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Essai d'Introduction à l'Histoire Généalogique

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Qu'est-ce qu'un gentilhomme? Un pilier d'antichambre.
Combien en as-tu vu, je dis des plus hupés,
A souffler dans leurs doigts dans ma cour occupés,
Le manteau sur le nez ou la main dans la poche,
Enfin, pour se chauffer, venir tourner ma broche?
Voilà comme on les traite!......

Si l'on écrit jamais une histoire du paupérisme, il y faudra faire une large place à la Noblesse, la place d'honneur. Déchoir ainsi, pour avoir sacrifié tout à son Dieu dans les guerres saintes, à son Roi dans les guerres civiles, à sa Patrie dans les guerres nationales, à ses croyances, à ses traditions, au devoir et au prestige de sa classe, ce n'était pas perdre sa noblesse, c'était l'affirmer, la rehausser même, et ce serait une ingratitude ignoble, une criminelle sottise que de marquer d'une tare les races ainsi tombées. Heu! fuimus Troës! pouvaient-elles dire sur les ruines de leur grandeur; et comme on comprend bien, après ce tableau de misère, cette devise de résignation inscrite sous le blason d'une ancienne tapisserie: Tout est adieu, tout est à Dieu![345]

CHAPITRE XX

A l'aventure.—Un varlet devenu roi.—Fortunes extraordinaires.—Guillaume Coquillart.—Chevaliers anoblis.—Valet cordonnier devenant grand trésorier.—Balthazar Pina et Jean le Blanc.—Coup de balai de la Vérité.—Déclaration de Louis XVIII en 1800.—Noblesse militaire.—Fraternité du loyalisme et du patriotisme.—Comment jadis on s'anoblissait soi-même.—Mesure paternelle.

Au moyen âge, les jeunes gentilshommes à l'escarcelle légère partaient à l'aventure, avec l'espoir de faire quelque merveilleuse fortune à la guerre ou dans les cours, d'énamourer et d'épouser quelque gente princesse aux cheveux d'or et aux yeux pers, comme dans les romans de chevalerie. La chronique des temps féodaux fournit maints exemples de ces élévations prodigieuses. Baudry le Teutonique, étant venu à la cour de Richard II, duc de Normandie, «suivant l'usage des anciens chevaliers, qui alloient, partout où se faisoit la guerre, offrir leurs services aux souverains», reçut de la munificence de ce prince des domaines considérables et fut l'auteur de l'illustre maison normande de Courcy.[346] Un «varlet» du comte de Poitou, Guy de Lusignan, était devenu roi de Jérusalem.[347] L'histoire des croisades, en regard de trop nombreuses ruines, relate çà et là d'autres fortunes extraordinaires.[348] C'était à qui se rangerait sous la bannière des princes renommés par leur inclination à récompenser les prouesses par des libéralités «tant d'or que d'argent, dit Froissart, car c'est le métal par quoy on acquiert l'amour des gentilshommes et des povres bachelliers.»[349] Ce chroniqueur de la chevalerie nous apprend que le rêve de tout écuyer était de faire, sur le champ de bataille, quelque grand prisonnier, dont l'énorme rançon lui servît à chausser les éperons de chevalier. Oudard de Renti, ayant fait prisonnier un chevalier anglais, «le rançonna bien et grant». Quand partit le sire de Barclay, fait prisonnier par un écuyer picard, «il paya six mille nobles d'or, et devint le dict escuier chevallier, pour le grant profict qu'il eut de son prisonnier.»[350] Guillaume Coquillart fait ainsi parler «les armes»:

Fay-je pas ung simple escuier,
S'il scet bien les armes conduyre,
Tout incontinent chevalier
Que chascun l'appelle messire?[351]

Les non-nobles eux-mêmes faisaient à la guerre de splendides fortunes, comme ces deux frères, l'un et l'autre parvenus au rang de chevaliers lorsque le duc de Bourbon, en 1334, les anoblit en leur donnant par surcroît son nom et ses armes;[352] preuve éclatante que sous «l'ancien régime», il n'était pas nécessaire d'être de noblesse pour sortir de la foule par le chemin de l'honneur. C'est un point d'histoire sociale à toucher incidemment, à cette fin de donner le coup de balai de la Vérité, de la Justice aux préjugés, aux mensonges accumulés par certaine école pour masquer aux yeux du peuple les bienfaisantes splendeurs de la Monarchie traditionnelle.

Voici, en 1427, «Pierre Baille, qui avoit esté vallet cordouanier à Paris, et puis fut sergent à verge, et puis recepveur de Paris, et lors estoit grand trésorier du Mayne.»[353] Plus tard, voici «le fils d'un pauvre boullanger, et frère d'un boullanger, devenu chef de la régie des Aydes, riche et considéré, le plus grand travailleur des fermes.»[354] Balthazar Pina, de simple soldat, arriva par sa bravoure au grade de capitaine et fut anobli en 1591; son arrière-petit-fils fut créé marquis de Saint-Didier.[355] Jean le Blanc, de simple gendarme dans la compagnie du connétable de Lesdiguières, devint capitaine de ses gardes, fut anobli en 1602 et reçut pour armoiries un semé de piques d'or en champ d'azur, avec cette belle devise: L'honneur guide mes pas. Un de ses deux fils épousa Geneviève d'Agoult, d'une des plus illustres maisons de la Provence.[356] Hector Caton, major au régiment de Lorraine dès 1636, fut anobli en 1645 pour sa valeur éprouvée.[357] Faut-il rappeler que le chevalier Paul, lieutenant-général et vice-amiral de France sous Louis XIII, était fils d'une blanchisseuse; Fabert, maréchal de France sous Louis XIV, fils d'un typographe; Catinat, maréchal de France, et Duguay-Trouin, fils de bourgeois; Saint-Hilaire, lieutenant-général sous Turenne, fils d'un savetier; Chevert, lieutenant-général sous Louis XV, fils d'un bedeau?

«Voulant, déclarait Louis XVIII en 1800, assurer à la profession des armes, véritable origine de la Noblesse, toute la considération qui lui est due et que l'esprit national y attache, j'abolirai les deux règlements aussi injustes qu'impolitiques, dont l'un affectait à la naissance les places d'officiers, et l'autre confinait dans le grade de lieutenant le soldat que son mérite seul y avait élevé; car je n'oublie pas que parmi les Condé, les Turenne, les Luxembourg, la Monarchie a produit des Fabert, des Catinat, des Chevert, et que la révolution même lui en donnera de nouveaux, non moins propres à illustrer ses armes.»[358]

Louis XVIII condamnait des règlements «aussi injustes qu'impolitiques», innovés, sous le règne de son infortuné frère, par un ministre de la guerre plus zélé qu'habile, et qui mettaient à néant le sage édit de 1750, portant création d'une noblesse militaire, ouverte à tous les services; on peut dire que ce fut la seule injustice que Louis XVI sanctionna de sa signature; mais il en appert sans conteste qu'auparavant tous les grades étaient à la portée du mérite. En effet, dans les fastes des régiments d'autrefois, on voit les officiers de fortune, dans la noble fraternité du loyalisme et du patriotisme, marcher côte à côte avec les gentilshommes de vieille roche; les noms obscurs confondus avec les plus éclatants, et tous les officiers, patriciens ou non, ne connaissant d'autre rivalité que l'émulation de l'héroïsme.[359] Cette chevaleresque émulation entre nobles et bourgeois, notre temps l'a revue dans la douloureuse guerre de 1870, et c'est d'un heureux augure pour la réconciliation si désirable des classes, pour l'avenir de la société française, pour la restauration de notre commune patrie.

Jusque vers le milieu du XIVe siècle, on s'anoblissait soi-même, par la profession des armes; militia nobilitat était un axiome courant;[360] preuve nouvelle que la Noblesse n'était pas un corps exclusif et fermé. Au demeurant, la mesure de n'admettre que le moins possible de non-nobles dans les grades était une mesure paternelle: c'était pour ne pas surcharger le peuple par suite d'exemptions d'impôts; car autant de non-nobles dans les grades, autant d'exempts, autant d'aggravations de charges pour la masse des contribuables, et les villes étaient les premières à réclamer contre la multiplicité des exemptions. Ce fut pour ce motif que Louis XIV supprima l'une des deux compagnies de cent gentilshommes, et Louis XV celle qui restait, «pour diminuer d'autant les privilèges, qui sont toujours à la charge de nos sujets».[361]

CHAPITRE XXI

Comment on luttait contre la ruine.—Ecuyers de cuisine, maçons généraux, gouverneurs des chiens.—Les Montholon et les Lamoignon.—Avocats gentilshommes.—Avocat et homme d'armes.—Le barreau menait aux honneurs.—La savonnette à vilain.—Procureurs nobles.—Les Thumery.—Notaires et tabellions.—Ecuyers et notaires.—Boutique, puis étude.

Pour quelques-uns que la guerre élevait ou enrichissait, les obligations militaires, inhérentes à l'état de noblesse, étaient la ruine pour la plupart des gentilshommes. Que pouvaient-ils faire pour maintenir leur situation, pour parer aux catastrophes?

Les plus favorisés entraient dans la maison du Roi ou des princes, ne répugnant pas même à des offices auxquels, avec les idées modernes, il semble difficile d'accorder un caractère de noblesse; ou bien ils briguaient les charges publiques, militaires ou civiles: gouverneurs, baillis, prévôts, gardes-du-scel, verdiers, sergents royaux, trésoriers, vicomtes-receveurs, avocats du Roi, grenetiers des greniers à sel, chevaucheurs, etc. C'est ainsi qu'en 1309 Pierre de Hangest est bailli de Rouen; en 1369, un Gontaut, trésorier de Louis, duc d'Anjou; en 1393, Jehanin de Rochefort, chevaucheur du Roi; en 1404, Jehan Aubelet, «sergent d'armes du Roy nostre sire et maçon général de mon dict seigneur»; en 1415, Godefroy de Barville, «advocat du Roy nostre seigneur en la vicomté du Pontautou», et son sceau porte un écu penché, timbré du heaume chevaleresque.[362] En 1432, «Jehnequin Choisel», d'un vieux lignage de Vexin qui était très probablement un ramage de la maison de Choiseul,[363] est, «escuier de cuisine de Loys, Daulphin de Viennoys», et qualifié «gentilhomme» dans des lettres de Charles VII.[364] En 1483, «Jehan de Valence, escuier, gentilhomme de l'hostel du Roy», est «grenetier du grenier à sel de Gisors».[365] Sous Charles VI, l'aîné de la maison de Dreux, issue en ligne directe de Louis VI, est «varlet tranchant du Roy».[366] A Saint-Martin de Chambly en Beauvaisis, sur une pierre tombale était figuré «un chevalier armé», avec cette épitaphe: «Cy gist Litteard de la Tour, escuier, fruictier du roy nostre sire, qui trespassa lan 1293.»[367] Le 3 mai 1390, Charles VI mande à son trésorier de payer 40 francs «à nostre amé et féal chevalier Phelipes de Courguilleroy, pour gouverner les chiens et varlez de nostre très cher et très amé oncle le duc de Bourbonnoys».[368] Les plus instruits, parmi les nobles appauvris, entraient dans les parlements, et quelques-uns, comme les Montholon[369] et les Lamoignon[370], d'extraction chevaleresque, en s'élevant aux plus hautes dignités de justice, eurent l'allégresse de restituer à leur nom tout son antique éclat. D'autres, de moins hautes visées, mettaient à profit leur instruction pour embrasser les professions libérales, généralement lucratives; ils se faisaient médecins, apothicaires, avocats, et, pour eux, ce n'était qu'à moitié déchoir, puisque l'exercice de ces professions n'entraînait pas la dérogeance.

«Les procureurs et practiciens, quoyqu'ils soyent extraicts de noble famille, ne peuvent néantmoings se servir du privilège de la noblesse pour l'exemption des tailles... De mesme n'est pas des advocats, ausquels tant s'en fault que leur qualité et la robe fassent préjudice à leur noblesse, qu'au contraire elle y adjouste suyvant la disposition du droict.»[371] On voit, en effet, des gentilshommes conserver, dans la profession d'avocat, leur qualification nobiliaire; comme, en 1527, «maistre Loïs Blondel, escuier, licentié ès loix, advocat»;[372] en 1551, «maistre Claude du Buisson, escuier, licentié en la faculté des droicts, bourgeoys et advocat à Caen», et, en 1589, «Tanneguy du Buisson, escuier, seigneur de Rommarie, advocat en la cour du parlement de Rouen, conseiller en l'admiraulté du dict lieu».[373] D'aucuns même, tout en étant avocats, faisaient le service de guerre, comme, en 1452, «maistre Jehan de Piceleu», d'extraction chevaleresque, homme d'armes de la compagnie de Pierre de Brézé, grand sénéchal de Normandie.[374] Le barreau menait aux honneurs[375] les éloquents et les habiles, leur ouvrait la porte des parlements et des conseils, et même procurait aux non-nobles ce que le français, né malin, avait surnommé «la savonnette à vilain»: le brevet de «conseiller, secrétaire du Roi, Maison, Couronne de France, et de ses finances». Les avocats exerçant aux justices et juridictions inférieures étaient suspects de dérogeance, parce que la plupart cumulaient avec leur état l'office de procureur;[376] «c'est pourquoi Nicole Mauroy, se disant Noble et extraict de noble lignée, obtint des lettres royaux données à Tours le 3 décembre 1461, par lesquelles il lui fut permis de postuler comme avocat devant le bailly et le prévôt de Troyes, et jouyr de la noblesse; sur cela, l'impétrant eut une sentence à son bénéfice en l'élection de Troyes contre les habitans de la ville.»[377] Le métier de procureur était tenu pour bas, et pourtant la nécessité poussa plus d'un noble à s'y adonner; tels, en 1389, Jehan de Béthisy, procureur en parlement, dont le sceau porte un écu chargé de deux pals sous un chef;[378] en 1481, Jehan de Courcillon, procureur à la Ferté-Bernard;[379] vers 1580, Christophe de la Chassaigne, «contrôleur et élu en l'élection de Nivernois, issu de noble lignée et de prédécesseurs portans le titre de damoiseau», qui «obtint du roi Henri IV des lettres de réhabilitation, données à Nantes en octobre 1593, pour avoir exercé la charge de procureur au bailliage de Nivernois.»[380] Mêmes lettres de François 1er pour Jehan de Thumery, écuyer, enregistrées à la Cour des Aides de Paris le 3 juillet 1542:

«Sur ce que de la partye du dict de Thumery... eust esté dict que de feu Jehan de Thumery, escuier, seigneur de Sainct Goubain en nostre pays de Picardye, qui estoit en son vivant noble personne et vivant noblement, estoient yssuz entre autres enfans deux enfans, François et Jehan de Thumery, dict chevalier, et Bertrand de Thumery, trisaïeul ou proave dudict demandeur, duquel Jehan de Thumery dict chevalier (et lequel fut faict chevalier au moyen de plusieurs faictz darmes par luy faictz en nostre royaulme es guerres par noz predecesseurs conduictes contre les Angloys, lequel nom de chevalier seroit depuys demouré a sa lignée et postérité) seroit yssu Robert de Thumery dict chevalier, duquel Robert seroit yssu Jehan de Thumery dict chevalier du Pont, duquel chevalier du Pont seroit yssu Jehan de Thumery dict chevalier, et dudict Jehan de Thumery seroit aussy issu maistre Anthoine de Thumery dict chevalier, lieutenant du bailly de Vermandoys, et du dict maistre Anthoine seroit yssu Pierre de Thumery dict chevalier, tous lesquels dessus nommez estoient personnes nobles et vivoient noblement, suyvoient noz armes et joyssoient du privileige de noblesse... Lequel demandeur estant noble tant du costé paternel que maternel, après le trespas de son dict père, auroit suyvy lestat de praticque et esté procureur en nostre chastelet de Paris et icelluy estat exercé par aucun temps et jusques autour de Pasques 1538, dès lequel temps il auroit icelluy du tout delaissé pour vivre noblement sans faire aucun acte desrogeant à noblesse; et pour autant que le dict demandeur, en exerçant ledict estat de procureur, auroit desrogé à sa dicte noblesse...»[381] Sur le vu de ces lettres de relief, la Cour des Aides condamna les habitants de Villepreux, qui avaient taxé Jean de Thumery au rôle des tailles.

L'office de notaire et de tabellion ne fut considéré comme dérogeant que vers le XVIe siècle. Il fut un temps, dit Chorier, «où cet art, bien loin de desroger à la noblesse, estoit mesme un exercice noble.» L'édit royal de 1532 «contenoit que les notaires et tabellions n'écriroient plus en latin; qu'ils contracteroient en françois; que ces charges, qui n'ont esté exercées que par des Nobles, l'ont esté enfin indifféremment par toute sorte de personnes, sans considérer leur naissance, leur érudition et leurs mérites.»[382] Du temps de César de Nostradamus, en Provence et dans le Comté Venaissin, «une partie des gentilshommes descendait de notaires, qui contractaient en latin et non en langage vulgaire, étaient gens de sçavoir et avaient rang entre les barons et nobles du pays»; Pierre de Tressemannes, fils d'un notaire, testant en 1463, fit «son héritier Honorat, l'un de ses fils, s'il n'entroit point dans l'Ordre de Saint-Jean de Jérusalem, dit de Rhodes».[383] L'Armorial de Dauphiné cite un certain nombre de maisons nobles ayant exercé le notariat et le tabellionnage sans déroger.[384] On en trouve aussi en Bretagne, en Normandie, en Berry, un peu partout.[385] Pierre le Roux, en 1527, prend dans les actes les qualités d'«escuier, tabellion de la sergenterye de Moyaux»[386]. Claude d'Urac est qualifié «escuyer et notaire» dans son contrat de mariage du 23 juillet 1542. Noble Bertrand de Rosset, notaire, syndic et archivaire d'Aix en 1421 et 1432, maria sa fille à Isnard d'Agoult, baron d'Ollières, et lui donna en dot, entre autres terres, la baronnie de Belleau.[387] Les noms les plus illustres se rencontrent dans le notariat: en 1257, Oudard de Joinville, clerc, notaire de la cour de Laon;[388] en 1489, Jean d'Ampoigné, «notaire et praticien en cour laye, adjoinct du lieutenant du seneschal d'Anjou»;[389] en 1555, Jean de Louvencourt, notaire à Paris, père de Marie de Louvencourt, femme de Guillaume Pingré, marchand de camelot à Paris, dont une fille mariée à Gérard Colbert, orfèvre;[390] en 1636, André de Maillé, notaire à Changé;[391] en 1745, Charles d'Aligre, notaire à Sours.[392] La «bouticque»[393] du notaire était remontée au rang d'«estude», qu'elle ne devait plus perdre.

CHAPITRE XXII

Les médecins, enfants gâtés des Rois.—Les médecins à la censure.—Les anoblis par médecine.—Renaud Fréron, premier physicien de Charles VI.—Médecins gentilshommes.—Pluie d'honneurs et de richesses.—Chirurgien-barbier devenu premier ministre.—Les docteurs et la robe rouge.—Les maîtres en physique et la satire.—Favoris de la fortune et favoris de l'infortune.

On a remarqué que la satire de Molière, si dure aux médecins et aux apothicaires, avait épargné les avocats et, en général, les gens de robe;[394] peut-être ne voulut-il pas aller sur les brisées de Racine. Longtemps avant Molière, la malignité s'était exercée contre les médecins, enfants gâtés des Rois, et dont elle tympanisait cruellement l'ignorance.[395] Froissart en médisait avec beaucoup de verve,[396] et Pétrarque en faisait des plaisanteries.[397] Un pamphlet de 1651[398] se terminait par cet avis peu charitable:

Bonnes gens qui ne pouvez vivre
Sans piper et charlataner,
Ne regardez dedans ce livre
Que pour vous y voir condamner.

Quatre ans après la mort de Molière, Guillaume de Besançon publiait un autre pamphlet non moins virulent, Les Médecins à la censure. L'extraordinaire faveur dont ils n'avoient cessé de jouir depuis des siècles[399] était le secret de cette envieuse animosité. La médecine menait communément aux honneurs les plus grands; aux gentilshommes appauvris elle rendait la fortune et leur rang; aux roturiers elle ouvrait les portes de la Noblesse. «Je suis de la vieille noblesse, dit Béroalde de Verville, non admise par médecine, ni mairie, ni eschevinage, ni lettres.»[400] Les anoblis «par médecine» sont effectivement innombrables. Charles VI combla de biens Renaud Fréron, son «premier physicien», et anoblit sa femme, fille d'un tavernier du Roi.[401] Ce même prince anoblit en 1393 maistre Bernard Coursier, licencié en médecine.[402] Raphaël de Taillevis, médecin du duc de Vendôme, reçut en 1556 des lettres de noblesse.[403] Mr le marquis de Rivoire la Bâtie cite plusieurs médecins dauphinois, les Villeneuve, les Darcier, les Davin, etc., anoblis par Henri III et Henri IV.[404] On ferait un gros livre avec la nomenclature des anoblis «par médecine»; on en ferait un gros également avec la nomenclature des gentilshommes esculapes: René de Fallaque, «escuyer», médecin fameux au XVe siècle;[405] «noble homme et sage Mr Jacques Turgis, chevallier et docteur en médecine qui decedda lan 1483 le 17e mars»;[406] «Salmon de Bombelles, chevalier, conseiller et premier médecin du Roy»[407] en 1509, d'un vieux lignage représenté aux croisades;[408] un Saporta, médecin de Charles VIII;[409] en 1525, Jean du Buisson, écuyer, docteur en médecine, d'une ancienne maison de chevalerie normande, aussi représentée aux croisades;[410] Guillaume de Baillou, médecin au XVIe siècle, de race chevaleresque;[411] Honorat de Castellan, en 1560, conseiller et médecin ordinaire du Roi, premier médecin de la Reine, époux d'Antoinette de Libel, dame d'honneur de la Reine-mère;[412] en 1632, le petit-fils d'Antoine Dubost, écuyer, puis chevalier, est médecin à Lyon.[413] La maison de Montlovier, très ancienne en Dauphiné, «déchut peu à peu du rang qu'elle avait occupé, et nous voyons Joseph de Montlovier, bourgeois de Crémieu, s'établir à Crest, où il fut consul en 1683. Son fils, Louis de Montlovier, se fixa à Vienne où il exerça la médecine.»[414]

C'étaient de gros seigneurs que les médecins d'antan, et l'orgueil de ceux qui parvenaient à s'insinuer dans le service de la Cour s'élevait parfois jusqu'à l'insolence.[415]

Tous les honneurs leur pleuvaient, sans parler des richesses, comme l'eau court à la rivière; Arnulphe, 47e évêque d'Amiens, était fils de Roger de Fournival, médecin de Louis VIII et de Louis IX;[416] les chirurgiens mêmes pouvaient prétendre à tout; Pierre de la Brosse, chirurgien-barbier de saint Louis, devint le premier ministre de son fils. Robert du Lyon, médecin de Louis XI, fut gratifié du contrôle général de la recette de Bordeaux, charge très lucrative, avec permission de ne pas quitter la cour[417]; Ange Cato, autre médecin et aumônier de ce prince, fut nommé à l'archevêché de Vienne;[418] Adam Fumée, médecin de Charles VII et de Louis XI, devint maître des requêtes et fut commis par Charles VIII à la garde des sceaux. «Il s'apprend des Mémoires de Mr de Marolles, abbé de Villeloin, que Guillaume, cardinal d'Estouteville, commissaire du roy Charles VII pour la réformation des universités du royaume, permit aux docteurs de la faculté de médecine de porter la robe rouge.»[419] Les grâces pleuvaient encore sur les protégés des médecins; en 1392, par exemple, Jehan le Gentilhomme déclare que «le Roy luy avoit donné la forfaiture de Jehan Ernault, à la prière de messire Bertran du Guesclin, lors connestable, dont Dieu ayt l'âme, et de maistre Gervays Crestien, lors phisicien du Roy».[420] Après ce que l'on vient de lire, comment s'étonner de la morgue des «maistres en physicque», de leurs rapides enrichissements, de leurs sceaux aristocratiques,[421] de leurs fructueux cumuls,[422] de l'arrêt du Conseil du Roi, du 4 janvier 1699, leur confirmant le droit de prendre «la qualité de Nobles»,[423] qu'ils le fûssent ou non? Comment s'étonner surtout que les traits de l'envie et de la satire n'aient pas épargné ces favoris de la fortune? Mais, en pensant aux gentilshommes appauvris, déchus, qui cherchèrent à se relever par la profession médicale, on soupçonne que beaucoup de médecins avaient été d'abord les favoris de l'infortune.

CHAPITRE XXIII

Molière tue les apothicaires.—La vérité sur ses victimes.—Profession non dérogeante.—Nobles apothicaires.—Apothicaires gouverneurs de villes et prévôts des maréchaux.—Maréchal de France, petit-fils d'apothicaire.—Petite-fille d'apothicaire, femme d'un du Guesclin.—Jean l'apothicaire, époux d'une Châtillon.—Le bâton de maréchal et le pilon d'apothicaire.—Comment on commence et comment on finit.—Le coup de pied de l'âne.—Comment on se relevait.

Si Molière, avec l'arme terrible du ridicule, blessa les médecins, ce ne furent pas ses seules victimes; car on peut dire que l'impitoyable comique tua les apothicaires. Aujourd'hui, leur nom n'est plus qu'un archaïsme, nous ne les connaissons guère que par Molière, et la gauloiserie s'accommode complaisamment de ces fausses couleurs. Or, les apothicaires n'étaient pas ce qu'un vain peuple pense; inférieurs aux médecins par la hiérarchie, ils leur furent quelquefois supérieurs par le savoir, et tel apothicaire fut un parfait érudit, entouré d'une grande et légitime considération.[424] Hiérarchiquement supérieurs aux chirurgiens, «ils prenoient leurs degrés dans les universités, et, s'ils n'estoient docteurs, au moins ils estoient licentiés, bacheliers ou maistres aux arts. Dans un tiltre recognu à Angers le 9 septembre 1471, l'apothicaire de René, roy de Sicile, duc d'Anjou et Comte de Provence, prend les qualités de Noble et d'honorable, et tient mesme rang que le physicien ou médecin.»[425] Je surprendrai sans doute plus d'un de mes lecteurs en disant que la profession d'apothicaire, considérée comme un art, ne dérogeait pas à la noblesse, à moins qu'il ne s'y joignît quelque trafic, comme l'épicerie. Entre les innombrables lettres de relief de dérogeance accordées par les Rois, on n'en trouve pas qui visent l'exercice de cette profession. Les descendants d'Antoine Courtin durent se faire réhabiliter, non parce qu'il avait été apothicaire,[426] mais parce qu'il avait tenu des terres en fermage.[427] «Les Roys de France, dit Papon, toutes fois et quantes qu'ils ont fait des édicts des mestiers.., ont tousjours excepté les mestiers et arts des Apoticaires et chirurgiens»,[428] qui ne pouvaient exercer qu'après avoir subi un examen en présence de deux médecins et de douze maistres et prouvé leur suffisance. Au XVIe siècle, comme les grands bourgeois, les apothicaires étaient qualifiés «sire»;[429] au XVIIe, «noble homme»,[430] et même, comme les conseillers au parlement, «monsieur maistre».[431]

On voit au musée du Louvre le sceau de Guillaume de la Blachère, apothicaire du XIVe siècle.[432] La somme de considération dont jouissaient les apothicaires, avant le temps de Molière, nous est indiquée par plus d'un fait significatif. Jehan de Nant, apothicaire du Roi en 1473, reçoit une pension de quatre cents livres, considérable à l'époque;[433] de lui descendait peut-être Charles de Nans, maistre apothicaire de Six-fours, qui fit enregistrer en 1699 ses armoiries, d'or au chevron de sable chargé de 3 aigles d'argent;[434] et il n'est pas hors de propos de noter qu'il y avait une ancienne famille chevaleresque du même nom.[435]

Gervais Neveu, d'abord marchand droguiste apothicaire, fut ensuite gouverneur de Sablé, et résigna son gouvernement, en 1510, en faveur de son fils puîné; l'aîné fut l'aïeul de Roland Neveu, dont la fille unique, Renée, dame d'Auvers-le-Courtin, épousa Gabriel du Guesclin, conseiller au parlement de Bretagne.[436]

En 1505, Claude, reine de France, fait don à Julien Baugé, son apothicaire, de la terre et seigneurie d'Ingrande, près Blois.[437] Jean Maillard, fils d'un apothicaire de Paris, fut reçu auditeur des comptes en 1623.[438] Antoine Courtin, apothicaire en 1628, fils d'apothicaire, fut prévôt des maréchaux de France en 1647.[439] Tel apothicaire reçut des lettres de noblesse, sans discontinuer sa profession,[440] preuve manifeste qu'elle n'était pas dérogeante. Le bisaïeul du maréchal de la Meilleraye, Nicolas Fauques, était apothicaire. «Cela ne prouve rien contre la naissance, dit très justement à ce propos un érudit gentilhomme; nous voyons trop souvent, hélas! les descendants des plus grandes races réduits à de modestes professions, et j'en pourrais citer un grand nombre, si je n'étais retenu par un sentiment de discrétion que le lecteur comprendra.»[441]

On vient de voir un du Guesclin épouser l'arrière-petite-fille d'un apothicaire; voici mieux encore: en 1278, «Chastelaine de Chastillon» est veuve de «Jehan l'apothicaire de Dijon».[442] Il n'est pas douteux que maints nobles appauvris embrassèrent cette profession, tant que la satire moliéresque ne l'eut pas déconsidérée. Le 29 octobre 1390, Charles VI ordonne de payer «à Estienne de Marle, nostre varlet de chambre et apothicaire, ung roolle qui a esté veriffié et signé par nostre amé et féal phisicien maistre Regnaut Freron».[443] En l'église du Saint-Sépulcre, à Paris, se lisait cette épitaphe: «Cy gist honorable homme Blaise Seguier, marchand apothicaire, bourgeoys de Paris», décédé en 1510.[444] Charles de la Chapelle, marchand apothicaire à Montluçon en 1580, était d'une ancienne maison chevaleresque de ce nom.[445] A Saint-Eustache de Paris, au-dessous de deux écussons, se lisait cette épitaphe:

«Cy gist honnorable homme Jacques Blondel, vivant appoticaire du Roy et maistre appoticaire espicier et bourgois de Paris qui deceda aagé de 67 ans le 14e jour de décembre 1621. Aussy gist honorable femme Geneviefve Patin, veufve du dict deffunct.»[446] Il n'est pas téméraire de supposer que cet apothicaire descendait de «noble homme Jacques Blondel», vivant à Paris en 1516 et figurant dans un acte avec des chevaliers de Flandre,[447] et que sa devise, Crescit in adversis virtus, gravée sur sa tombe au pied de son écusson, le rattachait au fidèle écuyer de Richard Cœur-de-lion.—Autre épitaphe, à Saint-Jacques de la Boucherie:

«Cy gist honnorable homme Claude de Baillon, marchand apoticaire et espicier et ancien consul de ceste ville de Paris. Il decedda le 7 de juin 1639. Priez Dieu pour luy!»[448]

Claude de Baillon, apothicaire, espicier, bourgeois et consul de Paris, était le troisième fils de Michel de Baillon, écuyer, petit-fils de Guy de Baillon, guidon de la compagnie d'hommes d'armes du preux La Hire. Et quel était le père de ce Guy? «Pierre de Baillon, chevalier (neveu du mareschal de Baillon), tué à Poictiers en 1356; gist aux Jacobins de Poictiers.»[449] Commencer par le bâton de maréchal, et finir par le pilon d'apothicaire! Quelle instructive addition à faire au triste et curieux chapitre de Mr le marquis de Belleval intitulé: Comment on commence et comment on finit![450] Le Mercure galant, gazette des ruelles de cour, n'était pas tendre aux fils d'Hippocrate, et son éclat de rire semble un écho de Molière:

Le père médecin, l'aïeul apothicaire,
Le bisaïeul peut-estre encore pis que cela,
Qui diable seroit noble à descendre de là?

C'était le coup de pied de l'âne au mérite ou au malheur. Qu'importe la voie de labeur par laquelle on s'élève ou l'on remonte à son rang, si la voie est honorable? On verra dans cette histoire généalogique un apothicaire, petit-fils d'un écuyer, devenir prévôt des Maréchaux de France, commander par conséquent en leur nom à la Noblesse, et se faire chevaleresquement tuer au service de Louis XIV.[451]

Les maréchaux de France, chefs de la Noblesse militaire, étaient les juges naturels du plus précieux de tous les biens: l'honneur! Il faut lire, dans une excellente étude de Mr le Marquis de Belleval,[452] de quel prestige était entouré, «dans une ville de province, chef-lieu d'un bailliage ou d'une sénéchaussée», leur délégué, leur représentant, «personnage devant lequel officiers et soldats se découvrent avec une nuance plus marquée de respect». Dans une étude sur la France d'autrefois, au chapitre de la noblesse déchue par appauvrissement, il y aurait une page singulièrement intéressante à écrire sous ce titre: Comment on se relevait.—Mais tous ne se relevaient pas, surtout si brillamment.

CHAPITRE XXIV

Martyrologe de la Noblesse.—Gentilshommes cultivateurs et charbonniers.—Le chevalier de Pradt.—Le négoce, interdit aux Nobles, réservé au Tiers-Etat.—Femme de gentilhomme, publique marchande.—Jean le Bigot.—Édit de 1669.—Gentilhomme chapelier.—La maison de Vallier.

Que pouvaient faire ceux des Nobles appauvris qui n'avaient pas une instruction suffisante pour devenir avocats ou notaires, médecins ou apothicaires, voire procureurs? Nous allons les voir à l'œuvre, et ce n'est pas une des faces les moins curieuses et les moins instructives de l'histoire, on pourrait dire du martyrologe de la Noblesse. Les uns prenaient à ferme les revenus d'une châtellenie, comme «Guibert de Thiéry, damoiseau, fermier des revenus du château de Saint-Mural»,[453] en 1356, ou étaient receveurs d'opulents seigneurs, comme «Jehan de Brée, escuier»,[454] en 1474. Ceux-ci, voulant au moins pouvoir dire comme Job en sa misère, in meo nidulo moriar, faisaient valoir de leurs mains les terres qui leur restaient. «Est à remarquer, dit un juriste du XVIIe siècle, que ceulx qui ont privilège d'exemption pour la noblesse ou prestrise, ne peuvent estre imposez en la taille contre leur privilège, sous ombre de ce qu'ils travaillent de leurs mains en leurs propres possessions, comme nous avons veu aucuns gentilshommes en ce pays, contraincts par la nécessité de labourer, cultiver et ensemencer les terres, moissonner et battre les bleds y provenus, coupper les boys de tailles, les mettre en fagots et les porter sur leurs dos en leurs maisons.»[455] Ceux-là se faisaient charbonniers, comme le frère du trop fameux abbé de Pradt, «d'une famille très ancienne mais très pauvre, si pauvre que, avant la révolution, le chevalier de Pradt avait dû adopter la profession de charbonnier, qu'un gentilhomme pouvait exercer sans déroger.... Le chevalier faisait donc du charbon qu'il allait vendre lui-même, en sabots et l'épée au côté.»[456] De rares privilégiés obtenaient du Roi l'autorisation de faire valoir des terres par leurs mains sans déroger à leur noblesse, comme François de Saint-Pol, seigneur de la Porte, en 1755.[457]

L'empereur Honorius avait interdit le commerce aux grands, non comme déshonorant, mais «parce qu'ils auraient eu toute facilité pour nuire aux personnes de condition inférieure.»[458] Nos Rois, gardiens-nés de l'honneur chevaleresque et des privilèges de chaque classe, interdirent le commerce aux Nobles pour d'autres motifs. «On ne met pas en doute, dit La Roque, si l'on doit trafiquer de quelque manière que ce soit pour remédier à son indigence, mais si les gentilshommes se peuvent mesler du négoce, parce qu'il semble être réservé au Tiers-Estat, qui se trouve chargé des impositions ordinaires. La Noblesse est née entre les armes, elle s'augmente dans l'exercice de la guerre, et il semble que cette qualité ne peut se conserver en contractant avec des hommes mercenaires, qui passent leur vie dans l'inclination continuelle de s'enrichir.»[459] Ainsi, les Nobles étaient condamnés à passer la leur dans l'inclination continuelle de s'appauvrir, et Pasquier le dit crûment en ces termes: «Quant aux François, ils tiennent non-seulement pour un acte desrogeant à la noblesse, mais mesme pour un crime, d'exercer le négoce, estimant ceste action basse, et ceulx qui s'y portent deviennent poltrons, abandonnans l'ombre des lauriers pour prendre celuy des bouticques.»—«Nos Rois, ajoute La Roque, avoient défendu étroitement à la Noblesse toute sorte de négoce, de peur qu'elle ne s'avilît et ne s'abaissât par ce commerce. Ce fut pour cette raison que François Ier rendit une ordonnance à Aumale en avril 1540, et que Charles IX, tenant ses Estats à Orléans l'an 1560, défendit à tous gentilshommes, comme aux gens d'Église, de trafiquer de marchandise et de prendre ou tenir des fermes par eux ou par personnes interposées, à peine d'être privés du privilège de Noblesse.»[460] Un certain nombre de gentilshommes, aux XVe et XVIe siècles, avaient cru pouvoir s'adonner à quelque commerce «pour se soutenir»;[461] les timorés, sous le nom d'un tiers, voire de leur femme, ce qui conste de la quittance suivante:

«... Gilles Potier, garde du scel des obligacions de la viconté de Caen... Savoir faisons que par devant Colin de Vernay, clerc tabellion juré commis et establi en la ville et banlieue de Caen quant a ce qui ensuit, fut presente Raoulle de Cahengnolles, femme de Jehan Langloys, escuier, seigneur de Cohon, publique marchande, laquelle congnut et confessa avoir eu et receu de honnorable homme pourveu et saige Gilles Alespée, viconte de Caen, la somme de 28 soulz 8 deniers tournoys qui deubz lui estoient pour 23 livres et dem. de plon en table, prinses par le maistre des euvres pour mettre en plusieurs pertus des goutieres des combles de la grosse tour du chastel de Caen... Ce fut fait au lieu acoustumé lan de grace 1412, le 8e jour davril après Pasques. Signé: C. Vernay.»[462]

Vers 1450, Maurice de la Noüe, gentilhomme de Bretagne, qui «se mesloit auculne foys de marchandyse tant à la mer qu'à la terre», prit pour associé Jean le Bigot, qui «devint le plus riche bourgeois de Saint-Brieuc, ville et fors bourgs», et fut anobli en 1480.[463] Ainsi le commerce enrichissait, il anoblissait même, et les Nobles ne pouvaient s'y livrer. Ce ne fut qu'au mois d'août 1669 qu'un édit de Louis XIV, confirmé par la déclaration de décembre 1701 et par l'arrêt du Conseil d'État du 28 avril 1727, leur permit de faire le commerce de mer et le commerce en gros sans déroger à leur noblesse.[464] Après les rigoureuses défenses de François Ier et de Charles IX, quelle ressource restait aux appauvris? Quelques-uns, se cramponnant à leur gentilhommerie, se résolurent à prendre un métier,[465] mais sans abdiquer leur état, comme fit Mr de Vallier, de la branche de Vaulnaveys, dont était Gaspard, maréchal et grand-croix de l'Ordre de Saint-Jean de Jérusalem, fils de Claude et d'Odette Alleman, qui défendait Tripoli lorsque cette ville fut prise par les Turcs vers la fin du XVIe siècle. «Cette branche, ajoute Mr de Rivoire la Bâtie, tomba dans la pauvreté, et son chef, père de sept fils et de sept filles, voulant pourvoir à son existence et à celle de ses nombreux enfants par son travail et sans déroger, présenta une requête au parlement pour qu'il lui fût permis de s'adonner aux méchanicques, avec promesse de vivre noblement dès qu'il aurait pu gagner une fortune suffisante. Il se fit chapelier, et après avoir réalisé un avoir convenable, il tint sa promesse et vécut noblement. Son petit-fils, qui manquait d'ordre et d'énergie, fut attaqué dans sa noblesse par la communauté de Vaulnaveys, et sut si mal se défendre qu'il succomba dans cette attaque vers 1685.» Plus heureuse fut la branche de By, dont le chef, le comte de Vallier, siégeait en 1789 aux États Généraux parmi les membres de la Noblesse de l'élection de Vienne.[466]

CHAPITRE XXV

Abdications forcées et déchéances.—Les sires de Chambéry.—Cadets de princes se faisant bourgeois et marchands.—Les Quinson.—La maison de Viego.—Grandeur et décadence des sires de Bardonnenche.—Pierre de Bardonnenche, ouvrier.—Épicerie et chevalerie.—Épiciers seigneurs.—Primò vivendum.—La maison du Terrail.

Grand fut le nombre des gentilshommes que la nécessité réduisit à résigner leur privilège[467], à se réfugier dans les villes,[468] non sans une secrète amertume, à demander aux trafics de la bourgeoisie, à quelque métier, le pain de chaque jour, une laborieuse aisance. Des chevaliers, de grands seigneurs même,[469] s'arrêtèrent à ce parti. On n'ouvre pas un nobiliaire consciencieux sans y rencontrer de ces abdications, trop souvent suivies d'irréparables déchéances. Les Chambéry, antiques dynastes qui, dès le commencement du XIe siècle, étaient seigneurs du château et du bourg de leur nom (plus tard capitale du duché de Savoie), vendirent le bourg au comte Thomas de Savoie, en 1232, et, quelques années après, le château, dernier débris de leur grandeur.

Un de leurs descendants, N... de Chambéry, était en 1411 hôtelier et syndic de la ville dont ses aïeux avaient été les maîtres.[470] Les cadets des princes de Mortagne et vicomtes de Tonnay, étant pauvres, se firent bourgeois et commerçants[471]. Christophle Angenoust, marchand, vivant en 1600, «se disoit noble champenois d'origine».[472] En 1303, Philippe Riboud est chevalier; deux siècles après, les Riboud ne sont plus que bourgeois de Montluel, et qualifiés «honnestes hommes»;[473] Mr de Belleval cite les Grébaumaisnil, ancienne famille noble, déchue au XVIe siècle,[474] si particulièrement cruel aux gentilshommes. Mr de Rivoire cite les Fassion, les Montlovier, les Noir, damoiseaux en 1311, puis «perdus dans l'obscurité», les Nicollet, d'ancienne noblesse, «perdus dans les emplois de basse judicature», les Pélisson, les Quinson. Cette dernière famille, «qui offre de singulières vicissitudes, remonte à Lancelot de Quinson, damoiseau de Sassenage, en 1339». Vincent de Quinson, dit Luce, est qualifié «noble et discret homme» dans son contrat de mariage du 15 janvier 1529 avec noble et honneste vierge Françoyse Naturel... Il paraît qu'il jugea à propos, vu son maigre patrimoine, de s'établir marchand à Villebois pour rétablir sa fortune. Dès lors il prend presque constamment la simple qualification d'«honorable homme[475] Luce Quinson, marchand de Villebois», qualification sous laquelle il fit de nombreuses acquisitions de terres, prés, vignes et bois, son commerce nous paraissant avoir prospéré assez rapidement. Il testa le 24 août 1558 sous le nom d'«honorable homme Luce Quinson, bourgeois et habitant de Villebois», élisant sa sépulture dans la chapelle fondée par ses prédécesseurs dans l'église de Villebois. Il reçut, au mois de décembre 1559, des lettres-patentes du duc Emmanuel-Philibert de Savoie confirmant et reconnaissant son ancienne origine. Guy Allard lui donne le titre de capitaine général de la justice en Bresse et en Bugey. Son fils aîné, noble Antoine de Quinson, marié à dlle Françoise de Gorras, fille de noble Humbert de Gorras, bourgeois de Lagnieu, fut gentilhomme ordinaire de la maison du duc de Savoie.[476]» Un érudit normand, Mr Amédée du Buisson de Courson, membre honoraire du Conseil Héraldique de France, cite un gentilhomme du XVIe siècle qui, s'étant voué au commerce, acquit de grands biens, et dont les enfants obtinrent des lettres de réhabilitation de noblesse[477]. Voici les Viego, maison chevaleresque connue dès le XIIIe siècle, ayant eu un chanoine comte de Lyon en 1390: «Toutes ses branches étoient éteintes en 1660, dit le Laboureur, à l'exception d'une, laquelle ayant dérogé, celuy qui reste de cette branche ayant achepté le fief de Rapetour, ancien bien des Viego, médite aujourd'huy sa réhabilitation, que je luy souhaite, pourvu qu'il use mieux des titres qui luy ont esté remis par son vendeur, et principalement d'un inventaire de ces titres, lequel, avec ce que j'en ay recouvré d'ailleurs, auroit donné beaucoup de lumière à cette maison, véritablement noble, mais avilie et obscurcie par la pauvreté et le temps.»[478]

Les seigneurs de Bardonnenche du XIe au XIVe siècle, ne relevant que de Dieu et de leur épée, étaient à peu près souverains dans leurs domaines. La pauvreté atteignit cette race périllustre, mais sans lui ravir la fierté de la noblesse de son origine; elle portait haut son écu sans tache ni souillure. «Elle vint à Saint-Etienne vers la fin du XVe siècle, s'efforçant d'oublier la grandeur des souvenirs qui jusque-là avait occupé ses pensées, et tâchant que personne ne pût reconnaître en elle cette noble race qui se montra si belle, dès le commencement où elle apparaît au fond des premiers temps de la féodalité. Elle y réussit complètement; pendant un siècle, elle y végéta entièrement inconnue; car il est à remarquer que toutes ces familles dépaysées n'ont pu se résoudre, dans les commencements, à se mêler des affaires publiques et vivre de la vie commune. Elle tirait son nom de la vallée de Bardonnenche, qu'elle possédait déjà au XIe siècle, et n'avait jamais reconnu d'autre suzerain que le chef de l'Empire, à qui elle prêtait foi et hommage. Ce ne fut qu'au XIVe siècle que cette puissante famille s'avoua vassale des Dauphins; elle s'était tellement accrue que la terre de Bardonnenche se trouva divisée en coseigneuries, qui appartenaient à trente chefs de famille du même nom, dont le Dauphin reçut l'hommage en 1330.» Dans le terrier de la ville de Saint-Etienne, en 1515, est mentionné «Pierre de Bardonnenche, ouvrier»;[479] le quatrième de ses petits-fils, aussi nommé Pierre de Bardonnenche, commença par tenir un magasin d'épiceries à Limoges, et le transféra ensuite à Saint-Etienne, probablement en 1612, après la mort de Jacques, son frère aîné, par l'inventaire duquel on voit qu'il faisait un énorme commerce d'épiceries». La grande fortune que fit Pierre de Bardonnenche «porterait à croire qu'il tenait les deux maisons de commerce de Limoges et de Saint-Etienne. Sa fortune s'élevait, à sa mort, à la somme, fabuleuse alors pour Saint-Etienne, de 324.000 livres. Il testa le 6 avril 1637, et légua mille livres à l'Hôtel-Dieu et trois mille livres pour marier de pauvres filles... Son nom, éteint depuis plus de deux cents ans à Saint-Etienne, s'est pourtant conservé dans celui d'un très vaste domaine situé dans la montagne de Sorbier, encore appelé Bardonnenche.»[480]

Si le privilège de la noblesse consistait à payer l'impôt du sang et à se ruiner, on voit que le privilège de la bourgeoisie était d'une tout autre nature. L'épicerie rendait amplement tout ce qu'avait coûté la chevalerie, et je m'imagine qu'ils étaient aussi de bon lieu, «Eustache Langloys, bourgois et espicier de Sainct-Omer», qui, en 1300, revêtait ses quittances de fournitures, «de dragée blanche et de sucre» de son scel, portant un écu chargé d'une épée de chevalier;[481] «Guérin de la Clergerye, espicier bourgois de Paris, seigneur de Montrouge», en 1351;[482] et cet autre qui rend aveu féodal en 1454: «De vous noble homme monseigneur Guillaume de Thouars... je Jehan Ligier, espicier, tiens et advoue a tenir a foy et hommaige simple...»[483] Et encore «Jehan Noble, espicier et vallet de chambre du Roy nostre sire», qui, en 1371, donne quittance munie de son scel armorié.[484] Primo est vivendum, et l'épicerie servait, par surcroît, à redorer le blason. Ces nobles épiciers firent-ils pas mieux que de se plaindre, et de choir, par exemple, aux degrés les plus infimes de la domesticité,[485] dans la basse bohême, sur les tréteaux de comédiens nomades,[486] ou de s'ensevelir dans les ténèbres de la roture, comme la branche aînée du lignage du «chevalier sans peur et sans reproche»?[487]

CHAPITRE XXVI

La particule nobiliaire.—Sa signification, son caractère.—Répudiations significatives.—Les embourgeoisés.—Jean de Béthisy, procureur.—Marchands qualifiés nobles.—Déchus, mais répugnant aux mésalliances.—Changements d'armoiries.—Blasons improvisés.—Calembourgs et rébus héraldiques.—Le hareng des Harenc.—La harpe des Arpajon.—La maison de Mun.—La belle des belles.

Un arrêt de la cour de Lyon, du 24 mai 1865, dénie à «la particule» le caractère nobiliaire; opinion manifestement en désaccord non seulement avec le préjugé public, mais avec certains actes de la puissance souveraine,[488] et des jugements autorisant des nobles ou des anoblis à faire précéder leur nom de la particule, considérée comme une des prérogatives stipulées dans les lettres de maintenue ou d'anoblissement. Il n'est pas contestable que la particule n'avait pas autrefois une signification exclusivement nobiliaire, mais il n'est pas non plus contestable qu'elle impliquait généralement la possession terrienne, et par suite revêtait un caractère féodal; sinon, comment expliquer ce fait que la plupart des Nobles appauvris, en s'agrégeant à la bourgeoisie, dépouillent leur nom de la particule?[489] Pourquoi répudier ce préfixe, s'il n'avait pas un sens nobiliaire? Il est à noter que les répudiations de cette nature, comme de toutes qualifications féodales, coïncident, de la part des «embourgeoisés» avec la rupture de l'antique harmonie entre la noblesse et la bourgeoisie, avec l'éclosion de l'antagonisme entre les châteaux et les villes. Auparavant, les Nobles bourgeois conservaient généralement leurs qualifications nobiliaires; ce fut en devenant un corps homogène que la bourgeoisie devint exclusive, jalouse de sa dignité propre, avec cette fierté que donne communément la richesse. Comment expliquer encore, si l'on refuse au «de» le caractère d'une prérogative, que les Nobles, qui avaient quitté la particule en se faisant bourgeois, s'empressent de la reprendre lorsqu'enrichis par le négoce ils se réagrègent à la Noblesse? Nous avons vu «noble homme Luce de Quinson», descendant d'un damoiseau de Sassenage, s'établir marchand à Villebois vers 1530, et ne plus s'appeler dès lors que «honorable homme Luce Quinson»; il meurt laissant de grands biens à son fils, «noble Antoine de Quinson».[490] Les exemples de l'espèce abondent, comme aussi ceux de gentilshommes déchus, à qui le public persistait à donner la particule, mais qui la retranchaient de leur signature. «Jehan de Bethisy, procureur en parlement», ainsi dénommé dans un acte de 1389, le signe «Bethisy Jn»[491]; en 1411, «Raoul de Guissart, clerc tabellion juré en la viconté de Rouen», signe «R. Guissart»; en 1415, «Jehan de Villeneuve, viconte de leaue de Rouen», signe «Jn Villeneuve»; en 1419, «Guillemin de Villehier, clerc de la vénerye de Mons. le duc d'Orléans», signe «G. Villehier».[492]

Aux XIVe et XVe siècles, dans quelques provinces, il n'est point rare de rencontrer des «marchands» qualifiés «nobles», comme par exemple, «noble homme Louis Chappuis, bourgeois et marchand de Condrieu», ainsi qualifié dans son testament du 10 août 1435;[493] puis, lorsque s'accentue l'exclusivisme de la bourgeoisie, les fils ne sont plus qualifiés qu'«honorables». Généralement, ces familles marchandes, d'extraction noble, s'alliaient entre elles, sans doute parce que, malgré leur décadence, elles répugnaient aux mésalliances. Louis Chapuis, que je viens de citer, avait une sœur mariée à Jean de Genas, bourgeois de Lyon, et trois filles, l'une abbesse de Sainte-Colombe, les deux autres mariées à Jean de la Colombière, bourgeois de Valence, et à Jean de Chaponay, bourgeois de Lyon, toutes nommées dans son dit testament.

Un autre fait, non moins frappant que l'abandon de la particule par les Nobles embourgeoisés, c'est l'abandon des armoiries de leur race, comme s'ils eussent appréhendé de les commettre en se déclassant, ou voulu peut-être affirmer ainsi, aux yeux de leurs nouveaux pairs, la sincérité de leur abdication. J'ai recueilli de nombreux exemples de ce fait. Les néo-bourgeois prenaient généralement des armoiries en rapport avec leur transformation sociale, le plus souvent allusives à la profession qu'ils embrassaient, ou partiellement empruntées de celles de la ville dont ils devenaient habitants. Beaucoup de ces blasons improvisés constituaient de véritables calembourgs héraldiques, «armes parlantes» que n'a pas épargnées l'éclat de rire de Rabelais.[494] La mode pourtant n'en était pas neuve: au XIIIe siècle, les Harenc quittèrent un instant leurs trois croissants pour mettre sur leur scel un hareng[495]; à leur oiseau de proie, harpago, qui déjà constituait des armes parlantes, les sires d'Arpajon substituèrent définitivement une harpe.[496] La maison de Mun, d'ancienne chevalerie, représentée aux croisades, et dont l'éclat séculaire est si brillamment ravivé de nos jours, a pour blason un «monde d'argent», en latin mundus, armes parlantes. L'écu des Chabeu, au XVe siècle, avait pour supports un chat et un bœuf.[497] Un des plus curieux exemples de rébus héraldique est celui-ci: Gérarde Cassinel, dame de Pomponne, femme de Bertrand de Rochefort, était la belle des belles de la cour de Charles VI; «le Dauphin Louis, s'en allant avec le roy son père au siège de Compiègne en 1414, fit broder sur son étendard un K, un cigne et un L pour désigner le nom de cette belle personne.[498]» Les «armes parlantes» avaient, comme on voit, d'illustres précédents. J'ajoute qu'on les répudiait communément, lorsqu'ayant fait ses «choux gras» dans le négoce on entrait ou rentrait dans la Noblesse, pour arborer soit le blason de sa race, soit celui de quelque fief acquis par alliance ou par achat.[499]

CHAPITRE XXVII

La multitude des réhabilités.—Geoffroy de Chantepie, marchand, petit-fils d'un preux chevalier.—Les Lingendes.—Louis de la Chapelle fait le commerce et ne s'appelle plus que Chapelle.—Gabelou de sang royal.—Les descendants de la famille de Jeanne d'Arc.—Comment on perdait la notion de sa noblesse.—Les d'Allard.

Pour donner une idée du nombre des familles nobles qui renoncèrent à leur état pour s'adonner au commerce, il doit suffire de noter que, pour la seule province de Normandie, on trouve au Cabinet des titres deux volumes in-folio de lettres de relief de dérogeance octroyées sous le seul règne de Louis XIV. Dans tout le royaume, ces renonciations furent aussi nombreuses, et presque toutes se produisirent dans le courant du XVIe siècle, lorsque la Noblesse, déjà si appauvrie par deux siècles de croisades et trois cents ans de guerre contre les Anglais, reçut le coup de grâce des guerres de religion. Un livre singulièrement instructif sur les vicissitudes des familles nobles serait le recueil des lettres de réhabilitation obtenues par celles qui eurent la fortune de se relever.

Le 12 mai 1548, Geoffroy de Chantepie, marchand de Rouen, est réhabilité dans sa noblesse, ayant établi par documents filiatifs qu'il était «arrière-petit-fils de messire Jehan de Chantepie, chevalier, seigneur de Pontécoulant et aultres lieux, tué devant Caen par les Anglois, à qui il avoit faict lever le siège du Mont Sainct Michel.»[500]

Au mois de décembre 1646, «Jean de Lingendes, évesque de Serlat, Antoine de Lingendes, écuyer, seigneur de Bourgneuf, l'un des gentilshommes ordinaires du Roy et de la Reyne, Nicolas de Lingendes, maistre d'hostel du Roy, Charles de Lingendes, aussy maistre d'hostel ordinaire, et Jehan de Lingendes, conseiller au presidial de Moulins et maistre des requestes de la Reyne, tous originaires de Bourbonnois, exposent qu'ils sont issus de noble et ancienne race; que Guillaume de Lingendes reprit en hommage-lige du comte de Clermont ce qu'il avoit aux paroisses de Thiel et de Marry l'an 1300; un autre Guillaume de Lingendes, aussy damoiseau, fit hommage, l'an 1342, de mesme que Hugues de Lingendes, à Pierre, duc de Bourbon; mais Jean de Lingendes, leur trisayeul, contraint par la nécessité, se retira au lieu de Chartrolles où il fut notaire, de mesme qu'Antoine de Lingendes, son fils, qui fut outre cela châtelain, procureur fiscal et greffier de plusieurs justices particulières de seigneurs, et eut pour fils Jean de Lingendes, seigneur de Bouzeaux, lieutenant criminel en la seneschaussée de Bourbonnois, et père d'Antoine, Pierre et Michel de Lingendes, lequel Antoine fut secrétaire de la Reyne de Navarrhe, puis de la Reyne Louise, et trésorier du domaine de Bourbonnois, dont est issu Anthoine de Lingendes, demeurant en l'élection de Rouanne, l'un des suppliants. Quant à Michel, comme il estoit cadet avec peu de bien, il fut obligé de faire le négoce affin de mieux élever es bonnes lettres, comme il a fait, le dict Jean de Lingendes, évesque de Sarlat, Nicolas et Charles de Lingendes, ses enfans. Et Pierre de Lingendes, le second fils de Jean lieutenant criminel, fut receveur général des finances à Moulins, intendant des Reynes Elisabeth et Louise en Bourbonnois, et eut pour fils Gilbert de Lingendes, autre suppliant...» Sur cet exposé, les suppliants obtinrent lettres de réhabilitation de noblesse.[501]

Autres lettres du mois de janvier 1700: «Nostre très cher et bien amé Louis de la Chapelle nous ayant très humblement faict remonstrer qu'il est de l'ancienne famille de la Chapelle», et qu'il descend de Louis de la Chapelle qui «fut tué à la bataille de Jarnac et ne laissa qu'une fille qui fust mariée au comte de la Suze»; et le dit Louis eut un frère, René, qui fut l'aïeul de «Louis de la Chapelle, lequel s'estant habitué en nostre ville de Laval, où il s'engagea dans un gros commerce, retrancha de son nom de la et s'apella seulement Chapelle»; lequel Louis était l'aïeul de l'exposant «qui est avocat en nostre parlement et procureur fiscal au comté pairie de Laval... Mais, parce que Louis de la Chapelle, aïeul de l'exposant, a, par le commerce qu'il a faict, dérogé à sa noblesse et que l'exposant a pris des fermes...», Louis XIV lui octroie sa réhabilitation, et le juge d'armes lui reconnaît pour armoiries «celles qui ont esté portées de tout tems par ceux de sa famille et qui sont un escu d'argent à 9 mouchetures d'hermine de sable posées 3-3-2-1.»[502]

Le commerce et les fermes permirent donc à beaucoup de dérogeants de se réhabiliter; mais combien de nobles familles sombrèrent jusque dans les bas-fonds de la société! Mr le marquis de Belleval cite un pauvre gabelou du nom de la Cerda, d'extraction royale. Les derniers représentants directs de la famille de Jeanne d'Arc sont aujourd'hui, à Paris, l'un brigadier des douanes, l'autre emballeur, et portent avec un légitime orgueil le nom de «Dulys». Toutes les provinces, tous les temps ont vu de ces ingrates déchéances. Heureux encore ceux des appauvris qui gardaient le souvenir de leur noblesse première; mais parfois il s'oblitérait, soit parce que la famille s'enfonçait de plus en plus dans les ténèbres de la roture,[503] soit parce que le fils, ayant perdu ses parents au berceau, n'avait pu recueillir de leur bouche le patrimoine des traditions de la race. L'histoire de la famille d'Allard présente un exemple frappant de ce fatal oubli, réparé par un heureux hasard.

«Factum pour Claude Allard, escuyer, sieur des Tournelles, conseiller du Roy, controlleur général des finances à Lyon, appelant d'un jugement de Mr Dugué, intendant de la généralité de Lyon, du 3 mars 1668, luy deffendant de prendre la qualité d'escuyer à l'advenir,—et pour Denys Allard, escuyer, sieur de Paradis, seul Escuyer de Mademoiselle, intervenant.

«... Estant en la ville de Paris pour relever son appel, rappelant auroit appris que feu Pierre Allard, son père, qui l'avoit laissé en bas-âge, sans avoir pu luy donner connoissance des poursuites qu'il faisoit en la Cour des Aydes de Paris pour se faire relever de la dérogeance de Denys Allard son ayeul, avoit mis les titres de sa famille entre les mains d'un procureur pour poursuivre l'enregistrement des lettres qu'il avoit obtenu contre la dérogeance dudit Denys Allard, lesquels titres l'appellant ayant retiré, il a connu qu'il estoit noble d'extraction et d'ancienneté, au lieu qu'il ne croyoit l'estre que par le privilège de la charge que son ayeul et son père avoient possédé avant luy, et les ayant produit sur son appel, il a fait voir: que le dit Pierre Allard, controlleur général des finances à Lyon, est fils de Jean Allard, pourveu de la mesme charge, et de Toussainte Doment; que ledit Jean estoit fils de Denys Allard et de Catherine Baraillon; que ledit Denys estoit fils de Louys Allard et de Marguerite du Taillot; que le dit Louys estoit fils de Pierre Allard et de Magdelaine de Villemond; et que ledit Pierre estoit fils de Jacques Allard et de Marguerite de Sainte-Colombe. Et pour justifier que ledit Jacques Allard vivoit noblement, estoit qualifié noble et seigneur de Mexiliac en Vivarez, dès l'année 1458 qu'il avoit espousé damoiselle Marguerite de Sainte-Colombe, l'appellant a produit, etc.»[504]

CHAPITRE XXVIII

La plus ancienne vérification de noblesse.—Recherches des usurpateurs.—La recherche de Montfaud.—Vexations et persécutions.—Nobles imposés à la taille.—Procès dispendieux.—Le privilège des bourgeois.—Louis XI, «ce bon rompu de Roy».—L'édit des francs-fiefs et ses conséquences.—La déclaration de 1661.—Renoncements douloureux.—Avidité des traitants.—Supercheries généalogiques.—Sentences trop rigoureuses.—Misères des réhabilités.—L'émigration.—C'est la révolution qui a fait de la Noblesse une classe fermée.—La restauration nationale.

La plus ancienne vérification de noblesse que nous connaissions est de l'an 1262: un arrêt déclare que Pierre aux Massues, chevalier, est digne d'être chevalier, attendu qu'il a prouvé que son aïeul, Jehan de Champougnes, l'avait été.[505] Ces vérifications, individuelles ou collectives, étaient justes, nécessaires, utiles aux peuples, puisqu'elles avaient pour but et pour effet d'empêcher les usurpations de noblesse et par suite de restreindre le nombre des privilégiés, exempts du paiement des tailles. La recherche des usurpations fut souvent réclamée soit par les collecteurs responsables des impositions, soit par les élus des villes ou les États généraux, et plus tard par les intendants des provinces. La recherche de Raymond de Montfaud en Normandie, en 1463, est particulièrement connue, et fit rentrer dans la catégorie des taillables plus d'un geai paré des plumes du paon. Les nobles, ou se disant tels, de la province du Maine, durent comparoir, en 1518 et 1540, devant les élus du Mans et produire leurs preuves. Défenseurs intéressés des populations, les élus n'hésitaient pas à taxer au rôle des tailles quiconque, fût-il de l'extraction la plus incontestablement noble, faisait ou seulement paraissait faire acte de trafic, et leur âpreté dégénéra fréquemment en persécution: il suffisait que l'on fût absent, retenu loin de ses terres par le service du Roi, par la guerre ou toute autre cause, pour être inscrit, à son insu, parmi les taillables, et, à son retour, forcé de soutenir contre les élus un procès toujours dispendieux. De lettres données, le 3 octobre 1441, par Charles VII à Thibaut de Cherbaye, il appert que «Michel, son père, aiant esté conservé en ses droictz de noblesse de tout tems, mesme par sentence donnée par les commissaires lors deputez par le roy Charles VI, et luy s'estant retiré dans la ville d'Angiers à cause de sa vieillesse et guerres des Angloys, les habitans de la dicte ville l'aiant imposé en quelques emprunts, il auroit obtenu aultre sentence conservatrice de sa quallité...»[506] Mr Borel d'Hauterive relate un curieux exemple de noble imposé à la taille, et réhabilité dans son droit.[507] En 1525, les élus de Lisieux «imposèrent aux tailles Jean, seigneur d'Annebaud et de Brestot, père de Claude, maréchal et amiral de France, lieutenant général au gouvernement de Normandie, et de Jacques, cardinal du Saint-Siège, évêque de Lisieux, grand aumônier de France, pour avoir herbagé et engraissé des bœufs sur l'une de ses terres, en intention, comme l'on croit, de les revendre. Cela n'étoit proprement qu'une œconomie qui n'est pas si odieuse en effet qu'elle est en apparence, et nos Rois relèvent avec justice ceux qui la pratiquent».[508] On croit rêver quand on lit l'indulgente atténuation de Gilles-André de la Roque, et cette réflexion vient à l'esprit que le privilège des bourgeois était autrement sérieux que le privilège des Nobles. Si les élus, sous un prétexte si parfaitement absurde, se croyaient en droit de tailler de si hauts et puissants seigneurs, que ne devaient-ils pas se permettre envers les gentilshommes de moindre envergure, appauvris, ruinés, obligés de vivre des fruits de leur domaine amoindri?

Dans la deuxième moitié du XVe siècle, les rangs de la Noblesse étaient si clairsemés et le nombre des roturiers possesseurs de fiefs, et se dispensant de payer les tailles,[509] si grand que Louis XI, «ce bon rompu de roy», comme l'appelle Brantôme, voulut faire d'une pierre deux coups: le célèbre édit des francs-fiefs eut ce double effet de régulariser l'état des nouveaux fieffés et de remplir les caisses du Trésor; et même il advint ce fait curieux que, pour s'épargner les frais de la recherche de leurs preuves et d'une instance en maintenue de noblesse, d'excellents gentilshommes préférèrent légaliser leur possession d'état en acquittant la taxe des francs-fiefs.[510]

Le 8 février 1661, Louis XIV rendit une «Déclaration pour la recherche et condemnation des usurpateurs de noblesse, à l'honneur des véritables gentilshommes et au soulagement des autres subjets taillables du Royaume».[511] Cette déclaration, et les suivantes qui la confirmèrent en l'aggravant, jetèrent dans les rangs de la Noblesse un trouble si profond qu' «un grand nombre de gentilshommes, pour échapper aux taxes de la capitation afférentes aux titres héraldiques qu'ils portaient, déclarèrent se désister des titres dont ils s'étaient honorés jusque-là;» rien qu'en Bretagne, «on compta jusqu'à 67 gentilshommes, chefs de nom et d'armes, qui renoncèrent à leurs titres héraldiques.»[512] Chaque province vit de ces abdications. «Lors des réformations de noblesse,—mesures purement fiscales, équitables dans leur principe, mais faussées dans l'application par les commissaires royaux, la plupart bourgeois revêches, portés à transformer leur mandat de recherches en tactique de vexations,—bien des familles anciennement et authentiquement nobles, trop pauvres pour subvenir aux frais de revendication de leur état, trop fières pour avouer leur pauvreté, obsédées, abreuvées de dégoûts et de persécutions, préférèrent se laisser dépouiller sans bruit de leur prérogative héréditaire.»[513] A côté des intendants commis à la recherche des usurpateurs, il y avait les traitants, qui, ayant affermé le produit des poursuites, les exerçaient avec une activité dévorante, avec une rigueur d'injustice qui, plus d'une fois, leur attira de sévères mercuriales. En 1700, le premier président du parlement de Paris dit à l'avocat des traitants, au sujet de la famille du poète Boileau, laquelle établissait par titres authentiques que sa noblesse remontait à l'an 1342: «Le Roy veut bien que vous poursuiviez les faux nobles de son Royaume, mais il ne vous a pas donné pour cela permission d'inquiéter les gens d'une noblesse aussi avérée que sont ceux dont nous venons d'examiner les titres. Que cela ne vous arrive plus!»[514] Allez, et ne péchez plus! mais les traitants continuèrent à pécher, et à faire de l'eau trouble,—pour y pêcher. Toute famille appelée à faire ses preuves devait justifier d'un partage noble remontant au moins à cent ans, et produire, pour le courant du XVIe siècle, au moins trois actes originaux, et deux pour les siècles antérieurs. Il fallait être bien riche pour se lancer dans des recherches ardues, dans la reconstitution des preuves, toujours si difficile, lorsque les documents probatifs, chartes, contrats, aveux, pierres tombales, étaient épars dans vingt endroits; combien le temps en avait détruit, et les guerres, et les accidents ordinaires de la vie! S'il y avait eu dérogeance, il fallait prouver cent ans de noblesse antérieurement au dérogeant; preuve presque toujours impossible à faire lorsque la famille était originaire d'une province, éloignée de celle où elle se trouvait établie depuis moins d'un ou deux siècles. L'ingéniosité de paléographes complaisants vint au secours des persécutés; parfois des preuves furent fabriquées de toutes pièces; plus communément, on se contenta de copier les actes authentiques de la famille en cause, mais en les antidatant, de manière à atteindre la somme d'années nécessaire pour être maintenu ou réhabilité; par malheur, on avait affaire à forte partie, et les collections des d'Hozier, notamment celle des Carrés, abondent en constatations de ces supercheries, trop souvent mises au service de droits moralement évidents, mais dénués de preuves matérielles.

Certaines sentences des commissaires royaux apparaissent empreintes d'une rigueur odieuse jusqu'à l'iniquité: Philippe du Bois, écuyer, seigneur de Chevillon, établit qu'il était fils de Claude du Bois, écuyer, seigneur de Chevillon, et petit-fils de François du Bois, écuyer, seigneur de Chevillon, «la maison duquel où estoient les tiltres et pièces justificatives de leur noblesse, fust bruslée et pillée pendant la Ligue; et que le dict Francoys estoit fils de Christophle du Boys, escuier, seigneur de Chevillon.» Ce qui n'empêcha pas l'intendant Caumartin de condamner Philippe du Bois,[515] encore que sa mère fût une Le Febvre, mais sans doute pas une Le Febvre de Caumartin. Et pense-t-on que les maintenus ou les réhabilités, pour avoir à grand labeur et grands coûts obtenu des «lettres royaux» ou des sentences favorables, fûssent dorénavant à l'abri des recherches, des dépenses et des persécutions? Telle famille, comme les Billeheust, de 1661 à 1781, pourrait exhiber une douzaine d'arrêts de maintenue.[516] Les d'Allard,[517] les Courtin du Forez,[518] les Champagny[519] en comptent également une série. Quand on croyait tout fini, tout était à recommencer, et chaque fois il fallait payer pour être considéré.... comme Noble. Louis XIV, au mois de décembre 1692, révoque toutes les réhabilitations; en 1696, déclare que les réhabilités seront confirmés en payant finance; en 1698, qu'ils produiront les titres justificatifs de leur noblesse; en 1703, qu'ils seront tenus de rapporter les dits titres depuis 1560; en 1710, révocation générale des confirmations.[520] Jusqu'au règne de Louis XIV, les réformations avaient été simplement fiscales et répressives; la bascule des édits contradictoires, l'avidité des traitants, la rigueur des intendants donnèrent à la réformation du XVIIe siècle un caractère lamentable d'aggression, dont eut plus particulièrement à souffrir l'ancienne Noblesse, la Noblesse d'épée, parce que son ancienneté même et ses vicissitudes rendaient plus difficile la production de ses titres. Et que d'anomalies dans les décisions des commissaires royaux! Jean-Louis de Cabannes,—frère aîné de Jean-Jacques de Cabannes de Lanneplan, maintenu dans sa noblesse en 1696,—est classé comme «roturier» dans une convocation de ban faite, au même temps, par l'intendant de Guyenne. En 1715, la maison de Cabannes est condamnée pour usurpation de noblesse dans une de ses branches, tandis qu'elle est maintenue dans trois autres par plusieurs ordonnances des intendants. Pour se délivrer des persécutions, elle acquit à beaux deniers une confirmation, qui fut annulée presque aussitôt par l'édit général de 1710.[521] C'est une tache au soleil du grand Roi, une tache d'injustice et d'ingratitude, que cette mise en coupe réglée de la Noblesse, déjà si appauvrie par des siècles de généreux sacrifices, et livrée, comme une proie fructueuse, aux serres des traitants. Moins de cent ans après, la révolution achève l'œuvre de persécution et de spoliation; la Noblesse prend le chemin de l'émigration, autre voie d'honneur et de misère. On a pu la comparer, privée de sa suprématie sociale, «à ces grands chênes que l'orage a déracinés, et qui languissent desséchés sur la terre qui les a longtemps nourris».[522] La comparaison n'est plus exacte: en faisant de la Noblesse une classe fermée, la révolution l'a bien involontairement replacée au dessus du corps social. «Dans les autres pays, la Noblesse ouvre régulièrement ses portes à toutes les sommités nationales; une démocratie, encore plus maladroite qu'envieuse, les a fermées complaisamment sur un petit cénacle qui la laisse se morfondre au dehors. C'est une des mystifications les plus singulières dont l'histoire fasse mention.»[523] Aujourd'hui, cent ans après le cataclysme qui noya dans le sang les fanges du XVIIIe siècle, la Noblesse n'a pas perdu son salutaire prestige; elle apparaît comme une des pierres d'attente de la restauration nationale, de cette Monarchie, traditionnelle par son principe, moderne par son fonctionnement, qui renationalisera, pour ainsi dire, plus intimement la Noblesse en rouvrant ses portes à tous les mérites.

CHAPITRE XXIX

Négligence coutumière des familles nobles.—Impedimenta généalogiques.—Il ne faut rien détruire.—Les ennemis intimes des parchemins.—Gargousses et pots de confiture.—Les changements de nom.—Onomastique de la géographie féodale.—Piété familiale.—Les Lusignan, les Vezins, les Milly.—Les croisés en Terre-Sainte.—Combien j'ai douce souvenance.—Peau neuve.—Fourmilière d'homonymes.—Écart social.—Le train de l'humanité.

«La Noblesse, écrivait en 1743 le président Chevalier, a été dans tous les tems si distinguée, tant par le lustre et la prééminence qu'elle donne à ceux qui en sont décorés, que par les privilèges particuliers qui y sont attachés, que je ne puys assés m'étonner qu'il y ait des personnes assés peu curieuses de cet honneur pour négliger ce qui le peut conserver; c'est cependant ce qui se rencontre aujourd'huy très communément, et il y a quantité de familles très anciennes et très respectables, lesquelles, si elles étoient obligées de justifier leur noblesse, se trouveroient très embarrassées, n'ayans en leur possession aucuns titres de leur famille.»[524]

«La famille qui a le plus d'intérêt à la conservation de ses titres, dit Dom Caffiaux, n'est pas toujours la plus attentive et la plus vigilante, et souvent les titres déplacés, à l'occasion de quelque partage ou de quelques autres contrats, demeurent entre les mains des alliés.»[525]

Les difficultés que rencontre le généalogiste consciencieux ne procèdent pas toutes de la négligence des familles. Ascende superiùs! est sa devise, à lui aussi; mais force lui est de s'arrêter, lorsque le filon de lumière lui fait défaut. Assurément beaucoup de gentilshommes n'eurent point, pour la conservation de leurs titres de famille, tout le soin désirable; par exemple, il appert d'annotations inscrites au dos d'un certain nombre de pièces du chartrier de Beauvoir, au XVIIIe siècle, que d'autres furent détruites comme «crues inutiles». Qui sait, cependant, si elles n'eussent pas servi à faire la lumière sur quelque point de la généalogie? C'est, en pareille matière, une règle absolue qu'il ne faut rien détruire. Les parchemins, sans parler du vandalisme révolutionnaire, ces sûrs témoins du passé ont déjà tant d'ennemis intimes, tant de risques de destruction: la vieillesse, l'humidité, les rongeurs, et, il n'y a pas bien longtemps encore, les pots de confitures. Passe pour les parchemins dont la république fit des gargousses; on chargeait les canons avec notre vieille gloire; ce n'était pas déroger; mais les pots de confitures!...

D'autres causes constituent, pour le généalogiste, de graves impedimenta; les homonymies aussi bien que les changements de nom, si fréquents autrefois, en dépit de l'ordonnance d'Amboise,[526] et qui souvent déroutent la chronologie, «cette guide de l'histoire», comme l'appelle Guichenon. Dès le XIVe siècle, les seigneurs de Montesson quittent leur antique nom de «Hubert», pour ne plus porter que celui de leur fief. Au XVIe, les Courtin, seigneurs de Centigny, ne s'appellent plus que de ce dernier nom. Pierre d'Hozier ne découvrit pas que le nom originel de la famille «d'Abatant» était «Courtin», et il la confondit avec l'ancienne maison d'Abatant.[527] Combien d'autres confusions du même genre ont dû se produire! C'était, dans la Noblesse, une coutume très ancienne que de porter le nom de son fief, et toute normale à l'origine, puisqu'elle était le signe et l'affirmation de la possession féodale. D'ailleurs, le nom du fief était le plus souvent composé du prénom ou du surnom de son premier possesseur, l'auteur du lignage, et du châtel, ou de la cour,[528] ou de la ville, ou du mont, ou de la ferté, ou de la motte, ou de la roche, ou du bois, ou du champ, ou du val, ou du mas, etc., qu'il avait reçu en partage; ainsi, par exemple, s'étaient formés les noms de Château-Briand, de Court-Alain, de Ville-Hardouin, de Mont-Doubleau[529], de la Ferté-Bernard, de Bois-Guyon, de Champ-Aubert, de la Roche-Foucauld, de la Mothe-Achard, de Vau-Girard, de Mas-Gontier, etc. Le nom ainsi composé devint généralement celui de la race; mais, dans les premiers temps de la féodalité, le surnom ou le prénom est souvent porté seul, sans l'indication du château, de la cour, du mont, etc., et même devient le patronymique de branches cadettes: ainsi les sires de Mont-Doubleau ou de Mont-Barbat sont indifféremment appelés, dans les chartes des XIe et XIIe siècles, de Monte Dublello ou Dublellus[530], de Monte Barbato ou Barbatus[531]; on trouve des Châteaubriand appelés simplement Briand;[532] les Monteynard, seigneurs du fief de ce nom, ne sont le plus souvent appelés, jusqu'au XIIIe siècle, que «Aynardus»;[533] les «Daniel», chevaliers manceaux, sont indifféremment nommés ainsi ou «de Danieleria»;[534] et les Aenus du Maine doivent certainement être attribués aux «de Curte Aeni».[535] Lorsque le lieu donné en fief avait déjà sa dénomination propre, souvent il recevait comme suffixe le nom ou le surnom de son premier seigneur: tels Cossé-le-Vivien, Chemiré-le-Gaudin, Auvers-le-Hamon, Epineux-le-Seguin, Varennes-Lenfant, et des milliers d'autres. Cette coutume servait à distinguer les fiefs du même nom, ordinairement plus ou moins nombreux dans un même rayon, parce que, surtout à partir du milieu du XIIe siècle, par un sentiment d'orgueil légitime et de piété familiale, les juveigneurs imposèrent fréquemment à leur apanage le nom de leur race. Parlant des Lusignan, Mr de Bourrousse de Laffore, l'un des présidents d'honneur du Conseil Héraldique de France, dit: «Ils ont fondé en Agenais, depuis la fin du XIIe siècle, des châteaux auxquels ils ont donné le nom de leur race et de leur château patrimonial du Poitou.»[536] Les seigneurs de Vezins, chassés de leur château, se retirèrent à Mayet où ils en bâtirent un autre qu'ils appelèrent Vezins.[537] La maison forte d'Eydoche, étant entrée dans la famille de la Porte, fut communément appelée «le château de la Porte».[538] Les seigneurs de Mont-Gaudry avaient deux châteaux de ce nom.[539] Les Milly, devenus seigneurs de Courcelles en Saint-Etienne-la-Varenne, au XVe siècle, donnèrent à cette terre leur nom de Milly, qu'elle a conservé.[540] Mgr de Neuville, archevêque de Lyon, ayant acheté la terre de Timy, la dépouilla de ce nom pour l'appeler Neuville. Nous avons vu Pierre de Bardonnenche, d'un antique lignage appauvri, imposer le nom du berceau de sa race aux domaines qu'il acquit près de Lyon, lorsque le négoce l'eut enrichi. Les exemples abondent de ces changements de dénomination, inspirés le plus souvent aux seigneurs par un respectable attachement pour les lieux où ils avaient reçu le jour, où s'était épanouie leur enfance, où avait grandi leur lignage. C'était ce même sentiment qui portait les croisés à donner à tels de leurs fiefs de Terre-Sainte des noms de France; les Arabes à donner à Séville le nom d'Émèse, à Grenade celui de Damas.

J'ai dit que l'addition du prénom ou du surnom du seigneur féodal au nom de sa terre servait à distinguer entre eux les fiefs homonymes; voici, dans le Maine, peu distants les uns des autres, Auvers-le-Hamon et Auvers-le-Courtin, Sillé-le-Guillaume et Sillé-le-Philippe, Assé-le-Bérenger, Assé-le-Boisne et Assé-le-Riboul, Sougé-le-Ganelon, Soulgé-le-Bruant et Soulgé-le-Courtin. Dans la même province, aux XIe et XIIe siècles, le fief de Courtin (aujourd'hui Courtoin, en Nouans) est appelé Courtin l'Ain,[541] sans doute pour le distinguer de fiefs du même nom situés à Gesvres[542] et à Saint-Ouen-de-la-Cour.[543]

A partir du XIVe siècle, et surtout après, lorsque des seigneurs répudient leur vieux nom patronymique pour ne prendre que celui de leur fief, c'est le plus souvent pour l'un de ces deux motifs: ou c'est un noble de fraîche date qui veut faire peau neuve et faire oublier l'humilité de son origine; ou c'est un noble d'ancienneté qui appréhende d'être confondu avec des homonymes roturiers, lesquels cependant pouvaient fort bien être de son estoc, sans le savoir eux-mêmes. On a vu, par l'exemple de Pierre Allard, avec quelle facilité pouvait se perdre la notion d'une origine noble. Au moyen âge, avec des dix et quinze enfants, qui la plupart en avaient ensuite autant, le nom se multipliait rapidement, à l'infini, et bientôt c'était une fourmilière d'homonymes, les uns favorisés, les autres maltraités par la fortune; tandis que ceux-ci montaient dans la noblesse, ceux-là tombaient dans la roture; la poussière des âges aidant, la trace même d'une commune extraction se perdait d'autant plus vite que l'écart social était plus considérable. On a dit que les malheureux n'ont pas d'amis: avec le temps, ils n'ont plus même de parents; c'est le train de l'humanité.

CHAPITRE XXX

Migrations des familles.—Leur genèse.—Pudeur de pauvreté.—Les Évêques et les Abbés.—Mariages de grands seigneurs.—Officiers du Roi.—Désordre et ténèbres.—La cape et l'épée.—La maison de Chastellux.—Filiation perdue.—Logogriphes onomastiques.—Latinisations barbares.—Faussaires et fantaisistes.—Les Damas.—Vercingétorix et le premier Choiseul.—Tout est bien qui finit bien.

Les changements et les usurpations de noms ne sont pas les seuls obstacles que rencontre le pionnier généalogique; les migrations des familles sont une des sources les plus communes de son embarras. Ces migrations, dans les vieux temps, procédaient généralement des causes que je vais énumérer: les mariages hors de sa province, les aventures de guerre ou de garnison, des fonctions quelconques, ecclésiastiques, militaires ou civiles, le commerce, l'exercice des professions libérales dans les villes, la volonté d'aller abriter sa pauvreté loin des lieux où l'on fut riche et puissant.

«Au moyen âge, dit excellemment Mr le comte Anatole de Bremond d'Ars, l'un des présidents d'honneur du Conseil Héraldique de France, les Évêques étaient fort souvent, et même presque toujours suivis dans leur diocèse de quelques membres de leur famille, et c'est à cette cause que l'on doit attribuer l'établissement de certaines maisons dans des provinces éloignées de leur berceau.»[544] Il en était de même pour les abbés de monastères, dont quelques-uns, puissants seigneurs temporels, avoient à leurs gages de très nombreux officiers de rang et de nature divers. Les mariages des grands seigneurs amenaient aussi des déplacements de gentilshommes, qui suivaient leur suzerain dans ses possessions nouvelles. D'autres allaient, loin de leur pays d'origine, mettre leur épée au service d'un prince, recevaient de sa munificence quelque domaine, et faisaient souche dans ses états. Beaucoup allaient occuper, de par le Roi, hors de leur province, des offices de judicature ou de finance, des postes de baillis ou de châtelains, de vicomtes, de contrôleurs ou de gardes-du-scel, se mariaient là, et faisaient souche sans esprit de retour au pays des ancêtres. D'aucuns même troquaient leur nom contre celui de leur femme, ou de sa terre dotale. Allez donc discerner, dans ce désordre, sans une étude scrupuleuse, les tenants d'une même race! Quelques générations suffisaient pour oblitérer le souvenir des origines, d'autant plus que les émigrants n'emportaient communément avec eux que leur cape et leur épée, sans un seul de leurs titres de famille, qui naturellement demeuraient au lieu patrimonial, à la garde de l'aîné. La maison de Chastellux n'a connu que récemment, par la découverte d'une charte authentique, qu'elle était un ramage de l'antique lignage des sires de Montréal.[545] Au XVIIIe siècle, Blandine Courtin de Caumont, femme d'un Courtin de Saint-Vincent, perdit un procès parce qu'elle ne put pas établir une filiation de quelques degrés, qu'aujourd'hui j'ai très aisément dressée.

Et puis, il y a les logogriphes onomastiques, les dénaturations incroyables des noms par les scribes latinisants du moyen-âge,[546] par les chroniqueurs,[547] par les tabellions; les erreurs de lecture ou de copie;[548] les bizarreries de dialectes;[549]

les histoires de famille apocryphes; les filiations véreuses, les prétentions fantastiques, les généalogies de pacotille, les faussaires comme Haudicquer de Blancourt, les fantaisistes ingénieux comme ceux qui tirèrent l'illustre maison de Damas d'un soudan de Damas. Je ne sais rien de plus phénoménal, en ce genre, que l'étymologie du nom de Choiseul et l'origine de cette grande race, d'après César de Grandpré; vraiment c'est à lire et à méditer: «Choiseuil: Cette maison est l'une des plus anciennes de France, et le nom de Choiseuil vient de ce que Vercingetorix dit à un des grands de son armée, (le menant sur une montagne) qu'il choisit à l'œil toutes les terres qui estoient autour de luy; et qu'il les luy donnoit.»[550]—Quoi encore? Les erreurs de typographie, jetant le généalogiste dans un dédale de recherches qui se terminent.... par un éclat de rire.[551] Heureux qui peut éviter tous les écueils! Heureux qui rencontre de sûrs pilotes, et l'on verra qu'ils ne m'ont pas manqué!

CHAPITRE XXXI

Les vingt familles du nom de Courtin.—Preuves ou présomptions d'identité originelle.—La leçon des vicissitudes humaines.—Vaillants paysans angevins.—Dom Courtin, assassiné par les révolutionnaires.—Le culte des ancêtres.—Le présent et le passé.—Ce qu'est l'histoire d'une famille.—Domestica facta.—Orgueil légitime.—Comment parle un vrai gentilhomme.—Le pieux des Guerroys.

Il ne me reste plus qu'à expliquer comment cette étude généalogique, qui dans le principe ne visait que les Courtin du Forez, a fini par s'étendre à tous leurs homonymes. Pouvais-je éliminer les Courtin de Pomponne et de Villiers, lorsqu'au XVIIe siècle et plus tard les Courtin de Saint-Vincent et de Neufbourg se disaient issus d'eux; et portaient les mêmes armes? Comment éliminer les Courtin de Torsay, lorsque leur généalogie, dressée en 1769, donne comme étant sortis d'eux les Courtin de Saint-Vincent et de Neufbourg? Comment éliminer les Courtin de Centigny, incontestablement du même estoc que les Courtin de Torsay? Et les Courtin de la Mothe-Saint-Loup, de Cormeilles et de Crouy, paraissant se rattacher aux Courtin de Pomponne? Et les Courtin de Cissé, les Courtin de la Beauloyère, les Courtin de la Hunaudière, les Courtin de Tanqueux et d'Ussy, les Courtin de Nanteuil, de la Grangerouge et de Clenord, etc., à l'instar des Courtin de Villiers, se prétendant tous issus anciennement du même tronc: les seigneurs de Soulgé-le-Courtin? Et ces derniers étant très probablement un ramage des seigneurs de Courtin (de Curte Aeni), connus au Maine dès le XIe siècle, comment laisser ces derniers à l'écart? L'horizon de mes recherches s'est, par ainsi, élargi à mesure que j'avançais. Et, de fait, entre tous ces Courtin disséminés dans dix provinces, il y a, pour la plupart, preuve ou présomption grave d'identité originelle. En mettant intégralement sous les yeux du public le fruit de mes recherches, j'ai l'espoir que quelque érudit, plus heureux que moi, pourra découvrir tel point de soudure qui m'a échappé.

En accédant au plan de cette histoire généalogique, Mr le comte de Courtin de Neufbourg n'a pas obéi à un sentiment de vanité qui est à mille lieues de son caractère, mais à une pensée vraiment généreuse; il sait trop bien, par la leçon des vicissitudes humaines et spécialement des vicissitudes de la Noblesse, que les plus grands ont pu venir des plus petits, et que les plus petits peuvent descendre des plus grands: il a voulu ne répudier aucun de ses homonymes, même de ceux que la fortune n'a pas élevés ou relevés. Et ne sont-ils pas dignes de prendre rang dans une histoire de leur nom, par exemple, ces vaillants paysans angevins du nom de Courtin, fusillés par les soldats de la république pour crime de fidélité à Dieu et au Roi,[552] dans le même temps où la tête de Dom Courtin, arrière-grand-oncle de Mr de Neufbourg, tombait sur l'échafaud révolutionnaire?[553]

Le culte des ancêtres est vivifiant et doux; c'est une fleur de l'âme humaine, fleur du souvenir et de l'espérance. Quel hommage ne devons-nous pas à ces chers absents de qui Dieu nous a fait naître, et qu'il a fait partir devant nous, en éclaireurs de l'Éternité! Honorer leur mémoire est l'acte le plus filial, le plus naturel, le plus noble: c'est féconder dans la race la continuité de leurs vertus, de leurs croyances, de leurs saintes amours, de leurs généreuses passions, de leur patriotisme; c'est aimer ce qu'ils ont aimé par dessus tout, souvent au prix d'amers sacrifices: l'honneur! Le présent n'est rien que la résultante du passé et la préparation de l'avenir; et «qu'est-ce que la vie de l'homme, si le souvenir des faits antérieurs ne rattache le présent au passé?»[554]

L'histoire d'une famille n'est pas seulement, comme affectent de dire les esprits superficiels, le recueil de ce qu'Horace appelle les domestica facta; c'est aussi l'histoire intime des temps, des pays, des sociétés dans lesquels elle a vécu, lutté, souffert, grandi ou décliné; mais il est vrai que ces fastes des aïeux sont plus particulièrement profitables à leurs descendants, parce qu'aucun enseignement n'est plus propre à élever le courage, à régler les sentiments, à conforter l'âme que la connaissance de soi-même et de son origine. C'est un orgueil légitime et d'une saine philosophie, puisqu'il implique de plus grands devoirs. Écrivant l'histoire de sa maison, le comte de Boulainvilliers disait à ses enfants:

«Je me suis proposé le dessein de recueillir ce que les titres de l'histoire nous ont conservé de mémoires touchant la vie, les emplois, les alliances, la fortune, les biens et les disgrâces de nos ancêtres, et d'éclaircir, autant que l'antiquité le peut souffrir, l'origine de notre famille.... Par rapport à mes successeurs, c'est un travail très utile, puisqu'il leur fera connaître un grand nombre d'illustres ancêtres qu'il auroient peut-être ignorés.... Quelque genre de vie qu'ils veuillent embrasser, ils peuvent se proposer d'excellents modèles... Enfin j'espère remédier à l'oubli où les familles tombent insensiblement, surtout dans les tems malheureux tels que ceux où j'ai vécu. J'ai vu, en plusieurs de mes proches, les tristes conséquences de cet oubli, et j'ai appris, par tradition, que quelques-uns de nos pères se sont fait une vanité capricieuse d'ignorer ce qu'ils étoient.[555] Le Ciel préserve mes enfans d'une telle indignité! Quand on croit devoir beaucoup au Nom et au Sang qui nous a fait naître, on prend rarement des sentimens qui y fassent déshonneur.»

Ce sont là de nobles sentiments, dont je retrouve l'écho dans une lettre de Mr le comte de Courtin de Neufbourg, à qui j'avais signalé certaines particularités de l'histoire de sa famille:

«... Je n'ignorais rien de ce que vous m'avez écrit. Quelle qu'ait été notre origine, quelles que soient les épreuves par lesquelles mes pères auront passé, plus ils auront souffert pour se relever, plus je dois et je veux honorer leur mémoire, en les donnant pour modèles à mes enfants. Ce n'est pas un livre de complaisance, ni de vanité, que j'attends de votre érudition, mon cher ami, mais un livre de vérité....»[556]

Voilà le langage d'un gentilhomme, et son généalogiste peut dire au lecteur, comme jadis le pieux des Guerroys:

«Icy, vous y trouverez tout avec preuve de la vérité et anticquité qui estoit cachée non dans le puits de Démocrite, mais ès vieils manuscripts presque perdus d'oubly, et avec un stil sincère.»[557]

INDEX DES NOMS[558]

A

B

C

D

E

  • Emèse, 212.
  • Entragnes, 117.
  • Épineux-le-Seguin, 211.
  • Ernault, 154.
  • Escaface, 43.
  • Escharbot, 66.
  • Estoile (l'), 69.
  • Estouteville, 43, 154.
  • Estrées, 74.
  • Estres, 66.
  • Eu, 63, 96.
  • Europe, 119.
  • Eydoche, 211.
  • Ézéchias, 18.

F

G

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