Éloge du sein des femmes: Ouvrage curieux
The Project Gutenberg eBook of Éloge du sein des femmes
Title: Éloge du sein des femmes
Author: Claude-François-Xavier Mercier de Compiègne
Release date: June 17, 2006 [eBook #18610]
Language: French
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ÉLOGE DU SEIN DES FEMMES
Tiré A 602 exemplaires numérotés, savoir:
| 400 | exemplaires | in-8° | couronne, | papier | vergé. |
| 150 | — | — | carré, | — | vélin. |
| 30 | — | — | — | — | chine. |
| 30 | — | — | — | — | whatman. |
| 2 | — | — | — | — | peau vélin. |
N° 285
OUVRAGE CURIEUX
DANS LEQUEL ON EXAMINE S'IL DOIT ÊTRE DÉCOUVERT S'IL EST PERMIS DE LE TOUCHER QUELLES SONT SES VERTUS, SA FORME, SON LANGAGE, SON ÉLOQUENCE LES PAYS OÙ IL EST LE PLUS BEAU ET LES MOYENS LES PLUS SURS DE LE CONSERVER
PAR
MERCIER DE COMPIÈGNE
QUATRIÈME ÉDITION
REVUE, ANNOTÉE ET CONSIDÉRABLEMENT AUGMENTÉE
PARIS
A BARRAUD, EDITEUR-LIBRAIRE
23, RUE DE SEINE
1873
AVANT-PROPOS.
Ce fut en 1720 que parut à Amsterdam un volume intitulé les Tétons; il formait la troisième partie d'une série où figuraient déjà les Yeux et le Nez; le frontispice ajoutait qu'il y avait là des «ouvrages curieux, galants et badins, composés pour le divertissement d'une certaine dame de qualité, par J. P. N. du C.» Une annonce faite par un libraire hollandais, en 1721, informe le public que l'auteur se proposait de passer successivement en revue «toutes les parties du corps humain;» projet scabreux qu'il n'eut pas le temps d'effectuer ou dont les difficultés l'arrêtèrent. Diverses indications permettaient d'ailleurs d'attribuer la rédaction de ce triple recueil à Étienne Roger, libraire actif, établi à Amsterdam, et qui mettait volontiers la main aux livres qu'il offrait au public. Toutefois les bibliographes les plus accrédités mettent l'œuvre sur le compte de Jean-Pierre-Nicolas Ducommun, dit Véron, dont les initiales cadrent fort bien avec l'énoncé du titre, et qui est l'auteur de diverses pièces de vers (fort médiocres) insérées dans la troisième partie du recueil en question.
Un quart de siècle s'écoula, et le volume mis au jour à Amsterdam reparut avec le titre suivant: Éloge des tétons, ouvrage curieux, galant et badin, en vers et en prose, publié par ***, Francfort, 1746, in-8. En 1775, cet Eloge fut derechef réimprimé sous la rubrique de Cologne, à l'enclume de vérité, 1775; on y joignit diverses pièces amusantes et la Rinomachie ou Combat des nez.
Vers la fin du siècle dernier, vivait à Paris un littérateur médiocre, mais actif, Claude-Francois-Xavier Mercier, surnommé de Compiègne, afin de le distinguer de divers autres Mercier; il était né dans cette ville en 1763. Se trouvant sans ressources pendant les orages de la Révolution, il demanda à sa plume des moyens d'existence; il se fit le vendeur de ses écrits, et il les multiplia rapidement. Il rédigeait, il compilait, il traduisait, il composait en prose et en vers une multitude d'in-18 qui se succédaient avec promptitude et qui portaient souvent l'empreinte de la rapidité avec laquelle ils étaient élaborés. Mercier d'ailleurs, il faut le reconnaître, manquait de goût, et son instruction était fort superficielle. Il a laissé divers écrits dont il est inutile de rappeler les titres, mais qui excitent, à bon droit, les craintes du chaste lecteur; il aimait à traiter des sujets bizarres; il mit en français, en y joignant des additions assez considérables, une facétie de l'Allemand Rodolphe Goclemin, et il les publia sous le titre d'Eloge du pet, dissertation historique, anatomique et philosophique sur son origine, son antiquité, ses vertus, sa figure, les honneurs qu'on lui a rendus chez les peuples anciens et les facéties auxquelles il a donné lieu (1799, in-18). Longtemps oubliés, les petits volumes sortis de l'officine de Mercier trouvent aujourd'hui des amateurs très-disposés à les recueillir; dans le nombre figure l'Eloge du sein des femmes, publié à Paris en 1800; c'est un riffacimiento du volume dont nous avons mentionné trois éditions antérieures. Mais selon son usage, Mercier ne s'est point borné à une simple reproduction; il a supprimé des longueurs, il a ajouté des détails nouveaux, il a inséré des pièces de vers parmi lesquelles il en est d'assez agréables; il a remanié la division du texte original, qui se trouve offrir trois chapitres nouveaux; il a joint à tout ceci une gravure due à un burin peu exercé qui a reproduit gauchement un dessin lourd et maussade. Il eût été facile de trouver sans doute un artiste mieux inspiré.
Le petit volume en question est devenu assez rare, surtout en bon état; nous avons pensé que quelques amateurs feraient bon accueil à une quatrième édition de cet Eloge; ils ne regretteront pas sans doute d'y trouver une sorte d'anthologie de ce que divers poëtes ont dit à propos du sein; nous avons dû nous borner à choisir, car si nous avions voulu tout reproduire, nous aurions grandement dépassé les bornes que nous avons dû nous prescrire; mais nous espérons que nos recherches, dans des volumes assez peu connus parfois, nous auront amenés à mettre la main sur des morceaux gracieux qu'on lira avec plaisir.
ÉPITRE DÉDICATOIRE.
Chante si haut sur la matière
Qu'il donneroit musique entière,
S'il descendoit de quelques tons.
Il n'ira pas chez ses Martons,
Chanter leurs tourelontontons,
De là jusqu'à la jarretière.
Il alloit pousser ses ébats;
On entendroit belle harmonie!
Feroit éclater mille attraits
Dans une telle anatomie.
Nota. Nous avons supprimé l'épitre dédicatoire de Ducommun, sur l'édition d'Amsterdam, 1720, parce qu'elle n'a rien de neuf, ni de piquant; nous la remplaçons par une petite pièce de vers assez rare et qui vient ici fort à propos, puisqu'elle s'adresse aux dames.
Vous a fait présent de six pommes:
Sur votre visage il a mis
Deux petites pommes d'apis
D'un bel incarnat empourprées,
Et que nature a colorées:
Les soucoupes et les cristaux
Ne portent pas de fruits si beaux.
Plus bas une fraîche tablette,
En supporte deux de rainette;
Et l'on trouve encore plus bas
Deux autres qu'on ne nomme pas.
Elles sont de plus grosse espèce,
Et n'ont pas moins de gentillesse:
Ce sont deux pommes de rambour,
Qu'on cueille au jardin de l'amour.
Voilà trois paires de jumelles
Qui font tourner bien des cervelles.
Ève perdit le genre humain,
N'ayant qu'une pomme à la main;
Mais notre appétissante mère,
En laissait voir deux sur son sein.
Et l'attrait des fruits de Cythère,
Dont l'aspect le mettait en train,
Fit succomber notre bon père.
Satan, dont l'esprit est malin,
Entrait aussi dans le mystère.
Pressés, comme Adam, de manger,
Nous pétillons d'impatience
Auprès du jardin potager
Dont vous portez la ressemblance.
Vive la pomme et les pommiers!
Leur aspect seul nous ravigotte:
On doit baiser les deux premiers,
Avec les seconds on pelotte:
Triomphe! amour! aux deux derniers.
Heureux qui les met en compotte!
CHAPITRE PREMIER.
DES TÉTONS, DE LEUR POUVOIR ET DE LEURS CHARMES.
J'avais d'abord le dessein de faire un traité de la supériorité du teint blanc sur le brun, et ces deux chansons de Cl. Marot m'en avaient fourni l'idée:
Amy, n'en prenez esmoy:
Autant suis ferme et jeunette,
Qu'une plus blanche que moy
Le blanc effacer je voy.
J'ayme mieux donc estre brune
Avecques ma fermeté,
Que blanche comme la lune
Tenant de legereté.
Il n'est pas à despriser:
Comme luy le noir se passe,
Il a beau temporiser.
Ne mesdire en ma revanche:
Mais l'ayme mieux estre blanche
Vingt ou trente ans ensuivant
En beauté nayve et franche,
Que noire tout mon vivant.
Mais à quoi bon raisonner simplement sur les couleurs, lorsqu'il y a tant d'autres beautés plus solides chez les femmes! ce serait mal employer son temps, et abuser de la bonté de mes lectrices. Ce n'est donc, ni de vos pieds mignons, ni de vos belles mains potelées, ni de vos yeux brillants, ni de votre joli petit nez, ni des autres parties de votre charmant ensemble, que je veux vous entretenir aujourd'hui. N'appréhendez pas que je puisse vous faire rougir. Je suis de l'avis de Marot, lorsqu'il dit:
Parlons aussi des membres seulement
Que l'on peut voir, sans honte, descouverts;
Et des honteux ne souillons point nos vers.
Car, quel besoin est de mettre en lumière
Ce qu'est nature à cacher coustumière?...
Ainsi, pour ne pas vous tenir plus longtemps dans l'incertitude, c'est l'éloge des tétons que je vais faire. Le sujet est beau, il est grand, il a exercé les génies les plus élevés. Le cavalier Marin appelle les tétons des belles, deux tours vivantes d'albâtre, d'où l'amour blesse les amants: il les compare à deux écueils, contre lesquels notre liberté vient faire agréablement naufrage: il les appelle deux mondes de beautés, éclairés par deux beaux soleils, c'est-à-dire les yeux. Un poète français, qui n'est guères moins ingénieux que le cavalier Marin, moins magnifique dans ses peintures, mais plus juste et plus gai, les appelle dans une de ses chansons, deux pommes, et il ajoute:
Sur l'arbre qui porte ce fruit!
Cyrano de Bergerac trouve mauvais que les écrivains modernes, qui veulent peindre une beauté parfaite, emploient l'or, l'ivoire, l'azur, le corail, les roses et les lis: il n'a pas plus raison de les tourner en ridicule, parce qu'ils clouent les étoiles dans les yeux des belles, et qu'ils dressent des montagnes de neige à la place de leur sein: en effet, ces expressions pompeuses sont dignes de ces grands objets, et le sein des femmes a des charmes encore au-dessus de ceux de leurs yeux. C'est ce que Cotin nous démontre par des vers sur une belle gorge:
De la charmante Iris dont je suis idolâtre,
Va, pose, Amour, sur ses beaux yeux,
Le voile qu'elle a mis sur sa gorge d'albâtre.
On ne voit point de si beaux lis
Aux jardins les plus embellis
Par les soins curieux qu'apporte la nature.
J'ai visité bien des climats,
En dépit des chaleurs, en dépit des frimats:
Et si je n'ai point fait de telle découverte.
Il ne faut point courir sur tant de mers profondes,
Ni voir l'un et l'autre soleil,
Il faut voir ces deux petits mondes.
Il suffit qu'à mes yeux leur blancheur on étale;
L'Aurore n'offrit rien à l'amoureux Céphale,
De si charmant et de si doux.
Et si deux belles mains n'y mettaient point d'obstacle,
Serait-ce point, par un miracle,
Amollir un cœur de rocher?
De la divine Iris, dont je suis idolâtre:
Amour, en ma faveur, viens mettre sur ses yeux
Le voile qu'elle a mis sur sa gorge d'albâtre.
Une belle gorge avait tant d'empire sur le cœur de Boursault, que pour en voir une, à travers la mousseline, il devenait amoureux jusques à la folie. C'est ce que prouvera ce beau fragment d'une lettre qu'il écrivait à son ami Charpentier:
«Je vous ai fait promettre qu'après dîner nous irions ensemble chez la belle brune, avec qui nous jouâmes hier au logis de Mme Deshoulières: je vous dispense de me tenir parole, à moins que vous ne me donniez caution bourgeoise pour la sûreté de ma personne. Ce n'est pas que je doive rien appréhender pour ma liberté. Délivré de la tyrannie d'une blonde qui m'a fait soupirer quinze ou seize mois pour rien, j'ai fait serment de ne tomber de ma vie en de pareilles fautes; mais dans les tems de ma première servitude, il m'est échappé tant de sermens, j'en ai tenu si peu, que je n'ose plus me mettre au hasard de jurer de rien. Je trouvai hier votre brune si bien faite, ses yeux me parurent si brillans, sa bouche si petite, sa gorge, que je ne vis que par les yeux de la foi, est, je crois, si belle, que si vous n'eussiez arraché ma vue de dessus ses charmes, quand vous me fîtes souvenir qu'il était tems de nous en aller, je sentais déjà ce que je sentis la première fois que je commençai d'aimer. Mon cœur, que j'ai fait le gardien de ma franchise, m'a joué tant de tours, que, si tantôt je vous accompagne à la visite que vous avez dessein de rendre, je gage que j'en reviens aussi chargé d'amour, que si on le donnait pro Deo.»
Le même auteur, faisant à sa maîtresse le portrait d'une belle, marque bien expressivement la victoire assurée que remporte une belle gorge sur une âme masculine.
«En vérité, Babet, dit-il, si tu ne reviens bientôt de Bagnolet, tu cours risque de ne pas me trouver constant à ton retour. On me mena hier au bal, où je trouvai une jeune personne qui n'a pas moins de belles qualités que toi. Elle a les cheveux d'un blond cendré, tout-à-fait beau, mais qui n'approche pourtant pas de la couleur des tiens. Elle a le front grand et élevé, mais le tien l'est encore davantage. Ses sourcils qui ne paraissent presque point, parce qu'ils sont blonds, se montrent toutefois assez, pour faire remarquer que leur symétrie est la plus régulière du monde. Ses yeux, qui sont aussi noirs que les tiens sont bleus, sont si bien fendus, qu'ils ne jettent jamais un regard, sans faire une conquête. Ils ont autant de vivacité que les tiens ont de douceur, et ils semblent faits pour prendre de l'amour, comme les tiens pour en donner. On voit sur ses joues une nuance de blanc et d'incarnat si éclatante, qu'il semble qu'elle tienne des mains de l'art un présent qui ne vient que de celles de la nature, qui a pris tant de peine après elle, que, sans toi, qui es son chef-d'œuvre, elle serait le plus beau de tous ses ouvrages. Son nez, qui n'est ni trop grand ni trop petit, est justement comme il le faut, pour avoir beaucoup de ressemblance avec le tien: sa bouche, qui n'est pas si petite que la tienne, est plus petite qu'aucune autre que j'aie jamais vue. Elle a les lèvres si fraîches et si vermeilles, que, depuis ton absence, je n'ai rien envisagé de plus charmant. Ses dents sont si blanches et si bien rangées, que je lui faisais cent contes risibles, pour avoir le plaisir de les voir souvent. Le trou qu'elle a au menton me fait souvenir qu'elle en a encore aux joues, ce qui donne une merveilleuse grâce au reste de son visage. Pour sa gorge, on peut dire:
Entre deux monts d'albâtre est campé tout exprès.
«Je te jure, Babet, que je n'ai jamais rien vu de si aimable; si mon galérien de cœur, qui n'échappe jamais d'une chaîne que pour tomber dans une autre, ne se contentait de la gloire de tes fers:
N'est-ce pas la jolie gorge de Dorimène qui fait ainsi délirer Sganarelle, lorsqu'il dit:
«Où allez-vous, belle mignonne, chère épouse future de votre époux futur? Eh bien! ma belle, c'est maintenant que nous allons être heureux l'un et l'autre! vous ne serez plus en droit de me rien refuser; je pourrai faire avec vous tout ce qui me plaira, sans que personne s'en scandalise. Vous allez être à moi, depuis la tête jusqu'aux pieds, et je serai le maître de tout! de vos petits yeux éveillés, de votre petit nez fripon, de vos lèvres appétissantes, de votre petit menton, de vos petits tétons rondelets, de votre, etc. Enfin toute votre personne sera à ma discrétion, et je serai à même pour vous caresser comme je voudrai. N'êtes-vous pas bien aise de ce mariage, mon aimable pouponne?»
On croira peut-être que ce discours de Sganarelle est une gradation, et que ce qu'il laisse en blanc, est le plus fort objet de sa passion; je le veux bien, mais en ce cas, il a le goût un peu trop terrestre et grossier. Tel est celui de l'auteur des vers suivants, à sa maîtresse, sur un mal de gorge:
Ce mal qui dedans vous regorge;
C'est être à vous saisir un des plus maladroits;
Si j'avois, comme lui, sur vous droit de m'étendre,
Et, comme lui, le choix de ce qu'on peut vous prendre,
Je vous saisirois bien par des meilleurs endroits.
Que dira-t-on de la pensée d'un autre auteur qui dit: l'amour ressemble à un jeu de paume; quand une fille se laisse baiser la main, cela vaut quinze; si elle souffre que l'on prenne un baiser sur ses lèvres, cela vaut trente; si elle permet que ce soit sur la gorge, cela vaut quarante-cinq: il ne faut plus qu'un coup, et le jeu est gagné.
Je raconterai l'histoire suivante, parce qu'elle est vraie:
«On a souvent parlé de la force du sang, mais on n'a pas aussi souvent parlé de la gorge; quoi-qu'avec beaucoup de raison, on appelle aujourd'hui les tétons, le boute-en-train. Le fait suivant prouve admirablement leur vertu, qu'on peut nommer de résurrection, et de résurrection de la chair. Dans la plupart des églises papistes où la superstition était dominante, il se faisait des cérémonies tout à fait extravagantes. La ville de... était un des plus fameux théâtres de ces représentations de mystères ridiculement fanatiques. C'était une coutume établie de temps immémorial, de représenter chaque année, dans la semaine sainte, les mystères de la passion. Pour aller au solide, sans s'amuser à la bagatelle, on ne manquait pas, le jour du vendredi saint, d'offrir aux dévots spectateurs une scène burlesque du crucifiement du Sauveur du monde. On choisissait pour cela un jeune homme de la ville, auquel on faisait porter une croix fort pesante, à laquelle on l'attachait avec des cordes au lieu de clous, et dans une nudité presque complète. Je dis presque, parce que l'impudeur n'était pas encore parvenue au point de dévoiler certaines parties qui doivent être cachées. On les voila donc chez notre jeune homme avec une ceinture de papier. Il faut remarquer que le jouvenceau était le corps du monde le mieux formé, le plus vigoureux en apparence, et de la plus belle carrure d'épaules. Et que la même coutume faisait choisir entre les plus belles filles de la ville, trois tendrons qu'on aurait pris pour des Vénus, pour représenter les trois Maries pleurantes au pied de la croix. On n'avait pas seulement égard aux traits réguliers du visage, ni à la finesse de la taille, on voulait qu'elles fussent encore richement pourvues du grand mobile de la tendresse, je veux dire fournies de tétons à l'Anglaise, que l'on laissait en pleine liberté d'émouvoir la copie du Christ. Or, l'année où se passa le fait que je raconte, le choix fut si bon (les prêtres se connaissent en attraits) que l'on mit sous la croix, dans le beau désordre de la douleur, les trois filles les plus ravissantes. On eût pris chacune d'elle pour Vénus, ou toutes trois pour les Grâces. Elles ne furent pas plutôt sous les yeux du crucifié, qu'elles firent miracle, je veux dire que, malgré la situation où il était, et la majesté de son personnage, les trois Maries produisirent l'effet le plus étonnant que puisse peindre la chronique scandaleuse. Notre Hercule galant, posté à l'avantage, avait en perspective une demi-douzaine de tétons capables, par leur systole et leur diastole, de subjuguer la vertu du plus froid anachorète, ce qui occasionna un incident très-comique et très-profane, car le crucifié, au lieu de prononcer du haut de sa croix des paroles dignes de celui qu'il représentait, prononça des turpitudes dignes de l'abolition éternelle d'une cérémonie aussi indécente, et telles en un mot qu'on peut les deviner. Enfin, n'y pouvant plus tenir, il ne put s'empêcher de crier: «Otez donc de devant mes yeux les trois Maries, ou le papier va crever.» Le scandale que fit naître une telle action, et des paroles qui compromettaient à ce point la religion, firent rentrer l'archevêque en lui-même, et lui firent comprendre qu'elles l'exposaient à la risée publique. Il supprima donc un usage, ou plutôt un abus qui tendait directement au mépris du culte, de manière qu'il n'en fut plus parlé depuis[1].
Un peintre peut venir à bout de représenter aux yeux toutes les grâces d'un beau visage. Il échoue ordinairement, quand il essaye de peindre une belle gorge. La Motte en pourrait être une preuve dans le portrait suivant:
Peintre savant, prends ton pinceau:
Et qu'à mes yeux ton art exprime
Tout ce qu'ils ont vu de plus beau.
Mais choisis l'instant fortuné
Où, pour le reste de ma vie,
Mon cœur lui fut abandonné.
Elle ôtoit un masque jaloux,
Plus promptement qu'un trait ne vole,
Je fus percé de mille coups.
D'où l'Amour me lança ses traits;
D'où ce Dieu s'asservit mon âme,
En un instant et pour jamais.
Siége de l'aimable candeur;
Ce front, dont Vénus feroit gloire.
S'il y brilloit moins de pudeur.
La honte des roses, des lis;
Et sa bouche où l'Amour se joue,
Avec un éternel souris.
Ici, ton art est surmonté;
Ah! quelques couleurs qu'il apprête,
Tu n'en peux rendre la beauté.
Ah! de l'objet de mon ardeur
Il n'est qu'une fidelle image:
Que l'Amour grava dans mon cœur.
La pièce suivante prouve que la gorge des mortelles est digne de plus d'amour et d'admiration que celle des déesses même, et que ces dernières en conviennent, ce qui est plus extraordinaire encore:
Iris rêvant dans la prairie,
S'endormit sur un mol gazon
Tapissé d'une herbe fleurie.
Zéphire, charmé de son teint,
Qui d'un vif incarnat se peint,
Vint d'abord faire le folâtre,
Autour de sa gorge d'albâtre.
Jalouse d'un transport si doux,
Flore gronda son infidelle,
Et lui dit, pleine de courroux:
Me préférer une mortelle!
Zéphire qui se sentoit fort,
Reparti: Voyez cette belle!
Flore jeta les yeux sur elle,
Et convint qu'il n'avait pas tort.
Il n'est donc plus étonnant qu'en traduisant l'inimitable Anacréon, un de nos poëtes français ait dit:
Qu'au matin Climène choisit,
Qui sur le sein de cette belle
Passe le seul jour qu'elle vit!
Le Poëte sans fard a trouvé fort bon ce souhait, et l'a développé de cette manière:
Permettez au moins que j'envie
Le beau sort de certaines fleurs
Dont vous vous parez avec grâce,
Et dont votre beau teint efface
Toutes les plus vives couleurs.
Oui: je voudrois être la rose
Que vous placez sur votre sein.
D'une telle métamorphose
Quel est, direz-vous, le dessein?
Le voici: par vos mains cueillie,
Mon destin seroit des plus doux;
Je n'aurois qu'un seul jour de vie,
Mais je ne vivrois que pour vous.
Un poëte anacréontique du dix-neuvième siècle, non moins grand admirateur de cette belle portion des charmes du sexe qui fait tourner la tête au nôtre, exprime ainsi le même souhait, d'être changé en rose[2]:
Le système consolateur,
Par lui mon esprit se repose
Sur un avenir enchanteur.
Que mon être se décompose,
L'espoir m'offre un riant tableau:
L'Amour, sous les traits d'une rose,
Me promet un être nouveau.
De cette métamorphose!
Sur le sein d'une autre Rose
Comme je m'étalerais!
Centuplant pour plaire à Rose,
De mes doux parfums la dose,
Avec plaisir je m'expose,
A mourir sur ses attraits:
Mourir!... oui; mais je suppose
Que je puis d'une autre chose
Prendre encor la forme après. (bis.)
Le plaisant et érotique Le Pays, dans la lettre suivante adressée à sa Caliste, souhaite aussi de mourir sur son sein:
«Quand je sortis hier de chez vous, j'en sortis avec une bonne résolution de m'aller tuer, afin d'avoir l'honneur de vous plaire une fois en ma vie, et de vous défaire pour jamais d'une personne incommode; mais jusques ici je n'ai pas exécuté mon dessein, à cause de l'embarras où je me suis trouvé à choisir un genre de mort. J'eus d'abord envie d'imiter feu Céladon, d'amoureuse mémoire, et de m'aller précipiter dans la rivière; mais j'eus peur que l'eau ne me rejetât sur les bords, aussi bien que lui, et que je ne fusse recueilli par quelques nymphes pitoyables qui, malgré moi, me sauvassent la vie. Il me prit aussi fantaisie de m'aller pendre à votre porte, à l'imitation du pendart Iphis; mais je m'imaginai que ce seroit vous déshonorer que de faire un gibet de votre porte; outre que c'est un genre de mort pour lequel j'ai eu de l'aversion dès le temps que j'étois petit enfant. Je pensai aussi à m'empoisonner, mais je crus que du poison ne seroit pas capable de m'ôter la vie, non plus qu'à Mithridate, à cause de la grande habitude que j'en ai faite. N'étant pas mort depuis si longtemps que je me nourris de crainte, de chagrin, d'inquiétude et de désespoir, qui sont les poisons du monde les plus violents, apparemment je ne pourrois pas mourir pour prendre de l'arsenic ou de l'antimoine. Je n'oubliai pas aussi qu'un poignard mis dans le sein étoit un bon expédient pour mourir: mais je crus que je ne devois pas choisir ce genre de mort qu'avoit choisi une femme qui mourut de regret d'avoir fait une chose que je meurs de regret de ne pouvoir faire. Mon désespoir est trop différent de celui de Lucrèce, pour ne pas mourir d'une mort différente. Enfin, Caliste, j'ai passé la nuit à chercher sans pouvoir trouver la mort dont je devois mourir. Au reste, ne croyez pas que ce soit la mort qui m'étonne, ce n'est que la manière de mourir qui m'inquiète: car, pour vous dire le vrai, après avoir vécu avec tant de chagrin, je voudrois bien mourir d'une mort qui me donnât un peu de plaisir. Je viens de penser à une qui seroit très-bien mon affaire: ce seroit, Caliste, de mourir entre vos bras, pâmé sur votre sein. Je sens bien en mon cœur que je n'ai pas d'horreur pour cette mort comme pour se noyer, s'empoisonner, se pendre ou se poignarder. Obligez-moi donc en me laissant mourir de cette sorte; car, puisqu'enfin vous voulez que je meure, que vous importe que ce soit de douleur ou de plaisir?»
Je serais tenté de croire qu'il y a, dans le charme attaché à une belle gorge, un talisman, de la magie et de l'enchantement; ce qui pourtant détruit cette idée, c'est le sonnet suivant, adressé à des belles qui demandaient un secret, un sortilége et des paroles magiques pour se faire aimer:
Par quoi l'art des démons met les cœurs dans les fers?
Vous, de qui la magie est blanche et naturelle,
Et fait qu'à vos appas tant de vœux sont offerts.
Par vos charmes vainqueurs l'esprit le plus rebelle
Rend grâces à l'amour des maux qu'il a soufferts,
La flamme de vos yeux est trop pure et trop belle
Pour unir sa puissance à celle des enfers
Ce beau sein qui fait naître et vos lis et vos roses
Forme un enchantement de tant de belles choses,
Que leur force invincible a droit de tout charmer
Mais pour vous mieux servir de leur pouvoir extrême,
Ajoutez seulement ces trois mots: je vous aime;
Qui pourrait s'empêcher alors de vous aimer?
Des chants dictés par nos cœurs.
Dérobons à l'automne
Ce qui lui reste de fleurs;
Pour les belles, qu'on apprête
Des bouquets et des refrains;
C'est aujourd'hui la fête,
La fête de tous les saints.
C'est beaucoup pour un seul jour;
Toi, qui n'adore guère
Que le plaisir et l'Amour,
Deux patrons, c'est bien honnête;
Comme toi, je me restreins.
Et désormais je ne fête,
Ne fête que tes deux saints.
N'ont que des dehors flatteurs,
Et chacun d'eux m'enchante
Par de riantes couleurs.
Leur parure se compose
Du plus brillant des satins,
Ce sont deux boutons de rose
Qui couronnent tes deux saints.
Je ressentis leur pouvoir;
Il t'en souvient peut-être,
C'est toi qui me les fis voir.
A ce spectacle sensible,
Vers eux j'étendis les mains
Non, non, il n'est pas possible
De voir de plus jolis saints.
Presqu'aussi durs qu'un rocher,
Parfois à ma prière
Ils se sont laissé toucher;
Jaloux de les voir encore,
Je donnerais, je le dis,
Pour ces deux saints que j'adore,
Tous les saints du Paradis.
CHAPITRE II.
DES BEAUX TÉTONS.
Avant de déterminer la forme et les qualités qui rendent une gorge parfaite, examinons en quoi consiste la beauté d'une femme. Il faut, dit-on, qu'elle réunisse les trente points suivants:
Taille ni trop grande ni trop petite.
N'être ni trop grasse ni trop maigre.
La symétrie et la proportion de toutes les parties.
De beaux cheveux longs et déliés.
La peau délicate et polie.
Blancheur vive et vermeille.
Un front uni.
Les tempes non enfoncées.
Des sourcils comme deux lignes.
L'œil bleu, à fleur de tête; et le regard doux.
Le nez un peu long.
Des joues un peu arrondies, avec une petite fossette.
Le rire gracieux.
Deux lèvres de corail.
Une petite bouche.
Dents blanches et bien rangées.
Le menton un peu rond et charnu, avec une fossette au bout.
Les oreilles petites, vermeilles et bien jointes à la tête.
Un cou d'ivoire.
Un sein d'albâtre.
Deux boules de neige.
Une main blanche, longue et potelée.
Les doigts terminés en pyramides.
Des ongles de nacres, de perle, tournés en ovale.
L'haleine douce.
La voix agréable.
Le geste libre et sans affectation.
Le corsage délié.
La démarche modeste.
On a dit qu'Hélène réunissait ces trente points. Franciscus Corniger les a mis en dix-huit vers latins. Vincentio Calmeta les a aussi mis en vers italiens qui commencent par Dolce Flaminia.
Voici ceux de François Corniger:
Foemina: sic Helenam fama fuisse refert.
Alba tria, et totidem nigra; et tria rubra; puellæ.
Tres habeat longas res, totidemque breves.
Tres crassas, totidem graciles, tria stricta, tot ampla,
Sint itidem huic formæ, sint quoque parva tria.
Alba cutis, nivei dentes albique capilli:
Nigri oculi, cunnus, nigra supercilia.
Labra, genæ, atque ungues rubri. Sit corpore longo,
Et longi crines, sit quoque longa manus.
Sintque breves dentes; auris, pes. Pectora lata,
Et clunes, distent ipsa supercilia.
Cunnus et os strictam, stringunt ubi cingula stricta,
Sint coxæ et culus, vulvaque turgidula.
Subtiles digiti, crines et labra puellis.
Parvus sit nasus, parva mamilla, caput.
En voici la traduction, que rapporte un vieux livre français intitulé: De la louange et beauté des Dames.
Trois noires: les yeux, les sourcils et les paupières.
Trois rouges: les lèvres, les joues et les ongles.
Trois longues: le corps, les cheveux et les mains.
Trois courtes: les dents, les oreilles et les pieds.
Trois larges: la poitrine ou le sein, le front et l'entre-sourcil.
Trois estroites: la bouche, l'une et l'autre, la ceinture ou la taille et l'entrée du pied.
Trois grosses: le bras, la cuisse et le gros de la jambe.
Trois déliées: les doigts, les cheveux et les lèvres.
Trois petites: les tétins, le nez et la teste.
L'auteur du Procès et amples examinations sur la vie de Carême-Prenant, etc., dit qu'une belle femme se compose des beautés de divers pays.
Prenne visage d'Angleterre,
Ayant le corps d'une Flamande
Et les tetins d'une Normande,
Entés sur un cul de Paris,
Il aura femme de bon prix.
Grosse mammelle, nez camus,
Longue raison et courtes mains,
Elle est sujette au bas des reins.
Son corps par étroite vêture
On se peut bien apercevoir
Que son c.. demande pâture.
Les trois quatrains ci-dessus sont tirés du Momus Redivivus, t. II, p. 30 et 31, publié par Mercier de Compiègne, qui, lui-même, les a pris dans l'ouvrage cité plus haut.
En tous ses faits doit estre modérée,
Avoir le cœur rempli de loyauté,
Maintien rassis, contenance assurée;
Bouche riant, mignonne, savourée,
Œil verdelet, le front largettement,
Clere de vis[3], de couleur proprement.
Menton fourchu, la chevelure blonde.
Humble regard à lever doucement,
Parfaite en bien seroit la plus du monde.
Large entre-deux, rencontre relevée
Gorge plaisante, et le col long, santé,
Le nez traitiz[4], sourcille déliée,
Mollette main, blanche, bien alliée
De doigts et bras gresle tant seulement,
Gente de corps, taillée adroitement.
Hauteur moyenne et de belle faconde,
Gorriere[5] un peu, parler courtoyement,
Parfaite en bien seroit la plus du monde.
Grosse cuisse et devant haut enc...ée,
Motte à plein poing, sans être trop hantée,
De doux accueil et de rebelle entrée,
Le ventre épais, barbe de frais rasée,
Tenir l'escu au besoing droitement,
Et son bourdon serrer estroitement,
Je ne m'enquiers du trop ou peu profonde,
Le compagnon porter joyeusement
Parfaite en bien seroit la plus du monde.
Si vous trouvez un tel appointement
Au petit pied, jambe grossette et ronde,
Montez dessus et picquez hardiment,
Parfaite en bien seroit le plus du monde.
A joüer aux Champs Elisez,
Quand ils veulent jouer aux quilles,
Les boules sont tetins de filles.
Il est bien vray qu'en cet esbat
La boule les quilles abbat,
Mais icy c'est une autre affaire,
Car aux quilles vient le contraire,
Puisqu'au lieu de les renverser
Les tetins les font redresser.
De qui le gros sein pommelé
Monstre qu'elle tient recelé
Sous sa cotte un gros pucelage.
De son village tout l'honneur,
Capable d'allumer un cœur
D'une autre flamme que de paille.
Le plus galant des troubadours français, le célèbre Marot, nous instruit particulièrement de la beauté des tétons dans l'épigramme suivante:
Tetin de satin blanc tout neuf,
Tetin qui fait honte à la rose,
Tetin plus beau que nulle chose,
Tetin dur (non pas tetin, voire,
Mais petite boule d'yvoire)
Au milieu duquel est assise
Une frèze, ou une cerise,
Que nul ne void ne touche aussi;
Mais je gage qu'il est ainsi,
Tetin donc au petit bout rouge,
Tetin qui jamais ne se bouge,
Soit pour venir, soit pour aller,
Soit pour courir, soit pour baller,
Tetin gauche, tetin mignon,
Tousjours loing de son compagnon,
Tetin qui portes tesmoignage
Du demeurant du personnage.
Quand on te void il vient à maints
Une envie dedans les mains
De te taster, de te tenir:
Mais il se faut bien contenir
D'en approcher, bon gré ma vie,
Car il viendroit une autre envie.
Tetin meur, tetin d'appétit,
Tetin qui nuict et jour criez,
Mariez moy tost mariez.
Tetin qui t'enfles et repousses
Ton gorgias de deux bons pousses,
A bon droit heureux on dira
Celui qui de laict t'emplira
Faisant d'un tetin de pucelle,
Tetin de femme entière et belle.
Nous croyons faire plaisir au lecteur en mettant à la suite de la pièce de Marot celle de Guichard, qui lui sert de réponse.
C'est l'ornement, le trésor d'une belle.
A des tétons qui peut être rebelle?
L'œil ne peut voir rien de plus doux.
Bienheureuse la main qui les tient à son aise!
Et plus heureuse encor la bouche qui les baise!
Hélas! pourquoi gêner leur liberté?
Nul ajustement ne les pare
Comme l'entière nudité.
Ce qu'il faut d'embonpoint, leur élasticité,
L'intervalle qui les sépare,
Ce poli du satin, cette aimable rondeur,
Du bouton incarnat de la rose naissante,
Ce bouton surpassant la forme et la couleur,
Ce transparent tissu de neige éblouissante,
Et l'azur qui dessous se divise et serpente.
Tout est vu, pressé, dévoré,
Le BEAU TETIN, par vous gentiment célébré
Valoit-il les tétons pour lesquels je soupire?
Mon cher Marot, eh quoi! ces tétons pleins d'appas
Ne vous font point revoler ici-bas!
J'en remettrois la gloire à votre lyre.
Chef-d'œuvre de l'amour, tétons.... tétons des Dieux!
Foible mortel, renonce à chanter leur empire;
Tout l'Olympe assemblé n'y pourroit pas suffire;
Et, ce qui fait leur prix, ce qui fait mon bonheur,
Auprès de ces tétons je sens.... je sens un cœur.
Benserade a rivalisé avec Marot dans l'apothéose des beaux tétons; car quel poëte ne les a pas chantés! et voici la belle définition qu'il en donne dans un sonnet:
Bien qu'il ne commence qu'à poindre,
Tétons qui ne font pas un pli,
Et qui n'ont garde de se joindre.
Que de fard il ne faut pas oindre;
Si l'un est rond, dur et poli,
L'autre l'égale et n'est pas moindre.
Digne échantillon de beautés,
Que le jour n'a point regardées;
Et remplit toutes les idées
Du paradis du Mahomet
La blancheur, la rondeur et la fermeté sont donc trois qualités essentiellement requises pour mériter aux tétons le nom de beaux. Marot, qui était connaisseur dans cette sorte de friandise, les aimait ronds, comme on le voit dans ces vers, qui renferment des conseils sur le choix d'une maîtresse.
Prenez-la de belle grandeur:
En son esprit non endormie,
Et son tetin bonne rondeur.
Douceur
En cœur,
Langage
Bien sage,
Dansant, chantant par bons accords,
Et ferme de cœur et de corps.
Vous en aurez peu d'entretien;
Pour durer, prenez-la brunette,
En bon poinct d'asseuré maintien:
Tel bien
Vaut bien
Qu'on fasse
La chasse
Du plaisant gibier amoureux:
Qui prend telle proye est heureux.
Marot le prouve encore par ce rondeau:
Qui a le corps plus gent qu'une pucelle
De quatorze ans, sur le point d'enrager,
Et au dedans un cœur, pour abbréger,
Autant joyeux qu'eut onques demoiselle.
Et le tetin rond comme une groiselle,
N'ay-je donq pas bien cause de songer
Toutes les nuicts?
Touchant son cœur, je l'ay dans ma cordelle,
Et son mary n'a, sinon le corps d'elle;
Mais toutefois, quand il voudra changer,
Prenne le cœur, et pour le soulager,
J'auray pour moi le gent corps de la belle
Toutes les nuicts.
Bois-Robert, né à Caen, en 1592, a aussi chanté le sein dans les stances suivantes:
Vivants objects de ma memoire,
Cheres delices de mes jours,
Qui dedans vos rondes espaces
Cachez la demeure des Graces
Et la retraicte des Amours.
De qui mon œil est idolatre,
Source des amoureux desirs.
Parfait assemblage de charmes,
Digne sujet de tant de larmes,
De tant de vers et de soupirs:
Petits messagers de jeunesse,
Petits gemeaux ambitieux,
Qui desja pour vous trop cognestre
Ne faisant encor que de naistre,
Vous enflez d'orgueil à nos yeux.
Le mal qu'il se plaist d'endurer:
Mais, ô merveille que j'adore,
Je tiens bien plus heureux encore
Celuy qui vous fait souspirer.
Charles Cotin nous fait voir dans le sonnet suivant sur les tétons, qu'ils doivent être fermes, ronds, et bien écartés l'un de l'autre.
Tous deux également de tous furent aimez;
Tous deux enflez d'orgueil et de grace animez.
Partagèrent entr'eux l'honneur qu'ils acquirent;
Tous deux sur même moule ils paraissoient formez;
L'un l'autre ils se fuyoient de dépit enflammez,
L'un à l'autre enviant les conquêtes qu'ils firent.
Mais enfin leur orgueil s'enfla jusqu'à ce point,
Que leur triste union commença de paroître.
L'amour de tous naquit de leur inimitié,
Et de leur union le mépris vint à naître.
M. Le Pays paraît être du même goût, quand il dit à son Iris, dans le portrait qu'il fait d'elle:
«Votre gorge semble avoir été faite au tour; et l'on peut dire que c'est une beauté achevée. Votre sein est digne de votre gorge; il est blanc, gras et potelé. Les deux petits globes qui le composent ne sont éloignez que de deux doigts, et cependant je suis assuré que de leur vie ils ne se sont baisez, quoi qu'ils soient frères, et qu'ils deussent bien s'aimer, si la ressemblance fait l'amitié.»
L'auteur de la chanson picarde, qui commence par ces mots: Ton himeur est, Catherene, les aimait aussi avec cette qualité; il fait dire à l'amant:
Que n'est la creste d'un cocq;
Et ta gorge qui ne bouge,
Paroit plus ferme qu'un roc.
Une belle gorge étant la meilleure recommandation que puisse avoir une femme, elle ne saurait trop la voiler pour la garantir du hâle; car il en est peu de privilégiées aujourd'hui à qui l'on puisse adresser ce madrigal:
Que sa blancheur est sans seconde:
Pour moi qui ne dis rien de flatteur ni de feint,
Je soutiens qu'il en est une plus grande au monde.
N'en déplaise à la vanité
De votre superbe visage;
Vos tétons, belle Iris, en bonne vérité,
Voudroient-ils en blancheur lui céder l'avantage?
La Puce de Mme des Roches, Paris, 1583, in-4o; 1610, in-8o. Réimprimé, 1868, Paris, Jouaust, petit in-8o.
On sait quelle fut l'origine de ce recueil. La haute société de Poitiers s'honorait alors de deux dames appartenant à la race des Précieuses, de Molière, c'étaient Mme des Roches et sa fille Catherine. Poëtes elles-mêmes, mais dans une mesure très-restreinte, elles réunissaient autour d'elles une société de beaux esprits. Les Grands-Jours, tenus à Poitiers en 1579, amenèrent autour de ces dames tous les magistrats que cette solennité avait appelés dans cette ville. Un jour, Étienne Pasquier aperçut une puce qui s'était «parquée au beau milieu du sein» de Mlle des Roches; il fit remarquer la témérité de l'animal; il s'ensuivit quelques propos badins; l'incident provoqua d'abord l'échange de deux pièces de vers entre Pasquier et Mlle des Roches; les savants magistrats, prenant fait et cause, se mirent à célébrer la puce en français, en latin, en espagnol, en grec même. Pasquier recueillit ces divers morceaux; de là vint le volume qui devait avoir pour titre: la Puce de Mlle des Roches, car ce ne fut pas madame sa mère qui fut l'héroïne de l'aventure. L'uniformité du sujet donne à ces compositions une teinte de monotonie, mais la forme en est toujours agréable, et on y trouve de gracieux détails. L'éditeur de 1868 a suivi le texte de l'édition de 1610, en notant les principales variantes (les préfaces des deux éditions sont tout à fait différentes); il s'est borné à reproduire les pièces françaises.
Nous nous contenterons de citer la pièce ci-dessous, d'Étienne Pasquier. Elle résume à elle seule tout ce que les autres poëtes en ont pu dire.
D'un vert émail diapré,
On voit que la blonde avette
Sur les belles fleurs volette,
Pillant la manne du ciel,
Dont elle forme son miel;
Ainsi, petite pucette,
Ainsi, puce pucelette,
Tu voles à tâton
Sur l'un et l'autre téton;
Or, ayant pris ta posture,
Tu t'en viens à l'aventure.
Soudain après héberger
Au milieu d'un beau verger,
Paradis qui me réveille,
Lorsque plus elle sommeille:
Là, prenant ton bel ébat,
Tu lui livres un combat,
Combat qui aussi l'éveille,
Lorsque plus elle sommeille.
Ni du cygne, blanc oiseau,
Ni d'Amphytrion la forme,
Ni qu'en pluye on me transforme.
Puisque ma dame se paist
Sans plus de ce qui te plaist,
Plust or à Dieu que je pusse
Seulement devenir puce!
Tantost je prendrois mon vol
Tout au plus haut de ton col,
Ou, d'une douce rapine,
Je sucerois ta poitrine,
Ou lentement, pas à pas,
Je me glisserois plus bas,
Et d'un muselin folastre,
Je serois puce idolastre,
Pinçottant je ne sçais quoi,
Que j'aime trop plus que moi!
Qu'est-ce qu'en vain je souhaite?
Cet échange affiert à ceux
Qui font leur séjour aux cieux.
Et partant, puce pucette,
Partant, puce pucelette,
Petite puce, je veux
Adresser vers toi mes vœux.
Si tu piques les plus belles,
Si tu as aussi des aisles
Tout ainsi que Cupidon,
Je te requiers un seul don
Pour ma pauvre âme altérée,
O puce! ô ma Cythérée!
C'est que ma dame, par toi,
Se puisse éveiller pour moi!
Que pour moi elle s'éveille,
Et ait la puce en l'oreille!
Pour estre ferme et rond il n'a point de pareil;
On ne peut sans amour voir son bouton vermeil,
Faut-il donc s'estonner si j'en suis idolastre!
Rien ne peut estre égal à mon contentement,
Je suis ravy d'avoir ce charmant privilége,
Mais quand elle s'oppose à mon ardent dessein,
O Babet! ô friponne, aussitost, m'escriay-je,
Vous faites bien la fière avec votre beau sein,
Ah! vrayment vostre sein est un beau sein de neige.
qu'en vers. Paris, A. de Sommaville, 1664, in-12.)
Il existe un poëme allégorique et moral, intitulé: Architrenius, publié à Paris en 1517, in-4o, et dont l'auteur, Jean d'Hanteville ou d'Hanville, était un moine qui vivait à la fin du douzième siècle. Ce bon religieux mettait, dans ses vers, sans y entendre malice, des traits un peu vifs; il se plaît, par exemple, à tracer le portrait d'une jeune beauté; un passage est relatif au sein, il tombe dans notre domaine:
Castigata sedes, teneroque rotundula botro....
Nous avons sous les yeux une traduction inédite de ce fragment:
«Tel qu'une graine vermeille de raisin, un petit tetin, frais et poli, s'élève mollement sur un sein arrondi, et la couleur de rose contraste avec cette touffe de lys. Ces deux globes charmants sont grossis par l'effet de leur jeunesse, et non par le lait qui ne les a pas encore remplis. Un léger nœud de ruban les serre sans en comprimer la fermeté. Elevés au milieu d'une surface plane, ces monticules font voir au milieu d'eux comme un vallon.»
LES DÉLICES DE LA POÉSIE GALANTE. Paris, Ribou, 1666, in-12.
Et si vous approchez du beau sein de Philis,
Dont la blancheur ternit celle des plus beaux lis,
Avant que de mourir, dites à cette belle
Que je croirais mon sort bien doux
D'y pouvoir mourir avec vous.
Un insecte cruel, une noire sangsue
Pique un sein plus blanc que les lys,
Dont tous les traits sont accomplis.
Crois-tu bien te souler du sang de ma Silvie?
Sa blancheur te devrait détourner du dessein
De lui piquer le sein.
Si tu veux contenter ta malheureuse envie,
La peine suivra ton souhait,
Car soudain tu perdras la vie
Et tu n'auras sucé que des gouttes de lait.
Cette pièce étant un peu longue et assez médiocre, nous n'en reproduirons qu'un fragment:
Un double petit mont de neige
Qui, par un joli mouvement
Se soulève fort mollement
Et puis mollement se rabaisse,
Allant et revenant sans cesse
D'un air charmant et gracieux,
Comme s'il s'approchait des yeux
Pour ses beautés faire connoistre
Et puis mollement disparoistre.
Je règne également et je donne des loix;
J'en ai deux aujourd'hui que j'habite à mon choix
Et dans chacun des deux ma gloire est sans seconde.
J'y soumets sans efforts les plus superbes rois;
Il n'en est point qui puisse éviter mes exploits
Et que ma politique à la fin ne confonde.
J'aime à voir remuer, et les soulèvemens
Servent à ma grandeur, s'ils font leur décadence.
Imputent la faiblesse aux États divisés,
Si les miens ne l'étoient, j'aurois moins de puissance.
Louis XV demanda un jour à Bouret, secrétaire du cabinet, comment il trouvait la dauphine et si elle avait de la gorge. Il répondit que Marie-Antoinette était charmante de figure et qu'elle avait de beaux yeux. «Ce n'est pas cela dont je vous parle, répondit Sa Majesté, je vous demande si elle a de la gorge.—Sire, je n'ai pas pris la liberté de porter mes regards jusque-là.—Vous êtes un sot, continua le monarque en riant, c'est la première chose qu'on regarde aux femmes.»
En ces moys dauril et de may
Je me mettois en grand esmoy
De dire plusieurs bergerettes
La desirois mes amourettes
A les tenir aupres de moy
Au doulx chant.
Et leur bailler soubdain la foy
Tout ainsi que faire le doy
Dessus ces belles herbelettes
Au doulx chant.
Les tétons des belles sont deux tours vivantes d'albâtres d'où l'Amour blesse les amants. Ce sont deux écueils contre lesquels nos libertés vont agréablement faire naufrage; deux mondes de beauté éclairés par deux beaux soleils qui sont les yeux. Un auteur français les compare à deux pommes et s'écrie:
Sur l'arbre qui porte ce fruit.
Au commencement du XVIIIe siècle, les dames portaient sur leur gorge découverte des croix et des petits Saint-Esprit en diamants. Aussi, un prédicateur s'écria-t-il un jour en chaire: «Bon Dieu! peut-on plus mal placer la croix qui représente la mortification, et le Saint-Esprit, auteur de toutes bonnes pensées.»
Voici une pièce manuscrite attribuée à Voisenon; j'ignore si elle a été imprimée, mais comme elle est peu connue, les lecteurs seront sans doute charmés de la trouver ici.
De la statue élégante qu'il aime,
Et que Vénus, pour sa dévotion,
Avoit changée en une autre elle-même.
Tu fus statue; car, par expérience
J'en suis certain, et ce qu'ici j'avance
Est dans ces vers un peu plus bas prouvé.
Tout étoit dur; tu n'avois nul ressort;
Vénus voulut t'amollir tout le corps
Pour te le rendre aux plaisirs plus flexible.
Bien tendrement à l'amant qui te presse,
Elle amollit ta bouche enchanteresse,
Elle amollit tes bras pour l'embrasser.
Gardent encor un peu de dureté,
Moins que le marbre, et si plus haut on monte,
On trouvera de l'élasticité.
Elle oublia de changer tes tétons;
Ils sont taillés aussi juste, aussi ronds
Et blancs et durs comme le marbre même.
Ton mouchoir baise ton téton,
Tes cheveux se baisent et rebaisent,
Je vois tes lèvres se baiser;
Et si toutes choses se baisent
Voudrais-tu bien me refuser?
Je n'ai pas envie de déterminer positivement ici de quelle taille doivent être les tétons, ni prendre parti dans le différend qui pourrait s'élever sur la longueur, la largeur et la distance de ces deux parties du corps des belles; je dirai seulement que si les hommes ont raison de donner la préférence aux plus gros, d'autres n'ont pas tort de préférer un sein qui n'est pas fort garni. Il faut croire, sur ce point, que Le Pays parlait sérieusement et sans flatterie à sa Caliste, lorsqu'il s'exprimait ainsi:
«Votre sein n'est pas des plus remplis, mais ce que vous en avez est blanc; et, s'il m'est permis de le dire comme je le pense, le morceau, pour être petit, ne laisse pas d'être délicat.»
Une chose au moins que je puis avancer hardiment, c'est qu'une femme ne saurait être belle, si elle n'a une belle gorge et un beau sein. Aussi voyons-nous que de tous les faiseurs de portraits, aucun n'oublie les tétons, quand il veut peindre une beauté parfaite.
M. Victor Cousin, dans son ouvrage sur Mme de Longueville, parle à diverses reprises de l'objet qui nous occupe. Décrit-il (t. Ier, p. 321) un portrait de la duchesse par Anselme van Hull, il observe que «le sein à demi-découvert, paraît dans sa beauté modeste.» A-t-il l'occasion de retracer les traits d'Anne d'Autriche, de la duchesse de Chevreuse, de Mme de Montbazon, il n'oublie pas de vanter la perfection de leur gorge. Le philosophe éclectique, le traducteur de Platon, l'éditeur de l'infortuné Abailard, était connaisseur.
CHAPITRE III.
S'IL EST DE LA BIENSÉANCE QUE LES DAMES LAISSENT VOIR LEURS TÉTONS, ET S'IL EST PERMIS AUX AMANTS DE LES TOUCHER.
La solution de ce problème présente de grandes difficultés, et pourrait être la matière d'une longue et savante dissertation; mais les longs ouvrages me font peur:
Il n'en faut prendre que la fleur.»
Molière fait dire au Tartuffe, qu'un sein découvert blesse l'âme, et fait naître de coupables pensées. Le petit-père André se récriait là-dessus avec beaucoup de zèle dans un de ses sermons: «Quand vous voyez, disait-il, ces tétons rebondis et qui se montrent avec tant d'impudence, bandez, messieurs, bandez-vous les yeux.» Un autre prédicateur turlupin, si ce n'est pas le même, défendait aux filles de découvrir leurs seins, et d'en laisser approcher la main entreprenante des amants; «car, disait-il pour terminer une violente sortie «quand la Hollande est prise, adieu les Pays-Bas.» Il faisait, par ce mot de Hollande, allusion au fichu de batiste ou de toile de Hollande qui couvrait alors le sein de nos belles, un peu plus que leur gaze très-claire ne le fait aujourd'hui.
On trouve dans le Cabinet satyrique, les vers suivants:
Souloient descouvrir leur visage,
Ceste coustume ont délaissé
Pour de leur sein nous faire hommage;
S'elles en continuent l'usage,
Descouvertes jusqu'à l'arçon,
Sus, sus! enfants, prenons courage,
Nous leur verrons bientost le c..
Qui va la gorge descouverte
Ne faic pas signe par cela
Qu'elle voudroit estre couverte?
Avec ce beau tetin de rose,
Car si quelqu'un y met la main,
Il y voudra mettre autre chose.
Leurs tetins, leurs poictrines nuës,
Doit-on demander si tels saincts
Demandent chandelles menuës?
On dit aujourd'huy que c'est vice
De montrer son sein rondelet,
Veu qu'au temps premier d'innocence
La femme n'eut onc cognoissance
N'y de robe ny de colet.
Par les prés, sur l'herbe menuë,
Parlant avec son amoureux:
Blasmerons-nous les femmes belles
Qui commencent par leurs mamelles
A ramener ce temps heureux?
Pleine de sang et de carnage,
Et couvrir la bouche qui ment,
Mais une mamelle gentille
Et le blanc tetin d'une fille
Ne se doit cacher nullement.
Au plus profond d'une tanière
Le serpent et l'ours affamé,
Mais un beau sein que l'on descouvre
N'a le venin d'une couleuvre,
Pour estre clos et renfermé.
Ses facultez dedans la terre
Et tient son or ensevely;
Mais les pucelles libérales,
Entre deux pommes bien esgales,
Montrent l'ivoire bien poly.
Voulurent monstrer les richesses
De leurs beaux tétons précieux,
Amour, aveugle de nature,
Ne vola plus à l'aventure,
Et se desbanda les deux yeux.
Dedans le feu de sa fournaise,
Deux soufflets furent les tétons,
Qui de chaudes vapeurs s'enflèrent
Et dedans nos âmes soufflèrent
Le feu d'amour que nous sentons.
Tant de couleurs et de feuillages,
Si l'œil humain en est absent?
Et voyons-nous dessus l'espine
Fleurir une rose pourprine
Pour la cacher lorsqu'elle sent?
Et qu'en janvier il envelope
La terre d'un pasle bandeau,
Tous ses plaisirs elle abandonne,
Elle gémit, elle frissonne,
Comme un prisonnier au cordeau.
Lui despouillant sa robe grise
Pleine de cent mille glaçons,
Elle est du soleil penetrée
Et enfante d'une ventrée
Mille fleurs de mille façons.
Devant les dieux fut garottée
Avecques Mars, son favory;
Promptement accourut Jeunesse
Qui vint destacher sa maistresse,
En despit du cocu mary.
La mère d'Amour à Jouvence
Despoüilla ces deux monts charnus:
De là vient que les damoiselles,
Quand on leur taste leurs mamelles,
Ont souvenance de Vénus.
Je ne prétends pas m'ériger en casuiste pour décider si les femmes peuvent et doivent montrer leur sein; mais quand je pourrais prouver, d'une manière péremptoire, qu'il est plus à propos que les femmes se le couvrent, je ne sais si j'aurais le courage de l'entreprendre. Je vois, d'un côté, tous les amants déchaînés contre moi, si je m'oppose ainsi à leurs plaisirs; et, d'un autre côté, toutes nos élégantes, furieuses de me voir condamner une mode qu'elles suivent presque généralement. Je citerai donc seulement ces vers de Mercier de Compiègne, qui me paraissent justes. Il dit, en parlant aux auteurs, au sujet du poëme de la Guerre des Dieux, dans lequel Parny s'égaye sur les tétons de la sainte Vierge, et ne gaze pas assez ses tableaux:
Mais gazez un peu vos tableaux;
Drapez Vénus: elle est plus belle
Quand un nuage la recèle;
Le demi-jour sied à Paphos.
Voici les vers auxquels Mercier fait allusion:
Se moquaient de la brune Marie:
Son embarras, son air de modestie,
Servaient de texte aux illustres belles.
Mais n'en déplaise à ces juges sévères,
De grands yeux noirs, doux et voluptueux,
Des yeux voilés par de longues paupières,
Quoique baissés, sont toujours de beaux yeux.
Lorsqu'elle parle, une bouche de rose
Est éloquente et même on lui suppose
Beaucoup d'esprit. De pudiques tétons,
Bien séparés, bien fermes et bien ronds,
Et couronnés par une double fraise,
Chrétiens ou juifs, pour celui qui les baise,
N'en sont pas moins de fort jolis tétons.
Le Pays est pour la mode qui trotte, quand il parle de cet air à sa Margoton:
«J'ai un nouvel avis à vous donner sur ce que je vis hier que vous teniez vos petits tétons enfermez aussi exactement qu'une religieuse. Vous avez tort, Margoton, de tenir ainsi en prison deux jeunes innocens qui n'ont point encore commis de crime. Je vous assure qu'ils souffrent cette clôture à contrecœur. Malgré le linge qui les resserre, j'ai remarqué qu'ils en soupirent de tristesse, et qu'ils en sont tout enflés de colère. A cause que vous êtes sage de bonne heure, vous voulez peut-être qu'ils vous imitent; mais ne savez-vous pas qu'ils sont plus jeunes que vous: que vous avez quatorze ans, qu'ils n'ont que quatorze mois; et qu'ainsi, quand vous seriez déjà sérieuse, il leur seroit permis de faire encore les badins? Lorsque vous n'étiez pas plus âgée qu'ils le sont présentement, votre nourrice n'avoit point de honte de vous montrer toute nue; pourquoi en auriez-vous donc de nous montrer à nud deux jeunes enfans qui ne sont jamais si beaux que quand ils sont découverts? N'est-ce point que la tante qui vous gouverne a peur que, si vous les laissiez sans contrainte, ils n'usassent mal de leur liberté, et qu'ils ne l'employassent à attaquer la nôtre? Si c'est pour cette raison qu'elle vous les fait couvrir si soigneusement, elle devroit aussi vous obliger à cacher vos yeux et vos autres appas, puisque vous n'en avez aucun qui ne dérobe tous les jours quelque cœur ou quelque liberté. Mais je veux lui apprendre que vos tétons en deviendront plus malicieux, plus ils seront enfermés. Car si, dans leur prison, ils découvrent quelque trou par où ils puissent voir le jour, ils se mettront là en sentinelle, pour assassiner le premier homme qui les regardera: si bien qu'on fera mieux de leur donner liberté toute entière; car alors on s'apprivoisera avec eux tout de bon, ils en deviendront moins dangereux.»
Louis XIII ne fut point de cet avis, lui qui ne pouvait souffrir la vue d'un sein découvert, ainsi qu'on en peut juger par l'anecdote suivante:
Chacun sait que Louis XIII était impuissant ou à peu près. Un conseil de médecins, après l'avoir visité, déclara que jamais postérité ne sortirait de lui. Aussi, ce fils atrabilaire d'un père si galant, haïssait le sexe en général. Les femmes lui inspiraient un éloignement qui tenait de l'aversion. La vue d'un sein même jeune, frais et ferme le dégoûtait. Il ressentait le même dégoût et presque de l'effroi à la vue d'autres charmes plus secrets. Chez lui, la nature ne se taisait pas seulement à leur approche, elle se révoltait. De là cette réputation de chasteté que les courtisans ont faite à ce monarque; de là l'infécondité d'Anne d'Autriche après dix années de mariage, et le délaissement déplorable de cette voluptueuse princesse.
L'inclination que Louis XIII éprouva pour Mlle d'Hautefort ne dément point cette assertion; elle l'appuie au contraire d'un sensible témoignage. Louis s'était attaché à cette jeune personne parce qu'elle était organisée comme lui. Elle ne laissait voir aucune des faiblesses naturelles aux dames. Un écrivain ingénieux a dit que Louis XIII n'était amoureux que depuis la ceinture jusqu'en haut, et que ses amours étaient vierges. Cette pruderie était poussée si loin qu'elle donna lieu à une impolitesse qui trouve naturellement sa place ici. Dans un voyage que fit Louis XIII, il s'arrêta à Poitiers. Il y eut un grand couvert; on recherchait avidement alors ces exhibitions de souverain, comparables à celles des ménageries, sauf l'argent donné à la porte. Une jeune spectatrice de l'appétit royal avait le sein découvert; Louis XIII, ayant arrêté un moment sa vue sur cette indignité, enfonça son chapeau sur ses yeux et les tint baissés pendant tout le reste du dîner. Jusque-là ce n'était que de la chasteté, voici quelque chose de plus. La dernière fois que le prince pudibond but, il retint une gorgée de vin dans sa bouche, puis, visant en chasseur habile, lança cette réserve sur les appas indiscrètement exposés. La pauvre fille, dégouttante du liquide projectile, sortit toute confuse et s'évanouit dans la pièce voisine. Un écrivain jésuite, le père Barri, en rapportant cette anecdote, assure que «cette gorge découverte méritait bien cette gorgée.» Jeu de mots pitoyable, qui ne persuadera point qu'un souverain, encore même que ce ne soit pas tout à fait un homme, puisse se conduire de la sorte avec une femme.
On trouve le quatrain suivant, dans un livre fort rare, intitulé: Procès et amples examinations sur la vie de Carême-Prenant, et dans le Momus Redivivus, que j'ai déjà cités:
Son corps par étroite vêture,
On se peut bien apercevoir
Que son c.. demande pature.
Claude de Pontoux, poëte et médecin, né en 1530, à Châlons-sur-Saône, n'a guère chanté que l'amour. Il nous a laissé une chanson que nous rapportons ici parce qu'elle est relative au sujet que nous traitons:
Me permet bien que je taste
Son beau col et son menton,
Et veut bien que je m'ebaste:
Mais sitôt que je me haste
De ravir le beau bouton
Qui fleurit sur son téton
Et les fraisettes jumelles,
Elle me dit en riant:
Ne touchez pas là, friand;
C'est le joyau des pucelles.
Ce sein éblouissant où le regard s'attache?
On aime le fichu qui le laisse entrevoir;
Mais on aime encor plus la pudeur qui le cache.
Charles Cotin soutient, dans les jolis vers suivants, que c'est une précaution inutile que de cacher les tétons.
Qui de tout vaincre ont le beau privilège;
N'est-ce pas me sauver du milieu de la neige,
Pour m'exposer au feu des cieux?
Montreuil semble épouser le parti contraire, lorsqu'il fait le reproche suivant à sa maîtresse:
Puisqu'un fâcheux jaloux s'oppose à mon dessein?
Votre bonté me tue autant qu'elle me plaît;
Mes yeux sont trop heureux, ma bouche est malheureuse,
Et pour mon pauvre cœur, il ne sait ce qu'il est.
Boursault trouve que les tétons des belles sont très-bien, quand ils ne sont ni trop cachés, ni trop découverts. Il s'exprime ainsi dans une lettre où il fait à Mlle de Beaumont le portrait de sa maîtresse, qu'il nomme Climène: «Climène a les cheveux aussi noirs que vous les avez blonds; et, comme vous les avez du plus beau blond qui ait jamais été, elle les a du plus beau noir du monde. Elle a le front assez grand, assez élevé, pour être admirablement beau; et les sourcils qui sont au bas sont si noirs, et la symétrie en est si délicate, que pour les arranger avec tant de justesse, il semble que la nature ait emprunté les mains de l'art. Ses yeux ravissent la franchise, quand ils ont toute leur vivacité, et touchent l'âme, quand ils ont toute leur langueur. Son nez, qui passe pour un peu gros parmi ceux qui ne s'y connoissent pas, passe pour tout à fait beau parmi ceux qui s'y connoissent. Ses joues inspirent de l'amour, quand elles ont de la rougeur; et, quand elles n'en ont point, elles donnent de la tendresse. C'est dommage que sa bouche soit si petite, parce qu'il en sortiroit en foule toutes les bonnes choses qui n'en sortent que l'une après l'autre, à cause des limites du passage; et si j'osois me servir du mot précieux d'ameublement de bouche, pour dire ce que je pense de ses dents, je vous protesterois qu'il n'y en a jamais eu de plus riche que le sien. Elle a les lèvres d'une couleur fort vive, et elle ne les mord jamais. Son menton passeroit pour impertinent, s'il avoit l'audace d'être laid, et de se mêler avec toutes les beautés qui sont sur un si charmant visage. Le point dont elle se couvre la gorge, est assez raisonnable pour en laisser voir assez peu, pour ne point causer de desirs qui blessent le respect que l'on doit à Climène: et toutefois il en montre assez pour donner envie de voir le reste. Tout le défaut qu'elle a, cette gorge, c'est qu'elle est aussi dure que son cœur. Au reste, malgré la peine que lui cause un amour qui la chagrine, et qui la rend plus maigre qu'elle ne devroit l'être, elle a les mains si belles, que je ne suis jamais si ravi que lorsqu'elle m'en donne des soufflets, etc., etc.»
Marot, dans cette épigramme sur Barbe et sur Jacquette, prétend que le sein, couvert ou non, fait la même impression sur les cœurs.
Qui l'estomac blanc et poly descœuvre,
Je la compare à maint rubis luisant,
Fort bien taillé, mis de mesmes en œuvre.
Mais quand je voy Jacquette qui se cœuvre
Le dur tetin, le corps de bonne prise,
D'un simple gris accoustrement de frise,
Adonc je dy pour la beauté d'icelle,
Ton habit gris est une cendre grise
Couvrant un feu qui tousjours estincelle.
La meilleure raison qui puisse excuser les femmes qui découvrent leur sein, c'est qu'il y a longtemps que cela se pratique ainsi; or, une ancienne coutume passe pour une loi parmi les jurisconsultes. D'ailleurs, elles tiennent pour maxime qu'il suffit à une femme d'être chaste de la ceinture en bas. Cependant je doute fort que cette dernière raison prévalût, quand même on n'aurait pas lu ces vers sur une femme trop libre dans ses discours:
Écoutant volontiers les contes un peu gras,
Disoit pour s'excuser: il suffit qu'une femme
Soit chaste seulement de la ceinture en bas.
—Oh! oh! dit un railleur, la maxime est commode,
Et sur un tel avis, le sexe féminin
Pourra bien amener la mode
De la ceinture d'arlequin.
Enfin, je suppose, et j'avoue si l'on veut, que les dames ont la liberté de mettre leurs tétons au jour pour vous proposer un autre cas. S'il est permis de les voir, n'aurons-nous pas aussi la permission de les toucher? La main et la bouche ne peuvent-elles pas avoir le même privilège que la vue? Vous m'allez répondre que non: tous les amants sont cependant d'un autre avis, hormis Scarron et fort peu d'autres. Ce sale et burlesque auteur, dans son épître chagrine au maréchal d'Albert, déclare que
Même aux beautez qui sont très-patinables.
Dans son Roman comique, il condamne encore Ragotin, d'avoir voulu un peu patiner, et il dit que c'est une galanterie provinciale qui tient plus du satyre que de l'honnête homme. J'appelle de ses décisions. Peut-on blâmer le procédé d'un galant homme, qui, voyant un sein charmant, deux globes d'albâtre, voudrait, par le tact, s'assurer s'ils ont la dureté désirable, et cela uniquement pour s'instruire? J'approuve le procédé d'un homme galant qui, après avoir patiné les tétons d'une dame, improvisa encore cette chanson par-dessus le marché:
En voyant ces tétons,
Belle Sylvie,
Si beaux, si blancs, si ronds;
Pour savoir s'ils sont durs, j'ai formé le dessein
De passer mon envie,
Et d'y porter la main,
Mort de ma vie!
N'est-ce pas, en effet, une cruauté inouie de nous mettre devant les yeux ces beaux meubles, et de nous défendre de les regarder et d'y toucher? J'en prends le galant abbé Cotin à témoin; écoutez-le se plaindre à sa maîtresse:
De votre bouche sans pareille:
Votre gorge est une merveille,
Qu'on n'ose ni voir, ni toucher,
Le moins coupable des humains,
Et qui souffre le plus de peine,
C'est, ô trop aimable inhumaine,
Un amant sans yeux et sans mains.
C'est, hélas! nous faire éprouver l'affreux supplice de Tantale; c'est nous condamner à la mort de Moyse, qui expira en voyant la terre promise, et qui n'y put entrer. Un autre poëte qui n'avait pu commander à ses mains, se justifia de cette distraction, avec beaucoup d'esprit, par la pièce suivante:
Je n'ai point de raison, j'ai l'esprit mal tourné;
Je n'ai pour tout talent que celui de déplaire;
Indigne de vous voir, digne d'être berné.
Que je reçois de vous, en l'humeur où vous êtes;
Et de tout ce courroux vous avez pour raison,
Que ma main a voulu toucher votre téton.
Que nous sommes, hélas! bien différens d'humeur!
Pour toucher votre sein vous me faites querelle,
Moi, je ne vous dis rien d'avoir touché mon cœur!
Si, par hasard, la main s'égare dans le transport que fait naître une gorge rivale de celle de Léda ou d'Hébé, après que l'on a fait le serment d'être circonspect, croyez-vous que ce parjure soit irrémissible? Non, sans doute; ces sermens ne lient pas; je suis persuadé que Jupiter a absous l'amant qui va parler:
Les neiges du beau sein dont l'amour me consume,
Mais je ne saurais m'empêcher
De suivre une si douce et si belle coutume.
Cruels devoirs! injustes ennemis!
Pensez-vous qu'Amarante ignore
Qu'amour, comme un enfant qui n'a pas l'âge encore,
Doit être dispensé de ce qu'il a promis?»
Je sais bon gré à Boursault d'être pour les patineurs.
«Ah! juste Dieu, dit-il à M. Charpentier, que la maîtresse à qui je ne suis que par votre moyen est vertueuse! Pour lui avoir aujourd'hui baisé deux ou trois fois la main, elle m'a vigoureusement querellé; voyez ce qui m'arriveroit, si je faisois pis. Je n'ai osé lui dire que je ne faisois l'amour que pour baiser, et que j'aimerais autant être amoureux ad honores, que de ne pas faire les fonctions requises à la qualité que ses yeux m'ont contraint de prendre. Je croyois, en vérité, qu'étant amant déclaré d'une fille, c'en étoit être plus d'à moitié le mari, et qu'on faisoit toujours quelques pas du côté de l'amour défendu, avant que d'en venir à l'amour permis. A vous dire le vrai, je me lasse d'être amant, s'il n'y a que cela à faire. Il est juste, si j'ai la discrétion de ne rien demander à la belle, qui lui coûte quelque chose, qu'elle ait la complaisance de me laisser prendre ce qui ne lui coûte rien. La charmante Clotilde, que vous connoissez pour avoir autant de vertu que fille du monde, en use d'une façon bien plus galante. Quand, lundi, je revins de la campagne, après deux baisers qu'elle reçut aussi goulûment que je les lui donnois, son fichu qui vint à tomber, m'ayant obligé de couvrir sa gorge de mes deux mains, de peur que d'autres ne la vissent, elle m'en remercia le plus civilement qu'il lui fut possible, et me demanda si je n'avois besoin que de cela. Il n'y a rien qui satisfasse tant, ni qui revienne à si peu de frais.»
«Si vous mettez la main au devant d'une fillette, elle la repoussera vite, et dira: laissez cela. Quand je dis le devant, je l'entends comme faisoit monsieur le feu premier médecin, qui ayant tâtonné l'estomac d'une belle demoiselle couchée et un peu malade, coule sa main plus bas, et, venant à l'intersection du corps, s'y avançoit, quand elle lui dit: «Hé! monsieur, que pensez-vous faire?—Mademoiselle, je croyois que vous fussiez comme les vaches de notre pays; que vous eussiez les tetins entre les jambes.»
De tout temps le clergé s'escrima en termes plus ou moins crus sur l'indécence de la toilette des femmes. Vers 1700, la duchesse de Bourgogne (Marie-Adélaïde de Savoie) devait tenir un enfant avec Monseigneur; mais au moment de procéder à la cérémonie, l'officiant ne trouva pas que la marraine, qui avait une robe de chasse, se présentât à l'église en habit décent, et le baptême fut remis. Or, veut-on savoir ce qu'on appelle à la cour l'habit décent? Il consiste à se montrer avec la gorge et les épaules entièrement découvertes, la chute des reins bien marquée, les bras nus jusqu'au coude, et un pied de rouge sur le visage. L'habit de chasse cache toutes ces nudités, et les dames le portent sans rouge.... Cependant le curé appelle ce costume indécent.... Il n'y a que manière de s'entendre sur les mots.
On trouve dans les Chroniques de l'Oeil de Bœuf, à l'année 1711, le passage suivant:
«La morale donna le jour de l'an des étrennes de sa façon aux dames de Paris; c'est un ouvrage en 2 volumes in-12, intitulé: De l'abus des nudités de gorge. Je n'aurais jamais cru qu'on pût en écrire si long sur une telle matière; mais elle s'est étendue sous la main de l'auteur. Chaque tentation que cet usage immodeste peut faire naître est traitée dans un chapitre à part, où se déroule une longue énumération de conséquences dont la moindre entraîne le péché mortel; on peut juger des autres. Il faut convenir que les femmes de notre époque accusent le nu d'une manière toute lacédémonienne; point de refuge pour les regards dévots, vainement leur chaste prunelle semble-t-elle dire:
on persiste à le leur montrer: ici, c'est une robe sans ceinture, telle qu'on la met en sautant du lit; là, c'est une gorge débordant du corset complaisant; plus loin, ce sont des bras et des épaules dont la nudité se réunit à celle des poitrines pour assaillir les continences ecclésiastiques. Forcé dans les derniers retranchements de sa pudeur sacrée, le curé de Saint-Étienne-du-Mont s'écriait l'autre jour en chaire:
«Pourquoi, mesdames, ne pas vous couvrir en notre présence; sachez que nous sommes de chair et d'os comme les autres hommes!»
L'auditoire s'étant mis à rire, le prédicateur ajouta: «Quand on vous parle à mots couverts, vous faites la sourde oreille; quand on vous parle en termes clairs, vous riez: comment donc vous prendre?
«Vous verrez qu'il faudra que le roi envoie ses mousquetaires par la ville, matin et soir, afin de faire rentrer nos coquettes dans le devoir, et les gorges dans les corsets.»
Les robes des femmes, longues dans les premiers siècles de la monarchie, se raccourcirent sous Philippe de Valois, et restèrent très-fermées jusqu'à Charles VI, et serrées de manière à dessiner les formes de la taille. Alors seulement les femmes commencèrent à se découvrir les bras, la gorge et les épaules, et comme la pente est rapide dans le relâchement des mœurs, elles renouvelèrent sous Charles VII l'antique usage des bracelets et des colliers.
La cour décente et sévère d'Anne de Bretagne arrêta un moment le torrent de ce luxe; mais celles de Charles IX et surtout de Henri III, trop fameux par ses goûts honteux, hâtèrent le débordement; Henri IV, quoique très-galant, s'y opposa vainement. François 1er vint y mettre le comble en favorisant le luxe et la galanterie, et prêchant lui-même d'exemple. La cour de Louis XIV acheva ce que ses prédécesseurs avaient si bien commencé; l'opulence et la volupté y régnèrent souverainement. Nous avons dit plus haut ce qu'on entendait dans cette cour débauchée par habit décent.
Nous ne pouvons terminer ce chapitre sans parler de cette fameuse secte qui se forma en Hollande et dont Bayle, dans son Dictionnaire critique, au mot Mammillaires, nous instruit fort amplement. Voici, sans y rien changer, cet article qui trouve ici naturellement sa place:
MAMMILLAIRES, secte parmi les anabaptistes. On ne sait pas bien le temps où ce nouveau schisme se forma; mais on donne la ville de Harlem pour le lieu natal de cette subdivision. Elle doit son origine à la liberté qu'un jeune homme se donna de mettre la main au sein d'une fille qu'il aimait, et qu'il voulait épouser. Cet attouchement parvint à la connaissance de l'Église, et là-dessus on délibéra sur les peines que le délinquant devait souffrir; les uns soutinrent qu'il devait être excommunié, les autres dirent que sa faute méritait grâce, et ne voulurent jamais consentir à son excommunication. La dispute s'échauffa de telle sorte qu'il se forma une rupture totale entre les tenans. Ceux qui avaient témoigné de l'indulgence pour le jeune homme furent nommés Mammillaires[7]. En un certain sens, cela fait honneur aux anabaptistes; car c'est une preuve qu'ils portent la sévérité de la morale beaucoup plus loin que ceux que l'on nomme rigoristes dans les Pays-Bas[8]. Je rapporterai à ce propos un certain conte que l'on fait du sieur Labadie.
«Tous ceux qui ont ouï parler de ce personnage savent qu'il recommandait à ses dévots et à ses dévotes quelques exercices spirituels, et qu'il les dressait au recueillement intérieur et à l'oraison mentale. On dit qu'ayant marqué à l'une de ses dévotes un point de méditation, et lui ayant fort recommandé de s'appliquer tout entière pendant quelques heures à ce grand objet, il s'approcha d'elle lors qu'il la crut la plus recueillie, et lui mit la main au sein. Elle le repoussa brusquement, et lui témoigna beaucoup de surprise de ce procédé, et se préparait à lui faire des censures, lorsqu'il la prévint: «Je vois bien, ma fille, lui dit-il sans être déconcerté, et avec un air dévot, que vous êtes encore bien éloignée de la perfection: reconnoissez humblement vôtre foiblesse; demandez pardon à Dieu d'avoir été si peu attentive aux mystères que vous deviez méditer. Si vous y aviez apporté toute l'attention nécessaire, vous ne vous fussiez pas aperçue de ce qu'on faisoit à votre gorge. Mais vous étiez si peu détachée des sens, si peu concentrée avec la Divinité, que vous n'avez pas été un moment à reconnoître que je vous touchois. Je voulois éprouver si votre ferveur dans l'oraison vous élevoit au-dessus de la matière, et vous unissoit au Souverain-Être, la vive source de l'immortalité et de la spiritualité, et je vois avec beaucoup de douleur que vos progrès sont très-petits; vous n'allez que terre à terre. Que cela vous donne de la confusion, ma fille, et vous porte à mieux remplir désormais les saints devoirs de la prière mentale.» On dit que la fille, ayant autant de bon sens que de vertu, ne fut pas moins indignée de ces paroles que de l'action de Labadie, et qu'elle ne voulut plus ouïr parler d'un tel directeur. Je ne garantis point la certitude de tous ces faits, je me contente d'assurer qu'il y a beaucoup d'apparence que quelques-uns de ces dévots si spirituels, qui font espérer qu'une forte méditation ravira l'âme et l'empêchera de s'apercevoir des actions du corps, se proposent de patiner impunément leurs dévotes, et de faire encore pis. C'est de quoi l'on accuse les Molinosistes. En général, il n'y a rien de plus dangereux pour l'esprit que les dévotions trop mystiques et trop quintessenciées, et sans doute le corps y court quelques risques, et plusieurs y veulent bien être trompés.
«J'ai ouï dire que des gens d'esprit soutinrent un jour dans une conversation qu'il n'y aura jamais de Basiaires, ou d'Osculaires, entre les Anabaptistes. Ce seraient des gens qu'on retrancherait de sa communion, parce qu'ils n'auroient pas voulu consentir que l'on excommuniât ceux qui donnent des baisers à leurs maîtresses. Or voici le fondement de ceux qui nioient qu'on puisse attendre un tel schisme. Il n'est pas possible, disoient-ils, qu'au cas qu'il y eût des casuistes assez sévères pour vouloir que l'excommunication fût la peine d'un baiser, comme il s'en est trouvé d'assez rigides pour vouloir faire subir cette pénitence à celui qui avoit touché les tétons de sa maîtresse. Ces deux cas ne sont point pareils. Les lois de la galanterie de certains peuples, continuoient-ils, ont établi de génération en génération, et surtout parmi les personnes du Tiers-État, que les baisers soient presque la première faveur, et que l'attouchement des tétons soit presque la dernière, ou la pénultième. Quand on est élevé sous de tels principes, on ne croit faire, on ne croit souffrir que peu de chose par des baisers, et l'on croit faire ou souffrir beaucoup par le maniement du sein. Ainsi, quoique les administrateurs des lois canoniques ayent fort crié contre le jeune homme qui fut protégé par les Mammillaires, il ne s'en suit pas qu'ils crieroient contre l'autre espèce de galanterie. Ils deféreroient à l'usage, ils pardonneroient des libertés qui ne passent que pour les premiers élémens ou pour l'alphabet des civilités caressantes. Je ne rapporte ces choses que pour faire voir qu'il n'y a point de matière sur quoi la conversation des personnes de mérite ne descende quelquefois. Il n'est pas inutile de faire connoître cette foiblesse des gens d'esprit. En conscience, une telle spéculation méritoit-elle d'être examinée? Et, après tout, n'eût-il pas bien mieux valu ne point répondre décisivement de l'avenir? De futuro contingenti non est quoad nos determinata veritas, disent judicieusement les maîtres dans les écoles de philosophie.
«Notez en passant qu'il y a eu des pays où l'on supposoit que le premier baiser qu'une fille recevoit de son galant était celui des fiançailles. Voici ce qu'on lit dans l'Histoire de Marseille: «Le fiancé donnoit ordinairement un anneau à la fiancée le jour des fiançailles, et lui faisoit encore quelque présent considérable en reconnoissance du baiser qu'il lui donnoit. En effet, Fulco, vicomte de Marseille, fit donation, l'an 1005, à Odile, sa fiancée, pour le premier baiser, de tout le domaine qu'il avoit aux terres de Sixfours, de Cireste, de Soliers, de Cuge et d'Olieres. Cet usage étoit fondé à ce que j'estime sur la loi Si à sponso, qui ordonnoit que lorsque le mariage n'avoit pas son effet, la fiancée gagnoit la moitié des présens qu'elle avoit reçus du fiancé, car les anciens croioient que la pureté d'une fille étoit flétrie par un seul baiser, mais cette loi est présentement abrogée en ce royaume.»
CHAPITRE IV.
DU LANGAGE DES TÉTONS.
Tous les êtres créés ont un langage, depuis les roseaux du barbier de Midas, jusqu'aux hydrophobes auteurs des plates brochures qui inondent cette capitale.
Le père Bougeant s'est immortalisé par son charmant ouvrage Sur le langage des bêtes, qui a été traduit en italien. Les yeux ont une rhétorique connue de tout le monde. Les mains ont leur idiome; les pieds des amans font merveille dans leur mystérieux quatuor sous la table; les genoux s'en mêlent aussi; les fleurs parlent en Asie; et les cœurs, les cœurs! on sait combien ils sont éloquens, bavards et tyrans. J'en dirais long sur ce chapitre, et l'ami Boufflers, qui a dit de si jolies choses sur le cœur, embellirait bien mon texte. Doit-on être surpris, d'après cela, que les tétons aient aussi reçu de la nature un organe expressif, et des moyens oratoires? Non, sans doute; ils ont une langue, et Le Pays est mon autorité, dans le récit d'un songe qu'il fit sur deux beaux tétons. Il écrit à une dame de ses amies:
«Je n'ai point dormi cette nuit, Madame, ou du moins, le songe que j'ai fait occupoit si sensiblement mon esprit, que j'ai cru veiller en fort bonne compagnie. J'ai cru avoir toujours auprès de moi les deux tétons de Madonte, et les voir avec ce même éclat qui me surprit hier au soir quand votre main obligeante les délivra de la prison qui les enfermoit. Vous pouvez bien croire, Madame, que je n'ai pas gardé le silence dans une si belle occasion de parler: mais, pourrez-vous croire que ces jolis tétons m'ont aussi parlé, et que notre conversation a été fort agréable? Que ceci ne vous surprenne point, les tétons ont, pour ceux qui les entendent, leur langage, aussi bien que les yeux. Comme je les ai trouvez en humeur de causer, j'ai eu la curiosité de leur faire cent questions sur leurs aventures, auxquelles ils m'ont répondu le plus galamment du monde. J'aurois bien envie de vous redire ici tout notre entretien, mais il sera plus aisé de vous l'écrire. Voici pourtant quelques-unes de leurs paroles que j'ai impatience de vous apprendre, parce qu'elles m'ont semblé les plus jolies. C'est la réponse qu'ils m'ont faite sur l'étonnement que je leur ai témoigné qu'ils fussent ainsi séparez, et qu'ayant l'un avec l'autre tant de rapport, ils vécussent en mauvais voisins, sans s'approcher, sans se baiser, enfin comme des ennemis irréconciliables. Il est vrai, m'ont-ils dit, nous sommes ennemis, et la ressemblance ne fait point chez nous ce qu'elle fait partout ailleurs. Elle nous oblige à nous haïr; et notre réciproque jalousie nous tiendra toujours éloignez. Quoique nous n'ayons qu'un même cœur et qu'un même intérêt, nous n'avons aucune disposition à nous unir. L'Amour, qui est un petit boute-feu, nourrit entre nous cette division. Il nous promet de nous aimer tous deux pendant que nous nous haïrons, et jure de nous quitter aussitôt que notre haine cessera. Mais, de bonne foi, aimables tétons, ai-je répliqué, ne seriez-vous point comme quelques-uns de vos frères, qui jamais ne se touchent le jour, et qui se baisent pendant toute la nuit; qui ont inclination à s'approcher, et qui ne vivent éloignez que par contrainte? Vous serez étonnée, Madame, que j'aye osé leur parler d'une manière si désobligeante, mais sachez que ce n'a été que par adresse. Car quoique je n'eusse point de pareils sentimens, je voulois les obliger à m'ôter le doute que je témoignois, en souffrant que mes doigts fussent avec mes yeux témoins de leur division. Ma ruse a réussi comme je l'avois désiré; les deux tétons de Madonte s'étant un peu enflez de colère et d'orgueil, à cause de mon injuste soupçon, ont consenti que je fisse l'épreuve que je souhaitois, et cette épreuve a d'abord fait sentir à mes mains la vérité qui avait paru à mes yeux.
Après cela, je ne me suis plus étonné qu'ils eussent tant de disposition à la haine; car j'ai trouvé tant de dureté dans l'un et dans l'autre, qu'il n'y a pas apparence que rien les puisse jamais attendrir. Au reste, Madame, je gage que votre belle parente ne sait rien de ce qu'ont fait chez moi ses tétons. J'ai appris d'eux-mêmes qu'ils font bien d'autres choses, sans son congé; ils m'ont dit que lorsqu'elle y pense le moins, ils se divertissent à prendre des cœurs, partout où ils trouvent des yeux, et que c'est leur passe-temps le plus ordinaire. Ils m'ont dit même que quand ils ont pris quelqu'un, et que Madonte s'en apperçoit, elle le traite aussi cruellement que si sa prise l'avoit offensée. Elle l'insulte, dans son esclavage, elle ne lui donne aucun secours, et prend plaisir à le voir mourir de langueur.»
Ce Le Pays était un très-rude patineur. Sa Caliste lui avait promis de l'aller voir, dans le tems qu'une cruelle fièvre le travailloit et l'avait mis dans un état pitoyable. Il lui fait premièrement le portrait de son visage de cette sorte:
«Pour ma mine, vous ne vîtes jamais rien de si étrange: mes yeux sont devenus plus grands que tout le reste de mon visage, et il vous sera facile, s'il vous en prend fantaisie, de compter mes dents au travers de la peau de mes joues. Il ne faudra pas vous étonner, si je vous fais froide mine; je la fais à tout le monde, et me la fais à moi-même, quand je me regarde au miroir. Quelqu'envie que j'aye de vous plaire, je ne pourrai point m'empêcher de vous faire laide grimace.» Il ajoute ensuite:
«Ce qu'il y a de bon, Caliste, c'est que mes mains, dont vous vous êtes plainte tant de fois, ne vous donneront aucun sujet de me quereller. Je vous jure qu'en l'humeur où je suis, les tétons de la belle Hélène, qui assurément devoient être des plus beaux, puisqu'ils firent tant jouer des mains les Troyens et les Grecs, ne me feroient pas présentement tirer les miennes de dessous ma fourrure. Jugez, par là, si vous auriez à craindre du reste, et si vous ne vous en irez pas de chez moi sans avoir crié contre mes emportemens!»
Marot avait le même défaut que Le Pays, et ne laissait échapper aucune occasion de mettre ses yeux au bout de ses doigts. Il aurait bien souhaité, un jour des Innocents, de savoir où était le lit de sa belle, pour la faire passer par l'étamine. N'en pouvant venir à bout, il se contenta de lui écrire ces vers:
Vostre personne au jour des innocens,
De bon matin j'irais à vostre couche.
Voir ce gent corps que j'ayme entre cinq cens:
Adonc, ma main (veu l'ardeur que je sens),
Ne se pourrait bonnement contenter,
Sans vous toucher, tenir, tâter, tenter;
Et si quelqu'un survenoit d'adventure,
Semblant ferois de vous innocenter:
Seroit-ce pas honneste couverture?
Après tout, si ce qu'on vient d'alléguer, n'engage point les belles à laisser aux amans les coudées franches et les mains libres, il n'en est pas moins vrai que toutes n'ont pas cette austérité. La Corine du tendre Ovide ne faisait pas tant la renchérie. Elle alla un jour trouver ce poëte dans un équipage très-galant, et dans ce désordre voluptueux qui favorise et provoque si bien la liberté des mains: Ovide lui-même nous l'apprend dans une de ses élégies amoureuses:
Aux plaisirs d'exercice avoit livré la guerre:
Quand je m'allai jeter tout fatigué, tout las,
Sur un lit de repos qui ne m'en servit pas.
J'attendois la Beauté dont mon âme est charmée.
Ma fenêtre n'étoit ouverte, ni fermée,
Et ces deux changements se cédant tour-à-tour,
Laissoient voir un combat de la nuit et du jour.
L'on voit dans les forêts de ces sombres lumières,
Qui ne sont ni clartez, ni ténèbres entières,
Et tels sont du soleil les timides flambeaux,
Lorsqu'il vient sur la terre, ou qu'il va sous les eaux.
Tel est le tems obscur qu'il faut donner aux dames;
De peur que la clarté ne trahisse leurs flâmes.
L'Amour est un enfant qu'on nous a peint sans yeux,
Et ce dieu veut toujours être aveugle en ses jeux.
Après quelques momens, je vis entrer Corine;
Sous l'habit du plaisir, qu'elle avoit bonne mine!
Un voile transparent, de ses rares beautés
Dans un léger nuage étouffoit les clartés.
Il faisoit à ma vue entière violence,
Sans sauver mes desirs de leur impatience:
Et ses cheveux, poussés d'un mouvement jaloux,
Cachoient toute sa gorge à mes transports si doux.
Corine valoit bien qu'ils me fissent querelle.
Jamais Sémiramis n'avoit paru si belle;
Et ceux qui de Laïs chantèrent les attraits,
N'avoient, pour les toucher, formé tant de souhaits.
Le linge me déplut, quoiqu'assez favorable;
J'en fis avec Corine un combat agréable,
Sa main vint au secours; mais je lus dans ses yeux,
Que son cœur et sa main se trahissoient entr'eux.
Sa vertu vouloit faire une honnête retraite,
Ses efforts languissans demandoient sa défaite
Et je vis peu d'obstacles en ce plaisir égal
A vaincre un ennemi qui se défendoit mal.
Quand son voile en tombant la laissa toute nue,
Jamais rien de si beau ne s'offrit à ma vue.
La nature sans art fait honte aux ornemens,
Jamais de si beaux bras n'unirent deux amans.
Jamais de deux couleurs gorge si bien mêlée
Ne fut par les baisers doucement accablée.
Et jamais les voisins de ce qu'on ne dit pas,
N'étalèrent aux yeux de si charmans appas.
Je regardai longtems, mais en pareil mystère,
L'on ne peut pas toujours regarder sans rien faire.
Je fis donc ce qu'on fait loin des regards fâcheux,
Et lorsque des amants le veulent bien tous deux.
Quand j'eus fait mon devoir, en homme de courage,
Corine pour dormir me prêta son visage:
Je pris un doux repos sur ce lit de corail,
Mais certes le repos ne vaut pas le travail,
Grands Dieux! qui me voyez peut-être avec envie;
Laissez-moi me choisir les plaisirs de la vie.
Je renonce au sommeil, et le milieu du jour,
Comme il est le plus chaud, est plus propre à l'amour.
O femmes auxquelles il est si difficile d'échapper aux moyens de séductions multipliées contre vous, je pense que la mode que vous avez établie de nous découvrir gratuitement ce que vous avez de plus beau, est un excellent moyen de diminuer nos désirs par l'habitude de voir, et par la satiété; mais si, dans le tête-à-tête, vous voulez conserver toute votre raison, et ne point donner de droits sur vous, en faisant un ingrat ou un inconstant, n'oubliez pas de défendre les jeux de mains, dont les conséquences sont funestes à la vertu; retenez bien le sens de ces vers, que vous vous ferez expliquer avant de rien permettre, et vous me remercierez: