Archipel
«Il n'y a qu'une solution possible pour moi. Je mettrai dix francs par mois de côté. Au bout de dix neuf mois, je pourrai peut-être enfin me marier. Mais à ce moment-là tous mes actes seront périmés pour la quatrième fois, et alors je recommencerai ma promenade dans les greffes, bien heureux si l'impôt projeté ne vient pas me frapper dans l'intervalle comme «célibataire endurci».
Vraiment (et beaucoup de lecteurs sans doute devinent la phrase) je trouve que M. D... est bien patient envers des lois aussi vexatoires que les nôtres.
Si j'ai un conseil à lui donner, c'est de garder cette somme énorme—190 francs—pour la layette de son premier enfant qui en aura bien besoin, le pauvre petit. Depuis six mois, on refuse de marier cet homme et cette femme: qu'ils n'insistent pas. On les a ruinés: qu'ils arrêtent les frais. Et s'ils tiennent absolument à porter un nom identique, j'offre de leur faire faire, à mon compte; chez un graveur, deux cents billets de part ainsi conçus:
«Madame X... et Monsieur D... ont l'honneur de vous informer qu'à partir du 25 décembre 1900, ils se considéreront comme mariés.»
Tous les honnêtes gens du quartier, j'en réponds, leur donneront raison.
La moralité de cette anecdote s'inscrit logiquement à sa suite. M. Piot, par son projet d'impôt, espère établir entre le célibat et le mariage un parallèle avantageux pour la vie conjugale. Nous allons faire pour lui la comparaison.
D'une part, voici M. A..., contribuable, taxé à 30 francs. Il est célibataire; il n'a chez lui ni femme, ni maîtresse, ni enfants. Qu'au dehors il soit chaste ou fréquente les filles, cela n'importe point: dans les deux cas, il est infécond.
Pour prix de cette infécondité, M. Piot lui demande DEUX FRANCS.
Voici d'autre part M. D..., le héros des aventures qui précèdent. Je le suppose lui aussi taxé à 30 francs. Il a voulu se marier selon le vœu de l'État, et voici que l'État lui demande avant de le lui permettre[26]:
| Frais d'actes, correspondance et courses (environ) | 60 | fr. | 00 |
| Trois nouvelles séries des mêmes frais par suite de péremptions | 180 | fr. | 00 |
| Sommations respectueuses | 75 | fr. | 00 |
| Copie de la transcription d'un jugement de divorce | 190 | fr. | 00 |
| Total | 505 | fr. | 00 |
Et le comble, c'est qu'on lui réclamera quand même 2 francs d'impôt par an si sa femme est stérile malgré elle!
Ajoutez à cela les frais de la noce, puis toutes les dépenses de logement, de vêtements et de nourriture que nécessitera son nouveau foyer, et dites de quel côté descend la balance que M. Piot tient suspendue à son doigt sénatorial.
La nature a donné des charges écrasantes aux familles nombreuses, et l'État vient encore accabler ceux qui fléchissent déjà dans l'appréhension des misères futures.
Majorité tardive, opposition des parents, refus d'autoriser venant de l'administration ou des supérieurs militaires, nombre des démarches, importance des frais, longs délais, péremption des pièces,—quoi encore? les lois et les règlements amoncellent leurs barricades sur toutes les routes qui mènent à l'union civile. La forteresse du mariage est une place qu'il faut emporter contre tous. Avant d'obtenir la permission d'être utile à son pays en fondant une famille de plus, il faut satisfaire un Code suranné, un fisc aux cent bouches, une famille égoïste, avare ou haineuse, une hiérarchie de supérieurs tracassiers ou malveillants.
Combien succombent dans cette lutte, qui ne se marieront plus jamais, après avoir passé à côté du bonheur! Dans l'amas des lettres que j'ai reçues à l'appui de mon premier article, je trouve l'histoire d'un jeune homme qui entendit ce mot d'un père: «Une femme en vaut bien une autre!» Ah! vous croyez cela, vieillards! le jour où vous brisez la vie de votre enfant, vous croyez qu'il se guérira, qu'il pardonnera, qu'il oubliera, et que vous réussirez plus tard à jeter dans son lit une dinde grasse, avec un portefeuille d'actions! Combien en pourrais-je citer qui sont morts sans avoir voulu se laisser consoler ainsi!
Mais l'État ne s'en inquiète point. L'État règne. Même sur les questions qui le regardent le moins, il entend faire accepter non ses avis, mais ses ordres. Jusque dans la ruelle du lit, il faut qu'il exerce ou délègue son autorité stérilisante. Souveraine est sa morale nuptiale, et peu lui importe de savoir sur quelle routine il l'établit. Épousez une actrice, décorée ou non, Paris trouvera cela tout naturel; on en a d'illustres et de charmants exemples; mais si vous êtes receveur des contributions dans un trou d'Auvergne ou de Savoie, n'espérez pas obtenir de votre chef de service qu'il vous laisse épouser Agnès ni Chimène. L'administration en est restée là-dessus aux idées du dix-septième siècle. Il faut se soumettre ou se démettre, rester célibataire ou perdre son emploi. Pour beaucoup d'hommes, c'est le choix forcé entre le désespoir et la misère.
Par contre, quand le supérieur accorde son consentement, comme s'il prétendait lui donner l'auréole de l'infaillibilité papale, tout doit courber le front devant sa parole sainte. Voyez ce qui s'est passé à Melun. Un officier demande à épouser une femme divorcée; si son chef avait rédigé un rapport défavorable, on aurait contraint le malheureux à donner sa démission, à briser sa carrière, plutôt que de lui laisser prendre la femme de son choix. Mais le hasard veut que le rapport ne conclue pas au rejet de la demande, et, du jour au lendemain, il faut que toutes les maisons s'ouvrent. Les femmes des officiers sont en service commandé quand elles font des parties de tennis sur la pelouse de leur jardin.
Pour les seconds mariages comme pour les premiers, l'État ne semble préoccupé que d'interdire l'union partout où il le peut. Il trouve bon que les maris prennent des dispositions testamentaires en vue de déshériter leurs femmes le jour de leurs secondes noces. Bien plus: il donne l'exemple, en privant de tout secours si elles se remarient, les veuves qui obtiennent un bureau de tabac. Il défend à la femme adultère d'épouser jamais son complice, c'est-à-dire de fonder enfin une famille féconde et saine, avec le seul homme qu'elle aime, avec le père de ses enfants.
Ceci exposé sommairement et d'ailleurs connu de tout le monde, nous pouvons donc répondre à l'État qu'il est mal venu à reporter ses propres fautes sur la conscience des citoyens. En frappant d'un petit impôt les célibataires âgés de plus de trente ans, le Parlement voterait une loi dérisoire et inefficace que certains trouvent même injuste, mais qui se condamne assez par son impuissance, pour qu'on ne l'accable pas d'autres arguments.
Je ne suis ici qu'un porte-parole. Croyez que je ne plaide pas pour ma cause, puisque je n'ai pas encore trente ans et que je ne suis plus célibataire; mais si mon insistance est désintéressée, elle n'en sera que plus ardente, et plus libre.
Les familles sont trop peu nombreuses. Comment les multiplier?
Le Sénat répond:—En persécutant les gens qui ne veulent pas se marier.
Et il n'entend pas les milliers de voix jeunes qui lui ont crié de toutes parts:
—En nous accordant le mariage, à nous qui ne demandons que cela!
9 décembre 1900.
III
PLAIDOYER POUR ROMÉO ET JULIETTE
En France, nous sommes traditionnels. Nous avons le respect, non des choses établies, mais de la forme originelle sous laquelle ces choses demeurent à travers les siècles. C'est l'extérieur des institutions, et non leur essence, qui possède chez nous le privilège de l'inviolabilité.
—Qu'est-ce que le mariage? l'union d'un homme et d'une femme sous serment.—Ajoutez-y les cérémonies civiles ou religieuses qu'il vous plaira: tout le reste n'est qu'ornement et accessoire. L'Église même se défend de «marier» au propre sens du terme: elle bénit à l'avance le mariage futur des fiancés, celui qui se consommera dans la chambre nuptiale. Si l'on peut établir plus tard que la rencontre n'a pas eu lieu, que le mariage n'a pas été physiologiquement consommé, l'Église constate la nullité de l'union qu'elle avait préparée sans prétendre la conclure, moins présomptueuse en cela que l'état-civil. Et, pour que cette union soit qualifiée de nuptiale, il ne faut, devant le maire comme devant l'autel, qu'un serment.—Eh bien, nous trouvons, en France, toute naturelle la rupture de cette foi jurée. L'adultère est sympathique, cela est assez connu pour qu'il soit inutile d'apporter là une démonstration. Tout Paris pour le jeune amant, a les yeux de la femme mariée. Mettez-les tous les deux en scène, et une salle de deux mille personnes, de tout âge et de toute classe, applaudira, n'en doutez point.
Mais:
Devant le même public et dans le même théâtre, introduisez un conférencier qui propose de porter atteinte au mariage, non plus dans ce qu'il a de sacré, d'universel et de nécessaire, mais dans ce qu'il offre de variable selon le temps et de particulier selon les nations,—l'âge requis, les formalités, le consentement paternel,—aussitôt on interpellera, l'orateur, on l'accusera de «toucher à l'institution de la famille» et de compromettre par là l'équilibre de la société.
Voilà donc une opinion reçue: sympathiser avec l'adultère, ce n'est pas «toucher à l'institution de la famille», mais vanter, par exemple, les droits du mariage à vingt ans sans le consentement des ancêtres, c'est «toucher...» etc.
Et l'importance de cette expression se déduit du principe connu: la société repose sur la famille.
Soit. Admettons ce dernier axiome pour juger de la thèse tout entière. Les théoriciens ne s'entendent point sur les caractères de la famille idéale; mais tout le monde est d'accord sur la valeur relative des sociétés, puisque le concours des peuples se poursuit au grand jour, depuis le commencement de l'Histoire. Les sociétés saines, comme les individus sains, se reconnaissent à leur survivance et à leur développement. Si donc, et je le veux bien, la société repose sur la famille, on peut juger par évidence que la famille la mieux organisée est celle qui a permis le développement de la société la plus prospère.
Celle-là, tout le monde la peut nommer. Britannique ou américaine, la race anglo-saxonne possède le monde depuis cent cinquante ans; nulle part nous ne pourrons trouver un aussi parfait exemple d'une société à succès; nulle part il ne sera donc plus intéressant d'étudier l'organisation de la famille et son recrutement par le mariage, considéré comme institution fondamentale de la société.
Si, du premier coup d'œil, nous constatons que les Anglais et les Américains accordent à la cérémonie nuptiale toute les facilités que nos lois lui dénient, il faudra bien en conclure que notre Code civil a été limité par des précautions vaines, puisque les codes voisins, plus libres, ont permis en même temps une croissance nationale et une activité universelle que nous n'avons pu dépasser.
Or, aux États-Unis et en Écosse, les libertés du mariage sont telles qu'on ne pourrait les rêver plus grandes. Un homme et une femme échangent leur serment devant un témoin, quel que soit ce témoin, et la loi les regarde comme mariés.
Selon la volonté des parties, le mariage est laïc ou religieux, civil ou familial, clandestin ou public: il est toujours valable. Il est toujours légitime.
Aucune pièce n'est exigée. Aucune preuve écrite du mariage ne le sera plus tard. La parole du témoin suffit; et, si ce témoin est mort, la parole des époux.
D'ailleurs, toutes les garanties civiles peuvent être données aux conjoints, mais seulement sur leur demande et dans la limite de leurs désirs.
Un mariage secret, immédiat, gratuit et sans entraves,—le mariage de Roméo et de Juliette,—est considéré comme inattaquable, d'Édimbourg à San-Francisco, et on ne nous dit pas que la solidité du lien familial en soit compromise, ni qu'Aberdeen croupisse dans l'anarchie, ni que l'abomination de la désolation soit l'état moral de Louisville (Kentucky).
Un peu moins libérale que l'Écosse et la plupart des États-Unis, l'Angleterre a donné, vers 1836, quelques formes obligatoires à l'union légale, mais avec quelle réserve encore, et quelle largeur de vues.
A quatorze ans, un petit Anglais peut épouser sa meilleure amie, qui en a douze. La loi n'y voit aucun inconvénient, et si les pères de ces enfants croient devoir protester, ne croyez pas qu'il leur suffise de prononcer un simple veto, comme en France. On leur demande leurs motifs; on les interroge, au besoin, devant les tribunaux, où les enfants ont le droit d'attaquer le refus mal justifié qui les sépare. Ceci se passe tous les jours à Londres, à Melbourne, à Bombay et à Liverpool, cités qui ne paraissent pas encore en décadence, et où le sentiment filial est aussi développé, dit-on, qu'à Montmartre ou à La Villette. La loi anglaise n'a jamais pensé que ce fût porter atteinte à aucune institution que de discuter la volonté d'un père le jour où son fils veut, à son tour, fonder une famille nouvelle.
Car c'est là le nœud de la question.
Quel est le parangon de la famille française?—La famille antique... réunion de familles groupées sous la main d'un Aïeul.
Et la famille antique n'est plus.
Nous ne sommes plus au temps où la descendance d'un homme s'abritait tout entière sous les peaux de bouc de la tente, assemblée autour du foyer, protégée par son Chef, son Maître, son Père.
Alors, en effet, et justement! le maître de la tente avait le droit de dire: «J'admets chez moi cette femme et non cette autre. Je gouverne ceux que je défends.»—Ce qu'un tel état social devait engendrer à l'époque moderne, on le voit aujourd'hui par le spectacle des sociétés nomades de l'Asie ou des pays maures qui sont tombées, une à une, sous la main des peuples libres. De même qu'au sommet de l'échelle nous avions trouvé les libertés nuptiales, de même, au dernier point de la décadence, nous trouvons la puissance paternelle à son comble: et cela n'est pas moins frappant.
Aujourd'hui, la famille se désagrège dès la naissance. Dans les milieux bourgeois, l'enfant vit jusqu'à sept ans avec ses bonnes, jusqu'à seize ans avec ses pions et, ensuite, avec... qui vous savez. De quel droit ceux qui l'ont exilé d'abord dans la lingerie, puis emprisonné dans l'atroce internat, avec la menace des maisons de correction, s'il résiste, de quel droit viendraient-ils, ensuite, non pas même discuter, mais briser d'un seul geste l'inclination de cet enfant, devenu homme, lorsqu'elle se manifeste si naturelle, si tendre, et vraiment si morale au sens vulgaire du mot? Où est le foyer patriarcal, la tente et le piquet, le troupeau commun? L'un habite Montluçon et l'autre Paris, si ce n'est Tananarive. Comment l'intérêt de l'aîné prétend-il balancer celui du plus jeune, celui de l'homme qui engage sa propre existence et peut, seul, décider de la valeur de son choix? Si le fils se marie sottement, le père en rougira; d'accord; mais le fils se sentira bien autrement atteint si le père, veuf, se remarie avec une femme indigne, et la loi ne lui donne nul recours[27]. D'ailleurs, demande-t-on au père de juger les projets de son fils? En aucune façon. Le silence suffit. Ce silence tient lieu de raisons. Ce silence vaut un arrêt. Cette abstention est un vote.
Eh bien, peut-être est-ce beaucoup avancer dans le sens de l'indulgence et de l'affection humaines, mais j'imagine que d'excellents pères, aussi bien parmi ceux qui cèdent que parmi ceux qui s'opposent, ne seraient pas fâchés de s'abstenir, purement et simplement, dans certains cas matrimoniaux. En exigeant leur consentement public et solennel, on les charge d'une responsabilité qui n'est pas toujours acceptée de bonne grâce. On les oblige à laisser de leur assentiment une preuve écrite et formelle qui est bien souvent gênante, et pour des raisons qui ne touchent point aux questions d'honneur. Certains Capulets aimeraient assez leur fille pour consentir à sa joie, s'il ne fallait ensuite avouer à tout Vérone qu'ils ont fait alliance avec la famille ennemie. La question qui leur est posée n'est pas:—«Autorisez-vous votre fille à se marier selon son goût?»—mais, aux yeux de tout le monde, celle-ci:—«Vous, Monsieur A..., député bonapartiste, prenez-vous pour gendre M. B..., fils d'un préfet du 4 Septembre?»—Tel qui répondrait oui à la première question répondra non à la seconde, et la loi qui la pose lui dicte son refus.
En 1792, le jurisconsulte Muraire, qui mourut plus tard premier président de cassation, écrivait:
Les droits du père ont leurs limites... Disons-le, messieurs, trop souvent les pères ne consultent que l'ambition dans le consentement qu'ils donnent au mariage de leurs enfants ou dans l'empêchement qu'ils y mettent. Si vous voulez que les mariages soient heureux, laissez la liberté des choix. Ainsi, en facilitant les mariages, vous les multiplierez, et vous ferez le bien de la société. En livrant l'homme plus tôt à lui-même, vous hâterez les progrès de sa raison.
Depuis un siècle, et davantage, ces paroles ne sont pas entendues. Il faut, je le crois, désespérer de les voir jamais obéies. On continuera, en France, à conclure les mariages à peu près selon la mode de quelques peuplades nègres: par voie d'achat entre deux familles. La volonté des jeunes amants restera chose négligeable, et impuissante contre celle d'autrui. Des milliers de couples charmants, en qui la nature avait mis ses affinités mystérieuses, n'oseront jamais joindre leur lèvres par-dessus la barrière des lois. Que de larmes! Que de sanglots à venir! Et chaque année, régulièrement, l'an prochain comme l'an dernier, quatre ou cinq cents jeunes filles de France se jetteront dans l'inconnu, la corde au cou, le poison à la bouche ou les bras vers la rivière, pour avoir entendu, un soir, le:
«Non! tu ne l'épouseras pas.»
18 décembre 1900.
UNE RÉFORME DANGEREUSE
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Pour faire plaisir à quelques-uns de ses subordonnés, le ministre de l'Instruction publique avait institué l'année dernière une Commission chargée d'examiner comment et dans quelle mesure l'orthographe pourrait être simplifiée.
Cette Commission vient d'achever ses travaux. Son président rapporteur, M. Paul Meyer, soumet un projet qui a l'ambition de métamorphoser 20 000 mots français et qui les rend pour la plupart méconnaissables.
Dans ses grandes lignes, la proposition ramène de huit siècles en arrière l'orthographe de notre langue et revient aux principes du moyen âge le plus archaïque.—C'est l'esprit du projet.—Je ne discuterai pas ses dix-sept articles mot à mot. Le rapport a été publié, et bien que l'importance du bouleversement soit partout dissimulée sous des artifices, elle ne saurait échapper à personne.
Écrire KEUR pour chœur, FAZE pour phase, JÈME pour gemme, ÈLE AN UT pour elle en eut et ainsi de suite pour 20 000 mots du dictionnaire, ce n'est pas réformer, c'est créer de toutes pièces une orthographe aussi barbare que celle de la Chanson de Roland, et destinée à être, comme elle, lettre morte pour les soixante millions d'hommes qui ont appris notre langue moderne en France ou à l'étranger.—Or, c'est ici que je voudrais appeler l'attention du lecteur; il n'y a pas de réforme plus facile a réaliser que la réforme de l'orthographe; c'est la plus agréable à un ministre parce que c'est la seule qui ne risque pas de soulever un incident à la commission du budget; et néanmoins il n'y en a guère qui puissent avoir de plus désastreuses conséquences pour notre mouvement intellectuel, et pour notre influence extérieure. La raison en est simple.
*
* *
A qui n'est-il pas arrivé de prendre dans sa bibliothèque un Montaigne ou un Amyot, d'en montrer une page à un ami (ingénieur, architecte, officier... qui sait? littérateur peut-être) et de voir aussitôt un mouvement de recul, une main qui se lève, un visage qui s'écarte: «Non. C'est de l'ancienne orthographe. Je n'y comprends rien.» Dès aujourd'hui, le seizième siècle n'est plus connu que des curieux. La langue a peu changé depuis Mathurin Régnier; mais la masse du public ne sait plus traduire «Iay ueu» en «J'ai vu». Une réforme de l'orthographe à creusé ce fossé entre nos pères et nous.
Pourtant, auprès de la réforme artificielle et totale que médite M. Paul Meyer, les lentes transformations naturelles, qui ont évolué depuis trois siècles «ne sont que jeux de petits enfants». Si d'un trait de plume nous changeons, comme on le propose, l's en z, le g en j, le ph en f, le ch en k, l'x en s, etc.;—si, sous prétexte de simplicité, nous supprimons la moitié des lettres qui forment les mots les plus anciens et les plus usuels de la langue, nous obtiendrons une langue nouvelle en apparence, une sorte d'idiome factice, moins logique et plus difficile que l'esperanto. Il faudra choisir entre le français nouveau et le français d'aujourd'hui. Le peuple n'aura pas le temps d'apprendre à lire les deux. Les étrangers encore bien moins.
Dès lors, les générations de 1925, les hommes qui auront appris à écrire exclusivement avec la nouvelle orthographe pourront choisir entre deux solutions:—ou bien ils apprendront tout à la fois l'orthographe de M. Meyer et la nôtre;—dans ce cas, je ne vois pas comment la réforme projetée simplifierait les études;—ou bien ils se trouveront aussi dépaysés, aussi complètement impuissants devant un livre de 1904 que nous le sommes nous-mêmes devant une chanson de geste. L'espèce d'effarement que nous éprouvons devant le mot faze écrit par M. Meyer, notre mot phase le leur donnera en sens inverse, c'est l'évidence même.
Et alors l'immense patrimoine de science et d'érudition amassé par les deux derniers siècles et légué par eux à celui-ci, les millions et les millions de livres français qui représentent l'effort national jusqu'à l'heure actuelle et qui ont en puissance l'énergie pensante de la génération future, ces livres qui sont toute la fortune de l'instruction publique et le capital intellectuel de la France, nous les verrons bientôt interdits virtuellement à la jeunesse entière ou réservés à quelques chartistes qui joueront le rôle d'interprètes entre nous et nos petits-neveux.
M. Meyer ne mesure pas lui-même les conséquences de la réforme qu'il soumet et cela est assez naturel: toutes les orthographes lui sont familières; son métier est de déchiffrer. C'est pour cela qu'il a été créé, comme disent les bonnes gens, et mis au monde. Lire la même phrase écrite de deux façons, c'est un jeu pour lui; mais c'est une tâche, pour le commun des hommes, et comme nul n'accepte de lire en épelant, comme les deux tiers d'une lecture se passent à parcourir les pages inutiles pour arriver tout droit à la page nécessaire, l'obstacle de notre orthographe sera invincible pour ceux qui n'auront appris que la nouvelle et on ne le franchira pas. Je le répète, le trésor de nos bibliothèques publiques, tel qu'il est aujourd'hui amassé, perdra toute valeur pour la nation. Nos livres ne seront plus des instruments de travail.
On réimprimera, dit-on? Mais c'est une rêverie. On ne réimprimera pas la millième partie de ce qui est nécessaire à un travailleur. Quel que soit le champ de l'activité individuelle, quelle que soit notre profession, elle suppose toute une catégorie d'ouvrages fondamentaux, de «Dalloz», impossibles à remettre sous presse et qu'il est indispensable de connaître sous peine de rester plus médiocre. Si l'on ne peut plus les lire, ces ouvrages de fonds, il faudra bien se contenter des compilations hâtives que l'on fabriquera commercialement pour la circonstance et qui auront à peu près la valeur de manuels à l'usage des classes. La science française n'y résistera pas.
L'influence française non plus. Notre gloire à l'étranger est faite de notre passé. Montesquieu y tient plus de place que tous les auteurs vivants réunis. Si nous adoptons une orthographe radicalement différente de la sienne au point d'être méconnaissable, laquelle enseignera-t-on dans les lycées allemands? Je crois bien qu'il faut répondre: aucune. Les hommes qui dirigent l'enseignement à l'étranger voient dans l'étude du français un double avantage: une littérature ancienne utile à connaître, une langue moderne utile à parler. Le jour où ils seront forcés de faire choix entre l'une et l'autre, ils trouveront facilement ailleurs en Europe cette double qualité que nous aurons perdue à leurs yeux. Nulle part, est-il besoin de le dire, on n'enseignera les deux orthographes, celle de Voltaire et celle de M. Meyer. Ce jour-là, ce sera la fin de notre expansion intellectuelle.
Et pourquoi risque-t-on une si grosse partie? dans quel but? quel est le dessein des initiateurs?
La réponse est écrite en tête du rapport: «Direction de l'Enseignement primaire.»
Si la Commission ne craint pas de jeter ce trouble irréparable dans les développements de la pensée française, c'est pour qu'en rentrant chez lui, après avoir conduit son école au certificat d'études, l'instituteur puisse s'écrier: «Tous mes élèves ont fait leur dictée sans faute!» Il n'y a pas d'autre motif sérieux. C'est afin d'améliorer l'orthographe des écoliers qu'on se propose de rendre inintelligible pour eux tout ce qui a été imprimé jusqu'à notre époque.—Mais supprimez donc la dictée de ces bambins! Oui protesterait? Nous? certainement non. Eux?—Les instituteurs restent seuls à conserver aujourd'hui la superstition de la dictée correcte. Cette question de l'orthographe les hante, et avec eux, les universitaires. Puisque d'un accord général on reconnaît qu'elle fait perdre aux petits écoliers un temps qui pourrait être mieux employé, à d'autres études, supprimez la dictée des examens primaires. La réforme aura contre elle quelques maniaques, mais la France entière l'approuvera.
On invoque une deuxième raison: avec une orthographe simplifiée, notre langue serait plus facilement apprise par les étrangers. Je viens de dire comment les étrangers ne l'apprendraient plus du tout, si facile qu'elle fût. Terminons: il faut répondre à cet argument, non par une théorie, mais par un exemple.—L'orthographe la plus simple et la plus logique du monde, est celle de l'italien. La plus compliquée, la plus irrégulière, la plus contraire à toutes les lois de ce qu'on pourrait appeler la phonétique internationale de l'Europe, n'est-ce pas celle de l'anglais?
Or, l'anglais, sans changer une lettre à son orthographe classique, est parlé aujourd'hui par 180 000 000 d'hommes, dont 150 000 000 gagnés depuis un siècle. L'italien n'est parlé nulle part en dehors de la Méditerranée, et là même il perd du terrain; il en perd en Égypte, il en perd dans le Levant, il en perd en Provence. Jadis compris par tous les lettrés de France, l'italien nous est devenu inutile. Et à quoi lui sert la simplicité de son orthographe, si personne ne prend plus la peine de l'apprendre?
*
* *
La réforme soutenue par M. Meyer a été accueillie par un tolle chez les écrivains. Je ne puis reproduire ici les noms de tous les littérateurs qui ont voulu signer le manifeste de protestation et je m'honore d'avoir été le premier à signaler dans la presse ce véritable péril français.
Notre science est faite de tout un passé qui s'élève jusqu'à nous et qui nous soutient par la masse énorme de ses travaux. C'est le sol sur lequel vivra la France future. Deux siècles communiquent ensemble par le Livre. Aucune raison ne peut justifier la rupture de cette communication vitale. C'est là qu'est le danger, et c'est là le terrain sur lequel il faut se placer pour résister à la dangereuse réforme que je ne sais quelle coterie d'instituteurs et de paléographes nous propose.
1904.
LA VILLE
PLUS BELLE QUE LE MONUMENT
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Si l'informe Campanile qui vient de tomber en poussière n'avait jamais existé dans le flamboyant décor vénitien et si un malheureux architecte eût proposé de bâtir cette cheminée quadrangulaire entre la place Saint-Marc et la Piazzetta, nous aurions en entendu de beaux cris chez les amis de la vieille cité rouge: «C'est un crime! une infamie! c'est un sacrilège artistique! on défigure Venise! on écrase San-Marco! on écrase le Palais des Doges!...» Et alors nous comprendrions les clameurs comme les grincements de dents. Rarement un édifice plus laid fut élevé sur une place publique. Il était mal conçu, mal construit, mal placé. Il avait trop peu de base et trop de couronnement. Il était surmonté d'un ange en forme de cigogne qui ne symbolisait rien dans la ville du Lion. Il haussait au hasard sa masse aveugle et sèche, avec une disproportion déplorable par rapport aux monuments d'alentour. Enfin, il était quelconque, dans une ville où rien n'est indifférent. Désormais, il n'existe plus, et l'on parle déjà de le réédifier.
Pourquoi?
Rappelez-vous tout ce qui apparaît comme à jamais inoubliable dans la brume où se confondent les «souvenirs de voyage».
Est-ce tel monument romain, telle église picarde ou telle mosquée d'Orient? Allons donc! c'est une rue verte, un carrefour imprévu, un détour de canal entre deux murs cassés, une collaboration de la nature et de l'homme, où la nature, peu à peu, envahit et enveloppe la pierre. C'est encore une voie antique et surpeuplée, irrégulière, biscornue, multicolore, retentissante, un ruisseau de vie dont les hautes berges se sont amoncelées sous l'effort d'une race, une rue aussi belle qu'un être vivant, une rue qui n'est pas la fille d'un architecte, mais l'œuvre d'une population.
Il y a dans certaines villes jusqu'ici préservées, il y a de ces rues extraordinaires, remarquables tantôt par leur fourmillement et tantôt par leur silence, car la variété des villes est infinie. Remparts déserts, ruelles vives de faubourgs, ombres de cathédrales, impasses bleues, quais penchants, c'est de vous que nous revient sans cesse la réminiscence triste et tendre qui traîne devant nos yeux clos les admirations passées.
Votre beauté est si complète, et naturellement née que le monument est obligé de se conformer à elle et qu'il lui doit la plus large part de l'émotion latente qui palpite dans ses marbres. Le monument n'est beau qu'autant qu'il participe à la vie qui l'entoure ou à la nature qui le soutient. La lagune fait le Palais des Doges, l'Acropole fait le Parthénon; la lumière fait toute l'Italie, je dirais presque tout le monde antique. Entre l'obélisque de Paris et son frère resté à Louxor, il n'y a plus ressemblance aucune, et c'est miracle que le nôtre ait su prendre une beauté nouvelle en abandonnant sur la terre égyptienne tout ce qui lui donnait signification et grandeur.
Ainsi, l'esthétique d'un palais dépend de ce qu'on pourrait appeler l'âme de la ville. Vous vous rappelez quelles protestations ont surgi récemment à Paris lorsque l'on a cru (peut-être à tort) que certain projet de pont menaçait la vue de la Cité. Ce n'était pas que les pétitionnaires fussent émus d'admiration devant les lignes du Pont-Neuf; ce n'était pas non plus que les maisons de la place Dauphine eussent les caractères des chefs-d'œuvre; mais la Cité est le cœur de Paris; il n'en reste à peu près rien que cette pointe occidentale; tout ce qui était notre berceau a été jeté bas depuis cinquante ans; Notre-Dame, entre l'Hôtel-Dieu et la caserne, a presque l'apparence d'une église moderne construite en faux style gothique, depuis qu'on a élagué autour d'elle la futaie de vieilles maisons qui lui donnait la vie. Quelques artistes ont voulu sauver le peu qui demeurait encore du Paris spontané, personnel et survivant.
Eh bien! ce trésor des villes, le quartier antique ou moderne où elles ont poussé selon leur destin ou selon leur génie voilà ce que les guides n'indiquent point et ce que les touristes n'ont pas tous le loisir de chercher eux-mêmes. On pousse le voyageur vers un but unique: le monument, toujours le monument. Peu importe aux Joanne et aux Baedeker que telle église soit à sa place ou qu'elle semble dépaysée: il suffit qu'elle soit monumentale pour qu'on vous y conduise de force. Peu leur importe que tel quartier populaire et jardinier soit pour le passant qui le traverse un paradis d'émotions neuves, de surprises, presque d'amour: s'il n'a point d'architecture, personne ne daignera vous l'indiquer du doigt. C'est ainsi qu'on entend un voyage artistique au début de notre jeune siècle.
Nous possédons ici même, en plein Paris, un hameau à peu près inconnu malgré son nom illustre, et qui est la Butte. Les guides, si vous les consultez, vous mèneront au Sacré-Cœur avec les explications que comporte une pareille visite. Ils vous diront aussi qu'une maison, place du Tertre, reçut une plaque commémorative. Ils vous diront aussi qu'on appelle «Montmartre» dans la conversation courante un boulevard extérieur semé de cafés chantants. Mais ne comptez pas qu'ils vous dévoilent ce qui est l'âme de Montmartre; ils ne vous diront point qu'au sommet de la Butte, à l'écart de tout ce qu'ils vous montrent, il y a un très petit village, dessiné par trois rues: la rue de l'Abreuvoir, la rue des Saules, la rue Girardon. Là-haut, c'est la pleine campagne: jardins, murs décrépits, sentiers, silences, cris d'oiseaux. Ni trottoirs, ni pavés. Jamais une voiture. A peine un passant. Quelquefois, un chat qui saute par-dessus l'herbe. Et si l'on s'avance jusqu'à la limite de ce hameau perdu sur sa colline déserte, on découvre, à ses pieds, un nuage de brume grise ou bleue, un océan de villes entr'aperçues qui, depuis les villas de Colombes jusqu'à la hauteur de Nogent-sur-Marne, nourrissent et emprisonnent quatre millions d'hommes.
Ceci est unique au monde.
Maintenant, vous pouvez construire là, ou démolir pierre à pierre tous les édifices qu'il vous plaira, remplacer la vieille église par le Sacré-Cœur, le Sacré-Cœur par une Madeleine ou une Tour Eiffel, cela est indifférent aux artistes. Montmartre est un hameau vert, assiégé par quarante centaines de mille êtres humains. Il est à lui seul toute la paix des champs, dominant |a bataille des villes. Nul autre patelin n'est situé de la sorte, comme une île des airs, au-dessus d'une tempête, et nulle part ailleurs le calme et les prés, nulle part la solitude n'ont, par opposition, cette suprême valeur. Ceci demeurera pur tant que la rue des Saules restera intacte. Le jour où elle sera envahie par les maisons de rapport, ce jour-là Montmartre disparaîtra, quels que soient d'ailleurs ses monuments publics si chers aux Baedekers et à leurs lecteurs.
Or, entre toutes les villes qui obtinrent sur le globe ce don exceptionnel, la personnalité, Venise est peut-être la plus douée, la plus singulière. Elle est extra-terrestre. Elle est la seule incomparable. On l'a dite à la fois la Cité des Eaux, la Cité du Silence, la Cité du Rouge. Rien de ce qui lui appartient ne pourrait être ailleurs la richesse d'une autre. Elle possède, inutilement, l'une des merveilles de l'art humain: l'intérieur de Saint-Marc; et elle est elle-même tellement merveilleuse que Saint-Marc se fond dans son glorieux ensemble au point qu'on arrive à douter s'il orne sa beauté ou s'il lui doit la sienne. Venise plane comme le grand oiseau dessiné par le poète, entre deux océans. La gamme de couleurs où elle est baignée est d'une somptuosité que l'on ne peut décrire. Depuis le rouge et l'or jusqu'au violet céleste, toutes les teintes frappent ses murailles avec une largeur et une pureté splendides. C'était la seule excuse du Campanile tombé, de recueillir parfois, à cent mètres au-dessus du niveau des eaux, certaines nuances flottantes dans l'air supérieur... Mais quelle monstrueuse et barbare construction il dressait là, au coin de ces deux places délicates! Comme il chargeait de sa masse indue la muraille rouge du palais oriental et les cinq coupoles rondes de la mosquée chrétienne! Comme il était inutile, encombrant et inesthétique! On va le réédifier... Pourquoi?
Parce que le Campanile possède le privilège universellement reconnu aux seuls monuments historiques; parce que ni loi ni opinion ne défendent contre la pioche des démolisseurs ni la rue vénérable ni le jardin nouveau; parce que les municipalités s'imaginent préserver le caractère de leurs villes en laissant subsister quelques tours vétustes, sans comprendre que l'âme des cités ne perche pas sur les girouettes, mais palpite au sein des rues.
Venise aura le sort d'Alger, le sort de Santa-Lucia: on démolira maison par maison tout ce qui fit sa beauté antique. On a déjà troublé les eaux du Grand Canal avec les roues violentes des bateaux à vapeur. Un jour, par mesure sanitaire, on comblera tous les canaux. Il y passera des tramways de banlieue, c'est-à-dire des trains de cinq voitures. C'en sera fait pour toujours de tes trois beautés, Cité des Eaux, Cité du Rouge, Cité des Soirs Silencieux; mais les ineffables, touristes ne songeront pas à en gémir pourvu qu'entre la place Saint-Marc et la Piazzetta de Venise se dresse un Campanile tout neuf: doublement abominable.
19 juillet 1902.
LA STATUE DE LA VÉRITÉ
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Une intéressante polémique est engagée depuis trois mois entre chercheurs et curieux sur un mystère bien singulier de la morale artistique. Voici l'origine de la discussion:
La Diane de Houdon, l'une des statues les plus classiques de l'école française, aurait été refusée au Salon de 1777.—A quel propos? Houdon était Prix de Rome, membre de l'Académie: en son temps comme du nôtre ces titres-là suffisaient, semble-t-il, à dispenser les sculpteurs de l'examen préalable.
Sans doute. Aussi n'est-ce point à des raisons esthétiques que nous voyons attribuer le refus, mais à des raisons morales.—Voilà qui est encore plus extraordinaire. La Diane de Houdon est nue, mais si décente! L'enseignement des Beaux-Arts l'a toujours proposée comme le modèle typique de la nudité chaste. Cette figure est par excellence la statue de la Pureté. A force d'être vierge, elle est froide. Que peut-on bien lui reprocher, au nom de la pudeur même dont elle est le symbole?
Presque rien, mais quelque chose. La Diane de Houdon fut écartée du Salon parce que l'académicien qui l'avait faite si pure s'était cru permis en un point... «une certaine liberté de détail», comme dit si bien Lady Dilke[28] en rapportant cette anecdote.
La hardiesse de l'innovation épouvanta. Les mœurs du dix-huitième siècle et le censeur qui parlait pour elles, opposèrent le respect du marbre aux déplorables exemples de sa petite sœur la terre cuite. On refusa le chef-d'œuvre.
Et après le scandale, savez-vous qui l'acheta, cette statue inexpressible? L'histoire est assez bonne vraiment et sa morale obtient une moralité.—La Diane fut achetée par une femme. Mieux que par une femme, dirait M. Rostand: par une impératrice. Mieux que par une impératrice, eût dit Voltaire: par Catherine II.
Le marbre original de Houdon est aujourd'hui exposé à Saint-Pétérsbourg, au musée de l'Ermitage. Quant à nous, et par la faute d'une irréparable pruderie, il faut nous, contenter de posséder au Louvre un mauvais moulage on bronze d'une œuvre perdue pour toujours. Encore le moulage n'est-il pas exact, car avant de passer la Diane au plâtre; une main pudibonde nivela, par l'introduction d'un peu de cire, le détail le plus féminin. Désormais, la pauvre Olympienne porte un maillot comme un modèle de carte postale illustrée. L'effet est littéralement monstrueux, et j'emploie ce mot dans le sens de tératologique. Le cas relève du scalpel. Mais les visiteurs du Louvre ne semblent pas s'en étonner autrement et j'en connais qui, plus volontiers, blâmeraient une représentation moins étrangère à la nature.
«Pourquoi ce qui n'a jamais choqué les habitants de Pétersbourg choquerait-il les habitants de Paris?». La question a été posée en ces termes par un des collaborateurs de l'Intermédiaire.
Pourquoi surtout,—je voudrais élargir la discussion—pourquoi l'usage a-t-il prévalu de représenter l'homme tel qu'il est, et la femme telle qu'elle n'est pas?
L'usage est bien inconséquent. Nous vivons parmi des éducateurs qui regardent la différence des sexes comme un redoutable mystère dont la jeunesse ne doit pas être informée. En fait, les jeunes filles l'ignorent quelquefois; les collégiens jamais. Logiquement, on pourrait donc mener une classe de rhétorique devant la Diane de l'Ermitage sans que les élèves en fussent plus savants;—et, par contre, il faudrait enfouir dans les souterrains du Louvre les nudités masculines qui décorent les jardins publics sous l'œil curieux des écolières.
Est-ce que ce ne serait pas le bon sens?
Vous vous préoccupez surtout de garantir l'ingénuité des jeunes personnes—et vous postez à la porte du Luxembourg, où les mères sont forcées de passer pour mener leurs filles au jeu, un jeune homme nu comme un ver et complet comme un amant.
Tout au contraire vous êtes certains que vos fils sont informés et vous ne permettez même pas que dans le Salon de sculpture (c'est-à-dire dans un lieu clos où vous êtes parfaitement libres de ne pas conduire vos enfants) les artistes exposent des Vénus vraisemblables,—lesquelles d'ailleurs n'apprendraient rien, ni à vos fils parce qu'ils savent, ni à vos filles, et pour cause.
C'est le comble de l'illogisme et de l'extravagance.
A une coutume si singulière, on a cherché des antécédents qui l'expliquassent.
Car il s'agit d'une tradition, cela est bien entendu. Si l'art venait de naître, nous adopterions sur ce point un principe conforme à l'idéologie de la vie contemporaine, et nettement opposé au précédent.
Cette tradition, certains ont cru pouvoir en fixer l'origine chez les Grecs, de qui notre art descend et s'inspire. Rares, il est vrai, sont les Aphrodites sexuées: cela tient d'abord à ce que les Grecs représentaient volontiers la déesse dans une attitude naturellement chaste, qui dissimulait la difficulté par un certain recul et une inclinaison; mais il s'en faut que la règle ait été générale, comme le croyait Quatremère de Quincy, et qu'une Aphrodite au corps droit soit toujours incomplètement femme. Jamais les Athéniens n'ont légiféré sur cette question. Les Lacédémoniens eux-mêmes se permettaient d'être exacts: on conserve au musée de Sparte, dans la salle de gauche, près de la porte, une figure de grandeur naturelle qui en est un bel exemple[29]. Ailleurs, une statue de premier ordre et de la meilleure époque grecque, dont nous possédons—la une excellente réplique alexandrine femme nue vulgairement appelée la Vénus de l'Esquilin—suffirait de nos jours à disculper Houdon. Sa vérité anatomique est exacte.
Et combien de statues analogues ont été brisées au marteau par le vandalisme chrétien! Si les Vénus pudiques étaient décapitées, que ne faisait-on pas des autres! Celles de ces dernières qui nous sont parvenues sont presque toutes archaïques parce que la terre de l'oubli les recouvrait déjà et les protégeait à l'époque où les Polyeuctes massacraient les déesses jusque sur les autels. Les vases et les statuettes de terre que nous retrouvons dans les tombes inviolées nous laissent un meilleur témoignage, plus fidèle et plus complet, de ce que permit l'art grec depuis son origine jusqu'à son déclin.
Non, la loi dont nous parlons ne s'est pas imposée en Grèce. Elle n'appartient pas davantage aux deux autres grands pays qui pourraient partager avec elle l'honneur d'avoir créé une esthétique humaine, et qui se rapprochent à travers les âges par la perfection de leur goût: je veux dire l'Égypte et le Japon. A Memphis comme à Kioto, nul n'a jamais eu la pensée de mutiler une femme nue avec l'audace de nos contemporains.
De même, les primitifs de toutes les écoles européennes ignoraient cette altération, que leur public n'eût pas comprise. On sculptait des Èves naturelles aux portails des cathédrales. Sainte Marie l'Égyptienne était peinte sans détours sur les plus vieux vitraux des églises de Paris et sur les miniatures pieuses des livres d'heures, en regard d'une prière ou d'un évangile. Les cuivres du moyen âge, les bois anciens, les ivoires, puis, au XVIe siècle, les faïences décorées, les estampes de toutes sortes et de tous pays, certaines statuettes et peintures témoignent de la même liberté[30]. La Renaissance allemande, loin de réagir, pose cette tolérance en principe. Dürer l'applique dans son enseignement[31]. Son ami, Peter Vischer, sculpte une Vénus qui est toujours exposée en Allemagne, et qui devance de deux siècles «l'innovation» de Houdon. Nous exposons nous-mêmes au Louvre une Pandore, une Maternité qui appartiennent à la même école, et qui, pour être sexuées, ne sont nullement licencieuses.
Un art entre tous gardait le privilège de la sincérité dans le détail des figures nues: la gravure. On peut affirmer que depuis l'invention de l'estampe jusqu'au XIXe siècle la majorité des graveurs fut hostile à toute suppression. Le chef-d'œuvre de l'invention décorative sous le règne de Fontainebleau, le Livre de la Conqueste de la Toison d'Or, par René Boyvin et Léonard Thiry, pourrait illustrer le sujet à toutes ses pages, s'il en était besoin. Encore, en 1609 et en 1617, lorsqu'il s'agit d'élever à la poésie française un monument définitif, en publiant les œuvres complètes de Ronsard, le graveur du frontispice, Léonard Gautier, burine sous le buste du poète une grande Naïade debout, dont l'exacte nudité ne sera couverte que plus tard, par une retouche dont il faut retenir la date: 1623. C'est la date du Procès des Satyriques.—Pendant deux siècles, les graveurs vont protester contre une rigueur nouvelle qui trouble évidemment leurs traditions particulières. Certains vendront sous le manteau leurs estampes nues, plutôt que de les altérer. D'autres tireront pour eux et pour leurs amis un état découvert de chaque planche, un état «avant la draperie», selon la coutume du XVIIIe siècle. Mais la rigueur ne se relâcha point, et elle n'a pas encore disparu après deux cent quatre-vingts ans. «1623» est une date de démarcation très nette entre la liberté du nu féminin et sa contrainte.
Il est donc bien établi que jusqu'au règne de Louis XIII il a été licite en France de peindre l'homme et la femme avec une égale exactitude; et que depuis cette époque la représentation de l'un des deux sexes est interdite, tandis que celle du second demeure autorisée.—De raison à cet arbitraire, on n'en donne pas, il n'en existe aucune. C'est ainsi, voilà tout.
D'ailleurs, on se garde bien de créer au Louvre un musée secret pour les Baigneuses de la Galerie d'Apollon, pour les terres cuites grecques de la première salle, ou pour les ivoires de la collection Sauvageot. Tout est libre, hors l'art moderne. Ce qu'on permet à Peter Vischer, on l'interdirait à Rodin. Le dernier musée important que l'on ait ouvert à Paris, celui de M. Guimet, a décoré ses grandes surfaces murales avec des copies de peintures égyptiennes, où les femmes ne portent point le maillot couleur de chair que nos peintres sont toujours contraints de leur donner; il expose dans ses vitrines certaines déesses gréco-orientales qui réalisent à l'extrême la vérité physique de la femme; le public ne proteste pas.—Dès lors, au nom de quels arguments défendrait-il à un imitateur les libertés de ses modèles officiels? Pourquoi ces deux poids et ces deux mesures? Pourquoi exposer ce que l'on condamne, condamner ce que l'on expose, offrir enfin le même objet d'art en exemple si l'artiste est mort, en exécration s'il est vivant?
Une pareille antinomie ne s'explique ni ne se défend. On finira bien par le reconnaître. Les idées du public français, qui déjà commencent à évoluer sur plusieurs questions artistiques, achèveront de se laisser convaincre. Publier la nudité de l'homme, et expurger celle de la femme, c'est simplement obéir à deux traditions aveugles, irraisonnées, contradictoires, et dont nous ne savons même plus déterminer le dessein. Nos sculpteurs adopteront un principe moral uniforme, et comme l'esprit parisien ne permettra jamais qu'on affuble d'un caleçon le Génie de la Bastille ou l'Apollon de l'Opéra, il est superflu d'énoncer plus clairement laquelle des deux théories finira par prévaloir.
LA CENSURE
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La Censure vient d'être atteinte par un vote de la Chambre.
Elle durait depuis si longtemps qu'on pouvait la croire immortelle comme M. Wallon. C'est une des singularités de notre esprit que plus les hommes et les choses vivent et plus nous les croyons solides pour l'avenir. A l'annonce de la nouvelle, on a pu voir dans le public un mouvement général de surprise.
Dire que cette surprise a été mélancolique ce serait farder la vérité. Il est des institutions qui exhalent l'antipathie comme un parfum naturel. La Censure n'était pas aimée. Un ne la dit encore que malade; mais quel que soit le respect dû à son grand âge, on espère bien qu'elle va trépasser.
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Nous ne la regretterons pas, pour une première raison: c'est qu'elle était inutile.
Tous les écarts de langage ou de sujet qu'elle avait mission d'empêcher sont, en effet, punis par les lois, et parfois même avec une sévérité extrême. Outrage aux mœurs, outrage envers les souverains étrangers, diffamations envers les particuliers ou les membres du gouvernement: tous ces délits correspondent à des articles du Code pénal et des lois usuelles; leurs auteurs sont passibles de prison et d'amende; ils peuvent être condamnés à des dommages-intérêts sans limite: c'est-à-dire que sans le concours de MM. les censeurs, un directeur de théâtre, un dramaturge et une troupe d'acteurs peuvent être, au gré du tribunal, déshonorés ou ruinés.—N'est-ce pas suffisant?
Un second motif pour lequel la Censure ne sera pas pleurée, c'est qu'elle s'exerçait d'une façon qu'on s'accorde à juger extraordinaire.
Ses rigueurs frappaient de préférence les grands théâtres, ceux dont le public se compose d'hommes indifférents et blasés, que l'action dramatique n'émeut guère et qui n'écoutent pas toujours ce que l'auteur voudrait leur faire entendre.
Ses indulgences couvraient de leur protection les revues et les chansons des cafés-concerts, qui s'adressent précisément au spectateur dont l'âme est la plus naïve et la plus malléable. C'est ainsi que la Censure comprenait sa mission morale et politique.
Prenez dans votre bibliothèque une des pièces imprimées depuis vingt ans «avec les passages supprimés» et comparez ce qu'on interdit aux bons auteurs avec ce qu'on permet aux pires. Lisez ces phrases entre guillemets, jugées dangereuses pour la morale publique et rappelez dans votre souvenir les scatologies que vous avez entendu chanter ailleurs, dûment visées par la Censure et protégées par la policé. On corrige les meilleurs; mais qu'un chansonnier présente un jeu de mots platement obscène, sans goût, sans esprit, et surtout sans littérature, la bienveillance du censeur lui est assurée. On protège les étrangers contre les pièces à thèse qui attaqueraient leurs pays, mais une basse injure à l'adresse d'une nation amie passe comme un simple sourire sous les yeux du correcteur.
Il y a deux ans, j'entrais par hasard dans un établissement des Champs-Élysées. Les journaux du soir annonçaient l'interdiction d'une pièce qui aurait pu éveiller les susceptibilités d'un pays voisin. Je levai les yeux vers la scène, elle était couverte de drapeaux et d'uniformes étrangers. On jouait une revue militaire bafouant une série d'alliances que la presse nous avait promises quelques semaines auparavant. Un officier russe, un officier italien, un officier espagnol, tous trois en grand costume, et suivis de leurs couleurs, venaient chanter sur les planches les couplets les plus outrageants pour leurs pays. C'était en été: les étrangers emplissaient la salle et, entre Français, nous nous demandions pourquoi la Censure avait reçu le droit d'interdire les tragédies de M. de Bornier, si les questions de convenances internationales étaient à ce point ignorées d'elle.
Ici, les censeurs n'avaient pas seulement laissé faire, ils étaient protecteurs et complices, puisque, d'après la loi, ils signaient le manuscrit. Cette signature étant une sauvegarde pour la direction du théâtre, celle-ci n'avait pas hésité à monter la pièce. Il est probable qu'elle y aurait regardé à deux fois, si, après l'abolition de la Censure, l'auteur avait exposé la maison à un procès diplomatique.
Mais comment toutes les complaisances des lecteurs officiels ne seraient-elles pas acquises aux théâtres bouffes? Les censeurs eux-mêmes écrivent pour les petites scènes qu'ils sont appelés à morigéner.
L'un d'eux (il est toujours en fonctions) est l'auteur d'une petite pièce qu'il a intitulée: la Noce à Mézidon... Charmante qualité d'esprit!... Et voici un spécimen de son talent poétique. Je puis bien citer ce couplet puisqu'il a été lu un jour en pleine Chambre des Députés[32]:
Voilà.—C'est l'auteur de ces vers qui est chargé d'expurger Edmond de Goncourt et de surveiller Paul Hervieu lequel ne saurait faire jouer une pièce sans la soumettre au préalable à ce juge.
Le couplet que je viens de copier a reçu le visa de la Censure. Parbleu! Anastasie avait eu pour lui toutes les indulgences d'Oronte. Cette poésie était signée d'elle.—Et dès lors, comment les sympathies de la vieille dame n'iraient-elles pas tout droit à ses confrères les plus proches, ou, pour mieux dire, à ses maîtres?
Réformer cela? Changer les hommes? Il est inutile d'y songer. Ceux-là valent leurs prédécesseurs et vaudraient leurs remplaçants. On perdrait son temps à vouloir réformer une institution qui est traditionnellement incompétente et malfaisante. La Censure royale a combattu Molière, Racine, Sedaine et Beaumarchais. La Révolution interdit Horace, Andromaque, Phèdre, Macbeth, Henri VIII et brûle la partition de Richard Cœur de Lion, suspecte de royalisme. Dès la Renaissance romantique on arrête Marion Delorme, le Roi s'amuse et même Hernani dont l'interdiction n'est levée que sur un ordre formel du roi. On persécute le Chevalier de Maison-Rouge, les Effrontés, les Lionnes pauvres, Diane de Lys et la Dame aux Camélias. Depuis moins d'un siècle la Censure s'est battue contre Victor Hugo, Dumas père, Dumas fils, Émile Augier, Ponsard (Ponsard lui-même!) Legouvé, Balzac, Déroulède, Erckmann-Chatrian, Meilhac et Halévy, Jules Claretie, Victorien Sardou, Paul Adam, Edmond Haraucourt;—Voilà ceux contre qui la censure fait usage des armes qu'on lui a données.
Depuis son origine jusqu'à l'heure actuelle, son histoire n'est qu'une lutte acharnée contre les meilleurs de nos écrivains. Parmi ceux que je viens de citer, tous les morts ont déjà leur statue. Ils sont vengés, dira-t-on? Il est bien temps! Que savons-nous si les tracasseries, si les persécutions qui les arrêtèrent n'ont pas étouffé dans leur cerveau l'idée du chef-d'œuvre qui était en eux et qu'ils ont renoncé à écrire devant la certitude du veto? Que savons-nous si cette espèce de tiédeur que nous reprochons aujourd'hui à Ponsard, Augier ou Scribe, n'est pas due pour une part à l'influence stérilisante qu'exerça la contrainte officielle sur leurs esprits? Qui nous dira le drame prodigieux que Victor Hugo aurait pu écrire en 1855, s'il n'avait été pour longtemps excommunié de la scène française?
Ceci est inexplicable: vers le milieu du siècle, notre littérature, livresque, est à son apogée; elle est faible au théâtre. Pourquoi?
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Il y a eu près de nous une école dramatique étrangère, qui fut illustre et qui a cessé de l'être. L'exemple que donne son histoire vaut mieux que toutes les théories, car son développement a procédé par révolutions brusques et sa montée comme sa chute sont nettement déterminées par des causes très bien connues.
Sous le règne d'Élisabeth, le théâtre anglais était libre, en fait. Il dut sa grandeur à cette liberté. Shakespeare naît au milieu d'un mouvement dramatique considérable, qui n'a pas d'égal chez les peuples contemporains et qui ne semble pas avoir été dépassé, même par nous. Libre, ce théâtre l'est de toutes façons: les pièces de Beaumont et Fletcher, de Marlowe, Massinger, Webster ont une franchise de langage qui n'offusque pas alors le public, mais dont nos censeurs actuels seraient horrifiés. Leurs auteurs les concevaient ainsi. On leur laissa la bride sur le cou. La gloire littéraire de leur pays grandit dans cette indépendance qui est la bonne terre des écrivains.
Après une réaction puritaine qui dura peu, la Restauration anglaise rendit aux auteurs dramatiques la liberté. Une nouvelle école naquit, presque aussi remarquable que son aînée, possédant même certaines qualités de finesse et d'esprit que la précédente n'avait pas au même degré, et cette fois poussant à l'extrême les hardiesses de parole et de situation. Congreve et Wycherley ne pourraient être joués à notre époque sur aucune scène parisienne, mais on connaît assez le rang élevé qu'ils occupent dans leur littérature nationale.
Tel était l'éclat de la scène britannique, lorsqu'un brave homme, un honnête protestant nommé Jeremy Collier, publia une simple brochure sur l'immoralité des spectacles, une Courte Vue, comme il l'intitulait lui-même sans ironie. Son intention était excellente: il ne voulait pas éloigner, mais réformer les dramaturges, et remplacer les bonnes pièces licencieuses par des pièces morales non moins bonnes.
Il tua le théâtre anglais.
L'effet de la brochure fut immense. Toutes les libertés de la scène disparurent, et avec elles le talent des auteurs. Ceux-ci renoncèrent bientôt à la lutte, cessèrent d'écrire, et pour la grande école théâtrale qui depuis cent cinquante ans faisait l'orgueil de Londres, ce fut la mort sans autre phrase.—Elle ne devait jamais renaître.
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Nous n'en sommes pas là. Néanmoins l'exemple vaut qu'on le médite un instant.
Une école dramatique n'est vraiment grande que si elle a devant elle la libre expansion. L'expurger, c'est l'appauvrir. La gouverner, même de loin, c'est encore nuire à sa beauté.
Que la Censure meure donc du coup qu'elle a reçu. Puisse le théâtre éprouver à son tour le bienfait des libertés plus larges dont la littérature ressent l'heureux effet depuis un quart de siècle. Et qui pourrait se plaindre de voir certains auteurs hausser le ton de leur dialogue? Personne n'est forcé d'aller les entendre. Si l'on y va, c'est qu'on le veut bien. Le lendemain du jour où la Censure serait abolie, une scission diviserait tout naturellement les scènes parisiennes. Les unes prendraient soin d'avertir les familles que les petites filles sont reçues à l'entrée. Pour les autres, celles où l'on représenterait Shakespeare sans coupures, chacun serait libre de s'en écarter.
On verrait pourtant, je le sais bien, des gens s'y rendre tout exprès, pour être scandalisés, et pour en gémir. Grévin qui était si bon psychologue nous a laissé un dessin où se cache toute la moralité de ces petites pudibonderies.—Une dame et une jeune fille s'accoudent sur un balcon. A l'extrémité de la rue se passe vaguement une scène banale qui pourrait être légère:
—De si loin, ma chère enfant, je ne crois pas que cela puisse vous choquer.
—Oh! si, madame, avec une lorgnette.
LE BOULEVARD
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Le soir où Tortoni ferma ses portes, j'assistais à cette fin célèbre. J'étais venu là en curieux, pour voir disparaître le vieux romantique.
Comme je sortais le dernier, quand l'heure fatale sonna, le propriétaire de l'établissement m'offrit (en souvenir du défunt) le carton de lecture qui avait enveloppé l'Illustration, et qui portait en lettres d'or sur le plat de molesquine noire ces deux mots historiques: «Café Tortoni». Puis, comme un homme qui prononce une phrase définitive, il dit en versant des larmes:
—Monsieur, le Boulevard est mort.
Le pauvre vieillard blasphémait, car le Boulevard est immortel et son caractère principal est justement la persistance. Il est à l'épreuve du temps et des hommes. Les démolisseurs eux-mêmes ne réussissent pas à le défigurer. On a jeté bas la moitié de ses maisons pour construire des hôtels modernes, des théâtres, des maisons de banque ou d'assurance; on a renouvelé toutes ses boutiques, changé ou supprimé tous ses restaurants et il semble que cette transformation perpétuelle soit nécessaire à son existence comme le labourage régulier est nécessaire à la vie d'un champ. Plus on le bouleverse et mieux nous comprenons que sa personnalité est invulnérable.
D'où vient donc cette suprématie qu'il exerce depuis un demi-siècle sur l'opinion de Paris et sur les esprits de tous ceux que l'âme parisienne inspire et domine? D'où vient qu'en un temps où la vie mondaine s'est éloignée d'une lieue vers l'ouest et environne le bois de Boulogne, l'arbitre des élégances reste immuablement à sa place, entre la Madeleine et la Bourse?
Qu'est-ce que le Boulevard? Est-ce le cerveau de Paris? Non, certes.
Paris enferme une cité intellectuelle qui s'étend de l'Institut vers le Panthéon, et du Palais de justice à l'Observatoire. Ses habitants ne passent les ponts qu'en voyage. Ils vont parfois jusqu'aux musées du Louvre, jusqu'à la Bibliothèque nationale; mais le Boulevard ne leur appartient pas. Ils s'y promènent en étrangers, comme s'ils venaient de plus loin que New-York, et avec un sentiment de défiance à l'égard des passants qu'ils croisent. Leur costume est exotique, leur barbe date d'un autre âge, leur voix n'est rien dans la voix ambiante, qui s'inquiète rarement de leurs idées, plus rarement encore de leurs personnes. Et cependant le cerveau de Paris est fait de leur multitude. Il faut chercher ailleurs notre définition.
Qu'est-ce que le Boulevard? Est-ce le centre du mouvement et de la vie? Pas davantage.
Pris en bloc, Paris a deux foyers, d'où sa force rayonne: la place du Châtelet, qui doit au voisinage des Halles sa prodigieuse circulation, et la place de la République, qui est le forum industriel de l'immense ville. Ici Paris travaille, là il se nourrit; Les manufactures se sont groupées par une élection naturelle entre les grandes gares du Nord, de l'Est, du Paris-Lyon Méditerranée et d'Orléans. Les Halles ont grandi où elles devaient croître, au point central de la ville. Le boulevard de Sébastopol et la rue de Turbigo sont donc, et peut-être à jamais, nos deux artères vitales. L'exode de la société riche vers les quartiers occidentaux n'a presque rien attiré sur ses pas. Il faudrait des événements extraordinaires, comme la création du port maritime projeté à Saint-Ouen, pour faire dévier par influence les grands courants actifs de la force parisienne... Mais le Boulevard est bien loin de ces fleuves nourriciers. Où prend-il la source de son énergie?
Est-il situé,—comme s'exprimait une annonce fameuse,—au centre des affaires et des plaisirs?
Des affaires, assurément non. La Bourse des valeurs est à l'extrême limite de son parcours, et la Bourse de commerce lui échappe tout à fait, de même que la Banque de France, les Finances et l'Hôtel de Ville. Des plaisirs? c'était vrai jadis. Aujourd'hui, les Champs-Élysées, Montmartre et le bois de Boulogne offrent des plaisirs plus nouveaux, et souvent plus recherchés que les siens. D'ailleurs, il est singulier que l'animation du Boulevard atteigne son maximum vers cinq heures du soir, heure où tous les théâtres sont clos, et où il n'est pas d'usage de se jeter dans la vie joyeuse...
Ainsi, voilà un coin de ville que rien ne paraissait destiner à sa fortune éclatante, une avenue étroite et médiocre, plutôt laide, assez mal bâtie, plantée de mauvais arbres, éloignée de tous les parcs et jardins publics, privée même du moindre square où ses promeneurs pourraient chercher l'ombre et les bancs de leurs rendez-vous,—et c'est là que palpite le cœur de Paris. Cette avenue quelconque, c'est le Boulevard tout court, la voie la plus illustre qui soit au monde. Qui à fait le miracle?
La Presse.
Car si le Boulevard n'est le centre ni de la pensée, ni du mouvement, ni de la vie, ni des affaires, ni des plaisirs parisiens, il est le centre des nouvelles, et voilà pourquoi la ville y afflue.
En un siècle où les journaux disposent d'une puissance formidable, le quartier où ils s'impriment est devenu sans autre effet le premier quartier ce Paris.
Cinq heures. Les feuilles du soir paraissent. Les feuilles du lendemain se composent. La foule arrive. Elle lit et elle interroge. Ce que Paris saura le lendemain, le Boulevard le sait la veille. Il a cette force: le renseignement. Et dès qu'il tient un fait, il le juge. Il est à lui seul l'opinion publique pendant la soirée tout entière.
Tous ceux qui, par intérêt, par crainte ou par désir sont anxieux de la nouvelle imminente et de l'opinion qui l'accueillera, ceux qui espèrent et ceux qui appréhendent, les confiants et les timorés, tous les curieux et les ardents appartiennent à ce trottoir gris où la manne des nouvelles se quémande, se donne ou s'échange, se vend et s'achète perpétuellement. Le Boulevard, c'est la Bourse des potins,—et de l'histoire.
Il a les privilèges de savoir d'abord, et de savoir mieux; car tout se dit, si tout ne se publie pas. Pour lui, les initiales n'ont pas de mystères. Il sait qui est M. G..., M. N... et Mme de X. Il connaît le nom et l'adresse du «haut personnage compromis», comme aussi de la «dame voilée». Si les journaux suppriment les détails d'une affaire par prudence ou par pudeur, le Boulevard les rétablit. Si un financier suspect s'attribue, à coups de réclame, une prospérité factice, le Boulevard le démasque, et s'abstient. Pas une campagne qu'il ne pressente, pas un mouvement d'opinion qu'il n'ait d'avance mesuré dans son étendue et ses conséquences. Il est l'observatoire du monde invisible.
De toutes parts la Presse l'entoure et l'envahit: c'est sa conquête. Elle possède la place et l'avenue de l'Opéra, la rue Richelieu, la rue du Croissant, la rue Montmartre et le faubourg Montmartre, la rue du Helder et la rue Drouot, la rue Réaumur et la rue Lafayette. Sur le Boulevard elle est dans ses murailles. C'est là qu'elle se retranche et se concerte. Le reste de la ville n'est que son champ d'action; le Boulevard est sa forteresse. Elle l'a voulu à son image. Dans le langage contemporain, elle et lui sont synonymes. Elle lui a donné son caractère, ses mœurs, presque sa physionomie. Elle seule l'a créé tel qu'il est; elle seule pourrait le tuer, en l'abandonnant.
De là vient que le Boulevard se transforme selon les jours et non selon les années. Tel il était, il y a vingt ans, tel nous le revoyons aujourd'hui, mais dans l'espace d'une nuit, il se métamorphose. Il a ses marées et ses tempêtes.
La monotonie générale des autres voies parisiennes est une règle à laquelle il ne se soumet point. Une rue est toujours semblable à elle-même. Lui, jamais. Certaines avenues connaissent leurs jours de fête, les Champs-Élysées ont leurs Grands Prix, les boulevards extérieurs leurs semaines de foire; mais cela aussi est une monotonie que chaque année ramène à des dates prévues. Lui, il change tout, à coup, comme la mer, sous une rafale.
Ce soir, il est calme. Il se promène et s'amuse. En l'absence des inquiétudes, il joue à l'esprit. Il invente des mots. Les passantes l'intéressent. Les modes l'occupent. La voiture nouvelle d'une actrice est l'événement de la soirée. Une femme qui passe avec un inconnu fait hausser les têtes des hommes et chacun raconte son histoire ou développe sa légende. On entoure les colonnes Morris, on considère les étalages, on lirait presque les affiches tant cette fin de jour est désœuvrée.
Et puis, voici un remous de la foule; des gens se pressent, des crieurs hurlent, les transparents des journaux s'allument: une dépêche grave, un événement. C'est l'orage. En un instant, le Boulevard est devenu noir.
Alors toute la ville accourt vers lui, inquiète, furieuse ou enthousiaste. Les trottoirs débordent, la voie est envahie. Les camelots, suants et haletants, jettent à la foule des centaines de feuilles blanches, imprimées d'encre fraîche et pas même pliées: on les voit voler de groupe en groupe comme des oiseaux annonciateurs. Les petites baraques des journaux sont assaillies, cernées, vidées. Mille têtes levées guettent le transparent où apparaîtra le second télégramme. La Presse tient cette multitude dans sa main. Pendant ces heures-là, elle est investie d'une puissance souveraine. Un article écrit sur un coin de table, composé à la hâte et livré au peuple, soulèverait la ville, d'un seul cri.
LE CAPITAINE AUX GUIDES
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Le vieux Professeur Chartelot se redressa de toute sa haute taille comme s'il allait prédire la vie ou la mort d'un malade; il tira sa montre et, la considérant avec ses yeux de presbyte:
—J'ai le temps de vous raconter cela, dit-il; mais ne me laissez pas manquer mon train. Je dois parler demain à l'Académie.
Nous l'entourions dans un coin de parc devant une maison de campagne où nos amis l'avaient appelé en consultation. Un diagnostic très rassurant nous laissait l'esprit assez libre pour apprécier le talent du causeur après avoir admiré la perspicacité du savant; et nous l'écoutions avec un vif sentiment de l'honneur qu'il nous faisait en nous racontant ses souvenirs.
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* *
—Oui, fit-il, j'ai toujours pensé que le véritable confident des femmes, c'est le médecin et non l'abbé. Sur chacune de nos clientes, sur tout ce que le monde ignore d'elle, nous en savons beaucoup plus que le directeur de sa conscience. Les mœurs ont marché depuis les Grecs, chez qui tant de malheureuses mouraient en couches, parce que les sages-femmes étaient interdites par la loi et parce que les femmes honnêtes ne voulaient pas toujours se montrer aux accoucheurs. Aujourd'hui... je ne veux pas dire que toute pudeur ait disparu, ce serait absurde; mais si, devant un médecin, le sentiment des convenances fait encore baisser les yeux, il ne fait plus baisser la chemise, et c'est en cela que nos contemporaines ne ressemblent pas exactement à la femme de Xénophon.
Autant la santé du corps est un bien plus réel, plus pressant et (pour quelques-unes) plus certain que le salut éternel, autant les femmes viennent à nous avec un désir plus sincère, et plus ardent d'être exaucé. On nous permet tous les examens; on nous pardonne toutes les questions. Le confesseur ne pénètre pas dans le secret de la vie conjugale: ce détail n'étant pas le péché, n'est pas soumis à la pénitence; mais, comme il est la santé, il est soumis à la médecine. A d'autres égards le confesseur doutera toujours au milieu des aveux incomplets qu'il entend. La preuve n'est pas admise au confessionnal. Sur le lit de la malade, elle est entre nos mains. Ce n'est pas pour nous qu'est écrit le fameux verset de Salomon sur la trace invisible de l'aigle dans les cieux et du jeune homme chez la jeune femme. «La femme mange, et s'essuie la bouche, puis elle dit:—Je n'ai point fait de mal.» Elle le dit à d'autres qu'à son médecin.
Somme toute, il ne nous manque guère que l'aveu de la faute en soi, du péché en tant que péché. Cet aveu-là serait, en apparence, identique à celui que nous entendons, puisqu'il est d'abord l'exposé du même acte et puisque, au surplus, c'est toujours la crainte qui le provoque. Qu'il s'agisse de sa guérison physique ou de son salut, la femme redoute la mort dans le premier cas, l'enfer dans le second, et c'est un égal sentiment d'épouvante qui la pousse à livrer son secret. Eh bien, en fait, les deux aveux sont assez différents de caractère, néanmoins. Si laconique que soit celui dont nous ne sommes pas les confidents, il est, comment dirai-je? plus joli. La pénitente ne s'avoue pas qu'elle est contrainte et forcée par l'idée des peines éternelles. La chère petite sait qu'elle doit se repentir, et, pendant une minute, l'illusion du remords se fait réalité. Je vous en parle ici en connaissance de cause, car le hasard a voulu que je fusse, un jour, et médecin et confesseur: doctor in utroque, comme disaient nos pères.
*
* *
Il y a une vingtaine d'années, j'étais appelé d'urgence dans une famille protestante pour soigner une femme de trente ans que j'avais vue naître, ou à peu près. J'entre. Je trouve une maladie à début dramatique: 40° de fièvre, trois heures après le frisson et le claquement de dents. Un point de côté devint bientôt sensible. Dans la soirée, il avait beaucoup augmenté. La toux était forte, la respiration haletante et rapide, les crachats visqueux et sanguinolents: bref, une belle pneumonie.
Le lendemain, la température se maintenait à 40º; le surlendemain, elle approchait de 41º. Vous voyez d'ici le mari affolé, la vieille bonne en larmes, et la mère s'accrochant à mes bras: «Sauvez-la! sauvez-la!» Je ne sais si toute cette émotion avait été entendue par la malade, mais je trouvai celle-ci dans un état d'abattement qui n'était pas seulement causé par la fièvre.
Dès que je fus seul avec elle:
—Je vais mourir, n'est-ce pas, docteur?
—Allons donc! pour un accès de fièvre!
—Dites-moi la vérité, je vais mourir, n'est-ce pas? C'est pour aujourd'hui?
—Vous n'êtes pas même en danger.
—Ah! vous ne me parlez pas sincèrement... Je sens bien que je m'en vais... Je suis déjà plus qu'à moitié morte... Si ma fièvre continue ainsi, je ne passerai pas la nuit, docteur, je n'ai plus la force de respirer...
En péril, certes, elle l'était. J'essayai pourtant de la rassurer; ce fut peine perdue. Elle se voyait mourante, et rien de ce que je pus lui dire ne lui donna même un éclair d'espoir.
Plusieurs fois elle répéta, avec sa voix grave de calviniste résolue à tous les courages:
—Je mourrai cette nuit... Je mourrai cette nuit.
*
* *
Mais tout à coup sa vaillance l'abandonna. Elle poussa un soupir aussi profond que l'état de ses poumons le lui permettait, et murmura en levant les yeux:
—Les catholiques sont bien heureuses!
—Vous dites?
—Les catholiques sont plus heureuses que nous! Le jour où le Seigneur les rappelle à lui; leurs derniers moments sont des instants de joie... Elles sont lavées du péché... Elles sont délivrées du remords...
Voulait-elle se convertir?
—Vous aurez le temps d'y penser, lui dis-je, quand vous serez guérie.
—Guérie... Ah! mon Dieu!... Guérie!
Elle laissa retomber sa tête sur son oreiller, et presque aussitôt une quinte violente suspendait une conversation que je ne tenais pas à prolonger.
Je me levais... Elle parla encore.
—Oh! la joie d'avouer... d'avouer enfin!
—Des peccadilles!
—Un aveu terrible... vous ne savez pas.
—C'est de l'imagination!
—J'ai trompé mon mari.
Cette fois je me rassis, complètement égaré.
Au cours de ma carrière, je me suis trouvé être le témoin où l'acteur de scènes bien singulières, mais celle-là est assurément l'une des plus «fortes» dont j'aie conservé le souvenir.
Elle joignit les mains tout à coup, et les souleva au-dessus du lit.
—Oh! laissez-moi vous dire... vous dire tout... avouer ma faute... pendant que je puis encore parler... Je ne sais pas si la religion romaine est celle que j'aurais dû suivre... mais je sais du moins... je sens que si quelque chose peut racheter mon crime... si je puis l'expier à ma dernière heure... c'est par la honte de cet aveu!
—Calmez-vous, je vous en conjure!
—Non, ne m'interrompez pas, je soulage mon âme, en vous parlant ainsi... Je me sens moins criminelle de tout ce que j'ose vous dire.
—La plupart des femmes ont plus ou moins trompé leur mari, madame. L'Évangile, lui-même, leur a pardonné...
—Aucune n'a trahi, comme moi dans la seule faute de ma vie, un mari si bon, si parfait...
—Une seule faute? Ce n'est pas un péché, c'est à peine un instant d'oubli.
—Écoutez-moi... Pendant la dernière année de l'Empire... Un de mes cousins, capitaine aux guides...
—Un capitaine aux guides, madame! quelle circonstance atténuante!
J'essayais de l'apaiser ainsi par des arguments que je prenais moi-même pour des balivernes, et qui n'arrêtèrent pas une fois le flot de ses paroles imprudentes.
Elle parlait avec faiblesse, mais dans une exaltation qui s'amplifiait de phrase en phrase... D'ailleurs, sa confession n'était pas bien grave. Les effets du remords dépassaient de beaucoup les détails de la faute; je regardais, plus que je ne l'écoutais, cette pénitente in partibus, qui me prenait pour un vicaire.
Le capitaine aux guides avait une moustache blonde; je me rappelle trop bien ce détail qu'elle me répéta souvent. Un matin, il avait emmené, sa cousine aux hasards d'une promenade à cheval. Ils avaient gagné la forêt voisine. Cette forêt avait des fourrés, des buissons, de la mousse fraîche (on était à la fin de mai). La moustache blonde s'était plusieurs fois rapprochée... Vraiment «le fond des bois et leur vaste silence» étaient les seuls coupables de cette pauvre aventure.
Je donnai l'absolution.
*
* *
En quittant la malade, j'aperçus debout, dans la salle à manger, le troisième héros du roman: je veux dire le cher mari.
Rapidement, j'eus la vision de ce qui allait suivre: je vis cet homme sur le point d'entrer dans la chambre de la confession, et sa femme lui tendant les bras: «Pardonne-moi!... je suis une misérable!...» toutes phrases parfaitement inutiles si la mort devait s'ensuivre, et fâcheuses à plus forte raison si la malade en réchappait.
—Défense d'entrer! lui dis-je nettement, même si elle vous fait appeler. Elle a un peu de délire, ce soir, elle a besoin de repos. Laissez la nuit passer. Vous la verrez demain matin.
Huit jours plus tard, elle entrait en convalescence. On ne saurait penser à tout.
Jusqu'à la fin du mois, j'eus le plaisir de présider à son lent rétablissement. Il est inutile de vous dire que je ne lui parlai plus du capitaine aux guides, et que les confidences n'eurent pas de lendemain. Guérie, elle ne me demanda pas la note de mes honoraires, car, depuis sa première enfance, je la soignais en ami...
M. Chartelot suspendit sa phrase, toucha du pommeau de sa canne ses vieilles lèvres bien rasées qu'un sourire amincissait:
—Et je ne la revis plus jamais, dit-il en levant les sourcils. Elle prit un autre médecin.
UN CAS JURIDIQUE
SANS PRÉCÉDENT
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La bibliothèque de M. le Président Barbeville était le lieu de ses délices. Il l'appelait: ma garçonnière.
Tous les matins, il y montait, familièrement, en robe de chambre. Délaissant un cabinet où il n'avait plus rien à faire, depuis que l'âge de la retraite l'exilait du tribunal, M. le Président Barbeville gravissait d'un pas encore vif un petit escalier de pierre en colimaçon qui le menait au dernier étage, et jamais il n'ouvrait la porte, sans un sourire de contentement.
Le trésor de ses livres était éclairé par un vaste reflet de verdure. A travers les petits carreaux d'une grande fenêtre Louis XIV, on voyait flotter au dehors la fraîcheur des feuilles nouvelles. Deux marronniers dépassaient de la cime le toit du vieil hôtel rouge. Le soleil ne pénétrait pas à travers leur épaisseur, mais ils jetaient sur le tapis une ombre claire et mouvante qui donnait à cet ermitage quelque chose de pastoral.
Assis dans un grand fauteuil à pupitre dont le modèle lui avait été communiqué par Mgr le duc d'Aumale, le bon M. Barbeville posait son crachoir à gauche, son porte-cigarettes à droite et son livre devant lui.
Il avait la passion des livres. C'était même la seule passion que la Faculté lui permît, encore qu'il fût très capable d'en éprouver plusieurs autres et qu'il en fit, de loin on loin, la juvénile expérience. Mais ces expériences-là devenaient peu à peu, sinon pour lui difficiles, au moins toujours plus imprudentes, et pour rassurer son médecin, il ouvrait enfin plus souvent un vieux livre qu'un jeune corsage.
*
* *
Un matin, comme il terminait la lecture d'une curieuse plaquette acquise la veille, son médecin vint le voir en ami.
—Mon cher, vous arrivez bien, dit le vieillard d'un ton réjoui. J'ai une question à vous poser, et vous serez bien malin si vous savez me répondre, car c'est un point de jurisprudence sur lequel, avant de lire ceci, j'eusse donné ma langue au chat.
—Oh! je me récuse!
—Attendez. Il s'agit de mariage, et si la question est de droit, elle est d'abord de médecine comme vous le verrez par la suite. Mon cher, je n'ai jamais rien vu, ni lu de plus extraordinaire. Depuis cinquante-deux ans, je suis abonné à la Gazette des Tribunaux et aux suppléments du Dalloz; j'ai entendu moi-même des milliers d'affaires; on m'a conté les anecdotes juridiques les plus cocasses de notre temps; mais rien qui ressemble à ceci. Vous m'en voyez stupéfait.
M. le Président Barbeville s'enfonça dans son fauteuil, mit ses mains dans les manches de sa robe de chambre et formula lentement la question suivante en articulant chaque terme avez précision et netteté:
—Comment un mariage régulier, conclu avec le consentement des deux parties, peut-il entraîner, par des nécessités immédiates et inéluctables, de la part de l'un des conjoints et avec la complicité de l'autre, les crimes de rapt, de séquestration, de proxénétisme, d'attentat à la pudeur, de viol répété, d'inceste, d'adultère et de polygamie?
Effaré au début de l'énumération, le médecin finit par éclater de rire.
—Notez bien, poursuivit M. Barbeville, notez bien que je vous ai dit: par des nécessités immédiates et inéluctables. En effet, ce ne sont point des faits subséquents ni soumis à l'initiative de l'un des époux. A l'instant même où a lieu la consommation légitime de ce mariage, tous les crimes contre les mœurs se trouvent perpétrés à la fois! et ni l'un ni l'autre des conjoints ne peut empêcher qu'il n'en soit ainsi, ou alors il leur faut renoncer à s'unir.
L'ami du Président resta quelque temps méditatif, puis il demanda:
—C'est un conte de fées?
—Nullement. Rien n'est plus authentique. L'histoire est possible, vraisemblable et vraie. J'irai plus loin: si le cas est unique à ma connaissance, il est évident qu'il a eu dans le passé plusieurs précédents que j'ignore, et il se représentera dans l'avenir, n'en doutez pas un instant. En effet, la situation de la jeune fille ne lui est pas particulière; et l'aventure ne dépend pas du fiancé: n'importe quel homme à sa place eût traversé les mêmes épreuves.
—Alors expliquez-moi. Je ne devine pas du tout.
—M. Barbeville commença ainsi:
—Vous devinerez dès le premier mot. Une Italienne de Paris accoucha un jour d'un enfant double. Ces couches étaient clandestines et la sage-femme qui les soigna n'eut garde de communiquer le fait à l'Académie des sciences. L'enfant (une ou deux petites filles, selon qu'on l'examinait par le haut ou par le bas) avait deux têtes, quatre bras, deux poitrines, un ventre commun et deux jambes seulement. Il était double jusqu'à la ceinture et simple de là jusqu'aux pieds. Le cas n'est pas absolument rare, si je ne me trompe?
—Non. Surtout chez les mort-nés... Continuez. Désormais, je vous suis.
—Mais on en connaît qui ont vécu?
—Plusieurs.
—Ce furent donc, si l'on peut dire, des monstres bien constitués, comme celui dont je vous entretiens. Citez-m'en un exemple.
—Ritta-Cristina, deux fillettes qui naquirent en Sardaigne, vers 1830. Elles ressemblaient beaucoup à la description que vous venez de donner; poitrine double, bassin commun. Leurs parents les amenèrent à Paris pour les offrir en spectacle, mais les autorités jugèrent l'exhibition contraire aux mœurs, et l'interdirent. La pauvre famille privée de ressources dut laisser les enfants dans une chambre sans feu où elles moururent d'une bronchite.
—On a fait leur autopsie?
—Oui.
—Leurs systèmes nerveux étaient distincts?
—Entièrement, sauf à la partie inférieure de l'abdomen dont les sensations étaient perçues par les deux cerveaux à la fois.
—Parfait! Vous allez voir combien votre exemple ajoute de force à mon récit.
Le vieux Président mit une longue cigarette dans un tuyau d'écume, l'alluma et reprit avec animation:
—Les deux petites filles de mon Italienne furent déclarées sous les noms de Maria-Maddalena. Elles vécurent. Leur mère ne les montrait point, mais les élevait très tendrement. Elles eurent une croissance régulière, une puberté normale: bref, à seize ans, c'étaient deux adolescentes fort jolies, malgré l'étrange union de leurs beautés. Si la queue de la sirène ne l'empêcha pas de séduire les hommes, nous ne devons pas nous étonner que Maria-Maddalena aient troublé le cœur d'un amant.
A vrai dire, toutes deux furent éprises; Maddalena seule fut aimée. Un jeune homme devint amoureux de celle-ci; mais comme il était plein d'égards pour l'autre, les sœurs crurent partager un commun amour et elles y répondirent ensemble avec tout le premier feu de leur jeunesse nouvelle. Malheureusement l'illusion ne dura guère. Le jeune homme eut scrupule de la prolonger. Une lettre de lui, adressée un jour à «Mlle Maddalena», éveilla dans le cœur voisin les mille serpents que vous savez bien et lorsque la demanda en mariage fut présentée officiellement, Maddalena répondit oui, et Maria répondit non.
Instances, prières, tout fut en vain. La mère se joignit aux amants pour apaiser la récalcitrante et ne réussit pas davantage...
—C'est d'un comique extravagant! s'écria le médecin, secoué d'hilarité.
—Tragique, mon cher! Voilà une situation dramatique comme je n'en connais pas d'autre. Être sœur ennemie, rivale d'amour; se confondre pour moitié avec celle qu'on abhorre; être condamnée par la nature à voir toutes les caresses dont l'autre sera l'objet; que dis-je, à les voir? à les éprouver! et plus tard à porter le fruit d'un amant deux fois détesté! Dante n'a pas inventé cela, voilà qui dépasse en horreur les supplices des enfers chinois.
Donc,—et je reprends mon récit,—l'Italienne, résolue à marier l'une de ses filles malgré l'opposition de l'autre, s'en fut trouver le maire de l'endroit et lui demanda s'il consentirait à célébrer le mariage dans de telles conditions. Le maire, indécis, répondit que la question lui paraissait être d'une complexité sans précédent; qu'il ne se croyait pas autorisé à la trancher; que ses travaux quotidiens ne lui permettaient pas de faire l'examen juridique d'un litige aussi délicat; et qu'enfin il priait ses administrées de bien vouloir lui envoyer (à titre de consultation) deux avocats plaidant le pour et le contre.
—Et le procès eut lieu?
—Oui. Un procès privé, bien entendu; dans le cabinet du maire, sans autre assistance que les adjoints et le greffier.
L'avocat de Maddalena plaida le premier. L'exorde fut ironique, l'exposé du fait, facétieux. Il commença la discussion sur le même ton. Tour à tour, il invoqua l'article 1645. («L'obligation de délivrer la chose comprend ses accessoires») ou l'article 569, encore plus injurieux dans son application. Puis, cessant les plaisanteries, il posa le dilemme suivant: ou Maria-Maddalena comprend deux femmes distinctes et différentes, ou elle n'en forme qu'une. Dans le premier cas, il est évident que le consentement de la sœur n'est pas nécessaire. Dans le second cas, où l'on fait abstraction de la partie adverse, l'évidence est encore plus grande. Il développa et soutint cette dernière thèse. Jamais, dit-il, on n'a considéré, ni dans la réalité ni même dans l'imagination des poètes, que la multiplicité des membres multipliât les individus. Un veau à six pattes n'est jamais qu'un veau. Les cent yeux d'Argus n'appartiennent pas à cent personnes. Janus aux deux visages n'était qu'un seul dieu. Cerbère se dit au singulier malgré ses trois têtes infernales. Pourquoi Maria-Maddalena, physiquement indivisible, formerait-elle deux individus, puisque le propre de l'individu est, par étymologie, l'indivisibilité?
—Ha! ha! ha! fit le médecin, j'aime beaucoup ce raisonnement.
—D'ailleurs, poursuivit-il, et en admettant même que l'on pût soutenir la dualité des intelligences, nous n'avons pas à nous occuper ici de psychologie mais de mariage. Le mariage a un but précis que nous connaissons tous et que nul ne discute. Or, si Maria-Maddalena est venue au monde avec un cerveau double, elle est parfaitement simple au point de vue nuptial. De ces deux femmes, que vous distinguez jusqu'à la ceinture, l'unité d'organe ne fait qu'une seule épouse.
—Évidemment.
—L'avocat de la deuxième sœur répondit qu'il ne s'égarerait pas dans les digressions mythologiques où s'était complu l'adversaire et qu'il plaiderait pour le bon sens. Le seul fait que Maria et Maddalena sont en procès l'une contre l'autre, dit-il, prouve suffisamment qu'elles ne se confondent pas. Maria refuse de se marier. Si M. X... épouse sa sœur, ma cliente sera nécessairement enlevée: rapt, compliqué par la minorité du sujet, premier crime.—Enlevée, elle sera détenue malgré elle au domicile conjugal des demandeurs: séquestration, deuxième crime.—Là, notre mineure séquestrée sera contrainte d'assister à toutes les caresses intimes échangées entre les époux: outrage à la pudeur, exhibitionnisme, troisième crime.—Par la force elle sera mise au lit près d'un homme avec la complicité de Maddalena et dans l'intérêt de celle-ci: proxénétisme, traite des blanches, quatrième crime.—Malgré sa résistance indignée elle cessera d'être vierge en même temps que sa sœur, puisque sa conformation physique le veut ainsi: viol, cinquième crime.—Le coupable sera son beau-frère: inceste, sixième crime, non prévu par les lois, mais que je retiens néanmoins comme circonstance aggravante.
—Enfin, cet homme est un homme marié: adultère et septième crime.—Est-ce là tout? Non pas encore: le mariage de l'une détermine le mariage de l'autre jumelle, puisque toutes deux sont indivisibles, comme vous le démontrait mon confrère avec une lumineuse justesse de déduction. Vous êtes donc contraint d'inscrire à la fois sur deux états civils de femmes le nom d'un seul et même mari auquel vous n'épargnez le cas d'adultère que pour le précipiter dans celui de bigamie, devenir sciemment son complice et le suivre plus tard aux travaux forcés!
—Le jugement fut remis à huitaine?
—Oh! non. Le maire protesta sur-le-champ qu'il n'avait jamais songé à donner son assentiment et le mariage ne fut pas conclu.
—Dieu soit loué! dit gaiement le médecin.
TABLE
Paris.—Typ. PH. RENOUARD, 19, rue des Saints-Pères.—64580.
NOTES:
[1] Les fouilles ont été poursuivies jusqu'à la fin de 1903, sans résultat. M. Dœrpfeld vient de publier qu'il renonçait à son entreprise.
[2] 6 octobre 1896.
[3] Kaillixeinos le Rhodien, contemporain de Ptolémée Philadelphe et témoin de la fête, en donnait la description dans son Alexandrie (livre IV). Athénée nous a conservé son récit (édition Kaibel, t. I, p. 435-450).
[4] Au 1/25e.
[5] A. CONZE, Reise auf der Insel Lesbos. Hannover, 1865, in-4º.
[6] G. GEORGEAKIS et LÉON PINEAU, Le Folk Lore de Lesbos. Paris, 1894, in-12.
[7] Daphnis et Chloé, I, 7.
[8] Cantique des Cantiques, IV, 11.
[9] Persane, arabe ou turque. V. Les Mille et une Nuits. Le Mikri Zenan, ou les Ruses des Femmes, traduit du turc par Decourdemanche. Paris, 1896, in-12, etc. On sait que les Mille et un Jours de Pétis de la Croix sont un recueil factice imité des deux recueils précédents, et du Feredj bad Chiddeh.
[10] Koran, XXIV, 31. Cf. XXXIII, 55 et 59.
[11] GABRIEL SIONITA. De nonnullis orientalium urbibus necnon indigenarum religione ac moribus, tractatus brevis.—Amstelodami, 1633.
[12] E. W. LANE, An account of the manners and customs of the modem Egyptians written in Egypt during the years 1833, 1834, 1835.—London, 1871, t. I, p. 64.
[13] BRUCE, Voyages. Paris, 1790, t. I, 345.
[14] Aujourd'hui, le fait est beaucoup plus rare. Je ne l'ai constaté pour ma part que dans le Hodna algérien et, exceptionnellement, chez quelques jeunes mendiantes. Jusqu'en Nubie, les cotonnades anglaises habillent de nos jours les plus pauvres filles.
[15] JONES, Essai sur la poésie asiatique, IV, p. 527.
[16] La plupart des citations qui suivent sont prises dans: THARAFA, édition Seligsohn, 1901.—NABIGA DHOBYANI, édition Derenbourg, 1869.—The Seven Poems (Moallakât) édition Johnson, 1894.—Anthologie de l'Amour Arabe, par F. de Martino et Abe-el Khalek Saroit Bey, 1902.—Anthologie Arabe de Humbert, 1819.—Anthologie Arabe de Grangeret de Lagrange, 1823, etc.—HARTMANN, Ueber die Ideale weiblicher Schönheit bei den Morgenländern, 1798.
[17] Ce caractère de beauté se trouve déjà noté chez les poètes grecs qui avaient subi l'influence orientale (Anthol. Palatine, V. 60) et, pour la même raison, chez les auteurs de nos fabliaux du XIIe et du XIIIe siècle.
[18] V. l'Anis et Ochchâq de Cheref-Eddin Rami, trad. Huart. Paris, 1875.
[19] Même ouvrage, pp. 21, 22.
[20] Ibid., pp. 36, 39.
[21] F. DE MARTINO ET SAROIT BEY, Anthologie, p. 271.
[22] F. DE MARTINO ET SAROIT BEY, Anthologie, p. 225.
[23] Ibid., p. 105.
[24] Ibid., p. 167.
[25] En France, sur 10 000 mariages, 9 993 ne donnent lieu à aucune opposition.
[26] Quinze jours après la publication de cet article, la Chambre a voté d'urgence un projet de loi déposé par M. P. Grousset, exemptant de tous droits la transcription du jugement de divorce; mais les autres frais subsistent.
[27] «L'enfant n'a point d'action contre ses père et mère, pour un établissement par mariage.» Code civil, art. 204.
[28] LADY DILKE, French architects and sculptors of the XVIIIth Century. 1 vol. gr. in-8º. London, 1900, p. 131.
[29] Athenische Mittheilungen, t. (1885). p. 6.
[30] Les exemples sont si nombreux qu'on ne saurait les énumérer.
[31] Les Quatre Livres d'Albert Durer. Arnhem, 1613, ff. 50, 58, 63, 65 vº, 115, etc., etc.
[32] Journal Officiel. Chambre.—Séance du 23 mai 1901, p. 1115.