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Au Hoggar : $b mission de 1922

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The Project Gutenberg eBook of Au Hoggar

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Title: Au Hoggar

mission de 1922

Author: Conrad Kilian

Release date: March 30, 2024 [eBook #73291]

Language: French

Original publication: Paris: Société d'éditions géographiques maritimes et coloniales, 1925

Credits: Galo Flordelis (This file was produced from images generously made available by The Internet Archive/Bibliothèque Sainte-Geneviève and the ULB Sachsen-Anhalt)

*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK AU HOGGAR ***

AU HOGGAR

IL A ÉTÉ TIRÉ DE CET OUVRAGE
CENT TRENTE EXEMPLAIRES NUMÉROTÉS DE 1 A 130
ET NON MIS DANS LE COMMERCE


Conrad KILIAN

[Décoration]

Au Hoggar
MISSION DE 1922


Ouvrage orné de trois cartes et de seize planches hors-texte

PARIS
SOCIÉTÉ D’ÉDITIONS
GÉOGRAPHIQUES, MARITIMES ET COLONIALES
ANCIENNE MAISON CHALLAMEL, FONDÉE EN 1839
17, rue Jacob (VIe)


1925


A
M. E.-F. GAUTIER
EN HOMMAGE
DE RESPECTUEUSE ADMIRATION

C. K.


INTRODUCTION


Au cours de l’année 1922, j’ai effectué une mission en Sahara Central.

Le but de cet ouvrage est de faire connaître les observations diverses que j’ai pu faire pendant cette mission, soit nouvelles, soit confirmant les observations antérieures (quand des explorateurs m’avaient précédé), ainsi que les vues d’ensemble, les idées, auxquelles ces observations m’ont parfois conduit.

J’ai laissé de côté généralement ce qui avait trait aux difficultés que j’ai rencontrées dans l’exécution de cette mission, non que je n’en aie point eues, ou que je n’aie point lieu d’être fier de la manière dont je les ai surmontées, mais parce qu’il m’a paru que cela ne rentrait pas dans le cadre de cet ouvrage.

J’ai également laissé de côté en général toute allusion aux dangers que j’ai pu courir ou affronter, à l’endurance dont j’ai pu avoir à faire preuve, aux privations que j’ai pu avoir à subir ou à m’imposer, bref au côté sportif de ma mission, non que tout cela n’ait joué un rôle à certains moments et que je n’aie eu parfois à sourire des situations auxquelles peuvent mener en certaines régions du Sahara la curiosité scientifique, la passion de connaître, celle de la pénétration, l’amour du nouveau, de l’inconnu, ainsi qu’un penchant particulier à jouer avec le paradoxe, les difficultés et le danger. Il m’a paru également que cela sortait du cadre de cette étude et n’avait d’ailleurs guère d’intérêt[1].

J’ai enfin également, en général, peu traité des questions d’influence, de pénétration française, de politique indigène (état de pacification, tranquillité des tribus, apprivoisement), non que cette activité ne m’ait également passionné et que je n’aie coopéré en Français, et en officier de réserve, dans la mesure de mes moyens, à la grande œuvre des Officiers du Sud, mais parce que d’une part depuis lors (c’était au début de 1922) la situation ayant évolué, ce que je pourrais dire ne serait plus d’actualité, et que d’autre part ce n’est pas à moi qu’il convient de parler de cette œuvre collective, mais aux chefs admirables qui la dirigent tout à l’honneur de la France.

J’ai cru, par contre, devoir introduire dans ces études, afin de les animer un peu, quelques impressions de voyage : on me pardonnera peut-être le tour moins scientifique que j’ai tenté de donner ainsi à cet ouvrage, si je suis arrivé, ce qui était mon but, par ce moyen à en rendre la lecture moins aride.

La partie géologique de ce travail est extraite d’une étude intitulée : « Essai de synthèse de la géologie du Sahara Sud-Constantinois et du Sahara Central » livrée en mars 1923 pour paraître dans les comptes rendus du Congrès Géologique International de Bruxelles de 1922, dont l’impression subit un retard inexplicable et imprévu, car ces comptes rendus auraient dû en effet déjà paraître.

Ces résultats géologiques de ma mission sont donc en partie inédits (en partie seulement, car certains points ont déjà fait l’objet de notes à l’Académie des Sciences et à la Société Géologique).

Leur rédaction est de date antérieure à la publication des travaux de M. Jacques Bourcart, de la Mission Danoise Olufsen, de même que mon exploration, qui fut faite avant le voyage de cette mission.

M. Jacques Bourcart a confirmé en général les idées géologiques nouvelles que j’avais émises sur le Sahara Central dans les quelques notes publiées avant sa relation de voyage parue dans le Bulletin du Comité de l’Afrique Française.

Au début de cet ouvrage, je considère comme un devoir de témoigner de ma reconnaissance envers tous ceux qui m’ont particulièrement aidé dans mon œuvre d’exploration :

Je remercie M. le Gouverneur Général de l’Algérie, M. Steeg, de la haute bienveillance qu’il voulut bien me témoigner, ainsi que M. le Général Paulinier, commandant le 19e Corps d’armée.

Je remercie également M. le Colonel Dinaux, MM. les Commandants Béraud, Fournier et Duclos, les Capitaines Lhoilier, de Saint-Martin, Dupré et Le Maître, le Dr Dario, les Lieutenants Brunet et Vella, de la bienveillante attention avec laquelle ils m’ont suivi, protégé, aidé, conseillé et renseigné.

Grâce aux Officiers des Territoires du Sud, j’ai pu triompher des multiples difficultés que j’ai rencontrées, me tirer des situations très critiques dans lesquelles je me suis trouvé et obtenir des résultats scientifiques importants.

Je les remercie pour les services qu’ils ont ainsi rendus pour une meilleure connaissance des pays du Sahara Central en rendant possibles des investigations scientifiques.


[1]De ce « côté sportif » des explorations, je crois que l’on peut dire qu’il est passionnant à vivre, agréable à raconter, supportable à écouter et odieux à lire. C’est pourquoi je n’en ai point écrit ici.


Conrad KILIAN
MISSION DE 1922 AU HOGGAR
ITINÉRAIRE GÉNÉRAL

(Agrandissement)

Hoggar (Arabe). = Ahaggar (Tamahak).


PREMIÈRE PARTIE


DES PAYS CRÉTACICO-TERTIAIRES
SUD-CONSTANTINOIS
OU DU SAHARA ARABE SUD-CONSTANTINOIS


I
ÉTUDES GÉOLOGIQUES

Pour parvenir au Massif Central Saharien, il faut traverser tout un pays de vastes plaines, le pays de la grande cuvette crétacico-tertiaire sud-constantinoise, dont le fond est occupé par l’oued Rhir et les chotts Melrir, Merouan et Djerid, dont une partie de la surface est couverte par les sables du Grand Erg Oriental et dont les bords sont constitués au N. par les monts de l’Aurès et de l’Atlas saharien, à l’E. par les monts de Matmata, au S. E. et au S. par la Hamada de Tinghert, au S. W. et à l’W. par les plateaux du Tademaït et du Mzab.

Nous avons effectué cette traversée par Touggourt, Ouargla, Hassi el Khollal, le Gassi Touil et Tanezrouft dans la Hamada de Tinghert.

Plusieurs problèmes se sont posés à nous dans ces régions. En voici un exposé en passant :

De la mer saharienne plio-pléistocène.

La mer n’a-t-elle pas occupé le fond de cette vaste cuvette crétacico-tertiaire sud-constantinoise dans les temps pliocènes et les premiers temps pléistocènes (quaternaires).

*
* *

J’entends la mer, sous la forme d’un golfe lagunaire méditerranéen, avec de vastes formations deltaïques et d’estuaires dont l’ampleur serait explicable par le peu de résistance des formations drainées crétacico-tertiaires.

Cette lagune aurait eu des relations variables avec la mer suivant le rythme des mouvements eustatiques[2] et finalement, séparée au Pléistocène d’une façon définitive de la Méditerranée, elle se serait mutée en lac saumâtre, elle se serait asséchée progressivement et se serait réduite à un certain nombre de lacs salés dont les derniers survivants, les Chotts, subsistent peut-être parce que l’action de l’évaporation est équilibrée par les venues considérables d’eaux artésiennes qui se produisent dans ces régions et par l’apport des eaux superficielles.

Les oueds sahariens, cherchant à suivre le niveau de base dans ses positions successives, en un nombre de cycles encore indéterminés, se seraient progressivement et par stades gravés plus profondément à l’amont et auraient essayé de s’individualiser des lits vers l’aval, de se creuser des chenaux, de faire drainage, en des chapelets de lacs, communiquant peut-être seulement de façon intermittente lors des grandes crues, et dans lesquels ces oueds étalaient largement leurs alluvions.

L’asséchement progressif de ce vaste golfe lagunaire, de ce grand lac saumâtre, puis de ces lacs salés, ainsi que celui analogue d’autres golfes lagunaires sahariens (par exemple les golfes de l’Océan Atlantique vers le Djouf et vers Tombouctou) aurait apporté des perturbations dans l’humidité de l’atmosphère, à une période humide aurait succédé une période sèche et ces oueds seraient « venus » de moins en moins souvent, de plus en plus rarement, pour finalement ne plus jamais « venir » d’un bout à l’autre, mais seulement sur des fractions de leur cours et par extraordinaire, suivant des lits compliqués de barrages, « limites de venues de l’oued », de barrages de dunes faites par le vent, de bassins d’épandage, etc., etc.

En même temps, le climat désertique s’accentuant, le vent aurait pris de plus en plus d’importance comme facteur dans l’évolution du modelé saharien, vannant d’un côté les plages détritiques, soit marines, soit fluvio-marines et fluvio-lacustres, soit fluviatiles, entassant de l’autre les sables ainsi triés en des endroits de prédilection, et joint aux crises de ruissellement, à l’insolation diurne, à la gelée nocturne, à la sécheresse, accentuant par creusement et surtout élargissant de vastes dépressions ailleurs.

Le vent aurait mis un dernier accent aux modelés antérieurs en leur donnant leur caractère essentiellement désertique.

*
* *

On sait que, depuis les travaux de Pomel et de Flamand principalement, beaucoup d’auteurs ont rejeté l’hypothèse d’une mer saharienne existant à la fin du Pliocène et au début du Pléistocène.

Et pourtant qu’y aurait-il d’invraisemblable à ce que la mer, ayant eu un niveau[3] très supérieur à celui qu’elle a aujourd’hui — plus élevé que le seuil de Gabès[4] — ait pénétré au Pliocène et occupé une partie de cette cuvette, pour en disparaître au Pléistocène suivant le processus indiqué, quand on constate sur les côtes d’Algérie (d’après le Général de Lamothe) des rivages marins anciens indiscutables de 60, 103, 148 et douteux de 204, 265 et 325 mètres d’altitude et qu’en Egypte on a fait des constatations de même ordre.

La région du seuil de Gabès échapperait donc seule à ce phénomène des variations du niveau de la Méditerranée[5].

Il n’est peut-être pas inopportun de rappeler :

1º Que le général de Lamothe a observé que les pouddingues fluviatiles de l’oued Biskra se terminent brusquement près de l’oasis, à 50 ou 60 mètres au-dessus de la plaine et à la cote 200 ;

2º Que Desor, Martin et Escher de la Linth ont trouvé dans le Souf, près d’Hassi Bou Chama, des coquilles marines, entre autres Nassa gibbosula L., vivant actuellement dans la Méditerranée ;

3º Que Pomel lui-même a comparé certaines formations pléistocènes du Sahara aux atterrissements de l’estuaire de la Macta ;

4º Que la présence de terrasses pliocènes, pléistocènes, signalées par Flamand, de dunes anciennes dans le Souf, est très compatible avec l’existence d’une lagune s’asséchant et faisant varier les niveaux de base des cours d’eau sahariens ;

5º Que Flamand indique que le Terrain des Gours (oligo (?) miocène) d’atterrissements continentaux est séparé des formations plus récentes de la région déprimée oued Rhir-Ouargla-oued Mya de la fin du Pliocène et du Pléistocène, par une falaise abrupte d’où se détachent de nombreux gours (gara Krima entre autres) ;

6º Que les idées de Flamand relatives à la « Carapace hamadienne » plio-pléistocène n’ont peut-être pas une grande valeur pour les formations diverses du Sud-Constantinois. Ces idées, fondées sur la seule découverte de deux exemplaires de Limnea Bouilleti Mich. dans la région de l’oued Gharbi sont peut-être excellentes pour la « Carapace hamadienne » des hauts pays de l’oued Gharbi, mais ne peuvent certainement être adoptées pour celle du Sahara sud-constantinois, qui, par ses très faibles altitudes, en dessous de 300 mètres, est très distincte, sans des observations qui les confirment.

(Les observations de Flamand ne sont d’ailleurs pas plus probantes pour réfuter l’hypothèse d’un golfe de l’Océan Atlantique à l’Ouest, car elles ne portent pas sur les régions basses de l’Ouest) ;

7º Enfin, que le Cardium edule L. est abondant dans certains dépôts pléistocènes.

On a déclaré que le Cardium edule L. n’apportait ici aucune certitude.

Evidemment, c’est un mollusque qui s’adapte à des milieux très variés.

Dans la dépression qui suit le bord Sud de la Hamada de Tinghert, près de Temassinin, dont il sera parlé plus loin, dépression qui échappe pour le moment, par sa situation géographique et son altitude (370 m.), à l’hypothèse d’avoir été, au Pléistocène, une dépression marine ou en étroit voisinage avec la mer, j’ai rencontré en abondance Corbicula saharica P. Fischer, Melania tuberculata Mâll., mais pas de Cardium edule.

D’autre part, Flamand dit lui-même qu’il ne connaît pas de gisements de Cardium edule dans le haut pays oranais. Il déclare que les dépôts à Cardium edule sont les termes ultimes à l’aval des dépôts des oueds pléistocènes vers les Chotts constantinois d’une part, et vers le Bas-Touat, le Djouf-Taoudenni, d’autre part.

Comment se fait-il, s’il est vrai que le Cardium edule a pu vivre dans des nappes d’eau n’ayant jamais eu aucun passé marin, aucune connexion avec la mer ou aucun étroit voisinage laguno-marin, comment se fait-il qu’il ne se trouve pas au Sahara, répandu d’une façon générale à l’état fossile, là justement où on peut être à peu près sûr que ce cas fut réalisé et qu’il se trouve constamment en abondance à l’état fossile là précisément où il peut y avoir discussion ?[6].

Quelle raison donner de cette absence en gros ?

Il est curieux d’autre part de constater, s’il est vrai que le Cardium edule vivait alors dans des espèces de chotts sans liaison avec la mer, que ce mollusque ne vit pas actuellement dans les chotts et nappes d’eau de l’intérieur.

Enfin, on ne doit pas oublier que dans les étangs du bord de la Méditerranée, en communication directe avec la mer, le Cardium edule vit souvent actuellement sans être associé à d’autres mollusques marins et qu’il vit généralement en nombre dans les seuls étangs en communication avec la mer.

En général, il semble donc que le Cardium edule ait nécessité, sinon toujours des eaux laguno-marines, du moins toujours un étroit voisinage laguno-marin qui n’est plus conservé dans certaines régions où on trouve actuellement le Cardium edule à l’état fossile[7].

Je conclus qu’on ne doit pas rejeter complètement pour le moment l’hypothèse d’un golfe lagunaire méditerranéen dans le Sahara sud-constantinois à la fin de l’époque pliocène et au début du Pléistocène, ni même également d’un golfe de l’Océan Atlantique vers le Bas-Touat, le Djouf et Taoudenni à la même époque[8].

La question est encore ouverte.

L’établissement d’une carte saharienne de répartition du Cardium edule arriverait peut-être à jeter un jour décisif sur cette question. En dressant cette carte, les Officiers du Sud rendraient un grand service.

De l’origine de la dépression Sud-Tinghert.

N’y aurait-il pas dans ces régions des dépressions pour le creusement desquelles on doit donner à l’action du vent un rôle essentiel ?

*
* *

Jusqu’à maintenant, on avait admis l’existence, dans le Sahara sud-constantinois, d’un immense oued, se formant dans les montagnes de l’Ahaggar pour finir dans l’Oued Rhir et le Chott Melrir après un cours de plus de 1.300 kilomètres : l’oued Igharghar.

Au cours de ma mission, j’ai fait au sujet de cet oued des observations troublantes :

D’une part :

a) A mon passage à Tanezrouft, j’ai constaté qu’en ce point où l’on fait traverser la Hamada de Tinghert par l’Igharghar, il y a bien un oued, mais qu’il coule du Nord vers le Sud, du Nord de la daia Tanezrouft à la daia Tanezrouft, au lieu de se diriger du Sud vers le Nord ;

b) Il m’a semblé que la Hamada n’était franchie nulle part par l’Igharghar. Des militaires qui avaient parcouru cette région m’ont déclaré avoir eu la même impression. Je n’ai encore pu trouver personne qui ait vu, autre part que sur la carte, l’Igharghar traverser la Hamada ;

c) Dans la dépression qui suit le Bâten (versant à falaises) de la Hamada au Sud, on rencontre en abondance Corbicula saharica P. Fischer et Melania tuberculata Mâll., faune sub-actuelle qui semble indiquer l’existence récente dans cette dépression d’une vaste « daia » ou d’une série de « daia » dans laquelle ou dans lesquelles les eaux venant du Sud se réunissaient.

Une partie de cette eau devait disparaître par évaporation, une autre partie pouvait être absorbée par les graviers, grès friables et autres formations crétacées perméables, s’enfoncer sous le plateau crétacé suivant le pendage si régulier de ces terrains vers le Nord et emprisonnées par les formations argileuses et marneuses intercalées dans ce Crétacé, alimenter le Nord en eaux artésiennes par une circulation sous pression en profondeur, dans le fond de la vaste cuvette crétacée comme cela continue à se produire actuellement.

Certaines « reculées » dans la Hamada de Tinghert, qui ont d’ailleurs donné leur nom à la Hamada[9], semblent comme des « manches » et des « culs-de-sac » d’absorption.

Et il convient de signaler également la présence d’entonnoirs d’effondrements et d’absorptions dus aux formations de gypse dans la Hamada, qui favorisent la disparition des eaux superficielles et jouent un rôle important pour la compréhension de la circulation souterraine de l’eau dans ces régions.

D’autre part :

a) J’ai constaté, après d’autres observateurs, dans les gassis du Grand Erg Oriental, l’existence de galets d’origine vraisemblablement lointaine.

Si l’oued Igharghar ne traverse pas la Hamada de Tinghert actuellement, il semble donc, ainsi que d’autres oueds de cette région, qu’il l’ait traversée autrefois, avant d’être décapité peut-être par l’accentuation du creusement de la dépression Sud-Tinghert[10] ;

b) A quoi attribuer la constitution des masses considérables de sable du Grand Erg Oriental si l’oued Igharghar ne traverse pas la Hamada, cet erg étant considéré jusqu’à maintenant comme les alluvions de sa zone d’épandage remaniées et modelées par le vent.

On doit admettre que le vent a étalé et entassé, étale et entasse encore, en des endroits de prédilection, et suivant une manière qui lui est propre, le sable obtenu par une sorte de vannage, soit des plages détritiques marines, ou fluvio-marines, ou fluvio-lacustres (les plus dépourvues d’humidité), soit des formations d’atterrissements (les plus sèches) des nombreux oueds descendant des bords élevés de la cuvette crétacico-tertiaire (Zab, Gantra, Tademaït, Tinghert, Hamada El Homra, Hamada Neïla), oueds ayant alluvionné et alluvionnant beaucoup dans cette partie à pente faible de leur cours et en raison du peu de résistance des formations drainées crétacico-tertiaires ; oueds dont certains, parmi lesquels l’ancien Igharghar (dont on a peut-être exagéré l’importance quant à sa contribution à la formation des sables du Grand Erg Oriental) poussaient peut-être leur cours supérieur jusque dans le Massif Central Saharien avant que le fossé Sud-Tinghert ne se soit creusé profondément suivant le processus indiqué plus loin.

On doit admettre également une production importante de sable aux dépens des formations crétacico-tertiaires par travail combiné de la gelée, de l’insolation, des orages violents, de la sécheresse et du vent[11] ;

c) Enfin, à quoi attribuer le creusement ou l’achèvement et l’accentuation du creusement de la dépression Sud-Tinghert si l’Igharghar ne traverse pas, ou, plus exactement, ne traverse plus la Hamada, pour donner une pente à des affluents latéraux et une évacuation aux produits de leur travail.

Il y a lieu d’étudier cette dépression et de voir si c’est une dépression fermée :

1º Peut-être suit-elle le « Bâten » de Tinghert vers la Tripolitaine avec une légère pente vers l’Est plus ou moins cachée par les sables. Alors elle aurait une issue vers l’Est : c’est peu probable.

Un écoulement vers l’Ouest, vers In Salah, ne semble pas plus probable ;

2º Peut-être y a-t-il une issue vers El-Biodt où je n’ai pas passé et le lit de Tanezrouft serait un ancien lit abandonné par un de ces phénomènes de capture si fréquents au Sahara et dont j’ai observé des cas si typiques dans les Tassilis (par exemple le haut de l’oued Tassirt capté au profit du Tahihaout, et l’oued Tounourt, dont on voit un débouché abandonné sur la vallée de l’Irrarar près d’Amguid).

Des personnes ayant passé par El-Biodt, que j’ai consultées, n’ont pas eu cette impression ;

3º Peut-être doit-on voir là une sorte d’ancien lac, peut-être permanent, en lequel s’élargissait l’Igharghar dans les formations tendres de la base du Crétacé, avant de traverser les formations plus dures du haut de la série en défilé, peut-être avec légère contre-pente, dans lequel on doit expliquer, par cette légère contre-pente du thalweg, par des mouvements très récents, ou par des éboulements et des barrages limites de venues d’oued, le changement de sens de l’oued qui, n’ayant plus son cours régulier et actif d’autrefois, aurait été impuissant à rétablir son sens primitif ;

4º Peut-être enfin est-ce une véritable dépression fermée, c’est-à-dire qui n’a pas d’écoulement superficiel facile possible, pas d’issue.

Et alors le creusement de la dépression ou du système de dépressions qui se trouve le long du versant méridional de la Hamada de Tinghert se serait fait ou plus vraisemblablement achevé depuis l’accentuation du caractère désertique du climat saharien, et par suite de la mise à nu des couches tendres du Crétacé, par combinaison de l’action alternée des orages violents[12], de la sécheresse, de la gelée, de l’insolation et de la corrasion (pour attaquer et réduire en poudre ces formations particulièrement peu résistantes de la base du Crétacé supérieur) et de l’action continue du vent, balayant au fur et à mesure les produits du travail de ces agents.

Le capitaine Cortier a déjà signalé que l’oued Oahnet, dans la Hamada de Tinghert, finissait en daia fermée sans traverser le troisième kreb de la Hamada.

L’oued Igharghar s’arrêterait également à Tanezrouft sans traverser ce troisième kreb dit d’In-Eddi — et ne serait donc pas un cas unique.

Non loin de là, la dépression de l’oued El-Chiati également au bas de la Hamada El-Homra (le prolongement de la Hamada de Tinghert dans le Sud-Tripolitain) semble un cas analogue, car je n’en connais pas d’écoulement certain.

L’oued Ech Chergui, au Fezzan, semble également finir dans la sebkra de l’oasis Djedid sans écoulement superficiel.

Enfin, il y aurait là en l’espèce de la dépression ou du système de dépressions Sud-Tinghert un cas analogue comme formation à celui des dépressions d’Egypte dont on attribue le creusement aux mêmes agents. (La dépression de Beharieh en particulier présente un caractère de similitude très remarquable ; elle est creusée, suivant Beadnelle, par ces mêmes agents dans les mêmes formations tendres crétacées).

*
* *

Mais, jusqu’à maintenant on niait qu’il y ait dans le Sahara français des dépressions pour la formation desquelles la part de l’action du vent soit si considérable.

Le cas de la « dépression Sud-Tinghert » me semble obliger à ne pas être affirmatif et à admettre la possibilité du rôle essentiel de l’action du vent combinée à celle alternée des orages violents, de la gelée, de la sécheresse, de l’insolation et de la corrasion, dans la formation de grandes dépressions dans les sédiments crétacés du Sahara français sud-constantinois, en attendant que de nouvelles observations sur cette dépression nous fixent définitivement sur son origine.

On doit admettre que l’action du vent, jointe à celle des autres agents énumérés plus haut, n’est pas négligeable et contribue au moins à donner de l’ampleur aux effets de l’action des oueds.

Des troncs d’arbres silicifiés.

Quelle est la date à laquelle il faut faire remonter la constitution des amas de bois et de troncs d’arbres, depuis silicifiés, que l’on rencontre au Sahara ?

Flamand les place dans l’Albien.

Je m’élève contre cette affirmation.

Certains au moins des bois silicifiés du Sahara sont de date postérieure. J’ai trouvé en effet au Nord de la Hamada de Tinghert, près de Hassi Pujat (que les Arabes appellent Hassi Bekbort), des formations considérables de bois silicifiés dont certains troncs avaient plus de 50 centimètres de diamètre et 1 ou 2 mètres de long. Ces superbes débris jonchaient le sol et témoignaient par leur abondance et la taille de certains d’entre eux, de la formation de ces amoncellements de bois flottés et de leur silicification en cet endroit même.

Or, ces dépôts reposent sur des formations post-crétacées, ce qui me fait admettre pour ces bois silicifiés l’âge tertiaire.

Cette date ne semble pas exceptionnelle : Beadnelle, donne à certains bois silicifiés de Beharieh, en Egypte, qui semblent tout à fait comparables, l’âge post-éocène.

Quant aux bois silicifiés déclarés albiens ou crétacés, je crois qu’une sévère révision de leurs conditions de gisement pourrait bien amener un changement dans l’âge attribué à certains d’entre eux.

Il est intéressant de noter que la silicification des bois semble à certains auteurs avoir toujours été liée à l’existence d’un climat désertique.

La démonstration de la présence de bois silicifiés dans plusieurs niveaux du complexe crétacico-tertiaire sud-constantinois pourrait donc être considérée, en admettant que la silicification n’ait pas été opérée partout à la même date, comme un argument en faveur de l’hypothèse de l’antiquité récurrente du climat désertique dans ces régions, de l’existence de plusieurs époques de ce climat au Crétacé et au Tertiaire avant l’époque actuelle.

Du Crétacé de Tinghert et du Djoua.

Ainsi donc, au Sud, au voisinage du Massif Central Saharien primaire, les bords relevés (peut-être par des mouvements alpins) de la cuvette crétacico-tertiaire constituent la Hamada de Tinghert.

Les formations crétacées y forment des plateaux doucement inclinés vers le Nord et terminés en falaises ou krebs au Sud.

On distingue trois gradins principaux dont les krebs ont été désignés par Cortier sous les noms de kreb d’In-Eddi, kreb de Tefist et kreb du Djoua. (Le kreb du Djoua étant le plus méridional et correspondant aux formations les plus basses de la série crétacée.)

Les étages représentés d’une façon certaine sont le Cénomanien, le Turonien et le Sénonien, à facies en général marno-calcaire (les argiles multicolores à gypse sont très développées à la base du kreb du Djoua où elles sont, semble-t-il, cénomaniennes et du kreb d’In-Eddi où elles paraissent sénoniennes).

Une étude de cette série crétacée de Tinghert avec la distinction de ses niveaux fossilifères paraîtra ultérieurement.

Quant à l’existence de l’Albien marin à la base de la série, elle n’est pas certaine (pas plus qu’en Tripolitaine d’ailleurs).

Le kreb du Djoua nous a fourni en abondance à sa partie supérieure des fossiles marins cénomaniens.

Ces formations fossilifères sont supportées par des argiles multicolores à gypse et à niveaux gréseux — formations lagunaires — d’âge indéterminé.

Ce sont ces argiles avec leurs formations de sables et grès tendres qui constituent le fond de la dépression du Djoua, qui longe le kreb du Djoua au Sud.

Dans ce fond, Foureau a recueilli des fossiles[13] ; ils ont été étudiés par M. Haug. Parmi eux, il n’est aucune espèce caractéristique de l’Albien qui permette d’attribuer avec certitude à l’Albien ces argiles, plutôt qu’au Cénomanien.

Plus au Sud, la dépression du Djoua est limitée par les sables de l’Erg d’Isaouan.

Il semble que vers ce contact les argiles multicolores, à niveaux sableux de plus en plus abondants passent à un complexe argilo-sableux et argilo-gréseux, d’âge indéterminé également, qui représente pour une part peut-être des formations continentales constituées au cours de la période d’émersion post-carbonifère, ante-cénomanienne, sans qu’il soit possible de préciser davantage.

Ainsi, il n’est pas prouvé, pour le moment, que la transgression méso-crétacée ait atteint la région de Tinghert dès l’Albien.

On ne connaît pas d’Albien marin certain à la base du Crétacé. Les formations crétacées marines les plus basses datées d’une façon incontestable sont cénomaniennes.

La transgression crétacée marine n’est certaine que pour l’époque cénomanienne.

A partir de l’Erg d’Isaouan vers le Sud on ne trouve plus de formations crétacées ou secondaires avant le Soudan où le Crétacé affleure au Sud du Massif Central Saharien ancien, suivant une bande continue, entre le 16e et le 18e degrés de latitude, allant de la région d’Agadès à Tabanckort, dans laquelle l’on retrouve le pendant des krebs de Tinghert dans ceux de Tamaïa.

Au Sud de l’Erg d’Isaouan s’étendent donc les pays primaires du Massif Central Saharien.


[2]Ou des mouvements épirogéniques.

[3]Ou, si l’on préfère, « que l’Afrique du Nord ayant été moins émergée au Pliocène qu’aujourd’hui la mer ait occupé alors par le seuil de Gabès une partie de cette cuvette pour en disparaître, etc. »

[4]Altitude du seuil : 47 mètres ; le seuil rocheux a été trouvé par les sondages de la mission Roudeyre à 15 mètres seulement d’altitude. Ce seuil rocheux aurait provoqué la formation d’une barre. Cette barre aurait contribué à l’établissement d’un milieu de salure et de faune spéciale.

[5]Ou, si l’on préfère, des mouvements épirogéniques de la région méditerranéenne.

[6]Il est vrai que dans les dépressions de l’oued Mzezem et du Houd-ech-Cheb sur les bords sud-tunisiens du Grand Erg Oriental, au Nord de Rhadamès et sur la frontière tripolitaine, Pervinquière a signalé la présence en abondance du Cardium edule et que ces cuvettes par leurs dépôts ne semblent pas pouvoir être considérées comme ayant été nettement marines (absence de NaCl dans les dépôts). Mais ces cuvettes peuvent avoir eu un étroit voisinage marin ou des connexions éphémères avec la mer ; par leur altitude (280 m.), elles ne pouvaient être très loin du golfe méditerranéen ; enfin il a pu se produire une sorte de lessive ou autre opération chimique dans ces dépôts qui expliquerait cette absence de NaCl.

[7]Je rappelle également la découverte d’une proue de galère dans la région des Chotts.

Les Chotts, actuellement, ne se prêteraient guère à la vie active d’une galère ; cette trouvaille peut faire penser ainsi que le desséchement des résidus des golfes sahariens plio-pléistocènes s’est parachevé pendant la période historique ; et l’on ne saurait ne pas évoquer ici le souvenir du lac Triton des écrivains latins.

[8]Car la question de ce golfe se pose non moins sérieusement ; mais j’ai traité plus particulièrement dans ce paragraphe du golfe méditerranéen sud-constantinois qui rentre seul dans le cadre de ce chapitre intitulé : « du Sahara arabe sud-constantinois ».

[9]Tinrert en Tamahak est un diminutif de inrer qui veut dire ravin.

[10]Ou que cette présence soit due à l’influence de la mer dont il est parlé plus haut ; mais cette hypothèse est peu probable. Le golfe lagunaire ne semble pas avoir eu une si vaste extension, et son caractère lagunaire ne permet peut-être pas d’imaginer de pareils transports de galets qui paraissent d’ailleurs originaires de l’Ahaggar.

[11]Cette formation de sable aux dépens du sous-sol s’impose particulièrement à l’esprit dans des régions voisines : les régions d’affleurement des formations sableuses de la base de la série crétacée.

[12]L’action des orages violents se traduit en particulier par l’action dissolvante des eaux de ruissellement pour dissoudre les éléments solubles si abondants dans les formations crétacées de cette région et jouer un rôle important dans leur désagrégation.

[13]Il convient de remarquer que cette faune du Djoua peut être constituée par des éléments de dates diverses réunis par les hasards de l’inondation, et qu’on ne sait pas bien ce qu’il convient de considérer comme réellement originaire des argiles et lentilles sableuses ou gréseuses du fond du Djoua. M. Haug a cru pouvoir admettre que la Desertella Foureaui avait été apportée par les eaux. Cela ne donne pas grande confiance en l’homogénéité réelle de cette faune.


DU PROJET DE TRANSSAHARIEN SOULEYRE


APTITUDE DU SOL A RECEVOIR UNE VOIE FERRÉE
ET RESSOURCES EN EAU
DANS LES PAYS CRÉTACICO-TERTIAIRES
SUD-CONSTANTINOIS

(Extrait d’un rapport fait pour M. Fock.)


I
Aptitude du sol à recevoir une voie ferrée dans les régions du Gassi Touil et du Tinghert.

a) Gassi Touil.

J’ai longé le Gassi Touil par son bord Ouest[14] sur une longueur de 100 kilomètres environ, jusqu’à sa terminaison Sud à Hassi Pujat.

J’ai pu constater que le Gassi Touil offre dans cette partie, qui est sa partie méridionale, à travers les masses considérables de sable du Grand Erg Oriental, un passage dégagé de sable — très large (de 10 à 20 km. en moyenne, parfois 30 km. et même 40) — au sol de cailloutis, de « reg » remarquablement plat.

Dans cette partie du Gassi Touil que j’ai vue, on trouve des îlots de dunes d’une ampleur assez considérable, mais je n’ai pas observé de chaînes de dunes traversant le Gassi Touil d’une rive à l’autre, ainsi que cela est fréquent dans les autres gassis.

Il semble donc que l’on puisse dans cette partie du Gassi Touil se maintenir constamment sur un sol de reg, poser la voie ferrée partout sur du reg.

Je ne puis donner sur le reste du Gassi Touil un avis fondé autrement que sur des renseignements car je ne l’ai pas vu moi-même.

Mes renseignements me donnent lieu d’espérer que le Gassi Touil, au point de vue qui nous intéresse, est de nature homogène et que sa partie septentrionale est assez semblable à la partie méridionale que je connais.

Ainsi donc, le Gassi Touil se prête, par la nature et la forme de son sol, à l’établissement d’une voie ferrée — dans sa partie méridionale, je peux l’affirmer — dans sa partie septentrionale, cela me paraît vraisemblable.

La nature du pays n’est inquiétante qu’au point de vue des suites de cet établissement.

Que résultera-t-il à son point de vue de la naissance de cette voie ferrée dans le Gassi Touil ?

N’est-il pas à craindre que, obstacle opposé au libre déchaînement des vents sahariens dans l’immensité si dépourvue d’aspérités du Gassi Touil et au cœur du vaste pays de sable du Grand Erg Oriental, la voie ne provoque son ensablement ?

Quelle ampleur pourrait prendre cet ensablement ? Arriverait-il à empêcher la circulation des trains, ou resterait-il négligeable ou seulement gênant ?

Au cas où cet ensablement se produirait et deviendrait inquiétant, y aurait-il des moyens de lutter efficacement, y aurait-il moyen de triompher indéfiniment ; si l’on ne pouvait que lutter temporairement, la durée de cette lutte jusqu’au moment inéluctable où la voie deviendrait inutilisable serait-elle suffisamment longue et son prix de revient suffisamment faible pour permettre, malgré cet ensablement prévu, de considérer l’établissement de cette voie ferrée comme légitime cependant et comme une bonne affaire ?

Telles sont les questions qui se présentent immédiatement — et qu’il est nécessaire de soulever au passage dans cet aperçu rapide — questions relatives à l’ensablement éventuel de la voie du Gassi Touil.

J’ai tendance à croire qu’en prenant, par prudence, certaines précautions, en particulier en faisant toujours passer la voie à la distance la plus grande possible des rives du Gassi et des îlots de dunes, l’ensablement de la voie ferrée du Gassi Touil — s’il se produisait — n’arriverait pas à devenir désastreux dans des délais inacceptables.

Mais, pour pouvoir tabler sur des certitudes, il conviendrait de faire l’expérience suivante, par exemple : poser une centaine de mètres de voies ferrées dans le Gassi Touil et observer si un ensablement se produit au bout de quelques mois et ses proportions.

On ne peut guère considérer la voie ferrée Biskra-Touggourt comme susceptible de donner des bases de prévision sur la question ensablement dans le Gassi Touil, ces régions étant peu comparables à ce point de vue spécial.

b) La région du Tinghert.

J’ai traversé la Hamada de Tinghert par Hassi Pujat et Tanezrouft pour aboutir à Fort Flatters.

A Hassi Pujat et à Tanezrouft, j’ai ainsi eu l’occasion de voir ce que l’on considère comme le lit de l’Igharghar.

Sans doute, il y a là un passage tentant pour l’établissement d’une voie ferrée ; mais il convient de faire remarquer : d’une part, qu’à Tanezrouft l’oued vient avec une grande violence après la pluie[15] et qu’une voie ferrée suivant le fond de la vallée sans dispositifs spéciaux en vue de la venue de l’oued aurait à subir éventuellement de graves dommages[16] ; d’autre part, que certaines des formations des flancs de la vallée, au Nord de Tanezrouft (argiles à gypse), présentent de graves inconvénients pour l’établissement d’une voie ferrée à flanc de coteau (possibilités de glissements, eaux séléniteuses attaquant les ciments, etc. (il est vrai qu’on fabrique maintenant des ciments résistant aux eaux séléniteuses)[17].

Telles sont les difficultés à envisager pour l’établissement d’une voie ferrée à travers la Hamada de Tinghert par la vallée attribuée à l’Igharghar passant à Tanezrouft.

Je n’ai pas suivi la vallée au Sud de Tanezrouft, ayant dû passer à travers la Hamada pour gagner directement Fort Flatters ; je n’en ai eu qu’un aperçu du haut de la gara Tanezrouft : elle va[18] vers le Sud-Ouest, vers la dépression Sud-Tinghert, en s’élargissant, calme et majestueuse et offrant un passage évidemment tentant.

Pour la traversée de la Hamada de Tinghert, après avoir franchi le défilé de Hassi Pujat qui s’impose pour échapper aux sables qui couvrent les premiers plateaux, je crois qu’il serait bon de rechercher un tracé passant sur les plateaux plutôt que par la vallée de Tanezrouft.

Cela nécessiterait quelques travaux d’art pour franchir les krebs, mais on y gagnerait un bon sol de hamada et la tranquillité lors des pluies (on n’aurait plus alors à craindre les crises de violence de l’oued Tanezrouft).

C’est une étude à faire.

II
Ressources en eau.

Sur le parcours dont je viens d’étudier la viabilité, je conçois l’établissement d’une Centrale d’eau au voisinage de Temassinin.

Centrale d’eau de Temassinin.

a) Eaux artésiennes.

Il existe à la Zaouia de Sidi Moussa un puits artésien. A mon passage, j’y ai abreuvé mes chameaux et ai pu constater que l’eau y jaillissait en abondance (pour ces régions).

Je ne saurais donner d’indication précise sur le débit de ce puits, n’ayant fait que passer très rapidement et ayant eu d’autres préoccupations. Ce n’est qu’une vague impression que je peux indiquer ici : ce puits atteindrait un débit d’une dizaine de litres à la seconde que je n’en serais pas surpris.

Le puits artésien de la Zaouia est déjà un élément précieux et peut-être suffisant (j’ignore quels seraient les besoins de la voie ferrée) ; son eau pourrait être amenée, par gravité et par conduites, jusqu’au voisinage immédiat de la voie ferrée (20 km. environ, puisqu’on est obligé de passer à cette distance de Fort Flatters pour éviter les sables).

Il est vraisemblable que des recherches d’eau artésienne auraient du succès dans cette dépression Sud-Tinghert, dans laquelle se trouve Temassinin.

On peut espérer un sondage heureux, mais il faut escompter des déboires et ne pas compter sur le succès du premier sondage.

Les eaux artésiennes sont vraisemblablement emprisonnées dans les niveaux de grès sableux crétacés plus ou moins lenticulaires qui sont pincés dans les marnes et argiles imperméables de la base du Cénomanien ou leur sont inférieurs.

Tous ces niveaux sableux ne sont pas forcément des asiles d’eaux artésiennes ; il faut qu’ils soient dans certaines conditions particulières, et nous ne connaissons pas encore suffisamment le bassin de Temassinin pour donner un diagnostic sûr.

On comprend dès lors que nous déclarions qu’il faut espérer un sondage heureux.

Si l’on désire rechercher des eaux artésiennes dans la dépression Sud-Tinghert, il conviendrait de ne pas agir par coups de sonde désordonnés, ainsi que cela fut trop souvent le cas dans l’oued Rhir.

Il conviendrait, croyons-nous, de pousser des sondages méthodiquement, c’est-à-dire faire un premier sondage à un emplacement indiqué sur le terrain par un géologue ayant quelque expérience à ce sujet.

Faire suivre le sondage par le géologue en question qui serait en observateur sur les lieux. Ce géologue aurait qualité pour arrêter le sondage lorsqu’il estimerait que, par suite de l’âge ou de la qualité des formations atteintes, il n’y a plus lieu de continuer.

Puis, avec l’enseignement de ce premier sondage, il pourrait en être entrepris d’autres aux emplacements désignés par lui et toujours suivis.

Le géologue se prononcerait également sur l’opportunité de poursuivre chacun de ces sondages ou de les arrêter.

Ainsi, on évitera : de poursuivre un sondage alors que scientifiquement il n’y a plus d’espoir d’un ordre dont on puisse tenir compte ; de ne pas tirer de chaque sondage la leçon précieuse qu’il peut procurer pour les recherches ultérieures ou en cours.

Enfin, en cas d’insuccès répétés, dès qu’il estimera avoir suffisamment d’éléments pour juger de la question, le géologue se prononcera sur la nécessité de poursuivre l’ensemble des recherches ou de les arrêter.

Au besoin, il pourra être adjoint un sourcier au géologue, l’expérience ayant montré que, malgré beaucoup d’insuccès, les indications de certains baguettisants peuvent parfois se trouver justes, quoique la réalité de la sensibilité à l’eau ne soit pas encore démontrée scientifiquement.

Le géologue pourrait choisir de préférence les points de sondage qui lui seraient indiqués comme particulièrement propices à la fois par sa science et par le sourcier. Cela pour mettre le plus de chances de son côté.

Mais il conviendrait, croyons-nous, de donner tout pouvoir au géologue, qui ne tiendrait compte des indications du sourcier que s’il hésitait entre plusieurs emplacements également indiqués au point de vue scientifique.

Le sourcier ne serait nullement nécessaire. Le géologue absolument nécessaire si l’on veut travailler méthodiquement et arriver au succès par le moins grand nombre de sondages.

Le géologue devrait auparavant se familiariser avec les recherches, très spéciales, d’eaux artésiennes dans l’oued Rhir par exemple, en suivant quelques sondages et en consultant les archives des sondages passés, car les recherches d’eaux artésiennes ne sont pas si simples qu’il paraît à première vue : un sondage placé à 15 mètres d’un autre qui a trouvé l’eau à 50 mètres pourra ne la trouver qu’à 70 mètres, etc.

Je n’ai pas la place dans ce rapport rapide de tenter d’exposer comment il peut en être ainsi, mais je tiens à attirer l’attention sur la complexité de la recherche des eaux artésiennes.

Il est vrai que dans les archives on ne trouverait peut-être pas de renseignements géologiques bien précis sur les couches rencontrées par chaque sondage ; la méthode du géologue observateur n’ayant malheureusement pas, à ma connaissance, été suivie avec continuité dans l’oued Rhir.

Cette campagne de recherches d’eaux artésiennes, en cas de succès, pourrait avoir une grande importance pour le développement de la région de Temassinin.

Elle pourrait également, éventuellement, dans ces conditions, nous révéler des choses intéressantes sur les ressources du sous-sol.

Profondeur des sondages. — Il me semble me rappeler que le sondage heureux de la Zaouia de Temassinin ne dépasse pas 20 mètres.

Quoi qu’il en soit, ainsi que je l’ai indiqué plus haut, les eaux artésiennes semblent se rencontrer à la base du Cénomanien.

Il en est de même en différents endroits du pourtour de la vaste cuvette crétacico-tertiaire du Sud-Constantinois.

Les formations primaires, jusqu’à maintenant, ne se sont pas révélées dans ces régions, d’une façon positive, détentrices d’eaux artésiennes.

C’est donc aux formations primaires qu’il conviendrait d’arrêter les sondages dans ces recherches d’eaux artésiennes.

Or, l’épaisseur des formations qui surmontent le Primaire dans la dépression Sud-Tinghert ne semble pas considérable, quoique les sables cachant le contact en surface au Sud de Temassinin empêchent de donner des précisions avec sûreté.

Je crois qu’elles peuvent être considérées en moyenne comme d’une épaisseur inférieure à 70 mètres, au maximum à 100 mètres.

Le succès peut évidemment se révéler avant cette profondeur, puisqu’à la Zaouia, ainsi que je l’ai indiqué plus haut, il me semble me rappeler qu’il fut obtenu avant 20 mètres.

Mais il est sage, pour le premier sondage, de partir de la prévision de 100 mètres, c’est-à-dire partir avec un tubage de diamètre suffisamment grand pour atteindre cette profondeur avec un bon calibre.

En cas d’insuccès de ce premier sondage, c’est-à-dire au cas où l’on aurait atteint les formations primaires sans rencontrer d’eaux artésiennes, on pourra en déduire pour les autres sondages à quelle profondeur approximative on rencontrera pour chacun le Primaire et ainsi la profondeur approximative à laquelle on devra pousser chaque sondage tant qu’il ne rencontrerait pas d’eaux artésiennes, avant de l’arrêter.

Quant à pousser plus profond que le contact crétacico-primaire, cela serait évidemment intéressant et satisferait la curiosité de certains, mais ce ne serait pas les eaux artésiennes qui ont « montré le nez » à la Zaouia, qui sont donc bien une réalité — dont on ignore seulement l’extension et la répartition — que l’on rechercherait, ce seraient des eaux artésiennes qui, si elles existent, n’ont encore « montré le nez » nulle part d’une façon décisive, dont on n’a encore aucune preuve de l’existence, dont l’on peut tout juste prétendre considérer comme des indices certains points d’eau situés dans le Carbonifère et certaines sources très timides qui se rencontrent au contact des Pays pré-tassiliens et de l’Enceinte tassilienne, contre les Grès supérieurs des Tassilis, lorsqu’ils se dressent pour former les bombements ou plateaux de l’Enceinte tassilienne, tels que Aïne Ksob, Aïne Redjem, Tanelak, Tazzait, etc.

Et en admettant que ces points d’eaux et sources soient en relation avec des eaux artésiennes en pression dans et sous les formations des Pays pré-tassiliens, dans la région de Temassinin ces eaux ne pourraient être rencontrées qu’à une grande profondeur, et on ne peut conseiller la recherche d’eaux encore hypothétiques à cette profondeur. Il faudrait qu’il n’y en ait pas d’autres à envisager, ce qui n’est pas le cas, ou que l’on tienne à s’édifier sur les ressources en eau de ces formations primaires.

Si l’on peut perdre quelque argent pour s’édifier à ce sujet, l’on pourra pousser le premier sondage très profond (300 m.). Quant aux autres sondages, naturellement il conviendra toujours — à moins que le premier sondage n’ait révélé du nouveau — de les arrêter aux formations primaires, car la recherche jusqu’à ces formations est seule conseillée par la réalité.

On devra, dans le choix des emplacements de sondages, choisir de préférence, à chance égale, les emplacements les plus près de la voie ferrée.

Au total, pour la Centrale d’eau de la dépression Sud-Tinghert, comme eaux artésiennes :

1º On peut compter sur un débit assez sérieux déjà existant à la Zaouia de Sidi Moussa à Temassinin et que l’on pourrait amener par conduite jusqu’à la voie ferrée ;

2º On peut espérer légitimement, par une campagne de sondages méthodiques, faire jaillir d’autres eaux artésiennes.

Dans la dépression Sud-Tinghert, et en étant plutôt pessimiste (car j’ai été volontairement plutôt pessimiste), on peut espérer que la profondeur des sondages n’aura pas à dépasser 100 mètres.

b) Eaux non artésiennes.

En plus de ces eaux artésiennes, il convient d’indiquer qu’il existe un puits à Fort Flatters, d’une profondeur, à mon lointain souvenir, d’environ 80 mètres, fournissant une excellente eau potable.

On peut compter sur le succès certain de puits du même ordre de profondeur dans la dépression Sud-Tinghert et, en raison de l’existence de puits beaucoup moins profonds (Tab-Tab), il est très fondé de l’espérer à une profondeur beaucoup moindre, tout en étant plutôt pessimiste, comme je m’en fais un devoir dans cette étude, afin de ne pas exposer à des désillusions.

L’emplacement exact en devrait être désigné autant que possible par un géologue.

c) Conclusions.

On voit que les ressources en eaux, dont pourrait disposer la Centrale d’eau de la dépression Sud-Tinghert, sont très satisfaisantes, soit par les éléments déjà existants, soit par ceux que l’on est en droit d’espérer.

d) Recherches d’eau dans le Gassi Touil.

Cette eau pourra être refoulée sur une hauteur de la Hamada de Tinghert pour alimenter par gravité la voie du Gassi Touil, car au Nord de Tanezrouft, dont l’étude suit, l’étude des puits existants, d’ailleurs rares et souvent morts[19], n’encourage pas beaucoup à faire des recherches d’eau dans ces régions. Elles ne donneraient probablement, vers 80 ou 100 mètres seulement semble-t-il, que des eaux très mauvaises, non artésiennes, peut-être peu abondantes et dont on ne peut affirmer qu’elles dureraient longtemps, et au delà, si elles parvenaient à des eaux artésiennes, ce qui serait sans précédent dans la région, ces recherches n’obtiendraient vraisemblablement ce succès qu’à une profondeur difficile à estimer en l’absence de précédents, mais que l’on ne peut guère espérer, je crois, devoir être inférieure à 200 mètres (profondeur à laquelle on peut espérer rencontrer les argiles à niveaux sableux de la base du Cénomanien), si l’on ne veut pas se bercer d’espoirs trop optimistes et s’exposer avec de grandes probabilités à des déceptions douloureuses.

e) Point d’eau accessoire de Tanezrouft.

Dans la Hamada de Tinghert, au Nord de la dépression Sud-Tinghert dans laquelle il me paraît indiqué de placer une « Centrale d’eau » en raison de la qualité, de l’abondance et, pour une part, du caractère jaillissant des eaux existantes et éventuelles, je dois attirer l’attention sur le point d’eau de Tanezrouft qui serait sur le tracé même de la voie telle qu’on me l’a indiquée.

Là, à une faible profondeur (2 ou 3-4 m. au maximum), on trouve, d’après mes renseignements indigènes[20], de l’eau dans une certaine abondance, mais extrêmement chargée en sels calcaires, magnésiens et sodiques, impropre à l’alimentation et inutilisable pour les chaudières sans distillation préalable (eau analogue à celle d’El-Biodt probablement, et sans doute apparentée à celles des puits du Gassi Touil qui proviendraient du même niveau aquifère). Cette eau pourrait provenir en partie d’un niveau aquifère affleurant dans le voisinage, en partie des eaux de précipitation ; toutes ces eaux se rassemblent dans le fond de la cuvette de Tanezrouft par gravité.

Quoi qu’il en soit, il y a là une cuvette assez humide, ainsi que l’atteste d’ailleurs une belle végétation de tamarix, coloquintes et autres plantes, et il n’est pas douteux que deux ou trois puits de quelques mètres de profondeur, bien placés, fourniraient une quantité d’eau appréciable, mais mauvaise.

C’est un appoint qu’il convenait de signaler ici.

Mais l’importance des eaux de Tanezrouft ne peut être mise en parallèle avec celle des eaux de la dépression Sud-Tinghert envisagées précédemment — qui est beaucoup plus considérable et susceptible d’un tout autre développement.


[14]En raison de l’obligation où j’étais, pour nourrir mes chameaux, de rester dans les régions de sable qui offrent quelques ressources en pâturages alors que les gassis en sont dépourvus.

[15]J’ai passé après une « venue » de l’oued et j’en parle en connaissance de cause.

[16]Il convient en outre de signaler dans la cuvette de Tanezrouft la présence de petites dunes. Mais elles ne constituent pas un obstacle bien important : elles pourront être soit tournées soit traversées facilement.

[17]On trouvera sur le flanc Est de la vallée de Tanezrouft, après le coude que domine la gara Tanezrouft, un banc de calcaires massifs que l’on pourra exploiter pour moellons et peut-être pour pierres de taille.

[18]Je n’entends par cette expression nullement indiquer le sens dans lequel coule l’oued dans cette partie de son cours, mais simplement la direction de la vallée.

[19]A mon passage, en janvier 1922, dans la région du Gassi Touil, les puits Hassi Pujat, Hassi Tartrat, Hassi de la Roque étaient morts.

[20]Lorsque j’ai passé à Tanezrouft, une « venue » récente de l’oued avait comblé le puits et laissé une daia à laquelle furent abreuvés les chameaux. Je ne puis donc parler du puits de Tanezrouft que par renseignements.


II
ÉTUDES BOTANIQUES


DE LA FLORE DES PAYS CRÉTACICO-TERTIAIRES SUD-CONSTANTINOIS
OU
DE LA FLORE DU SAHARA ARABE
(Caractères généraux.)


La flore des pays crétacico-tertiaires sud-constantinois a une physionomie à elle.

Elle est caractérisée par le règne des Salsolacées qui sont la note dominante de la végétation, ainsi que par sa relative uniformité et monotonie.

Ces caractères la distinguent nettement de la flore du Massif Central Saharien, ou flore du pays targui, variée, et dans laquelle les Salsolacées jouent un rôle beaucoup moins important, un rôle même effacé.

*
* *

Les espèces essentielles de cette flore, répandues en grande abondance, sont principalement :

a) Dans les ergs, et presque exclusivement dans les ergs :

Salsolacées : le Had (Cornulaca monocantha, Del.).

Graminées : le Drinn (Arthratherum pungens, P. B.), le Sboth, variété soyeuse.

Polygonacées : l’Aricha, 3e forme de Calligonum comosum, L’Hérit., l’Azelle, 2e forme de Calligonum comosum, L’Hérit.

Le Drinn et le Had se trouvent à la vérité plus au Sud dans quelques ergs du pays targui, mais par suite du rôle considérable joué par les ergs dont ces plantes sont l’apanage, en Sahara arabe, ces espèces font plus partie de la physionomie de cette flore, que de celle du Massif Central Saharien, du pays targui ;

b) Dans les terrains argilo-salés et humides :

Salsolacées : le Guetof (Atriplex Halimus L.)

Plombaginées : le Zita (Limoniastrum Guyonianum, Dur. et var. Ouarglense, de Pomel).

Le Guetof se trouve également en pays targui.

Le Zita semble avoir besoin de plus de sel et d’humidité que lui ;

c) Sur les plateaux calcaires, dès qu’il y a un peu de sable :

Graminées : le Sfar (Arthratherum brachyatherum, Coss. et Bal.) ;

d) Associées, dans les sols calcaires, soit sur les hamadas plus ou moins ensablées, soit dans les alluvions sablo-argilo-calcaires des oueds, soit dans les sebka gypseuses :

Salsolacées : le Baguel (Anabasis articulata, Moq., var. elongata), l’Agerem (Anabasis articulata, type), le Bel-Bel (? Anabasis articulata, var. ou ? Salsola tetragona, Del.).

Légumineuses : l’R’tem (Retama rtem, Webb.).

Le R’tem a une affection particulière pour les plateaux calcaires légèrement ensablés et les oueds de hamada légèrement caillouteux et sablonneux.

Je n’ai jamais observé l’R’tem au Sud de la Hamada de Tinghert ;

e) Répandue un peu partout sur les plateaux, dans les sables des plateaux, les sables d’oued, les petites dunes et à la base des grandes dunes :

Salsolacées : le Damran (Traganum nudatum Del.).

Planche I.

Pays crétacico-tertiaires. Pâturage à Damran et à Baguel, dans une plaine sablonneuse au Sud d’Ouargla

Gnétacées : l’Alenda (Ephedra alata, Decne).

L’Alenda semble plus exigeant de sable que le Damran qui, lui, paraît plus éclectique de goût quant à la nature du sol ;

f) Sur les « regs » caillouteux, dans les « Gassis » :

Salsolacées : le Ressel (Halocnemon strobilaceum, Moq.).

Graminées : le Nessi (Aristida plumosa, L., var. floccosa, Batt. et Trab.).

Le Ressel n’apparaît que dans les parties Sud des gassis du Grand Erg Oriental. (Je ne l’ai observé dans le Gassi Touil qu’à partir d’un point situé à 90 kilomètres environ au Nord de Hassi Pujat.)

Le Nessi se trouve ailleurs que sur le reg où il forme des taches dorées ; on le trouve un peu partout ; il pousse après la pluie en touffes vert tendre, puis se conserve longtemps en touffes devenues jaunes.

Ces deux espèces méritaient d’être réunies, associées, car elles sont, en Sahara arabe, à peu près la seule végétation des regs et gassis.

Telles sont les espèces de plantes persistantes qui constituent le fond typique de la flore du Sahara arabe.

C’est cet ensemble qui constitue l’essentiel de la végétation de la plus grande partie de la vaste cuvette (du vaste bassin) crétacico-tertiaire sud-constantinoise.

*
* *

Au Sud et au Sud-Ouest, les bords relevés de cette cuvette, le Tademaït et le Tinghert, ont une tendance à avoir une flore individualisée par rapport à cet ensemble.

Il semble que cela soit dû :

1º Au caractère géologique particulier de ces pays de hamada à vallées encaissées dans les calcaires et les argiles, vallées relativement humides et abritées, constituant un milieu, un habitat spécial ;

2º A la situation géographique : latitude plus faible et proximité du pays targui.

C’est une flore de transition.

Dans ces vallées on trouve principalement :

a) Les arbres ou arbustes suivants :

Tamaricinées : l’Etel (Tamarix articulata, Vahl), le Fersig (Tamarix pauciovulata, J. Gay).

Légumineuses : le Teleh (Acacia tortilis, Hayne) ; l’Rtem, déjà cité, est particulièrement abondant.

Rhamnées : le Sedra (Zizyphus Lotus, Def.) qui est un jujubier.

b) Comme plantes de petite taille dans les fonds humides :

Cucurbitacées : la Coloquinte (Citrullus Colocynthis, Schrad.).

Crucifères : le Chobrock (Zilla macroptera, Cosson), le Krom (? Moricandia divaricata, Cosson et Dur.).

Géraniacées : le Zemma (Erodium glaucophyllum, Ait.).

Resedacées : Randonia africana, Cosson, Reseda villosa, Cosson, etc.

Certaines de ces plantes, les Tamaricinées (qui avec l’Rtem sont à affinités méditerranéennes) entre autres, se rencontrent également dans certaines vallées des plateaux de la région d’Inifel et de Fort Miribel (le bord Ouest de la grande cuvette crétacico-tertiaire sud-constantinoise) dans l’oued Mya et en d’autres rares coins humides et plus ou moins abrités du Sahara arabe.

Mais ce sont les vallées ombreuses du Tademaït et du Tinghert qui sont particulièrement leurs terres d’élection ; c’est là que l’on trouve l’ensemble de ces espèces bien représentées et que l’on est frappé par le cachet particulier de la flore ainsi individualisée dans la flore générale des pays crétacico-tertiaires sud-constantinois.

*
* *

Après les pluies, avec le Nessi, une végétation particulière sort du sol et fleurit avec une rapidité stupéfiante : c’est l’acheb (ou « pâturage vert »).

L’acheb est un ensemble de plantes tendres, vertes, gorgées d’eau et en fleur, que la pluie fait sortir du sol comme par un coup de baguette magique ; flore essentiellement éphémère, et qui, vivant par cette humidité fugace, doit vite fleurir et grainer.

L’acheb est en général à base de Crucifères ; par exemple : le Hennê (? Henophyton deserti, Cosson et Dur.), Lehema (? Malcomia aegyptiaca, Spr.), le Goulglane (? Savignya longistyla, Boiss. et Reut.).

Que je rappelle la présence curieuse du Populus euphratica, Oliver, dans l’oued Mya, que j’ai constatée après Inifel, aux environs de Sejra Touila — dans mon itinéraire de retour — et celle, intéressante, dans le Sud des Gassis du Grand Erg, du Hyosciamus Falezlez, Cosson, ou jusquiame, Bethina en arabe, Efelehleh en tamahak, que j’ai observée à une dizaine de kilomètres au Nord de Hassi Pujat, sur le Gassi, et cette esquisse des traits généraux de la flore des pays crétacico-tertiaires sud-constantinois, tels qu’ils me sont apparus lors de mon passage dans ces régions, est terminée.

On trouvera plus loin, dans le paragraphe traitant de mon itinéraire, l’énumération des associations principales de plantes essentielles rencontrées de Ouargla à Temassinin.

Du pâturage et du pâturage en Sahara arabe.

C’est là un des esclavages du Saharien. On finit par être hypnotisé sur ce point de vue et la « question pâturage » devient rapidement un des sujets de conversation dominant.

C’est que c’est une question vitale.

Le chameau en effet est très résistant, mais à la condition qu’il mange presque tout le temps et que sa nourriture soit celle qui lui plaît.

On s’expose à des désastres si les chameaux n’ont pas régulièrement chaque jour leurs heures de pâturage.

Car cet animal ne se « refait » pas en cours de route ; tout ce que l’on peut espérer, et encore, c’est qu’il se conserve assez près de sa forme de départ et il faut un pâturage régulier[21] pour le maintenir ainsi à peu près en forme (en supposant naturellement qu’on ne le fatigue pas trop), sinon sa bosse fond, puis ses cuisses, l’animal a l’œil triste, et bientôt il tombe « assel » et vous dit adieu sans se préoccuper du cruel embarras dans lequel il vous met.

Le chameau est difficile quant à sa nourriture, non que les plantes qu’il mange présentent toujours à notre œil humain un aspect bien appétissant, mais il aime une certaine variété et si on abuse de certains genres de pâturages trop longtemps, il erre tristement avec un air distrait et pensif sans sembler songer à la présence des plantes qu’il avalait goulûment la veille ; il faut donc le mettre en appétit par des changements fréquents si on veut qu’il mange beaucoup et se maintienne en bonne forme.

Certains ont une nature plus heureuse et sont toujours en appétit, mais ce sont des cas particuliers.

Des considérations de saison et d’état des animaux jouent aussi dans le choix des pâturages ainsi que des considérations d’abreuvage.

Pour qu’un chameau profite des instants qu’on lui donne pour paître, il est préférable qu’il soit nu et qu’il puisse folâtrer à son aise. Quand on le peut, il vaut mieux le laisser sans entraves : il y a beaucoup de fantaisie dans son caractère et il faut qu’il puisse s’y abandonner à ces moments-là ; c’est un grand enfant farceur : il aime aller de touffes en touffes en ne donnant qu’un coup de dent à chacune ; bien souvent il refusera d’une plante qu’on lui offre, pour se précipiter avec un air affriandé vers une autre semblable et de même espèce ; il aime à happer rapidement, et sous son nez, la touffe qu’un camarade se préparait à tondre.

Les chameaux n’aiment pas manger avec la chaleur ; l’été, il faut les faire paître le matin jusqu’à 10 heures ou l’après-midi après 5 heures du soir, ou encore la nuit.

Si le chameau aime des plantes piquantes comme le Had qu’il dévore ainsi qu’un mets velouté, s’il aime des espèces de paquets de verges comme le Damran et l’Ageran, bref, si beaucoup de ses mets préférés semblent trouver chez lui de l’affection par suite d’un fond de vice dans sa nature, il a également un goût marqué pour les fleurs les plus délicates, les plus parfumées et les plus charmantes, comme les fleurs d’Acheb, de Teleh, de R’tem, et semble ne pas être insensible, loin de là, à la poésie et à la tendresse de cette nourriture.

C’est une stupeur, la première fois que l’on rencontre de l’acheb, de voir tout ce parterre brillant et éclatant de fleurs délicieuses de grâce et de couleurs, happé goulûment par sa lèvre bavante et dégoûtante de chameau.

En cet animal si inattendu qu’il semble avoir été forgé un jour de distraction, si repoussant qu’aucun art antique ne s’est plu à en reproduire l’image, si abject que d’un commun accord les textes anciens ont en général fait silence autour de lui, je n’en vois qu’une excuse : ses bons yeux doux et profonds.

Des plantes du Sahara arabe, le chameau préfère le Had, le Sfar, le Damran, le Krom, en fleurs ou portant ses graines, le Chobrock en fleurs et par dessus tout l’Acheb (ou pâturage vert).

Le Drinn, le Sboth et le Nessi, quand ils ne sont pas trop secs ou qu’ils portent leurs graines, sont aimés du chameau.

Le chameau mange l’Azelle, l’Aricha, le Guetof, le Baguel, l’Agerem et le Bel-Bel.

Il ne mange pas l’R’tem, sauf ses fleurs, ni l’Alenda, ni le Zemma, ni le Falezlez.

Il n’accepte le Ressel que quand cela lui passe par la tête — et c’est assez rare.

On le voit parfois s’attaquer aux Tamarix.

Du Teleh il mange les fleurs et les fruits en tire-bouchon, avec grand plaisir. Les Touaregs, avec les fruits du Teleh, font, en les pilant, des pâtées pour les jeunes.

Telle est la valeur des plantes essentielles du Sahara arabe pour l’alimentation des chameaux.

On voit que les Salsolacées sont toutes, sauf le Ressel, appréciées du chameau[22].

Ces Salsolacées, ainsi que nous l’avons dit plus haut, sont la dominante de la végétation du Sahara arabe et sont répandues sur d’immenses surfaces, d’ailleurs, chose curieuse, par vastes étendues où souvent l’on ne trouve qu’une ou deux espèces mais en quantité.

On voit ainsi l’étendue considérable de pâturages quasi permanents dont disposent les tribus arabes (Chamba et autres). C’est là ce qui caractérise ces régions au point de vue pastoral ; c’est la présence de vastes étendues de pâturages quasi permanents de Salsolacées, de vastes plaines où l’on peut vivre à peu près constamment (car là où le chameau vit, l’homme peut subsister en se nourrissant du lait des chamelles et des chèvres).

Quand les animaux ont tout tondu, on change de camp.

La pluie a aussi une influence sur les déplacements, car dans les régions d’acheb les animaux ont plus de lait, ils ont besoin de boire moins souvent et on s’établit de préférence là où il a plu récemment.

Naturellement, dans ce nomadisme on est l’esclave des points d’eau où il faut faire boire les chameaux régulièrement suivant la saison et la qualité du pâturage de tous les trois jours à tous les huit jours et, en général, les nomades s’établissent près des puits, non seulement pour pouvoir abreuver facilement leurs chameaux mais encore et surtout à cause des ânes, chèvres et moutons qui demandent à boire plus souvent.

Quand il y a beaucoup d’acheb et pas de plantes salées, les chameaux peuvent se passer de boire très longtemps, mais c’est un cas qui se produit surtout en pays targui.

Ce sont les régions de sable, à Had, qui sont les meilleurs pâturages en toute saison en Sahara arabe. Puis les étendues sablonneuses à Damran.

Planche II.

Pays crétacico-tertiaires. Camp dans les dunes, dans l’Erg, près de Hassi el Khollal.

Végétation typique d’Erg : 1, Drinn ; 2, Had et 3, Azelle.

Ce sont les regs des Gassis et les Hamadas non ensablées (à moins qu’il n’ait plu récemment) qui constituent les pays les plus déshérités au point de vue pastoral.

En pays targui, on n’a pas en général ainsi d’immenses étendues de pâturages quasi permanents, mais salés, de Salsolacées. C’est là l’apanage des pays crétacico-tertiaires sud-constantinois.

On trouvera, dans le paragraphe traitant de mon itinéraire, les plantes composant les pâturages rencontrés successivement d’Ouargla à Temassinin.


[21]En l’absence de pâturages il convient, quand l’on peut, de se munir d’Alef, de Drinn, de Bechna et autres fourrages.

[22]Mais étant salées elles obligent à faire boire les chameaux souvent.


III
DE MON ITINÉRAIRE


IMPRESSIONS ET NOTES DE ROUTE


Mon itinéraire général à travers ces pays fut, à l’aller : Touggourt, Ouargla, Hassi el Khollal, le Gassi Touil, Tanezrouft et Temassinin.

Au retour : In Salah, Aïne Guettara, Inifel, Hassi Djemel, Ouargla et Touggourt.

Nous ne parlerons que de l’itinéraire d’aller, de Touggourt à Temassinin, cet itinéraire étant suffisant pour donner une idée de ces pays.

De Touggourt à Temassinin.

a) Impressions de route[23].

Le 8 janvier, à 9 heures du matin, je quitte Touggourt pour marcher « vers le Sud ».

Quelle joie ! quelle fièvre ! de s’élancer au pas souple de son méhari vers les espaces infinis du désert, vers le mystérieux et prestigieux Ahaggar, vers « le nouveau », vers « l’inconnu ».

Les oasis de Temacine, Blidet Amar et Ouargla successivement rencontrées sont tour à tour laissées en arrière, et tour à tour s’effacent dans le lointain comme s’évanouit un trop beau songe, la ligne verte de leurs palmeraies enchanteresses et les silhouettes élancées et songeuses de leurs minarets blancs.

Bientôt c’est le vrai désert et les jours succèdent aux jours dans l’immensité des sables moutonnants et des hamadas caillouteuses.

Notre solitude n’est plus guère rompue qu’aux puits ; là on trouve souvent quelque animation ; ce sont les lieux mondains et vivants du Sahara ; caravanes de passage, nomades au pâturage non loin de là, bêtes et gens se rencontrent au puits où la même nécessité les mène : boire.

Et il y a grand échange de nouvelles relatives aux dernières pluies, à l’état des pâturages, à celui des points d’eau, aux récents « rezzous », grandes conversations sur les prix des méharas, des moutons, des chèvres, des dattes, du thé, du sucre et de la toile, au milieu des cris des hommes tirant l’eau et des réclamations bruyantes des chameaux qui ont soif et attendent avec impatience leur tour pour se désaltérer ou qui ne sont pas contents parce qu’on ne les charge pas à leur convenance.

De nombreux oiseaux, apanage des points d’eau, amusent l’œil de leurs vols et sautillements gracieux et affairés.

Et quelle joie lorsque les nomades possèdent quelques bêtes laitières : chacun de se gorger et de remplir ensuite des outres du lait des chamelles ou des chèvres.

Bien souvent également on trouve quelque objet de marchandage ou d’échange et alors c’est une volupté très arabe de conduire pendant des heures, en buvant de nombreux thés, la négociation savante d’un de ces objets, si insignifiant soit-il, dont souvent d’ailleurs ils n’ont même pas l’intention d’entrer en possession ; ils parlent « douro » et « sourdi » et ils sont heureux.

Enfin, les nomades ont parfois des femmes.

Quel attrait prend alors le puits : surprendre une gracieuse fille voilée alors qu’elle est occupée à faire la provision d’eau de sa famille, apercevoir un œil charmant par la déchirure d’une tente, en voilà un bonheur !

Le point d’eau est pour ces pays sahariens comme un paradis et on s’aperçoit vite qu’il est inutile de tenter à son approche de conserver une allure modérée, tant l’impatience et la curiosité des hommes sont grandes ou, lorsqu’il faut en partir, de le quitter à l’heure fixée d’avance.

Il faut le quitter pourtant.

On arrive enfin à « décoller » ; l’on s’enfonce de nouveau dans la solitude et les longues étapes recommencent de la petite caravane perdue dans l’immensité saharienne, au bercement des psalmodies et des flûtes mélancoliques, avec les aboiements des chameliers pour pousser les chameaux ou les mieux grouper, qui brisent de temps en temps la rêverie.

Chaque jour après l’étape on établit son camp ; après de nombreux thés à la menthe bus religieusement, rituellement, à la mode arabe, autour des feux qui mettent de violents et chauds accents d’ombre et de lumière sur les figures et les amples vêtements de laine blanche, des jeunes gens dansent longuement dans le bruit scandé des derboucca ; puis les lueurs des feux meurent lentement, les hommes s’étendent roulés dans leurs burnous et bientôt, sous la clarté des étoiles, le silence infini du désert n’est plus troublé que par le bruit de mâchoires des chameaux qui ruminent étendus sur leurs genoux pliés et qui semblent ainsi un vol posé de grands cygnes noirs avec leurs cols longs et souples.

Dans la pose pleine de majesté, de calme, de pensée et de mystère de leurs têtes aux yeux doux et profonds dominant leurs corps allongés, ils évoquent également, tandis qu’ils ruminent longuement et gravement près du camp endormi, quelques sphynx songeant sur le désert.

Je traverse ainsi le Grand Erg Oriental par Hassi-el-Khollal et le Gassi Touil.

Je fais connaissance dans les dunes du Grand Erg avec la tempête de sable ; spectacle impressionnant[24] :

Quand le vent commence à se faire violent, les crêtes des dunes fument sous les rafales, le sable court sur le sol vite, très vite, en longues traînées qui semblent des courants de vapeur, monte à l’assaut des pentes et bientôt tout semble argenté par une brume blanche qui glisse follement au ras du sol.

Ce n’est que le début : peu à peu le sable s’élève et tout disparaît dans un brouillard pulvérulent qui empêche de distinguer quoi que ce soit à quelques mètres devant soi ; on ne voit plus le soleil ; on est perdu dans une obscurité jaune.

Alors on doit s’arrêter et attendre que le calme soit revenu, roulé dans son burnous, le capuchon rabattu sur la figure pour se protéger du bombardement serré du sable qui vous assiège.

Le Gassi Touil, entre les deux régions de dunes du Grand Erg Oriental, est un passage absolument plat au sol de cailloutis, large par endroits d’une cinquantaine de kilomètres.

Je le longe pendant une dizaine de jours.

Quel spectacle d’une infinie singularité que celui de cette immensité plate et noire, d’une désolation inouïe, sans rien, rien jusqu’à l’horizon ; c’est le pays le plus nu du monde peut-être ; l’on n’y trouve pas la moindre végétation, le moindre point d’eau (250 km. sans puits) ; les Arabes l’appellent le « pays de la peur ».

O magie incroyable de la lumière saharienne sous les baisers ardents du soleil, cette terre hostile anime sa nudité de teintes et de mirages merveilleux ! Le Gassi Touil est par excellence le pays du mirage.

Les hauteurs sont élastiques ; une touffe d’herbe au loin prend parfois les dimensions d’un arbre ; un méhariste amplifié par le mirage peut apparaître un instant d’une taille fantastique et terrifiante, ou, absorbé par ce même mirage, disparaître tout d’un coup comme par enchantement ; les distances ne peuvent s’estimer ; on croit marcher dans un songe.

Planche III.

Pays crétacico-tertiaires. Dans le Gassi Touil, un îlot de dunes.

A l’horizon paraissent des dunes de l’autre rivage du Gassi Touil teintées du bleu le plus tendre au rose le plus délicat ; par le mirage elles sont déformées en falaises, en villes fortifiées ; dans le mirage elles se noient, elles se reflètent comme dans des nappes d’eau calmes et miroitantes, ainsi que des lacs d’argent ; parfois il semble que l’on voit les ports lointains d’une paisible mer d’azur.

Constamment le mirage change à l’horizon ; on n’a pas le temps de s’en lasser qu’il s’est évanoui en une vision nouvelle et qu’il a pris ce charme de plus d’avoir été trop éphémère.

Il semble que ce soit comme une consolation et que les pays les plus déshérités matériellement soient ceux des plus beaux mirages, ceux qui nous charment et nous envoûtent le plus de rêves insaisissables et merveilleux.

Enfin, voilà la porte par laquelle je pénètre dans les marches de guerre du pays targui : Tanezrouft dans la Hamada de Tinghert.

C’est un enchantement : je vois des arbres, des fleurs, de l’eau et ce n’est pas un décevant mirage !...

Je n’ai rien vu de pareil depuis Ouargla et ce premier coin verdoyant m’enivre d’enthousiasme.

Charmant salut targui :

De véritables prairies, d’innombrables fleurs, sont un tapis grisant à mes pas ravis entre les bouquets ombreux d’étels étoilés de pourpre et les massifs de r’tems aux blancs papillons follement odorants.

Il a plu et c’est une abondance stupéfiante de végétation qui a couvert en quelques jours le fond de cette vallée de Tanezrouft, sans doute moins attrayante en temps ordinaire.

Mon méhari s’en donne à cœur joie. Toutes ces délicates et gracieuses fleurs sont happées goulûment par sa lèvre prenante, et son ventre prend vite des dimensions considérables : il gardera sans doute comme moi un souvenir ému de Tanezrouft.

La végétation n’est pas seule à donner à Tanezrouft un caractère inoubliable : la sortie du défilé qui traverse la Hamada est commandée par une gara en forme de coupole dont la silhouette mystérieuse fait planer sur ce pays un charme secret et tout puissant.

Son sommet est couvert de caractères tifinar, cette écriture très particulière des Touareg que le roman de l’Atlantide a rendue célèbre ; c’est la première inscription de tifinar que je rencontre ; nous sommes bien dans les marches extérieures du pays targui et ces inscriptions ont sans doute été gravées pendant les longues heures de veille par les sentinelles qui se sont succédé sur cet observatoire traditionnel.

Car ce fut un point stratégique important : quand les Arabes Chamba menaçaient les Touareg, ce défilé de Tanezrouft était la première défense qu’ils rencontraient au sortir du Grand Erg et un point d’eau ardemment souhaité.

Depuis, nous y avons soutenu également des combats ; entre autres des tirailleurs y furent surpris et assiégés dans leur camp pendant quatre jours, en 1918, par les pillards ; dix tombes témoignent encore du caractère sérieux de ce combat.

C’est également un endroit où il ne fait pas bon être surpris par un orage : l’oued y vient avec une rapidité foudroyante, une violence considérable, et anéantit toute caravane se trouvant alors sur son passage ; d’innombrables carcasses de chameaux noyés dans ces désastres achèvent de donner une note tragique à ces lieux aimables.

Les Sahariens vivent dans une perpétuelle terreur de la noyade : à la vue de tous ces os blanchis qui jonchent le sol, on comprend combien cette terreur est loin d’être puérile ; terreur cocasse en vérité et ironique — oh combien ! — quand on souffre cruellement de la soif, ce qui est courant dans ces pays.

Puis c’est Temassinin et la Zaouia de Sidi-Moussa, célèbre centre musulman des Touareg.

Planche IV.

Pays crétacico-tertiaires. Dans la Hamada de Tinghert, descente du kreb du Djoua, dans les Argiles à Gypse cénomaniennes.

Elle fut commencée sous El Hadj-el-Foki, un marabout targui et achevée par son fils Sidi-Moussa dont la tombe est un objet de grande vénération.

Il est peu de musulmans, surtout de la Confrérie des Tidjania, de passage dans ces régions, qui ne se rendent pieusement en pèlerinage à la petite « kouba » de « timchent » de Sidi-Moussa, dont la simple blancheur reposant dans l’ombre des palmiers est une charmante apparition, source de désirs de douceur et de paix comme la vue d’une colombe sommeillant, menue et confiante, dans l’obscure clarté d’une cathédrale.

Pendant que j’échange les salutations d’usage avec le caïd de ces lieux, Mohammed-ag-Abdenneby, de la tribu des Forassi, la tribu maraboutique très respectée de Sidi-Moussa, mes hommes se partagent de petits bouts d’étoffes que le gardien du sanctuaire leur a fait la faveur de leur accorder et qui viennent, paraît-il, du lieu sacré. Ils les attachent à une lanière de cuir passée autour du cou : nous n’avons désormais plus rien à craindre, nous voilà sous la haute protection de Sidi-Moussa.

Le caïd m’offre des œufs et un poulet : aimable attention ! Je n’en devais plus manger de longtemps, car les Touareg considèrent cet animal comme impur et n’en mangent généralement pas. Si Mohammed-ag-Abdenneby en mange quoique targui, c’est sans doute qu’il a pris de mauvaises habitudes au voisinage des Français de Fort Flatters.

Puis les jardins et les palmiers de Temassinin ne sont bientôt plus qu’un souvenir et nous voilà de nouveau seuls dans les sables, ceux de l’Erg d’Isaouan-n-Tifernin.

b) Notes de route[25].

Touggourt est le point terminus de la voie ferrée, le point le plus avant dans le Sahara où vous mène le rail.

C’est de là que je pars à chameau, le 8 janvier, vers le Sud, après avoir reçu le très aimable accueil et les précieux conseils des officiers des Affaires Indigènes (le Cmdt Béraud, le Cmdt Fournier et le Cne Lhoilier), qui, ainsi que tous les officiers du Sud, suivant la tradition saharienne, voient toujours d’un œil sympathique les voyageurs qui viennent étudier leur cher Sahara.

L’oued Rhir est une traînée de palmeraies[26] qui se sont admirablement développées, sous la direction française, par le travail de la sonde artésienne ; on est heureux de voir là une belle œuvre de la civilisation qui ainsi a créé de merveilleuses palmeraies là où souvent il n’y avait rien, en faisant jaillir des eaux abondantes.

A cette œuvre, le nom de Rolland et du Cmdt Pujat est attaché.

Je passe à Temacine, une oasis pittoresque dont le village est établi sur un socle bâti avec des troncs de palmiers, et qui jouit de la présence d’un lac ravissant.

Son caïd, Abd-el-Kader, me montre aimablement la curiosité de l’endroit : les « retass » ; ce sont des plongeurs qui curent les puits artésiens arabes de la région ; c’est un spectacle étonnant que celui de ces hommes qui peuvent supporter de plonger trois à quatre minutes à une profondeur de 30 à 40 mètres, pour remplir au fond du puits une corbeille de sable ; comment peuvent-ils supporter cette pression et aussi longtemps ? C’est un problème ; il paraît que c’est par suite d’un entraînement poursuivi de génération en génération : ils sont « retass » de père en fils et forment une corporation à part, d’ailleurs très respectée des autres indigènes. Ils disparaissent ; on n’en compte plus que quelques-uns : leur métier ne rapporte plus, c’est l’introduction de la sonde artésienne dans le pays qui en est la cause.

Après Temacine, c’est la Zaouia de Tamelet, de la Confrérie des Tidjania, avec ses rues voûtées et fraîches, sa mosquée dotée d’une belle coupole, ouvragée délicatement, et les tombes des marabouts célèbres que cette coupole abrite.

Enfin, à Blidet Amar, je dis adieu aux oasis de l’Oued Rhir.

C’est maintenant un paysage de sables moutonnants à végétation de damran.

Nous passons à Hassi Ma’mar, puis nous suivons la ligne des poteaux télégraphiques jusqu’aux environs d’Ouargla ; c’est là un bonheur de civilisés que cette vue d’alignements de poteaux télégraphiques ; nous ne l’aurons plus après Ouargla.

Végétation de Zita, de R’tem et de Damran.

Voilà Ouargla, la célèbre oasis où réside le Commandant du Territoire des Oasis. J’y reçois l’accueil dont les Sahariens ont le secret. Chacun me fait des recommandations, me donne des conseils et des renseignements expérimentés dont je reconnaîtrai dans la suite toute la valeur.

C’est toujours un brillant centre d’Officiers du Sud, de ces « Chevaliers du Désert », comme on les a appelés, que Ouargla. J’y trouve le Cne de Saint-Martin, le Dr Chéneby, le Lt Giraudy ; au retour, j’y trouverai le Lt Brunet, etc. ; tous ces noms sont bien connus des Sahariens.

Puis c’est le désert, le vrai désert, cette fois.

Départ par la brume, le 15 janvier.

Les palmiers s’espacent et adieu l’oasis.

Je ne verrai plus de vraies oasis de plusieurs mois.

La gara Krima est au loin devant nous qui émerge fièrement de la brume ; c’est la célèbre gara chère aux Chamba d’Ouargla, qu’ils salueront de mille démonstrations de joie dès qu’ils la verront poindre à l’horizon au retour.

Au bas de la gara Krima se trouvent les ruines de Sedrata, ancienne ville des Berbères (?) devenus les Mzabites par la suite, que ceux-ci, éternels persécutés à cause de leur richesse et de leur hérésie, durent fuir comme ils avaient abandonné Tiaret, pour se réfugier finalement dans les plateaux inhospitaliers du Mzab, où ils ont créé, à force de persévérance et d’efforts, les nombreuses villes dans lesquelles vivent leurs femmes, où se trouvent leurs foyers qu’ils visitent quand leur vie de commerçants le permet, et que gouverne une oligarchie religieuse de prêtres : les Tolbas.

La gara Krima est un plateau escarpé d’accès difficile et de défense facile. C’était sans doute autrefois un refuge en cas de danger.

Un puits fut creusé sur ce plateau ; ainsi les populations qui s’y réfugiaient étaient sûres de n’y pas mourir de soif.

Les nombreux instruments de pierre taillée qu’on y trouve montrent l’antique importance, au point de vue humain, de la gara Krima.

Dans le fond salé que domine la gara Krima, on trouve une végétation d’arbustes Zita.

Nous quittons ce fond à Zita pour monter sur un plateau, en laissant la gara Krima à gauche et la gara Teho à droite.

La surface du plateau est tachée de touffes de Bel-Bel.

Le 16 janvier. — Le matin, au départ, il y a un épais brouillard, et c’est un spectacle curieux que les chameaux se dessinant brusquement dans ce voile quand ils approchent de vous : on dirait une apparition apocalyptique.

Nous cheminons dans la plaine de Tarfaia.

Nous trouvons Bel-Bel et Alenda, Sfar, Damran et R’tem, du Drinn quand il y a suffisamment de sable.

Le brouillard se lève lentement et bientôt disparaît ; il n’y a plus que de gros cumulus.

Nous laissons à gauche la gara Mkhadma, la gara Tarfaia, Hassi Tarfaia et la gara Smelteneckis ; nous laissons à droite la gara Komfelhem et la gara et le Hassi Berouba.

Nous traversons quelques dunes, une plaine et arrivons sur un plateau, où nous campons, avec Sfar, Damran et Alenda.

Le 17 janvier. — De bonne heure, avec vent debout, nous apercevons des gazelles qui broutent gracieusement du Sfar dans la rosée du matin. Elles se laissent approcher, puis fuient, légères, dans une course admirablement souple et rapide. C’est une vitesse folle qu’elles paraissent fournir sans effort, comme si c’était un jeu. Dans leur fuite, elles ont la coquetterie délicieuse de cueillir quelques touffes à droite et à gauche, comme si elles nous narguaient.

Nous laissons la pittoresque gara Ksekis s’mehari à gauche, ainsi que la gara Smiri.

Sur le sable nous trouvons des buissons d’Azelle.

Nous laissons à gauche l’Erg en Nos.

Pâturage de Damran et Agerem.

Le soir se produit une ondée.

Le 18 janvier. — Près de Hassi Madjeira, nous subissons une violente tempête de sable.

Le 19 janvier. — Je passe près d’une gara, la gara Beckri, où une inscription arabe est gravée, disant : « Là est mort Ali ben Mohammed ».

Nous laissons Hassi Madjeira à notre gauche.

Dans cette région, on observe la présence de vallons sinueux qui manifestent nettement d’un passé humide avec des rivières actives.

Les pâturages sont de Sfar, Agerem et Azelle, accompagnés d’Alenda.

Nous laissons à droite l’erg Tomiet et l’erg et Hassi-Bou-Maza.

Dans les dépressions sableuses, nous trouvons Azelle et Alenda et sur les plateaux Sfar et Agerem.

Le 20 janvier. — Départ avec ciel couvert. Temps gris.

Végétation de Sfar, Damran et Agerem.

Nous laissons à droite l’erg Goret Naga, Goret Retmaia, Goret Zotti ; à gauche, Goret Faouar et Hassi el Kezal.

Nous pénétrons dans des dunes avec Drinn, Azelle et Had.

Nous trouvons de nombreux débris d’œufs d’autruche, dont de grands, tous au même endroit, comme si l’œuf venait de se casser.

Le 21 janvier. — Le plateau rocheux apparaît de temps en temps, avec Damran et Agerem, Damran et Sfar.

Dans la dune il y a toujours Drinn, Azelle et Had.

Le 22 janvier. — Arrivée à Hassi-el-Khollal, creusé au fond d’une dépression du plateau rocheux.

Dans la dune, au voisinage, se trouvent Had, Drinn, Bel-Bel.

Le 23 janvier. — Les chameaux sont passés au goudron à cause de la gale.

Il a certainement plu ici il y a quelque temps car quelques fleurs d’Acheb poussent çà et là.

Le 24 janvier. — Pays d’erg. Pâturages de Had, Drinn, Damran et un peu d’Acheb : Hennê et Lehema.

Le 25 janvier. — Temps gris et menaçant.

Nous suivons un gassi.

Dans la dune il y a Damran, Had et Drinn.

Nous campons au confluent de deux gassis.

Le 26 janvier. — Temps très menaçant.

Nous suivons un gassi. La végétation de Damran disparaît. Il n’y a aucune végétation sur le gassi ; c’est du reg.

Le gassi est barré par des chaînes de dunes que nous traversons.

Dans les dunes, toujours Drinn, Had et Azelle et un grand arbuste, l’Aricha, qui atteint sur le sommet des dunes 5 à 6 mètres de hauteur.

Dans le gassi nous trouvons des débris de coquille d’œuf d’autruche. On aurait tué une autruche par là il y a douze ans. Ce serait la dernière autruche tuée dans tout le pays.

Pluie vers midi.

Le 27 janvier. — Deux ondées dans la nuit.

Nous suivons toujours le même gassi, large de 3 à 5 kilomètres environ.

Dans la dune, de beaux Arichas.

Nous passons à un endroit du reg où les outils en silex taillé sont abondants, ainsi que des nuclei. Beaucoup de silex sont de taille inachevée ; il y avait donc là des ateliers de taille, jadis.

Cela ne peut se concevoir qu’avec l’existence d’un passé humide.

Nous campons près de l’erg de la Bride, où est mort Legras.

Nouvel atelier de taille.

L’erg de la Bride est fort curieux ; il possède un entonnoir très profond, analogue, semble-t-il, à celui d’Aïne Taïba, mais sans eau.

D’après les guides, il y aurait ainsi, dans la partie orientale du Grand Erg, des entonnoirs avec de petits lacs dans le genre d’Aïne Taïba, avec même, auprès, les ruines d’une ville ; mais on n’en sait plus le chemin.

Le 28 janvier. — Nous parvenons dans le Gassi Touil.

Le pays n’a plus aucune végétation ; les dunes sont absolument nues ; je n’en ai jamais vues d’aussi nues ; elles ne portent que quelques rares Arichas. Elles sont par massifs de direction légèrement oblique par rapport à la direction du gassi. Ces massifs semblent se montrer régulièrement de 3 en 3 kilomètres. La direction dominante du vent, qui semble jouer le rôle essentiel dans le modelé de ces grandes dunes, paraît être Nord-Ouest.

Le 29 janvier. — Nous suivons le Gassi Touil. La végétation sur les dunes se réduit toujours à quelques rares Arichas et un peu de Had et de Drinn.

Nous trouvons pour la première fois du Ressel sur le reg.

Le 30 janvier. — Nous suivons toujours la rive Ouest du Gassi Touil. L’erg est maintenant absolument nu ; rien que le sable éclatant d’un côté et le reg noir de l’autre. Pas la moindre végétation ; c’est d’une désolation inouïe.

Nous trouvons pourtant le soir un coin avec un peu de Had et de Drinn. Campons.

Le 31 janvier. — Le gassi se rétrécit progressivement.

Trouvons sur le reg beaucoup de Nessi en taches dorées et cendrées, suite d’une pluie sans doute, et du Falezlez.

Arrivons à Hassi Pujat, après avoir rencontré des amas de troncs silicifiés, dont certains énormes.

Hassi Pujat est actuellement un puits mort, malgré sa profondeur (75 m.).

Nous pénétrons dans la Hamada de Tinghert par une vallée qui serait celle de l’oued Igharghar. Des falaises calcaires s’élèvent progressivement de chaque côté de la vallée, surmontées encore de dunes.

Le 1er février. — Nous descendons dans la cuvette de Tanezrouft, encaissée dans les plateaux.

L’oued a coulé.

La végétation à Tanezrouft est étonnante : Zemma, Damran, Nessi, R’tem en fleurs, Coloquinthes, bouquets de beaux Tamarix, Guetof, Krom, etc.

Et une « daia » à laquelle les chameaux se désaltèrent (ils n’avaient pas bu depuis Hassi-el-Khollal).

Le 2 février. — Les chameaux pâturent.

Le 3 février. — Nous remontons un oued affluent de l’oued Tanezrouft. De nombreuses flaques d’eau constituant des « redirs » ont été laissées par la récente venue de l’oued.

Je fais la connaissance du Teleh, dont quelques beaux spécimens ornent cette petite vallée. R’tem, Resedas.

Le 4 février. — Nous descendons deux krebs successifs.

Le plateau le plus bas est très fossilifère et couvert d’Acheb (à base de Goulglane).

Et nous arrivons dans la dépression des argiles cénomaniennes. Quelques palmiers, et c’est Fort Flatters.


Planche v.

Pays crétacico-tertiaires. Modelé désertique dans les Argiles cénomaniennes du Djoua.

[23]Ces « impressions de route » tirées de mon journal de route sont extraites du texte d’une conférence que j’ai prononcée le 24 avril 1923 à Grenoble devant le Club Alpin (Section de l’Isère) de même qu’un article « Seul au Hoggar » que j’ai livré à la Vie Tunisienne Illustrée en mai 1923 et qui y a paru en décembre de la même année.

[24]Les tempêtes de sables sont particulièrement fréquentes lors des équinoxes.

[25]Tirées de mon journal de route.

[26]Certaines palmeraies de l’Oued Rhir sont organisées vraiment industriellement ; et elles tirent par des dispositifs de khandek et de seguia particulièrement étudiés, par des formules d’écartement entre palmiers particulièrement au point, le maximum de parti de l’eau qui leur est fournie par leurs puits artésiens.

Souvent des cultures interstitielles, des oliviers en quinconce augmentent encore le rendement de l’eau.

Un service agricole des territoires du Sud, très actif, dirigé par M. Lemmet, étudie avec de beaux résultats, par une station d’essais, les moyens d’améliorer la qualité des dattes autant que le rendement des palmiers.


SECONDE PARTIE


DU MASSIF CENTRAL SAHARIEN
OU DU PAYS TARGUI
(AHAGGAR ET AJJER)


I
ÉTUDES GÉOLOGIQUES


En opposition avec le Sahara arabe, bas pays, surtout de systèmes immenses de dunes (Ergs) et de plateaux tabulaires calcaires généralement peu saillants (Hamadas), le pays targui est un haut pays avec de vraies montagnes (Adrars) de schistes cristallins, de granits et de roches volcaniques, dont certaines atteignent environ 3.000 mètres, et des plateaux plus ou moins tabulaires gréseux très saillants (Tassilis).

On peut distinguer dans ce très vaste « Massif central saharien » deux ensembles montagneux : ce que nous appelons l’« Enceinte tassilienne », à la périphérie, le « Pays cristallin> », au centre ; et un ensemble à reliefs de moindre importance reconnu au Nord-Ouest, Nord et Nord-Est de l’Enceinte tassilienne, entre l’Enceinte tassilienne et le pays crétacé, que nous appelons les « Pays pré-tassiliens ».

Des Pays pré-tassiliens.

Entre les pays crétacés de la Hamada de Tinghert et l’Enceinte tassilienne, telle que nous la définirons plus loin, se trouvent donc des reliefs de moindre importance que ceux de l’Enceinte tassilienne, souvent ensablés, ou ennoyés, d’un caractère particulier ; ce sont ce que nous appelons « les Pays pré-tassiliens ».

Ils sont constitués par des formations primaires, postérieures à celles de l’Enceinte tassilienne : formations mésodévoniennes (?), supra-dévoniennes et enfin, existant d’une manière sporadique, carbonifères.

Il est possible que ces formations soient plus ou moins en transgression et en discordance sur les formations de l’Enceinte tassilienne, et que les Pays pré-tassiliens se séparent de l’Enceinte tassilienne, non seulement par leurs formes différentes, et l’âge différent de leurs formations, mais encore par une discordance ou une lacune stratigraphique à la base du Dévonien moyen (?) ou supérieur.

Dans cette zone, nous plaçons en particulier les pays d’Amzack au Nord-Est et d’Isaouan au Nord des Tassilis de l’Ajjer, d’Iris et d’Abadra dans le Nord de l’Emmidir, d’El-Ouatia et de l’erg Ennefous (ou Tessegafi), dans le Nord de l’Ahnet, etc., etc.

Les plissements que ces pays peuvent avoir subi sont principalement hercyniens ; puis des mouvements alpins légers se manifestèrent probablement aussi.

Jusqu’à maintenant on n’a pas constaté l’existence des formations de cette zone, sur tout le pourtour du Massif Central Saharien.

On l’a constaté surtout au Nord-Ouest, Nord et Nord-Est.

Dans ces régions, les Pays pré-tassiliens sont relativement bien connus.

Des gisements et fossiles ont été étudiés. Nous ne nous y attarderons donc pas et nous nous contenterons d’indiquer la présence de formations méso (?), supra-dévoniennes et carbonifériennes et de séparer les pays de ces formations sous le nom de « Pays pré-tassiliens » de l’Enceinte tassilienne, à formations plus anciennes, principalement siluriennes.

Planche VI.

Enceinte tassilienne. Le bord Sud des Tassilis externes, sur le Tahihaout. Passage des Grès supérieurs aux Schistes à Graptolithes.

De l’Enceinte tassilienne

(de Tasilé, terme de Tamahak désignant les plateaux gréseux de type particulier qui sont les éléments caractéristiques de cette enceinte).

Nous appelons ainsi une ceinture de plateaux gréseux, plus ou moins tabulaires, qui entourent le Pays cristallin : les Tassilis de l’Ajjer, l’Emmidir, l’Ahnet, les Tassilis de l’Adrar, les Tassilis de Tin Rerhoh et les Tassilis de l’Ahaggar, pour ne citer que les plus importants.

*
* *

En poursuivant de Temassinin, où nous sommes parvenus, la marche vers le Sud-Ouest, après avoir traversé les sables du Nord-Ouest de l’Erg d’Isaouan, l’anticlinal de grès dur appelé Adrar-n-Taserest (ou Djebel Tanelak), d’âge indéterminé en raison de l’absence de fossiles (qui est peut-être dévonien ?), et le Tineri-n-Taserest (région de l’oued In-Dekak), on arrive à l’Enceinte tassilienne en une de ces parties que nous prenons comme type, en raison de la clarté, rare dans ces régions, avec laquelle se présente sa structure.

C’est la région la plus occidentale des Tassilis de l’Ajjer (ou Azgueurs), la région des monts Relloulen, Terourirt et Ahellakan, des oueds Tassirt, In Dekak, Iskaouen et du Mâder Tahihaout, région que l’on peut désigner et que nous désignerons sous le nom de Tassirt-Iskaouen.

Cette région des Tassilis ne nous paraît pas devoir être considérée comme un ensemble dévonien, ainsi qu’il était admis jusqu’à ce jour.

En réalité, elle se décompose en deux zones de plateaux bien distinctes :

A) Les Tassilis externes dont les escarpements Sud dominent la région déprimée où passe l’Atafaït-Afa, la piste d’In-Salah à Rhat, région déprimée du Tahihaout, de l’oued Tigamaïn-n-Tisita, de l’oued Arami, de Tounourt.

Ces plateaux sont dévono-siluriens :

a) A leur partie externe, les grès les plus supérieurs sont des grès du Dévonien inférieur. On y trouve en effet des gisements fossilifères dévoniens inférieurs (gisement de la partie basse de l’oued Tassirt).

Dans ces grès, peut-être quelques bancs de conglomérats.

Au sujet de la concordance de ces grès dévoniens avec les « Grès supérieurs » suivants, nous faisons toutes les réserves ;

b) Constituant la partie élevée des plateaux en dessous des grès précédents, qui ne constituent que des affleurements sur le bord Nord et externe, se trouvent des grès dans lesquels nous n’avons pas trouvé de fossiles et que nous appelons Grès supérieurs des Tassilis, pour ne pas préjuger de leur âge exact (pour respecter les anciennes attributions, comme nous ne pouvons pas prouver le contraire, on peut les considérer comme appartenant au Dévonien inférieur, mais il se peut qu’ils se révèlent ultérieurement, ou entièrement ou partiellement siluriens supérieurs-gothlandiens) ;

c) En dessous, affleurent les Schistes argileux siluriens à Graptolithes (gisements de Tamellelt ou Tanout-Mellet), d’une façon continue à la base des escarpements Sud de ces Tassilis externes, et nous avons pu observer leur concordance parfaite de sédimentation avec les Grès supérieurs, le passage progressif, par des grès argileux micacés, des Schistes argileux à ces Grès supérieurs[27].

Dans ces schistes argileux, on rencontre des bancs de minerai de fer, ayant une teneur en fer très élevée, allant jusqu’à 70 p. c. par endroits. Malheureusement, l’absence de charbon jusqu’à maintenant au Sahara, ainsi que l’absence de main-d’œuvre, font que cela ne peut guère avoir d’intérêt minier.

Les Tassilis

Coupe schématique Tassirt-Iskaouen
selon A B (1)

(Agrandissement)

(1) voir la carte de l’Enceinte Tassilienne

B) Les Tassilis internes, au Sud des précédents, qui se terminent au Sud par les très hautes falaises et les grands escarpements des monts Ahellakan et Ens-Iguelmamen, dominant le Pays cristallin de l’Edjéré[28] et de l’Amadror.

Ces plateaux sont en grès quartziteux non fossilifères ; nous avons pu observer la relation de ces grès avec les Schistes à Graptolithes ; ils leur sont inférieurs ; ce sont donc des grès siluriens ou cambriens. Dans l’absence de fossiles, on ne peut affirmer qu’ils ne sont pas cambriens (tout ou partie). Nous les appelons Grès inférieurs des Tassilis.

La transition avec les Schistes à Graptolithes se fait par un ensemble puissant de grès à « rippel-marcks » de « Grès à colonnettes » (c’est ainsi que le commandant Besset a appelé, suivant une expression très imagée, un facies très spécial de ces grès de transition) et de schistes argileux multicolores, qui affleurent dans la région déprimée de l’Atafaït-Afa, du Tahihaout.

Ces grès massifs, d’une remarquable puissance, reposent très nettement en discordance angulaire sur les Schistes cristallins à filons de pegmatite, donc anté-siluriens, peut-être antécambriens de l’Edjéré et du Massif Central Saharien, par de beaux conglomérats de base à galets de quartz dont l’affleurement est souvent caché sous les éboulis.

Nous appelons cette discordance : la Discordance tassilienne.

Ultérieurement, il paraîtra une étude sur les formations fossilifères dévoniennes et siluriennes rencontrées par nous dans cette région, avec des précisions sur leur âge.

Mais d’ores et déjà, nous pouvons indiquer que, pour la première fois au Sahara, nous avons découvert des organismes siluriens autres que des Graptolithes constituant les éléments d’un principe de faune.

Ce sont des Orthocères, une glabelle de Trilobite, des Lamellibranches et quelques autres organismes. Le tout est associé aux Graptolithes dans le gisement fossilifère des Schistes argileux de Tanout-Mellet.

On peut espérer, en cet endroit, trouver toute une faune variée du Silurien ; j’espère qu’une nouvelle mission me permettra d’exploiter cette découverte.

Ainsi, les sédiments siluriens jouent un rôle très important dans la constitution de cette partie des Tassilis.

L’appellation de Tassilis dévoniens, employée jusqu’à ce jour, est donc absolument incompatible avec la réalité et il convient de lui substituer celle de « Tassilis dévono-siluriens », qui, elle-même, n’est peut-être pas encore exacte puisque le Cambrien peut être également représenté, mais qui suffit tant que la présence du Cambrien n’est pas démontrée par la découverte de fossiles indiscutablement cambriens.

Ces observations relatives à la région Tassirt-Iskaouen jettent un jour nouveau sur la constitution de l’Enceinte tassilienne.

Dans la région des Irraren-n-Ahaggar (ou Iraouen), un raid rapide nous a permis de constater qu’après la traversée de l’erg d’Amguid[29], la piste qui va d’Amguid à Hassi Messeguem suit une dépression, qui est la continuation de la dépression de l’Atafaït-Afa, c’est-à-dire dominée au Nord par des escarpements dont la base est constituée par des Schistes à Graptolithes, et le haut par des Grès supérieurs des Tassilis, et qui est limitée au Sud par l’élévation progressive des Grès inférieurs des Tassilis, qui forment des plateaux dans lesquels se trouve un aguelmam temporaire que l’on m’a dit s’appeler Tarara (appellation dont je ne suis pas certain, n’ayant pu la recouper par plusieurs témoignages de Touareg).

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