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Ubu Roi, ou, les Polonais

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Scène III


La scène représente la province de Livonie couverte de neige. LES UBS & LEUR SUITE en fuite.


Père Ubu:

—Ah! je crois qu'ils ont renoncé à nous attraper.

Mère Ubu:

—Oui, Bougrelas est allé se faire couronner.

Père Ubu:

—Je ne la lui envie pas, sa couronne.

Mère Ubu:

—Tu as bien raison, Père Ubu.

(Ils disparaissent dans le lointain.)


Scène IV


Le pont d'un navire courant au plus près sur la Baltique. Sur le pont le PÈRE UBU & toute sa bande.


Le Commandant:

—Ah! quelle belle brise.

Père Ubu:

—Il est de fait que nous filons avec une rapidité qui tient du prodige. Nous devons faire au moins un million de nœuds à l'heure et ces nœuds ont ceci de bon qu'une fois faits ils ne se défont pas. Il est vrai que nous avons vent arrière.

Pile:

—Quel triste imbécile.

(Une risée arrive, le navire couche et blanchit la mer.)

Père Ubu:

—Oh! Ah! Dieu! nous voilà chavirés. Mais il va tout de travers, il va tomber ton bateau.

Le Commandant:

—Tout le monde sous le vent, bordez la misaine!

Père Ubu:

—Ah! mais non, par exemple! Ne vous mettez pas tous du même côté! C'est imprudent ça. Et supposez que le vent vienne à changer de côté: tout le monde irait au fond de l'eau et les poissons nous mangeront.

Le Commandant:

—N'arrivez pas, serrez près et plein!

Père Ubu:

—Si! Si! Arrivez. Je suis pressé, moi! Arrivez, entendez-vous! C'est ta faute, brute de capitaine, si nous n'arrivons pas. Nous devrions être arrivés. Oh oh, mais je vais commander, moi, alors! Pare à virer! A Dieu vat. Mouillez, virez vent devant, virez vent arrière. Hissez les voiles, serrez les voiles, la barre dessus, la barre dessous, la barre à côté. Vous voyez, ça va très bien. Venez en travers à la lame et alors ce sera parfait.

(Tous se tordent, la brise fraîchit.)

Le Commandant:

—Amenez le grand foc, prenez un ris aux huniers!

Père Ubu:

—Ceci n'est pas mal, c'est même bon! Entendez-vous, monsieur l'Equipage? amenez le grand coq et allez faire un tour dans les pruniers.

(Plusieurs agonisent de rire. Une lame embarque.)

Père Ubu:

Oh! quel déluge! Ceci est un effet des manœuvres que nous avons données.

Mère Ubu & Pile:

—Délicieuse chose que la navigation.

(Deuxième lame embarque.)

Pile (inondé):

—Méfiez-vous de Satan et de ses pompes.

Père Ubu:

—Sire garçon, apportez-nous à boire.

(Tous s'installent à boire.)

Mère Ubu:

Ah! quel délice de revoir bientôt la douce France, nos vieux amis et notre château de Mondragon!

Père Ubu:

—Eh! nous y serons bientôt, Nous arrivons à l'instant sous le château d'Elseneur.

Pile:

—Je me sens ragaillardi à l'idée de revoir ma chère Espagne.

Cotice:

—Oui, et nous éblouirons nos compatriotes des récits de nos aventures merveilleuses.

Père Ubu:

—Oh! ça, évidemment! Et moi je me ferai nommer Maître des Finances à Paris.

Mère Ubu:

—C'est cela! Ah! quelle secousse!

Cotice:

—Ce n'est rien, nous venons de doubler la pointe d'Elfeneur.

Pile:

—Et maintenant notre noble navire s'élance à toute vitesse sur les sombres lames de la mer du Nord.

Père Ubu:

—Mer farouche et inhospitalière qui baigne le pays appelé Germanie, ainsi nommé parce que les habitants de ce pays sont tous cousins germains.

Mère Ubu:

—Voilà ce que j'appelle de l'érudition, On dit ce pays fort beau.

Père Ubu:

—Ah! messieurs! si beau qu'il soit il ne vaut pas la Pologne. S'il n'y avait pas de Pologne il n'y aurait pas de Polonais!


FIN.

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