Couplées: Roman
I
A Paris cependant, le lendemain matin, Marc en était encore à se demander pourquoi il avait obéi à Pauline. Ainsi tout, jusqu'à présent, lui avait réussi; dans sa dernière entreprise, la conquête de Sylvie, il l'emportait encore; puis une petite fille lui disait: «Va-t'en», et il partait! L'aimerait-il? Quel enfantillage!
Non, c'était la nuit, c'étaient le silence et la surprise qui l'avaient étourdi, bouleversé. C'était l'émoi même de Pauline, et son parfum, et peut-être aussi quelque crainte soudaine de lui déplaire... Eh bien donc, il l'aimait? Impossible.
Pourtant, il se rappelait sa première entrevue avec Pauline, alors qu'il était venu en Hariale pour la séduire, et rien que pour cela. Elle lui avait insolemment ri au nez: alors il s'était senti piqué, fouaillé, séduit; et n'eût été l'arrivée fortuite de Sylvie... Maintenant, la même Pauline se dressait sur son chemin, le matait, le renvoyait... Et comme c'était fait! En dix minutes à peine. Voilà du joli travail, à la bonne heure. Marc se reconnaissait honteusement battu; mais il ne le constatait peut-être pas, au fond, sans douceur. Allons, que cela soit de l'amour ou non, après tout...
Il s'habilla et se rendit au Pneu, où il se fit annoncer chez son vieux confident Amédée Paqueret. Celui-ci le reçut tout de suite:
«—Eh bien, lui demanda-t-il dès l'abord et selon sa coutume, rien de neuf en Hariale?
—Si, justement.
—Bah! Sylvie prend un autre amoureux? Non? Elle conserve donc toujours le même? Eh bien, mes compliments. Mais, mon petit, et sans reproches, je ne vois guère là de fait nouveau. Attendez pourtant... Notre amie ne songerait-elle point à rompre un trop long veuvage?
—Il ne s'agit pas d'elle, du moins pas directement d'elle.
—Oh, oh, serait-ce en ce cas de ma filleule qu'il nous faut parler? Mais vous n'allez pas m'annoncer, j'espère, ses fiançailles avec le petit marquis de Caumais-Simier. On m'a fait là-dessus des cancans affligeants.
—Caumais-Simier ne quitte pas les hommes d'affaires, les experts et l'architecte. Il a bien d'autres soucis en ce moment, et de plus pressants encore que de songer à se marier.
—Alors, si j'en crois votre air agité, il serait survenu quelque incident entre Pauline... et vous?
—Ma foi, c'est cela.
—Un incident favorable? Oui! Ah, mon cher enfant!»
Amédée était devenu pâle de saisissement, de joie. Enfin, enfin! son poulain se décidait donc, son poulain venait en forme, son poulain allait lui remporter cette victoire magnifique, ce prix inestimable! Quel triomphe, quelle récompense des sacrifices consentis, des sommes dépensées! Cependant, pas d'enthousiasmes prématurés, cette fois, pas d'espoirs trop hâtifs. Il importait de n'oublier jamais l'exemple de Jugurtha: jusqu'à l'arrivée même sur le poteau, on ne devait être assuré de rien, non, de rien du tout. Amédée Paqueret n'était plus l'éleveur fougueux que l'on avait connu jadis: assagi par l'expérience, il consentait à faire quelquefois la part du hasard aujourd'hui. C'est pourquoi, sans douter un seul instant—cela, c'était évident—que Marc ne finît par vaincre, il s'efforça pourtant d'empêcher tout son visage de rire et sa barbiche de trembler pour dire à Marc du ton le plus paisible auquel il sut atteindre:
«—Voyons, voyons, ne nous emballons pas. Mais qu'y a-t-il au juste, et que puis-je faire pour vous? Racontez-moi bien tout par le menu.»
Marc lui fit le récit, aussi atténué, aussi discret que possible, de son aventure dans le parc. Il fallut sans doute confesser le rendez-vous avec Sylvie, le point de tendresse où l'on en était près d'elle, comme l'ardeur subite de Pauline, ses prières, sa volonté, sa beauté même dans la nuit, et, aveu plus sensible peut-être, l'aisance déconcertante avec laquelle on avait obéi, on s'en était allé. Mais enfin le jeune homme parvint à décrire tout cela sans trop de lourdeur. Il n'eut point tout à fait l'air de détailler des bonnes fortunes. En tant qu'ami, en tant que parrain même, Paqueret n'eut à le reprendre de presque rien.
Et puis, le reprendre, vraiment, il y pensait bien! C'est-à-dire plutôt qu'il était anxieux, radieux! Aucun historique de course ne l'avait jamais intéressé autant. Il supputait avec ivresse les chances de son favori, ce cher, ce valeureux Marc. Il le voyait déjà traversant l'église, puis étalon de race, père d'une descendance superbe. Mais allons, il ne s'agissait plus maintenant de laisser Sylvie s'opposer à cela. Donc, premier soin à prendre: éloigner celle-ci, la détourner, la distraire, l'occuper ailleurs...
«Précisons un point, mon cher enfant, voulez-vous, puisque nous n'en sommes plus à une confidence près, n'est-ce pas, maintenant. Entre galants hommes du reste, il n'existe pas de secrets qu'on dévoile, mais quelques petites obscurités tout au plus, qu'on éclaircit. Dites-moi tout net si vous n'avez pas conclu avec Sylvie de lien assez fort pour qu'on ne puisse honnêtement le rompre, de lien formel, enfin... Non? Bravo. Et ma petite filleule, sincèrement, l'aimez-vous, l'aimerez-vous?»
Marc voulut allumer une cigarette avec désinvolture, s'embarrassa, brisa deux allumettes. Aussi bien, Paqueret ne songeait-il plus à sa question. Il oubliait déjà Marc lui-même. Il mettait son pardessus, il sortait. Les passionnés sont incurables.
Il ne prit que le temps de déjeuner et courut rue de Rivoli, chez Ambroise Drayfus, l'éminent directeur du Théâtre Vendôme. Celui-ci allait quitter son logis dans le moment même que Paqueret y arriva.
«—Vous tombez juste, cher monsieur, dit l'éminent directeur, je partais. Je vais au théâtre pour la Bonne Manière. Mais si vous avez une communication pressante à me faire, nous pouvons aller à pied jusque-là.
—Parfait. Nous causerons en marchant. Mais d'abord, entre nous, vous êtes content de la Bonne Manière? C'est un nouveau succès.
—Entre nous? Euh, euh... Enfin, je ne sais pas. Comme directeur en tout cas, je vous avoue, mon cher monsieur Paqueret, que je suis très embêté.»
Et flattant sa longue barbe, haussant un grave sourcil, Ambroise Drayfus répéta plusieurs fois: «Très embêté, très embêté.» Son interlocuteur apprenait avec une douce satisfaction cette nouvelle qui favorisait tous ses plans.
«—Comment, répondit-il en témoignant d'une innocence hypocrite, embêté, vous, le directeur habile et avisé du plus florissant des théâtres, de la scène la plus appréciée, la plus recherchée de Paris? Vous le directeur heureux de cette Gabrielle Aurély que suit la fortune?
—La fortune, la fortune... Elle finira par se lasser, votre fortune.»
La récente querelle entre Gabrielle Aurély et son directeur ayant eu un retentissement européen, Paqueret ne pouvait décemment feindre de l'ignorer. Gabrielle Aurély avait en effet poussé la provocation jusqu'à prendre pour dernier amant un des ennemis personnels d'Ambroise Drayfus. D'autre part, le Théâtre Vendôme n'existait que par la toute-puissante Aurély, et il n'y avait plus un auteur dramatique français qui ne travaillât exclusivement pour elle. On s'était donc en définitive embrassé, puisqu'on s'embrasse toujours au théâtre. (A-t-on remarqué le nombre et la fréquence des embrassements dans ces lieux privilégiés? Auteurs, directeurs, interprètes, camarades, parents, on ne cesse de se tomber dans les bras les uns des autres. Tout y est prétexte: lectures, répétitions, premières, dernières, mariages, morts, naissances, engagements, congés, départs, éloges, calomnies, décorations. Les soirs de désastre, on fait ce qu'on peut; les soirs de triomphe, c'est du délire). Mais Ambroise Drayfus avait conservé au fond du cœur la plus venimeuse rancune.
Cela le rendait même intelligent: «Voyez-vous, dit-il à Paqueret, le théâtre est une entreprise difficile et hasardeuse. Nous dépendons en somme d'un changement de coiffure. Mais oui! Voyez Aurély: elle était brune et s'enorgueillissait d'un chignon bas et lourd. Elle aimait les rôles sombres, tragiques, pessimistes. Alors, on m'apportait des pièces sinistres, dans lesquelles les affaires humaines tournaient de mal en pis. Le public applaudissait, le public haïssait la vie, tout allait bien. Ce furent les succès du Labyrinthe, du Sablier, de la Faux. Puis Aurély fait une petite typhoïde de rien du tout, se coupe les cheveux, les ébouriffe, les frise, les teint. Elle joue à la gamine et ne veut plus que des rôles souriants. Bon! changement complet: la pensée de notre pays se modifie; Paris et la province chantent la joie d'être né, l'optimisme et la bonne humeur. Et voilà les succès de Pour rire, Les Fées, Ça ira, Mon Fétiche. Mais maintenant, savez-vous ce qui arrive? C'est qu'Aurély souffre beaucoup du foie, et qu'elle tombe dans la mélancolie. Elle commence à jouer les neurasthéniques: et mes casiers, mon cher monsieur, ne sont pleins que de comédies heureuses. Autant de fours, si vous m'en croyez. A sa première crise hépatique, d'ailleurs, je ferme mon théâtre.
—Quand finit votre engagement avec madame Aurély?
—L'année prochaine.
—Eh bien, si je vous apportais un autre engagement qui la fît bien vite et complètement oublier, cette Gabrielle Aurély?
—Allons donc! elle a l'oreille du public. Il l'aime, il en est fou, il en est idiot.
—Oui, mais on l'a si souvent vu fou. Madame Aurély en somme n'est ni jolie, ni très variée. Elle n'a que quatre ou cinq effets dont elle ne change guère...
—Permettez, permettez...
—Enfin, si je vous ramenais... Sylvie Montreux!
—Comment!
Ambroise Drayfus, suffoqué par la stupeur et l'émotion, s'arrêta net dans la rue. Il considéra Paqueret comme s'il eût du sur l'heure le reconnaître pour empereur ou le faire fusiller. Puis ayant sans doute pris son parti, il prononça d'une voix légèrement altérée:
«—Si vous réussissez à cela, si, dans le plus profond secret, vous parvenez à conduire cette entreprise et à persuader la baronne Levaître, dites-vous bien, mon cher monsieur Paqueret, que jamais, vous entendez, jamais une rentrée plus retentissante n'aura été organisée pour personne au monde, depuis qu'il y a des théâtres, et qui comptent. J'y consacrerai ma fortune, s'il le faut, je saurai arracher aux auteurs leurs plus parfaits chefs-d'œuvre, je...»
Comme c'était un homme d'affaires excellent, il ne souffla mot d'argent ni de traité. Mais quoi! Amédée Paqueret y songeait-il, à l'argent? Bah! voyez plutôt le vieux don Quichotte qui, tout illuminé, le chapeau sur l'oreille, se dirigeait déjà vers le prochain bureau de postes où, sans plus attendre, il télégraphiait à Sylvie:
«Projet considérable à vous soumettre. Secret le plus absolu. Viendrai dîner avec vous.»
II
Il était huit heures. La baronne Levaître s'en retournait du parc, où elle avait emmené Amédée Paqueret dès l'arrivée de celui-ci, curieuse et désirant savoir tout de suite:
«—Ah, mon vieil ami, bonjour! lui avait-elle dit.... venez immédiatement vous promener au jardin. Nous avons à parler, je pense. Dépêchons-nous pendant que Pauline est encore à s'habiller.
—Mais, ce que j'ai à vous dire est un secret.
—Tant mieux. Nous nous cacherons.
—Très sérieusement, il ne faut pas qu'on entende un mot.
—Nous passerons l'eau, nous irons dans le parc.
—Soit. Trouvez un banc pour mes vieilles jambes, au fond d'un massif bien mystérieux, et je vous fais des aveux complets.»
C'est ainsi qu'aux derniers murmures des oiseaux, Sylvie avait appris le projet Drayfus-Paqueret—sa rentrée! Mon Dieu, Amédée n'employa pas beaucoup de temps, et ne mit pas grand art à lui expliquer comment cette idée de génie leur était venue. Non, il lui lança cela tout à trac: «Si vous voulez reparaître en scène, Ambroise Drayfus s'engage à vous organiser le plus ébouriffant triomphe qu'on ait encore vu à Paris. Aurély s'en ira où elle voudra, où elle pourra. Cet événement fantastique éclatera tout à coup, car les préparatifs en seront faits dans un complet silence. Et observez trois choses: vous êtes veuve d'abord, et vous n'avez pris envers personne l'engagement de ne plus jouer; puis, le public n'a pas un instant cessé de vous regretter, ni de vous aimer; enfin, si votre petite Pauline vous arrête, eh bien—attendez son mariage, voilà tout. Il ne saurait beaucoup tarder.»
Mais il en avait encore presque trop dit. Point n'était besoin d'observer ceci ou cela: ces seuls mots «rentrer au théâtre» avaient frappé Sylvie au plus profond, au plus intime d'elle-même. Non qu'elle n'y eût jamais songé depuis la fin de son veuvage: au contraire, elle y pensait souvent. Seulement, rien qu'à entendre une voix prononcer cette phrase enchanteresse: «Le public vous adore toujours, Sylvie, et votre triomphe sera sans égal,» il lui semblait presque que c'était déjà fait, qu'elle assistait au délire d'une salle et la voyait défaillir d'enthousiasme.... Quand le groom là-dessus, et tandis que les deux complices s'acheminaient lentement vers la maison, aussi exaltés l'un que l'autre, remit à la baronne Levaître un billet d'excuse de Marc, tout mesquin et ridicule sur le plateau d'argent, peuh! il parut à celle-ci qu'elle retournait à l'école. Une lettre de Marc, en vérité, voilà bien une pièce capitale, quand il ne s'agissait de rien moins que de se décider à reparaître devant toute une ville amoureuse, que de se redonner à toute une presse en folie!
Sylvie lut cependant cette lettre infime: Marc s'était mal expliqué à Sérigny, il n'avait pas trouvé la voiture, il n'avait pu venir, il était désolé.... La mince histoire! Vraiment, jouer à l'amour avec un Marc Thierry, c'est au mieux quand on n'a rien à faire. Mais dès qu'il s'agit de reconquérir la France—cela semble jeunet.
«—Pauline, dit le lendemain Sylvie toute rêveuse à la jeune fille, si nous revenions à Paris, hein? Ce n'est pas qu'on s'ennuie ici, certes. Il fait beau, les fleurs embaument. Mais nous avons aujourd'hui la première de Sa Grâce, après-demain celle de la Bonne Manière. Il y a les invitations des S. et des D. que nous avons acceptées. Et puis, il y a le Bois, qui n'est pas laid non plus. Est-ce dit, revenons-nous?
—Si tu veux.
—Cependant, ma chérie, si tu souhaitais le moins du monde de rester, tu sais que moi....
—Mais non, rentrons, je le désire aussi—pourquoi pas?»
Pauline abaissa ses longs cils sur ses prunelles claires pour exprimer plus doucement cette dernière réponse. Mais elle pensait tout bas: «Naturellement, elle veut aller le rejoindre. Elle juge que c'est trop périlleux ici....»
Les deux amies se rétablirent donc le jour même rue Murillo, et dès le soir elles se trouvaient dans leur loge au Théâtre Neuf, pour la première de Sa Grâce. Elles allaient contempler là, dans tout son éclat, l'extraordinaire talent de Manuel Fontane. Cet homme était arrivé peu à peu à passer pour le plus rare interprète que nous possédions—et Dieu sait pourtant s'il nous en manque! D'ailleurs, le secret de Manuel Fontane était simple: que cet ingénieux acteur eût à figurer la douleur d'un amant, l'espoir d'un fiancé, l'angoisse d'un mari, l'émoi d'un père, il s'en tirait toujours de même, il prenait l'air maussade. Chacun aussitôt de s'écrier: «Que de finesse, que d'intentions!» Et l'on se félicitait d'entrevoir spirituellement tant de choses où le voisin n'apercevait rien, mais n'en criait que davantage pour ne pas sembler sot. On disait en outre que Sa Grâce était l'œuvre d'un certain auteur dramatique: soit.
Au premier entr'acte, le cortège traditionnel commença de défiler dans la loge de Sylvie: vieux critiques «qui l'avaient vue débuter», jeunes princes de lettres qui se tenaient avec elle sur le pied de galanterie et ne l'appelaient jamais, au fond, que la baronne; gens du monde qui passaient, un peu gourmés, un peu pressés, un peu «prêts à tout» enfin, au milieu de ces gazetiers. Et ce n'étaient que de continuels:
«—Manuel Fontane est bien intelligent, exquis, mais.... nous avons connu Sylvie.
—Il y a des talents qu'on ne peut remplacer.
—Un charme qu'on pleure encore, madame.
—Et des sourires qu'on n'oublie pas.»
Sylvie recevait avec une impériale aisance ces déférents hommages, qui ne lui paraissaient nullement immérités, à tout dire, et qui dans l'occurrence la préparaient voluptueusement, l'entraînaient sans peine à reprendre son ancien rang parmi son public, son peuple.
Au moment qu'elle se sentait le plus épanouie, après quelque fadeur habile entre toutes, la porte de la loge s'ouvrit soudain devant Marc Thierry: hélas, elle l'avait complètement oublié, le pauvre garçon! Un bon remords la saisit:
«—Bonjour, ami, fit-elle avec une bienveillance extrême, entrez, asseyez-vous. Il y a longtemps que je ne vous ai vu....»
Et comme on se bousculait un peu, car le rideau allait se relever, elle eut le temps de lui glisser à l'oreille: «C'est convenu, j'irai.» Il s'agissait du rendez-vous qu'il avait imploré la veille, à la fin de sa lettre d'excuse, et qu'il se rappelait à peine, lui aussi, tant il n'avait déjà l'esprit rempli que de Pauline, l'oreille attentive au seul bruit de la soie dont celle-ci était revêtue, les yeux inattentifs à tout, hors à l'ombre, hors au reflet roux de sa chevelure, hors au tendre contour de son profil perdu.
III
Vous savez, n'est-ce pas, que dix fois sur douze, les rendez-vous d'amour donnent de mélancoliques résultats? C'est que l'on s'y rend quelquefois dans un état de réel amour, et presque toujours avec une émotion néfaste. Mais supposez un jeune homme qui implore une entrevue et s'en souvient à peine; une dame qui l'accepte et se voit forcée de l'inscrire sur son agenda; celui-là, de plus songe avec un grand trouble de cœur à une autre femme, celle-ci n'a la tête qu'aux rôles qu'elle va jouer prochainement, bientôt, demain. A la bonne heure, voilà des amants qui ne vont point dire des sottises. Ils feront une partie fine, et se promettront de la recommencer sous peu. On goûte tellement mieux des caresses, quand ce n'est pas très sérieux.
Or, ce fut ainsi entre Marc et Sylvie.
Ce fut heureusement ainsi dans le vaste atelier de toilette de Marc, sa monastique chambre à coucher ne convenant guère à des ébats, et son salon se trouvant exigu et triste. C'était une manière de gymnase que cet atelier. Outre des lits de repos et maintes commodités, outre un ballon de boxe, des massues, des poids, des fouets de chasse, des objets gagnés en prix, des portraits, il y avait jusqu'à des revolvers follement chargés et jusqu'à des reproductions encadrées d'athlètes antiques. Faut-il ajouter que le fameux Apoxyomène n'en était point exclu?
Marc de son côté ressentait un succulent orgueil à tenir dans ses bras Sylvie, Sylvie Montreux! A qui celle-ci ne fût-elle pas apparue comme resplendissante de gloire? Son corps soyeux et velouté, son corps doux et lumineux, et mieux encore un certain rire paisible, de certains gestes plus qu'adroits, tout accusait en elle le meilleur âge pour aimer.
Bref, ils se quittèrent en souriant, ce qui est rare en pareil cas.
«—A bientôt?
—Nous verrons. Ne nous pressons pas trop, c'est plus sage.
—Quel jour cesserez-vous d'avoir raison?
—Le jour que je ne serai plus de votre avis, et ce jour-là, vous saurez bien me le dire, je m'y attends.
—Si j'avais de l'esprit, je vous répondrais amèrement, madame.
—Vous avez d'esprit ce qu'il m'en faut: sur les lèvres... Au revoir!»
Marc referma gaîment sa porte. Il remit en place quelques coussins, resserra son nœud de cravate. On sonna.
Son domestique avait congé pour la journée. Le jeune homme s'en fut donc ouvrir lui-même, et faillit reculer de surprise, presque d'effroi. Toute droite, inévitable, les mains tremblantes, mais le visage terriblement résolu, Pauline se tenait devant lui.
«—Je comprends, fit-elle, je comprends. Vous ne deviez pas m'attendre.»
Elle entra. Marc, stupéfait, lui ouvrit son minuscule et mystérieux salon, où l'on y voyait à peine.
«—Il fait sombre chez vous. Est-ce ici que vous avez reçu Sylvie?
—Mais, mademoiselle, Sylvie n'est jamais...
—Oh, écoutez, non! Vous répondez comme vous devez le faire, mais ce n'est pas la peine. Voilà deux heures que j'attends en bas. Mais oui, mais oui, j'ai attendu, dans un fiacre, comme un policier. J'ai observé sans grande malice que Sylvie tenait à sortir seule aujourd'hui, un soupçon m'a prise, je l'ai suivie. Ce n'est pas élégant, le métier que j'ai fait là? Je le reconnais sans peine. Cela me dégoûte bien un peu, mais quoi! Quand on veut savoir, n'est-ce pas...»
Mal remis de ce coup, Marc allait et venait devant elle. Une émotion profonde l'étreignait.
«—Je n'ai pas, balbutia-t-il, à porter de jugement. Je ne le pourrais pas d'ailleurs. C'est à peine si je vous comprends, à peine du moins si... si je l'ose.
—Cela m'étonne.
—Et pourquoi? Croyez-vous que j'aie deviné la raison qui vous a mise sur mon chemin l'autre nuit, dans le parc?
—Voyons, reprit Marc d'une voix soudain faible, et bien humble, et singulièrement tendre—voulez-vous que nous soyons... très francs l'un avec l'autre?»
A quel point souffrait-elle, cette ombrageuse Pauline, pour qu'un peu de douceur fût ainsi venue à bout de toute sa fierté, pour que, n'y tenant plus, elle eût éclaté soudain en sanglots?
«—Pauline, qu'avez-vous? Mon Dieu, vous ai-je froissée, vous ai-je fait de la peine?... Répondez-moi, qu'y a-t-il?
—Il y a... que Sylvie me vole, entendez-vous, puisque tous ceux que j'eusse aimés, elle me les prend! Et il y a que maintenant, j'en ai assez, que je ne veux plus. Tant pis, je lutte! Marc, je peux me tromper cruellement, et c'est fou peut-être: pourtant je crois... je crois...»
A la fin, elle parvint bien à le lui dire, sans doute, ce qu'elle croyait, mais tout bas, mais tout près, mais avec tant de passion aussi, que la plus troublante des phrases dont elle se servit ne contint pas un «Vous m'aimez,» encore moins de «Je vous aime,» et que, tout simple cependant qu'il fût, Marc entendit ce second aveu à merveille, s'il ignorait le premier moins que personne.
Et tous deux ne retrouvèrent leur parole vive que pour fixer quelques points, traiter d'avenir et s'occuper d'autrui.
«—Donc, vous quitterez Sylvie?
—Mais sous quel prétexte? C'est impossible.
—Je sais un moyen, moi.
—Non, Pauline, il n'y en a pas. J'appartiens à Sylvie. Renonçons plutôt. Que lui répondrais-je...
—Un grand moyen, et définitif, et hardi!
—Tout au plus un mensonge, qu'on découvrira.
—Certes!
—Plaisantez-vous?
—Epousez-moi!»
IV
«—Et qu'est-ce que vous avez répondu?» demanda sévèrement Amédée Paqueret à Marc, lorsque celui-ci lui rapporta cet «Epousez-moi!»
«—Euh, j'ai répondu... J'ai dû paraître bien ridicule, allez! J'ai répondu... Et puis, là, entre nous, je vais vous faire un aveu. Quand votre filleule m'intima cet ordre, car je vous assure que c'en était un, je me sentis soudain, ma foi! pris d'une telle émotion que si je n'en ai pas tout bêtement pleuré, ce fut bien juste. Oh, je n'ignore pas qu'on se récriera: quoi! Marc le champion, Marc l'athlète, et mieux encore, cette brute de Marc, pleurnicher au moment qu'il remporte la victoire! Marc amoureux, Marc atteint de langueur—quel carnaval! Et on clabaudera, on me trouvera grotesque. C'est entendu. Mais tout de même, je serais curieux de savoir qui se fût retenu à ma place... Que voulez-vous, cela touche plus que je ne croyais. Et pour admirable, Pauline l'était, je vous le garantis, avec ses yeux brûlants! Je ne peux en aucune façon lutter contre elle... Voilà des propos de collégien. Je rajeunis, hein, je m'effémine? C'est pitoyable! Je n'ai pourtant pas les moyens de perdre mon temps à ça...»
Paqueret demeurait bouche bée à écouter cette extraordinaire apostrophe, Marc ne l'ayant guère habitué jusqu'ici à de semblables accès de sensibilité. Il arrivait bien rarement en effet que ce garçon brutal parlât des femmes, qu'il tenait en affectueux mépris, et dont il usait avec une bonhomie cynique. Car ses mœurs étaient dissolues, mais régulières, et en dehors des périodes d'entraînement, il apportait dans ses plaisirs cette grossièreté sereine qui caractérise les gens raisonnables. Enfin:
«—Mon cher enfant, se résolut à répondre Paqueret, vous venez, je le confesse, de me surprendre vivement. Cependant, votre exaltation est au fond légitime, et je l'admets. Mais, encore une fois, qu'avez-vous répondu?
—Mon Dieu... vous ne supposez pas que j'ai envoyé promener cette jeune fille, bien sûr.
—Non. Pourtant, j'imagine que vous avez montré quelques scrupules, objecté sa dot énorme, votre propre dénûment, votre crainte de l'opinion?
—Si vous croyez que j'y ai songé!
—Mais vous aurez en tout cas déploré de n'avoir à lui offrir, au lieu d'un marquisat, qu'un nom roturier, un peu bizarrement connu, et même assez scandaleux?
—Pas davantage.
—Comment... Et Sylvie, au moins, en avez-vous discrètement traité? Avez-vous insinué que son consentement serait bien délicat à obtenir, bien difficile...
—Rien du tout.
—Sapristi, Marc, vous aviez donc tout à fait perdu l'esprit!
—Eh oui... Vous êtes étonnant. Vous vous figurez que l'on médite en de telles circonstances. Non pas! D'ailleurs, je n'osais vous le déclarer, mais l'entretien a fini de trop près pour que je pusse proférer un mot, voilà. Et, croyez-moi bien, si nous en vînmes à des baisers, ce n'est pas tellement de ma faute. Votre filleule veut ce qu'elle veut...»
Mais Amédée Paqueret n'était plus en humeur de suivre les développements de Marc. Sombre, et d'un ton qui ne souffrait point de réplique, l'inflexible vieillard décréta:
«—Mon petit, vous allez immédiatement boucler une valise, et vous sauver.
—Me sauver?... Et où? Et pourquoi?
—Où vous voudrez. Dans un beau pays, avec vos chevaux: par exemple, à Fontainebleau. Et défense de donner votre adresse à qui que ce soit. Vous vous cacherez dans la forêt. Quant à savoir pourquoi... Laissez-moi faire. Vous venez, malheureusement, de commettre une grosse faute. Toutefois, rien n'est perdu, si l'on agit avec décision. Rentrez donc chez vous, comme je vous le dis, prenez des chemises, des bottes, et disparaissez.
—Encore m'apprendrez-vous pour combien de temps?
—Huit ou neuf semaines, environ.»
Marc, à ce coup, devint soudain tout rouge, boutonna son veston, se leva, et répondit nettement: «Non. C'est trop long. Je ne peux pas.»
Paqueret en pensa suffoquer. Alors, quoi? Son produit se révoltait, maintenant, son produit refusait le travail, son produit discutait l'effort à donner? C'était à n'y plus rien comprendre, en vérité.
«—Vous ne devenez pas fou, Marc?
—Non, mais j'aime Pauline, entendez-vous cela, je l'aime. Je n'y peux rien.»
Bon! l'amour, à présent. Le malheureux éleveur, bouleversé, se prit le front dans les mains. Non qu'il se trouvât particulièrement hostile aux tendres sentiments; mais les a-t-on jamais vus intervenir dans les affaires sérieuses, si ce n'est au bon moment, au moment opportun et choisi? Animé de son esprit géométrique, l'inexorable Amédée ne pouvait supporter qu'il en dût être autrement entre Pauline et Marc.
D'ailleurs, l'inqualifiable tentative de celui-ci n'aurait aucune suite. Paqueret allait remettre, en quelques phrases exactes, l'athlète à la raison.
«—Mon petit, fit-il avec beaucoup de fermeté, réfléchissez, je vous prie. Vous montrez une impatience dont je ne vous blâme qu'à demi. Mais comptons, voulez-vous? Cela vaut toujours mieux que de se monter la tête. Depuis sept ou huit mois, vous vivez à mes frais. Je ne vous le reproche pas, puisque c'est une affaire que nous avons conclue. Je vous ai fourni votre équipage de chasse, vos chevaux, et prêté pas mal d'argent. Bien. Mais de votre côté, vous vous êtes engagé à faire un mariage opulent, après lequel vous me rembourseriez. Or, vous voici peut-être en posture d'y parvenir. Laissez-moi donc tout diriger à mon gré, puisqu'au bout du compte, et si nous avions la maladresse d'échouer, vous en seriez quitte, vous, pour des regrets, tandis que j'y perdrais, moi, une assez forte somme. Est-ce juste, mon raisonnement, oui ou non?
—Pas tant que cela.
—Et pourquoi?
—Parce que j'aime Pauline.
—Oh, quel entêtement et quelle incroyable puérilité! Mais puisqu'il s'agit de l'épouser! Puisque j'y tiens peut-être plus que vous, à ce mariage!
—Du reste... je n'ai jamais compris la raison qui vous poussait à construire ma fortune aux dépens de la vôtre, à vouloir mon bonheur avec une obstination curieuse, à...
—Assez, mon petit, c'est mon affaire, et non la vôtre, il me semble. Mettons que votre avenir m'intéresse à la folie, ou que je nourris une passion sénile pour votre bonheur, et n'en parlons plus. Votre rôle est-il si difficile, après tout, et si désagréable? Vous n'avez qu'à m'obéir aveuglément; quand je vous dis «Plaisez», qu'à plaire; quand je vous dis «Souriez», qu'à sourire; quand je vous dis... Bref, je vous tiens pour le plus heureux des prétendants. Comment! vous n'avez qu'à recueillir la dot et les baisers, quand je me charge de tout le reste, de toute la mise en scène... A vous la lune de miel, à moi les soucis. Comme légère épreuve, pendant que je travaillerai pour vous, une jolie petite villégiature incognito en pleine forêt, dans les feuilles, avec vos chevaux. Comme unique obligation, ne plus donner signe de vie. Ah, mais si cette aventure vous déplaît, en vérité, mon cher, que vous faut-il? Monsieur votre père, ou l'usurier du coin, peuvent-ils vous offrir mieux? Allons, allons, asseyez-vous là, et écrivez les deux lettres que, pour vous éviter jusqu'à un soupçon de peine, je vais vous dicter.»
La première était adressée à Pauline, et contenait des: «J'ai bien réfléchi... L'immense disproportion qu'il y a entre votre fortune et ma pauvreté... Je ne veux point passer pour un chevalier d'industrie. Quelle que soit ma sincérité, je n'échapperai pas à cette accusation, je le sais. Le mieux est donc, hélas! de disparaître...»
La seconde devait toucher Sylvie, et l'informer de mille scrupules indéfinis: «On ne se sentait plus la conscience très pure, on était gêné. Une occasion de s'interroger minutieusement était survenue depuis l'autre jour: et à l'examen, bien des tares étaient apparues, bien des problèmes... On était inquiet, on souffrait. On allait s'imposer la douleur de disparaître quelque temps...»
On pouvait être bien sûr aussi, songeait Paqueret, qu'une femme occupée à méditer un traité avec Ambroise Drayfus et à interroger de nouveau l'opinion publique, n'allait point se casser la tête à déchiffrer mot pour mot le sens agaçant de cette épître. Aussitôt lu, aussitôt chiffonné, le prétentieux billet; à supposer même qu'il fût seulement lu jusqu'au bout.
A peine Marc eut-il quitté la pièce, non sans avoir juré le grand et solennel serment d'être parti avant le soir pour Fontainebleau, que l'actif directeur du Pneu saisit sa plume et rédigea un message pressant pour Ambroise Drayfus: «Vous pouvez envoyer dès maintenant, et sans crainte, un projet de traité à Sylvie Montreux. Le moment me paraît venu. En tous cas, engagez au plus tôt des pourparlers.»
Puis il ouvre son carnet de notes, sur lequel il inscrit: «Pauline. Aller la voir souvent, et insister sur le rôle délicat que Marc se voit contraint de jouer entre elle et sa belle-mère.»
Parcourant ensuite les feuillets déjà noircis, il y remarque le nom de Gaston Levaître, avec cette mention: «Fort capable d'avoir conclu des arrangements pour le mariage de sa nièce avec Caumais-Simier.» Bah! fait-il, j'en conclurai de meilleurs encore pour le compte de Marc: à deux mille francs près, nous aurons cet homme-là.
Arrivé enfin à une page qui portait en vedette le nom du jeune marquis: «Ah, ça, observe Amédée, c'est un peu plus grave.»
Et aussitôt, le voilà qui fouille parmi d'autres papiers, pour en extraire bientôt une adresse, la carte commerciale d'une agence de police officieuse, laquelle fournit des renseignements confidentiels et se charge d'enquêtes au sujet des disparus, dissipateurs, faillites, interdictions judiciaires et procès de toutes natures.
«—Monsieur, écrit-il, je désirerais être mis au courant, dans le plus grand détail, de la situation financière où se trouve actuellement le marquis François de Caumais-Simier. Je vous rappelle que ce jeune homme était perdu de dettes quand le château de Pontmorin, représentant tout son avoir, brûla presque entièrement cet hiver, par accident. Je compte sur tout le zèle de votre agence, etc.»
V
L'agence consultée répondit au bout d'une semaine que François de Caumais-Simier en était à toute extrémité. La compagnie d'assurances payait sans doute, mais la vieille marquise, inconsolable devant son château ruiné, s'était mis en tête de le rebâtir, sans que rien la pût détourner de ce projet funeste. Tout l'argent acquis allait donc passer là. Aussi les créanciers de François obtenaient-ils jugement sur jugement contre l'infortuné, qui s'engageait par détresse dans des procès désespérés. Ajoutons qu'il se voyait au même instant chassé du foyer familial par une mère irritée, dont il s'obstinait en dépit de tout à vouloir faire constater la folie et assurer l'interdiction.
Allons, François de Caumais-Simier en avait bien pour un an avant que de se tirer d'un tel désastre. Certes, l'ingénieux marquis était trop fin pour n'en pas venir à bout par quelque joli tour; mais on n'allait toujours pas le revoir de si tôt. On avait tout son temps. Parfait.
Amédée Paqueret s'en fut trouver Ambroise Drayfus: «Eh bien, où en êtes-vous avec Sylvie? Lui avez-vous écrit?
—Je lui ai parlé.
—Que dit-elle?
—Bah, je pense que tout s'arrangera. Mais elle est exigeante, votre amie.»
L'habile directeur se gardait d'avouer qu'il était rigoureusement décidé à ne point livrer une seule ligne de son écriture à Sylvie devant qu'il n'eût obtenu de celle-ci de sérieuses promesses et des garanties respectables: quoi d'étonnant du reste à ce qu'il s'entourât ainsi de précautions? Il risquait beaucoup dans cette entreprise: non que la baronne Levaître demandât une fortune pour reparaître en scène, au contraire; mais elle se montrait intraitable sur les frais de publicité: il fallait que des articles enthousiastes s'en fussent annoncer la bonne nouvelle jusque dans les journaux chiliens et sibériens, que des portraits parussent à la fois à Buenos-Ayres et à Pékin, dans la république d'Andorre et à Yvetot, que les cours étrangères fussent averties, que l'on fût assuré d'avoir au moins le soir de la première une avant-scène garnie d'ambassadeurs ou de ministres, tandis que Gabrielle Aurély se mourrait dans l'autre; qu'un dais fût tendu devant la porte et que l'on tâchât d'obtenir que les membres de l'Institut vinssent en costume. On jouerait enfin n'importe quoi, mais ce qu'il y aurait de plus cher à ce moment-là dans le commerce dramatique.
«—Oui, repartit Amédée, voilà des conditions un peu lourdes. Mais c'est une partie que vous engagez avec plus d'un atout dans vos cartes, convenez-en.»
Puis, ce furent d'opportunes visites dans l'hôtel de la rue Murillo. A tout propos, Paqueret venait s'y délasser, disait-il, mais en vérité éclaircir quelque doute en Sylvie, exalter quelque trouble en Pauline. Il prenait à part l'une et l'autre: un si vieil ami! un si bon parrain! on se laissait aller.
«—Vous bouleverserez l'Europe, disait-il à Sylvie, et nul n'osera s'en plaindre.
—Pas même Pauline?
—Elle sera fière de vous. Vous savez comme elle vous aime.»
Et à celle-ci: «Eh quoi, petite, toujours triste?
—Triste, non; malheureuse, oui. Je sens bien, allez, je comprends bien pourquoi il est parti. Il n'ose pas se mettre entre Sylvie et moi. C'est un lâche.
—Ne sois pas injuste, Pauline. C'est au contraire un loyal et honnête garçon. Il s'est éloigné sans doute pour tenter l'épreuve de son amour.
—Je n'ignore pas le lieu de sa retraite, d'ailleurs, vous le pensez bien. J'irai, si cela me chante.
—Non! Ce ne serait ni digne, ni joli. Qu'en sais-tu, d'ailleurs? Peut-être se sent-il encore un peu pris par Sylvie...»
Pâlissant sous l'offense, mais trop orgueilleuse pour s'en plaindre, Pauline se taisait. Quant à la baronne Levaître, c'est à peine si elle songeait une fois le jour à ce garçon, sans doute fort beau et bien agréable à la chasse ou dans un lit, mais dont à tout prendre elle n'eût su que faire dans une loge de théâtre, pendant des répétitions, un soir de première surtout. Où le mettre en effet, à quoi eût-il servi, qu'eût-il dit?
Les deux amies allèrent en Normandie tout en rêvant ainsi. Non loin de Trouville, Etienne Levaître avait jadis fait élever une villa au milieu d'un jardin d'où l'on découvrait la mer. Mais cette année-là, les reporters mondains furent contraints de ne citer qu'à peine dans leurs comptes-rendus la toute charmante baronne et sa jeune belle-fille, puisque celles-ci laissèrent passer la grande semaine sans guère paraître aux courses, ni ailleurs: bien plutôt les rencontrait-on assises au bord des flots mourants, vaguant par la campagne, habitant leur jardin, ou devisant chaque soir au logis, tout simplement.
Paqueret avait promis de passer une huitaine auprès d'elles. «Il faudra, espérait l'une, qu'il ait revu Ambroise Drayfus.—J'exigerai, décidait l'autre, qu'il rappelle Marc.»
Quant à ce dernier, il trottait sur les routes, à Fontainebleau, ramait ou nageait en Seine, explorait la forêt en tous sens, à pied, à bicyclette, à cheval. Un de ses camarades lui ayant par surcroît confié son écurie, il fatiguait deux ou trois montures par jour, envoyait des relais dans les plus lointains villages, se grisait de soleil, de poussière, de chemin parcouru, de fatigue.
On se le signalait en ville, on guettait ses départs et ses retours, on s'interrogeait. «Qu'est-ce qu'il est venu faire chez nous?—C'est un aliéné.—En tous cas, un ami du petit d'Oinèche, vous savez, ce godelureau qui achève ici son service militaire.—Celui qui reçoit tant de filles tous les dimanches?—Justement.»
En vérité, Marc, dévoré d'impatience et de regrets, vivait dans l'unique attente des lettres de Paris et de Normandie. Car il en recevait à la fois de Paqueret, qui le tenait au courant et lui disait: «Tout va bien, demeurez en repos, je vous préviendrai»; de Pauline qui le questionnait parfois avec ironie sur ses scrupules, et même de Sylvie qui de temps à autre l'invitait distraitement à dîner.
Ayant ordre de ne répondre que dans les termes les plus insignifiants, et au besoin pas du tout, il obéissait. Mais il déchirait durement tous ces papiers inutiles, et se sauvait en forêt. Ah! combien de fois, cet été-là, fuyant le ciel éclatant, fuyant aussi son inquiétude, son ennui, sa colère, ne gagna-t-il point les futaies profondes, immobiles et glauques, les hautes futaies pareilles à quelque aquarium silencieux! Et que de siestes il fit sous bois, aux heures chaudes, suivant de son regard ensommeillé les insectes qui jasent, marmottent ou murmurent, ceux qui vont cheminant, revêtus d'émail, ceux au contraire qui volent comme des perdus et ne se posent jamais, ceux encore qui flânent et s'en viennent, soutenus sur leurs ailes fines, vous conter les nouvelles de l'herbe ou de la fougère voisine.
Il écouta par désœuvrement les harangues et les conciliabules qui ne cessent jamais dans l'intolérable république des cigales, tout en perdant sa peine à observer que les feuilles palpitent toutes à la moindre brise, quand les plus rudes tempêtes n'arrivent pourtant pas à disperser tous ces paquets d'aiguilles dont les grands pins sont couronnés, non plus que cette neige qui s'est amoncelée sur les bouleaux.
N'eut-il point tout le temps d'errer parmi les chênes écailleux, les hêtres vénérables ou les charmes gras comme des moines, constatant à plaisir les horribles blessures des troncs, la maladie de peau des platanes, ou encore, et toujours, et partout la fuite exaspérante de ces petits rouquins d'écureuils? Il faisait ainsi des lieues et des lieues, puis rentrait: «Hector, criait-il à son domestique du plus loin qu'il le voyait, y a-t-il des lettres? Donne vite!»
Enfin, et le mois d'août s'achevant, Amédée Paqueret se trouva sur le point de quitter Trouville. Ses deux amies, qui l'avaient hébergé, devaient rentrer bientôt dans leur chère maison d'Hariale.
«—Comme tu voudras, ma petite fille, dit-il à Pauline, comme tu voudras! Je tenterai une démarche auprès de Marc, soit. Je lui conseillerai de quitter sa retraite, de revenir à Paris, de reparaître même en Hariale. Mais s'il retourne alors à Sylvie, qu'il reverra librement, tu ne pourras, tu ne devras rien faire. Il faudra, par délicatesse, que tu l'acceptes, que tu te soumettes...»
VI
Ah, pardieu, se soumettre!!
Pauline ne fut pas plus tôt rentrée à Hariale-sous-Bois qu'elle le fit savoir à Marc. Puisque Sylvie se rapprochait de Paris, c'était afin de reprendre son amant, n'est-ce pas? Les femmes sujettes aux idées fixes raisonnent de la sorte. Puis Pauline, qu'on s'en souvienne, ignorait encore les premiers débats engagés entre le directeur du Théâtre Vendôme et Sylvie. Donc, celle-ci n'était demeurée à ce point songeuse et inquiète pendant l'été que par dépit amoureux. Donc, elle se disposait à rappeler celui qui l'a fuie. Et l'on venait parler de souffrir cela, de passer en second, de se soumettre!
Voilà comment Marc, arrivé lui-même à Paris depuis la veille, apprit sans plus d'ambages qu'on l'attendait mardi matin, à dix heures, tout au bout du parc d'Hariale, au plus creux de cette charmille qui d'un côté débouchait dans un pré toujours désert, et de l'autre menait au bord d'un ruisseau secret, le long duquel personne jamais n'allait rompre les fourrés ni fouler l'herbe vierge.
Le mardi n'était point jour de visite publique au château d'Hariale. Mais Marc possédait une carte de Jacques Fouvier qui lui ouvrait à toute heure de la semaine la grille du parc. Ne pouvait-il d'ailleurs franchir la clôture sans être vu à cet endroit qu'il connaissait bien? Ne l'avait-il point déjà fait, de nuit?
On l'avisait par la même lettre que sans doute il n'oserait, que la crainte le retiendrait; qu'aussi bien, et puisqu'il était le valet de cœur de Sylvie, on ne serait pas plus surprise que de raison s'il ne venait pas au rendez-vous; que c'était affaire à lui; qu'on ne lui écrivait que par scrupule, et presque par acquit de conscience...
Marc accourut à l'heure dite, le cœur battant et l'esprit plein de haine contre cette impudente Pauline: c'est-à-dire enfin qu'il eût tout bravé pour la joie de pouvoir la fesser ou la battre, et que, dès qu'il la vit s'avancer, élégante et hardie, au bout de la charmille, il s'élança vers elle en pleurant presque et la serra dans ses bras!
Devons-nous croire qu'une émotion si grande, eut à la fin raison de la jeune fille? Peut-être l'ignorance aussi la rendit-elle étrangement résolue, peut-être encore le sable doux ou la mousse sur quoi l'on était trop tenté de se laisser aller à rêver dans cette allée silencieuse, peut-être même quelque rayon du soleil d'automne qui rôdait par là, et qui, vous le savez, caresse comme un amant, un autre amant... Pauline souffrit un entretien bien familier.
Il me faut ici dire un mot de la pudeur, une vertu en somme, pour si suspecte qu'on la tienne. Mais nommez-la seulement «du goût», et voilà qu'aussitôt chacun en réclame, et que chacune s'en flatte, et qu'en vérité nous en avons tous montré, en certains cas, par élégance, par douceur. Mais si j'y songe mieux, est-ce bien tout à fait ainsi, dans ce sens-là, que nous fîmes état de notre modestie? Voyez par exemple Pauline: fut-ce par un sentiment de réserve, ou de crainte, ou de combinaison, ou pour dérober à Marc l'éclat de ses yeux, ou pour ne point assister au triomphe de celui-ci, ou afin que la nuit favorisât au contraire un trouble plus tendre, qu'elle arrêta son ami sur le bord du péché, et qu'elle lui dit entre deux baisers plus savoureux: «Ce soir, ce soir... Traverse le canal et viens, je t'attendrai—si tu n'as pas peur...»
VII
Une date passa enfin... Il m'est bien difficile de préciser quelle date. Que le lecteur me comprenne. Qu'il sache que depuis près de trois semaines, Marc s'était introduit plus d'une fois dans le jardin d'Hariale, qu'il avait passé nuitamment le canal, qu'il était monté dans la chambre de Pauline, que celle-ci l'y avait accueilli sans remords, sans chagrin, sans niaiserie, au contraire... Puis, qu'elle avait éprouvé une joie sauvage, au lendemain de ces rendez-vous mystérieux, à retrouver Sylvie toute belle, toute blonde, toute royale, et à l'interroger longuement, suavement, en épiant son cher regard langoureux: «Il y a déjà quelque temps, il me semble, que nous n'avons vu Marc Thierry... Comment va-t-il?... Ne doit-il pas venir te rendre visite aujourd'hui?...»
La baronne n'en savait rien, et s'en souciait à peine: mais Pauline jouissait d'une secrète et délicieuse satisfaction. Et le soir, elle en goûtait mieux la présence ignorée de son ami, de son amant, soyons exact.
Bref, une date arriva qui amena décidément la jeune fille un beau matin à s'habiller, à se parer avec quelque cérémonie, à s'en aller trouver Sylvie et à lui dire:
«—J'ai à te parler. Peux-tu m'entendre maintenant?»
Surprise, la baronne Levaître repoussa dans son secrétaire un mémoire qu'elle étudiait, et qui n'était autre que le fameux projet de traité enfin communiqué par Ambroise Drayfus. Elle avait passé trois heures hier avec un homme de loi, disputé du pour et du contre, examiné les chances de procès, les cas de fraude, les hypothèses de mauvaise foi; elle avait eu ensuite une suprême entrevue avec son futur directeur, obtenu plusieurs amendements, écarté certaines embûches, gagné un ou deux points, et maintenant elle relisait une dernière fois le document définitif, avant que d'y signer au bas, irrévocablement.
Jugez de son émoi, de sa fièvre, de son exaltation non commune à tenir ce papier qui devait, après le trait de plume qu'elle y allait tracer, changer toute sa vie, et la reporter en pleine ivresse, en pleine passion... Mais que voulait à présent Pauline, avec ce visage presque solennel? Quelle importunité, quel ennui!
«—Eh bien, ma chérie, qu'y a-t-il? Tu m'as fait peur. Rien de fâcheux, j'espère?
—Mais non. A mon gré, du moins. Les autres estimeront selon leur manière, mais je m'inquiète peu des autres, et c'est toi-même qui m'as appris à penser ainsi. D'ailleurs, tu m'aideras à les faire taire, les autres, n'est-ce pas?
—Voyons, Pauline, explique-toi sans préambule. Puisque tu es heureuse de ce qui se passe, tu ne peux douter, je suppose, que je ne m'en réjouisse aussi, que je ne t'approuve, et que je ne t'embrasse de bien bon cœur quand je saurai...
—Marc Thierry et moi, nous nous aimons.»
Sylvie pâlit, et retint mal un mouvement. Mais le coup était rude, en vérité, trop rude. Voilà donc la plus habile offense, le plus ingénieux échec, la plus rare, la plus imprévue des avanies, et de qui cela venait-il? De cette Pauline si choyée, de Pauline! Ainsi, tant de mensonge, tant de volonté, tant de force sous ce front étroit, derrière ces yeux jaunes, et dans ce corps cambré, et malgré le silence de ces lèvres arquées, de ces lèvres perfides!
Cependant la jeune fille, soutenue par un effort admirable d'énergie, continuait hardiment:
«—Oui, nous nous aimons. Et... je vais l'épouser. Si toutefois... puisque tu es... ma tutrice... (Ah, que chacun de ces mots lui déchirait la gorge!) tu veux bien y consentir.»
Non, non! Sylvie se jurait tout bas d'anéantir cette basse intrigue. Et déjà ses sourcils s'étaient joints, elle allait répondre, quand Pauline ajouta d'une voix cristalline:
«—Je dois t'apprendre que je suis enceinte.»
Un horrible silence tomba. Les deux femmes se considéraient, comme prêtes pour un combat mortel. L'une tenait en réserve mille arguments sournois et féroces, l'autre se préparait à faire valoir pour la première fois son autorité de tutrice, et tout d'abord à chasser ignominieusement ce Marc, l'esclave infidèle, traître, fourbe, et pis encore...
«—Et quant à toi, Pauline, dit-elle, je ne voudrai jamais comprendre ce qui t'a poussée à te cacher de moi, tu m'entends. Tu t'es conduite comme une ingrate, comme une ennemie. Pourquoi? Je t'aime tant!
—Tu crois donc que je ne t'aime pas, moi?
—Certes! et que même tu me hais... Car tu m'as menti avec une perfection méchante et cruelle. On ne ment pas ainsi sans un motif bien profond, bien grave. Il fallait que tu eusses celui-là!... Et, si j'y songe, elles ne sont pas très nobles, les raisons d'une telle haine. T'imagines-tu que je t'aie frustrée de l'affection que n'a cependant jamais cessé une minute de te porter ton père? Et n'ai-je pas moi-même tout fait pour y aider, pour y suppléer même, quand il le fallut? M'accuserais-tu par hasard de t'avoir pris ton argent? Ta dot est intacte, tu peux t'en rendre compte.
—Oh, Sylvie, laissons cela.
—Allons, donc! il faut tout dire, au contraire.
—Je ne peux pas. A peine si je me l'explique...
—Que me reproches-tu? Parle donc! Je te croyais plus forte.
—Je ne te reproche rien précisément... Mais je voulais vivre à mon tour, et qu'on me trouvât belle, et qu'on m'aimât aussi! Je suis jeune et une année passe vite. J'ai craint de vieillir dans l'ombre...»
Peuh! Pauline balbutiait maintenant, et son regard tout à l'heure indomptable, sombrait par instants dans la détresse. C'était bien vrai pourtant qu'elle fût morte du bonheur de Sylvie! Mais elle venait aussi, sans y penser, de frapper celle-ci comme il convenait, avec une adresse involontaire peut-être, mais exquise et directe. La jeunesse! Sylvie, qu'on s'en souvienne, avait trente-sept ans. Encore un peu, ses cheveux blanchiraient, les rides viendraient, et ce serait elle qui s'éteindrait dans l'ombre, bien avant Pauline...
Dans l'ombre! Qui a dit cela? Sylvie, la triomphatrice et l'omnipotente Sylvie, subir le sort commun, déchoir, s'effacer, pâlir—quand le théâtre l'attendait, le théâtre qui élève, qui sauve, qui divinise, la gloire qui transfigure, l'amour de tout un peuple qui recrée la beauté, qui ne juge plus, qui ne compte pas!
Sylvie Montreux prit son porte-plume, tira le traité de Paqueret, l'ouvrit devant Pauline, sans lui en montrer ni la teneur, ni le titre, et vivement, nettement, le signa.
Puis elle le repoussa tout au fond du secrétaire. Voilà donc, une bonne fois, cette grandiose résolution prise, cette surhumaine affaire conclue! Sylvie Montreux reparaissait au théâtre. Les circonstances s'y prêtaient même à merveille: le secret de l'engagement étant maintenu, on faisait épouser Pauline au plus vite par l'athlète—qu'on lui cédait si volontiers!—et aussitôt après les noces, madame la baronne Levaître, libre enfin, quittait le monde et rentrait en scène. On insistait dans les journaux sur la vertueuse rigueur avec laquelle notre géniale artiste avait su accomplir jusqu'au bout son devoir de mère, menant sa fille adoptive au pied des autels avant que de reprendre sa vie publique... Note familiale, discrète et douce, note qui porterait juste, et loin.
Allons! il n'y avait plus qu'à se remettre au travail, qu'à faire renaître, plus tendre et plus nuancé que jamais, tout l'adorable talent, tout le charme de naguère. Il fallait dès demain reprendre à part soi quelque rôle ardu et savant, s'essayer de nouveau, tenter une épreuve.
Et pourquoi demain? Non, tout de suite. Sylvie ne trouvait-elle point justement ici même une situation délicate et dangereuse à souhait: celle de la mère qui se sacrifie, sans mot dire, et abandonne son amant?... Quelle aubaine!
L'extraordinaire comédienne s'y montra telle qu'en ses plus beaux jours, et traita ce rôle avec une maîtrise incroyable. Désespoir contenu, mystérieuse torture, héroïsme sobre et simple, bonté irrésistible, grâce unique, elle indiqua tout cela, elle raffina sur tout cela. Elle eut des: «Car, vois-tu, ma pauvre enfant, c'est encore nous, les mères, les aînées, qui souffrons le plus douloureusement des injustices... Nous vieillissons.» Et des: «Va, va, sois heureuse, ne regarde pas qui tu blesses!» Elle se jugea sublime, et s'applaudit tout bas. Que si l'on venait après cela lui parler de Gabrielle Aurély—fi donc! Les Parisiens allaient revoir leur Sylvie plus surprenante qu'ils ne l'avaient perdue, grâce au ciel!
Pauline d'autre part se disait avec orgueil: «C'est moi qui l'emporte: elle se retire, elle cède.» Puis, tout à coup, voici qu'elle se prit à pleurer sur l'épaule de son amie détestée. Elle lui pardonna éperdument. Elle souffrit le martyre.
On fixa l'époque du mariage, qui se ferait en hâte, avant un mois. On se sépara, et Sylvie courut sur-le-champ à Paris porter elle-même au Théâtre Vendôme le traité signé, en n'exigeant d'Ambroise Drayfus qu'un tout petit article additionnel: le directeur devrait en effet s'engager par écrit à observer rigoureusement le même secret absolu que par le passé, au moins jusqu'après le mariage proche de mademoiselle Pauline Levaître avec monsieur Marc Thierry. C'était là peu de chose. Il n'y eut aucune difficulté.