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Carnet d'une femme

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L'INTIMITÉ

Yvonne vient de «renouveler,» ainsi qu'on dit, sa chambre à coucher, et telle qu'elle se présente, maintenant, elle donne l'impression très suggestive d'un nid d'amour. Cette impression devrait être offerte, en vérité, par toute femme qui n'est point insensible au baiser et Yvonne a parfaitement compris l'influence du milieu favorable aux confidences, en se débarrassant du mobilier fort beau, évidemment, qu'elle possédait, mais peu en rapport avec les aspirations de son intimité.

Tout, dans sa chambre, prête à la méditation, à la sensualité, à l'oubli de ce qui n'est pas l'amour.

Le lit, large et bas, semble inviter à la possession facile et sûre; les sièges, fauteuils, chaise-longue, coins de feu, paraissent faits pour de multiples et capricieux désirs; les emmitouflements des portes et des fenêtres, permettent le silence et l'isolement nécessaires au plaisir.—Aux murs tendus d'étoffe assortie à la nuance de la gentille folle, pendent quelques tableaux—des gravures choisies, des reproductions de Fragonard, de Vanloo. Sur un chevalet, un cadre original: le ou plutôt les portraits d'Yvonne, photographiée en diverses attitudes. Il y a là, une quinzaine de poses véritablement merveilleuses. Cette façon peu banale d'exposer son image devient une mode élégante; la toute blonde Mme de Sorget l'a adoptée, également, et l'on m'apprend que plusieurs mondaines ont suivi son exemple.

Il est peut-être inutile que je dise que tous ces portraits sont signés Reutlinger, le photographe si parisien, si féministe. Nul mieux que lui, en effet, ne sait silhouetter la femme moderne, nul mieux que lui ne sait la rendre avec tout son charme, avec toute sa grâce. C'est un très réel et un très sincère artiste. Le premier, il a réussi à représenter, par la photographie, la femme dans l'expression personnelle qui la fait séduisante. Il est de ses portraits qui sont des chefs-d'œuvre et auxquels le peintre le plus difficile n'aurait rien à retoucher. Reutlinger restera certainement comme l'un des féministes, amants de la forme et de la beauté modernes. Toutes les jolies femmes de Paris—mondaines, demi-mondaines et actrices—passent ou sont passées par ses ateliers et la collection de ses figures, formera, dans un temps, un document précieux pour l'écrivain ou pour le peintre qui souhaitera d'établir l'histoire de la femme, en notre curieux et troublant dix-neuvième siècle.

Lorsqu'on entre dans la chambre d'Yvonne, à l'impression d'amour que l'on éprouve, s'ajoute une impression plus spéciale et très subtile. Il semble, en la voyant ainsi reproduite à l'infini, en des attitudes différentes, que l'on ait la vision d'une multiplication magique de sa personne et l'on comprend que l'amant qui franchit un tel seuil, se sente saisi par une griserie délicieuse, comme par l'enveloppement d'un baiser qui naîtrait, puissamment, de quinze bouches confondues en une seule.

La femme est une idole—une idole qui entend et exauce, souvent, les prières de ses fidèles—et sa chambre à coucher, plus que son salon, plus que son boudoir, est l'endroit de sa maison où sa beauté doit régner. C'est le tabernacle devant lequel tous s'agenouillent, mais que le seul prêtre approche, ouvre et consacre de sa force, de sa science. Qu'on le veuille ou qu'on ne le veuille pas, la femme a imposé son culte à la société actuelle et on l'adore parce qu'elle est tout ce qui reste d'affiné, de délicat, d'exquis, dans une démocratie qui jette sur tous et sur tout, de la vulgarité.

Qu'elle soit—étant une amoureuse—fidèle ou inconstante—qu'elle se garde pour la caresse unique de l'homme—mari ou amant—qu'elle a choisi, ou qu'elle demande à l'aventureux hasard de ses mondanités les sensations dont elle a besoin, elle doit avoir le souci de son charme, de sa grâce, et elle doit les placer dans un cadre qui les fasse valoir, qui permette de les goûter avec quiétude, avec bien-être.

Elle ne saurait donc trop apporter de minutie passionnelle dans l'arrangement de son appartement intime, de sa chambre à coucher, surtout.

La volupté se dégage de l'extériorité des choses qui entourent une femme, comme de la vue, comme du contact même de cette femme.

Or, l'amant sincère qui subit si profondément l'influence des objets qui appartiennent à sa maîtresse, l'influence du cadre en lequel se dessine sa silhouette, est d'autant plus apte, d'autant plus ardent à chérir, d'autant plus disposé même à faire montre de son savoir, que la femme qui le reçoit sait mieux établir, autour d'elle, et pour lui, pour le baiser qu'elle attend, une atmosphère de tendresse, une séduction ambiante à laquelle il lui est impossible de résister.

Le jeu d'amour, comme tant de jeux, exige de l'application, de l'habileté, une intellectualité qui provoquent toutes les ressources des partenaires en présence. En une époque où les nerfs exaspérés ont acquis une sensibilité excessive, vibrent impérieusement, où l'affinement, la recherche, la nouveauté des sensations font de l'amour une chose compliquée et le privilège luxueux d'une minorité, il est nécessaire que la femme comprenne, si elle tient à la durée du culte dont elle est l'objet, que tout, en elle, doit s'offrir à concourir à l'expression personnelle de son désir, comme à l'éclosion des satisfactions, des espérances qui se lèvent devant elle, sous la chaleur de son souffle, sous la douceur de son contact.

Une amoureuse, réellement digne de ce nom, ne devrait jamais laisser de porte ouverte à l'imagination de l'homme qu'elle admet en son intimité. Dès l'instant où l'homme pose son pied sur le tapis de sa chambre, il devrait ne plus s'appartenir, il devrait se sentir pris par l'âme comme par les sens et marcher vers l'oubli de tout ce qui n'est pas sa maîtresse. Par la vue, par le toucher, par l'odorat, par l'ouïe, par le goût, il devrait posséder non seulement la femme, mais encore tout ce qui forme la nature, l'essence, la matérialité même de son intimité. Sa pensée, sa chair, agrippées comme en un piège—mais comme en un piège délicieux—devraient devenir étrangères au monde et s'endormir dans le charme de la caresse donnée et reçue, dans la volupté enveloppante, aussi, des choses, des objets au milieu desquels naît cette caresse.

Je sais bien qu'il est malaisé à une femme, souvent, de revêtir ainsi son intimité d'une sorte de décor magnétique qui en accroîtrait l'influence. Il est, cependant, des femmes qui ne manquent pas d'adresse et qui puisent leur force dans le souci constant qu'elles prennent de leur attitude, des sensations qui se produisent à leur approche.

On citait, récemment, une femme qui étant une très belle causeuse en même temps qu'une superbe amoureuse, avait deux parfums spéciaux à son usage—un parfum pour les heures de la conversation et un autre pour celles de l'amour.

Le parfum de la conversation était doux, discret; c'était un parfum paisible, honnête, bon enfant, qui laissait aux hommes toute leur lucidité d'esprit, qui ne les incitait qu'à des propos pleins de réserve.

Le parfum de l'amour était capiteux, étrange; c'était un parfum nerveux, impudique, batailleur, qui mettait de la folie dans le cerveau, qui inspirait des audaces, des aveux impatients.

Cette femme fut heureuse, ayant la double satisfaction de l'âme et de la chair.

Toute amoureuse devrait songer à l'imiter et imprégner sa vie, sa personne, son intimité de ces deux parfums, qui maintenaient sa puissance.

Yvonne en connaît-elle le secret, comme elle connaît celui de tant d'autres choses?

Je le lui demanderai.


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