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Essai historique sur l'origine des Hongrois

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The Project Gutenberg eBook of Essai historique sur l'origine des Hongrois

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Title: Essai historique sur l'origine des Hongrois

Author: A. de Gérando

Release date: November 2, 2009 [eBook #30395]
Most recently updated: October 24, 2024

Language: French

Credits: Produced by Mireille Harmelin, Rénald Lévesque and the
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generously made available by the Bibliothèque nationale
de France (BnF/Gallica)

*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK ESSAI HISTORIQUE SUR L'ORIGINE DES HONGROIS ***


ESSAI HISTORIQUE

SUR

L'ORIGINE DES HONGROIS,

PAR

A. DE GERANDO.

Nullius sectæ.
Quint






Paris
AU COMPTOIR DES IMPRIMEURS-UNIS,
Quai Malaquais, 15


1844


ESSAI HISTORIQUE

SUR

L'ORIGINE DES HONGROIS.





PRÉAMBULE.


S'il est vrai qu'au point de vue historique, les renseignements pris sur les lieux sont précieux à recueillir, et qu'un écrivain peut demander d'utiles secours au peuple qui fait le sujet de ses études, il faut reconnaître que c'est principalement en recherchant les origines de ce peuple qu'il sera tenu de le consulter.

Une nation venue de loin s'empare d'une contrée nouvelle; elle s'y établit, et combat pendant plusieurs siècles ses nouveaux voisins. Les chroniques de ces derniers vous donneront peut-être sur les guerres qui auront été faites des éclaircissements suffisants. Mais qui pourra dire d'où est sortie cette nation inconnue, qui vous apprendra son origine, si ce n'est la nation elle-même? Elle n'a pas encore d'annalistes. Mais attendez qu'elle se fixe, qu'elle forme un état stable: aussitôt de patients écrivains vont se mettre à l'œuvre, et rapporteront, sans même retrancher de leurs récits les suppositions fabuleuses, les traditions qui se sont encore conservées. De là l'importance, pour chaque peuple, des historiens nationaux.

Les données de ces chroniqueurs ne seront pas vos seules ressources. Il vous restera encore à voir cette nation elle-même, à observer sa physionomie, ses mœurs, à étudier sa langue, à la connaître enfin. Les renseignements que vous puiserez ainsi seront plus sûrs que les hypothèses des peuples voisins qui ont vu camper tout à coup au milieu d'eux une nation étrangère.

Ce n'est pas dans le but de rechercher les origines des Hongrois que j'ai primitivement visité la Hongrie. Mais il est impossible de faire un long séjour dans le pays sans étudier cette question historique, l'une de celles qui intéressent au plus haut point le voyageur. J'étais arrivé avec des idées toutes faites. Je publie celles que j'ai rapportées. Peut-être obtiendront-elles la confiance du lecteur, puisque ce ne sont pas les miennes, mais qu'elles appartiennent aux Hongrois eux-mêmes.

La question de l'origine des Hongrois a été diversement résolue. Jornandès fait descendre les Huns des femmes que Filimer, roi des Goths, chassa de son armée, parce qu'elles entretenaient un commerce avec les démons. Cette origine diabolique, qui s'est étendue aux Hongrois, a eu plus de défenseurs qu'on ne serait tenté de le croire, et bien après Jornandès un écrivain ne trouvait pas d'autre moyen d'expliquer le mot magyar qu'en le faisant dériver de magus, magicien 1. Les uns disent que les Hongrois sont des Lapons 2; les autres écrivent qu'ils sont Kalmoucks 3, et pensent donner plus de force à leur opinion en invoquant une ressemblance de physionomie imaginaire. Les Hongrois sont d'origine turque, dit-on encore; leur langue le prouve: les empereurs de Constantinople les nommaient Τουρκοι, et encore aujourd'hui les Turcs les appellent de «mauvais frères», parce qu'ils leur ont fermé l'entrée de l'Europe. Un autre les confond avec les Huns, et les fait venir du Caucase sous le nom de Zawar 4. D'autres enfin les appellent Philistéens ou Parthes, et leur donnent la Juhrie ou Géorgie pour patrie. Les quinze ou vingt noms différents que dans diverses langues les chroniqueurs ont donnés aux Hongrois augmentent encore les difficultés qui entourent nécessairement une question de ce genre, quand on veut rechercher leurs traces dans l'histoire.

Note 1: (retour) Le nom de Hongrois vient du latin Hungari, qui lui-même dérive de l'allemand Ungarn. Dans leur langue, les Hongrois se nomment Magyar (prononcez Mâdiâr).
Note 2: (retour) Jos. Hager, Wien, 1793.
Note 3: (retour) Spittler, Berlin, 1794.
Note 4: (retour) Dankovski, Pressburg, 1823.

C'est surtout en Allemagne qu'on s'est occupé de l'origine des Hongrois. En France on paraît s'en être rapporté à nos savants voisins, qui, placés plus près de la Hongrie et pouvant puiser à des sources plus certaines, semblaient appelés à résoudre le problème. Or en Allemagne on a adopté l'opinion émise par Schlœzer, illustre professeur de Gottingue, qui n'hésite pas à donner aux Hongrois une origine finnoise; d'où il suit que nous sommes portés à croire qu'ils sont effectivement Finnois d'origine.

Je n'ai certes pas la prétention de décider une question semblable: mon seul but est de rappeler ce que les Hongrois ont pensé et écrit à ce sujet, et dont, il faut l'avouer, on n'a guère tenu compte. Il a été dit que les Magyars ont parfaitement admis l'origine qu'on leur suppose, et qu'ils se donnent eux-mêmes pour Finnois. Cela est inexact. Un petit nombre d'entre eux, séduits par l'attrait d'une idée nouvelle, ont écrit, il est vrai, dans ce sens à la fin du siècle dernier. Mais ce sont surtout les Slaves de la Hongrie, qu'il faut bien se garder de confondre avec les Hongrois, qui ont adopté l'opinion de Schlœzer: ils méritent la même confiance que les autres écrivains étrangers, ni plus ni moins. Pour les Magyars, ils ont assez protesté contre l'espèce d'arrêt qu'on avait rendu sans les entendre; et ils ont protesté, dans ces derniers temps, en vue d'une idée sérieuse. En effet, l'opinion des savants a une conséquence positive, qui, si elle devait échapper à des hommes d'étude, frappe vivement tous les Hongrois, et aujourd'hui plus que jamais: c'est-à-dire que, la Hongrie étant habitée par cinq millions de Finnois d'une part, et de l'autre par six millions de Slaves, les empereurs de Russie, dans un avenir qui peut-être n'est pas bien éloigné, pourraient élever des prétentions sur ce royaume, ou au moins le comprendre entre les pays sur lesquels, comme chefs de la grande famille slave et de la grande famille finnoise, ils ont l'ambition d'exercer leur influence.

Ces prétentions, au reste, ne seraient pas nouvelles. Pierre le Grand dit ouvertement au prince Rákótzi, en Pologne, que les Hongrois étaient des sujets fugitifs de son empire, partis de la Juhrie 5; et il est constaté que, si Rákótzi ne tira pas alors des Russes les secours qu'il pouvait en attendre, ce fut parce qu'il se défia de la pensée intime du tzar 6. Il est également hors de doute que les dissertations historiques tendant à prouver que les Magyars sont les frères des Finnois-Russes furent toujours extrêmement goûtées à Saint-Pétersbourg. Schlœzer reçut une croix russe après avoir mis en avant l'idée de l'origine finnoise. Samuel Gyarmathi dédia à Paul Ier l'ouvrage dans lequel il s'efforçait de démontrer l'affinité des langues finnoise et magyare 7, et l'empereur ne manqua pas de témoigner à l'écrivain toute sa satisfaction. Enfin, dans l'année 1826, l'Académie des sciences de Saint-Pétersbourg, de sa propre inspiration ou non, prenait encore la peine de rechercher l'origine des Hongrois, quoiqu'il y ait au cœur de l'empire russe des populations dont l'origine eût été bien plus intéressante à trouver.

Note 6: (retour) V. les Mémoires du prince François Rákótzi.
Note 7: (retour) Affinitas linguæ hungaricæ cum linguis fennicæ originis grammatice demonstrata. Gottingæ, 1799.

Telle est l'importance politique, c'est là le mot, que l'on peut donner à une question en apparence purement spéculative.


§ 1.

LES HONGROIS SONT-ILS FINNOIS?


Nous arrivons à l'examen des preuves apportées par Schlœzer et ses partisans. Les écrivains allemands invoquent, à l'appui de leurs assertions, une phrase du chroniqueur russe Nestor, et l'affinité des langues hongroise et finnoise.

Pesons leurs arguments. Recherchons ensuite si les deux langues ont une affinité quelconque. Nous terminerons par une comparaison rapide des deux races, qu'on a trop négligé de faire jusqu'ici.




Voyons d'abord la phrase de Nestor:

«Dans l'année 898, les Hongrois passèrent devant Kiew sur une montagne, qui est appelée aujourd'hui hongroise. Ils venaient du Dnieper, et restèrent là sous des tentes, parce qu'ils marchaient comme les Polowtsi. Ils étaient venus d'Orient, passèrent de hautes montagnes nommées montagnes hongroises, et commencèrent à guerroyer avec les Valaques et les Slaves qui habitaient là 8

Note 8: (retour) Nestor. Russische Annalen, in ihrer Slowenischen Grundsprache: erklært und übersetz von Aug. Lud. V. Schlœzer. Gœttingen, 1802. V. une brochure intitulée Abkunft der Magyaren. Pressburg, 1827.

À cette phrase, qui a le mérite d'être fort claire, on ajoute le commentaire suivant: il y avait au treizième siècle, dans le pays des Finnois, une contrée où l'on parlait la langue magyare, et qui, avant l'époque du trajet des Hongrois décrit par Nestor, s'appelait Ugra, Ugorskaja; par conséquent les Hongrois ont dû partir de ce pays, puisqu'il portait leur nom avant qu'ils se missent en marche, et qu'ils y ont laissé des compatriotes. On prouve que cette contrée s'appelait Ugra, Ugorskaja, avant l'émigration des Magyars, en citant ce fait «que, dans la langue dés nouveaux arrivants, les hommes de Moscow reconnurent celle des habitants d'Ugra». On prouve en outre qu'on y parlait hongrois au treizième siècle en s'appuyant sur l'autorité de voyageurs, tels que le moine Julian (1240), Plan Carpin (1246), envoyé chez les Mongols par le pape Innocent IV, et Rabruquis (1253), envoyé par saint Louis, roi de France, puis, quand les preuves manquent aux assertions, on a recours à des étymologies incroyables: on dit, par exemple, que Magyar et Baschkir sont un seul et même mot.

Que les Hongrois aient campé dans cette partie de l'Europe comprise entre le Jaïk, la mer Caspienne et le Volga, c'est ce dont personne ne doute. Qu'une séparation ait eu lieu dans cette contrée entre les bandes émigrantes, c'est encore ce que l'on peut soutenir. En effet, les Magyars ont marché vers la Pannonie en laissant en chemin des milliers d'hommes, comme cela arrivait dans toute émigration. On aurait tort de penser que tous les Hongrois fixés aujourd'hui en Europe sont venus dans le même temps. Les Sicules de la Transylvanie, les Hongrois qui vivent dans les Puszta, les Steppes, et ceux qui habitent la Moldavie, se sont suivis à des siècles d'intervalle.

Ce fut une tradition non interrompue chez les Magyars, même après qu'ils se furent définitivement établis en Pannonie, qu'une grande partie de leurs frères s'étaient séparés d'eux pendant la route. Tant que les Magyars cherchèrent à s'avancer vers l'occident, c'est-à-dire jusqu'à Geyza, ils s'occupèrent peu de ces compagnons éloignés qui pouvaient les rejoindre dans la suite; ils continuèrent à aller plus avant, sans y penser davantage. Mais lorsqu'ils eurent renoncé à la vie nomade et aventureuse, quand le royaume de Hongrie se forma, s'organisa, les Magyars commencèrent à s'inquiéter de ceux qui étaient restés en chemin et qui ne venaient pas. Diverses expéditions furent entreprises dans le but de les amener en Hongrie.

La première paraît avoir eu lieu deux siècles après Geyza. «Quatre moines se dirigèrent vers l'Asie pour chercher leurs frères; ils voyagèrent long-temps par terre et par mer, bravant toutes sortes de fatigues, mais sans succès. Un seul, nommé Othon, dans une contrée habitée par des payens rencontra quelques hommes de sa langue qui lui apprirent où se trouvaient les autres; mais il n'entra pas dans leur pays, et revint au contraire en Hongrie pour prendre des compagnons et tenter un nouveau voyage. Malheureusement il mourut huit jours après son retour.» Cette phrase est non pas traduite, mais tirée d'un manuscrit du Vatican qui donne le récit de la seconde expédition.

Elle fut entreprise en 1240 sous Béla IV. Le moine hongrois Julian et trois autres religieux firent route vers Constantinople, voguèrent trente-trois jours sur la mer Noire, arrivèrent dans le pays de Sichia (terra Sichia), et après une marche de treize jours dans un désert, où ils ne virent ni hommes ni habitations, ils atteignirent l'Alanie chrétienne (Alaniam christianam). Ils y restèrent six mois; mais, ayant épuisé leurs ressources, et se trouvant réduits aux suprêmes nécessités, ils se résolurent à vendre deux d'entre eux comme esclaves. Ces deux moines ne savaient pas labourer et ne trouvaient pas d'acheteurs: ils pensèrent donc à retourner dans leur patrie. Les deux autres traversèrent pendant trente-sept jours un désert où ils ne rencontraient aucune route, et arrivèrent à Bunda, ville du pays des Sarrasins. Ils gagnèrent ensuite une seconde ville du même pays, où le compagnon de Julian mourut. Julian, resté seul, devint esclave d'un prêtre avec lequel il se rendit dans une grande ville d'où pouvaient sortir cinquante mille guerriers. Là il rencontra une femme hongroise, puis vers le Volga il trouva beaucoup de Magyars qui l'entourèrent avec joie et le questionnèrent sur leurs frères chrétiens: ils parlaient la pure langue magyare. Quoiqu'ils fussent payens, ils n'adoraient aucune idole. Ils ne cultivaient pas la terre, se nourrissaient de viande de cheval, et buvaient du sang et du lait de jument. Ils savaient par tradition qu'ils étaient les frères des Hongrois chrétiens; mais ils ignoraient complètement où ces derniers étaient établis. Leur bravoure les avait rendus redoutables: vaincus par les Tatars, leurs voisins, ils avaient ensuite fait alliance avec eux et ravagé ensemble quinze royaumes. Julian rencontra parmi eux des Tatars, et l'envoyé du khan tatar, lequel parlait plusieurs langues (ungaricum, rhutenicum, cumanicum, teutonicum, sarracenicum et tartaricum). Il fut sollicité par ses frères de rester avec eux; mais deux raisons le déterminèrent à revenir en Hongrie: il craignit qu'en convertissant à la foi catholique les Hongrois payens, il ne donnât l'éveil aux rois barbares qui se trouvaient placés entre eux et les Hongrois chrétiens; il craignit également de mourir avant de revoir ses compatriotes, et d'emporter le secret de sa découverte. En conséquence il quitta ses frères payens, et, se faisant indiquer une route plus directe, il retourna en Hongrie après avoir encore voyagé par terre et par mer.

Vraisemblablement ces deux expéditions, dont on n'aurait pas eu connaissance sans le manuscrit du Vatican, ne furent pas les seules que les Magyars tentèrent. Bonfinio écrit que Mathias Corvin, ayant appris par des marchands qu'il y avait des hommes de sa race dans un pays éloigné, résolut de les appeler en Hongrie, et que la mort seule l'empêcha de mettre ce projet à exécution.

Il est certain que les Hongrois qu'on cherchait étaient restés dans cette contrée située entre le Jaïk, le Volga et la mer Caspienne. C'est en arrivant vers ces parages que le moine Julian trouve ses compatriotes. Le tort des écrivains allemands est de placer la Grande-Hongrie, comme on l'appelle, aux sources du Volga, et de s'appuyer sans raison sur les récits des voyageurs, lesquels, comme il est évident, font mention du pays situé à l'embouchure de ce fleuve 9.

Note 9: (retour) Ces Hongrois se seront peut-être fondus avec les Tatars, auxquels, d'après le manuscrit de Vatican, ils étaient déjà réunis au treizième siècle. Peut-être aussi auront-ils marché vers le Caucase, où se trouvent aujourd'hui encore des Magyars. (V. le voyage de Besse, dont quelques extraits sont placés à la fin de ce travail.)

Remarquons en effet la route suivie par les moines dans les deux expéditions. Les premiers voyagent trois ans par terre et par mer. Ont-ils pris la route de Moscou? Éavidemment non. Ils se sont dirigés vers l'Asie, comme le manuscrit le rapporte. Les seconds vont à Constantinople s'embarquer sur la mer Noire, et traversent des déserts pour arriver au Volga. Ont-ils pensé à aller chercher leurs compatriotes en passant devant Kiew et en gagnant Moscou? Évidemment non. Une phrase du manuscrit montre qu'ils ne savaient pas à la vérité où les trouver. Inventum fuit in gestis Hungarorum christianorum quod esset alla Ungaria major... Sciebant etiam per scripta antiquorum quod ad orientem essent; ubi essent, penitus ignorabant. Mais, s'ils ignoraient la position certaine de cette Hongrie, ils étaient sûrs du moins qu'elle était située à l'orient, et non pas au cœur de la Russie, comme le veulent les écrivains allemands. Nestor écrit: Ils étaient venus de l'Orient; il ne dit pas: Ils étaient venus du Nord.

C'est donc dans cette contrée dont nous avons fixé les limites qu'avait eu lieu la séparation entre les bandes. La plus grande partie des émigrants était descendue vers le sud-ouest, tandis que quelques milliers de guerriers avaient fait halte près de la mer Caspienne. C'est pourquoi les moines traversaient la mer Noire et cherchaient le Volga.

Ainsi, en disant que le peuple magyar partit du pays d'Ugra, passa devant Moscou et alla guerroyer avec les Valaques et les Slaves, les écrivains allemands se trouvent en opposition frappante avec les traditions hongroises, qui, au treizième siècle, étaient encore assez fortes pour que des hommes isolés allassent, à travers mille dangers, chercher leurs compatriotes à l'orient.

Plan Carpin dit que «la Cumanie a immédiatement au Nord, après la Russie, les Mardouins, les Bilères, c'est-à-dire la Grande-Bulgarie, les Bastargues ou la Grande-Hongrie...» Les noms des peuples qui environnent la Grande-Hongrie prouvent qu'il n'est pas ici question des sources du Volga, et on est confirmé dans cette pensée par une phrase de Plan Carpin qui vient ensuite: «À l'ouest sont la Hongrie et la Russie.» Bien certainement, si Plan Carpin a rencontré des Magyars près du Volga, c'est à l'embouchure de ce fleuve. En outre, dans l'atlas manuscrit de Pierre Vesconte d'Ianna, dressé en 1318, et qui se trouve dans la bibliothèque impériale de Vienne, ainsi que dans d'autres cartes du même siècle, on voit le nom de Comania ou Chumania au nord de la mer d'Azow 10. Si la Cumanie était située au nord de la mer d'Azow et la Grande-Hongrie au nord de la Cumanie, immédiatement après la Russie, c'est-à-dire vers l'est, il est clair que la Grande-Hongrie n'était pas éloignée de l'embouchure du Volga, tandis qu'elle était séparée par une grande distance des sources de ce fleuve.

Note 10: (retour) Besse, Voyage en Crimée, au Caucase, etc.

Ce ne sont pas là les seuls faits sur lesquels nous nous appuyons. Nous trouvons dans les historiens bysantins, qu'il faut toujours consulter quand on parle des Hongrois, que les Magyars étaient campés près du Volga et de la mer Caspienne à l'époque où on prétend qu'ils étaient encore réunis aux Finnois. On lit en effet dans Siméon, Léon le Grammairien, Zonare et Ménandre, que «l'ambassadeur de Justin, Zemarchus, envoyé chez Dsabul, chef des Turcs, rencontra les Hongrois qui habitaient entre le Jaïk et le Volga.» Il s'agit positivement ici des Hongrois, car les historiens grecs ont soin de les distinguer des Turcs. Cette ambassade est de 569. Or on prétend que les Magyars se séparèrent des Finnois en 625.

Les écrivains allemands sont donc démentis par les historiens bysantins, lesquels montrent les Magyars dès 569 près de la mer Caspienne. Ils sont de plus combattus par les traditions hongroises, qui placent précisément dans cette contrée la Grande-Hongrie, quand ils croient la trouver aux sources du Volga. Est-il un argument ou un fait qui démente des preuves puisées à deux sources si différentes? Aucun. Et quand on fait venir les Magyars de la Laponie, de la Carélie ou de la Finlande, s'appuie-t-on sur quelque autorité? Nullement. Ce prétendu voyage des Hongrois à travers la Russie ne se retrouve dans aucun des historiens du Nord. Ni Starcater, l'auteur le plus ancien, car il écrivait au neuvième siècle; ni Evinn Salda Piller, qui vivait au dixième; ni Adam de Brême, du onzième; ni Saxo Grammaticus, du douzième; ni Snorro Sturleson, du treizième; ni Petrus Teutoburgicus, du quatorzième siècle, n'en font mention.

Notons en passant que les savants allemands sont loin de présenter une concordance d'opinion qui approche de cet accord signalé entre les historiens grecs et les traditions hongroises. Engel, par exemple, écrit: Pars Hungarorum e Lebedia per Patzinacitas pulsorum directe versus Persidem, tanquam in vetus aliquod et consuctum domicilium properarunt 11.

Note 11: (retour) Viennæ, 1791.

Il ajoute que les Magyars restèrent en Lebedie deux cent trois ans. Mais l'année de leur apparition en Hongrie est 884: de là ôtez 203, reste 681. Ce dernier chiffre, comparé à 625, l'année de la prétendue séparation, donne une différence de cinquante-six ans. Les Hongrois, qui n'ont pu habiter la Perse qu'après avoir quitté les Finnois, ne seraient donc restés que cinquante-six ans dans cette contrée. Est-ce à un pays habité cinquante-six ans qu'on donne le nom de vetus et consuctum domicilium? Sur l'observation que cela est absurde, on s'empresse de reculer la date de la séparation convenue jusque là: chacun la rejette le plus loin possible, et, de sentiment en sentiment, de siècle en siècle, nous arrivons jusqu'à Gebhardi, qui la place avant l'ère chrétienne. Accordez, s'il y a moyen, toutes ces opinions divergentes.

On a remarqué que jusqu'ici il n'a pas été parlé des historiens hongrois. C'est parce qu'on les accuse de dire tout autre chose que la vérité. Nous avons consulté les historiens grecs, dont on n'a pas encore mis la véracité en doute, et les relations des voyageurs que les écrivains allemands s'empressent eux-mêmes de citer. Mais puisque nous sommes en droit de faire retomber sur Schlœzer le reproche d'inexactitude qu'il adressait à tous les historiens nationaux, nous rappellerons que ces écrivains ne parlent pas une seule fois des sources du Volga, tandis qu'ils font camper les Hongrois à l'embouchure de ce fleuve dans le même temps que les historiens bysantins. En effet, qu'on jette les yeux sur une carte d'Europe, on verra que les rivages de la mer Caspienne étaient un lieu de halte naturel entre l'Asie, d'où venaient les Magyars, et la Pannonie, où ils sont arrivés.

En résumé donc, les écrivains qui, complétant les renseignements fournis par Nestor, font partir les Magyars d'une Hongrie placée aux sources du Volga et leur tracent une route à travers la Russie, avancent des faits qui ne sont confirmés par aucun historien du Nord, et qui sont démentis de la manière la plus formelle par les récits des voyageurs, par les traditions hongroises du treizième siècle, et par les historiens hongrois appuyés des historiens bysantins.

On peut faire une observation qui seule prouverait que les Hongrois n'appartiennent pas à la race finnoise.

Il existe en Transylvanie deux cent mille hommes appelés Székely, Sckler ou Siculi, mais qui sont Hongrois, comme les Cumans et les Jaziges de la Hongrie. Ils se donnent eux-mêmes pour Hongrois, et ils ont la même langue, le même caractère et la même physionomie que les Magyars. Ils sont fixés dans le pays depuis le cinquième siècle. C'est un fait historiquement prouvé. Or comment expliquer la présence en Transylvanie d'une tribu finnoise dès le cinquième siècle?

Il est impossible de répondre à cette question. On ne s'explique la présence des Sicules qu'en acceptant les traditions hongroises et les historiens hongrois.




Passons à la seconde preuve produite par les écrivains allemands, l'affinité des langues.

On a dit qu'une foule de mots semblables se retrouvaient en hongrois et en finnois, et que les deux langues avaient une même grammaire.

Gyarmathi, dans un ouvrage qui a été cité, donne une suite de pages contenant des mots hongrois et finnois avec la traduction latine en regard. Des dictionnaires comparatifs ont été publiés. Au moment où l'on ouvre ces livres, en voyant cette file imposante de colonnes, on est sur le point de se croire convaincu. Mais que doit-on penser quand, en les parcourant un instant, on trouve les mots suivants comme exemples de similitude.


Finnois

suma
sade

olca
acca
tuuli
usco
vaetzi
juuri
aamu
tuohi
owi
paju
walkaeus
hiliaissus
waras
huix
vatze

Hongrois.

homály
esö
éj
váll
idö
szél
hit
kés
gyökér
reggel
héj
ajto
füzfa
viråg
szelidség
orv
hai
has



ténèbres
pluie
nuit
épaule
temps
vent
croyance
couteau
racine
matin
écorce
porte
saule
fleur
douceur
voleur
cheveu
ventre

Gyarmathi a comparé les Évangiles écrits en langue finnoise et magyare. Il lui a été impossible dans beaucoup de chapitres de trouver la moindre ressemblance de mots; et même, dans les quelques uns qu'il donne, il a omis à dessein un grand nombre de versets qui auraient nui à l'effet qu'il veut produire. Celui que je transcris, quoiqu'il ne contienne que neuf versets sur quarante-deux, est encore un des plus complets, car souvent Gyarmathi n'a osé citer qu'un seul verset par chapitre.

CHAPITRE X DE SAINT JEAN.


Finnois.

1

se on waras ja ryöwäri.

Hongrois.



A ki nem az ajton megyen bé az akolba; az van oroz, és gyilkos 12.





Celui qui n'entre pas par la porte dans la bergerie des brebis... est un voleur et un larron.
Note 12: (retour) Dans ces exemples, Gyarmathi a commis des erreurs volontaires. Au lieu de citer simplement le texte hongrois de l'Évangile, il l'a défiguré de manière à le rapprocher le plus possible du texte finnois. Comme le sens est toujours altéré, je relèverai chaque fois le changement. Ici, par exemple, van oroz n'a pas une tournure hongroise. Les Hongrois sous-entendent toujours le mot van, «est». Gyarmathi l'a mis pour que le v de ce mot correspondît au w du finnois waras, «voleur». Au lieu de van oroz, il y a dans le texte hongrois lopo.

Finnois

3

Ja lambat cuulevat

11

Mina olen se hywæ paimen.

Hywæ paimen anda
hengens lammasten edest.

14

Minå olen se hywæ
paimen, joka tunnen
omani ja minu tutan
myôs omildani.

Hongrois



És a' juhok halják az ö énekit 13



Én vagyok a' hiv 14
pásztor.
A' hiv pásztor adja
maga juhai-ért életét.



Én vagyok a' hiv
pásztor, ki tudom 15
a' magaméit és engem
is tudnak 16
a' magaméi.





... Et les brebis entendent sa voix.



Je suis le bon pasteur.

Le bon pasteur donne
sa vie pour ses brebis.



Je suis le bon pasteur,
et je connais mes
brebis, et mes brebis
me connaissent.
Note 13: (retour) Énekit veut dire «son chant». Ce mot est mis à cause du finnois œnens, quoique les deux mots ne se ressemblent guère. Il y a dans le texte hongrois szavåt, «sa voix».
Note 14: (retour) Hiv veut dire «fidèle». L'auteur l'a placé à cause du finnois hywæ. On lit dans le texte hongrois , «bon.» Dans aucune langue bon et fidèle ne sont synonymes.
Note 15: (retour) Le texte hongrois dit esmérem, «je connais». Tudom, qui doit se rapprocher du finnois tunnen, veut dire «je sais».--«Je sais mes brebis» n'a pas de sens en hongrois.
Note 16: (retour) Il y a dans le texte hongrois esmértetem, «je suis connu». Tudnak signifie «je suis su», et n'a pas de sens ici.

Finnois

16

Minulla on myôs muitta lambaita jotka ei ole tästâ lammas huonesta; ja he saawat cuulla minun âneni: ja pitâ oleman yxi lammas huone, ja yxi paimen.

Hongrois



Nekem vannak más juhaim is kik nem valók ezen bárány honnyból 17 és azok fogják hallani az én énekemet 18 és kell lenni egy bárány honnynak 19





J'ai encore d'autres brebis qui ne sont pas de cette bergerie; elles écouteront ma voix, et il n'y aura qu'un troupeau et qu'un pasteur.


22

Ja Jerusalemis oli kirkomessu, ja talwi oli.



És Jerusalembe vala templom szentelö innep, és tél vala.



Or on faisait à Jérusalem la fête de la dédicace, et c'était l'hiver.
Note 17: (retour) Honny veut dire «patrie»; honnyból, «de la patrie.» Cette expression dans ce cas est absurde. On ne peut pas dire la patrie des brebis pour désigner le lieu où elles sont enfermées. Le texte hongrois dit akolból, «de la bergerie».

Finnois.

31

Nijn Judalaiset poimit taas kiwiä hándá kiwittaexens.

Hongrois.



Akkor a''Sidók ragadának megint követ ötet kövezni.





Alors les Juifs prirent des pierres pour le lapider.
32

Minå osotin teiile iseldaeni monda hywæs tyoetæ.


Én mutattam nektek ösömnek 20 minden 21 hiv 22 tetteit sok jo téteményeit.


J'ai fait devant vous plusieurs bonnes œuvres par la puissance de mon père...
41

Ja monda tuli hånen tygôns.


És minden tére 23 ö hozzaja.


Plusieurs vinrent l'y trouver.
Note 20: (retour) Ösömnek veut dire «à mon ancêtre» (c'est une tournure hongroise, le datif au lieu du génitif). Il y a dans le texte hongrois atyámnak «à mon père».
Note 21: (retour) Minden signifie «tous». On lit dans le texte hongrois sokan, «beaucoup». Dans aucune langue, ces deux mots ne sont synonymes.
Note 23: (retour) Minden tére hozzája veut dire «tous revinrent». Le texte hongrois dit sokan mennek, «beaucoup allèrent», ce qui est tout différent.

Rappelons que c'est là peut-être le chapitre qui contient le plus de preuves de cette ressemblance qu'on prétend établir entre les deux langues. Qu'eût pensé le lecteur de cette affinité dont on parle tant, si nous avions dit: Dans tout le chapitre XXV des actes des apôtres, qui contient vingt-sept versets, on n'a trouvé que la ligne suivante qui donnât des exemples de similitude, ou si nous avions copié l'un après l'autre tous les chapitres dont on n'a rien cité du tout parce qu'avec la meilleure volonté du monde (nous pouvons employer cette expression), il était impossible d'y trouver la moindre ressemblance de mots?

Finnois.

Huomena saat sinâ
hånendå cuulla.
Hongrois.

Hónap fogod te ötet hallani.


Demain tu l'entendras.

Celui qui parla le premier des rapports du hongrois et du finnois fut un de ces Slaves de la Hongrie dont on a invoqué à tort l'opinion comme étant celle des Hongrois, Sajnovicz. Dans la joie de sa découverte il s'écria: Demonstratio idioma Hungarorum et Lapponum idem esse, et il écrivit une liste interminable de mots comparés. Schlœzer, on va le voir, prit plus froidement les choses, et trouva le idem beaucoup trop fort. Ce fut, je crois, Sajnovicz qui donna cette chanson esthonienne que les Hongrois devaient comprendre, et qui a toujours été pour eux fort inintelligible 24.

Note 24: (retour) Cette chanson a été reproduite en entier dans un article de M. André Horváth (Tudományos Gyüjtemény, 1823, 2k Kötet.--Collection scientifique de Pesth), dont la lecture m'a été fort utile. Il est intitulé: Les Hongrois ne sont pas Finnois, A' Magyar nemzet nem Fenn.

Finnois.

Jos mun tuttuni tullissi
Ennen näh tyni näkyissi!
Silen sunta suika jaissin
Olis sun suden wenessä;
Sillen kättä käppä jaissin
Jospa kärmä kämmen päässä!
Traduction hongroise.

O vajha kegyesem jönne,
Vajha a'jol ismert megjelenne!
Miképp röpülne csókom ajka felé
'S ha bár róla farkasvér csöpögne is;
Miképp szoritnám az ö kezét
Ha bár kigyó átionná is!


Oh! si mon bien-aimé venait
Si le bien connu arrivait!
Comme mon baiser volerait vers sa lèvre,
Si même elle dégoûtait du sang du loup!
Comme je presserais sa main,
Si même un serpent l'entourait!

On se demande si c'est bien sérieusement qu'on a supposé de l'analogie entre le hongrois et le finnois, car il est impossible de trouver dans tous ces exemples quatre mots semblables. Quand on lit le français, l'italien ou l'espagnol, on reconnaît à chaque ligne le latin. Le valaque même, qui de tous les idiomes latins s'éloigne le plus de la langue-mère, a conservé des rapports évidents. J'ouvre le bréviaire valaque, et j'en copie la première phrase comparée avec la phrase latine.


Pentru rugaciunile sântiloru
Parintiloru nostri, Domne
Isuse Christose, Dumnedieulu
Nostru, miluescene pre noi.
Propter rogationes sanctorum
Parentum nostrorum, Domine
Jesu Christe, Domine Deus
Noster, miserere nostrum.

Mais que dire de cette chanson esthonienne, et de ces évangiles, et de ces dictionnaires comparatifs?

Au reste, pour répondre aux écrivains qui admettent que les deux langues se composent des mêmes mots, on peut se borner à rappeler ce qu'a dit Schlœzer, lequel a attaché son nom à l'idée de l'origine finnoise. Dans ce cas son jugement n'est pas suspect. La liste des mots comparés de Sajnovicz, dit-il, ne donne pas plus de cent cinquante-quatre exemples, et si on retranche les dérivés, il n'en reste pas même la moitié. D'après Schlœzer lui-même, il n'y a donc environ que soixante-dix exemples sur lesquels on puisse s'appuyer. Mais qu'y a-t-il de surprenant dans ce fait que les deux langues ont soixante-dix mots communs? Il est certain que les Magyars ont été en contact avec les peuplades finnoises. N'est-il pas naturel que des peuples si différents, venus de si loin, apportant des idées si diverses, se soient pris mutuellement quelques mots? Les Hongrois ont de même dans leur langue autant de mots allemands, plus encore; quelques uns sont empruntés au latin, et même, en cherchant bien, on trouvera dans la langue hongroise soixante mots français, outre que nous avons en français une dizaine de mots hongrois 25. En conclurez-vous que les Magyars sont Allemands, Latins ou Français?

Note 25: (retour) «Heiduque, trabant, hussard, schako, kolback, dolman, soutache», sont des mots hongrois francisés.

Et d'ailleurs, peut-on nier qu'il existe entre toutes les langues une certaine fraternité, de même qu'il existe une fraternité de race entre tous les hommes? De là vient qu'on a constaté entre le hongrois et le slave autant de rapports qu'entre le hongrois et le finnois.

La ressemblance d'une centaine de mots ne prouve pas l'affinité entre deux langues, et montre seulement que les nations qui s'en servent se sont pris mutuellement quelques expressions. Des peuples de même race doivent nécessairement avoir les mêmes racines, les mêmes mots primitifs. Ils doivent au moins donner les mêmes noms aux sentiments ordinaires à l'homme. Ces analogies, il est impossible de les montrer dans les langues hongroise et finnoise.

On objectera que les deux langues ont une même grammaire: voyons donc jusqu'à quel point cela est vrai.

Leem, Fielstrœm, Hœgstrœm, Ganander, Comenius, Fogel, Eccard, et beaucoup d'autres philologues, ont fait des conjectures sur la langue hongroise, mais ne la savaient pas. «Leurs inventions n'ont servi qu'à nous faire sourire», me disait un Hongrois; et, comme le remarque fort bien Sajnovicz, on ne peut absolument rien tirer de leurs observations. Heureusement le hongrois Gyarmathi a essayé de prouver cette affinité. Nous avons donc là quelque chose de sérieux à examiner.

L'ouvrage de Gyarmathi est très au dessous de son titre, qui est fort ambitieux. Il consiste en près de trois cents pages qui toutes contiennent des colonnes de mots comparés, dans le genre de ceux qu'on vient de lire. Çà et là sont quelques remarques fort courtes, placées en tête des chapitres et qui aboutissent à dire: Voici comment se forment dans les deux langues les terminaisons, ou bien: Voici comment se forment les comparatifs. Ces lignes sont suivies d'exemples qui montrent les comparatifs et les déclinaisons. De là vous passez aux colonnes d'adverbes, de prépositions, etc. Mais quant à la démonstration que ces langues sont grammaticalement semblables, vous la cherchez en vain, quoique le titre l'annonce hautement.

Quelques années avant, quand il n'était pas encore admis que les Hongrois se rattachaient à la race finnoise, Gyarmathi, qui connaissait parfaitement sa langue, avait publié un ouvrage dans lequel il en faisait ressortir les principaux caractères. Il n'avait alors aucun but: il n'écrivait pas systématiquement; il cherchait seulement à montrer le génie de la langue hongroise, «qui, comme il le rappelait, a des qualités qui lui sont propres et ne peut être comparée qu'aux langues de l'Orient» 26.

Note 26: (retour) Gyarmathi, Leçons raisonnées de langue hongroise. Clausenbourg, 1794 (en hongrois).

«Le génie de la langue hongroise, sa construction naturelle, ses mots primitifs, consistant d'une seule syllabe, ses affixes, ses inflexions, tout enfin montre que c'est une langue orientale. Ou peut donc se la figurer, par rapport aux idiomes de l'Orient, comme un de ces petits-fils provenant d'un même aïeul, et dont les pères étaient frères. C'est ainsi que s'explique la ressemblance qu'on retrouve entre toutes les langues orientales.» Pápay, Étude de la littérature hongroise, 1694 (en hongrois).

On doit regretter que le premier ouvrage de Gyarmathi ait été publié en hongrois et ne puisse pas être lu facilement, car il est une réfutation complète de celui qui l'a suivi. L'auteur lui-même compte si peu sur ce qu'il appelle sa démonstration grammaticale, que c'est surtout par le nombre de mots semblables qu'il compte frapper le lecteur, et il eût mieux fait d'intituler son livre Recueil de mots hongrois, finnois et lapons, suivis de quelques observations.

Gyarmathi compare d'abord l'alphabet russe et l'alphabet hongrois, parce que, dit-il, il a écrit les mots finnois et lapons d'après l'orthographe russe. Il eût mieux fait de les écrire d'après l'orthographe hongroise, car la comparaison entre les mots aurait été plus facile. Il eut dû à la place faire connaître l'alphabet finnois: on aurait vu de suite que les deux langues n'ont pas les mêmes sons. L'auteur évite encore de parler de l'ancienne écriture magyare, qu'il a donnée dans son premier ouvrage, et qui ne ressemble à aucune écriture connue.

Vient ensuite un chapitre sur les terminaisons. Il y a six pages de mots lapons et hongrois, qui n'ont pas du tout le même sens, mais qui, au dire de l'auteur, présentent des terminaisons semblables en as, es, is, os, etc. Ces pages sont précédées de quatorze lignes de texte dans lesquelles il prie le lecteur de remarquer les similitudes. On peut répondre que, si même les terminaisons se ressemblaient plus encore, il ne faudrait pas en tirer une conclusion, car des mots peuvent se terminer de la même manière dans deux langues sans que ces langues soient sœurs. Ce qui le prouve, c'est qu'entre la colonne laponne et la colonne hongroise se trouve une colonne de mots latins, qui donnent le sens des mots cités, et que parmi ces mots latins il y en a qui sont terminés en es, d'autres en is, lesquels font au pluriel es, c'est-à-dire qui sont absolument terminés comme les mots lapons. Cependant on n'a jamais dit qu'il y eût de l'affinité entre le latin et le finnois. Exemples:


Lapon.

teiwes; res
nelos, hæbes
zjengalwuådt, profunditas
idedis, matutinus
Hongrois.

tetves, pediculosus
nyeles, manubriatus
tsinálat, structura
idös, vetustus

Nous irions plus loin que Gyarmathi: nous pourrions trouver un grand nombre de mots hongrois et français qui n'ont pas non plus la même signification, mais qui se prononcent semblablement.

qui signifie
fót
bör
bor


szó
ár
szer
orr
sár
ser
liszt
por

szük
láng
sel se prononce comme
pièce
peau
vin
pierre
art
mot
prix
ordre
nez
boue
bierre
farine
poussière
large
étroit
flamme
chaud
faute
beurre
bord
queue
mue
sceau
art
serre
or
char
chair
liste
port
bœufs
suc
langue

Cette remarque est donc sans valeur, et il n'y a là aucune règle grammaticale à tirer.

Nous arrivons aux déclinaisons. Ici Gyarmathi remarque que le hongrois et le lapon n'ont qu'un seul genre: c'est une similitude. Mais il faut se rappeler que les langues finnoises sont asiatiques et possèdent quelques uns des caractères des langues orientales. Il n'y a pas de genre en hongrois: il n'y en a pas non plus en turc.

De ce qu'il n'y a pas de genre il résulte que les adjectifs sont invariables. C'est ce qui a lieu en lapon et en turc, aussi bien qu'en hongrois.

L'auteur met en regard des exemples de déclinaisons hongroises, finnoises et laponnes.

Lapon. Hongrois.
N. kabmak
G. kabmak en
D. kabmak i
A. kabmak eb
V. kabmak
A. kabmak est
soulier makk
makk é
makk nak
makk ot
makk
makk ostól
gland de chêne
Finnois. Hongrois.
N. cala
G. cala n
D. cala lle
A. cala a
V. cala
A. cala sta
poisson hal
hal é
hal nak
hal at
hal
hal astól
poisson

Je relis le plus consciencieusement du monde ces exemples, et il m'est impossible d'en tirer une autre conclusion que celle-ci: le génitif finnois fait an et le génitif hongrois é; le datif finnois fait le, et le datif hongrois nak; l'accusatif finnois est déterminé par un a, et l'accusatif hongrois par un t. Je demande s'il y a là la moindre similitude. Il est vrai que l'ablatif finnois calasta se rapproche du hongrois halastól; mais nous ferons observer que les Hongrois n'ont pas d'ablatif: ils rendent ce cas au moyen de plusieurs postpositions dont le choix est déterminé par les circonstances, suivant, par exemple, qu'il y a mouvement ou non 27. L'auteur a choisi celle qui se rapproche le plus de la terminaison finnoise; mais malheureusement pour lui halastól ne veut pas dire «du poisson» comme l'ablatif finnois, ce mot signifie «avec le poisson». Il eût dû mettre haltól. Là encore nons constatons une erreur volontaire.

Note 27: (retour) Város veut dire «ville». Ce cas ablatif «de la ville» pourra être rendu de différentes manières: a' városba, a' városban, a' varosból, a' várostól, a' városkoz, etc.

Les exemples de Gyarmathi sont suivis de quelques remarques fort insignifiantes et qui peuvent s'appliquer à toutes les langues. Ainsi il dit que les Lapons et les Hongrois se servent volontiers de répétitions.

Exemples:

Lapon.

pekkest pekkai
japest japai
Hongrois.

diribrol darabra
esztendöröl esztendöre


de frusto in frustum
de anno in annum

Mais comment l'auteur ne voit-il pas que cette observation n'a pas de sens, puisqu'il traduit ses exemples en latin au moyen de répétitions semblables?

Nous passons aux comparatifs. Quatre lignes de texte pour faire observer qu'ils se forment de même dans les deux langues, et une page d'exemples.

Lapon.

lickogas
lickogasab
lickuogasamus
nioska
nioskab
nioskamus
Hongrois.

boldog
boldogabb
leg boldogabb
nedves
nedvesebb
leg nedvesebb


felix
felicior
felicissimus
humidus
humidior
humidissimus

Voici une seconde similitude. Dans les deux langues les comparatifs prennent pour terminaison le b que nous avons déjà signalé à l'accusatif des mots lapons. Mais remarquez que le superlatif est tout différent, et que non seulement il est différent, mais qu'il prend en lapon une terminaison latine. Et cependant, encore une fois, personne ne fait dériver le latin du finnois, ou réciproquement.

On s'attend à une longue discussion grammaticale sur les adjectifs, qui sont très remarquables en hongrois. En effet, de tout accusatif d'un nom les Hongrois peuvent faire un adjectif en changeant le t en s. Ex.: ház, «maison», accusatif házat; adjectif házas, «qui a une maison». De cet adjectif ils peuvent faire un adverbe, házason, «en homme qui a une maison, en homme marié». De cet adverbe ils peuvent faire un verbe, házasodni, «se marier». Gyarmathi devrait remarquer ces particularités, qui font du hongrois une langue tout à fait originale, et les montrer dans la langue finnoise: c'est ainsi qu'il prouverait l'affinité; mais cela lui est impossible.

Sans dire un seul mot des adjectifs hongrois et finnois, qu'il eût dû de bonne foi examiner, il passe aux noms de nombre. Là encore quatre lignes de texte pour dire que ces noms se ressemblent, et deux pages d'exemples. Après les exemples de mots semblables qui ont été déjà transcrits, je ne me crois plus forcé d'en citer un seul. Il faut seulement avertir ceux qui consulteraient l'ouvrage de Gyarmathi qu'il a commis, là comme partout, ce que j'ai appelé innocemment des «erreurs volontaires». Pour avoir des ressemblances, il invente des noms de nombre qui n'existent pas en hongrois. Ainsi, au lieu de compter comme les hongrois: «vingt-deux, vingt-trois etc.», il fait dire: «deux dix un, deux dix deux, etc.». Cela peut être conforme aux règles finnoises, mais les Hongrois n'ont jamais compté de cette façon. Ces erreurs volontaires nuisent beaucoup à l'auteur, d'abord parce qu'il n'y aurait pas recours s'il plaidait une bonne cause, puis parce qu'on est autorisé à croire qu'il en commet également quand il cite les exemples finnois et lapons.

Viennent ensuite les pronoms possessifs. Ici Gyarmathi signale une autre similitude. En lapon et en hongrois, il n'y a pas proprement de pronoms. On exprime le possessif au moyen de lettres placées à la fin du mot. Le m, par exemple, exprimera le possessif de la première personne.

Lapon.

snarbmam
Hongrois.

ujjam


mon doigt

Ajoutons seulement, ce que ne dit pas Gyarmathi, que ce caractère se retrouve dans beaucoup de langues asiatiques: il se retrouve en turc de même qu'en hongrois.

Turc.

ana
anám
Hongrois.

anya
anyám


mère
ma mère

Nous arrivons aux verbes, aux postpositions, aux adverbes. Ici l'embarras de l'auteur redouble. En effet, c'est surtout par la formation des adverbes, l'emploi des postpositions, et les mille transformations des verbes, que le hongrois a un caractère particulier. Gyarmathi, dans son premier ouvrage, démontre, en s'appuyant sur l'autorité des philologues versés dans les langues orientales, que le hongrois, sous ce rapport, se rapproche encore plus de ces langues.

En hongrois les prépositions, comme les pronoms possessifs, se mettent, de même qu'en turc, à la fin du substantif.

Turc.

anadán
Hongrois.

anyától


de la mère

De telle façon qu'un nom, ainsi que le remarquait autrefois Gyarmathi, peut subir deux cent quarante-quatre variations. En lapon les postpositions ne se joignent qu'au pronom: elles restent séparées du substantif, lequel ne peut prendre les nombreuses formes des substantifs hongrois et turcs. C'est encore là une des originalités de la langue hongroise. En voici un exemple que me fournit le premier livre de Gyarmathi. Cette phrase: «prenez de ce qui est à vos seigneurs», se traduit en hongrois par deux mots: vegyetek uraitokéból Voici l'explication du dernier: úr veut dire «seigneur»; urak, «les seigneurs»; uratok, «votre seigneur»; uraitok, «vos seigneurs»; é indique le possessif et ból signifie «de». Les langues finnoises présentent-elles cette concision?

Les verbes peuvent se transformer, en hongrois, au point d'exprimer les changements ou tournures que nous rendons dans nos langues par plusieurs mots. Ex.: látok, «je vois»; látlak, «je te vois»; láthatok, «je puis voir»; láthatlak, «je puis te voir»; láttatok, «je fais voir»; láttathatok, «je puis faire voir»; látdogaltathatok, «je puis souvent faire voir».

Certes, voilà des particularités bien remarquables dans une langue. Je les indique à peine; mais Gyarmathi ne manque pas de les relever, de les énumérer toutes dans son premier ouvrage. Il va sans dire qu'il les passe entièrement sous silence dans son second. Au lieu de ses observations, qui s'appliquent au turc aussi bien qu'au hongrois, il aurait dû faire ressortir dans les langues finnoise et magyare les mêmes caractères, qui font que ces deux langues, semblables entre elles, diffèrent parfaitement des autres. Mais, nous l'avons dit, cela était impossible.

Nous avons parcouru l'ouvrage de Gyarmathi. Après les verbes et les pages d'exemples, viennent, sous le nom de syntaxe, quinze observations qui ne peuvent nullement satisfaire le lecteur, car la syntaxe hongroise est d'une étonnante originalité et repousse toute comparaison; puis soixante pages de mots qui passent pour semblables. À la suite de ces mots Gyarmathi a placé quelques remarques sur les langues finnoises qui lui furent inspirées par de nouvelles lectures, après qu'il eut fini son livre. Il refait le travail que nous avons analysé, mais en comparant cette fois le hongrois et l'esthonien. Pour ce qui regarde cette seconde partie, nous ne croyons pas devoir faire autre chose que de rappeler ce qui a été dit plus haut. Pour démontrer grammaticalement que deux langues sont sœurs, il faut faire voir dans ces deux langues non pas quelques similitudes et quelques terminaisons semblables plus ou moins défigurées, mais les mêmes racines, les mêmes caractères, les mêmes originalités, le même génie.

Nous nous bornons là. Mais, après avoir montré que les preuves de Gyarmathi sont nulles, nous pourrions signaler les mille différences qui séparent les deux langues et qui empêchent qu'elles ne puissent être sérieusement confondues.

Peut-être me suis-je trop étendu sur le livre de Gyarmathi; mais deux raisons me forçaient à entrer dans quelques détails. L'auteur, sachant parfaitement le hongrois, a écrit sous l'inspiration et avec le secours de philologues qui pouvaient lui donner sur les langues finnoises des renseignements précieux, et il était à même de prouver l'affinité des deux langues, si elle eût pu être prouvée. En outre les écrivains allemands s'appuient sur cette affinité beaucoup plus que sur les preuves historiques: il fallait en conséquence s'y attacher davantage.

Une des choses les plus curieuses qui se puissent lire dans les longues et nombreuses dissertations qui ont été écrites sur l'origine des Hongrois, c'est la manière dont Sajnovicz démontre que les noms de nombre dans les deux langues sont semblables. «Ixi, dit-il, veut dire en finnois «un». N'est-ce pas là le mot hongrois egy? Il suffit de mettre l'e à la place de l'i, le g à la place de l'x, et voilà le mot»! Sajnovicz n'a pas encore le mot, et il le sait bien. Il faut de plus qu'il change l'i en y. En effet l'y et l'i, en hongrois, ne sont pas une même lettre. Le mot egi, que Sajnovicz obtiendrait d'après son procédé, se prononcerait aigui, tandis que le mot hongrois egy, «un», se prononce comme le mot français aide, auquel on ajouterait un i entre le d et l'e, aidie. Sajnovicz devrait donc, pour avoir son mot, changer toutes les lettres. À coup sûr, si l'affinité n'a pu être prouvée par des écrivains aussi déterminés, on peut prédire qu'elle ne le sera jamais.

Il était écrit que ceux-là même qui voulaient établir l'analogie des deux langues fourniraient à leurs adversaires les meilleures armes pour les combattre. Gyarmadhi, par son impuissance à démontrer la ressemblance grammaticale, a prouvé jusqu'à l'évidence qu'elle n'existe pas, et une expérience faite par Sajnovicz prouve encore qu'il est impossible d'admettre une ressemblance quelconque. Sajnovicz a parcouru les pays habités par des hommes de race finnoise. Il leur a parlé hongrois, et ils ne l'ont pas compris. Ils lui ont parlé leur langue, et il ne les a pas compris. D'abord Sajnovicz ne se découragea pas. Il pensa que, les premières différences reconnues, il lui serait facile de retrouver le hongrois. Il resta donc près d'un an dans ces pays. De retour en Hongrie, il avoua avec bonne foi que, malgré son hongrois et son séjour, il n'était jamais parvenu à entendre le lapon, c'est-à-dire le dialecte finnois qui se rapproche le plus de la langue magyare, suivant les écrivains allemands 28.

Note 28: (retour) Ingenue profiteor me Lappones Finnmarchiæ non intellexisse...

Après un fait aussi décisif, d'autres eussent été convaincus que la ressemblance était imaginaire; mais cette expérience désespérante ne découragea personne. On croira que Sajnovicz du moins, qui l'avait faite, abandonna son idée favorite: erreur. Sajnovicz fut encore persuadé que les deux langues avaient une affinité évidente. Il expliqua ce qui lui était arrivé en disant que les langues s'altèrent avec le temps.

À cela on peut répondre victorieusement: Ou ce sont les Magyars qui ont conservé la vraie langue finnoise, que les Finnois ont perdue; ou ce sont au contraire les Magyars qui l'ont transformée. L'une ou l'autre de ces hypothèses est nécessaire, car tous les dialectes finnois ont de l'analogie; or toutes deux sont absurdes. En effet, comment supposer, dans le premier cas, que les Hongrois, qui ont traversé tant de pays et ont été en contact avec tant de peuples, aient gardé la pure langue finnoise, que cette immense nation qui occupe, selon Sajnovicz, tout le nord de l'Europe jusqu'à l'Asie, n'aurait pu conserver dans sa propre patrie? Et, dans le second cas, comment supposer que les Hongrois, qui ont occupé à différentes époques diverses contrées où ils sont encore, la Moldavie, la Transylvanie, la Hongrie, qui ont habité entre tant de nations, aient partout changé la langue finnoise au point d'en faire une nouvelle langue qui présente les mêmes caractères dans tous ces pays, et qui est devenue inintelligible pour les Finnois? Cette transformation aurait dû s'opérer en cinquante-six ans, puisque, d'une part, les Hongrois se séparèrent, dit-on, des Finnois en 625, et que, de l'autre, les moines de 1240 comprenaient parfaitement les Magyars de la Grande-Hongrie, lesquels avaient quitté leurs frères quand ceux-ci se rendirent maîtres de la Lébédie (en 681, d'après Engel).

Notez bien en outre 1° que, dès le cinquième siècle, les Sicules de la Transylvanie parlaient hongrois; 2° que la langue hongroise s'est si peu altérée, grâce à ce fait que la nation ne s'est mêlée à aucun autre peuple, qu'aujourd'hui encore les érudits hongrois lisent sans trop d'effort le biographe de sainte Marguerite 29.

Note 29: (retour) Ce livre date du siècle même du moine Julian, c'est-à-dire qu'en définitive il est écrit en hongrois du septième siècle.

En résumé donc, les écrivains qui admettent entre les deux langues une affinité quelconque, soit en s'appuyant sur une prétendue ressemblance de mots, dont Schlœzer lui-même a fait justice, soit en supposant certains caractères, certaines analogies, qu'il a été impossible à Gyarmathi de montrer, avancent un fait qui a été démenti de la manière la plus formelle par l'expérience de Sajnovicz.

Rappelons, avant de passer outre, que certains philologues ont comparé la langue magyare et la langue turque, et se sont précisément appuyés sur l'analogie de ces idiomes pour dire que les Hongrois sont Turcs d'origine. Il est fort remarquable que les savants se soient contredits de la sorte. De l'avis même des Magyars, c'est encore avec le turc que la langue hongroise a le plus de rapports. Cette opinion a été depuis long-temps exprimée en Hongrie, à l'époque où les Hongrois et les Transylvains étaient tributaires de la Porte et parlaient le turc. Leur avis doit avoir d'autant plus de valeur que parmi les écrivains qui ont voulu prouver l'affinité du hongrois et du finnois il ne s'en trouvait pas un qui connût les deux langues.


Quoique cette discussion soit déjà fort longue et ait dépassé les limites que je m'étais proposées, je ne puis m'empêcher de la terminer par quelques remarques qui ont échappé aux écrivains allemands, mais qui viendront à l'esprit de quiconque aura habité la Hongrie et connaîtra quelque peu les Hongrois.

Chaque race a son génie, son caractère, sa physionomie, c'est-à-dire sa langue, son histoire, son type. Tous les peuples d'une même race ont certaines analogies frappantes, lors même qu'ils se sont séparés de bonne heure les uns des autres, et se sont mélangés avec des peuples de race différente. C'est pourquoi notre Bretagne, province française, produit des hommes qui ne ressemblent pas plus aux hommes de la Lorraine, autre province française, que les habitants du Béarn ne rappellent ceux de la Provence: là, les races sont diverses. La France domine partout, et il existe un peuple français qui a absorbé toutes les races, pourtant les caractères et les physionomies ont conservé leur force et leur originalité.

Examinons donc si, en comparant les hommes de race finnoise avec les Magyars, on peut trouver ces analogies que je signale, et si cette comparaison donne de la force à l'opinion des écrivains allemands, ou lui fait perdre encore plus de terrain.

Ouvrons d'abord l'histoire. Que disent les historiens des Finnois et des Magyars au moment où ces derniers paraissent sur la scène?

Les Magyars se montrent comme vainqueurs des Bulgares, des Bisséniens, des Russes, et conquérants de la Pannonie. Ils sont dans une période ascendante. Ils diffèrent tellement des peuples qui les entourent, qu'au lieu de s'unir à eux, ils conservent leur nationalité, qu'ils ont précieusement gardée jusqu'à ce jour. Ils marchent sous la conduite de leurs vezérs 30, de leurs chefs; ils ont parmi eux des hommes chargés de la police du camp qui terminent les différends et punissent les voleurs 31. Les historiens modernes ont cherché les traces des invasions hongroises dans les monuments des nations attaquées: rien de mieux. Mais ils ont eu le tort de dépeindre les Magyars d'après le portrait exagéré par la peur que ces nations nous ont laissé. Si on veut les voir fidèlement décrits, il faut lire ce que disent d'eux les auteurs grecs et arabes qui les ont mieux connus. Ces historiens signalent «la probité des Magyars et la pureté de leurs mœurs»; ils nous les montrent «habitant des villes sous l'autorité d'un chef, se servant de vaisselle d'or artistement travaillée, et pratiquant la justice aussi sévèrement que les Romains». Ils parlent encore de la finesse de leur goût, de l'éclat de leurs costumes, et de leur penchant pour tout ce qui est magnifique. Évidemment ce peuple là ne venait pas du nord.

Note 30: (retour) En persan et en turc vizir.
Note 31: (retour) Verböczi, Decretum tripartitum, p. 1, tit. 3, § 2.

L'empereur Léon appelle les Magyars «un peuple libre, noble qui tâche de surpasser ses ennemis en bravoure, dur au travail et aux fatigues, et qui supporte gaîment la privation des choses les plus nécessaires.» Le Derbend-Naméh histoire de Derbend, écrite par Mahommed-Aiwabi-Achtachi, «parle clairement des Magyars qui avaient bâti la ville de Kizylar, aujourd'hui nommée par les Russes Kizlar, dont les édifices, dit l'historien arabe, paraissent de loin comme des monceaux de neige à cause de leur blancheur éblouissante 32. Il ajoute que parmi tous les peuples du Caucase les Magyars s'étaient distingués par leur caractère paisible, leur habileté dans l'exercice des métiers nécessaires à la communauté, leur belle taille, leur courage» 33... «En un mot, l'historien arabe les place au dessus de tous les autres peuples leurs voisins 34.» Regino lui-même, quoique allemand, écrit, dans le portrait peu flatté qu'il trace des Hongrois: «Il n'y a pas de crime plus grave à leurs yeux que le vol. Ils méprisent l'argent. Jamais ils ne connurent le joug étranger. Le courage de leurs femmes les a rendus aussi célèbres que celui des guerriers.» Pray montre que les Hongrois avaient déjà des hommes lettrés en Asie 35. Quand ils étaient encore nomades, on voyait parmi eux des poëtes qui pendant les fêtes chantaient les exploits des vezérs. Les députés de Dsabul portèrent à Constantinople, de la part des Hongrois, des présents dignes d'un empereur et une lettre écrite en langue scythe. Évidemment encore, les Magyars n'étaient pas un peuple sans culture.

Note 32: (retour) Les paysans hongrois, aujourd'hui encore, ont coutume de blanchir leurs maisons à certaines époques solennelles de l'année.
Note 33: (retour) Besse, Voyage au Caucase, etc., p. 344.
Note 34: (retour) Ibid., p. 150.
Note 35: (retour) Literas etiam didicere, quarum deinceps usum ad Mogolos itidem propagarunt, quos hodie etiam vetustis Iugurorum characteribus uti compertum est. (Pray, p. 32.)

Les Finnois, à la même époque, sont vaincus et domptés par les nations étrangères, et, sans jamais recouvrer leur indépendance, ils n'ont fait que changer de maîtres jusqu'à ce jour. Et dans quel état se trouvent-ils après que les écrivains bysantins et arabes ont fait des Magyars la description qu'on vient de lire? «Lorsque les Suédois ont subjugué les Finnois et les ont faits chrétiens, ceux-ci étaient rudes et sauvages, vivant sans chefs, traitant tyranniquement leurs femmes 36»..... À coup sûr, dès cette époque, les Magyars et les Finnois se ressemblent trop peu pour qu'on puisse les confondre. Les écrivains allemands n'ont pas tenu compte de ces différences, ou en ont parlé avec une légèreté inconcevable. Gebhardi, par exemple, prétend que les Hongrois et les Finnois avaient les mêmes idoles; et Cornides a prouvé 37 que les Hongrois n'avaient ni idoles ni dieux particuliers, mais adoraient un être suprême. Le manuscrit du Vatican nous les montre encore ainsi au treizième siècle: Pagani sunt..., sed nec idola venerantur.

Note 36: (retour) Lænder und Vœlker-Kunde, 4e vol., p. 419.
Note 37: (retour) De religione veterum Hungarorum. Viennæ, 1791.

Dès l'origine, il n'y a donc aucune ressemblance à constater entre les Magyars et les Finnois. Et quelle analogie découvrirez-vous aujourd'hui? Il est évident que ceux qui font venir les Hongrois, par les sources du Volga, du nord de l'Europe ou du nord-ouest de l'Asie, n'ont pas songé à la physionomie des Magyars ni à leur caractère. Il faut parcourir la Hongrie, non pas en aveugle, en nommant Hongrois tous les hommes qu'on rencontre sur sa route, mais en s'arrêtant dans la contrée où se sont fixés les Magyars, notamment dans ce qu'on appelle les Villes Haidonicales et la Cumanie. Il est impossible de ne pas être frappé de la beauté de cette race. Les Magyars sont grands, élancés, musculeux: leurs yeux et leurs moustaches sont noirs; ils ont le nez aquilin, les traits réguliers, et cet air de dignité qui est l'apanage des Orientaux. Au reste les écrivains allemands n'avaient qu'à lire ce que disent les chroniqueurs des chefs magyars. Le Notaire Anonyme dépeint ainsi Almos: Erat enim ipse Almus facie decorus, sed niger, et nigros habebat oculos, sed magnos, statura longus et gracilis...

Nous pourrions conduire le lecteur en Laponie, d'où beaucoup d'écrivains font partir les Hongrois, et lui rappeler les descriptions que donnent les voyageurs des habitants de ce pays glacé. «Nous les considérions, dit Regnard, depuis la tête jusqu'aux pieds: ces hommes sont faits tout autrement que les autres; la hauteur des plus grands n'excède pas trois coudées, et je ne vois pas de figure plus propre à faire rire.» Mais, sans aller si loin, peut-on établir le moindre parallèle entre les Magyars, tels que je viens de les représenter, et les Esthoniens, aux cheveux blonds, aux yeux bleus, à l'allure calme, au corps grêle et au vêtement grossier? Peut-on comparer les hameaux esthoniens, formés de quelques maisons groupées au hasard, avec les villages hongrois (et ceci est bien remarquable), qui s'étendent sur une seule ligne comme un camp? Vous ne trouverez dans aucun pays de l'Europe un peuple qui ait conservé ce caractère belliqueux, qui du premier au dernier homme soit éminemment cavalier comme A' vitéz magyar nemzet, «la vaillante nation magyare», ainsi qu'on dit toujours. Il n'en est pas qui ait acquis une telle réputation de loyauté, d'héroïsme et de bravoure chevaleresque.

Et ce superbe costume hongrois, le plus magnifique peut-être que les hommes aient jamais trouvé, ce costume d'une splendeur asiatique, qui a tout l'éclat de celui des Turcs sans en avoir la mollesse, les Magyars l'ont-ils apporté du Nord? Savez-vous quelles sont les épithètes qui, dans les glorieuses chroniques, comme dans les poésies nationales, comme dans la bouche de tous, accompagnent nécessairement le nom de Hongrois? Les voici: A' párduczos vitéz Magyar, «le vaillant Magyar couvert de peaux de panthère»; a' kaczagányos vitéz Magyar, «le vaillant Magyar couvert de peaux de tigre». Est-ce là la parure des hommes du nord? Certes, nous voilà loin des loups de la chanson esthonienne! Et puisque nous parlons encore de cette chanson, disons qu'elle n'est pas du tout dans le goût des chansons hongroises, qui rappellent beaucoup celles des Persans et des Arabes. La langue hongroise est colorée, pleine d'images et de métaphores. Le paysan appelle sa femme csillagom, «mon étoile»; gyöngyöm, «ma perle». Quand il vient demander la protection de son seigneur, il lui dit: Je me place sous vos deux ailes étendues, etc., etc. Ces expressions, que l'on citerait par milliers, sont caractéristiques dans la bouche du cavalier magyar, qui porte sur sa physionomie les signes certains de son origine orientale.

Ajoutons que ni dans les contes ou souvenirs populaires, ni dans les chants nationaux, il n'est fait mention d'un pays semblable à celui que les écrivains allemands donnent pour berceau aux Hongrois; tandis qu'une foule de proverbes et de comparaisons habituelles indiquent que la langue hongroise a dû se former dans un tout autre climat 38. Les Finnois n'ont pas de mots pour certains objets qu'ils n'ont jamais vus, et que les Hongrois désignent par un nom tout particulier, parce qu'ils les ont connus dans leur patrie première. Ex.: oroszlány, «lion»; öszvér, «mulet»; teve, «chameau»; sárkány, «dragon»; bibor, «pourpre»; bársony, «velours»; poroszka, «dromadaire» 39.

Note 38: (retour) Un seul exemple. Quand les Hongrois veulent marquer la beauté d'un objet, ils le comparent à une perle: gyöngy-ország, «un beau pays», mot à mot un «pays-perle»; gyöngy-élet, «une vie-perle, une belle vie». (V. la note plus loin.) Cette expression est littéralement populaire. Elle paraîtrait naïve dans la langue des salons, qui doit se ressentir du contact des idiomes étrangers. L'adjectif gyönyörü signifie «magnifique».
Note 39: (retour) Les Hongrois appellent poroszka-ló le cheval qui va à l'amble, parce que l'amble est l'allure du dromadaire.

Disons enfin que dans les vers affectionnés et répétés par le peuple, en Hongrie, il est souvent parlé de la beauté physique. Ce n'est pas autre chose que cette adoration de la forme commune à tous les Orientaux. Seulement ici elle est épurée par des sentiments plus élevés, inspirés par une civilisation meilleure. Il est certain que cette peinture et cette admiration de la beauté ne se retrouveront ni chez les Lapons, ni chez les Ostiacks, ni chez les Samoyèdes, et cela pour des motifs que chacun saura deviner.

Peut-être faut-il tenir compte de ces remarques et de celles qu'un observateur plus attentif ferait encore, tout autant que des preuves tirées des livres. Si même les historiens et les philologues démontraient dans leurs ouvrages que les Magyars sont des Finnois, malgré les protestations d'une nation entière qui, pour dire la vérité, sait mieux que tous les écrivains du monde ce qu'elle est et d'où elle vient; si, dis-je, ils le démontraient, et ils ne le démontrent pas, la question ne serait pas encore décidée. Les hommes d'étude auraient pour adversaires, et pour adversaires opiniâtres, les voyageurs, ceux qui ont lu, et qui de plus ont vu. Or les voyageurs ne manquent pas; il en est beaucoup qui prennent la peine de parcourir les pays habités par des hommes que l'on appelle frères et d'aller achever leurs idées dans la chaumière du paysan. Ceux-là ne peuvent croire que les Magyars soient de race finnoise, quand ils observent ces hommes venus du Nord, leur physionomie, leur allure, leurs costumes, leurs villages, leurs goûts, leurs mœurs, et qu'ils entendent leur langue.

Quoi! on retrouve au cœur de la France, on reconnaît encore à leur physionomie et à leur langue les fils des Celtes et ceux des Romains, malgré mille invasions, mille mélanges, et vous admettez que le peuple magyar, qui s'est toujours conservé pur de toute fusion avec les autres peuples, qui habite depuis dix siècles dans ce capharnaüm des nations qu'on appelle la Hongrie, sans être jamais uni à aucune d'elles, qui dans plusieurs pays parle la même langue et montre le même type, vous admettez que ce peuple se soit partout changé au point d'être précisément l'opposé de ce qu'il était auparavant? Mais cela est impossible.

Si vous ne l'admettez pas, vous devez supposer une autre chose impossible: c'est que ce costume éclatant des Hongrois, cette langue pleine d'images et de métaphores, ces figures orientales, ce caractère ardent, cette bouillante valeur, soient venus de la Laponie, de la Finlande ou de la Sibérie!

Un Hongrois à ce sujet retournait les vers d'Horace

... Neque imbellem feroces

Progenerant aquilæ columbam,

et s'écriait que l'aigle n'est pas couvé par la colombe.

Nous le dirons donc avec assurance, les Magyars ne sont pas Finnois.

Mais à quelle race appartiennent-ils?




§ 2

TRADITIONS HONGROISES


À quelle race appartiennent les Magyars?

Il m'arriva un jour de soulever cette question devant un Hongrois et un Allemand que je savais être d'avis opposé. J'avais dit à peine quelques mots que la discussion commença entre eux: c'était précisément ce que je voulais; de ce choc d'idées j'espérais tirer quelques lumières. À la fin l'Allemand, poussé à bout, s'écria: «Mais, si vous n'êtes pas Finnois, qu'êtes-vous donc?»--«Nous sommes, repartit son adversaire, ce que nous avons toujours été, et ce que nous serions encore à vos yeux, si vos savants s'en rapportaient à nous, des Huns.»

Répétons ici avec tous les historiens nationaux, et avec les traditions que les deux cent mille Sicules de Transylvanie conservent depuis treize siècles dans leurs montagnes, que les Hongrois sont des Huns 40.

Note 40: (retour) Il était généralement reconnu que les Hongrois étaient frères des Huns, quand parurent les ouvrages de Fischer et de Beyer. Leurs idées furent combattues; et, l'élan étant donné aux esprits, on vit se former une foule de systèmes, dont j'ai indiqué en commençant les plus raisonnables. Les premiers écrivains avancèrent que les Hongrois étaient étrangers aux Huns, et se rattachaient à la race finnoise. Depuis, quelques auteurs ont admis que les Huns appartenaient également à cette race: cependant leur opinion était démentie à l'avance par l'ouvrage de Deguignes.

La tradition qu'ils étaient frères des Huns s'est conservée chez les Magyars de la Hongrie jusque après le moyen âge, jusqu'au moment où la monarchie hongroise tomba à Mohács et que les glorieux souvenirs s'effacèrent. Il n'est pas un écrivain hongrois avant cette époque, où il était encore possible de consulter les documents originaux et de recueillir les traditions, il n'est pas un écrivain qui, en parlant de l'histoire de son pays, ne confonde toujours à dessein les Huns et les Hongrois. Le Notaire Anonyme et Kéza, qui vivaient au treizième siècle, ne laissent pas de doute à cet égard. Thuróczi et Bonfinio, qui écrivirent sous Mathias Corvin, commencent l'histoire des Hongrois à Attila. Le Cujas de la Hongrie, Verböczi 41, va chercher le germe des institutions hongroises jusque sous les tentes des Hongrois et des Huns: Hungari sive Hunni, dit-il.

Les écrivains postérieurs à cette époque n'avaient pas les ressources de leurs prédécesseurs: ils ont répété ce qu'avaient dit leurs devanciers, ou se sont attachés à raconter les faits présents qui avaient un intérêt immense. Car depuis le commencement de la domination autrichienne jusqu'à Joseph II, la Hongrie a été le continuel champ de bataille où les empereurs et les sultans mesurèrent leur ambition et leur force, pour le malheur des Hongrois, sur lesquels pesaient toutes les victoires. À la fin du siècle dernier, des écrivains distingués par leur science ont donné pour la première fois quelques histoires critiques de la Hongrie, à l'aide des vieilles chroniques et des mémoires écrits dans les temps modernes par des hommes qui avaient pris part aux événements. Il faut tenir compte sans doute de leurs travaux; mais par cela même que ces histoires sont critiques, raisonnées, elles sont faites sous l'influence de certaines idées. Pray lui-même a été souvent induit en erreur par les écrivains allemands. Ce n'est donc pas dans les historiens modernes que nous chercherons les traditions hongroises, car ils ont souvent puisé à des sources étrangères, et d'ailleurs ils ne pouvaient rien ajouter aux données des premiers chroniqueurs.

En même temps que ceux qui écrivaient l'histoire, préoccupés des événements qui s'accomplissaient sous leurs yeux, laissaient de côté les origines des Hongrois, les vieilles traditions, les vieux souvenirs s'effaçaient dans le peuple, en présence des calamités terribles qui l'accablaient et qui frappaient les esprits bien autrement que les récits des temps passés. On m'a assuré, en Transylvanie, que les Magyars de la Hongrie (j'entends ici les paysans) répètent le nom d'Attila comme celui d'un ancien vezér. Je n'ai pu vérifier ce fait, ayant non pas habité mais seulement traversé la contrée qu'ils habitent. Cependant je suis porté à croire que les souvenirs sont on peu affaiblis dans la Hongrie même, car parmi les ouvrages qui ont paru à Pesth et à Presbourg en réponse à ceux des écrivains allemands, il y en a plusieurs qui contiennent sur l'origine des Hongrois des idées contraires aux vieilles traditions comme aux récits des historiens. Il est très concevable, en effet, que les accusations dont les historiens nationaux ont été l'objet aient élevé certains doutes dans l'esprit de quelques Magyars, et que ces derniers, s'abstenant de les consulter, aient suppléé par des conjectures aux renseignements qui leur manquaient.

C'est là un mauvais système. Il ne faut pas rejeter les écrivains nationaux parce qu'on les a accusés. On doit au contraire s'en rapporter à eux, puisque leurs récits suffisent pour démentir une opinion évidemment fausse: c'est une première preuve qu'ils disent vrai. Si les traditions manquent en Hongrie, on les trouve vivantes en Transylvanie, parmi les Sicules. La force des souvenirs est si grande chez cette fraction du peuple magyar, que, dans le siècle où nous vivons, bien qu'il y ait quatorze cents ans que leurs pères ont quitté l'Asie, trois hommes sont partis courageusement, seuls, à pied, pour chercher le berceau des Hongrois, ou, comme ils disaient, des Huns, et sont allés jusqu'en Perse, jusqu'au Thibet. L'un était Csoma de Körös, qui est mort à la peine. Les deux autres, qui sont moins connus, MM. de Szemere et ***, sont retournés en Transylvanie, où ils vivent encore.

Il est naturel que les traditions se soient conservées dans toute leur force chez les Sicules. Débris des Huns, comme on le verra tout à l'heure, poursuivis par les nations autrefois soumises, les Sicules, pour se soustraire à leur vengeance, se retirèrent dans le pays qu'ils occupent encore aujourd'hui: il paraît même qu'ils y furent subjugués. Isolé, au milieu de hordes ennemies qui le pressaient de toutes parts, un jour vainqueur et maître, le lendemain vaincu et dompté, ce peuple a dû cruellement souffrir et se renfermer plus encore dans sa nationalité. Relevé un instant par l'apparition de cette seconde armée de Huns qu'on appela Avars ou Abars, puis enfin par l'arrivée des Hongrois, qui domptèrent à leur tour les possesseurs de la Dacie, les Sicules ne s'unirent pas aux nouveaux arrivants, qui se répandirent sur l'Occident pendant près d'un siècle. Tandis que les Magyars ajoutaient à la liste de leurs exploits les courses aventureuses qu'ils firent presque annuellement en Allemagne, en France et en Italie, les Sicules restaient dans leurs montagnes avec leurs souvenirs, qu'ils se sont fidèlement transmis jusqu'à cette heure. Quoiqu'ils aient le cœur hongrois et qu'ils ressentent pour la patrie commune cet ardent amour qui anime tout Magyar, cependant il est resté en eux un certain esprit de tribu, reste de l'ancien esprit de nationalité, qui les a soutenus dans l'adversité. Rappelant la position qu'ils occupent dans une contrée reculée, qui ne nourrit pas d'hommes de race étrangère, et faisant allusion à la situation des autres Hongrois qui sont environnés de nations diverses, les Sicules disent avec fierté: «Les vrais Magyars, c'est nous; ceux du reste de la Transylvanie sont des Valaques, et ceux de la Hongrie, des Allemands.»

Or, qui se sentira le droit de dire à une tribu sans mélange: Vos traditions perpétuées depuis treize siècles affirment que vous êtes des Huns. On doit les regarder comme certaines, car vous habitez un pays éloigné où rien d'étranger ne pénètre. Elles s'accordent merveilleusement avec les récits des historiens nationaux et ceux des historiens étrangers qui parlent de la Dacie du cinquième siècle. Cependant j'affirme que vous êtes dans l'erreur depuis treize cents ans, et c'est à moi de vous apprendre qui vous êtes.

Ou qui osera dire à cette tribu: Je reconnais que vous êtes des Huns, mais je n'admets pas que vous soyez Hongrois. Il m'est impossible d'expliquer pourquoi, après avoir gardé si fièrement votre nationalité depuis la mort d'Attila, vous êtes devenus tout à coup Hongrois; pourquoi, dans cette Dacie où chacun parlait et parle encore sa langue, vous avez subitement quitté la vôtre et adopté celle des nouveaux arrivants, qui n'ont pas pénétré jusqu'à vous, et par quel hasard vous avez précisément le même caractère et la même physionomie que les Magyars. Cependant j'affirme que vous n'êtes pas Hongrois.

Il faudrait un courage surnaturel pour tenir l'un ou l'autre de ces discours. Que si l'on préfère s'abstenir, la question est singulièrement simplifiée, car elle acquiert une précision mathématique.

En effet, s'il est constaté que les Sicules sont à la fois des Hongrois et des Huns, on en conclura que les Huns et les Hongrois ne forment qu'un seul peuple.



§ 3

RELATIONS DES HISTORIENS NATIONAUX.


Combinons les récits de Kéza, du Notaire Anonyme, de Thuróczi et de Bonfinio; et, en corrigeant ces historiens l'un par l'autre, recherchons quels furent les commencements des Hongrois 42.

Note 42: (retour) Il faut tenir compte des exagérations et des confusions que ces chroniqueurs n'ont pu éviter. Cette réserve est nécessaire quand on consulte les premiers historiens d'un peuple, dans quelque langue et dans quelque pays qu'ils aient écrit.

Sans remonter à la confusion des langues, comme les chroniqueurs dont je parle, disons seulement que les Huns entrent en Europe par le Caucase et la mer d'Azow (374). Ils paraissent en Dacie (376), en Pannonie (378), et livrent près de Polentiana (380) une bataille où périssent, selon Thuróczi, cent vingt-cinq mille Huns et deux cent dix mille Romains.

Maîtres de la Pannonie, les Huns ont une suite de chefs, puis choisissent ce guerrier fameux que les Hongrois ont appelé Ethele et les Occidentaux Attila. Kéza parle en détail de ce héros national. Il vante sa force, sa bravoure, sa générosité, voire même sa propreté et sa courtoisie. Il décrit ses habitations, dont l'une, décorée avec un goût extraordinaire, était ornée de colonnes dorées enrichies de pierres précieuses. Les harnais de ses chevaux étaient superbes; sa table, magnifiquement parée. Il avait sur sa bannière un aigle couronné, armes que les Hongrois ont gardé jusqu'au temps de Geyza. Enfin Attila était le plus grand roi du monde.

Nous ne suivrons pas les chroniqueurs hongrois dans le récit des victoires d'Attila, dont l'histoire est trop connue. Rappelons seulement qu'il était né, disent quelques uns, en Transylvanie, à Enyed, et qu'il partagea d'abord le pouvoir avec Buda ou Bléda, son frère: il le tua en 445.

(Les Sicules de la Transylvanie ont religieusement gardé les noms et les autres souvenirs de cette glorieuse époque. Ils affectionnent la ville d'Udvarhely, parce que la tradition rapporte qu'Attila y a campé. Ils nomment une montagne située près de cette ville, Bud' vára, «fort de Buda», parce que le frère d'Attila y a construit des retranchements qui se voient encore. Ils appellent Kadcisfalva, «village de Kadicsa», un village voisin, fondé par Kadicsa, un des quatre chefs sous lesquels les Huns entrèrent en Europe. Attila n'est pas seulement un héros national pour les historiens hongrois: il l'est encore aujourd'hui pour les Sicules 43.)

Note 43: (retour) Il y a même une famille, les barons Apor, qui passe aux yeux de tous pour tirer son origine d'Attila.

Il m'est arrivé un jour de regarder une copie de ce tableau de Rubens ou de Rembrandt que l'on appelle, si je ne me trompe, le Porte-Étendard, en présence d'un paysan sicule, qui certes n'était pas savant. Ce paysan me voyant en face du tableau, s'écria: Attila, Székely király, «Attila, roi des Sicules». En effet, le nom d'Attila se lisait à côté du drapeau. Ce nom seul disait beaucoup. Je fus charmé d'entendre cet homme parler ainsi, et, pour le mettre à l'épreuve, je haussai les épaules en disant: Attila nem vólt Székely, «Attila n'était pas Sicule».--Nem? «non?»... répliqua-t-il aussitôt. Attila Magyar király. «Attila, roi des Hongrois», cria-t-il alors, pensant que que je lui accorderais cela plus facilement; et il me regarda fixement, pour deviner ma réponse, de l'air d'un homme auquel on a fait tort.

Après la défaite de Châlons et la destruction d'Aquilée, Attila revient dans ses états--la Hongrie et la Transylvanie--et meurt. Dès cette époque les Huns s'affaiblissent. Leur puissance va bientôt tomber.

Attila laisse trois fils: Ellak, qui du vivant de son père était roi des Acatzes, près de la mer Noire; Dengezisch et Irnak.

(Les historiens parlent encore d'un Chaba ou Kaba qui serait le quatrième fils d'Attila. C'est une erreur. Kaba et Dengezisch ne sont qu'un seul personnage. Les Huns donnèrent à Dengezisch le surnom de Kaba, à cause de ses guerres malheureuses. Kába veut dire en hongrois «fou, étourdi» 44.)

Note 44: (retour) Transsilvania, sive magnus Transsilvaniæ principatus, olim Dacia Mediterranea dictus, auctore Josépho Benkö, Transsilvano-Siculo. Claudiopoli, edit. sec., 1834.

Les fils d'Attila se disputent le pouvoir. Les nations soumises profitent de ces discordes pour se révolter. Ellak est battu et tué par les Gépides. Dengezisch, qui lui succède, est vaincu par les Goths. Une partie des Huns gagne la Petite-Scythie: l'autre se fait battre par les Grecs. Dengezisch, à la tête de ce qui reste de Huns, attaque les Goths: vaincu, il se jette sur les Grecs, éprouve une seconde défaite et trouve la mort. Les Huns se dispersent, ils mettent à leur tête Kuturg Ur et Uturg Ur. Ceux qui obéissent à Uturg restent dans la Scythie, où s'était établi Irnak, troisième fils d'Attila.

(La Scythie prend alors le nom d'Hunnivár 45, qui signifie en hongrois «citadelle des Huns».)

Note 45: (retour) Du Buat, Hist. anc. des peuples de l'Europe, t. 8, ch. 3.

Les guerriers de Kuturg vont au delà de la mer d'Azow. Les uns et les autres s'unissent aux Avars, qui ne tardent pas à arriver. De là on les appelle Hunni-Avares.

(La dernière expédition de Dengezisch en Grèce a donné lieu à un proverbe hongrois bien remarquable. Pour exprimer un temps qui ne doit jamais venir, on dit: «Quand Kaba reviendra de Grèce.» Je ne sais si ce proverbe est encore usité aujourd'hui, mais il l'était au temps de Mathias Corvin, comme on le voit par ce passage de Bonfinio 46. Hi Chabam In Græcia interiisse reputarunt; unde orta proverbialis oratio, adhuc per Ungarorum ora vagatur: Tum redeas quando Chaba e Græcia revertetur.)

Note 46: (retour) Decad. 1, lib. 7.

Un petit nombre de Huns préfère rester en Dacie, selon le témoignage de Jornandès, plutôt que de s'aventurer dans de nouvelles courses. Ils occupent les vallées de la Maros et de l'Aluta. «Ceux-là, ajoutent les historiens nationaux, sont aujourd'hui nos Sicules.» ils habitent toujours les mêmes lieux. Ils les conservèrent encore après l'invasion des Avars; aussi quelques écrivains les font-ils venir avec ces derniers. Ces écrivains ont été induits en erreur par ce fait que Sicules et Avars étaient des hommes de même race. Les Sicules paraissent être restés en Dacie sous deux chefs, Elmedz Ur et Ultindz Ur.

(Les historiens modernes écrivent à tort Kuturgur, Uturgur..., d'où on a fait ces noms de peuple Kuturgures, Uturgures, etc. Il faut écrire Kuturg Ur, Uturg Ur, Elmedz Ur, Ultindz Ur, Kotrig Ur, Utrig Ur, etc. Le mot ur qui se trouve après les noms huns se met en hongrois à la suite des noms propres, et signifie «seigneur». D'ordinaire les Hongrois disent simplement les noms de personnes. Mais quand ils veulent marquer une certaine déférence pour celui dont ils parlent, ils ajoutent le mot úr à son nom. Andrási úr, par exemple, se traduira mot à mot «Andrási, seigneur», et pourra se rendre à peu près par «Monsieur Andrási». C'est la coutume de tous les peuples orientaux de mettre après le nom de la personne son titre ou sa dignité. On dit encore en hongrois: Mátyás Király, «le roi Mathias»; Biró kapitány, «le capitaine Biró». Les Turcs disent également Ibrahim pacha, Sélim bey.)

Les Sicules se retirèrent dans les montagnes qu'ils occupent encore aujourd'hui, soit pour se soustraire aux persécutions des Goths et des Gépides, soit parce que les Huns pendant leurs expéditions laissaient dans ces lieux leurs femmes et leurs enfants. Ils devinrent tributaires des Gépides.

(La tradition sicule assurait depuis treize siècles que le reste du trésor d'Attila, formé des tributs payés par les rois vaincus, était caché au pied d'une montagne. Eh bien! elle disait vrai. Il y a moins de dix ans que ce trésor a été trouvé au cœur du pays des Sicules, près de Korond. Il se composait surtout de pièces d'or de Bysance 47.)

Note 47: (retour) Les laboureurs qui l'ont découvert se sont enrichis en le vendant en détail. Celui qui écrit ces lignes a pu encore se procurer une des dernières pièces.

En 583, les Avars affranchissent les Sicules en battant les Gépides, de concert avec les Lombards. Ceux-ci sont appelés en Italie par l'eunuque Narsès. Les Avars restent seuls maîtres de la Dacie. Un certain nombre de Huns qui s'étaient fixés en Illyrie viennent les rejoindre. Tous ensemble attaquent l'empire d'Orient. Leur roi ou kagan meurt, et est remplacé par Kursz ou Kársz, qui fonde la ville de Kársz király árka 48.

Note 48: (retour) Benkö, Transsilvania.

(Ce nom veut dire en hongrois «Fossé du roi Kársz». On se rappelle quels étaient les retranchements des Avars. Évidemment ce sont les Avars qui ont donné à la ville ce nom, que les Hongrois ont trouvé et conservé.)

Kársz fait une guerre sanglante contre Maurice, empereur d'Orient. Les Avars assiégent Constantinople en 626. Le chan Bajan, leur chef, succombe dans une grande bataille. Dès lors ils décroissent, et Charlemagne les dompte en 803. L'arrivée des Hongrois, qui viennent, comme les Huns et les Avars, par le Caucase et la mer d'Azow, assure l'indépendance des Avars et des Sicules. Ceux-ci restent dans leurs montagnes; mais les premiers unissent leurs bandes à celles des Hongrois. Tout à l'heure ils étaient appelés dans les chroniques latines Hunni-Avares: ils prennent maintenant le nom hongrois d'Abar-Magyarok.

Les Hongrois se dirigent vers la Pannonie, simplement pour suivre la trace des Huns. Tunc elegerunt sibi quærere terram Pannoniæ, quam audiverant, fama volante, terram Athilæ regis esse, de cujus progenie dux Almus, pater Arpad, descenderat 49. À leur approche les peuples qui ont connu les Huns s'empressent de faire leur soumission. Sclavi vero, habitatores terræ, audientes adventum eorum, timuerunt valde, et sponte sua Almo duci se subjugaverunt, eo quod audiverant Almum ducem de genere Athilæ regis descendisse... 50. Tous les habitants apportent des vivres à l'armée envahissante, s'efforcent de captiver la bienveillance des chefs, leur racontent ce qui est arrivé après la mort d'Attila, car ils retrouvent dans les nouveaux venus ces mêmes Huns qui ont laissé une si terrible mémoire 51.

Note 49: (retour) Anonymus Belæ Regis Notarius, cap. 5.
Note 50: (retour) Anonymus Belæ Regis Notarius, cap, 12.

(La tradition sicule consacre aujourd'hui encore ce fait que, en apprenant l'arrivée d'hommes qui parlaient leur langue, les Sicules marchèrent au devant d'eux pour les guider, et les conduisirent en Dacie. Cette tradition subsistait encore chez les Magyars de la Hongrie au temps de Mathias Corvin. Je cite encore Bonfinio 52. Multi Siculos qui extremam Daciæ partem cum Attila occuparunt et hucusque tenerant, quam Transsilvaniam nunc appellant, his in Roxolanos usque, audito cognatorum adventu, et Amaxobios, quos nunc Ruthenos Rossiosve dicunt, occurrisse referunt.)

Note 52: (retour) Dec. 1, lib. 9.

Les Hongrois s'emparent de la Pannonie et se jettent sur l'Occident. Pendant près d'un siècle ils ravagent sans relâche l'Allemagne, la France et l'Italie. Ce n'est pas ici le lieu de retracer leurs incursions. J'emprunterai cependant un fait à M. Dussieux, qui a écrit l'histoire des invasions hongroises. Les Hongrois sont battus près d'Augsbourg par l'empereur d'Allemagne Henri l'Oiseleur. «Parmi les prisonniers étaient Leel et Bolchu, célèbres par leur naissance et par leur courage. L'empereur voulut voir ces deux guerriers, et leur demanda quel outrage ils avaient reçu des chrétiens pour venir ainsi dévaster leurs terres. «Nous sommes, dirent-ils, comme le fut Attila, les fléaux de Dieu.» Enfin les Hongrois quittent la vie aventureuse, sous Gejza, et entrent dans la grande famille européenne. C'est ici que je dois m'arrêter.

On a vu, dans ce résumé succinct qui vient d'être fait, que les Hun-Abar-Magyarok, pour parler comme les Hongrois, sont venus par le même chemin, à intervalles réguliers, et ont conquis tour à tour les mêmes contrées. Ils marchent tous sous la conduite de chefs librement élus. Ces chefs ont souvent les mêmes noms. Le nom de Béla, porté par plusieurs rois hongrois, est celui d'un chef des Huns. Attila a pour frère Buda: c'est un Buda qui s'arrête près du Danube à la tête des Hongrois, et fonde la ville de Bude. Les débris des armées dispersées recherchent avec empressement celles qui arrivent. Les Huns accourent de l'Illyrie pour s'unir aux Abars. Ceux-ci, ainsi que les Sicules, marchent au devant des Hongrois. Les nations vaincues par les Huns reconnaissent des Huns dans les Hongrois, et se soumettent à l'avance. De leur côté les Hongrois ne sont conduits en Pannonie que par le souvenir d'Attila, dont ils veulent reconquérir le royaume, et c'est encore le souvenir d'Attila qui les lance sur l'Allemagne, l'Italie et la France.

Je demande s'il est rien de plus simple, de plus naturel, de plus conséquent que les relations des chroniqueurs hongrois. Il fallait vraiment qu'il y eût un parti pris de les réfuter, pour mettre leur véracité en doute. Certes, il y a bien des faits avérés historiquement qui ne sont pas confirmés par des preuves aussi fortes. Et quand les récits des historiens nationaux sont si clairs et si simples, où est la nécessité d'aller chercher si loin, pour les Hongrois, une origine à laquelle ils n'ont jamais songé, et de les convertir en Lapons, en Esthoniens, en Kalmoucks, en Baschkirs, en Groënlandais, etc., etc., etc., car on a peine à suivre l'imagination teutonique dans toutes les régions où il lui a plu de s'égarer. Il faut avoir visité l'Allemagne pour comprendre comment certaines erreurs naissent et prennent consistance dans cette docte et studieuse contrée. Il faut avoir vu les hommes de talent, vivant dispersés dans de petites villes, au milieu d'un cercle de partisans, et s'attachant d'autant plus à leurs opinions qu'elles sont moins contestées autour d'eux.

Admettons donc ce premier point: en disant que les Hongrois sont des Huns, les historiens nationaux sont appuyés par les traditions hongroises. Il reste à démontrer qu'ils sont également d'accord avec les historiens étrangers. Mais avant de sortir des preuves tirées des monuments hongrois, essayons de répondre à ceux qui les ont repoussées.

On s'est attaqué principalement aux Sicules: car, s'il faut reconnaître en eux les restes des Huns, l'origine des Hongrois n'est plus douteuse. Quelques érudits ont nié qu'ils aient habité la Transylvanie dès le cinquième siècle, comme débris des Huns. Ils ont osé dire à des hommes dont l'amour national est le plus fort des sentiments que leur attachement à la mémoire des Huns était chose fort absurde, par l'excellente raison qu'ils étaient d'avis, eux écrivains, que les Huns et les Sicules n'avaient aucune espèce de parenté.

Un jésuite allemand, Fasching 53, rappelant ce passage des historiens nationaux qui porte à trois mille le nombre des Huns restés en Transylvanie, trouve impossible que trois mille hommes aient occupé la Dacie, quand les Romains, avec toutes leurs forces, ne purent la conserver. Il suppose que les Sicules sont simplement des Jazyges, placés par Béla IV aux frontières, dans le treizième siècle, pour défendre le pays contre les Tatars.

Note 53: (retour) Je cite avec quelques détails les opinions de Fasching et d'Engel, parce qu'elles ont été généralement adoptées. Ce fut après eux que les écrivains allemands développèrent hardiment leur système.

En niant qu'un petit nombre de Huns soient restés en Dacie, Fasching n'est pas seulement en contradiction avec les chroniqueurs hongrois, il l'est encore avec Jornandès, dont il faut se méfier quand il parle des Goths, mais dont la véracité du reste est des mieux constatées, et il l'est de plus avec tous les écrivains sicules, qui ont constamment affirmé le même fait. En outre Kéza et Thuróczi, en donnant ce chiffre de trois mille, font entendre qu'il s'agit seulement des guerriers. Or ces guerriers avaient leurs femmes et leurs enfants, ce qui porte à quinze mille environ le nombre des Huns restés en Dacie. Est-il donc absurde de croire que ces quinze mille individus, qui, suivant Kéza, absorbèrent les Valaques qui se trouvaient parmi eux, aient pu vivre dans des montagnes reculées, jusqu'à l'arrivée des Avars et des Hongrois, et qu'ils se soient multipliés en treize siècles au point de former une tribu à part de deux cent mille âmes? Fasching trouve impossible que trois mille Huns occupent la Dacie, que les Romains avec toutes leurs forces ne purent conserver. Il a certes parfaitement raison. Mais, loin de le supposer, nous disons au contraire qu'ils se retirèrent dans les montagnes pour se faire oublier, qu'ils payèrent un tribut aux Gépides, et qu'ils ne furent délivrés que par l'arrivée de leurs compatriotes. Enfin Fasching, en avançant que les Sicules ont été placés aux frontières par Béla IV, commet une erreur très grave. En effet, saint Étienne, qui fonda le royaume de Hongrie et divisa en comitats le territoire hongrois, ne compte tout le pays occupé par les Sicules que comme un seul comitat. De là le titre de comes Siculorum que portèrent après lui les rois de Hongrie, et que portent de nos jours les empereurs d'Autriche. Cela est constaté dans les lois hongroises. Ce fait montre qu'au temps de saint Étienne les Sicules avaient déjà le pays qui porte leur nom et qu'ils occupent toujours. Est-il besoin d'ajouter que saint Étienne a vécu au commencement du onzième siècle, et que par conséquent les Sicules n'ont pu être postés aux frontières sous Béla IV dans le courant du treizième?

La plupart des écrivains qui n'ont pas voulu reconnaître dans les Sicules les débris des Huns se sont accordés à dire qu'ils n'étaient autre chose qu'une fraction de Cumans, lesquels s'emparèrent de la Moldavie (Atelkouzou) dans le même temps que les Magyars d'Árpád se rendaient maîtres de la Pannonie. On a supposé que plusieurs milliers de Cumans avaient passé les montagnes de la Moldavie et étaient venus s'établir en Transylvanie sous le nom de Sicules. Engel, en sa qualité d'Allemand un peu magyarisé, arrange toute une histoire en s'appuyant sur la langue hongroise. Mais cette opinion n'est pas fondée. D'abord on ne trouve dans aucun historien ni dans aucun document quelconque cette transmigration de Cumans. De plus, une pareille hypothèse est en contradiction avec les faits.

Les différentes tribus hongroises qui marchèrent vers l'Europe se firent en chemin la guerre. Cela est arrivé au reste à toutes les tribus des grandes nations. Elles se sont toujours battues entre elles, soit dans la patrie même, quand la population devenait trop nombreuse, soit en route, quand elles se disputaient un nouveau sol. Les tribus hongroises se combattirent dès l'Asie, et continuèrent à se faire la guerre en Europe. Les Cumans, par exemple, défendirent la ville russe de Kiew contre les Magyars. Il est vrai qu'ils s'unirent le lendemain de la bataille. Après que le royaume de Hongrie fut fondé, l'esprit de tribu dura encore. Les Magyars, qui marchaient sous Árpád, avaient pris plus d'importance que les autres tribus, et le pays s'était appelé «royaume Magyar», Magyar ország. Tous ne formaient plus qu'un seul peuple. Mais il restait encore dans chaque bande un esprit de tribu, et des révoltes éclatèrent parmi ceux qui n'étaient pas Magyars. Les Cumans se soulevèrent sous Ladislas IV, vers la fin du treizième siècle. Ils habitaient plusieurs points du royaume. Partout et en même temps ils prirent les armes, car ils obéissaient tous à cet esprit de tribu qui était alors dans toute sa force et qui n'a pas entièrement disparu de nos jours. Or, entre les Hongrois restés fidèles, quels furent ceux qui se levèrent les premiers pour comprimer la révolte? Les Sicules, que l'on veut confondre avec les Cumans; les Sicules, qui se révoltèrent aussi de leur côté, à d'autres époques. Voici le commencement d'une charte accordée le 17 septembre 1289 aux Sicules par Ladislas IV, laquelle fait complètement justice de l'opinion que nous combattons en ce moment:

Consideratis fidelitatibus et meritorum servitiis Siculorum nostrorum quæ primo Domino Regi Stephano, patri nostro carissimo, et per consequens nobis, cum summo ardore fidelitatis laudabiliter exhibuerunt:--nam, cum Comani, versi in perfidiam, ausu temerario elevato vexillo, crimen læsæ majestatis non formidantem in Houd 54 contra personam nostram insurrexerant, convenerant; iidem Siculi, dubios eventus fortunæ non verentes, nobis cernentibus, contra ipsos Comanos, et aciem eorumdem, se viriliter et laudabiliter opposuerunt, et in eodem prælio nobis multipliciter meruerunt complacere... 55.

Note 54: (retour) Vieux mot hongrois pour Had, «guerre».
Note 55: (retour) Benkö, Transsilvania.

Il faut remarquer avec quelle assurance les écrivains allemands avancent que les Sicules sont tantôt des Cumans, tantôt des Jazyges, et cela sans aucune espèce de preuves. On ne s'étonnera pas alors qu'Engel, marchant sur les traces de ses devanciers, ait composé une véritable histoire. Dans l'année 893, dit-il, les Magyars se trouvaient dans la grande Moravie, où Arnoulf les avait appelés; ils avaient laissé leurs vieillards dans la Moldavie supérieure, sous la garde de quelques guerriers, quand les Bulgares et les Petchénègues fondirent sur leurs terres. Les guerriers s'enfuirent et se réfugièrent dans les montagnes qui séparent la Transylvanie de la Moldavie. Telle est l'origine des Sicules. Les Magyars les retrouvèrent quand ils vinrent en Transylvanie, et, comme ils étaient prodigues de sobriquets, il est probable qu'ils les nommèrent Székely (de szökni, fuir). C'est pour cette raison qu'ils furent condamnés à marcher à l'avant-garde des armées hongroises, et qu'ils furent appelés dans les annales nequissimi et vilissimi 56.

Note 56: (retour) Les Sicules sont appelés en hongrois Székely, parce que, dit-on, les Huns laissaient leurs femmes et leurs enfants dans les montagnes qu'ils occupent aujourd'hui, et qui furent appelées Szék hely, «lieu de la demeure». D'autres pensent que les Magyars, trouvant l'administration sicule toute organisée, appelèrent le pays des Sicules Szék hely, ce qui veut dire aussi «lieu de siéges». Le jésuite Timon prétend que Székely dans le vieux hongrois signifiait «gardien», et que les Sicules reçurent ce nom parce qu'ils gardaient les frontières. Verböczi écrit que les Sicules sont appelée ainsi par corruption de Scythules (Scythuli), parce qu'ils étaient venus de la Scythie, comme tous les Huns.

Aucune preuve ne vient appuyer le récit d'Engel: il est au contraire démenti par plusieurs faits. Les Sicules ont reçu quelquefois des épithètes peu flatteuses, à cause de leurs révoltes, et de l'envie qu'excitaient leurs priviléges; mais tous les documents hongrois signalent leur bravoure. Ils sont appelés dans le décret Tripartit 57 rerum bellicarum expertissimi, et dans le Diplôme de Léopold 58 genus hominum bellicosissimum. Pour mettre à profit leur humeur belliqueuse, les rois de Hongrie leur imposèrent le service militaire, en les exemptant de toute autre charge. Ce service consistait à marcher à l'avant-garde des armées hongroises pendant la guerre, et à garder les frontières pendant la paix. Il est étrange qu'Engel, oubliant l'histoire, trouve cette singulière explication aux devoirs militaires des Sicules. Les Hongrois d'ailleurs n'auraient pas commis l'imprudence de mettre à l'avant-garde les hommes les plus lâches de l'armée.

Note 57: (retour) Livre de lois hongroises.
Note 58: (retour) Charte de Transylvanie.

Voilà les objections qui ont été faites aux Sicules. Ils répondent, ce nous semble, suffisamment. De la discussion historique qui précède ressort ce fait que les Sicules occupent la Transylvanie dès le cinquième siècle, fait qu'il est impossible d'expliquer si on repousse les écrivains hongrois.

Nous arrivons donc, en étudiant l'histoire, aux mêmes conclusions qu'en consultant la tradition, à savoir que, les Sicules étant reconnus pour des Huns et pour des Hongrois, il en résulte que les Hongrois sont des Huns.



§ 4.

RELATIONS DES HISTORIENS ÉTRANGERS.


Consultons maintenant les chroniques des différentes nations qui ont eu successivement à se défendre contre les Huns, les Avars et les Hongrois. N'ont-elles pas reconnu les mêmes ennemis dans les armées qui les attaquaient sous ces trois noms?

Voyons d'abord les historiens bysantins. Jean Malala et Théophane appellent les Avars un peuple hunnique. Simocatta écrit d'eux, après les avoir nommés Avars: «Ces Huns, voisins du Danube, forment le plus fourbe et le plus avide des peuples nomades.»

Léon Diacre, en parlant des Hongrois qui firent en 961 la guerre à l'empire, dit: «Ils portent le nom de Huns.» Cinname et Théophane donnent continuellement le nom de Huns aux Hongrois. Nicéphore Grégoras, en racontant l'irruption mongole de 1224, qui mit le royaume de Hongrie à deux doigts de sa perte, dit que les peuples qui habitaient alors près du Danube «s'appellent Huns et Cumans». Enfin Ducas, qui écrit au quinzième siècle, désigne encore les Hongrois sous le nom de Huns.

Que les premiers annalistes, au moment de l'apparition des Magyars, aient écrit des erreurs sur leur origine, il n'y a personne qui s'en étonne. Qu'un certain nombre d'écrivains bysantins aient donné à ces nouveaux venus le nom de Turcs, c'est encore ce que l'on peut expliquer: les Grecs appelaient ainsi tous les peuples nomades 59. Mais au quinzième siècle, au temps de Jean Hunyade, quand les relations entre Bude et Constantinople étaient si fréquentes, des écrivains pouvaient-ils commettre une erreur aussi grossière? Et s'ils se servaient précisément du nom de Huns, n'était-ce pas parce qu'ils se savaient bien informés?

Note 59: (retour) «De même que les historiens chinois, arabes, et, en général, tous les écrivains orientaux, ils appliquent indistinctement aux peuples nomades la dénomination de Turcs. Ce mot, dans les langues orientales, signifie «émigrants». En langues chaldéenne et syriaque, tarek (adjectif) et tiruk (substantif): en arabe tharaka veut dire «abandonner». Il est à remarquer que le nom de Turc, qui se retrouve souvent dans les historiens, n'était porté par aucun des peuples auxquels on l'a donné. Les Turcs-Hongrois se nomment Magyars. Les Turcs de Constantinople s'appellent Osmanlis, etc.» Etienne Horvat, Pesth.

Les historiens occidentaux ne sont pas moins clairs que les écrivains bysantins. Ouvrons les recueils de dom Bouquet pour la France, de Pertz pour l'Allemagne, de Muratori pour l'Italie, et voyons si les occidentaux avaient retrouvé des Huns dans les Avars.

La Chronique de Verdun, les Annales d'Eginhard, les Annales Pétaviennes, les fragments d'Annales de 768 à 806, donnent toujours aux Avars le nom de Huns. Dans les Annales de Fulde, la Chronique de Sigebert, les Annales Francorum de 714 à 817, nous trouvons tantôt le nom de Huns, tantôt celui d'Avars. Les auteurs de ces chroniques ne commettent ici aucune confusion. C'est toujours de ce peuple habitant la Pannonie, au milieu des Slaves, qu'ils veulent parler. Quelquefois ils nous avertissent qu'il porte les deux noms. La Chronique d'Herman, par exemple, nous dit: Hunni, qui et Avares, a Caroli vincuntur exercitu. Nous lisons dans Paul Diacre: Alboin vero cum Avaribus, qui primum Huni, postea a regis proprii nomine Avares appellati sunt... Au troisième livre des Gestes des Français d'Aimoin, on trouve: Tunc temporis Huni, qui et Avares dicuntur, a Pannonia egressi, in Thoringam bella gravissima cum Francis gesserunt. Qu'on ne s'imagine pas que les annalistes aient été induits en erreur parce que les Huns et les Avars venaient de la Pannonie. Ils les distinguaient précisément des autres peuples qui ont possédé cette contrée entre les diverses invasions hunniques.

Il n'est pas nécessaire de multiplier les citations. Disons seulement que les Annales de Saint-Gall, les Annales Francorum de 761 à 814, les Annales de Metz, la Vie de saint Rudpert, les vers de Théodulfe, ceux du poëte Saxon, et d'autres écrits encore, constatent ce fait, avec les chroniques déjà citées, que les Avars étaient reconnus pour des Huns. Il en est de même des Hongrois.

L'auteur des Gestes de Louis le Débonnaire, après avoir dit que l'empereur passa le Rhin «pour yverner en un lieu qui en Tyois est apelez Franquenoforth», ajoute: «Là fist assembler un parlement de toutes les nations qui de là le Rim obéissent au roiaume de France: ovec les princes dou païs ordena en ce parlement de toutes les choses qui apartenaient au porfit de la terre. En ce parlement oï et congea dui manières de messages des Normans et des Avares, qui or sont apelé Hongre, si com aucun volent dire.» Remarquez combien notre chroniqueur est exact. Ces événements se passent en 822: aussi a-t-il conservé le nom d'Avars. Mais comme au temps où il écrit les Avars sont oubliés et remplacés par les Hongrois, il prévient son lecteur, pour plus d'éclaircissements, que les deux peuples n'en font qu'un. Le chroniqueur du monastère de Saint-Wandrille donne des détails aussi circonstanciés. Il dit positivement que les Huns, les Avars et les Hongrois, ne sont qu'un seul peuple. Quand il raconte le partage de l'empire français entre les fils de Louis, Ludovicus, dit-il, præter Noricam, id est Bajoariam, quam habebat, tenuit regna quæ pater suus illi dederat, id est Alemanniam, Turingiam, Austrasiam, Saxoniam, et Avarorum, id est Hunnorum seu Ungarorum, regnum. Les Annales de Fulde appellent toujours les Magyars «des Avars auxquels on donne le nom de Hongrois», Avari qui dicuntur Hungari.

J'abrège et ne fais pas mention des chroniqueurs ni des poëtes qui emploient les mots Hunni ou Avares quand ils parlent des Hongrois. Il y en a beaucoup 60.

Note 60: (retour) V. entre autres, dans Muratori, le panégyrique de Bérenger et les notes, ainsi que les additions à la chronique de Salerne: Hunni et Avares eadem gens fuere qui postea Hungri seu Hungari appellati sunt, et adhuc appellantur...

Les écrivains que nous venons de citer ont commis, il est vrai, bien des fautes par ignorance. Mais ils nous paraissent bien informés quand ils confondent à dessein les Huns, les Avars et les Hongrois. Il est impossible de comprendre comment les chroniqueurs français, allemands et italiens, écrivant dans des temps et des pays divers, commettraient précisément les mêmes erreurs que les annalistes hongrois et bysantins, dont ils étaient fort éloignés. Si tous s'accordent, c'est parce qu'ils disent vrai.

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