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Considérations inactuelles, deuxième série: Schopenhauer éducateur, Richard Wagner à Bayreuth

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Elevez-vous d'un vol hardi
Bien au-dessus de votre temps!
Que vos écrits soient un reflet
De l'avenir dans le présent!

11.

Que la saine raison nous préserve de croire que l'humanité puisse trouver un jour un ordre de choses idéal et définitif, et qu'alors, semblable au soleil des régions tropicales, le bonheur viendra faire tomber ses rayons d'un éclat uniforme sur tous ceux qui vivraient ainsi sous l'ordre nouveau. Wagner n'a rien de commun avec de pareilles idées; il n'est pas utopiste. S'il ne peut pas se passer de sa foi en l'avenir, cela signifie simplement qu'il discerne chez les hommes d'aujourd'hui certaines propriétés qui n'appartiennent pas au caractère et a l'ossature immuable de l'espèce humaine, mais qui se montrent variables et même périssables; or, c'est précisément à cause de ces propriétés que l'art est aujourd'hui sans patrie et que Wagner lui-même doit être le précurseur et l'annonciateur d'une autre époque. Ce ne sera ni l'âge d'or, ni un ciel sans nuages que trouveront ces générations à venir que son instinct fait espérer à Wagner et dont les linéaments approximatifs peuvent être déduits du langage mystérieux de l'art wagnérien; pour autant qu'il est possible de déduire d'un mode de satisfaction à un genre de souffrance. La bonté surhumaine et la justice parfaite ne s'étendront pas non plus comme un arc-en-ciel immobile au-dessus des plaines de cet avenir. Il se pourrait même que cette génération à venir parût plus mauvaise que la nôtre, car, dans le bien comme dans le mal, elle sera plus ouverte. Peut-être encore que l'âme de cette génération, si elle s'exprimait une fois par des accords complets et libres, ébranlerait et effrayerait nos âmes, comme si la voix d'un esprit malin, jusque là invisible, venait à se faire entendre. Ecoutons plutôt des propositions comme celle-ci: la passion vaut mieux que le stoïcisme et l'hypocrisie; être honnête, même dans le mal, vaut mieux que de se perdre soi-même par égard pour la moralité reçue; l'homme libre peut aussi bien être bon que méchant, mais l'homme non affranchi est une honte de la nature et ne saurait avoir part ni à la consolation céleste, ni à la consolation terrestre; enfin, celui qui veut être libre doit le devenir par lui-même, car la liberté n'est pour personne un don miraculeux qui tombe sans effort de la main des dieux. Quelque tranchants et peu rassurants que puissent paraître ces axiomes, ils n'en sont pas moins des échos de ce monde futur qui aura vraiment besoin de l'art et qui pourra aussi en attendre de véritables satisfactions. C'est le langage de la nature réintégrée dans ses droits, même pour ce qui est de l'homme, et c'est exactement ce que j'ai appelé plus haut le sentiment vrai, par opposition avec le sentiment faussé qui règne aujourd'hui.

Or, pour la nature seule, et non pas pour le sentiment faux et la nature dénaturée, il est des satisfactions et des délivrances véritables. Lorsque la nature dénaturée a fini par prendre conscience d'elle-même, il ne lui reste plus qu'à désirer le néant, tandis que la nature vraie aspire à la transformation par l'amour: celle-là ne veut plus être, celle-ci veut devenir différente d'elle-même. Que celui qui a pris conscience de cela fasse passer devant lui, dans le silence de son âme, les simples motifs de l'art wagnérien et qu'il se demande à part lui si c'est la vraie nature dénaturée qui se sert de ces motifs pour atteindre les fins que nous venons de décrire.

L'errant désespéré trouve la délivrance de son tourment dans l'amour compatissant d'une femme qui préfère mourir que de lui être infidèle: c'est le motif du Vaisseau fantôme.—La femme amoureuse, renonçant à tout bonheur personnel, devient une sainte par la divine transformation de l'Amour en Charité, et sauve ainsi l'âme de l'aimé: c'est le motif de Tannhæuser.

Ce qu'il y a de plus magnifique et de plus sublime descend plein de sympathie parmi les hommes et ne veut pas qu'on lui demande son origine; et lorsque la question fatale lui est posée, il retourne avec un douloureux effort à son existence supérieure; c'est le motif de Lohengrin.—L'âme aimante de la femme, de même que le peuple accueillent avec joie le génie bienfaisant et novateur, quoique les gardiens de la tradition et de la routine le repoussent et le calomnient: c'est le motif des Maîtres Chanteurs.—Deux êtres aimants, sans connaître leur amour réciproque, se croyant au contraire profondément blessés et méprisés, exigent l'un de l'autre un philtre mortel, soi-disant pour expier l'offense, en réalité par une impulsion dont ils ne se rendent pas compte; ils veulent, par la mort, être délivrés de toute séparation, de toute dissimulation. L'approche de la mort, à laquelle ils croient, libère leur âme et les entraîne à une félicité brève et pleine d'effroi, comme s'ils avaient réellement échappé à la clarté du jour, à l'illusion, à la vie elle-même: c'est le motif de Tristan et Yseult.

Dans l'Anneau du Niebelung le héros tragique est un dieu dont l'esprit est altéré de puissance et qui, en suivant toutes les voies qui y conduisent, se lie par des contrats, perd la liberté et se trouve enveloppé par la malédiction qui pèse sur la puissance. La perte de sa liberté lui est démontrée précisément par ceci qu'il ne lui reste plus aucun moyen de s'emparer de l'Anneau d'or, symbole de la toute-puissance terrestre et, à la fois, incarnation des plus grands dangers pour lui-même, tant que cet anneau est entre les mains de ses ennemis. La crainte de la fin et du crépuscule de tous les dieux s'empare de lui, et aussi le désespoir de devoir attendre cette fin sans pouvoir s'y opposer. Il a besoin de l'homme libre et sans crainte, de l'homme qui puisse, sans son conseil et son assistance, en se révoltant même contre l'ordre divin, accomplir de son propre mouvement l'action héroïque interdite au dieu; il ne le voit point paraître et il se trouve forcé de se soumettre aux conséquences de l'engagement qu'il a pris, au moment même où vient de joindre une nouvelle espérance. C'est par sa main que doit périr ce qu'il a de plus cher; la pitié la plus pure doit être punie par sa souffrance. C'est alors qu'il a enfin horreur de la puissance qui n'enfante que le mal et l'esclavage; sa volonté brisée se soumet et il désire lui-même cette fin qui le menace de loin. Mais c'est maintenant seulement que se réalise ce qu'il avait le plus désiré précédemment: l'homme libre et sans peur apparaît; sa naissance fut un défi à toutes les coutumes établies; ses parents portent la peine d'avoir été unis par un lien contraire à l'ordre de la nature et à la coutume. Ils périssent, mais Siegfried vit. A la vue de son magnifique développement et de son splendide épanouissement le flot de dégoût se retire peu à peu de l'âme de Wotan. Il suit des yeux les destinées du héros, avec un amour et une sollicitude paternels. Comment Siegfried forge son épée, tue le dragon, s'empare de l'Anneau, échappe à la ruse la plus raffinée et réveille Brunehilde; comment la malédiction qui pèse sur l'Anneau ne le ménage pas plus que les autres, et l'enserre de plus en plus près; comment, fidèle dans l'infidélité, blessant par amour ce qu'il aime le plus, il est envahi par les ombres et les brumes du crime, mais finit par s'en dégager, resplendissant, tel le soleil, pour disparaître et mourir, en allumant dans le ciel un immense et radieux incendie qui purifie le monde de la malédiction ... le dieu voit tout cela, lui dont la lance souveraine s'est brisée dans la lutte avec le plus libre des hommes et qui s'est vu ravir sa puissance; il le voit et son cœur se remplit de joie à cause de sa propre défaite, de sympathie pour le triomphe et la souffrance de son vainqueur. Son regard embrasse les derniers événements avec un bonheur douloureux, il est devenu libre par amour et il s'est délivré de lui-même.

Et maintenant, interrogez votre conscience, homme d'aujourd'hui! Ce poème a-t-il été composé pour vous? Vous sentez-vous le courage d'étendre la main vers les étoiles de ce firmament de beauté et de bonté pour vous écrier: «C'est notre vie que Wagner a ainsi transportée dans les cieux!»

Où sont, parmi vous, les hommes qui sont capables d'interpréter d'après leur propre vie l'image de Wotan et qui grandissent toujours davantage eux-mêmes plus ils s'effacent comme lui? Qui d'entre vous, sachant et se rendant compte que la puissance est mauvaise, serait prêt à renoncer à la puissance? Où sont ceux qui, comme Brunehilde, sacrifieraient leur science à leur amour, pour finir cependant par puiser dans leur vie la science suprême? «Le deuil profond de l'amour affligé m'ouvrit les yeux.» Et ceux qui sont libres et sans crainte, croissant et s'épanouissant en eux-mêmes dans une innocente spontanéité, où sont les Siegfried parmi vous?

Celui qui pose cette question et la pose en vain sera forcé de tourner ses regards vers l'avenir; et s'il devait découvrir dans un lointain quelconque ce «peuple» qui serait en droit de lire sa propre histoire dans les traits caractéristiques de l'art wagnérien, il finirait par comprendre aussi ce que Wagner sera pour ce peuple ... quelque chose qu'il ne peut être pour aucun de nous, non point prophète d'un lointain avenir, comme nous pourrions être tentés de le croire, mais l'interprète et le glorificateur d'un passé.


APPENDICE


RÉFLEXIONS SUR RICHARD WAGNER

(JANVIER 1874)

A quel moment de sa vie Nietzsche a-t-il cessé d'être l'admirateur et le disciple de Richard Wagner? On sait que l'auteur de Zarathoustra, douze ans après avoir publié Richard Wagner à Bayreuth, opuscule laudatif qui fut salué en 1876 par les adeptes du maître comme l'évangile de la philosophie wagnérienne, lança dans le monde ce pamphlet ironique et sévère, dont le titre seul suffit à indiquer les tendances. Le Cas Wagner suscita la colère du cénacle de Bayreuth. Mais du moins rappela-t-il aux wagnériens que Nietzsche existait encore et que son œuvre était moins négligeable qu'ils avaient prétendu l'affirmer quand parut Humain, trop Humain. «Froissement de vanité», «folie des grandeurs», déclarèrent-ils péremptoirement, sans prendre la peine de s'enquérir des origines d'un sentiment qui, chez Nietzsche, était antérieur au triomphe de Wagner.

Disciple du musicien-poète, à vrai dire, Nietzsche ne le fut jamais et son admiration se tempéra toujours d'importantes réserves que lui dictait sa clairvoyance. Mais, faisant taire ses scrupules, il se donna sans réserve à l'œuvre wagnérienne, parce qu'il y trouvait la possibilité de réaliser ce qui, aux environs de 1870, lui importait plus que toute autre chose, la régénération de la culture allemande. Et enfin, par-dessus tout, il aimait Wagner et ne cessa jamais de l'aimer. Le jeune professeur de philologie classique à l'Université de Bâle avait trouvé, à l'ermitage de Trebschen, près de Zurich, un accueil chaleureux et une cordialité qu'il avait ignorés jusqu'à ce jour. Pour la première fois, il entrait en contact intime avec un milieu véritablement supérieur et les idées de Wagner, développées au cours de longues conversations, ouvraient à sa juvénile intelligence des horizons à peine entrevus jusque là. D'autre part, Mme Cosima Wagner, la première femme de grand style qu'il eût rencontrée, révélait au savant, confiné dans ses études,—il avait vingt-quatre ans lorsqu'il fut nommé à Bâle en 1869—de nouvelles façons de sentir et lui faisait connaître ces moralistes français dont il devait s'inspirer plus tard pour réaliser une œuvre si contraire aux doctrines wagnériennes.

Entre 1869 et 1873, Nietzsche fut souvent l'hôte assidu et choyé de Trebschen. De nombreux témoignages datant de cette époque font preuve, de part et d'autre, d'un attachement sincère. Quand l'œuvre de Bayreuth commença à prendre forme, Nietzsche s'y dévoua corps et âme. Il fut de toutes les réunions préparatoires, de tous les comités d'organisation et peu s'en fallut qu'il n'abandonnât la carrière universitaire pour s'improviser conférencier et collecteur, parcourant les pays allemands pour recueillir des fonds destinés à réaliser «le théâtre de l'avenir».

Mais la propagande n'excluait pas la clairvoyance. Déjà Nietzsche jugeait froidement l'homme qu'il vénérait plus que tout autre. L'intimité de tous les jours lui avait révélé les petitesses dont le génie même le plus pur est rarement exempt. Doutait-il déjà de la grandeur de l'œuvre? Le certain est que, dans les moments où il se livrait à un sévère examen de conscience, il se demandait si l'art wagnérien, dont il connaissait maintenant tous les détours, parviendrait jamais à réaliser les hautes espérances qu'il avait placées en lui. Et la mission de Wagner, à laquelle il croyait encore avec ferveur, lui semblait parfois s'égarer vers des considérations singulièrement terre à terre.

Au commencement de 1874, l'œuvre de Bayreuth parut soudain irrémédiablement compromise. Wagner s'était installé avec toute sa famille dans la petite ville bavaroise. Le théâtre-modèle était presque terminé, mais l'argent manquait pour parachever son aménagement intérieur et mettre en place la machinerie compliquée de la scène. Ce fut parmi les amis du compositeur une véritable consternation. «J'ai contracté une alliance avec Wagner», avait écrit Nietzsche. Mais que devenait cette alliance si le rêve commun de tant d'années allait ne pas se réaliser? Nietzsche se pose brusquement la question et, au fond de lui-même, il trouve aussitôt la réponse: Qu'importe Bayreuth!

Souffrit-il, quand cette exclamation lui vint sur les lèvres? Sans doute, mais son instinct de véracité était plus fort que son sentiment d'attachement pour Wagner. C'est alors qu'il note sur son calepin, rapidement et d'un seul jet, les réflexions dont nous publions plus loin la traduction. Avec une cruelle lucidité il juge l'œuvre du maître vénéré et, en même temps, il apprécie à leur juste valeur les hésitations du public, rébarbatif à la «musique de l'avenir». Toutes les réserves qu'il avait faites, à part lui, lui reviennent à la mémoire et il les note avec une hâte fébrile. C'est, malgré certains flottements dans l'expression, malgré certaines obscurités, une analyse rigoureuse de la maladie wagnérienne, où nous sont révélées, en quelque sorte avant la lettre, toutes les qualités qui prêteront plus tard un accent original au moindre aphorisme du philosophe de Par delà le bien et le mal. Nietzsche, pour la première fois, prend conscience de ce qui le sépare de Wagner et son opposition avec l'art wagnérien s'affirme sous une forme concrète.

Quelques semaines plus tard, on apprend soudain que l'inquiétude des amis de Bayreuth n'avait pas été justifiée. Louis II de Bavière venait, en effet, de mettre 300.000 thalers (375.000 francs) à la disposition de Wagner et le «théâtre de l'avenir» pouvait enfin s'achever. La joie est grande parmi les partisans du maître et Nietzsche partage cette joie! Les Réflexions sur Wagner, restées à l'état de notes intimes, sont enfouies au fond d'un tiroir et le jeune disciple s'apprête à faire son premier pèlerinage à Bayreuth...

De nouveau la légende de Wagner reprend le dessus dans les préoccupations de Nietzsche et le vrai Wagner, dont il vient d'esquisser les traits, s'efface dans sa mémoire. Peut-être estima-t-il aussi que la cause du musicien était d'importance plus haute que la personne du musicien. «La possibilité d'une culture allemande», qu'il rattache directement à «l'horizon de Bayreuth», revient au premier plan de ses préoccupations, et quand, enfin, deux ans plus tard, en 1876, le Festspielhaus allait enfin être ouvert au public, il fait taire toutes les objections, pour pouvoir offrir aux pèlerins de la nouvelle Jérusalem l'éloquent bréviaire de Richard Wagner à Bayreuth.

En écrivant ainsi l'apologie du musicien, Nietzsche prend congé du maître de sa jeunesse. Par un suprême effort de sa volonté (les brouillons qui ont été conservés démontrent son point de vue négatif), il dresse un monument de piété et d'admiration à celui qu'il a déjà cessé d'estimer. Ce décompte avec le passé est une véritable œuvre de libération. L'artiste, quand il idéalise sa souffrance, se débarrasse des liens d'une passion malheureuse. Ainsi Nietzsche idéalisa Wagner, pour oublier que l'homme qui avait été «le plus grand bonheur de sa vie» fut aussi celui qui le déçut le plus cruellement. Oublier, le put-il jamais complètement? Il devait au contraire penser sans cesse à cette amitié qui lui avait procuré les fortes émotions de sa vie. Et quand, plus tard, dix ans après la brouille définitive, il écrivit le Cas Wagner, le mot amitié revient encore et sans cesse sous sa plume. «J'ai aimé et vénéré Wagner plus qu'il ne le fut jamais», écrit le philosophe en 1888. Faut-il un autre commentaire à ces quelques notes de sévère critique que l'on va lire, au cours desquelles Nietzsche, par amour de la vérité, démolit l'idéal de sa jeunesse?—H. A.

1.

Wagner tente de renouveler l'art en s'appuyant sur la seule base qui existe encore, sur le théâtre: là les masses sont encore véritablement émues et ne s'en font pas accroire comme dans les musées et les concerts. A vrai dire, il s'agit de masses grossières, et toute tentative de dominer de nouveau la théâtrocratie est apparue jusqu'à présent comme vaine. Problème: l'art doit-il continuer à être l'apanage d'une secte et vivre dans l'isolement? Est-il possible de l'amener à la domination? C'est là qu'il faut chercher la signification de Wagner; il essaie de se procurer la tyrannie à l'aide des masses théâtrales. Sans doute, si Wagner avait été Italien, serait-il parvenu à atteindre son but. L'Allemand n'a aucune estime pour l'opéra, qu'il considère toujours comme quelque chose d'importé, comme quelque chose qui n'est pas de chez lui. On peut même dire qu'il ne prend pas au sérieux tout ce qui touche le théâtre.

2.

Il y a quelque chose de comique dans ceci: Wagner ne parvient pas à convaincre les Allemands qu'il faut prendre le théâtre au sérieux. En face de ses tentatives, ils demeurent froids et bonasses; alors Wagner s'échauffe, comme si le salut de l'Allemagne dépendait de lui. Maintenant surtout, les Allemands s'imaginent avoir des occupations plus sérieuses et cela leur apparaît comme une joyeuse fantaisie que quelqu'un se tourne vers l'art d'une façon si solennelle.

Réformateur, Wagner ne l'est pas, car, jusqu'à présent, tout est resté dans le même état que par le passé. En Allemagne tout le monde prend ses affaires au sérieux; alors on rit de celui qui a la prétention d'accaparer pour son compte toute l'attention que l'on porte aux choses sérieuses.

Il faut considérer: l'influence de la crise financière; l'incertitude générale de la situation politique; les doutes qui s'élèvent sur la direction réfléchie des destinées allemandes.

Le temps où l'on se passionnait pour les choses de l'art (Liszt, etc.) est passé.

Une nation sérieuse ne veut pas que les quelques rares choses qu'elle prend à la légère dégénèrent; il en est ainsi pour les Allemands des arts du théâtre.

Cause déterminante: l'importance de l'art, telle que le conçoit Wagner, ne cadre pas avec nos conditions sociales et le développement qu'a pris le travail. De là la répulsion instinctive contre ce qui apparaît comme mal approprié.

3.

L'importance que Wagner prête à l'art n'a rien d'allemand. Ici nous manquons même d'un art décoratif. Tout intérêt public pour l'art fait défaut. Ou bien il est savant, ou bien tout à fait vulgaire. De-ci de-là, on rencontre l'aspiration isolée vers le beau. La musique occupe une situation spéciale, mais la musique elle-même n'est pas parvenue à créer une organisation, à empêcher l'importation de la musique théâtrale.

—Celui qui aujourd'hui applaudit au théâtre rougit le lendemain de son geste: nous avons nos autels du foyer domestique: Beethoven, Bach—alors le souvenir se prend à pâlir.

4.

Wagner s'est trouvé en face d'un public d'éducation très variée; la réceptivité n'était pas la même pour l'œuvre et pour la musique. Il a pris le public pour une unité et a cru que les accès de sympathie jaillissaient du même fond, c'est-à-dire qu'il considérait comme certain que l'effet d'ensemble n'était qu'une addition des effets de détail uniformément distribués. Il y avait, selon lui, une somme déterminée de plaisir produite par la musique, une somme égale produite par l'exécution théâtrale et enfin la même somme par le plaisir que suscite le drame.

Maintenant il a appris à ses dépens qu'une grande comédienne est dans le cas de lui brouiller son calcul. Mais alors son idéal s'intensifie. Combien supérieur sera l'effet produit si la musique, l'exécution, etc., allaient de pair avec le talent de la comédienne!

5.

Le premier problème que se pose Wagner est le suivant: «Pourquoi ne parviens-je pas à réaliser un effet au dehors, du moment que moi je ressens cet effet?» Cette question le pousse à une critique du public, de l'Etat, de la société. Il établit entre l'artiste et le public le rapport du sujet à l'objet ... et il le fait naïvement.

6.

Wagner est une nature de législateur: il néglige beaucoup de relations et ne s'empêtre pas dans les petites choses; il coordonne tout en grand et ne peut être jugé par les détails pris isolément: la Musique, le Drame, la Poésie, l'Etat, l'Art, etc.

La musique ne vaut pas grand'chose, la poésie non plus, le drame non plus, l'art théâtral n'est souvent que de la rhétorique—mais tout cela, quand on voit grand, a son unité et se trouve au même niveau.

7.

Le génie de Wagner est une forêt qui se développe; on ne saurait le comparer à un arbre.

8.

La sérénité de Wagner est pareille au sentiment de sécurité qu'éprouve celui qui sort des plus grands dangers, des excès les plus graves, pour rentrer dans ce qui est limité et intime; tous les hommes avec qui il est en relations apparaissent comme des périodes déterminées de sa propre carrière (du moins ne comptent-ils pas autrement pour lui), c'est pourquoi il peut maintenant être gai et supérieur, car il peut se jouer de toutes les difficultés, de toutes les objections.

9.

L'une des qualités de Wagner, c'est qu'il ne connaît ni frein ni mesure, il monte jusqu'au dernier degré de sa force, de son sentiment.

L'autre qualité, c'est son suprême don de comédien, transposé dans un autre domaine et qui abandonne la voie la plus proche pour prendre possession d'un terrain nouveau. Pour se réaliser directement il lui manque la taille, la voix, et la modération qu'il faudrait.

10.

Wagner est un comédien né, mais il se trouve, en quelque sorte, dans la situation de Gœthe, qui était peintre sans avoir les mains d'un peintre. Son talent cherche des échappatoires et il les trouve.

Or il faut imaginer ce que peuvent devenir tous ces instincts en défaut lorsqu'ils agissent d'un commun accord.

11.

Si Gœthe est un peintre dévoyé, Schiller un orateur dévoyé, Wagner est un comédien dévoyé. Il ajoute à ses talents la musique.

12.

Wagner se trouve en face de la musique dans la situation d'un comédien: c'est pourquoi il est capable de faire parler l'âme de musiciens dissemblables et de placer côte à côte des univers différents (Tristan, les Maîtres chanteurs).

13.

La simplicité dans la conception des drames est l'indice du comédien.

—Wagner apprécie ce qui est simple dans la construction dramatique, parce que c'est ce qui fait le plus d'effet. Il rassemble tous les éléments à effet, à une époque qui a besoin de moyens très vulgaires et très violents, à cause de l'état d'hébétement où elle se trouve. Ce qui est magnifique, enivrant, déroutant, grandiose, terrible, bruyant, laid, extasiant, nerveux,—tout cela a droit de cité. Dimensions énormes, moyens énormes.

L'irrégularité, la splendeur surchargée et l'abondance des ornements produit l'impression de la richesse et de l'abondance. Il sait ce qui agit encore sur nos hommes; «nos hommes!» il les idéalise encore et il les place très haut.

14.

En tant que comédien, il tendait à n'imiter l'homme qu'agissant et véritable, agité par les passions les plus hautes. Car sa nature extrême voyait, dans toutes les autres conditions, faiblesse et défaut de vérité. Lorsque l'artiste dépeint des passions, il s'expose aux dangers les plus extraordinaires. Se préoccuper de ce qui enivre, de ce qui est sensuel, extatique, soudain, de ce qui veut être en mouvement à tout prix—abominables tendances!

15.

Son retour à la nature, c'est-à-dire à la passion, est suspect, parce que c'est de la passion que l'on parvient à tirer le plus d'effets. On ne saurait imaginer la possibilité d'un art qui serait de pure improvisation; vis-à-vis de la musique allemande ce point de vue est des plus naïfs. L'unité organique de Wagner est dans le drame, mais c'est pour cela qu'elle ne parvient pas (souvent pas) à pénétrer la musique, pas plus qu'elle ne pénètre le texte. Celui-ci laisse l'impression de l'improvisation. (L'improvisation n'est bonne que chez les artistes parfaits, et non pas chez ceux qui sont dans leur devenir; mais elle trompe toujours et produit une impression factice de richesse.)

16.

L'intempérance et l'imagination sans bornes étaient sans doute chez lui une seconde nature.

17.

Il ne veut pas être injuste et demander à un artiste la pureté et le désintéressement, tels que les possédaient, par exemple, Luther, etc. Mais en Bach et en Beethoven nous apparaît une nature plus pure. L'extase chez Wagner est souvent forcée et pas assez naïve; de plus, par des contrastes trop violents, il en accentue les effets.

18.

Le désir du repos, de la fidélité—après que les passions ont été déchaînées sans mesure—dans le Hollandais volant.—Dans Tannhæuser il cherche à motiver une série d'états extatiques chez un même individu; il semble croire que c'est seulement dans ces états que s'affirme l'homme naturel.

Dans les Maîtres chanteurs et dans certaines parties de ses Niebelungen il revient à la domination de soi; il y est plus grand que dans les abandons extatiques. La limitation lui sied bien.

Il apparaît comme un homme discipliné par ses instincts artistiques.

19.

Dangers de la musique dramatique, pour la musique.

Dangers du drame musical pour le poète dramatique.

Dangers pour le chanteur.

20.

Entre la musique et les paroles il y a la possibilité d'un lien véritablement organique: dans le lied. Souvent aussi dans des scènes tout entières. Il existe un idéal qui consiste à amalgamer le drame et la musique dans un semblable rapport; le modèle se trouve dans la danse du chœur antique. Mais aussitôt le but apparaît comme placé trop haut, car nous ne possédons pas encore le style du mouvement; pas encore de développement aussi savant dans l'orchestration que l'est celui de notre musique. Or, contraindre la musique à se placer au service d'une violence naturaliste, c'est la diminuer et y mettre de la confusion, pour la rendre ensuite incapable d'accomplir la tâche commune. Qu'un art comme celui de Wagner nous plaise infiniment, qu'il offre un horizon infini de développement artistique, il n'y a à cela aucun doute. Mais le sens des poèmes! Pourvu que la musique ne devienne pas mauvaise et que la forme ne fasse pas défaut! Au service des gesticulations dans Hans Sachs (Beckmesser) la forme dégénère inévitablement.

—La musique pour le personnage de Beckmesser atteint le superlatif; elle ne saurait exprimer quelqu'un qui est battu davantage et davantage maltraité. On a véritablement pitié, comme quand on voit qu'un bossu est raillé.

21.

On ne peut sauter le degré qui mène de la danse à la symphonie. Que reste-il, sinon la contre-partie naturaliste de la passion véritable et sans rythme? Mais l'art ne peut venir à bout de la nature sans style. Il y a des excès de l'espèce la plus douteuse dans Tristan, par exemple les explosions à la fin du second acte. Le dérèglement dans la scène du pugilat des Maîtres chanteurs, Wagner sent que, pour ce qui touche à la forme, il a toute la rudesse des Allemands et préfère s'enrôler sous la bannière de Hans Sachs que sous celle des Français ou des Grecs. Pourtant, notre musique allemande (Mozart, Beethoven) s'est assimilé la forme italienne, comme c'est le cas de notre chanson populaire, et c'est pourquoi, avec la richesse nuancée de ces lignes, elle ne correspond plus à la grossièreté paysanne et bourgeoise.

22.

La langue se hausse jusqu'à l'expression la plus forte—l'allitération. L'orchestre aussi. La justesse d'expression n'apparaît pas comme ce qu'il y a de plus important, mais la force enivrante du pressentiment.

23.

Dans le sublime, Wagner se conforme à la règle et au rythme; dans les détails, il est souvent violent et sans rythme.

24.

L'interruption des grandes périodes rythmiques, le perpétuel enjambement de la phrase sur la mesure produit, en effet, l'impression de l'infini, de la mer; mais c'est là un procédé d'art et non pas une loi régulière, malgré l'effort que fait Wagner pour lui en donner l'estampille. Nous nous y précipitons d'abord littéralement, nous cherchons des périodes, pour être désillusionnés, et finalement nous nous noyons dans les flots.

25.

Dans certaines harmonies, il a quelque chose d'agréable et de résistant tout à la fois, comme quand on fait jouer une clef dans une serrure compliquée.

26.

Pourrait-on parler chez Wagner de superbe «musique toute nue»? Il a devant l'esprit l'image de l'être intime devenu visible, d'un processus de sentiment qui prend aspect de mouvement—c'est cela qu'il s'applique à rendre et c'est du suprême Schopenhauer de vouloir saisir directement la volonté.

La musique comme image d'une existence, par la succession.

27.

Il y a danger en ceci que dans le mouvement et l'action du drame résident les motifs pour le mouvement de la musique, de telle sorte que la musique se trouve dirigée par ces mouvements. Il n'est pas nécessaire que l'un des deux prenne la direction de l'autre. Dans l'œuvre d'art complète, nous avons le sentiment de la simultanéité conditionnée.

28.

Wagner considère comme une erreur d'envisager, dans l'œuvre d'art de l'Opéra, un moyen d'expression—la musique—comme but, le but de l'expression étant considéré comme moyen. Par conséquent, c'est la musique qui est considérée par lui comme moyen d'expression—ce qui est caractéristique pour le comédien. Pour une symphonie, il y a donc lieu de demander dès lors: si c'est la musique qui est ici le moyen d'expression, qu'est-ce qui en est le but? Le but ne saurait donc résider dans la musique; ce qui par essence est moyen d'expression doit avoir quelque chose à exprimer. Wagner estime que c'est le drame. Sans le drame, il considère la musique seule comme un non-sens. Alors on peut se poser cette question: pourquoi tant de bruit? En vertu de ce principe Wagner considérait la Neuvième Symphonie comme l'œuvre par excellence de Beethoven, parce que, par l'adjonction de la parole, le compositeur donnait à la musique sa signification, faisant d'elle un simple moyen d'expression.

Moyen et but—Musique et Drame—doctrine ancienne.

Généralité et exemple—Musique et Drame—doctrine nouvelle.

Si cette dernière doctrine est la vraie, la généralité ne peut, en aucune façon, être dépendante de l'exemple, en d'autres termes: la musique absolue est dans son droit et la musique du drame doit être, elle aussi, une musique absolue. Pourtant il ne faut envisager tout cela que comme symbole et image—il n'est pas rigoureusement exact que le drame n'est qu'un exemple pour la généralité de la musique. En quoi y a-t-il espèce et exemple? Dans les mouvements des attitudes (pour ne parler ici que du drame mimique). Or, les mouvements d'une figure peuvent signifier, eux aussi, la généralité, car ils expriment des états d'âme intimes qui sont beaucoup plus abondants et plus nuancés que leur résultante sous forme de mouvements exécutés par l'homme intérieur. C'est pourquoi une attitude est souvent mal interprétée. De plus, il y a quelque chose d'infiniment conventionnel dans tous les gestes: l'homme absolument libre est une image trompeuse. Mais, si l'on abandonne le mouvement de la figure pour ne plus parler que de l'émotion qui l'agite, la musique devrait être la généralité, l'émotion de telle ou telle personne, le particulier. Or, la musique est précisément l'émotion du musicien exprimée en sons, donc en tous les cas celle d'un individu. Et il en a toujours été ainsi (si l'on fait abstraction de la doctrine purement formaliste de l'arabesque des sons). On se trouvait donc en présence d'une contradiction absolue: une expression tout à fait déterminée du sentiment jaillissant sous forme de musique (absolument précis)—et, à côté, le drame, côte à côte d'expressions de sentiments tout à fait déterminés par des paroles et des gestes. Comment ceux-ci peuvent-ils s'identifier? Le musicien peut, à vrai dire, ressentir, dans son for intérieur, toutes les péripéties du drame et les rendre sous forme de musique pure (l'ouverture de Coriolan). Cette reproduction prend alors, en face du drame lui-même, le sens d'une généralisation; les motifs politiques, les arguments sont négligés et seule parle l'absurde volonté. Dans toute autre acception, la musique dramatique est une mauvaise musique.

Que deviennent cependant la prétendue simultanéité et le parallélisme absolu, dans l'ensemble de l'action, chez le musicien et dans le drame? La musique ne fait que déranger l'auteur dramatique, car pour exprimer quelque chose il lui faut du temps, souvent pour une seule émotion du drame toute une symphonie. Que devient, pendant ce temps, le drame? Wagner utilise, pour remplir ces intervalles, le dialogue, d'une façon générale les paroles.

Il faut alors ajouter une nouvelle puissance et une nouvelle difficulté: la langue. Celle-ci s'exprime en conceptions abstraites. Les conceptions abstraites sont soumises, elles aussi, à des règles du temps qui leur sont propres.

La mimique, le monde des conceptions abstraites, la musique, chacun de ces éléments exprime dans une chronométrie différente le sentiment qui est à sa base. Dans le drame parlé règne une puissance qui, pour s'affirmer, a besoin du temps le plus considérable, la conception abstraite. C'est pourquoi l'action est souvent un repos qui prend des formes plastiques et se manifeste par des groupes. Surtout dans l'antiquité: l'art plastique au repos exprime un état d'âme déterminé. La mimique se trouve donc dans une dépendance directe avec le drame parlé.

Or, le musicien a besoin de temps tout à fait différents, et, au fond, on ne saurait lui imposer aucune loi: un sentiment entamé peut se prolonger longtemps chez un musicien et être bref chez un autre. Quelle exigence, donc, de vouloir que le langage des idées et le langage des sons aillent de pair!

Pourtant, la parole elle-même soutient un élément musical. La phrase violemment sentie possède une mélodie qui est aussi l'image d'une forte émotion de la volonté. Cette mélodie peut être utilisée au point de vue artistique et on peut l'interpréter à l'infini.

L'assemblage de tous ces facteurs paraît irréalisable; tel musicien rendra certaines émotions que suscitent chez lui le drame et ne saura rien faire de la plus grande partie de ce drame, de là probablement le récitatif et la rhétorique. Le poète ne parviendra pas à venir en aide au musicien et, par le fait, ne pourra lui-même se tirer d'affaire; il souhaite de ne versifier qu'autant de texte qu'on peut en chanter. Mais de cela il ne possède que la conscience théorique et non pas la conscience intime. L'acteur, d'autre part, en tant que chanteur, devra faire une foule de choses qui ne sont pas dramatiques, ouvrir par exemple la bouche, etc.; il lui faut adopter des manières conventionnelles. Or, tout cela serait changé, s'il arrivait une fois au comédien d'être à la fois musicien et poète.

Wagner utilise le geste, le langage, la mélodie de la parole et, en outre, les symboles reconnus de l'expression musicale. Il suppose, comme condition, une musique très développée qui a déjà conquis l'expression déterminée, reconnaissable et revenant toujours à nouveau, pour reproduire une infinité d'émotions. Par ces citations musicales il rappelle à l'auditeur un état d'âme particulier, où l'interprète veut qu'on le situe. Dès lors, la musique est devenue véritablement un «moyen d'expression», et c'est pourquoi, au point de vue artistique, elle se trouve à un degré inférieur, car elle n'est plus organique par elle-même. Maintenant le maître musicien parviendra encore à combiner les symboles de la façon la plus ingénieuse; mais la connexion et le plan se trouvant au delà et en dehors de la musique, celle-ci ne saurait être organique. Pourtant, il serait injuste de reprocher cela à l'auteur dramatique. Il a le droit d'utiliser la musique comme moyen en vue du drame, de même qu'il utilise la peinture comme un moyen. Une pareille musique, si on la prend telle qu'elle est, peut être comparée à l'allégorie peinte; le sens propre ne se trouve pas dans l'image que l'on voit, c'est pourquoi cette image peut être très belle.

29.

Tout ce qui est grand, surtout quand cela est nouveau, est dangereux; la plupart du temps on le voit s'imposer comme s'il n'y avait rien d'autre qui fût justifié.

30.

Gœthe ne doutait pas non plus qu'il fût capable de faire ce qui lui plaisait. Son goût et sa faculté de réalisation marchaient de pair. La présomption.

Tout ce qui agissait fortement sur Wagner, il prétendait le réaliser. Il ne comprenait chez ses modèles que ce qu'il pouvait imiter. Nature à la Schopenhauer.

31.

Wagner est une nature dominante. Il ne se trouve dans son élément que lorsqu'il peut dominer, alors seulement il est modéré et solide. L'entrave mise à son instinct de domination le rend excessif, excentrique et rébarbatif.

31 bis.

Wagner est trop immodeste pour un Allemand; que l'on songe donc à Luther, notre chef de file.

32.

L'homme qui se sent capable de ces extases démesurées, de ces formidables aliénations de soi conserve rarement sa modestie, car seul celui qui sait se sent poussé à la modestie; l'enthousiaste qui ignore est sans limites. Il faut ajouter à cela le culte du génie nourri par Schopenhauer.

33.

Wagner est homme moderne et ne sait pas se donner du courage et s'affermir par la foi en Dieu. Il ne croit pas être dans la main d'un être de bonté, mais il croit en lui-même. Personne n'est plus tout à fait honnête vis-à-vis de soi-même quand il n'a foi qu'en soi. Wagner met de côté toutes ses faiblesses par le fait qu'il les met au compte de notre époque et de ses adversaires.

34.

Il se décharge de ses faiblesses par le fait qu'il les met au compte des temps modernes. Il a une foi naturelle en la bonté de la nature lorsque celle-ci agit librement.

Il évalue tout, l'Etat, la société, la vertu à la mesure de son art, et, se trouvant dans un état de mécontentement, il souhaite que le monde soit anéanti.

Se débarrassant des remords et des torts, parce qu'il se sent grandir, sans cesse, il oublie vite l'injustice; élevé sur un degré nouveau, celle-ci lui apparaît déjà de mince importance, comme si elle était cicatrisée. Il sait se consoler de tout, comme Schopenhauer.

35.

La faculté artistique ennoblit l'instinct effréné et lui impose des limites, le concentre (vers le désir de rendre l'œuvre aussi parfaite). C'est ce pouvoir qui ennoblit toute la nature de Wagner. Toujours il se dresse vers des buts plus élevés, aussi élevés qu'il peut les apercevoir; ces buts deviennent toujours meilleurs et enfin ils apparaissent de plus en plus déterminés et par cela même plus près. C'est ainsi que le Wagner actuel ne semble plus correspondre au Wagner d'Opéra et Drame, socialiste; le but d'autrefois paraît plus noble, mais il est seulement plus lointain et plus indéterminé. Sa conception actuelle de l'univers, de l'Allemagne, etc., est plus profonde, bien qu'elle soit d'essence plus conservatrice.

36.

Il est heureux que Wagner ne soit pas né dans une classe plus élevée de l'échelle sociale, qu'il ne soit pas né noble et que son activité ne se soit pas exercée dans une sphère politique.

Il ne s'est pas abstenu de réfléchir à des possibilités politiques; pour son malheur il ne l'a pas fait en présence du roi de Bavière, lequel, tout d'abord, ne lui a pas représenté son œuvre; en second lieu, l'a à moitié sacrifié par des représentations provisoires et, enfin, qui lui a fait une réputation très impopulaire, parce que c'est à l'influence de Wagner que l'on attribuait les excentricités de ce prince.

Il s'est tout aussi malheureusement compromis avec la révolution; il perdit les protecteurs fortunés, éveilla la crainte et apparut finalement aux partis socialistes comme renégat; tout cela sans aucun avantage pour son art et sans aucune nécessité supérieure. C'est enfin un indice de sa maladresse, car il ne sut nullement deviner la situation de 1848.

En dernier lieu, il offensa les Juifs, qui ont maintenant le plus d'argent en Allemagne et qui détiennent la presse. Lorsqu'il le fit, ce ne fut pas parce qu'une vocation l'y pressait, plus tard ce fut de la vengeance.

S'il a eu raison avec la confiance extrême qu'il place en Bismarck, un avenir qui n'est pas très éloigné nous l'apprendra.

37.

La jeunesse de Wagner est celle d'un dilettante avec des talents multiples qui n'arrive à rien.

38.

Il se sauva de son emploi parce qu'il ne voulait plus servir.

39.

J'ai souvent absurdement douté du don musical chez Wagner.

40.

Aucun de nos grands musiciens n'a été un aussi mauvais musicien que Wagner l'était encore dans sa vingt-huitième année.

41.

Sa nature se divise peu à peu: à côté de Siegfried-Walther-Tannhæuser se place Hans Sachs-Wotan. Il apprend très tard à comprendre l'homme. Tannhæuser et Lohengrin sont les chimères d'un adolescent.

42.

Wagner s'est tellement habitué à sentir en même temps dans des arts différents qu'il est devenu complètement insensible à la musique nouvelle, cela au point qu'il la rejette théoriquement. Il en est de même pour les œuvres poétiques. De là ses nombreux différends avec des contemporains.

43.

Aucune piété ne vient au-devant de lui, le musicien le considère comme un intrus, comme illégitime.

44.

La «fausse toute-puissance» développe chez Wagner quelque chose de «tyrannique». Il a le sentiment qu'il est sans héritiers—c'est pourquoi il cherche à donner à ses idées réformatrices une base aussi large que possible pour les transmettre en quelque sorte par adoption. L'aspiration à la légitimité.

Le tyran ne permet à aucune individualité de subsister à côté de la sienne et celle de ses confidents. Le danger pour Wagner est grand s'il n'accorde pas leur place à Brahms, etc.; ou bien aux Juifs.

45.

Ses dons de comédien s'affirment en ceci qu'il n'est jamais comédien dans sa propre vie. En tant qu'écrivain il est rhéteur, sans la force de persuader.

46.

Dans son évaluation des grands musiciens, il emploie des expressions trop fortes, c'est ainsi qu'il appelle par exemple Beethoven un saint. Présenter l'adjonction des paroles dans la Neuvième Symphonie comme une action capitale, il faut avouer que c'est un peu fort! Il éveille la méfiance par ses éloges aussi bien que par ses critiques. Le gracieux et l'agréable aussi bien que la beauté pure, le reflet d'une âme parfaitement équilibrée lui échappent, aussi cherche-t-il à les déprécier.

47.

Placer Shakespeare et Beethoven côte à côte, c'est là l'idée la plus audacieuse, la plus folle que l'on puisse imaginer.

48.

Wagner, en tant qu'écrivain, ne reproduit pas l'image fidèle de ce qu'il est véritablement. Il ne sait pas composer: l'ensemble ne prend pas de relief, dans les détails il fait des digressions, il est obscur, il n'est pas insouciant et supérieur. Il est dépourvu d'une sereine arrogance. Tout ce qui est agréable et gracieux lui fait défaut et aussi la précision dialectique.

49.

Une forme particulière de l'orgueil de Wagner ce fut de se comparer aux grands hommes du passé: à Schiller, à Gœthe, à Beethoven, à Luther, à la tragédie grecque, à Shakespeare, à Bismarck. C'est seulement avec l'époque de la Renaissance qu'il n'a pas trouvé de terme de comparaison; mais il a inventé l'esprit allemand par opposition avec l'esprit latin. Il y aurait une intéressante caractéristique de l'esprit allemand à faire d'après son modèle.

50.

Wagner est certainement l'homme qui goûte actuellement avec le moins de préventions les petites vertus allemandes et l'étroitesse d'esprit, car il les voit succomber et il conspire avec elles contre ce qui triomphe maintenant.

51.

Comment Wagner a-t-il recruté ses adhérents? Des chanteurs qui, en tant qu'acteurs du drame, devenaient intéressants et auxquels il offrait une nouvelle possibilité d'agir, peut-être avec une voix médiocre. Des musiciens qui se faisaient instruire par le maître de la diction musicale; la diction musicale doit être si géniale que l'on ne saurait arriver à la conscience de l'œuvre elle-même. Des musiciens d'orchestre qui autrefois s'ennuyaient au théâtre. Des musiciens qui s'appliquaient à enivrer et à fasciner le public par des moyens directs et qui apprirent les effets du coloris de l'orchestration wagnérienne. Toutes les catégories de mécontents, qui de n'importe quel bouleversement espéraient gagner quelque chose pour eux-mêmes. Des hommes qui prennent feu et flamme pour toute espèce de «progrès». Ceux qui s'ennuyaient en écoutant la musique que l'on faisait jusqu'à présent et qui trouvaient maintenant que leurs nerfs étaient plus vigoureusement secoués. Des hommes qui se laissent entraîner par tout ce qui est téméraire et audacieux.—Il eut bientôt pour lui les virtuoses, bientôt une partie des compositeurs; à peine si l'un ou l'autre peut se passer de lui. Des littérateurs avec tous les obscurs besoins de réforme. Des artistes qui admirent sa façon de vivre indépendant.

52.

Wagner, en tant que penseur, est au même niveau que Wagner en tant que musicien et poète.

53.

L'art rassemble une fois toutes les qualités excitantes qu'il possède encore pour agir sur les Allemands modernes... Le caractère, le savoir, tout est réuni. Un formidable effort pour se maintenir et dominer, et cela dans une époque qui est rébarbative à l'art. Poison contre poison. Toutes les exaltations se tournent, en utilisant la polémique, contre des forces considérables rébarbatives à l'art. On attire à soi des éléments religieux et philosophiques, l'aspiration vers l'idylle, tout, tout!

54.

Il faut songer quelle est l'époque qui ici se crée un art: une époque déchaînée, haletante, sans pitié, avide de gain, informe, incertaine dans ses fondements, presque désespérée, dépourvue de naïveté, consciente de part en part, sans noblesse, violente, lâche.

55.

Par l'échec il ne faudrait pas irriter Wagner davantage, on finirait par le rendre trop furibond.

56.

Une sorte de contre-réformation; la contemplation transcendantale a été affaiblie à l'extrême; la beauté, l'art, l'amour de la vie ont été fortement vulgarisés, sous le contre-coup de l'esprit protestant. Christianisme idéalisé d'essence catholique.

57.

L'art de Wagner plane au-dessus des sommets, il est transcendantal; que doit en faire notre pauvre bassesse allemande? Il vous a un aspect de fuite hors de ce monde; il est la négation de ce monde, il ne transfigure pas. C'est pourquoi il n'agit pas directement comme moralisateur, indirectement d'une façon quiétiste. Nous ne voyons Wagner préoccupé que d'une chose, procurer à son art un asile en ce monde; mais que nous importe un Tannhæuser, un Lohengrin, un Tristan, un Siegfried! Il semble pourtant que ce soit la destinée de l'art, à une époque comme la nôtre, d'enlever à la religion agonisante une partie de sa force. De là l'alliance de Wagner avec Schopenhauer. On devine que peut-être bientôt la civilisation n'existera plus que sous forme de sectes, menant une existence claustrale et se séparant du monde qui les entoure. Le vouloir-vivre de Schopenhauer trouve ici son expression artistique: quelle sourde agitation sans but! quelles extases! quels désespoirs! quels accents de souffrance et de désir! quels cris d'amour et d'ardeur! Rarement un gai rayon de soleil mais beaucoup de fantasmagories dans les éclairages!

Dans une semblable position réside pour l'art sa force et sa faiblesse; il est bien difficile de revenir de là-bas vers la vie simple. Ce n'est plus de rendre la réalité meilleure qui est le but, mais de l'anéantir, de la faire s'évanouir sous le charme. La force réside dans le caractère sectaire: cet art est extrême et exige de l'homme une acceptation absolue.—Un homme est-il capable de devenir meilleur sous l'influence de cet art et de la philosophie de Schopenhauer? Certainement, pour ce qui est de la véracité. Si, du moins, à une époque où le mensonge et les conventions sont si ennuyeux et si dépourvus d'intérêt, la véracité n'était pas si intéressante! Si divertissante! Si pleine de charme esthétique!

58.

Ne pas oublier que c'est une langue de théâtre que parle l'art wagnérien; il n'a pas sa place au foyer familial, dans la camera. Cette langue ressemble à celle d'un discours populaire qu'on ne saurait imaginer sans une forte exagération même de ses passages les plus nobles. Elle doit exercer son action dans le lointain et donner une forme au chaos populaire, par exemple le Kaisermarsch.

Beaucoup d'erreurs naissent du fait que celui qui juge prend pour point de départ un art partiel (l'art du foyer).

59.

Il est très possible que Wagner fasse perdre aux Allemands le goût de s'occuper des arts distincts. Peut-être même pourrait-on tirer de l'influence qu'il exercera plus tard l'image d'une culture unitaire qu'on ne saurait réaliser en additionnant des aptitudes et des connaissances spéciales.

60.

Il possède le sentiment de l'utilité dans la diversité, c'est pourquoi je le tiens pour un représentant de la culture.


NOTES POUR LE «CAS WAGNER»

(1885-1888)

Le «problème Wagner» ne cessa d'intéresser Nietzsche pendant les dernières années de sa vie intellectuelle. Il le confondait avec le «problème de la modernité», un de ceux auxquels il a le plus réfléchi, et comme son amitié pour le génial compositeur resta, malgré la séparation, l'événement important de toute son existence, ce fut sur la personne de l'œuvre et sur Wagner qu'il exerça le plus volontiers ses facultés critiques. Nous l'avons vu juger sévèrement le musicien, avant même que d'écrire son apologie. Séparé de Wagner, quand la publication d'Humain, trop humain eut rendu toute communion impossible, il n'en resta pas moins préoccupé sans cesse de ce qui touchait aux idées du maître. N'appartenaient-ils pas tous deux à la même sphère intellectuelle, n'avaient-ils pas les mêmes amis, les mêmes disciples? Ce fut, entre les deux hommes, pendant quelques années, une véritable lutte d'influences, où celle de Wagner devait finir par triompher.

Par toutes les fibres de son cœur, nonobstant les réserves que lui commandait son intelligence, Nietzsche tenait à Bayreuth. Il avait trop sacrifié au culte qu'il poursuivait maintenant de sa haine pour n'en pas conserver une profonde, une inguérissable blessure. Le romantisme, le christianisme, ces deux maladies dont souffre l'homme moderne, il avait pu en faire le diagnostic en s'étudiant lui-même, avant d'étudier Wagner. Dans la fureur qu'il mit à les combattre, on devine une secrète affinité dont sa négation même affirme la puissance. Nietzsche avait pu renier Wagner, mais le «problème Wagner» resta pour lui le plus intéressant des problèmes.

Zarathoustra fourmille de passages où le philosophe chante sa libération, et dans tous les volumes d'aphorismes on retrouvera des allusions à Wagner. Quand Parsifal fut exécuté pour la première fois à Bayreuth en 1882, Nietzsche séjournait non loin de là, à Trautenburg. Fut-il tenté de refaire le pèlerinage qui en 1876 lui avait procuré une si amère désillusion? En tous les cas, il s'intéressa à la représentation et trouva tout naturel que sa sœur voulût y assister. Le 25 juillet il écrivait à son ami le musicien Peter Gast: «Dimanche j'ai été à Nauenbourg pour préparer un peu ma sœur à l'audition de Parsifal....» Et, tandis qu'il travaille la partition, des réminiscences lui viennent. «J'avoue qu'avec une véritable terreur je me suis de nouveau rendu compte à quel point je suis parent de Wagner... Vous entendez bien, cher ami, que, par là je ne veux pas louer Parsifal! Quelle soudaine décadence! Quels tours à la Cagliostro!»


Mais Nietzsche ne pouvait se dérober complètement au charme de la musique wagnérienne. Adversaire par principe des idées de Wagner, il reste l'admirateur du grand artiste qu'il avait aimé. Il échappe aux séductions de Kundry, mais le magicien Wagner captive encore ses sens.

Une curieuse lettre écrite de Nice, en date du 21 janvier 1887, au même Peter Gast, enregistre cette impression:

Dernièrement j'ai entendu pour la première fois (à Monte-Carlo) le prélude de Parsifal. Quand je vous reverrai je veux vous dire exactement ce que j'ai compris. En faisant abstraction de toutes les questions déplacées (à quoi peut servir une pareille musique, à quoi elle doit servir), et si l'on se place à un point de vue purement esthétique, on ne peut se demander si Wagner a jamais fait quelque chose de meilleur. La plus haute conscience psychologique, par rapport à ce qui doit être dit, se trouve exprimée et communiquée ici; la forme la plus brève et la plus directe de cette conception; chaque nuance du sentiment poussée jusqu'à l'épigramme; une précision de la musique, en tant qu'art descriptif, qui fait songer à un écusson travaillé en relief; et, en fin de compte, un sentiment sublime et extraordinaire, un événement de l'âme placé au fond de la musique dont Wagner peut tirer le plus grand honneur; une synthèse d'émotions qui pour beaucoup d'hommes, même d'«hommes supérieurs», pourraient sembler incompatibles; une sévérité justiciaire, une «élévation» au sens effrayant du mot, une compréhension et une pénétration qui sectionne l'âme comme avec un couteau—et encore: de la compassion avec ce que l'artiste aperçoit et juge. Il y a des choses semblables chez le Dante et nulle part ailleurs. Un peintre a-t-il jamais peint un regard d'amour aussi mélancolique que Wagner, avec les derniers accents de son prélude[2]?

Les deux fragments dont nous donnons plus loin la traduction sont des notes préparatoires pour le Cas Wagner, mais leur texte n'a pas été utilisé pour la rédaction définitive de cet opuscule. Ils serviront en tous cas à préciser davantage les relations entre deux hommes dont les «univers intellectuels» se confondent si souvent pour aboutir à des voies différentes.

En condamnant Wagner, Nietzsche lui a rendu le plus magnifique hommage. Il a tenu à préciser cet hommage dans un chapitre d'Ecce homo: «Je crois que je sais mieux que n'importe qui de quels prodiges Wagner est capable: l'évocation de cinquante univers de ravissements étranges que personne d'autre que lui ne peut atteindre à tire d'ailes. Et, tel que je suis, assez fort pour faire tourner à mon avantage ce qu'il y a de plus problématique et de plus dangereux afin de devenir plus fort encore, j'appelle Wagner le plus grand bienfait de ma vie. Ce qui nous nuit, c'est que nous avons profondément souffert, aussi l'un par l'autre, plus que les hommes de ce siècle seraient capables de souffrir. Cette alliance associe éternellement nos noms dans l'avenir.»—H. A.

I

1.

Aujourd'hui, en Allemagne, le malentendu au sujet de Richard Wagner est énorme, et comme j'ai contribué à l'augmenter, je veux payer ma dette en essayant de l'amoindrir...

2.

Ce que j'ai écrit moi-même, autrefois, dans mes «jeunes années», au sujet de Schopenhauer et de Wagner—et, plutôt que de l'écrire, je l'ai peint, peut-être en fresques trop audacieuses, exubérantes, trop juvéniles,—je ne veux du moins pas l'examiner ici, dans ses détails, pour déterminer jusqu'à quel point ce fut vrai ou faux. En admettant cependant que je me fusse alors trompé, mon erreur ne constituerait un déshonneur ni pour ceux que j'ai nommés, ni pour moi-même. C'est quelque chose de se tromper ainsi; c'est quelque chose aussi d'induire à ce point en erreur quelqu'un de mon espèce; ce fut, de toute façon, pour moi un inappréciable bienfait, lorsque je décidai de peindre «le philosophe» et «l'artiste», qui sont en quelque sorte mon propre «impératif catégorique», de ne pas utiliser mes couleurs nouvelles pour quelque chose d'imaginaire, mais de pouvoir poser mes touches en quelque sorte sur un dessin préparé d'avance. Sans le savoir, je ne parlai que pour moi et au fond seulement de moi-même. Cependant, tout ce que j'ai alors vécu, j'y vis pour une catégorie particulière d'hommes des expériences typiques qu'il me parut être mon devoir d'exprimer. Et celui qui lit ces écrits, d'une âme jeune et fougueuse, devinera peut-être les vœux difficiles par lesquels je m'engageai alors pour la vie, par lesquels je me décidai à vivre ma vie; puisse-t-il être du petit nombre de ceux qui ont le droit de s'engager dans une voie semblable et de faire des vœux identiques!

3.

Il y eut une époque où, secrètement, je commençai à rire de Richard Wagner; ce fut au moment où il se préparait à jouer son dernier rôle pour se présenter devant ces bons Allemands avec les attitudes d'un faiseur de miracles, d'un sauveur, d'un prophète et même d'un philosophe. Et comme je n'avais pas encore cessé de l'aimer, mon propre rire me mordit au cœur, ainsi qu'il arrive à chacun de ceux qui se séparent de leur maître pour trouver enfin, leur propre chemin. C'est vers cette époque que fut écrite l'étude un peu vive qu'on lira plus loin et dont il me semble que bien des jeunes Allemands pourront encore tirer profit. Moi-même, tel que je suis disposé aujourd'hui, je souhaiterais que tout cela fût dit d'une façon plus patiente et aussi plus cordiale et plus délicate. Dans l'intervalle, j'ai trop deviné la douloureuse et épouvantable tragédie cachée derrière la vie de l'homme qu'était Richard Wagner.

4.

Négligeons momentanément la question de savoir quelle valeur Richard Wagner peut avoir et aura encore pour celui qui n'est pas musicien. Incontestablement Wagner a donné aux Allemands de cette époque l'idée la plus large de ce que pourrait être un artiste: le respect que l'on doit à l'artiste a grandi soudain jusqu'à des proportions démesurées; partout il a soulevé de nouvelles évaluations, de nouveaux désirs, de nouveaux espoirs; le caractère même de son œuvre d'art, seulement promis, incomplète et imparfaite, n'y eut peut-être pas la moindre part. Qui donc n'a pas appris à son école? Non pas directement, ainsi qu'ont fait les exécutants et les hommes à attitudes, de toutes espèces, mais indirectement, «à l'occasion de Richard Wagner», comme on pourrait dire. Même les problèmes de la connaissance philosophique ont été puissamment influencés par son œuvre, il n'y a à cela aucun doute. Il y a aujourd'hui une foule de questions esthétiques dont avant Wagner même les gens les plus subtils n'avaient pas le flair—avant tout le problème du comédien et des rapports de celui-ci avec les différents arts, pour ne point parler des problèmes psychologiques, tels que le caractère et l'art de Wagner les font naître en quantité. Il faut concéder cependant que, pour autant qu'il s'aventure lui-même sur le terrain de la connaissance, loin de mériter des éloges, il est digne de la réprobation la plus absolue; c'est en intrus aussi immodeste et maladroit qu'il pénètre dans les jardins de la science, et la façon dont Wagner se met à «philosopher» apparaît comme du dilettantisme de l'ordre le plus répréhensible; qu'on n'ait même pas su en rire, cela peut paraître foncièrement allemand et fait partie du vieil et très germanique «culte de l'obscurité». Mais si l'on veut à tout prix lui rendre aussi des honneurs et lui élever des statues comme à un «Penseur»—la bonne volonté, la soumission de ses partisans ne sauraient y manquer—eh bien, je préconiserais de le représenter comme le génie de l'obscurité allemande en personne, tenant un flambeau d'où se dégagerait une épaisse fumée, enthousiasmé et trébuchant par-dessus une pierre. Quand Wagner pense, il trébuche!...

5.

Mais le musicien Richard Wagner?—Wagner et encore Wagner, c'est aujourd'hui la devise...

6.

Avec tout cela, nous autres amis de la musique, nous sommes à bout de patience. Nous avons si longtemps fait la meilleure mine au mauvais jeu de la wagnérie! A l'aide de toutes les vertus et de toutes les esthétiques nous nous sommes convaincus et persuadés, durant un interminable jour de pluie, que le plus mauvais temps peut être du beau temps. «Combien de charme, nous sommes-nous dit, se trouve caché dans l'orage et dans les noirs nuages menaçants! Comme la pluie s'entend à tomber sur la mélodie infinie! Quel incomparable spectacle est celui d'un coup de foudre au milieu de l'interminable et grise tristesse! Et le tonnerre donc!» Mais, enfin, nous voulons voir de nouveau le ciel se dégager et, pour le moins, le beau soir que nous avons bien mérité, après une journée si vertueuse, mais si mauvaise!—Vraiment? Est-ce le soir? Déjà le soir tombe-t-il? Votre meilleur art, la musique, est-il, lui aussi, à son déclin?... Mes amis, voici quelqu'un qui n'y croit plus. Nous sommes encore bien éloignés du déclin, et l'art de Wagner ne correspond ni au midi ni au couchant de notre art; il n'est qu'un dangereux accident, une exception et un problème par quoi toutes les sévères consciences d'artistes ont été mises à l'épreuve! Nous avons appris à dire non au bon moment; tout musicien sincère et profond dit aujourd'hui non en face de Wagner et de lui-même, dans la mesure où il «wagnérise» encore,—et il le fera avec d'autant plus d'énergie qu'il aura été à l'école de Wagner et que Wagner lui aura appris quelque chose.

7.

Il se peut que les musiciens mal doués, avides d'argent et d'honneur, soient aujourd'hui en mauvaise posture; précisément pour eux il y a, dans la façon dont Wagner fait de la musique, un attrait raffiné. Car il est facile de composer avec les procédés et les artifices de Wagner; il se peut aussi, étant donné le besoin démagogique d'exciter les «masses», qui est propre à nos artistes d'aujourd'hui, que cela soit rémunérateur, c'est-à-dire d'un effet plus considérable, plus «écrasant», plus «frappant», plus «saisissant» et quelles que soient les épithètes favorites et traîtresses de la populace théâtrale et des dilettantes enthousiasmés. Mais, que signifient, en fin de compte, en matière d'art, le bruit et l'enthousiasme des masses? La bonne musique n'a jamais de «public»; elle n'est et ne saurait être «ouverte» à tous, elle appartient aux êtres de choix, elle doit exister, toujours et exclusivement—pour parler en image—pour la «camera». Les «masses» devinent celui qui s'entend le mieux à les flatter; elles témoignent, à leur façon, de la reconnaissance à tous les talents démagogiques et elles leur rendent la pareille aussi bien qu'elles peuvent. (Comment les «masses» s'entendent à témoigner de la reconnaissance, et avec quel «esprit», quel «goût», la mort de Victor Hugo en a fourni un témoignage instructif.) Au cours de tous les siècles français, a-t-on jamais imprimé et dit en France tant de sottises qui déshonorent qu'à cette occasion? Mais aux obsèques de Richard Wagner les flatteries de la reconnaissance s'égarèrent jusqu'à proférer le «pieux» souhait: «le salut pour le sauveur!»

8.

Il est incontestable que l'art wagnérien agit aujourd'hui sur les masses. Ne trouvons-nous pas là une indication précisément pour ce qui concerne cet art? Il y a trois bonnes choses dans l'art, trois choses dont les masses n'ont jamais eu le sens: la noblesse, la logique et la beauté—pulchrum est paucorum hominum—pour ne point parler d'une chose meilleure encore, le grand style. C'est du grand style que Wagner se trouve le plus éloigné; ce que ses procédés ont de démesuré et d'héroïquement fanfaron est l'opposé même de ce qu'il y a dans son art de tendre séduction, de charmes multiples, d'inquiet, d'incertain, de captivant, de momentané, de secrète exaltation, de toute cette mascarade supra-sensible des sens malades et quel que puisse être le nom que l'on donne à tout ce qui est typiquement «wagnérien». D'abord et avant tout l'attitude saisissante! Quelque chose qui renverse et fait frissonner! Qu'importe la «raison suffisante»! Une sorte d'ambiguïté, même dans le rythme de la phrase, fait partie de ses procédés favoris, une sorte d'ivresse et de somnambulisme qui ne sait plus «déduire» logiquement et qui pousse une volonté dangereuse à obéir et à céder aveuglément. Il y a quelque chose de très séduisant dans l'illogique, dans le demi-logique—Wagner s'en est rendu compte à fond,—surtout pour les Allemands qui prennent le manque de clarté pour de la «profondeur». La virilité et la sévérité d'un développement logique lui sont restées fermées, mais il trouva quelque chose qui pourrait faire plus d'effet. «La musique, a-t-il écrit, n'est toujours qu'un moyen, le but c'est le drame.» Le drame? Au fond, ce n'était autre chose que l'attitude! C'est ainsi du moins que Wagner le comprit pour lui-même.

9.

Que l'on observe donc nos femmes, quand elles sont «wagnérisées»: quelle absence de «libre-arbitre»! Quel fatalisme dans le regard mourant! Quelle soumission! Quelle résignation! Peut-être se doutent-elles même que, dans cet état de volonté «suspendue», elles ont un charme et un attrait de plus pour certaines espèces d'hommes! Quelle autre raison leur faudrait-il encore pour adorer leur Cagliostro, leur faiseur de miracles? Chez les véritables «ménades» de l'adoration wagnérienne on peut même conclure sans hésitation à de l'hystérie, à de la maladie. Il y a quelque chose qui n'est pas normal dans leur sexualité; ou bien ce sont les enfants qui manquent, ou bien, au meilleur cas, les hommes.

10.

Il se peut qu'il en soit autrement des jeunes gens wagnériens. C'est peut-être précisément le libre arbitre, la liberté de la volonté chez Wagner que ces jeunes gens découvrent dans son art insidieux. D'une façon générale, ce fut certainement la même chose que, vers 1828, les disciples passionnés de Victor Hugo vénérèrent chez leur idole. Ces jeunes gens wagnériens, dont le lustre et les vertus juvéniles reflètent encore pour le moment l'image de Richard Wagner, vénèrent en lui le Maître des grands mots et des grandes attitudes—la musique de Wagner est toujours attitude,—l'avocat de tous les sentiments enflés, de tous les désirs sublimes; ensuite le novateur et le briseur d'entraves dans la lutte contre la discipline artistique ancienne, plus sévère et peut-être plus limitée, le pionnier de nouveaux accès, de nouveaux points de vue, de nouveaux lointains, de nouvelles profondeurs, de nouvelles altitudes de l'art; enfin, et ce n'est pas là l'argument le moins négligeable, ces jeunes Allemands vénèrent en Wagner un chef, quelqu'un qui est capable de commander, de se reposer sur lui seul, de renvoyer toujours à lui-même, de s'affirmer avec opiniâtreté et toujours au nom du «peuple élu», des Allemands! Bref, ce qui séduit c'est le caractère de tribun populaire et de démagogue de cet artiste, car Wagner lui aussi fait partie des démagogues de l'art qui savent agir sur l'instinct des masses et qui, par là même, subordonnent les instincts de ces jeunes gens dont les désirs vont à la puissance.

De quel goût abominable est, chez Wagner, cette mise en scène de soi-même, ces jeunes gens enthousiastes ne s'en sont pas encore aperçus. La jeunesse a droit au mauvais goût, c'est son droit à elle. Mais si l'on veut savoir où un vieux preneur de rats roué peut mener l'innocence et l'empressement inconsidéré des jeunes gens, jusqu'où va sa séduction, qu'on jette un regard sur ces marécages littéraires du fond desquels, dans ces dernières années, le maître vieilli, en compagnie de ces «jeunes», aimait à chanter («chanter» est-ce bien là le vrai mot?)—je veux parler des Feuilles de Bayreuth si mal famées! C'est là véritablement un marécage: de l'arrogance, du germanisme, et de la confusion dans les idées, en un triste pêle-mêle, un intolérable sirop, sucré de compassion, coulé par là-dessus; mêlé à tout cela un penchant purement théorique pour les légumes verts et une larmoyante sympathie pour les bêtes; tout à côté une haine sans fard de la science, une haine véritable et foncière qui n'a rien de théorique et, en général, le persiflage et la calomnie de tout ce qui bouchait et bouche encore la route de Wagner (combien le gênaient la nature noble de Mendelssohn et la nature pure de Schumann!); avec cela une habile recherche des troupes d'appui, des avances faites aux partis puissants, par exemple le jeu malpropre des regards tournés vers les symboles chrétiens (Wagner, le vieil athée, l'antinomiste et l'immoraliste, plein d'onction, fait même une fois appel au «sang du Sauveur»!); dans l'ensemble l'immodestie d'un pontife encensé lourdement qui profère, comme des révélations, ses sentiments obscurs au sujet de tous les domaines imaginables, de pensées qui lui échappent complètement et lui sont interdites; et tout cela enfin dans un langage qui est véritablement, par son obscurité et son exagération, un allemand de marécage, tel que même les disciples les plus anti-allemands de Hegel n'auraient pu l'écrire.

Mais, pour ce qui est de la musique qu'il faut pour cette langue, la musique de Wagner «dernière manière», quelques rimes révéleront ce qu'il y a de dangereux dans cette musique de Parsifal.

—Est ce encore allemand?—
C'est des cœurs allemands qu'est venu ce lourd hurlement?
Et ce sont les corps allemands qui se mortifient ainsi?
Allemandes sont ces mains tendues de prêtres bénissants,
Ces excitations des sens à l'odeur d'encens!
Et allemands ces heurts, ces chutes et ces vacillements,
Ces incertains bourdonnements?
Ces œillades de nonnes, ces Ave, ces bim-bams!
Ces extases célestes, ces faux ravissements,
—Est-ce encore allemand?—
Songez-y! vous êtes encore à la porte:
Car ce que vous entendez, c'est Rome,
La foi de Rome sans paroles[3]!

11.

—Ce Wagner, dernière manière, est au fond un homme brisé et vaincu, mais qui poussa à sa dernière limite son grand art de comédien. Ce Wagner qui finit même encore par parler des «ravissements» qu'il tirait de sa sainte communion protestante, tandis que, dans le même temps, avec sa musique de Parsifal, il tendait les bras à tout ce qui est romain, ce flatteur de toutes les vanités, de toutes les obscurités, de toutes les prétentions allemandes qui allait s'offrir partout,—ce Wagner dernière manière serait-il le dernier et le plus haut sommet de notre musique et l'expression de la synthèse enfin réalisée de «l'âme allemande», l'Allemand par excellence?—Ce fut au cours de l'été 1876 qu'à part moi j'ai abjuré cette croyance; et c'est à ce moment que commença ce mouvement de la conscience allemande dont on découvre aujourd'hui des signes toujours plus sérieux, toujours plus précis, à ce moment que commença la décadence de la wagnérie.

12.

Pour la hiérarchie.—Peut-être est-il possible de révéler aujourd'hui déjà à quelle place doit être mis Wagner; je veux dire qu'il n'appartient pas à la grande lignée des esprits originaux et véritables du plus haut rang, non à ce «sanctuaire des sanctuaires» olympien, d'où l'on voit, avec étonnement et avec une froideur sereine, livrer assaut de pareils plébéiens ambitieux et suants, lesquels semblent croire que la «bonne volonté» et cette «sueur devant la vertu», dont a parlé avec un mauvais goût rural le paysan et poète grec Hésiode, suffisent à renverser l'éternelle et immuable hiérarchie des âmes, ou bien qu'il n'est même besoin que de «l'esprit mécontent qui vise sans cesse à du nouveau», dont Wagner a voulu faire son propre démon. Par contre, à Wagner appartient un tout autre rang et un tout autre honneur et, de fait, ce n'est ni un rang inférieur ni un mince honneur. Wagner est un des trois génies de comédiens, en art par qui la foule, au cours de ce siècle (et ne sommes-nous pas au siècle des «masses»?) apprit à connaître l'idée de «l'artiste». Je veux parler de ces trois hommes singuliers et dangereux: Paganini, Liszt et Wagner. Celui-ci était prédestiné autant à l'«imitation» qu'à l'invention, prédestiné à créer dans l'art même de la contrefaçon; son instinct a deviné tout ce qui peut être exploité et utilisé en vue de la diction musicale, de l'expression, de l'effet, de la fascination, de la séduction. Médiateurs démoniaques et interprètes artistiques, tous trois devinrent et sont encore aujourd'hui les maîtres de tous les artistes exécutants. Tous ces artistes sont allés à leur école, c'est donc chez les comédiens et les musiciens de toute espèce qu'il faudra chercher le foyer et aussi l'origine du véritable «culte wagnérien». Si l'on fait cependant abstraction de ces milieux à qui l'on peut concéder un droit à leur croyance et à leur superstition, et si l'on envisage l'aspect général de ces trois génies de comédiens et leur signification la plus secrète, je ne puis m'empêcher de soulever toujours la même question: Ce qui, chez tous trois, semble s'exprimer sous une forme nouvelle, n'est-ce pas peut-être simplement le vieil et éternel «Cagliostro», sous un déguisement nouveau, mis en scène encore une fois, «mis en musique», mis en religion,—conformément au goût du nouveau siècle (du siècle de la foule, comme je l'ai dit)? Ce n'est donc plus le Cagliostro du siècle passé, séducteur d'une civilisation noble et fatiguée, c'est le Cagliostro démagogique. Et notre musique, au moyen de laquelle on fait ici des tours de magie, que signifie, je vous prie de me le dire, cette musique?

II

1.

—«Donc, mon ami, il faut convenir, d'après son jugement, lors même qu'on ne l'approuverait pas, qu'il a beaucoup aimé Wagner, car un adversaire ne va jamais aussi profondément au fond de son sujet. Il n'y a aucun doute, tandis que Wagner le fait souffrir, il souffre aussi avec Wagner.»

2.

Je me suis longtemps efforcé de mon mieux pour voir en Richard Wagner une sorte de Cagliostro. Qu'on me pardonne cette idée hasardeuse qui a du moins l'avantage de ne pas être inspirée par la haine et l'aversion, mais par la magie que cet homme incomparable a exercée sur moi, comme sur les autres, sans oublier que, d'après mes observations, «les génies» véritables, ceux du plus haut rang, quels qu'ils soient, ne «fascinent» pas au même titre, de sorte que l'idée du génie, à elle seule, ne me semble pas suffire à expliquer cette influence mystérieuse.

3.

Qu'on veuille donc bien avouer combien de traits wagnériens il y a dans le romantisme français! Ces tendances à l'hystérie érotique chez la femme que Wagner aimait particulièrement et a mise en musique se retrouvent surtout à Paris. Qu'on questionne donc à ce sujet les aliénistes! Nulle part les passes magnétiques et les manœuvres hypnotiques, au moyen desquelles notre mage musical, notre Cagliostro pousse et incite ses petites femmes au somnambulisme avec les yeux ouverts et l'esprit fermé, ne sont aussi bien comprises que parmi les Parisiennes. Le voisinage des désirs maladifs, l'ardeur des sens exaspérés, quand le regard est dangereusement voilé par des émanations du supra-sensible, où donc faut-il placer tout cela si ce n'est dans le romantisme de l'âme française? Un charme agit ici qui, inévitablement, convertira un jour les Parisiens à la religion de Wagner.

Or, il faut que Wagner soit à tout prix l'artiste allemand par excellence. C'est ce que l'on décrète aujourd'hui en Allemagne, c'est ainsi que l'on vénère Wagner en un temps qui porte de nouveau au pinacle la vantardise germanique. Ce Wagner «essentiellement allemand» n'excite pas du tout. Je suppose qu'il est la chimère de très obscurs jeunes gens et jeunes filles d'Allemagne qui, par ce décret, voudraient se glorifier eux-mêmes. Qu'il y ait quelque chose d'allemand en Wagner, c'est probable; mais quoi? Peut-être seulement le degré et non la qualité de ses dons? Peut-être seulement ceci que, dans son œuvre, tout est plus fort, plus abondant, plus audacieux, plus dur que n'aurait pu le faire un Français du dix-neuvième siècle? Qu'il ait été plus sévère pour lui-même et que durant une grande partie de sa vie, il ait vécu à sa manière, en athée antinomiste et immoraliste? Qu'il ait inventé le personnage d'un homme très libre, Siegfried, lequel peut sans doute paraître trop libre, trop dur, trop joyeux, trop anti-chrétien pour le goût latin?—Il est vrai qu'il a su réparer en fin de compte ce péché contre le romantisme français. Le Wagner de la dernière manière, dans ses vieux jours, avec sa caricature de Siegfried, je veux dire son Parsifal, est venu au devant non seulement du goût latin, mais encore, littéralement, du goût catholique-romain, jusqu'à ce qu'il ait fini par prendre congé en pliant le genou devant la croix, affirmant, non sans éloquence, la soif qu'il avait du «sang du Sauveur». Il a pris congé de lui-même aussi! Car c'est chez lus romantiques vieillis une règle funeste de terminer leur vie en se «reniant» et en se méconnaissant eux-mêmes de façon à effacer leur vie!

4.

La déduction de l'œuvre à son créateur; la terrible question de savoir si c'est l'abondance ou les privations, la folie de la privation qui pousse à créer; la compréhension soudaine que tout idéal romantique est une fuite devant soi-même, la condamnation de soi et le mépris de soi chez celui qui l'a inventé...

C'est, en fin de compte, une question de force: cet art romantique tout entier pourrait être transformé, par un artiste abondant et maître de sa volonté, en son contraire, en un art anti-romantique, ou bien—pour employer ma formule—en un art dionysien; de même que toute espèce de pessimisme et de nihilisme, dans la main du plus fort, ne devient qu'un marteau et un instrument de plus, au moyen desquels s'édifie un nouveau degré vers le bonheur.

Je reconnais d'un seul regard que Wagner, s'il a atteint son but, l'a fait de la même façon que Napoléon a atteint Moscou. A chaque étape il avait perdu tant de choses qui n'étaient pas remplaçables qu'à la fin de la marche et au moment de la victoire apparente le sort était déjà décidé. Les derniers vers de Brunehilde (deuxième variante) sont désastreux[4]. C'est ainsi que Napoléon parvint à Moscou, Richard Wagner à Bayreuth.

Il ne faut jamais s'allier à une puissance maladive qui est vaincue d'avance!

Que n'ai-je eu davantage confiance en moi-même!

L'incapacité de Wagner à marcher m'a toujours fait de la peine (plus encore son incapacité à danser—et sans la danse il n'y a pour moi ni élévation, ni félicité).

La revendication des passions complètes est révélatrice: celui qui en est capable appelle le charme du contraire, je veux dire du scepticisme.

5.

J'ai aimé et vénéré Richard Wagner plus qu'il ne le fut jamais. S'il n'avait pas fini par avoir le mauvais goût (ou la triste obligation) de faire cause commune avec des «esprits» d'une qualité impossible, avec ses adhérents, les wagnériens, je n'aurais eu aucune raison de prendre déjà congé de lui de son vivant, de lui, le plus profond et le plus audacieux et aussi le plus méconnu parmi ceux qui sont aujourd'hui difficiles à connaître, parmi ceux dont la rencontre a contribué, plus que toute autre, à développer chez moi la Connaissance, en faisant cependant la réserve que sa cause et ma cause ne voulaient pas être confondues et qu'il a fallu une bonne dose de maîtrise de soi avant que j'apprisse à séparer le sien et le mien par le sectionnement qui convenait. Que j'aie pris conscience des problèmes du comédien (un problème qui est peut-être plus loin de moi que tout autre, et cela pour une raison difficile à exprimer), que j'aie découvert et reconnu le comédien au fond de chaque artiste, le type spécifiquement artistique, c'est au contact avec cet homme que j'en suis redevable. Il me semble que j'ai des artistes et des comédiens une idée pire que celle que se faisaient les philosophes qui m'ont précédé. L'amélioration du théâtre m'importe peu, encore moins sa «cléricalisation»; la véritable musique wagnérienne ne m'appartient pas assez; pour mon bonheur et pour ma santé je pourrais même m'en passer (quod erat demonstrandum et demonstratum).

6.

Une époque de démocratie fait monter le comédien au pinacle, à Athènes comme aujourd'hui chez nous. En cela Wagner a dépassé jusqu'à présent tout ce que l'on peut imaginer et il a fait naître une conception supérieure du comédien qui peut faire frémir. Musique, poésie, religion, culture, littérature, famille, patrie, relations—tout cela cède le pas à l'art, je veux dire aux attitudes de théâtre.

7.

La peinture en lieu et place de la logique, l'observation de détail, le canevas, la prédominance du premier plan et de mille détails—tout cela répond aux besoins des hommes nerveux, chez Wagner comme chez les Goncourt. Richard Wagner appartient au mouvement français: des héros et des monstres, des passions poussées à l'extrême et, avec cela, rien que des détails, un frisson momentané.

8.

Voici les deux formules qui me font comprendre le phénomène Wagner.

L'une d'elles est la suivante:

Les principes et les pratiques de Wagner, dans leur ensemble, se réduisent à des calamités physiologiques dont ils sont l'expression («l'hystérisme» sous forme de musique).

L'autre se présente ainsi:

L'effet nocif de l'art wagnérien est la preuve de sa corruption. Ce qui est parfait guérit, ce qui est morbide rend malade. Les calamités physiologiques que Wagner provoque chez ses auditeurs (respiration irrégulière, troubles de la circulation, irritabilité extrême avec brusque coma) sont la réfutation de son art.

Avec ces deux formules je ne fais que tirer la conséquence de ce principe général qui m'apparaît comme le fondement de toute esthétique: à savoir que les valeurs esthétiques reposent sur des valeurs biologiques, que les sensations de bien-être esthétique sont des sensations de bien-être biologique.

9.

Wagner, sous la contrainte d'une incroyable sexualité maladive, ne savait que trop bien ce que perd un artiste en perdant la liberté et l'estime de soi-même. Il est condamné a être comédien. Son art lui-même devient pour lui une perpétuelle tentation de fuite, un moyen de s'oublier, de se stupéfier. Ce moyen transforme et détermine, en fin de compte, le caractère de son art. Celui qui, à ce point, n'est «pas libre» a besoin d'un monde de haschich, de vapeurs étranges, lourdes et enveloppantes, de toute espèce d'exotisme et de symbolisme de l'idéal, ne fût-ce que pour se débarrasser une fois de sa réalité... Il a besoin de la musique wagnérienne... Une certaine catholicité de l'idéal est, avant tout, chez un artiste, presque la preuve certaine du mépris de soi, du «marécage»: le cas de Baudelaire en France, le cas d'Edgar Allan Poë en Amérique, le cas de Wagner en Allemagne.—Me faut-il encore dire que Wagner doit aussi son succès à sa sensualité? que la musique convertit à soi, à Wagner, les instincts les plus bas? que cette atmosphère d'idéal sacré, de catholicisme aux trois huitièmes, est un art de séduction de plus? (Il permet d'une façon ignorante, innocente, chrétienne de laisser agir «l'enchantement» sur soi...) Qui donc hasardera le terme, le terme véritable, pour les ardeurs[5] de la musique de Tristan? Je mets des gants quand je lis la partition de Tristan... La wagnérie qui étend ses ravages est une légère épidémie de sensualité qui «s'ignore»; à l'égard de la musique de Wagner, toutes les précautions s'imposent.

10.

La femme hystérico-héroïque que Richard Wagner a inventée et mise en musique est une hybride d'un goût douteux. Que ce type n'ait pas complètement dégoûté, même en Allemagne, cela tient à ceci (et nullement à bon droit) qu'un poète infiniment plus grand que Wagner, le noble Henri de Kleist, a fait en sa faveur le plaidoyer du génie. Je suis bien éloigné de croire que Wagner s'est inspiré de Kleist. Elsa, Senta, Isolde, Brunehilde, Kundry sont, au contraire, les enfants du romantisme français.

11.

Les héros de Wagner sont les types tout à fait modernes de la dégénérescence: ses héroïnes sont des phénomènes hystéro-hypnotiques. Wagner peint ici sur le vif, il se conforme à la nature jusqu'à la minutie. La musique est avant tout l'analyse psycho-physiologique d'états morbides et, pour les psychologues de l'avenir, elle peut être plus intéressante au point de vue clinique qu'au point de vue musical. Que ces braves Allemands, en l'écoutant, se plaisent à divaguer sur les sentiments primitifs de la vertu et de la force germanique, c'est là un des indices les plus douloureux de l'état inférieur de la culture psychologique en Allemagne. Nous autres, quand nous entendons de la musique de Wagner, nous sommes à l'hôpital, et, pour le dire encore une fois, cela nous intéresse beaucoup.

12.

De cette musique, qui est la plus mauvaise de toutes les mauvaises musiques, avec son inquiétude et son chaos qui s'avance à l'aventure, de mesure en mesure, de cette musique qui veut signifier la passion et qui est en vérité au degré le plus bas de la dépravation esthétique, je n'ai nulle pitié. Ici il faut faire une fin.

13.

Entre musiciens.—«Nous sommes des musiciens tardifs. Un énorme passé nous est échu en héritage. Notre mémoire ne fait que citer perpétuellement. Entre nous, nous pouvons faire des allusions presque savantes: nous nous comprenons déjà. Nos auditeurs, eux aussi, aiment à nous entendre faire des allusions; ils sont flattés et ont l'impression d'être, eux aussi, des savants.»

14.

Le manque de caractère intellectuel.—Lorsque Richard Wagner se mit à me parler de la jouissance que lui procurait la communion chrétienne (la sainte Cène protestante), c'en fut fini de ma patience. Il était un grand comédien, mais sans aucun soutien, et son âme était la proie de tous les stupéfiants violents. Il a traversé toutes les évolutions par lesquelles ont passé ces bons Allemands, depuis les jours du Romantisme: Gorge aux Loups et Euryanthe, frisson à la Hoffmann, puis «émancipation de la chair» et soif de Paris; ensuite le goût du grand opéra, la musique de Meyerbeer et de Bellini, le tribun populaire, plus tard Feuerbach et Hegel (la musique devait sortir de l'«inconscient»), puis la Révolution, puis la déception et Schopenhauer, et le rapprochement avec les princes allemands; puis les hommages rendus à l'empereur, à l'empire et à l'armée et aussi au christianisme (lequel, depuis la dernière guerre et ses nombreux «sacrifices humains», fait de nouveau partie du bon goût en Allemagne), avec des malédictions proférées contre la «science».

15.

Vers la fin de sa vie, Wagner s'est effacé; involontairement il avoua qu'il désespérait et qu'il s'affaissait devant le christianisme.

C'est un vaincu, et il est heureux qu'il en soit ainsi, car autrement quelle confusion aurait encore engendré son idéal! Sa position vis-à-vis du christianisme me décida, en même temps que je me décidai au sujet du schopenhauérisme et du christianisme.

Wagner a tout à fait raison de plier le genou devant tous les chrétiens profonds, mais qu'il ne s'avise pas d'abaisser à ses attitudes les natures plus élevées qui lui sont supérieures.

Son intellect, sans sévérité et sans discipline, était lié servilement à Schopenhauer. Tant mieux!

16.

Pour ce qui est de Wagner, il y a un moment dans ma vie où je le repoussai avec violence. Eloigne-toi de moi! me suis-je mis à crier. Cette sorte d'artistes est peu sûre, précisément là où je n'admets pas la plaisanterie. Il essaya de «s'arranger» avec le christianisme existant, en étendant sa main gauche vers la Communion protestante (—il m'a parlé des ravissements que lui a procurés ce repas—) et la main droite vers l'Eglise catholique. Il offrit son Parsifal et se fit reconnaître, par tous ceux qui ont des oreilles pour entendre, comme un «romain» in partibus infidelium.

17.

Ce que les écrits des esprits obscurs, mal disciplinés et dépourvus de philologie ont de plus désagréable, ce n'est pas leur argumentation vicieuse et la marche incertaine et vacillante de leur logique, ainsi qu'on en trouve, par exemple, les traces chez Richard Wagner, chez Victor Hugo, ou chez George Sand. C'est le vague des idées mêmes qu'ils expriment par des mots. Cette sorte de gens n'a dans le cerveau que d'informes pâtés de notions confuses.—Le bon auteur se distingue non seulement par la force et la brièveté de sa phrase; on devine, on flaire encore chez lui, si l'on est doué de narines subtiles, qu'il se maîtrise et qu'il s'exerce sans cesse à fixer et à affermir ses idées de la manière la plus sévère (c'est-à-dire de rendre par ses expressions des idées claires et déterminées) et qu'avant qu'il ne l'ait fait il ne se résout pas à écrire.—Au reste, il y a maint charme aussi dans l'incertain, dans le crépusculaire, dans les demi-teintes. C'est ainsi que Hegel agissait peut-être surtout à l'étranger par son art de parler des choses les plus raisonnables et les plus froides à la façon d'un homme ivre. Dans le vaste royaume de la contemplation, ce fut là une des manières les plus étranges qui aient jamais été inventées; on peut la considérer comme l'affaire propre de la généralité allemande. Car, partout où ont pénétré les Allemands et les «vertus» allemandes, nous avons apporté aussi le goût des alcools subtils et grossiers. Peut-être faut-il trouver, là aussi, la cause de la puissance fascinatrice de notre musique allemande.

18.

Le style de Wagner a contaminé aussi ses disciples.

La langue allemande des wagnériens est l'absurdité la plus fleurie que l'on ait écrite depuis l'époque de Schelling. Wagner, en tant que styliste, appartient encore à cette école contre laquelle Schopenhauer a déversé sa colère, et l'humour arrive à son comble quand, «sauveur de la langue allemande», il s'élève contre les Juifs.—Pour caractériser le goût de ces jeunes gens, je prends la liberté de donner un seul exemple. Le roi de Bavière disait un jour à Wagner: «Donc, vous n'aimez pas non plus les femmes?—Elles sont si ennuyeuses!» Nohl (l'auteur d'une Vie de Wagner traduite en six langues) trouve dans cette opinion l'expression d'un «juvénile embarras».

19.

F.-A. Lange écrit: «La compréhensibilité des choses se trouve-t-elle peut-être en ceci que l'en ne fait de son intelligence qu'un emploi médiocre?» (Contre les gens de Bayreuth.)

20.

Si l'on enlève de la musique la musique dramatique il reste encore assez de choses pour la bonne musique.

21.

Il faut faire avant tout des coupures énergiques dans l'œuvre de Wagner, de sorte qu'il n'en reste plus que les trois quarts: d'abord son récitatif, qui met les plus patients au désespoir... Ce n'est chez Wagner qu'un effet de sa vanité s'il veut conserver jusque dans ses plus petits détails l'enseignement de son œuvre... Le contraire serait plus juste!... Il lui manque la facilité de présenter ce qui est nécessaire, comment saurait-il nous imposer la nécessité?

22.

Qu'est-ce qui pourra seul nous rétablir?—L'aspect de la perfection!

NOTES:

[2] Le prélude de Parsifal n'a pas de conclusion. Au concert l'exécution se termine par un rappel du «motif de la foi» emprunte au premier acte.—H. A.

[3] Ces vers ont été placés plus tard par Nietzsche à la fin de l'aphorisme 256 de Par delà le Bien et le Mal.

[4] Nietzsche cite ces vers des Nibelungen qui lui semblaient particulièrement caractéristiques dans un aphorisme sur la religion qui porte le nº 743, au XIIe volume de ses Œuvres complètes (Œuvres posthumes contemporaines de la Volonté de Puissance.)

[5] Ardeurs, en français dans le texte.


NOTES

La troisième Considération inactuelle fut composée à Bâle de mars à juillet 1874, puis à Bergün (Grisons) de la mi-juillet au début d'août de la même année; elle fut achevée à Bâle en septembre et entièrement imprimée dans le même mois (chez C. G. Naumann, à Leipzig). La publication eut lieu en octobre, à Chemnitz, chez E. Schmeitzner, qui avait en même temps acquis de E. W. Fritsch l'édition des deux premières Inactuelles. A dater de 1886 la première édition des trois premières parties retourna chez E. W. Fritsch à Leipzig (sans date). La seconde édition parut en octobre 1892 chez C. G. Naumann à Leipzig (Unzeitgemüsse Betrachtungen, IIter Band, 1893).

La présente traduction de Schopenhauer éducateur a été faite sur le premier volume des Œuvres complètes de Frédéric Nietzsche, (p. 385-494), publié en 1895 par le Nietzsche-Archiv., chez C. G. Naumann à Leipzig.

La quatrième Considération inactuelle fut commencée à Bâle en février 1875 et la rédaction en fut continuée jusqu'en mai, reprise en septembre et poussée, en octobre, jusqu'au chapitre IX. En mai 1876 Nietzsche se décida à publier les huit premiers chapitres à l'occasion des fêtes de Bayreuth. Au cours de l'impression il écrivit encore trois chapitres, le 17 et le 18 juin, à Badenweiler (Bade) et les publia avec les huit premiers à la mi-juillet, immédiatement avant les représentations de l'Anneau du Niebelung, chez E. Schmeitzner, à Chemnitz. Une seconde édition parut en juillet 1886 (sans date) chez E. W. Fritsch, à Leipzig. L'œuvre fut réimprimée par C. G. Naumann et incorporée au tome II des Considérations inactuelles, publié en 1893.

La présente traduction de Richard Wagner à Bayreuth a été faite sur le premier volume des Œuvres complètes de Frédéric Nietzsche (p. 495-589), publié en 1895 par le Nietzsche-Archiv, chez C. G. Naumann à Leipzig.

Les Réflexions sur Richard Wagner (janvier 1874) ont été traduites sur le dixième volume des Œuvres complètes (Œuvres posthumes, tome X) de Frédéric Nietzsche (p. 427-450), publié en deuxième édition en 1903 par le Nietzsche-Archiv., chez C. G. Naumann à Leipzig.

Les Notes pour le Cas Wagner (1885-1888) ont été traduites sur le quatorzième volume des Œuvres complètes (Œuvres posthumes, tome VI) de Frédéric Nietzsche (p. 149-171), publié en 1904 par le Nietzsche-Archiv, chez C. G. Naumann à Leipzig.


TABLE DES MATIÈRES


SCHOPENHAUER ÉDUCATEUR (1874) 5
RICHARD WAGNER A BAYREUTH (1876) 129
 
APPENDICE
RÉFLEXIONS SUR RICHARD WAGNER (janvier 1874) 237
NOTES POUR LE CAS WAGNER (1885-1888) 262
NOTES 285

ACHEVÉ D'IMPRIMER

le vingt deux juin mil neuf cent vingt-deux

PAR

MARC TEXIER

A POITIERS

pour le

MERCVRE

DE

FRANCE


Corrections.

La première ligne indique l'original, la seconde la correction:

p. 34:

  • inverseement, il te suffira
  • inversement, il te suffira

p. 48:

  • qui ne se sont jamais recontrés
  • qui ne se sont jamais rencontrés

p. 49:

  • donc prêtera à la nature humanine,
  • donc prêtera à la nature humaine,

p. 57:

  • vers les fanstamagories qui se jouent
  • vers les fantasmagories qui se jouent

p. 91:

  • ce qui est une conséquense de sa formation,
  • ce qui est une conséquence de sa formation,

p. 123:

  • L'antiquité indienne ouvre ses porte
  • L'antiquité indienne ouvre ses portes

p. 136:

  • A partir de là ils se débarrasse
  • A partir de là il se débarrasse

p. 147:

  • celle de Gœthe receuille
  • celle de Gœthe recueille

p. 181:

  • chercherons à le diécder
  • chercherons à le décider

p. 184:

  • Puis, lorqu'il
  • Puis, lorsqu'il

p. 208:

  • il paraît invraisemblabe et artificiel
  • il paraît invraisemblable et artificiel

p. 216:

  • au milieu d'une mutiplicité
  • au milieu d'une multiplicité

p. 218:

  • une résolution presque impitoyale
  • une résolution presque impitoyable

p. 227:

  • d'une caste paticulière
  • d'une caste particulière

p. 234:

  • cette fin sons pouvoir
  • cette fin sans pouvoir
  • p'engagement
  • l'engagement

p. 241:

  • froids et bonnasses;
  • froids et bonasses;

p. 254:

  • C'est ce pouvoir qui ennoblit tout la nature
  • C'est ce pouvoir qui ennoblit toute la nature

p. 271:

  • de s'affirmer avec opinâtreté
  • de s'affirmer avec opiniâtreté

p. 272:

  • d'un pontif encensé
  • d'un pontife encensé
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