Constantinople de Byzance à Stamboul.
CHAPITRE III
L’ART ET LES ÉDIFICES BYZANTINS
I.—L’ART BYZANTIN
Lorsque la capitale de l’Empire romain eut été transférée à Byzance, les artistes byzantins, inspirés par l’art gréco-romain et par les styles locaux, créèrent un art possédant son originalité propre et qui s’appelle l’art byzantin. Cet art, que l’on fait remonter à la construction de Sainte-Sophie, est plus ancien encore. Sainte-Sophie ne contribua qu’à fixer le type classique de l’architecture byzantine[32].
[32] Choisy. L’art de bâtir chez les Byzantins, page 152.
Bien avant l’époque de Justinien, Byzance avait créé un art propre, qui peut être considéré comme un mélange des arts mésopotamien, sassanide et gréco-romain. Toutefois jusqu’au VIe siècle, c’est-à-dire jusqu’à la construction de Sainte-Sophie, cet art présente surtout l’aspect d’un art gréco-romain d’Orient. En effet, les artistes byzantins, imbus des idées de l’époque classique, guidés par les modèles païens de l’ancien art grec, traitaient tous les sujets d’après l’antique. Toutes les œuvres qui nous ont été conservées attestent cette influence. D’ailleurs, les chefs-d’œuvre apportés par Constantin le Grand et ses successeurs pouvaient alors offrir aux artistes byzantins les plus parfaits modèles de l’art grec. Ces chefs-d’œuvre furent, jusqu’à la conquête des Latins, la source d’une inspiration féconde[33]. Les Latins eurent tôt fait de les détruire.
[33] Bayet. L’art byzantin.
Dès le temps de Septime-Sévère, les Romains avaient renoncé aux plates-bandes d’origine grecque pour adopter l’emploi de l’arcade et des coupoles assyriennes, qui étaient en usage en Perse depuis plus de trente siècles. Jusqu’à Dioclétien, l’arcade sur colonne n’était employée que dans un but purement décoratif. On appliqua, pour la première fois, l’arcade sur colonnes à la construction monumentale dans le palais bâti à Spalato par Dioclétien. Plus tard, à Byzance, les lignes droites des basiliques romaines furent remplacées par des lignes courbes et l’on commença à construire des églises circulaires avec quelques naïfs essais de coupoles à pendentifs. La forme circulaire répondait mieux à l’emploi de la coupole, mais elle ne permettait pas aux édifices de recevoir les fidèles en assez grand nombre.
Pour remédier à cet inconvénient, les architectes byzantins, s’inspirant des basiliques romaines, firent porter la coupole sur un plan carré à pendentifs sphériques et donnèrent ainsi à la coupe de l’ensemble la forme d’une croix à branches égales (croix grecque). L’usage des briques avait beaucoup facilité la construction des coupoles. Le désir de propager le christianisme poussa les empereurs byzantins à construire des églises en grand nombre. Tous les efforts artistiques se portèrent alors vers l’architecture, ce qui contribua beaucoup au développement de l’art byzantin.
Vers le VIe siècle, Justinien qui disait: Non multum inter se differunt sacerdotium et imperium, et qui n’avait en effet d’autre but que celui d’unir l’Église et l’État, désireux de réaliser son rêve, fit bâtir par Anthémius de Tralles et ensuite par Isidore de Milet, l’église de Sainte-Sophie. Cette œuvre géniale consacre d’une façon définitive le type classique de l’art byzantin, qui recevait ainsi, après deux siècles de tâtonnements, sa forme caractérisée:
1o Par le plan en forme de croix grecque;
2o Par l’usage de la coupole sur pendentifs;
3o Par des chapiteaux cubiques à dosseret;
4o Par un large emploi des mosaïques. Les murs intérieurs des églises étaient tapissés en outre de plaques de marbre, dont les veines multicolores fournissaient des motifs décoratifs.
D’autres types furent créés dans l’église des Saints-Apôtres à Constantinople, et dans celle de Saint-Vital à Ravenne, où la coupole centrale reposait sur un plan octogonal. On peut voir aujourd’hui plusieurs de ces églises byzantines à Constantinople, à Salonique et en Grèce. Elles offrent des modèles classiques de l’architecture byzantine.
Mais cette architecture n’a jamais atteint son apogée, quoi qu’en disent certains auteurs qui, exagérant son importance, n’hésitent pas à considérer les moindres chapelles comme équivalentes à Sainte-Sophie.
D’après tous ces modèles, il est permis d’affirmer que l’art byzantin n’atteignit jamais au même degré de perfection que l’art grec ancien; la faute en est à ce que les artistes byzantins se laissaient guider par l’amour et la recherche du luxe, plus que par l’amour du beau.
Ce serait une autre erreur de penser comme Lamartine qui dit, parlant de Sainte-Sophie: «On sent à la barbarie qui a présidé à cette masse de pierre, qu’elle fut l’œuvre d’un temps de corruption et de décadence. C’est le souvenir confus et grossier d’un goût qui n’est plus, c’est l’ébauche informe d’un art qui s’essaie.» Toutefois l’art byzantin contenait en son principe même le germe de sa décadence: les artistes, en cherchant toujours de nouvelles formes et en donnant une trop grande importance au luxe dans ses détails, tombèrent rapidement dans le maniérisme.
Comme toutes les autres branches de l’art, l’architecture a subi cette décadence, pour ne se relever que vers le Xe siècle. Grâce aux efforts très louables des empereurs macédoniens, une école s’était formée en vue de sauver cet art en péril. On y étudia les modèles antiques et l’on parvint ainsi à donner un nouvel éclat à l’art byzantin. Pendant cette renaissance, les architectes portèrent leur attention sur l’extérieur des églises qui était jusqu’alors loin d’égaler en beauté et en luxe l’intérieur des édifices. Toutefois, leurs œuvres gardèrent toujours cette naïve physionomie propre à l’art byzantin. La sculpture ayant été de bonne heure délaissée par l’église, les artistes se livrèrent plutôt à l’art ornemental et aux travaux de l’ivoire. C’est pourquoi il n’y a pu avoir à Byzance de belles œuvres plastiques; toutes les œuvres gardaient la gaucherie des temps primitifs.
Les peintres exerçant leur talent dans les images des mosaïques et dans les miniatures des manuscrits, et reproduisant toujours des scènes religieuses ou des victoires impériales, avaient négligé le culte du beau et l’amour de la nature. Ils donnaient à toute figure une forme fantastique et préféraient souvent à la beauté le luxe et la richesse. Cet amour du luxe les avait même amenés à représenter le Christ sous les traits d’un monarque oriental, revêtu de riches habits et de la pourpre impériale. Au temps des iconoclastes, les peintres durent renoncer aux sujets religieux et s’adonnèrent à des travaux plus courants, comme les émaux, les étoffes historiées, que portait alors la classe riche. Mais quand cette hérésie eut cédé, la nécessité de refaire les mosaïques abîmées ou détruites par les iconoclastes donna un nouvel essor à la peinture religieuse. On se trouve alors en présence de deux écoles: l’une qui retourne à l’étude des traditions artistiques antiques et l’autre qui se soumet à l’influence monastique et à celle de l’Église. Vers le XIe siècle, l’influence monastique l’emporte sur la première, et dès lors c’est l’église qui guide la main de l’artiste en lui offrant des sujets religieux. Peu à peu l’iconographie occupe la plus grande place dans l’art, et l’empreinte de l’idée religieuse apparaît dans tous les travaux de l’époque. Les dessins des mosaïques deviennent plus corrects, les plis des habits plus gracieusement disposés, les couleurs des miniatures plus délicates, mais les principes de perspective et d’anatomie restent toujours ignorés.
Pl. 17.
Mosquée de Kahrié.—Narthex.
L’importance donnée par les artistes byzantins à la richesse et au luxe des détails les fait encore une fois tomber dans un maniérisme qui prépare une nouvelle décadence de l’art. La fondation de l’empire latin à Byzance fut la cause presque immédiate de cette décadence, les Latins y ayant presque anéanti toute œuvre d’art, ainsi que le dit la chronique. Les quatre chevaux de Lysippe furent expédiés à Venise; la colonne de Constantin Porphyrogénète fut dépouillée de ses plaques de bronze, qui servirent à la frappe de la monnaie noire. C’est donc aux Latins, s’accordent à affirmer les auteurs, qu’il faut attribuer la destruction de la ville, destruction qui, de l’aveu même des Européens, ne peut être considérée comme l’œuvre des Turcs.
Au temps des Comnènes et des Paléologues apparaît une dernière renaissance, qui n’a jamais pu perdre son caractère naïf. C’est une vaine tentative de rajeunissement. Les artistes commencèrent alors à s’inspirer, dans les œuvres d’art, de l’école italienne qui prenait son essor. Mais pendant que l’Empire, bien avant la conquête des Turcs, s’écroulait, politiquement, économiquement et socialement, l’art, lui aussi, agonisait d’une façon générale.
Après la prise de Constantinople par les Turcs, grâce aux privilèges et aux avantages accordés par le conquérant aux habitants, les ouvriers qui n’avaient pas quitté la ville contribuèrent, en travaillant à la construction des édifices turcs, à accentuer l’influence de l’art byzantin sur l’art ottoman, qui depuis longtemps déjà en avait subi le contact.
Constantinople, ville située aux portes de l’Asie, recevait de la Perse une civilisation formée de toutes les civilisations asiatiques. Byzance fut ainsi, au moyen âge, une capitale dont la culture faisait affluer de partout les curieux, les élèves et les admirateurs, et d’où se répandait à travers le monde, l’influence bienfaisante du progrès et du christianisme. Les Slaves, Russes, Bulgares et Serbes, tirant leur religion de l’Église d’Orient, ont subi davantage cette influence, qui se manifeste dans toutes les branches de l’art et surtout dans l’architecture, et qui témoigne d’une forte empreinte byzantine. En Russie, Sainte-Sophie de Kiew n’est qu’une église byzantine. L’Arménie et la Géorgie renferment de nombreux édifices de style byzantin. Au mont Athos, l’art byzantin conserve encore de nos jours sa physionomie propre. Il avait été introduit à Ravenne dès le Ve siècle et n’y disparut qu’avec la domination byzantine. On voit par là que l’influence de cet art sur tout l’Occident est indéniable. Elle cessa au XIIe siècle, laissant pourtant sa marque sur les différents styles propres à chaque pays. Cette question artistique a été longuement discutée de nos jours par maints savants et archéologues, sous le nom de question byzantine.
«L’Italie du Sud, dit M. Diehl, dont Byzance a fait une nouvelle Grande Grèce, a gardé jusqu’au XIVe et au XVe siècle la langue, la religion, les mœurs et les traditions artistiques de Byzance, et le rayonnement que de là, comme de Venise, l’art byzantin exerça par toute la péninsule, permet de croire que les plus anciens maîtres de la Toscane, un Cimabué, un Duccio, ont dû bien des enseignements à cette influence. Sans doute, de notre temps, des amours-propres susceptibles ont tenté de nier cette influence.» Pourtant, il ressort des faits que l’influence de l’art byzantin sur l’art occidental est parfaitement justifiée et démontrée: Saint-Marc de Venise, les mosaïques de la basilique de Torcello et de Cefalù, celles de la chapelle palatine et de Monreale (XIe et XIIe siècle) manifestent clairement cette influence en Italie. L’art byzantin donna naissance en Italie à la renaissance italienne; on le reconnaît également dans l’ornementation de certains édifices du sud de la France et de l’Allemagne.
L’art byzantin fleurit également en Asie Mineure, où les églises de Sardes, d’Ephèse, de Philadelphie (Ve siècle) et bien d’autres, gardent encore le précieux souvenir de ses enseignements. Il y eut un art byzantin de Syrie, où les architectes de Justinien appliquèrent dans leur plénitude les méthodes nouvelles. Il y eut aussi un art byzantin d’Égypte. Les Arabes, qui avaient leur art propre, ne sont pas restés à l’abri de l’influence byzantine. Procope cite[34] les monuments élevés dans le nord de l’Afrique sous Justinien, lesquels introduisirent plus tard chez les Arabes du Magreb la connaissance et l’influence de l’art byzantin. Quand les Arabes eurent assiégé Byzance au VIIe siècle, ils y construisirent une première mosquée et, ainsi en contact perpétuel avec les Byzantins, ils empruntèrent à ceux-ci certains caractères de leur art. Les Byzantins de leur côté influencèrent forcément les Arabes et leur apportèrent certains éléments de leur conception artistique propre. Cette influence se manifesta surtout en Syrie. Ainsi de fécondes combinaisons naquirent. L’art arabe s’introduisit dans l’art byzantin par le sud de l’Italie, par Venise et par la Syrie. Il se mêla en Sicile aux éléments romano-byzantins. Et ainsi cet art composite fut un intermédiaire entre la renaissance de l’Italie et l’art gréco-romain.
[34] De Aedificiis Justiniani.
Pl. 18.
| Mosquée de Kahrié.—Partie latérale. | Mosquée de Kahrié.—Coupole du Narthex (mosaïques). Les patriarches et les représentants des tribus d’Israël autour de la Sainte Vierge. |
II.—LES ÉGLISES BYZANTINES
SAINTE-SOPHIE
Sainte-Sophie offre, au point de vue artistique, le type classique de l’architecture byzantine. La première construction remonte au IVe siècle. Elle a été bâtie d’abord par Constantin le Grand en même temps que les murs et les premiers palais de la seconde Rome. Cette église dédiée à sainte Sophie—à la Sagesse Divine—(en grec, Hagia Sophia) avait alors la forme d’une longue basilique couverte en bois. Constantin, qui tolérait le paganisme, avait construit trois églises: l’une à la Paix Divine (Irène), l’autre à la Sagesse Divine (Hagia Sophia) et la troisième à la Divine Résurrection (Anastasis).
Sous Arcadius (404) Sainte-Sophie fut la proie des flammes; Théodose le jeune la fit reconstruire en 415, mais elle fut de nouveau incendiée en 532 pendant les troubles de l’Hippodrome, qui sont restés célèbres sous le nom de sédition Nika. Immédiatement après, Justinien conçut l’idée de la réédification grandiose de ce monument, et quarante jours après l’incendie, on en posait la première pierre. Anthémius de Tralles et Isidore de Milet, architectes originaires de l’Asie, et les plus habiles techniciens de l’époque, guidèrent les travaux d’après les méthodes persanes. Justinien voulut que cet édifice fût le plus beau et le plus imposant des monuments du monde. Dans ce but, il épuisa presque toutes les ressources de son empire.
Le terrain de l’ancienne église étant insuffisant pour la nouvelle construction, on dut exproprier, à grands frais, tout un quartier environnant. Les travaux absorbèrent une somme immense. D’après Codinus, cet édifice aurait coûté la somme énorme de 361 millions.
Le temple de Diane à Ephèse dut fournir ses huit colonnes de porphyre, enlevées jadis par Aurélien au temple du Soleil d’Héliopolis (Égypte), ou, au dire de quelques chroniqueurs, à Baalbek. Athènes, Délos, Cyzique, l’Égypte et toutes les grandes villes de l’antiquité fameuses par leurs monuments, furent dépouillées de tout ce qu’elles avaient de plus riche en métaux, marbres, etc.; l’or, l’argent, l’ivoire, les pierres les plus précieuses furent employés à profusion pour l’embellissement de l’intérieur.
Après cinq ans de travaux exécutés avec la plus grande activité et présidés par Justinien lui-même, l’église put être inaugurée. L’Empereur, traîné par un équipage de quatorze chevaux et entouré des dignitaires de l’État et de la Cour, accomplit le trajet solennel du Palais jusqu’à la porte de Sainte-Sophie où, reçu par le Patriarche Ménas, il fit son entrée officielle dans l’église. Puis, courant depuis la grande porte d’entrée jusqu’à l’ambon, il étendit ses bras vers le ciel et s’écria d’une voix émue: «Béni soit Dieu qui m’a choisi pour exécuter une telle œuvre; Salomon, je t’ai vaincu.»
L’église est bâtie sur un plan carré de 75 mètres de côté, orienté vers Jérusalem. L’édifice étant placé sur un terrain d’une résistance inégale, les fondations durent être jetées sur un réseau de voûtes recouvert d’une couche de béton homogène de 25 pieds d’épaisseur. Les dessous des fondations n’ont pas encore été explorés.
Plan de Sainte-Sophie.
| Constructions ajoutées de 563 jusqu’à 1453. | |
| Contreforts. | |
| Constructions appartenant à l’époque de Justinien. |
Comme l’indiquent les ouvertures pratiquées dans les dallages de la nef et du bas côté méridional, ce sous-sol est formé d’une grande citerne centrale et de voûtes immenses. Les piliers furent bâtis avec d’énormes pierres calcaires; la brique fut employée pour les murs. On dit que, pour la construction de la coupole on fit spécialement fabriquer à Rhodes des briques très légères portant chacune l’inscription suivante: «C’est Dieu qui l’a fondée, Dieu lui portera secours». Mais toutes les briques qui se sont détachées jusqu’à présent, dit M. Dethier, n’offraient rien de pareil. Toutes ces briques ont été disposées par assises régulières. De douze en douze assises, on enfermait, dit-on, dans la maçonnerie des reliques sacrées, pendant que les prêtres récitaient des prières.
Sainte-Sophie: coupe longitudinale.
Sainte-Sophie: coupe transversale.
La coupole, au centre du plan, s’élève à une hauteur de 65 mètres au-dessus du sol. Elle a un diamètre de 31 mètres au niveau du tambour et de 32 mètres jusqu’au point de voûte extrême.
La coupole possède seulement quarante fenêtres cintrées, tout autour de sa base. Elle est supportée par quatre pendentifs formés par quatre grands arcs qui reposent sur quatre grands piliers. La coupole est flanquée de deux autres demi-coupoles, qui se continuent elles-mêmes par d’autres petites coupoles, donnant au spectateur l’illusion d’un ciel suspendu sous le dôme. La colombe représentant le Saint-Esprit y était suspendue; dans son corps étaient conservées les hosties. De même, en représentant à l’intérieur de cette coupole les figures des saints, on avait voulu donner l’impression d’un ciel d’une sublime beauté vers lequel devait s’élever la prière.
Les architectes byzantins portaient toute leur attention sur les parties intérieures de l’église où le peuple était réuni pour la prière. Ils agissaient ainsi contrairement à l’habitude des architectes grecs, qui donnaient la plus grande importance à l’extérieur des temples, en négligeant complètement l’intérieur où le peuple n’était pas reçu. C’est pourquoi l’extérieur de Sainte-Sophie est très simple, quelque peu lourd et, dans tous les cas, loin d’égaler la richesse et la beauté de l’intérieur. Les visiteurs qui n’auraient vu l’église que du dehors ne pourraient jamais se figurer la féérique impression que l’on ressent à l’intérieur.
Pl. 19.
Mosquée de Kahrié.—Mosaïque.
Métochite, premier ministre de l’Empereur, présente au Christ Pantocrator
le modèle de l’église.
Mosquée de Kahrié.—Mosaïque.
Distribution aux jeunes filles de la laine pour filer le voile du Temple,
le sort attribue à Marie la pourpre.
Les parois des murs intérieurs furent revêtus de marbres précieux de toutes sortes de couleurs. Les chapiteaux et les corniches furent dorés et la coupole décorée d’une mosaïque intérieure à fond d’or.
L’église compte 108 colonnes dont 40 à l’étage inférieur, 60 aux galeries du gynécée, et 8 soutenant les quatre petits segments de coupoles qui se trouvent aux quatre angles de la grande nef. Ces colonnes, toutes surmontées de chapiteaux, sont en porphyre, en granit, en brèche verte et autres espèces de marbres colorés.
L’ambon était une grande tribune circulaire, surmontée d’un dôme, supporté par 8 colonnes en marbre et surmonté d’une croix en or d’un poids de cent livres. «Cette magnifique construction fut écrasée, dit M. Labarte, sous les décombres de la grande coupole, dont la partie orientale s’écroula à la suite d’un tremblement de terre dans la trente-deuxième année du règne de Justinien. Elle fut réédifiée, mais d’une façon moins splendide.»
Le sanctuaire était séparé du reste de l’église par une cloison en argent munie de 12 colonnes; sur les parties qui séparaient ces colonnes se détachaient des images en médaillons.
L’autel était en or serti de pierres précieuses. Au-dessus, et en forme de ciborium, il y avait un dôme supporté par 4 colonnes en argent doré et surmonté d’une croix en or.
Durant les fêtes de nuit, l’intérieur de l’église était un véritable éblouissement. Six mille candélabres dorés brillaient à la fois, éclairant les immenses panneaux décoratifs en mosaïque qui tapissaient les parois.
Patènes, clefs, vases, bassins, tout était en or, orné de pierres précieuses. Les livres de l’Ancien et du Nouveau Testament pesaient, avec leurs montures d’or, deux quintaux chacun. Selon Procope, il y avait dans le sanctuaire 40.000 livres pesant d’argent. Les portes étaient en bois de cèdre orné d’ambre et d’ivoire, et le portail en argent doré.
La nef communique avec le narthex par trois grandes arches reposant chacune sur une colonne double et dont l’ensemble supporte la grande fenêtre demi-circulaire qui clôt l’arcade ouest du milieu.
L’Empereur entrait dans l’église par une galerie qui communiquait avec le palais. C’est seulement aux grandes cérémonies qu’il entrait par le vestibule du narthex.
Le narthex (galerie voûtée), avait 60 mètres de longueur sur 10 de large. Les parois en étaient ornées, comme l’intérieur de la nef, de marbres multicolores couverts de taches symétriquement disposées. Cela donnait l’idée qu’ils étaient extraits d’un même bloc et formait un dessin décoratif d’une réelle beauté[35]. Deux portes latérales s’ouvraient sur un porche aboutissant à l’escalier de la galerie et neuf portes en airain s’ouvraient du narthex sur l’église. L’encadrement des trois portes du milieu, qui communiquent encore maintenant avec la nef, est en bronze tandis que les autres sont en marbre.
[35] M. Antoniatis, dans l’intéressant ouvrage qu’il vient de publier sur Sainte-Sophie, nous montre qu’on pouvait, aidé d’un peu de mysticisme, y découvrir des figures et des images de saints.
Dans l’épaisseur des contreforts massifs, sont ménagées des pentes inclinées par lesquelles les femmes nobles montaient dans des chaises à porteurs jusqu’au gynécée. Là, chacune avait sa place fixe (à en juger par les inscriptions où on lit: «place d’une telle»).
L’exo-narthex de l’église était précédé d’un atrium à portiques, formé par des voûtes en berceau, supporté par des colonnes en marbre alternant de deux en deux avec des piliers carrés. Les murs en briques de cet atrium étaient percés de plusieurs entrées s’ouvrant sur la place de l’Augustéon.
Au milieu de ce parvis existait un bassin de jaspe avec des lions lançant de l’eau. Ce bassin servait aux ablutions qu’on avait coutume de faire avant d’entrer dans les lieux sacrés; les musulmans ont de nos jours conservé la même coutume. Un vaisseau de marbre placé dans l’église, était affecté au même usage. Il portait l’inscription suivante: «νίψον ἀνομήματα μὴ μόναν ὄψιν», qui pouvait être lue de la même façon du commencement à la fin et de la fin au commencement et qui signifiait: «lavez-vous de vos péchés et non pas seulement de la figure».
Cette immense église s’est conservée jusqu’à nos jours, mais elle a eu beaucoup à souffrir de la précipitation avec laquelle elle fut construite. Elle a subi une destruction partielle pendant le tremblement de terre qui eut lieu vingt ans après son érection par Justinien. Toute une partie du dôme se détacha et fut précipitée sur la table sacrée du ciborium et sur l’ambon qu’elle détruisit. Les musulmans virent dans ce tremblement de terre un véritable prodige, car il se produisit à la date anniversaire de la naissance du prophète Mahomet.
Justinien fit réédifier la coupole par Isidore le Jeune qui renforça les aboutissements, les arcs et les contreforts, et rehaussa la nouvelle coupole de 25 pieds.
Cette fois, les échafaudages furent laissés en place pendant une année entière. La deuxième consécration de l’église eut lieu en 558.
Plus tard, au IXe siècle, Basile le Macédonien fit réparer une des grandes archivoltes de la coupole qui avait été endommagée, et, en même temps, y fit placer des mosaïques.
En 987, cette même arcade fut de nouveau réparée par Basile II le Bulgaroctone. Jusqu’au XIVe siècle, on se soucia peu de remédier aux dégâts causés par le temps ou par des accidents divers. L’un des derniers restaurateurs fut Andronic II Paléologue l’Aîné, qui, vers le XIVe siècle, fit élever des contreforts du côté est.
Sous le sultan Abdul Medjid, on confia à Fossati une restauration générale de la mosquée; il consolida la coupole à l’aide d’un cercle en fer et redressa plusieurs colonnes qui avaient perdu leur position verticale primitive.
Autour de l’édifice se trouvaient des annexes, telles que le puits sacré, l’horologion, le Metatorion et le Triclinium de Thomaïtès; ce dernier qui était une dépendance des appartements du Patriarche, renfermait une bibliothèque et un baptistère construit par Justinien et existant encore aujourd’hui.
Ce baptistère (actuellement turbé du sultan Moustafa Ier et d’Ibrahim I) fut d’abord transformé en magasin pour les huiles servant à l’éclairage de la mosquée. Il s’ouvrait au nord par une porte qui donnait sur une petite cour à portique; de là, on gagnait un escalier menant à une petite chapelle installée à la hauteur du gynécée. Cette chapelle communiquait, à son tour, avec le gynécée par une porte qui, murée probablement par les Turcs lors de la conquête, n’a été ouverte que beaucoup plus tard par l’architecte Fossati au moment où il réparait la mosquée.
État actuel de Sainte-Sophie.—Après la prise de Constantinople par les Turcs, le sultan Mehmed II convertit l’église en mosquée et y ajouta un minaret ainsi que les deux contreforts du sud-est. Bayazid II fit construire un autre minaret au coin de la porte du palais. Selim II éleva, en 1569 deux autres minarets et plusieurs murs de soutènement. Murad III fit placer à l’intérieur de Sainte-Sophie les tribunes en marbre et les deux grandes urnes d’albâtre provenant de Pergame et qui peuvent contenir chacune 1.200 litres d’eau. L’Alem, croissant en bronze doré, est venu surmonter le dôme par les soins de Mehmed pacha, grand vizir. Les mosaïques qui représentaient les images des saints ont été recouvertes, soit par des inscriptions, soit par une forte toile sur laquelle on passa le badigeon, car la religion musulmane ne permet pas d’avoir des icônes dans les mosquées. Seuls, les quatre anges aux six ailes déployées qui ornaient les quatre pendentifs de la coupole sont encore visibles aujourd’hui, mais sur les visages on a peint de grandes étoiles dorées. Les mosaïques des bas côtés et de la galerie supérieure n’ont subi aucune altération; la nuit, quand l’intérieur de la mosquée est illuminé par des milliers de candélabres, on aperçoit par un effet de lumière les croix encastrées dans ces mosaïques.
L’autel fut remplacé par le Mihrab, tourné un peu plus au sud vers la Kaaba[36] (la Mecque). Les tapis qui recouvrent les dallages sont également disposés de façon à ce que ceux qui prient aient le visage tourné vers la Kaaba[37], ce qui leur donne une direction légèrement oblique par rapport aux lignes architecturales de l’ancienne église. Les deux grands candélabres du Mihrab ont été offerts par Suleiman le magnifique en 981 de l’hégire.
[36] Les musulmans donnent à cette direction le nom de Kiblé.
[37] Cette disposition oblique permet de reconnaître les mosquées qui furent primitivement des églises. Les mosquées dont le mihrab est droit ne peuvent donc être considérées comme d’anciennes églises. Pourtant quelques petites mosquées où la disposition du terrain obligea l’architecte à donner aux lignes architecturales une direction différente de celle de Kibla, font certainement exception.
A droite du Mihrab se trouve le Mimber (chaire), où tous les vendredis on fait la prière solennelle et le Khotba[38]. Le Mimber consiste en une chaire, surmontée d’un dôme pointu, où l’on accède par un escalier très raide, et orné d’une magnifique balustrade. En face du Mimber et à gauche du Mihrab se trouve une tribune supportée par des colonnes et munie d’un grillage doré. Cette tribune, qui est réservée au Sultan, s’appelle Hunkian Mahfili. Elle a été construite par Ahmed III. Avant cette époque, la tribune était adossée au mur.
[38] Discours adressé au peuple.
On voit aussi dans la mosquée plusieurs plates-formes à grandes estrades, dites muezzine mahfili, uniquement réservées aux muezzines (chantres). A la hauteur du gynécée sont suspendus, le long de la Mosquée, d’immenses disques portant les noms des Sahabés (les compagnons du prophète). Ils sont l’œuvre du calligraphe Teknédji Zadé Ibrahim effendi[39] (1060).
[39] Hadikatu-I-djevami.
Les anciens lustres-candélabres en argent sont remplacés aujourd’hui par des lustres en fer, supportés très probablement par les chaînes mêmes qui étaient déjà en usage au temps des Byzantins. A l’extrémité de tous ces lustres pendent des œufs d’autruche et des houppes de soie qui en complètent la décoration; le candélabre qui descend du centre du dôme et qui s’appelle Top Kandili a été placé par Ahmed III; une grande boule en or y était suspendue[40].
[40] La place occupée par le Top Kandili (candélabre du milieu), est considérée par les dévots comme un lieu saint où on peut rencontrer Hidir, un saint très vénéré qui apparaît quelquefois pour aider les infortunés.
Parmi les curiosités de cet édifice, on montre aux visiteurs la fenêtre froide où souffle toujours un vent glacé. Cette fenêtre est située à l’entrée, près de la porte réservée aux sultans. Sur la galerie supérieure du côté sud se trouvent également deux portes sculptées; l’une est appelée porte de l’enfer et l’autre porte du paradis. Du côté de l’ouest se trouve la pierre luisante, qui restitue pendant la nuit la lumière absorbée pendant le jour. En entrant dans la mosquée par la porte nord du narthex, on aperçoit une colonne revêtue de bronze, qui suinte continuellement. Les visiteurs souffrant de quelque maladie introduisent leur doigt par un trou pratiqué dans le revêtement de bronze et touchent avec ce doigt leurs deux yeux. Le peuple attribue à cette colonne des cures merveilleuses.
Tout près d’une fenêtre de la mosquée, sur le sol de la galerie, on lit sur une pierre Henricus Dandolo. C’est le nom du doge qui mourut le 1er juin 1205 et qui fut inhumé à cet endroit. La cuirasse et les armes d’Henri Dandolo, trouvées dans le sarcophage, ont été offertes par le sultan conquérant au peintre Gentile Bellini, qu’il avait appelé à Constantinople[41].
[41] Hist. de Bello Const. p. 214.
Suivant la coutume qu’ont les Musulmans de construire près des mosquées des turbés (sépultures) pour y déposer les corps des Evlia (saints) et des grands personnages, on voit, dans la cour de Sainte-Sophie, des chapelles mortuaires situées à côté du mimber. Elles renferment les corps de plusieurs sultans, des membres de leur famille, et sont enfouies dans le sol, au-dessus duquel une caisse vide en forme de cercueil (Sandouka) est disposée, recouverte de châles extrêmement précieux et d’étoffes brodées d’écritures. A l’extrémité qui correspond à la tête se trouve la coiffure que portait le défunt.
Dans les quatre turbés de Sainte-Sophie reposent les dépouilles mortelles de Selim II, de ses épouses et de ses enfants, le corps de Murad III (1595), de ses femmes et de ses fils qui moururent étranglés; enfin, les restes de Mehmed III, d’Ibrahim, de Moustafa I, de sa mère et de sa femme, de Mehmed IV, de Moustafa II, et d’une centaine de princes et de princesses.
ÉGLISE DE SAINTE-IRÈNE
Un peu au nord de Sainte-Sophie, dans l’enceinte du Sérail, sur les hauteurs où se trouvait jadis l’ancienne petite ville de Byzas, se dresse l’église de Sainte-Irène. Cette église, transformée par les Turcs en un musée d’armes, est encore fort bien conservée.
Construite d’abord par Constantin le Grand au IVe siècle, elle fut la proie des flammes en même temps que Sainte-Sophie pendant la sédition Nika. Rebâtie par Justinien, puis détruite au VIIIe siècle par un tremblement de terre, elle fut restaurée par Léon l’Isaurien. Elle est construite sur un rectangle terminé par une abside dont le centre est surmonté d’une coupole qui repose sur un haut tambour percé de vingt fenêtres. L’église a trois nefs: la nef centrale est soutenue par des points d’appui qui sont unis et recouverts par de grands arcs en plein cintre. Chacun de ces arcs est orné de trois rangées de fenêtres. Un gynécée est disposé à l’intérieur; la voûte de l’abside est revêtue de mosaïques; les colonnes et les corniches sont en marbre blanc.
Parmi les armes antiques que renferme ce musée[42], il faut citer l’épée du sultan Mehmed II le conquérant, celle de Skender bey, le héros albanais, un brassard de Tamerlan, des casques, les clefs des villes conquises, les marmites des Janissaires, des lances, des arcs, de vieux canons datant des Croisés et une partie de la chaîne historique qui servait aux Byzantins pour barrer la Corne d’Or.
[42] L’entrée de ce Musée n’est accordée que sur autorisation spéciale.
A l’intérieur de l’église on voit plusieurs tombeaux byzantins en marbre; ce sont les tombeaux des empereurs provenant de l’église des Saints-Apôtres.
Pl. 20.
Palais de l’Hebdomon.—Vue de l’intérieur.
Palais de l’Hebdomon.—Façade.
ÉGLISE DES GRANDS MARTYRS SERGE ET BACCHUS
Cette église, transformée en mosquée par Hussein aga à l’époque de Bayazid et appelée Kutchuk aya Sophia, c’est-à-dire petite Sainte-Sophie, fut bâtie, d’après l’inscription grecque finement sculptée sur la frise, par Théodora, femme de Justinien, près du palais d’Hormisdas. Elle a été appelée petite Sainte-Sophie à cause des similitudes que présente son plan avec celui de la grande basilique de Sainte-Sophie.
La coupole de cette église est soutenue par huit piliers placés aux points angulaires d’un octogone renfermé dans un carré: huit pendentifs soutiennent la base circulaire de la coupole. Les côtés communiquent avec la nef par des rangées de colonnes ioniques qui relient les arceaux. Plusieurs de ces colonnes sont tachetées de vert et de blanc et surmontées de chapiteaux à corbeilles. Sur la corniche qui fait le tour de l’édifice on remarque une guirlande ornée de grappes de raisins et de feuilles de vigne. Une longue inscription, gravée sur la même corniche, fait l’éloge de l’empereur Justinien et de l’impératrice Théodora. Cette église était attenante à une autre appelée église des apôtres Pierre et Paul et qui a disparu sans laisser de traces. Salzenberg reconnut, en examinant les murs de clôture, que l’église de Saint-Pierre et Saint-Paul s’appuyait à celle des saints Serge et Bacchus du côté du sud. La hauteur de la coupole dépasse 19 mètres et les côtés du plan sont respectivement de 34 mètres et 30 mètres.
ÉGLISE DE SAINT-JEAN DU STOUDION
Cette église fut construite sous Léon le Grand pour l’ordre des Acémètes (sans-sommeil). De nombreux moines se relayaient pour y chanter jour et nuit. Elle fut endommagée sous la domination latine et restaurée plus tard, vers la fin du XIIIe siècle, par l’empereur Andronic Paléologue.
Le trésor du monastère contenait de précieuses reliques que Bayazid II envoya au pape Innocent et parmi lesquelles se trouvait la sainte lance. Actuellement convertie en mosquée (Emir Akhor Djamissi), elle possède encore d’élégantes colonnes et des chapiteaux.
ÉGLISE DE CHORA
Tout près de la porte d’Andrinople s’élève la mosquée de Kahrié. C’est l’ancienne église de Chora, édifice à nef centrale et à deux narthex. Le dôme central est supporté par un tambour cylindrique percé de fenêtres. De petites coupoles, également posées sur des tambours cylindriques et percés de fenêtres, éclairent le narthex.
L’origine de la fondation de l’église de Chora n’est pas clairement établie. D’abord sanctuaire assez modeste, Justinien l’agrandit et l’embellit après le tremblement de terre de 557, et il devint un des plus beaux monuments de la ville.
L’église formait le centre d’un vaste monastère qui se trouvait hors de la première enceinte de la nouvelle Rome. C’est pour cela qu’on l’appelait τῆς χώρας (de la campagne). Plus tard quand Théodose II, pour agrandir la ville, jugea nécessaire de faire construire une deuxième enceinte dont on voit aujourd’hui les ruines, son nom lui resta. Mais les byzantins du XIVe siècle, poussés par leur amour de la rhétorique et des étymologies mystiques, trouvèrent un rapport ingénieux entre le nom du Christ, source de vie et protecteur des vivants (χώρα τῶν ξώντων) et celui de la basilique de Chora; et le mot fut en conséquence inscrit à côté des images en mosaïque du Christ et de la Vierge.
L’édifice qu’on voit aujourd’hui n’est pas le même que celui du VIe siècle. Déjà au XIIe siècle, l’église menaçait ruine. Marie Ducas, la belle-mère de l’empereur Alexis Comnène, la fit rebâtir en la transformant selon les plans des églises de ce temps. L’intérieur en fut décoré de marbres en couleur et de belles mosaïques.
Depuis Manuel Comnène, les empereurs avaient abandonné le grand palais pour venir habiter le château des Blaquernes. C’est pourquoi l’église de Chora, qui en était voisine et qui sous les Latins était tombée dans un grand délabrement, devint l’objet de la sollicitude impériale. Sous le règne des Paléologues, Théodore Métochite, ministre favori d’Andronic II, la fit restaurer complètement et ordonna d’ajouter une galerie latérale, destinée peut-être à servir de lieu de sépulture. Il fit renouveler également la décoration intérieure, excepté celle de la partie centrale qui est demeurée la même.
Malgré les ravages subis par la Chora, les mosaïques se sont conservées jusqu’à nos jours dans un parfait état: elles sont les œuvres les plus remarquables de la dernière renaissance de l’art byzantin et occupent aujourd’hui une place très estimée dans l’histoire de l’art[43].
[43] Pulgher, Les anciennes églises de Constantinople, 1880. Diehl, Etudes byzantines, 1905, p. 392-431.
Les mosaïques qui se trouvent sur les deux côtés de la porte centrale sont recouvertes de volets en bois, que demande la religion musulmane, mais qu’on peut ouvrir à volonté pour voir les images; les murs sont tapissés jusqu’aux bases des voûtes par de grandes plaques de marbre gris encadrées par des bandes vertes. De fines bordures sont sculptées au pourtour des marbres.
Plan de la mosquée Kahrié.
A l’intérieur du second narthex, sur la porte du milieu qui donne accès dans l’église, une mosaïque représente le Christ assis sur un trône, à qui Métochite, agenouillé, présente un modèle en réduction de l’église. Métochite est coiffé d’un haut bonnet blanc garni de bandes rouges et vêtu d’une tunique dorée recouverte d’un manteau vert brodé de fleurettes rouges.
Métochite, né à Nicée, arriva à l’âge de vingt ans à Constantinople où, par son talent d’orateur et son érudition en littérature et en philosophie, il attira l’attention d’Andronic II. Il commença sa carrière dans les ambassades, devint ensuite logothète de la liste civile, ministre du trésor, puis premier ministre de l’Empereur pendant vingt ans. Il fut en même temps philosophe, diplomate et administrateur.
Il avait toute la confiance de l’Empereur son maître, qui ne lui cachait aucun secret, et fit épouser à son propre neveu Irène, la fille de Métochite, très intelligente et très instruite. Toutefois Métochite, malgré les hautes satisfactions qui lui étaient accordées, pensait toujours aux dangers dont les querelles philosophiques et religieuses menaçaient le pays. Il attirait à chaque instant l’attention de l’Empereur sur le péril turc, qui lui paraissait devoir causer un jour la ruine complète de l’État. Il prévoyait la décadence et la chute inévitable de l’empire.
Pl. 21.
Hippodrome, Palais impérial et Sainte-Sophie au Xe siècle.
(Restitution de l’auteur d’après le plan de Labarte.)
Les troubles à l’intérieur augmentaient de jour en jour. L’Empereur et son favori se trouvaient dans une situation très difficile. Pendant les guerres civiles qui durèrent de 1321 à 1328, Métochite fut un habile négociateur entre Andronic II et son ambitieux petit-fils, Andronic le Jeune, qui prétendait au trône.
Métochite, pour ne pas s’attirer la haine des deux factions, s’entremit d’abord impartialement entre les deux princes ennemis. Mais, quand la rupture entre les deux adversaires éclata, il se rangea du côté de son ancien maître et refusa toutes les avances d’Andronic le Jeune. Sentant gronder l’émeute dans la ville, il se retira dans le palais. Lorsque pendant la nuit du 22 mai 1328, le prétendant pénétra dans la ville, grâce à la trahison des gardes de l’Empereur, le ministre fut la première victime. Sa maison fut livrée au pillage et démolie complètement. Il fut jeté d’abord en prison et ensuite exilé. Cependant il put obtenir son rappel et vint terminer ses jours au monastère de Chora, où il vécut jusqu’au 13 mars 1332, portant en religion le nom de Théoleptos.
Toute une série de tableaux en mosaïques, retraçant des scènes religieuses variées, décorent les murs et les voûtes du narthex.
De nombreux médaillons garnissent le sommet des arcades. Au-dessus de la porte d’entrée se trouve le buste du Christ. En face, entre deux grandes arcades, c’est la Vierge tenant contre sa poitrine un médaillon qui renferme l’Enfant Jésus, puis des saints en costume de cour, saint Pierre et saint Paul aux deux côtés de la porte royale.
Parmi les séries de mosaïques qui décorent les coupoles et les voûtes du narthex intérieur, les deux plus intéressantes sont celles qui retracent les épisodes de la vie de Jésus et ceux de la vie de la sainte Vierge tirés des Évangiles apocryphes[44].
[44] Pour compléter les récits de l’Évangile, dès le IIe siècle on voulut détailler les épisodes de la vie du Sauveur, et pour donner à ces récits une apparence plus authentique, on les attribua à tel ou tel apôtre. On a donné à ces récits le nom d’Évangiles apocryphes. Dès le IVe siècle l’Église grecque les admit au nombre des textes sacrés, mais ce n’est qu’à partir du XIe que les compositions tirées de ces évangiles apparaissent sur les murs des églises.
Plan explicatif des mosaïques de Kahrié-Djami.
MOSAIQUES DU NARTHEX
PANNEAUX
- A. Anne faisant la prière.
- B. Nativité de la sainte Vierge, la jeune fille berçant l’enfant.
- C. On distribue aux jeunes filles de la laine pour filer le voile du temple, le sort attribue à Marie la pourpre.
- D. Le grand prêtre donne Marie à Joseph dont le bâton a fleuri.
- E. A gauche, Joseph part pour le travail; à droite, il s’aperçoit que Marie est enceinte et lui fait des reproches.
- F. Disparu.
- 1. Le grand prêtre repousse les offrandes de Joachim et d’Anne.
- 2. (Disparu.) Probablement Joachim et Anne.
- 3. Joachim au milieu des bergers.
- 4 (Arc.) Joachim et Anne se rencontrent devant la porte dorée et s’embrassent.
- 5. La Vierge caressée par son père et sa mère.
- 6. Sainte Vierge bénie par les prêtres.
- 7. (Arc.) Sainte Vierge faisant les sept premiers pas.
- 8. (Travée.) Présentation de la Vierge au temple.
- 9. (Arc.) La Vierge demeurant dans le temple, et nourrie par un ange.
- 10. (Arc.) La Vierge y est instruite (disparu en grande partie).
- 11. (Arc.) Le grand prêtre prie devant l’autel où sont déposés les bâtons des prétendants à la main de Marie.
- 12. Joseph emmène Marie.
- 13. (Pendentif.) Annonciation au puits.
EXONARTHEX
PANNEAUX
- G. A gauche, Joseph averti par un ange; Marie se rend chez Elisabeth; à droite, Joseph conduit la Vierge à Bethléem.
- H. Le recensement à Bethléem.
- I. Nativité du Christ.
- J. Hérode recevant les trois Mages.
- K. Hérode convoque les grands prêtres et les scribes (détruit en grande partie).
- L. (Détruit.) Probablement adoration des Mages.
- M. Les Mages retournant chez eux.
- N. Fuite en Égypte.
- O. Hérode ordonne le massacre des innocents.
- P. Massacre des innocents.
- Q. Lamentation des mères.
- R. Elisabeth poursuivie par un soldat se réfugie dans une grotte.
- S. Retour à Nazareth.
- T. Voyage à Jérusalem.
- 14. Jésus au milieu des docteurs.
- 15. Saint-Jean-Baptiste baptisant.
- 16. Jésus vient se faire baptiser.
- 17. Jésus tenté par Satan.
- 18. Noces de Cana.
- 19. Multiplication des pains.
- 20. Jésus et la Samaritaine.
- 21. Guérison du paralytique.
- 22. Guérison de l’hydropique.
- 23. Rinceau, autre guérison de paralytique.
Le Christ est figuré au centre sur l’une des coupoles du second narthex; tout autour, dans les segments concaves qui forment la coupole sont rangées les images des patriarches et des représentants des tribus d’Israël. Dans le centre de l’autre coupole, autour de la Vierge, sont groupés les prophètes et les rois d’Israël.
On voit dans ces mosaïques toute une série des miracles de Jésus-Christ. Dans le narthex intérieur: guérison du lépreux, de l’homme à la main desséchée, la guérison des aveugles. Enfin des malades, des boiteux, des bossus et des enfants sont rangés autour du Christ, attendant leur guérison.
Métochite cite parmi les ouvrages qui décoraient son église les représentations de la Crucifixion, de la Descente de croix, de l’Ascension et une quantité d’autres. Mais on ne rencontre plus ces images, qui devaient orner les places d’honneur de l’église et qui ont été complètement détruites; il est probable qu’on en trouvera un jour quelques restes sous l’enduit qui recouvre les murs et la coupole du sanctuaire même.
La chapelle latérale est décorée tout entière de fresques représentant la sainte Vierge, les saints et des scènes empruntées à l’Ancien Testament.
On y voit deux grandes arcades sculptées, dont l’une porte une longue inscription, indiquant que les arcades proviennent du monument funéraire de Tornikès, haut personnage de l’État, parent par sa mère de l’empereur Andronic II et de Métochite. Lui aussi s’était retiré dans ce monastère pour y finir ses jours. Il y fut enseveli. Quand, avant 1453, une restauration fut entreprise dans le monastère, on démolit probablement le monument de Tornikès et l’on plaça les arcades au-dessus des passages s’ouvrant entre l’église et la chapelle latérale (Parekklesion).
Les mosaïques de Kahrié-Djami font l’objet de longues discussions entre les byzantinologues. Plusieurs d’entre eux ont voulu démontrer que la plus grande partie de ces mosaïques appartenait au XIIe siècle. D’après M. Kondakof, qui a une grande autorité en la matière, ce sont seulement les fresques du Parekklesion et les mosaïques représentant les saints Pierre et Paul, le Christ fondateur, la décoration du second narthex, qui appartiennent au temps de Métochite, c’est-à-dire au XIVe siècle. Tout le reste daterait du XIIe siècle. «Mais si haute que soit l’autorité du savant qui a proposé cette thèse, dit M. Diehl, il ne paraît point que ses arguments suffisent à l’établir. La différence de coloris, sur laquelle il s’appuie pour distinguer deux époques, tient tout simplement à l’insuffisant nettoyage qui a laissé subsister un ton grisâtre sur certaines mosaïques.»
Pl. 22.
Obélisque de Théodose.
Il est vrai que l’ordre dans lequel se succèdent les épisodes, le système de l’ornementation, la manière de représenter les personnages et la tonalité des couleurs prouvent que ces compositions sont l’œuvre d’un même art appartenant à une même époque. D’un autre côté, il n’y a aucune ressemblance entre les mêmes sujets représentés par les œuvres authentiques du XIIe siècle et les mosaïques de Chora. Donc il est plus juste de les attribuer au XIVe siècle.
Une des causes de la discussion soulevée sur l’origine de ces mosaïques, est que l’Occident, voulant s’approprier l’honneur de ces travaux, véritables chefs-d’œuvre, les attribua d’abord aux primitifs italiens et surtout à Giotto, qui vivait justement à l’époque où ces mosaïques furent exécutées. Mais au XIVe siècle, il y avait déjà à Byzance des œuvres authentiques qui témoignent suffisamment de la capacité des artistes byzantins de ce temps.
«S’il y a eu contact entre les deux civilisations, continue M. Diehl, ce n’est point la renaissance de l’époque des Paléologues qui ne doit rien à l’Occident; c’est plutôt l’Italie qui devrait quelque chose à l’évolution qui s’accomplit alors dans l’art byzantin.»
Les mosaïques de Chora sont certainement des œuvres de la dernière renaissance de l’art byzantin.
ÉGLISE DES BLAQUERNES
Après la grande église de Sainte-Sophie, aucun édifice religieux ne tient une si grande place dans l’histoire byzantine que celui de la Vierge des Blaquernes. Cette église était la chapelle de l’Empereur. C’est là qu’était conservée la sainte image protectrice de Byzance, qui avait miraculeusement repoussé, à maintes reprises, les ennemis de la capitale. Les Latins transformèrent cette église en une église latine, et en enlevèrent plusieurs reliques qui, aujourd’hui encore, font partie du trésor de Venise.
Avant la conquête turque, sous le règne de Jean V Paléologue, un immense incendie la détruisit, ce qui, dit l’historien Phrantzès, fut considéré comme un sinistre présage. Quatre-vingts ans après la chute de la ville, Gyllius vit les ruines de l’église encore debout. Il n’en reste rien aujourd’hui que la source sainte, l’ayasma, abritée sous un misérable toit. C’est là que trois fois par an le Basileus allait, après les cérémonies d’usage, se plonger dans la piscine.
Sous la voûte, existait une image de la sainte Vierge des mains de laquelle coulait l’eau bénite. Les détails suivants, extraits du livre des Cérémonies écrit par l’empereur Constantin Porphyrogénète et cités dans les Esquisses byzantines publiées par M. A. Marrast, sont très intéressants.
«Après diverses cérémonies, après avoir adoré la robe de la Vierge, baisé l’autel, fait maintes stations, l’Empereur gagnait une chambre haute où les baigneurs officiels lui enlevaient ses vêtements et lui mettaient le lentium, en présence des seuls eunuques; les gens à barbe n’étaient pas admis à cette partie de la cérémonie. Alors l’Empereur était conduit dans la salle même du bain sacré, il y adorait les Icones, puis entrait dans le natatorium dont le protembataire, ou chef des baigneurs, avait préalablement béni l’eau; après trois immersions, le prince sortait du bain et, rhabillé par les chambellans ou cubiculaires, quittait l’église.»
Plan de Constantinople, en 1422, par Buondelmonte.
- Porte du palais des Blaquernes.
- Porte de Messi.
- Porte de Pescaria.
- Saint-Georges in Manganis.
- Saint-Démétrius.
- Colonne supportant la statue équestre de Justinien.
- Hippodrome.
- Église du Pantocrator.
- Statue de l’empereur Michel VIII Paléologue à genoux devant la statue de l’archange Michel.
- Saint Johannis de Petra.
- Palais impérial.
- Saint Marc.
- Porte de Saint Johannis.
- Porte de Lamidi.
- Porte Dorée.
- Saint Johannes studio.
- Saint-Andréas.
- Périblepte.
- Port.
- Condoscale.
- Domus Justiniani «Palais de Justinien».
- Palais Hormisdas.
- Port du Bucoléon.
- Chantier naval.
- Tour de Léandre.
- Tour du Christ.
La table suivante indique par ordre alphabétique, les noms des églises byzantines citées souvent dans l’histoire. Si la plupart de ces églises ont été transformées en mosquées, au lendemain de la conquête, il ne faut point voir là un effet de la persécution religieuse; mais les Byzantins s’étaient retirés dans le faubourg et avaient abandonné ces monuments; il est donc tout naturel que les Turcs les aient utilisés comme édifices sacrés, puisque leur religion admet la prière dans tous les lieux saints.
L’église de Sainte-Anastasie. Mosquée de Mehmed-pacha, à Kadirga, construite, d’après M. Paspati, au VIIIe siècle, transformée en mosquée en 1571.
L’église de Saint-André. Mosquée Hodja Moustapha pacha.
L’église de Sainte-Anne. L’emplacement de cette église, qui se trouvait près de la porte de Selymbria, n’est pas exactement connu.
L’église de l’Archange Michel. Bâtie par Justinien II, se trouvait à Kadirga.
L’église des Saints-Apôtres. Sur l’emplacement de cette église se trouve, actuellement, la mosquée du sultan Mehmed II le Conquérant.
L’église des Blaquernes.
L’église de Constantin Lips. Mosquée de Demirdjilar-mesdjidi.
L’église de Gastria. Sandjakdar Mesdjidi.
L’église des Saintes Chrysanthe et Euphémie. Sur son emplacement se trouve aujourd’hui l’église arménienne à Koum-Kapou.
L’église Saint-Démétrius. Sur l’emplacement de l’École de médecine.
L’église de Saint-Diomède. Cette église doit se trouver, d’après le Dr Mordtmann, dans un jardin tout près de l’usine à gaz d’éclairage de Yedi Koulé, là où on trouva, il y a une dizaine d’années, deux colonnes de marbre.
Monastère de Dius. Près de l’ancienne porte de Jésus, au quartier actuel d’Et-Yemez, consacré comme mosquée par Mirza Baba, un des soldats du conquérant.
La chapelle de Saint-Emilien. Il faut la chercher près de la porte actuelle de Daoud-pacha.
L’église de Saint-Eutychius-Christo-Camera, à Psamatia. Elle joua un rôle important dans les troubles ecclésiastiques pendant le règne d’Andronic II Paléologue, et était située à l’est du couvent de Myréléon.
L’église de Gorgopikoos. C’est encore une petite église grecque du quartier Alti Mermer (Exokionon).
L’église de Saint-Jean du Stoudion. Mosquée d’Emir-Akhor.
L’église de Saint-Jean-Baptiste à Petra Paléa. Kesmé Kaya.
L’église de Saint-Jean-Baptiste in Trullo. Ahmed pacha mesdjidi.
L’église de Saint-Jean le Perse. Mosquée de Hekim oglou Ali pacha.
L’église de Saint-Julien. Sur les collines du port Sophien.
L’église de Kyra Martha. Bâtie par Marie Ducas, sœur de Michel Paléologue. D’après le Dr Mordtmann, sur l’emplacement de cette église se trouve actuellement la mosquée de Chaaban Aga. Marie Cléopé et Saint-Jean le Guerrier reposent ici.
L’église de Kodjouma ou Pantepopte. Mosquée Eski Imaret. Elle a servi d’abord comme Imaret (cantine) aux élèves qui étudiaient dans la mosquée du Conquérant.
L’église de Saint-Pierre et Saint-Marc. Mosquée d’Atik Moustapha pacha. Elle possède une petite piscine baptismale, datant de 458.
Monastère d’Emmanuel. Mosquée Kéfeli.
Monastère de la Pammacaristos. Mosquée Féthié, dépendance de l’ancien monastère de femmes fondé à la fin du XIIIe siècle par Michel Tarchaniote et Marie Comnène, son épouse. Après la prise de Constantinople par les Turcs, l’église fut pour quelque temps le siège du Patriarcat orthodoxe; elle possède encore quelques images en mosaïque représentant les prophètes et le Christ.
L’église de la Panachrantos. Fenari Isa Djamissi (inscription découverte par le Dr Paspati).
L’église de Saint Pantéleïmon. Cette église, qui se trouvait dans la IXe région, contenait les reliques de deux saints, Pantéleïmon et Marius. Elle a été bâtie par Constantin le Grand sous le nom de Homona.
L’église du Pantepopte. Fondée par la mère d’Alexis Ier Comnène, vers le commencement du XIIe siècle, transformée en hospice et puis en mosquée, Eski Imaret Djami.
L’église de la Peribleptos. Église arménienne à Soulou Monastir dans l’ancien quartier appelé Heleniana.
L’église du Pantocrator. Cette église, Zeïrek-Klissé Djamissi, fut bâtie en 1125 par Irène, épouse de Jean Comnène. Le tombeau de l’empereur se trouve dans une crypte à côté des sépultures d’autres Comnènes. C’est dans cette église que fut aussi inhumée Berthe, qui avait pris le nom d’Irène et qui était épouse de Manuel, fille du comte allemand de Sulzbach et belle-sœur de l’empereur Conrad. Cette église ayant été endommagée par les tremblements de terre, fut reconstruite et transformée en mosquée (Zeïrek-Djami). L’édifice se compose de trois églises contiguës.
L’église Saint-Philippe. Denis Abdal près de Top-Kapou.
L’église des Quarante Martyrs. Près de Saradjhané-Bachi (ancien Philadelphium).
L’église de Saint-Romain. Il est probable que sur son emplacement se trouve aujourd’hui le Monastir Mesdjidi auprès de la porte Saint-Romain, Top-Kapou.
L’église des Saints-Serge et Bacchus. Mosquée Kutchuk Aya Sophia (petite Sainte-Sophie).
L’église de Saint-Théodore Tiron. Klissé Djamissi. Construite vers le XIe siècle.
L’église de Sainte-Théodosie. Gul Djami. Elle a servi d’abord de dépôt pour les matériaux de l’arsenal. Ce n’est que sous Selim III qu’elle fut transformée en mosquée.
L’église Théotocos au quartier de Sigma.
L’église de tous les Saints. Près des Saints-Apôtres.
L’église de la Sainte-Vierge. Mosquée de Kalender.
L’église de Saint-Thomas apôtre. Se trouvait à l’extrémité occidentale du port Sophien.
L’église de Saint-Théodore de Tyron. Klissé Djamissi.
L’église du Christ Miséricordieux. Construite par Alexis Comnène, près du couvent Saint-Georges des Manganes.
L’église de Saint-Georges des Manganes. Couvent qui se trouvait sur la pente méridionale du rocher de l’Acropole où était le Cynegion, construit par Irène, et qui servait jadis de lieu de spectacle.
L’église de Saint-Lazare (Topoïs). Sanctuaire de la Sainte-Vierge Hodigitria. Elle se trouvait dans la plaine qui s’étendait depuis le Cynégion jusqu’au Tzycanisterion.
III.—LES PALAIS BYZANTINS
PALAIS IMPÉRIAL
Il ne nous reste plus que quelques ruines de ces palais byzantins dans lesquels étaient accumulées des richesses considérables et qui furent le théâtre des faits les plus fantastiques et les plus extraordinaires que l’histoire ait peut-être jamais mentionnés.
Parmi ces palais, il faut citer d’abord le grand palais impérial qui s’étendait, d’après M. Labarte, sur un immense emplacement occupant une surface de 400.000 mètres carrés à côté de Sainte-Sophie. Construit d’abord par Constantin, probablement sur le modèle du palais de Spalato, il a été embelli et agrandi par les empereurs Justinien, Théophile, Basile le Macédonien. Dans ce palais, au IXe et au Xe siècle, la splendeur de la décoration byzantine brillait de tout son éclat.
M. Labarte, en s’aidant des auteurs anciens, est parvenu à reconstituer ce palais dont les ruines mêmes ont disparu. Dans son ouvrage classique, M. Labarte nous en donne la description détaillée. «Le Kremlin, dit-il, peut seul en donner une faible idée. Il se composait de sept péristyles ou vestibules, huit cours intérieures, quatre églises, neuf chapelles, neuf oratoires ou baptistères, quatre salles des gardes, trois grandes galeries, cinq salles d’audience et de réception, trois salles pour les repas, dix appartements réservés à l’habitation particulière des princes, sept galeries secondaires, trois allées destinées à relier entre elles les diverses parties du palais, une bibliothèque, une salle d’armes, des terrasses à ciel ouvert, un manège, deux bains, huit palais particuliers au milieu des jardins et un port.»
Pl. 23.
Colonne de Constantin Porphyrogénète.
GRAND PALAIS DE CONSTANTINOPLE,
au Xe Siècle.
d’après J. Labarte
Toutes les pièces étaient disposées de façon que l’Empereur, sans sortir de chez lui, pût assister aux offices, aux réceptions des grands personnages dans les salles d’apparat, et même aux jeux de l’hippodrome, dans le Kathisma, qui se trouvait en communication avec le palais. La salle d’audience, le trône, le triclinium, toutes ces pièces étaient décorées de sujets profanes ou de scènes religieuses et légendaires. Comme dans toutes les cérémonies officielles, on attachait une grande importance à la richesse et aux attributs de l’ornementation, chaque pièce avait reçu une décoration spéciale répondant à sa destination particulière. Au lieu d’avoir, comme les palais modernes, une façade monumentale, le palais impérial était composé d’une multitude de petits bâtiments portant les noms suivants: triclinium (salle à trois lits ou salle à manger, pouvant aussi comprendre plusieurs pièces); Coubouclion (cubiculum) corps de logis formant un appartement de grande importance; Coiton (chambre à coucher appelée aussi Métatorion); Diabatica (galerie servant de communication entre les différentes parties du palais); Phiale (emplacement à ciel ouvert, dallé de marbre et ayant souvent en son milieu un bassin ou une fontaine); Péripatos (galeries ouvertes), etc...
Le palais se divisait en trois parties principales: la Chalcé, Daphné et le palais sacré.
La Chalcé comprenait toute une série de pièces. On accédait au palais du côté de l’Augustéon par la porte en fer qui ouvrait sur un des vestibules de la Chalcé. Ce vestibule, couvert de tuiles en bronze doré, se composait d’une cour en forme d’hémicycle surmontée d’une voûte en cul-de-four faisant face à l’entrée d’un bâtiment carré à coupole tout orné de mosaïques.
On comptait dans la Chalcé trois salles des gardes, les noumera, les courtines, les tricliniums des scolaires, des excubiteurs, des candidats, en enfilade. Venaient ensuite une salle de justice, (tribunal de Lychnos), une salle de réception, une salle à manger d’apparat, le grand consistorium et plusieurs édifices religieux (l’oratoire du Sauveur et la chapelle des Saints-Apôtres). Le grand consistoire était convoqué dans la salle de réception. Trois portes en ivoire y donnaient accès. Au fond de la salle, un des trônes de l’Empereur était dressé sur une estrade.
Entre la Chalcé et Daphné se trouvait le triclinium (salle à manger à dix-neufs lits), où se donnaient les banquets officiels. Cette salle était précédée d’une cour ou atrium, puis d’un portique formant porche. Elle était divisée en deux; une partie était réservée aux invités, et l’autre à l’Empereur. Toutes deux étaient éclairées par le haut. La première pouvait contenir trois cents convives. Aux grands jours de fête, par exemple à Noël, on y mangeait, couché à la mode antique. D’après le récit de Luitprand, évêque de Crémone, qui assista en 943 à un des festins donné dans ce palais, on y mangeait, à demi couché, le service étant fait uniquement dans de la vaisselle d’or; les fruits étaient servis dans de grands vases en or qui, à cause de leur poids, étaient transportés sur des chariots couverts de pourpre. On les enlevait au moyen d’une poulie établie au plafond, sur laquelle roulaient trois cordes enveloppées de peau dorée. Les bouts des cordes étaient munis d’anneaux en or engagés dans les anses des vases; plusieurs serviteurs placés en bas étaient chargés de faire fonctionner ces appareils pour le service de la table.
La partie du palais appelée Daphné commençait par une grande galerie couverte, précédée d’un porche à arcades qui conduisait à une salle octogone. Cette partie du palais comprenait plusieurs édifices religieux et des salles pour les réunions officielles. Une galerie courant sur les étages supérieurs menait à un petit palais occupant la place d’honneur de l’hippodrome. Cet édifice contenait plusieurs pièces et l’Empereur y revêtait son costume officiel avant d’entrer dans sa loge pour assister aux jeux. Les fonctionnaires qui se rendaient au palais laissaient leurs chaises à porteurs et leurs chevaux dans un manège spécialement disposé à cet effet dans les dépendances.
Le palais sacré comprenait le palais impérial proprement dit, contenant dans son enceinte le péristyle du Sigma, le Triconque, et différents appartements privés de l’Empereur.
A l’entrée du palais sacré, se trouvait un vaste atrium ou Sigma qui avait la forme de la lettre grecque appelée Sigma. C’est là que les courtisans et les hauts fonctionnaires attendaient l’Empereur. Au centre de cet atrium, était placé un bassin aux bords d’argent, au milieu duquel se trouvait un vase d’or en forme de coquille. Ce vase était rempli des fruits les plus rares où puisaient les invités.
Après l’atrium, on entrait dans un péristyle formé de quinze colonnes en marbre de Phrygie. Au centre, s’élevait un dôme soutenu par quatre colonnes en marbre vert dominant le trône où l’Empereur s’asseyait pendant les fêtes.
On y trouvait aussi un palais à deux étages, construit par Théophile au IXe siècle sur le modèle du palais du khalife de Bagdad.
Une des parties les plus intéressantes du palais sacré était le Chrysotriclinium (triclinium d’or), bâti par l’empereur Justin II le Curopalate, embelli ensuite par Tibère son successeur. C’était une salle octogonale couverte d’une coupole à seize fenêtres; sur les huit côtés se trouvaient huit absides qui communiquaient entre elles. Celle qui était en face de l’entrée était fermée par deux portes argentées, sur lesquelles étaient figurées les images de Jésus-Christ et de la sainte Vierge. Pendant les réceptions, ces portes restaient d’abord closes, tandis que la foule entrait dans la salle. Une fois le calme rétabli, elles s’ouvraient, et on voyait, au fond de l’abside, l’Empereur vêtu d’un manteau de pourpre orné de pierres précieuses, ayant à hauteur de sa tête l’image du Sauveur et entouré de toutes sortes d’objets précieux. La foule se prosternait de suite devant l’Empereur pour lui rendre hommage. Tout était calculé pour donner à ces réceptions un aspect féérique. Toutes les grandes cérémonies telles que le couronnement, le mariage impérial et les réceptions officielles se faisaient dans cette splendide salle de fête. Ces cérémonies avaient beaucoup de ressemblance avec celles des Persans: «La salle du trône, dit M. Gayet, ouvrait directement sur la cour du palais, sans qu’aucune barrière en interceptât l’entrée: un rideau immense dérobait seul le monarque aux regards de ses sujets. Lorsqu’il daignait se montrer à eux et prenait place sur l’estrade, entouré des princes du sang, des ministres, des courtisans et de la garde, le voile se levait soudain à un signal donné. Le Roi des rois surgissait alors dans le cadre d’un luxe inoubliable.»
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Colonne de Théodose.—Bas-reliefs du piédestal.
Derrière cette salle, s’étendaient les nombreux appartements privés de l’Empereur, orientés de façon à être aussi confortables en été qu’en hiver.
Constantin Porphyrogénète, décrivant une de ces salles du palais nommé Cenourgion, bâti par Basile le Macédonien, raconte qu’elle était soutenue par 16 colonnes dont 8 en marbre vert et 6 en onychite, ornées de rameaux de vignes qui s’entrelaçaient au fût et de différentes figures d’animaux. Deux autres colonnes, également en onychite, portaient des cannelures en spirales. La partie supérieure au-dessus des colonnes jusqu’à la voûte était ornée de mosaïques sur fond d’or. On y voyait Basile entouré de guerriers qui lui présentaient les clefs des villes conquises. A la naissance de la coupole, une large corniche formait une galerie à balustrade qui faisait le tour de la salle. Un lustre était suspendu au centre.
L’appartement d’été de l’empereur Théophile se composait d’un rez-de-chaussée et d’un premier étage comprenant une chambre à coucher et un salon. Un chroniqueur de l’époque nous donne d’assez nombreux détails sur la décoration d’une chambre à coucher impériale: «Le pavage est en mosaïque, au centre s’étale un paon enfermé dans un cercle de marbre. De ce cercle partent des rayons qui vont aboutir à un autre cercle, plus grand, en dehors duquel sont des marbres verts imitant des fleuves. Dans chaque coin se trouvent appliqués des aigles en mosaïque faits de petits cubes de différentes couleurs. Les parois de la pièce sont ornées de plaques de verre polychrome. Une bande d’or sépare les mosaïques qui ornent la partie supérieure des parois, sur lesquelles se détachent sur fond d’or les figures de Basile et de sa femme Eudoxie. Tous deux sont assis sur des trônes et portent les couronnes et les costumes impériaux. Sur les autres murs de la pièce sont représentés leurs enfants vêtus du même costume, et tenant entre les mains des livres de piété. Le plafond resplendissant d’or porte au milieu le signe victorieux de la croix en verres de couleur; tout près, se trouvent encore les images de l’Empereur, de l’Impératrice et de leurs enfants, levant tous la main vers la croix.»
Cet immense palais, habité si longtemps par les empereurs byzantins, fut abandonné vers le XIIe siècle, quand leurs successeurs allèrent résider au palais des Blaquernes.
Bien avant la prise de Constantinople par les Turcs, ce palais menaçait déjà ruine et ses débris étaient utilisés pour de nouvelles constructions. Buondelmonte, qui visita la capitale trente ans avant la conquête, n’avait plus rien trouvé sur l’emplacement de ce grand palais que quelques pierres provenant des ruines. Et quand Pierre Gylles visita Constantinople, il ne vit sur son emplacement que quelques traces de ruines[45].
[45] Banduri. Topogr. Constantin.
PALAIS DE BOUCOLÉON
Ce palais se trouve sur les bords de la Propontide, dans l’enceinte du grand palais byzantin. Il a été appelé d’abord château de Hormisdas, du nom d’un prince sassanide qui s’était réfugié à Constantinople et avait habité ce palais au temps de Constantin. Il fut reconstruit par Justinien et, plus tard, agrandi et embelli par Constantin Porphyrogénète[46] qui y ajouta des statues et un groupe d’animaux sculptés en pierre, un lion luttant avec un bœuf.
[46] Constantin Porphyrogénète—Vie de Basile.
Il paraît que de là vient son nom de Boucoléon[47]. Tout près de ce palais se trouvait un port appelé du même nom. Nicéphore Phocas qui habitait presque toujours ce palais où il fut tué par Jean Tzimizès son rival, l’avait fortifié en l’entourant de murs.
[47] Bous (Bœuf), Léon (lion). Il nous paraît plus vraisemblable de croire que l’étymologie du mot de boucoléon vient de bucca leonis, entrée des lions, parce que ce port avait à son entrée des statues de lions.
PALAIS DE LA MAGNAURE
Le triclinium de la Magnaure ou Magna-aula (magna, grande, aula, cour) se trouvait au nord du palais impérial entre la Chalcé et Sainte-Sophie; les Empereurs y donnaient audience aux ambassadeurs. Ce triclinium, bâti par Constantin, n’était qu’une basilique à nef centrale et à bas côtés. Au fond, sur une estrade qui occupait toute la largeur de l’édifice et qui recouvrait un hémicycle, se trouvait le trône impérial. De chaque côté de l’abside, deux colonnes soutenaient des draperies et des rideaux. Au-dessus du bas côté s’élevaient les galeries réservées aux dames de la cour. Au pied de l’estrade, on apercevait deux lions artificiels dressés sur leurs pattes et qui poussaient des rugissements comme des lions vivants. Sur des arbres d’or, des oiseaux de toutes sortes, artistement imités et perchés sur les branches, faisaient retentir la salle de leurs chants joyeux.
Pour donner plus de vie à cette scène du passé, il faut écouter Luitprand, envoyé extraordinaire du roi d’Italie à la cour de Byzance, au Xe siècle. «L’Empereur, dit-il, étant assis sur son trône, des lions automatiques commencent à rugir, les oiseaux chantent. Je me prosterne devant lui, et, après être resté quelque temps dans cette position, selon le cérémonial, je lève les yeux et aperçois l’Empereur enlevé par une machine à une hauteur considérable.»
Sur l’emplacement du palais de la Magnaure, se trouve actuellement le ministère de la Justice, qui dernièrement devint le siège du Parlement, et devait primitivement servir d’université, mais il ne fut jamais affecté à cette destination. En creusant les fondations de cet édifice en 1847, on trouva, à une profondeur de trois mètres, l’ancien pavé et la base de la célèbre statue argentée d’Eudoxie la Gauloise, objet de la haine de Chrysostome. Elle portait l’inscription suivante en langue grecque: «Voici la statue argentée où les souverains président aux tribunaux de la capitale[48].» A côté de ce palais se trouvait le Sénat ou basilique. Un portique orné de six grandes colonnes de marbre blanc s’ouvrait, d’après M. Labarte, sur le forum Augustéon.
[48] Cette base est conservée au Musée.
PALAIS DES BLAQUERNES
Lorsque Théodose II avait construit la grande muraille pour agrandir la ville, le quartier des Blaquernes, qui était situé à l’extrémité nord-ouest de la ville, près de la Corne d’Or, et qui renfermait alors l’église de ce nom ainsi qu’une résidence impériale, ne fut pas compris dans l’enceinte des murs. Ce n’est que deux siècles plus tard que l’empereur Héraclius fit construire de nouveaux remparts devant les Blaquernes, qui, devenus très peuplés, avaient besoin d’être protégés contre les attaques ennemies. D’après M. Schlumberger, la partie des murs théodosiens restés en arrière des nouveaux murs et qui étaient devenus inutiles furent détruits. Le palais qui se trouvait dans ce quartier avait été bâti d’abord par Anastase (491-518). Il servit pendant plusieurs siècles de maison de plaisance aux Empereurs. Puis il s’étendit et couvrit de ses nombreux bâtiments un espace de 300.000 mètres carrés (l’espace compris entre Egri-Kapou et l’Ayasma des Blaquernes).
Pl. 25.
Colonne de Constantin et Mesè
Ancienne rue de «Mesè» et colonne de Constantin au Xe siècle
(D’après la restitution de l’auteur.)
C’est Manuel Comnène Ier qui, négligeant complètement le grand palais, élut pour résidence le palais des Blaquernes (1143).
L’enceinte fortifiée du palais comprenait de vastes jardins, des cours à portiques, différentes habitations pour le Basileus, sa famille, ses grands officiers et ses gardes, des églises, des chapelles et d’autres édifices religieux. Le Portique carien, érigé par l’empereur Maurice en 586 et dont on retrouve actuellement les substructions à l’est de la porte d’Eïvan Seraï, consistait en une cour entourée de portiques et qui conduisait au palais. L’ensemble de ces monuments formait un quartier que les historiens grecs appelaient palais au toit doré. Actuellement on ne voit plus que la portion de l’enceinte commune à la grande muraille de la ville, et quelques pans de murs ensevelis sous terre.
Le terrain étant disposé suivant des pentes très abruptes, d’immenses voûtes et des murailles épaisses durent être construites pour supporter les nombreuses terrasses dont on reconnaît parfaitement aujourd’hui les ruines. Ces terrassements dominaient une vallée assez profonde qui existe encore.
Une partie du palais était adossée à la grande muraille sur laquelle s’ouvraient des fenêtres et des balcons dominant la campagne. C’est dans ce palais qu’Isaac l’Ange, en 1204, reçut les croisés. Ces derniers furent émerveillés de la splendeur des jardins, de l’ampleur des voûtes, et de la magnificence des parois toutes tapissées de mosaïques à fond d’or, des cours pavées de marbre précieux, des ruisseaux d’eau courante coulant dans des canaux d’albâtre. Les seigneurs Francs, quand ils furent reçus dans ce palais par Alexis, furent éblouis par les richesses prodigieuses étalées non sans intention: la vaisselle d’or, les innombrables vêtements de cérémonies, les étoffes brodées de soie.
Palais des Blachernes
d’après A. van Milligen.
Les empereurs latins de Constantinople habitèrent aussi ce palais et y tinrent leur cour. Nicéphore Grégoras et Pachymère racontent que Michel Paléologue, après avoir reconquis Byzance, dut aller demeurer au grand palais, les Blaquernes étant dans le plus affreux délabrement, toutes noircies de fumée et pleines d’immondices et d’ordures. Après sa réparation, le palais des Blaquernes redevint et resta l’unique résidence des Paléologues jusqu’à la chute de Constantinople.
Ce qui subsiste aujourd’hui des fondations montre suffisamment l’étendue occupée par ce palais, dont les proportions et la magnificence ont toujours fait l’admiration des historiens.
Pulchérie, épouse de Marcien, y avait fait construire la célèbre église des Blaquernes. Cette église touchait au mur du palais même et sa porte ouvrait dans l’enceinte du palais.
«La porte de l’enceinte de l’église des Blaquernes, dit M. Schlumberger, vaudrait bien comme intérêt l’escalier de Versailles! Aujourd’hui, c’est l’Empereur en litière, entouré, tantôt de ses fameux Vaerings, tantôt d’un cortège d’eunuques ou d’une longue chaîne de prêtres et de caloyers, jetant un regard inquiet sur la foule des dignitaires où il cherche à tout instant le meurtrier de l’heure qui vient et le successeur heureux qui fera jeter au cirque son cadavre mutilé; demain c’est le patriarche à la longue barbe blanche, qui accourt tremblant sous ses vêtements d’or; il sait qu’un basileus tout enfiévré d’un sombre esprit théologique l’a fait mander au palais pour lui donner le choix entre l’option d’une hérésie qui damnera son âme ou l’exil mortel sur quelque affreux rocher de Marmara. Aujourd’hui ce sont des princesses, mères, femmes ou filles de quelque empereur assassiné ou déposé, qu’on entraîne à la hâte vers l’église pour raser leur chevelure, arracher leur tunique de pourpre brodée de perles et les jeter ensuite, sous la robe brune des religieuses, dans quelque couvent devenu leur demeure pour le reste de leurs jours.»
Près du palais on avait construit un cirque qui servait à l’amusement des Empereurs. Non loin de là, on voit encore aujourd’hui deux grandes tours, la tour d’Isaac l’Ange et la tour d’Anémas. La tour d’Isaac l’Ange fut construite en 1188 pour servir de défense au palais des Blaquernes qui se trouve derrière elle. On y pénétrait par la cour du palais impérial. Un des murs de la tour d’Isaac l’Ange était percé de trois fenêtres cintrées. Au-dessus de ces fenêtres, une rangée de pierres saillantes semble avoir dû porter un balcon disparu. Les trois autres murs n’ont chacun qu’une fenêtre; celle du côté sud sert de communication entre la plate-forme des murs et l’intérieur de la tour. Celle du côté du port conduit sur le toit de la tour basse d’Anémas, ainsi nommée d’après Michel Anémas, fils d’un roi de Candie, qui y fut enfermé sous Alexis Comnène. Ces tours furent plus tard reliées entre elles intérieurement.
Prisons d’Anémas
(D’après Van Millingen: Byzantine Constantinople.)
Sous la tour d’Anémas se trouvent les fameuses prisons d’Anémas découvertes dernièrement par le Dr Paspati. Ces prisons, très curieuses, sont dans un meilleur état de conservation que d’autres cachots similaires; mais la visite en est rendue très dangereuse par les cavités dans lesquelles on risque de se précipiter. Outre ce danger réel, les ordures jetées par les habitants des quartiers voisins rendent l’abord de la place des plus désagréables.
On y accède par une petite ouverture cintrée percée dans un pan de mur au pied de la tour d’Anémas. Un passage de dix mètres de long, très bas et très étroit, conduit à une petite salle voûtée, humide et qui ne reçoit par cette même entrée qu’une faible lumière. En passant à droite par une petite ouverture, on arrive à une autre salle faiblement éclairée par un trou pratiqué dans la voûte. Sur le passage s’ouvre un puits béant qui coupe le cachot dans toute sa largeur. En face de l’entrée, un autre passage menant à droite communique avec une autre galerie.
On monte par un escalier à l’étage supérieur de la tour, où se trouve une salle mesurant 7 mètres de haut sur 12 mètres de long et 10 mètres de large. Elle ne prend jour que par un mince filet de lumière passant par un trou pratiqué dans une fenêtre cintrée. On peut alors voir le trou rond qui éclaire l’étage inférieur. L’escalier continue jusqu’au sommet de la tour. Dans la petite salle d’entrée, une ouverture à gauche conduisait aux cellules des prisonniers. Aujourd’hui, on n’aperçoit qu’un grand bâtiment d’une soixantaine de mètres de longueur, plein de décombres. Jadis cette grande salle était divisée en deux étages, contenant chacun une enfilade de petites chambres séparées les unes des autres par des murs de 1m, 50, percés de grandes ouvertures cintrées. Un corridor de 1m, 75 de large courait tout le long des chambres.
PALAIS DE CONSTANTIN PORPHYROGÉNÈTE
Ce palais, appelé aussi palais de Bélisaire[49], ou palais de l’Hebdomon et nommé Tekfour Serail par les Turcs, se trouve enclavé dans les murs de Théodose. D’après Gyllius, il faisait partie du palais de Constantin à l’Hebdomon hors des murs. Le nom d’«Hebdomon» lui venait du septième quartier des auxiliaires Goths qui, en leur qualité d’ariens, campaient hors des murs sur l’emplacement qu’on appelait Hebdomon. Ce palais, restauré par Justinien, a été appelé aussi Palatium Justiniani.
[49] Dans le plan de Melling, dessiné en 1815, nous voyons les ruines d’un autre palais de Bélisaire à côté du forum de Constantin, là où se trouve actuellement l’imprimerie Osman bey.
Le Dr Mordtmann et M. Van Millingen[50], dans leurs travaux sur l’archéologie byzantine, cherchent à démontrer que le palais appelé aujourd’hui Tekfour Serail n’est qu’une partie du palais des Blaquernes. Le Dr Mordtmann veut prouver, en se basant sur la manière dont cet édifice est construit, qu’il existait déjà au temps de Théodose et qu’il formait la partie supérieure du palais des Blaquernes. Il est certain en tout cas que de fausses suppositions l’ont fait prendre pour le palais de l’Hebdomon.
[50] Van Millingen, Byzantine Constantinople.
C’est un bâtiment rectangulaire où les briques alternent avec des blocs de marbre blanc et jaune. Les murs indiquent clairement qu’il était composé de trois étages et que l’étage supérieur dépassait la hauteur des murailles. Le rez-de-chaussée comprenait une salle voûtée de 17 mètres de longueur, soutenue par deux rangées de colonnes. La façade nord des bâtiments repose sur quatre arceaux séparés par un pilier carré.
Le premier étage consistait en une grande salle rectangulaire dont il est assez difficile aujourd’hui de reconstituer exactement les divisions intérieures. Des six fenêtres cintrées qui éclairent cet étage, quatre correspondent aux arcades de l’étage inférieur. Au second étage, se trouve une grande salle semblable, éclairée sur toutes ses faces par des fenêtres cintrées.
A l’est, au-dessous des trois fenêtres en plein cintre, un balcon supporté par deux arceaux formait saillie.
Le palais continuait le long des murs vers le nord. Il était précédé d’une cour formant atrium, orné de propylées soutenus par dix grandes colonnes. Le toit reposait sur une corniche en marbre sculpté.
Outre le grand palais sacré, le palais des Blaquernes et ceux sur lesquels nous venons de donner quelques détails, on peut citer une série de palais appartenant aux différents siècles, tels que le palais de l’impératrice Sophie, le palais d’Eleuthère, le palais Valentinien, le palais de Bonus, le palais de Jucundiana, le palais de Justinien, le palais de Kalaman, le palais de Pighi, le Philopation, le palais Placidien, Saint-Mamas, le palais d’Arcadius, le palais de Toxaros, etc.
Le palais de l’impératrice Sophie qui se trouvait près du port Sophien fut remplacé par le palais d’Esma Sultane. Le palais de Valentinien a été construit par l’empereur Valentinien pour ses filles. L’emplacement de ce palais est aujourd’hui occupé par les bâtiments de Mechichat (Cheïhuslamat). Le palais de Bonus, construit par Romain II Lécapène, se trouvait sur la colline où est située actuellement la mosquée de Sultan Selim. L’Empereur venait y passer la nuit pour assister le lendemain à la messe des Saints Apôtres. Le palais Kalaman se trouvait dans le quartier des Génois.
HIPPODROME
L’hippodrome, où se déroulèrent tant d’événements historiques, où 30.000 hommes périrent pendant la révolte de Nika, occupait la grande place appelée aujourd’hui At Meïdan, c’est-à-dire place aux chevaux. Il s’étendait en outre sur une partie de l’emplacement de la mosquée d’Ahmed, et sur le terrain où s’élèvent actuellement l’école des Arts et Métiers et les nouveaux bâtiments du ministère des Mines et Forêts. Son axe est indiqué par l’obélisque, la colonne serpentine et la colonne murée qui existent encore.
L’hippodrome a été construit d’abord par Septime-Sévère, sur le modèle du Circus Maximus de Rome. Constantin y ajouta les degrés, la sphendonè et les tribunes, et orna les portiques de statues. Cet édifice fut modifié plusieurs fois au cours des siècles.
L’hippodrome qui avait 370 mètres de long sur 180 de large pouvait contenir 100.000 personnes[51]. Outre les petites portes, qui conduisaient aux gradins, quatre portes monumentales s’ouvraient aux extrémités des côtés latéraux.
[51] Selon Gylles la longueur de l’hippodrome était de deux stades (370 mètres).
Du côté sud, le terrain s’inclinait vers la mer; cette partie de la piste de l’hippodrome fut exhaussée par des soubassements composés de hauts murs voûtés. Elle formait la partie hémisphérique de l’hippodrome qui s’appelait sphendonè.
Pl. 26.
Colonne Serpentine.
Aqueduc de Valens.
Du côté de Sainte-Sophie, s’élevait un bâtiment rectangulaire comprenant la tribune impériale et les loges des grands dignitaires et des sénateurs, et qu’on appelait Kathisma[52]; il n’avait aucune communication avec l’arène ni avec les gradins du cirque. L’Empereur y arrivait directement du palais. Au-dessous de la loge impériale, se trouvait, sur une terrasse en forme de balcon garni de colonnes, une autre tribune, réservée aux gardes de l’Empereur; elle était appelée le Pi, à cause de sa forme qui rappelait la lettre grecque π. Deux escaliers faisaient communiquer cette terrasse avec la tribune impériale.
[52] Aujourd’hui, sur l’emplacement de l’ancien Kathisma, se trouve la fontaine érigée par Guillaume II, empereur d’Allemagne.
Aux grandes fêtes, les musiciens jouaient sur cette plate-forme. Au-dessous du Pi, à droite et à gauche, étaient les portiques par où les chars entraient dans le cirque. Ces loges, qui avaient à Rome le nom de Carceres, étaient appelées à Constantinople Manganon.
Au-dessus de la loge impériale s’élevait une tour ornée de quatre chevaux de bronze, œuvre de Lysippe de Chio, et que, d’après une légende, Théodose avait enlevés à l’île de Chio; une autre légende voulait qu’on les eût apportés de Corinthe à Rome et de Rome à Byzance[53].
[53] Pendant la quatrième croisade on expédia les chevaux à Venise; Bonaparte les fit placer sur l’arc de triomphe du Carrousel à Paris. Mais en 1814 ils furent de nouveau transportés à Venise où ils ornent maintenant le portail de Saint-Marc.
Le Kathisma comprenait une salle à manger, une salle de réception et plusieurs pièces où l’Empereur recevait les hauts fonctionnaires avant les fêtes et donnait des repas, car les jeux de l’hippodrome formaient une partie intégrante de la vie publique. L’Empereur devait avoir dans le cirque des appartements privés pour revêtir les habits officiels avant d’entrer dans sa loge et enfin pour se reposer pendant les jeux, qui duraient parfois toute une journée.
Le Kathisma communiquait avec l’église Saint-Etienne, dont plusieurs fenêtres s’ouvraient sur l’hippodrome. D’après Labarte, les dames de la cour, qui ne siégeaient pas avec les hommes pendant les cérémonies publiques, pouvaient assister aux jeux du haut de ces fenêtres. C’est dans cette église que Léon l’Arménien fut assassiné et transporté ensuite à l’hippodrome. M. Millet et plusieurs archéologues russes, se basant sur les événements qui se déroulèrent au temps de Théodose II, veulent montrer que la tribune impériale ne se trouvait pas au centre du Kathisma, mais à son extrémité orientale, c’est-à-dire à la partie contiguë au palais. Peut-être les Empereurs avaient-ils choisi cette place pour avoir une meilleure vue sur la piste de l’hippodrome. Mais il n’en est pas moins vrai qu’une tribune officielle existait au centre du palais de Kathisma.
Les spectateurs étaient assis sur les gradins qui se continuaient en forme d’amphithéâtre. Sur le sommet de ces gradins existait un promenoir à colonnades, orné de statues.
Pour protéger les spectateurs contre les bêtes fauves et pour empêcher les discussions souvent violentes des partis adverses, l’arène était séparée des gradins par un fossé. Les jeux des bêtes fauves ayant été remplacés un peu plus tard par des courses de chars, par des luttes et des combats, ce fossé fut supprimé, mais on construisit un mur pour empêcher les bleus de se jeter sur les verts et réciproquement.
Dans l’axe longitudinal du cirque s’élevait une terrasse longue et étroite appelée «Spina» et sur laquelle on avait disposé divers monuments et statues, la colonne de Théodose (obélisque), la colonne murée, la colonne serpentine, qui portait autrefois le célèbre trépied de Delphes; toutes ces colonnes étaient alignées dans la même direction. Parmi les statues en bronze ou en marbre, on remarquait un homme luttant avec un lion, un taureau mourant, l’Hercule colossal de Lysippe, un loup combattant une hyène, un cheval indompté, un aigle enlevant un serpent, Adam et Ève, Hélène inspirant l’amour aux guerriers, les statues des empereurs Gratien, Valentinien, Théodose, celles des conducteurs de chars couronnés, et la fameuse statue à trois têtes, dont Jean (Yanis) l’Iconoclaste fit abattre les têtes.
Au centre d’un bassin se dressait, au haut d’une colonne, la statue de l’impératrice Irène. «Les statues de Gratien, de Valentinien, de Théodose, dit M. Dethier, étaient à cheval, à pied; c’est au choix d’un interprète hardi. Je m’étonne que même M. Labarte ait eu la bonne volonté d’y trouver une statue équestre d’un Théodose (p. 53), mais toujours se garde-t-il d’affirmer que c’est Théodose Ier. D’ailleurs ces statues étaient très petites et ornaient les gradins des bancs de l’hippodrome.»
Sur toute l’étendue de l’hippodrome une grande tente (velum) doublée de pourpre était tendue pour protéger les spectateurs contre les ardeurs du soleil. Tout Byzance affluait sous cette tente, et sur les gradins se pressaient des hommes de toutes races, aux costumes les plus divers, bigarrés de toutes les couleurs.
Dans la suite, les jeux de l’hippodrome se firent plus rares et l’on ne donnait plus de représentations qu’aux jours de grande fête.
Après la conquête latine, l’hippodrome fut complètement abandonné. Tous les objets précieux qui l’ornaient furent détruits; plusieurs statues, entre autres celles de l’Hercule en bronze, envoyées à la fonte et l’on en fit de la monnaie. Comme on peut le voir d’après les anciens plans de la ville, antérieurs à la conquête ottomane, il n’existait plus rien alors de la splendeur de l’ancien hippodrome: seules les trois colonnes qu’on peut voir de nos jours et qui indiquent l’axe de l’hippodrome, seuls quelques marbres ayant appartenu aux gradins subsistaient encore. L’hippodrome était rempli de monticules de terre provenant de la démolition des gradins. A une certaine époque, on construisit même des maisons sur cet emplacement. Une partie des ruines a servi à Ibrahim Pacha, vizir du sultan Suleïman, pour la construction du Mehterhané (prison actuelle).
Près de l’Augustéon, en face des thermes de Zeuxippe, se trouvait l’Octogone ou Tetradision, où était établie une sorte d’«Université». C’était un grand édifice en forme d’octogone à huit pièces voûtées. Il renfermait tous les ouvrages des grands maîtres de la littérature, de la science et de la philosophie. D’après la chronique Pascale, ce sont les Goths qui incendièrent l’Octogone pendant la sédition de Nika. D’après Codin, c’est Léon l’Isaurien qui l’a fait brûler avec ses académiciens parce qu’ils refusaient de s’associer aux illégalités de l’Empereur.
IV.—LES BAINS BYZANTINS
Nul pays, au moyen âge, n’a possédé autant d’institutions d’utilité publique que faisait Byzance, avec ses forums, ses fontaines, ses aqueducs, ses citernes, ses canalisations et surtout ses bains qui contribuaient à l’entretien de la santé publique. Chaque quartier en possédait un. Ces établissements ne diffèrent que fort peu des bains grecs et romains. On n’en trouve plus dans la ville un seul qui appartienne à l’époque byzantine. Mais les Turcs ayant construit leurs bains à peu près sur les mêmes plans que les Byzantins et les ayant divisés en deux parties, l’une réservée aux dames et l’autre aux hommes, il est facile aujourd’hui d’avoir une idée des modèles dont ils s’inspirèrent. Voici, au sujet d’un bain grec construit par Hippias, la description qu’en fait Lucien et que Mavroyéni Pacha cite dans ses articles sur les bains orientaux: «La partie d’entrée est haute, on y monte par un escalier large; la porte franchie, on entre dans une salle commune réservée aux domestiques; après cette première pièce, on entre dans une autre salle fort élevée, abondamment éclairée, ayant de chaque côté des séparations pour ceux qui veulent se déshabiller. Au milieu de la salle se trouvent trois piscines; on y voit deux statues en pierre blanche, l’une représentant Hygie et l’autre Esculape, puis on pénètre dans une salle légèrement tiède, afin d’éviter une chaleur incommode. Après cette salle, il y en a une autre qui les dépasse toutes en beauté, où l’on peut s’asseoir et se faire masser. Les murs sont revêtus jusqu’au plafond de plaques de marbre de Phrygie. En avançant par un passage, on entre dans la salle la plus reculée. Cette salle offre trois baignoires d’eau chaude, toutes les parties en sont de proportions harmonieuses.»
Pl. 27.
Citerne de Bin bir direk
Comme les Grecs, les Byzantins attachaient beaucoup d’importance à la beauté architecturale des bains, où le peuple trouvait un plaisir plus qu’une nécessité hygiénique et où il allait même se divertir en hiver.
On sait que les Néron et les Caracalla, les Titus et les Dioclétien se rendirent populaires en construisant de magnifiques thermes où trois mille personnes pouvaient trouver place en même temps. De même le peuple byzantin, chez lequel le bain était devenu indispensable au point de vue religieux autant que laïque, construisit des bains aussi somptueux que les Romains. Parmi les plus beaux on peut citer celui de Zeuxippe qui se trouvait tout près du Kathisma de l’hippodrome, et touchait, d’après M. Labarte, aux Nouméra, un des derniers bâtiments du palais, du côté du forum Augustéon. Il a été construit par Septime-Sévère et remanié par Constantin. Il était orné de très belles statues en marbre et en bronze. Si des fouilles adroites étaient entreprises près de la fontaine construite par l’empereur d’Allemagne, elles mettraient peut-être ces statues au jour.
Le bain de Zeuxippe fut détruit pendant la sédition Nika. Les bains d’Arcadius, qui occupaient l’emplacement de l’école actuelle des Beaux-Arts, étaient également célèbres chez les Byzantins. Vis-à-vis de Sainte-Anastasie, vers le nord, on rencontre les substructions d’un grand bain public du nom de Diagisthée[54]. Le bain de Constantin subsista après la conquête et fut nommé Tchoukour Hamam. Citons encore les bains d’Eudoxie qui se trouvent près de la Sublime Porte.
V.—LES MONUMENTS
OBÉLISQUE DE THÉODOSE LE GRAND
Les œuvres plastiques et les monuments qui ornaient jadis la ville de Constantinople ont été peu à peu détruits pour la majeure partie, et un très petit nombre seulement ont échappé à la ruine et sont parvenus jusqu’à nous. Parmi les monuments de l’ancien hippodrome, nous citerons d’abord l’obélisque de Théodose le Grand.
C’est un monolithe de granit syénitique rose, haut de 30 mètres et large de 2 mètres à la base. Les inscriptions hiéroglyphiques, gravées sur chaque côté du monolithe et qui sont fort bien conservées, montrent qu’autrefois l’obélisque était beaucoup plus élevé. Il fut érigé à Héliopolis, 1700 ans avant J.-C., par le Pharaon Thoutmosis III. Constance II et Julien (361-362) formèrent le projet de le transférer à Byzance; les premiers travaux furent même commencés à cet effet, mais l’Empereur mourut et l’obélisque resta environ trente années couché sur le sol. En l’an 390, Théodose Ier le fit transporter à Byzance. On construisit tout exprès une voie ferrée allant de la porte de Fer, sur les bords de la Propontide, au plateau de l’hippodrome. On plaça l’obélisque sur un piédestal en marbre orné de sculptures qui représentent la vie et les hauts faits de Théodose.
L’inscription suivante est gravée en grec et en latin sur ce piédestal: «Théodose Ier a dressé, avec l’aide du préfet du prétoire Proclus, cette colonne quadrangulaire qui gisait sur le sol.» La colonne fut érigée en trente-deux jours. «En fait la colonne ne s’éleva, dit M. Dethier, qu’en l’an 400 pendant le règne d’Arcadius, sous les auspices de Gaïnas, qui réussit à faire rendre justice à ses compatriotes, les Ariens Goths, mais comme un météore, tomba sous la réaction orthodoxe; sa tête fut portée dans les rues, 5.000 Goths brûlés dans une de leurs églises et le nom de Gaïnas effacé sur les inscriptions de l’obélisque pour être remplacé par celui de l’orthodoxe Proclus.» Sur le bas-relief nord, on voit Arcadius et sa femme Eudoxie (la Gauloise) dans le Kathisma et, à côté d’eux, un homme de la cour, Gaïnas, le puissant chef des Goths.
L’obélisque repose sur quatre cubes en bronze posés à chaque coin de sa base quadrangulaire. Les bas-reliefs du piédestal représentent, sur le côté ouest, l’empereur Théodose le Grand assis sur le trône, ayant à sa gauche sa femme (sœur de Valentinien II), et à droite ses deux fils, Honorius et Arcadius; les ennemis vaincus viennent rendre hommage à l’Empereur. Du côté de l’est, Théodose veuf et ses deux fils semblent assister à une distribution de solde aux troupes ou plutôt à une danse. L’Empereur tient en main une couronne destinée au vainqueur. On y remarque les musiciens jouant de l’ancienne lyre, d’une espèce de hautbois, de la double flûte lydienne et de la flûte mythologique à sept trous, dite flûte de Pan. Du côté sud, Théodose ayant à sa droite ses deux fils et à sa gauche Valentinien II, contemple une course de chars. Du côté nord, c’est l’empereur Arcadius, sa femme Eudoxie, ses enfants et le fameux Gaïnas assistant dans le Kathisma à l’érection de l’obélisque.
Les sculptures de la partie inférieure du piédestal représentent les travaux nécessités par l’érection de l’obélisque.
COLONNE SERPENTINE
Parmi les colonnes qui figuraient sur l’axe longitudinal de l’hippodrome, on voit encore de nos jours la colonne serpentine, qui est érigée un peu au sud de l’obélisque. Cette colonne représente trois serpents en bronze fondu, provenant du butin enlevé aux Perses après la victoire remportée sur Xerxès.
On a discuté assez longtemps sur l’origine de cette colonne, mais en 1856, quand on creusa le sol pour en trouver la base on découvrit des inscriptions qui fixèrent son origine d’une manière exacte.
Elle reposait sur une pierre en forme de cube qui est aujourd’hui enfouie dans le sol. Sur les anneaux tordus des serpents, on voit des inscriptions en grec, indiquant les noms des villes, citées par Plutarque, qui ont combattu contre les Perses. Ces serpents supportaient autrefois le fameux trépied en or donné au temple d’Apollon de Delphes par les vainqueurs de Salamine et de Platées en souvenir des victoires gagnées sur les Perses par Thémistocle et Pausanias. La colonne, haute jadis de 8 mètres, n’a plus aujourd’hui que 5 mètres de hauteur. Le vase d’or que supportaient autrefois les trois têtes de serpents avait 3 mètres de diamètre.
Pl. 28.
Mosquée de Bayazid
Cette œuvre de l’art grec, une des plus célèbres qui existe, a été apportée à Byzance par Constantin le Grand pour embellir la nouvelle capitale. En se basant sur l’existence du tuyau en plomb et des conduites d’eau qui allaient de l’aqueduc de Valens jusqu’à cette colonne, plusieurs auteurs supposent que ce monument servait de fontaine.
Il est facile aujourd’hui de se rendre compte, par l’excavation qui entoure la base de cette colonne, du niveau du sol de l’ancien hippodrome. Les terres rapportées et les débris de constructions l’ont considérablement exhaussé.
COLONNE MURÉE OU COLONNE DORÉE (COLOSSE)
Cette colonne se trouve au sud de la colonne serpentine, sur le même axe longitudinal de l’hippodrome. C’est un obélisque carré, de 25 mètres de hauteur, formé de petits blocs de pierre de taille. Érigée par Constantin VII Porphyrogénète (911-959), elle était couverte de plaques de bronze doré portant des bas-reliefs, qui représentaient les hauts faits de son grand-père Basile le Macédonien. Les inscriptions gravées à la base de la colonne indique qu’elle était appelée «merveille rivale du Colosse de Rhodes». «Les croisés, dit M. Dethier, dépouillèrent la colonne de sa couverture de bronze pour en faire de la monnaie.»
On voit encore les trous des fers qui fixaient les plaques; le sommet de la colonne portait une sphère de bronze.
COLONNE DE CONSTANTIN
Au centre du forum de Constantin, s’élevait la colonne supportant la statue de l’empereur Constantin. Cette colonne est appelée par les Turcs Tchemberli-Tach (pierre au cercle) à cause des cercles de fer à l’aide desquels on l’a consolidée. Les grands incendies qui en avaient fendu les blocs avaient rendu cette mesure nécessaire.
Cette colonne était autrefois composée de neuf blocs cylindriques en porphyre placés les uns sur les autres. A la jointure des cylindres et à la partie supérieure de chaque bloc on avait sculpté une couronne de laurier, ce qui donnait à l’ensemble l’aspect d’un monolithe dans lequel on aurait taillé des colonnes transversales.
L’ensemble de la colonne atteignait une hauteur de 50 mètres. C’est Constantin qui la fit venir de Rome, où elle portait la statue d’Apollon. L’Empereur voulant symboliser la victoire du christianisme, fit mettre sa tête à la place de celle d’Apollon. Dans la suite, la statue de Julien, puis celle de Théodose remplacèrent celle de Constantin.
Vers la fin du XIe siècle (1081), la statue et les tambours supérieurs furent renversés par la foudre. Alexis Comnène répara le monument et l’orna d’un nouveau chapiteau corinthien portant des inscriptions en grec et une croix d’or.
Plusieurs historiens prétendent que le nom de colonne brûlée, donné par les étrangers, vient de ce que cette colonne a été endommagée par l’incendie qui éclata pendant l’émeute de Nika, mais cela ne paraît pas exact, car la colonne, qui se trouvait alors au centre du forum, ne pouvait être atteinte par les flammes. C’est d’un incendie qui éclata au cours du XVIe siècle qu’elle eut à souffrir; à cette époque, en effet, le forum était couvert de constructions qui arrivaient jusqu’à la base de la colonne.
Après l’incendie, le sultan Moustafa fit entourer, en 1701, le piédestal calciné par un massif de maçonnerie montant jusqu’au deuxième tambour.
COLONNE D’ARCADIUS
Au centre du forum d’Arcadius, Avret-Bazari, s’élevait la colonne d’Arcadius érigée en 401 par Arcadius en l’honneur de Théodose Ier. Cette colonne ressemblait à la colonne de Trajan à Rome. Sans avoir changé de place, elle se trouve enclavée aujourd’hui dans le jardin d’une maison particulière. Il n’en reste actuellement que la base; d’après cette base, qui a un diamètre de 4 mètres, on peut évaluer la hauteur à 40 mètres.
Un escalier intérieur conduisait au sommet de la colonne. Elle était couverte de bas-reliefs représentant les hauts faits de Théodose et d’Arcadius. Aujourd’hui, en dehors du piédestal, haut de 6 mètres, il ne reste plus que quelques inscriptions à moitié calcinées et quelques marches de l’escalier. L’ouvrage de Banduri sur Constantinople contient le dessin de cette colonne fait par un peintre vénitien. La colonne existait encore en 1685, mais, ayant menacé ruine à cette époque, elle fut démolie.
COLONNE DE MARCIEN
La colonne qui portait la statue assise de l’empereur Marcien, époux de Pulchérie, au Ve siècle, est aujourd’hui située dans un jardin privé. Elle a une dizaine de mètres de hauteur et repose sur trois marches recouvertes de terre. Sur les côtés du piédestal on voit des bas-reliefs. Deux génies ailés lèvent un panneau orné de myrtes avec la croix. Au-dessous, les trous des clous qui fixaient autrefois des lettres en métal permettent de lire une inscription latine.
Actuellement, le public appelle cette colonne «la colonne de la Virginité», Kiz-Tachi. Cette appellation est erronée, car la vraie colonne de la Virginité supportait la statue d’Aphrodite; elle avait la remarquable vertu de désigner au milieu des passants la jeune fille qui avait perdu sa virginité. La belle-sœur de Justin (565-578), ayant été désignée de cette sorte dans la foule par cette statue, fut mise en pièces, sur l’ordre de l’Empereur. La colonne en porphyre qui supportait la statue de la déesse fut déplacée par Soliman le Législateur et servit à la construction de sa mosquée, où elle figure encore.
COLONNE DES GOTHS
A la pointe du sérail, sur une terrasse du jardin du Palais impérial, s’élève une colonne d’ordre corinthien, taillée dans un seul bloc de granit, et ayant 15 mètres de haut. Sur le côté du piédestal tourné vers le Bosphore, on lit les inscriptions suivantes: Fortunæ reduci ob dévictos Gothos. Cette colonne qui portait jadis, d’après Nicéphore Grégoras, la statue de Byzas, est un des plus antiques monuments de Byzance. Elle fut érigée en souvenir des victoires remportées sur les Goths, sous l’empereur Claude II le Gothique.
STATUE DE JUSTINIEN
Cette statue, appelée dans le livre des Cérémonies «Achilleus», est indiquée sur le plan de Banduri et par Buondelmonte au nord-est de l’hippodrome; elle existait encore à l’époque où Christophe Buondelmonte visita Constantinople, trente années avant la conquête turque.
Elle devait être située près de l’endroit où une plaque en fer couvre l’entrée d’une citerne sur la place de Sainte-Sophie. La position de cette statue équestre, qui n’existe plus, est aussi indiquée par les auteurs. Elle était tournée vers l’Occident. Selon le récit de Zonaras, elle s’élevait à l’endroit où se dressait auparavant la statue argentée de Théodose le Grand.
Un dessin de cette statue, datant de 1340, se trouve dans la bibliothèque du sérail; il correspond assez exactement à la description donnée par les auteurs byzantins. L’Empereur y est représenté sous la figure d’un chevalier, portant sur la tête une plume énorme qui ressemble à la queue d’un paon.
Parmi les monuments disparus, citons enfin la statue de Théodose Ier, érigée au forum Tauri, et une autre statue de Théodose, élevée par son eunuque Christoforus, près de la porte de Selimbria.
VI.—LES AQUEDUCS ET LES CITERNES
Comme Byzance était toujours exposée au danger d’un siège, on avait eu soin d’aménager plusieurs grandes citernes pouvant contenir une quantité d’eau suffisante pour alimenter la ville durant plusieurs années. Ces citernes ont été construites sous le règne de différents empereurs, et dans divers endroits de la ville.
Byzance avait d’abord, au IVe siècle, des citernes ouvertes, c’est-à-dire d’immenses bassins entourés d’arbres, à la manière des citernes ouvertes de Syrie. Les citernes de Bonus, actuellement Tchoukour Bostan, et celles de Pulchérie et de Mocius appartiennent à ce genre.
D’après la chronique Pascale, la citerne de Mocius ou d’Aspar, fut construite par Aspar, chef de la milice gothique sous Léon Ier, pour alimenter les Goths cantonnés dans l’Exokionion. Plusieurs de ces citernes ont été remplies de terre et transformées en jardins potagers au temps de l’empereur Héraclius. On les appelle aujourd’hui Tchoukour Bostan (Potager bas).
Parmi les citernes couvertes, les plus importantes sont la citerne de Philoxenus, de Théodose, la grande citerne Basilique, la citerne de Phocas, etc. Quand les petites citernes particulières vinrent remplacer les anciennes et que l’on commença à avoir chez soi l’eau amenée par les aqueducs, ces grandes citernes furent mises hors d’usage.
La citerne de Philoxenus a été construite sous le règne de Justinien, vers le commencement du VIe siècle. Elle fut appelée du nom du sénateur Philoxenus, qui la fit bâtir. Cette citerne se trouve vers le sud-ouest de l’hippodrome. Elle mesure 60 mètres de long sur 50 mètres de large. Elle est couverte de voûtes montées sur des arcs soutenus à leur tour par 224 colonnes composées chacune de trois fûts reliés par des linteaux, et munis de chapiteaux en marbre sculpté. On y compte quinze rangées parallèles de colonnes, espacées l’une de l’autre de 4 mètres en chaque sens.
La terre apportée par les eaux et les décombres ayant rempli la base de la citerne, les colonnes ne semblent avoir aujourd’hui qu’une hauteur de 10 mètres environ, tandis que jadis elles avaient 18 mètres. Les Turcs l’appellent Bin Bir Direk[55] (mille et une colonnes) par allusion au grand nombre de colonnes qu’elle renferme.
[55] Sur cette citerne Fazli pacha avait son palais.
Cette citerne, abandonnée au cours des siècles, est depuis longtemps desséchée. On l’utilisa comme atelier de tissage pour la fabrication de cordes en soie; un escalier en pierre permettait d’atteindre facilement l’intérieur qui est situé à 15 mètres au-dessous du niveau du sol. Des ouvertures grillées pratiquées dans les voûtes et qui servaient autrefois à aérer les eaux, éclairent faiblement l’intérieur.
La citerne contenait une quantité d’eau suffisante pour alimenter pendant un mois 100.000 personnes.
Tout à côté de cette citerne existe la citerne de Théodose. Celle-ci contient 33 colonnes ornées de chapiteaux corinthiens en marbre sculpté. On y pénètre par un puits pratiqué dans une maison particulière.
La grande citerne Basilique qui est appelée par les Turcs Yéré batan seraï (palais enfoncé) a été bâtie par Justinien, sous la cour du palais de Justice. Cette immense citerne a 112 mètres de longueur sur 61 de largeur; 336 colonnes, ayant chacune 13m,50 de haut, supportent les voûtes. La distance qui sépare les colonnes entre elles est de 4 mètres. On peut y pénétrer par une maison particulière, mais comme la citerne contient encore de l’eau, il faut une petite embarcation pour visiter l’intérieur.
Toutes ces citernes étaient alimentées par les aqueducs qui amenaient les eaux des grands réservoirs construits entre les deux vallées, dans les forêts environnant Belgrade. Parmi ces aqueducs, celui de Justinien s’est conservé intact pendant quinze siècles. Quatre grandes arches en deux étages ayant une hauteur de 36 mètres conduisent l’eau d’une colline à l’autre.
La conduite d’eau de Valens relie par deux rangées d’arcades à plein cintre les différentes hauteurs de la ville. Il est facile d’en faire l’ascension; arrivé là-haut, on a un magnifique panorama de la cité.
Cet aqueduc a été bâti avec des pierres, fournies par les ruines des murailles de Chalcédoine. Commencé au IIe siècle, il fut continué par Constantin (306-337) et terminé enfin par Valens (366-378).
A l’époque de Justinien, cet aqueduc tombait déjà en ruines. Il fut restauré sous les Turcs pendant le règne du sultan Suleïman. La hauteur de l’aqueduc est de 23 mètres au-dessus du sol. Il a une longueur de 625 mètres. Les eaux qu’il amenait se déversaient dans une citerne appelée Nymphæum Maximum et qui était située sous le champ d’exercice du Séraskérat.
VII.—L’HABITATION CIVILE BYZANTINE
Dès que Byzance eut été transformée en capitale romaine, les patrices et les citoyens arrivés de Rome se hâtèrent de construire des habitations.
C’est Rome qui fournit les premiers modèles, et au début on ne vit partout que le type de maisons romaines.
Les riches patriciens avaient leurs maisons ornées de portiques et de cours à colonnades. On déployait un grand luxe dans la décoration de l’intérieur; les mosaïques et les incrustations étaient surtout en faveur. Les riches avaient leurs bains privés et même leurs citernes. Les murs et le sol de leurs habitations étaient décorés de marbres de couleur et de mosaïques.
Pl. 29.
Mosquée de Bayazid—Cour.
Mais ces habitations construites hâtivement ne purent résister très longtemps, et presque toutes furent détruites par les tremblements de terre et par les incendies. Déjà, vers la fin du Ve siècle, les grandes fortunes particulières ayant disparu, on avait construit beaucoup de maisons en bois. Vers le VIe siècle, au moment où l’art byzantin devait prendre sa forme définitive, les goûts et les conditions de vie des habitants différaient sensiblement de celles de Rome, et l’intérieur des habitations commença à se modifier. Le goût des maisons syriennes s’était manifesté dans les maisons romaines, ce qui fut la cause du mélange des deux styles et donna naissance à une nouvelle forme typique. Ainsi les habitations, romaines à l’origine, commencèrent à prendre une autre forme et ne restèrent même pas à l’abri de l’influence de l’art religieux byzantin. D’un autre côté, comme l’espace déterminé par l’enceinte de la ville obligeait les propriétaires à économiser le terrain, on commença à faire des balcons à encorbellement pour gagner sur la rue, déjà fort peu large. Ce mode de construction existait déjà à Pompéi au IIe siècle. M. de Vogüe, nous montre que ces balcons existaient aussi en Syrie au IVe siècle[56].
[56] De même qu’à Rome, les gens de la classe moyenne à Constantinople tenaient à avoir un logement leur appartenant; un certain mépris s’attachait à l’état de locataire. Pour cette raison, une maison appartenait quelquefois à plusieurs propriétaires, qui s’en partageaient les étages. Aujourd’hui encore il existe à Constantinople des propriétés dont les étages inférieurs et supérieurs appartiennent à différents propriétaires.
La curiosité, qui, jadis comme aujourd’hui, régna toujours en maîtresse à Byzance, se trouva fort bien de ces balcons. Ils procuraient, surtout aux dames, une grande distraction. Pareilles à celles de Rome, les fenêtres étaient souvent ornées de caisses et de vases de fleurs, qui leur donnaient un aspect pittoresque.
L’éloignement des carrières obligea en outre les architectes à couvrir de grands espaces avec des matériaux de petit volume. On voyait partout des arcades et des coupoles de construction persane.
Le temps et les incendies ayant détruit à peu près toutes les maisons appartenant à l’époque byzantine, on ne rencontre aucune de ces maisons à Constantinople. On ne peut qu’en opérer la reconstitution en s’aidant de miniatures de l’époque. Parmi les maisons de style byzantin qu’on peut encore voir dans la ville, il y en a une ou deux qui sont considérées comme antérieures à la conquête des Turcs. Mais celles qui ont été bâties après la conquête ne différaient que très peu des maisons byzantines du XIIIe siècle.
Type de maisons byzantines.
Les architectes grecs continuèrent en effet à bâtir dans la ville de la même manière[57] qu’auparavant. On reconnaît ces maisons à leurs balcons à encorbellement, à leur ogive en accolade et à leurs corniches en briques posées diagonalement, de manière à produire une ornementation caractéristique et, en même temps, à supporter le toit.
[57] La plupart des maçons et des architectes sont encore aujourd’hui des Grecs.
La plupart des maisons du XIVe siècle étaient construites en pierres séparées par plusieurs rangées de briques. Toutes les jointures sont cimentées en relief, ce qui forme parfois des motifs de décoration géométrique.
Les fenêtres sont ogivales ou de plein cintre. Les fenêtres ogivales appartiennent à un style dégénéré. Dans le véritable style byzantin, les fenêtres sont en plein cintre et munies de gros grillages formés de tiges de fer se coupant l’une l’autre à angle droit, avec de gros anneaux reliant les points de jointure. Dans toutes ces constructions, on voit clairement l’influence de l’art byzantin. Il fut employé plus tard par les Turcs et forme une architecture spéciale nommée l’architecture ottomane.
Voici les caractères particuliers de l’architecture civile à Byzance depuis le IXe siècle:
1o Les maisons ont rarement plus de deux ou trois étages; 2o les étages sont en crémaillère[58]; 3o des corniches saillantes, souvent ornées de dessins de feuilles d’acanthe, séparent les étages; 4o la façade est ornée par des rangées alternées de pierres blanches et de bandes de briques rouges très minces, disposées géométriquement et auxquelles venaient parfois s’ajouter des morceaux de marbre coloré[59]; 5o les fenêtres sont en forme de plein cintre ou rectangulaires. Les tympans des fenêtres portent souvent des dates ou des inscriptions. L’éclairage des intérieurs se fait par des fenêtres vitrées de petits carreaux enclavés dans des châssis en plâtre; 6o les toits en terrasse ou à batière, couverts de tuiles, s’appuient sur des corniches à trois rangées de briques posées diagonalement en forme de scie; 7o à l’intérieur, les pièces sont disposées autour d’une grande salle, souvent précédée d’un narthex; 8o les volets et les portes sont en fer ornés de grands clous à grosse tête. A l’intérieur les portes sont en bois sculpté ou incrusté. Quelquefois elles sont remplacées par des portières en étoffe; 9o des jarres vides sont souvent posées entre les voûtes et le toit pour diminuer le poids du toit[60]; 10o les dallages sont souvent en marbre blanc ou en brique rouge; 11o les escaliers sont en bois ou en pierre à plusieurs paliers appliqués quelquefois à l’extérieur du bâtiment jusqu’au premier étage.
[58] Le balcon à crémaillère ne servait pas seulement à gagner de la place et à satisfaire la curiosité de ses habitants, mais il était aussi un moyen de défense contre l’ennemi; l’on pouvait en effet, du balcon, apercevoir les portes et empêcher les assaillants de les briser.
[59] Comme dans le palais de Tekfour Séraï.
[60] On mettait de ces jarres dans les voûtes des églises pour renforcer l’écho.
Maison byzantine au Phanar.
Du côté ouest de la station de Koum Kapou, à environ mille pas, on peut voir une maison qui date des derniers temps byzantins. Son balcon ressemble à celui du Tekfour Séraï. Chaque étage comprend une salle voûtée d’une dimension de 4m,50 sur 6 mètres. Des fenêtres en plein cintre s’ouvrent sur les façades surmontées d’un pignon.
Pl. 30.
Mosquée de Sélim Ier.
Le quartier du Phanar, qui a servi de refuge aux dernières familles byzantines après la conquête des Turcs, contient plusieurs maisons byzantines. Il y en a même quelques-unes qui datent probablement d’une époque antérieure à la conquête. Parmi ces maisons, on peut citer d’abord la légation de Venise, occupée anciennement par le Baile de Venise et dont le premier étage contient deux salles voûtées. L’autre comprend une seule salle également voûtée. Elle occupe toute la largeur de la maison. A l’intérieur, l’escalier qui se trouve au centre de la maison conduit à un corridor à trois colonnes en marbre surmontées de chapiteaux en forme de stalactites.
Les deux maisons communiquent entre elles. Les dallages sont en briques octogonales.
Galata, qui a été habité jadis par les Génois, renferme beaucoup de bâtisses datant du XIIIe et XIVe siècle. Dans les étroites ruelles qui sont situées entre les deux ponts actuels, existent (du côté de Galata) d’anciennes maisons qui servent aujourd’hui de magasins ou de dépôts. Parmi ces habitations le palais du Podestat attirait surtout l’attention[61].
[61] Il a été démoli cette année.
DEUXIÈME PARTIE
A TRAVERS ISLAMBOL
CHAPITRE PREMIER
L’ART OTTOMAN
I.—L’ART TURC
Bien que l’art turc soit parfois encore considéré en Europe comme une servile imitation des arts persan, arabe et byzantin, cette opinion est contraire à toutes les réalités. On prétend généralement que l’art musulman s’est inspiré de l’art arabe qui, lui-même, aurait imité l’art byzantin de Syrie et l’art copte, propagé en Égypte avant l’ère musulmane. L’art copte à son tour ayant subi l’influence byzantine, toutes les diverses manifestations de l’art musulman, et surtout de l’art turc, découleraient, par ricochet, de l’art byzantin et auraient de multiples affinités avec ce dernier. Rien n’est plus contestable. Il est évident que les arts de tous les peuples, comme les langues, ont réciproquement exercé, les uns sur les autres, d’occultes, profondes et continuelles influences.
Existe-t-il un art qui ne présente aucune parenté avec les autres arts?
L’archéologue qui se consacre spécialement à l’étude de l’art d’un peuple a toujours des tendances à faire prévaloir la suprématie de celui-là sur tous les autres. De tous temps les détracteurs de l’art byzantin furent nombreux, qui refusèrent de reconnaître l’influence qu’il exerça, pendant une certaine époque, sur les arts de l’Occident. Ce fut la cause de controverses que l’on connaît sous le nom de «question byzantine».
L’art turc a eu, lui aussi, et a encore aujourd’hui de nombreux détracteurs, qui nient sa personnalité nationale et ne veulent y voir qu’un mélange des arts arabe, persan et byzantin. Nous ne prétendons nullement nier l’influence éducatrice de ces arts sur l’art turc; mais il est juste de reconnaître que, grâce à de fortes traditions, il n’a pas tardé à acquérir une individualité si précieuse et si caractéristique qu’on ne saurait la méconnaître, sans faire preuve d’un évident parti pris. Depuis, cette individualité s’est nettement affirmée. De nombreux monuments permettent de suivre les diverses étapes de l’art turc dans une voie personnelle et originale; chacune de ces étapes prouve que l’art arabe, loin de ne compter chez les Turcs que des copistes, a trouvé chez eux des disciples d’une originalité aussi puissante que celle des plus grands artistes arabes.
Il n’est pas un art qui se soit développé par lui-même, à l’abri de toute influence étrangère, si faible soit-elle. Et l’on ne peut nier l’influence de l’art égyptien sur l’art grec, de l’art grec sur l’art romain, de l’art assyrien et chaldéen sur l’art persan, et de ce dernier enfin sur l’art byzantin. On constate aussi une parenté plus ou moins étroite entre les manifestations des arts de tous les pays. Les musées, les ruines et les vieux monuments qui perpétuent le souvenir des époques abolies et des étapes parcourues par l’humanité, nous fournissent un nombre suffisant d’exemples à ce sujet. Chaque nation, chaque période, subit l’action réflexe de celles qui les précèdent ou les entourent.
Pl. 31.
Mosquée de Chahzadé
Jusqu’à une époque récente, l’antinomie et l’irréductibilité des principes qui séparent les Églises d’Orient et d’Occident avaient empêché les archéologues européens de s’intéresser aux choses byzantines avec la même ferveur savante que de nos jours. Aussi sommes-nous persuadés que l’individualité de l’art turc, jusqu’ici dédaignée et négligée, se révélera aussitôt que cet art aura été l’objet d’une étude approfondie, impartiale, et exempte de préjugés.
«Existe-t-il un art turc? se demande Viollet-le-Duc, dans sa préface à «L’Architecture turque au XVe siècle». Que les Turcs aient adopté l’art ou les arts qui s’accommodaient le mieux à leurs habitudes et à leur religion, rien de plus naturel, mais qu’ils aient été les pères d’un art local, cela me paraît difficile à démontrer. En effet, dans tous les exemples fournis par M. Parvillé, je trouve de l’arabe, du persan, peut-être quelques influences hindoues, mais du Turc? Quoi qu’il en soit et sans insister sur le point de savoir exactement la part qui revient aux Turcs en cette affaire, on reconnaîtra facilement qu’il y a dans ces compositions, soit comme tracé, soit comme coloration, un art très développé et savant.»
Il nous faut donc reconnaître que la faute de l’ignorance en laquelle l’opinion a été tenue si longtemps au sujet de l’art turc et des œuvres géniales de nos artistes est imputable, jusqu’à un certain point, à nos auteurs qui ont négligé de s’en faire les initiateurs.
Que d’œuvres exclusivement turques ont été injustement considérées comme appartenant aux Arabes et aux Persans! On prétendait souvent qu’un peuple nomade comme les Turcs ne pouvait avoir un art, et on ajoutait que l’islamisme formait d’ailleurs le plus grand obstacle à l’éclosion des choses d’art. Mais la religion musulmane, loin d’empêcher, ainsi que certains auteurs ont voulu le prétendre, l’éclosion des œuvres d’art, la provoqua et la favorisa, suivant en ceci l’influence de toutes les religions sur l’art en général. L’islam d’ailleurs ne dit-il pas: innallahé djemilun youhibbul djémal (Dieu, parce que beau, aime le beau). Au point de vue de la littérature arabe, le Koran même, par ses rythmes et son harmonie inimitables, constitue un véritable miracle littéraire.
L’interdiction même de représenter la figure humaine amena les artistes à varier à l’infini la décoration empruntée aux plantes et à la géométrie. Ils réalisèrent de parfaites œuvres d’art dans toutes les branches et découvrirent des proportions nouvelles, des harmonies de couleurs et de formes entièrement originales, qui provoquent aujourd’hui l’admiration du monde artistique, et l’on s’étonne à bon droit que ces artistes aient produit de telles merveilles de forme, sans avoir, comme les Grecs, une étude préalable des proportions du corps humain.
Il suffit de l’examen consciencieux de ces œuvres pour se convaincre qu’un art turc existe réellement, un art devenu ottoman par l’effet de la race et qui s’est transformé au gré des évolutions successives de la nation. Mais cet art n’est pas un simple dérivé occupant une situation intermédiaire. Sa personnalité se détache et se manifeste avec un relief remarquable dans l’architecture, la littérature, les arts décoratifs, aussi bien que dans la musique. Il serait difficile d’esquisser aujourd’hui une histoire de l’art turc, faute de sources suffisantes. Cette lacune est malaisée à combler. On rencontre très rarement dans nos bibliothèques des documents qui facilitent la mise au point de cette histoire. La section particulière du Musée impérial, affectée aux œuvres d’art national, n’est malheureusement pas encore assez complète pour servir de base à une étude de ce genre.
II.—LES ORIGINES DE L’ART OTTOMAN
LES ARTS ARABE, PERSAN, ET TURC
Parmi les auteurs qui se sont adonnés spécialement à l’étude de l’art arabe, il y en a qui, se refusant à considérer les Arabes comme des artistes, n’emploient qu’à regret cette appellation d’art arabe, à laquelle pourtant les oblige le droit de cité conquis par celui-ci dans l’histoire de l’art. Mais on se demande par quelle étrange contradiction ces auteurs, ayant commencé par dénier toute originalité aux Arabes, sont amenés dans le cours de leur ouvrage même à les citer souvent comme de «puissants artistes». Parmi les auteurs, il en est plusieurs, qui, comme Gustave le Bon, disent: «Fort inférieurs aux Romains en ce qui concerne les institutions politiques et sociales, ils leur furent supérieurs par l’étendue de leurs connaissances scientifiques et artistiques[62]». D’autres au contraire, tout en s’obstinant à méconnaître leur influence dans la puissante civilisation européenne, ne sont pas éloignés de leur accorder du génie lorsqu’ils étudient leurs œuvres. Mais, à leur avis, les Arabes n’étaient guère en possession d’un art propre, et ce qu’on appelle l’art arabe n’était qu’un emprunt fait à l’art byzantin de Syrie et à l’art copte d’Égypte. Ceci est une erreur. Il ne faudrait pas croire que les Arabes ignoraient totalement toute notion artistique avant l’islamisme, quoique l’art arabe ne se soit manifesté qu’avec l’apparition de l’islam. Bien auparavant, le Yémen, l’Hedjaz possédaient des villes prospères, qui avaient leur littérature, leur architecture et leurs arts décoratifs. Maçoudi, historien arabe, par la description qu’il fait des idoles, nous révèle chez les Arabes l’existence d’une sculpture. L’Islamisme, qui est devenu en vingt ans la religion de l’Arabie tout entière et a étendu ses conquêtes jusqu’en Perse, en Égypte et aux Indes, a trouvé chez tous ces peuples des artistes dont l’art arabe profita et qui contribuèrent à son développement, en y apportant chacun sa personnalité. Mais cet art n’est pas une copie servile de l’art chrétien de Syrie et de l’art copte d’Égypte: c’est bien un art spécial créé par les Arabes, qui ont mis à profit les divers éléments artistiques des pays où l’islamisme étendit ses conquêtes. L’art arabe eut une physionomie particulière suivant qu’il triompha en Égypte, en Syrie, à Bagdad ou en Espagne: il présenta dans chacun de ces pays, des différences de détail par lesquelles on reconnaissait un genre spécial.
[62] Civilisation des Arabes, p. 669.
Les premiers modèles de l’architecture arabe furent la kaaba de la Mecque et la mosquée de Médine.
On sait que la kaaba a été construite par le prophète Abraham. Puis étant tombée en ruines, elle fut reconstruite par la tribu de Koreïch à laquelle appartenait le prophète de l’islam. A l’époque du prophète Mahomet et de son khalife Aboubeker, la kaaba n’était pas entourée de murs; du temps du khalife Omar, le nombre des pèlerins ayant augmenté, on dut acheter les quelques maisons avoisinantes afin d’élargir la cour de la kaaba. Et on l’entoura d’un mur dont la hauteur ne dépassait pas celle d’un homme. Ce n’est qu’à l’époque du khalife Vélid Bin Abdul Melik bin Mervan que cette kaaba, ayant subi une nouvelle restauration, fut dotée d’un mur plus haut. Celui-ci a d’ailleurs subi, par la suite, bien des remaniements et des réparations, sous le règne du khalife abbasside Osman, de sorte qu’il est impossible aujourd’hui de juger de son état primitif.
L’an XXe de l’Hégire, Amrou[63], un des généraux du khalife Omar, construisit en Égypte la mosquée qui porte son nom, sur les plans d’un architecte converti à l’islamisme et qui prit ses ouvriers dans le pays où l’art copte dominait entièrement à cette époque. Mais, malgré l’influence copte prévalant chez tous les artistes qui travaillèrent à ce monument, l’œuvre est marquée d’une originalité où un esprit nouveau se fait jour. Le toit de la mosquée se composait d’arcades, supportées par des centaines de colonnes. On y accédait par une grande cour qui s’appelait Sahan. Soixante ans après la date de l’érection de cet édifice, on dut rehausser les arcades.
[63] Ce mot n’est que l’orthographe altérée du mot Amr. Les noms d’Omer et Amr étant écrits de la même façon, les Arabes ajoutent la lettre vav (ou) à ce dernier pour les distinguer l’un de l’autre. C’est à ce vav traduit par les Français en ou, qu’il faut attribuer son orthographe: Amrou.
La partie de la mosquée située du côté de la Mecque était formée de six rangées de chacune 20 colonnes, en tout 120. Cette partie renfermait le mihrab (autel), le mimber et le mahfil (tribune des chantres). Parmi ces colonnes, on rencontre quelques chapiteaux byzantins, qui provenaient probablement de certains monuments coptes. Les arcades, qui n’ont à première vue qu’un aspect de plein cintre, révèlent l’ignorance que les Arabes avaient de l’emploi de l’ogive et de l’arc brisé, emploi que, d’après M. Gayet, les Coptes connaissaient et pratiquaient deux siècles avant la conquête arabe. Mais on trouve encore chez les Assyriens et chez les anciens Persans, un genre d’arc brisé et comme l’essai d’une coupole ovoïde. Le manque de bois pour le cintrage qui avait obligé les Coptes à adopter cette forme d’arc, qui offre un rapport assez lointain avec celui des Arabes, avait également conduit ceux-ci à construire leurs arcs de la même façon.
Pendant les premières années de la conquête musulmane, on se soucia fort peu des édifices du culte; l’exercice de la religion n’en exigeait pas, puisqu’elle permettait de prier en quelque lieu que ce soit. Ce n’est que plus tard, quand l’islam étendit ses ramifications dans l’Asie et l’Afrique, qu’il jugea à propos de marquer son triomphe par des édifices spéciaux, tels que des temples qui attestaient la victoire de la religion, mais il repoussa toutefois avec horreur la conception artistique des chrétiens et des païens. Il doit à cette philosophie de l’art toute son originalité.
C’est en Égypte que l’architecture arabe prospéra le plus et c’est ce pays qui conserva le plus longtemps ses monuments. La mosquée d’Amrou a servi pendant deux siècles de modèle à l’architecture de l’islam. Elle n’était recouverte que d’un toit en plate-bande, supporté par des arcades en forme d’arc brisé. Aucune décoration sur les murs, et, au début, elle n’avait pas non plus de minaret. L’appel à la prière se faisait dans la mosquée même. C’est seulement en l’an 218 de l’Hégire, après qu’il eut été décidé qu’il fallait chanter l’Ezan au point le plus élevé de la mosquée pour qu’on l’entendît de tous les points de la ville, qu’une tourelle carrée fut ajoutée à l’édifice. Cette tourelle, suivant les évolutions subies par le monument, est devenue avec le temps partie intégrante de la mosquée et a pris la forme décisive qu’on lui connaît aujourd’hui sous le nom de minaret. Toutes les autres parties de la mosquée subirent également leur évolution. Il en fut ainsi pour le maksoura, sorte de grille qui permettait aux fidèles de voir le khalife pendant le khotba, sans toutefois être en contact avec lui et qui, imaginée pour la première fois par le khalife Othman, fut l’origine des tribunes impériales dans les mosquées actuelles. L’estrade, où prêchait le prophète, inspira la forme du mimber.
Dès que la capitale des Perses eut été conquise par les Arabes, l’influence de l’art sassanide commença à s’accentuer dans l’art arabe, qui d’ailleurs, avait déjà subi l’influence de l’art chaldéen. Quant à l’influence byzantine, elle alla en s’accentuant depuis la construction de la mosquée d’Omar ou Koubbé-es-Sakhra, construite sur l’emplacement du temple de Salomon (687 ap. J.-C.), par Abdul Melik bin Mervan et avec celle de la grande mosquée Emevié, érigée par Velid bin Abdul Melik à Damas, qui avait été conquis par les Musulmans en 633 après J.-C.
La mosquée d’Omar fut bâtie sur un plan octogonal, forme qu’on rencontre souvent en Syrie. Une autre mosquée, appelée Aksa, fut construite à côté de la mosquée d’Omar. La Syrie se remplit de monuments musulmans. C’est ainsi que l’art byzantin de Syrie, de concert avec l’art arabe dont il avait déjà subi l’influence, a produit l’école arabe de Syrie.
Les armées ommiades entrèrent en Espagne et Mouavié avait déjà étendu son pouvoir jusqu’à Kairouan (Tunisie). L’Espagne vit s’élever partout des monuments magnifiques, caractérisés par une délicatesse de formes et de décorations vraiment admirable. A l’époque des Abbassides, les architectes d’Elmamoun et Haroun-al-Réchid érigeaient à Bagdad les plus beaux monuments, parmi lesquels nous pouvons citer le palais de Rakka, construit par Haroun-al-Réchid sur l’Euphrate. Les arcades en trèfle de ce palais peuvent être considérées comme le prototype des arcades à dent et à trèfle qui constituent un des éléments caractéristiques de l’École du Moghreb (ouest); on les rencontre souvent dans les monuments de Syrie.
L’origine de ce genre d’arcades à trèfle est probablement indienne. Bagdad pouvait être considérée à cette époque comme un véritable musée artistique. Les ravages du temps et des invasions ont malheureusement détruit tous ces monuments entre le VIIIe et le XIIIe siècle.
Après une longue période de troubles, une garde composée de tribus turcomanes par le khalife El-Moutassam-Billah s’empara du pouvoir. Avec elle commence en Égypte le règne des Toulounides. La mosquée de Touloun, qui accentua dans la décoration l’importance des rinceaux et des inscriptions avec entrelacs, reste comme un souvenir de cette période où l’art fut particulièrement en progrès. Jusqu’à l’époque des Fatimites, les Arabes, suivant en ceci les Coptes, avaient rejeté le dôme et étaient attachés au toit en plate-bande. C’est alors qu’une ère nouvelle s’ouvrit pour l’architecture, qui adopta la coupole et la voûte en berceau, employées déjà par la Perse. La nouvelle coupole des Arabes ne ressemblait guère à la coupole byzantine, l’arabe étant relevée, alors que la byzantine était surbaissée. On ignore les raisons exactes qui firent adopter par les Arabes ce mode de construction. Mais il est permis d’en trouver au moins une dans leur désir d’éviter une ressemblance avec les églises chrétiennes. Une autre raison, qui nous paraît plus décisive encore, peut être cherchée dans la manière de construire et dans les matériaux de construction. Si les architectes arabes n’ont jamais eu la hardiesse de surbaisser leurs coupoles comme les Byzantins, c’est peut-être pour éviter les grands murs de soutènement et de contrefort exigés par ce genre de coupole; mais c’est peut-être aussi parce qu’ils manquaient du bois indispensable au cintrage. D’autre part, les coupoles surélevées ont l’avantage, croyons-nous, d’être moins que les autres exposées au soleil. Elles ont été particulièrement en usage chez les Assyriens. L’originalité de l’art arabe fut surtout caractérisé par l’emploi de l’arc brisé, de l’arc en fer à cheval et de la coupole. Au lieu d’orner les pendentifs à l’aide de mosaïques, comme faisaient les Byzantins, les Arabes adoptèrent un mode de décoration composé de prismes en forme de stalactites. Ces stalactites avaient l’avantage de masquer les angles brusques de l’édifice et permettaient de passer du plan carré du bâtiment à la base octogonale de la coupole. L’usage des stalactites, que les Arabes ont été les premiers à imaginer, pourrait avoir son origine dans la façon dont les Assyriens assemblaient les briques, à l’aide desquelles, ils formaient, comme motifs de décoration, des sortes de prismes.
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| Mosquée Nouri Osmanié.—Porte principale. | Tombeau de Chahzadé |
Jusqu’à l’époque des Fatimites et Eyoubites, la mosquée arabe avait gardé en Égypte la disposition de la première mosquée à portique (mosquées d’Amrou et de Touloun). Mais, à partir de cette époque, et surtout sous Saladin, un polygone de 16 côtés fut ajouté à la forme octogonale primitive et le passage du plan carré à la coupole se trouva ainsi facilité. C’est aussi à cette époque que le plan des monuments mésopotamiens commence à être mis en usage. Autour d’une cour carrée, prirent place quatre medressés, réservés aux quatre rites de l’Islam, Hanefi, Maliki, Chafii et Hanbeli.
Dans les premiers temps, les Arabes négligeaient l’extérieur de leurs monuments. C’est seulement plus tard que la façade attira leurs soins. L’usage de la faïence dans la décoration des monuments ne s’était répandu que vers les dernières années des Baharites. Sous les Baharites et Bordjites l’art atteint son apogée. L’emploi de la voûte se généralise avec la mosquée sépulcrale et la décoration polygonale s’applique à toute surface. Les monuments même deviennent des polygones, ce qui a fourni d’ailleurs l’élément principal à tous les arts musulmans.
Les Mamelouks ont rempli le Caire de monuments magnifiques, comme le tombeau-mosquée de Kalaoun, dans lequel on distingue l’influence de l’art de Tartarie.
La mosquée du sultan Hassan, où se manifeste l’influence de l’art turc seldjoucide, est un des plus purs joyaux de l’art décoratif arabe. Ses frises de bois sculpté, ses portes incrustées d’or et d’argent sont des merveilles de l’art arabe. La mosquée d’El Gouri peut être considérée comme le dernier des monuments arabes au Caire. C’est sous le règne du fils d’El Gouri, Tomanbaï, que les Ottomans ont conquis l’Égypte. A partir de cette époque, l’art turc commença à se mélanger à l’art arabe d’Égypte, tout à fait différent des autres arts et même des autres branches de l’art arabe. Avec la domination turque, apparaît au Caire le type de la mosquée ottomane à coupole byzantine. Mais l’architecture civile, conservant toujours, grâce aux architectes indigènes, les caractères traditionnels de l’art local, reste à l’abri de cette influence.
Fort heureusement le Caire garde encore de nombreux monuments qui nous permettent de contempler les œuvres des artistes arabes, tandis que ceux de Bagdad et de Syrie ont été dévastés. L’Espagne conserve aussi quelques monuments appartenant à l’époque de la domination arabe, tels que la mosquée de Cordoue, l’Alcazar de Séville et l’Alhambra de Grenade (1248 après J.-C.).
L’Occident, qui se trouvait en communication avec l’Italie, où l’art arabe a survécu même à la conquête normande, ne tarda pas à subir l’influence de l’architecture arabe, qui a contribué au développement de plusieurs autres arts occidentaux[64].
[64] M. Emile Bertaux, dans ses études sur les monuments de l’Italie méridionale, démontre clairement cette influence.
Les décorateurs arabes, artistes puissants, réalisèrent des prodiges de décoration en réseaux, en polygones et en stalactites. Usant de toutes les combinaisons fournies par l’art géométrique, ils groupèrent à l’aide de la plus brillante et de la plus ingénieuse des imaginations tous les dessins, toutes les lignes, toutes les figures en un ensemble qui éblouit l’œil et déroute la raison.
L’islamisme ne tolérant pas les idoles et les icônes, l’art arabe resta indifférent à la peinture et à la sculpture, et c’est dans les formes abstraites qu’il chercha le symbole de l’éternel. Il trouva, dans la philosophie des lignes, l’image et l’impression de l’invisible.
L’art persan est celui dont l’influence a été le plus considérable sur l’art turc. Il nous paraît donc utile d’esquisser un court aperçu de l’histoire de cet art depuis l’époque musulmane qui succéda à celle des Sassanides, dont les monuments, par leur luxe et leur grandeur étaient légendaires chez les Romains et les Byzantins. Parmi ces monuments on peut citer les palais de Machita, Ctésiphon, de Rabbath-Amman et Eïvane; ce dernier avait déjà une coupole à pendentifs. Le grand arc du palais de Ctésiphon, connu sous le nom de Tahti Kesra (Trône de Chosroës) semble avoir servi de premier modèle aux grandes voussures de l’art perso-arabe.
Quand la capitale romaine fut transférée à Byzance, la Perse, alors très puissante, exerçait une grande influence sur les Byzantins. Les armées de Khosroës II avaient pénétré jusqu’à Chalcédoine et conquis Jérusalem et l’Égypte. Repoussées par l’armée d’Héraclius, ces troupes regagnèrent la Perse, où Khosroës mourut quelque temps avant l’invasion arabe. La Perse, alors ralliée en partie à la doctrine de Nestorius, fut conquise par les armées d’Omar (XVe année de l’Hégire) et devint une province arabe comme l’Égypte. Elle subit de profondes transformations ainsi qu’en témoigne son architecture. Les premières mosquées persanes furent semblables à celles des Arabes. Elles étaient construites sur un plan carré, comprenant le Sahan entouré de portiques à colonnades (liwans). Celui qui renfermait le Mihrab, était plus somptueux que les autres et surmonté d’un dôme. Elles ne différaient des premières mosquées arabes que par cette dernière disposition.
La mosquée de Djouma de Kasvin, bâtie selon l’historien Yakout par Mohammed ibn Hadjadj, est une des premières mosquées arabes. Ayant menacé ruine, elle fut rebâtie sur le même plan par Haroun al Réchid, et agrandie par Melek chah, prince seldjoucide. Parmi ces mosquées primitives, on peut citer la mosquée de Chiraz construite en 875 après J.-C. par Amr ibn Leïs, et la mosquée de Djouma d’Ispahan, construite par Elmamoun. Mais de ces mosquées il ne reste actuellement que des ruines. Les mosquées de l’époque khalifale avaient, comme les monuments de Damas et de Bagdad, une décoration semblable à celles des Arabes. Cette décoration était composée d’inscriptions coufiques, d’entrelacs et, mais très rarement, d’arabesques et de polygones. Les revêtements des murs et des plafonds étaient en stuc colorié, dentelé, et moulé en rosaces. Les Persans employaient des colonnes en marbre veiné, avec des chapiteaux plaqués d’or ou d’argent. A l’époque des Fatimites, IIe siècle de l’Hégire, on appliquait déjà la coupole à de nombreux monuments (le tombeau de Reï, etc.).
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Mosquée de Rustem Pacha
Mosquée de Rustem Pacha.—Cour.
Sous les différentes dynasties, telles que les Saffarides (870-964), Samanides (964-1004), Daïlamites (946-1000), qui se partagèrent la Perse après l’époque khalifale, l’architecture resta à peu près la même, et ne subit que quelques légères transformations. L’époque des Gaznévides, marquée par la marche en avant des Perses vers les Indes, ouvrit une ère nouvelle. Les Turcs, les Mongols et les Afghans, peuples nomades et continuellement en guerre, influencèrent l’art persan en y apportant tous les éléments qu’ils avaient tirés de la Perse antique, des Indes, de la Chine et de toutes les civilisations asiatiques. Sous le brillant règne de Togroul baï, d’Alp Arslan, et de Melek chah, princes Seldjoucides, dont le pouvoir s’étendait jusqu’à l’Irak, Mossoul et Bagdad, l’art s’affina au contact d’une inspiration nouvelle.
La décoration céramique se généralisa, ainsi que l’application des briques de différentes couleurs, obtenues par une cuisson plus ou moins prolongée. C’est encore à l’époque des Turcs que la coupole, déjà en usage, subit une évolution et que l’on sut tourner les difficultés que présentait le passage du plan carré à la base circulaire de la coupole. Les dômes et les minarets furent ornés de minces plaques métalliques, ondulées et martelées.
Pendant le règne des Attabeks Solgour, les Mongols, ayant à leur tête leur chef Djenguiz Khan, ravagèrent la Perse. C’est seulement avec Helakou, petit-fils de Djenguiz, que l’art semble reprendre son essor, essor où se manifeste l’influence de l’art chinois, due aux ouvriers et artistes qu’Helakou avait ramenés de Chine. On peut remarquer cette influence sur les faïences et autres œuvres appartenant à cette époque.
Sous l’influence des Mongols, l’ogive devient la forme générale de la coupole et la faïence l’élément essentiel de la décoration, rappelant en cela l’art Sassanide.
Le tombeau de Mehmed Oldjaïtou, prince Gaznévide, construit en 1320 à Sultaniéh, est un des plus remarquables monuments de cette époque, où l’on commençait à remplacer par des carreaux de faïence, appliqués à l’aide d’un mortier, les briques vernissées que l’on avait jusqu’alors intercalées dans l’épaisseur du mur.
Après les Djenguizkhanites et à l’époque des Timourites (XVIe siècle), l’art traversa une période qui continua pendant les querelles des princes turcomans Ak-Koyoun (mouton blanc) et Kora-Koyoun (mouton noir). Avec Djehan chah, prince turcoman de la tribu du mouton noir, apparaît le type spécial de la mosquée bleue de Tebriz. La cour (sahan) se couvre d’un dôme central et la partie renfermant le mihrab est surmontée d’une coupole moins élevée que celle du sahan. Les liwans sont formés de nefs.
Sous les Safévis, une renaissance se manifeste dans tous les arts. Abbas Chah Ier, cinquième chah des Safévis, ayant fait appel à des artistes de différents pays, orne la ville d’Ispahan de monuments magnifiques, tels que le Meïdan, (grande cour entourée de portiques à deux étages), la mosquée royale (XVIe siècle), et de plusieurs palais. La peinture prospéra alors: Djéhanguir, Boukhari, Behzad et Mani furent les plus célèbres artistes de cette école. Mais la décadence ne tarda pas à se faire jour. Elle s’accentua à la mort du chah Ismaïl, avec les Afghans et les Zends, pour aboutir à la décadence finale de l’époque contemporaine, où les œuvres d’art ne sont que de pâles copies, dépourvues de goût et de tout élément artistique. On peut donc diviser l’art de la Perse musulmane en quatre périodes.
| 1o | Période | arabe. |
| 2o | — | turque-seldjoucide. |
| 3o | — | mongole. |
| 4o | — | de renaissance sous les Safévis. |
Dans ces trois dernières périodes, l’art est sensiblement différent de celui de la période arabe. Deux raisons expliquent cette différence: en premier lieu, l’indépendance de la province d’Iran, et d’autre part, l’influence des Mongols, des Turcs, des Chinois et des Hindous,—qui est de beaucoup plus importante.
Les différentes dynasties qui régnèrent en Perse n’ont pas introduit dans l’art local un changement aussi grand qu’on l’a souvent prétendu. Leur influence se fit plutôt sentir dans le domaine politique que dans le domaine architectural. L’art persan a donc toujours gardé les caractères de son art local qui résident dans: 1o l’usage de la plate-bande et des arcades sans colonnes; 2o dans la coupole en forme bulbeuse[65] qui couvre le sanctuaire; 3o dans le portail monumental en ogive entouré d’un cadre rectangulaire dépassant souvent en hauteur la base de la coupole; 4o dans les minarets circulaires, flanqués des deux côtés de la façade, qui suit l’horizontalité des plates-bandes; 5o dans l’abondance des faïences, à décoration florale, qu’enrichissent tous les trésors de l’imagination. Cette décoration, qui répond mieux aux sentiments des Persans, est préférée par eux aux ornementations géométriques chères aux Arabes; les stalactites persanes sont rectilignes et diffèrent des arabes.
[65] Ce genre de dôme se rencontre surtout dans les monuments du Turkestan et de l’Afghanistan (Tombeau de Tamerlan à Samarkande) et semble, d’après M. Choisy, avoir une origine hindoue. L’avantage que les Persans y ont trouvé vient très probablement de ce que cette forme diminue la poussée de voûte.
Les Persans aiment la gaieté des bosquets et des jardins. Aussi leurs mosquées, avec leurs bassins de marbre où l’eau retombe en cascades, donnent-elles plutôt la joyeuse impression d’un palais que celle d’un temple invitant au recueillement mystique.
La coupole, surtout, diffère de celle des Arabes. Ils attachaient en effet plus d’importance que ces derniers à l’aspect extérieur de leurs édifices, et dans un but d’embellissement ils ajoutèrent une deuxième coupole extérieure à la première.
Leur imagination, enrichie de tous les trésors légendaires et épiques de la littérature persane, souvenirs ou vestiges d’une civilisation lointaine, se donnait libre cours dans le domaine des arts. Les dessins variés dont s’ornent leurs tapis et la finesse de leurs miniatures attestent ce goût décoratif, si prisé à juste titre et de tous temps par les amateurs de l’art oriental. Il faut pourtant remarquer que les Turcs et les Chinois n’ont pas peu contribué à donner à cette production artistique son cachet de délicatesse. Les véritables conservateurs de cet art furent réellement les Turcs et les Tartares qui, durant l’occupation grecque, en gardèrent et en développèrent les traditions.
L’influence de l’art persan sur l’art ottoman est considérable. Les relations qui existèrent d’ailleurs entre l’art persan et l’art turc des Seldjoucides, qui peut être considéré comme l’origine de l’art ottoman, ont suffi pour les rapprocher.
Avant d’aborder l’étude de l’art ottoman, il est indispensable de connaître l’art des Seldjouks, l’État turc fondé à Konia[66] (Iconium) par Suleïman chah, fils de Koutoulmouch, qui était cousin de Mélik chah, prince Seldjoucide régnant alors en Perse. Cet État comprenait la plus grande partie de l’Asie Mineure. Les Seldjoucides y régnèrent du XIe au XIIIe siècle, mais affaiblis par les luttes qu’ils avaient dû soutenir contre les premiers croisés, ils tombèrent, au XIVe siècle, sous la domination mongole. Vaincus et démembrés, ils se divisèrent en dix petits États indépendants.
[66] Konia fut en même temps le centre d’une philosophie religieuse fondé par Djelaleddin Roumi, élève de Chemseddin Tebrizi (de Tauris) (secte des derviches tourneurs).
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Mosquée de Rustem Pacha.—Mihrab et Mimber.
Les Seldjoucides ont produit des œuvres d’art vraiment dignes d’études et qui forment un trait d’union entre les arts persan, arabe et ottoman. Mais il ne faut pas en conclure que l’art des Seldjoucides soit une branche de l’art arabe de Syrie, ainsi d’ailleurs qu’on a l’habitude de désigner toutes les manifestations de l’art musulman. Il est vrai que l’art arabe a été la source où puisa l’art turc, mais ce dernier eut vite fait de donner sa note personnelle. Et c’est avec juste raison que nous avons affirmé plus haut que l’art arabe avait trouvé en lui des disciples et non pas des copistes. L’art des Seldjoucides, inspiré de l’art arabe, et influencé par les arts byzantin et persan, a donc acquis une esthétique personnelle. Déjà à cette époque, l’art arabe de Syrie avait subi l’influence byzantine; les ouvriers et artistes syriens, auxquels les Seldjoucides furent redevables de la plupart de leurs constructions, devinrent donc, en quelque sorte, les intermédiaires entre l’art byzantin et les Seldjoucides. Leur rôle ne s’arrêta pas là; et c’est grâce à eux que l’on peut voir les derniers monuments arabes d’Égypte présenter un caractère tout à fait seldjoucide. Les anciens monuments de Konia, qui sont encore debout, nous offrent des merveilles de décorations. On y remarque surtout la faïence, abondamment employée pour la décoration intérieure et extérieure. L’étude de ces monuments permet de découvrir, à travers un mélange d’art arabe, persan et byzantin, une tendance réelle vers l’art chaldéen.
Cet art avait beaucoup d’analogie avec l’art mésopotamien, dont il existait encore des types en Arménie et au Kurdistan; cette architecture, que les Seldjoucides ont trouvée en Arménie, présentait un caractère sassanide plutôt que syrien et n’était qu’un art byzantino-persan, art avec lequel ils étaient d’ailleurs déjà familiers.
Parmi les monuments seldjoucides de Konia, on peut citer la grande mosquée construite par un Syrien musulman (617 H. 1220 J.-C.), la mosquée de Sahib Ata (1260 J.-C.), Sirtchali Médressé (640 H. 1242 J.-C.), et le médressé de Karataï, les hans et les karavansérails, tels que Sultan Han (626 H. 1229 J.-C.), les citernes, etc...
D’autres villes de l’Asie Mineure, comme Ak seraï, Ak chéhir, Sivas, Karaman, Divrigue Ishakli, etc... possèdent encore les restes de plusieurs monuments seldjoucides, malheureusement à l’état de ruines.
Ces monuments, dans lesquels l’influence de l’art syrien et mésopotamien est apparente, sont d’une grande utilité pour l’étude de l’art turc et musulman. On y remarque en effet l’embryon des éléments caractéristiques de l’art ottoman, tels que les portails et les colonnettes.
III.—L’ARCHITECTURE OTTOMANE
A l’époque d’Osman Ier, quand les Ottomans commencèrent à construire des mosquées, des médressés et des écoles, c’est l’art de l’époque des Seldjoucides qui leur servit de modèle. Dans leurs constructions encore lourdes et massives, l’influence byzantine, résultant du voisinage de Byzance, se révélait à côté de l’influence seldjoucide. Mais ces essais rudimentaires étaient loin de présenter les caractères d’un art national, qui cependant devait bientôt naître. Niloufer Hatoun, fiancée de Tekfour de Biledjik, que le sultan Osman enleva aux Byzantins pour en faire l’épouse de son fils Orhan, avait donné naissance au prince Murad. Ce dernier qui devint ensuite le troisième Sultan des Ottomans, sous le nom de Khudavendiguiar, tenait de sa mère une éducation raffinée et des goûts artistiques. Cette culture le poussa à encourager les artistes et les architectes qu’il avait fait venir de tous les pays.
Dans les différentes parties de l’État, s’élevèrent des édifices remarquables, tels que le tombeau et la mosquée du prince Ghazi Suleïman, frère du sultan, à Boulayer, un grand bain, une mosquée, un minaret construits en mémoire de sa mère à Nicée, les monuments de Brousse qui datent de cette époque et ceux que l’on construisit pour embellir Andrinople, après la conquête.
Dans tous ces édifices, on distingue les traces de l’influence byzantine avec l’empreinte de l’art seldjoucide. Au fur et à mesure que le trésor de l’État s’enrichit, la façade des monuments, jusqu’alors négligée, tend à prendre un caractère esthétique. L’application de la faïence sur les façades, en vogue chez les Seldjoucides, se généralise. On s’explique d’autant mieux ce goût des Ottomans pour l’art seldjoucide qu’il leur rappelait à la fois leur nationalité et leur religion. Vivant en contact perpétuel avec les petits États d’Asie Mineure fondés sur les ruines des Seldjoucides, les Ottomans avaient l’occasion de se familiariser avec l’art local de tous ces pays, et en tiraient des éléments servant au développement de leur art propre. Mais cet essor fut fâcheusement arrêté pendant quelque temps par les invasions de Tamerlan, par les luttes ouvertes contre l’empire ottoman par ces petits pays profitant de l’embarras où l’invasion de Tamerlan jetait l’État, et finalement par l’interrègne qui suivit ces événements. Plus tard, Tchelébi sultan Mehmed, fils de Bayazid, redonne à l’architecture un nouvel éclat. L’effort immense et si original qu’il y a déployé permet de dire que l’architecture ottomane commence réellement avec lui. Le sultan Mehmed, suivant l’exemple de son frère et de son aïeul, Yildirin Bayazid et Murad Khoudavendiguiar, prodigue les monuments dans les villes de Brousse et d’Andrinople, répare ceux qui avaient été ruinés par les États Caraman et Guermian dans les différentes villes et termine les édifices entrepris à Andrinople et ailleurs par ses aïeux, tels que la mosquée Oulou Djami, commencée à Brousse sous le règne de Murad Ier (781-818 H.). Il fait enfin construire à Brousse le Yéchil Djami (la mosquée verte), célèbre dans le monde entier et qui est, par sa forme et sa magnificence, la première grande œuvre de l’architecture ottomane.
Les monuments de cette époque diffèrent sensiblement de ceux qui ont été construits plus tard à Constantinople et à Andrinople.
Les mosquées de Brousse possèdent au sommet de leur coupole une ouverture formant souvent tambour, qui éclaire l’intérieur et favorise la ventilation. Un fin grillage métallique empêchait les oiseaux d’entrer par cette ouverture. Les Byzantins, et surtout les Seldjoucides, pratiquaient déjà ces ouvertures à leurs coupoles. Dans l’intérieur de la mosquée, au centre et juste au-dessous de l’ouverture de la coupole, des jets d’eau jaillissaient dans un grand bassin de marbre.
Si l’on compare la Mosquée Verte construite en 1420 de l’ère chrétienne aux monuments byzantins et seldjoucides existant encore, on constate que la Mosquée Verte se rapproche davantage de l’art seldjoucide. Elle est couverte d’un grand dôme central et de trois petites coupoles dont l’une s’élève au-dessus de l’abside. Des plaques de plomb recouvrent ces coupoles. Les Byzantins avaient déjà emprunté ce mode de couverture aux Sassanides[67].
[67] Ce sont les Parthes qui, les premiers s’appliquèrent à fixer le bronze et le cuivre sur l’extérieur des dômes de leurs derniers édifices (Gayet).
La Mosquée Verte a été plusieurs fois détruite par des tremblements de terre. Les minarets, ornés de faïences vertes, ont subi de nombreuses restaurations et n’ont pas conservé leurs formes primitives. Le nom de Mosquée Verte venait des faïences bleu-verdâtre dont elle était ornée. La porte[68] située en face du Mihrab possède deux niches latérales, semblables à celles des portails des médressés seldjoucides; elle conduit à une sorte de narthex richement décoré de faïences. Des deux côtés du narthex, deux escaliers conduisent à la tribune impériale et aux tribunes réservées. Dans cette partie de la mosquée on remarque quelques chapiteaux provenant de ruines byzantines. L’architecte a su toutefois les placer de façon à ce qu’ils ne contrarient pas l’ensemble.
[68] Ce portail fut défiguré par deux grotesques consoles qu’on a ajoutées pendant la restauration de la mosquée.
Le plan de la partie centrale de la mosquée est un carré; quand à la partie qui contient le Mihrab et le Mimber, elle est surélevée de quelques degrés et rappelle les mosquées arabes[69]. Intérieurement, les murs sont ornés de faïences vertes de forme hexagonale, où sur un fond bleu foncé se détache une superbe décoration florale. Au-dessus de celles-ci, et sur le même fond, court une frise reproduisant en lettres blanches des versets du Koran. A l’intérieur, l’intersection de la coupole et des murs est recouverte par une large application de prismes et de cristaux se rattachant les uns aux autres et rappelant le système décoratif polygonal des Arabes, qui servit plus tard à l’architecte Sinan pour composer ses chapiteaux. Au milieu de la mosquée, sous la coupole centrale, se trouve un bassin en marbre, artistiquement travaillé.
[69] Le plan de la mosquée sunnite de Tebriz (mosquée bleue de Tauris) présente une très grande ressemblance avec celui de la mosquée Yéchil Djami, à Brousse.
Au centre de ce bassin, dans une vasque élégante, un jet d’eau lance la pluie fine de ses gouttes où viennent se jouer en reflets multicolores la lumière du jour et les couleurs des faïences. Tout concourt à créer un décor où la perfection divine, révélée dans le silence même des choses, invite à la prière l’âme étonnée et ravie.
La partie qui contient le mihrab est séparée de la partie centrale par des piliers carrés. Aux deux coins de chaque pilier sont posées des colonnettes en marbre, mobiles et tournant facilement sur leur axe. Cette disposition permet de constater que, jusqu’à ce jour, l’édifice n’a pas subi de tassements.
Le mihrab, composé tout entier de faïences, constitue un des chefs-d’œuvre les plus remarquables de la première époque de la faïencerie ottomane. Le nom de l’architecte se trouve inscrit sur la tribune impériale, en ces termes:
c’est-à-dire:
«l’ornementation de ce saint édifice a été terminée par la main du très humble Elias Ali vers le dernier jour du Ramazan de l’an 827 (1423).» On considère Elias Ali comme l’architecte de ce monument. Mais si l’on se rapporte au mot ornementation de l’inscription citée plus haut, il semble en résulter qu’Elias Ali a été plutôt l’artiste décorateur que l’architecte. Cependant, si l’on songe à l’importance de l’œuvre décorative dans cette somptueuse mosquée, Elias Ali peut en être considéré comme l’auteur. Toutes les parties de ce magnifique monument, ainsi que le Tombeau Vert du sultan Mehmed, fondateur de la mosquée, le travail artistique de ses plafonds, de ses boiseries, les sculptures de ses portes, ses grillages incrustés et l’harmonie de ses faïences, les verres coloriés qui ornent ses fenêtres, ses panneaux et ses frises, tout, jusque dans les moindres détails, contribue à en faire un modèle parfait et dont les artistes ottomans s’inspirèrent à juste titre dans la suite. Il y a cinquante ans, la mosquée menaçait ruine. Sur les instances de Ahmed Véfik effendi, alors gouverneur de Brousse (1863), on fit venir pour la restaurer un architecte français, M. Parvillée, qui profita de son séjour pour consolider quelques minarets délabrés de Brousse. Ce travail lui fournit l’occasion d’étudier la mosquée et le tombeau vert dans tous leurs détails et il s’attacha à en découvrir les proportions architectoniques et à analyser les lois qui avaient présidé à leur édification. C’est là qu’il puisa les matériaux de son intéressant ouvrage L’architecture et la décoration turques au XVe siècle, précédé d’une préface de Viollet-le-Duc. C’est une œuvre de forte érudition, consultée avec profit par tous ceux qui s’intéressent à ces questions. Les livres de ce genre sont rares. Le seul qui, malgré les négligences de son texte, présente, par ses illustrations, quelque intérêt fut édité par les soins du ministère des Travaux publics pour être envoyé à l’Exposition de Vienne en 1867. Mais plusieurs erreurs, dues à la hâte avec laquelle il a été composé, ne permettent pas de le considérer comme un guide absolument sûr. Il serait du plus haut intérêt qu’une commission compétente étudiât nos divers monuments d’une manière approfondie. Il en pourrait sortir un livre de documentation exacte.
Le vilayet de Khudavendiguiar, par le nombre de ses monuments, qui remontent à l’époque de la première école architecturale, peut être considéré comme un véritable musée de l’art ottoman. Entre autres édifices, il convient de citer la mosquée de Muradié, et la mosquée de Bayazid, terminée sous le règne de Mehmed.
Cette mosquée, construite sur un plan carré de 100 mètres de côté, est surmontée d’une grande coupole et de vingt-quatre petites. Rien ne subsiste de sa décoration et de ses faïences, qui furent autrefois magnifiques.
Dans les constructions de cette époque, à Brousse, on constate l’emploi des piliers prismatiques, en usage chez les Seldjoucides. Les édifices les plus remarquables appartenant à ce genre sont la Tchinili-Djami (mosquée aux faïences), commencée à Nicée et élevée par Tchendereli Ibrahim pacha, grand vizir, à la mémoire de son père Haïreddin pacha, le tombeau inachevé de Bayazid pacha à Brousse, du style seldjoucide, le tombeau de Devlet Schah Hatoun, le pont de Niloufer et le bain connu sous le nom de Cayagan à Brousse.
Depuis Tchelebi Sultan Mehmed jusqu’au Conquérant, l’architecture adopta à peu de choses près le style de la Mosquée Verte. Après la conquête, on s’inspira sans doute de l’art local, dont le prototype était Sainte-Sophie, pour la construction de la première mosquée élevée par le conquérant sur les ruines de l’église des Saints-Apôtres à Byzance. Mais il est difficile de rien préciser à cet égard, car cette mosquée, construite probablement par l’architecte byzantin Christodoulos, a eu sa coupole et ses murs endommagés et détruits par le tremblement de terre de l’année 1179 de l’Hégire, troisième jour du Baïram. Hadikat-ul-Djévami, précieux ouvrage turc, parlant de cette destruction, dit: «Les deux pieds d’éléphant et les deux colonnes en porphyre ayant été démolis, on a construit la coupole sur quatre piliers.» On peut donc inférer de cette description qu’elle rappelait les mosquées de Brousse, bien que sa reconstruction, effectuée en 1181, en diffère énormément et ressemble au contraire à la mosquée Laléli. En tout cas, c’est à tort qu’on représente parfois la mosquée Fatih actuelle comme étant celle du conquérant.
Pl. 35.
Mosquée Suleïmanié.—Galeries de la façade et fontaines d’ablutions.
A l’époque de Bayazid II, fils du Conquérant, l’architecte Haïreddin[70], chargé d’élever la mosquée qui porte le nom de ce souverain, réunit tous les documents et tous les préceptes d’architecture, en tira d’heureux effets dans les proportions et les formes nouvelles qu’il appliqua aux colonnes et aux chapiteaux. La mosquée Bayazid, par la pureté de ses lignes et l’harmonie de ses éléments, est une des plus jolies mosquées de Constantinople. Elle est la seule qui rappelle un peu le style des mosquées de Brousse. Un œil exercé ne tarde pas à reconnaître que, dans cet édifice, une nouvelle étape artistique avait été franchie. Haïreddin eut l’ingénieuse idée d’appliquer aux chapiteaux les stalactites en usage chez les Arabes pour orner les pendentifs et les encorbellements. Il établit de nouvelles proportions et atteignit ainsi une simplicité pleine de grandeur et de beauté. C’est un réformateur de l’architecture, à laquelle il ouvrit de nouveaux horizons. Nous ne savons pas exactement quels avaient été ses maîtres. Parmi les architectes venus avant lui, on rencontre seulement le nom de l’architecte Elias, qui construisit le Mesdjid de Deniz Abdal et mourut en 958 de l’Hégire. Il était contemporain du Conquérant et de son fils Bayazid et est enterré dans le cimetière de la mosquée qu’il édifia. Après Haïreddin, nous trouvons les noms de Mimar Ayas, mort en 892, de Mimar Kemaleddin, Mimar Chedjaa, Adjem Ali[71] et Sinan[72]. Ce dernier, qui est le plus célèbre, est réputé comme réformateur de l’architecture ottomane. En suivant le chemin tracé par Haïreddin, il fixa les règles de cet art. Les innombrables édifices[73] dus à Sinan constituent de purs chefs-d’œuvre, où l’art turc atteint son apogée. Sinan eut plusieurs élèves dont les plus connus sont Davoud Aga, Ahmed Aga Kemaleddin, Youssouf, Tournadji bachi, Yetim Baba Ali effendi, et le petit Sinan.
[70] Il a son Mesdjid près du tombeau de Sinan pacha. Quant à lui, il repose dans le jardin de ce tombeau.
[71] Ainsi que son nom Adjem (Persan) l’indique, c’était probablement un des ouvriers amenés par Selim lors de la conquête de Tauris.
[72] Voir la liste de ses ouvrages à la fin du volume (page 256).
[73] Il existe une mosquée à Yeni Mevlevihané Kapoussou qui porte son nom.
Les empereurs mongols et hindous firent venir aux Indes quelques-uns de ces derniers pour y exercer leur art. Le plus célèbre d’entre eux est l’architecte Youssouf qui éleva le palais des grands Mongols. Les forts merveilleux et un certain nombre de monuments de Delhi, de Lahore et d’Agra, qui sont encore l’objet de l’admiration universelle, sont dus à des élèves de Sinan.
Un autre de ces élèves, Yetim Baba Ali effendi, fut nommé par le sultan, à l’emploi de Bina Emini (intendant), lors de la construction de la mosquée Suleïmanié[74]. A la mort de Sinan (986 de l’Hégire) Davoud Aga devint premier architecte de l’Empire. Il fut décapité sur la place publique de Véfa, pour crime d’irreligion.
[74] Mort en 960, il repose dans le cimetière de la mosquée Suléïmanié.
Ce fut Dalguitch Ahmed Aga qui lui succéda et occupa ce poste, alors très recherché, jusqu’en 1010, époque à laquelle Sedefkiar (travailleur de nacre) y fut promu. Tous deux étaient, pour le travail de la nacre, les élèves d’un même maître à Hass Bagtché[75].
[75] Jardin privé du palais possédant plusieurs ateliers, où les janissaires apprenaient différents métiers.
Mehmed Aga[76], poussé par un souci, peut-être excessif, d’originalité, négligea les principes établis par les maîtres de l’art, comme Haïreddin et Sinan, et essaya de marquer de son empreinte personnelle la construction de la mosquée Ahmédié. Ce monument est conçu en dépit des règles et des lois artistiques respectées jusqu’alors.
Son architecture diffère de celle des mosquées Bayazid, Selimié et Suleïmanié. Les grands piliers carrés qui supportent la coupole de la mosquée Suleïmanié sont remplacés par de gigantesques colonnes de 5 mètres de diamètre, sans aucune proportion; il en est de même de celles qui supportent les galeries de l’intérieur. On suppose que Mehmed Aga, qui avait beaucoup voyagé, voulut appliquer quelques souvenirs des pays où il avait séjourné.
L’art turc est encore actif pendant un certain temps après l’époque du sultan Ahmed, ainsi que l’attestent quelques monuments, parmi lesquels la mosquée de Tchinili, construite à Scutari sous Ibrahim, et celle de Yeni-Djani, élevée sous Mehmed IV (1074). Mais les luttes intestines qui déchirèrent l’Empire, pendant le règne de cinq padichahs, firent tomber l’architecture dans une décadence qui dura jusqu’à Ahmed III.
A l’avènement de ce souverain, des tentatives sont faites pour relever l’art. On construit plusieurs fontaines (tchechmés) somptueuses telles que la fontaine d’Ahmed, près de Sainte-Sophie, celle d’Azap Kapou, etc. De magnifiques palais s’élevèrent dans la capitale parmi lesquels les historiens de l’époque citent Nichad Abad, Humayoun Abad, Saad Abad, Cheref Abad, situés sur les rives du Bosphore et de la Corne d’Or. Il ne reste presque rien de la plupart de ces palais, construits en bois et qui n’ont guère laissé de ruines aujourd’hui.
Les ingénieurs français, appelés en Turquie par Mahmoud Ier pour les travaux hydrographiques, amenèrent avec eux des sculpteurs, des décorateurs et des dessinateurs qui, en introduisant les styles Louis XV et baroque, préparèrent la dégénérescence du style ottoman.
Avec le temps les artistes ottomans se rapprochèrent de plus en plus des types de l’ornementation européenne qui devint à la mode, et fut appelée alors vulgairement «à la franka». Ils eurent tôt fait d’oublier les principes de l’art ottoman.
Ignorant les notions mêmes de cet art, les constructeurs mélangèrent tous les styles, ne mettant ainsi au jour que des œuvres laides et disparates. Telle est la mosquée Nouri Osmanié, commencée par Mahmoud Ier et achevée par Osman; telle est aussi la mosquée Laléli: toutes deux appartiennent à cette période de décadence. La première, d’un aspect lourd et disgracieux, a été construite, dit-on, sur le plan du sultan Mahmoud lui-même.
Malgré tous les efforts tentés sous le règne suivant, à partir du règne de Sélim III, les pompons et les rocailles du style Louis XV, déjà répandus dans toute l’Europe, envahissent l’art ottoman et finissent par l’étouffer sous une forme de rococo-italien. M. Kaufer, architecte, que Choiseul Gouffier avait amené avec lui à Constantinople, et M. Melling, architecte du sultan Selim III, ont, en dépit de tout leur talent, contribué à cette décadence, en élevant des palais de style étranger, qui servirent de modèles aux architectes turcs. La plupart des monuments et la décoration des fontaines datant de cette époque en témoignent abondamment.
Cette décadence a continué jusqu’à nos jours, et les architectes n’ont guère abouti à des résultats satisfaisants, leurs efforts n’étant point basés sur une étude sérieuse des anciens monuments et des règles et des formules qui présidèrent à l’établissement de leurs plans. Les efforts tentés à l’époque du sultan Abdul Aziz pour construire quelques mosquées et palais dans un style pseudo-renaissance, ne donnèrent pas de meilleurs résultats.
Pl. 36.
Mosquée Suleïmanié.—Intérieur.
L’ouvrage connu sous le titre d’Architecture ottomane et qui fut édité par le ministère de l’Instruction publique rapporte en détails les tentatives faites à l’époque, en vue de relever l’architecture. Les planches qu’il contient donnent à cet ouvrage un intérêt indéniable, mais une certaine imprécision, une certaine négligence qui y règnent risqueraient d’inculquer au lecteur une fausse notion de l’art ottoman.
L’architecture ottomane se divise donc en quatre périodes:
1o Depuis le sultan Mehmed Tchélébi jusqu’à Bayazid (816-886), c’est-à-dire depuis la construction de la Mosquée Verte à Brousse jusqu’à celle de la mosquée Bayazid à Constantinople.
2o Depuis Bayazid jusqu’au sultan Ahmed Ier (886-1012), c’est-à-dire depuis la construction de la mosquée Bayazid jusqu’à la construction de la mosquée d’Ahmed Ier.
3o Depuis la construction de la mosquée d’Ahmed Ier jusqu’au règne du sultan Ahmed III (1012-1015).
4o Depuis Ahmed III jusqu’à l’époque contemporaine, période marquée par une décadence générale due à l’abandon des principes essentiels qui, loin d’empêcher la manifestation de la personnalité, conservent les caractères particuliers d’un style national, de même que les lois naturelles gardent et perpétuent la ressemblance de deux plantes de la même famille et la physionomie des hommes de la même race.
Les anciens maîtres avaient sans doute des règles et des formules architectoniques qu’il conviendrait de retrouver. M. Parvillée rapporte dans son ouvrage qu’on utilisa dans l’architecture de la Mosquée Verte un triangle semblable à celui employé par les Égyptiens et ayant entre sa base et sa hauteur le rapport de 8:5; la place des fenêtres, la forme de la coupole et le niveau des corniches étaient donc déterminés par des lois immuables qu’il est impossible de négliger, si l’on veut produire des œuvres purement ottomanes. Si l’on se contente de recueillir, au hasard, les divers éléments décoratifs et de les grouper sans tenir compte des règles auxquelles est soumis le style ottoman, il est clair qu’il n’en saurait résulter une œuvre conforme à ce style, malgré les ressemblances de détail que cet art pseudo-ottoman pourrait renfermer. Faut-il ajouter maintenant qu’il est nécessaire, pour bien comprendre une œuvre d’art, de pénétrer l’esprit et l’état d’âme du peuple qui l’a conçue et qu’on ne saurait faire œuvre d’art dans un domaine dont l’inspiration vous est étrangère? C’est ainsi que l’écriture d’un calligraphe turc ne pourra jamais être reproduite par un dessinateur étranger de façon à tromper un œil exercé. Il manquera à l’étranger non seulement la manière, mais le caractère, l’esprit et pour tout dire le sentiment de l’œuvre.
Le caractère et la décoration de l’architecture ottomane.—Il suffit de visiter les édifices turcs pour se convaincre de la différence qui existe entre l’architecture ottomane et celle des Arabes. Outre le caractère spécial des colonnes, des arcades et des chapiteaux ainsi que de la coupole, l’ensemble du monument est conçu dans une note tout à fait distincte.
On ne rencontre jamais chez les Turcs la coupole en ogive étranglée à sa base, le chapiteau décoré de fleurs ornementales, l’arc surélevé en fer à cheval et la surabondance de décorations en usage chez les Arabes. Les Turcs, ayant apporté tous leurs soins à la technique de la construction, imitèrent, en fait de coupoles, celles des Byzantins qu’ils reproduisirent avec autant de courage que de hardiesse. Leurs chapiteaux sont ornés de stalactites et de losanges dans le genre de ceux qui servaient aux Arabes pour atténuer les brusques saillies de leurs encorbellements. Quant à la décoration, elle était plus sobre chez les Turcs, qui en faisaient pourtant usage avec un rare bon goût dans les parties des monuments où ils l’estimaient nécessaire. Ils n’appliquèrent pas non plus de mosaïques à leurs coupoles, ni de marbres veinés aux parois intérieures de l’édifice comme les Byzantins. Ils ornaient leurs coupoles de fresques avec inscriptions en or et tapissaient les murs avec des carreaux de faïence où les plus éclatantes couleurs se mariaient harmonieusement. Malgré quelques détails décoratifs, rappelant l’art persan par endroit, l’art turc ne peut en aucune façon lui être assimilé. Il ne présente ni l’horizontalité de la façade, ni ce grand portail qu’atteint la base de la coupole, ni la forme des minarets et de la coupole qui caractérisent l’art persan.
La caractéristique de l’architecture ottomane réside dans la simplicité sévère de ses formes et la verticalité accusée de ses lignes, où l’esprit de l’homme semble suivre une route qui l’élève vers les cieux.
L’Architecture ottomane, l’ouvrage dont nous avons déjà parlé, constate trois ordres distincts dans les édifices turcs qu’il désigne ainsi: ordre échanfriné, bréchiforme, cristallisé, selon la décoration plus ou moins riche des colonnes, chapiteaux, panneaux, archivoltes et corniches. Mais ce que l’on remarque davantage, c’est l’emploi combiné de ces ordres, appliqués indistinctement, suivant ce que chaque partie du monument paraissait exiger. Tout en gardant leur antipathie pour la décoration byzantine, les Ottomans paraissent avoir adopté, en fait de plan et de construction, les méthodes des Byzantins.
La forme de la coupole est presque semblable à celle des Byzantins avec un large emploi des bases octogonales. Dans la construction des mosquées, le plan carré fut adopté; les grandes mosquées furent couvertes d’une grande coupole et de plusieurs autres demi-coupoles tout à fait semblables à celles de Sainte-Sophie. Les petites mosquées n’ont qu’une coupole sur base octogonale. Dans les arcades, on utilise souvent un genre d’ogive formé de deux arcs à centres différents. La ligne qui réunit les centres passe au-dessus des chapiteaux et ces centres coïncident avec les points qui divisent cette ligne en parties égales. Une des arcades les plus usitées est un cintre formé d’un cercle terminé à son sommet par deux tangentes à la circonférence. On ne voit jamais le plein cintre représentant les deux tiers de sa circonférence (comme chez les Arabes) et qui a la forme d’un fer à cheval. Mais, en revanche, on rencontre abondamment des arcades formées de claveaux alternés en marbre coloré. On rencontre souvent aussi l’alternance de différents genres d’arcades sur une même rangée, ce qui rompt la monotonie de la perspective.
On remarque quelquefois sur ces arcades de gros cabochons en pierre taillée qui se placent entre les arcades sur la direction des colonnes et qui semblent avoir leur origine dans les clous des boucliers.
Ainsi cette architecture permet d’employer et d’arranger comme on veut les différentes parties constituantes; ainsi, en respectant l’ordre et la forme convenables pour chaque partie, on obtient un effet des plus variés.
Pl. 37.
Mosquée Suleïmanié.—Mihrab et Mimber.
La décoration.—C’est des formes décoratives apportées du Turkestan, que les Turcs s’inspirèrent pour la décoration de leurs tapis et de leurs ustensiles, avant d’être mis en possession d’un art ottoman. Ils puisèrent également chez les Turcs seldjoucides et les Persans. D’autre part, les motifs arabes ne cessèrent pas d’intéresser fortement l’esprit des artistes ottomans, qui mirent particulièrement à profit leurs arabesques et leurs polygones. C’est l’art seldjoucide et syro-égyptien qui semble avoir fourni à l’art ottoman une grande partie de sa décoration.
La figure humaine et la représentation des animaux étant complètement exclues de l’architecture ottomane, celle-ci resta loin de la décoration byzantine. Les plantes, les fruits et les minéraux lui fournirent ses motifs de décoration. Mais, comme la forme de ces plantes et de ces fruits a subi, entre les mains des décorateurs turcs, des métamorphoses variées, les parties constituantes de l’ornementation prirent une forme tout à fait caractéristique et rationnelle, adaptée à la nature des matériaux sur lesquels furent appliqués ces ornements.
Les ornementations dérivées des feuillages s’inspiraient de l’état de pétrification des plantes, tel qu’on le voit dans les empreintes des végétations antédiluviennes sur les pierres. La décoration d’un grillage, d’une serrure, d’une porte, était empruntée à des motifs applicables et en harmonie avec la matière et la destination de l’objet qu’ils ornaient.
Les Byzantins ornaient leurs chapiteaux de feuilles dentelées, taillées et ciselées qui semblaient devoir être écrasées sous le poids qu’elles supportaient. Les Ottomans, pour leurs chapiteaux, avaient employé des combinaisons de prismes rappelant les stalactites[77] des grottes et qui offraient à l’œil l’aspect logique de la pierre solide, capable de porter son fardeau. Ils surent éviter avec un goût savant la monotonie et la régularité excessive des lignes. Le motif principal de la décoration ottomane est fourni par les feuilles de pois. Cette plante à tiges flexibles qui tendent à s’enrouler sur elles-mêmes convenait merveilleusement à la décoration. Sa forme naturelle, après une série d’interprétations originales, a fini par atteindre un type purement ornemental.
[77] La construction de la stalactite ottomane diffère beaucoup de celle des Persans et des Arabes.
D’autres plantes furent aussi prises comme modèles, suivant l’époque et selon l’ordre dont on se servait.
Dans l’ornementation, on distingue deux parties principales: le buisson, qui constitue le support, et la plante, qui forme l’ornement même. La plante ornementale s’enroule sur le buisson qui forme déjà à lui seul un ornement. Pour mouvementer la décoration, on ajoute sur la plante et le buisson des petits ronds gracieux imitant l’escargot, une petite feuille enroulée. Dans les décorations riches, on voit souvent plusieurs plantes s’enrouler sur le même buisson; chacune de ces plantes constitue un sujet à part qui, s’entrelaçant avec d’autres motifs, présente l’aspect d’ornements séparés et mariés entre eux avec une parfaite harmonie.
C’est l’architecte Ilias Ali qui a appliqué pour la première fois ce genre de décoration. Il employa différents fruits: des coings, des grenades, etc. La grenade, qui est considérée par les Turcs comme un fruit du paradis, occupait le premier rang. Ce fruit subit, comme le pois, des transformations successives, et finit par prendre la forme d’une fleur complexe.
Peu à peu, toutes ces formes décoratives se mélangèrent et donnèrent naissance, en se combinant, à des formes nouvelles, et en particulier à une ornementation hybride, où l’on voyait des feuilles sous l’aspect d’oiseau.
Parmi les fleurs, les plus employées étaient la renoncule, l’œillet, le carthame, la rose, la tulipe, l’althea; presque toujours en bouquets, surtout dans l’architecture civile.
L’usage de la renoncule avait pris une particulière extension vers l’époque d’Ahmed III.
Les conceptions décoratives des Arabes, Chinois, Hindous, Persans et Byzantins contribuèrent en partie aux progrès de l’art décoratif ottoman, avec lequel ils avaient de grands liens de parenté. Mais, dans toutes les évolutions de ces forces ornementales, se fait jour une tendance vers la calligraphie ottomane qui constituait chez les Turcs l’art graphique le plus estimé. La même tendance peut être remarquée dans l’art de l’écriture des Japonais.
Les décorateurs et les enlumineurs ottomans reproduisirent, dans les écritures, les caractères et les formes ornementales dont ils se servaient pour la décoration des livres sacrés.
La calligraphie chez les Turcs remplace l’iconographie des Byzantins. Ils ont pour l’écriture un respect sans bornes, qu’ils poussent même jusqu’à ramasser et à cacher dans un trou de mur les papiers qui traînent dans la rue, afin d’éviter qu’ils soient piétinés par les passants. Les Turcs ont plusieurs genres d’écriture: Koufi, Djéli, Sulus, Rik-a, Taalik, Nesih et Divani, dans lesquels les spécialistes ont réalisé de vraies merveilles par l’harmonie des courbes et l’attrait des entrecroisements, si enchevêtrés que les dessinateurs étrangers les plus experts ne sauraient en obtenir des copies. Ces écritures, qui entrent dans la décoration des édifices, sont pour les Turcs d’un prix inestimable. Elles remplacent chez eux les tableaux. Mais c’est un art qui semble décroître de jour en jour.
Faïence.—L’art de la faïence, un des éléments les plus en vogue dans la décoration, est originairement oriental: il doit remonter à l’émaillage des poteries pratiqué chez les anciens peuples d’Orient. L’histoire nous apprend que les Assyriens ornèrent, les premiers, les murs de leurs édifices de briques émaillées. Bien que la Mésopotamie et le Turkestan aient vu prospérer particulièrement cet art, c’est la Perse que l’on considère comme la patrie de la faïence. Les fouilles opérées jusqu’à ce jour n’ont pas encore donné de résultats qui permettent de se prononcer à cet égard. Il est permis de supposer que la mode d’émailler les briques et les vases en terre, déjà connue des Chinois, a été introduite en Perse par les Chaldéens. La conquête des Grecs fit disparaître cet art qui refleurit avec les Turcs et les Mongols.
Chez les Seldjoucides, la mosaïque en faïence occupait une place très importante dans la décoration des édifices. Les Ottomans devinrent ensuite des maîtres dans ce métier, qui différait dans tous les pays, suivant la qualité des terres employées, la cuisson particulière à la contrée, et les secrets de coloration, jalousement gardés par chaque fabricant. A l’époque du sultan Mehmed Tchelebi, les fabriques fondées à Kutahié, à Nicée et à Brousse réalisèrent des œuvres magnifiques, qui, par la transparence inégalée des couleurs et la résistance de l’émail, ne sauraient être comparées aux faïences d’aujourd’hui. Les plus célèbres d’entre elles proviennent de Rhodes et de Nicée et ornent les mosquées de Constantinople.
Kalem.—La méthode du Kalem (fresque) était réservée à la décoration des parties les moins importantes des édifices. Elle remplaçait dans les habitations les carreaux de faïence dont on se servait pour les mosquées et les monuments religieux. Elle ornait les plafonds et les niches de paysages variés.
La sculpture sur bois, l’incrustation de nacre, le damasquinage, à en juger par ce qu’on peut voir sur les Mimber, Kursi, Rahlé, étaient également arrivés à un degré de perfection qui s’affirmait aussi dans la menuiserie et l’ébénisterie. Cette dernière nous a laissé des portes composées de petits morceaux de bois si habilement ajustés les uns aux autres que les siècles écoulés ont été impuissants à les disjoindre.
Les fenêtres étaient garnies de vitraux semblables à ceux des Arabes et des Byzantins, en verre coloré de différentes dimensions; ils étaient enchâssés dans des cadres de plâtre, et constituaient un motif de décoration plus ou moins luxueux, suivant les édifices auxquels ils étaient destinés. Ils étaient souvent ornés d’écritures saintes.
Avant la conquête de Constantinople par les Turcs, la ville possédait déjà quelques mosquées dont la plus ancienne était celle d’Arab-Djami à Galata. Elle avait été construite en l’an 97 de l’Hégire par Muslimé-bin-Abdul Mélik après l’installation des Arabes. Quand ceux-ci l’abandonnèrent, elle devint une église latine. Elle eut à souffrir de la guerre, de l’incendie et des tremblements de terre. Après la prise de Constantinople, elle fut réparée et affectée de nouveau au culte, par les soins de la mère du sultan Mahmoud en 1222 de l’Hégire.
Yer Alti Djami (mosquée souterraine) appartient aussi à une époque antérieure à la conquête turque.
Les Arabes avaient leur mosquée, aujourd’hui disparue, dans la ville même, à Stamboul, près du quartier des Génois. Les deux autres, qui subsistent encore, ne présentent aucun rapport avec les édifices turcs.