux yeux de l'humanité, et obtenir la paix!...
Dans le lugubre désert de crevasses et de boue, un écriteau sur bois blanc, au bout d'un bâton, m'indique de quitter la grande artère par où s'écoule le fleuve pesant des convois, le fleuve écrasant tout, et de prendre un vague chemin de traverse qui me mènera où j'ai mission d'aller.
Il y a comme un soulagement physique à n'être plus englobé dans tout ce vacarme et ces trépidations du grand ravitaillement militaire, mais il y a aussi une mélancolie à quitter cette foule de soldats avec qui on cheminait depuis des heures, à s'éloigner de toutes ces vies françaises qui vont gaiement affronter le Minotaure, et demain peut-être seront fauchées; on aimerait mieux les suivre, entraîné dans leur élan vers cette partie du front où les camions les conduisent, que de se retrouver seul, à s'enfoncer froidement dans les désolations d'alentour. Sur ce nouveau chemin, que continue d'inonder la pluie, un silence soudain m'enveloppe, un silence ponctué, il va sans dire, par les coups de canon, mais ponctué à longs intervalles, à cause de ce déluge toujours, qui ralentit toute bataille...
Bientôt mon auto ne veut plus rouler, sur la fange à moitié liquide; la pousser plus loin serait courir le risque de l'embourber sans possibilité de sauvetage; il est plus prudent de la laisser là, de mettre pied à terre et de m'embourber moi-même. D'ailleurs le but de ma course n'est plus bien loin; je l'entendais depuis longtemps, et à présent je l'aperçois déjà, à travers les myriades de petites rayures tracées dans l'air par cette pluie; c'est là-bas, ce groupe de choses tristement fantastiques, qui, au-dessus de l'horizon, se remuent en se profilant sur la pâleur morte du ciel. On dirait de gros tuyaux d'usine, mais qui seraient doués d'un étrange mouvement presque animal; ils se lèvent, puis s'inclinent, puis se relèvent, et chaque fois qu'ils sont dressés, c'est pour vomir, avec un bruit de tonnerre, quelque lourde masse, comme jadis les volcans avaient seuls la force d'en projeter: des blocs de fonte qui jaillissent dans le ciel, jusqu'à des hauteurs de six kilomètres et puis s'en vont retomber au loin, bien au delà du champ de la vue, pour éventrer des abris boches, faire des écrasis de corps humains. En général, par de tels temps pluvieux et bouchés, ils ne travaillent pas, nos nouveaux canons géants; mais c'est nécessaire aujourd'hui pour une préparation urgente; on les a donc malgré tout mis à l'œuvre. Et, avec une régularité, une tranquillité terrifiantes, ils oscillent ainsi, ayant l'air de se mâter d'eux-mêmes, pour leur besogne de juste vengeance.
Ce fut, on le sait, une des plus chères conceptions de leur kaiser, que celle des canons monstrueux. Il s'était imaginé nous apporter avec cela les paniques et les déroutes! Bien entendu, pour nous en défendre, il nous en a fallu de pareils, mais quelques mois nous ont suffi, et nous les avons. Ce que, lui, avait mis quarante-quatre ans à inventer, les Alliés, qui, hélas! ne se méfiaient pas et n'avaient rien prévu, en deux ans à peine l'ont reproduit et dépassé. Alors, que lui reste-t-il donc comme supériorité intellectuelle, au monstre de Berlin, prince de toutes les ruines et de tous les deuils? Et, par ailleurs, en a-t-il assez accumulé de bévues, dans sa tortueuse politique, et de fausses prévisions, et de calculs imbéciles! A part quelques coups de fourberie éhontée qui lui ont réussi, ou failli réussir, qu'a-t-il fait autre chose, que tuer par surprise! Et dire que cette légende s'était naguère accréditée, chez les esprits simples de chez nous, qu'il avait du génie, du moins un certain génie, dans certaines branches inférieures. En réalité, il n'avait même pas celui de la destruction, puisque nous, par représailles, nous l'avons distancé tout de suite. Son génie, allons donc! Non, qu'on nous laisse tranquille avec cet histrion de la mort!...
Décidément, la nuit tombe sur ces désolations infinies de la Somme. Pour aujourd'hui, ils ont terminé leur besogne, nos canons géants, qui se dressaient et se recouchaient au commandement, avec la docilité d'énormes bêtes apprivoisées. Comme on fait aux chevaux qui ont fini leur course du jour, on les couvre, on les enveloppe d'immenses housses et on va les emmener à l'arrière, à l'abri,—car ils ont chacun sa locomotive et ses rails. Le tragique désert de boue, où ils faisaient tant de bruit tout à l'heure, et qui a entendu tant de batailles, tant de cris de fureur et d'agonie, va sans doute ce soir redevenir silencieux dans l'obscurité, silencieux d'un angoissant silence de cimetière; les autres canons, tous ceux du lointain, se taisent aussi; il ne se passera rien cette nuit, parce qu'il pleut trop. Et bientôt, dans ces solitudes où la mort fait semblant de dormir, on n'entendra plus que les averses froides, qui continuent obstinément leur espèce de pianotage perpétuel sur l'eau de toutes ces flaques rondes.
FIN
TABLE DES MATIÈRES
———
———
4905-3-17.—PARIS.—IMP. HEMMERLÉ & Cie.
Rue de Damiette, 2, 4 et 4 bis.
———
DERNIÈRES PUBLICATIONS
———
Collection in-18 jésus à 3 fr. 50 le volume
| Vol. | Vol. | ||
| AICARD (JEAN), de l'Acad. française | FRAPIÉ (LÉON) | ||
| Des Cris dans la mêlée | 1 | Les Contes de la Guerre (3e mille) | 1 |
| ACKER (PAUL) | Le Capitaine Dupont (4e mille) | 1 | |
| L'Oiseau Vainqueur (9e mille) | 1 | HIRSCH (CHARLES-HENRY) | |
| AGHION (MAX) | Mariée en 1914 (6e mille) | 1 | |
| A travers l'Europe sanglante. Ill. | 1 | Chacun son devoir (6e mille) | 1 |
| BARBUSSE (HENRI) | LE BON (Dr GUSTAVE) | ||
| Le Feu (51e mille) | 1 | Enseignements psychologiques de la Guerre européenne (24e mille) | 1 |
| BONNIER (GASTON), de l'Institut | Premières conséquences de la Guerre | 1 | |
| En marge de la Grande Guerre | 1 | MACHARD (ALFRED) | |
| BOUTET (FRÉDÉRIC) | La Guerre des Mômes (3e mille) | 1 | |
| Celles qui les attendent | 1 | MAËL (FRED CAUSSE-) | |
| Victor et ses Amis (4e mille) | 1 | L'Ile qui parle | 1 |
| CHARRIAUT (H.) | L'Ame d'un Canon | 1 | |
| La Belgique Terre d'héroïsme (5e m.) | 1 | MANDELSTAMM (V.) | |
| CHARRIAUT (H.) ET L. AMICI-GROSSI | La Cosaque (4e mille) | 1 | |
| L'Italie en guerre | 1 | MARGUERITTE (PAUL), de l'Acad. Goncourt | |
| COLIN (Lt-COLONEL) | L'Embusqué, roman (30e mille) | 1 | |
| Les grandes batailles de l'Histoire De l'antiquité à 1913 (6e mille) | 1 | Contre les Barbares 1914-1915 (5e m.) | 1 |
| Les Transformations de la Guerre (6e mille) | 1 | L'Immense Effort. 1915-1916 (3e m.) | 1 |
| DANRIT (CAPITAINE) | NION (FRANÇOIS DE) | ||
| La Guerre souterraine | 1 | Pendant la Guerre (4e mille) | 1 |
| FARRÈRE (CLAUDE) | Son sang pour l'Alsace (4e mille) | 1 | |
| Quatorze Histoires de Soldats (20e m.) | 1 | Les Décombres (3e mille) | 1 |
| FINOT (JEAN) | PÉLADAN (JOSÉPHIN) | ||
| Civilisés contre Allemands (4e m.) | 1 | La Guerre des Idées | 1 |
| FOLEŸ (CHARLES) | RICHEPIN (JEAN), de l'Acad. française | ||
| Sylvette et son blessé | 1 | Proses de Guerre (4e mille) | 1 |
| FORGE (HENRY DE) | La Clique | 1 | |
| Ah! la belle France! (3e mille) | 1 | RICHET (CHARLES) | |
| Les Coupables | 1 | ||
| ROSNY AINÉ (J.-H.), de l'Acad. Goncourt | |||
| Perdus? (5e mille) | 1 | ||
| TIMMORY (GABRIEL) | |||
| La Colonelle von Schnick | 1 | ||
5780.—Paris.—Imp. Hemmerlé et Cie. 3-17
NOTES:
[1] Napoléon Ier fut, si je ne me trompe, l'un de ces nonnitiés qui citait la régularité des tournoiements célestes comme preuve de l'existence de Dieu.
[2] Quelques nouvelles hypothèses, assez admissibles, viennent d'être émises sur la genèse du soleil, mais elles soulèvent encore,—et toujours et toujours,—de nouveaux pourquoi plus effroyables; alors, à quoi bon?
[3] On connaît les lézards à membranes et même le lézard à plumes (archéopterix) qui fut essayé après lui.
[4] On s'en occupe déjà beaucoup, de nos soldats aveugles, je le sais bien, pour leur trouver du travail, leur assurer l'existence matérielle; mais il faudrait aussi les distraire de leur déchéance affreuse, en faisant pénétrer dans leur nuit de belles images colorées, en les intéressant à des aventures réelles ou imaginaires, qui leur apporteraient la diversion et l'oubli; ce serait au moins aussi utile que de leur donner du pain.
Or, cette petite histoire du sergent Lormont, qui est une entre mille, je l'ai notée sur la prière d'un aveugle éminent, M. Maurice de La Sizeranne, je l'ai notée pour attirer un peu l'attention sur son œuvre admirable, car il a consacré sa vie aux autres aveugles ses frères. Il dirige et il enrichit, par tous les moyens en son pouvoir, une bibliothèque pour ceux qui lisent sans yeux, qui lisent en promenant les doigts sur des feuillets blancs piqués d'innombrables trous d'épingle.
Qui dira tout le bien qu'il a déjà fait, en rendant à tant et tant de pauvres êtres, isolés dans leur nuit, cette joie de lire! Mais sa bibliothèque, qui suffisait à peine avant la guerre, se trouve aujourd'hui n'avoir plus le quart des volumes qu'il faudrait. Quand nos combattants, aveugles d'hier, ont été amenés là, au bras de quelqu'un, pour emprunter de ces livres spéciaux à leur usage, souvent ensuite il s'en retournent déçus et plus tristes: on a été obligé de leur en refuser, parce qu'ils étaient tous en lecture,—et l'argent manque pour en préparer d'autres.
On a déjà tant donné, dans notre pays, donné à pleines mains pour nos blessés, que l'on donnera bien encore, il me semble, pour apporter un peu de détente et d'enchantement aux plus terriblement touchés d'eux tous, à ceux qui n'y voient plus. Si l'on n'a pas déjà souscrit davantage pour cette œuvre, c'est surtout, j'en suis convaincu, parce qu'on n'y pensait pas, parce qu'on ne savait pas. Je demande donc, ici, que l'on vienne au secours de la si précieuse bibliothèque, que la guerre, hélas! n'a que trop mise à l'ordre du jour.
[5] Des détachements de matelots en armes, presque tous des survivants de l'Yser, garnissaient ce jour-là la scène du Théâtre Français, entourant M. Pierre Loti qui, pour finir, s'est adressé à eux.
[6] Voir la brochure de Mme Juliette Adam: Non, l'Alsace n'est ni germaine ni germanisante.
[7] Pluriel arabe d'Ouled-Naïl.
[8] On sait que les Ouled-Naïlia sont devenues souvent, contre l'étranger, d'héroïques guerrières.
[9] Celui du sultan Mahmoud.
[10] A cette même conférence, Mme Bartet venait de lire une lettre de jeune femme turque.
[11] Aujourd'hui de pauvres irresponsables ont complètement défiguré l'exquis village, en bâtissant juste au-dessus de la place du jeu de pelote, au-dessus du glorieux fronton suranné, une villa moderne avec faïences polychromes.—P. L.
[12] Aujourd'hui, hélas! on y va en auto!
[13] Aujourd'hui tous les châtaigniers ont achevé de mourir; ils ne sont plus que des squelettes grisâtres, se desséchant au soleil.—P. L.
[14] Aujourd'hui un barrage en a fait un véritable lac souterrain, où se reflètent les piliers de la voûte. Il faut franchir ce lac dans un batelet pour aborder aux longues galeries pleines d'ombre.
[15] Beaucoup de ces voûtes ont été stupidement dépouillées de leurs franges, de leurs pendantifs millénaires, la commune de Sare les ayant vendus à un entrepreneur qui les a fait briser à coup de masse. Soixante charrettes qui en étaient remplies, se sont dirigées vers Biarritz, et les stalactites, qui avaient été l'œuvre des temps sans nombre, ont servi à construire l'une des plus grotesques parmi ces villas qui déshonorent la côte basque depuis qu'elle est, «aménagée» pour le tourisme.—P. L.
[16] A l'entrée de la grotte, on vient, hélas! de construire pour les touristes une maison et un restaurant qui ont changé ces aspects millénaires.—P. L.
[17] La grande tragédienne américaine, chargée du rôle de la Fille du Ciel.
(Note du transcripteur)
changes faites:
Abd-ul-Hamid => Abdul-Hamid
FARRÉRE => FARRÈRE
Librairie Ernest FLAMMARION, 26, Rue Racine, Paris
/\/\/\/\/\/\//\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\//\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\//\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\//\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\
PRIX GONCOURT 40e mille
Henri BARBUSSE
———
LE FEU
(Journal d'une Escouade)
ROMAN
/\/\/\/\/\/\//\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\
Réformé du temps de paix, le poète et romancier Henri Barbusse a, dès le commencement des hostilités, contracté un engagement pour la durée de la guerre. Il a été cité plusieurs fois à l'Ordre du jour. Voici le texte de sa plus récente citation:
«D'une valeur morale supérieure, s'est engagé volontairement pour la durée de la guerre; a refusé d'être versé dans la territoriale, malgré son âge et son état de santé. S'est toujours offert spontanément pour toutes les missions dangereuses, et notamment pour aider à installer, sous un feu violent, un poste de secours avancé dans les lignes qui venaient d'être conquises sur l'ennemi.»
Au cours d'un congé de convalescence—pour le dédier à la mémoire de ses camarades tombés à côté de lui, à Crouÿ et à la cote 119—il a écrit ce poignant roman: Le Feu, qui porte en sous-titre cette mention: «Journal d'une escouade», et qui est sans doute l'œuvre la plus sincère et la plus vibrante que l'on ait écrite sur la guerre.
Le Feu,—qu'a couronné, comme on le sait, l'Académie Goncourt—n'est pas seulement un superbe document; c'est un roman admirable et captivant.
Un volume in-18.—Prix: 3 fr. 50
Envoi contre mandat-poste
Librairie Ernest FLAMMARION, 26, Rue Racine, Paris
/\/\/\/\/\/\//\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\//\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\//\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\//\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\
Paul ACKER
———
9e mille
L'OISEAU VAINQUEUR
ROMAN
/\/\/\/\/\/\//\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\
Paul Acker est mort, on le sait, en service commandé, le 27 Juin 1915, près de Thann. Il repose, aujourd'hui, dans le cimetière de Moosch, en Alsace reconquise.
L'Oiseau vainqueur est le dernier roman que Paul Acker ait écrit en entier.
L'Oiseau vainqueur est le roman d'amour d'un aviateur; c'est une œuvre délicieuse, une œuvre émouvante et captivante.
Il faut lire L'Oiseau vainqueur avant de le placer, d'un geste mélancolique et pieux, dans sa bibliothèque, à côté des œuvres exquises de ce fin, subtil et pénétrant romancier, qui, mort à quarante ans à peine, laisse cependant des œuvres aussi élégantes, aussi parfaites que Le soldat Bernard, Les demoiselles Bertram, Les Deux Amours, Les Exilés... ou cet Oiseau vainqueur.
Un volume in-18.—Prix: 3 fr. 50
Envoi contre mandat-poste
Librairie Ernest FLAMMARION, 26, Rue Racine, Paris
/\/\/\/\/\/\//\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\//\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\//\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\//\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\
Claude FARRÈRE
———
20e mille
QUATORZE
HISTOIRES DE SOLDATS
/\/\/\/\/\/\//\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\
On se souvient du grand succès qu'avait obtenu, à la veille de la guerre, le beau livre que Claude Farrère avait publié alors sous ce titre: Dix-sept histoires de marins.
Claude Farrère vient de donner en librairie une œuvre nouvelle: Quatorze histoires de soldats. C'est un livre admirable.
Bien qu'il contienne, comme son titre l'annonce, quatorze histoires séparées, le nouveau livre—le nouveau chef-d'œuvre de Claude Farrère—est vraiment, à proprement parler, un roman. C'est le roman des soldats.
Toute l'âme des soldats, vibrante, chevaleresque, héroïque, y est chantée par un de leurs frères, qui est aussi un conteur merveilleux, et un merveilleux poète.
Un volume in-18.—Prix: 3 fr. 50
Envoi contre mandat-poste
Librairie Ernest FLAMMARION, 26, Rue Racine, Paris
/\/\/\/\/\/\//\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\//\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\//\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\//\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\
Paul MARGUERITTE
(DE L'ACADÉMIE GONCOURT)
———
30e mille
L'EMBUSQUÉ
ROMAN
/\/\/\/\/\/\//\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\
L'Embusqué?... C'est l'histoire dramatique de ces êtres déconcertants que l'opinion publique raille et flétrit avec tant de justice.
Avec quel tact et quelle force vengeresse M. Paul Margueritte nous dévoile un de ces cyniques déserteurs du devoir! Il le montre, esquivant le front par ruse et adresse, flagellé bientôt par le mépris de la femme qui l'adore, et finalement châtié comme il le mérite.
L'Embusqué tout palpitant de vérité, d'amour, d'indignation et de douleur, comporte, malgré l'ignominie de Maxime Archer, un noble réconfort, car à travers la faute et le rachat de la touchante Henriette, nous assistons au drame de la guerre; nous admirons les vertus de la famille française; et nous retrouvons, dans la mâle conduite de Pierre Forment, l'époux magnanime, toute la vaillance de notre race et tout l'héroïsme de nos soldats.
C'est un roman passionné et passionnant.
Un volume in-18.—Prix: 3 fr. 50
Envoi contre mandat-poste
5460—Paris.—Imp. Hemmerlé et Cie.—1-17