← Retour

Bref récit et succincte narration de la navigation faite en MDXXXV et MDXXXVI par le capitaine Jacques Cartier aux îles de Canada, Hochelaga, Saguenay et autres

16px
100%

The Project Gutenberg eBook of Bref récit et succincte narration de la navigation faite en MDXXXV et MDXXXVI par le capitaine Jacques Cartier aux îles de Canada, Hochelaga, Saguenay et autres

This ebook is for the use of anyone anywhere in the United States and most other parts of the world at no cost and with almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included with this ebook or online at www.gutenberg.org. If you are not located in the United States, you will have to check the laws of the country where you are located before using this eBook.

Title: Bref récit et succincte narration de la navigation faite en MDXXXV et MDXXXVI par le capitaine Jacques Cartier aux îles de Canada, Hochelaga, Saguenay et autres

Author: Jacques Cartier

Author of introduction, etc.: M. d' Avezac

Release date: May 1, 2004 [eBook #12356]
Most recently updated: December 14, 2020

Language: French

Credits: Produced by "La bibliothèque Nationale du Québec" and Renald Levesque.

*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK BREF RÉCIT ET SUCCINCTE NARRATION DE LA NAVIGATION FAITE EN MDXXXV ET MDXXXVI PAR LE CAPITAINE JACQUES CARTIER AUX ÎLES DE CANADA, HOCHELAGA, SAGUENAY ET AUTRES ***


RELATION ORIGINALE

de

JACQUES CARTIER


Lyon. Imprimerie de Louis Perrin



BREF RECIT ET SUCCINCTE NARRATION

DE LA

NAVIGATION

FAITE EN MDXXXV ET MDXXXVI

PAR LE CAPITAINE

JACQUES CARTIER

AUX ILES DE

CANADA

HOCHELAGE, SAGUENAY

ET AUTRES


RÉIMPRESSION FIGURÉE
DE L'ÉDITION ORIGINALE RARISSIME DE MDXLV
AVEC LES VARIANTES DES MANUSCRITS
DE LA BIBLIOTHÈQUE IMPÉRIALE


PRÉCÉDÉE
D'UNE BRÈVE ET SUCCINCTE
I N T R O D U C T I O N
HISTORIQUE
PAR M. D'AVEZAC


PARIS
LIBRAIRIE TROSS
PASSAGE DES DEUX PAVILLONS (PALAIS-ROYAL), N° 8.

1863



BREVE ET SUCCINCTE
INTRODUCTION HISTORIQUE.

I

Aucun peuple ne semble avoir tenu aussi peu de compte que les Français de la part légitime qui devait lui appartenir dans l'histoire des découvertes & de l'exploration des contrées lointaines; nul ne s'est montré si peu soucieux de la renommée que pourraient lui acquérir ses aventures maritimes ou ses pérégrinations terrestres; & tandis que d'autres nations sonnaient leurs plus éclatantes fanfares en l'honneur de leurs propres mérites, nous avons laissé perdre le souvenir des navigations & des voyages parallèlement accomplis avec moins de retentissement par nos aïeux, & qui nous sont quelquefois accidentellement révélés, à notre grand ébahissement, par les récits des étrangers. Qui donc, par exemple, nous pourra dire aujourd'hui quel était ce navire français dont l'arrivée à Canton est racontée sous la date de 1521 dans les Annales chinoises, à l'époque où le Portugal & l'Espagne prétendaient avoir seuls, par privilège, l'accès de ces mers! Bien d'autres de nos prouesses, surtout des plus anciennes, ont ainsi disparu, sans doute, de la mémoire des hommes.

Les entreprises officielles patronnées par le souverain ont presque seules échappé à ce total oubli des contemporains & de la postérité, mais pour beaucoup d'entre elles, c'est à grand'peine encore qu'il se peut recueillir quelques lambeaux des relations où elles étaient racontées.

Tel est précisément le cas pour le célèbre navigateur breton qui le premier alla planter le drapeau de la France aux lieux où s'élèvent maintenant Québec & Montréal: sur ses trois voyages au Canada, nous sommes redevables à un collecteur italien (Ramusio) de nous avoir transmis le récit du premier dans une version que nous tenons volontiers pour fidèle, comme nous devons à un collecteur anglais (Hakluyt) d'avoir sauvé les fragments mutilés du troisième dans une traduction que nous voulons bien supposer exacte; c'est uniquement pour le second voyage qu'il est parvenu jusqu'à nous une relation originale française, émanée de l'un des compagnons de Jacques Cartier, sinon de lui-même: & de l'édition qui en fut faite à Paris en 1545, les bibliographes ne connaissent plus en Europe qu'un seul exemplaire, conservé au musée Britannique; c'est là qu'il a fallu en aller prendre une exacte copie à l'intention des amateurs qui attachent du prix à ces vieilles reliques, pour la reproduire scrupuleusement dans le mince volume en tête duquel nous écrivons ces lignes.

II

Les côtes derrière lesquelles s'étendent les parages explorés, pour la première fois suivant toute apparence, par le célèbre malouin, avaient dès long-temps été reconnues, & la tradition a conservé la mémoire d'établissements fort anciens en quelques parties de ce vaste littoral qui s'étend, vis-à-vis de l'Europe occidentale, depuis les abords de la zone torride jusqu'aux froides régions arctiques.

Les enfants de la verte Erin, qui de nos jours émigrent en si grand nombre vers les Etats de l'Union américaine, avaient, comme aux Faer-oer & comme en Irlande, devancé pareillement sur cette marge extrême de l'Océan occidental, les aventuriers scandinaves, qui partout les rencontrèrent déjà établis; quand le chef islandais Are Marson, le trisaïeul du savant Are Froda, fut jeté par la tempête en 983 sur ces lointains rivages, que les sagas du Nord ont appelés Irland it Mikla, ou la Grande-Irlande, il y fut recueilli par une population chrétienne, qui le baptisa & le retint au milieu d'elle; c'est là que seize ans après vint se réfugier Bioern Asbrandson, s'arrachant à l'amour de la belle Thurida pour fuir la colère d'un frère offensé; & il avait passé vingt-huit années sur cette terre étrangère quand y aborda son compatriote Gudleif Gudlangson, parti de Dublin pour retourner en Islande, poussé par les vents du nord-ouest jusque par delà l'Océan, surpris d'y entendre encore les sons de la langue d'Erin, mais reprenant aussitôt la mer, grâce à l'entremise de Bioern, & emportant de la part du vieil exilé un anneau d'or pour sa bien-aimée Thurida, & une épée pour Kiartan, le fils qu'il avait eu d'elle.

A côté de ces vestiges des anciennes émigrations transatlantiques des Irlandais, leurs voisins les Gallois ont peut-être aussi une place à revendiquer pour eux-mêmes: du moins se conserve-t-il chez eux une certaine tradition des navigations occidentales de Madoc, le second des fils d'Owen Guynedd, un de leurs princes; fuyant les discordes intestines de sa propre famille, il partit en 1170 pour aller à la découverte vers ces lointains parages, y choisit un lieu à sa convenance où il débarqua cent vingt hommes, & revint équiper en Europe une flottille de dix navires pour transporter dans ce nouvel établissement tous les éléments d'une colonie permanente; mais là s'arrête la vieille légende, & quelques vers gallois du quinzième siècle ont seuls tardivement consacré le souvenir de l'entreprise de Madoc ap Owen.

III

Les établissements scandinaves offrent à notre investigation plus de certitude, de suite & de durée. L'islandais Biarne Hériulfson, écarté pendant une brume intense de sa route vers le Groenland où il allait retrouver son père, avait aperçu & côtoyé en 896 des terres inconnues vers l'occident, d'où il avait regagné en cinq journées de mer la demeure paternelle; le récit qu'il en faisait un jour, après plusieurs années, à la cour de Norvège, fit naître le regret qu'il n'eût pas effectué une reconnaissance plus exacte de ces contrées nouvelles; si bien qu'un de ses compagnons, Leif Erikson ayant résolu d'aller compléter sa découverte, lui acheta son navire, y embarqua trente-cinq hommes au printemps de l'an 1000, & vint atterrir à la côte signalée par Biarne, au point où celui-ci l'avait perdue de vue: ce n'était qu'un plateau rocheux & aride, Helluland, où l'érudition moderne a cru reconnaître Terre-Neuve; on reprit la mer, & l'on vint descendre, au bout de trois journées au sud-ouest, sur une terre plate & boisée, Markland, signalée par la blancheur des sables du rivage, telle que les instructions nautiques représentent l'Acadie; puis navigant encore deux journées au sud-ouest, on atteignit une ile, près de laquelle une péninsule s'avançait à l'est & au nord, comme on voit aujourd'hui le cap Cod dépasser au nord-est l'île Nantucket; Leif s'engagea dans le détroit, puis trouvant au-delà un lieu favorable, il forma près d'une petite rivière un établissement pour explorer à son aise le pays; & comme on rencontra dans les environs de Leifsbudir, la vigne croissant spontanément, on donna à cette contrée le nom de Vinland; c'est aujourd'hui le Rhode-Island & la région voisine. Après avoir pris un chargement de bois de construction, Leif revint au printemps de 1001 au Groenland, & pendant une douzaine d'années encore les frères Thorwald & Thorstein, sa belle-soeur Gudrida remariée à Thorfinn Karlsefne, & enfin sa vaillante soeur Freydisa, firent diverses expéditions semblables au Vinland; mais l'hostilité des sauvages indigènes les fit renoncer à poursuivre ces armements périodiques. D'autres, sans doute, les reprirent à leur tour, & les établissements fondés par Leif & par Thorfinn se développèrent à la longue d'une manière permanente, puisque l'évêque groenlandais Erik s'y rendit lui-même, en 1121 afin de pourvoir aux besoins spirituels de la colonie.

Les sagas du Nord ont conservé quelques autres traces des relations qui se continuèrent entre le Groenland & la côte opposée: en 1266 des navires furent envoyés en reconnaissance par delà les stations de pêche les plus avancées, jusqu'à la hauteur, pense-t-on, du détroit de Barrow; en 1285 deux ecclésiastiques islandais, Adalbrand & Thorwald Helgason, naviguaient à l'ouest jusqu'à Terre-Neuve, désignée en cette circonstance par les chroniqueurs sous le nom de Fundu-nyia-land, qui se retrouve tout entier dans la forme anglaise actuelle de New-Foundland; enfin, en 1347, un voyage de dix-sept Groenlandais au Markland fut contrarié au retour par une tempête qui entraîna le navire en Islande; & la narration qu'on en faisait en 1356 montre que le pays de Markland était alors encore fréquenté par les Scandinaves. Mais il n'en est plus question dans leurs histoires ultérieures.

IV

Un récit vénitien, venu à la lumière après un trop long oubli, peut néanmoins, sans trop de scrupule, être admis en appendice à la suite de ces souvenirs des navigations scandinaves; je veux parler des lambeaux d'une correspondance de famille émanée des frères Nicolas & Antoine Zéni, qui s'étaient établis vers 1390 aux Faer-oer, ou comme on disait alors, en Frislande, & naviguèrent successivement pendant une quinzaine d'années dans ces mers septentrionales.

Le dernier y recueillit, de la bouche d'un vieux pêcheur, la notice d'une terre lointaine dans l'ouest, nommée Estotiland, où vingt-six ans auparavant (vers 1380 à ce qu'il semble), il avait été jeté par une furieuse tempête; les habitants conservaient des rapports habituels avec le Groenland, & possédaient encore quelques livres latins, qu'ils ne comprenaient plus. Associé par eux, au bout de cinq années, à une expédition dans le sud, vers le pays de Drogio, une tempête le jeta plus loin, chez un peuple de sauvages cannibales qui le gardèrent esclave pendant de longues années, jusqu'à ce qu'après bien des vicissitudes il parvint à s'échapper de leurs mains & à regagner Drogio, d'où il revint après trois ans d'attente à Estotiland: il se livra alors au commerce entre ces deux contrées, s'y enrichit, & put terminer enfin sa longue odyssée en armant lui-même un navire pour retourner en Frislande.

C'est encore à ces relations de plus en plus rares, mais qui n'avaient jamais été complètement abandonnées entre les Etats scandinaves & leurs colonies du nord-ouest, que se rattache le souvenir de ce pilote norvégien, originaire de Pologne, Hans Koeln ou Ivan z'Kolna, c'est-à-dire Jean de Kolno en Mazovie, envoyé en 1476 pour ravitailler les stations du Groenland, & qui visita, dit-on, la côte opposée en pénétrant jusqu'à la grande baie qui devait recevoir longtemps après le nom de Hudson.

V

Il est naturel de penser qu'une notion plus ou moins précise, mais certaine & incontestée, de l'existence des régions transatlantiques tant de fois abordées par les marins du Nord, s'était conservée parmi eux, & les écrits d'Adam de Brème prouvent qu'elle avait même pénétré, dès le onzième siècle, jusqu'au sein de la Germanie. On devait la trouver d'autant plus vivante & plus assurée, qu'on s'élevait davantage vers les escales d'où étaient parties les plus fréquentes expéditions: il ne faut donc point se récrier contre la supposition que dans son voyage d'Islande en 1477, Christophe Colomb aurait recueilli en cette île des indices propres à exciter ou confirmer dans son esprit la conviction que l'Océan occidental pouvait être franchi par de hardis navigateurs, sûrs de trouver au-delà des rivages accessibles. Les théories du florentin Toscanelli avaient déjà, en 1477, soutenu cette thèse auprès des savants de Portugal, & lorsque Colomb parvint à les connaître quelques années après, vers 1481 suivant toute apparence, il n'hésita plus à se consacrer sans réserve à l'accomplissement du grand dessein d'aller par cette voie de l'occident à la rencontre des plages extrêmes de l'Asie orientale; mais il lui fallut l'immense courage de mendier encore pendant plus de dix années, auprès des rois de l'Europe latine, des vaisseaux que, nouveau Typhis, il pût conduire à la conquête de cette autre toison d'or. Serait-il vrai que, dans l'intervalle, un navigateur français, le capitaine Cousin, de Dieppe, porté à l'ouest en 1488, jusqu'à de lointains parages inconnus aurait alors atteint ou aperçu quelque point de la côte américaine? Rien ne se peut déduire avec précision des vagues indices que nous ont tardivement transmis à ce sujet d'insuffisantes traditions en admettant le fait comme certain, ce ne serait en définitive qu'un anneau de plus à compter dans la chaîne des découvertes au bout de laquelle vient se souder, à la fameuse date du 10 octobre 1492, la véritable prise de possession, par l'Europe, de l'hémisphère transatlantique, simplement jusqu'alors visité à l'aventure par les devanciers de l'immortel Génois.

VI

Pendant que Colomb, tout plein encore des illusions de ses rêves cosmographiques, s'ingéniait à retrouver dans l'archipel des Antilles le Zipan-gu & les domaines du grand kâân du Khatay, marqués à cette place sur la carte que lui avait jadis envoyée Toscanelli, un autre navigateur Italien, établi depuis longtemps en Angleterre au port de Bristol, Jean Cabot de Venise, S'étant élevé vers l'ouest durant un de ses voyages, arriva, le 24 juin 1494, en vue d'une terre & d'une ile inconnues, qu'il appela du nom de Saint-Jean, le patron du jour; & il revint solliciter une commission royale qui lui assurât le privilége de ses découvertes sous l'autorité de la Couronne d'Angleterre, ce qui lui fut accordé par lettres-patentes données à Westminster le 5 mars 1496. Il effectua en conséquence, en 1497, sur un navire armé à Bristol au compte du roi Henri VII, & accompagné de trois bâtiments marchands, un second voyage de trois mois, donc il était de retour au commencement d'août, après une navigation de trois cents lieues le long d'une côte où nul habitant ne s'était montré, & sur laquelle il avait planté la bannière britannique de Saint-Georges & le pavillon vénitien de Saint-Marc.

De nouvelles lettres royales, du 3 février 1498, l'autorisèrent alors à choisir dans les ports d'Angleterre jusqu'à six navires de charge destinés à transporter des colons aux terres & iles ainsi découvertes, & bientôt deux bâtiments armés aux frais du roi & portant trois cents hommes partirent pour cette destination sous les ordres de Sébastien Cabot, qui avait accompagné son père dans ses deux précédentes explorations; mais la rigueur de la saison, bien qu'on fût au mois de juillet, lui fit perdre une grande partie de son monde: arrêté par les glaces vers 56° à 58° de latitude, il descendit la côte jusqu'à la hauteur du détroit de Gibraltar, & n'ayant plus de vivres, il revint en Angleterre, ramenant avec lui trois sauvages, qui furent présentés au roi quelque temps après.

L'insuccès de cette expédition, la mort de son père, & peut-être des compétitions rivales, éloignèrent pour longtemps Sébastien Cabot de ces entreprises. Passé au service de l'Espagne, mais revenu momentanément en Angleterre à la mort de Ferdinand le Catholique, on le revit seulement en 1517, sur les vaisseaux de Henri VIII, recommencer, en compagnie de sir Thomas Pert, vice-amiral d'Angleterre, une exploration de la côte qu'il avait déjà trois fois visitée, atteindre le 11 juin une latitude de 67° 30', & se trouver forcé par la timidité du commandant & l'opposition des équipages, de renoncer à pousser plus loin ses découvertes, bien que la mer parût encore libre devant eux.

VII

Les découvertes anglaises de 1497 & l'essai de colonisation de 1498, bientôt connus en Espagne & en Portugal, y éveillèrent la crainte d'une concurrence inattendue dans la recherche des richesses dont on s'était promis la possession exclusive, & des expéditions y furent aussitôt projetées à l'encontre de cette méconnaissance de leurs prétendus droits.

On a cru retrouver dans une lettre royale datée de Séville le 6 mai 1500, & dans quelques autres circonstances douteusement significatives, les indices d'une entreprise méditée par l'Espagne, mais qui n'eut point alors de suites sérieuses.

Le Portugal fut plus actif: une expédition fut confiée dès l'année 1500, par le roi Emmanuel à Gaspard Cortereal, qui partit de Tercère avec deux navires, s'avança tout d'abord jusqu'à 50° de latitude ou davantage, & reconnut, jusqu'à un fleuve chargé de glaçons, Rio Nevado, la grande terre qui fut alors appelée de son nom & que l'on désigne aujourd'hui sous celui de Labrador. Revenu heureusement à Lisbonne, il en repartit l'année suivante avec ses deux navires; se dirigeant à l'ouest nord-ouest, il trouva la terre à une distance de deux mille milles, & courut l'espace de six à sept cents milles encore le long d'une côte, arrosée de fleuves nombreux & couverte de grands bois, qu'il supposa devoir être la continuation de celle qu'il avait vue dans le nord l'année précédente, mais jusqu'à laquelle il ne pouvait tenter d'arriver cette fois, à cause des glaces: le pays était très-peuplé, & il ne se fit pas scrupule d'y enlever un certain nombre d'habitants, dont il garda cinquante à son bord, & plaça huit autres sur la seconde de ses caravelles. Celle-ci rentra à Lisbonne le 8 octobre 1501, mais l'autre, attendue d'heure en heure, de semaine en semaine, ne reparut plus. Michel Cortereal résolut d aller à la recherche de son frère, & partit au printemps de 1502 avec trois navires pour aller fouiller séparément toutes les rivières de la côte, fixant au 20 août un rendez-vous général en un lieu convenu, pour le retour; mais il ne s'y trouva point lui-même, & les deux autres navires, après l'avoir vainement attendu, revinrent seuls en Portugal, où l'on n'eut plus aucune nouvelle de son sort.

Dans l'intervalle, d'autres Portugais des Açores, Jean Gonçalves, Jean & François Fernandes, s'associaient à des armateurs de Bristol, Richard Warde, Thomas Ashehurste & Jean Thomas, pour une expédition de découverte en ces parages, & obtenaient avec eux à cet effet, du roi Henri VII, des lettres de privilége, données ä Westinster le 19 mars 1501, en conséquence desquelles deux voyages paraissent avoir été exécutés cette même année & la suivante. A la fin de celle-ci, une nouvelle association fut concertée pour le même objet entre les deux Portugais Jean Gonçalves & François Fernandes, & les deux armateurs de Bristol Hugues Elyot & Thomas Ashehurste, qui obtinrent pareillement des lettres royales données à Westminster le 9 décembre 1502, & en vertu desquelles paraissent avoir été exécutés en 1503, 1504, & 1505 des voyages successifs, dont on retrouve quelque trace, comme pour les deux précédents, dans les comptes de dépenses de la cassette particulière du roi Henri VII: on peut même conjecturer qu'il se tentait dès lors de nouveaux essais de colonisation, puisqu'un prêtre faisait partie de l'expédition de 1504.

VIII.

Les Français, de leur côté, pratiquaient aussi, dès cette époque, les mers qui baignent la côte orientale des deux Amériques; sans nous arrêter à parler de leurs navigations australes, bornons-nous a rappeler ici leurs expéditions de pêche & leurs explorations privées en ces parages où l'autorité royale vint si tardivement donner une consécration publique à leurs efforts. Nous ne chercherons même pas à recueillir de simples traditions ou de vagues indices plus ou moins dignes d'un examen sérieux: nous voulons nous en tenir à des témoignages explicites & formels.

C'est à la collection italienne de Ramusio qu'il nous faut recourir pour retrouver, sous un vêtement étranger, avec le titre pompeux de grand capitaine de mer, un français de Dieppe, dans lequel il nous est permis de reconnaître l'astronome & pilote Pierre Crignon, qui fut le compagnon des frères Parmentier dans leur voyage de 1529 à Sumatra, & qui avait également navigué sur les côtes du Brésil & de Terre-Neuve.

En décrivant cette dernière, qui s'étend, continent & îles, du 40° au 60° degrés de latitude sur une longueur de trois cent cinquante lieues, il fait remarquer la brisure accusée par le cap Ras entre la direction de la côte méridionale qui se refuse vers l'ouest, & celle de la côte boréale qui court vers le nord. Aux Portugais est due la découverte des soixante-dix lieues environ de littoral comprises entre le cap Ras & le cap de Boavista; tout ce qui est au sud du cap Ras a été exploré en 1504 par ses Normands, & par les Bretons, qui y ont laissé leur nom à un cap bien connu; tout ce qui est au nord du cap de Boavista a été relevé pareillement par les dits Normands & Bretons: le capitaine Jean Denys, de Honfleur, avec le pilote Camart, de Rouen, y conduisit son navire en 1506, & en rapporta, dit-on, une carte assez étendue; puis, en 1508, le capitaine Thomas Aubert, commandant le navire la Pensée, armé par Jean Ango, père du célèbre gouverneur de Dieppe, y transporta le premier des colons normands.

Dix ans après, en 1518, suivant l'interprétation commune, mais peut-être en réalité quelques années plus tard, fut entreprise une expédition analogue «par le sieur baron de Léry & de Saint-Just vicomte de Guen, lequel ayant le courage porté à choses hautes, désiroit s'establir par delà & y donner commencement à une habitation de François» il s'était approvisionné d'hommes & de bestiaux, & fit voiles jusqu'à l'île de Sable en face des pêcheries bretonnes; mais la longueur du voyage l'ayant trop longtemps tenu sur la mer, il fut contraint de décharger là son bestail, vaches & pourceaux, faute d'eaux douces & de pâturages»; & cette expédition avortée n'eut d'autre résultat que d'avoir jeté sur cette terre aride des animaux qui s'y multiplièrent graduellement, & devinrent, longtemps après, une ressource inespérée pour d'autres Français qu'une fortune de mer devait un jour condamner à y séjourner cinq ans entiers dans un déplorable abandon.

Jusqu'alors, ce n'étaient que des expéditions privées.

IX

Enfin le roi de France se détermina à prendre lui-même sa part dans le lotissement des terres d'outre-mer que se faisaient à leur guise les autres souverains de l'Europe occidentale, & il envoya officiellement à son tour, à la découverte des pays transatlantiques où il lui conviendrait de prendre pied.

Le temps était déjà loin, où l'on avait cru retrouver en ces contrées le Japon, la Chine & les Indes d'Asie: les navigations de Cabot dans le nord, comme celles de Vespuce dans le sud avaient démontré qu'il s'agissait en réalité d'un monde nouveau; & bien qu'on le crût réuni à ses dernières limites aux régions boréales asiatiques, l'extension des conquêtes espagnoles dans l'ouest, & la circumnavigation de Magellan, avaient appris qu'il y avait au-delà de ce nouveau continent une autre mer par laquelle on arrivait à l'Orient véritable, si plein de richesses & de merveilles: quelque passage, moins éloigné que le détroit franchi par l'escadre castillane, pouvait exister sur l'immense ligne des côtes américaines, & conduire par une voie plus courte à ces iles des épices, objet de tant de convoitises rivales.

François 1er mit en 1523 aux ordres du florentin Jean Verrazzano quatre navires pour aller à la recherche d'un tel passage & prendre possession des terres où il serait possible de le rencontrer. Mais une tempête fit avorter les premières tentatives; les vicissitudes de la guerre & de la mer ne laissèrent au navigateur la faculté d'effectuer son exploration que dans une seconde campagne & avec une seule nef, la Dauphine sur laquelle il partit définitivement de Madère le 17 janvier 1524 pour aller atterrir à la fin de février vers 34° de latitude, sur une côte inconnue qu'il longea l'espace de cinquante lieues en tirant au sud sans y découvrir aucune baie; ce qui lui fit reprendre la bordée du nord, & suivre ensuite le littoral à l'est & au nord-est jusqu'au parallèle de 41° 40' descendant à terre par intervalles, pour reconnaître le pays, où la vigne croissait en abondance, & les habitants, dont le teint était généralement foncé & les moeurs hospitalières; il rencontra enfin une belle a grande rivière, aux eaux profondes, aux pittoresques rivages (le Hudson), d'où un orage soudain le força de s'éloigner à son grand regret, pour ne s'arrêter qu'après une course de quatre-vingts lieues encore droit à l'est, où il rencontra une ile triangulaire semblable à celle de Rhodes, qu'il appela Louise, du nom de la mère du roi de France, & derrière laquelle s'ouvrait une baie commode; Narraganset habitée par une population beaucoup plus blanche que toutes les autres & qui lui fit l'accueil le plus cordial. Après avoir joui pendant quinze jours de cette gracieuse hospitalité, il reprit sa route le 6 mai, longeant une côte qui s'élevait progressivement & se couvrait de bois touffus habités par un peuple brun & farouche, puis une terre nue & rocheuse bordée d'un grand nombre d'iles; jusqu'à ce qu'arrivé à 50° de latitude, ayant consommé toutes ses munitions & ses vivres, il revint en France, & écrivit en rade de Dieppe le compte-rendu de son voyage, qu'il adressa au roi le 8 juillet 1524.

On raconte que dans une expédition ultérieure aux mêmes parages, Verrazzano étant descendu à terre sans assez de précaution, fut saisi par les sauvages, & servit de pâture à un horrible festin. Avait-il immédiatement reçu de François Ier une nouvelle mission, on ne sait. D'autres soucis étaient venus absorber les pensées du monarque, & le prisonnier de Pavie n'eut bientôt plus le loisir de songer de long-temps à la poursuite de ses projets d'établissement outremer.

X

L'Espagne, au contraire, triomphait, & pendant que Fernand Cortez adressait de Mexico, le 18 octobre 1524, à l'empereur Charles-Quint, un rapport où il développait l'idée de faire explorer à la fois la côte atlantique depuis la Floride jusqu'aux Bacalaos, & la côte opposée sur l'Océan pacifique, pour trouver le secret de ce passage que Verrazzano était allé découvrir; un pilote portugais au service de l'Espagne, déserteur de l'expédition de Magellan & repoussé de celle de Loaysa, Etienne Gomes de Porto, obtenait à Séville, à la fin de cette même année, l'autorisation d'aller explorer aussi, sur les traces de Verrazzano, le littoral compris entre la Floride & les Bacalaos. Le comte Fernand d'Andrade, le docteur Beltram, le riche Chistophe de Haro, lui armèrent un petit navire avec lequel il partit de la Corogne au commencement de 1525, alla toucher à Cuba & à la pointe de la Floride, & remontant au nord, explora particulièrement la côte comprise de 40° à 41° de latitude, un peu en-deçà & un peu au-delà, y enleva un grand nombre d'habitants pour en faire des esclaves, poussa ensuite sa navigation, à ce qu'on dit, jusqu'au cap Ras, & revint, après une absence de dix mois, désarmer à la Corogne, d'où il se rendit à Tolède en novembre, précédé de la fausse nouvelle qu'il apportait du girofle, tandis qu'il n'amenait en réalité que des esclaves: méprise née d'un jeu de mots involontaire qui avait substitué clavos à esclavos. Et les cosmographes espagnols donnèrent le nom de Tierra de Estévan Gomez à la contrée qu'il avait reconnue & pillée, entre celle du licencié Luc Vasquez de Ayllon & les pêcheries bretonnes.

XI

Les Anglais de leur côté renouvelèrent leurs tentatives: un riche commerçant de Bristol établi à Séville, fils de l'un des associés de Hugues Elyot dans l'armement de 1503 pour Terre-Neuve, Robert Thorne, qui venait de prendre un intérêt matériel considérable dans l'entreprise de Sébastien Cabot par le sud en 1526, adressait peu de temps après au roi Henri VIII, un mémoire pour signaler à son attention l'avantage que l'Angleterre aurait sur les Espagnols & les Portugais si elle découvrait un passage par le nord-ouest vers les îles aux épices; & sur l'invitation du révérend Edouard Lee, envoyé de Henri VIII auprès de Charles-Quint, il remettait à cet ambassadeur des considérations étendues & développées, pour le même objet.

Quelle qu'ait pu être l'influence de ces écrits sur les déterminations royales, toujours est-il que deux navires, le Samson & la Mary de Guilford, quittant la Tamise le 20 mai 1527, & partant définitivement de Plymouth le 10 juin, sous le commandement de Jean Rut, firent voile vers le nord jusqu'au 1er juillet, qu'ils furent assaillis dans la nuit par un violent orage; la tempête les sépara, & fit probablement sombrer le Samson, qui ne reparut plus; deux jours après par 53° de latitude, la Mary, drossée par les glaces redescendait vers 52° elle aperçut la terre; elle atteignit un havre bien abrité, & s'y arrêta dix jours pour faire de l'eau. Comme, au départ des deux navires, le rendez-vous avait été donné en cas de séparation accidentelle, au cap de Sper de Terre-Neuve, où l'on devait s'attendre mutuellement durant six semaines, Rut gouverna au sud pour s'y rendre, & vint mouiller le 3 août dans la baye de Saint-Jean, où il trouva onze navires de pêche normands, un breton & deux portugais; de là il écrivit au roi pour lui rendre compte des évènements, pendant que le mathématicien de l'expédition, Albert de Prato, chanoine de Saint-Paul de Londres, écrivait de son côté, le 10 août, au cardinal Wolsey légat du saint-siége.

C'est chez les historiens espagnols des Indes occidentales qu'il faut chercher les traces ultérieures de cette expédition avortée: on y trouve signalée l'apparition, aux Antilles, d'un navire anglais, armé en même temps qu'un autre pour aller par le nord au pays du grand khan, séparé de son compagnon par la tempête, arrêté dans sa route par les glaces, redescendu aux Bacalaos où il avait rencontré jusqu'à cinquante bâtiments de pêche espagnols, français & portugais, ayant vu son pilote (un piémontais, peut-être précisément ce même Albert de Prato dont il vient d'être question) massacré par les sauvages sur une côte inhospitalière, venu ensuite le long du littoral jusqu'à la rivière de Chicora, de là gagnant la Jamaïque, repoussé de Saint-Domingue à coups de canon, & reprenant enfin la route d'Angleterre.

Les souvenirs que Hakluyt put recueillir long-temps après de la bouche de quelques contemporains, c'est que le navire parti de la Tamise le 10 mai 1527 était rentré au port vers le commencement d'octobre de la même année.

XII

Quand la paix de Cambrai eut rendu à François 1er le loisir d'aviser à l'administration de son royaume, il put reprendre ses desseins d'exploration & d'établissement dans le nouvel hémisphère: c'était un moyen encore de lutter contre son hautain & trop heureux rival. Il accueillit donc avec faveur la demande qu'un capitaine de navire de Saint-Malo, Jacques Cartier, adressait en 1533 à Philippe de Chabot, seigneur de Brion, comte de Buzançois & de Charny, amiral de France, d'être envoyé au compte du roi pour continuer l'entreprise de découverte & de colonisation confiée neuf ans auparavant à Jean Verrazzano.

Deux navires, du port de soixante tonneaux, ayant chacun soixante & un hommes d'équipage, furent en conséquence mis sous ses ordres; & le vice-amiral Charles de Mouy, seigneur de la Meilleraye, ayant pris au nom du roi le serment de tous les gens de l'expédition, elle partit de Saint-Malo le 20 avril 1534, & vint atterrir le 10 mai suivant à Terre-Neuve, près du cap Boavista, mouillant ä cinq lieues de là vers le sud, dans un port qui reçut le nom de Sainte-Catherine; on remonta ensuite la côte vers le nord pour entrer dans le golfe des Châteaux, c'est-à-dire le détroit actuel de Belle-Isle, & le nom de Sainte-Catherine (qui était peut-être celui d'un des navires) reparut une seconde fois pour désigner l'île même qui signale cette ouverture.

A partir de ce point, Cartier longea vers l'ouest la côte méridionale du Labrador, jalonnant çà & là sa route de quelque nom breton, tel que Brest ou Saint-Servan, au milieu de beaucoup d'autres, jusqu'à la baie de Shecatica, qui sut appelée port de Jacques Cartier. Comme le golfe allait s'élargissant de plus en plus, il voulue en reconnaître la rive opposée, & il vint aborder au cap Double, la pointe Riche de nos jours, pour descendre ensuite la côte jusqu'à un cap qu'on atteignit le 24 juin & qu'on appela pour cette raison cap de Saint-Jean, aujourd'hui cap de l'Anguille. De là, tournant à l'ouest, on toucha successivement à diverses iles, à l'une desquelles fut laissé le nom de Brion, en l'honneur du grand-amiral qui avait patronné l'expédition, & l'on arriva au fleuve des Barques (la rivière Miramichi); on remonta en suite au nord en explorant la baie des Chaleurs, dont l'entrée est signalée au delà par le cap de Prato (aujourd'hui cap Farillon), où l'on serait tenté de chercher un souvenir du pilote piémontais massacré dans l'expédition anglaise de 1527. Puis, coupant le détroit de Saint-Pierre (entre Gaspé & Anticosti) on regagna les terres septentrionales près de la résidence du chef sauvage Tiéno, au cap actuel de Montjoli, & prenant désormais à l'est pour s'en retourner, on franchit de nouveau le détroit de Belle-Isle le jour de l'Assomption, & l'on rentra à Saint-Malo le 5 septembre.

XIII

Le rapport que fit aussitôt Cartier, des résultats de ce premier voyage, fut très-bien accueilli, & dès le 30 octobre suivant le grand-amiral lui faisait expédier, sous son propre seing, une nouvelle commission «du voulloir & commandement du Roy, pour conduire, mener, & employer troys navyres équippez & advitaillez chascun pour quinze mois, au parachèvement de la navigation... jà commencée à descouvrir oultre les terres neusves, & en iceluy voyage essayer de faire & accomplir ce qu'il a plu à mondit seigneur... commander & ordonner.»

Cartier ayant tout disposé pour l'exécution de sa nouvelle mission, partit de Saint-Malo le 19 mai 1535, &, contrarié par les vents dans sa traversée, n'arriva que le 7 juillet à l'isle aux Oiseaux, d'où il se rendit au détroit de Belle-Isle pour y attendre ses deux conserves, qui le rejoignirent le 26 juillet; il prit alors à l'ouest vers le cap de Tiéno, où il était le 31 juillet, poursuivit la même route jusqu'au 10 août, à l'entrée de la rivière actuelle de Saint-Jean, qu'il appela baie de Saint-Laurent, en l'honneur du patron du jour; & allant ensuite visiter la grande île de Natiscotec (ou Anticosti, comme prononce le vulgaire) il y aborda le 15 août & lui donna en conséquence le nom de l'Assomption.

Du côté du sud elle faisait face au pays de Honguedo, où commençait la grande rivière conduisant à Canada & à Hochelaga, qu'il résolut de remonter, en reprenant son exploration de la rive septentrionale depuis la baie de Saint-Laurent. Il rencontra d'abord sept iles qu'il appela les iles Rondes, puis les îles du Bic auxquelles il donna le nom d'îlots de Saint-Jean; le 1er septembre il reconnut l'entrée de la grande rivière de Saguenay & les deux iles (l'île Blanche & l'ile Rouge) qui lui font face. Poursuivant sa route, il s'arrêtait le 6 septembre sur une île couverte de coudriers, laquelle conserve encore le nom d'ile aux Coudres qu'il lui donna, & le lendemain il atteignit un amas d'iles, où commençait le pays de Canada. La plus grande était chargée de vignes, ce qui la lui fit appeler d'abord ile de Bacchus; mais il préféra ensuite le nom d'île d'Orléans, qui lui est resté. Au bout se trouvait un endroit convenable pour le mouillage de ses navires: il s'y arrêta le 14 septembre, jour de l'Exaltation de la Sainte-Croix, dont ce lieu prit le nom; c'est la rivière Saint-Charles d'aujourd'hui. Tout auprès était Stadacone, résidence royale du chef de Canada, remplacée maintenant par la ville de Québec, dont le faubourg Saint-Jean est assis précisément à l'endroit où gisait l'ancienne capitale des sauvages.

Après avoir pourvu à la sûreté de ses navires dans le havre de Sainte-Croix, Cartier résolut de pousser sa reconnaissance dans le haut du fleuve jusqu'à Hochelaga avec le plus petit des trois bâtiments & les embarcations. Parti le 19 septembre, il navigua sans interruption jusqu'au 28, qu'il atteignit les domaines du chef Ochelay, à l'entrée d'une rivière où le courant était rapide & dangereux (la rivière Richelieu d'aujourd'hui), & bientôt après un grand lac formé par l'élargissement du fleuve (le lac Saint-Pierre actuel); là il lui fallut laisser le navire pour continuer de remonter avec les embarcations seules, & le 20 octobre on arrivait à Hochelaga, au-dessous des rapides impétueux appelés aujourd'hui le courant de Sainte-Marie. La capitale était assise au pied d'une montagne bien cultivée, qui reçut le nom de Mont-Royal, lequel s'est perpétué à la même place sous la forme de Montréal, ainsi qu'on appelle maintenant le chef-lieu du Haut-Canada.

En redescendant le grand fleuve, il remarqua, le 7 octobre, un affluent de la rive septentrionale dont l'entrée était signalée par quatre petites îles boisées, & auquel il donna le nom de Fouez (c'est-à-dire de Foix), qu'a remplacé celui de Trois-Rivières. Quatre jours après il rentrait au havre de Sainte-Croix, où les matelots des deux navires restés au mouillage avaient pendant son absence élevé un fort. Il y passa tout l'hiver, très-maltraité par le scorbut, qui lui enleva vint-cinq de ses compagnons, & aurait fait de plus grands ravages si les indigènes ne lui eussent enseigné un remède souverain dans la décoction des feuilles & de l'écorce d'épinette blanche ou de pesse du Canada (pinus alba de Linné). Enfin, le 6 mai 1536, il appareilla pour retourner en France, abandonnant la carcasse d'un de ses navires, faute de monde pour le réarmer. Les restes en ont été retrouvés dans la vase par les habitants de Québec, le 26 septembre 1843, & quelques fragments en ont été envoyés, comme une précieuse relique, au musée de Saint-Malo.

Le 21 mai Cartier reconnaissait Honguedo, puis le cap de Prato, d'où il gagnait l'île de Brion, & le 1er juin, prenant au sud-est, il touchait successivement à deux pointes de terre qu'il appela le cap de Lorraine & le cap de Saint-Paul, au nord & à l'est de l'ile du cap Breton; il abordait ensuite à Terre-Neuve dans une anse qu'il appela le havre du Saint-Esprit, & qui n'est autre que le port aux Basques de nos jours: puis il rangeait la côte jusqu'aux îles de Saint-Pierre, où il rencontra plusieurs navires français, & prenant enfin le large au sortir du hâvre de Rognouse ou baie des Trépassés, il rentrait à Saint-Malo le 16 juillet suivant.

XIV

Pendant que Cartier faisait sa traversée de retour, il se croisait avec une expédition anglaise composée de deux navires, la Trinité & le Mignon, montés par une association de gens distingués tenant à la cour & à la magistrature, réunis sous la direction de maître Hore, homme de grand courage & fort adonné à l'étude de la cosmographie, pour aller tenter des découvertes dans le nord-ouest: partis de Londres à la fin d'avril 1536, ils mirent plus de deux mois à atteindre le cap Breton, d'où ils gagnèrent l'île aux Pingouins, & s'élevèrent ensuite fort avant dans le nord, au milieu des glaces; mais la disette de vivres devint telle parmi eux, qu'ils étaient réduits aux dernières extrémités quand apparut un navire français bien approvisionné; ils parvinrent à s'en emparer par la ruse, & s'esquivèrent aussitôt pour retourner en Angleterre, où ils arrivèrent à la fin d'octobre, & ne purent être rejoints que plusieurs mois après par les Français qu'ils avaient dépouillés, & que le roi Henri VIII prit le parti d'indemniser de ses propres deniers.

En France, où Cartier avait ramené quelques sauvages canadiens, on s'occupait de les instruire, afin de trouver en eux des interprètes & des auxiliaires pour la civilisation de leurs compatriotes: ils furent baptisés le 25 mars 1538; mais le changement de climat leur devint funeste, & ils moururent tous sauf un seul (une jeune fille) avant qu'on pût tirer d'eux aucun service. Malgré ce désappointement, une nouvelle expédition fut résolue par l'intervention active d'un gentilhomme picard, Jean-François de la Roque sieur de Roberval, que le roi, par lettres du 15 janvier 1540, nomma son lieutenant général ès terres neufves de Canada, Hochelaga & Saguenay & autres circonvoisines. Des lettres royales, données à Saint-Prix le 17 octobre suivant, instituèrent Jacques Cartier capitaine général & maître pilote de tous les navires & vaisseaux qui seraient envoyés pour cette entreprise.

Cinq navires jaugeant ensemble quatre cents tonneaux ayant été convenablement disposés en conséquence, Cartier partit de Saint-Malo le 23 mai 1541, laissant en France Roberval, qui devait le rejoindre bientôt avec le complément du matériel destiné à la fondation de l'établissement projeté. Cartier se trouvait le 23 aoùt au hâvre de Sainte-Croix; mais il préféra pour l'hivernage de ses vaisseaux un autre endroit à quatre lieues plus loin, à l'entrée d'une rivière près du cap Rouge, où il construisit un fort & des magasins, auxquels il donna le nom de Charlesbourg royal; après quoi il renvoya en France deux de ses navires, sous les ordres de Macé Jalobert son beau-frère, & d'Etienne Noël son neveu, qui partirent le 2 septembre. Il alla lui-même reconnaître au-dessus de Hochelaga les sauts ou rapides qui barrent le cours du fleuve, revint hiverner au fort, & n'ayant aucune nouvelle de Roberval à la fin de Mai 1542, il prit le parti de s'en retourner en France. Ayant relâché au hâvre Saint-Jean, sous le cap Double, il y rencontra Roberval qui arrivait enfin avec deux navires, mais il se refusa à remonter avec lui, & vint désarmer à Saint-Malo, où on le voit, le 21 octobre, tenir sur les fonts baptismaux la tille du lieutenant de Roi gouverneur de cette ville.

A quelque temps de là, sur l'ordre du Roi, qui rappelait Roberval en France, Cartier partit de rechef de Saint-Malo au printemps de 1543 pour aller chercher les restes de cette expédition avortée, & rentra définitivement à Saint-Malo après une absence de huit mois.

Et l'idée d'un établissement français au Canada demeura désormais abandonnée pendant plus d'un demi-siècle.

XV

Après cette revue de toutes les navigations européennes vers les rivages transatlantiques du nord-ouest, depuis les plus anciennes traditions qui nous soient parvenues, jusqu'à la dernière de celles où figure le nom de Jacques Cartier, il ne nous reste que peu de mots à dire sur la personne du célèbre pilote malouin, & sur les lambeaux qui ont été recueillis de ses relations.

Un vieux marin de Saint-Malo, plein de zèle & de patriotisme, Charles Cunat, avait recouvré la vigoureuse ardeur de ses jeunes années, pour fouiller les archives de toute sorte qui se pouvaient trouver à sa portée dans sa chère ville natale; & ce qu'il n'y a point découvert, nul autre sans doute ne l'y saurait rencontrer. Aussi loin qu'il a pu remonter dans les actes de l'état-civil qui existent encore, il a entrevu un Jehan Cartier, qui de son mariage avec Guillemette Baudoin avait eu six enfants, dont l'aîné, Jamet ou Jacques, né le 4 décembre 1458, eut à son tour, de son mariage avec Jesseline Jansart, un fils né le 31 décembre 1494, lequel n'est autre que le célèbre navigateur Jacques Cartier, marié lui-même en 1519 avec Catherine des Granches, fille de Jacques des Granches connétable de la ville & cité de Saint-Malo, mais de laquelle il n'eut point de postérité.

Après qu'il eut renoncé à la navigation, il habitait pendant l'hiver, dans la ville de Saint-Malo, une maison située «jouxte l'hôpital Saint-Thomas», mais dont il ne reste depuis longtemps aucun vestige; l'été il se retirait dans le domaine seigneurial de Limoilou, au village ainsi appelé, où son château conserve encore le nom de Portes Cartier.

Il avait eu à soutenir, après le retour de Roberval, une instance dans laquelle on lui demandait compte des deniers dont il avait eu la disposition pour l'entreprise commune: il fut reconnu qu'il y avait mis plus qu'il n'avait reçu, & la sentence du tribunal d'Amirauté, du 21 juin 1544, lui donna gain de cause sur tous les points.

On perd sa trace après l'année 1552, & l'on en conclut qu'il décéda probablement avant d'atteindre sa soixantième année.

XVI

Rédigea-t-il lui-même les relations des diverses expéditions qu'il avait conduites au Canada! On peut le penser, bien qu'il y soit toujours question de lui à la troisième personne, à la manière dont il est parlé de Jules César en ses immortels Commentaires. Dans tous les cas, le rédacteur a évidemment fait partie de chacune des expéditions racontées.

Un celebre collecteur italien, qui s'était procuré diverses relations françaises dont il ne nous reste aujourd'hui rien autre chose que la version qu'il en a publiée, Ramusio, avait recueilli celle du premier voyage de Cartier, & c'est uniquement dans sa précieuse collection, ainsi que nous l'ayons rappelé dès le début, qu'il faut aller reprendre, sous son déguisement étranges, Un récit qui est pour nous d'un si grand intérêt. Cette version italienne, parue pour la première fois à Venise en 1556, y sut reproduite dans les réimpressions de 1565, 1606 et 1613, Elle fut retraduite en français pour être ainsi publiée à Rouen en 1598, chez Raphaël du Petit-Val, libraire & imprimeur du Roi, en un volume petit in-8° de 64 pages, sous ce titre: Discours du voyage fait par le capitaine Jacgues Cartier aus terres neufves de Canadas, Norembergue, Hochelage, Labrador, & pays adjacens, dite Nouvelle France, avec particulières meurs, langage & cérémonies des habitans d'icelle. Lescarbot la réimprima avec une médiocre exactitude dans son Histoire de la Nouvelle-France (livre III, chapitres II à V), dont il y a quatre éditions, aux dates de 1609, 1611, 1617 & 1618. Les Archives des voyages de Ternaux-Compans l'ont reproduite en 1840 avec plus de scrupule, dans leur première livraison (pages 117 à 153). Enfin la Société littéraire & historique de Québec l'a comprise à son tour dans un volume de réimpressions consacré aux Voyages de découverte au Canada entre les années 1534 & 1542, publié à Québec en 1843, & dont ce morceau occupe les vingt-trois premières pages; malheureusement les inexactitudes de Lescarbot n'y ont pas toutes été rectifiées.

Ainsi que nous l'avons dit aussi dès le début, C'est au collecteur anglais Richard Hakluyt d'Oxford, que nous sommes redevables de nous avoir conservé, dans une version anglaise, les fragments mutilés qu'il avait pu se procurer pendant son séjour en France (de 1584 à 1588) concernant le troisième voyage de Cartier: c'est d'abord la relation, non achevée, du navigateur; puis une lettre de son petit-neveu Jacques Noël, écrite de Saint-Malo le 19 juin 1587, & un fragment d'une seconde lettre du même, constatant que toutes les recherches faites dans la famille pour retrouver une relation plus complète étaient demeurées sans résultat. Hakluyt a imprimé la suite, toujours en anglais, le routier du voyage depuis Belle-Isle jusqu'à 230 lieues en amont de la rivière de Canada, rédigé par Jean Allefonsce, de Sainte-Onge près Cognac, maître pilote de Roberval en 1542; & enfin la relation de Roberval lui-même, non achevée il est vrai, mais conduite jusqu'au 22 juillet 1543, date probablement peu éloignée de celle où Cartier vint le rechercher d'après les ordres du roi. Hakluyt avait donné en 1600 le volume qui contient l'édition originale de ces pièces (pages 232 à 242); elles se trouvent naturellement reproduites dans la réimpression de 1812. La Société littéraire & historique de Québec a repris dans Hakluyt tous ces lambeaux pour les retraduire en français & les insérer en 1843 dans le volume que nous avons mentionné plus haut.

XVII

Quant à la relation du second voyage, qui nous intéresse plus spécialement ici, elle est, comme on sait, la seule dont nous possédions la rédaction française originale; il en existe une édition, imprimée à Paris en 1545, en un volume de 48 feuillets petit in-8°, d'une telle rareté que les bibliographes n'en connaissent en Europe qu'un exemplaire. Une reproduction scrupuleuse & figurée de cet exemplaire unique a tenté le zèle d'un éditeur fort habitué à la recherche & au maniement des livres curieux; & voilà comment a pris naissance l'édition d'amateur en tête de laquelle doit se placer l'introduction dont nous écrivons en ce moment la dernière page.

Ce volume introuvable, qui échappait à toutes les recherches, était si peu connu, que l'on n'avait même qu'une très-fausse idée de ce qu'il contenait, & la Société littéraire & historique de Québec en 1843, aussi bien que M. Ternaux-Compans en 1841, le considéraient comme la rédaction française originale de la relation du premier voyage, au lieu du second; pour celui-ci, on n'en connaissait d'autre publication que celle de Lescarbot dans son Histoire de la Nouvelle-France (Livre III, chapitres vi à viii, xii à xviii, & xxii à xxvii) où le voyage de Cartier se trouve morcelé & entrecoupé de fragments disloqués du voyage de Champlain.

Mais il existe à Paris, à la Bibliothèque impériale, trois exemplaires manuscrits de cette même relation de Cartier, sous les n°s 5589, 5644 & 5653: M. Ternaux-Compans ayant eu communication des deux premiers, en tira une copie, qu'il fit imprimer en 1841 en tête du second volume de ses Archives des voyages (pages 5 à 66). De son côté la Société littéraire & historique de Québec: ayant fait prendre copie du troisième manuscrit, & l'ayant collationné avec les deux autres, ainsi qu'avec les extraits de Lescarbot, l'a reproduite dans son volume de 1843 (pages 24 à 69).

L'édition originale de 1545 ne saurait être présentée comme exempte d'incorrections, tant s'en faut: les coquilles typographiques y sont fréquentes, & l'éditeur d'aujourd'hui aurait peut-être eu lieu d'hésiter à se montrer si rigoureusement fidèle à la reproduire avec toutes ses imperfections accidentelles, s'il n'eût trouvé un remède à l'inconvénient de cette reproduction servile, dans l'attention de relever avec soin, en appendice à la réimpression actuelle, les corrections indispensables, avec les variantes non seulement des manuscrits, mais aussi des fragments de Lescarbot & des éditions de Ternaux-Compans & de la Société de Québec, dont les lectures ne sont pas toujours préférables aux leçons de l'édition de 1545.

Cet expédient nous a paru donner à l'édition que voici l'avantage de conserver intacte, suivant le goût impérieux des bibliomanes, la physionomie surannée de l'édition primitive, tout en mettant à la disposition de ceux qui n'attachent à la forme qu'une importance secondaire, les éléments d'un texte plus correct & plus fidèle que tous les autres.

Neuilly-sur-Seine, ce 12 août 1863.




BRIEF RECIT, & succincte narration, de la navigation faicte es ysles de Canada, Hochelage & Saguenay & autres, avec particulieres meurs, langaige, & cerimonies des habitans d'icelles: fort delectable à veoir.
Publisher Logo

Avec privilege.

On les vend à Paris au second pillier en la grand salle du Palais, & en la rue neufve Nostredame à l'enseigne de lescu de france, par Ponce Rosset dict Faucheur, & Anthoine le Clerc frères. 1545.

A MONSEIGNEVR LE Prevost de Paris ou son lieutenant civil. supplient treshumblement Ponce Rosset dict le Faucheur, & Anthoine le Clerc freres & libraires de ceste ville de Paris, qu'il vous plaise leur donner la permission de imprimer & vendre, ung livre, intitulé Briefve & succincte narration de la navigation, faicte es ysles de Canada & autres choses y contenues: Pour lequel imprimer leur convient faire gros fraiz & despens, dont ilz pourroient estre frustrez, ensemble de leurs labeurs, s'il estoit permys à tous de l'imprimer. Ce considéré il vous plaise & ordonner que desfences soient faictes à tous libraires & imprimeurs de la ville & prevoste de Paris, de ne imprimer icelluy livre, ny de en vendre d'autre que de l'impression desdictz supplians, jusques à quatre ans finiz & acrompliz, sur peine de confiscation desdictz livres & d'amende arbitraire, Et vous ferez bien.

Il est permys ausdictz suppliens, avec les desfences à tous autres, de ne imprimer le dict voyage pour le temps & espace de trois ans. Faict le dernier jour de Febvrier, Mil cinq cens quarante quatre.

Ainsi signé,
I. Morin.




AU ROY Treschretien.

Considerant, O mon tres-redoubté prince, les grandz bien & don de grace qu'il a pleu à Dieu le Createur faire à ses creatures: Et entre lex autres de mettre & asseoir le soleil, qui est la vie & congnoissance de toutes icelles, et sans lequel nul ne peult fructifier ni generer en lieu & place ou il a son mouvement, & declination contraire, & non semblable es autres planettes. Par lesquelz mouvement & declinaison, toutes creatures estans sur la terre en quelque lieu & place qu'elles puissent estre, en ont, ou en peuvent avoir en lan dudict soleil, qui est 365 jours et six heures, Autant de veue oculaire les ungs que les autres, non qu'il soit tant chault & ardant es ungs lieux, que es autres par ses raiz & reverberations, ny la division des jours & nuictz en pareille esgalleté: Mais suffit qu'il ayt de telle forte & tant temperement que toute la terre est ou peult estre habitee en quelque zone, climat, ou paralelle que ce soit: Et icelles avecques les eaues, arbres, herbes, & toutes autres creatures de quelques genres ou especes qu'elles soient par l'influence d'iceluy soleil, donner fruictz & generations selon leur nature par la vie & nourriture des creatures humaines. Et si aucuns vouloient dire le contraire de ce que dessus, en alleguant ledict des saiges philosophes du temps passé, qui ont escript & faict division de la terre par cinq zones, dont ilz dient & afferment trois inhabitées. Cest assavoir la zone torride, qui est entre les deux tropiques ou solstices, qui passe par le zenic des testes des habitans d'icelle: Et les deux zones artique & entartique pour la grande froideur qui est en icelle, à cause du peu d'eslevation qu'ilz ont dudict soleil & autres raisons: le confesse qu'ilz ont escript de la maniere, & croy fermement qu'ilz le pensent ainsi, & qu'ilz le treuvent par aucunes raisons naturelles, ou ilz prenoient leur fondement, & d'icelluy se contenfoient seulement sans aveuturer n'y mectre leurs personnes es dangiers, esquelz ilz eussent peu ancheoir à cercher l'experience de leur dire, Mais je dictz pour ma replique que le prince d'iceulz philosophes a laissé parmy les escriptures ung mot de grande consequence, qui dict que, Experientia est rerum magistra; par l'enseignement duquel j'ay osé entreprendre de adresser à la veue de vostre magesté royalle, cestuy propos en maniere de prologue, de ce myen petit labeur: Car suyvant vostre royal commandement. Les simples mariniers de present non ayans eu tant de craincte d'eulz mectre à l'advanture d'iceulx perilz & dangiers qu'ilz ont eu, & ont desir de vous faire treshumble service à l'augmentation de la saincte foy chrestienne, ont congneu le contraire d'icelle opinion des philosophes par vraye experience. Je allegue ce que devant, parce que je regarde que le soleil qui chascun jour se lieve à l'orient, & se reconce à l'occident, faict le tour & circuit de la terre, donnant lumiere & chaleur à tout le monde en vingt quatre heures, qui est ung jour naturel, sans aucune interruption de son mouvement & cours naturel. A l'exemple duquel je pense à mon foible entendement, & sans autre raison y alleguer, qu'il plaist à Dieu par sa divine bonté que toutes humaines creatures estans & habitans soubz le globe de la terre, ainsy qu'elles ont veue, & congnoissance d'icelluy soleil ayt & ayent pour la temps avenir congnoissance & creance de nostre saincte foy: Car premierement icelle nostre saincte foy a esté semée & plantee à la terre saincte, qui est en Asye à l'orient de nostre Europe: Et depuis par succession de temps apportee & divulguee jusques à nous, & finalement à l'occident de nostredicte Europe à l'exemple du dict soleil portant sa chaleur & clarté d'orient en occident comme dict est. Et pareillement aussy avons veu icelle nostre saincte foy, par plusieurs fois à l'occasion des meschans heretiques & faulz legislateurs, eclipses en aucuns lieux: & depuis soubdainement reluyre & monster sa clerté plus appertement que auparavant. Et maintenant encores à present voyons comme les meschans lutheriens apostatz & imitateurs de Mahomet, de jour en autre s'efforcent de icelle opprimer, & finablement du tout estaindre, si Dieu & les vrays suppostz d'icelle n'y donnent ordre par mortelle justice, ainsy qu'on veoit faire chascun jour en voz pays & royaulme, par le bon ordre & police que y avez mys. Pareillement aussi veoit on, comme au contraire d'iceulx enfans de Sathan les paovres chrestiens & vrays pilliers de l'Esglise catholique s'efforcent d'icelle augmenter & accroistre, ainsi que a faict le catholique Roy d'Espaigne, es terres qui par son commandement ont esté descouvertes en l'occident de ses pais & royaulmes, lesquelles auparavant nous estoient incognues, estranges, & hors de nostre foy: Comme la neufve Espaigne, Lisabelle, terre ferme, & autres ysles ou on a trouvé innumerable peuple, qui a esté baptisé & reduict en nostre tres saincte foy.

Et maintenant en la presente navigation faicte par vostre royal commandement en la descouverture des terres occidentales, estans soubz les climats & paralelle de voz pays & royaulme, non auparavant à vous n'y à nous congneuz, pourrez veoir & scavoir la bonté & fertilité d'icelles, innumerable quantité de peuples y habitans la bonté & paisibleté d'iceulx, Et pareillement la fecondité du grant fleuve qui descend & arrose le permy d'icelles voz terres, qui est le plus grant sans comparaison que on sache jamais avoir veu. Les quelles choses donnent à ceulx qui les ont veues, certaine esperance de l'augmentation future de nostre dicte saincte foy & de voz seigneuries & nom tres chrestien, ainsi qu'il vous plaira veoir par cestuy present petit livre: Auquel sont amplement contenues toutes choses dignes de memoire, que avons veues, & qui nous sont advenues tant en faisant ladicte navigation, que estans & faisans sejour en vosdictz pays & terres.



e dimenche jour & feste de la Penthecoste seziesme jour de May, en lan mil cinq cens trente cinq du commandement du cappitaine & bon vouloir de tous, chascun se confessa, & recusmes tous ensemblement nostre createur en lesglise cathédrale de sainct Malo. Apres lequel avoir reçu, feusmes nous presenter au cueur de ladicte eglise, devant reverend pere en Dieu monsieur de sainct Malo, lequel en son estat episcopal nous donna sa benediction.

Et le mercredy ensuivant dix neufiesme jour de May, le vent vint bon & convenable, & appareillasmes avec trois navires, Scavoir la grand Hermine du port, environ cent a six vingtz tonneaulz, ou estoit le cappitaine general, & pour maistre Thomas frosmond, Claude du pond briand, filz du seigneur de Montreueil & eschansson de monseigneur le Daulphin, Charles de la Pommeraye, Jehan poullet & autres gentizlhommes. Le second navire, nommé la petite Hermine du port, environ soixante tonneaulz; Estoit cappitaine soubz le dict cartier Mace jalobert, & maistre Guillaume le mariè. Et au tiers navire nommé l'Emerillon du port de environ quarante tonneaulz, en estoit cappitaine Guillaume le breton, & maistre Jacques maingart. Et navigasmes avec bon temps jusques au 20, jour dudict moys de May, que le temps se tourna en yre & tourmente, qui nous a duré en ventz contraire & serraisons, autant que navires qui passassent jamais la mer, eussent sans amendement: Tellement que le vingt cinqiesme jour de Juing par le dict mauvais temps & serraison, nous entreperdismes tous trois, sans que nous ayons eu nouvelles les ungs des autres jusques à la terre neufve; la ou nous avions lymité nous trouver tous en ensemble, & depuis nous estre entreperduz, avons esté avec la nef generalle par la mer de tous ventz contraires, jusques au septiesme jour du moys de Juillet, que nous arrivasmes à la dicte terre, neufve, & prismes terre à l'isle aux oyseaulx: laquelle est à quatorze lieues de la grand terre, quelle ysle est si tresplaine d'oyseaulx, que tous les navires de France y pourraient facilement charger, sans que on s'apperceust que l'on en eust tiré, & la en prinsmes deux barques pour partie de noz victailles: Icelle ysle est en leslevation du pole en. 49. degrez. 40. mynutes. Et le huictiesme dudict moys, nous appareillasmes de ladicte ysle, & avec bon temps vinsmes au hable du blanc sablon estant à labbaye des chasteaulx le XVe jour dudict moys, qui est le lieu ou nous debuoyns rendre: Auquel lieu feusmes attendans noz compaignons jusques au vingt sixiesme dudict moys, lequel jour ilz arrriverent tous deux ensemble: Et la nous acoustrasmes & prismes eaues, boys & aultres choses necessaires, & appareillasmes & feismes voylle pour passer oultre le vingt neufiesme jour dudict moys à l'aube du jour, & feismes porter le long de la coste du Nort Gisant, est Nordest, & Ornaist, Surnaist jusques environ les huict heures de soir que meismes les voylles bas, le travers de deux ysles qui l'avancent plus hors que les autres que nous nommasmes les ysles Sainct Guillaume. Et sont environ vingt lieues oultre le hable de Brest: Le tout ladicte coste depuis les chasteaulz jusques icy gist est Nordest & Ornaist Surnaist rengee de plusieurs ysles & terres toutes hachee & pierreuse, sans aucune terre ny boys, fors en aucunes vallees. Le lendemain penultime jour du dudict moys feismes courir à Ornaist pour avoir congnoissance d'autres ysles qui nous demouroient environ douze lieues & demye. Entre lesquelles ysles se faict une couche vers le Nort toute à ysles & grande voye apparoisantes y avoir plusieurs bons hables, & les nommasmes les ysles Saincte Marthe; hors lesquelles environ une lieue & demye, à la mer y a une basse bien dangereuse ou il y a quatre ou cinq testes qui demeurent le travers desdictes bayes en la rotte d'Est & Onaist desdictes ysles Saincte Marthe, environ sept lieues: Lesquelles ysles nous vinsmes querir ledict jour, environ une heure apres midy; & depuis ledict jour jusques à l'orloge vyrente feismes courir environ quinze lieues le travers d'ung cap d'ysles basses, que nous nommasmes les ysles Sainct Germain, au suest duquel environ trois lieues y a une autres basse fort dangereuse. Et pareillement entre le dict cap Sainct Germain & Saincte Marthe, y a ung banc hors des dictes ysles environ deux lieues sur lequel n'y a que quatre brasses. Et pour le dangier de la dicte coste mismes les voylles bas, & ne feismes porter la dicte nuict.

Le lendemain dernier jour de Juillet, feismes courir le long de la dicte coste qui gist Est & Onaist cart de Suest, qui est toute rengee d'isles & basses & coste fort dangereuse; laquelle contient depuis le dict cap des ysles Sainct Germain, jusques à la fin des ysles environ dix sept lieues & demye. Et a la fin desdictes ysles, y a une fort belle terre basse plaine de grandz arbres & haultz: & est icelle coste toute rengee de sablons sans y avoir aucune apparoissance de hable, jusques au cap de Thiennot que se rabast, au Nor onaist qui est environ sept lieues des dictes ysles. Lequel cap congnoissons du precedent voyage. Et parce feismes porter toute la nuict à Onaist Noronaist jusques au jour que le vent vint contraire, & feusmes charcher ung havre ou mismes noz navires, qui est ung bon petit havre, oultre ledict cap Thiennot environ sept lieues & demye, & est entre quatre ysles sortentes à la mer, noud le nommasmes le havre Sainct Nicolas, & sur la plus prochaine ysle plantasmes une croix de boys pour merche. Et fault amener la dicte croix au Nordest, puis l'aller querir & la laisser de tribort, & trouverez de perfond six brasses, & se fault donner garde de deux basses qui demeurent des deux costez à demye lieue hors. Toute ceste dicte coste est fort dangereuse & plaine de basses: nonobstant qu'il semble y avoir plusieurs bons hables n'y a que basses & plateys. Nous feusmes au dict hable depuis le dict jour jusques au Dimenche vii° jour d'Aoust: Auquel jour appareillasmes & vinsmes querir la terre deca vers le cap de Rabast, qui est distant du dict hable, environ xx lieues Gisans Nort Nordest & Susur Onaist. Et le lendemain le vent vint contraire: Et parce que ne trouvasmes nulz hables à la dicte terre de Su. feismes porter vers le Nort oultre le precedent hable de environ dix lieues, ou nous trouvasmes une moult belle & grande baye, plaine d'ysles & bonnes entrees & passaige de tous les ventz qu'il scavoit faire: Et pour congnoissance d'icelle baye y a une grand ysle comme ung cap de terre, qui s'avance plus hors que les autres; Et sur la terre environ deux lieues, y a une montaigne faicte comme ung tas de bled, nous nommasmes la dicte baye la baye sainct Laurens.

Le douziesme jour du dict moys nous partismes de la dicte baye sainct Laurens & feismes porter à Onaist, & vinsmes querir ung cap de terre devers le Su qui gist environ l'Onaist ung cart de Sur Onaist du dict hable Sainct Laurens environ vingt cinq lieues. Et par les deux sauvaiges que avions prins le premier voyage, nous fut dict que cestoit de la dicte terre devers le Su, & que cestoit une ysle, & que par le Su d'icelle estoit le chemin à aller de Honguedo ou nous les avions prins lan precedent à Canada: Et que à deux journees du dict cap & ysle commenceroit le royaulme de Saguenay à la terre devers le Nort allant vers le dict Canada, le travers du dict cap environ trois lieues y a de profond cent brasses & plus. Et n'est memoire de jamais avoir tant veu de ballaynes que nous vismes celle journee le travers dudict cap.

Le lendemain jour nostredame d'Aoust quinziesme dudict moys, nous passasmes le destroict la nuict de devant, & le lendemain eusmes congnoissance de terres qui nous demouroient vers le Su: qui est une terre à haultes montaignes à merveilles, Donc le cap susdict de la dicte ysle que nous avons nommee l'ysle de l'Assumption, & ung cap de dictes haultes terres gisent Est Nordest & Onaist sur Onaist, & y a entre eulx vingt cinq lieues, Et veoit on les terres du Nord encores plus haultes que celles du Su à plus de trente lieues. Nous rangeasmes le dictes terres du Su depuis ledict jour jusques au mardy que le vent vint Onaist, & meismes le cap au Nord pour aller querir lesdites haultes terres que voyons, & nous estans là trouvasmes lesdictes terres unyes & basses vers la mer, & les montaignes devers le Nort par sus lesdictes haultes terres gisant icelles terres, Est, & Onaist ung cart de Sur Onaist. Et par les sauvaiges que avions, nous a esté dict que cestoit le commencement du Saguenay & terre habitable. Et que de la venoit le cuyvre rouge qu'ilz appellent caignetdaze. Il y a entre les terres du Su & celles du Nort, environ trente lieues, & plus de deux cens brasses de perfond & nous ont lesdictz Sauvaiges certiffié estre le chemin & commencement du grant Silenne de Hochelaga & chemin de Canada; lequel alloit tousjours en estroissent jusques à Canada, puis que l'on treuve l'aue doulce qui va si loing que jamais homme n'auroit esté jusques au bout qu'ilz eussent ouy, & que autre passaige n'y avoit que par bateaulx. Et voyant leur dire & qu'ilz affermoient n'y avoir autre passaige, ne voulut ledict cappitaine passer oultre jusques a avoir veu le reste de ladicte terre & coste devers le Nort, qu'il avoit obmis de veoir depuis la Baye saint Laurens pour aller veoir la terre du Su pour veoir s'il y avoit aucun passaige.




Comment nostre cappitaine feist retourner les navires en arriere, jusques a avoir congnoissance de la Baye sainct Laurens pour veoir s'il y avoit aucun passaige vers le Nort.

e mercredy 18e jour d'Aoust, nostre cappitaine feist retourner ses navires en arriere, & mestre le cap à l'autre bort. Et rangeasmes ladicte coste du Nort qui gist Nordest & Sur Ornaist faisant ung demy arc, qui est une terre fort haulte non tant comme celle de Su: Et arrivasmes le jeudy ensuyvant à sept ysles fort haultes: lesquelles nous nommasmes les ysles Rondes, qui sont à environ quarante lieues des terres du Su, & s'avancent hors à la mer trois ou quatre lieues, le travers desquelles y a ung commencement de basses terres plaines de beaux arbres; lesquelles terres nous rengeasmes le vendredi avec nos barques, le travers desquelles y a plusieurs bancqs de sablon ä plus de deux lieues à la mer, fort dangereux, lesquelz descuevrent de basse mer, & au bout d'icelles basses terres qui contiennent environ dix lieues, y a une riviere d'eaue doulce, sortant à la mer, tellement que à plus d'une lieue d'elle est aussi doulce que eaue de fontaine. Nous entrasmes en ladicte riviere avecq noz barques, & ne trouvasmes à l'entree d'icelle que brasse & demye. Il y a dedans ladicte riviere plusieurs poissons, qui ont forme de chevaulx, lesquels vont à la terre de nuict, & de jour à la mer, ainsi qu'il nous feut dict par nos deux sauvaiges: Et de ces dictz poissons veismes grand nombre dedans la dicte riviere.

Le lendemain 2le jour dudict moys au matin à l'aube du jour feismes voylle & feismes porter le long de la dicte coste, tant que nous eusmes congnoissance de la reste de la dicte coste du Nort, que n'avions veu, & de l'ysle de l'Assumption, que nous avions esté querir au partir de la dicte terre: & lors que nous feusmes certains que ladicte coste estoit rengee, et qu'il n'y avoit nul passaige, retournasmes à nos navires qui estoient esdictz sept ysles où il y a bonne radde à dix huict & vingt brasses de sablon: auquel lieu avons esté sans pouoir sortir n'y faire voylle pour la cause des bruynnes & ventz contraires qui faisoient jusques au xxiiii° jour dudict moys que sommes arrivez à ung hable de la coste du Su, qui est à environ quatre vingt lieues des dictz sept ysles, qui est le travers de trois ysles plattes, qui sont par le parmy du fleuve. Et environ le my chemin des dictes ysles & ledict hable devers le Nort, y a une fort grande riviere, qui est entre les haultes & basses terres, qui faict plusieurs bancqs à la mer à plus de trois lieues, qui est ung pais fort dangereux & sont de deux brasses & moins, & à la creste de iceulz bancqs trouverez xxv & xxx brasses bort à bort, toute icelle coste du Nort, gist, Nort, Nordest, & Su sur Onaist.

Le hable devantdict ou posasmes qui est à la terre du Su, est hable de marie & de peu de valleur, nous les nommasmes les Ysleaux sainct Jehan, parce que nous y entrasmes le jour de la decollation dudict faict, Et au paravant que arriver audit hable, y a une ysle à Best d'icelluy environ cinq lieues, ou il n'y à point de passaige entre terre & elle que par bateaux; le dict hable des ysleaux sainct Jehan asseche toutes les marees, & y maryne l'eaue de deux brasses: Le meilleur lieu à mettre navires est vers le Su d'ung petit yslot qui est au parmy du dict hable bort au dict yslot.

Nous appareillasmes du dict hable le premier jour de septembre pour aller vers Canada, & environ quinze lieues du dict hable à l'Onaist, Sur, Onaist y a trois ysles au parmy du fleuve, le travers desquelles y a une riviere fort perfonde & courante, qui est la riviere & chemin du royaulme & terre de Saguenay, ainsi que nous a esté dict par nos deux sauvages du pais de Canada. Et est icelle riviere entre haultes montaignes de pierre nue, sans y avoir que peu de terre, & nonobstant y croist grand quantité d'arbres & de plusieurs sortes qui croissent sur la dicte pierre nue comme sur bonne terre, de sorte qui y avons veu arbre suffisant à master navire de trente tonneaulx, aussi vert qu'il soit possible de veoir lequel estoit sur ung rocq sans y avoir aucune faveur de terre, à l'entrée d'icelle riviere trouvasmes quatre barques des sauvages, les quelz venoient vers nous en grand peur & craincte, de sorte qu'il en recueillit une, & lautre approcha pres qu'ilz peurent entendre l'un de nos sauvages, qui se nomma & feist sa congnoissance, & les feist venir seurement.

Le lendemain deuxiesme jour du dict septembre, resortismes hors de la dicte riviere pour faire le chemin vers Canada, & trouvasmes la mares fort courante & dangereuse, parce que devers le Su de la dicte riviere y a deux ysles, & l'entour desquelles, à plus de trois lieues n'y a que deux brasses semees de gros perrons, comme tonneaulz & pippes, & les marees de ce puantes par entre lesdictes ysles, de sorte que cuydasmes y perdre nostre gallyon, sinon le secours de noz barques & à la creste des dictz plateys, y a de perfond trente brasses & plus. Passe ladicte riviere du Saguenay & les dictes ysles, environ cinq lieues vers le Sur Onaist, y a une autre ysle vers le Nort, de laquelle y a de fort haultes terres le travers desquelles cuydasmes poser l'ancre pour estaller l'obbe, & ny peusmes trouver le fonds à six vingtz brasses a ung traict d'arc de terre, de sorte que feusmes contrainctz retourner vers la dicte ysle, ou passames à trente cinq brasses, & beau fondz.

Le lendemain matin feismes voylle, & appareillasmes pour passer oultre, & eusmes congnoissance d'une sorte de poissons, desquelz il n'est memoire d'homme avoir veu n'y ouy: Les dictz poissons sont aussi gros comme marsouyns sans avoir aucun estre, & sont assez faictz par le corps & teste de la facon d'ung levrier, aussi blancs que neige, sans avoir aucune tache: & en y a fort grand nombre dedans la dicte riviere qui vivent entre la mer & l'eaue doulce: Les gens du pais les nomment Adhothuys: & nous ont dict qu'ilz sont fors bons à menger, & nous ont affirmé n'y en avoir en tout le dict fleuve qu'en cet endroit.

Le sixiesme jour dudict moys avec bon vent feismes courir à mont le dict fleuve environ quinze lieues, & vinsmes poser à une ysle qui est bort à la terre du Nort, qui faict une petite baye & couche de terre: à laquelle y a ung nombre inestimable de grandes tortues, qui sont es environs d'icelle ysle, Pareillement par iceulz du pais, se faist es environs de la dicte ysle grand pescherie de Adhothuys. Il y a aussi grant courant es environs de ladicte ysle comme devant Bordeaux de flo, & ebbe. Icelle ysle contient environ trois lieues de long & deux de large: & est une moult bonne terre & grasse, plaine de beaulx & grandz arbres de plusieurs sortes: & entre autres y a plusieurs couldres franches que trouvasmes fort chargees de noisilles aussi grosses & de meilleur saveur que les nostres, mais ung peu plus dures. Et parce la nommasmes l'ysle es Couldres.

Le septiesme jour dudict moys jour nostredame, apres avoir ouy la messe, nous partismes de ladicte ysle pour aller à mont ledict fleuve, & vinsmes à quatorze ysles qui estoient distantes de ladicte ysle es couldres de sept à huict lieues, qui est le commencement de la terre & province de Canada: desquelles en y a une grande qui a environ dix lieues de long & cinq de large, en laquelle y a gens demourrans qui font grand pescherie de tous les poissons qui sont dedans le dict fleuve selon leur saison. Nous estans posez & a l'encre entre icelle grande ysle, & la terre du Nort, alasmes à terre & portasmes les deux sauvaiges que avions prins le precedent voyage:

Et trouvasmes plusieurs gens du pays, lesquelz commencerent à fuyr, & ne vouloient aprocher jusques ad ce que nosdictz deux hommes commencerent ä parler, & leur dire qu'ilz, estoient Taignoagny & dom Agaya. Et lors qu'ilz eurent congnoissance d'eulx commencerent a demener joye danfans & faisans plusieurs cerimonies; & vindrent parler des principaulz à noz basteaux, lesquelz nous apportoient force anguilles, & aultres poissons, avec deux ou trois charges de gros mil qui est le pain de quoy ilz vivent en la dicte terre, & plusieurs gros melons. Et icelle journée vindrent à nos navires plusieurs barques du pays chargées de gens tant hommes que femmes pour veoir & faire chaire à nos dictz deux hommes, les quelz feurent tous bien receuz par nostre cappitaine, qui les festoya de ce qu'il peust, & pour faire sa congnoissance leur donna aucuns petis presens de peu de valleur, de quoy se contenterent fort.

Le lendemain le seigneur de Canada nommè Donnacona en nom, & l'appellent pour seigneur Agouhanna, vint avecques douze barques accompaigné de plusieurs gens davant noz navires. Puis enfeist retirer arriere dix, & vint seulement avec deux à bort desdictz navires, accompaigné de seize hommes, & commenca ledict Agouhanna le travers du plus petit de noz trois navires a faire une predication & preschement à leur mode, en demenant son corps & membres d'une merveilleuse sorte, qui este une cerimonie de joye & asseurance, Et lors qu'il fut arrivé à la nef generalle ou estoient les dictz Taignoagny & son compaignon, parla le dict seigneur à eulx, & eulx à luy, & luy commencerent a compter ce qu'ilz avoient veu en France, & le bon traictement qu'il leur avoit esté faict, dequoy tut fort joyeulx, & pria nostre cappitaine luy bailler ses bras pour les baiser & accoller qui est leur mode de faire chere en ladicte terre. Lors nostre cappitaine entra en la dicte barque du dict Agouhanna, & commanda apporter pain & vin pour faire boire & menger ledict seigneur & sa bande, ce qui fut faict, dequoy furent fort contens. Et pour lors ne fut aultre present faict audict seigneur attendant lieu & temps. Apres lesquelles choses ainsi faictes, se departirent les ungs des aultres, & prindrent congé, & se retira le dict Agouhanna en ses barques pour se retirer & aller en son lieu. Et feist le dict cappitaine apprester ses barques pour passer oultre, & aller avant le dict fleuve avec le flo, pour cercher hable & lieu de sauveté pour mettre les navires, & feusmes oultre le dict fleuve environ dix lieues coustoyant la dicte ysle. Et au bort d'icelles trouvasmes ung asseurg d'eaulx fort beau & plaisant. Au quel lieu y a une petitie riviere & hable de barre marinant de deux à trois brasses, que trouvasmes lieu à nous propice pour mettre nosdictes navires à sauveté. Nous nommasmes le dict lieu saincte Croix, par ce que le dict jour y arrivasmes. Aupres d'iceluy lieu y a ung peuple, dont est seigneur le dict Donnacona, & y est la demeurance qui se nomme Stadacone, qui est aussi bonne terre qu'il soit possible de veoir & bien fructiferente, pleine de fort beaulx arbres de la nature & sorte de France. Comme chesnes, ormes, fresnes, noyers, yfz, cedres, vignes, aubespines, qui portent le fruict aussi gros que prunes de damas, & aultres arbres: soubz les quels croist de aussi beau chanvre que celuy de France, qui vient sans semence ny labour. Apres avoir visite ledict lieu, & trouvé estre convenable, se retira ledict cappitaine, & les aultres dedans les barques pour retourner es navires. Et ainsi que sortismes hors de la dicte riviere trouvasmes au devant de nous l'ung des seigneurs dudict peuple de Stadacone accompaigné de plusieurs gens tant hommes, femmes que enfans: lequel seigneur commenca a faire ung preschement à la facon & mode du pays, qui est de joye & asseurance, & les femmes dansoient & chantoient sans cesse estans en l'eaue jusques es genoulx, Nostre cappitaine voyant leur bonne amour & bon vouloir, feist approcher la barque ou il estoit, & leur donna des couteaulx, & petites patenostres de voirre, de quoy menerent une merveilleuse joye, de sorte que nous estans departis d'avec eulx distant d'une lieue ou environ, les oyons chanter, danser, & mener joye de nostre benne.



Comme nostre cappitaine retourna es navires & alla veoir l'ysle, la grandeur & nature d'icelle, & comme il feist mener les dict navires à la riviere saincte Croix.

pres que nous feusmes arrivez avec noz barques ausdictz navires & retournez de la rivyere saincte Croix, le cappitaine commanda apprester lesdictes barques pour aller à terre à la dicte ysle veoir les arbres qui sembloient fort beaulx a veoir, & la nature de la terre d'icelle ysle. Ce que fut faict, & nous estans à ladicte ysle la trouvasmes plaine de fors beaulx arbres de la sorte des nostres. Et pareillement y trouvasmes force vignes, ce que n'avyons veu par cy devant à toute la terre, & par ce la nommasmes l'ysle de Bacchus. Icelle ysle tient de longueur environ douze lieues, & est fort belle terre a veoir, mais est plaine de boys sans y avoir aucun labouraige, fors qu'il y a aucunes petites maisons ou ilz font pescherie, comme par cy devant est faicte mention.

Le lendemain partismes avec nosdictz navires pour les mener audict lieu de saincte Croix, & y arrivasmes le 14 dudict moys. Et vindrent au devant de nous le lesdictz Donnacona Taignoagny & Dom agaya avec vingt cinq barques chargez de gens qui venoient dudict lieu dont estions partis, & alloient audict Stadacone ou est leur demourance, & vindrent tous a noz navires faisans plusieurs signes de joye, fors noz deux hommes que avions apportez, Scavoir Thaignoagny & Dom agaya, lesquelz estoient tous changez de propos, & de couraiges, & ne vouloient entrer dedens nos dictz navires, nonobstant qu'ilz en feussent plusieurs fois priez: dequoy eusmes aucune deffiance d'eulx. Le cappitaine leur demanda s'ilz vouloient aller comme ilz luy avoient promis avec lui à Hochelaga, & ilz respondirent que oy: & qu'ilz estoient deliberez y aller: lors chascun se retira.

Le lendemain 15, ledict cappitaine feust à terre avec plusieurs pour faire planter ballises & merches pour plus seurement mettre les navires à sauveté. Auquel lieu se rendirent au-devant de nous plusieurs gens du pays & entre aultre le dict Donnacona noz deux hommes & leur bande, lesquelz se tindrent apart soubz une poincte de terre qui est sur le bort d'ung fleuve, sans ce que aucun d'eulx vint environ nous, comme les aultres qui n'estoient de leur bande faisoient. Apres que le cappitaine fut adverty qu'ilz y estoient, commanda à partie de ses gens aller avecques luy, & furent vers eulx soubz ladicte pointe, & trouverent les dictz Donnacona, Taignoagny, Dom agaya & plusieurs aultres: & apres se estre entre saluez, se avanca ledict Taignoagny de parler, & dit à nostre cappitaine que ledict seigneur Donnacona estoit marry, dont ledict cappitaine & ses gens portoient tant de batons de guerre, par ce que de leur part n'en portoient nulz. A quoy leur respondist ledict cappitaine que pour leur marrisson ne laisserons a les porter, & que c'estoit la coustume de France, & qu'il le scavoit bien, mais pour toutes leurs parolles ne laisserent le dict cappitaine & Donnacona a faire grand chere ensemble. Lors aperceusmes que ce que disoit le Taignoagny ne venoit que de luy & son compaignon. Et avant de partir dudict lieu, lesdictz Donnacona & cappitaine feirent une asseurance de sorte merveilleuse, car tout le peuple dudict seigneur Donnacona gecterent & feirent trois cris à plaine voix, que cestoit chose horrible a ouyr, & a tant prindrent congié les ungs des aultres, & nous retirasmes à bort pour celuy jour, & le lendemain 16, dudict moys nous meismes les deux plus grandz navires dedens ledict hable & riviere, ou il y a de plaine mer trois brasses & de bas d'eaue demy brasse, & fut laissé le gallyon dedens la radde pour mener au dict Hochelaga. Et tout incontinent que lesdictes navires furent audict hable & asseur, se trouverent devant les dictes navires Donnacona, Taignoagny, Domagaya, & plus de cinq cens personnes hommes, femmes, que petis enfans, et entra ledict seigneur avec dix ou douze des plus grandz personnaiges du pays, lesquelz furent par ledict cappitaine & autres festoyes, & leur fut donné aucuns petis presens, & fut par Taignoagny dict à nostre cappitaine, que ledict seigneur estoit marry dont il alloit à Hochelaga, & que ledict seigneur ne vouloit que luy que ploit y allast par ce que la riviere ne valloit riens, & leur fust respondu par ledict cappitaine que pour tout ce ne laisseroit y aller s'il luy estoit possible; par ce qu'il avoit commandement du roy son maistre de aller le plus avant qu'il pourroit: mais si le dict Taignoagny y voulant aller comme il avoit promis, qu'on luy feroit present, dequoy il seroit content & grand chere, & qu'ilz ne feroient que aller & venir seulement audict Hochelaga, puis retourner. A quoy respondist le dit Taignoagny, qu'il n'y yroit point. Lors se retirerent a leurs maisons. Et le lendemain, l7 dudict moys, le dict Donnacona & les aultres revindrent comme devant, & apporterent force anguilles & aultres poissons, dequoy se faict grand pescherie audict fleuve, comme sera cy apres dict. Lors qu'ilz furent arrivez devant lesdictes navires, commencerent a chanter & danser comme avoient de coustume. Et apres qu'ilz eurent ce faict, feict ledict Donnacona mettre tous ses gens d'ung costé, & feist ung cerne sur le sable, & y feist mettre nostre cappitaine & ses gens: & lors commenca une harengue, tenant une fille d'environ l'aage de dix à douze ans en l'une de ses mains, puis la vint presenter à nostre cappitaine, & tout incontinent tous les gens dudict seigneur se prindrent a faire trois criz & hurlemens en signe de joye & alliance. Puis de rechef presenta deux petis garsons de moindre aage l'un apres l'aultre, desquelz feirent telz criz & cerimonies que devant. Duquel present ainsi faict par le dict seigneur fut par nostre cappitaine remercié. Lors Taignoagny dict au cappitaine que la fille estoit la propre fille de la seur dudict seigneur, & l'ung des garsons frere de luy qui parloit, Et qu'on les luy donnoit sur l'intention qu'il n'allast point à Hochelaga. A quoy luy re respondist nostre cappitaine, que si on les luy avoit donnez sur ceste intention, que on les reprint, & que pour riens ne laisseroit y aller par ce qu'il avoit commandement de ce faire. Sur les quelles parolles Dom agaya compaignon dudict Taignoagny, dict audict cappitaine que ledict seigneur luy avoit donné les dictz enfans par bonne amour, & en signe d'asseurance, & qu'il estoit content aller avec luy audict Hochelaga, de quoy eurent grosses parolles lesdictz Taignoagny & Dom agaya. Lors aperceusmes que ledict Taignoagny ne valloit riens, & qu'il ne songeoit que trahison & malice tant par ce que aultres mauvais tours que luy avions veu faire. Et sur ce ledict cappitaine feist mettre lesdictz enfans dedans les navires, feist apporter deux espées, ung grand bassin d'arain plain, & ung ouvré pour laver mains, & en feist present audict Donnacona, lequel fort s'en contenta & remercia nostre cappitaine, Et commanda ledict Donnacona a tous ses gens chanter & danser, & pria ledict Donnacona nostre cappitaine faire tirer une piece d'artillerie, par ce que lesdictz Taignoagny & Dom agaya lui en avoient faict teste, & aussi que jamais n'en avoient veu, ny ouy. A quoy le cappitaine respondist qu'il le vouloit bien, & commanda que on tirast une douzaine de barges avec leurs boulletz le travers du boys qui estoit jouxte lesdictes navires & gens. Dequoy furent tous si estonnez qu'ilz pensoient que le ciel feust cheu sur eulx, & Ce prindrent a hucher & hurler si tres fort, que sembloit que enfer y feust vuide, & davant qu'ilz se retirassent, le dict Taignoagny feist dire par interposés personnes, que les compaignons du gallyon, lequel estoit demouré ä la radde, avoient tué deux de leurs gens de coups d'artillerie: dont tous se retirerent à grand haste, ainsi que si les eussions voulu tuer. Ce que ne se trouva verité: Car durant ledict jour ne fut dudict gallyon tiré artillerie.



Comment lesdictz Donnacona, Taignoagny, & aultres songerent une finesse, & feirent habiller trois hommes en guise de diables, faignans estre venuz de par Cudriagny leur dieu pour nous empescher d'aller audict Hochelaga.

e lendemain. 18. dudict moys pour nous cuyder tousjours empescher d'aller à Hochelaga, songerent une grand finesse qui feust telle, ilz habillerent trois hommes en la facon de trois diables, lesquelz avoient cornes aussi longues que le bras, & estoient vestus de peaulx de chien noirs & blancs. Et avoient le visaige painct aussi noir que charbon, & les feirent mettre dedans une de leurs barques à nostre non sceu; & leur bande vint comme ilz avoient de coustume au prez de noz navires, lesquelz se tindrent dedans le boys sans apparoistre environ deux heures, attendant que l'heure & marée fut venue pour l'arrivée de la dicte barque, à la quelle heure sortirent tous du boys, & se presenterent devant lesdictes navires sans eulx approcher ainsi qu'ilz fouloient faire, & commence le dict Taignoagny a saluer nostre cappitaine qui luy demanda s'il vouloit le bateau, lequel luy respondist que non pour l'heure, mais que tantost il entreroit dedans lesdictes navires & incontinent arriva ladicte barque ou estoient lesdictz trois hommes apparoissant estre trois diables ayans de grandz cornes sur leurs testes, & faisait celuy du milieu ung merveilleux sermon en venant: lesquelz passerent le long de noz navires avec leur dicte barque, sans aucunement tourner leur veue vers nous, & allerent assener & donner en terre avec leur dicte barque, & tout incontinent ledict seigneur Donnacona & des gens prindrent ladicte barque & lesditz trois hommes, lesquelz s'estoient laissé cheoir au fondz d'icelle comme gens morts, & porterent le tout ensemble dedans le boys qui estoit distant d'ung jet de pierre, & ne demoura une seulle personne devant nosdictes navires que tous ne se retirassent dedans ledict boys, & eulx estans audict boys commencerent une predication & preschement que nous oyons de noz navires qui dura environ demye heure. Apres laquelle sortirent les dictz Taignoagny & Dom agaya marchans ver nous, ayans les mains joinctes, & leurs chappeaulx soubz leurs coddes, faisans une grande admiration. Et commenca le dict Taignoagny a dire, & proferer par trois Jesus, Jesus, Jesus levant les yeux vers le ciel, puis Dom agaya commenca a dire Jesus Maria. Jacques Cartier regardant vers le ciel comme l'aultre. Le cappitaine voyant leurs mines & cerimonies, leur commenca a demander qu'il y avoit, & que c'estoit que estoit survenu de nouveau, Lesquelz respondirent qu'il y avoit de piteuses nouvelles, en disant, nenny, est il bon. Et ledict cappitaine leur demanda de rechef que c'estoit: & ilz repondirent, que leur dieu nommé Cudragny avoit parlé à Hochelaga, & que les trois hommes devant dictz estoient venus de par luy leur annoncer les nouvelles, qu'il y avoit tant de glaces & de neiges qu'ilz mouroient tous. Desquelles parolles nous prinsmes tous a rire, & leur dire que leur dieu Cudragny n'estoit que ung sot, & qu'il ne scavoit qu'il disoit, & qu'ilz le disent à ses messagiers, & que Jesus les garderoit bien de froid s'ilz luy vouloient croire. Lors dedict Taignoagny & son compaignon, demanderent audict cappitaine s'il avoit parlé à Jesus, & il respondist que ses prebstres y avoient parlé, & qu'il feroit beau temps. Desquelles parolles remercierent le dict cappitaine, & se retirent dedans le boys dire les nouvelles aux aultres, qui sortirent dudict boys tout incontinent faignans estre joyeulx desdictes parolles par ledict cappitaine ainsi dictes. Et pour monstrer qu'ilz en estoient joyeulx, tous incontinent qu'ilz furent devant les navires commencerent d'une commune voix a faire trois criz & hurlemens, qui est leur signe de joye, & se prindrent a danser & chanter, comme avoient de coustume: mais pour resolution lesdictz Taignoagny & Dom agaya dirent à nostre dict cappitaine, que le dict seigneur Donnacona ne vouloit point que nul d'eulx allast à Hochelaga avec luy, S'il ne bailloit plege qui demourast à terre avec ledict Donnacona. Le cappitaine leur respondist que s'ilz n'estoient deliberez y aller de bon couraige qu'ilz demourassent, & que par eulx ne laisseroit mettre paine y aller.



Comment nostre cappitaine & tous les gentilz hommes avec cinquante hommes mariniers partirent de la province de Canada avec le gallyon, & les deux barques, pour aller à Hochelaga, & de ce que fut veu entre deux sur ledict fleuve.

e lendemain, 19e jour dudict moys de Septembre, nous appareillasmes & feismes voylle avec le dict gallyon & les deux barques, pour aller avec la marée amont ledict fleuve, ou trouvasmes à veoir des deux costez d'icelluy les plus belles & meilleures terres, qu'il soit possible de veoir. Aussi vives que l'eaue plaine des beaulx arbres du monde: & tant de vignes chargez de raisins le long dudict fleuve, qu'il semble mieulx qu'elles ayent esté plantez de main d'homme que aultrement: mais par ce qu'elles ne sont cultivez ne taillez, ne sont les raisins si groz & si doulx que les nostres: pareillement trouvasmes beaucoup de maisons sur ledict fleuve, le lesquelles sont habitees de gens qui font grande pescherie de tous poissons: lesquelles gens venoient à noz navires d'aussi grand amour & privaulte, que si eussions esté du pays, Nous apportant force poisson, & de ce qu'ilz avoient pour avoir de nostre marchandise tendans les mains au ciel, & faisans plusieurs signes de joye. Et nous estans posez environ ving cinq lieues de Canada en ung lieu nommé Ochelay, qui est ung destroict dudict fleuve fort courant & dangereux, tant de pierres que d'aultres choses vindrent plusieurs barques à bort, Et entre aultres, y vint ung grand seigneur du pays, lequel faisoit un grand sermon en venant & arrivant à bort, monstrant par signes evidens avec les mains & aultres cerimonies, que le dict fleuve estoit ung peu plus avant fort dangereux, nous advertissant de nous en donner garde. Et presenta celuy seigneur au cappitaine deux de ses enfans, desquelz le cappitaine print une fille de l'aage d'environ sept a huit ans, & reffusant ung garson de deux ou trois ans, par ce qu'il estoit trop petit, Le dict cappitaine festoya le dict seigneur & sa bande de ce qu'il peust, & luy donna aucun petit présent: puis s'en allerent à terre. Et depuis sont venus celuy seigneur & sa femme veoir leur fille jusques à Canada & apporter aucun present au cappitaine, Depuis le 19e jour jusques au 28, dudict moys nous avons esté navigans a mont ledict fleuve sans perdre heure ny jour, durand lequel temps avons veu & trouvé d'aussi beau pays & terres aussi unyes que l'on scauroit desirer, plaine comme dict est des beaulx arbres du monde, scavoir chesnes, hormes, noyers, cedres, pruches, fresnes, briez, sandres, oziers, & force vignes. Lesquelles avoient si grand habondance de raisins, que les compaignons en venoient chargez à bort. Il y a seulement force grues, signes, oultardes, oyes, cannes, allouettes, faisans, perdrix, merles, mauvis, teurtres, chardonnereulx, serins, roussignolz, passes solitaires, & aultres oyseaulx, comme en France, & en grand habondance.

Ledict 18e jour de septembre nous arrivasmes en ung grand lac & playne dudict fleuve, large d'environ cinq ou six lieues, & douze de long, Et navigasmes celluy jour amont sans y trouver partout icelluy que deux brasses de parfond esgallement sans haulser ny baisser. Et nous arrivans a l'ung des boutz dudict lac, ne nous apparoissoit aucun passaige n'y sortye: Ains sembloit icelluy estre tout cloz sans aucune riviere, & ne trouvasmes audict bout que brasse & demie, dont nous convint poser & mettre l'ancre hors, & aller chercher passage avec les barques: & trouvasmes qu'il y a quatre ou cinq rivieres toutes sortantes dudict fleuve en icelluy lac, & venant dudict Hochelaga: mais en icelluy ainsi sortantes, y a barres & traverses faictes par le cours de l'eaue, ou il n'y avoit pour lors que une brasse: Et lesdictes barres passees y a quatre ou cinq brasses, qui estoit le temps des plus petites eaues de lannée, ainsi que nous vinsmes par les flotz des dictes eaues qu'elles croissent de plus de trois brasses de pic, toutes icelles rivieres circuysent & environnent cinq ou six belles ysles, qui sont le bout dudict lac: puis se rassemblent environ quinze lieues à mond toutes en une. Celuy jour feusmes à l'une d'icelles, ou trouvasmes cinq hommes qui prenoient des bestes sauvaiges: lesquels vindrent aussi privement à noz barques, que s'ilz nous eussent veu toute leur vie sans avoir peur ne craincte, & nosdictes barques arrivez à terre, l'un d'iceulx hommes print nostre cappitaine entre ses bras, & le porta à terre aussy legierement que sy feust esté ung enfant de cinq ans, tant estoit icelluy homme grand & fort. Nous leur trouvasmes ung grand mouceau de raz sauvaiges: lesquelz vivent en l'aue, & sont gros comme connyns, & bons à merveilles. Desquelz feirent present à nostre cappitaine, qui leur donna des couteaulx, & patenostres pour recompence. Nous leur demandasmes par signe, si c'estoit le chemin de Hochelaga: Ilz nous monstrerent que ouy, & qu'il y avoit encores trois journees à y aller.



Comment le cappitaine feist accoustrer les barques pour aller audict Hochelaga, & laisserent le gallyon pour la difficulté du passaige: & comment nous arrivasmes audit Hochelaga, & le racueil que le peuple nous feist à nostre arrivée.

e lendemain nostre cappitaine voyant qu'il n'estoit possible povoyr pour lors passer le dict gallyon, feist advictailler & accoustrer les barques, & mettre victuailles pour le plus de temps qu'il feust possible, & que lesdictes barques en peurent accueillir, & se partit avecques icelle accompaigné des gentilz hommes: scavoir Claude du pont grand echanson de monseigneur le Dauphin. Charles de la Pommeraye, Jehan gouion, Jehan poullet, avec vingt huict marinyers, y comprins Mace jallobert & Guillaume le breton, ayans la charge soubz le cappitaine des deux autres navires, pour aller amond ledict fleuve, au plus loing qu'il nous seroit possible. Et navigasmes de temps à gré jusques au dixneufiesme jour d'Octobre, que nous arrivasmes audict Hochelaga, qui est distant d'ou estoit demouré ledict gallyon, de quarante cinq lieues. Auquel & chemin faisant trouvasmes plusieurs gens du pays, lesquelz nous apportoient du poisson & aultres victuailles, dansans & menans grand joye de nostre venue. Et pour les atraire & tenir en amytié avec nous, leur donnait ledict cappitaine pour recompence, des couteaulx, patenostres & aures menues choses, dequoy estoient fort contens. Et nous arrivez audict Hochelaga, Se rendirent au devant de nous plus de mil personnes, tant hommes femmes que enfans; Lesquelz nous feirent aussy bon racueil, que jamais pere feist à enfant, menant joye merveilleuse: Car les hommes en une bande dansoyent. Les femmes d'aultre & les enfans de l'autre: & apres ce nous apporterent force poisson, & de leur pain faict de gros mil, qui gettoient dedans nosdictes barques, en force qu'il sembloit qu'il tumbast de l'aer, voyant ce, nostre dict cappitaine descendit à terre avec plusieurs de ses gens. Et si tost qu'il fut descendu, se assemblerent tous sur luy, & sur tous les autres, en faisant une chaire inestimable; Et apportoient leurs enfans à brasees pour les faire toucher audict cappitaine & autres, faisant une feste, qui dura plus de demye heure, Et voyant nostre cappitaine leur largesse & bon recueil, feist asseoir & renger toutes les femmes, & leur donna des petites patenostres d'estain & aultres menues choses: & à partye des hommes des cousteaulx, puis se retira à bort des barques pour souper & passer la nuict: durant laquelle demoura icelluy peuple sur le bort dudict fleuve a plus pres desdictes barques, faisant toute nuict plusieurs feux & danses, en disant à toutes heures Aguyaze, qui est leur dire de salut & joye.



Comment le cappitaine & les gentilz hommes avec vingt cinq hommes bien armez & en bon ordre, allerent en la ville de Hochelaga & la situacion dudict lieu.

e lendemain au plus matin le cappitaine s'acoustra & feist mettre ses gens en ordre pour aller veoir la ville & demourant dudict peuple, & une montaigne qui est jacente en leur dicte ville: ou allerent avec le dict cappitaine les gentilz hommes & vingt marinyers, & laissa le parsus pour la garde des barques, & print trois hommes de la dicte ville de Hochelaga pour les mener & conduyre audict lieu, & nous estans en chemin, le trouvasmes aussi battu qu'il soit possible, & plus belle terre & meilleure qu'on scaurait veoir, toute plaine de chesnes aussy beaulx qu'il ayt en forest de France: Soubz lesquelz estoit toute le terre couverte de glan. Et nous ayans marché environ lieue & demye trouvasmes sur le chemin, l'un des principaulx seigneurs de la dicte ville, accompaigné de plusieurs personnes: lequel nous feist signe qu'il se falloit reposer audict lieu pres ung feu qu'ilz avoient faict audict chemin. Ce que feismes, lors commenca ledict seigneur à faire ung sermon & preschement, comme cy devant est dict estre leur coustume de faire joye & congnoissance, en faisant celluy seigneur chere audict cappitaine & la compaignie, lequel cappitaine luy donna une couple de haches, & une couple de cousteaulx, avec une croix, qu'il luy feist baiser, & la luy pendit au col: de quoy rendit graces audict cappitaine. Ce faict marchasmes plus oultre: & environ demye lieue de là, commencasmes à trouver les terres labourées & belles grandes champaignes plaines de bledz de leur terre, qui est comme mil de bresil, aussy gros ou plus que poix, dequoy vivent ainsi, comme nous faisons de fourment: & au parmy d'icelles champaignes est situee la ville de Hochelaga, pres & joignant une montaigne qui est à lentour d'icelle, labourée & fort fertile: de dessus laquelle on veoit fort loing. Nous nommasmes la dicte montaigne le mont Royal. La dicte ville est toute ronde, & close de boys à trois rencqs, en facon d'une piramide, croisée par le hault, ayant la rengée du parmy en facon de ligne perpendiculaire: puis rengée de boys couchez de long, bien joinctz & cousus à leur mode: Et est de haulteurs environ deux lances, n'y a en icelle ville que une porte & entrée, qui ferme à barres. Sur laquelle & en plusieurs endroictz de ladicte closture, y a manieres de galleries, & eschelles à y monter qui sont garnis de roches & chaillouz. Pour la garde & deffence d'icelle, il y a dedans icelle ville, environ cinquante maisons longues d'environ cinquante pas ou plus chascune, & douze ou quinze pas de larges, & toutes faictes de boys couvertes & garnyes de grandes escorces & pelleures desdictz boys aussy large que tables, bien cousus artificiellement selon leur mode: & par dedans icelles y a plusieurs estres & chambres: Et au meilleu d'icelles maisons y a une grande place par terre ou font leur feu, y vivent en communaulté, puis se retirent en leur dictes chambres les hommes avecques leurs femmes & enfans. Pareillement ilz ont grenyers au hault de leurs maisons, ou ilz mettent leur bled dequoy font leur pain, qu'ilz appellent Carraconny, Et le font en la sorte cy apres: Ilz ont des pilles de boys comme a piller chanure, & bastent avec pillons de boys le dict bled en pouldre, puis le massent en paste, & en font tourteaulx qu'ilz metent sur une pierre large qui est chaulde, puis le couvrent de cailloudz chauldz. Et ainsi cuysent leur pain en lieu de four. Ilz fond pareillement force potaiges dudict bled & de febves et poix, desquelz ilz ont assez & aussy grosses concombres & aultres fruictz. Ilz ont de grandz vaisseaulx comme thonnes en leurs maisons ou ilz mettent leur poisson, lequel ilz sechent à la fumée durant l'esté & en vivent l'yver: Et de ce font grant amas comme avons veu par experience. Tout leur vivre est sans aucun goust de sel: Et couchent sur escorces de boys estandues sur la terre avec meschantes peaulx de bestes sauvaiges, dequoy font leur vestement & couverture. La plus precieuse chose qu'ilz ayent en ce monde, est Esurgny, lequel est blanc comme neif, & le prennent audit fleuve en cornibotz en la maniere qui ensuyt. Quand ung homme a desservi mort, ou qu'ilz ont prins aucuns ennemys à la guerre ilz le tuent, puis l'incisent par les fessens, cuysses, & espaulles à grandes taillades puis au lieu ou est ledict Esurgny, avallent ledict corps au fond de l'eaue & le laissent dix ou douze heures, puis le retirent à mont & treuvent dedans lesdictes taillades & inciseures lesdictz cornibotz, desquelz ilz font manieres de patenostre, & de ce usent comme nous faisons d'or & d'argent, & le tiennent la plus precieuse chose du monde. Il a vertu d'estancher le sang des nazilles: car nous l'avons experimenté. Tout cedict peuple ne s'adonne que à labourage & pescherie pour vivre: Car des biens de ce monde n'en font compte, parce qu'ilz n'en ont congnoissance, & qu'ilz ne bougent de leur pais, & ne sont ambulataires comme ceulx de Canada, & du Saguenay, nonobstant que lesdictz Canadiens leur soyent subgectz avec huict ou neuf autres peuples, qui sont sur ledict fleuve.



Comment nous arrivasmes à ladicte ville, & de la reception que nous y fut faicte, & comme le cappitaine leur feist des presens: & aultres choses comme sera veu en ce chapitre.

pres que feusmes arrivez au pres d'icelle ville, se rendirent au devant de nous grand nombre des habitans d'icelle, qui à leur facon de faire nous feirent bon racueil: & par noz guydes & conducteurs feusmes menez au meilleu d'icelle ville, ou il y a une place entre les maisons, spacieuse d'ung gect de pierre en carré ou environ: lesquelz nous feirent signe que nous arrestions audict lieu. Et tout soudain s'assemblerent les filles et femmes de ladicte ville, dont l'une partye estoient chargez d'enfans entre les bras, & qui nous vindrent frotter le visaige, bras & autres endroictz de dessus le corps ou ilz pouvoient toucher, pleurant de joye de nous veoir, en nous faisant le meilleure chere qu'il leur estoit possible, nous faisans signes qu'il nous pleust toucher à leursdictz enfans. Apres lesquelles choses les hommes feirent retirer les femmes & se assirent sur la terre à lentour de nous, comme sy eussions voulu jouer un mystere. Et tout soudain revindrent plusieurs femmes, qui apporterent chascun une natte carrée en façon de tapisserie: Et les estendirent sur la terre au milleu de ladicte place, & nous feirent mettre sur icelles, Apres lesquelles choses ainsy faictes, fut apportée par neuf ou dix hommes le Roy et seigneur du pays qu'ils appellent en leur langaige Agouhanna, lequel estoit assis sur une grande peau de Cerf, & le vindrent poser dedans ladicte place sur lesdictes nattes au pres de nostre cappitaine, nous faisant signe que cestoit leur Roy & seigneur. Cestuy Agouhanna estoit de l'aage environ cinquante ans, & estoit point myeulx accoustré que les aultres, fors qu'il avoit à lencontre de sa teste, une maniere de lysiere rouge pour sa couronne, faicte de poil de Herissons. Et estoit celluy seigneur tout percluz de ses membres. Apres qu'ilz eust faict son signe de salut audict cappitaine & à ses gens, leurs faisant signes evidens, qu'ilz feussent les tres bien venuz: Il montra ses bras & jambes audict cappitaine, luy faisant signe qu'il luy pleust les toucher: lequel cappitaine les frota avecques les mains. Et lors ledict Agouhanna print la lysiere & couronne qu'il avoit sur sa teste, & la donna a nostre cappitaine. Et tout incontinent furent amenez audict cappitaine plusieurs malades, comme aveugles, borgnes, boisteulx, impotens, & gens sy tresvieulx, que les paupieres des yeulx leur pendoyent jusques sur les joues: les seant & couchant au pres de nostre dict cappitaine, pour les toucher: Tellement qu'il sembloit que Dieu feust la descendu pour les guerir.

Notre dict cappitaine voyant la pitié & foy de cedict peuple, dist l'evangile Sainct Jehan: scavoir l'imprincipio, faisant le signe de la croix sur les povres malades, priant Dieu qu'il leur donnast congnoissance de nostre saincte foy, & grace de recouvrer chrestienté & baptesme. Puis le dict cappitaine print une paires d'heures & tout haultement leut de mot à mot la passion de nostre seigneur. Sy que tous les assistans le peurent ouyr, ou tout ce pauvre peuple feirent une grand silence & feurent merveilleusement bien entendibles, regardans le ciel & faisans pareilles cerimonyes qu'ilz nous veoient faire. Apres laquelle feist le cappitaine renger tous les hommes d'ung coste, les femmes d'ung autre, & les enfans d'aultre, & donna aux principaulx des hachotz, es aultres des couteaulx & es femmes des patenostres, & autres menues besongnes puis gecta parmy la place entre les petis enfans des petites bagues, & agnus dei d'estain, dequoy menerent une merveilleuse joye. Ce faict ledict cappitaine commanda sonner les trompettes & aultres instrumens de musique: desquelz ledict peuple fut fort resjouy. Apres lesquelles choses nous prinsmes congié d'eulx & nous retirasmes, voyant ce les femmes se mirent au devant de nous pour nous arrester, & nous apportoient de leurs vivres, qu'ilz nous avoient apprestez, Comme poisson, potages, febves & autres choses pour nous cuyder faire repaistre & disner audict lieu; & pource que leurs vivres n'estoient à nostre goust, & qu'il n'y avoit aucune saveur, les remerciasmes, leur faisant signe que n'avions besoing de manger.

Apres que nous feusmes yssuz de ladicte ville, plusieurs hommes & femmes nous vindrent conduyre sur la montaigne cy devant dicte, qui est par nous nommée, Mont royal, distant dudict lieu d'ung quart de lieues. Et nous estans sur icelle montaigne eusmes veue & congnoissance de plus de trente lieues à lenviron d'icelle: y a vers le Nort, une rengée de montaignes, qui sont Est & Onaist, gisantes, & autant devers le Su. Entre lesquelles montaignes est la terre la plus belle qu'il est possible de veoir, unye, plaine, & labourable: & par le meilleu desdictes terres voyons le dict fleuve oultre le lieu ou estoient demourees noz barques: auquel va ung sault d'aue le plus impetueulx qu'il est possible de veoir: lequel ne nous fut possible passer, tant que l'on povoit regarder grand, large & spacieulx, qui alloit au Sur Onaist: & passoit aupres de trois belles montaignes rondes, que nous voyons, & estimyons qu'elles estoient environ quinze lieues de nous: & nous fut dict & monstre par signes par nosdictz trois hommes du pais qui nous avoient conduict, qu'il y avoit trois telz saulx d'aue audict fleuve, comme celuy ou estoient nosdictes barques, mais nous ne peusmes entendre quelle distance il y avoit entre l'un & l'autre par faulte de langue: puis nous monstroient par signes que lesdiz saulx passez, l'on pouvoit naviguer, plus de trois lieues par ledict fleuve. Et oultre nous monstroient que le long desdictes montaignes estant vers le Nort, y a une grande riviere, qui descend de l'occident comme ledict fleuve: Nous estimions que c'est la riviere qui passe par le royaulme du Saguenay, & sans que leur feissions aucune demande & signes, prindrent la chaine du sifflet du cappitaine qui estoit d'argent & ung manche de poignard, lequel estoit de laton jaulne comme or: lequel pendoit au costé de l'ung de noz compaignons marinyers, & montrerent que cela venoit d'amond ledict fleuve, & qu'il y a des Agouionda, qui est à dire mauvaises gens: lesquelz sont armez jusques sur les doigtz, nous monstrant la facon de leur armeures, qui sont de cordes & de boys, lassez & tissues ensemble, nous donnant à entendre que lesdictz Agouionda menoient la guerre continuelle, les ungs contre les autres: mais par deffaulte de langue ne peusmes avoir congnoissance combien il y avoit jusques audict pays. Nostre cappitaine leur monstra du cuyvre rouge, qu'ilz appellent caignetdaze, leur monstrant vers ledict lieu, demandant par signe s'il venait de là & ilz commencerent à secourre la teste disant que non. Et monstrerent qu'il venoit du Saguenay, qui est au contraire du precedent: Apres lesquelles choses ainsi veues & entendues, nous retirasmes à noz barques, qui ne fut sans avoir conduicte de grand nombre dudict peuple. Dont partie d'eulx quand veoyent noz gens las, les chargeoient sur eulx comme sur chevaulx, & les portoient: Et nous arrivez à nosdictes barques feismes voylle pour retourner à nostre gallyon, pour doubte qu'il n'eust aucun encombrier. Lequel partement ne feust sans grand regret dudict peuple: Car tant qu'ilz nous peurent suyvre aval ledict fleuve, ilz nous suyvirent, & tant feismes que nous arrivasmes à nostredict gallyon le lundy quatriesme jour d'octobre.

Le Mardy 5e jour dudict moys, nous feismes voylle & appareillasmes avec nostre dict gallyon & barques pour retourner à la province de Canada au port de saincte Croix, ou estoient demourez nosdictes navires. Et le 7e jour nous vinsmes poser le travers d'une rivière qui vient devers le Nort, sortant audict fleuve: à l'entrée de laquelle y a quatre petites ysles plaines d'arbres: nous nommasmes icelle riviere la riviere de Fouez. Et pource que l'une d'icelles ysles s'avance audict fleuve, & la veoit on de loing, feist le cappitaine planter une belle grande croix sur la poincte d'icelle, & commanda apprester les barques pour aller avec marée, dedans icelle, pour veoir la nature d'icelle: ce qu'il fut faict, & nagerent celuy jour amond ladicte riviere. Et parce qu'elle fut trouvée de nulle experience n'y perfonde retournerent & appareillasmes pour aller aval.



Comment nous arrivasmes audict hable de saincte Croix, & l'ordre comme nous trouvasmes noz navires, & comme le seigneur du pays veint veoir nostre cappitaine, & comme le dict cappitaine l'alla veoir, & partie de leur coustume en particulier.

e lundi unziesme jour d'Octobre nous arrivasmes audict hable saincte Croix ou estoient noz navires, & trouvasmes que les maistres & mariniers qui estoient demourez, avoient faict ung fort davant lesdictes navires, tout cloz de grosses pieces de boys, plantez debout joignans les unes & autres: & tout à lentour garny d'artillerie, & bien en ordre pour soy deffendre contre toute la puissance du pais. Et tout incontinent que le seigneur du pais fut adverty de nostre venue, veint le lendemain douziesme jour dudict moys, accompaigne de Taignoagny, Dom agaya & plusieurs autres: lesquelz feirent une merveilleuse feste à nostre cappitaine, faignans avoir grand joye de nostre venue: lequel leur feist assez bon racueil, toutes foys qu'ilz ne l'avoient pas desservi. Ledict Donnacona pria nostre cappitaine de aller le lendemain veoir Canada, Ce que luy promist le dict cappitaine. Et le lendemain, 13e jour du dict moys, ledict cappitaine avecques ses gentilz hommes accompaigne de cinquante compaignons bien en ordre, allerent veoir ledict Donnacona & son peuple, qui est distant dou estoient lesdictes navires d'une lieue: & se nomme leur demourance Stadacone, Et nous arrivez audict lieu, vindrent les habitans au devant de nous loing de leurs maisons d'ung gect de pierre ou mieulx. Et la se rengerent, & assirent à leur mode, & facon de faire: les hommes d'une part, & les femmes de l'autre debout chantant & dansant sans cesse, Et apres qu'ilz s'entre furent saluez & faict chere les ungs aux aultres, ledict cappitaine donna aux hommes des cousteaulx & autres choses de peu de valleur, & feist passer toutes les femmes & filles par devant luy, & leur donna à chascun une bague d'estain, dequoy remercierent le dict cappitaine, lequel fut par ledict Donnacona & Taignoagny mené veoir leurs maisons, les quelles estoient bien estaurez de vivres selon leur sorte, pour passer leur yves, & nous fut par ledict Donnacona monstré les peaulx de cinq testes d'homme, estandues sur du boys, comme paulx de parchemin. Lequel Donnacona nous dist que c'estoient des Trudamans devers le Su, que leur menoient continuellement la guerre, & fut dict qu'il y a eu deux ans passez que les dictz Trudamans les vindrent assaillir jusques dedans ledict fleuve, à une ysle qui est le travers du Saguenay, ou ilz estoient a passer la nuict tendans aller à Honguedo leur mener la guerre, avec environ deux cens personnes tant hommes femmes qu'enfans. Lesquelz furent surprins en dormant dedans ung fort, qu'ilz avoient faict, ou misrent lesdictz Trudamans le feu tout à l'entour & comme ilz sortoient les tuerent tous reservé cinq qui eschapperent. De laquelle destrousse se plaignoient encores fort, nous monstrant qu'ilz en auroient vengeance. Apres lesquelles choses, nous reterasmes à noz navires.



De la facon de vivre du peuple de la dicte terre, & de certaines conditions creance & facon de faire qu'ilz ont.

edict peuple n'a aucune creance de Dieu, car ilz croient a ung qu'ilz appellent Cudragny, & disent qu'ilz parlent souvent à eulx & leur dict le temps qu'il doibt faire. Ilz disent aussi quand il se courouce à eulx, qu'il leur gecte de la terre aux yeulx. Ilz croyent aussi quand ilz tespassent, qu'ilz vont es estoilles, puis viennent baissans en lorrizon comme les dictes estoilles. Et s'envont en beaulx champs, vers plains de beaulx arbres, fleurs & fruictz sumptueux. Apres qu'ilz nous eurent donné le tout a entendre, nous leur avons remonstré leur erreur, & dict que leur Cudragny est ung mauvais esperit, qui les abuse & dict qu'il n'est que ung Dieu, qui est au ciel, lequel nous donne toutes choses necessaires, & est createur de toutes choses & que cestuy debvons croire seulement, & qu'il fault estre baptisez, ou aller en enfer, & leur feust remonstré plusieurs aultres choses de nostre foy. Ce que facilement ilz ont creu, & appellé leur Cudragny, Agouionda, tellement que plusieurs fois ont prié nostre cappitaine les faire baptiser, & y sont venuz ledict seigneur Taignoagny, Dom agaya, & tout le peuple de leur ville pour le cuyder estre: mais par ce que ne scavions leur intention & couraige, & qu'il n'y avoit qui leur remonstrant la foy pour lors, feust prins excuse vers eulx. Et dict à Taignoagny & Dom agaya, qu'ilz leur feissent entendre que retourneryons ung aultre voyage, & apporterions des prestres & du cresme, leur donnant a entendre pour excuse, que lon ne peult baptiser sans ledict cresme, Ce qui croient, par ce que plusieurs enfans ont veu baptiser en Bretaigne. Et de la promesse que leur fust faicte de retourner furent tresjoyeulx.

Cedict peuple vit en communaulté de biens assez de la sorte des Brisilans, & sont vestus de peaulx de bestes sauvaiges, & assez povrement. L'yver ilz sont chaulsez de chausses & soulliez qu'ilz fond de peaulx: & l'esté vont nudz piedz. Ilz gardent l'ordre de mariage, fors qu'ilz prennent deux ou trois femmes, & depuis que leur mary est mort jamais ne se remarient, ains font le dueil de la dicte mort toute leur vie, & se taignent le visaige de charbon pellé, & de gresse espez comme l'espesseur du doz d'ung cousteau, & a cela congnoist on que elles sont veuves.

Ilz ont une aultre coustume fort mauvaise de leurs filles, car depuis qu'elles sont d'aage d'aller à l'homme, elles sont toutes mises en une maison de bordeau, habandonnées à tout le monde qui en veult, jusques à ce que elles ayent trouvé leur party. Et tout ce avons veu par experience, car nous avons veu les maisons plaines des dictes filles, comme est une eschole de garsons en France. Et d'avantaige le hazard selon leur mode tient esdictes maisons ou ilz jouent tout ce qu'ilz ont jusques à la couverture de leur nature.

Ilz ne font point de grand travail, & labourent leur terre avec petis boys, comme de la grandeur d'une demye espée, ou ilz font leur bled, qu'ilz appellent Osizy. Lequel est gros comme poix, & de ce mesme en croist assez au bresil. Pareillement ilz on grand quantité de gros melons, concombres, & courges, poix, & febves, & de toutes couleurs, non de la sorte des nostres. Ilz ont aussi une herbe de quoy ilz font grand amastz l'esté durand pour l'yver. Laquelle ilz estiment fort & en usent les homes seulement en facon que ensuit. Ilz la font seicher au soleil, & la portent à leur col en une petite peau de beste en lieu de sac, avec ung cornet de pierre ou de boys: puis à toute heure font pouldre de ladicte herbe, & la mettent en l'ung des boutz dudict cornet, puis mettent un charbon de feu dessus, & sussent par l'autre bout, tant qu'ilz s'emplent le corps de fumée, tellement qu'elle leur sort par la bouche, & par les nazilles, comme par ung tuyau et chauldement, & ne vont jamais sans avoir lesdictes choses. Nous avons esprouvé ladicte fumée, apres laquelle avoir mis dedans nostre bouche, semble y avoir mis de la pouldre de poyvre tant est chaulde. Les femmes dudict pays travaillent sans comparaison plus que les hommes, tant à la pescherie de quoy font grand faict, qu'au labeur & aultres choses Et sont tant hommes femmes qu'enfans plus durs que bestes au froid. Car de la plus grand froidure que ayons veu, laquelle estoit merveilleuse & aspre venoient par dessus les glaces & neiges tous les jours à noz navires, la pluspart d'eulx tous nudz, qui est chose fort a croire qui ne la veu. Ilz prennent durand lesdictes glaces & neiges, grand quantité de bestes sauvaiges comme dains, cerfz, hours, lievres, martres, regnardz & aultres. Ilz mengent leur chair toute creue, apres avoir esté seichée à la fumée, & pareillement leur poisson. A ce que nous avons veu & peu entendre de cedit peuple, me semble qu'il seroit aisé à dompter. Dieu par sa saincte miséricorde y vueille mettre son regard. Amen.



De la grandeur & parfondeur dudict fleuve, & des bestes, oyseaulx, poissons, & aultres choses que y avons veu, & la situation des lieux.

edict fleuve commence passé l'isle d'assumption le travers des haultes montaignes de Honguedo & des sept ysles. Et y a de distance en traverse environ trente cinq ou quarante lieues, & y a au parmy plus de deux cens brasses de parfond le plus seur a naviguer est du costé devers le Su & devers le Nort, scavoir es dictes sept ysles y a d'ung costé & d'aultre environ sept lieues loing desdictes ysles deux grosses rivieres qui descendent des montz de Saguegnay, lesquelles font plusieurs barcqs à la mer fort dangereux. A l'entrée desdictes rivieres avons veu plusieurs ballaynes & chevaulz de mer.

Le travers desdictes sept ysles, y a une petite riviere qui va trois ou quatre lieues à la terre par dessus des marestz: en laquelle y a ung merveilleux nombre de tous oyseaulx de riviere: depuis le commencement dudict fleuve jusques à Hochelaga, y a trois cens lieues & plus, & est le commencement d'icelluy à la riviere qui vient du Saguenay: laquelle fort dentre haultes montaignes, & entre dedans ledict fleuve au par avant que arrive à la province de Canada, de la bande devers le Nort, Et est icelle riviere fort parfonde, estroicte, & fort dangereuse a naviguer.

Apres ladicte riviere est la province de Canada, ou il y a plusieurs peuples par villages non cloz. Il y a aussi es environs dudict Canada dedans le dict fleuve plusieurs ysles tant grandes que petites, & entre autres en y a une qui contient plus de dix lieues de long: laquelle est plaine de beaulx arbres & haultz. Et aussi en icelle y a force vignes. Il y a passaige des deux costez d'icelle. Le meilleur & plus seur est du costé devers le Su. Et au bort d'icelle ysle vers l'Onaist, y a ung affoug d'eaues, lequel est fort beau & delectable pour mettre navires, ou il y a ung destroict dudict fleuve fort courant & parfond: mais il n'a de long que environ ung tiers de lieue: le travers duquel y a une terre double de bonne haulteur toute labourée, aussi bonne terre comme jamais homme veist & la est la ville & demourance de Donnacona, & de noz deux hommes qui avoient esté prins le premier voyage, laquelle demourance se nomme Stadacone, & auparavant que arriver audict lieu, y a quatre peuples de demourance, scavoir Araste, Starnatau, Tailla, qui est sur une montaigne, & Scitadin, puis le dict lieu de Stadacone, soubz laquelle haulte terre vers le Nort est la riviere & hable de saincte croix auquel lieu avons esté depuis le 15e jour de Septembre, jusques au 6e jour de May. 1536. Auquel lieu les navires demeurent a sec, comme cy devant est dict passé ledict lieu & la demourance & peuple de Tequenondahi, qui est sur une montaigne & la ville de Hochelay, Lequel Hochelay est ung plain pays.

Toute la terre des deux costez dudict fleuve jusques à Hochelaga & oultre, est aussi belle terre & unye que jamais homme regarda. Il y a aucunes montaignes assez loing dudict fleuve que on veoit par sus lesdictes terres, desquelles il descend plusieurs rivieres qui entrent dedans ledict fleuve. Toute ceste dicte terre est couverte & plaine de boys de plusieurs sortes & force vignes, excepté à lentour des peuples, laquelle ilz on desertée pour faire leur demourance & labour. Il y a grand nombre de cerfz, dains, hours, & aultres bestes. Il y a force liepvres, connins, martres, regnardz, loueres, byeures, escureux, ratz, Lesquelz sont gros à merveilles, & aultres sauvaigiens. Ilz s'acoustrent des peaulx des bestes, par ce qu'ilz n'ont nulz accoustremens. Il y a aussi grand nombre d'oyseaulx, scavoir grues, signes, oltardes, oyes sauvages, blanches, & grises, cannes, cannardz, merles, mauvis, teurtres, ramiers, chardonneaulx, turnis, serins, linotes, roussignolz, passes solitaires et autres oyseaulx comme en France. Aussi comme par cy devant es chapitres precedentz est faicte mention, ledict fleuve est le plus habondant de poissons & de toutes sortes qu'il soit memoire avoir jamais veu ny ouy: car depuis le commencement jusques à la fin y trouverrez selon les saisons la pluspart des sortes & espesses de poissons de la mer & eaue doulce, vous trouverez jusques audict Canada force ballaynes, marsouyns, chevaulx de mer, adhothuys qui est une sorte de poisson duquel jamais n'avyons veu ny ouy parler. Ilz sont gros comme marsouyns, blancs comme neigne, & ont le corps & la teste comme lepvriers, lesquelz se tiennent entre la mer & l'eaue doulce qui commence entre la riviere du Saguenay & Canada.



Chapitre d'aucuns enseignemens que ceulx du pays nous ont donnez depuis estre revenuz de Hochelaga.

epuis estre revenuz de Hochelaga avec le gallyon, & les barques, avons conversé allé & venu avec les peuples plus prochains de noz navires en doulceur & amityé, fors que parfors avyons quelques differendz avec aucuns mauvais garsons, dont les aultres estoient fort marris & couroucez, & avons entendu par le seigneur Donnacona & aultres, que la riviere devant dicte est nommée la riviere du Saguenay, & va jusques audict Saguenay, qui est plus loing du commencement de plus d'une lieue de chemin ver l'Onaist, Noronaist, & que passe huict ou neuf journées, elle n'est plus parfonde que par basteaulx: mais que le droict & bon chemin dudict Saguenay est par le fleuve jusques à Hochelaga, a une riviere qui descend dudict Saguenay, & entre audict fleuve, & que de la sont une lieue a y aller, & nous on faict entendre que les gens sont vestuz & habillez comme nous, & de draps, & qu'il y a force villes & peuples, & bonnes gens & qu'ilz ont grand quantité d'or & cuyvre rouge, & que le tout de la terre depuis ladicte premiere riviere jusques à Hochelaga & Saguenay, est une ysle, laquelle est circuite & environnée dudict fleuve, & de rivieres. Et que passé ledict Saguenay va ladicte riviere entrent en deux ou trois grandz lacz d'eaue, puis que on trouve une mer doulce, de laquelle n'est mention avoir veu le bout, a ce qu'ilz ont oy par ceux du Saguenay: car il nous ont dict ny avoir esté, oultre nous ont donné a entendre que au lieu ou nous avions laissé nostre gallyon quand feusmes a Hochelaga, y a une riviere qui va vers le Suronaist, ou semblablement sont une lune a aller jusques a une terre où il y a jamais glaces, ny neiges, mais que en ceste dicte terre y a guerres continuelles les ungs avec les aultres. Et que en icelle terre y a oranges, almandes, noix, pommes & aultres sortes de fruictz & en grand habondance. Et nous ont dict les hommes & femmes d'icelle terre estre vestuz & accoustrez de peaulx comme eulx. Apres leur avoir demandé s'il y avoit de l'or & cuyvre, nous ont dict que non. L'estime à leur dire ledict lieu estre vers la floride, à ce qu'ilz monstrent par leurs signes & marches.



D'une grosse maladie qui a esté au peuple de Stadacone, de laquelle pour les avoir frequentez en avons esté imbouez, tellement qu'il es mort de noz gens jusques au nombre de vingt cinq.

u moys de Decembre feusmes advertis que la mortalité s'estoit mise au peuple de Stadacone, tellement que ja en estoient mors par leur confession plus de cinquante. Au moyen de quoy leur deffendismes nostre fort, & ne venir entour nous: mais nonobstant les avoir chassez commenca la maladie entour nous d'une merveilleuse sorte, & la plus incongneue: car les ungs perdoient la substance, & de leur devenoient les jambes grosses & enflez & les nerfz retirez & noirciz comme charbon, & à aucuns toutes fermées de gouttes de sang comme pourpre: puis montoit ladicte maladie aux hanches, cuisses & espaulles, aux bras & au col. Et a tout venoit la bouche si infecte & pourrye par les gensyves, que tout la chair en tumboit jusques à la racine des dentz, lesquelles tumboient pres que toute. Et tellement se esprit la dicte maladie à noz trois navires, que à la my Febvrier de cent dix hommes que nous estions il n'y en avoit pas dix sains, en sorte que l'ung ne pouvoit secourir l'aultre qui estoit chose piteuse à veoir, consideré le lieu ou nous estions. Car les gens du pays venoient tous le jours devant nostre fort, qui peu de gens veoyent, & ja y en avoit huict de mors & plus de cinquante, en qui on ne esperoit plus de vie.

Nostre cappitaine voyant la pitié & maladie ainsi esmeue, feist mettre le monde en prieres & oraisons & feist porter ung ymage en remembrance de la Vierge Marie contre ung arbre distant de nostre fort d'ung traict d'arc les travers des neiges & glaces. Et ordonna que le dimenche en suyvant l'on diroit audict lieu la messe. Et que tous ceulx qui pourroient cheminer tant sains que malades yroient à la procession chantant les sept pseaulmes de David avec la letanie, en priant ladicte vierge qu'il luy pleust prier son cher enfant qu'il eust pitié de nous. La messe dicte & celebrée devant ledict ymage, se feist le cappitaine pelerin à nostre dame de Roquemado promettant y aller si Dieu luy donnoit grace de retourner en France. Celuy jour trespassa Philippes Rougemont natif d'Amboise, de l'aage de environ vingt deux ans.

Et pour ce que la maladie nous estoit incongneue, feist le cappitaine ouvrir le corps pour veoir si aurions congnoissance d'icelle pour preserver si possible estoit, le persus. Et feust trouvé qu'il avoit le coeur blanc & fletry environé de plus d'ung pot d'eaue rousse comme dacte, le foye beau, mais avoit le poulmon tout noircy et mortifié & s'estoit retiré tout son sang au dessus de son coeur. Car quand il fut ouvert sortist au dessus du coeur grand habondance de sang noir infect. Pareillement avoit la ratte par devers l'eschine ung peu entamée environ deux doidz comme si elle euct esté frotée sur une pierre rude. Apres cela veu, luy feust ouverte & incise une cuisse, laquelle estoit fort noyre par dehors, mais dedans la chair fut trouvée assez belle. Ce faict, fut inhumé à mieulx que lon peust. Dieu par sa saincte grace pardonne à son âme, & à tous trespassez, Amen.

Et depuis de jour en aultre s'est tellement continuée ladicte maladie, que telle heure a este, que par tous les trois navires ny avoit pas trois hommes sains, de sorte qu'en l'ung desdictz navires n'y avoit homme qui eust peu descendre soubz le tillac pour tirer à boire, tant pour luy que pour son compaignon. Et pour l'heure y en avoit ja plusieurs de mortz. Lesquelz il nous convint mettre par par foiblesse soubz les neiges: car il ne nous estoit possible de povoir pour lors ouvrir la terre qui estoit gellée tant estions foibles, & avyons peu de puissance. Et si estions en une crainte merveilleuse des gens du pays qu'ilz ne se apperceussent de nostre pitié & foiblesse. Et pour couvrir ladicte maladie lors qu'ilz venoient pres nostre fort nostre cappitaine que Dieu a tousjours preservé, debout sortoit au devant d'eulx avec deux ou trois hommes, tant sains que malades. Lesquelz faisoit sortir apres luy. Et lors qu'il les voyoit hors du fort, faisoit semblant les vouloir battre en criant & leur gectant bastons apres eulx, les envoyant à bort monstrant par signes esdictz sauvages qu'il faisoit besongner tous ses gens dedans les navires les ungs à gallefestrer, les aultres à faire du pain & aultres besongnes, & qu'il ne estroit pas bon qu'ilz vinsent donner de hors. Ce qu'ilz croyent, & faisoit ledict cappitaine battre & mener bruict esdictz malades dedans les navires avec bastons & caillousz faignans callefestrer. Et pour lors estions si esprins de ladicte maladie que avions quasi perdu l'esperance de jamais retourner en France si Dieu par sa bonté infinie & misericorde ne nous eust regardé en pitié & donné congnoissance d'ung remede contre toutes maladies le plus excellent qui fut jamais veu ny trouvé sur la terre, ainsi qu'il sera faict mention en ce chapitre.

Chargement de la publicité...