Un tuteur embarrassé
XXVII
Après cette conquête, qui ne lui avait coûté nulle peine, ainsi qu'elle le disait elle-même, Odette continua à se voir entourée mais sans que personne lui fît d'ouverture analogue à celle de M. Garderenne.
Et voilà que, soudain, M. de Merkar, l'homme des résolutions promptes, offrit à la joyeuse bande un tour en Kabylie.
Les petits poussèrent des hourras frénétiques à cette proposition. Mlle Gratienne y acquiesça de tout coeur et Odette joignit triomphalement sa voix à celle des enfants: outre qu'elle n'était pas encore assez vieille pour renoncer à tout plaisir, elle espérait vaguement rencontrer un jour Robert en pérégrinant à travers l'Algérie.
Mme de Merkar mit en avant le prétexte de sa santé pour ne point prendre part à cette partie, à la fois fatigante et amusante, et son mari n'essaya même pas de vaincre sa résistance. Il avait coutume de laisser sa femme à ses siestes répétées et à ses cosmétiques, quand on entreprenait une excursion quelconque.
Comme on terminait l'hiver, les pluies n'étaient plus à craindre et l'on comptait sur un temps favorable pour faire l'ascension des montagnes kabyles et pour visiter les villes du littoral.
M. de Merkar ayant à voir, pour affaires, l'administrateur de la commune mixte de Port-Gueydon qui est le nom français de Azzeffoun, petit port situé sur la côté méditerranéenne, on commença par ce lieu.
— Nous n'y trouverons ni hôtel, ni auberge même, dit M. de Merkar, mais l'hospitalité est de règle dans le monde des fonctionnaires et des colons que nous allons voir, et nous ne risquons pas de coucher à la belle étoile.
On prit, à sept heures du soir, le petit chemin de fer de l'Est-Algérien qui aboutit, après un pénible effort, à la ville de Tizi-Ouzou où l'on toucha à minuit.
M. de Merkar s'occupant des bagages, Mlle Gratienne et Odette avaient fort affaire de tenir éveillés les enfants que l'attrait de la nouveauté n'animait même plus.
On s'entassa dans un affreux char (voiture publique de Tizi-Ouzou), déjà à moitié rempli d'Arabes aux burnous douteux, qui se juchaient sur leurs colis dans la crainte de les voir égarer.
Les grandes personnes se partagèrent les petits, une fois la jeune bande arrivée à l'hôtel Lagarde, le meilleur de la région, et l'on dormit à peu près bien.
Au matin, Odette, aussi curieuse que ses petits cousins, abandonna bien vite son lit et alla regarder par la fenêtre les Kabyles faire leurs ablutions et se prosterner dans la poussière pour prier, le front tourné vers l'Orient.
De maigres chameaux pelés attendaient, résignés, leur pitance non moins maigre, près des puits.
Des gamins crasseux, coiffés de fez rouges devenus grenats à force de saleté, narguaient les "roumis" et leur jouaient des tours ou agaçaient les chiens.
Comme on trouve de la troupe à Tizi-Ouzou, quelques pantalons garance égayaient le paysage.
Et par dessus tout cela, commençait à briller un soleil impeccable dans un ciel sans nuage.
Les enfants burent du lait de brebis ou d'ânesse, qui leur fit faire la grimace; les grandes personnes, un café détestable; puis, en route dans un break horriblement dur qui les fit tous rire aux éclats et qui, au trot de deux juments maigres, mais excellentes, devait cahoter nos voyageurs jusqu'à six heures du soir.
Et il en était cinq du matin.
La route se fit d'abord en silence, soit que les enfants eussent encore sommeil, soit qu'ils admirassent recueillis malgré eux, l'inoubliable paysage se déroulant sous leurs yeux.
La voiture ne traversait pas de village, puisque, jusqu'à Fréha, halte qui coupe en deux le voyage, on aperçoit à peine de temps à autre une chaumine, un gourbi.
Les blanches cigognes, déjà de retour, faisaient pousser aux fillettes des exclamations d'envie; Odette même, aussi enfant que ses cousines, eût voulu en emporter une en France.
"Puisque, disait-elle, on affirme que cet oiseau porte bonheur!"
Puis, toujours bonne, voyant piétiner dans la poussière des Kabyles gênés par leurs fardeaux et se rendant à Bréha ou à Azzeffoun eux aussi, elle implorait pour eux M. de Merkar.
— Si vous leur permettiez de monter sur le siège, mon cousin!
— Oui, Odette, mais ces gens-là ne sont peut-être pas très propres…
— Que si: la loi de Mahomet n'ordonne-t-elle pas de se laver?
— Seulement les pieds et les mains, Odette.
— C'est toujours cela de gagné, mon cousin.
— Soit, puisque vous le voulez.
Ainsi, on recueillit deux représentants décrépits du sexe mâle, puis, un jeune homme aux dents de lionceau et aux yeux de velours noir, qui remercièrent les généreux voyageurs à grand renfort de bénédictions.
— Qu'Allah te donne beaucoup d'enfants, disaient-ils à M. de Merkar, lequel répliquait sans sourire:
— Merci, j'en ai déjà suffisamment.
Tandis que les petits garçons effleuraient d'un doigt timide le chapelet de bois que porte tout Kabyle autour de son cou.
On traversa le Sébaou, l'unique fleuve de la Kabylie, où les cigognes viennent faire leur toilette matinale et que le soleil du printemps n'avait pas encore desséché.
L'air était pur, vierge, irrespiré, dans ces plaines immenses où, de loin en loin seulement, apparaissait la silhouette pâle d'un Arabe perché sur son mulet, ou celle plus massive d'une femme voilée portant un fardeau d'herbes.
— Et voici Fréha où nous allons nous réconforter… tant bien que mal, dit M. de Merkar. Mademoiselle Gratienne, voulez-vous avoir la bonté de réveiller le petit troupeau?
Les enfants se frottaient les yeux, ahuris, cependant que des effluves d'une cuisine bizarre leur chatouillaient les narines.
Dans une sorte de tonnelle décorée du nom d'auberge, où quelques milliers de mouches avaient élu domicile, un repas fut servi aux voyageurs, tandis que les chevaux, dételés pour une heure, mangeaient leur pitance.
Averti la veille par le courrier, l'aubergiste avait pu se procurer des vivres, et bientôt un couvert rustique fut dressé sur une nappe grossière mais à peu près propre.
Les enfants firent preuve d'un incommensurable appétit; mais, plus délicates, les grandes personnes se contentèrent d'un peu de pain, de chocolat et de café noir.
Fréha n'a rien d'attrayant et se compose de quelques maisons bâties sur un sol mouvant et prêtes à s'effondrer à la première occasion.
Quand nos voyageurs en eurent fait trois fois le tour, à la seule fin de se dégourdir les jambes, ils connurent le village dans tous ses détails.
On remonta en voiture; les vigoureux petits chevaux reprirent leur trot courageux pour commencer à gravir les monts qu'ils devaient redescendre sur la pente inverse.
Alors des cris d'admiration s'échappèrent de toutes les bouches, hors celle du cocher, familiarisé avec ces spectacles.
La voiture longeait des précipices d'une hauteur effrayante, mais on savait que les braves bêtes qui la traînaient avaient le pied montagnard.
En elle-même, Odette murmurait:
— C'est ravissant, c'est idéal de grâce et de sauvagerie; mais est-ce bien moi qui me suis laissée entraîner si loin du home, si loin de Paris?
Hélas! ai-je seulement un home, moi? et le nid n'est-il pas pour moi, partout où l'on m'aime, où l'on me gâte?
D'espace en espace, des troupes d'enfants à demi-nus, leur pauvre petit burnous flottant à la brise, suivaient la voiture en prononçant des supplications arabes et en secouant leur gandourah.
Alors, on leur jetait des sous avec des débris du goûter et ils avaient de la joie pour longtemps. Les tablettes de chocolat seules leur inspiraient de la méfiance, et ils tournaient et retournaient dans leurs doigts bruns cette chose sombre enveloppée d'un mystérieux papier argenté.
Enfin, la mer reparut à un détour de la montagne, si bleue, si calme, si belle, que les voyageurs se turent, soudain recueillis, et que Mlle d'Héristel se sentit tout de suite moins perdue, moins éloignée de la France.
Trois quarts d'heure après, la petite ville de Port Gueydon se montra, assise au bord de l'eau et montant, par son unique rue jusqu'à la colline.
XXVIII
"A présent que j'ai vu Azzeffoun, Azazga, la forêt de Yacouben, Fort National, Bougie, Mekla et tout ce que nos aimables hôtes ont pu nous faire visiter depuis quinze jours que nous avons quitté Alger, j'ai assez de la Kabylie, des montagnes vertes, des coteaux couverts de moissons, des Arabes en fez, aux jambes nues, aux gandourahs sales et fripées.
Je regretterai ici les Vianère, nos hôtes si aimables dont je n'oublierai jamais l'exquise hospitalité; ensuite Saïd, ma "femme de chambre": un chaouch ou domestique kabyle, qui me sert silencieusement, la tête couverte et les pieds nus, tout aussi bien que la première soubrette parisienne et avec plus de respect certainement.
Enfin Fatma, la mule qui me portait pendant nos excursions et qui, toujours au fin bord des précipices, ne m'a jamais jetée dans l'abîme.
Le ciel est bleu, la chaleur douce, le soleil superbe, la verdure tendre; je goûterais certainement tout cela en compagnie de ceux que j'aime, mais je les sens trop loin et l'anxiété où je suis met des bornes à mon admiration.
Peut-être un jour reviendrai-je ici dans d'autres conditions et pourrai-je mieux me livrer à l'enthousiasme.
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Nous avons regagné Alger et je me suis précipitée sur mon courrier après un hâtif bonjour à la maîtresse de céans, qui a fait l'immense effort de venir au-devant de nous à la gare.
Que j'avais bien raison d'avoir des pressentiments agités: l'oncle Valère est malade. Pas très malade, mais assez pour désirer me revoir avant… enfin, s'il lui arrivait pis. Cette nouvelle a soulevé chez les Merkar une tempête de protestations: partir, notre chère Odette, après un si court séjour, c'est impossible!
Ils oublient que depuis plus de huit mois, je vis au milieu d'eux. Moi aussi, je les aime bien, mais les Samozane me tiennent plus au coeur.
J'ai envoyé un télégramme à Paris, bien vite, sans pouvoir dissimuler mon inquiétude. On m'a répondu que tout danger est passé pour le malade, mais que, si je peux venir, tout le monde sera bien content.
Me voilà rassurée. C'est égal, je retourne quand même en France, et toute seule; ne suis-je pas assez raisonnable à présent pour cela?
Et puis, une idée me tourmente depuis quelques jours:
Puisque l'oncle Valère a témoigné le désir de revoir sa nièce et pupille, Odette d'Héristel, il a dû en faire autant à l'égard de son fils aîné.
Sans doute, Robert m'a précédée là-bas, et mon coeur bondit dans ma poitrine à la pensée de le revoir.
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Avant mon départ, M. de Merkar veut absolument donner une petite fête.
Quoique je sache l'oncle Valère en bonne voie de guérison, je n'ai pas le coeur à la joie, mais ils croient me faire plaisir et je ne puis qu'accéder à leur voeu.
D'ailleurs, je regretterai ces excellents amis qui m'ont fait la vie si douce dans leur home, et ces chers petits qui pleurent lorsque je fais allusion à mon prochain embarquement."
XXIX
La soirée battait son plein, l'entrain était à son comble.
A la journée brûlante avait succédé une nuit délicieuse, embaumée du parfum des fleurs qu'apportait un souffle rafraîchissant.
Les salons de M. de Merkar offraient un aspect réjouissant à l'oeil, avec la corbeille de jeunes femmes et de jeunes filles élégamment parées, dont la plus grande partie était vraiment jolie.
Au milieu d'elles, Odette d'Héristel évoluait souriante, quoiqu'on devinât un peu de préoccupation au fond de ses yeux.
Cette créature piquante n'était plus, comme jadis, le jouet des hommes qui s'amusaient à lui faire dire des naïvetés délicieuses; ni la fillette encore gamine qui, chez les Samozane, sautait les pouffs à pieds joints, riait à belles dents, déchirait, à force de danser, les dentelles de ses jupons.
Son petit visage fin avait un peu pâli, mais il restait spirituel; si sa causerie était plus grave, du moins avait-elle toujours des mots exquis et profonds sous un tour railleur.
Plus pondérée que naguère, elle avait acquis une grâce un peu hautaine, une distinction toute naturelle, et sa mise était harmonieuse en son élégante simplicité.
Comme il faisait trop chaud pour danser longtemps, les musiciens amateurs et les musiciennes étaient invités à se faire entendre au piano.
Quelques personnes chantèrent ou jouèrent des morceaux connus, puis, M. de Merkar appela sa jeune parente au clavier.
Mais, Odette réclama l'aide de Mlle Gratienne, car elles s'étaient accoutumées à jouer beaucoup à quatre mains, et à elles deux, Mlle d'Héristel faisant la première partie, elles tinrent leur auditoire sous le charme pendant près d'une heure.
Tandis qu'Odette, à la prière générale, ouvrait une partition avec l'assurance d'une musicienne qui sait qu'elle s'en tirera avec honneur, un trio d'hommes jeunes et distingués, causant et fumant au dehors par cette nuit splendide, vint s'appuyer au rebord d'une fenêtre ouverte sur le jardin.
— Qui donc a ce jeu à la fois souple et harmonieux? demanda l'un d'eux, homme d'une trentaine d'années, au visage martial et bien modelé sous une forte couche de hâle.
— Mlle d'Héristel, l'étoile de nos salons algérois, cette année; une charmante Parisienne que nous aurons le regret de perdre bientôt.
— Vous dites? fit vivement l'étranger à la figure brune.
— Mlle d'Héristel, Odette d'Héristel. Tenez, en vous haussant un peu, vous pourrez l'apercevoir, assise au piano, à droite… A moins que vous ne vous décidiez à rentrer dans les salons, homme sauvage que vous êtes!
Cette plaisanterie n'obtint point de réponse. Robert Samozane, que nous retrouvons à Alger, par la raison qu'il s'embarquait le surlendemain pour la France, sa mission remplie, demeura contre la fenêtre, silencieux et immobile, le regard rivé sur celle qu'on lui désignait.
Il ne la voyait que de profil, mais il buvait des yeux cette silhouette fine, étonné de la gravité qu'il lisait sur ce cher visage.
"Quoi! pensa-t-il, est-ce ma pupille qui a acquis ce talent musical? un talent dont je ne l'aurais jamais crue capable… Elle a conservé sa figure enfantine, mais il y a comme un rêve sur ses traits… depuis tant de mois que je ne l'ai vue!
Et c'est ainsi que je la retrouve! admirée de tous, leur versant, inconsciente, ce philtre de charmeuse dont ils sont tous avides.
Hélas! pourrai-je lire encore dans cette petite âme jadis pour moi claire comme le cristal?… Il fut un temps où elle me disait tout, la chérie; à présent, sans doute, elle me sera mystérieuse et fermée. Autrefois, c'était nous qui la gâtions; nous, c'est-à-dire les miens et moi… Aujourd'hui, c'est le monde. Toutes ces déclarations bien tournées, chauffées au soleil africain, qui vont à elle, l'ont sans doute grisée.
Et moi qui avais tant hâte de la revoir, peut-être souffrirai-je en la retrouvant sur ma route. Si, pour la seconde fois, elle allait me briser le coeur?…"
Odette était une intuitive; en quittant le piano, elle avait cru apercevoir des têtes masculines derrière le balcon de pierre et surtout entendre une voix mâle et très chère qui s'était gravée à jamais dans son coeur et dans son cerveau.
Elle se haussa légèrement sur la pointe de ses souliers vernis; une joie intense éclaira une seconde sa petite figure grave, puis elle reconquit son calme accoutumé.
Assurément, elle se trompait; si Robert n'était plus en expédition au coeur de l'Afrique, il naviguait vers la France; peut-être même y était-il déjà, installé rue Spontini auprès du vieux père convalescent.
Ce soir-là, en se couchant dans un lit qui lui parut moelleux, après les couchettes hasardeuses des campements improvisés, Robert revit en esprit sa pupille, contre laquelle, il le sentait aujourd'hui, il ne conservait plus l'ombre de ressentiment.
En l'écoutant à son insu, tandis qu'elle caressait le piano, il s'était senti pris sous le charme suave de la mélodie; il s'était pénétré du chant qu'elle y développait et avait deviné les rêves qu'elle y exprimait sans doute.
Et, encore un peu à son corps défendant, il se disait qu'il devait être très doux de vivre avec une gentille compagne comme elle à ses côtés; très doux de voir son sourire si franc, ses yeux si aimants et tendres, d'ouïr sa petite voix claire aux saillies si fines…
Ainsi, Robert se sentait maintenant plus satisfait de quitter l'Afrique; puisque Odette y retournait aussi, il aurait double joie à retrouver le home, Paris et surtout la famille aimée qui l'attendait avec tant d'impatience.
Des fatigues passées, et il en avait essuyé de rudes, il ne se souvenait plus, et l'avenir lui apparaissait rose et lumineux.
Aussi, remercia-t-il Dieu qui, non seulement, l'avait gardé de tout mal, sauvé de tout péril pendant sa longue absence, mais qui encore lui rendait sa petite amie assagie, aimable, dévouée sans doute.
XXX
"La première personne qui m'a saluée à mon débarquement, lorsque, il y a huit mois environ, je suis arrivée en Algérie, a été une guenon de la plus belle venue, qui m'a adressé une grimace magistrale.
La dernière personne qui me salua, ce matin, à mon embarquement pour
Marseille, sur le Duc de Bragance, est une perruche multicolore que
Yannette portait, juchée sur son épaule, et qui criait, en voyant
pleurer sa petite maîtresse:
"Qu'Allah te protège! Qu'Allah te conduise!"
Or, je ne sais si c'est Allah qui guide notre bateau, mais il commence à danser joliment et j'ai de la peine à écrire dans la cabine d'intérieur où je sens davantage le roulis, mais où j'ai obtenu d'être seule.
Ainsi, je voyage sans chaperon pour la première fois de ma vie, comme une personne raisonnable, ou plutôt comme une pauvre fille sans parents proches, qui n'a pas les moyens de se faire escorter par une femme de chambre ou une demoiselle de compagnie.
On m'a recommandée au capitaine avec une telle chaleur, qu'il doit me prendre pour une princesse du sang ou pour un objet extrêmement précieux qui craint la casse.
Une fois à Marseille, je serai pilotée et hébergée par des amis des Merkar, qui me remettront ensuite en wagon pour Paris, après m'avoir recommandée cette fois (je m'y attends), au chef de train.
Il me tarde d'être plus âgée pour aller et venir avec plus d'aisance.
Nous avons quitté Alger par une brise favorable et un ciel radieux.
. . . . . . . . . . . . . . . .
Je ne sais ce que la nuit nous prépare, mais je trouve que nous commençons à rouler terriblement; des nuages moutonnés se montrent à l'horizon, et j'ai vu des matelots se les désigner en secouant la tête sans rire.
Les adieux avec les Merkar ont été heureusement abrégés par la hâte de l'embarquement, car les enfants menaçaient de se changer en fontaine. Mme de Merkar semblait prête à s'évanouir et une petite larme perlait même à l'oeil de mon cousin.
Ils ont tous été si bons, si affectueux à mon égard, que moi aussi je me sentais émue; mais je ne puis, au fond, m'empêcher de me réjouir à la pensée que je vais retrouver ma chère famille parisienne.
J'ai répandu des libéralités autour de moi, de façon à me faire gronder: bah! j'étais si heureuse de leur faire plaisir!"
. . . . . . . . . . . . . . . .
Dolente, affalée dans un rocking-chair, la pauvre Odette ne voyait ni n'entendait plus rien.
Elle n'était, du reste, pas la seule à souffrir: passagers et passagères gémissaient, qui, au fond des cabines, qui, sur le pont, où ils croyaient se distraire de leur malaise, tandis qu'il arrivait tout le contraire.
Mlle d'Héristel eût bien voulu, maintenant, regagner sa couchette et s'y étendre, mais elle n'avait plus la force de faire un mouvement; d'ailleurs, la mer devenait si mauvaise qu'on avait dû fermer les hublots et l'on étouffait dans les cabines.
Au repas précédent, les convives assez braves pour essayer leur appétit avaient dû déserter la table, à l'exception de quelques-uns, entr'autres Robert Samozane, jeune Français, embarqué sur le Duc de Bragance.
Il veillait de loin sur sa pupille, heureux de se sentir seul à la protéger; il comptait jouir de sa surprise quand, au dîner, il paraîtrait tout à coup à ses yeux.
Mais voilà qu'elle était parmi les malades et, son café pris, il se hâta de remonter sur le pont où il finit par la découvrir, enveloppée de châles et plus morte que vive.
"Bon! pensa-t-il, je n'ai pas de chance; j'espérais que nous causerions ici comme deux amis, personne ne nous gênant, et voilà qu'elle souffre et quelle n'a même pas la force de me reconnaître."
Il s'avança vers elle, et le plus doucement possible:
— Odette! murmura-t-il.
Elle tressaillit faiblement, leva les yeux et le regarda jusqu'à l'âme.
— Oh! Robert!… Où suis-je donc? dit-elle, pour que je te retrouve là?… Sommes-nous donc déjà à Paris? J'ai cru mourir…
— Hélas! non, pauvre petite, nous ne sommes pas encore à terre et c'est malheureux pour toi. Crains-tu donc tant que cela le tangage?
— C'est-à-dire que lorsque nous sommes venus de Marseille à Alger, il faisait un temps admirable; on ne pensait même pas à être malade. Mais, aujourd'hui! Est-ce que cet affreux mouvement ne t'arrache pas le coeur, Robert?
— Moi, pas du tout, mon coeur est très solide… et très fidèle, ajouta-t-il plus bas.
L'entendit-elle? Peut-être, mais il ne put rien lire dans les yeux de mystère qui se détournaient des siens.
Il poursuivit:
— A ton insu, je t'ai entendue avant-hier soir, quand tu jouais du piano chez tes cousins de Merkar. Je n'ai pas voulu me montrer à toi au milieu d'étrangers qui nous auraient curieusement examinés, mais je me suis arrangé pour voyager sur le même bateau que toi afin de te protéger.
— Tu n'as pas de chance à ton tour, répliqua-t-elle, car je suis une triste compagnie de traversée.
— C'est vrai, dit-il, et je deviens bien inutile, Odette; peut-être même importun… Moi qui comptais que ma présence te réjouirait un peu, que tu te sentirais moins seule!…
— Mais, en effet, je suis heureuse de te revoir, Robert; oh! heureuse, si tu savais! Seulement, je ne peux pas te le dire…
Tiens, offre-moi ton bras pour me conduire à ma cabine. Si mauvaise que soit ma couchette, elle vaudra peut-être mieux que le pont de ce navire qui nous secoue lamentablement.
Il obéit, satisfait de lui rendre ce faible service, et il l'installa dans la chambrette avec des soins vraiment maternels.
Il laissa tomber le rideau devant l'entrée de la cabine, car on ne pouvait fermer les portes sous peine de mourir de chaleur.
En vain Mlle d'Héristel essaya de tromper son mal en appelant le sommeil; il ne vint pas, et elle demeura inerte sur sa couchette, secouée de temps à autre par des spasmes douloureux.
Le commissaire, le médecin du bord, qui entr'ouvraient tous les rideaux d'un doigt discret, afin d'offrir leurs services aux plus malades, n'essayèrent même pas de la ranimer; ne valait-il pas mieux que la faiblesse eût le dessus afin qu'elle souffrît moins?
— Est-ce que je rêve, ou si j'ai bien réellement revu Robert, ce cher Robert qui serait redevenu pour moi l'ami tendre, le parent dévoué, le conseiller, le guide de l'endiablée petite pupille?
Et puis, est-ce que je divague, ou bien m'a-t-il dit qu'il m'a écoutée avec plaisir quand je jouais du piano l'autre soir?… Si c'est vrai, il aura reconnu que je sais quelque chose, que j'ai progressé, acquis un petit talent…
Vers le matin, Robert lui fit demander si elle pouvait le recevoir; elle se ranima un peu à ce nom, répondit affirmativement, mais fut incapable de lui parler sensément.
— Est-ce qu'on va mourir, Robert? dit-elle d'une voix éteinte.
Le jeune homme se mit à rire.
— Mais pas du tout, nous avons une très mauvaise traversée et le golfe du Lion est terrible aujourd'hui. Tu n'as pas de chance, pauvre Nénette! Mais nous ne courons aucun danger, notre vaisseau est bien trop solide pour ne pas tenir tête au gros temps.
N'empêche que tous les passagers sont sur le flanc, sauf ton serviteur qui a déjeuné absolument seul tout à l'heure.
Il y eut un silence. Samozane arrangea l'oreiller sous la jolie petite tête vacillante qui ne s'opposait même pas aux chocs que lui imprimait le rebord de la couchette.
Puis il baisa doucement la petite main immobile qui demeura insensible sous cette muette caresse.
Et pourtant, dans une demi-conscience de ce qui se passait autour d'elle, Odette était soulagée par la présence de ce protecteur inattendu; sans Robert, elle eût été envahie par un sentiment d'infinie solitude sur cette immense maison flottante où elle n'avait pas un ami, hors lui.
Après un instant d'accalmie où elle parut revenir un peu à l'existence, Robert lui proposa de secouer son inertie, de chercher à dompter son mal en montant, non sur le pont, ce qui était impossible, mais au salon.
Il sortit pour la laisser s'emmitoufler dans son plaid et, quand elle le rappela, il guida ses pas trébuchants à travers le corridor et dans l'escalier.
Elle eut même presque un rire en voyant comme ils étaient jetés de côté et d'autre à chaque minute.
Ils atteignirent ainsi les salons absolument désertés; à travers la vitre épaisse des hublots, ils purent admirer le spectacle à la fois superbe et effrayant que leur offrait la mer littéralement démontée.
Plus hautes que le navire qui semblait gros comme un nid d'oiseau sur cette étendue laiteuse, les vagues hurlaient tout à l'entour, noires comme de l'encre et ourlées d'écume. Du ciel, on ne voyait qu'une barre un peu moins sombre que l'eau, où parfois luisait un éclair livide.
Odette se cramponna à son cousin.
— Robert! j'ai peur! Nous n'arriverons jamais à terre.
— Si, chérie, ne crains rien. Toutefois, je suis content de toi; si tu as peur, c'est que tu souffres moins.
— Peut-être… je ne sais; on s'accoutume sans doute au mal. Alors, tu crois qu'il n'y a pas de danger? Cela me paraît impossible.
— Je te l'affirme. Et puis, tu as donc bien peur de la mort?
— Dame! J'ai vingt ans, allait répondre Mlle d'Hérisel.
Mais, elle se ravisa et dit:
— La vie n'est pas si gaie, va, pour que je la regrette.
— En ce moment, parce que tu es malade, petite; mais attends d'avoir abordé à la Joliette et tu changeras de ton.
— Je t'assure, Robert, que je suis devenue très grave.
— Etre grave n'est pas être triste; et puis, je veux retrouver ma pette Odette d'autrefois.
Un peu de rose monta aux joues pâles de la jeune fille:
— Même la méchante?
— Non, pas la méchante; mais celle-ci, je l'ai si peu connue! répliqua-t-il tendrement.
Elle allait, ma foi! se jeter à son cou, dans sa joie, lorsqu'un terrible coup de mer enfonça la porte ouvrant sur le second pont; des paquets d'eau entrèrent en coulant le long des marches, et le vent, faisant aussi irruption, arrachait les stores et renversait les sièges.
Effarée, Odette saisit la main de son tuteur et courut vers les cabines.
— C'est la fin du monde! cria-t-elle, Oh! Robert, ne restons pas là!
La tempête redoublait; il fallut regagner la couchette que la pauvre enfant ne quitta plus jusqu'à ce que cette exclamation consolante lui fût apportée par la femme de chambre:
— Dieu soit loué! On aperçoit la terre!
La mer se calma un peu quand le Duc de Bragance quitta le large pour s'approcher des côtes.
Au loin, le phare de Planier apparaissait, puis les îles, enfin la ville.
Des cabines, s'échappaient des soupirs de soulagement, des rires même, avec des bruits de toilette, d'eau remuée, de brosses mises en mouvement.
Les passagers reprenaient vie avec l'espoir d'abandonner bientôt le plancher mouvant.
Odette se leva, toute brisée, riant, elle aussi toute seule, de voir qu'elle ne pouvait agrafer ses jupes ou lisser ses cheveux sans être projetée rudement contre la paroi de sa chambrette.
"Ouf! se disait-elle, qu'il fera bon respirer l'air de France et se sentir enfin le coeur solide!"
Sur les ponts ruisselants d'eau de mer, la manoeuvre avait lieu péniblement; les matelots faisaient la chaîne, accrochés à la rampe, contournant le bâtiment des cabines, afin de n'être pas enlevés par les lames.
Ils passaient comme des ombres funèbres, se tenant par la main et ensevelis sous leurs lourds cabans dans le brouillard de pluie et d'embrun qui noyait tout le bateau.
Peu à peu, Marseille se rapprocha; on accosta à la "Santé", et la visite faite et la patente accordée pour entrer dans la rade, on attendit la venue du pilote.
Ce fut très long; par cette mer agitée, l'entrée du port n'était pas facile et il fallait que, sans encombre, le Duc de Bragance prît place entre deux grands transatlantiques déjà à l'ancre.
Intéressée par la manoeuvre, Mlle d'Héristel avait fini par monter sur le pont, tenant d'une main son canotier qui faisait mine de s'envoler de sa tête, et de l'autre, se tenant elle-même à la balustrade.
La voix de Robert, debout près d'elle, s'éleva soudain, grave:
— Voici la Vierge de la Garde qui semble nous souhaiter la bienvenue; voyez à votre droite, Odette!
La jeune fille se retourna, très prompte:
— Oh! alors, remercions-la de nous amener à bon port après une si vilaine traversée.
Et comme, son oraison finie, elle regardait, rieuse, Robert toujours recueilli:
— Votre prière est plus longue que la mienne, ajouta-t-elle. Que demandez-vous donc encore?
— Ah! voilà, je demande… Mais je vous le dirai plus tard, Odette, répondit-il; vous êtes trop curieuse.
Elle rougit un peu.
Comme le Duc de Bragance avançait maintenant sans tanguer ni rouler dans les eaux tranquilles du port, en désignant le ponton du débarcadère noir de monde, Odette dit en un petit soupir à son cousin:
— Presque tous nos compagnons de voyage ont un parent ou un ami venu au-devant d'eux; nous, personne ne nous attend!
Le jeune homme lui adressa un regard d'affectueux reproche:
— Tu serais plus seule encore, chérie, si je ne m'étais embarqué sur le Duc de Bragance à ta suite.
— Ca, c'est vrai, déclara-t-elle, et je t'en sais gré, va, Robert, plus que tu ne le crois. Et, au fait, je n'y pensais pas: les Ténave sont peut-être là, ces parents des Merkar qui doivent m'hospitaliser, puis me mettre dans le train de aris comme un vulgaire colis.
— Oh! c'est vrai, fit Samozane avec un peu de dépit, il va falloir que je t'abandonne à ces étrangers.
— Pas du tout; tu vas venir avec moi, j'espère bien, d'autant plus que tu me seras très utile: songe que je ne les ai jamais vus et qu'ils vont m'intimider.
Soudain, elle s'exclama:
— Robert! on dirait tante Bertrande. Vois… je crois me tromper, car elle ne peut être ici. Qu'y ferait-elle?
— Mais si, c'est parfaitement elle, répliqua Robert. Ce qu'elle vient faire? Eh! mon Dieu! ce que font tous ces gens: elle a envie d'embrasser la première ceux qu'elle aime.
On était arrivé, Odette passa devant son cousin, renversa un chien, bouscula un douanier et se jeta dans les bras de tante Bertrande en criant:
—Ah! tante, que c'est bon à vous d'être venue! Comment va tout le monde?
Sous le flux des baisers, la vieille dame pouvait à peine répondre; enfin, elle annonça que toute la smala se portait bien, même l'oncle Valère, et elle parut peu surprise de trouver là Robert.
— Nous savions que tu nous revenais, dit-elle paisiblement, et nous pensions bien, mon garçon, que tu prendrais le même bateau qu'Odette.
Celle-ci ouvrit de grands yeux étonnés:
— Mais alors, pauvre tante, pourquoi vous êtes-vous donné la peine et la fatigue de venir de Paris à Marseille, au-devant de moi, puisque vous me croyiez sous l'égide de votre neveu?
Robert sourit simplement, mais la tante s'exclama, presque scandalisée:
— Eh! ma fille, était-il convenable de te laisser voyager avec ton cousin comme unique chaperon?
Odette allait répliquer, quand elle regarda Robert; alors elle comprit que tante Bertrande parlait d'or et elle referma la bouche sans rien dire.
Les Ténave étaient là, comme l'avait prévu Mlle d'Héristel, et à sa véhémence autant que d'après le portrait qu'on leur avait fait d'elle, ils devinèrent Odette.
On lia connaissance de part et d'autre, on se fit mille politesses, et force fut au voyageur comme aux deux voyageuses d'accepter l'invitation de ces nouveaux amis.
Enfin, après une nuit qui parut délicieuse à la pupille de Robert, passée sur "la terre ferme d'un lit d'hôtel", le trio très joyeux monta en wagon pour se diriger vers… la rue Spontini.
XXXI
— Positivement, elle a embelli s'exclamait Guimauve, le monocle à l'oeil et examinant son ancienne "ennemie" retour d'Algérie.
— Qu'importe cela, si elle nous aime toujours autant! murmurait Mme
Samozane qu'Odette couvrait de caresses.
En pouvait-elle douter, alors?
On avait accueilli avec autant de joie l'arrivante que le voyageur. Gui, qui n'avait pas changé, lui, ne pouvait s'empêcher de s'extasier sur la métamorphose de sa cousine.
— Pourvu que tu ne sois pas trop sérieuse, au moins, Nénette, continuait-il; c'est que ce ne serait plus du tout amusant, sais-tu?
— Je serai sérieuse, oui monsieur, répondait-elle, parce que je dois mener une vie laborieuse. Je vais me reposer quelques jours, puis, je me mettrai à gagner mon pain.
— Si on te le permet, Odette, dit tranquillement Robert qui la regardait, sans sourire.
Elle releva sa crête:
— Il faudra bien qu'on me laisse faire, s'écria-t-elle. Ce n'est pas pour des prunes que j'ai bûché… pardon, travaillé comme un nègre en ces huit mois.
— A propos, fillette, reprit M. Samozane qui avait des moments de distraction, tu as été demandée en mariage, là-bas?
— Moi? fit Odette, en rougissant jusqu'aux oreilles.
— Elle? fit Robert dont le sourcil se fronça.
— Qui vous a dit?… commença la jeune fille, troublée.
— Dame! M. de Merkar, qui nous remplaçait auprès de toi, avait bien le droit de nous mettre au courant…
— Eh bien! oui, répliqua Odette très vite et comme pour se débarrasser d'un interrogatoire déplaisant; j'ai été demandée, en effet, par un monsieur très riche…
— Qui pourrait être ton père. Et ne le pouvant pas, poursuivit M.
Samozane, il se contente d'être ton cousin.
— Vraiment? fit encore Robert en tordant sa moustache fauve. Quel peut-il être?
— Tu ne devines pas? M. Garderenne…
— Ah! celui qui… s'écria Guillaume.
— Oui, celui qui a dépouillé notre Nénette d'une fortune. Fortune qui, en définitive, lui revenait.
— Il a un fier toupet! gronda le fils cadet des Samozane.
— Mon Dieu! non, il a trouvé Odette à son goût et, pour lui, c'était une manière fort agréable de lui rendre son bien en l'épousant.
— Et tu n'as pas voulu de lui? Oh! Nénette, que je t'aime pour cela! dit le jeune fou en déposant un baiser retentissant sur la main de sa cousine.
Seul, Robert ne riait pas. Il pensait à sa pupille, à M. Garderenne, et il se disait, avec une émotion sans pareille, qu'il s'en était peut-être fallu de peu que la pauvrette épousât ce quinquagénaire.
Eh! n'aurait-elle pas été excusable? Elle était si seule, si abandonnée, là-bas?
— Qu'as-tu, Robert? Tu as l'air soucieux, demanda soudain Odette, remarquant son silence.
— Rien, répondit-il en passant la main sur son front comme pour en chasser une pénible impression.
Et, obligeant ses lèvres à sourire, il ajouta:
— Si, au lieu de quêter tout de suite tant de détails de cette pauvre Odette, vous nous laissiez aller nous reposer? Songez que, la nuit dernière, nous n'avons pas fermé l'oeil, étant en chemin de fer, et que, depuis quatre heures que nous sommes arrivés, nous devons répondre aux questions multiples que vous nous posez.
— Bah! pour Nénette, il n'y a pas grand danger… elle ne sortira pas de son lit demain avant onze heures, fit observer Gui.
Mlle d'Héristel se rebiffa:
— Tu te trompes, Guimauve, dit-elle; en Algérie, sache que j'ai été d'une sagesse exemplaire et que j'y ai pris des habitudes matinales qui vous étonneront.
— Soit; mais demain tu feras exception à la règle, fillette, commanda Mme Samozane, car je ne te trouve pas très bonne mine et tu dois, en effet, avoir besoin de repos.
— Robert a raison, dit Odette, il faut se coucher, on meurt de sommeil… Je dois, dorénavant, avoir des égards pour ma santé qui me sera nécessaire, à l'avenir. Tantes, adieu. Mon oncle, bonsoir.
Elle tendit sa joue à tous et s'en fut coucher pour s'endormir bientôt d'un sommeil d'enfant.
Ses tantes vinrent la voir et la trouvèrent si gentille ainsi, que, ravies de la posséder de nouveau, elles ne purent résister à la tentation de glisser un baiser sur son front.
Les jours qui suivirent furent pleins de charme pour toute la famille.
A son tour, Robert raconta ce qu'Odette ignorait encore: ses expéditions dans les terres soudanaises, les travaux qu'il avait dû y faire, les dangers qu'il y avait courus, lui et ses compagnons…
Et Mlle d'Héristel l'admira du fond de son coeur et se trouva bien petite et bien misérable à côté de lui, elle qui croyait avoir fait beaucoup en secouant sa paresse et sa frivolité et en s'essayant à devenir studieuse, bonne et sérieuse.
Comme le voyageur avait un congé indéterminé pour se reposer de ses fatigues, les Samozane pensaient à louer, pour la saison s'été, une petite maison à la campagne où M. Samozane se remettrait aussi de sa secousse récente et où ils vivraient tous dans l'intimité la plus douce.
Or, il arriva, quelques jours avant qu'on se décidât à signer un bail de six mois, que Mlle d'Héristel reçut la lettre suivante qu'elle ne montra d'abord à personne:
"Ma chère enfant,
"Mon âge et mon titre de parent me donnent le droit de vous appeler ainsi, croyez-le.
"J'espère que vous ne garderez pas un trop mauvais souvenir de votre vieux cousin Garderenne qui vous aime aujourd'hui paternellement et veut vous le prouver.
"La somme que je vous ai enlevée, par un procès qui me semblait équitable tant que je ne vous connaissais pas, me pèse lourdement à présent.
"Cependant, je ne veux pas vous la restituer tout entière: vous seriez trop riche, cela pourrait vous rendre comme autrefois (c'est vous qui me l'avez dit), futile et vaniteuse, et votre main serait peut-être sollicitée parce qu'elle contiendrait beaucoup d'or.
"Si donc, vous me faites savoir un jour qu'un brave garçon veut vous épouser pauvre, j'applaudirai de tout mon coeur à cette union et, le lendemain des fiançailles, je verserai à votre nom la somme de quatre cent mille francs, à peu près la moitié de celle que vous a reprise ma rapacité.
"Jusque-là, que ce soit un secret entre nous.
"Si vous ne vous mariez pas, le jour de vos vingt-cinq ans, cette restitution vous sera faite, et je suis sûr que vous emploierez sagement cet argent.
"Mais permettez-moi d'espérer que j'assisterai plutôt et… plus tôt à votre mariage; vous êtes faite pour donner beaucoup de bonheur autour de vous.
"Quant au reste de la somme, puisque je suis assez riche pour m'en passer sans vivre plus mal pour cela, je la placerai sur la tête de votre premier-né, si vous voulez bien me faire l'honneur de me prendre pour parrain.
"Et maintenant, chère enfant, je n'ai plus qu'à vous souhaiter d'être heureuse et de rencontrer celui qui vous rendra telle.
"Ne pensez plus à moi avec amertume, et surtout ne refusez pas la donation très légitime que je veux vous faire.
"Vous ne voulez pas peiner un vieillard qui a déjà trop connu les déboires de la vie, n'est-ce pas? Si vous n'acceptiez pas cet argent, (le vôtre en définitive), il irait grossir le trésor des pauvres.
"Mais entre vos mains, chère enfant, il ne sera pas moins bien placé.
"Veuillez croire à mon absolu dévouement et à ma paternelle affection."
O. GARDERENNE.
Le mince papier dans ses doigts, les yeux dans le vide, ne regardant rien, Mlle d'Héristel murmurait de temps à autre:
"C'est drôle, c'est bizarre; mais c'est bien agir. Seulement, dois-je accepter?…
— Je sais! Je tiens mon affaire! s'écria-t-elle soudain; Je vais tenter une épreuve, et que le ciel me pardonne si je joue une petite comédie qui doit m'éclairer sur ce que je veux savoir!"
Comme un pas alerte se faisait entendre derrière la porte, elle enferma la lettre de M. Garderenne dans son corsage, prit une mine indifférente et pensa:
"Guimauve doit savoir moins que tout autre ce qui m'arrive.
Taisons-nous."
Et, à l'entrée de son cousin, elle parla de la pluie et du beau temps; il la trouva parfaitement inepte contre son ordinaire, mais il ne le lui dit pas.
XXXII
Très appliquée, ses petites dents de jeune chien mordant sa lèvre inférieure malgré un commencement de mal de tête, Odette cherchait ardemment, sous les yeux de son cousin Robert qui lui servait de professeur, la solution d'un problème difficile.
Toute la famille était à Croissy, en train de visiter la maison de campagne qu'on voulait louer pour l'été.
Mlle d'Héristel, qui s'était remise au travail avec une diligence étonnante, avait préféré rester à Paris, et Robert lui donnait une leçon de mathématiques.
Elle poussa soudain un énorme soupir; son cousin la regarda avec inquiétude.
— Tu es pâlotte, Odette; es-tu souffrante?
— Un peu de malaise, cela passera.
— Veux-tu que nous suspendions ce travail?
— Tout à l'heure. Explique-moi d'abord ce problème.
— Soit. Deux puisatiers creusent un puits cylindrique de trois mètres de diamètre et de quinze de profondeur…
— Oui, je sais; il faut multiplier la hauteur par le diamètre et ensuite diviser… Ah! tiens, non, je n'y suis plus du tout, ajouta-t-elle découragée, en posant son crayon sur la table.
Tout à fait anxieux, Robert se leva.
— Je t'assure, Odette, que tu dois te coucher; tu as la mine de quelqu'un qui frise la syncope.
— En effet… je… tu as raison, répliqua la fine mouche qui avait son plan et que favorisaient les circonstances.
— Mon Dieu! si tu allais avoir…
— Encore une léthargie, n'est-ce pas? Au fait, c'est possible. Tiens, aide-moi à regagner ma chambre.
Il obéit si troublé, qu'elle sentait son coeur battre à grands coups sourds.
Et, en vérité, il avait raison de s'inquiéter, car, lorsque Odette fut étendue sur son lit, elle conserva un immobilité de morte et pas un souffle ne parut soulever sa poitrine.
On était au déclin du jour; sans l'obscurité croissante, Robert eût pu remarquer que la jeune fille n'était pas d'une pâleur bien intense, que ses lèvres restaient rosées et que nulle sueur ne perlait à son front.
Mais il était trop agité pour s'occuper de ces détails.
Tout à con chagrin, il pensait:
— Le médecin nous avait promis que cet accident ne se renouvellerait pas… Alors, puisque, en dépit de ces pronostics, le mal reprenait, nous pourrions bien perdre Odette.
Aussi, au lieu de secourir la jeune fille, ou de tenter de la rappeler à la vie, il demeurait debout près du lit, lui parlant à mi-voix sans se douter que sa fine oreille recueillait ces manifestations de douleur et que son petit coeur en battait de joie.
"Je ne t'aurai donc retrouvée si gentille, si affectueuse, si intelligente, que pour te voir disparaître de nouveau de ma vie? Si tu savais ce qui s'est passé en moi, lorsque je t'ai rencontrée à Alger, si jolie dans ta fraîche toilette, et que je t'ai entendue jouer du piano avec tant d'âme et de compréhension des maîtres!… Seulement, j'ignorais comment tu me recevrais; nous avions gardé mutuellement un si long silence!
"Je crois que si je t'avais retrouvée vaniteuse et folle, toute tendresse serait morte en mon coeur et je serais parti de mon côté sans venir te serrer la main.
"Car, je t'étais resté fidèle, au fond, et ton image me suivait partout: dans les expéditions dangereuses, dans mes travaux, dans mes excursions.
"Et je revenais heureux, mignonne, parce que, en récompense de mon labeur, un poste brillant m'est promis et que j'espérais te demander, ma chère petite pupille, si tu m'y suivrais, non plus en image cette fois…
— Mais en chair et en os! Ah! Comment donc, si je le veux! s'écria tout à coup la "morte" en se dressant sur son séant et en tendant les bras à Robert.
Celui-ci recula, plus épouvanté qu'à la première "résurrection" de Mlle d'Héristel.
— Je te fais donc peur? dit-elle avec un sourire d'infinie tendresse. Pourtant, ne devines-tu pas que j'ai simulé cette léthargie pour surprendre ton secret, si tu en avais un?
Oh! pardonne-moi mon sans-gêne, ajouta-t-elle, voyant un mouvement qu'il esquissait. Vois-tu, le malentendu qui nous a éloignés l'un de l'autre pendant deux années au moins venait de ce que, dans ma première crise de catalepsie, je ne t'avais entendu ni pleurer, ni exprimer de regrets.
— Ah! ma pauvre nénette! c'est que j'avais trop de chagrin. Je t'aimais tant, déjà! s'écria Robert.
— Eh! je le conçois maintenant; mais avant, pouvais-je le deviner?
J'étais si jeune!
— Et aujourd'hui? fit Samozane en souriant.
— Eh bien! aujourd'hui, sans être encore une vieille femme, j'ai de l'expérience.
Tu en as vu la preuve, tout à l'heure.
— En effet, autrefois, tu n'aurais pas eu la ruse de feindre une syncope.
— Plus qu'une syncope, presque la mort, Robert, fit gravement la jeune fille.
Mais si le bon Dieu m'avait punie et reprise à ce moment pour de bon, je serais partie contente avec ce que je sais.
— Ainsi tu consentirais…
— A être ta femme? Oh! mais oui, Robert, avec joie; il y a un an, je ne sais ce que je t'aurais répondu, je ne me sentais pas digne de toi. A présent, je peux hautement dire que je le suis.
D'une petite voix timide, elle ajouta:
"Sauf que je suis pauvre."
Il tressaillit et dit avec une dureté inattendue:
— Ainsi, tu ne m'accuses plus de courir après les jeunes filles bien dotées?
Rougissante, elle cacha sa jolie tête sur l'épaule de son tuteur:
— Tu ne comprends donc pas, Robert, que la colère seule me faisait parler: j'étais jalouse de Mlle Dapremont.
— A laquelle je portais la courtoisie et l'amabilité dont tu ne voulais pas, toi, Odette.
— Parce qu'on m'avait mis des idées en tête et que j'étais une sotte.
Ecoute, Robert, je veux bien t'épouser, mais à une condition.
— Laquelle? fit-il, effrayé d'avance de la fantaisie extravagante qui pouvait traverser cette petite tête.
— C'est que tu ne me reparleras plus de cette… circonstance. C'est enterré, n'est-ce pas?
— Je te le promets, répondit-il, soulagé.
Nénette sauta à travers la chambre.
— Et maintenant, veux-tu que nous allions finir notre problème?
— Ah! fit-il, si j'ai la tête au calcul!
— Cela ne fait rien. Viens toujours, nous causerons de choses sérieuses.
De nouveau, ils s'attablèrent à la salle d'études, et lorsque la famille Samozane revint, lasse et joyeuse, de Croissy, on leur demanda, sans arrière-pensée:
— Eh bien! enfants, avez-vous bien travaillé?
— Enormément, répondait Odette, pendant que son cousin rougissait comme un écolier pris en faute.
Guillaume regarda son frère en dessous.
— Aussi, ce pauvre Bob en a le sang à la tête, fit-il observer.
Mme Samozane examina son fils aîné:
— C'est vrai, Robert, cette petite te donne trop de peine avec sa passion d'étude. Repose-toi donc.
— Ma tante, reprit Odette, après avoir jeté un coup d'oeil d'intelligence à son cousin, je vous répète que nous avons, en effet, beaucoup travaillé: même, nous nous sommes fiancés.
Un silence de stupeur accueillit ces paroles.
— Il est des plaisanteries, Odette… commença tante Bertrande avec sévérité.
— Qu'il ne faut pas faire, acheva Mlle d'Héristel sans se troubler; vous avez raison, tante, aussi suis-je très sérieuse.
M. Samozane se tourna vers sa pupille:
— Enfin, qu'y a-t-il de vrai dans tout ceci, ma fille, dis-le-nous sans ambages?
— Tout, mon oncle, je ne ferai pas de fleurs de rhétorique pour vous le répéter: nous avons cherché la solution de plusieurs problèmes et nous nous sommes fiancés.
M. Samozane frappa légèrement le plancher du bout de sa canne.
— Avec cette petite folle, on ne peut rien croire, dit-il.
Robert parla à son tour:
— Odette ne rit pas, mon père, dit-il; seulement elle va un peu vite en besogne et nous aurions dû vous communiquer, à vous d'abord et à maman…
— Ca ne fait rien, interrompit Guillaume, nous avons aussi voix au chapitre, nous les jeunes. Robert, moi, je t'approuve; toi aussi, Nénette, vous êtes faits l'un pour l'autre.
— Allons, mes enfants, venez causer sérieusement de cela avec nous, conclut Mme Samozane, en faisant signe aux deux soeurs et à Guillaume de rester à la salle d'étude.
Le trio, abandonné à lui-même, fit ses réflexions: Blanche et Jeanne, très philosophes, trouvaient que rien n'était changé à leur manière de vivre. Depuis si longtemps on était accoutumé à voir Odette faire partie de la maison! tout irait comme par le passé, sauf que Mlle d'Héristel deviendrait Mme Robert Samozane.
Guillaume, lui, portait envie à son frère.
— S'il existe, de par le monde, une seconde Odette d'Héristel, disait-il, je ferai bien d'aller à sa découverte, car c'est tout à fait mon affaire.
Ses soeurs firent observer qu'il n'était pas assez mûr pour se marier.
— Qu'importe! répliqua-t-il, j'irai faire un tout "en Alger"; on mûrit très vite, là-bas, témoin, notre cousinette qui, en huit mois, est devenue plus accomplie que Cornélie, mère des Gracques ou que Blanche de Castille, reine de France.
XXXIII
— C'est une ravissante habitation, disait M. Samozane avec autant d'enthousiasme que sa nature calme pouvait en témoigner; l'air y est d'une pureté de cristal, la vue telle, que l'on passerait ses soirées sur la terrasse à regarder le soleil se coucher et la lune se lever…
— Quand il y a de la lune! ajouta Gui avec sérieux.
— Et une maison d'un confortable, reprit Jeanne, qui aimait son bien-être; des cabinets de toilette à chaque chambre, une salle de bain…
— Mais voilà, c'est d'un prix inabordable pour nous, soupira Mme Samozane, et il n'en faut plus parler puisque nous devons nous contenter de la petite propriété du bas…
— Où nous serons serrés comme des anchois, acheva l'incorrigible Gui.
La voix claire d'Odette s'éleva:
— Pourquoi, tante, ne loueriez-vous pas, de juillet à octobre, c'est-à-dire dès que nous serions mariés, Robert et moi, la jolie villa dont vous parlez?
— Tu es folle: on nous en demande trois mille cinq cents francs; on l'aurait eue pour trois mille, mais puisque…
— Il faut, dès aujourd'hui, signer un engagement, répéta l'obstinée jeune fille.
Guillaume murmura dans sa moustache:
— Je crois que son mariage lui tourne la tête; elle ne comprend plus rien, la chère cousinette.
—Eh bien! moi, je vais écrire au propriétaire que c'est une affaire conclue, répliqua Odette en découpant son bifteck avec férocité, car on était au déjeuner.
— Avec quel argent paieras-tu? demanda malicieusement Jeanne.
— Avec le mien, riposta Odette qui était toute rose et qui posa fourchette et couteau sur son assiette pour se tourner vers Robert.
Pardonne-moi, poursuivit-elle, je t'ai caché quelque chose, Robert, mais, je vais me confesser aujourd'hui, en public, et j'espère que tu ne me gronderas pas.
— Savoir! grommela le jeune homme qui ajouta, les yeux au ciel:
"Grand Dieu! que va-t-elle m'apprendre?"
— Lis, s'écria Mlle d'Héristel, en lui mettant sous les yeux la lettre, que nous connaissons, de M. Garderenne.
Robert pâlit un peu en en prenant connaissance; puis, faisant passer le papier à ses parents, il demanda, la voix altérée:
— J'espère que vous avez refusé, Odette?
Les jolis yeux de la jeune fille exprimèrent un effarement subit.
— J'ai réfléchi, puis j'ai répondu… mais la lettre n'est pas partie, elle est là-haut sur ma table… cela te fâcherait donc, si je redevenais riche?
— Absolument; je ne veux pas que tu doives un sou à ce… monsieur.
— Il me semble, fit tranquillement Mme Samozane après avoir lu à son tour, que ce monsieur, comme tu dis peu aimablement, Robert, agit très bien en rendant à Odette une fortune qui revenait à la chère enfant, de par la volonté du légataire au moins.
— C'est tout à fait mon avis, dit Guillaume à qui l'on ne demandait rien.
— Mais ce n'est pas le mien et je crois avoir le droit de décider la question, s'écria Robert très animé.
Je ne veux tenir Odette que d'elle-même, je ne veux pas de cette dot…
— Qu'elle mérite pourtant bien, car cet argent aura été joliment trimballé, insinua Guillaume.
— C'est possible; mais je suis seul en cause, répliqua sèchement son frère.
Puis, se tournant vers Odette:
— Chérie, tiens-tu donc tant que cela à cette fortune?
L'enfant leva ses yeux purs sur son fiancé et répondit, soumise:
— J'y tenais pour vous tous, Robert, pour louer cette villa qui vous a séduits et où mon oncle reprendrait des forces. J'y tenais aussi pour Jeanne qui aurait la dot réglementaire et pourrait se marier selon son coeur… Mais, je ferai ce qu'il te plaira, Robert, je ne veux pas te contrarier.
Jeanne était devenue toute rose, elle aussi.
— Mon Dieu! dit-elle en joignant les mains, si tu faisais cela,
Nénette!
La famille entière était ébranlée; seul, Robert tenait toujours bon.
— Cependant, hasarda tante Bertrande, il ne faut pas exagérer certains sentiments: Robert, mon enfant, tu sais très bien que l'intention du légataire était de laisser sa fortune au père de Nénette.
Un vice de forme dans le legs a permis à M. Garderenne d'intenter et même de gagner un procès plus ou moins justement. Il reconnaît sa faute et veut restituer…
— C'est possible, mais il choisit mal son moment pour cela, gronda
Robert.
— Si j'avais su, je n'aurais rien dit encore, murmura Odette très marrie.
— Qu'as-tu dit à ce monsieur? demanda l'irritable fiancé.
— Je peux te montrer ma lettre, puisqu'elle n'est pas partie, répondit
Mlle d'Héristel.
On sonna Euphranie et on la pria d'aller chercher, dans la chambre de sa jeune maîtresse, une missive demeurée sur la table.
— La… le… l'enveloppe? fit la brave femme effarée; ah! y a beau temps que je l'ai jetée à la poste.
— Comment! tu t'es permis… commença Odette.
— C'est après avoir fait votre chambre, mademoiselle; j'allais au marché, j'ai vu la lettre et j'ai pensé comme ça que vous l'aviez oubliée, rapport à ce que vous avez la tête un peu perdue, sauf respect, depuis que vous vous épousez avec m'sieu Robert.
— Mais, malheureuse, elle n'était pas cachetée!
— Oh! j'y ai bien vu et j'ai léché l'enveloppe gommée avant de la jeter à la boîte… Mademoiselle ne doute pas de ma discrétion: je ne sais pas lire l'écriture écrite.
— Dieu a donc décidé lui-même, soupira tante Bertrande, point fâchée au fond de ce qui arrivait.
— Nanie, souffrez que je vous embrasse pour vous féliciter de votre bonne inspiration, s'écria Gui.
Et, sans façon, il effleura de sa moustache les joues ridées mais encore fraîches de la vieille femme ravie.
On la congédia et le cadet des frères Samozane, prenant une attitude théâtrale, la main sur la poitrine, parla en ces termes:
— Mes chers parents, mon frère, ma soeur, puisque tu deviens ma soeur de fait, par le mariage, ma chère Nénette.
Voyez le doigt de Dieu en ce qui nous arrive. Une servante fidèle, instrument de la Providence, a tranché la question sans le savoir.
D'ici peu, M. Garderenne va recevoir l'acceptation de Nénette, et nos aimables fiancés vont voir l'aisance, sinon la richesse couler sous leur toit.
— Sans compter que notre premier enfant est déjà doté, dit ingénument
Odette.
Tu as bien lu la lettre de M. Garderenne, répliqua-t-elle; il dit qu'il sera parrain de notre premier-né et lui donnera environ trois cent mille francs.
— C'est juste.
— Et maintenant, conclut Mlle d'Héristel, assez causé de ce qui est irréparablement fait. Je propose que nous allions visiter la fameuse villa où nous devons passer en famille un été délicieux.
La promenade fut arrangée; seul, Gui, qui avait à écrire, demeura à la maison, ce qui lui procura l'inestimable faveur de recevoir Mlle Dapremont.
Elle avait eu vent du retour de Robert et accourait, assez désappointée de ne trouver au logis que son frère.
Guillaume entra au salon, plus ennuyé que ravi.
— Vous ne semblez pas enthousiasmé de ma visite, lui dit un peu âprement la demoiselle en quête de mari.
— Moi! comment donc? se récria-t-il. C'est le bonheur qui me coupe la parole.
— Ainsi, votre frère est revenu. Ses dangereux voyages ne l'ont pas trop…
— Décati, acheva Gui, voyant qu'elle cherchait son mot. Pas le moins du monde; il reparaît frais comme une rose et Odette aussi.
— Ah! Odette aussi? Ils sont revenus… ensemble?
— Comme vous le dites; sous l'égide de tante Bertrande et bras dessus, bras dessous, ainsi que deux tourtereaux — fiancés qu'ils sont.
— Comment! Ils sont… elle est… ils… essaya de proférer Mlle Dapremont qui était verte et qui voyait le salon tourner devant ses yeux.
— Fiancés? Mais certainement, et dès la plus haute antiquité. Ne vous en doutiez-vous pas un brin?
— Nullement, car ils cachaient trop bien leur jeu, répliqua aigrement
Antoinette, recouvrant la voix pour exhaler son courroux.
Et puis, je ne pouvais supposer que Rob… que votre frère, si grave, si instruit, si sérieux, s'éprendrait d'une petite fille si folle.
— C'est que voilà, chère mademoiselle, ces petites filles, comme vous le dites, dissimulent parfois sous des airs évaporés les qualités les plus exquises. Un moment venu, les airs évaporés fichent le camp… pardon, je voulais dire, s'envolent pour de bon…
— Et les qualités exquises restent, fit avec ironie Mlle Dapremont.
— C'est l'absolue vérité. D'ailleurs, notre chère Nénette a fait la conquête de toute l'Algérie en quelques mois.
— Comme Charles X.
— Tout à fait, et sans le chercher, elle du moins. Si elle l'avait voulu, elle aurait épousé trois sheicks, cinq Anglais milliardaires et vingt-quatre Français des meilleures familles.
— M. Robert a d'autant plus de chance de se voir préféré, qu'il est peu fortuné lui-même et que sa fiancée n'a plus de dot.
Guillaume parut tomber des nues.
— Qui vous a dit cela? Ah! oui, je sais, le bruit a couru qu'elle allait être dépouillée de sa fortune; mais il n'en est rien, et celui qui voulait lui intenter un procès, a compris qu'il serait injuste d'agir ainsi.
— Ah!… alors tout est bien, mes compliments, en ce cas! conclut Mlle Dapremont qui se leva, de plus en plus verte et de plus en plus consternée.
— Je ne manquerai pas de les transmettre aux deux fiancés quand ils rentreront, répliqua l'impitoyable Gui en reconduisant la visiteuse.
Soudain, Mlle Dapremont se retourna brusquement:
— Mais… pardon! Vos parents, si chatouilleux sur la question… religion, comment tolèrent-ils cette union entre cousins?
Gui se mit à rire:
— Chère mademoiselle, notre saint Père le Pape lui-même vous dirait que la mariage entre des cousins aussi éloignés que nous le sommes avec Odette — pas du tout germains, comme vous semblez le croire — est archi autorisé. Vous entendez bien? archi autorisé. Par respect pour ses tuteurs, Odette donne à papa et à maman les noms d'oncle et de tante, quand ils ne sont que des cousins âgés.
— Allons! je suis battues à plate-couture, soupira l'envieuse fille.
Et elle alla conter sa peine à son amie la plus intime Miss Hangora, qui la consola en ces termes:
— Soyez certaine, my dear, que cette petite étourdie n'est pas du tout la femme qu'il faut à M. Samozane.
— Je ne le sais que trop, gémit l'autre; il sera très malheureux avec elle.
Cette prédiction ne se réalisera pas, car nous devons avouer au lecteur, que Robert et Odette ont déjà quatre enfants à l'heure qu'il est et ils s'aiment autant qu'au premier jour. Ils ont d'ailleurs bien mérité leur bonheur car, très respectueux des lois de l'Eglise qui maternellement tolère, mais n'autorise pas les unions entre cousins, Odette, Robert et les parents de celui-ci hésitèrent longtemps à enfreindre ces lois; ce n'est qu'après avoir rempli toutes les formalités nécessaires en pareille circonstance et reçu toutes les dispenses voulues, que le mariage fut célébré avec grande pompe; aucune ombre ne vint donc attrister la joie de ce jour; et sans aucun obstacle, les bénédictions du Ciel purent se répandre avec abondance sur les jeunes époux.
Erreurs typographiques corrigées silencieusement:
Chapitre 1: =prète à pleurer= remplacé par =prête à pleurer=
Chapitre 1: =me fit grand peur= remplacé par =me fit grand'peur"
Chapitre 1: =que je me plaîs= remplacé par =que je me plais=
Chapitre 1: =violette de de ses yeux= remplacé par =violette de ses yeux=
Chapitre 1: =Seigneur, Seigneur!…= remplacé par =Seigneur,
Seigneur!…"=
Chapitre 1: =Saint-Pierre= remplacé par =Saint Pierre=
Chapitre 1: =m'avais habillée= remplacé par =m'avait habillée=
Chapitre 1: =mon lit funêbre= remplacé par =mon lit funèbre=
Chapitre 1: =regarde-là= remplacé par =regarde-la=
Chapitre 1: =la lointain de la maison= remplacé par =le lointain de la maison=
Chapitre 1: =réserve le crèpe= remplacé par =réserve le crêpe=
Chapitre 1: =n'est-ce pas, Blanche!= remplacé par =n'est-ce ce pas,
Blanche!"=
Chapitre 1: =conversèrent:.= remplacé par =conversèrent.=
Chapitre 2: =ressucitée= remplacé par =ressuscitée=
Chapitre 2: =puis, impatente= remplacé par =puis, impatiente=
Chapitre 2: =ne se vit assiéger= remplacé par =ne se vît assiéger=
Chapitre 3: =n'a pas durée= remplacé par =n'a pas duré=
Chapitre 3: =glacer une crême= remplacé par =glacer une crème=
Chapitre 3: =armoir à glace= remplacé par =armoire à glace=
Chapitre 3: =Ousqu'à présent= remplacé par =Jusqu'à présent=
Chapitre 3: =son apprécition= remplacé par =son appréciation=
Chapitre 3: =heures plus terd= remplacé par =heures plus tard=
Chapitre 5: =notre niêce= remplacé par =notre nièce=
Chapitre 6: =l'offre!.= remplacé par =l'offre!=
Chapitre 6: =désinvolture?= remplacé par =désinvolture?"=
Chapitre 8: =affectation sincère= remplacé par =affectation, sincère=
Chapitre 10: =Jamozane d'un ton= remplacé par =Samozane d'un ton=
Chapitre 10: =Soyez tranquille= remplacé par =— Soyez tranquille=
Chapitre 10: =à cette exploiton= remplacé par =à cette explosion=
Chapitre 11: =je suis partis= remplacé par =je suis partie=
Chapitre 11: =chose à une fin= remplacé par =chose a une fin=
Chapitre 11: =les curieuse= remplacé par =les curieuses=
Chapitre 11: =Pépin d'Héristal= remplacé par =Pépin d'Héristel=
Chapitre 12: =mêre de famille= remplacé par =mère de famille=
Chapitre 12: =mouche, ajouta= remplacé par =mouche ajouta=
Chapitre 13: =puis, travail.= remplacé par =puis, travail."=
Chapitre 17: =tu es raison= remplacé par =tu as raison=
Chapitre 17: =à cette instant= remplacé par =à cet instant=
Chapitre 17: =je ne m)y fie= remplacé par =je ne m'y fie=
Chapitre 17: =c'est un chance= remplacé par =c'est une chance=
Chapitre 17: =elle eut donné= remplacé par =elle eût donné=
Chapitre 17: =poussé à dire= remplacé par =poussée à dire=
Chapitre 17: =suavité enviable!.= remplacé par =suavité enviable!=
Chapitre 19: =plaisanter quoi qu'il= remplacé par =plaisanter quoiqu'il=
Chapitre 19: =je t'ai dis= remplacé par =je t'ai dit=
Chapitre 20: =c'est bon, va-t-en= remplacé par =c'est bon, va-t'en=
Chapitre 20: =plaîrait encore= remplacé par =plairait encore=
Chapitre 20: =laissons-là l'histoire= remplacé par =laissons là l'histoire=
Chapitre 20: =absolement fâchée= remplacé par =absolument fâchée=
Chapitre 21: =d'un acacias= remplacé par =d'un acacia=
Chapitre 21: =deux ans.= remplacé par =deux ans."=
Chapitre 22: =de mêre de famille= remplacé par =de mère de famille=
Chapitre 23: =pourquoi faire= remplacé par =pour quoi faire=
Chapitre 23: =parler. Gui= remplacé par =parler, Gui=
Chapitre 23: =soeur précheuse= remplacé par =soeur prêcheuse=
Chapitre 24: =pous sa beauté= remplacé par =pour sa beauté=
Chapitre 24: =côte Provençale= remplacé par =côte provençale=
Chapitre 24: =force de vapeur,,= remplacé par =force de vapeur,=
Chapitre 24: =jamais usé.= remplacé par =jamais usé."=
Chapitre 25: =moi qui avait= remplacé par =moi qui avais=
Chapitre 26: =dix ans seulement!= remplacé par =dix ans seulement!"=
Chapitre 26: =grand hâte= remplacé par =grand'hâte=
Chapitre 26: =lui devint= remplacé par =lui devînt=
Chapitre 27: =personne lui fit= remplacé par =personne lui fît=
Chapitre 27: =porte bonheur!= remplacé par =porte bonheur!"=
Chapitre 27: =tout kabyle= remplacé par =tout Kabyle=
Chapitre 27: =et bjientôt= remplacé par =et bientôt=
Chapitre 28: =domestique Kabyle= remplacé par =domestique kabyle=
Chapitre 28: =prochain embarquement.= remplacé par =prochain embarquement."=
Chapitre 29: =charmante parisienne= remplacé par =charmante Parisienne=
Chapitre 30: =à mefaire= remplacé par =à me faire=
Chapitre 30: =souffrit moins= remplacé par =souffrît moins=
Chapitre 30: =noire comme de l'encre= remplacé par =noires comme de l'encre=
Chapitre 30: =quitta la large= remplacé par =quitta le large=
Chapitre 30: =prit place= remplacé par =prît place=
Chapitre 31: =méthamorphose de sa cousine= remplacé par =métamorphose de sa cousine=
Chapitre 31: =veux savoir!= remplacé par =veux savoir!"=
Chapitre 32: =circonstance,= C'est remplacé =par circonstance. C'est=
Chapitre 32: =dis-le nous= remplacé par =dis-le-nous=
Chapitre 32: =sans embage= remplacé par =sans embages=
Chapitre 33: =caché, quelque chose= remplacé par =caché quelque chose=