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Traité touchant le commun usage de l'escriture françoise

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Tu es tant belle, & de grace tant bonne,
Qu'à te servir tout gentil cueur s'addonne.

Necessairement en ce mot, belle, le dernier, e, est mangé: ou aultrement le vers seroit trop long.

Couppe femenine.

Et les Faictistes, qui composent rhythmes en langage vulgaire, appellent cela coupe femenine: c'est à dire abolition de le e, femenin, qui rencontre une aultre voyelle, par laquelle il est aboli apres la quatriesme syllabe du vers. De cecy je parleray plus amplement en l'art poëtique.

' Apostrophe.

Ce dict e, femenin est aulcunesfoys aultrement mangé par Apostrophe. Or l'Apostrophe oste du tout la voyelle finale de ce qui precede la voyelle du mot ensuivant: & faict, qu'elle ne s'escript, ne profere aulcunement: & suffist, que seulement on la marcque au dessus par son petit poinct.

Apostrophe eschet sur monosyllabes.

Devant que de t'en bailler exemple, je t'advertis, qu'Apostrophe eschet principalement sur ces monosyllabes, ce, se, si, te, me, que, ne, je, re, le, la, de. Et combien, que les Françoys n'ayent de coustume de signer ledict Apostrophe, si en usent ilz naturellement, principalement aux monosyllabes dessusdictes, quand le mot ensuivant se commence semblablement par voyelle.

h N'empesche point l'apostrophe en quelques dictions.

Et si d'adventure il se commence par h, cela n'empesche poinct quelque foys l'Apostrophe: car nous disons, & escripvons sans vice, l'honneur, l'homme, l'humilité, & non le honneur, le homme, la humilité. Au contraire nous disons sans Apostrophe le haren, la harendiere, la haulteur, le houzeau, la housse, la hacquebute, le hacquebutier, la hacquenée, le hazard, le hallecret, la hallebarde. Et si ces mots se proferent sans grande aspiration, la faulte est enorme.

h Mal pronuncée par aulcunes provinces.

De laquelle faulte sont pleins les Auvergnats, les Prouvençaulx, les Gascons, & toutes les provinces de la langue d'oc. Car pour le haren il disent l'aren: pour la harendiere, l'arendiere: pour la haulteur, l'aulteur: pour le houzeau, l'ouzeau: pour la housse, l'ousse: pour la honte, l'onte: pour la hacquebute, l'acquebute: pour la hacquenée, l'acquenée: pour le hazard, l'azard: pour le hallecret, l'allecret: pour la hallebarde, l'allebarde. Et non seulement (qui pis est) font ceste faulte au singulier nombre de telles dictions, mais aussi au plurier. Car pour des harens, ilz disent des arens: pour les hacquenées, les acquenées: pour mes houzeaux, mes ouzeaux: pour il me fault, ou je me vois houzer, il me fault ouzer. Or je laisse le vice de ces nations, & reviens à ma matiere.

ce Avec Apostrophe.

Exemple de, ce. C'est grand' follie, de prendre pied à ses parolles. Sans Apostrophe il fauldroit dire: Ce est grand' follie.

cest Sans Apostrophe.

Entends toutes foys, que souvent ce mot, cest, n'a poinct d'Apostrophe: comme quand nous parlons ainsi. Cest oeuvre est digne de louange. Cest homme n'est pas en son bon sens. Cest Allement est trop glorieux.

se Avec Apostrophe.

Exemple de, se. S'adventurant de passer la riviere à pied, il s'est noyé. Pour se adventurant: & pour, il se est noyé.

Son, mon, ton. Reçoipvent Apostrophe.

Note icy que non seulement ceste diction, se, repçoit Apostrophe, mais aussi ces mots la reçoipvent: c'est assavoir, son, mon, ton. Et par cela nous disons m'amye, pour mon amye: & m'amour, pour mon amour: & t'amour, pour ton amour: & s'amour, pour son amour. Et usons de tel parler tant en prose, qu'en rhythme: mais plus souvent en rhythme. Et aussi m'amye, & m'amour, sont dictions plus usitées, que les deux aultres.

si Avec apostrophe.

Exemple de, si. S'il estoit possible, je vouldrois bien faire cela. Pour, si il estoit possible. Toutesfoys tu ne voirras guieres, qu'il reçoive apostrophe avec aultre mot, que ce mot, il.

Exception de cela.

Exemple de toutes aultres voyelles. De la voyelle, a. Si audace estoit prisée, chascun seroit audacieux. De la voyelle, e. Si eloquence est en luy grande, ce n'est de merveille: car il a ung esprit merveilleux: & puis il estudie continuellement en Ciceron. De la voyelle, i. Si ignorance vient à regner, tout est perdu. De la voyelle, o. Si orgueil est en ung homme, je ne le puis frequenter. De la voyelle, u. Si ung homme diligent peult parvenir à richesses, j'espere quelque jour estre riche. En touts ces exemples je confesse, que l'apostrophe y peult escheoir: mais avec apostrophe le parler sera plus rude, que sans apostrophe. Ce que peult facilement juger ung homme d'aureilles delicates. J'exepte tousjours les licences poëtiques, & les laisse en leur entier. Car ung poëte pourra dire (à cause de sa rhythme) s'audace, s'eloquence, s'ignorance, s'orgueil, s'ung homme.

D'avantage il te convient sçavoir, que ceste particule, si, est aulcunes foys conditionnale, ou demonstrative. Et lors elle peult recevoir apostrophe, comme tu as veu aux exemples precedents.

si Pour tant

Aulcunes foys elle se met pour tant, ou tant fort. Et lors elle ne reçoit aulcune apostrophe. Exemple. Il est si ambitieux, si envieux, si injurieux, si oultrageux, que personne ne le peult comporter. Aultre exemple. Ce lieu est si umbrageux, que le fruict n'y peult meurir. C'est à dire, tant ambitieux, tant envieux, tant injurieux, tant oultrageux, tant umbrageux. Alors garde toy de l'apostropher: car il n'y auroit rien si aspre en prolation, que de dire s'ambitieux, s'envieux, s'injurieux, s'oultrageux, s'umbrageux.

ni Ne reçoit pas souvent apostrophe.

Tel est l'usage de ceste particule, ny. Car elle ne reçoit pas bonnement apostrophe, si elle se rencontre devant ung mot commençant par voyelle. Exemple. Je ne veis jamais ni Amboise, ni Envers, ni Italie, ni Orleans, ni umbrage en ce champ. En toutes ces locutions l'apostrophe seroit indecente, & lourde.

te Avec Apostrophe.

Exemple de, te. Je serois marry de t'avoir offensé. Il t'eust bien recompensé, si tu eusses faict cela. Il t'interrogue. Il t'oultrage. Il t'use ta robbe. Pour de te avoir: il te eust: il te interrogue: il te oultrage: il te use.

me Avec apostrophe.

Exemple de, me. Il m'assault. Il m'entend bien. Il m'irrite. Il m'oultrage. Il m'use tous mes habillements. Pour, il me assault: il me entend bien: il me irrite: il me oultrage: il me use.

que Avec apostrophe.

Exemple de, que. C'est bonne chose, qu'argent en necessité. Qu'est ce, que richesse, sans santé? Il fault, qu'il s'y trouve. O qu'orgueil est desplaisant à Dieu! Il n'est sçavoir, qu'usage ne surmonte. Pour, que argent: que est ce: que il se y trouve: que orgueil: que usage.

ne Avec apostrophe.

Exemple de, ne. Je n'ay que ce vice. Il n'est rien si sot. Il n'ignore cela. Cela n'orne point le parler. Je n'use jamais de parfums. Pour, je ne ay: il ne est: il ne ignore: cela ne orne: je ne use.

je Avec Apostrophe.

Exemple de, je. J'ay tousjours peur des calumniateurs. J'entends bien, que tu demandes. J'interpreteray ce livre de Ciceron. Je te donneray à entendre, comme j'ouys cela de luy. J'use souvent de telles figures. Pour, je ay: je entends bien: je interpreteray: je ouys: je use.

re avec apostrophe.

Exemple de, re. Il fault r'assembler ces pieces. Je te r'envoye ton serviteur. Il seroit bon de r'imprimer tes Oeuvres. Il fault r'ouvrir ce coffre. Il seroit bon de r'umbrager ce ply. Pour, re assembler: re envoye: re imprimer: re ouvrir: re umbrager. Et note que, re, signifie de rechef.

le Avec apostrophe.

Exemple de, le. L'avoir n'est rien en ung homme, s'il n'a vertu. L'entendement trop soubdain ne faict pas grand fruict. L'interpreteur de cecy ment. L'orgueil de luy me desplaist. L'usage de tel art est faulx. Pour, le avoir: le entendement: le interpreteur: le orgueil: le usage.

la Avec apostrophe.

Exemple de, la. L'amour est bonne, quand elle est fondée en vertu. L'enfance de luy a esté terrible. L'interpretation de ce lieu est difficile. L'oultrecuidance est grande. L'usance est telle. Pour, la amour: la enfance: la interpretation: la oultrecuidance: la usance.

de Avec apostrophe.

Exemple de ce mot, de. C'est grand' charge d'avoir tant d'enfants. Par faulte d'entendre le Grec, il a failli. Cela part d'invention bien subtile. Ceste response est pleine d'orgueil, & oultrage. Par faulte d'user de bon regime, il est retombé en fiebvre. Pour, de avoir: de entendre: de invention: de orgueil: de user.

' Apocope

Je ne parleray plus de l'apostrophe, et viendray maintenant à declairer, que signifie ung petit poinct semblable à celluy de l'apostrophe. Ce petit poinct est signe d'une figure nommée des Grecs, & Latins Apocope. Et ainsi la nomment aussi les Françoys par faulte d'aultre terme à eulx propre. Ceste figure oste la voyelle, ou syllabe de la fin d'ung mot pour la necessité du vers: ou à fin, que le mot soit plus rond, & mieulx sonnant. Exemple. Pri', suppli', com', hom', quel', el', tel', recommand', encor', avec'. Pour prie, supplie, comme, homme, quelle, elle, telle, recommande, encores, avecques. En prose l'exemple peult estre, grand' chose: quelle quel' soit: pour grande chose: quelle, quelle soit. Car ainsi la prolation est plus doulce, & plus ronde.

Au demeurant, il fault entendre, que les Françoys usent, oultre ce que dessus, de deux sortes de characteres: lesquelz sont de telle figure.

  • ^
  • ¨

Signe de conjunction de voyelles

Touts deux se signent sur voyelles: mais au reste ilz sont bien differents. Le premier est signe de conjunction: le second de division.

^ R'assemble en troys façons.

Le premier r'assemble, r'unit, & conjoinct les parties divisées, & ce en trois façons.

Syncope

La premiere, quand par une figure fort usitée nommée Syncope, concision, ou coupure (car ainsi se peult dire en Françoys) ung mot est syncopé, c'est à dire divisé, & diminué au milieu, puis les deux parties sont rejoinctes ensemble: la division, & reunion d'icelles est signifiée par ledict charactere. Exemple. Lai^rra, pai^ra, vrai^ment, hardi^ment, don^ra. Pour, laissera, paiera, vraiement, hardiement, donnera. Et ainsi font souvent les Latins, comme lon voit aux bonnes impressions, esquelles on treuve diu^um, du^um, vir^um. Pour, divorum, duorum, virorum. La seconde façon de ceste figure est, quand deux mots (desquelz l'ung est detroncqué) sont r'assemblés en ung. Exemple. Au^ous, pour avez vous: qu^avous, pour qu'avez vous: m^avous, pour m'avez vous: n^avous, pour n'avez vous: n^avons, pour nous n'avons. Tel est le commun usage de la langue Françoyse. La tierce façon de ceste figure est, quand deux voyelles sont r'acoursies, & proferées en une, ce qui se faict souvent en rhythme principalement.

ées Syllabe double reduicte en une.

Exemple. Pensées, ou les deux e^e se passent pour ung proferé par traict de temps assés longuet, quasi comme si lon disoit pensés. Et note, que cecy est general en toutes dictions feminines, qui sont formées des dictions masculines, ausquelles la derniere voyelle est masculine, & ce seulement au plurier nombre. Et si tu signes ceste figure sur les deux e^e, il n'y fault point d'accent aigu sur le penultime, e. Exemple. Courroucé, courroucée, courrouce^es: irrité, irritée, irrite^es: suborné subornée, suborne^es. En telle sorte doibt on escrire en rhythme: mais en prose avec ung accent aigu sur le, é, penultime, ainsi: courroucées, irritées, subornées.

Synerese.

Par ceste figure aussi on dict aise^ement, momme^ement, a^age, ou e^age: en faisant de deux syllabes une par synerese, & r'accoursissement.

¨ Dyerese signe de division de voyelles.

Le second charactere dessus mentionné, qui est, ¨, noté sur les voyelles, est celluy, par lequel on faict au contraire de l'aultre, duquel sortons de parler. Car il signifie division, & separation, & que d'une syllabe en sont faictes deux. Exemple. Païs, poëte, pour pa^is, po^ete.

Ce sont les preceptions, que tu garderas, quant aux accents de la langue Françoyse. Lesquelz aussi observeront touts diligents imprimeurs: car telles choses enrichissent fort l'impression, & demonstrent, que ne faisons rien par ignorance.

´ Accent enclitique.

Quant à l'accent enclitique, il n'est point recevable en la langue Françoyse, combien qu'aulcuns soient d'aultre opinion. Lesquelz disent, qu'il eschet en ces dictions, je, tu, vous, nous, on, lon. La forme de cest accent est telle, ´: par ainsi llz vouldroient estre escript en la sorte, qui s'ensuyt. M'attenderai´je à vous? Feras´tu cela? Quand aurons´nous paix? Dict´on tel cas de moy? Voirra´lon jamais ces meschants puniz? Derechef je t'advise, que cela est superflu en la langue Françoyse, & toutes aultres: car telz pronoms demeurent en leur vigueur, encores qu'ilz soient postposés à leurs verbes. Et qui plus est, l'accent enclitique ne convient qu'en dictions indeclinables, comme sont en Latin, ne, ve, que, nam. Qu'ainsi soit, on n'escript point en Latin en ceste forme. Feram´ego id injuriæ? Eris´tu semper tam nullius consilii? Aversabimini´vos semper à vobis pauperes? Tiens doncques pour seur, que tel accent n'est propre aulcunement à nostre langue. Qui sera fin de ce petit Oeuvre.

Fin.

NOTE SUR LA TRANSCRIPTION

On a respecté scrupuleusement la ponctuation et l'orthographe de l'original, incluant l'usage des accents et cédilles. On a néanmoins résolu les abréviations par signes conventionnels (de type "cõme" pour "comme") et distingué les graphies i/j et u/v selon l'usage.

Les nombreux titres de section sont la transcription intégrale des notes en marge de l'original. Les débuts de paragraphes indentés correspondent aux alinéas présents dans l'original, ce qui permet de les distinguer des sauts de paragraphes artificiellement causés par l'insertion d'un titre de section dans notre transcription. (Le texte de Meigret ne comporte aucun alinéa, étant constitué d'un long paragraphe par chapitre; seule la seconde partie de Dolet comporte des alinéas.)

Les symboles particuliers ont été représentés ainsi:

  • [e] un e à boucle semblable au e final des lettres de civilité
  • [f] lettre f retournée de 180°
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