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Un aventurier au XVIII siècle: Le chevalier d'Éon (1728-1810)

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PRÉFACE

En retraçant l’aventureuse carrière du chevalier d’Éon, notre dessein n’a pas été d’apporter une solution nouvelle aux énigmes qui ont valu à ce personnage la part la plus large, sinon la meilleure, de sa célébrité. En dépit de la curiosité qui s’y attarde, ces énigmes ont été résolues déjà et, semble-t-il, de façon définitive. D’Éon était réellement un homme. L’enchaînement même de ses aventures le conduisit, après une brillante carrière de soldat et de diplomate, à une métamorphose que son apparence gracile et son étonnante ingéniosité firent accepter—avec une facilité qui reste le véritable mystère de toute cette histoire—par le roi et les ministres, en même temps que par les compagnons de sa jeunesse. Devenu ainsi, par sa propre volonté, l’héroïne de son siècle, d’Éon se trouva prisonnier d’un rôle qu’il joua jusqu’à sa mort avec une stupéfiante perfection.

II

Une existence aussi mouvementée, aussi fertile en incidents de toutes sortes, devait séduire les écrivains et elle offrait, semblait-il, assez de pittoresque pour qu’on ne fût pas tenté d’y rien ajouter. Cependant le premier historiographe de d’Éon, Gaillardet, bien qu’il ait eu entre les mains les documents originaux les plus importants, se montra dédaigneux d’une vérité historique qui cependant était autrement riche et intéressante que ne pouvait le devenir la fiction la mieux imaginée. De sa collaboration avec l’auteur des Trois Mousquetaires il avait sans doute retenu un profond mépris pour les méthodes timides dont usent aujourd’hui les historiens. Il publia en 1836 un ouvrage où il faisait un véritable roman sentimental d’une vie où le sentiment n’avait eu aucune place. Ce ne fut que plusieurs années ensuite, pour confondre un plagiaire, qu’il se décida à donner de son ouvrage une édition plus conforme à la vérité historique, mais où subsistent de nombreuses erreurs et de plus nombreuses lacunes[1].

Le piquant et solide ouvrage du duc de Broglie sur le Secret du roi a mis en lumière, en même III temps que le mécanisme compliqué de la diplomatie secrète, tout un côté de la vie de d’Éon, qui fut certainement un des plus intrépides et des plus ingénieux agents du Secret[2]. Les escrimeurs ont tenu à conserver le souvenir de celui qui fut, en leur art, un amateur égal aux maîtres les plus réputés de l’époque[3]. Des érudits ont étudié divers épisodes d’une carrière qui s’est déroulée, à travers maintes métamorphoses, sur les théâtres les plus variés. Enfin, c’est en Angleterre, sa seconde patrie, que d’Éon a trouvé le plus minutieux et le mieux informé de ses biographes[4].

En dépit de ces diverses publications, la matière n’était point cependant épuisée.

Le hasard d’une vente a permis, en effet, aux auteurs de cet ouvrage d’acquérir de très curieux documents inédits: ce sont les papiers et la correspondance que le chevalier d’Éon conserva jusqu’à sa mort et qui, confisqués alors par l’un de ses nombreux créanciers, demeurèrent oubliés, pendant plus d’un siècle, au fond de l’arrière-boutique IV d’un libraire anglais. Rapprochés des pièces diplomatiques qui sont aux archives des Affaires étrangères et des documents administratifs que la ville de Tonnerre possède sur le plus célèbre de ses enfants, ces papiers permettent de fixer d’une façon précise les diverses phases de l’aventureuse carrière du chevalier d’Éon. Mais ils ont encore à nos yeux un plus précieux mérite: cette volumineuse correspondance, que d’Éon entretint sans se lasser pendant plus d’un demi-siècle avec presque tous les personnages marquants de son époque, nous apparaît en effet aujourd’hui comme un miroir où viendrait se refléter, avec l’image de notre singulier héros, celle de tout un siècle plein de contrastes, à la fois léger et philosophique, crédule et sceptique.

Ce sont ces lettres et ces papiers de toutes sortes, soigneusement conservés par le chevalier d’Éon lui-même comme pour servir de cadre à son propre portrait, qui donneront à notre récit une saveur originale et éveilleront peut-être l’intérêt de ceux qui recherchent avant tout dans l’histoire le contact d’une société disparue.

Procédé Fillon - PLON-NOURRIT & Cie édit. - Imp. Ch. Wittmann

Le Chevalier d’Eon de Beaumont


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