Bases pour servir aux entreprises de colonisation dans les territoires nationaux de la Republique Argentine
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Title: Bases pour servir aux entreprises de colonisation dans les territoires nationaux de la Republique Argentine
Author: Auguste Brougnes
Release date: August 25, 2007 [eBook #22393]
Language: French
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BASES
Pour servir aux Entreprises de Colonisation
DANS LES
TERRITOIRES NATIONAUX
DE LA
RÉPUBLIQUE ARGENTINEPAR LE
Docteur AUGUSTE BROUGNES
Propriétaire-Agriculteur à Caixon, près Vic-Bigorre
[Hautes-Pyrénées].La colonisation à l'extérieur est, dans les conditions économiques actuelles, le remède le plus efficace du paupérisme agricole.
COHEN.
Semaine du 22 novembre 1850.
La rédemption de la race blanche se trouverait dans l'acquisition morale de tout un monde riche et vierge, d'un monde qui donnerait terre, travail, fortune.
ANDRES LAMAS.
Notice sur l'Uruguay.
TARBES
Imprimerie de E. VIMARD, place Maubourguet, 7.1882
À SON EXCELLENCE
M. LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE ARGENTINE
Brigadier général, Jules ROCAHommage de ma respectueuse estime.
Dr BROUGNES.
BASES
Pour servir aux Entreprises de Colonisation
DANS LES
TERRITOIRES NATIONAUX
DE LA
RÉPUBLIQUE ARGENTINEPAR LE
Docteur AUGUSTE BROUGNES
Propriétaire-Agriculteur à Caixon, près Vic-Bigorre
[Hautes-Pyrénées].
TARBES
Imprimerie de E. VIMARD, place Maubourguet, 7.1882
Tarbes, imprimerie de E. Vimard, place Maubourguet, 7.
INTRODUCTION
La colonisation à l'extérieur est, dans les conditions économiques actuelles, le remède le plus efficace du paupérisme agricole.
COHEN.
(Semaine du 21 novembre 1850).
Nous livrons aujourd'hui au public la traduction d'une brochure, publiée en espagnol, au mois d'août 1881, à Buenos-Ayres, capitale de la République Argentine. Nous l'offrons à nos compatriotes, sans ambition pour son mérite littéraire, que nous n'avons pas cherché, mais seulement pour son utilité économique et pratique, considérée au point de vue des intérêts matériels de l'intéressante population agricole européenne pauvre, dont nous voudrions voir améliorer le sort.
Frappé d'admiration dans notre dernier voyage de l'Amérique du Sud, de l'immense mouvement commercial et industriel qu'offrait cette contrée que nous visitions pour la troisième fois depuis trente ans; enchanté du tableau vivant de la richesse de sa campagne, peuplée d'innombrables troupeaux de brebis, de vaches, de chevaux, au milieu desquels se promenaient des groupes de cerfs; étonné surtout de voir chaque semaine descendre sur la plage des milliers d'émigrants, en grande partie colons italiens, suisses, savoyards, et quelques Français, dont la majeure partie étaient dirigés, aux frais du gouvernement, aux nombreuses colonies de la province de Santa-Fé, autrefois la plus pauvre et aujourd'hui une des plus riches de la République; heureux de voir dans ce pays que l'idée de la colonisation, dont j'avais été le promoteur et le premier entrepreneur en 1854, avait pris un développement inespéré1, à l'aspect, dis-je, de ce mouvement agricole, commercial et industriel, je me mis de nouveau à étudier la question de la colonisation argentine, organisée en vue de compléter l'œuvre par une combinaison propre à produire de meilleurs, de plus grands résultats.
Partant du principe économique que le travail, le travail agricole surtout, est d'autant plus productif que l'outillage (capital mobilier et de rente) est plus complet; trouvant d'autre part, dans la loi sur la colonisation, promulguée par le gouvernement argentin le 6 octobre 1876, des dispositions largement libérales, dans les concessions des terres et autres priviléges que le gouvernement accorde, je m'occupai de coordonner dans les proportions voulues l'action de ces trois éléments: terre, travail, capital, de manière à leur faire produire, par leur concours simultané, les plus grands résultats possibles.
Le but que je me proposais, en me livrant à ce travail, consistait à ouvrir au cultivateur européen pauvre une voie de salut large, facile à parcourir, sans sacrifice d'argent de sa part, entreprise qui lui permette de se créer une honnête aisance pour ses vieux jours, une fortune pour ses enfants. Les moyens que je propose en vue de ce résultat, et que j'exposerai dans le cours de ce travail, sont clairs et bien définis. Je n'en connais pas de plus efficaces pour remédier aux souffrances du cultivateur pauvre, ce Sisyphe de notre époque, condamné à la peine, aux privations, sans espoir d'en voir la fin.
Les souffrances de l'agriculture, tout le monde les connaît, le cultivateur plus que tout autre. Une enquête sérieuse sur sa situation dévoilerait des misères profondes, inconnues. On serait étonné comment, avec sa propriété réduite, le peu de rendement que donne le sol, les risques que font courir les perturbations atmosphériques, telles que sécheresse, gelées, grêle, maladie des plantes, la mortalité des animaux, sans compter toutes les charges que le fisc fait peser sur l'agriculture3, celles que lui impose l'entretien d'une famille et d'une maison d'exploitation; on serait étonné, dis-je, comment ce cultivateur, qui donne à la terre tout le travail d'une année, peut se maintenir sans se ruiner et conserver son faible patrimoine jusqu'au jour où ses enfants viendront se le partager et le réduire en lambeaux.
Sans doute, telle n'est pas la situation de tous les petits cultivateurs; je ne veux pas exagérer le tableau. Il y en a certes dans le nombre qui, à force de travail et d'économie, en s'aidant des bénéfices de quelque autre industrie, ou favorisés par quelque héritage, se procurent une certaine aisance; mais ceux-ci sont peu nombreux. Apparent rari nantes in gurgite vasto; et leur situation exceptionnelle ne détruit pas mon assertion.
Sans doute, aussi, nos économistes, nos hommes d'État, émus de cette situation, ont cherché et cherchent encore les moyens d'y remédier.
Jusqu'à ce jour, leur bonne volonté, tous leurs efforts, sont restés impuissants pour améliorer cette situation, et le pauvre cultivateur attend encore la nymphe Egérie qui doit souffler, aux oreilles de nos législateurs et de nos ministres, les mesures de salut propres à l'arracher au gouffre béant de la misère. Bien des propositions ont été faites, de nombreux projets ont été présentés et étudiés. On a bien vite reconnu que ces propositions, ces projets, n'étaient que des palliatifs, des mesures impuissantes pour remédier au mal. Ce n'était qu'appliquer un sédatif sur une plaie douloureuse, sans pouvoir la cicatriser. Pense-t-on, en effet, qu'avec la faible gratification de quelques francs, résultant de la diminution ou de l'exemption de l'impôt foncier, de celui des portes et fenêtres, ou de la prestation, guérir le mal qui dévore la petite culture? On ne peut le croire; et les soixante millions provenant de la conversion de la rente, distribués chaque année à nos trois millions de petits cultivateurs, c'est-à-dire vingt francs pour chacun d'eux, changeront-ils sa situation? Et croit-on que l'institution des banques agricoles, en facilitant les emprunts au petit cultivateur, c'est-à-dire le moyen de dépenser davantage, au lieu de diminuer le mal, ne l'aggraverait pas? Peut-on, avec de telles mesures, couvrir la dette hypothécaire de huit milliards de francs qui pèse sur la propriété, prélevant chaque année sur la production agricole de trois à quatre cent millions de francs?
Non, tous ces moyens proposés, toutes ces mesures indiquées ne suffisent pas et sont impuissantes à résoudre le grand problème de l'extinction du paupérisme agricole.
Pour mon compte, je ne connais qu'un moyen réellement efficace, pratique, radical, c'est celui indiqué par Cohen dans le journal la Semaine du 22 novembre 1850 (cité plus haut). C'est aussi celui que la nature nous conseille. Lorsqu'une plante, un arbre, dépérissent sur un sol maigre et stérile, transplantés sur un terrain gras et fertile, ils revivent, reprennent leur vigueur et se couvrent de fruits.
Notre œuvre de colonisation ne s'adresse pas précisément aux propriétaires qui jouissent de plus ou moins d'aisance. Que ceux-ci continuent à vivre dans le village où les retiennent des habitudes sociales, des relations d'amitié ou de familles, pénibles à rompre. Notre œuvre a pour unique objet d'ouvrir une voie de salut à tous ces malheureux petits cultivateurs, qui usent inutilement leur vie et leur courage par un travail stérile, improductif, accablés sous le fardeau de lourdes charges qui paralysent l'action du travail et à qui, s'ils venaient à liquider leur situation, il ne resterait rien ou resterait un capital insignifiant. C'est pour ces Danaïdes de notre époque, condamnées à remplir d'eau un tonneau dont la bonde est ouverte; c'est, en un mot, au cultivateur pauvre qu'est destinée notre œuvre. Dans notre conviction, nous croyons faire une bonne œuvre.
L'histoire économique moderne nous offre une preuve éclatante des résultats que procure la mesure que nous conseillons. En moins de quatre-vingts ans, trois millions de colons irlandais et allemands ont fait des terres désertes et incultes des États-Unis de l'Amérique du Nord le champ le plus vaste d'exploitation agricole; en s'enrichissant, ces colons ont fait de cette contrée une des plus puissantes et des plus riches nations du monde. Pendant que l'Amérique espagnole fermait ses portes aux étrangers, les États-Unis de l'Amérique du Nord promulguaient leur homestead Lau (Loi du domicile) et concédaient à très bas prix, même gratuitement, des terres aux colons. Aujourd'hui, les Argentins de l'Amérique du sud, convertis aux idées de colonisation, viennent aussi de promulguer une loi de colonisation plus complète et bien plus libérale que celle de l'Amérique du Nord, sans pour cela être parfaite.
Le plan de colonisation que nous publions aujourd'hui a pour objet de compléter cette loi, en simplifiant les procédés d'exécution et en donnant un développement plus grand, plus élevé, aux opérations de cette classe, tout en restant dans le cercle des dispositions des articles 98, 99 et 104 de la partie de cette loi qui s'applique aux entreprises particulières de colonisation. La loi homestead Lau, de l'Amérique du Nord, se bornait à céder où à vendre à bas prix des terres aux colons. Dans notre système de colonisation, en 1853, nous ajoutions, à la concession d'un vaste terrain, des avances remboursables, consistant en une habitation, la subsistance durant la première année, les outils agricoles indispensables au colon. La loi argentine du 6 octobre 1876 a adopté ce système; aujourd'hui, nous venons le compléter, en le régularisant, en l'élevant à un plus haut degré de puissance productive, par un bon choix de familles agricoles et par l'emploi d'un capital suffisant pour permettre au colon de faire de la colonisation une industrie des plus productives pour lui, pour les entrepreneurs, pour le gouvernement lui-même, ce qui est le perfectionnement de l'œuvre économique de la colonisation, comme le prouveront les résultats immenses que notre système produira.
BASES
POUR SERVIR AUX ENTREPRISES DE COLONISATION
DANS LES
TERRITOIRES NATIONAUX & PROVINCIAUX
DE LA
RÉPUBLIQUE ARGENTINEUne des premières conditions de toute colonisation, c'est que le pays que l'on veut coloniser offre des garanties d'ordre et de paix, une situation hygiénique et climatérique, sans danger pour la vie des colons, où enfin règnent et se développent à l'aise le progrès et la prospérité. Or, toutes ces conditions se trouvent aujourd'hui réunies dans la République Argentine.
Située entre les 22me et 53me degrés de latitude de l'hémisphère sud, limitée à l'ouest par la chaîne des cordillères, sur une longueur de six cents lieues et arrosée au sud-est et à l'est par les eaux de l'Océan atlantique, sur une étendue de près de quatre cents lieues, jouissant du bénéfice de tous les climats, tropical au nord, tempéré au centre, glacial au sud, la République Argentine offre au travail du cultivateur européen le plus vaste, le plus fructueux champ d'exploitation qui existe sur le globe.
Un territoire de cent mille lieues carrées4 quatre fois plus étendu que celui de la France, dont quarante mille appartiennent à l'État, formant huit territoires; une population réduite de 1,852,029 habitants, une terre vierge des plus fertiles,—5,116,029 têtes de bétail,—1,534,478 chevaux et juments,—45,511,351 brebis ou moutons, évalués à 364,090,860 francs. (Recensement de 1875).... Voilà, en gros, le pays que le gouvernement argentin veut coloniser, en le livrant à l'activité du travailleur agricole européen, et pour quel objet il a promulgué une loi dont nous ferons connaître plus loin les principales dispositions.
Le moment est on ne peut plus favorable pour cette entreprise.
Les questions d'ordre politique intérieur ont été résolues par la constitution fédérale de 1853, qui maintient unies les quatorze provinces argentines, sous la protection d'un gouvernement national fort et respecté, disposant de la force publique et de toutes les ressources nationales. La question de la capitale de la République, qui a tenu durant vingt ans les Argentins dans un état d'agitation passionnée, a été résolue, il y a deux ans, par la cession au gouvernement national de la riche cité de Buenos-Ayres, avec ses trois cent mille habitants, ses établissements publics, ses immenses ressources et son port de commerce visité chaque année par les navires de toutes les nations du globe. Les Indiens, qui occupaient l'immense et fertile plaine des Pampes et qui, durant des siècles, furent la terreur des éleveurs de bétail des provinces de Buenos-Ayres, Santa-Fé, Cordova, Saint-Louis et Mendosa, ont disparu et sont tenus à distance par la ligne militaire de la frontière, à la suite d'une expédition armée, habilement dirigée par le général Roca, Président actuel de la République. Huit mille Indiens avec leurs caciques faits prisonniers, un grand territoire conquis, la confiance rétablie parmi les éleveurs de bétail des provinces voisines... tels ont été les résultats de cette heureuse et importante expédition sur les Indiens, dont la race tend à disparaître sous l'action de la misère et de la maladie. Enfin, la question des frontières avec le Chili, qui, depuis soixante ans, préoccupaient les esprits de l'un et de l'autre côté des Andes, s'est terminée par un traité de limites signé en juillet 1881.
Ces trois importantes questions—choix de Buenos-Ayres pour capitale de la République,—conquête de plusieurs territoires sur les Indiens,—traité de limites avec le Chili, se trouvant heureusement résolues, la paix et l'ordre étant assurés, une ère de prospérité d'une portée incalculable s'ouvre aujourd'hui pour la République Argentine. Cette ère s'est déjà manifestée pour tous ceux qui jugent sans passion la marche des affaires dans ce pays. Le tableau de sa situation économique, commerciale et financière, formulé en chiffres statistiques dans le Message du Président de la République, à l'ouverture du congrès le 7 mai dernier (1882), est la preuve éclatante de ce fait.
D'après ce Message, le commerce international pendant l'année 1881 s'est élevé au chiffre de 582,155,035 francs, avec 14 pour cent d'augmentation sur celle de 1880. Il promet de s'élever à 711,800,000 francs pour l'année courante de 1882, le mouvement commercial pour le premier trimestre ayant été de 174,900,000 francs, ce qui est considérable pour un pays de moins de deux millions d'habitants. Dans ce chiffre, l'importation figure pour 270,870,020 francs, et l'exportation pour 280,930,970. Durant la même année de 1881, 11,691 navires sont entrés dans les ports de la République argentine. La dette nationale, dont partie a été employée à la construction de chemins de fer, s'élevait, au 31 décembre 1881, à 397,005,705 francs; on a amorti, durant la même année, 16,057,245 francs. La circulation des lettres à la poste a été, pour la même année, de 12,285,000 fr., cinq millions de plus que l'année précédente; 11,489 kilomètres de fil de fer fonctionnent par le télégraphe électrique, 2,590 kilomètres de chemins de fer sont livrés à la circulation; 2,777 sont en construction. L'État pourvoit aux frais de 12 colléges et de 1,341 écoles primaires. L'armée permanente d'environ quinze mille hommes, formant quatre divisions, occupe les principales villes de l'intérieur et la ligne des frontières. L'escadre, composée d'un cuirassé de premier ordre, de neuf vapeurs de guerre et de cinq navires à voile, est occupée à l'exploration des côtes et des fleuves.
Quand un pays offre une pareille situation, les cultivateurs européens et les entrepreneurs de colonisation peuvent hardiment répondre à son appel et avoir confiance dans son avenir.
À l'époque où nous conçûmes notre projet de colonisation organisée (1852) dans la République Argentine en vue de l'extinction du paupérisme agricole européen, personne dans l'Amérique du Sud n'avait songé à cette idée et moins encore à la mettre à exécution. Seule l'émigration des Basques vers Montevideo, provoquée par les frères Brië de Saint-Jean-Pied-de-Port, avait pris un certain développement, en dehors de toute idée de colonisation. Celui, en effet, qui eût osé proposer à cette époque au dictateur Rosas l'établissement de colonies avec des éléments étrangers, aurait été bien mal reçu. Les partisans de ce tyran, imbus des idées et des haines de leurs pères contre les étrangers, ont été longtemps opposés à l'établissement de colonies dans ce pays, et quelques-uns d'entre eux le sont encore aujourd'hui.
Au contraire, les hommes du parti libéral de cette époque qui s'allièrent au général Urquiza dans sa lutte contre Rosas, plus intelligents et plus instruits, acquis depuis longtemps aux idées de la civilisation et de la science économique modernes, Alsina père, Alberdi, Mitre, Gorostiaga, Sarmiento, Luis-Jose de la Péna, Édouard Olivera, Avettaneda, Roca, Président actuel de la République..... arrivèrent au pouvoir avec des opinions tout opposées à celles des Rosistes. Ils avaient compris que l'immigration des cultivateurs européens portait en elle le germe d'un accroissement d'ordre, de puissance et de richesse pour leur pays.
La prospérité prodigieuse des États-Unis de l'Amérique du Nord due en grande partie à l'émigration agricole européenne les avait conquis à l'idée de colonisation. C'est donc de 1853 que date l'ère de la colonisation dans la République Argentine;5 et le premier contrat de colonisation passé dans ce pays fut le mien.
Les deux premières colonies fondées furent celle de Sainte-Anne dans la province de Corrientes et celle de Esperanza dans la province de Santa-Fé. Le contrat avec la première de ces provinces fut résilié pour des raisons expliquées plus haut. La colonisation continua dans celle de Santa-Fé. Durant les vingt années qui ont suivi, cinquante colonies ont été fondées dans cette province: elles comprennent aujourd'hui un personnel de 28,910 individus de tout âge, une extension territoriale de 529,434 hectares 88 ares, desquelles 155,778 furent semées en 1879. Les chiffres statistiques suivants du rapport de l'administrateur des colonies de Santa-Fé, Jonas Larguia, peuvent donner une idée du mouvement productif de ces colonies pour l'année 1879.
Colonies de Santa Fé en 1879.
Population 28,910 de tout âge et sexe. Extension territoriale 318,170 cuadros 529,434 hectares. Terrain cultivé en 1879 94,617 155,778 Production de l'année 1879.
TERRES ENSEMENCÉES,
Froment, 70,186 cuadros 116,789 hectares. Maïs, 11,729 cuadros 19,517 — Avoine, 1,110 cuadros 1,847 — Arachides, 2,133 cuadros 3,549 — Autres produits, 9,295 15,466 — RÉCOLTE
Froment 586,937 fanègues de 15 arrobes (10 kil.) 1,269,318 hectolitres, Maïs 81,024 fanègues de 12 arrobes 139,766 — Avoine 12,568 fanègues — 21,679 — Arachides 168,095 arrobes 19,330 — Autres produits 947,282 arrobes 109,937 — La valeur de ces produits en argent était de:
Blé, 586,937 fanègues de 13 décalitres, à 25 f. la fanègue, 14,673,425 fr. Maïs, 81,024 fanègues — à 10 f. la fanègue, 810,024 fr. Avoine, 12,588 fanègues — à 15 f. la fanègue, 188,820 fr. Arachides, 168,095 arrobes de 11 k. à 2 fr. 50 arrobe, 420,237 fr. 6 Autres produits 947,283 arrobe à 1 fr. 25 arrobe, 1,184,106 fr. Valeur de la récolte en 1879, 17,066,829 fr. Mouvement du port de Santa-Fé sur le Parano en 1879.
Durant la même année de 1879, 1,169 navires à voile et 444 à vapeur entrèrent dans le port de Santa-Fé; il en sortit 1.067 chargés, sur lesquels 69 à vapeur.
La valeur de l'importation s'éleva à 976,734 piastres fortes (5 fr.) 4,883,670 fr. Celle de l'exportation, à 1,139,372 piastres fortes 5,696,860 fr. Différence en faveur de l'exportation, 190, 385 fr. 951,925 fr. Parmi les matières exportées, on compte 3,506,004 kil. de farine et 169,946 kil. de blé, soit 43,822 balles de farine de 80 kil. et 2,124 hectolitres de blé.
Le succès de la colonisation dans la province de Santa-Fé engagea le gouvernement national à entreprendre la création de colonies agricoles dans les territoires nationaux. À cet effet, il présenta au congrès un projet de loi sur l'immigration et la colonisation qui fut votée par les Chambres le 6 octobre 1876. La première partie de cette loi, celle de l'immigration, comprend dix titres: dans le premier, il est créé un bureau d'immigration sous la direction d'un commissaire général; le deuxième institue les agences d'immigration à l'étranger; le troisième traite des commissions d'immigration dans les provinces; le quatrième établit les bureaux de placement pour les immigrants; le cinquième traite des priviléges accordés aux immigrants; le sixième, des navires de transport; le septième, du débarquement des immigrants, de leur subsistance et logement en attendant leur placement, par les soins et aux frais du bureau d'immigration. Enfin, par le dixième, il est créé des ressources pour le fonctionnement de l'institution.
La seconde partie de la loi comprend tout ce qui se rattache à la colonisation. Par le chapitre 1er, il est créé un bureau de terres et des colonies nationales, chargé de l'examen et de l'enregistrement des propositions de colonisation qui sont adressées au gouvernement, et des rapports sur la matière; de veiller aux opérations de comptabilité et de statistique; d'ordonner les explorations, l'arpentage et le bornage de terres, de s'occuper enfin de tout ce qui se rattache à la colonisation des territoires nationaux. Les six titres suivants traitent: 1o de la division des territoires nationaux, de la colonisation, des concessions de terres, de leur vente; 2o des entreprises de colonisation par des particuliers ou par des compagnies; 3o de l'emploi des fonds provenant de la vente de terres et de la gratification à faire aux colons; 4o de l'administration des colonies; 5o de la colonisation des terres appartenant au gouvernement des provinces.
Je me bornerai ici à citer quelques-uns des articles se rattachant principalement au sujet que je traite:
Art. 65.—Les territoires nationaux se diviseront en sections carrées de vingt kilomètres de côté.
Art. 67.—Chaque section se divisera en quatre cents lots de cent hectares chaque.
Art 68.—Quatre lots seront destinés à la création d'un village qui devra être placé au centre de la section.
Art. 72.—Chaque section sera divisée dans toute sa longueur et largeur par deux routes de cinquante mètres de large, lesquelles devront se croiser au centre du village.
Art. 73.—Les chemins vicinaux qui sépareront les lots devront avoir cinq mètres de largeur.
Art. 82.—Le pouvoir exécutif désignera les territoires à coloniser, après quoi le bureau de colonisation fera procéder à l'arpentage, division et bornage des sections, et à la construction, dans chacune d'elles, d'un édifice pour les employés de la colonie, et pouvant loger cinquante familles, au moins, et contenir les vivres nécessaires à la subsistance des colons, ainsi que leurs instruments agricoles.
Art. 88.—Les colons auront droit aux avantages suivants:
1o À l'avance du passage du point d'embarquement jusqu'à leur destination coloniale;
2o À la livraison, à titre d'avances, d'une habitation, des vivres, durant la première année, d'animaux de travail et de production, des semences, des outils aratoires. La somme de ces avances ne devra pas dépasser mille piastres fortes (5,000 francs), et sera remboursée par annuités à partir de la troisième année.
Art. 99.—Relatif aux entreprises.—Entre section et section subdivisées et livrées à la population, il sera réservé une section (25 lieues carrées) sans être divisée, mais bornée sur ses côtés. Ces sections seront destinées:
1o À la colonisation par entreprise particulière;
2o À la réduction des Indiens;
3o À l'élève du bétail.
Art. 98.—Le pouvoir exécutif pourra concéder à toute compagnie ou entreprise qui en fera la demande, une des sections déterminées dans l'article précédent, sous les conditions suivantes:
1o Se soumettre à l'arpentage, subdivision au plan prescrit par la présente loi;
2o Établir sur la susdite section cent quarante familles agricoles pour le moins durant les deux premières années;
3o Donner ou vendre à chaque famille un terrain de cinquante hectares pour le moins;
4o Construire sur le terrain destiné à cet objet un édifice, dans les conditions déterminées par l'article 83.
5o Fournir aux colons qui en feront la demande une habitation, outils aratoires, animaux de travail et de production, semences et subsistance, durant un an au moins, ne se faisant rembourser pour ces avances que le prix coûtant, avec 1,20 % de prime et un intérêt de 10 % l'an, sur la totalité de la somme des avances7.
6o N'exiger des colons le remboursement du montant de ces avances que par annuités proportionnelles à partir de la troisième année;
7o Déposer au bureau des terres et colonies les contrats passés avec les colons, en vue d'empêcher des contraventions à la présente loi;
8o Se soumettre aux lois, décrets et autres dispositions qui se rattachent au gouvernement, administration, colonisation du territoire;
9o Déposer la somme de deux mille piastres fortes (10,000 fr.), ou fournir caution pour une pareille somme, à titre d'amende dans le cas d'infraction au contrat, sans préjudice de caducité dans le cas échéant.
Art. 99.—Les entreprises ou compagnies auront droit au transport des colons par le gouvernement du point de débarquement au lieu destiné à la colonie.
Art. 104.—Dans les territoires nationaux qui ne seront pas arpentés, ni livrés à la colonisation, le pouvoir exécutif pourra concéder des terrains aux entreprises qui en feront la demande, pour coloniser aux conditions suivantes:
1o Le terrain concédé à une entreprise ne pourra s'étendre au-delà de deux sections (50 lieues carrées) ayant chacune l'extension donnée par l'article 65 (25 lieues par section; ensemble, les deux sections, 50 lieues carrées).
2o L'entreprise se soumettra à l'obligation de coloniser, conformément au plan et aux divisions prescrites par la présente loi;
3o Elle s'obligera à introduire, pour le moins, deux cent cinquante familles agricoles pendant la durée de quatre années, à partir du jour de la signature du contrat;
4o L'arpentage, l'exploration et la division du terrain, ainsi que toutes les autres dépenses, seront à la charge de l'entreprise, à l'exception de ceux résultant du transport des colons, du port de débarquement à la colonie, qui restent à la charge du gouvernement;
5o L'entreprise s'obligera, en outre, à se conformer aux prescriptions des paragraphes 3, 4, 5, 6, 7 et 8 de l'article 98.
Art. 105.—L'entreprise qui n'observerait pas les conditions stipulées dans le contrat de concession, paiera une amende de dix mille piastres fortes (50,000 francs). À cet effet, elle fournira caution acceptable, sans préjudice de la nullité du contrat.
La loi sur la colonisation argentine dont nous venons de citer les principaux articles, est certainement la plus libérale de toutes celles qui ont été publiées sur la matière. Elle fait de larges concessions de terres et facilite l'entreprise du colon au moyen des avances qui lui sont faites. C'est conformément aux dispositions de cette loi que le gouvernement national de la République Argentine a créé neuf colonies sur les territoires nationaux et provinciaux8. La dépense s'est élevée à 311,707 piastres fortes (1,558,535 francs). Ce mois de juin dernier, le ministre de l'intérieur a encore présenté au congrès une demande d'une somme de un million de piastres fortes (5,000,000 de francs) pour établir quatorze nouvelles colonies.
Selon nous, cependant, la loi argentine est un peu trop compliquée dans ses détails; on aurait pu la réduire à moins d'articles et supprimer un certain nombre de paragraphes qui gênent l'action du gouvernement et celle des entrepreneurs pour la rédaction d'un contrat. Cette loi pèche surtout dans le mode de recrutement des colons qu'elle prend un peu trop au hasard à leur débarquement, sans connaître leurs aptitudes et leur moralité9. Ce sera, si l'on veut, de la colonisation spontanée, tant prônée par les journaux argentins, mais la spontanéité comporte bien des inconvénients. Mieux vaudrait choisir le colon chez lui, avant son départ, lui faire connaître exactement, sans exagération, dans toute sa vérité, la situation qu'on lui offre, et traduire dans un contrat formulé d'avance les obligations réciproques de l'entreprise, et du colon, du colon et du gouvernement quand celui-ci se fait entrepreneur. Les obligations étant bien définies, il n'y aurait qu'à les remplir exactement, avec loyauté de part et d'autre. On éviterait ainsi bien des mésintelligences qui se produisent au moment et après l'installation des colons.
De grands esprits, des journaux importants de Buenos-Ayres, ont vivement critiqué cette loi et la combattent surtout au point de vue d'entreprise gouvernementale, qualifiée de colonisation officielle. Ils ont tort et ils ont raison. Ils ont tort de reprocher au gouvernement d'avoir entrepris lui-même l'opération de colonisation. Cette initiative était nécessaire pour démontrer la possibilité de son exécution et surtout pour donner l'impulsion, en appliquant à ce genre d'opérations le capital nécessaire que l'entreprise particulière ne possédait pas. Ils ont raison quand ils conseillent au gouvernement de ne pas descendre au rôle d'entrepreneur, et de laisser aux grandes compagnies, ou sociétés industrielles et financières, l'œuvre de la colonisation argentine, et celle des chemins de fer; et de rester dans sa haute mission de traiter, de faire des concessions ou d'accorder des subventions, suivant les circonstances et la convenance des intérêts du pays. Les gouvernements ne visent pas la spéculation, ils bornent leur action à l'exécution d'une œuvre d'intérêt public; pendant que les grandes sociétés ou compagnies d'entreprise, ayant pour objet la plus grande production possible, c'est-à-dire le gain le plus élevé, appliquent à l'exécution de l'œuvre tous les capitaux nécessaires, les engins les plus puissants, les hommes les plus habiles. Ce sont elles qui ont produit ces œuvres colossales qui font l'admiration du monde, la construction des chemins de fer, des télégraphes électriques, le percement des isthmes . . . . . . . . .
C'est frappé d'admiration pour ce phénomène qui se reproduit tous les jours, que nous venons aujourd'hui proposer le même procédé pour l'exécution de cette autre grande œuvre d'économie sociale, l'extinction du paupérisme agricole européen par la colonisation dans la République Argentine, procédé que nous allons exposer dans le chapitre qui suit.
SYSTÈME DE COLONISATION ORGANISÉE
Agricole et industrielle à production élevée.Dans toute colonisation, trois éléments concourent à l'opération: 1o la terre, ou sol à élaborer;—2o le travail, qui élabore;—3o le capital, c'est-à-dire l'outillage nécessaire au travail pour obtenir la production. Nous traduisons ces trois éléments par la formule suivante: terre + travail + capital = production. Maintenant si nous voulions élever le chiffre de la résultante production, à un plus haut degré de puissance qui est le résultat à chercher, il nous suffira d'élever la puissance des facteurs par cette autre formule (terre + travail + capital)m = productionm—élevée à sa plus haute puissance. C'est-à-dire terre concédée, acquérant une valeur croissante à côté d'une voie ferrée et dont la culture est accompagnée de l'industrie si productive de l'élève du bétail, établie sur une grande échelle. Capital anonyme, agent le plus élastique, le plus puissant de l'industrie;—travailleur de la terre, choisi seulement dans la population agricole, parce que celle-ci comporte plus de vigueur de corps, plus d'esprit d'ordre, plus de moralité, plus d'aptitude pour le travail de la terre et l'élève du bétail.
La formule, telle que nous venons de l'établir, va être le pivot sur lequel roulera notre système de colonisation à production élevée.
PREMIER FACTEUR
Terre à côté de chemins de fer, concédés par le gouvernement, ayant pour agent le gouvernement.La concession de la terre n'est pas une condition onéreuse pour le gouvernement national qui a sous sa main 47,000 lieues carrées appartenant à l'État: ni pour les gouvernements des provinces qui possèdent d'immenses espaces de sol incultivé. Au contraire, les uns et les autres ont un grand intérêt à livrer ce terrain au travail du cultivateur pour lui faire acquérir de la valeur et accroître ainsi la richesse du pays. Toutefois, une condition essentielle s'impose dans toute œuvre de colonisation, et qu'il est de toute nécessité de remplir, si on veut les voir prospérer; c'est que les colonies aient des rapports faciles avec de grandes cités commerciales et des ports de mer, par où doivent s'écouler leurs produits agricoles; en conséquence, elles doivent se fonder non loin des fleuves navigables, comme dans la province de Santa-Fé, ou le long des chemins de fer. Or, les provinces de l'ouest de la République Argentine, ni le territoire national des Pampes qui leur est adjacent, ne possèdent pas de fleuve navigable. Il sera donc indispensable d'y créer des chemins de fer, si l'on veut fonder des colonies dans ces contrées10. En attendant la construction des voies ferrées sur les territoires nationaux, le chemin de fer de l'ouest de Villa-Nueva à Mendosa, qui est aujourd'hui en circulation, pourrait permettre la fondation d'un certain nombre de colonies; car, sur un parcours de cent trente lieues du Rio-Cuarto à Mendosa, on rencontre à peine une dizaine de centres de population.
Mais le chemin de fer qui est appelé à jouer le plus grand rôle économique et politique, pour la prospérité des provinces du centre et de l'ouest de la République, c'est sans contre-dit le chemin de fer central des Pampas, qui reliera ces dernières provinces aux deux plus grands ports argentins sur l'Océan Atlantique, les ports de Saint-Antoine et de Bahia-Blanca, mettant ainsi une population industrieuse et commerçante de 400,000 âmes, en rapport direct et rapide avec le commerce étranger. Le chemin de fer central de la Pampa aura un autre grand avantage, celui de rendre possible et facile la colonisation du vaste territoire des Pampas de dix mille lieux carrées de superficie, de cette immense plaine herbacée qui fait suite à la Pampa de la province de Buenos-Ayres, et s'étend jusqu'aux pieds des Cordillières; que les Indiens avaient choisie pour résidence à cause de sa fertilité et de son climat tempéré, et que le gouvernement national doit s'empresser de livrer aujourd'hui au travail producteur du cultivateur et de l'éleveur de bétail, en y créant des centres de population, destinés à devenir prospères et à accroître la richesse du pays, centres de population autour desquels viendront s'établir de nombreux éleveurs de bétail.
La distance entre la ville de Mercedes (province de San-Luis) point de départ du chemin de fer Pampéen et le port de Saint-Antoine où il devra aboutir, peut être calculée à 170 lieues; celle de l'embranchement de Poytagué à Bahia-Blanca à 40 lieues et celle du Port Saint-Antoine à la vallée de Rio-Negro de 11 lieues11, 80 milles (140 kilomètres) d'après le capitaine anglais Fitz Roy. Il y a donc dans les Pampas un vaste champ ouvert à la colonisation et à l'industrie si productive de l'élève du bétail qui a enrichi et enrichira encore davantage à l'avenir les nombreux éleveurs de la province de Buenos-Ayres. En mettant une distance de dix lieues, d'axe à axe entre ces colonies, et en intercalant celle du côté opposé, de manière à former des stations de cinq lieues de distance, il reste un terrain intermédiaire de six lieues sur chaque côté de la voie appartenant au gouvernement qui en disposera comme il l'entendra.
L'article 104 de la loi sur la colonisation argentine suffirait au besoin au gouvernement pour passer un contrat avec une entreprise. Toutefois, pour mieux coordonner notre système de colonisation avec la loi, nous préférerions qu'il fût ajouté à cette loi un chapitre VIII spécial, avec le titre suivant: Des colonies à établir le long des chemins de fer. Les quelques articles suivants suffiraient pour la rédaction de ce chapitre.
CHAPITRE VIII
Colonisation le long des chemins de fer dans les territoires nationaux.Art. 128.—Étant de toute nécessité de peupler les territoires nationaux, surtout les lieux où doivent se construire les chemins de fer, le Pouvoir Exécutif est autorisé à passer des contrats avec des entrepreneurs de chemins de fer et de colonisation, les deux opérations réunies ou séparées, aux conditions suivantes:
1o Les colonies seront établies le long des voies ferrées sur un seul, ou sur les deux côtés de la voie;
2o Dans ce dernier cas, les colonies seront distantes l'une de l'autre de dix lieues d'axe à axe du terrain colonial faisant face au chemin de fer par son front de quatre lieues de largeur, de manière qu'une colonie ayant quatre lieues de front, il reste un terrain de six lieues d'intervalle appartenant à l'État. Même disposition pour le côté opposé, à la condition d'intercaler les colonies en face du terrain d'État, et permettre ainsi d'établir des stations à cinq lieues d'intervalle l'une de l'autre. (Voir la disposition des colonies dans la carte.)
3o Dans le cas où les terrains ne seraient pas propres à la colonisation à cause de leur infertilité ou insalubrité, on prolongera la distance d'une colonie à l'autre, jusqu'à trouver un terrain favorable.
Art. 129.—Le Pouvoir Exécutif est autorisé à concéder des terrains aux entrepreneurs de colonisation avec les conditions suivantes:
1o Vingt lieues carrées de terrain dont quatre faisant face au chemin de fer et cinq de profondeur pour chaque groupe de quarante à quatre-vingts familles, composées de cinq personnes, au moins, âgées de dix ans,
2o Dix lieues carrées pour chaque groupe de vingt à quarante familles,
3o Cinq lieues carrées pour chaque groupe de dix à vingt familles.
Art. 130.—Dans chaque terrain colonial concédé, le gouvernement réserve une lieue carrée, adjacente à la voie ferrée, pour être affectée au service du chemin de fer et à l'établissement d'une station. Ce terrain devant être concédé à l'entreprise du chemin de fer.
Quant au chemin de fer central de la Pampa, de Mercedes (San-Luis), ville de six mille âmes, au port de mer de Saint-Antoine, et de Bahia-Blanca, chemin dont la prospérité, dans l'avenir, ne peut être douteuse, il devrait se combiner avec l'entreprise de colonisation à laquelle il prêtera un puissant concours. Les grands bénéfices, que procurera celle-ci, pourraient compenser, durant les premières années, les bénéfices moindres de celle-là. Dans tous les cas, on peut compter sur une garantie de sept pour cent, pour le capital employé, qu'en principe, le gouvernement argentin accorde à cette classe d'entreprises. Si nous ajoutons à ce chiffre de garantie d'intérêt une lieue carrée par colonie pour chaque station, soit environ cent trente-cinq lieues carrées, sur toute la longueur du chemin de fer, terrain qui, vendu plus tard en détail, acquerra une grande valeur, par le fait de sa situation, on peut calculer qu'à ces conditions le produit de l'opération sera grandement rémunérateur.
Art. 131.—Chaque terrain colonial sera divisé en son milieu, faisant face au chemin de fer, par une ligne de deux cuadres de largeur (260 mètres), et de cinq lieues de profondeur. Une seconde ligne de cinquante mètres de largeur coupera en travers dans son milieu le terrain concédé;
Art. 132.—L'arpentage du susdit terrain sera fait par deux géomètres, un représentant l'entreprise de colonisation, l'autre le bureau central des terres;
Art. 133.—Restent à la charge des entreprises de colonisation toutes les obligations relatives aux colons, savoir:
1o Le passage d'Europe à un port argentin; le gouvernement argentin prenant à sa charge le transport du port de débarquement à la destination coloniale, conformément à l'article 99 de la loi;
2o Les avances à faire aux colons, savoir: maison d'habitation, vivres pour une année, semences, instruments de travail, animaux de labour et de production, conformément à l'article 98, dont la quantité et la valeur seront déterminées dans les contrats passés avec les colons;
Art. 134.—Les entreprises de colonisation joindront à leur demande de concession de terres une copie des contrats passés ou à passer avec les colons, pour être approuvés par le gouvernement argentin; une copie de leurs statuts pour les sociétés anonymes ou de leur constitution pour les sociétés en commandite, ou autres. Art. 135.—Pour assurer l'accomplissement de leurs obligations, les entreprises déposeront à une banque de Buenos-Ayres la somme de 2,000 piastres fortes (10,000 francs) ou bien une caution pour pareille somme, acceptée par le gouvernement sans préjudice de la caducité du contrat, s'il y avait lieu;
Art. 136.—Les autorités civiles, de police et militaires, établies dans les colonies, seront sous la dépendance du gouvernement national.
Art. 137.—Le gouvernement reste chargé de l'établissement des services publics, religieux, judiciaires et d'instruction primaire dans les colonies;
Art. 138.—Un sept pour cent de garantie du capital employé à la construction des chemins de fer dans les territoires nationaux, sera accordé par le gouvernement aux entrepreneurs, soit que la construction se fasse séparément ou conjointement avec l'entreprise coloniale.
Les frais de construction du chemin de fer ne seront pas relativement considérables, si l'on considère que cette construction se fera sur un pays de plaine où le bois abonde, ce qui n'existe pas dans la Pampa, de Buenos-Ayres. Les études préparatoires prouveront que l'entreprise est de facile exécution et d'une grande importance par les résultats qu'elle est appelée à produire. Je puis affirmer qu'une grande partie des actions pourront se placer à Buenos-Ayres, où existent de grands capitaux et que leur négociation à la Bourse de cette ville ouvrira un vaste champ à la spéculation.
Nous terminons ici nos explications sur le facteur terre et son satellite le chemin de fer, qui élève sa puissance. C'est le premier terme de notre formule. Nous allons passer à l'exposition du deuxième facteur, le capital, élément qui, jusqu'à ce jour, a été négligé et appliqué en grande disproportion dans les opérations de colonisation, et qui, élevé à sa puissance dans notre système, est appelé à produire des résultats incalculables, en permettant d'ajouter au produit agricole du colon le produit si considérable de l'industrie de l'élève du bétail, facile à faire sur une grande échelle dans ces plaines herbacées à grands espaces, où les contenances des domaines s'expriment par lieues carrées, et les têtes de bétail de production par milliers; où l'industrie de l'élève du bétail se pratique sans frais de préparation de fourrages, ni de construction d'étables, les animaux se nourissant et vivant toujours dehors; industrie qui donne, en général, un produit net de 33 %, les frais déduits; et qui, dans notre système, rapportera bien davantage, le travailleur agricole, concourant à l'opération, étant chargé de cette partie de travail et des soins à donner à cette industrie.
DEUXIÈME FACTEUR
Le Capital, ayant pour agent une Société anonyme ou en commandite.Le travail de l'homme, appliqué à la culture du sol, réduit aux seuls efforts de ses bras serait improductif, ou bien peu productif, s'il ne s'aidait d'instruments, d'outils, de machines, propres à accroître la production: ces instruments de travail sont surtout indispensables au cultivateur-colon, à qui on livre un vaste domaine de cinquante hectares à exploiter. Ces instruments, ces outils, ces machines, constituent ce qu'on appelle le matériel agricole, autrement dit l'outillage du cultivateur. Cet outillage représente une valeur que l'on désigne sous le nom de Capital mobilier. Or, le cultivateur qui émigre, le cultivateur pauvre surtout, celui au sort duquel nous nous intéressons, n'emporte pas avec lui ce capital mobilier, ni même l'argent pour se le procurer. Il est donc indispensable de le lui fournir. C'est ce que nous faisons dans notre système de colonisation, sous le titre d'avances remboursables à des époques déterminées assez éloignées.
À ce capital, représenté par l'outillage, nous ajoutons d'autres objets de première nécessité, tels que l'abri ou habitation, les semences, la subsistance, durant la première année en attendant la récolte... L'ensemble de ces dépenses, nous en évaluons la valeur à 2,500 francs. L'article 88, paragraphe 2 de la loi sur la colonisation, élève le chiffre de ces avances à 5,000 francs (mille piastres fortes), mais il y comprend le bétail de travail, que nous rapportons à une autre catégorie d'avances, sous le titre de cheptel. Ces avances, nous les classons sous la dénomination d'avances improductives, parce que, sauf l'intérêt de dix pour cent prescrit par le paragraphe 5 de l'article 98, elles ne produisent aucun bénéfice à l'entreprise de colonisation, et nous classons, sous le titre d'avances productives, celles qui se rattachent à l'industrie de l'élève du bétail, dont le produit est partagé entre le colon et l'entreprise. Cette seconde catégorie d'avances, dite productive, comprend 500 brebis, 20 vaches, 5 juments; elle est destinée à augmenter la production au profit du colon et de l'entreprise, sous le titre de cheptel.
C'est la première fois, à notre connaissance, que cette industrie est ajoutée à l'industrie agricole du colon. Nous verrons, plus loin, dans nos tableaux de calcul des produits, les grands bénéfices qu'elle rapporte à l'entreprise; ce qui nous autorise à donner à notre système de colonisation, celui de système de colonisation organisée à production élevée. Nous évaluons le chiffre de la valeur des avances de cette seconde catégorie à faire au colon à 5,500 francs, à 8,000 francs pour chaque famille, y comprenant les 2,500 francs de la première catégorie, et à 9,500 francs si nous ajoutons les 1,500 francs, montant du passage des cinq membres de la famille du colon. Le transport du port de débarquement à la colonie restant pour le compte du gouvernement (article 104, paragraphe 4 de la loi sur la colonisation).—La somme des avances s'élevant ainsi à 9,500 francs pour chaque famille, celle de quarante familles, formant une colonie, s'élèverait à 380,000 francs, et à 430,000 avec le magasin commercial à établir dans chaque colonie. Ce capital 380,000 francs, remboursable après cinq ans, sera hypothéqué sur les biens, meubles et immeubles du colon, et garanti, en outre, par les vingt lieues carrées concédées par le gouvernement pour chaque colonie.
Quant au capital total à employer à l'entreprise de colonisation, nous proposerons de l'élever à sept millions cinq cent mille francs pour l'établissement de quinze colonies en cinq ans, trois chaque année, soit 1,500,000 francs pour chaque année. Les quinze colonies pourraient être établies le long de la voie ferrée de l'ouest, entre le Rio-Quarto et la ville de Mendosa, sur une étendue de cent dix lieues, ligne sur laquelle on rencontre à peine dix centres de population.
Le capital de sept millions cinq cent mille francs pourrait être réalisé par une société anonyme, moyennant une émission de 15,000 actions de 500 francs chacune, payable par annuités de cent francs, soit 1,500,000 francs, destinés à l'établissement de trois colonies par an, durant cinq ans, et quinze colonies en cinq ans, avec le capital 7,500,000 fr.
Dans tous les cas, aucun appel de fonds ne serait fait qu'après réalisation des contrats de concession de terres qui restent à notre charge, et pour l'obtention desquels les dispositions nécessaires sont déjà prises par nous, auprès du gouvernement national et provincial de la République Argentine.
Construction de chemins de fer avec colonisation dans les territoires nationaux
Cette classe d'opérations est bien plus importante que celle de la simple colonisation dont nous venons de parler. Elle exige aussi l'emploi d'un capital plus élevé. Mais comme, d'autre part, on ne peut faire de la colonisation dans les vastes territoires de la République Argentine sans chemins de fer, ni des chemins de fer sans colonisation au travers de déserts, dépourvus de population, si fertiles, si beaux qu'ils soient, la simultanéité de ces deux opérations s'impose. Aussi est-ce sous ce point de vue que je vais les traiter.
Tout chemin de fer doit avoir pour objet l'utilité: autrement dit de donner satisfaction aux intérêts économiques du pays qu'il relie ou qu'il traverse: c'est-à-dire de développer son mouvement commercial, industriel, agricole, et accroître ainsi sa richesse, sa prospérité, sa puissance nationale; or, le chemin de fer qui est en première ligne appelé à produire ces résultats, c'est, sans contre-dit, le chemin de fer central du territoire de la Pampa, devant relier les deux grands ports de mer de Saint-Antoine et de Bahia-Blanca aux provinces de l'Ouest de la République. (Voir la carte ci-jointe à la fin de la brochure.) Cette œuvre, d'un haut intérêt, pour cette contrée, le gouvernement argentin devrait, sans retard, mettre à l'étude cette question et s'imposer tous les sacrifices nécessaires pour son exécution. Le pays et les générations futures lui en seront reconnaissants.
Le chemin de fer central de la Pampa comprend la ligne qui, partant de Mercedes, ville de la province de Saint-Louis, se dirigerait vers le sud pour aboutir au grand port de Saint-Antoine, sur l'Océan atlantique. Un embranchement, partant de Poitagué, relierait ce chemin de fer au port de Bahia-Blanca. Pris en totalité, ce chemin de fer aurait une étendue de 175 lieues, entre Mercedes et le port Saint-Antoine, et de 215 en ajoutant les 40 lieues de distance de Poitagué à Bahia-Blanca pour l'embranchement. Ces 215 lieues à 300,000 francs la lieue12 porteraient la dépense à 64,500,000 fr., et à 72,000,000 de fr. en ajoutant les 7,500,000 pour la colonisation.
Toutefois, cette grande ligne pourrait être entreprise partiellement, par tronçons, de la manière suivante:
| 1o Ligne de Mercedes à Bahia-Blanca13, longueur 110 lieues, à 300,000 fr. la lieue | 33,000,000 | fr. |
| Pour la colonisation | 7,500,000 | |
| Total | 40,500,000 | fr. |
| 2o Tronçon de Mercedes à Poitagué, longueur 70 lieues à 300,000 fr. la lieue | 21,000,000 | fr. |
| Pour la colonisation | 7,500,000 | |
| Total | 28,500,000 | fr. |
| 3o Tronçon de Mercedes au territoire national de la Pampa, longueur 30 lieues, à 300,000 fr. la lieue | 9,000,000 | fr. |
| Pour la colonisation | 7,500,000 | |
| Total | 16,500,000 | fr. |
| 4o Tronçon du port Saint-Antoine, à la vallée du Rio-Negro, longueur 11 lieues, à 300,000 fr. la lieue | 3,300,000 | fr. |
| Pour la colonisation | 7,500,000 | |
| Total | 10,800,000 | fr. |
Le chemin de fer du port Saint-Antoine à la vallée du Rio-Negro serait le moins coûteux et celui qui offrirait le plus vaste champ d'exploitation pour la colonisation d'une vallée fertile d'une longueur de 150 lieues sur une à six de largeur, avec un fleuve navigable sur toute son étendue et voisine d'un port de mer appelé à devenir le plus grand port de la contrée. En outre, le chemin de fer du port Saint-Antoine au Rio-Negro monopolisera plus tard, par sa jonction avec le Central de la Pampa, les transports de la Pampa et des provinces argentines de l'ouest.
Toutes ces diverses entreprises ouvrent aujourd'hui un vaste champ d'exploitation à la spéculation; toutes donneront de grands résultats. Mais c'est la colonisation fondée sur les bases de notre système qui les produira aux trois quarts. Que les capitalistes et les hommes d'entreprises sachent bien que les nombreuses et grandes fortunes acquises dans les États-Unis de l'Amérique du Nord, sont dues, en général, aux spéculations sur la terre. Les immenses fortunes créées dans la Californie ont eu pour origine, moins les mines d'or qui ne tardèrent pas à s'épuiser, que les opérations sur la terre achetée d'abord à vil prix et vendue, plus tard, pour des sommes énormes, le jour où l'immigration se répandit dans le désert et qu'un chemin de fer vint y donner la vie et répandre le mouvement. Pareil résultat est réservé dans la République Argentine aux entreprises de colonisation fondées sur de bonnes bases et combinées de manière à donner la production la plus élevée possible, jointes ou non aux opérations de chemins de fer. Nul ne peut en douter. Je dis plus, c'est que ce pays est aujourd'hui l'unique au monde qui offre les conditions les plus favorables pour ce genre d'entreprise.
CRÉATION DU CAPITAL
Le capital, outillage agricole du travail du colon, étant indispensable à celui-ci pour obtenir une plus grande production possible, nous avons dû le comprendre dans notre système, comme agent nécessaire de l'opération de colonisation.
On a cru longtemps, et des personnes croient encore aujourd'hui, qu'il suffisait de faire une large concession de terres au colon et de lui accorder quelques mesquines avances pour lui faciliter ce genre d'entreprises. L'expérience a démontré le peu de résultat que ces opérations donnaient. Si l'on veut que le colon produise tout ce que son travail peut produire, il faut mettre sous sa main un outillage complet. C'est ce que nous faisons aujourd'hui dans notre système de colonisation.—Outre les cinquante hectares concédés, nous lui faisons les avances suivantes: le passage d'Europe à l'Amérique du Sud,—une habitation,—la subsistance de la famille durant la première année,—les semences,—les outils et instruments de travail, les animaux de labour,—et nous ajoutons à l'industrie agricole du colon, l'industrie productive de l'élève du bétail. Le tout évalué à neuf mille cinq cents francs, remboursables après cinq ans.
| Soit donc, neuf mille cinq cents francs, la somme à dépenser pour l'établissement de chaque famille agricole, composée de cinq personnes au-dessus de dix ans, à | 9,500 | fr. |
| Le capital à employer pour une colonie de quarante familles s'élèverait à | 380,000 | |
| Plus cent vingt mille pour magasin commercial, frais d'administration et réserve | 120,000 | |
| soit | 500,000 | |
| En limitant l'opération à trois colonies par an, la dépense s'élèverait, par an, à | 1,500,000 | |
| Et à sept millions cinq cent mille francs celle de 15 colonies, durant une période de cinq ans, à | 7,500,000 |
Ce capital, étant remboursable par le colon après la cinquième année, peut se réappliquer à une seconde période quinquennale pour l'établissement de quinze nouvelles colonies. Voilà pourquoi, dans notre système de construction de chemins de fer coloniaux, nous ne comprenons que le chiffre de 7,500,000 francs pour les colonies à établir le long des divers chemins de fer à construire. C'est donc un capital de 7,500,000 fr. qu'il s'agit de créer.
Or, comme l'institution d'une société anonyme se prête mieux à la création de capitaux, nous avons adopté ce moyen, et nous conseillons de fixer le capital de l'émission à 7,500,000 francs, à réaliser par une émission de 15,000 actions de 500 francs chaque.—Mais comme le capital 7,500,000 francs ne doit s'employer que durant le cours d'une période de cinq années pour l'établissement de 15 colonies, trois colonies par an, soit 1,500,000 francs par an, nous divisons le paiement de l'action 500 francs en cinq coupons ou cinq annuités de 100 francs, à verser par an durant cinq ans. Ainsi, le capitaliste qui prendrait les 15,000 actions, n'aurait à payer, durant cinq ans, qu'une annuité de 1,500,000 francs.—Nous verrons, plus loin, les gros bénéfices que ce capital rapporte dans les conditions établies par nous. Ce dont le lecteur pourra se convaincre.
| Soit donc, capital social | 7,500,000 | fr. |
| à employer pour l'établissement de 15 colonies en cinq ans. | ||
| Chiffre de l'émission, actions de 500 fr. | 15,000 | |
| à payer en cinq ans, par annuités, soit 100 fr. | ||
| Emploi annuel du capital pour fondation de trois colonies | 1,500,000 | |
| Emploi, durant cinq ans, pour fondation de 15 colonies | 7,500,000 | 14 |
Garantie du capital.—Ce capital est garanti: 1o par une hypothèque sur tous les biens meubles et immeubles concédés au colon; 2o par les 300 lieues carrées concédées à l'entreprise, par les gouvernements national ou provinciaux, 20 lieues par colonie (300 lieues pour 15 colonies), dont la valeur augmentera par le fait de la création d'un centre de population.
Mais, me dira-t-on, le colon pourra-t-il payer le dix pour cent par an et rembourser le capital de 11,400 francs, y compris la prime 1,900 francs, prescrite par la loi sur la colonisation? Ce doute n'est pas permis, en présence de la grande situation qui est faite au colon, possesseur, à cette époque, d'un domaine de cinquante hectares, d'une maison, d'un outillage agricole, d'un nombreux troupeau de bétail de plus de trois mille brebis, d'une centaine de vaches. Le troupeau seul suffirait pour opérer le remboursement. Ne nous préoccupons pas de cela, le colon saura bien trouver, dans ses économies accumulées, le capital du remboursement et ne se laissera pas exproprier d'un domaine dont la valeur dépassera le chiffre de la dette. Et d'ailleurs, y aurait-il retard dans le remboursement, les vingt lieues carrées concédées à l'entreprise ne sont-elles pas une garantie suffisante pour une créance de cinq-cent mille francs par colonie15.
TROISIÈME FACTEUR
Le travail, ayant pour agent, le colon chef
de la famille agricole.
Le troisième facteur dans l'œuvre de colonisation des territoires nationaux de la République argentine, c'est le travail du colon, chef de famille agricole. C'est le cultivateur qui apporte à l'exécution de l'œuvre son plus puissant levier, le travail de la terre; c'est lui qui fait surgir du sol les merveilles de la production et transforme les déserts en centres de production, en foyer de richesse, de lumière et de civilisation. Dans notre combinaison, c'est le travail du colon qui fait la richesse du gouvernement, celle de l'entrepreneur capitaliste et la sienne propre; le concours du gouvernement, celui de l'entrepreneur, n'ayant d'autre objet que celui de préparer, de faciliter, les moyens d'exécution, de favoriser le travail agricole et de lui permettre de se développer avec toute sa puissance. Cet agent du travail agricole, le colon, n'existe pas dans l'Amérique du Sud, où l'homme s'est livré à l'industrie bien plus productive de l'élève du bétail. Il est donc de toute nécessité d'aller le chercher là où il se trouve, c'est-à-dire en Europe, où la population agricole est nombreuse, trop serrée, trop compacte.
Mais le travailleur de la terre, si pauvre qu'il soit, n'émigre pas. Ignorant s'il existe d'autres régions plus favorables à son industrie, il continue à vivre pauvrement dans le village où il est né, où vivent à côté de lui des parents, des amis. Et lorsqu'on voudra le faire sortir de son engouement et de sa misère, pour l'élever à une situation meilleure, il faudra aller à lui, l'instruire, l'éclairer, le renseigner, lui faire connaître toutes les faces de l'entreprise qu'on lui propose, et les conditions favorables qui lui sont accordées pour améliorer sa position, et le placer sur la voie de la fortune. Il devra être éclairé, non avec des tableaux exagérés et trompeurs et des promesses illusoires, mais bien en lui exposant clairement, loyalement, dans toute sa vérité, la nouvelle situation qui lui a été préparée, afin qu'il puisse entreprendre avec connaissance et résolution, l'opération qu'on lui propose, consigner, enfin, dans un contrat, les obligations réciproques du cultivateur-colon et de l'entreprise, et les remplir comme le feraient deux hommes sérieux et honnêtes, sans nécessité de l'intervention des tribunaux.
De son côté, le travailleur agricole devant apporter à l'opération de colonisation son travail élevé à une haute puissance, devra être choisi parmi les cultivateurs des campagnes, connus par leurs habitudes d'ordre, de travail et de moralité, et non pas le prendre au hasard, comme cela se pratique dans la colonisation par l'émigration spontanée, qui permet ainsi l'introduction dans les colonies d'éléments divers, impropres à l'espèce de travail qu'elles comportent, sans activité, ni intelligence, et, quelquefois, promoteurs de désordre dans les colonies.
Pour obtenir cet agent précieux de la colonisation, le bon, le laborieux cultivateur, si pauvre qu'il soit, il sera nécessaire d'établir une agence de recrutement sous la direction d'un homme intéressé au succès de l'entreprise et chargé, sous sa responsabilité, de créer en Europe, les sous-agences nécessaires. Le directeur du bureau de recrutement devra, en outre, être chargé des opérations de transport d'Europe en Amérique, opérations qui se lient, sous bien des rapports, avec celles du recrutement. L'ordre et la plus grande exactitude devront être apportés dans le mouvement de ces transports.
Un directeur des colonies devra également être établi dans la contrée où se fonderont les colonies pour diriger sur les lieux et surveiller les opérations coloniales, exécuter et faire exécuter les obligations contractées. Un agent colonial, dans chaque colonie, sera chargé de la direction du magasin commercial et de la surveillance de la colonie. Cet agent sera placé sous la surveillance et le contrôle du directeur des colonies.
Un agent général représentera l'entreprise dans la ville de Buenos-Ayres, capitale de la République Argentine.
COMBINAISON DE L'OPÉRATION
Notre système de colonisation repose, comme on le voit, sur la coopération de trois facteurs: 1o terre ayant pour agent le gouvernement argentin qui la concède; 2o capital ou outillage du travail ayant pour agent l'entrepreneur capitaliste; 3o le travail ayant pour agent le colon, père de famille agricole, qui l'apporte. C'est donc une opération coopérative, non pas dans le sens des utopistes socialistes qui préconisent la coopération individuelle organisée, mais bien dans le sens que la nature indique, celui de la coopération de trois forces distinctes l'une de l'autre, de trois agents indépendants qui s'associent librement pour l'exécution d'une œuvre dont le produit doit être partagé entre eux. Ce genre de coopération rentre dans le cercle des principes économiques.
La loi argentine sur la colonisation est conçue aussi sur la coopération de ces trois agents; seulement, ici, le gouvernement fournit les deux facteurs terre et capital et le colon le travail; c'est-à-dire, que le gouvernement prend à sa charge l'action des deux premiers agents, gouvernement et entrepreneur capitaliste, pendant qu'il devrait rester dans son vrai rôle d'agent gouvernemental. Ce système a été qualifié de colonisation officielle, que condamnent des économistes éminents argentins. Notre combinaison, en réduisant l'action gouvernementale à son unique et véritable rôle, consiste donc dans l'application de la formule suivante, établie par nous, comme axiome fondamental de la science économique: Terre + travail + capital (m) = production (m). C'est-à-dire, terre adjacente à un chemin de fer.—Travailleur agricole choisi et réunissant les aptitudes nécessaires;—entrepreneur capitaliste fournissant un outillage complet, plus le capital Cheptel.—La résultante sera: production élevée.
Toutefois, il ne suffit pas au facteur terre de comprendre une grande extension de vingt lieues carrées pour l'entrepreneur, de cinquante hectares pour le colon, et de posséder à son côté un chemin de fer pour l'écoulement des denrées, il était essentiel qu'il offrît aussi les conditions hygiéniques nécessaires pour protéger l'existence du colon. Or, sous ce rapport, la République Argentine ne laisse rien à désirer. Le territoire des Pampas situé entre les 34me et 40me degrés de latitude Sud, jouissant d'un climat tempéré, pareil à celui du midi de la France, de l'Espagne, de l'Italie... rafraîchi par les brises de l'Océan Atlantique, protégé à l'Ouest par les Cordillières... offre au point de vue de la salubrité du climat toutes les garanties hygiéniques désirables. Les institutions politiques et administratives du pays se rapprochent de celles des pays libres de l'Europe, la religion catholique y est généralement pratiquée et toutes les autres y sont libres.
Quant à la puissance du facteur capital, nous l'élevons en ajoutant au capital agricole celui du cheptel en vue d'augmenter la production. Or, tout le monde sait la richesse que produit l'élève du bétail dans la République Argentine, où cette industrie est créée sur de vastes étendues de domaines à pâturage sans frais de construction d'étables, ni d'emmagasinage de fourrage, le bétail s'alimentant par le pacage et vivant continuellement dehors16.
Pour faciliter l'intelligence de notre combinaison, nous allons l'exposer en quelques articles clairs et précis qui pourront servir pour la rédaction des statuts aux entreprises particulières de colonisation dans la République Argentine.
BASES
Pour servir à la rédaction des statuts pour les entreprises de
colonisation dans la République Argentine.
Article 1er.—Des entreprises de colonisation se feront dans les territoires nationaux et provinciaux de la République Argentine en vue de l'extinction du paupérisme agricole européen, dans les conditions établies dans le projet ci-exposé.
Art. 2.—À cet effet, des contrats seront passés avec le gouvernement National et les gouvernements provinciaux argentins, par l'intermédiaire de notre fondé de pouvoirs à Buenos-Ayres, seul ou accompagné d'un agent spécial de l'entreprise.
Art. 3.—Ces entreprises comprendront la fondation des colonies séparément ou conjointement avec la construction des chemins de fer.
Art. 4.—Les chemins de fer de cette classe à construire, sont:
1o La ligne centrale de la Pampa de Mercedes au port Saint-Antoine, 175 lieues;
2o La ligne de Mercedes à Bahia-Blanca par Pontiagué, 110 lieues;
3o Le chemin de fer de Mercedes à la limite de la Pampa, 25 lieues;
4o Le chemin de fer du port Saint-Antoine à la vallée du Rio-Negro, 11 lieues.
Art. 5.—L'entreprise du chemin de fer devra se faire avec la condition d'un sept pour cent de garantie d'intérêt du capital employé à la construction, avec concessions de terrains dont la contenance sera débattue avec le gouvernement.
Dans le cas de jonction des deux opérations, construction de chemin de fer et colonisation, cette dernière se fera conformément aux bases établies dans le présent projet.
Des entreprises de colonisations, séparées des opérations de chemin de fer.
Art. 6.—Les entreprises de colonisation séparées de celles de chemin de fer pourront se faire:
1o Par une grande institution de crédit déjà fondée;
2o Par une société anonyme spéciale de colonisation argentine à fonder;
3o Par une banque Franco-Argentine à fonder;
4o Par une compagnie ou société en commandite;
5o Par de simples particuliers pour les opérations de colonisations réduites.
Entreprise par une société anonyme spéciale de colonisation.
Art. 7.—Une société anonyme, sous le titre de...... sera établie à......
Elle aura pour objet la colonisation dans les territoires nationaux et provinciaux de la République Argentine.
Art. 8.—Les vingt premiers adhérents à notre système de colonisation seront réputés fondateurs de l'entreprise, après nous avoir manifesté, par écrit, leur adhésion à notre projet et leur intention de prendre une part active à l'exécution de l'œuvre.
Art 9.—Les fondateurs de ladite société éliront une commission provisoire chargée de rédiger les statuts de la société; celle-ci nommera un directeur du bureau, également provisoire, un trésorier et d'autres employés, s'ils sont nécessaires.
Art. 10.—Il ne sera fait d'émission, ni constitution définitive de société, qu'après que la commission provisoire aura été mise en possession des contrats passés avec le gouvernement national argentin ou les gouvernements provinciaux, opération qui reste à la charge de l'auteur du présent projet de colonisation.
Art. 11.—Aussitôt après avoir été mise en possession des contrats, la commission provisoire fixera le chiffre de l'émission et procèdera à la constitution définitive de la société.
Art. 12.—Dans le cas où la société se constituerait pour la fondation de QUINZE colonies, durant la période de cinq années, le chiffre de l'émission restera fixé à 7,500,000 francs. L'emploi de ce capital se fera dans l'ordre suivant:
| 1re année. | 1,500,000 | fr., pour la fondation de | 3 | colonies. |
| 2e année. | 1,500,000 | id. | 3 | id. |
| 3e année. | 1,500,000 | id. | 3 | id. |
| 4e année. | 1,500,000 | id. | 3 | id. |
| 5e année | 1,500,000 | id. | 3 | id. |
| 7,500,000 | fr. | 15 | colonies. |
Art. 13.—Pour réaliser le capital 7,500,000 francs, il sera fait une émission de quinze mille actions (15,000) de 500 francs chacune, payables par annuités de cent francs, le 15 janvier de chaque année, durant cinq ans.
Emploi du capital social 7,500,000 francs.
Le capital social 7,500,000 francs est spécialement destiné à l'établissement des colonies dans les territoires nationaux et provinciaux de la République Argentine, et aux frais nécessaires au fonctionnement de la société anonyme. C'est ce capital qui constitue le second facteur de notre système de colonisation, facteur puissant lorsqu'il complète l'outillage du travail, et qui avec la terre du gouvernement et le travail du colon concourt à réaliser la production. Ce capital garanti par un hypothèque, revient au capitaliste-actionnaire ou entrepreneur, après être passé durant cinq ans dans les mains de la famille agricole du colon, et avoir produit des bénéfices considérables par son application à l'industrie si productive de l'élève du bétail, en dehors du dix pour cent d'intérêt qu'il comporte, d'une prime de vingt pour cent sur le capital avancé, 9,500 fr., et de la valeur accrue d'un terrain de vingt lieues carrées par colonie.
Art. 14.—Les avances à faire à chaque famille agricole composée de cinq personnes sont les suivantes:
| 1e Catégorie. Avances improductives devant être remboursée après cinq ans. |
||||
| A.—Maison d'habitation, comprenant deux pièces | 1,500 | fr. | ||
| B.—Farine pour la subsistance d'une famille agricole, durant la première année, 5 balles de 100 kilos | 250 | |||
| C.—Semences | ||||
| Froment, 2 hect. | 50 | |||
| Maïs, 1 hect. | 15 | |||
| Pommes de terre, 2 hect. | 30 | |||
| Orge ou avoine, 2 hect. | 30 | |||
| D.—Un char à quatre roues. | 500 | |||
| E.—Une charrette, ou un tombereau à deux roues | 100 | |||
| F.—Une charrue en fer | 30 | |||
| 2,500 | fr. | |||
| Les autres ustensiles et outils agricoles ainsi que les objets de ménage, le colon pourra les acheter au magasin de commerce établi par l'entreprise dans chaque colonie. | ||||
| 2e Catégorie. Avances productives, livrées à titre de cheptel, avec partage par moitié du produit entre le colon et l'entreprise; remboursables après cinq ans. | ||||
| A.—Brebis, 500, à 7 fr. chaque | 3500 | |||
| 3 béliers comm. | 150 | |||
| 1 bélier, Rambouilles, Negrets ou Southdowns | 400 | |||
| B.—Vaches, 20, à 50 fr. chaque. | 1,000 | |||
| Taureau, 1, à 100 fr. | 100 | |||
| C.—Juments, 5, plus un cheval étalon17 | 350 | |||
| 5,500 | fr. | |||
| Passage d'Europe en Amérique, cinq personnes, à 300 fr. chaque | 1,500 | |||
| Total des avances pour une famille | 9,500 | fr. | ||
| Total pour une colonie de 40 familles | 380,000 | fr. | ||
| Total pour 3 colonies à établir annuellement | 1,140,000 | fr. | ||
| Établissement de 3 magasins commerciaux | 70,000 | |||
| Frais d'administration | 90,000 | |||
| Réserve | 200,000 | |||
| Total | 1,500,000 | fr. | ||
Art. 15.—La somme de neuf mille cinq cents francs sera remboursée à l'entreprise après cinq ans dans le courant des deux premiers mois de la sixième année avec la prime vingt pour cent (1,900 fr.) soit au total 11,400 francs, sans préjudice du dix pour cent à payer chaque année conformément au paragraphe 5 de l'article 98 de la loi sur la colonisation.
Art. 16.—Durant le cours de la sixième année, il sera procédé par l'entreprise, si celle-ci le juge utile, à la vente du terrain colonial concédé en dehors de ceux cédés aux colons dont les titres de propriété leur seront délivrés à la même époque.
Art. 17.—Les opérations continueront ainsi successivement, par période de cinq ans, en appliquant le capital remboursé à la fondation de nouvelles colonies, jusqu'au jour où la société décidera, en assemblée générale, vouloir terminer son œuvre et se mettra en liquidation.18
Entreprises de colonisation par compagnies ou sociétés en commandite.
Art. 18.—Les compagnies ou sociétés en commandite qui désireraient entreprendre des opérations de colonisation sur une moins grande échelle et sur les mêmes bases, pourront adresser leur déclaration à l'auteur du présent projet, qui s'empressera de leur fournir les renseignements nécessaires et son concours pour l'exécution de l'opération.
Entreprises de colonisation particulière
Art. 19.—Comme il m'est arrivé de rencontrer des propriétaires argentins qui demandaient à établir des colonies réduites à vingt et même dix familles, avec la condition de se réserver la moitié du terrain colonial, soit cinq lieues sur dix, ou deux lieues et demi sur cinq; les capitalistes qui désireraient entreprendre la colonisation sur ces bases, pourront m'adresser leur proposition, je donnerai immédiatement des ordres à mon fondé de pouvoir, à Buenos-Ayres, pour passer des contrats de cette classe.
TROISIÈME FACTEUR
Le travail agricole.
Le troisième facteur qui reste à élever à sa haute puissance, par un bon choix et avec des procédés qui donnent confiance et crédit à l'opération, c'est le travail du cultivateur colon, chef de famille agricole. Ce choix devra être confié à un homme sérieux, honorable et dévoué à l'entreprise. Son titre sera celui de directeur général du bureau de recrutement et des transports maritimes d'Europe à l'Amérique du Sud.
Recrutement des colons.
Art. 20.—À cet effet il sera établi dans la ville de... un bureau spécial de recrutement de colons sous la direction d'un directeur général, lequel pour être aidé dans ses opérations pourra créer sous sa responsabilité des agents dans les chefs-lieux de départements français et les diverses provinces en Europe.
Art. 21.—Les frais du bureau de recrutement, y compris les appointements du directeur et des agents, seront fixés par le conseil d'administration de la société de colonisation.
Art. 22.—Le directeur du bureau de recrutement et ses agents auront pour mission:
1o De faire connaître l'objet de l'entreprise, ses moyens d'exécution, les conditions exigées des colons pour être admis;
2o De fournir toutes les explications exactes et véritables, nécessaires au colon, pour qu'il se décide librement et en toute connaissance, à entreprendre l'opération de colonisation;
3o Publier, à cet effet, des brochures, des circulaires, articles de journaux, sous sa responsabilité;
4o Faire connaître dans ces publications les conditions hygiéniques et climatériques du pays à coloniser, ses zones terrestres, les institutions politiques, administratives, judiciaires, qui le régissent, les bénéfices que peuvent lui rapporter les industries agricoles et de l'élève du bétail; enfin tout ce qu'il importe au colon de connaître pour entreprendre l'opération proposée;
Art. 23.—Le directeur général du bureau de recrutement remettra à chaque colon, chef de famille, avant son embarquement une feuille d'engagement, extraite d'un livre à souche, comportant un numéro d'ordre, les noms et prénoms du colon et des membres de sa famille, leur âge, le lieu de leur résidence. Elle comprendra aussi les obligations réciproques du colon et de l'entreprise, et au bas les signatures du colon et du directeur de l'entreprise.
Il suffira au colon de présenter la feuille d'engagement pour être admis à la colonie. Copie en sera adressée au directeur général des colonies.
Art. 24.—Les frais de transport d'Europe à la République Argentine seront à la charge de l'entreprise, et ceux du port argentin de débarquement à la colonie, à la charge du gouvernement argentin, conformément aux articles 88 et 89, et du paragraphe 4 de l'article 104 de la loi sur la colonisation. Le montant de ces avances de passage sera remboursé par le colon aux époques déterminées par le contrat.
Art. 25.—Le colon, chef de famille agricole, représente celle-ci dans tous les actes et obligations qui lui incombent.
Art. 26.—La famille agricole se composera de cinq membres, au moins âgés de dix ans. Les enfants au-dessous de dix ans ne compteront pas pour l'entreprise, mais ils pourront accompagner la famille et suivre leurs parents.
Art. 27.—Deux familles séparées pourront s'associer pour former un groupe de famille au nombre de cinq membres au moins. Ils auront la faculté de rompre, plus tard, l'association en se partageant la concession de terrain et les avances à elles faites. Mais elles resteront solidaires de leur engagement, vis-à-vis l'entreprise.
Art. 28.—Deux mois avant le départ des colons d'Europe, le directeur général de l'entreprise de colonisation enverra l'ordre au directeur des colonies de préparer les lots de cinquante hectares chaque à distribuer aux colons, avec leurs limites et bornage. Le lot portera un numéro d'ordre. Cette opération terminée, il sera procédé à la construction des maisons d'habitation composées chacune de deux pièces de quatre mètres carrés de surface, avec un corridor intermédiaire.
Art. 29.—Immédiatement après l'arrivée des colons sur les lieux, les lots seront tirés au sort et chaque colon prendra possession de celui que lui aura désigné le sort. On lui délivrera, ensuite, les avances de la première catégorie, telles que farine, semences, une charrue, un char.... Durant les quinze jours qui suivront, les colons recevront les avances de la seconde catégorie, à titre de cheptel, savoir: 500 brebis, avec trois béliers, 20 vaches et un taureau, cinq juments. La distribution se fera par tirage au sort, par lots d'animaux.
Art. 30.—Deux fours à cuire le pain seront construits d'avance dans chaque colonie, un pour la section de droite, l'autre pour la section de gauche.
Art. 31.—Dans chacune des colonies, l'entreprise établira un magasin commercial comprenant des outils aratoires et ustensiles de ménage, quincaillerie, objets de consommation; enfin, toute marchandise ou denrée que l'entreprise jugera utile de livrer en vente. Un crédit de six mois sera accordé aux colons.
Art. 32.—Chaque colon sera obligé de cultiver et de maintenir en état de culture, à partir de la première année, pour le moins quatre hectares de terrain sur les cinquante qui lui sont concédés et de clore la partie cultivée soit en bois, soit en fil de fer, restant libre, pour le surplus, d'en cultiver la contenance qu'il lui conviendra.
Art. 33.—Tout colon qui ne cultiverait pas la contenance ci-dessus indiquée dans l'article précédent, ou qui ne donnerait pas à l'élève du bétail les soins qui leurs sont dus, ou qui serait une cause de désordre dans la colonie, la concession du terrain et les avances à lui faites lui seront retirées et il sera expulsé de la colonie. Toutefois, le fait devra être attesté par dix colons tirés au sort et confirmé par un rapport du directeur des colonies; seul, l'agent général, représentant de l'entreprise, aura droit de prononcer l'exclusion.
Art. 34.—Tout le produit du sol, celui des animaux de basse-cour et de toute autre industrie, appartiendra au colon; seul, le produit cheptel des brebis, vaches, chevaux, sera partagé entre ce dernier et l'entreprise.
Art. 35.—Les mâles des trois classes d'animaux spécifiés ci-dessus, ayant acquis un an d'âge, seront partagés, chaque année et livrés à la vente durant cinq ans, c'est-à-dire, pendant le cours de six années, entre le colon et l'entreprise. La laine des brebis sera également partagée durant les cinq premières années.
Art. 36.—Durant les cinq premières années, le colon paiera à l'entreprise un dix pour cent du montant des avances 9,500 francs, soit 950 francs par an, conformément aux prescriptions du paragraphe 5 de l'article 98 de la loi sur la colonisation.
Art. 37.—Après cinq ans, durant les deux premiers mois de la sixième année, le colon remboursera à l'entreprise le montant des avances 9,500 francs, avec une prime de 20 pour cent, soit 1,900 fr., en total: 11,400 fr., conformément au paragraphe 5 de l'article 98 précité.
Art. 38.—Une fois le règlement fait et le remboursement du montant des avances opéré, l'agent général de l'entreprise aux colonies délivrera à chaque colon, chef de famille, un titre de propriété dûment légalisé. Après quoi le colon restera maître absolu, non seulement du terrain, de la maison, du mobilier, mais encore des animaux qui se trouveront dans son domaine; restant libre et dégagé de tout compromis avec l'entreprise de colonisation.
Art. 39.—Les colons seront soumis aux lois et institutions de la République Argentine sous l'autorité d'un juge de paix, chargé de les faire exécuter.
Art. 40.—De même que dans les autres centres de population de la République Argentine, les colons constitueront un conseil municipal chargé de l'administration des affaires communales de la colonie: le service religieux, l'instruction primaire, restant à la charge du gouvernement National ou provincial.
Art. 41.—Un directeur général des colonies, nommé par l'entreprise, assisté d'un inspecteur, surveillera, contrôlera et dirigera les affaires coloniales de l'entreprise. Un agent général représentera celle-ci dans le pays.
Disposition et distribution des colonies le long des chemins de fer à construire, dans les territoires nationaux.
Art. 42.—En attendant qu'il soit ajouté à la loi de colonisation un titre 8 réglant la colonisation le long des chemins de fer, l'entreprise se conformera à l'article 104 de la loi qui détermine le nombre de cent vingt-cinq familles à établir dans chaque section de terrain concédé de vingt-cinq lieues chaque; disposition qui n'apporte pas un changement irréalisable pour notre projet, et qui d'ailleurs n'est applicable qu'aux territoires nationaux. Les gouvernements provinciaux restant libres de passer des contrats sur d'autres bases qui seraient plus conformes à leurs intérêts.
Les colons des territoires nationaux seront exempts de la contribution directe durant dix ans. Art. 114 de la loi.
Disposition des colonies dans les territoires provinciaux.
Art. 43.—Il sera passé des contrats de colonisation avec les gouvernements provinciaux dans les conditions suivantes:
1o Établissement d'une colonie de quarante à quatre-vingts familles, pour chaque concession de vingt lieues carrées le long d'un chemin de fer,
2o Établissement de vingt à quarante familles pour une concession de dix lieues carrées.
Les autres conditions comme ci-dessus dans nos dispositions générales.
Disposition de colonies avec des propriétaires de terrain.
Art. 44.—Les propriétaires particuliers qui demanderont à établir des colonies sur leur terrain propre pourront le faire aux conditions formulées dans l'article précédent, même en réduisant la concession à cinq lieues pour dix à vingt familles. Par exception pour les propriétaires de cette dernière catégorie, la moitié du terrain concédé restera leur propriété après la cinquième année, et en disposeront pour la vente ou leur usage, comme bon leur semblera.
AVANTAGES ET BÉNÉFICES
À répartir aux trois agents de la production:
Gouvernement,—Colon,—Entrepreneur-capitaliste.
En toute opération productive et surtout dans celles qui ont une grande portée, les principes d'une bonne morale et ceux de la science économique prescrivent une équitable répartition des bénéfices entre les agents qui concourent à son exécution. C'est fondé sur ces principes que nous procédons à la répartition des avantages et bénéfices entre les trois agents qui concourent à l'œuvre de la colonisation, gouvernement argentin,—colon européen,—entrepreneur-capitaliste, autrement dit entre les trois facteurs: Terre, travail, capital.
Notre système de colonisation organisée à production élevée comporte deux opérations distinctes, celle de la colonisation proprement dite, qui consiste à l'exploitation de la terre, et celle de l'élève du bétail. À la première de ces industries concourent le gouvernement et le colon; à la seconde le colon et l'entrepreneur-capitaliste qui fournit le capital des avances. Les avantages et bénéfices de la première de ces deux industries sont attribués au gouvernement et au colon seulement; les bénéfices de la seconde sont partagés entre le colon et l'entrepreneur-capitaliste. Définie ainsi la coopération des trois agents, nous allons procéder à la répartition des avantages et bénéfices entr'eux, tout en faisant une large part au colon.
Avantages que recueille le gouvernement argentin de notre système de colonisation.
Tout d'abord nous simplifions la coopération du gouvernement en réduisant son concours à celui d'une simple concession de terres, le dégageant de toute dépense à faire pour avances au colon, et réservant le capital qu'il emploie aujourd'hui à cet objet pour l'appliquer à la construction de chemins de fer dans les territoires nationaux pour la garantie d'un sept pour cent d'intérêt du capital à employer à cette œuvre d'une grande portée économique.
La colonisation officielle a rempli son rôle d'initiative et d'expérimentation, le gouvernement argentin peut abandonner aujourd'hui la continuation de l'œuvre à l'industrie privée, en ajoutant à la loi de colonisation un chapitre 8 ayant pour titre «des colonies à établir le long du chemin de fer.» Chapitre pour la rédaction duquel pourront servir de base les quelques articles que nous avons indiqués dans le cours de cette publication. (Voir page 24.)
Libre de tout engagement avec les colons, déchargé des dépenses que nécessite l'opération et des embarras de l'administration coloniale, charges qui incombent aux entreprises de colonisation, le gouvernement argentin verra s'accomplir sur une vaste échelle l'œuvre de la colonisation, si importante pour la prospérité et l'accroissement de puissance de son pays. Des colonies nombreuses s'établiront dans ses vastes et fertiles territoires; de nouveaux centres de consommation et de production se multiplieront; le mouvement et la vie se répandront dans ces immenses solitudes; et avec eux s'accroîtront la population et la richesse. La terre des environs augmentera de valeur et deviendra une source de revenus incalculables pour le trésor national; le commerce, l'industrie, les arts se développeront dans ces nouveaux centres de population, de consommation et de production de matières premières qui iront alimenter les ports, sur l'Océan Atlantique, de Saint-Antoine et de Bahia-Blanca, dont le mouvement commercial ne tardera pas à prendre un mouvement inespéré, le jour où le chemin de fer central de la Pampa, traversant ce vaste territoire, les mettra en communication directe avec le Chili et les provinces de l'Ouest.
BÉNÉFICES DE L'ENTREPRISE
AUTREMENT DIT DU FACTEUR CAPITAL
Le capital, sans lequel la colonisation, paralysée dans son action, par défaut d'outillage, ne peut donner que des résultats insignifiants, ou des insuccès affligeants, est représenté dans notre système de colonisation à production élevée par l'entrepreneur-capitaliste. Ce capital, nous l'avons proportionné à l'ample concession de terre, de 20 lieues carrées, faite par le gouvernement et à la masse de travail que fournit une famille de cinq membres au moins; nous avons voulu qu'il fût complet (9,500 francs par famille). Aussi avons-nous dû lui faire une large part dans les bénéfices. Ces bénéfices proviennent de deux sources: 1o ceux que lui attribue la loi sur la colonisation, savoir, concession de terre (20 lieues) un dix pour cent d'intérêt annuel, plus une prime de vingt pour cent sur le capital employé, soit 1,900 francs sur 9,500; 2o ceux qui proviennent de l'industrie du bétail, laquelle pour la première fois se trouve ajoutée à l'industrie agricole du colon; ce sont les bénéfices qui proviennent de cette double source que nous allons évaluer. Soit donc: 1o bénéfices attribués par la loi à l'entrepreneur-capitaliste. (Art. 98.)
| A—Concession de terre, 25 lieues carrées (art. 65, 98, 104), que nous réduisons à 20 lieues. | ||
| B—Intérêt de dix pour cent à payer annuellement par le colon, ci 950 fr. | ||
| C—Prime de vingt pour cent | 1,900 | francs. |
| à ajouter au capital 9,500, ci | 9,500 | francs. |
| Soit ensemble | 11,400 | francs. |
Ces bénéfices attribués par la loi de colonisation argentine au capital seraient déjà une rémunération suffisante. Mais voulant tirer parti de la grande étendue de terre à pâturage concédé par le gouvernement et du nombre de travailleurs que fournit la famille agricole, nous ajoutons à l'industrie agricole du colon, celle de l'élève du bétail si productive dans ces contrées à pâturage et à grands domaines, dont la contenance s'évalue par lieues carrées. Nous avons créé cette industrie sur le pied de 500 brebis, 20 vaches, 5 juments, pour chaque famille, soit pour une colonie de quarante familles 20,000 brebis, 800 vaches, 200 juments, et pour trois colonies à établir chaque année, 60,000 brebis, 2,400 vaches, 600 juments. Le produit devant être partagé par moitié entre le colon et l'entreprise; il s'agit maintenant d'évaluer la somme des bénéfices que cette industrie procurera à l'entreprise.
Observons d'abord que nos troupeaux des trois espèces d'animaux, brebis, vaches, juments, augmentent en nombre chaque année de cinquante pour cent environ par l'adjonction aux mères des femelles nées dans l'année et qui deviendront mères l'année suivante; or ce chiffre s'élève généralement à la moitié des naissances. Nous aurons ainsi sur les 500 agneaux nouveau-nés 250 femelles à ajouter aux 500 mères, soit 750 femelles pour la production de la seconde année, 1,125 pour celle de la troisième; ainsi progressivement pour les années suivantes. Même progression à appliquer aux vaches et juments. Nous avons donc une progression croissante des produits partant des bénéfices; et cela sans augmentation de frais; le pacage de vingt lieues carrées étant immense, et les animaux vivant nuit et jour dehors ne nécessitant pas de constructions d'étables. Appliquant la même progression aux mâles à livrer chaque année à la vente à l'âge d'un an, nous obtenons pour la première année 250 moutons, 375 pour la deuxième, 563 pour la troisième, 814 pour la quatrième, 1,765 pour la cinquième. Le prix ordinaire à cet âge étant cinq francs, on peut évaluer le produit annuel. Appliquant le même procédé de progression aux produits de la laine, des veaux et des poulains de deux ans, et réunissant leur somme à celle déjà calculée des agneaux, nous arrivons à avoir pour production de la première année, pour chaque famille, 2,300 fr.; pour la seconde année 3,475 fr.; pour la troisième 5,240 fr.; pour la quatrième 7,830 fr.; pour la cinquième 14,205 fr. Soit total de la production cheptel d'une famille durant cinq ans 33,050 fr. Déduisant maintenant de ce chiffre le dixième pour pertes, soit 3,305 fr., il reste 29,745 fr. à partager entre le colon et l'entreprise, soit 14,872 fr, pour chacun d'eux pour les cinq années.
| Chaque famille produisant 14,872 francs de cheptel à l'entreprise en cinq ans, les 40 familles, composant une colonie produiront 594,880 fr., ci., | 594,880 | fr. |
| À ce chiffre, nous devons ajouter les femelles des trois races ovine, bovine et chevaline, conservées pour la reproduction dont la valeur s'élève, pour la race ovine, à 341,600 fr.; pour la race bovine, à 117,000 fr., et pour la race chevaline, à 3,200 fr., soit, valeur en francs, des produits des femelles des trois races. | 461,800 | |
| Il nous reste à ajouter, à la somme de ces bénéfices, la valeur des 19 lieues carrées sur 20, concédées par le gouvernement, soit un minimum de dix mille francs la lieue, on aura, | 190,000 | |
| Soit, total des bénéfices cheptel produit à l'entreprise, pour une colonie de 40 familles (200 personnes) | 1,246,680 | |
| (Voir les tableaux du calcul des bénéfices à l'Appendice). | ||
| Pour trois colonies à établir chaque année × 3 = | 3,740,040 | |
| avec le capital 1,500,000 fr. | ||
| Pour quinze colonies à établir en cinq ans × 15 = | 18,700,200 | |
| avec le capital 7,500,000 fr. | ||
Les chiffres qui représentent ici les bénéfices de l'industrie du bétail, pour le compte de l'entreprise, n'offrent certainement pas l'exactitude désirable, ce qui est impossible à obtenir quand on opère sur des produits de valeur variable dans leur cours commercial. Ces chiffres se traduiront par un plus ou un moins dans la réalité. Ce qui est certain, c'est que le produit de vingt mille brebis, pour chaque colonie, celui de huit cents vaches et de deux cents juments, avec leur reproduction croissante de cinquante pour cent l'an, sera toujours considérable, quelque diminution qu'on fasse subir à mon appréciation. Ni les critiques malveillantes, ni le calculateur le plus sévère, ne pourront contester ce grand résultat. Nous avons indiqué le procédé de calcul à suivre pour l'évaluation des produits du cheptel. Que nos lecteurs veuillent bien se livrer à une étude attentive de la matière, et ils reconnaîtront que nous sommes restés éloignés de toute exagération.
Maintenant, si l'entreprise, se contentant du dix pour cent d'intérêt pour le capital employé et de la prime vingt pour cent qu'accorde la loi argentine sur le capital, se décidait à élargir le cercle de ses opérations, en appliquant à la construction des chemins de fer coloniaux les bénéfices produits par le cheptel, ce qui est possible à exécuter, on arriverait à construire, avec le capital de dix-huit millions de ces bénéfices, environ soixante lieues de chemins de fer, celui de Mercedes à Poitagué, par exemple, à continuer, plus tard, avec les mêmes ressources, jusqu'au port de Bahia-Blanca.
Le gouvernement argentin accordant une garantie d'intérêt de sept pour cent aux capitaux affectés à cette classe de travaux publics, l'entreprise bénéficierait ainsi d'une somme d'intérêt s'élevant à 1,402,254 francs par an, une fois la construction terminée, tout en restant propriétaire d'une voie ferrée de soixante lieues. Dans ces conditions, à quel chiffre s'élèveront les actions de l'émission 7,500,000 francs, appliquées à l'opération de colonisation? Je laisse la réponse à faire aux spéculateurs habituels de négociations de titres industriels à la Bourse.
Avantages et Bénéfices du Colon.
Le troisième agent de notre œuvre de colonisation à production élevée, c'est le colon, qui, avec sa famille, apporte à son exécution le puissant levier de la production, le travail, troisième facteur de notre formule économique. Le colon a donc un droit incontestable à la répartition de la richesse produite avec son concours. Cette part de richesse doit lui être accordée libéralement, largement, car c'est lui qui crée cette richesse avec ses bras et son intelligence, le capital n'étant que l'instrument du travail et la terre la matière à élaborer. Nous dirons même que le principal objet du colonisateur doit tendre à assurer la richesse du colon, car, de ce résultat ressortiront le prestige de l'opération, le succès de l'entreprise, la solution du grand problème d'économie sociale, l'extinction du paupérisme agricole européen.
Dans notre mode de répartition des profits, il est accordé au colon des avantages importants et des bénéfices grands et assurés:
1o Les avantages sont les suivants:
Avance de passage d'Europe aux colonies argentines;
Concession après cinq ans, à titre de propriété, d'un domaine de cinquante hectares, avec une maison d'habitation composée de deux pièces;
Avance de farines pour la subsistance de la famille durant la première année, des semences, une charrue, un char à quatre roues.....
Livraison, à titre de cheptel, de troupeaux d'animaux, savoir: 500 brebis, — 20 vaches, 5 juments, dont la moitié du produit lui appartiendra;
Le colon sera placé près d'un chemin de fer, conséquemment, transport facile des personnes, des marchandises, des produits agricoles aux grandes places commerciales et aux ports de mer de Buenos-Ayres, Bahia-Blanca, Saint-Antoine.
Il jouira des mêmes avantages sociaux qu'en Europe, de la liberté et de l'administration communale; avec une école pour l'instruction des enfants, une église pour ses pratiques religieuses;
Chaque colonie sera pourvue d'un magasin commercial pour la vente de divers denrées, de ferretterie, de quincaillerie, d'ustensiles de ménage et d'outils agricoles;
Il sera exempt, pendant dix ans, de la contribution directe (article 114 de la loi de colonisation);
Il sera libre dans son industrie, avec la seule condition de remplir les obligations du contrat.
2o Les bénéfices sont les suivants; ils résultent de la situation avantageuse faite au colon:
Tout le produit de l'industrie agricole et de tout autre appartiennent au colon;
La moitié du produit de l'élevage du bétail lui appartient durant cinq ans; nous avons vu plus haut que le chiffre de la moitié de ce produit pouvait être calculé à 14,000 francs pour les cinq ans.
Nous terminons ici l'exposition de notre système de colonisation à production élevée, à appliquer aux territoires immenses et de fertilité reconnue de la République Argentine. L'objet de notre travail consiste à ouvrir au cultivateur pauvre européen, une voie de salut praticable, facile à parcourir, qui lui permette d'échapper au goufre béant de la misère vers lequel il est entraîné, et de s'élever par son travail à l'aisance pour lui, à la fortune pour ses enfants. À cet effet, le gouvernement argentin nous offre libéralement, largement, la terre: ce qui est beaucoup, car cette libéralité est le pivot de notre combinaison, sa grande étendue permettant au capital d'élever son action productive à un degré de rémunération tel que toute autre opération ne saurait atteindre, et cela par le fait de l'adjonction à l'industrie agricole du colon, de l'industrie de l'élève du bétail, organisée sur une grande échelle: complétant ainsi l'outillage du travailleur agricole. Pour ce grand service rendu, nous devions au capital une large part dans la répartition des produits; c'est ce que nous avons fait, comme on l'a déjà vu, en nous conformant aux usages dans la pratique du cheptel et aux principes économiques. Donc, toute idée d'exploitation doit être écartée, et les énormes bénéfices que fait l'entreprise ne doivent être attribués qu'à l'importance du capital employé, à son application, à la multiplicité des opérations (40 par colonie), et à la combinaison bien ordonnée des trois facteurs: terre—travail—capital, élevés à leur puissance, et dont la résultante production (m) devait être la conséquence nécessaire.
Jamais, nous osons le dire, système de colonisation n'a été établi sur des bases aussi bien définies, aussi clairement déterminées et d'une aussi grande puissance de production; jamais entreprises de colonisation n'auront donné de si considérables résultats, jamais colons n'ont obtenu des conditions aussi avantageuses; jamais gouvernement n'a fait des concessions si libérales, mais aussi n'aura recueilli des résultats aussi grandioses.
Jamais capital aussi bien garanti, doté d'un intérêt satisfaisant et d'une prime équitable, n'aura produit une rémunération aussi considérable pour le service rendu durant la courte période de cinq ans. Jamais enfin situation aussi favorable n'a été offerte à la population agricole européenne pauvre.
Nous pourrons donc voir se réaliser, à une époque peu éloignée, les belles paroles prophétiques d'un notable écrivain de l'Amérique du Sud: «La rédemption de la race blanche se trouverait dans l'acquisition morale de tout un monde riche et vierge, d'un monde qui donnerait terre, travail, fortune.»
Andres LAMAS.
(Notice sur l'Uruguay).
C'est donc une œuvre philanthropique et économique de haute importance que nous conseillons d'entreprendre. Quand à ses résultats heureux, nul ne peut les contester. Les bénéfices, si réduits qu'ils soient ne peuvent se nier. Un fait incontestable, c'est l'intérêt dix pour cent par an et la prime de vingt pour cent sur le capital, alloués par la loi argentine au capital employé à la colonisation hypothéquée sur l'avoir mobilier et immobilier avancé au colon et sur une grande concession de terrain qui devient propriété de l'entreprise, dès le moment de l'installation de la colonie, c'est-à-dire au moment de l'application du capital.
Quant à nous, ouvriers de la première heure, dans ce genre d'entreprise de colonisation dans la République Argentine, notre conscience satisfaite nous dit que nous faisons une bonne œuvre et une bonne action.
Auguste BROUGNES,
Docteur en médecine, propriétaire du domaine de
Caixon, près Vic-Bigorre (Hautes-Pyrénées).
Caixon, le 20 novembre 1882.
PRODUIT DU CHEPTEL À REPARTIR ENTRE LE COLON ET L'ENTREPRISE
Produit annuel d'une famille agricole durant cinq ans.
| PRODUIT DES ANIMAUX | |||||
|---|---|---|---|---|---|
| Classe d'animaux | Années | Naissance | Femelles à conserver | Mâles à vendre | Produit de la vente |
| BREBIS 500 |
(5 fr.) | ||||
| 1re année | 500 | 250 | 250 | 1,250 f. | |
| 2e année. | 750 | 375 | 375 | 1,875 | |
| 3e année. | 1,125 | 562 | 562 | 2,800 | |
| 4e année. | 1,687 | 843 | 843 | 4,215 | |
| 5e année. | 2,530 | 1,765 | 1,765 | 8,825 | |
| 3,795 | 3,797 | 18,965 | |||
| Perte 1/10 à déduire. | 379 | 379 | 1,896 | ||
| 3,416 | 3,418 | 17,069 | |||
| VACHES 20 |
(50 fr. à 2 ans) | ||||
| 1re année | 20 | 10 | 10 | 500 | |
| 2e année. | 30 | 15 | 15 | 750 | |
| 3e année. | 45 | 22 | 23 | 1,150 | |
| 4e année. | 67 | 33 | 34 | 1,700 | |
| 5e année. | 100 | 50 | 50 | 2,500 | |
| 130 | 132 | 6,600 | |||
| Perte 1/10 à déduire. | 13 | 13 | 660 | ||
| 117 | 119 | 5,940 | |||
| JUMENTS 5 |
(25 francs.) | ||||
| 1re année | 5 | 3 | 2 | 50 | |
| 2e année. | 8 | 4 | 4 | 100 | |
| 3e année. | 12 | 6 | 6 | 150 | |
| 4e année. | 18 | 9 | 9 | 225 | |
| 5e année. | 27 | 13 | 14 | 350 | |
| 35 | 35 | 1,075 | |||
| Perte 1/10 à déduire. | 3 | 3 | 107 | ||
| 32 | 32 | 968 | |||
| VALEUR DU PRODUIT DE LA LAINE | |||||||
|---|---|---|---|---|---|---|---|
| Années | Nombre d'anim. | Quantité de laine de chaque animal (kil.) | Prix du kilo | Valeur | Total du produit des brebis | ||
| 1re année | 500 | 500 | 1 fr. | 500 | 1250 + | 500 = | 1750 |
| 2e année. | 750 | 750 | Id. | 750 | 1,875 + | 750 = | 2,625 |
| 3e année. | 1,125 | 1,125 | Id. | 1,125 | 2,800 + | 1,125 = | 3,925 |
| 4e année. | 1,687 | 1,687 | Id. | 1,687 | 4,215 + | 1,687 = | 5,902 |
| 5e année. | 2,530 | 2,530 | Id. | 2,530 | 8,825 + | 2,530 = | 11,355 |
| 6,592 | 6,592 | 25,557 | |||||
| Perte 1/10. | 659 | 659 | 2,555 | ||||
| 5,933 | 5,933 | 23,002 | |||||
| Produit du cheptel, de race ovine (brebis) durant cinq ans | 23,002 | fr. |
| Produit du cheptel, de race bovine, durant cinq ans | 6,600 | |
| Produit du cheptel, de race chevaline, durant cinq ans | 675 | |
| Total | 30,477 | fr. |
Produit du cheptel à repartir entre l'entreprise et le colon.
|
Produit de 1 colonie de 40 familles (200 personnes). Capital à employer, 500,000 francs. |
Brebis 60,000 | |||||||
| Vaches 2,400 | ||||||||
| Juments 600 | ||||||||
| Produit de 3 colonies Capital 1,500,000 |
||||||||
| ANNÉES | Produit annuel d'une famille de 3 personnes | TOTAL du produit, moins 1/10 pertes | MOITIÉ à entreprise | PRODUIT ANNUEL d'une colonie de 40 familles | PRODUIT ANNUEL de 3 colonies 120 familles | |||
| 1re année | Brebis: | V. agneaux | 1,250 | 1,750 | = 2,300 francs p. 1/10 230 = 2,070 |
1,035 | × 40 = | × 3 col. = |
| V. laine | 500 | 41,400 | 124,200 | |||||
| Vaches: Vente de veaux | 500 | |||||||
| Juments: Vente de poulains | 50 | |||||||
| 2e année | Brebis: | V. agneaux | 1,875 | 2,625 | = 3,475 francs p. 1/10 347 = 3,128 |
1,564 | 62,560 | 187,680 |
| V. laine | 750 | |||||||
| Vaches: Vente de veaux | 750 | |||||||
| Juments: Vente de poulains | 100 | |||||||
| 3e année | Brebis: | V. agneaux | 2,815 | 3,940 | = 5,240 francs p. 1/10 524 = 4,716 |
2,358 | 94,320 | 282,960 |
| V. laine | 1,125 | |||||||
| Vaches: Vente de veaux | 1,125 | |||||||
| Juments: Vente de poulains | 150 | |||||||
| 4e année | Brebis: | V. agneaux | 4,220 | 5,905 | = 7,830 francs p. 1/10 783 = 7,047 |
3,523 | 140,920 | 422,760 |
| V. laine | 1,695 | |||||||
| Vaches: Vente de veaux | 1,700 | |||||||
| Juments: Vente de poulains | 225 | |||||||
| 5e année | Brebis: | V. agneaux | 8,825 | 11,355 | = 14,205 francs p. 1/10 1,420 = 12,782 |
6,392 | 255,680 | 767,040 |
| V. laine | 2,530 | |||||||
| Vaches: Vente de veaux | 2,500 | |||||||
| Juments: Vente de poulains | 350 | |||||||
| 5 ans, 1 colonie Total. | 594,880 | 1,784,640 | ||||||
| 6e année | Ajouter: Produit de la vente, après cinq ans, des femelles conservées pour la reproduction des trois races, déduction faite du dixième pour perte. | |||||||
| Brebis, 3,416 à 5 f. | 17,080 | pour 1 famille: 23,730 | 11,865 | 474,600 | 1,423,800 | |||
| Vaches, 117 à 50 f. | 5,850 | |||||||
| Juments, 32 à 25 f. | 808 | |||||||
| Ajouter, produit de vente du terrain concédé. 19 lieues par colonie, à 10,000 fr. la lieue = | 190,000 | 570,000 | ||||||
| Id. Prime, 20 pour cent sur capital avancé au colon (9,500) soit 1,900 f. sur 40 familles = | 76,000 | 228,000 | ||||||
| Total général des bénéfices après cinq ans pour une colonie = | 1,335,480 | 4,006,440 | ||||||
| 10 % l'an,—plus bénéfice après cinq ans pour une colonie = | ||||||||
DIVIDENDE DU COUPON, 100 FR. SUR LE PRODUIT DE 3 COLONIES DURANT 5 ANS
| Années | Produit annuel de 3 colonies (francs) |
À repartir aux 15,000 coupons de 100 fr. | Dividende annuel | Dividende joint à l'intérêt dix pour cent. | ||||
| 1re année. | 124,200 | ÷ 15,000 coupons | 8 fr. 25 | c. | +10 pour cent d'intérêt | 18 fr. 25 | c. | |
| 2e année. | 187,680 | 12 fr. 50 | 22 fr. 50 | |||||
| 3e année. | 282,960 | 18 fr. 86 | 28 fr. 86 | |||||
| 4e année. | 422,760 | 28 fr. 18 | 38 fr. 18 | |||||
| 5e année. | 767,040 | 51 fr. 13 | 61 fr. 13 | |||||
| Total. | 1,684,740 | Total des dividendes. | 118 fr. 92 | c. | + 50 Id. | 168 fr. 92 | c. | |
| 6e année.—Produit des ventes de 3 colonies | ||||||||
| 1o des femelles de reproduction | 1,423,800 | f. | ||||||
| 2o du terrain colonial | 570,000 | |||||||
| 3o Prime 20 pour cent | 228,000 | ÷15,000 coupons | ||||||
| 2,221,800 | fr. | 148 fr. 12 | c. | |||||
| Produit du coupon 100 fr. en 5 ans | 317 fr. 04 | c. | ||||||
| Moyenne par an, durant 5 ans | 63 fr. 20 | c. | ||||||
Nous ne faisons pas entrer en ligne de compte les bénéfices qui résulteront de la vente de marchandises dans les magasins commerciaux établis dans les colonies, les bases de calcul manquant.
Quant aux frais d'administration, ils seront compris dans le tableau suivant de l'emploi du capital.