← Retour

Tout est bien qui finit bien

16px
100%

SCÈNE VII

Florence,--Une chambre dans la maison de la veuve.

Entrent HÉLÈNE, LA VEUVE.

HÉLÈNE.--Si vous doutez encore que je sois sa femme, je ne sais plus comment vous donner d'autres preuves, à moins de détruire les fondements de mon entreprise.

LA VEUVE.--Quoique j'aie perdu ma fortune, je suis bien née, et je ne connais rien à ces sortes d'affaires, et je ne voudrais pas aujourd'hui ternir ma réputation par une action honteuse.

HÉLÈNE.--Je ne voudrais pas non plus vous y exposer. Croyez d'abord que le comte est mon époux, et que tout ce que je vous ai confié sous la foi du secret est vrai de point en point. D'après cela, vous voyez que vous ne pouvez faire un crime en me prêtant le bon secours que je vous demande.

LA VEUVE.--Il faut bien vous croire, car vous m'avez donné des preuves convaincantes que vous jouissez d'une grande fortune.

HÉLÈNE.--Prenez cette bourse d'or, et laissez-moi acheter à ce prix les secours de votre amitié, que je récompenserai encore quand je l'aurai éprouvée. Le comte courtise votre fille; il fait le siège libertin de sa beauté, résolu de s'en rendre maître. Qu'elle consente maintenant à se laisser diriger par nous sur la manière dont elle doit se conduire. Son sang bouillonne, et il ne lui refusera rien de ce qu'elle lui demandera. Le comte porte un anneau qui a passé dans sa maison de père en fils, depuis quatre ou cinq générations: cet anneau est d'un grand prix à ses yeux; mais dans son ardeur insensée pour obtenir ce qu'il veut, le sacrifice ne lui paraîtra pas trop grand, bien qu'il puisse s'en repentir ensuite.

LA VEUVE.--Je vois à présent le but que vous vous proposez.

HÉLÈNE.--Vous voyez donc combien il est légitime. Je désire seulement que votre fille lui demande cet anneau, avant de faire semblant de se rendre à ses instances; qu'elle lui assigne un rendez-vous; enfin qu'elle me laisse à sa place employer le temps pendant qu'elle sera chastement absente: et après j'ajouterai pour sa dot trois mille couronnes d'or à ce qui s'est déjà passé entre nous.

LA VEUVE.--J'y consens. Instruisez maintenant ma fille de la manière dont elle doit se conduire pour que l'heure et le lieu, tout s'accorde dans cette innocente supercherie. Toutes les nuits il vient avec des instruments de toute espèce, et des chansons qu'il a composées pour son peu de mérite; il ne nous sert de rien de l'écarter de nos fenêtres; il s'obstine à y rester, comme si sa vie en dépendait.

HÉLÈNE.--Eh bien! dès ce soir il faut tenter notre stratagème. S'il réussit, ce sera une mauvaise intention attachée à une action légitime et une action vertueuse dans une action légitime; ni l'un ni l'autre ne pécheront: et cependant il y aura un péché de commis 29. Mais allons nous en occuper.

(Elles sortent.)

Note 29: (retour) Un crime d'intention de la part de Bertrand.

FIN DU TROISIÈME ACTE.




ACTE QUATRIÈME


SCÈNE I

Aux alentours du camp florentin.

Un des SEIGNEURS FRANÇAIS entre sur la scène, suivi de
cinq ou six
SOLDATS qui se mettent en embuscade.

LE CAPITAINE.--Il ne peut venir par d'autre chemin que par le coin de cette haie. Lorsque vous fondrez sur lui, servez-vous des termes les plus terribles que vous voudrez; quand vous ne vous entendriez pas vous-mêmes, peu importe; car il faut que nous fassions semblant de ne pas le comprendre, excepté un de nous, que nous produirons comme interprète.

UN SOLDAT.--Mon bon capitaine, laissez-moi être l'interprète.

LE CAPITAINE.--N'es-tu pas connu de lui? Ne connaît-il pas ta voix?

LE SOLDAT.--Non, monsieur, je vous le garantis.

LE CAPITAINE.--Mais quel jargon nous parleras-tu?

LE SOLDAT.--Celui que vous me parlerez.

LE CAPITAINE.--Il faut qu'il nous prenne pour quelque bande d'étrangers à la solde de l'ennemi. N'oublions pas qu'il a une teinture de tous les langages des pays voisins: ainsi, il faut que chacun de nous parle un jargon à sa fantaisie, sans savoir ce que nous nous dirons l'un à l'autre. Tout ce que nous devons bien savoir, c'est le projet que nous avons en tête. Croassement de corbeau, ou tout autre babil, sera bon de reste.--Quant à vous, monsieur l'interprète, il faut que vous sachiez bien dissimuler.--Mais, ventre à terre! le voici qui vient, pour passer deux heures à dormir, et retourner ensuite débiter et jurer les mensonges qu'il forge.

(Entre Parolles.)

PAROLLES.--Dix heures! dans trois heures d'ici, il sera assez temps de retourner au quartier. Qu'est-ce que je dirai que j'ai fait? Il faut que ce soit quelque invention plausible pour se faire croire: on commence à me dépister, et les disgrâces ont dernièrement frappé trop souvent à ma porte. Je trouve que ma langue est trop téméraire: mais mon coeur a toujours devant les yeux la crainte de Mars et de ses enfants, et il ne soutient pas ce que hasarde ma langue.

LE CAPITAINE, à part.--Voilà la première vérité dont ta langue se soit jamais rendue coupable.

PAROLLES.--Quel diable m'engageait à entreprendre la reprise de ce tambour, en connaissant l'impossibilité, et sachant que je n'en avais nulle envie?--Il faut que je me fasse moi-même quelques blessures, et que je dise que je les ai reçues dans l'action; mais de légères blessures ne suffiraient pas pour persuader. Ils diront: «Quoi! vous en êtes échappé à si bon marché?»--Et de grandes blessures, je n'ose pas me les faire. Pourquoi? quelle preuve aura-t-on?--Ma langue, il faut que je vous mette dans la bouche d'une marchande de beurre, et que j'en achète une autre à la mule de Bajazet 30, si votre babil me jette dans les dangers.

Note 30: (retour) Quelques-uns lisent mute pour traduire par muet du sérail.

LE CAPITAINE, à part.--Est-il possible qu'il sache ce qu'il est, et qu'il soit ce qu'il est?

PAROLLES.--Je voudrais qu'il me suffît de mettre mon habit en lambeaux, ou de briser mon épée espagnole.

LE CAPITAINE, à part.--Ce moyen ne peut pas aller.

PAROLLES.--Ou de griller ma barbe; et puis de dire que cela faisait partie du stratagème.

LE CAPITAINE.--Cela ne vaut pas mieux.

PAROLLES.--Ou de noyer mes habits, et puis de dire que j'ai été dépouillé.

LE CAPITAINE.--Cela ne peut guère servir.

PAROLLES.--Quand je jurerais que j'ai sauté par une fenêtre de la citadelle...

LE CAPITAINE, à part.--De quelle hauteur?

PAROLLES, continuant.--Trente brasses.

LE CAPITAINE.--Trois gros serments auraient encore peine à persuader cela.

PAROLLES.--Je voudrais avoir quelque tambour des ennemis, et alors je jurerais que c'est le même que j'ai repris.

LE CAPITAINE, à part.--Tu vas en entendre retentir un tout à l'heure.

(Un tambour bat.)

PAROLLES, étonné.--Un tambour des ennemis!

LE CAPITAINE fondant sur lui avec sa troupe.--Thraca movousus, cargo, cargo, cargo!

TOUS ENSEMBLE.--Cargo, cargo! villanda par corbo, cargo!

PAROLLES.--Oh! rançon, rançon!--Ne me bandez pas les yeux.

(Ils le saisissent et lui bandent les yeux.)

L'INTERPRÈTE.--Boskos thromuldo boskos.

PAROLLES.--Oui, je sais que vous êtes du régiment de Muskos, et je perdrai la vie faute de savoir cette langue. S'il est parmi vous quelque Allemand, quelque Danois, quelque Bas-Hollandais, Italien ou Français, qu'il me parle; je lui découvrirai des secrets qui perdront les Florentins.

L'INTERPRÈTE.--Boskos vauvado... Je t'entends, et je puis parler ta langue. Kerely bonto: songe à ta religion; car dix-sept poignards sont pointés contre ton sein.

PAROLLES.--Oh!

L'INTERPRÈTE.--Oh! ta prière, ta prière!--Mancha revania dulche.

LE CAPITAINE.--Oschorbi dulchos volivorca.

L'INTERPRÈTE.--Le général veut bien t'épargner encore, et, les yeux ainsi bandés, il te fera conduire pour recueillir de toi tes secrets: peut-être pourras-tu apprendre quelque chose qui te sauvera la vie.

PAROLLES.--Oh! laissez-moi vivre et je vous dévoilerai tous les secrets du camp, leurs forces, leurs desseins: oui, je vous dirai des choses qui vous étonneront.

L'INTERPRÈTE.--Mais le feras-tu fidèlement?

PAROLLES.--Si je ne le fais pas, que je sois damné!

L'INTERPRÈTE.--Acordo linta. Avance; on te permet de marcher.

(Il sort avec Parolles.)

LE CAPITAINE, à l'un d'eux.--Va dire au comte de Roussillon et à mon frère que nous avons pris la bécasse, et que nous la tiendrons enveloppée jusqu'à ce que nous ayons de leurs nouvelles.

LE SOLDAT.--Capitaine, j'y vais.

LE CAPITAINE.--Il nous trahira tous, en nous parlant à nous-mêmes.--Dis-leur cela.

LE SOLDAT.--Je n'y manquerai pas, capitaine.

LE CAPITAINE.--Jusqu'alors je le tiendrai dans les ténèbres, et bien enfermé.

(Ils sortent.)


SCÈNE II

Florence.--Appartement de la maison de la veuve.

Entrent BERTRAND, DIANE.

BERTRAND.--On m'a dit que votre nom était Fontibel.

DIANE.--Non, mon brave seigneur, c'est Diane.

BERTRAND.--Vous portez le nom d'une déesse, et vous méritez mieux encore: mais, âme céleste, l'amour n'a-t-il aucune place dans votre belle personne? Si la vive flamme de la jeunesse n'échauffe pas votre coeur, vous n'êtes pas une jeune fille, mais une statue. Quand vous serez morte, vous serez ce que vous êtes à présent; car vous êtes froide et insensible, et à présent vous devriez être telle qu'était votre mère lorsque votre être charmant fut engendré.

DIANE.--Elle ne cessa pas d'être honnête alors.

BERTRAND.--Vous le seriez aussi.

DIANE.--Non; ma mère ne fit que remplir un devoir, le devoir, seigneur, que vous devez à votre épouse.

BERTRAND.--Ne parlons pas de cela.--Je vous en prie, ne luttez pas contre mes serments: j'ai été uni à elle par contrainte; mais vous, je vous aime par la douce contrainte de l'amour, et je vous rendrai toujours tous les services auxquels vous aurez droit.

DIANE.--Oui, vous êtes à notre service jusqu'à ce que nous vous ayons servi; mais lorsqu'une fois vous avez nos roses, vous nous laissez seulement les épines pour nous déchirer, et vous insultez à notre stérilité.

BERTRAND.--Combien ai-je fait de serments!...

DIANE.--Ce n'est pas le nombre des serments qui fait la vérité, mais un voeu simple et sincère fait avec vérité. Nous n'attestons jamais ce qui n'est pas sacré, mais nous jurons par le Très-Haut. Dites-moi, je vous prie, si je jurais par les attributs suprêmes de Jupiter que je vous aime tendrement, en croiriez-vous mes serments, quand je vous aimerais mal? Jurer à quelqu'un qu'on l'aime est un serment sans foi et sans solidité, lorsqu'on ne jure que pour lui faire un outrage. Ainsi vos serments ne sont que des paroles et de frivoles protestations qui ne portent aucun sceau, du moins suivant mon opinion.

BERTRAND.--Changez, changez d'opinion. Ne soyez pas si saintement cruelle: l'amour est saint, et jamais ma sincérité ne connut l'artifice dont vous accusez les hommes. Ne vous éloignez plus, mais rendez-vous au désir de mon coeur, qui se ranimera alors. Dites que vous êtes à moi, et ce qu'est mon amour au commencement, il le sera toujours.

DIANE.--Je vois que les hommes, dans ces sortes de difficultés, fabriquent des cordes que nous laissons bientôt aller nous-mêmes.--Donnez-moi cet anneau.

BERTRAND.--Je vous le prêterai, ma chère; mais il n'est pas en mon pouvoir de le donner sans retour.

DIANE.--Vous ne voulez pas me le donner, seigneur?

BERTRAND.--C'est un gage d'honneur qui appartient à notre maison, et qui m'a été légué par de nombreux ancêtres: ce serait une grande honte pour moi dans le monde que de le perdre.

DIANE.--Mon honneur ressemble à votre anneau: ma chasteté est le joyau de notre maison, qui m'a été transmis par de nombreux ancêtres, et ce serait une grande honte pour moi dans le monde que de le perdre: ainsi, votre propre prudence amène l'honneur pour me servir de champion contre vos vaines attaques.

BERTRAND.--Tenez, prenez mon anneau. Que ma maison, mon honneur, ma vie même soient à vous, et je vous serai soumis.

DIANE.--Quand il sera minuit, frappez à la fenêtre de ma chambre. Je prendrai mes précautions pour que ma mère n'entende rien.--Maintenant je vous recommande, sous la foi sacrée de la vérité, lorsque vous aurez conquis mon lit encore vierge, de n'y rester qu'une heure et de ne pas me parler. J'en ai les plus fortes raisons; vous les saurez ensuite, lorsque cette bague vous sera rendue; et dans la nuit je mettrai à votre doigt un autre anneau qui, dans la suite des temps, pourra attester à l'avenir notre union passée. Adieu, jusqu'alors: n'y manquez pas. Vous avez conquis en moi une épouse, quoique toutes mes espérances de ce côté soient perdues.

BERTRAND.--J'ai conquis le ciel sur la terre en vous recherchant.

(Il sort.)

DIANE.--Puisses-tu vivre longtemps pour remercier le ciel et moi! tu pourrais bien finir par là.--Ma mère m'avait instruite de la manière dont il me ferait sa cour, comme si elle eût été dans son coeur: elle dit que tous les hommes font les mêmes serments: il avait juré de m'épouser quand sa femme serait morte, et moi je coucherai avec lui quand je serai ensevelie. Puisque les Français sont si trompeurs, se marie qui voudra; je veux vivre et mourir vierge; et je ne crois pas que ce soit un péché de tromper, sous ce déguisement, un homme qui voulait me séduire.

(Elle sort.)


SCÈNE III

Le camp florentin.

Entrent LES DEUX SEIGNEURS FRANÇAIS, avec
deux ou trois soldats
.

PREMIER OFFICIER.--Vous ne lui avez pas donné la lettre de sa mère?

SECOND OFFICIER.--Je la lui ai remise il y a une heure: il y a dedans quelque chose qui a fait une vive impression sur son âme, car en la lisant il est presque devenu tout d'un coup un autre homme.

PREMIER OFFICIER.--Il s'est attiré un juste blâme en repoussant une si bonne femme, une si aimable dame.

SECOND OFFICIER.--Il a surtout encouru la disgrâce éternelle du roi, dont la générosité eût fait si volontiers son bonheur 31. Je vous dirai quelque chose, mais vous la tiendrez secrète.

Note 31: (retour) Who had ever tuned his bounty to sing happiness to him. Mot à mot: «Qui avait mis pour lui sa bonté sur l'air du bonheur.»

PREMIER OFFICIER.--Quand vous l'aurez dite, elle est morte, et j'en suis le tombeau.

SECOND OFFICIER.--Il a séduit ici, dans Florence, une jeune demoiselle de très-chaste renommée, et cette nuit même il assouvit sa passion sur les ruines de son honneur: il lui a donné son anneau de famille, et il se croit heureux d'avoir réussi dans ce pacte coupable.

PREMIER OFFICIER.--Que Dieu diffère notre révolte! Ce que nous sommes quand nous sommes abandonnés à nous-mêmes!

SECOND OFFICIER.--De vrais traîtres à nous-mêmes. Et comme dans le cours ordinaire de toutes les trahisons, nous les voyons toujours se révéler elles-mêmes à mesure qu'elles avancent vers leur infâme but; c'est ainsi que celui qui, par cette action, conspire contre son propre honneur, laisse déborder lui-même le torrent.

PREMIER OFFICIER.--N'est-ce pas un crime damnable d'être les hérauts de nos desseins criminels?--Nous n'aurons donc pas sa compagnie ce soir?

SECOND OFFICIER.--Non, jusqu'après minuit, car sa ration est d'une heure.

PREMIER OFFICIER.--Elle s'avance à grands pas.--Je voudrais bien qu'il entendît anatomiser son compagnon, afin qu'il pût avoir la mesure de son jugement, où il avait si précieusement établi cette fausse monnaie.

SECOND OFFICIER.--Nous ne nous occuperons pas de lui jusqu'à ce qu'il vienne, car sa présence doit être le jouet de l'autre.

PREMIER OFFICIER.--En attendant, qu'entendez-vous dire de cette guerre?

SECOND OFFICIER.--J'entends dire qu'il y a une ouverture de paix.

PREMIER OFFICIER.--Et même, je vous l'assure, une paix conclue.

SECOND OFFICIER.--Que va donc faire le comte de Roussillon? Voyagera-t-il, ou retournera-t-il en France?

PREMIER OFFICIER.--Je vois bien par cette question que vous n'êtes pas dans sa confidence.

SECOND OFFICIER.--Dieu m'en préserve, monsieur! car alors j'aurais grande part à ses actions.

PREMIER OFFICIER.--Sa femme, il y a environ deux mois, a fui sa maison: son prétexte était d'aller faire un pèlerinage à Saint-Jacques-le-Grand; elle a accompli cette religieuse entreprise avec la piété la plus austère; la sensibilité de sa nature est devenue la proie de son chagrin; enfin, elle y a rendu les derniers soupirs, et maintenant elle chante dans le ciel.

SECOND OFFICIER.--Sur quoi cette nouvelle est-elle appuyée?

PREMIER OFFICIER.--En grande partie sur ses propres lettres, qui garantissent la vérité du récit jusqu'à l'instant de sa mort; et sa mort, qu'elle ne pouvait pas annoncer elle-même, est fidèlement confirmée par le curé du lieu.

SECOND OFFICIER.--Le comte est-il instruit de cet événement?

PREMIER OFFICIER.--Oui; et dans toutes ses particularités, de point en point, jusqu'à la plus parfaite certitude de la vérité.

SECOND OFFICIER.--Je suis bien fâché qu'il soit joyeux de cela.

PREMIER OFFICIER.--Comme nous nous empressons quelquefois de nous réjouir de nos pertes!

SECOND OFFICIER.--Et comme nous nous empressons d'autres fois de noyer nos gains dans les larmes! L'honneur distingué que sa valeur s'est acquis ici va être accueilli dans sa patrie par une honte aussi grande.

PREMIER OFFICIER.--La trame de notre vie est un tissu de bien et de mal: nos vertus seraient trop fières si nos fautes ne les châtiaient, et nos crimes seraient au désespoir s'ils n'étaient consolés par nos vertus.--Eh bien! où est votre maître?

LE DOMESTIQUE.--Dans la rue il a rencontré le duc, dont il a pris solennellement congé: Sa Seigneurie va partir demain matin pour la France. Le duc lui a offert des lettres de recommandation pour le roi.

SECOND OFFICIER.--Elles ne sont rien moins que nécessaires, quand la recommandation serait encore plus forte qu'elle ne peut l'être.

(Entre Bertrand.)

LE PREMIER OFFICIER, répondant à l'autre.--En effet, elles ne peuvent être trop flatteuses pour adoucir l'aigreur du roi.--Voici le comte qui s'avance.--Eh bien! comte, ne sommes-nous pas après minuit?

BERTRAND.--J'ai, cette nuit, expédié seize affaires d'un mois de travail chacune, dont j'ai abrégé le succès: j'ai pris congé du duc, fait mes adieux à ses parents, enterré une femme, pris le deuil pour elle, écrit à madame ma mère que je reviens, préparé mes équipages et ma suite; et, entre les intervalles de ces diverses expéditions, j'ai pourvu à d'autres affaires plus délicates: la dernière était la plus importante, mais elle n'est pas encore finie.

SECOND OFFICIER.--Si l'affaire présente quelque difficulté et que vous partiez d'ici ce matin, il faudra que Votre Seigneurie use de diligence.

BERTRAND.--Je dis que l'affaire n'est pas finie, parce que j'ai quelque peur d'en entendre parler dans la suite. --Mais aurons-nous ce dialogue entre ce faquin et le soldat?--Allons, faites paraître devant nous ce prétendu modèle: il m'a trompé, comme un oracle à double sens.

SECOND OFFICIER.--Qu'on l'amène. (Les soldats sortent.) Le pauvre malheureux a passé toute la nuit dans les ceps.

BERTRAND.--Il n'y a pas de mal à cela: ses talons l'ont bien mérité, pour avoir usurpé si longtemps les éperons 32. Comment se comporte-t-il?

Note 32: (retour) On sait que les éperons étaient un des signes distinctifs du chevalier.

PREMIER OFFICIER.--J'ai déjà eu l'honneur de dire à Votre Seigneurie que ce sont les ceps qui le portent: mais, pour vous répondre dans le sens que vous entendez, il pleure comme une fille qui a répandu son lait; il s'est confessé à Morgan, qu'il croit être un religieux, depuis la première lueur de sa mémoire jusqu'à l'instant fatal où il a été mis dans les ceps. Et que croyez-vous qu'il a confessé?

BERTRAND.--Rien qui me concerne, n'est-ce pas?

SECOND OFFICIER.--On a écrit sa confession, et on la lira devant lui. Si Votre Seigneurie s'y rencontre, comme je le crois, il faut que vous ayez la patience de l'entendre.

(Les soldats entrent conduisant Parolles les yeux bandés.)

BERTRAND.--Que la peste l'étouffé! Comme il est affublé!--Il ne peut rien dire de moi. Silence, silence!

PREMIER OFFICIER.--Voilà le colin-maillard qui vient. (Haut.) Porto tartarossa.

L'INTERPRÈTE, à Parolles.--Le général demande les instruments de torture. Que voulez-vous dire dans cela?

PAROLLES.--J'avouerai tout ce que je sais, sans qu'il soit besoin de contrainte. Quand vous me hacheriez comme chair à pâté, je ne pourrais rien dire de plus.

L'INTERPRÈTE.--Bosko chicurmurco.

SECOND OFFICIER.--Boblibindo chicurmurco.

L'INTERPRÈTE, à l'officier.--Vous êtes un général miséricordieux. (A Parolles.) Notre général vous ordonne de répondre à ce que je vais vous demander, d'après cet écrit.

PAROLLES.--Et j'y répondrai avec vérité, comme j'espère vivre.

L'INTERPRÈTE, lisant un interrogatoire par écrit.--D'abord lui demander quelle est la force du duc en fait de chevaux. Que répondez-vous à cela?

PAROLLES.--Cinq ou six mille chevaux environ, mais affaiblis et hors de service: les troupes sont toutes dispersées, et les chefs sont de pauvres hères: c'est ce que je certifie sur ma réputation, et sur mon espoir de vivre.

L'INTERPRÈTE.--Coucherai-je par écrit votre réponse?

PAROLLES.--Oui, et j'en ferai serment comme il vous plaira.

BERTRAND.--Oh! cela lui est bien égal! (A part.) Quel misérable poltron!

PREMIER OFFICIER, à Bertrand, avec ironie.--Vous vous trompez, seigneur. C'est monsieur Parolles; ce brave militaire (c'était là sa phrase ordinaire) qui portait toute la théorie de la guerre dans le noeud de son écharpe, et toute la pratique dans le fourreau de son poignard.

SECOND OFFICIER.--Je ne me fierai jamais à un homme, parce qu'il aura soin de tenir son épée luisante; ni ne croirai qu'il possède tous les mérites, parce qu'il porte bien son uniforme.

L'INTERPRÈTE, à Parolles.--Allons, la réponse est écrite.

PAROLLES.--Oui, cinq ou six mille chevaux environ, comme je l'ai dit.--Je veux dire le nombre juste, ou à peu de chose près. Écrivez-le;--car je veux dire la vérité.

PREMIER OFFICIER.--Il approche de la vérité là-dessus.

BERTRAND.--Mais, vu la manière dont il le dit, je ne choisirai pas mes mots pour l'en remercier, vu la manière dont il l'a dit.

PAROLLES.--De pauvres hères: je vous prie, écrivez-le.

L'INTERPRÈTE.--Bon; cela est écrit.

PAROLLES.--Je vous en remercie bien. La vérité est la vérité. Ce sont de bien pauvres hères!

L'INTERPRÈTE, lisant.--Lui demander quelle est la force de son infanterie. (A Parolles.) Que dites-vous de cela?

PAROLLES.--Sur ma foi, monsieur, quand je n'aurais plus que cette heure à vivre, je dirai la vérité.--Voyons. Spurio, cent cinquante; Sébastien, autant; Corambus autant; Guiltian, Cosmo, Lodovick, et Gratii, deux cent cinquante chacun; ma compagnie, Chitopher, Vaumont, Bentii, chacun deux cent cinquante; en sorte que toute la troupe, tant sains que malades, ne monte pas, sur ma vie, à quinze mille hommes: et il y en a la moitié qui n'oseraient pas secouer la neige de leur pourpoint, de crainte de tomber eux-mêmes en morceaux.

BERTRAND.--Que lui fera-t-on?

PREMIER OFFICIER, à Bertrand.--Rien autre chose que de le remercier. (A l'interprète.) Interrogez-le sur mon état, et sur le crédit dont je jouis près du duc.

L'INTERPRÈTE, à Parolles.--Allons; cela est écrit. (Lisant.) Vous lui demanderez encore s'il y a dans le camp un certain capitaine Dumaine, un Français: quelle est sa réputation auprès du duc; quelles sont sa valeur, sa probité, et son expérience dans la guerre; ou s'il ne croit pas qu'il fût possible avec de bonnes sommes d'or de le corrompre et de l'engager à la révolte. (A Parolles.) Que dites-vous de ceci? Qu'en savez-vous?

PAROLLES.--Je vous en conjure, laissez-moi répondre en détail à ces questions: faites-moi les demandes séparément.

L'INTERPRÈTE.--Connaissez-vous ce capitaine Dumaine?

PAROLLES.--Je le connais: il était apprenti boucher à Paris, d'où il a été chassé à coups de fouet pour avoir donné un enfant à la servante du shérif 33, une pauvre innocente, muette, qui ne pouvait lui dire non.

Note 33: (retour) Shakspeare place un shérif à Paris; mais shérif veut dire ici prévôt.

(Dumaine, en colère, lève la main.)

BERTRAND.--Allons, avec votre permission, tenez vos mains;--quoique je sache bien que sa cervelle soit vouée à la première tuile qui tombera.

L'INTERPRÈTE.--Ce capitaine est-il dans le camp du duc de Florence?

PAROLLES.--A ma connaissance, il y est: c'est un pouilleux.

PREMIER OFFICIER, à Bertrand qui le regarde.--Allons, ne me considérez pas tant; nous entendrons parler tout à l'heure de Votre Seigneurie.

L'INTERPRÈTE.--Quel cas en fait le duc?

PAROLLES.--Le duc ne le connaît que pour un de mes mauvais officiers, et il m'écrivit l'autre jour de le renvoyer de la troupe: je crois que j'ai sa lettre dans ma poche.

L'INTERPRÈTE.--Ma foi, nous allons l'y chercher.

PAROLLES.--En conscience je ne sais pas: mais ou elle y est, ou elle est enfilée avec les autres lettres du duc, dans ma tente.

L'INTERPRÈTE le fouillant.--La voici: voici un papier: vous le lirai-je?

PAROLLES.--Je ne sais pas si c'est cela, ou non.

BERTRAND, à demi-voix.--Notre interprète fait bien son rôle.

PREMIER OFFICIER.--A merveille.

L'INTERPRÈTE lisant.--Diane.--Le comte est un fou, et chargé d'or...

PAROLLES.--Ce n'est pas la lettre du duc, monsieur: c'est un avertissement à une honnête fille de Florence, nommée Diane, de se défier des séductions d'un certain comte de Roussillon, un jeune et frivole étourdi, mais avec tout cela fort débauché.--Je vous en prie, monsieur, remettez cela dans ma poche.

L'INTERPRÈTE.--Non: il faut d'abord que je le lise, avec votre permission.

PAROLLES.--Mes intentions là-dedans, je le proteste, étaient fort honnêtes en faveur de cette jeune fille; car je connais le comte pour un jeune suborneur très-dangereux: c'est une baleine pour les vierges, qui dévore tout le fretin qu'elle rencontre.

BERTRAND.--Maudit scélérat! double scélérat!

L'INTERPRÈTE lit la note.--«Quand il prodigue les serments, dites-lui de laisser tomber de l'or, et prenez-le. Dès qu'il porte en compte, il ne paye jamais le compte. Un marché bien fait est à demi-gagné; faites donc un marché, et faites-le bien. Jamais il ne paye ses arriérés; faites-vous payer d'avance, et dites, Diane, qu'un soldat vous a dit cela. Il faut épouser les hommes, il ne faut pas embrasser les garçons; car comptez bien que le comte est étourdi: je sais, moi, qu'il payera bien d'avance, mais non pas quand il devra. Tout à vous, comme il vous le jurait à l'oreille.

«Parolles.»

BERTRAND.--Je veux qu'il soit fustigé à travers les rangs de l'armée, avec cet écrit sur le front.

SECOND OFFICIER, avec ironie.--C'est votre ami dévoué, monsieur, ce savant polyglotte 34, ce soldat si puissant par les armes.

BERTRAND.--Je pouvais tout endurer auparavant, hormis un chat; et maintenant il est un chat pour moi.

L'INTERPRÈTE, à Parolles.--Je m'aperçois, monsieur, aux regards de notre général, que nous aurions envie de vous pendre.

PAROLLES.--La vie, monsieur, à quelque prix que ce soit; non pas que j'aie peur de mourir, mais uniquement parce que mes péchés étant en grand nombre, je voudrais m'en repentir le reste de mes jours. Laissez-moi vivre, monsieur, dans une prison, dans les fers, ou partout ailleurs, pourvu que je vive.

L'INTERPRÈTE.--Nous verrons ce qu'il y aura à faire, pourvu que vos aveux soient francs: ainsi, revenons à ce capitaine Dumaine: vous avez déjà répondu sur l'opinion qu'en avait le duc, sur sa valeur aussi: et sa probité, qu'en dites-vous?

PAROLLES.--Monsieur, il volerait un oeuf dans une abbaye 35: pour les rapts et les enlèvements, il égale Nessus. Il fait profession de manquer à ses serments; et pour les rompre, il est plus fort qu'Hercule. Il vous mentira, monsieur, avec une si prodigieuse volubilité, qu'il vous ferait prendre la vérité pour une folle. L'ivrognerie est sa plus grande vertu; car il boira jusqu'à s'enivrer comme un porc; et dans son sommeil il ne fait guère de mal, si ce n'est aux draps qui l'enveloppent: mais on connaît ses habitudes, et on le couche sur la paille. Il me reste bien peu de chose à ajouter, monsieur, sur l'honnêteté, il a tout ce qu'un honnête homme ne doit pas avoir, et rien de ce que doit avoir un honnête homme.

Note 35: (retour) C'est-à-dire, il se ferait pendre pour un liard.

PREMIER OFFICIER.--Je commence à l'aimer pour ce qu'il dit de moi.

BERTRAND.--Pour cette description de votre honnêteté? Que la peste l'étouffe pour ce qui me concerne, moi! Il devient de plus en plus un chat!

L'INTERPRÈTE, à Parolles.--Que dites-vous de son expérience dans la guerre?

PAROLLES.--En conscience, monsieur, il a battu le tambour devant les tragédiens anglais. Le calomnier, je ne le veux pas. Et je n'en sais pas davantage sur sa science militaire, excepté que dans ce pays-là il a eu l'honneur d'être officier dans un endroit qu'on appelle Mile-end 36, avec l'emploi d'apprendre à doubler les files 37. Je voudrais lui faire tout l'honneur que je puis, mais je ne suis pas certain de ce fait.

Note 36: (retour) Hôpital et manufacture de Londres.
Note 37: (retour) Équivoque sur file, fil d'archal et file de soldats.

PREMIER OFFICIER.--Il dépasse tellement la scélératesse ordinaire, que son caractère se rachète par la rareté.

BERTRAND.--Que la peste l'étrangle! c'est toujours un chat.

L'INTERPRÈTE, à Parolles.--Puisque vous faites si peu de cas de ses qualités, je n'ai pas besoin de vous demander si l'or pourrait le débaucher?

PAROLLES.--Monsieur, pour un quart d'écu il vendra sa part de salut et son droit d'héritage dans le ciel; il renoncera à la substitution pour tous ses descendants et l'aliénera à perpétuité sans retour.

L'INTERPRÈTE.--Et son frère, l'autre capitaine Dumaine?

SECOND OFFICIER.--Pourquoi le questionne-t-il sur mon compte?

L'INTERPRÈTE.--Répondez: qu'est-il?

PAROLLES.--C'est un corbeau du même nid. Il n'est pas tout à fait aussi grand que l'autre en bonté, mais il l'est bien plus en méchanceté. Il surpasse son frère en lâcheté, et cependant son frère passe pour un des plus grands poltrons qu'il y ait; dans une retraite, il court mieux que le moindre valet; mais, ma foi, quand il faut charger, il est sujet aux crampes.

L'INTERPRÈTE.--Si l'on vous fait grâce de la vie, entreprendrez-vous de trahir le Florentin?

PAROLLES.--Oui, et le capitaine de sa cavalerie aussi, le comte de Roussillon.

L'INTERPRÈTE.--Je vais le dire à l'oreille du général et savoir ses intentions.

PAROLLES.--Je ne veux plus entendre de tambours: malédiction sur tous les tambours! C'était uniquement pour paraître rendre un service et pour en imposer à ce jeune débauché de comte que je me suis jeté dans le péril; et cependant qui aurait jamais soupçonné une embuscade là où j'ai été pris?

L'INTERPRÈTE, revenant à lui comme avec la réponse du général.--Il n'y a point de remède, monsieur: il vous faut mourir. Le général dit que vous, qui avez si lâchement dévoilé les secrets de votre armée et fait de si indignes portraits d'officiers qui jouissent de la plus haute estime, vous n'êtes bon à rien dans le monde: ainsi il vous faut mourir. Allons, bourreau, abats-lui la tête.

PAROLLES.--O mon Dieu! monsieur, laissez-moi la vie, ou laissez-moi du moins voir ma mort.

L'INTERPRÈTE.--Vous allez la voir; et faites vos adieux à tous vos amis. (Il lui ôte son bandeau.) Tenez, regardez autour de vous. Connaissez-vous quelqu'un ici?

BERTRAND.--Bonjour, brave capitaine.

SECOND OFFICIER.--Dieu vous bénisse, capitaine Parolles!

PREMIER OFFICIER.--Dieu soit avec vous, noble capitaine!

SECOND OFFICIER.--Capitaine, de quoi me chargez-vous pour le seigneur Lafeu? Je pars pour la France.

PREMIER OFFICIER.--Digne capitaine, voulez-vous me donner une copie de ce sonnet que vous avez adressé à Diane en faveur du comte de Roussillon? Si je n'étais pas un poltron, je vous y forcerais: mais adieu, portez-vous bien.

L'INTERPRÈTE.--Vous êtes perdu, capitaine: il n'y a plus rien en vous qui tienne encore que votre écharpe.

PAROLLES.--Qui pourrait ne pas succomber sous un complot?

L'INTERPRÈTE.--Si vous pouviez trouver un pays où il n'y eût que des femmes aussi déshonorées que vous, vous pourriez commencer une nation bien impudente. Adieu, je pars pour la France aussi; nous y parlerons de vous.

(Ils sortent.)

PAROLLES.--Eh bien! je suis encore reconnaissant. Si mon coeur était fier, il se briserait à cette aventure.--Je ne serai plus capitaine; mais je veux manger et boire et dormir aussi à mon aise qu'un capitaine. Ce que je suis encore me fera vivre. Que celui qui se connaît pour un fanfaron tremble à ce dénoûment, car il arrivera que tout fanfaron sera convaincu à la fin d'être un âne. Va te rouiller, mon épée; ne rougissez plus, mes joues; et toi, Parolles, vis en sûreté dans ta honte. Puisque tu es dupé, prospère par la duperie; il y a de la place et des ressources pour tout le monde, je vais les chercher.


SCÈNE IV

A Florence.--Une chambre dans la maison de la veuve.

Entrent HÉLÈNE, LA VEUVE, DIANE.

HÉLÈNE.--Afin de vous convaincre que je ne vous ai pas fait d'injure, un des plus grands princes du monde chrétien sera ma caution; il faut nécessairement qu'avant d'accomplir mes desseins je me prosterne devant son trône. Il fut un temps où je lui rendis un service important, presque aussi cher que sa vie; un service, dont la reconnaissance pénétrerait le sein de pierre du Tartare même pour en faire sortir des remerciements. Je suis informée que Sa Majesté est à Marseille, et nous avons un cortége convenable pour nous conduire dans cette ville. Il faut que vous sachiez que l'on me croit morte. L'armée étant licenciée, mon mari retourne chez lui, et, avec le secours du ciel et l'agrément du roi mon bon maître, nous y serons rendues avant notre hôte.

LA VEUVE.--Douce dame, jamais vous n'avez eu de serviteur qui se soit chargé avec plus de zèle de vos affaires.

HÉLÈNE.--Ni vous, madame, n'avez eu d'ami dont les pensées travaillent avec plus d'ardeur à récompenser votre affection: ne doutez pas que le ciel ne m'ait conduite chez vous pour assurer la dot de votre fille, comme il l'a destinée à être mon appui et mon moyen pour gagner mon mari. Mais que les hommes sont étranges de pouvoir user avec tant de plaisir de ce qu'ils détestent, lorsque, se fiant imprudemment à leurs pensées déçues, ils souillent la nuit sombre! Ainsi, la débauche se repaît de l'objet de ses dégoûts à la place de ce qui est absent. Mais nous parlerons plus tard de cela.--Vous, Diane, il vous faudra souffrir encore pour moi quelque chose, sous là direction de mes faibles instructions.

DIANE.--Que l'honneur et la mort s'accordent ensemble dans ce que vous m'imposerez, et je suis à vous pour souffrir ce que vous voudrez.

HÉLÈNE.--Cependant je vous prie... Mais bientôt le temps amènera la saison de l'été, où les églantiers auront des feuilles aussi bien que des épines, et seront aussi charmants qu'ils sont piquants. Il faut que nous partions; notre voiture est prête, et le temps nous presse. Tout va bien qui finit bien. La fin est la couronne des entreprises; quelle que soit la carrière, c'est la fin qui en décide la gloire.

(Elles sortent.)


SCÈNE V

En Roussillon.--Appartement dans le palais de la comtesse.

Entrent LA COMTESSE, LAFEU, LE BOUFFON.

LAFEU.--Non, non; votre fils a été égaré par un faquin en taffetas, dont l'infâme safran vous teindrait de cette couleur toute la molle et flexible jeunesse d'une nation. Sans ceci, votre belle-fille vivrait encore, et votre fils, qui est ici en France, serait bien plus avancé par le roi sans ce bourdon à queue bigarrée.

LA COMTESSE.--Je voudrais bien ne l'avoir jamais connu, il a tué la plus vertueuse femme dont la création ait fait l'honneur à la nature. Quand elle aurait été de mon sang et qu'elle m'eût coûté les tendres gémissements d'une mère, jamais ma tendresse pour elle n'eût pu être plus profonde.

LAFEU.--C'était une bonne dame: nous pouvons bien cueillir mille salades avant d'y retrouver une herbe pareille.

LE BOUFFON.--Oh! oui, monsieur; elle était ce qu'est la douce marjolaine dans une salade, ou plutôt l'herbe de grâce 38.

LAFEU.--Ce ne sont pas là des herbes à salade, faquin, ce sont dès herbes pour le nez.

LE BOUFFON.--Je ne suis pas un grand Nabuchodonosor, monsieur; je ne me connais pas beaucoup en herbes.

LAFEU.--Qui fais-tu profession d'être? coquin ou fou?

LE BOUFFON.--Fou, monsieur, au service d'une femme, et coquin au service d'un homme.

LAFEU.--Que veut dire cette distinction?

LE BOUFFON.--Je voudrais escamoter à un homme sa femme et faire son service.

LAFEU.--Comme cela, vraiment, tu serais un coquin à son service.

BOUFFON.--Et je donnerais à sa femme ma marotte 39 pour faire son service.

Note 39: (retour) Court bâton surmonté d'une tête; c'était le sceptre des fous.

LAFEU.--Allons, j'en conviens, tu es à la fois un coquin et un fou.

LE BOUFFON.--A votre service.

LAFEU.--Non, non, non.

LE BOUFFON.--Eh bien! monsieur, si je ne vous sers pas, je puis servir un aussi grand prince que vous.

LAFEU.--Qui est-ce? Est-ce un Français?

LE BOUFFON.--Ma foi, monsieur, il a un nom anglais, mais sa physionomie est plus chaude 40 en France qu'en Angleterre.

Note 40: (retour) Allusion à la maladie française, Morbus gallicus.

LAFEU.--Quel est ce prince?

LE BOUFFON.--Le prince noir, monsieur: Alias, le prince des ténèbres; Alias, le diable.

LAFEU.--Arrête-là, voilà ma bourse. Je ne te la donne pas pour te débaucher du service du maître dont tu parles: continue de le servir.

LE BOUFFON.--Je suis né dans un pays de bois, monsieur, et j'ai toujours aimé un grand feu, et le maître dont je parle entretient toujours bon feu. Mais puisqu'il est le prince du monde, que sa noblesse se tienne à sa cour. Je suis, moi, pour la maison à porte étroite, que je crois trop petite pour que la pompe puisse y passer; quelques personnes qui s'humilient le pourront; mais le grand nombre sera trop frileux et trop délicat, et ils préféreront le chemin fleuri qui conduit à la porte large et au grand brasier.

LAFEU.--Va ton chemin: je commence à être las de toi, et je t'en préviens d'avance, parce que je ne voudrais pas me disputer avec toi. Va-t'en; veille à ce qu'on ait bien soin de mes chevaux sans tour de ta façon.

LE BOUFFON.--Si je leur joue quelques tours, ce ne seront jamais que des tours de rosse; ce qui est leur droit par la loi de nature.

(Il sort.)

LAFEU.--Un rusé coquin, un mauvais drôle!

LA COMTESSE.--C'est vrai. Feu mon seigneur s'en divertissait beaucoup. C'est par sa volonté qu'il reste ici, et il s'en autorise pour se permettre ses impertinences. Et en effet, il n'a aucune marche réglée: il court où il veut.

LAFEU.--Il me plaît beaucoup; ses bouffonneries ne sont pas hors de saison.--J'allais vous dire que depuis que j'ai appris la mort de cette bonne dame, et que monseigneur votre fils était sur le point de revenir chez lui, j'ai prié le roi mon maître de parler en faveur de ma fille: c'est Sa Majesté qui, gracieusement, m'en fit elle-même la première proposition, lorsque tous les deux étaient encore mineurs. Le roi m'a promis de l'effectuer; et pour éteindre le ressentiment qu'il a conçu contre votre fils, il n'y a pas de meilleur moyen. Votre Seigneurie goûte-t-elle cela?

LA COMTESSE.--J'en suis très-satisfaite, seigneur, et je désire que cela s'accomplisse heureusement.

LAFEU.--Sa Majesté revient en poste de Marseille avec un corps aussi vigoureux que lorsqu'elle ne comptait que trente ans; elle sera ici demain, ou je suis trompé par un homme qui m'a rarement induit en erreur dans ces sortes d'avis.

LA COMTESSE.--J'ai bien de la joie d'espérer le revoir encore avant de mourir. J'ai des lettres qui m'annoncent que mon fils sera ici ce soir. Je conjure Votre Seigneurie de rester avec moi jusqu'à ce qu'ils se soient rencontrés.

LAFEU.--Madame, j'étais occupé à songer de quelle manière je pourrais être admis en sa présence.

LA COMTESSE.--Vous n'avez besoin, monsieur, que de faire valoir vos droits honorables.

LAFEU.--Madame, j'en ai fait un usage bien téméraire, mais je rends grâces à Dieu de ce qu'ils durent encore.

(Le bouffon revient.)

LE BOUFFON.--Oh! madame, voilà monseigneur votre fils avec un morceau de velours sur la figure; s'il y a ou non une cicatrice dessous, le velours le sait: mais c'est un fort beau morceau de velours: sa joue gauche est une joue de première qualité, mais il porte sa joue droite toute nue.

LA COMTESSE.--Une noble blessure, une blessure noblement gagnée est une belle livrée d'honneur: il y a apparence qu'elle est de cette espèce.

LE BOUFFON.--Mais c'est une figure qui a l'air d'être grillée.

LAFEU.--Allons voir votre fils, je vous prie. J'ai hâte de causer avec ce jeune et noble soldat.

LE BOUFFON.--Ma foi, ils sont une douzaine en élégants et fins chapeaux, avec de galantes plumes qui s'inclinent et font la révérence à tout le monde.

(Tous sortent.)

FIN DU QUATRIÈME ACTE.




ACTE CINQUIÈME


SCÈNE I

Marseille.--Une rue.

Entrent HÉLÈNE, LA VEUVE, DIANE, et deux domestiques.

HÉLÈNE.--Certainement vous devez être excédée de courir ainsi la poste jour et nuit: nous ne pouvons faire autrement; mais puisque vous avez déjà sacrifié tant de jours et de nuits, et fatigué vos membres délicats pour me rendre service, soyez-en sûre, vous êtes si profondément enracinée dans ma reconnaissance, que rien ne saurait vous en arracher.--Dans des temps plus heureux... (Entre un officier de la fauconnerie 41.) Ce gentilhomme pourrait peut-être m'obtenir une audience du roi, s'il voulait employer son crédit.--Dieu vous garde, monsieur.

Note 41: (retour) stringer, dérivé d'ostercus.

LE GENTILHOMME.--Et vous aussi, madame.

HÉLÈNE.--Monsieur, je vous ai vu à la cour de France.

LE GENTILHOMME.--J'y ai passé quelque temps.

HÉLÈNE.--Je pense, monsieur, que vous n'êtes pas déchu de la réputation d'être obligeant; c'est pourquoi, poussée par une nécessité très-pressante qui met de côté les compliments, je vous mets à même de faire usage de vos vertus, et je vous en serai éternellement reconnaissante.

LE GENTILHOMME.--Que désirez-vous?

HÉLÈNE.--Que vous ayez la bonté de donner ce petit mémoire au roi et de vouloir bien m'aider de tout votre crédit pour obtenir la faveur de lui être présentée.

LE GENTILHOMME.--Le roi n'est point ici.

HÉLÈNE.--Il n'est point ici, monsieur?

LE GENTILHOMME.--Non, en vérité. Il est parti d'ici hier au soir, et avec plus de précipitation qu'il n'a coutume.

LA VEUVE.--Grand Dieu! toutes nos peines sont perdues!

HÉLÈNE.--Tout est bien qui finit bien, quoique le sort nous paraisse si contraire et les moyens si défavorables. (Au gentilhomme.) De grâce, où est-il allé?

LE GENTILHOMME.--Vraiment, à ce que j'ai entendu dire, il est parti pour le Roussillon, où je vais aussi.

HÉLÈNE.--Je vous en conjure, monsieur, comme probablement vous verrez le roi avant moi, de remettre ce petit mémoire entre les mains de Sa Majesté; j'espère que vous n'en recevrez aucun blâme et que vous serez, au contraire, bien aise de la peine que vous aurez prise. J'arriverai après vous avec toute la diligence qu'il nous sera possible de faire.

LE GENTILHOMME.--Je ferai cela pour vous obliger.

HÉLÈNE.--Et vous verrez qu'on vous en remerciera bien, sans ce qui pourra en arriver de plus.--Il nous faut remonter à cheval. (A sa suite.) Allez, allez, faites vite tout préparer.

(Elles sortent.)


SCÈNE II

La scène est en Roussillon.--Une cour intérieure dans le palais
de la comtesse.

Entrent LE BOUFFON, PAROLLES.

PAROLLES.--Mon cher monsieur Lavatch, donnez cette lettre à monseigneur Lafeu. J'ai autrefois, monsieur, été mieux connu de vous quand j'étais revêtu d'habits plus frais; mais aujourd'hui je suis tombé dans le fossé de la Fortune, et j'exhale une forte odeur de sa cruelle disgrâce.

LE BOUFFON.--Ma foi, les disgrâces de la fortune sont bien mal tenues, si tu sens aussi fort que tu le dis. Je ne veux plus désormais manger de poisson au beurre de la Fortune. Je te prie, mets-toi au-dessous du vent.

PAROLLES.--Oh! vous n'avez pas besoin, monsieur, de vous boucher le nez; je ne parlais que par métaphore.

LE BOUFFON.--En vérité, monsieur, si vos métaphores 42 sentent mauvais, je me boucherai le nez, et je le ferais devant les métaphores de qui que ce soit.--Allons, je t'en prie, éloigne-toi.

Note 42: (retour) Shakspeare fait ici la faute en donnant le précepte.

Quoniam hæc, dit Cicéron, vel summa laus est in verbis transferendis ut sensim feriat id quod translatum sit, fugienda est omnis turpitudo earum rerum, ad quas eorum animos qui audiunt trahet similitudo. Nolo morte dici Africani castratam esse rempublicam. Nolo stercus curiæ dici Glauciam. (De Orat.)

PAROLLES.--Monsieur, je vous en conjure, remettez pour moi ce papier.

LE BOUFFON.--Pouah!--Éloigne-toi, je te prie; un papier de la chaise percée de la Fortune pour donner à un gentilhomme! Tiens, le voici lui-même. (Entre Lafeu. A Lafeu.) Voici un minet de la Fortune, monsieur, ou du petit chat de la Fortune (mais un petit chat qui ne sent pas le musc), qui est tombé dans le sale réservoir de ses disgrâces, d'où, comme il le dit, il est sorti tout fangeux. Je vous prie, monsieur, de traiter la carpe du mieux que vous pourrez, car il a l'air d'un vaurien bien pauvre, bien déchu, ingénieux, fou et fripon. Je compatis à son malheur avec mes sourires de consolation, et je l'abandonne à Votre Seigneurie.

PAROLLES.--Monseigneur, je suis un homme que la Fortune a cruellement égratigné.

LAFEU.--Et que voulez-vous que j'y fasse? il est trop tard maintenant pour lui rogner les ongles. Quel est le mauvais tour que vous avez joué à la Fortune pour qu'elle vous ait si fort égratigné; car c'est par elle-même une fort bonne dame, qui ne souffre pas que les coquins prospèrent longtemps à son service? Tenez, voilà un quart d'écu pour vous; que les juges de paix vous réconcilient, vous et la Fortune; j'ai d'autres affaires.

PAROLLES.--Je supplie Votre Seigneurie de vouloir bien entendre un seul mot.

LAFEU.--Tu veux encore quelques sous de plus? les voilà: économise tes paroles.

PAROLLES.--Mon nom, mon bon seigneur, est Parolles.

LAFEU.--Vous demandez donc à dire plus d'un mot 43?--Maudit soit mon emportement! Donnez-moi la main. Comment va votre tambour?

Note 43: (retour) Pointe sur le nom de Parolles.

PAROLLES.--O mon bon seigneur! vous êtes celui qui m'avez découvert le premier.

LAFEU.--Comment, c'est moi, vraiment? Et je suis le premier qui t'ai perdu.

PAROLLES.--Il ne tient qu'à vous, seigneur, de me faire rentrer un peu en grâce, car c'est vous qui m'en avez chassé.

LAFEU.--Fi donc! coquin; veux-tu que je sois à la fois Dieu et diable, que l'un te fasse entrer en grâce et que l'autre t'en chasse? (Bruit de trompettes.) Voici le roi qui vient: je le reconnais à ses trompettes. Faquin, informez-vous de moi; j'ai encore hier au soir parlé de vous. Quoique vous soyez un fou et un vaurien, vous aurez à manger. Venez, suivez-moi.

PAROLLES.--Je bénis Dieu pour vos bontés.

(Il sort.)


SCÈNE III

La scène est toujours en Roussillon.--Appartement dans le palais
de la comtesse.

FANFARES. LE ROI, LA COMTESSE, LAFEU, LES DEUX
SEIGNEURS FRANÇAIS, gentilshommes, gardes.

LE ROI.--Nous avons perdu en elle un joyau précieux, et notre réputation en a été fort appauvrie; mais votre fils, égaré par sa propre folie, n'a pas eu assez de sens pour sentir toute l'étendue de son mérite.

LA COMTESSE.--C'est passé, sire; et je conjure Votre Majesté de regarder cette révolte comme un écart naturel dans l'ardeur de la jeunesse, lorsque l'huile et le feu, trop impétueux pour la force de la raison, la maîtrisent et brûlent toujours.

LE ROI.--Honorable dame, j'ai tout pardonné et tout oublié, quoique ma vengeance fût armée contre lui et n'attendît que le moment de frapper.

LAFEU.--Je dois le dire, si Votre Majesté veut bien me le permettre: le jeune comte a cruellement offensé Votre Majesté, sa mère et sa femme; mais c'est à lui-même qu'il a fait le plus grand tort; il a perdu une femme dont les charmes étonnaient les yeux les plus riches en souvenirs de beauté, dont la voix captivait toutes les oreilles, et qui possédait tant de perfections, que des coeurs qui dédaignaient de servir l'appelaient humblement leur maîtresse.

LE ROI.--L'éloge de l'objet qu'on a perdu en rend le souvenir plus cher. Eh bien! faites-le venir; nous sommes réconciliés, et la première entrevue effacera tout le passé. Qu'il ne me demande point pardon, le sujet de sa grande offense n'existe plus, et nous ensevelissons les restes de nos ressentiments dans un abîme plus profond que l'oubli; qu'il vienne comme un étranger et non comme un criminel, et dites-lui bien que c'est là notre volonté.

UN SEIGNEUR FRANÇAIS.--Je le lui dirai, sire.

LE ROI, à Lafeu.--Que dit-il de votre fille? Lui avez-vous parlé?

LAFEU.--Tout ce qu'il a est aux ordres de Votre Majesté.

LE ROI.--Nous aurons donc une noce. J'ai reçu des lettres qui le couvrent de gloire.

(Bertrand entre,)

LAFEU.--Il a tout pour plaire.

LE ROI.--Je ne suis point un jour de la saison, car tu peux voir au même instant sur mon front et le soleil et la grêle. Mais à présent ces nuages menaçants font place aux plus brillants rayons; ainsi approche, le temps est beau de nouveau.

BERTRAND.--O mon cher souverain! pardonnez-moi des fautes expiées par un profond repentir.

LE ROI.--Tout est oublié. Ne parlons plus du passé. Saisissons par les cheveux le présent, car nous sommes vieux, et le temps glisse sans bruit sur nos décisions les plus rapides, et les efface avant qu'elles soient accomplies. Vous vous rappelez la fille de ce seigneur?

BERTRAND.--Avec admiration, mon prince. J'avais d'abord jeté mon choix sur elle avant que mon coeur osât le révéler par ma bouche: d'après la vive impression qu'elle avait faite sur mes yeux, le mépris me prêta sa dédaigneuse lunette, qui défigura tous les traits des autres beautés, ternit leurs plus belles couleurs, ou me les représenta comme empruntées, elle allongeait ou raccourcissait les proportions de leur visage pour en faire un objet hideux: de là vint que celle dont tous les hommes chantaient les louanges, et que moi-même j'ai aimée depuis que je l'ai perdue, semblait dans mon oeil un grain de poussière qui le blessait.

LE ROI.--C'est bien s'excuser. Cet amour efface quelques articles de ton long compte; mais l'amour qui vient trop tard (semblable au pardon de la clémence attardé) devient un reproche amer pour celui qui l'envoie, et lui crie sans cesse: «C'est ce qui est bon qui est perdu.» Nos téméraires préventions ne font aucun cas des objets précieux que nous possédons: nous ne les connaissons qu'en voyant leur tombeau. Souvent nos ressentiments, injustes envers nous-mêmes, détruisent nos amis, et nous allons ensuite pleurer sur leurs cendres; l'amitié se réveille et pleure en voyant ce qui est arrivé, tandis que la haine honteuse dort toute la journée. Que ce soit là l'éloge funèbre de l'aimable Hélène, et maintenant oublions-la. Envoie tes gages d'amour à la belle Madeleine; tu as obtenu les consentements les plus importants, et je resterai ici pour voir les secondes noces de notre veuf.

LA COMTESSE.--Que le ciel prospère la bénisse davantage que la première, ou que je meure avant qu'ils s'unissent!

LAFEU.--Viens, mon fils, toi en qui doit se confondre le nom de ma maison. Donne-moi quelque gage de tendresse qui brille aux yeux de ma fille et qui l'engage à se rendre ici promptement. (Bertrand lui donne un anneau.) Par ma vieille barbe et par chacun de ses poils, Hélène, qui est morte, était une charmante créature!--C'est un anneau semblable à celui-ci que j'ai vu à son doigt la dernière fois que j'ai pris congé d'elle à la cour.

BERTRAND.--Il n'a jamais été à elle.

LE ROI.--Donnez, je vous prie, que je le voie; car mon oeil, quand je parlais, était souvent attaché sur cet anneau: il était à moi jadis; je lui recommandai, si jamais elle se trouvait dans des circonstances où elle eût besoin de secours, de m'envoyer ce gage, en promettant que je l'aiderais sur l'heure. Auriez-vous eu la perfidie de la dépouiller de ce qui pouvait lui être si utile?

BERTRAND.--Mon gracieux souverain, quoiqu'il vous plaise de le croire ainsi, cet anneau n'a jamais été à elle.

LA COMTESSE.--Mon fils, sur ma vie, je le lui ai vu porter, et elle y attachait autant de prix qu'à sa vie.

LAFEU.--Je suis sûr de le lui avoir vu porter.

BERTRAND.--Vous vous trompez, seigneur; elle ne l'a jamais vu. Il m'a été jeté par une fenêtre à Florence, enveloppé dans un papier où était le nom de celle qui l'avait jeté: c'était une fille noble, et elle me crut dès lors engagé avec elle. Mais quand j'eus répondu à ma bonne fortune, et qu'elle fut pleinement informée que je ne pouvais répondre aux vues honorables dont elle m'avait fait l'ouverture, elle y renonça avec un grand chagrin; mais elle ne voulut jamais reprendre l'anneau.

LE ROI.--Plutus même, qui connaît la teinture dont la vertu multiplie l'or 44, n'a pas des secrets de la nature une connaissance plus parfaite que je n'en ai, moi, de cet anneau. C'était le mien, c'était celui d'Hélène, qui que ce soit qui vous l'ait donné: ainsi, si vous vous connaissez bien vous-même, avouez que c'était le sien, et dites par quelle violence vous le lui avez ravi. Elle avait pris tous les saints à témoin qu'elle ne l'ôterait jamais de son doigt que pour vous le donner à vous-même dans le lit nuptial (où vous n'êtes jamais entré), ou qu'elle nous l'enverrait dans ses plus grands revers.

Note 44: (retour) Allusion aux alchimistes.

BERTRAND.--Elle ne l'a jamais vu.

LE ROI.--Comme il est vrai que j'aime l'honneur, tu dis un mensonge, et tu fais naître en moi des inquiétudes, des soupçons que je voudrais étouffer...--Cela ne peut pas être;--cependant je ne sais.--Tu la haïssais mortellement, et elle est morte! et rien, à moins que d'avoir moi-même fermé ses yeux, ne peut mieux m'en convaincre que la vue de cet anneau.--Qu'on l'emmène. (Les gardes s'emparent de Bertrand.) Quel que soit l'événement, j'ai fait mes preuves qui absoudront mes craintes du reproche de légèreté.--Peut-être ai-je trop légèrement renoncé à mes premières craintes. Qu'on l'emmène: nous voulons approfondir cette affaire.

BERTRAND.--Si vous pouvez prouver que cet anneau était à elle, vous prouverez aussi aisément que je suis entré dans son lit à Florence, où jamais elle n'a mis le pied.

(Les gardes emmènent Bertrand.)

(Un gentilhomme entre.)

LE ROI.--Je suis enveloppé de sombres pensées.

LE GENTILHOMME.--Mon gracieux souverain, j'ignore si j'ai bien ou mal fait: voici le placet d'une Florentine, qui a manqué quatre ou cinq fois l'occasion de vous le remettre elle-même. Je m'en suis chargé, attendri par les grâces touchantes de cette pauvre suppliante que je sais être, à l'heure qu'il est, arrivée ici. On lit dans ses regards inquiets l'importance de sa requête; et elle m'a dit en quelques mots touchants que Votre Majesté y était elle-même intéressée.

LE ROI prend et lit la lettre.--«Grâce à plusieurs protestations de m'épouser quand sa femme serait morte, je rougis de le dire, il m'a séduite. Aujourd'hui le comte de Roussillon est veuf, sa foi m'est engagée, et je lui ai livré mon honneur. Il est parti furtivement de Florence, sans prendre congé de personne, et je le suis dans sa patrie pour y demander justice. Rendez-la-moi, sire; vous le pouvez: autrement un séducteur triomphera, et une pauvre fille est perdue.

Diane Capulet.»

LAFEU.--Je m'achèterai un gendre à la foire, et je payerai les droits 45: je ne veux point de celui-ci.

Note 45: (retour) Allusion au droit de péage qu'on paye à la foire pour les chevaux.

LE ROI.--Les cieux te protègent, Lafeu, puisqu'ils ont mis au jour cette découverte. Qu'on cherche cette infortunée: allez promptement, et qu'on ramène ici le comte. (Le gentilhomme sort avec quelques autres personnes de la suite du roi; les gardes ramènent Bertrand.)--Je tremble, madame, qu'on n'ait traîtreusement arraché la vie à Hélène.

LA COMTESSE.--Eh bien! justice sur les assassins!

LE ROI, à Bertrand.--Je m'étonne, seigneur, puisque les femmes sont des monstres à vos yeux, puisque vous les fuyez après leur avoir juré mariage, que vous désiriez vous marier.--Quelle est cette femme?

(Entrent la veuve et Diane.)

DIANE.--Je suis, seigneur, une malheureuse Florentine, descendue des anciens Capulets. Ma prière, à ce que j'entends, vous est connue. Vous savez donc aussi combien je suis digne de pitié.

LA VEUVE.--Et moi, sire, je suis sa mère, seigneur, dont l'âge et l'honneur souffrent également des affronts dont nous nous plaignons ici; tous deux succomberont si vous n'y portez remède.

LE ROI.--Approchez, comte. Connaissez-vous ces femmes?

BERTRAND.--Mon prince, je ne puis ni ne veux nier que je les connaisse. De quoi m'accusent-elles?

DIANE.--Pourquoi affectez-vous de ne pas reconnaître votre femme?

BERTRAND.--Elle ne m'est rien, seigneur.

DIANE.--Si vous vous mariez, vous donnerez cette main, et cette main est à moi; vous donnerez les voeux prononcés devant le ciel, et ils sont à moi; en vous donnant à une autre, vous me donnerez moi-même (et cependant je suis à moi); car je suis tellement incorporée avec vous par le noeud de vos serments, qu'on ne saurait vous épouser sans m'épouser aussi; ou tous les deux, ou ni l'un ni l'autre.

LAFEU, à Bertrand.--Votre réputation baisse trop pour prétendre à ma fille: vous n'êtes pas un mari pour elle.

BERTRAND.--C'est, mon prince, une créature folle et effrontée, avec laquelle j'ai badiné quelquefois. Que Votre Majesté prenne une plus noble idée de mon honneur, que de croire que je voulusse m'abaisser si bas.

LE ROI.--Monsieur, vous n'aurez point mon opinion en votre faveur, jusqu'à ce que vos actions l'aient méritée. Prouvez-moi que votre honneur est au-dessus de l'opinion que j'en ai.

DIANE.--Bon roi, demandez-lui d'attester avec serment qu'il ne croit pas avoir eu ma virginité.

LE ROI.--Que lui réponds-tu?

BERTRAND.--C'est une impudente, mon prince; elle était prostituée à tout le camp.

DIANE.--Il m'outrage, seigneur. S'il en était ainsi, il m'aurait achetée à vil prix. Ne le croyez pas. Oh! voyez cet anneau, dont l'éclat et la richesse n'ont point de pareil: eh bien! il l'a cependant donné à une femme prostituée à tout le camp, si j'en suis une.

LA COMTESSE.--Il rougit, et c'est le sien. Ce joyau, depuis six générations, a été légué par testament et porté de père en fils. C'est sa femme; cet anneau vaut mille preuves.

LE ROI.--Vous avez dit, ce me semble, que vous aviez vu ici quelqu'un à la cour, qui pourrait en rendre témoignage?

DIANE.--Cela est vrai, mon seigneur; mais il me répugne de produire un témoin aussi vil: son nom est Parolles.

LAFEU.--J'ai vu l'homme aujourd'hui, si c'est un homme.

LE ROI.--Qu'on le cherche, et qu'on l'amène ici.

BERTRAND.--Que voulez-vous de lui? Il est déjà noté pour le plus perfide scélérat, par toutes les actions basses et odieuses du monde, et la vérité répugne à sa nature même. Me tiendrez-vous pour ceci ou pour cela sur le témoignage d'un misérable, qui dira tout ce qu'on voudra?

LE ROI.--Elle a cet anneau, qui est le vôtre.

BERTRAND.--Je crois qu'elle l'a: il est certain que j'ai eu du goût pour elle, et que je l'ai recherchée avec l'étourderie de la jeunesse. Elle connaissait la distance qu'il y avait entre elle et moi; elle m'a amorcé, et elle piqua mes désirs par ses refus, comme il arrive que tous les obstacles que rencontre un caprice ne font qu'en accroître l'ardeur. Enfin, ses agaceries secondant ses attraits ordinaires, elle m'amena au prix qu'elle avait mis à ses faveurs: elle obtint l'anneau; et moi, j'eus ce que tout subalterne aurait pu acheter au prix du marché.

DIANE.--Il faut que j'aie de la patience! Vous qui avez chassé votre première femme, une si noble dame, vous pouvez bien me priver aussi de mes droits sur vous. Je vous prie cependant (car, puisque vous êtes sans vertu, je perdrai mon mari), envoyez chercher votre anneau: je vous le rendrai, si vous me rendez le mien.

BERTRAND.--Je ne l'ai pas.

LE ROI.--Comment était votre anneau, je vous prie?

DIANE.--Il ressemblait beaucoup à celui que vous portez au doigt.

LE ROI.--Connaissez-vous cet anneau? Cet anneau était autrefois au comte.

DIANE.--Et c'est celui que je lui avais donné quand il est entré dans mon lit.

LE ROI.--Alors son histoire est fausse; il dit que vous le lui avez jeté d'une fenêtre.

DIANE.--J'ai dit la vérité.

(Parolles entre.)

BERTRAND.--J'avoue, mon prince, que cet anneau était à elle.

LE ROI.--Tu balbuties étrangement; une plume te fait tressaillir.--Est-ce là cet homme dont vous me parliez?

DIANE.--C'est lui, mon prince.

LE ROI, à Parolles.--Dites-moi, drôle, mais dites-moi la vérité: je vous l'ordonne, sans craindre le déplaisir de votre maître, dont je saurai bien vous défendre si vous êtes sincère. Que savez-vous de ce qui s'est passé entre lui et cette femme?

PAROLLES.--Sous le bon plaisir de Votre Majesté, mon maître a toujours été un gentilhomme honorable. Il a joué quelquefois de ces tours que font tous les gentilshommes.

LE ROI.--Allons, allons au fait. A-t-il aimé cette femme?

PAROLLES.--Oui, sire, il l'a aimée: mais comment?

LE ROI.--Comment, je vous prie?

PAROLLES.--Il l'a aimée, mon prince, comme un gentilhomme aime une femme.

LE ROI.--Que voulez-vous dire?

PAROLLES.--Qu'il l'aimait, sire, et qu'il ne l'aimait pas.

LE ROI.--Comme tu es un coquin et n'es pas un coquin, n'est-ce pas? Quel drôle est cet homme-ci avec ses équivoques!

PAROLLES.--Je suis un pauvre homme, et aux ordres de Votre Majesté.

LAFEU.--C'est un fort bon tambour, mon prince, mais un méchant orateur.

DIANE.--Savez-vous qu'il m'a promis le mariage?

PAROLLES.--Vraiment, j'en sais plus que je n'en dirai.

LE ROI.--Tu ne veux donc pas dire tout ce que tu sais?

PAROLLES.--Je le dirai, si c'est le bon plaisir de Votre Majesté. J'étais leur entremetteur à tous deux, comme je vous l'ai dit: mais plus que cela, il l'aimait; car, en vérité, il en était fou, et il parlait de Satan, des limbes, des furies et de je ne sais quoi; et j'étais si fort en crédit que je savais quand ils se couchaient et mille autres circonstances, comme, par exemple, des promesses de l'épouser, et des choses qui m'attireraient de la malveillance si je les révélais: c'est pourquoi je ne dirai pas ce que je sais.

LE ROI.--Tu as déjà tout dit, à moins que tu ne puisses ajouter qu'ils sont mariés; mais tu es trop fin dans tes dépositions: ainsi, retire-toi. (A Diane.) Cet anneau, dites-vous, était le vôtre?

DIANE.--Oui, mon prince.

LE ROI.--Où l'avez-vous acheté, ou qui vous l'a donné?

DIANE.--Il ne m'a point été donné et je ne l'ai point acheté non plus.

LE ROI.--Qui vous l'a prêté?

DIANE.--Il ne m'a point non plus été prêté.

LE ROI.--Où donc l'avez-vous trouvé?

DIANE.--Je ne l'ai pas trouvé.

LE ROI.--Si vous ne l'avez acquis par aucun de ces moyens, comment avez-vous pu le donner à Bertrand?

DIANE.--Je ne le lui ai jamais donné.

LAFEU.--Cette femme, mon prince, est comme un gant large: on la met et on l'ôte comme on veut.

LE ROI.--L'anneau était à moi; je l'ai donné à sa première femme.

DIANE.--Il a pu être à vous ou à elle, pour ce que j'en sais.

LE ROI.--Qu'on l'emmène, elle commence à me déplaire. Qu'on la mène en prison et lui aussi. Si tu ne me dis point d'où tu as cet anneau, tu vas mourir dans une heure.

DIANE.--Je ne vous le dirai jamais.

LE ROI.--Qu'on l'emmène.

DIANE.--Je vous donnerai une caution, mon prince.

LE ROI.--Je te crois maintenant une prostituée.

DIANE.--Grand Jupiter! si jamais j'ai connu un homme, c'est vous.

LE ROI.--Pourquoi donc accuses-tu Bertrand depuis tout ce temps?

DIANE.--Parce qu'il est coupable et qu'il n'est pas coupable. Il sait que je ne suis plus vierge, et il en ferait serment. Moi, je ferai serment que je suis vierge, et il ne le sait pas. Grand roi, je ne suis point une prostituée; sur ma vie, je suis vierge, ou (montrant Lafeu) la femme de ce vieillard.

LE ROI.--Elle abuse de ma patience. Qu'on la mène en prison.

DIANE.--Ma bonne mère, allez chercher ma caution. Attendez un moment, mon royal seigneur (la veuve sort): on est allé chercher le joaillier à qui appartient l'anneau, et il sera ma caution; mais pour ce jeune seigneur (à Bertrand) qui m'a abusée, comme il le sait lui-même, quoique cependant il ne m'ait jamais fait aucun tort, je le renonce ici. Il sait lui-même qu'il a souillé ma couche: et alors même il a fait un enfant à son épouse; quoiqu'elle soit morte, elle sent remuer son enfant. Ainsi, voilà mon énigme: une femme morte est vivante, et voici le mot de l'énigme.

(Hélène et la veuve entrent.)

LE ROI.--N'y a-t-il point quelque enchanteur qui me fascine la vue? Est-ce un objet réel que je vois?

HÉLÈNE.--Non, mon bon seigneur, ce n'est que l'ombre d'une épouse que vous voyez; le nom, et non pas la chose.

BERTRAND.--Tous les deux, tous les deux; ah! pardon!

HÉLÈNE.--Oh! mon cher seigneur, lorsque j'étais comme cette jeune fille, je vous ai trouvé bien bon pour moi. Voilà votre anneau, et voyez, voici votre lettre. Elle dit: Lorsque vous posséderez cet anneau que je porte à mon doigt, et que vous serez enceinte de mes oeuvres, etc. Tout cela est arrivé. Voulez-vous être à moi, maintenant que je vous ai conquis deux fois?

BERTRAND.--Si elle peut me prouver cela clairement, je veux, mon prince, l'aimer tendrement, à jamais, à jamais.

HÉLÈNE.--Si je ne vous le démontre pas clairement ou que je sois convaincue de fausseté, que le mortel divorce nous sépare à jamais! (A la comtesse.) O ma bonne mère! je vous revois encore!

LAFEU.--Mes yeux sentent l'oignon, je vais pleurer. Allons (à Parolles), bon Thomas, prête-moi un mouchoir. Bien, je te remercie: va m'attendre à la maison; je m'amuserai de toi. Laisse-là tes politesses, elles ne valent rien.

LE ROI.--Qu'on nous raconte cette histoire de point en point, afin que la certitude de sa vérité nous comble de joie. (A Diane.) Et vous, si vous êtes une fleur encore fraîche et vierge, vous pouvez choisir un époux: je me charge de votre dot; car j'entrevois déjà que, par vos secours honnêtes, vous avez fait qu'une femme est devenue femme en restant vierge. Nous voulons être instruit plus à loisir de cette aventure et de toutes ses circonstances. Déjà tout s'annonce bien; et si la fin est aussi heureuse, l'amertume du passé doit la rendre encore plus douce.

ÉPILOGUE

LE ROI (s'adressant aux spectateurs.)--Le roi n'est plus qu'un suppliant, à présent que la pièce est jouée. Tout est bien fini, si nous obtenons l'expression de votre contentement, que nous reconnaîtrons en faisant chaque jour de nouveaux efforts pour vous plaire. Accordez-nous votre indulgence, et que nos rôles soient à vous. Prêtez-nous des mains favorables, et recevez nos coeurs.

FIN DU CINQUIÈME ET DERNIER ACTE.



Chargement de la publicité...