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Tendresses impériales

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«Je n'ai vu que vous, je n'ai admiré que vous, je ne désire que vous. Une réponse bien prompte pour calmer l'impatiente ardeur de

«N.»

La signature, qui n'est qu'un paraphe, le style, qui n'est qu'une suite d'exclamations que termine un ordre, tout cela parut une impertinence aux yeux de la jeune Polonaise. Elle refusa l'invitation.

L'Empereur ne se tint pas pour battu. Il a conscience de sa valeur, et si d'autres, plus modestes et surtout moins actifs que lui, répugneraient à l'affirmer, il ne craint pas de l'écrire à celle qu'il veut conquérir:

«Vous ai-je déplu, madame? J'avais cependant le droit d'espérer le contraire. Me suis-je trompé! Votre empressement s'est ralenti, tandis que le mien augmente. Vous m'ôtez le repos! Oh! donnez un peu de joie, de bonheur à un pauvre cœur tout prêt à vous adorer. Une réponse est-elle si difficile à obtenir? Vous m'en devez deux.

«N.»

À ce billet, où paraissait l'ennui de n'avoir pas été accueilli, la crainte d'avoir été trop brusque et la douleur réelle qu'éprouvait le Maître à se sentir isolé dans sa gloire, Marie Walewska, plus par respect de ses devoirs d'épouse, croyons-nous, que par fierté, ne voulut pas répondre.

Son entourage a beau lui représenter qu'être la maîtresse de l'Empereur, ce n'est pas manquer à l'honneur, et que ce serait peut-être préparer le salut et la grandeur de la Pologne, Marie Walewska se refuse à ce compromis.

Napoléon insiste une troisième fois. Son billet est plus tendre encore, plus long aussi. Enfin il promet ce que tous les Polonais désirent:

«Il y a des moments où trop d'élévation pèse, et c'est ce que j'éprouve. Comment satisfaire le besoin d'un cœur épris qui voudrait s'élancer à vos pieds et qui se trouve arrêté par le poids de hautes considérations paralysant les plus vifs désirs? Oh! si vous vouliez!... Il n'y a que vous seule qui puissiez lever les obstacles qui nous séparent. Mon ami Duroc vous en facilitera les moyens.

Oh! venez! venez! Tous vos désirs seront remplis. Votre patrie me sera plus chère quand vous aurez pitié de mon pauvre cœur.

«N.»

Le lendemain de la réception de ce billet, lasse des assauts de Napoléon et surtout d'entendre les prières de son entourage, qui persistait à voir dans son consentement l'avènement de la Pologne, Marie Walewska se rendit au château impérial. Ce fut la nuit, entourée de mystère, voilée et en voiture fermée, qu'elle y arriva en compagnie d'un gardien discret.

Napoléon l'attendait. Il était là, debout, dans la salle ou on l'introduisit. Empressé, comme il savait l'être avec les femmes qu'il aimait, l'Empereur se montra galant. Mais Marie Walewska, toute surprise encore, ne put que pleurer, se montrer nerveuse et d'une timidité qui pouvait surprendre. Quand, à deux heures du matin, on vint la prendre pour la reconduire chez elle, comme il avait été convenu, Napoléon n'avait obtenu qu'un droit de consolation et sa promesse de revenir le lendemain.

Aussi, dès son réveil, sa femme de chambre lui remit-elle ce mot, qui accompagnait un bouquet et une guirlande de diamants:

«Marie, ma douce Marie, ma première pensée est pour toi, mon premier désir est de te revoir. Tu reviendras, n'est-ce pas? Tu me l'as promis. Sinon l'aigle volerait vers toi. Je te verrai à dîner, l'ami[10] le dit. Daigne donc accepter ce bouquet: qu'il devienne un lien mystérieux qui établisse entre nous un rapport secret au milieu de la foule qui nous environne. Exposés aux regards de la multitude, nous pourrons nous entendre. Quand ma main pressera mon cœur, tu sauras qu'il est tout occupé de toi et, pour répondre, tu presseras le bouquet! Aime-moi, ma gentille Marie, et que ta main ne quitte jamais ton bouquet.

«N.»

Le soir, elle était au dîner. La conversation s'engagea entre elle et l'Empereur à l'aide de ce bouquet. Puis elle vint au palais. L'habitude prise, elle y revint chaque soir.

Quand Napoléon quitta Varsovie pour Finckenstein, elle le suivit. Dans cette nouvelle résidence, elle mène une vie cloîtrée, enfermée dans un château morne, où elle ne voit personne. L'Empereur paraît aux heures des repas, pris en tête à tête. Le reste du temps, elle l'use à lire, à broder, à voir la parade à travers les persiennes.

De Finckenstein, elle va à Vienne, et de Vienne à Paris, où l'Empereur lui achète un hôtel particulier au 48 de la rue de la Victoire.

De là, elle gagne Schoenbrunn, en 1809, et le château de Walewice, en 1810, où elle accouche d'un fils (le 4 mai): le comte Walewski.

Puis elle revint à Paris. Mais l'époque des revers commençait. Napoléon, attristé, ne pense plus avec la même gaieté à sa maîtresse. Des soucis l'absorbent. Il songe à mourir. C'est quelques jours avant l'Île d'Elbe. Ce soir où, vaincu, il a voulu se suicider sans y parvenir, Marie Walewska attendra toute une nuit l'amant soucieux que, bien qu'attristée, elle n'ose déranger. Lui ne se souviendra plus qu'au matin qu'elle a passé la nuit à l'attendre dans une pièce proche. Et malgré tant de douleur qui l'accable, il trouve pour elle, à défaut d'amour, des mots d'amitié profonde:

«Marie, j'ai reçu votre lettre du 15. Les sentiments qui vous animent me touchent vivement. Ils sont dignes de votre belle âme et de la bonté de votre cœur. Lorsque vous aurez arrangé vos affaires, si vous voulez aller aux eaux de Lucques ou de Sise, je vous verrai avec un grand et vif intérêt, ainsi que votre fils, pour qui mes sentiments sont toujours invariables. Portez-vous bien, pensez à moi avec plaisir et ne doutez jamais de moi.

Le 16 avril.

«N.»

Napoléon partit pour l'Île d'Elbe. C'est là qu'elle le vint visiter le 1er septembre 1814. Elle sera près de lui encore en 1815, pendant les Cent Jours.

Enfin, quand ce fut l'exil définitif, l'abdication pour Sainte-Hélène, Marie se crut dégagée de tout serment. Elle épousa Philippe-Antoine, général comte d'Ornano, ancien colonel des dragons de la Garde, cousin de l'Empereur.

De ce mariage elle eut un fils[11], le 9 juin 1817. Quelques mois après, vers la mi-décembre, elle mourait dans son hôtel de la rue de la Victoire, qu'elle avait quitté lors de son mariage.


FOOTNOTES:

[1] Né en 1769.

[2] Née à la Martinique en 1763. Elle avait 32 ans.

[3] Petit chien de Joséphine.

[4] Frère aîné de Napoléon, devenu roi d'Espagne.

[5] Oncle de Napoléon Ier, né à Ajaccio, archevêque de Lyon et grand aumonier de l'Empire.

[6] Collectionneur équivoque qui volait ce qu'il ne pouvait acquérir.

[7] Alexandre Des Mazis avait été à l'École militaire de Paris, l'instructeur d'infanterie de Bonaparte. Tous deux s'étalent liés d'une étroite amitié qui se resserra au cours de communes garnisons. Émigré sous la Terreur, Des Mazis ne rentra en France que sous le consulat. Napoléon le nomma administrateur mobilier de la couronne, officier civil de sa maison et chambellan. À la chute de l'empereur, Des Mazis servit les Bourbons.

[8] Il faut observer cette restriction. Elle exprime la pensée de Napoléon, mettant la Patrie (les armées, par conséquent) au-dessus de la famille.

[9] Duroc, aide de camp de l'Empereur et un de ses familiers.

[10] Duroc.

[11] Rodolphe-Auguste d'Ornano, député au Corps législatif sous le Second Empire. Mort le 14 octobre 1866.

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