Documents Inédits sur Alfred de Musset
The Project Gutenberg eBook of Documents Inédits sur Alfred de Musset
Title: Documents Inédits sur Alfred de Musset
Author: Maurice Clouard
Release date: September 16, 2010 [eBook #33738]
Language: French
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DOCUMENTS INÉDITS
SUR
ALFRED DE MUSSET
OUVRAGES DU MÊME AUTEUR
Bibliographie des Œuvres d'Alfred de Musset et des ouvrages, vignettes et gravures qui s'y rapportent. Lettre de Ch. de Lovenjoul et portrait d'Alfred de Musset d'après la statue de Granet. Paris, Rouquette, 1883. 1 vol. in-8o.
L'Œuvre de Champfleury, dressé d'après ses propres notes et complété par M. Clouard. Paris, L. Sapin, 1891. Brochure gr. in-8o.
Notes sur les dessins de Victor Hugo, accompagnées de lettres inédites et d'un dessin. Paris, A. Colin et Cie, 1898. Brochure in-8o.
EN PRÉPARATION
Histoire des Œuvres d'Alfred de Musset, ornée de portraits et de fac-similés en noir et en couleur.
Suite de huit vignettes et portraits gravés à l'eau-forte par L. Charbonnel d'après Célestin Nanteuil, Théophile Gautier, Nadar et Granet pour illustrer la Bibliographie des Œuvres d'Alfred de Musset. Paris, 1883.
Épreuves in-folio sur Japon, noir et sanguine; in-4o, sur Chine, en noir; in-4o, sur vergé, en noir.
MAURICE CLOUARD
DOCUMENTS INÉDITS
SUR
ALFRED DE MUSSET
PARIS
LIBRAIRIE A. ROUQUETTE
69-73, Passage de Choiseul, 69-73
1900
TIRAGE
A TROIS CENT CINQUANTE EXEMPLAIRES NUMÉROTÉS A LA PRESSE,
Savoir:
| 310 sur papier vergé, de | 1 à 310. |
| 40 sur papier de Hollande, de | I à XL. |
No 50
LES PORTRAITS
DE
ALFRED DE MUSSET
LES PORTRAITS
Il est une petite pièce de vers, écrite en 1854, qu'on chercherait en vain dans les dix volumes de ses Œuvres complètes et que nous citons page 205 de ce livre, dans laquelle Alfred de Musset fait lui-même la critique des portraits qui le représentent. Plusieurs sont omis, des meilleurs. Cependant, elles ne sont pas aussi nombreuses qu'on pourrait le croire, les reproductions des traits de l'auteur des Nuits. Je ne parle ni des caricatures ni des charges, non plus que de ses portraits quand il était enfant, figures qui n'ont d'autre mérite que celui de la curiosité ou de la rareté. Tous les portraits d'Alfred de Musset se rapportent à quatre types, dessinés, peints ou sculptés du vivant du poète par David d'Angers, Eugène Lami, Charles Landelle et Gavarni; lesquels, après 1857, ont servi de modèles à ceux, peintres ou sculpteurs, qui ont voulu le représenter. Je ferai remarquer que ce sont les portraits les plus ressemblants qui sont les moins connus.
VAN BRÉE
1814.
Portrait à l'huile, dont l'original est au musée Carnavalet. La sœur du poète, Mme Lardin de Musset, en possède une copie exacte, cadre et toile.
Alfred de Musset a trois ans; c'est un bébé tout rose, avec de jolis cheveux blonds qui tombent en boucles sur ses épaules. Dans la clairière d'un bois, il est assis sur une grosse pierre, au bord d'un ruisseau, les pieds dans l'eau, retenant avec ses mains, le long de sa poitrine, sa petite chemise qui glisse et le laisse presque nu. A ses côtés est une grande épée «pour se défendre contre les grenouilles» qui le regardent curieusement.
Gravé à l'eau-forte par Lalauze, en 1891, et joint à l'édition du conte d'Alfred de Musset La Mouche, publiée à la librairie Ferroud. (1 vol. in-8o.)
DUFAUT
1815.
Portraits d'Alfred et de Paul de Musset, formant groupe; peinture à l'huile représentant les deux frères à mi-corps; Alfred a une petite robe rouge; ses cheveux blonds bouclés, tombent sur ses épaules. Il appuie la tête contre la poitrine de son frère Paul, qui met la main sur l'épaule d'Alfred, plus petit que lui.
L'original est, comme celui du portrait précédent, au Musée Carnavalet. Mme Lardin de Musset en a également fait exécuter une copie exacte: «Je ne crois pas, dit M. Jules Cousin, dans l'Intermédiaire des Chercheurs et Curieux du 28 février 1898, qu'il ait été publié de reproduction gravée de ce double portrait; nous la réservons pour le grand album des pièces les plus curieuses du Musée. Mais j'en ai fait prendre un beau cliché photographique, dont tout intéressé obtiendrait sans difficulté l'autorisation de faire tirer à ses frais une épreuve.» Je ne connais pas non plus de reproduction gravée; mais, comme M. Cousin, je suis possesseur d'un cliché photographique dont quelques épreuves ont été données meis et amicis.
ROEHN
1828.
Le beau Grec, portrait-charge d'Alfred de Musset au fusain et crayon de couleur avec lavis. La tête seule du patient, émergeant d'un faux-col et coiffée d'un fez rouge qui est posé sur des cheveux en broussaille, est représentée de profil à gauche.
En 1890, j'ai fait fac-similer cette caricature, par l'imprimerie Lemercier, à Paris; il a été tiré trente épreuves in-4o sur Hollande, puis la pierre a été effacée.
DEVÉRIA
Vers 1830.
Alfred de Musset en costume de page, portrait en pied lithographié, exécuté probablement pour l'une des soirées travesties données par Achille Devéria.
I. Planche refusée, in-4o.—Il n'existe, à ma connaissance, qu'une seule épreuve de cette planche, appartenant à M. Gabriel Devéria. Dans la campagne, dont des rochers forment le fond, le jeune page, la main gauche appuyée sur la hanche, soutient de la main droite le bouffant de sa manche. Il a les yeux baissés et regarde de côté; un poignard pend à sa ceinture.
Reproduit en phototypie dans le volume de Mme Arvède Barine sur Alfred de Musset. (Hachette, 1893, in-12).
II. Planche publiée, grand in-4o.—Lithographie de Fonrouge. Même costume que ci-dessus, mais sans le poignard. Le décor est changé: dans une salle, la main droite appuyée sur le dossier d'une chaise, la main gauche sur la hanche, le page tourne légèrement la tête à gauche, bien que le regard soit dirigé de face. C'est le portrait le plus ressemblant d'Alfred de Musset jeune. La lithographie originale n'a pas, que je sache, été reproduite.
DAVID D'ANGERS
1831.
Médaillon rond de 0m17 de diamètre, représentant Alfred de Musset à l'âge de 23 ans: col nu, cheveux longs ramenés en avant; la figure, vue de trois quarts, ne porte ni barbe ni moustache, mais seulement de légers favoris; les yeux sont tournés à droite; sur le côté droit du médaillon, est gravé le nom du poète; à gauche, on lit: «David, 1831.»
L'original, en plâtre, appartient à Mme Lardin de Musset. Des reproductions en bronze ont été et sont faites par la maison Thiébault frères, à Paris. Alfred de Musset venait poser à l'atelier de David, comme le témoigne cette lettre[1]:
«Paris, samedi soir. 1831.
«Monsieur,
«Je suis de service demain, pour presque toute la journée; c'est ce qui me privera du plaisir de vous recevoir à mon atelier. Lundi, le jury qui doit juger le concours pour la monnaie du Roy, aura certainement terminé son opération vers midi; je me rendrai de suite rue de Fleurus, et si vous pouvez disposer de quelques instants, je vous y attendrai. Vous obligerez votre bien dévoué serviteur.
«David.»
Le poète et le sculpteur restèrent en relations amicales. M. Henry Jouin, dans son livre David d'Angers et ses relations littéraires (Plon, 1890. In-8o, p. 67), publie le billet suivant, écrit probablement en 1832:
«Mon cher David, je suis allé chez Micheli pour avoir de vos médailles. Il demande une autorisation de vous pour cela. Soyez assez bon pour m'envoyer deux mots de votre main, pour Micheli et pour votre Petit Cardillac des Enfants Rouges; vous obligerez votre dévoué de cœur.»
«Alfd de Musset.»
Que signifie ce Petit Cardillac des Enfants Rouges? Je n'ai pu trouver le sens de ce surnom et l'expliquer mieux que M. H. Jouin. En janvier 1828, David d'Angers fut victime d'une tentative d'assassinat, à trois pas de l'Abbaye, derrière Saint-Germain-des-Prés. La rue des Enfants-Rouges allait de la rue Porte-Foin à celle des Quatre-Fils; c'est aujourd'hui la rue des Archives. Quel rapport peut-il y avoir entre Cardillac, l'orfèvre assassin des Contes d'Hoffmann, et l'assassin de David? la rue de l'Abbaye, où s'est passé le drame de 1828, et cette rue du Quartier du Temple?
Le médaillon de David a été reproduit par la gravure:
1o En 1876, eau-forte in-32 par Waltner, pour l'édition des Œuvres d'Alfred de Musset dans la collection dite Petite Bibliothèque Charpentier. (Salon de 1876, no 4004).
2o En 1877, eau-forte in-18 par Martinez, pour l'édition des Œuvres à la librairie Lemerre. (Salon de 1877, no 4165).
3o En 1889, eau-forte in-8o par F. Courboin, publiée dans l'Artiste du 1er janvier 1890.
4o En 1896, gravure in-8o sur bois par Florian, publiée comme frontispice de Les Nuits, par Alfred de Musset. (Paris, Pelletan, 1896. 1 vol. in-8o).
5o En 1898, pointe-sèche in-4o, gravée par Bracquemond d'après le médaillon (la figure est renversée) et tirée à dix épreuves, numérotées et signées par le graveur; après ce tirage restreint, le cuivre a été verni et encadré.
Voir l'ouvrage intitulé: David d'Angers, sa vie, son œuvre, par H. Jouin. (Paris, Plon, 1877, 2 vol. in-4o) et un article de Théophile Gautier dans le Moniteur Universel du 4 mai 1868.
CARICATURES PAR LUI-MÊME
1833-1834.
Pendant les quelques mois que dura l'entente cordiale de George Sand et d'Alfred de Musset, à Paris comme à Venise, le poète fit plusieurs fois sa propre charge. Ces caricatures, dessinées à la mine de plomb, existent sur deux albums: celui de George Sand, qui appartient aujourd'hui à M. le vicomte de Spoelberch de Lovenjoul, et celui d'Alfred de Musset, qui est entre les mains de sa sœur, Mme Lardin de Musset.
1o Le poète chevelu, 1833 (Album de G. Sand). De face, à mi-jambe, les deux mains dans ses poches; taille de guêpe serrée dans une redingote boutonnée; tête piriforme, de chaque côté de laquelle se relèvent les boucles enroulées d'une luxuriante chevelure. Il a été fait une reproduction lithographique in-8o, tirée à 25 exemplaires qui ont été joints au tirage à part de notre article intitulé: «Quelques œuvres inédites ou peu connues d'Alfred de Musset», publié dans la Revue d'Histoire littéraire de la France du 15 janvier 1898.
2o Alfred de Musset et George Sand, décembre 1833 (Album d'A. de Musset). En buste, de face, coiffures et costumes plus ou moins vénitiens. Non reproduit.
3o «Ballade», 1834. (Album de G. Sand). En pied, vu de dos, canne à la main droite. Au fond, à droite, église et son clocher, que surmonte la lune, «comme un point sur un i». Imite le dessin d'un enfant. Dessiné sur papier jaune, non reproduit.
4o «Don Juan allant emprunter dix sous, pour payer son idéale et enfoncer Byron». 1834. (Album de G. Sand). En buste, de profil à droite, fumant un énorme cigare. Long nez et cheveux lissés, légers favoris. Non reproduit.
THÉOPHILE GAUTIER
1835.
Portrait-charge en pied d'Alfred de Musset et d'Honoré de Balzac, gravé sur bois par Géniole, d'après un dessin de Théophile Gautier, publié dans le Mercure de France du 15 juillet 1835.
Les deux écrivains sont l'un près de l'autre. A gauche, Alfred de Musset, vu de dos, les jambes écartées, la taille serrée dans sa redingote, et coiffé d'un chapeau haut de forme, lance en l'air la fumée de sa cigarette. A droite, Balzac, vu de profil, au ventre proéminent, tient de ses deux mains, derrière son dos, sa fameuse canne et son chapeau.
Une réduction de ces deux portraits a été publiée dans La Vie Moderne des 26 juillet et 9 août 1879.
En 1883, la vignette du Mercure de France a été fac-similée à l'eau-forte par Louis Charbonnel. Il a été fait un tirage ordinaire sur Hollande in-4o et un tirage de luxe à 26 épreuves en noir et 15 épreuves en sanguine sur Japon 1/2 colombier. (Imprimerie Lemercier.)
Le livre de M. Adolphe Jullien, Le Romantisme et l'Éditeur Eugène Renduel (Paris, Charpentier et Fasquelle, 1897. 1 vol. in-12) donne page 55 un nouveau fac-similé vignette, et le Mois Littéraire de juin 1899, en publie page 697 une réduction.
En 1883, j'ai retrouvé un fragment du dessin original de Théophile Gautier, dessin qui semble avoir été coupé en quatre morceaux. Sur celui que je possède, il reste Alfred de Musset, vu depuis le milieu environ de la basque de son habit; c'est un dessin à la sépia et au lavis. Louis Charbonnel l'a fac-similé à l'eau-forte et il en a été tiré par l'imprimerie Lemercier 41 épreuves en bistre sur Japon 1/2 colombier.
ROGER DE BEAUVOIR
Vers 1835.
Portrait-charge dessiné à la plume: Alfred de Musset en pied, vu de dos, brandit d'une main sa canne et de l'autre sa cigarette. Reproduit ci-contre.
CARICATURE PAR LUI-MÊME
Vers 1838.
Portrait-charge à mi-jambe, dessiné sur l'album de Mme Caroline Jaubert. Le poète s'est représenté de profil à droite, tête énorme, presque toute en nez; jabot de dentelle.
L'album où se trouvait ce dessin fut perdu à Paris, dans une voiture, par une personne à laquelle Mme Jaubert l'avait confié. Mais il existait de cette charge une épreuve photographique unique, tirée par un ami de la Marraine, qui l'avait joint à l'exemplaire des Œuvres de son filleul; c'est l'original actuel, dont il m'a été permis de prendre un cliché photographique.
Pour assurer la conservation de ce dessin, j'en ai fait faire un fac-similé sur zinc, dont il n'a été tiré que quelques épreuves, données à des amis.
EUGÈNE LAMI
1841.
Portrait en pied, dessiné au trait, en sanguine, et dont la tête seule est ombrée. Signé: «E. L. 1841.» Le poète est représenté de profil à gauche, la tête nue; de la main droite, il tient son chapeau appuyé sur sa cuisse; le bras gauche est replié derrière le dos, et dans la main gauche sont des gants. Il est vêtu d'un frac déboutonné, à collet de velours; pantalon rayé, cravate montante, toute la barbe. La tête seule est terminée.
Le dessin original appartient à la Comédie-Française, à laquelle M. Alexandre Dumas fils en a fait don. H.: 0.180—L.: 0.065.
La pose, trop affectée, n'est pas celle d'Alfred de Musset, m'ont dit plusieurs personnes qui ont connu le poète.
Ce dessin a été reproduit: 1o En fac-similé à l'eau-forte, par Legenisel: A. En 1874, de la grandeur de l'original. (Salon de 1874, no 3502).—B. En 1876, format in-32, pour être joint à un volume des Œuvres d'Alfred de Musset dans la Petite Bibliothèque Charpentier.—C. En 1878, format in-12, tiré à très petit nombre et non mis dans le commerce.
2o Gravé sur bois, in-8o, en noir, dans l'Univers Illustré du 4 mars 1882.
3o Par des procédés divers, in-12 et in-32, dans la Revue Encyclopédique du 14 novembre 1896, le Magasin littéraire du 1er décembre 1896, les Annales politiques et littéraires du 6 décembre 1896.
CARICATURE PAR LUI-MÊME
1842.
Tête de profil, au nez démesuré, dessinée à la mine de plomb par Alfred de Musset, sur son album, à Lorey. Les cheveux longs tombent à plat autour de la tête; front aplati, menton rentrant, moustache tombante, col montant.
En 1876, il a été fait une reproduction à l'eau-forte, réduite de moitié environ, par les soins de l'éditeur Charpentier; cette charge devait être jointe à l'un des volumes des Œuvres dans la Petite Bibliothèque Charpentier; mais il fut décidé que l'édition ne donnerait que des portraits sérieux, et le cuivre, après avoir été tiré à 75 exemplaires sur papier vergé in-18, fut effacé. Aucun exemplaire n'a été mis dans le commerce.
BIARD
(Sans date).
Quel est ce portrait et où se trouve-t-il? C'est ce qu'il m'a été impossible de savoir. La fille du peintre, Mme la baronne Double, n'a pu, malgré son bon vouloir, me fournir aucun renseignement.
Toutefois, Mme veuve Martelet, qui s'appelait Adèle Colin lorsqu'elle était gouvernante d'Alfred de Musset, m'a fait voir une petite photographie, format carte de visite, faite chez Pexme, 20, Chaussée-d'Antin, à Paris, photographie toute jaunie et déjà un peu effacée, que son maître lui avait donnée certain soir, vers 1844 ou 1845, en lui disant que c'était la reproduction d'un portrait qu'un peintre venait de faire de lui. Alfred de Musset est représenté en pied, de trois quarts à droite, la main gauche enfoncée dans la poche de son pantalon, le bras droit appuyé sur le fût d'une colonne; redingote dont le seul bouton du haut est boutonné, pantalon uni. Le poète n'a pas le ruban de la Légion d'honneur, ce qui prouve que ce portrait est antérieur au 30 avril 1845.—Serait-ce une photographie du portrait de Biard? Alfred de Musset n'a pas prononcé le nom du peintre en remettant la photographie à Mlle Colin, qui ne connaît pas le portrait de Biard.
En 1877, la librairie Charpentier joignait à l'un des volumes de l'édition in-32 des Œuvres d'Alfred de Musset, un portrait gravé à l'eau-forte par Monziès «d'après une photographie prise d'après nature». Suivant les renseignements qui m'ont été fournis parla famille de Musset, Alfred de Musset n'a jamais été directement photographié. La tête du portrait de Monziès ressemble à celle de la photographie de Pexme. Une reproduction en phototypie de la photographie de Pexme, est publiée dans Dix Ans chez Alfred de Musset, par Mme Martelet, née Adèle Colin. (Paris, Chamuel, 1899. 1 vol. in-12).
RIFFAUT
1845.
Portrait à mi-corps, dessiné et gravé à la manière noire par A. Riffaut, publié dans l'Artiste du 18 janvier 1846. C'est un médaillon ovale, placé dans un encadrement rectangulaire, représentant Alfred de Musset presque de face, jusqu'à la hauteur des genoux. La tête, de trois quarts à droite, est découverte; cheveux longs, toute la barbe; le bras gauche est replié et le pouce gauche enfoncé dans la poche du gilet; le bras droit pend le long du corps, et de la main droite le poète tient une canne. Pantalon uni, décoration.
La pose est raide et ni la ligure ni le regard n'ont d'expression.
MADEMOISELLE MARIE MOULIN
1848.
Miniature peinte par Mlle Marie Moulin, cousine d'Alfred de Musset et figurant au Salon de 1848 (no 3411. Trois miniatures: Alfred de Musset, Paul de Musset et Mme M***.) C'est un portrait de face, à mi-corps, barbe légèrement taillée, frac déboutonné, gilet à fleurs très ouvert, tête découverte, cravate montante. L'original appartient à Mme Lardin de Musset.
Reproductions: 1o Photographie 18x24 exécutée par la maison Bingham, 50, rue de La Rochefoucauld, à Paris, pour la famille de Musset, et non mise dans le commerce.
2o Gravure à l'eau-forte par Burney, faite en 1887 pour l'édition des Nouvelles d'Alfred de Musset publiées en 1 vol. in-8o à la librairie Conquet. (Imp. Chardon.)
EUGÈNE GIRAUD
(Sans date).
Portrait-charge, dessiné et peint à l'aquarelle, représentant Alfred de Musset en pied, avec une très grosse tête sur un tout petit corps. L'original faisait partie de la collection de M. de Nieuwerkerke, et on a pu le voir quai Malaquais, à l'Exposition des Maîtres Français de la Caricature, qui fut faite à l'École des Beaux-Arts au mois d'avril 1888 (no 440 du catalogue). Actuellement, cette collection est en Italie: M. de Nieuwerkerke est mort, ses héritiers habitent près de Lucques, en Toscane, et il est à craindre que toute cette réunion des charges de nos meilleurs écrivains, ne soit perdue pour la France.
Ce portrait d'Alfred de Musset n'a pas été reproduit. L'Illustration du 5 mai 1888 donne ceux d'A. Houssaye et d'A. Dumas.
TRICHON et C. F.
1853.
Portraits d'Alfred de Musset et de Berryer, «les deux derniers Académiciens», gravés sur bois par Trichon, d'après C. F. (Faxardo?) et publiés à mi-page dans le Musée des Familles de novembre 1853, tome XXI, page 61.
Alfred de Musset, de trois quarts, est à gauche; Berryer est de face, à droite. Le poète est représenté jusqu'au dessous de la ceinture, le bras droit tombant, le gauche légèrement replié; il est vêtu d'une redingote ouverte, cravate montante, cheveux longs, toute la barbe. La note suivante accompagne les portraits:
PROSPER MÉRIMÉE
Vers 1853.
Tête de profil, dessinée à la plume par P. Mérimée, pendant une séance de l'Académie Française et donnant un Alfred de Musset plus vieilli que nature... ou endormi.
L'original de ce portrait appartient à M. le Vicomte de Spoelberch de Lovenjoul, qui, en 1891, a bien voulu m'autoriser à le l'aire fac-similer sur pierre et tirer à quelques épreuves sur vergé in-4o (Imprimerie Lemercier), dont aucune n'a été mise dans le commerce.
LANDELLE
1854.
Portrait dessiné au pastel, en 1854, par Charles Landelle et exposé au Salon de 1855 (no 5480).
Alfred de Musset est de profil, en buste, tête nue, les yeux tournés à droite; il porte toute sa barbe, les cheveux rejetés en arrière sur le col; cravate montante, faisant plusieurs tours. Il est vêtu d'une redingote boutonnée, ornée du ruban de la Légion d'honneur.
C'est le portrait le plus connu et le plus répandu. Mme Lardin de Musset, à laquelle je m'étais adressé pour savoir quel était le véritable original, m'écrivit le 17 octobre 1882: «L'original du portrait de Landelle est le beau pastel qui est chez Madame Lardin de Musset. L'aquarelle de la Comédie-Française en est la copie faite par Pollet[2]. Le portrait à l'huile du Musée de Versailles est une copie du pastel, faite par Landelle lui-même, mais moins bonne que le pastel.» Alfred de Musset avait cependant posé pour cette reproduction:
Monsieur Alfred de Musset
Rue du Monthabor, 6.
«Mardi 10 octobre 1854.
«Mon cher monsieur de Musset,
«Je viens réclamer de votre obligeance une séance pour terminer le portrait peint que je dois donner au Théâtre-Français.
«Si vous voulez bien me fixer d'avance le jour dont vous pourrez disposer la semaine prochaine, je m'arrangerai pour n'avoir pas modèle.
«Veuillez de nouveau croire à mes témoignages de sympathie et d'affection.
«C. Landelle.»
«Vous seriez bien gentil de venir déjeuner dimanche matin à 11 h. à l'atelier et de m'amener Arago, si vous le trouvez sur votre chemin.
«Réponse S. V. P.»
Nombreuses en sont les reproductions, mais toutes ne sont pas heureuses ni ressemblantes, par suite d'un défaut au nez, défaut causé par une ombre sur le pastel, qui est généralement traduite par une bosse dans les reproductions.
1o Photographie remontée sur bristol in-4o, exécutée par la maison Bertsch et Arnaud, en 1854, d'après le pastel original.
2o Photographie format carte de visite, tirée, en 1854, par la maison Bingham, sur le pastel original, pour la famille de Musset, et non mise dans le commerce.
3o Gravure in-32 sur acier par Gervais, (Imprimerie Chardon), faite d'après le portrait de Landelle, figure renversée, publiée dans la Biographie d'A. de Musset par E. de Mirecourt. (Paris, Roret, 1854, 1 vol. in-32).
4o Gravure in-4o sur bois par A. Greppi, publiée dans le Triboulet et Diogène du 13 mai 1857. Très mauvaise exécution; on y remarque ce changement que le bas du buste est drapé dans un manteau.
5o Gravure in-4 sur acier par Pollet; médaillon ovale de H.: 0.150, L.: 0.105, publié dans l'Artiste du 3 janvier 1858, exposé au Salon de 1859 (no 3638). (Imprimerie Drouart). Bonne reproduction, à laquelle M. Taxile Delord consacre une étude dans le Magasin de Librairie du 10 mai 1859.
6o Gravure in-8o sur acier par Daguin, avec encadrement rectangulaire, faite en 1865 et exposée au Salon de 1866 (no 3119). H.: 0.178. L.: 0.112.
7o Gravure in-4o sur acier par Léopold Flameng: médaillon ovale, entouré d'un cartouche rectangulaire et de branches de laurier. Publiée primitivement à la librairie Charpentier, dans l'édition in-4o des Œuvres d'Alfred de Musset, dite de souscription; puis jointe à toutes les éditions in-4o et in-8o des Œuvres, comportant les figures de Bida.—Il existe des épreuves d'artiste, avant la lettre, ne donnant que le médaillon, sans aucun encadrement.—Exposée au Salon de 1867 (no 2610).
8o Gravure in-8o sur acier par Adrien Nargeot, publiée dans la Revue du XIXe siècle du 1er mai 1866. Médaillon ovale, porté par un socle, avec encadrement rectangulaire, sur fond haché. H.: 0.128. L.: 0.088.
9o Photographie in-32, faite par Colin en 1867, pour l'édition des Œuvres d'Alfred de Musset en 10 vol. in-32, ornée de la reproduction photographique des dessins de Bida.
10o Gravure sur acier, exécutée en 1867 par Goutière: médaillon ovale, fermé par un cordon de perles, dans un encadrement rectangulaire quadrillé, avec ornements. H.: 0.088. L.: 0.065. Sans nom d'imprimeur ni d'éditeur. Tirage in-folio sur Chine monté avant lettre, in-4o sur blanc avant lettre, et in-8o sur vélin avec lettre (Salon de 1867, no 2621).
C'est, d'après la déclaration même de Mme Lardin de Musset, le portrait le plus ressemblant de son frère Alfred. L'artiste a su reconnaître que, sur le pastel original, la tache qui se voit au nez est une ombre portée de l'arcade sourcillière et non pas l'effet d'une protubérance. Tout le travail de gravure est d'une très grande finesse.
11o Gravure in-32 sur acier par Goutière, avec fac-similé de la signature d'Alfred de Musset. Publié en tête du tome I des Poésies d'Alfred de Musset. (Charpentier, 1867,2 vol. in-32).
Une contrefaçon de ce portrait a été publiée à Bruxelles, avec fac-similé de la signature au bas du médaillon; on y a joint le fac-similé de la première strophe autographe de la Ballade à la Lune. Épreuves en noir et en sanguine, très mauvaise exécution.
12o Gravure à l'eau-forte par Mongin, faite en 1876 pour l'édition des Œuvres d'Alfred de Musset à la librairie Lemerre. (10 vol. in-18).
13o Gravure à l'eau-forte par Le Rat, d'après le portrait de Landelle, avec des modifications dans le costume, publiée en 1876 dans l'édition des Œuvres à la librairie Lemerre.
14o Gravure in-32 à l'eau-forte par Flameng, publiée en 1876 dans les Œuvres, collection de la Petite Bibliothèque Charpentier.
15o Gravure à l'eau-forte par Hanriot, figure renversée. Tirage sur Hollande in-4o et in-8o, sans nom d'imprimeur ni d'éditeur.
16o Gravure à l'eau-forte et pointe-sèche par Lessore, figure renversée. Éditée en 1878, à la librairie Rouquette. Imp. de Vve Cadart. Épreuves sur Hollande in-4o et in-8o.
17o En 1879, M. Mazerolle, dans son plafond de la salle de la Comédie-Française, a représenté Alfred de Musset dans un de ses groupes; la tête est faite d'après le portrait de Landelle; le poète, drapé dans son manteau, est placé aux côtés d'Alexandre Dumas.
L'Illustration du 2 août 1879 donne une gravure de ce plafond.
En 1882, M. Raphaël Breynat a gravé sur bois une reproduction de ce plafond pour le livre Paris (Librairie Rothschild). (Salon de 1882, no 5211).
18o Programme de la représentation extraordinaire, donnée au Palais du Trocadéro, le dimanche 9 mai 1880. (Imp. Motteroz, 4 pages in-4o). Parmi les ornements lithographies du titre, se trouve une reproduction du médaillon de Landelle.
19o Gravure in-32 sur bois, sans signature et d'une très mauvaise exécution, publiée dans Alfred de Musset et Edgar Quinet enfants, par V. Tinayre. (Paris, Keva, 1881, 1 vol. in-32).
20o Gravure in-8o sur acier, sans encadrement, par Adrien Nargeot, publiée dans Souvenirs poétiques de l'École Romantique, par Ed. Fournier. (Paris, Laplace, 1880, 1 vol. in-8).
21o Gravure in-8 sur bois par Thiriat, publiée dans la Lecture Rétrospective du 5 juillet 1890.
22o Gravure sur cuivre, à la pointe-sèche, par Adrien Nargeot, exécutée en octobre 1891 et destinée primitivement à orner l'édition du conte La Mouche, par Alfred de Musset, publiée à la librairie Ferroud. M. Lalauze ayant gravé toutes les vignettes du volume, fit une nouvelle planche du portrait qui fut donnée dans le livre à la place de celle de M. Nargeot.—Finement gravé.
23o Gravure à l'eau-forte par Lalauze, publiée dans La Mouche, par Alfred de Musset. (Paris, Ferroud, 1891, 1 vol. in-8o. Imp. Wittmann).
24o Dans le médaillon rond, renfermant le double portrait de George Sand et d'Alfred de Musset, gravé à l'eau-forte par Abot, qui orne le titre de l'édition de La Confession d'un enfant du siècle, publiée en 1891 chez Quantin, 1 vol. in-8o; le buste du poète est la reproduction à peu près exacte du portrait de Landelle, ce qui est un anachronisme, la Confession étant de 1835 et le portrait, de 1854.
25o Je possède une épreuve in-4o sur Japon, sans date et sans nom d'imprimeur ni d'éditeur, d'un portrait d'Alfred de Musset, gravé à la pointe-sèche par Loys Delteil. Musset est représenté à mi-corps, presque de face, le bras droit replié et la main passée dans l'ouverture de sa redingote; le bras gauche pend le long du corps. La tête est inspirée par le portrait de Landelle.
26o Le Programme de la soirée du 7 Octobre 1896, donnée à la Comédie-Française en l'honneur de LL. MM. le Czar et la Czarine (Stern, graveur, 1 f. in-4o), présente parmi son ornementation une reproduction du médaillon de Landelle.
27o Enfin, dans le commerce, on trouve des reproductions photographiques de ce portrait, trop noires en général, format carte-album et carte de visite, éditées par la maison Charles Jacotin.
Il existe encore d'autres reproductions du pastel de Landelle, dans des revues et des journaux illustrés, un entre autres, in-8o, gravée sur bois par Collette, dont il m'a été impossible de retrouver la provenance; j'en ai rencontré jusque sur des titres de morceaux de musique. Tous ces portraits pèchent en général par leur exécution et ne sont, pour le plus grand nombre, que des clichages n'offrant aucun intérêt artistique.
GAVARNI
1854.
Portrait en pied, in-4o, lithographie par Gavarni, et publié dans la série des Contemporains illustres. (Imp. Lemercier).
Musset est presque de face, les yeux tournés à droite, cheveux longs, toute la barbe. De la main droite, il tient une canne, le bout en avant; le bras gauche, appuyé sur la hanche, est recouvert par un vaste manteau qui, enveloppant les épaules et le buste, descend jusqu'aux genoux. Paysage au fond.—H: 0.345; L: 0.222. Trait rectangulaire, cintré dans la marge supérieure; sous le portrait, fac-similé de la signature.
Le reproche qu'on peut adresser à ce portrait, est de représenter un Alfred de Musset plus vieilli qu'il n'était en réalité.
1o Reproduction partielle du buste seul, figure renversée, sans le manteau, gravée sur bois et publiée dans le Monde illustré du 9 mai 1857 et dans l'Almanach des célébrités contemporaines. (1 vol. in-8o, p. 26).
2o Fac-similé de la lithographie originale gravé sur bois par Pistho, publiée dans l'Illustration du 16 mai 1857.
3o Gravure sur bois in-12, non signée, représentant Alfred de Musset à mi-corps, publiée comme frontispice de l'Almanach de la littérature, du théâtre et des beaux-arts pour 1858, par J. Janin. (Paris, Pagnerre. 1 vol. in-12 carré).
4o Lithographie in-4o, semblable à l'original et probablement tirée sur la même pierre, publiée dans le Panthéon des Illustrations françaises au XIXe siècle, par Victor Frond. (Paris, Abel Pilon, 1865-1873. 17 vol. in-folio.)
5o Gravure à l'eau-forte par Boilvin, ne donnant que le haut du buste, exécutée en 1876, pour l'édition des Œuvres à la librairie Lemerre.
6o Réduction in-32, gravée à l'eau-forte par A. Leroy, en 1876, pour l'édition des Œuvres dans la Petite Bibliothèque Charpentier.
7o Reproduction du buste seul, gravé sur bois, dans El Libéral (Madrid) du 11 novembre 1898 pour accompagner une Notice sur A. de Musset, par Tello Tellez.
Voir: Gavarni, l'homme et l'œuvre, par E. et J. de Goncourt. (Paris, Plon, 1873. 1 vol. in-8o, pages 153 et 401.)—L'Œuvre de Gavarni, par Armelhaut et Bocher (Paris, Librairie des Bibliophiles, 1873. 1 vol. in-8o, p. 13).
NADAR
1857.
Portrait-charge in-32, gravé sur bois par Diolot, d'après un dessin de Nadar, publié dans la 1re livraison des Binettes Contemporaines, par Joseph Citrouillard, (Commerson). (Paris, Havard, 1857. 2 vol. in-32).
Musset, orné d'une énorme tête sur un tout petit corps, et vu de profil, se promène, en costume d'académicien, devant les lions de l'Institut. Une main dans sa poche, tenant de l'autre son chapeau derrière son dos, il roule de gros yeux et semble désespéré d'avoir un nez aussi phénoménal que celui dont on l'a doté.
La tête de ce portrait se trouve lithographiée sous le no 13 du Panthéon Nadar. (Prime du Figaro. 1 feuille in-plano grand aigle).
En 1883, M. Louis Charbonnel a gravé en fac-similé à l'eau-forte le bois de Nadar; les quelques épreuves tirées à l'imprimerie Lemercier n'ont pas été mises dans le commerce.
BARRE
Le tombeau d'Alfred de Musset.
1859.
Buste en marbre blanc, sculpté par Auguste Barre et placé sur le tombeau d'Alfred de Musset, au cimetière du Père-Lachaise, à Paris.
Des reproductions de ce buste, également en marbre, se trouvent chez Mme Lardin de Musset et à l'Académie Française.
On trouve dans le commerce des photographies 18×24 du Tombeau et par conséquent du buste. En outre, buste et tombeau ont été gravés:
1o Sur bois, dans l'Illustration du 4 mai 1861.
2o A l'eau-forte, par Abot, en 1877, format in-32, pour l'édition des Œuvres dans la Petite Bibliothèque Charpentier.
Auguste Barre était un ami d'Alfred de Musset, qui s'était plusieurs fois essayé chez lui en l'art du statuaire. Certain jour que le poète devait l'aller voir, un événement inattendu l'en ayant empêché, il lui envoya ce billet:
«Mon cher ami,
«Je vous écris de chez Mlle Rachel, qui me garde à dîner. Ainsi, ne m'attendez donc pas ce soir. A bientôt.
«A vous,
«Alfd Mt.»
«J'ai ébauché une belle petite chatte. J'ai employé d'abord un couperet de cuisine, puis mes mains, puis vos petits bâtons. J'ai tout lieu de croire que ce sera admirable, mais dans ce moment-ci, mon idéal a encore un torticolis et une fluxion. Venez donc voir ça.»
C'est sans doute à cause de cette intimité que Paul de Musset s'adressa à M. Barre pour le buste qui devait orner le tombeau de son frère. Ce tombeau, qui se trouve au cimetière du Père-Lachaise, à Paris, est construit sur les plans donnés par l'architecte Anatole Jal, dans la grande avenue qui mène à la chapelle centrale; il est élevé sur un emplacement concédé par l'État, aux frais de la famille de Musset et de l'éditeur Charpentier:
«A Monsieur le Préfet de la Seine.
«Paris, 8 juin 1857.
«Monsieur le Préfet,
«Alfred de Musset, dont la mort prématurée cause en ce moment une émotion si profonde, est né à Paris. Comme la plupart des grands poètes, il ne laisse point de fortune. Dans une élégie touchante, que tout le monde connaît, il a exprimé le vœu suivant:
Mes chers amis, quand je mourrai,
Plantez un saule au cimetière;
J'aime son feuillage éploré,
La pâleur m'en est douce et chère,
Et son ombre sera légère
A la terre où je dormirai.
«Afin de pouvoir répondre au désir formulé dans ces vers, je prends la liberté de m'adresser à vous, Monsieur le Préfet, pour obtenir la concession gratuite au Cimetière de l'Est, d'un terrain de cinq ou six mètres carrés, espace rigoureusement nécessaire à l'érection d'un tombeau modeste, orné d'un buste en marbre, offert par le statuaire Barre, et accompagné d'un saule pleureur.
«Le poète si justement regretté n'est pas seulement une des gloires de la France; il est aussi un enfant de Paris, et j'ose espérer que sa ville natale voudra bien accorder à l'un des esprits les plus aimables et les plus aimés qu'elle ait produit, une dernière demeure digne de lui.
«Veuillez agréer, Monsieur le Préfet, l'assurance de ma haute considération.
«Paul de Musset.»
«Je recommande à la bienveillance de Monsieur le Préfet de la Seine la demande de M. Paul de Musset; que le vœu exprimé d'une manière si poétique et si touchante, par son frère, soit rempli. La Ville de Paris doit un tombeau à un poète né dans ses murs et dont la mémoire ne finira jamais.
«P. Mérimée.»
«Je me joins bien cordialement à mon confrère M. Mérimée.
«Empis.»
«Le saule que demande ce jeune et charmant poète, aura des pèlerins; à présent, ceux qui l'ont aimé, et toujours, ceux qui sauront aimer et lire la poésie impérissable.—Puisse la Ville de Paris planter et renouveler perpétuellement cet arbre mélancolique sur sa tombe.
«Alfred de Vigny.»
«Je me joins à mes confrères dans le vœu qu'ils expriment en faveur d'un des rares poètes dont le nom survivra.
Sainte-Beuve,
de l'Académie Française.»
Mais M. le baron Haussmann, préfet de la Seine, n'était pas partisan de ce projet et trouva mille prétextes pour en ajourner l'examen. Paul de Musset, dans le but d'obtenir la concession nécessaire au tombeau, fit agir d'autres influences:
«A Monsieur Alfred Arago.
«Mon cher Alfred,
«On me fait observer que M. Delmas ayant promis à Jal que la pétition déjà lancée serait classée parmi celles que l'Empereur doit lire et non parmi celles dont on lui rend compte, il serait convenable, avant de tenter une autre démarche, d'attendre le résultat de celle-là. Il n'y a pas de raison pour que ce résultat ne soit pas favorable. Je ne demande qu'un appui dans l'accomplissement d'un devoir pieux, et je me sens très fort sur ce terrain. Le Conseil Municipal a été pressenti: tous les membres à qui on en a parlé, ont été d'avis que le rapport fût présenté. M. Husson a fait ce rapport et l'a porté à la signature: M. le Préfet a refusé de le signer. Il n'y a pas d'autre obstacle.
«Pendant ce temps-là, Charpentier me proposait d'ouvrir une souscription pour l'achat du terrain, disant que les frais en seraient couverts en quelques jours. Je ne l'ai pas voulu, pour l'honneur de la Ville de Paris, car il ne faut pas se dissimuler que tout cela est de l'histoire, et qu'on lira le récit de ces détails dans cinq cents ans.
«Dites toujours au Prince Impérial[3] combien je suis touché de l'intérêt qu'il prend à cette affaire et des paroles chaleureuses qu'il vous a fait entendre. Malgré la démarche dont je dois, par convenance, attendre le résultat, un mot de lui au Préfet ne peut pas nuire.
«A bientôt, mon cher Alfred, et tout à vous.
Paul de Musset.
«Vendredi, 27 novembre 1857.»
La parcelle de terrain fut enfin obtenue... par achat et le tombeau aussitôt érigé.
L'exhumation eut lieu le 23 mars 1858.
«A Monsieur le Sénateur, Préfet de la Seine.
«Paris, le 12 mai 1858.
«Monsieur le Préfet,
«J'ai l'honneur de vous prier de vouloir bien autoriser le remboursement de la somme qui doit me revenir sur le prix d'un terrain de deux mètres au cimetière de l'Est, acquis conditionnellement le 3 mai 1857, pour la sépulture de Louis-Charles-Alfred de Musset, mon frère, décédé le 2 du même mois; ce terrain étant devenu libre par suite de l'exhumation faite le 23 mars 1858 et de la réinhumation dans un terrain de trois mètres 38 c., acquis le 29 décembre 1857, sous le numéro 936. Ci-joint le certificat de M. le Conservateur du cimetière de l'Est.
«Veuillez agréer, Monsieur le Préfet, l'assurance de ma haute considération.
Paul de Musset.
«Rue des Pyramides, 8.»
M. Paget, dans l'Illustration du 4 mai 1861, décrit ainsi le tombeau:
«Le monument dont nous donnons ici la figure, a 2m de large sur 2m20 de haut. La partie supérieure, forme médaillon placé dans le fronton, porte la tête de Minerve, symbole de l'Institut. Au-dessous du piédouche qui supporte le buste en marbre d'Alfred de Musset, tel qu'il était peu de temps avant sa mort, on a sculpté la lyre, la plume, avec une palme et une branche de laurier, attributs du poète illustre. Dans un cartel placé sous ces attributs, sont gravés six vers, extraits d'une élégie touchante que tout le monde connaît; elle est intitulée Lucie:
Mes chers amis, quand je mourrai,
Plantez un saule au cimetière;
J'aime son feuillage éploré,
La pâleur m'en est douce et chère,
Et son ombre sera légère
A la terre où je dormirai.
«...Enfin, sur les deux cippes parallèles, sont gravés: d'un côté, quatre titres d'œuvres en vers: Namouna, Rolla, Mardoche, Les Nuits; de l'autre, trois titres d'ouvrages en prose: Un Caprice, Lorenzaccio, Frédéric et Bernerette.»
Un saule pleureur est placé près du tombeau qu'il recouvre de ses branches; mais le pauvre arbre a bien peu de terre et il faut le remplacer souvent, ce à quoi veilla d'abord le frère et veille aujourd'hui la sœur du poète. Fréquemment, des mains amies vont y déposer des fleurs et tous les ans, le 2 mai, une manifestation a lieu, organisée par des jeunes gens enthousiastes et des admirateurs de l'auteur des Nuits.
Le 9 mai 1880, une représentation extraordinaire fut donnée au Palais du Trocadéro, organisée par MM. Grippa de Winter, Buchelbry, Raymond Bonnial, le comité des fêtes du Quartier-Latin, l'école de M. Talbot et les délégations des Facultés de Bruxelles, Lille, Liège, etc..., sous la présidence d'honneur de M. Paul de Musset. Une quête fut faite par Mmes Sarah Bernhardt, Leslino, Hess, Schriwanech, etc..., dont le produit devait être affecté à l'embellissement de la tombe d'Alfred de Musset, quête contre laquelle protesta Paul de Musset par cette lettre adressée au Figaro:
«A Monsieur le Rédacteur du Figaro.
«Le 10 mai 1880.
«Monsieur le Rédacteur,
«L'état de ma santé ne m'a pas permis d'assister hier, 9 mai, à la représentation extraordinaire qui a eu lieu dans la salle du Trocadéro, en l'honneur d'Alfred de Musset. Mais je viens d'apprendre qu'une quête, organisée par des dames, a été faite, malgré ma défense, dont le produit est destiné à l'embellissement de la tombe d'Alfred de Musset.
«Je proteste contre cette étrange prétention d'embellir la tombe de mon frère. Cette tombe est connue de toute la terre par la photographie; elle n'a besoin d'aucun embellissement, et je ne permettrai à personne d'y porter les mains.
«Si le saule pleureur a été gelé, le jardinier du cimetière le remplacera; il est payé pour cela. Que ces dames portent des couronnes et des fleurs tant qu'elles voudront, elles ne seront pas les seules. Mais l'entretien du tombeau n'appartient qu'à la famille du poète.
«Je vous serai très obligé, monsieur le Rédacteur, si vous voulez bien prêter à ma protestation le secours de votre grande publicité.
«Recevez, Monsieur, l'assurance de ma considération la plus distinguée.
«Paul de Musset.»
A l'occasion de cette fête, on moula le buste d'A. de Musset, dû au ciseau de Barre, et ce buste fut couronné au cours de la représentation; moule et buste sont depuis lors chez Mme Lardin de Musset. Un programme, orné d'une vignette lithographiée par H. Dillon, fut imprimé.
Le Petit Journal du 2 novembre 1891 donne une petite vignette du tombeau, qu'accompagne un article descriptif.
A propos de la manifestation du 3 mai 1892, M. Paul Ferrier composa une pièce de vers «Sur la tombe d'Alfred de Musset»:
Portez des fleurs au cimetière,
Les fleurs du printemps que j'aimai
Les lilas à la grappe altière
Et les pâles roses de mai;
Venez avec une prière
Sur la tombe où je dormirai.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
que publièrent le Gaulois du 8 mai 1892 et la Semaine Politique et Littéraire du 6 novembre de la même année.
MEZZARA
1865.
Buste en marbre, sculpté par Mezzara en 1865 et dont la physionomie semble inspirée principalement par le portrait de Landelle. Alfred de Musset est représenté de trois quarts à gauche, le col découvert, la cravate retombant au milieu de la poitrine, les épaules drapées dans un manteau. Sur le socle, on lit: «Alfred de Musset, né à Paris le 11 décembre 1810, mort le 2 mai 1857.»
«A Monsieur Alfred Arago.
«20 avril 1865.
«Mon cher Alfred,
«Le buste de Mezzara est terminé. Je le trouve vraiement très ressemblant. On a dit à l'auteur qu'on lui enverrait l'Inspecteur des Beaux-Arts. Tâchez donc que ce soit vous, car un autre n'ayant pas connu mon frère ne pourrait point juger de la ressemblance, qui est une chose très importante.
«Je voudrais bien que ce buste fût mis dans le foyer de la Comédie-Française. Il y serait bien à sa place. M. Mezzara m'a l'air d'un homme très modeste, sans protections, comme beaucoup de gens de talent. Il ne semble pas que ce soit une raison de l'abandonner. Tâchez de faire quelque chose pour lui.
«Tout à vous,
«Paul de Musset.»
«A Monsieur Alfred Arago.
«10 février 1868.
«Mon cher Alfred,
«J'ai revu pour la dernière fois le buste de mon frère dans l'atelier de M. Mezzara et je l'ai trouvé parfait. Ma sœur et moi, nous avons presqu'été scandalisés de ne plus trouver une seule observation à faire à l'auteur sur la ressemblance. M. Mezzara a réellement beaucoup de talent. Il pense avec raison que le foyer de la Comédie Française sera pour lui la meilleure des expositions. Je suis aussi pressé que lui de voir ce beau buste dans les rangs des Corneille et des Molière. Faites écrire à l'artiste de vous l'envoyer. Édouard Thierry l'attend.
«Je vous serre la main bien cordialement et suis tout à vous.
«Paul de Musset.»
Le buste est placé dans la galerie du Foyer public au théâtre de la Comédie-Française: «Musset, le poète aimé qui revit dans l'œuvre de Mezzara, dit M. René Delorme, reçoit chaque jour de pieuses visites. Souvent, des groupes s'arrêtent pour le contempler; aucune physionomie ne reste indifférente alors: les unes s'assombrissent, les autres s'éclairent, double hommage de regret et d'admiration[4].»
Quatre reproductions: 1o Gravure à l'eau-forte in-32 par A. Lamotte, faite en 1876 pour l'édition des Œuvres dans la Petite Bibliothèque Charpentier.
2o Gravure à l'eau-forte par Monziès, en 1877, pour l'édition in-18 des Œuvres à la librairie Lemerre.
3o Peinture sur émail faite en 1881 par Mme Rosine Mezzara.
4o Glyptographie in-4o, publiée en tête du tome I de l'édition populaire illustrée des Œuvres à la librairie Charpentier, 1889. (5 vol. in-4o).
EUGÈNE LAMI
1879.
Dans le portrait d'Alfred de Musset peint en 1879 par M. Eugène Lami, le poète est représenté à mi-corps, de trois quarts, la figure à droite. Il est appuyé sur la tablette d'une cheminée et de la main gauche tient un livre à demi fermé.
Gravé à l'eau-forte par Waltner, pour l'édition in-32 des Œuvres dans la Petite Bibliothèque Charpentier.
PIERRE GRANET
1882.
Statue en pied, exécutée en 1882 par Pierre Granet, et figurant au Salon de la même année. Alfred de Musset est représenté de face; de la main gauche, il tient son chapeau appuyé sur la cuisse; son bras droit est replié, et, dans la main droite, il tient un stick et des gants; un long manteau, tombant de l'épaule droite, lui couvre une partie du dos.
Cette statue a été inspirée pour la pose et l'attitude par les portraits en pied d'Eugène Lami et de Gavarni; pour la figure, beaucoup par celui de Mlle Marie Moulin et un peu par celui de Landelle. Elle était primitivement destinée au concours ouvert par la Ville de Paris pour l'ornementation des façades de l'Hôtel de Ville; mais, par suite de circonstances indépendantes de sa volonté, M. Granet n'ayant pu prendre part à ce concours, il présenta son œuvre à Mme Lardin de Musset qui l'accepta et, à son tour, proposa à la Société des Gens de lettres de dresser cette statue sur l'une des places publiques de Paris; mais, comme on le verra plus loin, ce projet échoua. Aujourd'hui, cette statue est au Louvre.
Une reproduction a été gravée à l'eau-forte à la fin de l'année 1882 par Louis Charbonnel, pour servir de frontispice à ma Bibliographie des Œuvres d'Alfred de Musset (Rouquette, 1883, gr. in-8o). Voir dans le Salon de 1882 édité chez Baschet, (1 vol. in-4o, p. 253), le jugement porté par M. Philippe Burty sur cette statue. Une contrefaçon en phototypie, un peu réduite, de l'eau-forte de Charbonnel, est publiée dans A Selection from the Poetry and comedies of Alf. de Musset, edited by Oscar Kuhns. (Boston, 1895, in-8o).
IDRAC
1883.
Statue en pied, exécutée en 1883 par M. J.-M.-A. Idrac et placée dans l'une des niches de la façade de l'Hôtel de Ville de Paris, côté du quai, pavillon de droite, 1er étage.
Alfred de Musset est de face: la main gauche, glissée dans la poche de son pantalon, soulève le pan de sa redingote; la main droite émerge en avant, sortant des plis du manteau, qui, tombant de l'épaule, recouvre le bras droit qui le soutient.
Une reproduction par M. D. Cauconnier se trouve page 145 de l'ouvrage intitulé: Les Statues de l'Hôtel de Ville, par Georges Veyrat. (Paris, ancienne librairie Quantin, 1892, 1 vol. gr. in-8o.)—L'Art du 1er octobre 1892 donne également le dessin de cette statue.
FALGUIÈRE et MERCIÉ
Monument d'Alfred de Musset.
Il y a vingt-deux ans que l'on parle, si je ne me trompe, d'élever une statue à Alfred de Musset, et je crois que ce fut M. Félix Platel qui, le premier, en eut l'idée; il écrivait dans le Figaro du 27 juin 1877:
«....Un autre poète français, Ponsard, que j'ai beaucoup connu, a déjà sa statue. Musset ne l'a pas, quoique bien plus grand. C'est que Musset est parisien, et seule, la province élève des statues à ses compatriotes.... Pour le poète immortel, coupez dans la carrière une belle tranche de marbre. Musset! C'est toi et moi, ô lecteur! C'est l'homme fait d'âme et de chair, que vous aimez, avez aimé ou aimerez, ô lectrice! C'est notre jeunesse!—Ignotus».
Trois ans plus tard, le 9 décembre 1880, dans le même journal, Émile Zola revient sur cette idée, alors qu'il était question d'ériger une statue à Balzac:
«....O Paris ingrat! s'il te faut des gloires littéraires, où est la statue de Musset, ce grand poète du siècle, le plus humain et le plus vivant? où est celle de Théophile Gautier, cet artiste parfait...?»
Mais ce n'étaient encore que propos d'atelier ou de salon et c'est seulement en 1887 qu'on tenta réellement de mettre ce projet à exécution. M. Marquet de Vasselot, auteur de la statue de Lamartine qui se dresse à Passy, offrit de sculpter gratuitement une statue à Alfred de Musset. Un comité se forma, présidé par Arsène Houssaye[5].—D'autre part, Mme Lardin de Musset s'entendait avec la Société des Gens de Lettres et lui soumettait une maquette par Pierre Granet, exécutée depuis 1882. Mais la Société, occupée de la statue de La Fontaine, n'eut pas le temps ou ne voulut pas s'occuper de celle d'Alfred de Musset[6].
En 1888, cette même Société des Gens de Lettres, sur la proposition de M. Philibert Audebrant, décidait qu'un Congrès littéraire international serait ouvert à Paris en 1889, qui devait coïncider avec le centenaire de 1789 et l'Exposition Universelle, et que trois statues seraient érigées à Balzac, A. de Musset et V. Hugo, mais cette décision resta toujours à l'état de vœu.
Pendant que ces divers projets s'élaboraient sans aboutir, un riche Américain, M. Osiris, agissait: il mettait à la disposition du Conseil municipal de Paris la somme nécessaire à l'érection d'un monument; MM. Falguière et Mercié, de l'Institut, seraient chargés de son exécution: M. Mercié, de la statue elle-même, M. Falguière, du piédestal et des allégories qui l'orneront. La Cocarde, du 27 février 1889, le décrit ainsi:
«....Ce monument se compose d'un piédestal sur lequel est placée la statue du poète; une figure allégorique, représentant la Jeunesse, dépose des fleurs à ses pieds. MM. Falguière, Mercié et Osiris ont demandé, pour y édifier leur œuvre, le terre-plein situé devant la Comédie-Française.»
Le Conseil Municipal préférait voir la statue de Musset s'élever sur le square situé devant l'église Saint-Augustin.
La même année 1889 voit se former un nouveau comité ayant pour but d'ériger par souscription une statue à Alfred de Musset[7]. Cette affiche fut placardée un peu partout:
SOUSCRIPTION
ouverte par la Jeunesse de France
pour élever une statue à
ALFRED DE MUSSET
Camarades,
On parle depuis longtemps d'élever une statue à Alfred de Musset. L'heure nous semble venue de passer de la parole à l'action. C'est à nous, les jeunes, qu'il appartient de prendre l'initiative d'un monument à celui qui est et restera le poète des jeunes.
Camarades,
Vous entendrez notre appel, et bientôt, grâce à vous, Paris verra se dresser sur l'une de ses places, l'image impérissable d'Alfred de Musset.
Le Comité.
Une longue liste de noms suivait. Le comité se subdivisait: 1o En comité d'initiative: MM. Frédéric Giraud et Auguste Renucci, secrétaires.—2o En comité d'honneur: M. Émile Augier, président. MM. J. Claretie, F. Coppée, A. Dumas, L. Halévy, Ed. Pailleron, Ch. Buloz, H. Fouquier, A. Houssaye, J. Richepin, F. Sarcey, E. Zola, Delaunay, Got, G. Charpentier, etc. Les souscriptions étaient reçues à la librairie Lemerre.—Mais 912 francs seulement furent recueillis, qui suffirent à peine à solder les frais de publicité.
Il ne restait plus que le monument Falguière-Mercié. Plusieurs maquettes furent successivement modelées.
1891. Le Gaulois, 13 avril.—«....Musset est représenté assis, les yeux fixés sur un livre. Devant lui, passe une figure allégorique, la Muse de la Poésie, effeuillant des fleurs dans l'espace. L'ensemble est imposant et d'une grâce empreinte de mélancolie. Le monument aura environ 7m 50 de hauteur. Les deux grands sculpteurs espèrent que leur œuvre sera achevée vers le mois de juillet.»
1892. Le Temps, 26 février.—«....On verra dans la partie inférieure, une Muse, foulant d'un pied léger le soubassement, se tourner au passage vers le poète; du bras droit, elle tiendra une lyre appuyée contre sa poitrine; elle déposera de la main gauche une palme aux pieds du chantre des Nuits, que M. Mercié représentera assis, les jambes croisées, sur une roche, et le bras appuyé sur son genou, le menton dans sa main, méditant.»
Dans une lettre que publie l'Événement du 18 août 1892, M. Osiris déclare que le monument est presque terminé, et cependant les mois et les années se passent sans qu'Alfred de Musset ait sa statue. La cause de ce retard? La raison donnée est que MM. Mercié et Falguière attendent que le Conseil municipal leur désigne l'emplacement, pour savoir quelles proportions ils doivent donner à leur monument. De son côté, le Conseil municipal déclare attendre que MM. Falguière et Mercié aient terminé leur œuvre avec ses dimensions pour désigner l'emplacement. Le Gaulois du 29 octobre 1896 s'étonne à bon droit d'un pareil retard, alors que depuis plus de deux ans la maquette est acceptée par le Conseil municipal, et, sans résultat du reste, demande des explications. Le plus ennuyé est M. Osiris, qui, sur la somme de quarante mille francs à laquelle la Commission des Beaux-Arts a évalué le prix du Monument, en a versé dix mille et voudrait remettre le surplus aux mains du Conseil municipal.
A la fin de l'année 1897, M. Falguière se retire de l'association:
«....Il a considéré, d'accord avec son ami Mercié, que ce serait trop de deux auteurs pour une œuvre qui ne saurait être de dimensions très grandes. Et comme M. Mercié était chargé de la figure principale, il a été convenu que le même artiste s'occuperait également des motifs accessoires....»
Telle est l'explication que donne le Figaro du 10 octobre 1897. Je crois que l'ennui causé par tous ces retards est la véritable raison de la retraite de M. Falguière. Et, à mon humble avis, il se passera bien du temps encore, avant que nous ne voyions la statue d'Alfred de Musset se dresser à Paris, sur une place publique; cependant, l'Exposition universelle de 1900 présente une excellente occasion d'inaugurer ce monument.
M. Antonin Mercié reste donc seul chargé de l'exécution. Le Figaro du 17 janvier 1898 donne la description de la maquette du dernier projet:
«....Mercié nous a montré une cire représentant Alfred de Musset assis sur un banc, un livre à la main, un manteau tombant de ses épaules, le regard perdu dans un rêve. Ingres n'eût pas mieux dessiné l'élégant poète dandy, que Mercié nous a rendu vivant: «C'est tout. Peut-être encore sur le piédestal, un bas-relief donnant quelques scènes des proverbes. Cela dépendra de l'ampleur du monument, c'est-à-dire de la place que va me désigner le Conseil.»
L'emplacement désigné sera probablement le petit terre-plein de la place du Théâtre-Français, qui fait face à la rue Saint-Honoré, et sur lequel donne l'entrée des artistes de la Comédie Française; on le débarrassera des édicules qui l'encombrent. Il avait également été question d'ériger la statue d'Alfred de Musset, place de la Sorbonne, au milieu de la jeunesse des Écoles; ce projet semble abandonné.
Quant à la physionomie elle-même de la statue, M. Mercié l'a composée d'après les portraits exécutés du vivant d'Alfred de Musset et les données que lui fournirent diverses personnes, parents et amis, ayant connu le poète. Mme Lardin de Musset a remis au sculpteur des vêtements portés par l'auteur de Un Caprice et est même venue poser pour les yeux et le haut de la figure qu'elle a semblables à ceux de son frère.
PORTRAITS DIVERS
I.—Portrait-charge dessiné par Alfred de Musset sur l'album de son ami Alfred Tattet. Mme Tattet avait bien voulu me faire voir ce portrait; mais aujourd'hui cette dame est morte et j'ignore lequel de ses héritiers le possède actuellement.
II.—Un matin de l'année 1882, le graveur Louis Charbonnel m'apporta un portrait peint à l'huile sur une toile collée sur carton fort; il prétendait que c'était Alfred de Musset par Eugène Delacroix: le poète était représenté en buste, de face et vêtu d'une chemise de femme. Je ne pouvais discuter avec lui l'authenticité du Delacroix, car il avait sous ce rapport beaucoup plus de connaissances que moi; mais, ce que je pus lui affirmer, c'est que son tableau me semblait une affreuse croûte et que ce n'était sûrement pas Alfred de Musset. Charbonnel n'en voulut pas moins graver à l'eau-forte ce portrait, le réduisant à peu près au quart, et me donna le cuivre. Cet ami est mort en 1884 et je ne sais ce qu'est devenu l'original; quant au cuivre j'en ai, cette même année 1884, fait tirer 25 épreuves à l'imprimerie Lemercier et l'ai mis au tond d'un de mes tiroirs où il est encore.
III.—Une vignette de Bertall, gravée sur bois par Le Blanc: «Panthéon du Diable à Paris: la poésie, la philosophie, la littérature», publiée dans le Diable à Paris, (Hetzel, 1845, 2 vol. in-4o, tome II, page 336), renferme un petit portrait-charge d'Alfred de Musset.
IV.—On prétend qu'Alfred de Musset aurait, sans le savoir, été pris comme modèle pour cette gravure de modes: «L'Homme du Monde, par Humann, 83, rue Neuve-des-Petits-Champs», lithographie in-4o par Gavarni, publiée dans: Le Voyageur, journal de l'office universel, place de la Bourse, 27. 1847;—La Mode, 15 décembre 1847. Puis isolément avec cette légende: «L'Homme du Monde au foyer de l'Opéra, par Humann.» (Imp. Lemercier.)—Je ne connais aucune preuve à l'appui de ce dire.
V.—Vignette sur bois non signée, publiée dans le Livre des 400 auteurs. (Paris, Bureau du Magasin des Familles, 1850, 1 vol. in-4o, page 8): «Pourquoi Alfred de Musset résiste-t-il avec tant de froideur à la Muse, que pour lui échapper il lui laisse aux mains son manteau de poète.» La vignette représente la scène de Joseph et la femme de Putiphar.
VI.—Dans l'Album des portraits comiques, contenant plus de 100 sujets variés, (Paris, Bureau du Magasin des Familles, s. d., in-8o oblong), on trouve page 11, un portrait-charge d'Alfred de Musset en berger, qui n'est autre que le portrait d'Arsène Houssaye.
VII.—La Comédie des comédiennes, no 2. «C'est une belle chose que l'Amour, n'est-ce pas, poète? C'est Dieu qui a fait l'Amour!—Oui, mais c'est le diable qui a fait la femme». Lithographie in-4o par Cisneros d'après Talin, (Imp. Bertauts), publiée dans l'Artiste du 16 décembre 1855. Ce sont, dit-on, Alfred de Musset et Rachel.
VIII.—Portrait d'Alfred de Musset, tableau par M. Eugène Carrière. Salon de 1878 (no 412).
IX.—En 1881, le libraire et marchand d'estampes Fabré vendait un portrait in-8o, gravé au vernis mou, signé: «Ch. Senties» et portant à côté de ce nom le fac-similé de la signature d'Alfred de Musset. J'ignore quel personnage M. Ch. Senties a voulu représenter; mais, quel qu'il soit, ce n'est pas un portrait d'Alfred de Musset.
X.—Buste en plâtre, par Zacharie Rimbez. Salon de 1885 (no 4139).
XI.—«Trinité Poétique: Alfred de Musset, Victor Hugo, Lamartine.» Tableau par Guillaume Dubuffe. Salon de 1888 (no 887).
XII.—«Collection Prunaire, no 43. Alfred de Musset». Portrait in-8o colorié, gravé sur bois par A. Prunaire, d'après le dessin de E. Loevy, (Picard et Kaan, éditeurs à Paris. Imp. de Ch. Unsinger), avec, au verso, une notice par H. Mossier. Image donnée en récompense dans les écoles.
XIII.—Caricature in-32, gravée au trait par Malatesta, à propos de Lorenzaccio:
Publiez mes secrets, défigurez mon drame,
Mais épargnez du moins l'interview à mon âme.
publiée dans l'Illustration du 30 janvier 1897.
ALFRED DE MUSSET
ET
GEORGE SAND
Cette étude a paru primitivement dans la Revue de Paris du 15 août 1896. Depuis lors, les lettres de George Sand à Alfred de Musset et à Sainte-Beuve ont été publiées. Des fragments assez étendus, mais toutefois peu corrects quant au texte, des lettres d'Alfred de Musset à George Sand, ainsi que beaucoup d'autres documents, ont également été mis au jour. Cela a nécessité quelques remaniements dans cet article.
Je réponds en même temps à des objections qui m'ont été faites et rectifie certaines erreurs de ma relation. Enfin, la façon peu courtoise dont une personne qui avait eu momentanément entre les mains le dossier réuni par moi, n'a pas hésité à le communiquer, à mon insu, à d'autres personnes, me permet de parler aujourd'hui de choses que j'avais cru devoir taire jusque-là.
Une dame russe, Mme Wladimir Karenine, vient de publier un ouvrage d'érudition intitulé: George Sand, sa vie et ses œuvres (Paris, Ollendorff, 1899; 2 vol. in-8o) dans lequel on trouve l'analyse de tout ce qui a été écrit sur les «amants de Venise», ainsi que quantité de documents inédits. Je ne puis en donner le détail, mais j'engage le lecteur à consulter cette étude qui est la plus complète et «la plus près de la vérité» de celles qui ont été écrites sur la question Sand-Musset. Je n'ai pas l'honneur de connaître Mme Karenine, mais je la prie de vouloir bien recevoir ici tous mes remerciements pour la bonne opinion qu'elle veut bien avoir de moi.
M. C.
Juillet 1899.
ALFRED DE MUSSET ET GEORGE SAND
La Véritable histoire de «Elle et Lui» récemment publiée par M. le vicomte de Spoelberch de Lovenjoul[8], a rouvert de la façon la plus curieuse, entre Alfred de Musset et George Sand, un débat qui ne sera pas décidément clos, ni l'équitable jugement prononcé, avant la mise en plein jour des lettres échangées par ces amants illustres[9]. La réputation du célèbre Chercheur n'est plus à faire et nous nous garderons de dire le bien que nous en pensons. Nous ne voulons, à notre tour, que joindre au dossier commun quelques pièces authentiques. La «véritable histoire» de cette liaison, apparemment, ce n'est pas Elle et Lui, ce n'est pas davantage Lui et Elle—et nous ne disons rien de Lui, qui fut l'œuvre d'une personne étrangère au débat, et l'exercice de rancunes particulières:—on ne saurait préparer avec trop de soin le difficile triomphe de la vérité.
Mais, d'abord, adressons l'hommage de notre plus respectueuse gratitude à Mme Lardin de Musset, la sœur de «Lui»; à Mme Lina Sand, la veuve du fils d'«Elle», qui ont mis généreusement à notre disposition tous les documents qu'elles possèdent. Il nous faut remercier aussi M. Alexandre Tattet, qui nous a communiqué les lettres adressées à son frère.
*
* *
Alfred de Musset et George Sand se virent pour la première fois au mois d'avril ou de mai 1833. Écrivant l'un et l'autre à la Revue des Deux-Mondes, ils avaient naturellement l'occasion de se rencontrer; des amis communs, Sainte-Beuve surtout, firent le reste. Relations de courtoisie littéraire, d'abord: Alfred de Musset envoyait des vers à George Sand, Après la lecture d'Indiana, datés du 24 juin 1833[10], puis des fragments de son poème Rolla qu'il écrivait en ce moment. Peu à peu leur intimité devint plus grande et George Sand adresse à Musset un exemplaire de Lelia portant ces dédicaces:
Tome I: «A Monsieur mon gamin d'Alfred, George.»
Tome II: «A Monsieur le vicomte Alfred de Musset, hommage respectueux de son dévoué serviteur, George Sand.»
Envoi auquel Musset répond: «Éprouver de la joie à la lecture d'une belle chose, faite par un autre, est le privilège d'une ancienne amitié. Je n'ai pas ces droits auprès de vous, madame; il faut cependant que je vous dise que c'est là ce qui m'est arrivé en lisant Lélia...»
Dans des stances burlesques fort connues, le Songe du Reviewer ou Buloz consterné, Musset chante les rédacteurs de la Revue des Deux-Mondes:
George Sand est abbesse
Dans un pays lointain;
Fontaney sert la messe
A Saint Thomas d'Aquin;
Fournier, aux inodores,
Présente le papier,
Et quatre métaphores
Ont étouffé Barbier.
Cette nuit, Lacordaire
A tué de Vigny;
Lherminier veut se faire
Grotesque à Franconi;
Planche est gendarme en Chine;
Magnin vend de l'onguent;
Le monde est en ruine:
Bonnaire est sans argent!!![11]
Dans une autre pièce de vers, demeurée inédite, Alfred décrit familièrement les soirées de son amie:
George est dans sa chambrette,
Entre deux pots de fleurs,
Fumant sa cigarette,
Les yeux baignés de pleurs.
Buloz, assis par terre,
Lui fait de doux serments;
Solange, par derrière,
Gribouille ses romans.
Planté comme une borne,
Boucoiran[12] tout crotté
Contemple d'un œil morne
Musset tout débraillé.
Dans le plus grand silence
Paul se versant du thé
Écoute l'éloquence
De Menard tout crotté.
Planche, saoul de la veille,
Est assis dans un coin
Et se cure l'oreille
Avec le plus grand soin.
La mère Lacouture[13]
Accroupie au foyer
Renverse une friture
Et casse un saladier.
De colère pieuse,
Gueroult tout palpitant
Se plaint d'une dent creuse
Et des vices du temps.
Pâle et mélancolique
D'un air mystérieux
Papet[14] pris de colique
Demande où sont les lieux.
Débraillé ou non, Musset dessine sur un album la charge des habitués de la maison, Rollinat, Gueroult, Mérimée, Dumas «charpentant un viol», Sainte-Beuve, qu'il appelle le «bedeau du temple de Gnide», Buloz, et, après beaucoup d'autres, lui-même, en «ballade à la lune», en «Don Juan allant emprunter dix sous», en «poète chevelu»[15], et, pour se faire pardonner ses caricatures, essaye un portrait plus sérieux de Lelia:
«Mon cher George,
«Vos beaux yeux noirs que j'ai outragés hier m'ont trotté dans la tête ce matin. Je vous envoyé cette ébauche, toute laide qu'elle est, par curiosité, pour voir si vos amis la reconnaîtront et si vous la reconnaîtrez vous-même.
«Good night.—I am gloomy to-day.
«Alfd de Musset.»
A la fin du mois d'août, ils sont amants[16]. Leur vie, durant cette période, est semblable à celle des peuples heureux et n'a pas d'histoire. Il suffit, à la rigueur, de lire ce qui est publié de la correspondance de George Sand et de Sainte-Beuve, dans le tome I des Portraits contemporains, édition de 1888, et ce que Paul de Musset raconte dans la Biographie de son frère. On devine le reste. On nous permettra de ne pas les suivre avant leur voyage en Italie.
I
VOYAGE EN ITALIE
Le 12 décembre 1833, dans la soirée, Paul de Musset conduisit les deux voyageurs jusqu'à la malle-poste. Ils s'arrêtèrent à Lyon, où ils rencontrèrent Stendhal; à Avignon, Marseille[17], Gênes, et le 28 se trouvaient à Florence. Ce fut probablement pendant le court séjour qu'ils y firent qu'Alfred de Musset entreprit des recherches sur quelques-uns de ses ancêtres[18] et trouva ce fragment du livre XV des Chroniques Florentines qui lui fournit le sujet de Lorenzaccio.
De cette ville, les dates précises nous sont fournies par le passeport d'Alfred de Musset:
Firenze, 28 Dic. 1833. Visto alla Legazione d'Austria per Venezia.
Firenze, 28 Dic. 1833. Visto buono per Bologna et Venezia.—G. Molinari.
Visto, buono per Bologna—Dellaca, 29 dicembre 1833.
Bologna, 29 Dic. 1833. Per la continuazione del suo viaggio via di Ferrara.
Francolino. 30 Dic. 1833. Visto sortire.
Rovigo, 30 Dic. 1833. Buono per Padova.
Vu au Consulat de France à Venise. Bon pour séjour. Venise, te 19 janvier 1834.—Le consul de France: Silvestre de Sacy.
Les divers incidents du voyage, qui, du reste, n'ont rien de particulier, sont racontés par George Sand dans son Histoire de ma vie, et par Paul de Musset dans la Biographie de son frère. Alfred de Musset en a même consigné quelques épisodes sur un petit carnet de voyage, dessins faits à la hâte, mais qui représentent bien ce qu'ils veulent peindre: ce sont d'abord un vieux monsieur et une vieille dame, types de provinciaux probablement aperçus à travers les vitres d'une portière de diligence. Plus loin, un marchand de bibelots offre sa pacotille à nos deux voyageurs dont un troisième dessin nous donne les portraits. Ce sont ensuite la douane de Gênes, et, sur le bateau, la rencontre d'un voyageur trop bavard. Puis vient Stendhal, à Pont-Saint-Esprit: «Il fut là d'une gaieté folle, dit George Sand, se grisa raisonnablement, et dansant autour de la table avec ses grosses bottes fourrées»[19] fit l'admiration de la servante d'auberge. Voici maintenant George Sand se masquant le bas de la figure avec son éventail; un autre portrait de Stendhal; une tête de vieillard avec cette légende: «Il dottor Rebizzo»; et enfin, la dernière scène de la traversée: l'auteur, affalé sur le bord du bateau, paye son tribut à la mer, tandis que sa compagne fume gaillardement une cigarette: «Homo sum et nihil humani a me alienum puto»[20]. A cela vient se joindre un autre dessin, sur une feuille séparée, représentant «Il signor Mocenigo.»
A Gênes, George Sand avait senti les premières atteintes des fièvres du pays; son état ne fit que s'aggraver dans la suite du voyage, elle arriva malade à Venise.
Les deux amants s'installèrent sur le quai des Esclavons, à l'hôtel Danieli, que tenait il signor Mocenigo. Jadis, lord Byron avait habité un palais sur le Grand Canal: «Aveva tutto il palazzo, lord Byron», leur dit leur hôte. Ce souvenir du poète anglais est demeuré si vivace chez Alfred de Musset, que huit ans plus tard, on le retrouve dans son Histoire d'un merle blanc[21]: «J'irai à Venise et je louerai sur les bords du Grand Canal, au milieu de cette cité féerique, le beau palais Mocenigo, qui coûte quatre livres dix sous par jour: là, je m'inspirerai de tous les souvenirs que l'auteur de Lara doit y avoir laissés».
Les premiers temps de leur séjour furent calmes; malgré son état maladif, George Sand accompagnait Musset, qui, tout en visitant la ville, prenait des notes sur les usages, sur les dénominations des lieux: nous avons de lui plusieurs pages d'adresses, de recettes culinaires, mots du dialecte vénitien, courtes notices sur des familles ou des noms célèbres à Venise, inscriptions copiées sur les monuments, tout cela pêle-mêle, au hasard des rencontres. Nous voyons là qu'ensemble ils visitèrent Chioggia, déjeunèrent au restaurant du Sauvage, à Venise, et se promenèrent dans les jardins de Saint Blaise, à la Zuecca:
A Saint Blaise, à la Zuecca,
Vous étiez, vous étiez bien aise,
A Saint Blaise;
A Saint Blaise, à la Zuecca,
Nous étions bien là!....[22]
C'est probablement pendant l'une de ces promenades qu'Alfred de Musset recueillit cette chanson italienne, retrouvée dans ses papiers, que l'on peut rapprocher de la Serenata du Dr Pagello, dont George Sand cite une version non signée dans sa Deuxième lettre d'un voyageur et que M. le vicomte de Spoelberch a publiée en entier[23]:
Le Fou
Lascia, lascia, il cimitero
Siedi tosto a me d'accanto.
Tra la la! Quel loco e nero!
Vieni, vieni, io t'amo tanto!
Amor mio, vieni con me!
Povero me!
Oh! perche quel caro viso
Mi nascondi entro una fossa.
Tra la la! Voglio il tuo riso,
E mi mostri 'sol quel ossa?
Amor mio, vieni con me!
Povero me!
Ecco l'sole e dormi ognora!
Sorgi su! senti l'amante!
Tra la la! Che si t'adora,
Che si strugge a te davante!
Amor mio, vieni con me
Povero me!
Eri bella, ora sei brutta,
Fredda resti ai bacci miei!
Tra la la! Se mia sei tutta!
Che mi fa che morta sei!
Amor mio, vieni con me!
Povero me!
Traduction:
Quitte, quitte le cimetière—Assieds-toi vite auprès de moi—Tra la la! Ce lieu est noir—Viens, viens, je t'aime tant!—Mon amour, viens avec moi!—Pauvre moi!
Oh! pourquoi ce cher visage—Se cache-t-il dans une tombe?—Tra la la! je voudrais ton sourire!—Pourquoi ne me montrer que tes os?—Mon amour, viens avec moi!—Pauvre moi!
Voici le soleil, et tu dors toujours!—Allons, lève-toi, entends le bien aimé!—Tra la la! qui tellement t'adore—Qui fait tant d'efforts pour aller au-devant de toi—Mon amour, viens avec moi!—Pauvre moi!
Tu étais belle! A présent tu es laide!—Tu restes froide à mes baisers!—Tra la la! Puisque tu es toute à moi—Que m'importe que tu sois morte?—Mon amour, viens avec moi!—Pauvre moi!
Mais bientôt George Sand dut garder la chambre et son ami continua seul ses excursions.
Alfred de Musset avait écrit plusieurs fois à sa mère depuis son départ: de Marseille, de Gênes, de Florence, puis de Venise. Les premières lettres parvinrent à leur adresse[24]; mais vers la fin de janvier, les nouvelles cessèrent brusquement. Mme de Musset s'en plaignit à son fils:
«Paris, ce jeudi, 13 février 1834.
«Il m'est impossible, mon cher enfant, de me rendre compte des motifs que tu peux avoir pour me laisser si longtemps sans nouvelles, après la promesse que tu m'avais faite de m'éviter au moins ce chagrin là. Tu connais ma facilité malheureuse à m'inquiéter; si tu lui laisses un libre cours, je ne puis pas prévoir où elle me conduira. Ces jours derniers, Hermine[25] était malade, elle a pris un rhume en sortant d'un bal chez Mme Hennequin, qui nous avait invitées. Je veillais près d'elle et passais de longues nuits, que l'incertitude de ta position, de ta santé, rendaient bien tristes. Le matin, j'avais une fièvre nerveuse, la tête me tournait, il me semblait que j'allais devenir folle; je pleurais, je marchais à grands pas dans ma chambre, cherchais quel moyen je pourrais imaginer pour me procurer de tes nouvelles. Enfin, j'ai supplié Paul[26], après plusieurs jours de cet état intolérable, d'aller voir Buloz et de savoir de lui si quelqu'un des amis de Mme Sand avait eu de ses nouvelles. Heureusement Buloz avait reçu une lettre de toi, datée du 27 janvier; Paul m'a calmé le sang en me rapportant cette nouvelle. Je ne suis plus malade, mais je suis bien triste; car il faut que tu aies des raisons pour me laisser dans une pareille inquiétude, si tu n'es pas malade, ce que cette lettre à Buloz ne prouve nullement, puisque je ne l'ai pas lue; au moins, tu es ennuyé, lui-même l'a dit à Paul; tu ne te plais plus à Venise, peut-être en es-tu parti; je t'écris à tout hasard; ma lettre ne te parviendra probablement pas, mais c'est le moindre de mes soucis. Je me soulage en t'écrivant; il me semble au moins, pendant que je promène ma plume sur ce papier, que tu m'entends et que tu vas te hâter de soulager mon ennui en m'écrivant bien vite. Fais-le, mon bon fils, si cette lettre arrive jusqu'à toi et surmonte la paresse ou le malaise qui t'en a empêché depuis six semaines, car il y a réellement tout ce temps que je n'ai reçu un mot de toi. La dernière [lettre], qui m'a fait tant de plaisir, est datée du 6 janvier; je l'ai relue bien des fois, mais maintenant je ne puis plus la relire, elle me fait mal, car cette phrase par laquelle tu la termines: «Ne crains pas, ma chère mère, il t'en coûtera des ports de lettres...» etc.: n'y a-t-il pas dans cette assurance de quoi faire naître les plus vives inquiétudes? Car, qui peut te détourner d'une si bonne et si chère résolution, que des accidents graves ou un état d'abattement causé par la maladie? Je sens, mon cher enfant, que si rien de tout cela n'existe, je vais l'ennuyer par mes doléances; mais figure toi un peu ce que c'est que d'être à trois cents lieues de son fils chéri, et de ne savoir à quels saints se vouer pour savoir s'il existe ou s'il est mort, assassiné, noyé, que sais-je? Il y a de quoi en perdre l'esprit et c'est ce que je fais.
«Nous avons passé un triste carnaval.... (Détails sur les bals où elle était invitée avec sa fille.)
«Je ne sais pas si tu as reçu les deux lettres que je t'ai adressées à Venise? La première était adressée poste restante, à Venise; la seconde, quai des Esclavons ou bureau restant. Mais j'avais mis sur l'adresse Monsieur de Musset sans le prénom d'Alfred; je crains que si tu l'as été chercher on ne te l'ait pas donnée. Enfin je me persuade que tu n'as pas reçu mes lettres, puisque tu n'as répondu à aucune. Celle-ci sera-t-elle plus heureuse? Cela est fort douteux. Fais réclamer les autres si on ne te les a pas encore données. Il faudrait y aller toi-même, car on ne les donne pas à d'autres qu'à la personne même à laquelle elles sont adressées.
«Mais cela est du bavardage, tu le sais aussi bien que moi.
«Je te quitte en t'embrassant bien tendrement; ton frère et ta sœur en font autant, mais personne au monde ne t'aime comme
«Ta mère.»
Ce n'était ni la paresse ni la maladie qui empêchaient Alfred de Musset de donner de ses nouvelles; il écrivait régulièrement et confiait ses lettres à un gondolier, nommé Francesco, pour les porter à la poste avec l'argent nécessaire à leur affranchissement: mais Francesco dépensait l'argent au cabaret et jetait la lettre à l'eau.
II
A VENISE
Il y avait un peu plus d'un mois que les deux amants étaient à Venise, quand éclata la crise terrible dont s'est ressentie leur vie entière: fatigué au physique et au moral par le voyage, affaibli par le climat, ennuyé de cette compagne toujours malade qui lui faisait si triste figure, Alfred de Musset devint nerveux, irritable, s'emportant à la moindre contradiction, au moindre obstacle; George Sand, que la fièvre rendait non moins irascible et maussade, reçut mal ses observations ou ses doléances: de là ces querelles qui firent de leur chambre d'hôtel un enfer. Ce ne fut pas leur faute, il ne faut les accuser ni l'un ni l'autre: le milieu seul fut coupable. Et puis, sans vouloir en convenir avec eux-mêmes, ils commençaient malgré eux à sentir que leur beau rêve était irréalisable et que l'amour idéal ne se trouvait pas sur terre. C'est alors qu'Alfred de Musset fut à son tour atteint par la fièvre; et dans l'état d'excitation où il vivait, le mal ne fit pas chez lui de lents progrès comme chez George Sand: il l'abattit d'un seul coup. George Sand éperdue, ne sachant où donner de la tête, manda par une lettre pressante[27] un jeune médecin, qui, peu de temps auparavant, l'avait soignée pour une migraine, le docteur Pierre Pagello:
«...E mi pregava di accorrer subito, e, se lo credessi opportuno, di condur meco un altro medico, per consultare, trattandosi d'un uomo di grande ingegno poetico e di un individuo che cio che di meglio amava sulla terra. Accorsi subito e mi associai al dottor Zuanon, valentissimo giovane e collega, assistente all'ospitale dei S.S. Giovanni e Paolo. Abbiamo diagnosticata la malattia per febbre tifoidea nervosa.....»[28].
«...Elle me priait de venir aussitôt, et, si je le jugeais opportun, d'amener avec moi un autre médecin pour une consultation; il s'agissait d'un homme d'un grand génie poëtique, d'une personne qui était ce qu'elle aimait le mieux sur la terre. J'accourus de suite et m'adjoignis le docteur Zuanon, jeune homme fort remarquable et mon collègue, assistant à l'hôpital des Saints Jean et Paul. Nous avons diagnostiqué la maladie: une fièvre typhoïde nerveuse....»
Pagello vint et remplaça avantageusement un vieux médecin qui, nous ne savons comment, se trouvait au chevet de Musset, dès le début de sa maladie, le docteur Rebizzo[29].
Pagello ordonna des compresses d'eau glacée et une potion calmante:
| Aq. ceras nigr | ξ ij |
| Laud. liquid. Sydn. gutt | XX |
| Aq. coob. laur. ceras, gutt | XV |
DrPAGELLO.
| Eau de cerises noires | 1 once, 2 gros. |
| Laudanum liquide de Sydenham | 20 gouttes. |
| Eau distillée de laurier cerise | 15 gouttes. |
Ordonnance du Dr Pagello
Agrandissement
Pendant plus de huit jours, le poète fut soigné avec un admirable dévouement par George Sand et Pagello qui ne quittèrent pas son chevet:
«....Par instants les sons de leurs voix me paraissaient faibles et lointains; par instants ils résonnaient dans ma tête avec un bruit insupportable. Je sentais des bouffées de froid monter du fond de mon lit, une vapeur glacée, comme il en sort d'une cave ou d'un tombeau, me pénétrer jusqu'à la moelle des os. Je conçus la pensée d'appeler, mais je ne l'essayai même pas, tant il y avait loin du siège de ma pensée aux organes qui auraient dû l'exprimer. A l'idée qu'on pouvait me croire mort et m'enterrer avec ce reste de vie réfugié dans mon cerveau, j'eus peur, et il me fut impossible d'en donner aucun signe. Par bonheur, une main, je ne sais laquelle, ôta de mon front une compresse d'eau froide que j'avais depuis plusieurs jours et je sentis un peu de chaleur. J'entendis mes deux gardiens se consulter sur mon état, ils n'espéraient plus me sauver.......»[30].
«Le 5 février, George Sand écrivait à Boucoiran: «...Je viens d'annoncer à Buloz l'état d'Alfred, qui est fort alarmant ce soir......» Et le 8, au même: «.....La maladie suit son cours sans de trop mauvais symptômes, mais non pas sans symptômes alarmants...... Heureusement j'ai trouvé enfin un jeune médecin excellent, qui ne le quitte ni jour ni nuit et qui lui administre des remèdes d'un très bon effet...... Gardez toujours un silence absolu sur la maladie d'Alfred et recommandez le même silence à Buloz......»
A des crises nerveuses d'une violence extrême, succédait cette léthargie qui ressemblait à la mort. Le neuvième ou le dixième jour, Musset, comme s'il sortait d'un rêve, ouvrit les yeux en poussant un léger cri, et reconnut les deux personnes présentes: «.....J'essayai alors de tourner ma tête sur l'oreiller et elle tourna. Pagello s'approcha de moi, me tâta le poulx et dit: «Il va mieux; s'il continue ainsi, il est sauvé.....»[31]. Musset était hors de danger, en effet, mais il s'en fallait de beaucoup qu'il fût guéri: dans une lettre adressée à George Sand, datée du 4 avril 1834, il dit que cette crise a duré dix-huit jours.
Ici nous sommes obligé de toucher un point délicat: pendant cette période aiguë de sa maladie, Alfred de Musset a-t-il réellement vu ou s'est-il imaginé voir George Sand entre les bras de Pagello?
Dans une relation datée de décembre 1852, écrite entièrement de sa main, Paul de Musset déclare que son frère lui a toujours dit l'avoir vue, pendant qu'il était étendu sur son lit de douleur, mais sans pouvoir préciser le moment: «En face de moi, je voyais une femme assise sur les genoux d'un homme, elle avait la tête renversée en arrière..... Je vis les deux personnes s'embrasser.» Et plus loin: «Le soir même ou le lendemain, Pagello s'apprêtait à sortir, lorsque George Sand lui dit de rester et lui offrit de prendre le thé avec elle..... En les regardant prendre leur thé, je m'aperçus qu'ils buvaient l'un après l'autre dans la même tasse.» Mais c'est Paul qui a écrit cela et non Alfred, et pas une ligne d'Alfred ne fait allusion à ce fait; il reproche bien des choses à sa maîtresse, mais jamais cela.
Il ne nous paraît guère possible d'admettre que George Sand, épuisée par les veilles, malade elle-même, se soit donnée à un autre homme sous les yeux de celui qu'elle soignait avec un dévouement sans bornes. Toute sa vie, elle a protesté contre cela; elle s'est défendue, non pas d'avoir été la maîtresse de Pagello, mais de l'être devenue dans les circonstances que voilà.—Je parle du fait matériel et non de la déclaration adressée par elle à Pagello et signalée par le docteur Cabanès. Le meilleur moyen de détruire cette légende, ne serait-il pas de publier la correspondance des deux amants? Mais une correspondance complète, et non des lettres tronquées comme celles qui circulent sous main.
D'autre part, madame Tattet, lorsqu'elle me fit l'honneur de me recevoir, m'a déclaré que son mari lui avait toujours dit que c'était lui, Alfred Tattet, qui s'était aperçu de l'intimité existant entre G. Sand et le docteur, ce dont il avait averti Alfred de Musset déjà convalescent. Musset, qui n'avait jamais eu la moindre Vision au sens où l'entend son frère, entra dans une rage folle à cette nouvelle; il voulut se lever pour tuer G. Sand et Pagello; Tattet parvint à le calmer, et il se contenta de provoquer Pagello en duel. C'est à cela que G. Sand fait évidemment allusion dans la lettre qu'elle adressa le 24 août 1838 à Alfred Tattet: «...Je trouvais légitime que vous me préférassiez votre ami; et, après tout, vous me rendiez un plus grand service que de me garder le secret, car vous l'empêchiez de se battre et je n'eusse pas voulu payer votre silence au prix de la moindre goutte de son sang....» Enfin, G. Sand parvint à illusionner Alfred de Musset et à lui persuader que Tattet avait mal vu. Cela ne vous semble-t-il pas plus vraisemblable que le récit alambiqué de Paul de Musset?
Cette même relation de Paul de Musset parle aussi d'une querelle survenue pendant la convalescence d'Alfred. Une nuit, Alfred surprit George écrivant sur ses genoux; il voulut savoir ce qu'elle disait dans cette lettre et à qui elle l'adressait. George Sand refusa toute explication et plutôt que de lui remettre son papier, elle le lança par la fenêtre. Alfred de Musset fut convaincu par cela seul qu'elle écrivait à Pagello pour lui donner un rendez-vous.—Nous parlons toujours d'après Paul de Musset.
Dans une note jointe à une lettre d'Alfred de Musset, datée du 30 avril 1834, George Sand affirme qu'elle donnait simplement des nouvelles d'Alfred à Pagello et qu'elle ne voulut pas lui faire voir le billet parce qu'elle y parlait de folie: «Plus tard, elle consentit, à Paris, «à lui remettre cette fameuse lettre»; car, Alfred de Musset parti, elle descendit aussitôt dans la rue où elle la retrouva.
Or, il y a, dans les papiers d'Alfred de Musset, une Canzonetta nuova supra l'Elisire d'Amore, qui répond en tous points à la pièce décrite par George Sand dans la note citée plus haut: c'est une sorte de placard de quatre pages, imprimé à Venise, sur mauvais papier, et qui se vendait quelques sous dans la rue. Au dos de cette romance, on lit cette phrase écrite, au crayon, par George Sand: «Egli e stato molto male questa notte, poveretto! credeva si vedere fantasmi intorno al suo letto, e gridava sempre: Son matto, je deviens fou. Temo molto per la sua ragione. Bisogna sapere dal gondoliere se non ha bevuto vino di Cipro, nella gondola, ieri. Se forse ubri.....» C'est-à-dire: «Il s'est trouvé très mal cette nuit, le pauvre! Il croyait voir des fantômes autour de son lit et criait sans cesse: Je suis fou, je deviens fou. Je crains beaucoup pour sa raison. Il faut savoir du gondolier s'il n'a pas bu du vin de Chypre, en gondole, hier. Si peut-être il était gris.....» George Sand ajoute: «La phrase devait probablement se terminer ainsi: S'il n'était que gris, cela ne serait pas si inquiétant. Il éprouvait un insurmontable besoin de relever ses forces par des excitants, et deux ou trois fois, malgré toutes les précautions, il réussit à boire en s'échappant, sous prétexte de promenade en gondole. Chaque fois, il eut des crises épouvantables, et il ne fallait pas en parler au médecin devant lui, car il s'emportait sérieusement contre ces révélations.»
On était alors aux premiers jours de mars; un secours inattendu arriva aux malheureux voyageurs. M. Alfred Tattet visitait l'Italie, en compagnie d'une personne dont le nom fut célèbre au théâtre[32]; il fit un détour pour venir voir à Venise son ami Alfred de Musset, qu'il croyait en bonne santé. Il le trouva revenant à la vie; lui aussi se fit garde-malade et ils furent trois au lieu de deux:
«...J'ai tâché pendant mon séjour à Venise, écrivait-il à Sainte-Beuve, de procurer quelques distractions à Madame Dudevant, qui n'en pouvait plus; la maladie d'Alfred l'avait beaucoup fatiguée. Je ne les ai quittés que lorsqu'il m'a été bien prouvé que l'un était tout à fait hors de danger et que l'autre était entièrement remise de ses longues veilles.....»[33].
Un billet de George Sand vient confirmer cette lettre:
«A Monsieur Alfred Tattet, hôtel de l'Europe.
«Alfred ne va pas mal; nous irons au spectacle si vous voulez. Mais guérissez-vous de votre rhume et soignez-vous.
«Tout à vous.
«George.»
Dès qu'il avait pu le faire, Alfred de Musset avait écrit à sa mère pour lui dire son état et lui annoncer son retour: «Je vous apporterai un corps malade, une âme abattue, un cœur en sang, mais qui vous aime encore.»[34].
Voici la réponse de Mme de Musset:
«Paris, 17 mars 1834.
«Oh! mon pauvre fils! mon pauvre fils! Quel fatal voyage tu as fait là! Et quelle affreuse maladie! Ta lettre m'a bouleversée; j'en, suis restée trois heures sans pouvoir parler. D'après le traitement qu'on t'a fait subir, ton frère conclut que tu as eu une fièvre cérébrale. Pour moi, je me perds dans les conjectures les plus sinistres pour deviner quelle complication de maladies a pu l'assaillir, toi si sain, si fort jusque-là, et qui n'as jamais fait sous mes yeux ce qu'on peut appeler une maladie. Je suis persuadée que le malsain climat dans lequel vous êtes allés vous fixer a contribué à ton malheur. Venise est inhabitable une grande partie de l'année; je voudrais à tout prix t'en savoir dehors. Il ne faut pas cependant que tu te mettes en route pour la France avant que ta pauvre santé soit consolidée; tu n'aurais pas la force de supporter le voyage et une rechute serait plus dangereuse encore. Mais si tu t'en sens la force, tâche d'aller passer ta convalescence loin de Venise, elle en sera plus courte et plus sûre. J'ai une bien grande reconnaissance pour Madame Sand et pour tous les soins qu'elle t'a donnés. Que serais-tu devenu sans elle? C'est affreux à penser. J'étais, lorsque j'ai reçu ta lettre, dans une inquiétude impossible à exprimer. J'avais été jeudi chez Buloz, qui venait de recevoir une lettre de Madame Sand; il ne voulait pas me la montrer et il feignait de l'avoir perdue. Il avait imprudemment lâché le mot d'indisposition: Alfred a une indisposition! Il n'en fallait pas tant pour me faire deviner la vérité, l'horrible vérité; et je suis sortie de chez lui plus morte que vive.
«Je n'ai pas besoin de te dire, mon bien cher enfant, que tout ce que tu désires de changements dans notre appartement sera fait de suite...... (Description des modifications à opérer)...... Si ce projet te convient, écris-le moi, je le ferai exécuter avant ton retour, pour t'éviter l'ennui des ouvriers, autrement, nous attendrons ton retour et je me bornerai à faire ce que tu me demandes.
«Je te supplie de m'écrire lettres sur lettres, mon cher enfant; tu comprends combien cela m'est nécessaire en ce moment. Je suis si malheureuse, si tourmentée! Ton frère et ta sœur sont bien inquiets aussi. J'ai appris avec plaisir que M. Tattet est avec vous; ce te sera une distraction agréable: un ami est bien précieux à trois cents lieues de tous les siens.
«Nous nous portons tous bien, à l'inquiétude près, qui est un mal insupportable pour moi. Je t'embrasse, mon cher fils, de toute mon âme et t'aime plus que ma vie.
«Ta mère
«Edmée».
«Tu ne m'as pas donné d'adresse positive et pas dit si tu as reçu une seule de mes lettres; de sorte que je crains toujours qu'elles ne te soient pas parvenues.»
Le timbre d'arrivée à Venise porte la date du 25 mars. A cette époque, Alfred de Musset était donc suffisamment rétabli pour sortir et aller lui-même chercher ses lettres à la poste.
D'autre part, George Sand écrivait à Alfred Tattet, qui lui demandait des nouvelles:
«Votre lettre me fait beaucoup plaisir, mon cher monsieur Alfred, et je suis charmée que vous me fournissiez l'occasion de deux choses. D'abord de vous dire qu'Alfred, sauf un peu moins de force dans les jambes et de gaieté dans l'esprit, est presque aussi bien portant que dans l'état naturel. Ensuite de vous remercier de l'amitié que vous m'avez témoignée et des moments agréables que vous m'avez fait passer en dépit de toutes mes peines. Je vous dois les seules heures de gaieté et d'expansion que j'aie goûtées dans le cours de ce mois si malheureux et si accablant. Vous en retrouverez de meilleures dans votre vie; quant à moi, Dieu sait si j'en rencontrerai jamais de supportables. Je suis toujours dans l'incertitude où vous m'avez vue, et j'ignore absolument si ma vieille barque ira échouer en Chine, ou à toute autre morgue, questo non importa, comme dirait notre ami Pagello, et je vous engage à vous en soucier fort peu. Gardez-moi seulement un bon souvenir du peu de temps que nous avons passé à bavarder au coin de mon feu, dans les loges de la Fenice et sur les ponts de Venezia la Bella, comme vous dites si élégamment. Si quelqu'un vous demande ce que vous pensez de la féroce Lélia, répondez seulement qu'elle ne vit pas de l'eau des mers et du sang des hommes, en quoi elle est très inférieure à Han d'Islande; dites qu'elle vit de poulet bouilli, qu'elle porte des pantoufles le matin et qu'elle fume des cigarettes de Maryland. Souvenez-vous tout seul de l'avoir vue souffrir et de l'avoir entendue se plaindre, comme une personne naturelle.—Vous m'avez dit que cet instant de confiance et de sincérité était l'effet du hasard et du désœuvrement. Je n'en sais rien, mais je sais que je n'ai pas eu l'idée de m'en repentir, et qu'après avoir parlé avec franchise pour répondre à vos questions, j'ai été touchée de l'intérêt avec lequel vous m'avez écoutée. Il y a certainement un point par lequel nous nous comprenons: c'est l'affection et le dévouement que nous avons pour la même personne. Qu'elle soit heureuse, c'est tout ce que je désire désormais. Vous êtes sûr de pouvoir contribuer à son bonheur, et moi, j'en doute pour ma part. C'est en quoi nous différons et c'est en quoi je vous envie. Mais je sais que les hommes de cette trempe ont un avenir et une providence. Il retrouvera en lui-même plus qu'il ne perdra en moi; il trouvera la fortune et la gloire, moi je chercherai Dieu et la solitude.
«En attendant, nous partons pour Paris dans huit ou dix jours, et nous n'aurons pas, par conséquent, le plaisir de vous avoir pour compagnon de voyage. Alfred s'en afflige beaucoup, et moi, je le regrette réellement. Nous aurions été tranquilles et allegri avec vous, au lieu que nous allons être inquiets et tristes. Nous ne savons pas encore à quoi nous forcera l'état de sa santé physique et morale. Il croit désirer beaucoup que nous ne nous séparions pas et il me témoigne beaucoup d'affection. Mais il y a bien des jours où il a aussi peu de foi en son désir que moi en ma puissance, et alors, je suis près de lui entre deux écueils: celui d'être trop aimée et de lui être dangereuse sous un rapport, et celui de ne pas l'être assez, sous un autre rapport, pour suffire à son bonheur. La raison et le courage me disent donc qu'il faut que je m'en aille à Constantinople, à Calcutta ou à tous les diables. Si quelque jour il vous parle de moi et qu'il m'accuse d'avoir eu trop de force ou d'orgueil, dites-lui que le hasard vous a amené auprès de son lit dans un temps où il avait la tête encore faible, et qu'alors, n'étant séparé des secrets de notre cœur que par un paravent, vous avez entendu et compris bien des souffrances auxquelles vous avez compati. Dites-lui que vous avez vu la vieille femme répandre sur ses tisons deux ou trois larmes silencieuses, que son orgueil n'a pas pu cacher. Dites-lui qu'au milieu des rires que votre compassion ou votre bienveillance cherchait à exciter en elle, un cri de douleur s'est échappé une ou deux fois du fond de son âme pour appeler la mort.
«Mais je vous ennuye avec mes bavardages, et peut-être vous aussi, vous pensez que, par habitude, j'écris des phrases sur mon chagrin. Cette crainte là est ce qui me donne ordinairement de la force et une apparence de dédain. Je sais que je suis entachée de la désignation de femme de lettres, et, plutôt que d'avoir l'air de consommer ma marchandise littéraire par économie dans la vie réelle, je tâche de dépenser et de soulager mon cœur dans les fictions de mes romans; mais il m'en reste encore trop, et je n'ai pas le droit de le montrer sans qu'on en rie. C'est pourquoi je le cache; c'est pourquoi je me consume et mourrai seule, comme j'ai vécu. C'est pourquoi j'espère qu'il y a un Dieu qui me voit et qui me sait, car nul homme ne m'a comprise, et Dieu ne peut pas avoir mis en moi un feu si intense pour ne produire qu'un peu de cendres.
«Ensuite, il y a des gens qui prennent tout au sérieux, même la Mort, et qui vous disent: «Cela ne peut pas être vrai, on ne peut pas plaisanter et souffrir, on ne peut pas mourir sans frayeur, on ne peut pas déjeuner la veille de son enterrement.» Heureux ceux qui parlent ainsi. Ils ne meurent qu'une fois et ne perdent pas le temps de vivre à faire sur eux-mêmes l'éternel travail de renoncement, ce qui est, après tout, la plus stupide et la plus douloureuse des opérations.
«A propos d'opérations, l'illustrissimo professore Pagello vous adresse mille compliments et amitiés. Je lui ai traduit servilement le passage sombre et mystérieux de votre lettre où il est question de lui et de mademoiselle Antonietta, sans y ajouter le moindre point d'interrogation, sans chercher à soulever le voile qui recouvre peut-être un abîme d'iniquités. Le docteur Pagello a souri, rougi, pâli; les veines colossales de son front se sont gonflées, il a fumé trois pipes; ensuite, il a été voir jouer un opéra nouveau de Mercadante, à la Fenice; puis il est revenu, et, après avoir pris quinze tasses de thé, il a poussé un grand soupir, et il a prononcé ce mot mémorable que je vous transmets aveuglément pour que vous l'appliquiez à telle question qu'il vous plaira: Forse!
«Ensuite, je lui ai dit que vous pensiez beaucoup de bien de lui, et il m'a répondu qu'il en pensait au moins autant de vous, que vous lui plaisiez immensamente et qu'il était bien fâché que vous ne vous fussiez pas cassé une jambe à Venise, parce qu'il aurait eu le plaisir de vous la remettre et de vous voir plus longtemps. J'ai trouvé que son amitié allait trop loin, mais j'ai partagé son regret de vous avoir si tôt perdu.
«Je n'écris pas à Sainte-Beuve parce que je ne me sens pas le courage de parler davantage de mes chagrins, et qu'il m'est impossible de feindre avec lui une autre disposition que celle où je suis. Mais si vous lui écrivez, remerciez-le pour moi de l'intérêt qu'il nous porte. Sainte-Beuve est l'homme que j'estime le plus; son âme a quelque chose d'angélique et son caractère est naïf et obstiné comme celui d'un enfant. Dites-lui que je l'aime bien; je ne sais pas si je le verrai à Paris; je ne sais pas si je le reverrai jamais.
«Ni vous non plus, mon cher; mais pensez à moi quelquefois, et tâchez d'en penser un peu de bien avec ceux qui n'en penseront pas trop de mal. Je ne vous dis rien de la part d'Alfred, je crois qu'il vous écrira de son côté. Amusez-vous bien, courez, admirez et surtout ne tombez pas malade.
T. à v.
«George Sand».
22 mars [1834].
«Écrivez-moi à Paris, quai Malaquais, 19, si vous avez quelque chose à me dire.»
III
RETOUR D'ITALIE
Le 22 mars 1834, il était donc décidé que George Sand et Alfred de Musset revenaient ensemble à Paris; mais le 28, tout était changé: les troisième, quatrième et cinquième chapitres de la dernière partie de la Confession d'un Enfant du siècle donnent une idée de ce qui a dû se passer durant ces quelques jours. Musset, apparemment, crut faire acte de grandeur d'âme et de générosité en partant seul, laissant George Sand en compagnie de Pagello.
Avant de le quitter, ses «deux grands amis» remirent au voyageur un petit portefeuille portant ces deux dédicaces autographes[35]. Sur la première page:
A son bon camarade, frère et ami Alfred
Sa maîtresse George
Venise 28 mars 1834.
sur la dernière:
Pietro Pagello
Raccomanda
Mr Alfred de Musset
A Pietro Pirzio Ingegnesi
A Vincenzo Stefanelli
A Mr J. R. Aggiunta.
Alfred de Musset quitta Venise dans la journée ou dans la soirée du 29 mars 1834; son passeport nous fournit encore des indications précises:
Venezia, 28 marzo 1834. Dir Gen. di Poli. Buono per Milano.
Vu au Consulat de France à Venise. Bon pour se rendre à Paris. Venise, 29 mars 1834. Le Consul de France: Silvestre de Sacy.
Visto al Comando. Arona, 1 aprile 1834.
Vu au Pont Saint Maurice, le 3 avril 1834, allant en France.
Vu à Genève, le 5 avril 1834. Bon pour Paris.
Vu à Bellegarde, le 6 avril 1834.
Il était accompagné par une sorte de domestique, nommé Antonio, que George Sand avait chargé de veiller sur son maître pendant le voyage et qui devait la tenir au courant des incidents de la route. Elle-même reconduisit Musset jusqu'à Mestre, dit-elle dans son Histoire de ma vie,—jusqu'à Vicence, d'après une lettre d'elle à Boucoiran[36].
Il lui écrivit de Padoue et de Genève:
«Monsieur Pagello, Dr médecin
Pharmacie Ancilla, C. Sn Luca
Pour remettre à Madame Sand. Venise.
[Genève], vendredi, 4 avril [1834].
«Mon George chéri, je suis à Genève. Je suis parti de Milan sans avoir trouvé de lettre de toi à la poste. Peut-être m'avais-tu écrit; mais j'avais retenu mes places tout de suite en arrivant, et le hasard a voulu que le courrier de Venise, qui arrive toujours deux heures avant le départ de la diligence de Genève, s'est trouvé en retard cette fois. Je t'en prie, si tu m'as écrit à Milan, écris au directeur de la poste de me faire passer ta lettre à Paris. Je la veux, n'eût-elle que deux lignes. Écris-moi à Paris..... Quand tu passeras le Simplon pense à moi, George. C'était la première fois que les spectacles éternels des Alpes se levaient devant moi dans leur force et dans leur calme. J'étais seul dans le cabriolet; je ne sais comment rendre ce que j'ai éprouvé: il me semblait que ces géants me parlaient de toutes les grandeurs sorties de la main de Dieu: «Je ne suis qu'un enfant, me suis-je écrié, mais j'ai deux grands amis, et ils sont heureux!....»
Elle, de son côté, lui adressa une lettre à Milan.
Je ne parlerai pas de l'existence à Venise de George Sand et de Pagello, après le départ d'Alfred de Musset. La publication, par M. le Dr Cabanès, dans la Revue Hebdomadaire des 1er août et 15 octobre 1896, de longs fragments du journal intime de P. Pagello et autres documents; les révélations de M. R. Barbiera dans l'Illustrazione Italiana, de Milan, des 15, 22 et 29 novembre 1896, joints au livre de Mme L. Codemo, que nous citons ci-dessus, permettent de retrouver, presque jour par jour, les détails de leur vie privée. Suivons donc le poète dans son voyage.
Le 12 avril, Alfred de Musset arriva à Paris (le 10, dit Paul dans la Biographie), exténué au physique et au moral. Il s'enferma dans sa chambre, et, pendant plus d'un mois, ne voulut voir personne:
«....Je fus saisi d'une souffrance inattendue, raconte-t-il plus tard dans son Poète déchu[37]; il me semblait que toutes mes idées tombaient comme des feuilles sèches, tandis que je ne sais quel sentiment inconnu, horriblement triste et tendre, s'élevait dans mon âme. Dès que je vis que je ne pouvais lutter, je m'abandonnai à la douleur, en désespéré... La douleur se calma peu à peu, les larmes tarirent, les insomnies cessèrent, je connus et j'aimai la mélancolie...»
Ce qui entretenait encore le poète en ce malheureux état, c'était la correspondance établie entre lui et elle: n'étant plus en contact, ils renouvelaient leur rêve et poétisaient jusqu'à leurs querelles passées:
Alfred de Musset à George Sand.
«Paris, 19 avril 1834.—.....Je regardais l'autre soir cette table où nous avons lu ensemble Goetz de Berlichingen. Je me souviens du moment où j'ai posé le livre sur la table, après le dernier cri du héros mourant: Liberté! Liberté! Tu étais beaucoup pour moi, ma pauvre amie, plus que tu ne croyais et que je ne croyais moi-même. Tu es donc dans les Alpes? N'est-ce pas que c'est beau? Il n'y a que cela au monde. Je pense avec plaisir que tu es dans les Alpes. Je voudrais qu'elles pussent te répondre; elles te raconteraient peut-être ce que je leur ai dit....»
George Sand à Alfred de Musset[38].
«Venise, 29 avril.—.....Ta lettre est triste, mon ange, mais elle est bonne et affectueuse pour moi. Oh! quelle que soit la disposition de ton esprit, je trouverai toujours ton cœur, n'est-ce pas, mon bon petit?....»
Alfred de Musset à George Sand.
«Paris, 30 avril—.....Ce n'est donc pas un rêve, mon enfant chéri? Cette amitié qui survit à l'amour, dont le monde se moque tant, dont je me suis tant moqué moi-même, cette amitié-là existe! C'est donc vrai, tu me le dis et je le crois, je le sens, tu m'aimes!.....»
Dans son journal intime, Sketches and Hints, George Sand consigne sous le titre de «Venise» une sorte de poème du désespoir: «O Venise, pourquoi es-tu si belle et pourquoi m'es-tu si chère, à moi qui ne dois plus aimer et qui vais mourir?»
En outre des lettres qu'ils s'adressaient tous les trois ou quatre jours, George Sand lui envoyait ses Lettres d'un Voyageur: la première, le 29 avril; la deuxième, dans les premiers jours de juin, par l'entremise de Buloz:
«....Buloz, écrit le 15 juin Alfred de Musset à George Sand, vient de m'apporter la lettre que tu lui as envoyée pour la Revue. Il me l'a lue en ânonnant, jusqu'à ce que, impatienté des coups d'épingles que sa lourde déclamation me donnait dans le cœur, je lui ai arraché le papier des mains, pour le finir à haute voix. Maintenant le voilà parti, et le cœur me bat si fort qu'il faut que je t'écrive ce que j'éprouve.....»
Puis, le 17 juin, «la seconde moitié du second volume de Jacques,» avec mission de la lire et d'y faire les coupures qu'il jugerait nécessaires[39]. C'est Musset qui s'occupait à Paris des affaires de George Sand, restée à Venise, voyait ses fournisseurs, s'entendait pour elle avec Buloz, et lui faisait expédier par ses éditeurs les sommes dont ils lui étaient redevables; il était aidé en cela par Boucoiran.
D'autre part, il mandait ceci, dès le 30 avril, à son amie: «J'ai bien envie d'écrire notre histoire; il me semble que cela me guérirait et m'élèverait le cœur. Je voudrais te bâtir un autel, fût-ce avec mes os; mais j'attendrai ta permission formelle».—Et le 12 mai, George Sand lui répondait: «Il m'est impossible de parler de moi dans un livre, dans la disposition d'esprit où je suis; pour toi, fais ce que tu voudras, romans, sonnets, poèmes; parle de moi comme tu l'entendras, je me livre à toi les yeux bandés».—Ce projet, on le sait, est devenu la Confession d'un enfant du siècle. On a donc eu tort de prétendre que George Sand avait imaginé Elle et Lui pour répliquer à cette confession[40]. Non seulement elle était prévenue des intentions d'Alfred de Musset, mais elle l'autorisait à écrire. Bien plus, la rupture définitive s'étant consommée dans les premiers jours de mars 1835, et la Revue des Deux-Mondes publiant dès le 15 septembre le deuxième chapitre de la première partie de la Confession, celle-ci fut commencée probablement avant cette rupture.
Pagello, emporté dans le même tourbillon, écrivait des lettres, lui aussi; mais il n'osait pas encore s'adresser directement à Alfred de Musset: il s'en prenait à son ami Tattet. Voici la première de ces lettres que nous avons retrouvées: