De la Démocratie en Amérique, tome deuxième
Ce qui facilite encore merveilleusement ce développement rapide de la race anglaise dans le Nouveau-Monde, c'est la position géographique qu'elle y occupe.
Lorsqu'on s'élève vers le Nord au-dessus de ses frontières septentrionales, on rencontre les glaces polaires, et lorsqu'on descend de quelques degrés au-dessous de ses limites méridionales, on entre au milieu des feux de l'équateur. Les Anglais d'Amérique sont donc placés dans la zone la plus tempérée et la portion la plus habitable du continent.
On se figure que le mouvement prodigieux qui se fait remarquer dans l'accroissement de la population aux États-Unis ne date que de l'indépendance: c'est une erreur. La population croissait aussi vite sous le système colonial que de nos jours; elle doublait de même à peu près en vingt-deux ans. Mais on opérait alors sur des milliers d'habitants; on opère maintenant sur des millions. Le même fait qui passait inaperçu il y a un siècle, frappe aujourd'hui tous les esprits.
Les Anglais du Canada, qui obéissent à un roi, augmentent de nombre et s'étendent presque aussi vite que les Anglais des États-Unis, qui vivent sous un gouvernement républicain.
Pendant les huit années qu'a duré la guerre de l'indépendance, la population n'a cessé de s'accroître suivant le rapport précédemment indiqué.
Quoiqu'il existât alors, sur les frontières de l'Ouest, de grandes nations indiennes liguées avec les Anglais, le mouvement de l'émigration vers l'Occident ne s'est pour ainsi dire jamais ralenti. Pendant que l'ennemi ravageait les côtes de l'Atlantique, le Kentucky, les districts occidentaux de la Pensylvanie, l'État de Vermont et celui du Maine se remplissaient d'habitants. Le désordre qui suivit la guerre n'empêcha point non plus la population de croître et n'arrêta pas sa marche progressive dans le désert. Ainsi, la différence des lois, l'état de paix ou l'état de guerre, l'ordre ou l'anarchie, n'ont influé que d'une manière insensible sur le développement successif des Anglo-Américains.
Ceci se comprend sans peine: il n'existe pas de causes assez générales pour se faire sentir à la fois sur tous les points d'un si immense territoire. Ainsi il y a toujours une grande portion de pays où l'on est assuré de trouver un abri contre les calamités qui frappent l'autre, et quelque grands que soient les maux, le remède offert est toujours plus grand encore.
Il ne faut donc pas croire qu'il soit possible d'arrêter l'essor de la race anglaise du Nouveau-Monde. Le démembrement de l'Union, en amenant la guerre sur le continent, l'abolition de la république, en y introduisant la tyrannie, peuvent retarder ses développements, mais non l'empêcher d'atteindre le complément nécessaire de sa destinée. Il n'y a pas de pouvoir sur la terre qui puisse fermer devant les pas des émigrants ces fertiles déserts ouverts de toutes parts à l'industrie et qui présentent un asile à toutes les misères. Les événements futurs, quels qu'ils soient, n'enlèveront aux Américains, ni leur climat, ni leurs mers intérieures, ni leurs grands fleuves, ni la fertilité de leur sol. Les mauvaises lois, les révolutions et l'anarchie, ne sauraient détruire parmi eux le goût du bien-être et l'esprit d'entreprise qui semble le caractère distinctif de leur race, ni éteindre tout-à-fait les lumières qui les éclairent.
Ainsi, au milieu de l'incertitude de l'avenir, il y a du moins un événement qui est certain. À une époque que nous pouvons dire prochaine, puisqu'il s'agit ici de la vie des peuples, les Anglo-Américains couvriront seuls tout l'immense espace compris entre les glaces polaires et les tropiques; ils se répandront des grèves de l'océan Atlantique jusqu'aux rivages de la mer du Sud.
Je pense que le territoire sur lequel la race anglo-américaine doit un jour s'étendre égale les trois quarts de l'Europe[143]. Le climat de l'Union est, à tout prendre, préférable à celui de l'Europe; ses avantages naturels sont aussi grands; il est évident que sa population ne saurait manquer d'être un jour proportionnelle à la nôtre.
L'Europe, divisée entre tant de peuples divers; l'Europe, à travers les guerres sans cesse renaissantes et la barbarie du moyen-âge, est parvenue à avoir quatre cent dix habitants[144] par lieue carrée. Quelle cause si puissante pourrait empêcher les États-Unis d'en avoir autant un jour?
Il se passera bien des siècles avant que les divers rejetons de la race anglaise d'Amérique cessent de présenter une physionomie commune. On ne peut prévoir l'époque où l'homme pourra établir dans le Nouveau-Monde l'inégalité permanente des conditions.
Quelles que soient donc les différences que la paix ou la guerre, la liberté ou la tyrannie, la prospérité ou la misère, mettent un jour dans la destinée des divers rejetons de la grande famille anglo-américaine, ils conserveront tous du moins un état social analogue, et auront de commun les usages et les idées qui découlent de l'état social.
Le seul lien de la religion a suffi au moyen-âge pour réunir dans une même civilisation les races diverses qui peuplèrent l'Europe. Les Anglais du Nouveau-Monde ont entre eux mille autres liens, et ils vivent dans un siècle où tout cherche à s'égaliser parmi les hommes.
Le moyen-âge était une époque de fractionnement. Chaque peuple, chaque province, chaque cité, chaque famille, tendaient alors fortement à s'individualiser. De nos jours, un mouvement contraire se fait sentir, les peuples semblent marcher vers l'unité. Des liens intellectuels unissent entre elles les parties les plus éloignées de la terre, et les hommes ne sauraient rester un seul jour étrangers les uns aux autres, ou ignorants de ce qui se passe dans un coin quelconque de l'univers: aussi remarque-t-on aujourd'hui moins de différence entre les Européens et leurs descendants du Nouveau-Monde, malgré l'Océan qui les divise, qu'entre certaines villes du treizième siècle qui n'étaient séparées que par une rivière.
Si ce mouvement d'assimilation rapproche des peuples étrangers, il s'oppose à plus forte raison à ce que les rejetons du même peuple deviennent étrangers les uns aux autres.
Il arrivera donc un temps où l'on pourra voir dans l'Amérique du Nord cent cinquante millions d'hommes[145] égaux entre eux, qui tous appartiendront à la même famille, qui auront le même point de départ, la même civilisation, la même langue, la même religion, les mêmes habitudes, les mêmes mœurs, et à travers lesquels la pensée circulera sous la même forme et se peindra des mêmes couleurs. Tout le reste est douteux, mais ceci est certain. Or, voici un fait entièrement nouveau dans le monde, et dont l'imagination elle-même ne saurait saisir la portée.
Il y a aujourd'hui sur la terre deux grands peuples qui, partis de points différents, semblent s'avancer vers le même but: ce sont les Russes et les Anglo-Américains.
Tous deux ont grandi dans l'obscurité; et tandis que les regards des hommes étaient occupés ailleurs, ils se sont placés tout-à-coup au premier rang des nations, et le monde a appris presque en même temps leur naissance et leur grandeur.
Tous les autres peuples paraissent avoir atteint à peu près les limites qu'a tracées la nature, et n'avoir plus qu'à conserver; mais eux sont en croissance[146]: tous les autres sont arrêtés ou n'avancent qu'avec mille efforts; eux seuls marchent d'un pas aisé et rapide dans une carrière dont l'œil ne saurait encore apercevoir la borne.
L'Américain lutte contre les obstacles que lui oppose la nature; le Russe est aux prises avec les hommes. L'un combat le désert et la barbarie; l'autre la civilisation revêtue de toutes ses armes: aussi les conquêtes de l'Américain se font-elles avec le soc du laboureur, celles du Russe avec l'épée du soldat.
Pour atteindre son but, le premier s'en repose sur l'intérêt personnel, et laisse agir, sans les diriger, la force et la raison des individus.
Le second concentre en quelque sorte dans un homme toute la puissance de la société.
L'un a pour principal moyen d'action la liberté; l'autre, la servitude.
Leur point de départ est différent, leurs voies sont diverses; néanmoins, chacun d'eux semble appelé par un dessein secret de la Providence à tenir un jour dans ses mains les destinées de la moitié du monde.
C'est en avril 1704 que parut le premier journal américain. Il fut publié à Boston. Voyez Collection de la société historique de Massachusetts, vol. 6, p. 66.
On aurait tort de croire que la presse périodique ait toujours été entièrement libre en Amérique; on a tenté d'y établir quelque chose d'analogue à la censure préalable et au cautionnement.
Voici ce qu'on trouve dans les documents législatifs du Massachusetts, à la date du 14 janvier 1722.
Le comité nommé par l'assemblée générale (le corps législatif de la province) pour examiner l'affaire relative au journal intitulé: New England courant, «pense que la tendance dudit journal est de tourner la religion en dérision et de la faire tomber dans le mépris; que les saints auteurs y sont traités d'une manière profane et irrévérencieuse; que la conduite des ministres de l'Évangile y est interprétée avec malice; que le gouvernement de Sa Majesté y est insulté, et que la paix et la tranquillité de cette province sont troublées par ledit journal; en conséquence, le comité est d'avis qu'on défende à James Francklin, l'imprimeur et l'éditeur, de ne plus imprimer et publier à l'avenir ledit journal ou tout autre écrit, avant de les avoir soumis au secrétaire de la province. Les juges de paix du canton de Suffolk seront chargés d'obtenir du sieur Francklin un cautionnement qui répondra de sa bonne conduite pendant l'année qui va s'écouler.»
La proposition du comité fut acceptée et devint loi, mais l'effet en fut nul. Le journal éluda la défense en mettant le nom de Benjamin Francklin au lieu de James Francklin au bas de ses colonnes, et l'opinion acheva de faire justice de la mesure.
Pour être électeurs des comtés (ceux qui représentent la propriété territoriale) avant le bill de la réforme passé en 1832, il fallait avoir en toute propriété ou en bail à vie un fonds de terre rapportant net 40 shellings de revenu. Cette loi fut faite sous Henri VI, vers 1450. Il a été calculé que 40 shillings du temps de Henri VI pouvaient équivaloir à 30 liv. sterling de nos jours. Cependant on a laissé subsister jusqu'en 1832 cette base adoptée dans le XVe siècle, ce qui prouve combien la constitution anglaise devenait démocratique avec le temps, même en paraissant immobile. Voyez Delolme, liv. I, chap. IV; voyez aussi Blakstone, liv. I, chap. IV.
Les jurés anglais sont choisis par le shériff du comté (Delolme, tom. I, chap. XII). Le shériff est en général un homme considérable du comté; il remplit les fonctions judiciaires et administratives; il représente le roi, et est nommé par lui tous les ans (Blakstone, liv. I, chap IX). Sa position le place au-dessus du soupçon de corruption de la part des partis; d'ailleurs, si son impartialité est mise en doute, on peut récuser en masse le jury qu'il a nommé, et alors un autre officier est chargé de choisir de nouveaux jurés. Voyez Blakstone, liv. III, chap. XXIII.
Pour avoir le droit d'être juré, il faut être possesseur d'un fonds de terre de la valeur de 10 shellings au moins de revenu (Blakstone, liv. III, chap. XXIII). On remarquera que cette condition fut imposée sous le règne de Guillaume et Marie, c'est-à-dire vers 1700, époque où le prix de l'argent était infiniment plus élevé que de nos jours. On voit que les Anglais ont fondé leur système de jury, non sur la capacité, mais sur la propriété foncière, comme toutes leurs autres institutions politiques.
On a fini par admettre les fermiers au jury, mais on a exigé que leurs baux fussent très longs, et qu'ils se fissent un revenu net de 20 shellings, indépendamment de la rente. Blakstone, idem.
(C) PAGE 173.
La constitution fédérale a introduit le jury dans les tribunaux de l'Union de la même manière que les États l'avaient introduit eux-mêmes dans leurs cours particulières; de plus, elle n'a pas établi de règles qui lui soient propres pour le choix des jurés. Les cours fédérales puisent dans la liste ordinaire des jurés que chaque État a dressée pour son usage. Ce sont donc les lois des États qu'il faut examiner pour connaître la théorie de la composition du jury en Amérique. Voyez Story's commentaries on the constitution, liv. III, chap. XXXVIII, p. 654-659. Sergeant's constitutionnal law, p. 165. Voyez aussi les lois fédérales de 1789, 1800 et 1802 sur la matière.
Pour faire bien connaître les principes des Américains dans ce qui regarde la composition du jury, j'ai puisé dans les lois d'États éloignés les uns des autres. Voici les idées générales qu'on peut retirer de cet examen.
En Amérique, tous les citoyens qui sont électeurs ont le droit d'être jurés. Le grand État de New-York a cependant établi une légère différence entre les deux capacités; mais c'est dans un sens contraire à nos lois, c'est-à-dire qu'il y a moins de jurés dans l'État de New-York que d'électeurs. En général, on peut dire qu'aux États-Unis le droit de faire partie d'un jury, comme le droit d'élire des députés, s'étend à tout le monde; mais l'exercice de ce droit n'est pas indistinctement remis entre toutes les mains.
Chaque année un corps de magistrats municipaux ou cantonaux, appelé select-men dans la Nouvelle-Angleterre, supervisors dans l'État de New-York, trustees dans l'Ohio, sheriffs de la paroisse dans la Louisiane, font choix pour chaque canton d'un certain nombre de citoyens ayant le droit d'être jurés, et auxquels ils supposent la capacité de l'être. Ces magistrats étant eux-mêmes électifs, n'excitent point de défiance; leurs pouvoirs sont très étendus et fort arbitraires, comme ceux en général des magistrats républicains, et ils en usent souvent, dit-on, surtout dans la Nouvelle-Angleterre, pour écarter les jurés indignes ou incapables.
Les noms des jurés ainsi choisis sont transmis à la cour du comté, et sur la totalité de ces noms on tire au sort le jury qui doit prononcer dans chaque affaire.
Du reste, les Américains ont cherché par tous les moyens possibles à mettre le jury à la portée du peuple, et à le rendre aussi peu à charge que possible. Les jurés étant très nombreux, le tour de chacun ne revient guère que tous les trois ans. Les sessions se tiennent au chef-lieu de chaque comté, le comté répond à peu près à notre arrondissement. Ainsi, le tribunal vient se placer près du jury, au lieu d'attirer le jury près de lui, comme en France; enfin les jurés sont indemnisés, soit par l'État, soit par les parties. Ils reçoivent en général un dollar (5 fr. 42 c.) par jour, indépendamment des frais de voyage. En Amérique, le jury est encore regardé comme une charge; mais c'est une charge facile à porter, et à laquelle on se soumet sans peine.
Voyez Brevard's Digest of the public statute law of South Carolina, 2e vol., p. 338; id., vol. I, p. 454 et 456; id., vol. 2, p. 218.
Voyez The general laws of Massachusetts revised and published by authority of the legislature, vol. 2, p. 331, 187.
Voyez The revised statutes of the state of New-York, vol. 2, p. 720, 411, 717, 643.
Voyez The statute law of the state of Tennessee, vol. 1, p. 209.
Voyez Acts of the state of Ohio, p. 95 et 210.
Voyez Digeste général des actes de la législature de la Louisiane, vol. 2, p. 55.
(D) PAGE 178.
Lorsqu'on examine de près la constitution du jury civil parmi les Anglais, on découvre aisément que les jurés n'échappent jamais au contrôle du juge.
Il est vrai que le verdict du jury, au civil comme au criminel, comprend en général, dans une simple énonciation, le fait et le droit. Exemple: Une maison est réclamée par Pierre comme l'ayant achetée; voici le fait. Son adversaire lui oppose l'incapacité du vendeur; voici le droit. Le jury se borne à dire que la maison sera remise entre les mains de Pierre; il décide ainsi le fait et le droit. En introduisant le jury en matière civile, les Anglais n'ont pas conservé à l'opinion des jurés l'infaillibilité qu'ils lui accordent en matière criminelle quand le verdict est favorable.
Si le juge pense que le verdict a fait une fausse application de la loi, il peut refuser de le recevoir, et renvoyer les jurés délibérer.
Si le juge laisse passer le verdict sans observation, le procès n'est pas encore entièrement vidé: il y a plusieurs voies de recours ouvertes contre l'arrêt. Le principal consiste à demander à la justice que le verdict soit annulé, et qu'un nouveau jury soit assemblé. Il est vrai de dire qu'une pareille demande est rarement accordée, et ne l'est jamais plus de deux fois; néanmoins j'ai vu le cas arriver sous mes yeux. Voyez Blakstone, liv. III, chap. XXIV; id., liv. III, chap. XXV.[Retour à la Table des Matières]
TABLE DES MATIÈRES
CONTENUES DANS LE DEUXIÈME VOLUME.
- Chap. Ier.—Comment on peut dire rigoureusement qu'aux États-Unis c'est le peuple qui gouverne 1
- Chap. II.—Des partis aux États-Unis 3
- Des restes du parti aristocratique aux États-Unis 11
- Chap. III.—De la liberté de la presse aux États-Unis 14
- Chap. IV.—De l'association politique aux États-Unis 29
- Chap. V.—Du gouvernement de la démocratie en Amérique. 42
- Du vote universel 43
- Des choix du peuple et des instincts de la démocratie américaine dans ses choix Ib.
- Des causes qui peuvent corriger en partie ces instincts de la démocratie 47
- Influence qu'a exercée la démocratie américaine sur les lois électorales 50
- Des fonctionnaires publics sous l'empire de la démocratie américaine 54
- De l'arbitraire des magistrats sous l'empire de la démocratie américaine 58
- Instabilité administrative aux États-Unis 61
- Des charges publiques sous l'empire de la démocratie américaine 64
- Des instincts de la démocratie américaine dans la fixation du traitement des fonctionnaires 70
- Difficulté de discerner les causes qui portent le gouvernement américain à l'économie 74
- Peut-on comparer les dépenses publiques des États-Unis à celles de France? 75
- De la corruption et des vices des gouvernants dans la démocratie; des effets qui en résultent sur la moralité publique 83
- De quels efforts la démocratie est capable 86
- Du pouvoir qu'exerce en général la démocratie américaine sur elle-même 91
- De la manière dont la démocratie américaine conduit les affaires extérieures de l'État 94
- Chap. VI.—Quels sont les avantages réels que la société américaine retire du gouvernement de la démocratie 102
- De la tendance générale des lois sous l'empire de la démocratie américaine, et des instincts de ceux qui les appliquent Ib.
- De l'esprit public aux États-Unis 109
- De l'idée des droits aux États-Unis 113
- Du respect pour la loi aux États-Unis 118
- Activité qui règne dans toutes les parties du corps politique aux États-Unis; influence qu'elle exerce sur la société 120
- Chap. VII.—De l'omnipotence de la majorité aux États-Unis et de ses effets 128
- Comment l'omnipotence de la majorité augmente, en Amérique, l'instabilité législative et administrative qui est naturelle aux démocraties 132
- Tyrannie de la majorité 135
- Effets de l'omnipotence de la majorité sur l'arbitraire des fonctionnaires publics américains 140
- Du pouvoir qu'exerce la majorité en Amérique sur la pensée 141
- Effets de la tyrannie de la majorité sur le caractère national des Américains; de l'esprit de cour aux États-Unis 146
- Que le plus grand danger des républiques américaines vient de l'omnipotence de la majorité 151
- Chap. VIII.—De ce qui tempère, aux États-Unis, la tyrannie de la majorité.—Absence de centralisation administrative 154
- De l'esprit légiste aux États-Unis, et comment il sert de contre-poids à la démocratie 156
- Du jury aux États-Unis considéré comme institution politique 169
- Chap. IX.—Des causes principales qui tendent à maintenir la république démocratique aux États-Unis 180
- Des causes accidentelles ou providentielles qui contribuent au maintien de la république démocratique aux États-Unis 181
- De l'influence des lois sur le maintien de la république démocratique aux États-Unis 197
- De l'influence des mœurs sur le maintien de la république démocratique aux États-Unis 198
- De la religion considérée comme institution politique, et comment elle sert puissamment au maintien de la république démocratique chez les Américains 199
- Influence indirecte qu'exercent les croyances religieuses sur la société politique aux États-Unis 204
- Des principales causes qui rendent la religion puissante en Amérique 211
- Comment les lumières, les habitudes et l'expérience pratique des Américains contribuent au succès des institutions démocratiques 223
- Que les lois servent plus au maintien de la république démocratique, aux États-Unis, que les causes physiques, et les mœurs plus que les lois 230
- Les lois et les mœurs suffiraient-elles pour maintenir les institutions démocratiques autre part qu'en Amérique? 236
- Importance de ce qui précède par rapport à l'Europe 241
- Chap. X.—Quelques considérations sur l'état actuel et l'avenir probable des trois races qui habitent le territoire des États-Unis 249
- État actuel et avenir probable des tribus indiennes qui habitent le territoire possédé par l'Union 258
- Position qu'occupe la race noire aux États-Unis; dangers que sa présence fait courir aux blancs 289
- Quelles sont les chances de durée de l'Union américaine.—Quels dangers la menacent 330
- Des institutions républicaines aux États-Unis; quelles sont leurs chances de durée 384
- Quelques considérations sur les causes de la grandeur commerciale des États-Unis 393
FIN DE LA TABLE DU DEUXIÈME ET DERNIER VOLUME.
Note 1: Ils n'écrivent dans les journaux que dans les cas rares où ils veulent s'adresser au peuple et parler en leur propre nom: lorsque, par exemple, on a répandu sur leur compte des imputations calomnieuses, et qu'ils désirent rétablir la vérité de faits.[Retour au texte principal]
Note 2: Encore je ne sais si cette conviction réfléchie et maîtresse d'elle élève jamais l'homme au degré d'ardeur et de dévouement qu'inspirent les croyances dogmatiques.[Retour au texte principal]
Note 3: Lettre à Madisson, du 20 décembre 1787, traduction de M. Conseil.[Retour au texte principal]
Note 4: J'entends ici le mot magistrats dans son acception la plus étendue: je l'applique à tous ceux qui sont chargés de faire exécuter les lois.[Retour au texte principal]
Note 5: Voyez loi du 27 février 1813. Collection générale des lois du Massachusetts, vol. 2, p. 331. On doit dire qu'ensuite les jurés sont tirés au sort sur les listes.[Retour au texte principal]
Note 6: Loi du 28 février 1787. Voyez Collection générale des lois du Massachusetts, vol. 1, p. 302.
Voici le texte:
«Les select-men de chaque commune feront afficher dans les boutiques des cabaretiers, aubergistes et détaillants, une liste des personnes réputées ivrognes, joueurs, et qui ont l'habitude de perdre leur temps et leur fortune dans ces maisons; et le maître desdites maisons qui, après cet avertissement, aura souffert que lesdites personnes boivent et jouent dans sa demeure, ou leur aura vendu des liqueurs spiritueuses, sera condamné à l'amende.»[Retour au texte principal]
Note 7: Il est inutile de dire que je parle ici du gouvernement démocratique appliqué à un peuple et non à une petite tribu.[Retour au texte principal]
Note 8: On comprend bien que le mot pauvre a ici, comme dans le reste du chapitre, un sens relatif et non une signification absolue. Les pauvres d'Amérique, comparés à ceux d'Europe, pourraient souvent paraître des riches: on a pourtant raison de les nommer des pauvres, quand on les oppose à ceux de leurs concitoyens qui sont plus riches qu'eux.[Retour au texte principal]
Note 9: L'aisance dans laquelle vivent les fonctionnaires secondaires aux États-Unis tient encore à une autre cause; celle-ci est étrangère aux instincts généraux de la démocratie: toute espèce de carrière privée est fort productive; l'État ne trouverait pas de fonctionnaires secondaires s'il ne consentait à les bien payer. Il est donc dans la position d'une entreprise commerciale, obligée, quels que soient ses goûts économiques, de soutenir une concurrence onéreuse.[Retour au texte principal]
Note 10: L'État de l'Ohio, qui compte un million d'habitants, ne donne au gouverneur que 1,200 dollars de salaire ou 6,504 francs.[Retour au texte principal]
| ÉTATS-UNIS. | |
| MINISTÈRE DES FINANCES (treasury department). | |
| fr. | |
| L'huissier (messager) | 3,734 |
| Le commis le moins payé | 5,420 |
| Le commis le plus payé | 8,672 |
| Le secrétaire-général (chief clerk) | 10,840 |
| Le ministre (secretary of state) | 32,520 |
| Le chef du gouvernement (le président) | 135,000 |
| FRANCE. | |
| MINISTÈRE DES FINANCES. | |
| Huissier du ministre | 1,500 |
| Le commis le moins payé | 1,000 à 1,800 |
| Le commis le plus payé | 3,200 à 3,600 |
| Le secrétaire-général | 20,000 |
| Le ministre | 80,000 |
| Le chef du gouvernement (le roi) | 12,000,000 |
J'ai peut-être eu tort de prendre la France pour point de comparaison. En France, où les instincts démocratiques pénètrent tous les jours davantage dans le gouvernement, on aperçoit déjà une forte tendance qui porte les Chambres à élever les petits traitements et surtout à abaisser les grands. Ainsi le ministre de finances qui, en 1834, reçoit 80,000 fr., en recevait 160,000 sous l'Empire; les directeurs généraux des finances, qui en reçoivent 20,000, en recevaient alors 50,000.[Retour au texte principal]
En 1831, on a dépensé dans l'État de New-York, pour le soutien des indigents, la somme de 1,290,000 francs. Et la somme consacrée à l'instruction publique est estimée s'élever à 5,420,000 francs au moins. (William's New-York annal register, 1832, p. 205 et 243.)
L'État de New-York n'avait en 1830 que 1,900,000 habitants, ce qui ne forme pas le double de la population du département du Nord.[Retour au texte principal]
Note 13: Les Américains, comme on le voit, ont quatre espèces de budgets: l'Union a le sien; les États, les comtés et les communes ont également le leur. Pendant mon séjour en Amérique, j'ai fait de grandes recherches pour connaître le montant des dépenses publiques dans les communes et dans les comtés des principaux États de l'Union. J'ai pu facilement obtenir le budget des plus grandes communes, mais il m'a été impossible de me procurer celui des petites. Je ne puis donc me former aucune idée exacte des dépenses communales. Pour ce qui concerne les dépenses des comtés, je possède quelques documents qui, bien qu'incomplets, sont peut-être de nature à mériter la curiosité du lecteur. Je dois à l'obligeance de M. Richard, ancien maire de Philadelphie, les budgets de treize comtés de la Pensylvanie pour l'année 1830. Ce sont ceux de Libanon, Centre, Franklin, Lafayette, Montgommery, La Luzerne, Dauphin, Buttler, Alléghany, Colombia, Northumberland, Northampton, Philadelphie. Il s'y trouvait, en 1830, 495,207 habitants. Si l'on jette les yeux sur une carte de la Pensylvanie, on verra que ces treize comtés sont dispersés dans toutes les directions et soumis à toutes les causes générales qui peuvent influer sur l'état du pays; de telle sorte qu'il serait impossible de dire pourquoi ils ne fourniraient pas une idée exacte de l'état financier des comtés de la Pensylvanie. Or, ces mêmes comtés ont dépensé pendant l'année 1830, 1,800,221 francs, ce qui donne 3 fr. 64 cent, par habitant. J'ai calculé que chacun de ces mêmes habitants, durant l'année 1830, avait consacré aux besoins de l'Union fédérale 12 fr. 70 cent., et 3 fr. 80 cent. à ceux de la Pensylvanie; d'où il résulte que dans l'année 1830 ces mêmes citoyens ont donné à la société, pour subvenir à toutes les dépenses publiques (excepté les dépenses communales), la somme de 20 fr. 14 cent. Ce résultat est doublement incomplet, comme on le voit, puisqu'il ne s'applique qu'à une seule année et à une partie des charges publiques; mais il a le mérite d'être certain.[Retour au texte principal]
À quoi comparerai-je, par exemple, notre budget national? Au budget de l'Union? Mais l'Union s'occupe de beaucoup moins d'objets que notre gouvernement central, et ses charges doivent naturellement être beaucoup moindres. Opposerai-je nos budgets départementaux aux budgets des États particuliers dont l'Union se compose? Mais en général les États particuliers veillent à des intérêts plus importants et plus nombreux que l'administration de nos départements; leurs dépenses sont donc naturellement plus considérables. Quant aux budgets des comtés, on ne rencontre rien dans notre système de finances qui leur ressemble. Ferons-nous rentrer les dépenses qui y sont portées dans le budget de l'État ou dans celui des communes? Les dépenses communales existent dans les deux pays, mais elles ne sont pas toujours analogues. En Amérique, la commune se charge de plusieurs soins qu'en France elle abandonne au département ou à l'État. Que faut-il entendre d'ailleurs par dépenses communales en Amérique? L'organisation de la commune diffère suivant les États. Prendrons-nous pour règle ce qui se passe dans la Nouvelle-Angleterre ou en Géorgie, dans la Pensylvanie ou dans l'État des Illinois?
Il est facile d'apercevoir, entre certains budgets de deux pays, une sorte d'analogie; mais les éléments qui les composent différant toujours plus ou moins, l'on ne saurait établir entre eux de comparaison sérieuse.[Retour au texte principal]
Les gouvernements ne demandent pas seulement aux contribuables de l'argent, mais encore des efforts personnels qui sont appréciables en argent. L'État lève une armée; indépendamment de la solde que la nation entière se charge de fournir, il faut encore que le soldat donne son temps, qui a une valeur plus ou moins grande suivant l'emploi qu'il en pourrait faire s'il restait libre. J'en dirai autant du service de la milice. L'homme qui fait partie de la milice consacre momentanément un temps précieux à la sûreté publique, et donne réellement à l'État ce que lui même manque d'acquérir. J'ai cité ces exemples; j'aurais pu en citer beaucoup d'autres. Le gouvernement de France et celui d'Amérique perçoivent des impôts de cette nature: ces impôts pèsent sur les citoyens: mais qui peut en apprécier avec exactitude le montant dans les deux pays?
Ce n'est pas la dernière difficulté qui vous arrête lorsque vous voulez comparer les dépenses publiques de l'Union aux nôtres. L'État se fait en France certaines obligations qu'il ne s'impose pas en Amérique, et réciproquement. Le gouvernement français paie le clergé; le gouvernement américain abandonne ce soin aux fidèles. En Amérique, l'État se charge des pauvres; en France, il les livre à la charité du public. Nous faisons à tous nos fonctionnaires un traitement fixe, les Américains leur permettent de percevoir certains droits. En France, les prestations en nature n'ont lieu que sur un petit nombre de routes; aux États-Unis, sur presque tous les chemins. Nos voies sont ouvertes aux voyageurs, qui peuvent les parcourir sans rien payer; on rencontre aux États-Unis beaucoup de routes à barrières. Toutes ces différences dans la manière dont le contribuable arrive à acquitter les charges de la société rendent la comparaison entre ces deux pays très difficile; car il y a certaines dépenses que les citoyens ne feraient point ou qui seraient moindres, si l'État ne se chargeait d'agir en leur nom.[Retour au texte principal]
Note 16: Voyez les budgets détaillés du ministère de la marine en France, et, pour l'Amérique, le National calendar de 1833, p. 228.[Retour au texte principal]
Note 17: L'un des plus singuliers, à mon avis, fut la résolution par laquelle les Américains renoncèrent momentanément à l'usage du thé. Ceux qui savent que les hommes tiennent plus en général à leurs habitudes qu'à leur vie, s'étonneront sans doute de ce grand et obscur sacrifice obtenu de tout un peuple.[Retour au texte principal]
Note 18: «Le président, dit la constitution, art. 11, sect. 2, § 2, fera les traités de l'avis et avec le consentement du sénat.» Le lecteur ne doit pas perdre de vue que le mandat des sénateurs dure six ans, et qu'étant choisis par les législateurs de chaque État, ils sont le produit d'une élection à deux degrés.[Retour au texte principal]
Note 19: Voyez le cinquième volume de la Vie de Washington, par Marshall. «Dans un gouvernement constitué comme l'est celui des États-Unis, dit-il, page 314, le premier magistrat ne peut, quelle que soit sa fermeté, opposer long-temps une digue au torrent de l'opinion populaire; et celle qui prévalait alors semblait mener à la guerre. En effet, dans la session du congrès tenu à cette époque, on s'aperçut très fréquemment que Washington avait perdu la majorité dans la chambre des représentants.» En dehors, la violence du langage dont on se servait contre lui était extrême: dans une réunion politique, on ne craignit pas de le comparer indirectement au traître Arnold (page 265). «Ceux qui tenaient au parti de l'opposition, dit encore Marshall (page 355), prétendirent que les partisans de l'administration composaient une faction aristocratique qui était soumise à l'Angleterre, et qui, voulant établir la monarchie, était par conséquent ennemie de la France; une faction dont les membres constituaient une sorte de noblesse, qui avait pour titres les actions de la Banque, et qui craignait tellement toute mesure qui pouvait influer sur les fonds, qu'elle était insensible aux affronts que l'honneur et l'intérêt de la nation commandaient également de repousser.»[Retour au texte principal]
Note 20: Les sociétés de tempérance sont des associations dont les membres s'engagent à s'abstenir de liqueurs fortes. À mon passage aux États-Unis, les sociétés de tempérance comptaient déjà plus de 270,000 membres, et leur effet avait été de diminuer, dans le seul État de Pensylvanie, la consommation des liqueurs fortes de 500,000 gallons par année.[Retour au texte principal]
Note 21: Le même fait fut déjà observé à Rome sous les premiers Césars.
Montesquieu remarque quelque part que rien n'égala le désespoir de certains citoyens romains qui, après les agitations d'une existence politique, rentrèrent tout-à-coup dans le calme de la vie privée.[Retour au texte principal]
Note 22: Nous avons vu, lors de l'examen de la constitution fédérale, que les législateurs de l'Union avaient fait des efforts contraires. Le résultat de ces efforts a été de rendre le gouvernement fédéral plus indépendant dans sa sphère que celui des États. Mais le gouvernement fédéral ne s'occupe guère que des affaires extérieures: ce sont les gouvernements d'État qui dirigent réellement la société américaine.[Retour au texte principal]
Note 23: Les actes législatifs promulgués dans le seul État de Massachusetts, à partir de 1780 jusqu'à nos jours, remplissent déjà trois gros volumes. Encore faut-il remarquer que le recueil dont je parle a été révisé en 1823, et qu'on en a écarté beaucoup de lois anciennes ou devenues sans objet. Or l'État de Massachusetts, qui n'est pas plus peuplé qu'un de nos départements, peut passer pour le plus stable de toute l'Union, et celui qui met le plus de suite et de sagesse dans ses entreprises.[Retour au texte principal]
Si on convient qu'une nation peut être tyrannique envers une autre nation, comment nier qu'un parti puisse l'être envers un autre parti?[Retour au texte principal]
Je disais un jour à un habitant de la Pensylvanie:—Expliquez-moi, je vous prie, comment, dans un État fondé par des quakers, et renommé pour sa tolérance, les nègres affranchis ne sont pas admis à exercer les droits de citoyens. Ils paient l'impôt, n'est-il pas juste qu'ils votent?—Ne nous faites pas cette injure, me répondit-il, de croire que nos législateurs aient commis un acte aussi grossier d'injustice et d'intolérance.—Ainsi, chez vous, les noirs ont le droit de voter?—Sans aucun doute.—Alors, d'où vient qu'au collége électoral ce matin je n'en ai pas aperçu un seul dans l'assemblée?—Ceci n'est pas la faute de la loi, me dit l'Américain; les nègres ont, il est vrai, le droit de se présenter aux élections, mais ils s'abstiennent volontairement d'y paraître.—Voilà bien de la modestie de leur part.—Oh! ce n'est pas qu'ils refusent d'y aller, mais ils craignent qu'on ne les y maltraite. Chez nous, il arrive quelquefois que la loi manque de force, quand la majorité ne l'appuie point. Or, la majorité est imbue des plus grands préjugés contre les nègres, et les magistrats ne se sentent pas la force de garantir à ceux-ci les droits que le législateur leur a conférés.—Eh quoi! la majorité, qui a le privilége de faire la loi, veut encore avoir celui de désobéir à la loi?[Retour au texte principal]
Note 26: Le pouvoir peut être centralisé dans une assemblée; alors il est fort, mais non stable; il peut être centralisé dans un homme: alors il est moins fort, mais il est plus stable.[Retour au texte principal]
Note 27: Il est inutile, je pense, d'avertir le lecteur qu'ici, comme dans tout le reste du chapitre, je parle, non du gouvernement fédéral, mais des gouvernements particuliers de chaque État que la majorité dirige despotiquement.[Retour au texte principal]
Note 28: Lettre de Jefferson à Madisson, 15 mars 1789.[Retour au texte principal]
Note 29: Voyez au premier volume ce que je dis du pouvoir judiciaire.[Retour au texte principal]
Note 30: Ce serait déjà une chose utile et curieuse que de considérer le jury comme institution judiciaire, d'apprécier les effets qu'il produit aux États-Unis, et de rechercher de quelle manière les Américains en ont tiré parti. On pourrait trouver dans l'examen de cette seule question le sujet d'un livre entier, et d'un livre intéressant pour la France. On y rechercherait, par exemple, quelle portion des institutions américaines relatives au jury pourrait être introduite parmi nous et à l'aide de quelle gradation. L'État américain qui fournirait le plus de lumières sur ce sujet serait l'État de la Louisiane. La Louisiane renferme une population mêlée de Français et d'Anglais. Les deux législations s'y trouvent en présence comme les deux peuples, et s'amalgament peu à peu l'une avec l'autre. Les livres les plus utiles à consulter seraient le recueil des lois de la Louisiane en deux volumes, intitulé: Digeste des lois de la Louisiane; et plus encore peut-être un cours de procédure civile écrit dans les deux langues, et intitulé: Traité sur les règles des actions civiles, imprimé en 1830 à la Nouvelle-Orléans, chez Buisson. Cet ouvrage présente un avantage spécial; il fournit aux Français une explication certaine et authentique des termes légaux anglais. La langue des lois forme comme une langue à part chez tous les peuples, et chez les Anglais plus que chez aucun autre.[Retour au texte principal]
Note 31: Tous les légistes anglais et américains sont unanimes sur ce point. M. Story, juge à la cour suprême des États-Unis, dans son Traité de la constitution fédérale, revient encore sur l'excellence de l'institution du jury en matière civile. The inestimable privilege of a trial by Jury in civil cases, dit-il, a privilege searcely inferior to that in criminal cases, which is counted by all persons to be essential to political and civil liberty. (Story, liv. III, chap. XXXVIII.)[Retour au texte principal]
À mesure que vous introduisez les jurés dans les affaires, vous pouvez sans inconvénient diminuer le nombre des juges; ce qui est un grand avantage. Lorsque des juges sont très nombreux, chaque jour la mort fait un vide dans la hiérarchie judiciaire, et y ouvre de nouvelles places pour ceux qui survivent. L'ambition des magistrats est donc continuellement en haleine, et elle les fait naturellement dépendre de la majorité ou de l'homme qui nomme aux emplois vacants: on avance alors dans les tribunaux comme on gagne des grades dans une armée. Cet état de choses est entièrement contraire à la bonne administration de la justice et aux intentions du législateur. On veut que les juges soient inamovibles pour qu'ils restent libres; mais qu'importe que nul ne puisse leur ravir leur indépendance, si eux-mêmes en font volontairement le sacrifice?
Lorsque les juges sont très nombreux, il est impossible qu'il ne s'en rencontre pas parmi eux beaucoup d'incapables: car un grand magistrat n'est point un homme ordinaire. Or, je ne sais si un tribunal à demi éclairé n'est pas la pire de toutes les combinaisons pour arriver aux fins qu'on se propose en établissant des cours de justice.
Quant à moi, j'aimerais mieux abandonner la décision d'un procès à des jurés ignorants dirigés par un magistrat habile, que de la livrer à des juges dont la majorité n'aurait qu'une connaissance incomplète de la jurisprudence et des lois.[Retour au texte principal]
Note 33: Il faut cependant faire une remarque importante:
L'institution du jury donne, il est vrai, au peuple un droit général de contrôle sur les actions des citoyens, mais elle ne lui fournit pas les moyens d'exercer ce contrôle dans tous les cas ni d'une manière toujours tyrannique.
Lorsqu'un prince absolu a la faculté de faire juger les crimes par ses délégués, le sort de l'accusé est pour ainsi dire fixé d'avance. Mais le peuple fût-il résolu à condamner, la composition du jury et son irresponsabilité offriraient encore des chances favorables à l'innocence.[Retour au texte principal]
Note 34: Ceci est à plus forte raison vrai lorsque le jury n'est appliqué qu'à certaines affaires criminelles.[Retour au texte principal]
Note 35: Les juges fédéraux tranchent presque toujours seuls les questions qui touchent de plus près au gouvernement du pays.[Retour au texte principal]
Je regarde cependant la grandeur de certaines cités américaines, et surtout la nature de leurs habitants, comme un danger véritable qui menace l'avenir des républiques démocratiques du Nouveau-Monde, et je ne crains pas de prédire que c'est par là qu'elles périront, à moins que leur gouvernement ne parvienne à créer une force armée qui, tout en restant soumise aux volontés de la majorité nationale, soit pourtant indépendante du peuple des villes et puisse comprimer ses excès.[Retour au texte principal]
Note 37: Dans la Nouvelle-Angleterre, le sol est partagé en très petits domaines, mais il ne se divise plus.[Retour au texte principal]
Note 38: Voici en quels termes le New-York Spectator du 23 août 1831 rapporte le fait: «The court of common pleas of Chester county (New-York) a few days since rejected a witness who declared his disbelief in the existence of God. The presiding judge remarked that he had not before been aware that there was a man living who did not believe in the existence of God; that this belief constituted the sanction of all testimony in a court of justice and that he knew of no cause in a Christian country where a witness had been permitted to testify without such a belief.»[Retour au texte principal]
Note 39: À moins que l'on ne donne ce nom aux fonctions que beaucoup d'entre eux occupent dans les écoles. La plus grande partie de l'éducation est confiée au clergé.[Retour au texte principal]
Note 40: Voyez la constitution de New-York, art. 7, § 4.
Idem de la Caroline du Nord, art. 31.
Idem de la Virginie.
Idem de la Caroline du Sud, art. 1, § 23.
Idem du Kentucky, art. 2, § 26.
Idem du Tennessee, art. 1, § 28.
Idem de la Louisiane, art 2, § 22.
L'article de la constitution de New-York est ainsi conçu:
«Les ministres de l'Évangile étant par leur profession consacrés au service de Dieu, et livrés au soin de diriger les âmes, ne doivent point être troublés dans l'exercice de ces importants devoirs; en conséquence, aucun ministre de l'Évangile ou prêtre, à quelque secte qu'il appartienne, ne pourra être revêtu d'aucunes fonctions publiques, civiles ou militaires.»[Retour au texte principal]
Note 41: J'ai parcouru une partie des frontières des États-Unis sur une espèce de charrette découverte qu'on appelait la malle. Nous marchions grand train nuit et jour par des chemins à peine frayés au milieu d'immenses forêts d'arbres verts; lorsque l'obscurité devenait impénétrable, mon conducteur allumait des branches de mélèze, et nous continuions notre route à leur clarté. De loin en loin on rencontrait une chaumière au milieu des bois: c'était l'hôtel de la poste. Le courrier jetait à la porte de cette demeure isolée un énorme paquet de lettres, et nous reprenions notre course au galop, laissant à chaque habitant du voisinage le soin de venir chercher sa part du trésor.[Retour au texte principal]
Note 42: En 1832, chaque habitant du Michigan a fourni 1 fr. 22 c. à la taxe des lettres, et chaque habitant des Florides 1 fr. 5 c. (Voyez National Calendar, 1833, p. 244.) Dans la même année, chaque habitant du département du Nord a payé à l'État, pour le même objet, 1 fr. 4 c. (Voyez Compte général de l'administration des finances, 1833, p. 623.) Or, le Michigan ne comptait encore à cette époque que sept habitants par lieue carrée, et la Floride, cinq: l'instruction était moins répandue et l'activité moins grande dans ces deux districts que dans la plupart des États de l'Union, tandis que le département du Nord, qui renferme 3,400 individus par lieue carrée, forme une des portions les plus éclairées et les plus industrielles de France.[Retour au texte principal]
Note 43: Je rappelle ici au lecteur le sens général dans lequel je prends le mot mœurs; j'entends par ce mot l'ensemble des dispositions intellectuelles et morales que les hommes apportent dans l'état de société.[Retour au texte principal]
Note 44: Voyez la carte à la fin du premier volume.[Retour au texte principal]
Me trouvant dans l'été de 1831 derrière le lac Michigan, dans un lieu nommé Green-Bay, qui sert d'extrême frontière aux États-Unis du côté des Indiens du Nord-Ouest, je fis connaissance avec un officier américain, le major H., qui, un jour, après m'avoir beaucoup parlé de l'inflexibilité du caractère indien, me raconta le fait suivant: «J'ai connu autrefois, me dit-il, un jeune Indien qui avait été élevé dans un collége de la Nouvelle-Angleterre. Il y avait obtenu de grands succès, et y avait pris tout l'aspect extérieur d'un homme civilisé. Lorsque la guerre éclata entre nous et les Anglais, en 1810, je revis ce jeune homme; il servait alors dans notre armée, à la tête des guerriers de sa tribu. Les Américains n'avaient admis les Indiens dans leurs rangs qu'à la condition qu'ils s'abstiendraient de l'horrible usage de scalper les vaincus. Le soir de la bataille de ***, C... vint s'asseoir auprès du feu de notre bivouac; je lui demandai ce qui lui était arrivé dans la journée; il me le raconta, et s'animant par degrés aux souvenirs de ses exploits, il finit par entr'ouvrir son habit en me disant:—Ne me trahissez pas, mais voyez! Je vis en effet, ajouta le major H., entre son corps et sa chemise, la chevelure d'un Anglais encore toute dégouttante de sang.»[Retour au texte principal]
Note 46: Dans les treize États originaires, il ne reste plus que 6,373 Indiens. (Voyez Documents législatifs, 20e congrès, no 117, p. 20.)[Retour au texte principal]
Note 47: MM. Clark et Cass, dans leur rapport au congrès, le 4 février 1829, p. 23, disaient:
«Le temps est déjà bien loin de nous où les Indiens pouvaient se procurer les objets nécessaires à leur nourriture et à leurs vêtements sans recourir à l'industrie des hommes civilisés. Au-delà du Mississipi, dans un pays où l'on rencontre encore d'immenses troupeaux de buffles, habitent des tribus indiennes qui suivent ces animaux sauvages dans leurs migrations; les Indiens dont nous parlons trouvent encore le moyen de vivre en se conformant à tous les usages de leurs pères; mais les buffles reculent sans cesse. On ne peut plus atteindre maintenant qu'avec des fusils ou des pièges (traps) les bêtes sauvages d'une plus petite espèce, telles que l'ours, le daim, le castor, le rat musqué, qui fournissent particulièrement aux Indiens ce qui est nécessaire au soutien de la vie.
»C'est principalement au nord-ouest que les Indiens sont obligés de se livrer à des travaux excessifs pour nourrir leur famille. Souvent le chasseur consacre plusieurs jours de suite à poursuivre le gibier sans succès; pendant ce temps, il faut que sa famille se nourrisse d'écorces et de racines, ou qu'elle périsse: aussi il y en a beaucoup qui meurent de faim chaque hiver.»
Les Indiens ne veulent pas vivre comme les Européens; cependant ils ne peuvent se passer des Européens, ni vivre entièrement comme leurs pères. On en jugera par ce seul fait, dont je puise également la connaissance à une source officielle. Des hommes appartenant à une tribu indienne des bords du lac Supérieur avaient tué un Européen; le gouvernement américain défendit de trafiquer avec la tribu dont les coupables faisaient partie, jusqu'à ce que ceux-ci lui eussent été livrés: ce qui eut lieu.[Retour au texte principal]
Note 48: «Il y a cinq ans, dit Volney dans son Tableau des États-Unis, p. 370, en allant de Vincennes à Kaskaskias, territoire compris aujourd'hui dans l'État d'Illinois, alors entièrement sauvage (1797), l'on ne traversait point de prairies sans voir des troupeaux de quatre à cinq cents buffles: aujourd'hui il n'en reste plus; ils ont passé le Mississipi à la nage, importunés par les chasseurs, et surtout par les sonnettes des vaches américaines.»[Retour au texte principal]
Note 49: On peut se convaincre de la vérité de ce que j'avance ici en consultant le tableau général des tribus indiennes contenues dans les limites réclamées par les États-Unis. (Documents législatifs, 20e congrès, no 117, p. 90-105.) On verra que les tribus du centre de l'Amérique décroissent rapidement, quoique les Européens soient encore très éloignés d'elles.[Retour au texte principal]
Note 50: Les Indiens, disent MM. Clark et Cass dans leur rapport au congrès, p. 15, tiennent à leur pays par le même sentiment d'affection qui nous lie au nôtre; et, de plus, ils attachent à l'idée d'aliéner les terres que le grand Esprit a données à leurs ancêtres certaines idées superstitieuses qui exercent une grande puissance sur les tribus qui n'ont encore rien cédé ou qui n'ont cédé qu'une petite portion de leur territoire aux Européens. «Nous ne vendons pas le lieu où reposent les cendres de nos pères,» telle est la première réponse qu'ils font toujours à celui qui leur propose d'acheter leurs champs.[Retour au texte principal]
«Quand les Indiens arrivent dans l'endroit où le traité doit avoir lieu, disent MM. Clark et Cass, ils sont pauvres et presque nus. Là, ils voient et examinent un très grand nombre d'objets précieux pour eux, que les marchands américains ont eu soin d'y apporter. Les femmes et les enfants qui désirent qu'on pourvoie à leurs besoins, commencent alors à tourmenter les hommes de mille demandes importunes, et emploient toute leur influence sur ces derniers pour que la vente des terres ait lieu. L'imprévoyance des Indiens est habituelle et invincible. Pourvoir à ses besoins immédiats et gratifier ses désirs présents est la passion irrésistible du sauvage: l'attente d'avantages futurs n'agit que faiblement sur lui; il oublie facilement le passé, et ne s'occupe point de l'avenir. On demanderait en vain aux Indiens la cession d'une partie de leur territoire, si l'on n'était en état de satisfaire sur-le-champ leurs besoins. Quand on considère avec impartialité la situation dans laquelle ces malheureux se trouvent, on ne s'étonne pas de l'ardeur qu'ils mettent à obtenir quelques soulagements à leurs maux.»[Retour au texte principal]
En 1808, les Osages cédèrent 48,000,000 d'acres pour une rente de 1,000 dollars.
En 1818, les Quapaws cédèrent 20,000,000 d'acres pour 4,000 dollars; ils s'étaient réservé un territoire de 1,000,000 d'acres, afin d'y chasser. Il avait été solennellement juré qu'on le respecterait; mais il n'a pas tardé à être envahi comme le reste.
«Afin de nous approprier les terres désertes dont les Indiens réclament la propriété, disait M. Bell, rapporteur du comité des affaires indiennes au congrès, le 24 février 1830, nous avons adopté l'usage de payer aux tribus indiennes ce que vaut leur pays de chasse (hunting-ground) après que le gibier a fui ou a été détruit. Il est plus avantageux et certainement plus conforme aux règles de la justice et plus humain d'en agir ainsi, que de s'emparer à main armée du territoire des sauvages.»
«L'usage d'acheter aux Indiens leur titre de propriété n'est donc autre chose qu'un nouveau mode d'acquisition que l'humanité et l'intérêt (humanity and expediency) ont substitué à la violence, et qui doit également nous rendre maîtres des terres que nous réclamons en vertu de la découverte, et que nous assure d'ailleurs le droit qu'ont les nations civilisées de s'établir sur le territoire occupé par les tribus sauvages.»
«Jusqu'à ce jour, plusieurs causes n'ont cessé de diminuer aux yeux des Indiens le prix du sol qu'ils occupent, et ensuite les mêmes causes les ont portés à nous le vendre sans peine. L'usage d'acheter aux sauvages leur droit d'occupant (right of occupancy) n'a donc jamais pu retarder, dans un degré perceptible, la prospérité des États-Unis.» (Documents législatifs, 21e congrès, no 227, p. 6.)[Retour au texte principal]
Note 53: Cette opinion nous a, du reste, paru celle de presque tous les hommes d'État américains.
«Si l'on juge de l'avenir par le passé, disait M. Cass au congrès, on doit prévoir une diminution progressive dans le nombre des Indiens, et s'attendre à l'extinction finale de leur race. Pour que cet événement n'eût pas lieu, il faudrait que nos frontières cessassent de s'étendre, et que les sauvages se fixassent au-delà, ou bien qu'il s'opérât un changement complet dans nos rapports avec eux; ce qu'il serait peu raisonnable d'attendre.»[Retour au texte principal]
Note 54: Voyez entre autres la guerre entreprise par les Wampanoags, et les autres tribus confédérées, sous la conduite de Métacom, en 1675, contre les colons de la Nouvelle-Angleterre, et celle que les Anglais eurent à soutenir en 1622 dans la Virginie.[Retour au texte principal]
Note 55: Voyez les différents historiens de la Nouvelle-Angleterre. Voyez aussi l'Histoire de la Nouvelle-Angleterre, par Charlevoix, et les Lettres édifiantes.[Retour au texte principal]
Note 56: «Dans toutes les tribus, dit Volney dans son Tableau des États-Unis, p. 423, il existe encore une génération de vieux guerriers qui, en voyant manier la houe, ne cessent de crier à la dégradation des mœurs antiques, et qui prétendent que les sauvages ne doivent leur décadence qu'à ces innovations, et que, pour recouvrer leur gloire et leur puissance, il leur suffirait de revenir à leurs mœurs primitives.»[Retour au texte principal]
Note 57: On trouve dans un document officiel la peinture suivante:
«Jusqu'à ce qu'un jeune homme ait été aux prises avec l'ennemi, et puisse se vanter de quelques prouesses, on n'a pour lui aucune considération: on le regarde à peu près comme une femme.
«À leurs grandes danses de guerre, les guerriers viennent l'un après l'autre frapper le poteau, comme ils l'appellent, et racontent leurs exploits. Dans cette occasion, leur auditoire est composé des parents, amis et compagnons du narrateur. L'impression profonde que produisent sur eux ses paroles paraît manifestement au silence avec lequel on l'écoute, et se manifeste bruyamment par les applaudissements qui accompagnent la fin de ses récits. Le jeune homme qui n'a rien à raconter dans de semblables réunions se considère comme très malheureux, et il n'est pas sans exemple que de jeunes guerriers dont les passions avaient été ainsi excitées, se soient éloignés tout-à-coup de la danse, et, partant seuls, aient été chercher des trophées qu'ils pussent montrer et des aventures dont il leur fût permis de se glorifier.»[Retour au texte principal]
Il y avait jadis au Sud (on en voit les restes) quatre grandes nations: les Choctaws, les Chikasaws, les Creeks et les Chérokées.
Les restes de ces quatre nations formaient encore, en 1830, environ 75,000 individus. On compte qu'il se trouve à présent, sur le territoire occupé ou réclamé par l'Union anglo-américaine, environ 300,000 Indiens. (Voyez Proceedings of the Indian board in the city New-York.) Les documents officiels fournis au congrès portent ce nombre à 313,130. Le lecteur qui serait curieux de connaître le nom et la force de toutes les tribus qui habitent le territoire anglo-américain, devra consulter les documents que je viens d'indiquer. (Documents législatifs, 20e congrès, no 17, p. 90-105.)[Retour au texte principal]
Note 59: J'ai rapporté en France un ou deux exemplaires de cette singulière publication.[Retour au texte principal]
Note 60: Voyez, dans le rapport du comité des affaires indiennes, 21e congrès, no 227, p. 23, ce qui fait que les métis se sont multipliés chez les Chérokées; la cause principale remonte à la guerre de l'indépendance. Beaucoup d'Anglo-Américains de la Géorgie ayant pris parti pour l'Angleterre, furent contraints de se retirer chez les Indiens, et s'y marièrent.[Retour au texte principal]
Deux grandes nations de l'Europe ont peuplé cette portion du continent américain: les Français et les Anglais.
Les premiers n'ont pas tardé à contracter des unions avec les filles indigènes; mais le malheur voulut qu'il se trouvât une secrète affinité entre le caractère indien et le leur. Au lieu de donner aux barbares le goût et les habitudes de la vie civilisée, ce sont eux qui souvent se sont attachés avec passion à la vie sauvage: ils sont devenus les hôtes les plus dangereux des déserts, et ont conquis l'amitié de l'Indien en exagérant ses vices et ses vertus. M. de Sénonville, gouverneur du Canada, écrivait à Louis XIV, en 1685: «On a cru long-temps qu'il fallait approcher les sauvages de nous pour les franciser; on a tout lieu de reconnaître qu'on se trompait. Ceux qui se sont approchés de nous ne se sont pas rendus Français, et les Français qui les ont hantés sont devenus sauvages. Ils affectent de se mettre comme eux, de vivre comme eux.» (Histoire de la Nouvelle-France, par Charlevoix, vol. II, p. 345.)
L'Anglais, au contraire, demeurant obstinément attaché aux opinions, aux usages et aux moindres habitudes de ses pères, est resté au milieu des solitudes américaines ce qu'il était au sein des villes de l'Europe; il n'a donc voulu établir aucun contact avec des sauvages qu'il méprisait, et a évité avec soin de mêler son sang à celui des barbares.
Ainsi, tandis que le Français n'exerçait aucune influence salutaire sur les Indiens, l'Anglais leur était toujours étranger.[Retour au texte principal]
Tanner est un Européen qui a été enlevé à l'âge de six ans par les Indiens, et qui est resté trente ans dans les bois avec eux. Il est impossible de rien voir de plus affreux que les misères qu'il décrit. Il nous montre des tribus sans chefs, des familles sans nations, des hommes isolés, débris mutilés de tribus puissantes, errant au hasard au milieu des glaces et parmi les solitudes désolées du Canada. La faim et le froid les poursuivent; chaque jour la vie semble prête à leur échapper. Chez eux les mœurs ont perdu leur empire, les traditions sont sans pouvoir. Les hommes deviennent de plus en plus barbares. Tanner partage tous ces maux; il connaît son origine européenne; il n'est point retenu de force loin des blancs; il vient au contraire chaque année trafiquer avec eux, parcourt leurs demeures, voit leur aisance; il sait que du jour où il voudra rentrer au sein de la vie civilisée il pourra facilement y parvenir, et il reste trente ans dans les déserts. Lorsqu'il retourne enfin au milieu d'une société civilisée, il confesse que l'existence dont il a décrit les misères a pour lui des charmes secrets qu'il ne saurait définir; il y revient sans cesse après l'avoir quittée; il ne s'arrache à tant de maux qu'avec mille regrets; et lorsqu'il est enfin fixé au milieu des blancs, plusieurs de ses enfants refusent de venir partager avec lui sa tranquillité et son aisance.
J'ai moi-même rencontré Tanner à l'entrée du lac Supérieur. Il m'a paru ressembler bien plus encore à un sauvage qu'à un homme civilisé.
On ne trouve dans l'ouvrage de Tanner ni ordre ni goût; mais l'auteur y fait, à son insu même, une peinture vivante des préjugés, des passions, des vices, et surtout des misères de ceux au milieu desquels il a vécu.
M. le vicomte Ernest de Blosseville, auteur d'un excellent ouvrage sur les colonies pénales d'Angleterre, a traduit les Mémoires de Tanner. M. de Blosseville a joint à sa traduction des notes d'un grand intérêt, qui permettront au lecteur de comparer les faits racontés par Tanner avec ceux déjà relatés par un grand nombre d'observateurs anciens et modernes.
Tous ceux qui désirent connaître l'état actuel et prévoir la destinée future des races indiennes de l'Amérique du Nord doivent consulter l'ouvrage de M. de Blosseville.[Retour au texte principal]
Des Français avaient fondé, il y a près d'un siècle, au milieu du désert, la ville de Vincennes sur le Wabash. Ils y vécurent dans une grande abondance jusqu'à l'arrivée des émigrants américains. Ceux-ci commencèrent aussitôt à ruiner les anciens habitants par la concurrence; ils leur achetèrent ensuite leurs terres à vil prix. Au moment où M. de Volney, auquel j'emprunte ce détail, traversa Vincennes, le nombre des Français était réduit à une centaine d'individus, dont la plupart se disposaient à passer à la Louisiane et au Canada. Ces Français étaient des hommes honnêtes, mais sans lumières et sans industrie; ils avaient contracté une partie des habitudes sauvages. Les Américains, qui leur étaient peut-être inférieurs sous le point de vue moral, avaient sur eux une immense supériorité intellectuelle: ils étaient industrieux, instruits, riches et habitués à se gouverner eux-mêmes.
J'ai moi-même vu au Canada, où la différence intellectuelle entre les deux races est bien moins prononcée, l'Anglais, maître du commerce et de l'industrie dans le pays du Canadien, s'étendre de tous côtés, et resserrer le Français dans des limites trop étroites.
De même, à la Louisiane, presque toute l'activité commerciale et industrielle se concentre entre les mains des Anglo-Américains.
Quelque chose de plus frappant encore se passe dans la province du Texas; l'État du Texas fait partie, comme on sait, du Mexique, et lui sert de frontière du côté des États-Unis. Depuis quelques années, les Anglo-Américains pénètrent individuellement dans cette province encore mal peuplée, achètent les terres, s'emparent de l'industrie, et se substituent rapidement à la population originaire. On peut prévoir que si le Mexique ne se hâte d'arrêter ce mouvement, le Texas ne tardera pas à lui échapper.
Si quelques différences, comparativement peu sensibles dans la civilisation européenne, amènent de pareils résultats, il est facile de comprendre ce qui doit arriver quand la civilisation la plus perfectionnée de l'Europe entre en contact avec la barbarie indienne.[Retour au texte principal]
Il résulte de toutes ces pièces la preuve que les indigènes sont chaque jour victimes de l'abus de la force. L'Union entretient habituellement parmi les Indiens un agent chargé de la représenter; le rapport de l'agent des Cherokées se trouve parmi les pièces que je cite: le langage de ce fonctionnaire est presque toujours favorable aux sauvages. «L'intrusion des blancs sur le territoire des Cherokées, dit-il, p. 12, causera la ruine de ceux qui y habitent, et qui y mènent une existence pauvre et inoffensive.» Plus loin on voit que l'État de Géorgie, voulant resserrer les limites des Cherokées, procède à un bornage; l'agent fédéral fait remarquer que le bornage n'ayant été fait que par les blancs, et non contradictoirement, n'a aucune valeur.[Retour au texte principal]
En 1830, l'État de Mississipi assimile les Choctaws et les Chickasas aux blancs, et déclare que ceux d'entre eux qui prendront le titre de chef seront punis de 1,000 dollars d'amende et d'un an de prison.
Lorsque l'État de Mississipi étendit ainsi ses lois sur les Indiens Chactas qui habitaient dans ses limites, ceux-ci s'assemblèrent; leur chef leur fit connaître quelle était la prétention des blancs, et leur lut quelques unes des lois auxquelles on voulait les soumettre: les sauvages déclarèrent d'une commune voix qu'il valait mieux s'enfoncer de nouveau dans les déserts. (Mississipi papers.)[Retour au texte principal]
Note 66: Les Géorgiens, qui se trouvent si incommodés du voisinage des Indiens, occupent un territoire qui ne compte pas encore plus de sept habitants par mille carré. En France, il y a cent soixante-deux individus dans le même espace.[Retour au texte principal]
Note 67: En 1818, le congrès ordonna que le territoire d'Arkansas serait visité par des commissaires américains, accompagnés d'une députation de Creeks, de Choctaws et de Chickasas. Cette expédition était commandée par MM. Kennerly, Mc Coy, Wash Hood et John Bell. Voyez les différents rapports des commissaires et leur journal, dans les papiers du congrès, no 87, Houses of Representatives.[Retour au texte principal]
Le traité conclu en juillet 1791 avec les Cherokées contient ce qui suit: «Les États-Unis garantissent solennellement à la nation des Cherokées toutes les terres qu'elle n'a point précédemment cédées. S'il arrivait qu'un citoyen des États-Unis, ou tout individu autre qu'un Indien, vînt s'établir sur le territoire des Cherokées, les États-Unis déclarent qu'ils retirent à ce citoyen leur protection, et qu'ils le livrent à la nation des Cherokées pour le punir comme bon lui semblera.» Art. 8.[Retour au texte principal]
Dans une lettre écrite aux Cherokées par le secrétaire du département de la guerre, le 18 avril 1829, ce fonctionnaire leur déclare qu'ils ne doivent pas se flatter de conserver la jouissance du territoire qu'ils occupent en ce moment, mais il leur donne cette même assurance positive pour le temps où ils seront de l'autre côté du Mississipi (même ouvrage, p. 6): comme si le pouvoir qui lui manque maintenant ne devait pas lui manquer de même alors![Retour au texte principal]
Note 70: Pour se faire une idée exacte de la politique suivie par les États particuliers et par l'Union vis-à-vis des Indiens, il faut consulter: 1o les lois des États particuliers relatives aux Indiens (ce recueil se trouve dans les documents législatifs, 21e congrès, no 319); 2o les lois de l'Union relatives au même objet, et en particulier celle du 30 mars 1802 (ces lois se trouvent dans l'ouvrage de M. Story intitulé: Laws of the United-States); 3o enfin, pour connaître quel est l'état actuel des relations de l'Union avec toutes les tribus indiennes, voyez le rapport fait par M. Cass, secrétaire d'État de la guerre, le 29 novembre 1823.[Retour au texte principal]
Note 71: Le 19 novembre 1829. Ce morceau est traduit textuellement.[Retour au texte principal]
Note 72: Il ne faut pas du reste faire honneur de ce résultat aux Espagnols. Si les tribus indiennes n'avaient pas déjà été fixées au sol par l'agriculture au moment de l'arrivée des Européens, elles auraient sans doute été détruites dans l'Amérique du Sud comme dans l'Amérique du Nord.[Retour au texte principal]
En lisant ce rapport, rédigé d'ailleurs par une main habile, on est étonné de la facilité et de l'aisance avec lesquelles, dès les premiers mots, l'auteur se débarrasse des arguments fondés sur le droit naturel et sur la raison, qu'il nomme des principes abstraits et théoriques. Plus j'y songe et plus je pense que la seule différence qui existe entre l'homme civilisé et celui qui ne l'est pas, par rapport à la justice, est celle-ci: l'un conteste à la justice des droits que l'autre se contente de violer.[Retour au texte principal]
Son livre, dont les notes contiennent un très grand nombre de documents législatifs et historiques, fort précieux et entièrement inconnus, présente en outre des tableaux dont l'énergie ne saurait être égalée que par la vérité. C'est l'ouvrage de M. de Beaumont que devront lire ceux qui voudront comprendre à quels excès de tyrannie sont peu à peu poussés les hommes quand une fois ils ont commencé à sortir de la nature et de l'humanité.[Retour au texte principal]
Note 75: On sait que plusieurs des auteurs les plus célèbres de l'antiquité étaient ou avaient été des esclaves: Ésope et Térence sont de ce nombre. Les esclaves n'étaient pas toujours pris parmi les nations barbares: la guerre mettait des hommes très civilisés dans la servitude.[Retour au texte principal]
Note 76: Pour que les blancs quittassent l'opinion qu'ils ont conçue de l'infériorité intellectuelle et morale de leurs anciens esclaves, il faudrait que les nègres changeassent, et ils ne peuvent changer tant que subsiste cette opinion.[Retour au texte principal]
Note 77: Voyez l'Histoire de la Virginie, par Beverley. Voyez aussi, dans les Mémoires de Jefferson, de curieux détails sur l'introduction des nègres en Virginie, et sur le premier acte qui en a prohibé l'importation en 1778.[Retour au texte principal]
On trouve dans la Collection historique du Massachusetts, vol. 4, p. 193, des recherches curieuses de Belknap sur l'esclavage dans la Nouvelle-Angleterre. Il en résulte que, dès 1630, les nègres furent introduits, mais que dès lors la législation et les mœurs se montrèrent opposées à l'esclavage.
Voyez également dans cet endroit la manière dont l'opinion publique, et ensuite la loi, parvinrent à détruire la servitude.[Retour au texte principal]
Note 79: Non seulement l'Ohio n'admet pas l'esclavage, mais il prohibe l'entrée de son territoire aux nègres libres, et leur défend d'y rien acquérir. Voyez les statuts de l'Ohio.[Retour au texte principal]
Note 80: Ce n'est pas seulement l'homme individu qui est actif dans l'Ohio; l'État fait lui-même d'immenses entreprises: l'État d'Ohio a établi, entre le lac Érie et l'Ohio, un canal au moyen duquel la vallée du Mississipi communique avec la rivière du Nord. Grâce à ce canal, les marchandises d'Europe qui arrivent à New-York peuvent descendre par eau jusqu'à la Nouvelle-Orléans, à travers plus de cinq cents lieues de continent.[Retour au texte principal]
Note 81: Chiffre exact d'après le recensement de 1830.
| Kentucky, | 688,844. |
| Ohio, | 937,669. |
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Note 82: Indépendamment de ces causes, qui, partout où les ouvriers libres abondent, rend leur travail plus productif et plus économique que celui des esclaves, il en faut signaler une autre qui est particulière aux États-Unis: sur toute la surface de l'Union on n'a encore trouvé le moyen de cultiver avec succès la canne à sucre que sur les bords du Mississipi, près de l'embouchure de ce fleuve, dans le golfe du Mexique. À la Louisiane, la culture de la canne est extrêmement avantageuse: nulle part le laboureur ne retire un aussi grand prix de ses travaux; et, comme il s'établit toujours un certain rapport entre les frais de production et les produits, le prix des esclaves est fort élevé à la Louisiane. Or, la Louisiane étant du nombre des États confédérés, on peut y transporter des esclaves de toutes les parties de l'Union; le prix qu'on donne d'un esclave à la Nouvelle-Orléans élève donc le prix des esclaves sur tous les autres marchés. Il en résulte que, dans les pays où la terre rapporte peu, les frais de la culture par les esclaves continuent à être très considérables, ce qui donne un grand avantage à la concurrence des ouvriers libres.[Retour au texte principal]
L'ancienne richesse de cette partie de l'Union était principalement fondée sur la culture du tabac. Les esclaves sont particulièrement appropriés à cette culture: or, il arrive que depuis bien des années le tabac perd de sa valeur vénale; cependant la valeur des esclaves reste toujours la même. Ainsi le rapport entre les frais de production et les produits est changé. Les habitants du Maryland et de la Virginie se sentent donc plus disposés qu'ils ne l'étaient il y a trente ans, soit à se passer d'esclaves dans la culture du tabac, soit à abandonner en même temps la culture du tabac et l'esclavage.[Retour au texte principal]
Note 84: Les États où l'esclavage est aboli s'appliquent ordinairement à rendre fâcheux aux nègres libres le séjour de leur territoire; et comme il s'établit sur ce point une sorte d'émulation entre les différents États, les malheureux nègres ne peuvent que choisir entre des maux.[Retour au texte principal]
Note 85: Il existe une grande différence entre la mortalité des blancs et celle des noirs dans les États où l'esclavage est aboli: de 1820 à 1831, il n'est mort à Philadelphie qu'un blanc sur quarante-deux individus appartenant à la race blanche, tandis qu'il y est mort un nègre sur vingt et un individus appartenant à la race noire. La mortalité n'est pas si grande à beaucoup près parmi les nègres esclaves. (Voyez Emmerson's medical Statistics, p. 28.)[Retour au texte principal]
Note 86: Ceci est vrai dans les endroits où l'on cultive le riz. Les rizières, qui sont malsaines en tous pays, sont particulièrement dangereuses dans ceux que le soleil brûlant des tropiques vient frapper. Les Européens auraient bien de la peine à cultiver la terre dans cette partie du Nouveau-Monde, s'ils voulaient s'obstiner à lui faire produire du riz. Mais ne peut-on pas se passer de rizières?[Retour au texte principal]
Note 87: Ces États sont plus près de l'équateur que l'Italie et l'Espagne, mais le continent de l'Amérique est infiniment plus froid que celui de l'Europe.[Retour au texte principal]
Note 88: L'Espagne fit jadis transporter dans un district de la Louisiane appelé Attakapas, un certain nombre de paysans des Açores. L'esclavage ne fut point introduit parmi eux; c'était un essai. Aujourd'hui ces hommes cultivent encore la terre sans esclaves; mais leur industrie est si languissante, qu'elle fournit à peine à leurs besoins.[Retour au texte principal]
Aux États-Unis, en 1830, les hommes appartenant aux deux races étaient distribués de la manière suivante: États où l'esclavage est aboli, 6,565,434 blancs, 120,520 nègres. États où l'esclavage existe encore, 3,960,814 blancs, 2,208,102 nègres.[Retour au texte principal]
Note 90: Cette opinion, du reste, est appuyée sur des autorités bien autrement graves que la mienne. On lit entre autres dans les Mémoires de Jefferson: «Rien n'est plus clairement écrit dans le livre des destinées que l'affranchissement des noirs, et il est tout aussi certain que les deux races également libres ne pourront vivre sous le même gouvernement. La nature, l'habitude et l'opinion ont établi entre elles des barrières insurmontables.» (Voyez Extrait des Mémoires de Jefferson, par M. Conseil.)[Retour au texte principal]
Note 91: Si les Anglais des Antilles s'étaient gouvernés eux-mêmes, on peut compter qu'ils n'eussent pas accordé l'acte d'émancipation que la mère-patrie vient d'imposer.[Retour au texte principal]
Note 92: Cette société prit le nom de Société de la Colonisation des noirs. Voyez ses rapports annuels, et notamment le quinzième. Voyez aussi la brochure déjà indiquée intitulée: Letters on the colonisation Society and on its probable results, par M. Carey. Philadelphie, avril 1833.[Retour au texte principal]
Note 93: Cette dernière règle a été tracée par les fondateurs eux-mêmes de l'établissement. Ils ont craint qu'il n'arrivât en Afrique quelque chose d'analogue à ce qui se passe sur les frontières des États-Unis, et que les nègres, comme les Indiens, entrant en contact avec une race plus éclairée que la leur, ne fussent détruits avant de pouvoir se civiliser.[Retour au texte principal]
Note 94: Il se rencontrerait bien d'autres difficultés encore dans une pareille entreprise. Si l'Union, pour transporter les nègres d'Amérique en Afrique, entreprenait d'acheter les noirs à ceux dont ils sont les esclaves, le prix des nègres, croissant en proportion de leur rareté, s'élèverait bientôt à des sommes énormes, et il n'est pas croyable que les États du Nord consentissent à faire une semblable dépense, dont ils ne devraient point recueillir les fruits. Si l'Union s'emparait de force ou acquérait à un bas prix fixé par elle les esclaves du Sud, elle créerait une résistance insurmontable parmi les États situés dans cette partie de l'Union. Des deux côtés on aboutit à l'impossible.[Retour au texte principal]
Note 95: Il y avait en 1830 dans les États-Unis 2,010,327 esclaves, et 319,439 affranchis; en tout 2,329,766 nègres; ce qui formait un peu plus du cinquième de la population totale des États-Unis à la même époque.[Retour au texte principal]
Note 96: L'affranchissement n'est point interdit, mais soumis à des formalités qui le rendent difficile.[Retour au texte principal]
Note 97: Voyez la conduite des États du Nord dans la guerre de 1812. «Durant cette guerre, dit Jefferson dans une lettre du 17 mars 1817 au général Lafayette, quatre des États de l'Est n'étaient plus liés au reste de l'Union que comme des cadavres à des hommes vivants.»—(Correspondance de Jefferson, publiée par M. Conseil.)[Retour au texte principal]
Note 98: L'état de paix où se trouve l'Union ne lui donne aucun prétexte pour avoir une armée permanente. Sans armée permanente, un gouvernement n'a rien de préparé d'avance pour profiter du moment favorable, vaincre la résistance, et enlever par surprise le souverain pouvoir.[Retour au texte principal]
Note 99: C'est ainsi que la province de la Hollande, dans la république des Pays-Bas, et l'empereur, dans la Confédération Germanique, se sont quelquefois mis à la place de l'Union, et ont exploité dans leur intérêt particulier la puissance fédérale.[Retour au texte principal]
Note 100: Hauteur moyenne des Alléghanys, suivant Volney (Tableau des États-Unis, p. 33), 700 à 800 mètres; 5,000 à 6,000 pieds, suivant Darby: la plus grande hauteur des Vosges est de 1,400 mètres au-dessus du niveau de la mer.[Retour au texte principal]
Note 101: Voyez la carte à la fin du premier volume.[Retour au texte principal]
Note 102: Voyez View of the United States, par Darby, p. 64 et 79.[Retour au texte principal]
Note 103: La chaîne des Alléghanys n'est pas plus haute que celle des Vosges, et n'offre pas autant d'obstacles que cette dernière aux efforts de l'industrie humaine. Les pays situés sur le versant oriental des Alléghanys sont donc aussi naturellement liés à la vallée du Mississipi que la Franche-Comté, la haute Bourgogne et l'Alsace, le sont à la France.[Retour au texte principal]
Note 104: 1,002,600 milles carrés. Voyez View of the United States, by Darby, p. 435.[Retour au texte principal]
Note 105: Je n'ai pas besoin, je pense, de dire que par ces expressions: les Anglo-Américains, j'entends seulement parler de la grande majorité d'entre eux. En dehors de cette majorité se tiennent toujours quelques individus isolés.[Retour au texte principal]
| Recensement | de 1790, | 3,929,328. |
| de 1830, | 12,856,165. | |
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Note 107: Ceci n'est, il est vrai, qu'un péril passager. Je ne doute pas qu'avec le temps la société ne vienne à s'asseoir et à se régler dans l'Ouest comme elle l'a déjà fait sur les bords de l'océan Atlantique.[Retour au texte principal]
Note 108: La Pensylvanie avait 431,373 habitants en 1790.[Retour au texte principal]
Note 109: Superficie de l'État de New-York, 6,213 lieues carrées (500 milles carrés.) Voyez View of the United States, by Darby, p. 435.[Retour au texte principal]
Note 110: Si la population continue à doubler en vingt-deux ans, pendant un siècle encore, comme elle a fait depuis deux cents ans, en 1852 on comptera dans les États-Unis vingt-quatre millions d'habitants, quarante-huit en 1874, et quatre-vingt-seize en 1896. Il en serait ainsi quand même on rencontrerait sur le versant oriental des montagnes Rocheuses des terrains qui se refuseraient à la culture. Les terres déjà occupées peuvent très facilement contenir ce nombre d'habitants. Cent millions d'hommes répandus sur le sol occupé en ce moment par les vingt-quatre États et les trois territoires dont se compose l'Union, ne donneraient que 762 individus par lieue carrée, ce qui serait encore bien éloigné de la population moyenne de la France, qui est de 1,006; de celle de l'Angleterre, qui est de 1,457; et ce qui resterait même au-dessous de la population de la Suisse. La Suisse, malgré ses lacs et ses montagnes, compte 783 habitants par lieue carrée. Voyez Malte-Brun, vol. 6, p. 92.[Retour au texte principal]
Note 111: Le territoire des États-Unis a une superficie de 295,000 lieues carrées; celui de l'Europe, suivant Malte-Brun, vol. 6, p. 4, est de 500,000.[Retour au texte principal]
Note 112: Voyez Documents législatifs, 20e congrès, no 117, p. 105.[Retour au texte principal]
Note 113: 3,672,317, dénombrement de 1830.[Retour au texte principal]
Note 114: De Jefferson, capitale de l'État de Missouri, à Washington, on compte 1,019 milles, ou 420 lieues de poste. (American almanac, 1831, p. 48.)[Retour au texte principal]
En 1829, les vaisseaux du grand et du petit commerce appartenant à la Virginie, aux deux Carolines et à la Géorgie (les quatre grands États du Sud), ne jaugeaient que 5,243 tonn.
Dans la même année, les navires du seul État de Massachusetts jaugeaient 17,322 tonn.[A].
Ainsi le seul État du Massachusetts avait trois fois plus de vaisseaux que les quatre États sus-nommés.
Cependant l'État du Massachusetts n'a que 959 lieues carrées de superficie (7,335 milles carrés) et 610,014 habitants, tandis que les quatre États dont je parle ont 27,304 lieues carrées (210,000 milles) et 3,047,767 habitants. Ainsi la superficie de l'État de Massachusetts ne forme que la trentième partie de la superficie des quatre États, et sa population est cinq fois moins grande que la leur[B]. L'esclavage nuit de plusieurs manières à la prospérité commerciale du Sud: il diminue l'esprit d'entreprise chez les blancs, et il empêche qu'ils ne trouvent à leur disposition les matelots dont ils auraient besoin. La marine ne se recrute en général que dans la dernière classe de la population. Or, ce sont les esclaves qui, au Sud, forment cette classe, et il est difficile de les utiliser à la mer: leur service serait inférieur à celui des blancs, et on aurait toujours à craindre qu'ils ne se révoltassent au milieu de l'Océan, ou ne prissent la fuite en abordant les rivages étrangers.[Retour au texte principal]
Note A: Documents législatifs, 21e congrès, 2e session, no 140, p. 244.[Retour au texte principal]
Note B: View of the United States, par Darby.[Retour au texte principal]
Note 116: View of the United States, by Darby, p. 444.[Retour au texte principal]
Note 117: Remarquez que, quand je parle du bassin du Mississipi, je n'y comprends point la portion des États de New-York, de Pensylvanie et de Virginie, placée à l'ouest des Alléghanys, et qu'on doit cependant considérer comme en faisant aussi partie.[Retour au texte principal]
Note 118: On s'aperçoit alors que, pendant les dix ans qui viennent de s'écouler, tel État a accru sa population dans la proportion de 5 sur 100, comme le Delaware; tel autre dans la proportion de 250 sur 100, comme le territoire du Michigan. La Virginie découvre que, durant la même période, elle a augmenté le nombre de ses habitants dans le rapport de 13 sur 100, tandis que l'État limitrophe de l'Ohio a augmenté le nombre des siens dans le rapport de 61 à 100. Voyez la table générale contenue au National Calendar, vous serez frappé de ce qu'il y a d'inégal dans la fortune des différents États.[Retour au texte principal]
Je prends pour objet de comparaison la Virginie, que j'ai déjà citée. Le nombre des députés de la Virginie, en 1823, était en proportion du nombre total des députés de l'Union; le nombre des députés de la Virginie en 1833 est de même en proportion du nombre total des députés de l'Union en 1833, et en proportion du rapport de sa population, accrue pendant ces dix années. Le rapport du nouveau nombre de députés de la Virginie à l'ancien sera donc proportionnel, d'une part au rapport du nouveau nombre total des députés à l'ancien, et d'autre part au rapport des proportions d'accroissement de la Virginie et de toute l'Union. Ainsi, pour que le nombre des députés de la Virginie reste stationnaire, il suffit que le rapport de la proportion d'accroissement du petit pays à celle du grand soit l'inverse du rapport du nouveau nombre total des députés à l'ancien; et pour peu que cette proportion d'accroissement de la population virginienne soit dans un plus faible rapport avec la proportion d'accroissement de toute l'Union, que le nouveau nombre des députés de l'Union avec l'ancien, le nombre des députés de la Virginie sera diminué.[Retour au texte principal]
Note 120: Washington, Jefferson, Madisson et Monroe.[Retour au texte principal]
Note 121: Voyez le rapport fait par son comité à la Convention, qui a proclamé la nullification dans la Caroline du Sud.[Retour au texte principal]
Note 122: La population d'un pays forme assurément le premier élément de sa richesse. Durant cette même période de 1820 à 1832, pendant laquelle la Virginie a perdu deux députés au congrès, sa population s'est accrue dans la proportion de 13,7 à 100; celle des Carolines dans le rapport de 15 à 100, et celle de la Géorgie dans la proportion de 51,5 à 100. (Voyez American Almanac, 1832, p. 162.) Or, la Russie, qui est le pays d'Europe où la population croît le plus vite, n'augmente en dix ans le nombre de ses habitants que dans la proportion de 9,5 à 100; la France dans celle de 7 à 100, et l'Europe en masse dans celle de 4,7 à 100. (Voyez Malte-Brun, vol. 6, p. 95.)[Retour au texte principal]
Note 123: Il faut avouer cependant que la dépréciation qui s'est opérée dans le prix du tabac, depuis cinquante ans, a notablement diminué l'aisance des cultivateurs du Sud; mais ce fait est indépendant de la volonté des hommes du Nord comme de la leur.[Retour au texte principal]
Note 124: En 1832, le district du Michigan, qui n'a que 31,639 habitants, et ne forme encore qu'un désert à peine frayé, présentait le développement de 940 milles de routes de poste. Le territoire presque entièrement sauvage d'Arkansas était déjà traversé par 1738 milles de routes de poste. Voyez the Report of the post general, 30 novembre 1833. Le port seul des journaux dans toute l'Union rapporte par an 254,796 dollars.[Retour au texte principal]
En 1829, il existait aux États-Unis 256 bateaux à vapeur. Voyez Documents législatifs, no 240, p. 274.[Retour au texte principal]
Note 126: Voyez dans les documents législatifs, que j'ai déjà cités au chapitre des Indiens, la lettre du président des États-Unis aux Cherokées, sa correspondance à ce sujet avec ses agents et ses messages au congrès.[Retour au texte principal]
Note 127: Le premier acte de cession eut lieu de la part de l'État de New-York en 1780; la Virginie, le Massachusetts, le Connecticut, la Caroline du Sud, la Caroline du Nord, suivirent cet exemple à différentes périodes, la Géorgie fut la dernière; son acte de cession ne remonte qu'à 1803.[Retour au texte principal]
Note 128: Le président refusa, il est vrai, de sanctionner cette loi, mais il en admit complétement le principe. Voyez Message du 8 décembre 1833.[Retour au texte principal]
Note 129: La Banque actuelle des États-Unis a été créée en 1816, avec un capital de 35,000,000 de dollars (185,500,000 fr.): son privilége expire en 1836. L'année dernière, le congrès fit une loi pour le renouveler; mais le président refusa sa sanction. La lutte est aujourd'hui engagée de part et d'autre avec une violence extrême, et il est facile de présager la chute prochaine de la Banque.[Retour au texte principal]
Note 130: Voyez principalement, pour les détails de cette affaire, les Documents législatifs, 22e congrès, 2e session, no 30.[Retour au texte principal]
Note 131: C'est-à-dire une majorité du peuple; car le parti opposé, nommé Union Party, compta toujours une très forte et très active minorité en sa faveur. La Caroline peut avoir environ 47,000 électeurs 30,000 étaient favorables à la nullification, et 17,000 contraires.[Retour au texte principal]
Note 132: Cette ordonnance fut précédée du rapport d'un comité chargé d'en préparer la rédaction: ce rapport renferme l'exposition et le but de la loi. On y lit, p. 34: «Lorsque les droits réservés aux différents États par la constitution sont violés de propos délibéré, le droit et le devoir de ces États est d'intervenir, afin d'arrêter les progrès du mal, de s'opposer à l'usurpation, et de maintenir dans leurs respectives limites les pouvoirs et priviléges qui leur appartiennent comme souverains indépendants. Si les États ne possédaient pas ce droit, en vain se prétendraient-ils souverains. La Caroline du Sud déclare ne reconnaître sur la terre aucun tribunal qui soit placé au-dessus d'elle. Il est vrai qu'elle a passé, avec d'autres États souverains comme elle, un contrat solennel d'union (a solemn contract of union), mais elle réclame et exercera le droit d'expliquer quel en est le sens à ses yeux, et lorsque ce contrat est violé par ses associés et par le gouvernement qu'ils ont créé, elle veut user du droit évident (unquestionable), de juger quelle est l'étendue de l'infraction, et quelles sont les mesures à prendre pour obtenir justice.»[Retour au texte principal]
Note 133: Ce qui acheva de déterminer le congrès à cette mesure, ce fut une démonstration du puissant État de Virginie, dont la législature s'offrit à servir d'arbitre entre l'Union et la Caroline du Sud. Jusque là cette dernière avait paru entièrement abandonnée, même par les États qui avaient réclamé avec elle.[Retour au texte principal]
Note 134: Loi du 2 mars 1833.[Retour au texte principal]
Note 135: Cette loi fut suggérée par M. Clay, et passa en quatre jours, dans les deux chambres du congrès, à une immense majorité.[Retour au texte principal]
Note 136: La valeur totale des importations de l'année finissant au 30 septembre 1832, a été de 101,129,266 dollars. Les importations faites sur navires étrangers ne figurent que pour une somme de 10,731,039 dollars, à peu près un dixième.[Retour au texte principal]
Note 137: La valeur totale des exportations, pendant la même année, a été de 87,176,943 dollars; la valeur exportée sur vaisseaux étrangers a été de 21,036,183 dollars, ou à peu près le quart. (William's register, 1833, p. 398)[Retour au texte principal]
Durant les années 1820, 1826 et 1831, les vaisseaux anglais entrés dans les ports de Londres, Liverpool et Hull, ont jaugé 443,800 tonneaux. Les vaisseaux étrangers entrés dans les mêmes ports pendant les mêmes années jaugeaient 159,431 tonneaux. Le rapport entre eux était donc comme 36 est à 100 à peu près. (Companion to the almanac, 1834, p. 169.)
Dans l'année 1832, le rapport des bâtiments étrangers et des bâtiments anglais entrés dans les ports de la Grande-Bretagne était comme 29 à 100.[Retour au texte principal]
Note 139: Les matières premières, en général, coûtent moins cher en Amérique qu'en Europe, mais le prix de la main-d'œuvre y est beaucoup plus élevé.[Retour au texte principal]
Note 140: Il ne faut pas croire que les vaisseaux anglais soient uniquement occupés à transporter en Angleterre les produits étrangers, ou à transporter chez les étrangers les produits anglais; de nos jours la marine marchande d'Angleterre forme comme une grande entreprise de voitures publiques, prêtes à servir tous les producteurs du monde et à faire communiquer tous les peuples entre eux. Le génie maritime des Américains les porte à élever une entreprise rivale de celle des Anglais.[Retour au texte principal]
Note 141: Une partie du commerce de la Méditerranée se fait déjà sur des vaisseaux américains.[Retour au texte principal]
Note 142: En première ligne celle-ci: les peuples livrés et habitués au régime municipal parviennent bien plus aisément que les autres à créer de florissantes colonies. L'habitude de penser par soi-même et de se gouverner est indispensable dans un pays nouveau, où le succès dépend nécessairement en grande partie des efforts individuels des colons.[Retour au texte principal]
Note 143: Les États-Unis seuls couvrent déjà un espace égal à la moitié de l'Europe. La superficie de l'Europe est de 500,000 lieues carrées; sa population de 205,000,000 d'habitants. Malte-Brun, liv. CXIV, vol. 6, page 4.[Retour au texte principal]
Note 144: Voyez Malte-Brun, liv. CXVI, vol. 6, page 92.[Retour au texte principal]
Note 145: C'est la population proportionnelle à celle de l'Europe, en prenant la moyenne de 410 hommes par lieue carrée.[Retour au texte principal]
Note 146: La Russie est, de toutes les nations de l'Ancien-Monde, celle dont la population augmente le plus rapidement, proportion gardée.[Retour au texte principal]