Essai sur la littérature merveilleuse des noirs, suivi de Contes indigènes de l'Ouest africain français - Tome premier
Quelques mots me restent à ajouter touchant la forme des récits que je publie. Sa relative correction a surpris plus d'un de mes collègues à qui j'avais communiqué mon manuscrit. Moi-même je suis resté quelque temps indécis, me demandant si je ne devais pas les présenter dans la forme brute sous laquelle ils m'avaient été contés. Le résultat obtenu par quelques folkloristes qui avaient adopté cette méthode m'a tout à fait détourné de l'employer à mon tour.
En ce qui concerne les parties rythmées, et chantées je les ai transcrites textuellement. J'étais d'abord assez sceptique sur la réalité de leur existence et les ai tenues longtemps pour une fantaisie de traducteurs qui auraient voulu imiter la forme des contes de Perrault ou de Mme d'Aulnoy. Je le croyais d'autant plus que dans aucun des récits recueillis par moi, au Sénégal et en Guinée, je n'en avais trouvé la moindre trace et que les contes des Mille et une Nuits n'en présentaient point d'exemple dans la traduction, d'ailleurs médiocrement fidèle, de Galland. Depuis mon arrivée au Haut-Senégal-Niger, j'ai eu au contraire maintes fois l'occasion d'en entendre chanter et une traduction des contes inédits des Mille et une Nuits, lue depuis cette époque, m'a convaincu que dans toutes les littératures merveilleuses le petit couplet est une partie essentielle du conte. C'est en souvenir de ce démenti donné à ma première opinion que je n'avance que sous réserves les convictions que je me suis formées en matière de folklore, préférant n'être formel qu'en cas de certitude absolue.
Ces petites strophes se chantent sur un rythme monotone. Le conteur, pour les chanter, adoucit la rudesse de sa voix masculine en prenant une voix de tête dont l'effet devient assez comique, par contraste, lorsque c'est, par exemple, un garde-cercle qui raconte.
Quant au style, en général, je renvoie à ce que j'ai dit au début de la préface. La traduction a été aussi littérale que possible, tout en tâchant de garder à ces contes faits pour être dits à haute voix toute la saveur qu'y ajoute la mimique expressive des conteurs. J'avoue toutefois que pour leur donner plus de vivacité, j'ai substitué parfois le style direct au style indirect et que j'ai remplacé, de temps à autre, par des noms les périphrases qui désignaient les personnages. S'il y a péché, le fait de l'avouer me vaudra, je l'espère, un demi-pardon.
CHAPITRE III
SOMMAIRE: Personnages merveilleux des contes indigènes.—1° Personnages merveilleux. La divinité: Allah, Outônou, Ouinndé, Ngouala.—Potentats débonnaires: les «guinné».—Pourquoi on a diversifié leurs appellations génériques.—Différence avec les djinns arabes.—Mélange du génie africain et du démon sémite.—Répugnance des noirs à les désigner sans périphrase.—Leurs diverses appellations.—Géants et nains.—Personnification des quatre éléments.—Les démons et les hafritt.—Les animaux-génies.—Conceptions différentes des animaux, personnages des contes et des animaux jouant un rôle dans les fables.—Aspect physique des guinné.—Effet produit par leur vue.—Moyen d'en éviter ou d'en réparer les effets.—Ouokolo, tyityirga, konkoma, gotteré.—Moeurs des guinné.—Leur caractère.—Moyen de se soustraire à leur malfaisance.—Intervention éventuelle.—Leurs unions avec la race humaine.—Leurs métis.—Enlèvements et substitutions d'enfants.—Les bàtitado.—Durée de la vie des guinné.—Goules et vampires.—Sorciers et anti-sorciers.—Jettatori—Végétaux, minéraux, objets, abstractions jouant un rôle dans les contes.—Talismans, remèdes merveilleux, armes magiques.
Chaque littérature merveilleuse a ses personnages de prédilection: êtres surnaturels ou êtres humains. Les êtres surnaturels se distinguent par les traits, le caractère, les moeurs, l'apparence physique que leur prête l'imagination des conteurs; les hommes d'après leurs professions, certaines de celles-ci étant plus souvent mises en scène que les autres68.
Nous allons passer en revue, étudier sommairement les divers personnages des contes indigènes en indiquant les attributions qui leur sont conférées selon les différentes races qui les imaginèrent.
Tout d'abord, constatons le rôle de la divinité dans quelques-uns de nos contes. Le dieu s'appelle Allah dans les contes des peuples anciennement islamisés et il a, en gros, le caractère du dieu de Mahomet. Chez les Bambara à demi-fétichistes, il devient Gouala ou Nouala et la conception arabe est déjà déformée sensiblement. Quant au dieu des Môssi, il est d'un caractère plus autochtone, c'est Ouinndé. Il en est de même d'Outênou, la divinité des Gourmantié.
En général, ces dieux sont des souverains débonnaires et qui tiennent à l'homme de très près: Outênou pardonne aux méfaits de ce sacripant de Fountinndouha et s'en fait même le complice puisqu'il se laisse corrompre par la promesse d'un bounia69. NGouala, passagèrement gêné dans ses affaires, demande du crédit à ses obligés. Outênou philosophe avec un marabout. Les races qui ont imaginé ces potentats accommodants ne peuvent être ni méchantes, ni foncièrement férues de hiérarchie.
Pour messagers ces dieux ont les malakas de même qu'un nâba môssi, ses soronés ou un bâdo gourmantié, ses lâris.
Démons.—Les démons, ce type de la révolte vaincue et de l'éternelle rancune, semblent assez rares et de conception islamique. Leur nom; les blissi-ou (venu d'Yblis) indique cette origine. Encore Ybilis est-il moins un démon qu'un guinné70 féroce et malfaisant71. Les noirs emploient souvent le mot français «diables» pour désigner les guinné mais c'est faute de connaître celui de «génies» qui serait un peu plus conforme au caractère qu'ils prêtent à ces êtres surnaturels sans toutefois leur convenir absolument.
Note 71: (retour) Ybilis ou Yblis chez les Bambara, même fétichistes, symbolise l'esprit de discorde. Quand deux noirs se disputent, on dit «Bilissa est entre eux» mais c'est là une singerie de l'Islam, car l'Islam est surtout affaire de mode chez le noir. C'est une croyance bien portée et qui élève d'un degré social quiconque en fait profession.
Guinné.—Les guinné jouent le rôle le plus constamment important dans les contes merveilleux ou moraux. D'où ce nom leur vient-il? Déjà les Latins employaient le mot genius (venu du grec gênios) et les Arabes le mot djinn qui en est sans doute le prototype. Ces génies ont ici un caractère si différent de celui des djinns de la légende arabe et des génies tels que nous les concevons que j'ai cru devoir leur conserver le nom générique indigène. J'ai adopté pour cette étude le nom ouolof avec lequel mes premières études de folklore m'avaient tellement familiarisé qu'il me paraît le seul nom qui convienne. Aucune autre raison ne me porte à favoriser le nom bambara, gourmantié, peuhl ou haoussa de préférence à celui-ci.
Le nom de guinné, à mon avis, a dû être donné à une conception mythique et panthéiste, antérieure à l'apparition de l'Islam. Cette conception serait d'origine africaine. En revanche, l'idée du démon me paraît une importation sémite.
RÉPUGNANCE A LES NOMMER.
De même que les Grecs usaient d'une antiphrase pour nommer les malfaisantes Erynnies, de même qu'en Écosse on use de la même précaution narrative, qu'en Allemagne les fées sont «les bonnes dames» (Die weise Frauen), de même les noirs convaincus ne s'aventurent-ils pas à appeler les guinné par leur nom générique. Ils les nomment: la chose, l'être, la créature de brousse (kongomorho bambara, moutâné ndâzi) l'homme de l'eau (moutâné rouha), le maître de l'eau (diandiam en peuhl)72. Le noir qui navigue sur le Niger entre Mopti et Ségou désignera de même la faro73 par cette périphrase: la femme peuhle (foula mousso) de peur que, mécontente de ce nom de faro, elle ne submerge sa barque.
Noms divers.—Cependant les guinné ont leur nom: en bambara: guina, en gourmantié: dyini et odyingou; en peuhl: guinnârou (pl. guinâdyi), dzinna en songhay; bêlou74 en gourmantié de Pâma; siga en môssi; bâri en soussou; yébem en kâdo (pl. dougouné). Ces noms sont ceux des guinné de grande taille. Les nains eux, portent des noms spéciaux qui leur sont un brevet plus catégorique encore d'autochtonie: ouokolo ou nyama (bambara) tikirga ou tyityirga (môssi) pori (au pluriel pora) gourmantié; gotteré (peuhl), konkoma (malinké), artakourma (dyerma) dêguédégué (ou dêdégué) (même pluriel kâdo).
Au cours des récits où figureront ces personnages surnaturels, je leur conserverai le nom que leur donne l'indigène du pays où l'action se passe. En effet ces guinné ne sont pas tous absolument taillés sur le même patron. Ils se différencient assez nettement les uns des autres pour nécessiter un nom distinct et plus évocateur que celui, trop uniforme, de guinné. Je n'emploie ce dernier vocable d'une façon générale que pour les explications contenues dans cet essai. Les récits exigeront plus de couleur, donc plus de précision.
CARACTÈRE DES GUINNÉ.—LEURS DIFFÉRENTES VARIÉTÉS.
Je vois dans ces guinné des sortes de divinités inférieures, reste d'une religion primitive qui adorait craintivement les éléments symbolisés. Comme nature, les guinné sont intermédiaires entre l'homme et le dieu supérieur dénommé ou pressenti. Lorsque cette divinité eut centralisé les attributions dans ses mains et monopolisé à son profit le culte, les anciennes divinités de second ordre passèrent au rang de grandeurs déchues, presque de démons. Les dieux de l'antiquité ne furent-ils par rabaissés au rang de démons au moyen âge lorsque le Christ régna en dieu incontesté sur le monde?75.
Nous allons les étudier par rapport aux éléments. Guinné de la terre et des profondeurs souterraines, guinné de l'air, guinné du feu, guinné de l'eau.
I° Guinné de la terre et des profondeurs souterraines.—Ce sont les guinné ouolof, les guina bambara, etc. Ils se divisent en géants et en nains. Je ne connais pas de contes se rapportant aux guinné souterrains comme on en trouve dans la littérature allemande. Cela tient sans doute à ce que les accidents de terrain sont rares en Afrique et que les quelques races qui habitent les régions accidentées sont peu communicatives et de tempérament défiant. J'en ai fait l'expérience avec les Foutanké et les Habé et je n'ai malheureusement séjourné que très peu de temps dans le Fouta Djallon ou dans le cercle de Bandiagara, ce qui m'a empêché d'apprivoiser des gens, très réfractaires tout d'abord à la confiance, surtout en ce qui concerne les êtres mystérieux.
Je sais cependant qu'au Bouré on croit à l'existence d'un guinné qu'on appelle Sanou (c'est-à-dire l'Or ou le semeur d'or). Les filons sont les traces de son passage sous la terre.
De temps à autre il se venge des mineurs qui violent sa retraite en provoquant un éboulement meurtrier puis, apaisé pour quelque temps, il les laisse en paix pendant une période plus ou moins prolongée. Je ne serais pas surpris qu'il y ait eu dans ces régions aurifères des sacrifices humains destinés à calmer la colère du Sanou et à obtenir de lui la permission d'exploiter les mines. La légende du Ouagadou rapportée par Lanrezac (op. cit.) me confirme dans cette opinion. Sitôt en effet que, manquant au pacte consenti, les habitants de ce pays laissent Mamadou Saké tuer le serpent fétiche à qui l'on consentait des sacrifices périodiques, on cesse de trouver de l'or dans la région.
Les gotteré peuhl semblent aussi de véritables gardiens des trésors cachés (tels les korrigans bretons). Vaincus à la lutte, c'est avec de l'or qu'ils rachètent leur vie.
2° Guinné de l'air.—Les ouokolo se déplacent souvent au milieu des tourbillons qui, aux approches de l'hivernage, courent en entonnoirs de poussière à la surface du sol desséché. Il suffit, paraît-il, de donner un coup de dent dans ce tourbillon pour couper en deux le guinné. On voit alors tomber des gouttes de sang sur le sol.
La tornade est considérée comme le signe du passage d'un guinné.
On pourrait peut-être ranger les hafritt parmi les guinné de l'air. Ceux-ci, dont la conception est plus proche de l'idée de djinn que les autres guinné sont des génies qui se déplacent en volant, des sortes de génies-oiseaux dont le déplacement s'effectue progressivement, donc avec une moindre rapidité que celui des autres guinné. Ces derniers se transportent d'un endroit à un autre avec la rapidité de la pensée.
3° Guinné du feu.—Comme guinné du feu, je ne vois guère à citer que les taloguina. Dans les contes autres que celui de ce nom on voit des guinné vomir le feu (V. Le konkoma) se transformer en torche ardente (V. Service de nuit); mais le feu n'est pas leur essence même et ils ne vivent pas en lui comme dans un élément indispensable à leur existence 76.
4° Guinné de l'eau: Ils portent les noms de guiloguina en malinké, de faro chez les Bambara; de mounou chez les Torodo, de moutâné rouha chez les Haoussa, d'arikouna dyini chez les Dyerma et de diandiam chez les Peuhl. Il y a en outre le démon des rapides de Soutadounou (v. le conte de ce titre) et le caïman Goloksalah guinné des rapides de la Falémé (v. Bérenger-Féraud).
Ce sont eux qui submergent les barques, rongent les cadavres des noyés et provoquent les inondations. Lorsque Kayes fut inondé en 1905, on dit que le faro du Sénégal se vengeait de ce qu'on lui avait capturé un de ses enfants; que celui-ci se trouvait dans la citerne de la Délégation sur le plateau, et qu'elle tentait d'aller l'y reprendre.
Ces guinné ne sont pas toujours malfaisants, et rendent parfois service aux hommes, semblables en cela aux autres guinné.
ANIMAUX-GUINNÉ
Parmi les guinné, certains ont pour forme normale la forme animale. Il y a lieu de les distinguer de ceux qui ne prennent cette forme qu'accidentellement et en vue d'un but à réaliser. Je citerai dans cette catégorie des animaux-guinné: Niabardi Dallo le caïman, Ninguinanga le boa et le lièvre de Féna. (A. S. Niânyi), l'hyène du conte de Binanmbé, le lièvre de Le lièvre et le dioula, le serpent Minimini, le cheval de nuit, le ouârasa le bayéni (Mauvais Gardien) les hyènes du conte «D'où vient le soleil», celles qui gardent les métaux précieux (conte du Rapt des métaux), l'éléphant Mamadi Bâ (Molo), l'hyène qui renseigne le roi Dinah (Lanrezac op. cit.) le caïman Goloksalah (B.-F.) le charognard de Fatouma Siguinné; l'hyène et le lion gardiens de la morale; les enfants animaux de la reine des guinné (Hammat et Mandiaye) etc., etc.
Ces animaux-guinné perdent, lorsqu'ils figurent dans les contes, les caractéristiques conventionnelles que les fables leur attribuent d'une façon invariable. Le pleureur perd sa turbulence et ses instincts malfaisants pour devenir secourable (v. La femme enceinte). L'hyène n'est plus un animal grotesque, avide et couard mais un sage gardien des talismans (Binanmbé). Ce sont donc en réalité des guinné sous forme animale et non des animaux ayant la puissance surnaturelle des guinné.
ASPECT PHYSIQUE
1° Les Géants.—L'aspect véritable des guinné n'est pas connu et ne saurait l'être car—disent les Peulh—ils prennent toutes les formes qu'il leur plaît. Aussi les verrait-on tels qu'ils sont réellement qu'on ne pourrait affirmer que cet aspect est réellement le leur 77.
Les Ouolof se les représentent comme des géants à membres grêles 78 ayant un seul oeil fendu dans le sens vertical et placé sur le front au-dessus d'un nez très allongé. Ils leur supposent de très longs cheveux et une barbe qui tombe jusqu'aux pieds. 79 Enfin ils leur font jeter le feu par les yeux et par la bouche. Quant aux déguisements qu'ils peuvent revêtir, ils sont innombrables: bouc, cabri, chat, serpent, cartouche, torche flambante, etc, etc.
Selon les Peuhl, le guinnârou est de taille gigantesque; ses pieds sont tournés à l'envers et sa bouche fendue verticalement. Lui aussi porte des cheveux très longs. Quant à sa couleur, elle est infiniment variable ainsi que les formes qu'il prend. Dans Hammat et Mandiaye il est présenté comme ayant le dos en forme de lame de rasoir et avec un seul de chacun des membres que l'espèce humaine possède en double.
Le guina bambara ressemble au guinné ouolof. Les contes où l'on parle de lui sont d'ailleurs très sobres de descriptions. 80
Le conte de La mounou de la Falémé s'accorde avec la description qui m'a été faite des faro pour dépeindre celles-ci comme des femmes de couleur claire à cheveux longs et lisses ainsi que les portent les femmes maures (ou syriennes, c'est-à-dire de race blanche).
Aucune indication précise, différente de celles que je viens de transcrire, ne m'a été donnée sur l'aspect physique des guinné gourmantié, haoussa, dyerma, hâbé 81.
2° Les Nains.—Nul conte ouolof, à ma connaissance, ne fait jouer de rôle aux nains et de ce côté nous n'avons aucun détail sur leur aspect physique. En revanche ces petits guinné figurent dans un certain nombre de contes bambara et l'un d'eux en donne un signalement assez précis.
Le nom du nain gourmantié: «pora» signifie aussi jumeau. Il y a chez beaucoup de races noires un préjugé hostile aux jumeaux qui sont considérés comme sorciers (Peulh, Bambara, Gourmantié, Môssi, etc.).
Le tyityirga môssi est-il, comme l'indique Desplagnes (op. cit.) une larve errant dans l'attente de sa réintégration? Aucun renseignement précis ne me permet de l'affirmer ou d'y contredire82.
Note 82: (retour) A ce propos je crois bon de noter que le nom de Mâlobali, l'éhonté, l'impudent que portent nombre de Bambara se rapporte à une croyance de cette nature. L'enfant qui en est affligé passe pour la réincarnation d'une larve, qui a fait à plusieurs reprises aux parents de l'enfant ainsi nommé la plaisanterie de s'incarner dans des mort-nés. De là l'épithète dont on la taxe lorsqu'elle s'est enfin décidée à s'incarner pour de bon.
D'après les Peulh, les gotteré ont une tête énorme. Leurs pieds ne présentent pas le caractère anormal de ceux des guinâdyi.—Les gotteré sont robustes et trapus et porteurs d'une très longue barbe.
Le konkoma malinké est, lui aussi, une variété des ouokolo (ou nyama) bambara et, à la barbe près, il répond au signalement qui vient d'être donné du gottéré.
Le ouokolo est un guinné intermédiaire entre le grand guinné et l'homme. Haut d'un mètre au plus, il a les pieds tournés en arrière et porte la longue barbe qui semble à peu près générale chez les nains; il est toujours de couleur sale par suite de l'habitude qu'il a de se coucher parmi la cendre.
Son nom de nyama est donné en sobriquet au gens de petite taille. On le donne aussi aux griots.
EFFET PRODUIT PAR LA VUE DES GUINNÉ
Comme pour les Napeae antiques, qui les voit devient fou et meurt le plus souvent. Sinon il reste muet ou paralysé. Ceux même qui sont parvenus à les mettre en fuite gardent longtemps l'esprit égaré et le corps malade et ne se rétablissent que malaisément.83 Cependant on peut se préserver de ce danger en portant des grigris spéciaux, donnés généralement par les guinné eux-mêmes. (Voir Le fils adoptif du guinnârou). L'homme assez brave pour rester calme à leur aspect a des chances de se tirer indemne du mauvais pas. (Les maîtres de la nuit, Le cabri, etc.).
Moeurs et habitudes des Guinné.—Les guinné proprement dits habitent parfois des villages bâtis à la façon de ceux des hommes. Ces villages restent invisibles pour quiconque ne possède pas de talisman particulier tel par exemple que la bague du mari d'Anta la guinné84. Il y a même de ces villages au fond de l'eau pour les guilo-guina et les faro85. Une faro habite entre Ségou et Mopti sur le Niger une île qu'on nomme Faroti. Si cette faro est irritée, les innombrables oiseaux qui sont sur la grève restent silencieux. S'ils jacassent bruyamment c'est un signe que la faro n'est point en colère et que l'on peut passer sans péril.
Les guinné sont cependant plutôt d'humeur solitaire et habitent de préférence certains arbres, les plus majestueux de la brousse. Ceci semble confirmer mon hypothèse que ce sont d'anciens dieux inférieurs comme le furent par exemple les dryades et les sylvains. Leurs demeures végétales de prédilection sont les baobabs, les fromagers, les cailcédrat, les tâli et les siengueu. Ceux qui sont moins farouchement individualistes habitent, à deux ou trois, des bosquets dans un isolement moins absolu.
D'autres sont encore plus éclectiques en fait d'habitation. Ils élisent domicile dans des termitières (v. Le chiffon magique—La femme de l'ogre) ou encore dans des terriers.
Le guinné possède au plus haut point l'instinct de propriété. Il n'aime pas qu'on viole son domicile, qu'on fasse un lougan sur son terrain (Le chien de Dyinamissa,—Les coups de main du guinnârou), qu'on vienne chercher du bois dans ses futaies (Le feu des guina). Il se venge cruellement de toute atteinte portée à ses droits. Parfois même il fait payer à l'espèce humaine sans discernement le tort qu'un homme lui aura fait subir (v. Le diable jaloux). Il y a chez les guinné comme chez les humains, pour ceux du moins qui vivent en société, une hiérarchie constituée. Ils ont des chefs de village (v. La gourde), des rois et même des reines (v. La sage-femme de Dakar,—Hammat et Mandiaye). Il n'existe pas de loi salique chez les guinné.
Les guinné ont des troupeaux à eux (voir à ce sujet le conte de Soutadounou—Les ancêtres des Bozo, etc.). Cultivent-ils des lougans? Eux qui sont doués du pouvoir de procurer aux hommes tant de choses par une simple manifestation de leur volonté ne doivent pas se donner beaucoup de peine pour faire produire la terre. Cependant la logique n'est pas l'inspiratrice exclusive des faiseurs de contes. Aussi ne peut-on conclure par déduction qu'ils ne cultivent pas de lougans. Et en effet nous voyons dans «Les tomates de la pori» que celle-ci en cultive un. Les guinné d'ailleurs se nourrissent volontiers de végétaux et si, l'on en croit le conte kouranko de Nancy Mâra, ne les mangent qu'à condition qu'ils n'aient pas subi de cuisson.
Il y a des guinné marabouts et même «ouâliou» mais, ceux-là me font l'effet d'être déjà démarqués par l'Islam envahissant (le conte d'Ibrahima et des hafritt est plutôt arabe que ouolof). C'est d'ailleurs chez les Ouolof que j'ai trouvé presque exclusivement ce type de guinné. Le véritable guinné ne saurait avoir de religion que celle de soi-même s'il est, comme je le pense, un des vestiges d'une ancienne religion panthéiste. Il dut y avoir, dès l'origine, de bons et de méchants guinné comme il est des forces naturelles favorables et de néfastes. C'est cette bonté ou cette méchanceté que le musulman traduira par croyance ou mécréance, mais il y a là une interprétation inexacte de la conception initiale.
Intelligence.—Le guinné devine la pensée. Il dit presque invariablement à qui il rencontre: «Je sais ce que tu as dans le coeur.—Je sais ce que tu veux».
Caractère.—Comme tous les êtres animés et conscients, le guinné est tantôt bon, tantôt méchant et même l'un et l'autre en même temps et selon les circonstances. Quelquefois, sa malfaisance se restreint à des farces dangereuses. C'est ainsi qu'il s'amuse à épouvanter ceux qui s'aventurent dans son domaine d'obscurité car la nuit appartient au guinné et il interdit l'ombre comme d'autres interdisent l'espace. Ses apparitions terrifiantes semblent surtout avoir pour but d'éprouver le courage des voyageurs (v. Le guinné altéré.—Les maîtres de la nuit.—S.-G. Diêgui, etc.). Le courage le désarme et le rend impuissant.
Il n'est pas que le courage pour se sauver de lui. De bons grigris sont efficaces, soit pour l'écarter, soit pour guérir les effets fâcheux produits par sa vue. Ces grigris peuvent être des mots du Koran comme dans le chasseur de Ouallalane. Quant aux simagrées des médecins toubabs, elles restent de nul effet (v. Le spahi et la guinné in fine).
Pour la faro, il y a des précautions particulières à prendre, notamment quand on passe à proximité de l'île appelée Faroti entre Mopti et Ségou. Il est nécessaire, si l'on a parmi les provisions des douceurs (lait ou miel), d'en verser un peu dans le fleuve en offrande à la faro; faute de le faire on courrait le risque d'être englouti.
Le conte du Laptot giflé indique encore un moyen de se préserver des maléfices du guinné lorsque l'on vient à quitter sa maîtresse tard dans la nuit. Il faut que celle-ci attache son pagne de la main gauche et reste assise jusqu'à ce que l'amant soit rentré chez lui.
Ils n'aiment pas les abeilles; aussi n'habitent-ils pas les arbres où se trouvent des ruches (v. Le miel aux tytyirga).
Les chevaux aussi protègent leurs cavaliers contre les guinné (v. à ce sujet le conte de Service de Nuit).—Enfin il est à noter que la présence d'un chien noir épouvante aussi les êtres de la nuit (v. à ce sujet Les nyama et le cultivateur—Le canari merveilleux et Le chien de Dyinamissa). Je renvoie le lecteur à la note détaillée qui suit ce conte.
On peut aussi deviner leur véritable nature à leur façon de parler (le guinné aime à parodier l'accent de ses interlocuteurs) et à leur prononciation nasale. (Voir la fille d'Aoua Gaye).
Certains guinné protègent la faiblesse persécutée: les orphelines tourmentées par leurs marâtres, les frères victimes de mauvais frères, les sinamousso dont les autres co-épouses cherchent la perte, etc. D'autres au contraire ont un secret penchant pour les gens malhonnêtes et les aident de tout leur pouvoir (v. NMolo, MBaye Poullo, etc., etc.). Quelquefois, ils font payer assez cher leurs services. Ainsi, dans Le pardon du guinnârou, le guinné veut la vie de la soeur de son protégé en échange de l'aide donnée.
Ils sont vindicatifs (v. Le guinné du tâli et L'implacable créancier) et parfois même gratuitement féroces comme le guinnârou de Fonfoya. Cependant ils ont l'orgueil de leur race et opposent volontiers, en paroles sinon en actions, leur loyauté à la félonie de la race des hommes (v. Mamadou et Anta la guinné).
Quelques guinné ont aussi des habitudes d'anthropophagie qui les apparentent aux ogres de la légende indo-européenne. (V. La femme de l'ogre—Le boa marié86—Ntyi vainqueur du boa—Khadidia l'avisée—Les ailes dérobées etc.). Les faro rongent certaines parties du corps des gens qu'elles ont entraînés au fond de l'eau. Ainsi, il y a quelques années, un père blanc s'étant noyé avant d'arriver à Ségou, on l'a retrouvé avec le nombril et la cloison du nez entièrement rongés; ce sont les morceaux de prédilection de la faro.
Les ouokolo (ou nyama) bambara sont plutôt farceurs que réellement malfaisants87; en général, ils semblent avoir un faible pour les tomates et ne les demandent pas au travail de la terre mais à leurs talents de filous. Ils dérobent aussi volontiers le couscouss dans les cases. On les corrige de cette mauvaise habitude en pimentant fortement ce mets. Quand ils se sont bien brûlé le palais, ils n'y reviennent plus.
Note 87: (retour) C'est à eux cependant qu'on attribue des boursouflures qui (paraît-il) se produisent sur le corps des noirs qui ont pris la fièvre à trop travailler. (Cette maladie doit être rarissime chez les indigènes). On traite cette éruption par une infusion des feuilles de l'arbuste appelée de leur nom nyama fora (feuille à saveur acide dont on se sert pour la préparation de la bouillie gourmantié et aussi pour coaguler le caoutchouc).
Les nains sont en général peu serviables. Voir cependant le conte de L'hermaphrodite.
Quant à leur intelligence, elle passe pour très bornée. Aussi leur nom est-il souvent adressé comme injure collective à la caste des griots.
Ils ont pour fétiche le Komo: fétiche des Bambara.
Le konkoma malinké est malfaisant gratuitement si l'on en croit le conte de ce nom, le seul que j'aie recueilli sur lui.
Le gottéré peuhl aime à provoquer à la lutte ceux qu'il rencontre. Le vaincu est voué à la mort. Si c'est le nain qui a le dessous, il offre de se racheter avec de l'or88. Il est prudent, au cas où on le reçoit à rançon, de lui faire à la main une incision pour lui rappeler sa promesse. Si on néglige cette précaution, il revient peu après tuer par surprise son trop confiant créancier.
Ceci est à rapprocher de ce que l'on dit du ouokolo. Si vous le frappez, il vous demande de lui donner un second coup. Ce serait une grave faute que d'accéder à sa demande. Un coup unique est mortel pour le Ouokolo. Le deuxième coup serait mortel à celui qui le porterait89.
Allah, d'après les musulmans, ne reste pas toujours impassible en présence des méfaits de certains guinné trop malfaisants. Le châtiment d'un guinné par le pivert alors qu'il prépare la ruine d'un village. (Conte du NGortann) en est la preuve.
Les guinné s'unissent assez volontiers à la race des hommes, les guinné mâles principalement car il semble ressortir du conte d'Anta que les femmes guinné s'y prêtent moins facilement. Comme exemple de ces dernières unions, je citerai les contes de Mamadou et d'Anta la guinné,—La guiloguina, La tâloguina,—La mounou de la Falémé,—Kelimabé et Moussa Nyamé (Contes des Gow. D.-Y.) Le cas le plus fréquent est celui où c'est une femme de race humaine qui épouse un guinné (Nancy Mâra—Kahué l'omniscient—Moussa Nyamé90—La femme de l'ogre—Le mari de Nantêné—Le cheval noir—Goloksalah et Penda Balou91).
Les enfants nés de ces unions tiennent en général du guinné plus que de la race humaine. Ils se sentent plus à l'aise parmi les guinné. Ainsi, dans le conte de La femme de l'ogre, le fils du guinné soustrait sa mère à l'appétit paternel mais, après l'avoir menée hors d'atteinte, il s'en retourne près des siens. En général ces métis sont des sortes de surhommes: des sages comme Kahué l'omniscient, des héros comme Moussa Nyamé. Kahué jouit d'une jeunesse prolongée au delà des limites normales.
Ces unions ne sont pas heureuses et finissent de façon fâcheuse; aussi se contractent-elles généralement grâce à l'insincérité du prétendant qui dissimule sa véritable nature avant et même, dans la plupart des cas, après le mariage.
Les guinné adoptent volontiers des enfants de race humaine et les enlèvent à leurs parents dans cette intention. Ils les instruisent, leur donnent certains pouvoirs de divination ou de prestidigitation92. Ils en font surtout des médecins capables de guérir les maladies et au besoin de les provoquer. Voir à ce sujet: Le kitâdo vengé—Les jumeaux de la pauvresse—Le fils adoptif du guinnârou,—L'orpheline et son frère,—Déro,—Les talibés rivaux, etc., etc.
Note 92: (retour) Samako Niembelé m'a rapporté le fait suivant: «Il y a à Kayes un nommé Diéna Moussa qui passe pour avoir été élevé par les faro. Un jour il m'a dit: «Samba donne-moi des kolas!—Je n'en ai pas, ai-je répondu—Mets des cailloux dans ta chéchia» Je l'ai fait et après quelques tours de passe-passe il me l'a rendue pleine de kolas. On dit que la faro lui a donné tous les grigris qu'il a».
Par contre, les guinné se débarrassent fréquemment de leurs enfants mal venus en les substituant à des enfants d'hommes. Les Peuhl appellent ces enfants des batitâdo. Cette croyance était celle des anciens Bretons et des Allemands93. Le conte d'Ondine est inspiré par cette idée, puisqu'il s'agit de faire acquérir, par la petite créature des éléments, l'âme immortelle dont elle est dépourvue. Quand il arrive à des indigènes d'avoir des enfants retardés dans leur développement et qu'ils soupçonnent d'être fils de guinné, ils peuvent obliger leurs parents à les reprendre en les exposant dans de certaines conditions et en les adjurant de retourner avec ceux de leur race. Le procédé breton et alllemand consiste à les obliger à parler de façon à se trahir par le timbre grêle de leurs voix puis à les fouetter jusqu'à ce que les korrigans ou Wichtelmoenner, leurs parents, accourent les reprendre94.
La durée de la vie des guinné n'est pas indéfinie, leur existence est longue et leur croissance lente et dès qu'ils ont atteint un âge avancé ils meurent pour recommencer à vivre.
Quant aux konkoma ce sont, dit la tradition, des porcs épics qui renaissent dans les mêmes conditions.
Outre les génies de différentes sortes que nous venons de passer en revue et les hommes de toutes professions, y compris celles de voleur, de griot, d'apiculteur et d'éleveur de poules, les personnages ci-après jouent leur rôle dans les contes: goules, vampires, sorciers et contre-sorciers, végétaux, minéraux, objets divers et abstractions variées: la faim, la mort, le mensonge et la vérité, etc, etc.
Après avoir examiné rapidement ces divers personnages, j'étudierai aussi brièvement que possible les talismans, remèdes merveilleux, armes magiques et tous objets qui, sans être, à proprement parler, des talismans, présenteront un caractère surnaturel.
Goules: Ybilis déterreur et mangeur de cadavres est une véritable goule (V. Flûte d'Ybilis).
Vampires: Dans le conte peuhl: «Les mots magiques» il est parlé d'une soukoun âdio». Cette soukounâdio est le vampire suceur de sang. V. aussi La mangeuse de ses clients (conte kâdo) et Le vampire.
Sorciers: Les sorciers jouent dans les contes un rôle assez fréquent. V. la tâloguina,—La sorcière punie,—Le chien sorcier95,—L'almamy caïman,—Le chat guinné de Saint-Louis (Ce dernier est plutôt une sorte de loup-garou comme le sont les sorciers dont parle Samba Atta Dabo dans L'ensorcelée de Thiévaly), les caïmans du Milo (Fadôro) etc. Contre cette engeance malfaisante il y a un remède. Lorsqu'ils se sont dépouillés de leur peau pour aller rôder dans la nuit sous une autre forme que leur forme naturelle, il faut saupoudrer la face interne de cette peau soit avec du sel soit avec du piment. Les sorciers sont alors à votre merci96.
Il existe d'ailleurs des exorcistes ou conjureurs des sorciers: les bourhama (en ouolof) qui les obligent par leurs conjurations à réparer le mal causé. Ces exorcistes sont doués d'un pouvoir plus ou moins fort C'est sous la dictée de l'un d'eux qui se targue d'une puissance supérieure à celle de ses confrères, que j'ai transcrit le conte intitulé L'ensorcelée de Thiévaly. Chez les musulmans, ce rôle est tenu le plus souvent par les marabouts, chez les fétichistes bambara par les nama, chez les gourmantié, par les niogoudâno. Ces derniers combattent par des fumigations le mauvais sort jeté.
On trouvera dans Bérenger-Féraud (Op. cit.) quelques indications relatives à la croyance aux sorciers dans la Sénégambie.—Chez les Sénofo et les Bobo comme chez les Kissiens et les Kouranko, dès qu'une mort subite fait soupçonner le maléfice d'un sorcier, on procède à des épreuves destinées à révéler le nom de celui-ci. Le conte du Cheval de nuit documentera le lecteur sur ce point. Il y est procédé à un véritable interrogatoire du cadavre.
On peut rapprocher de la croyance aux sorciers la foi en l'efficacité néfaste du mauvais oeil. Voir le Kitâdo vengé,—La chèvre au mauvais oeil, etc., etc. Les possesseurs du mauvais oeil sont d'ailleurs considérés comme des jettatori conscients, ce qui n'est pas toujours le cas, en Italie par exemple. La croyance au «cattio occhio» est générale en Orient et notamment en Turquie. Pline et Virgile en parlent ainsi que Théocrite. (V. Contes inédits des 1001 nuits, op. cit. Notes du Tome II p. 323).
Comme végétaux figurant dans les contes il y a lieu de citer le riz (V. Le choix d'un d'un damel.)
Comme minéraux: le caillou (Ntyi vainqueur du boa.)
Comme choses diverses: le gigot, (Le sounkala de Marama), la boule de mil et la cravache (La nyinkona), la marmite (Hammat et Mandiaye), la sauce, les canaris et les calebasses (Bergère de fauves).
Comme abstractions: La Mort97 (V. La mort créancière,—L'intrus dans l'Aldiana 98, la Faim, Le choix d'un lanmdo, l'Humanité [Adina], le Mensonge et la Vérité)99. Voir aussi abstractions des contes ci-après: Kahué l'omniscient,—L'éléphantiasis de Moriba, les diverses parties du corps (Le procès funèbre de la bouche).
Comme animaux fabuleux: le ouârasa, le mangeur d'hommes (Le plus brave des 3, le minimini), l'yboumbouni.
TALISMANS
Les talismans sont nombreux et variés Citons:
La bague (Bissimillaye et Astafroulla, La bague aux souhaits—Mamadou et Anta la guinné—Mâdiou le charitable).
Les oeufs ou les calebasses magiques (Hammat et Mandiaye,—Le sounkala de Marama—La conquête du dounnou—Anntimbé ravisseur du bohi).
La cravache qui frappe d'elle-même (La nyinkona).
La calebasse (ou le canari) inépuisable (La nyinkona et La bergère de fauves.)
Le tapis volant (Mamadou et Anta la guinné).
La poudre magique qui rend intelligible le langage des bêtes (Le lièvre et le dioula).
La poudre magique qui fait sortir de terre un tata avec sa population et son bétail (La revanche de l'orphelin et Le pupille du cailcédrat).
L'arme qui assure le pouvoir à son possesseur (sagaie de Binanmbé, fusil de Molo)100
Le bonnet qui rend invisible101 (Contes des Gow: Sanou Mandigné).
L'onguent qui contraint les gens à ramasser de l'herbe jusqu'à épuisement (Bilâli).
Le grigri révélateur d'aînesse (Bilâli.—Les quatre fils du chasseur).
L'onguent léthargique (Fatouma Siguinné).
Le grigri de malice102 et d'habileté dans la friponnerie (MBaye Poullo et Le grigri de malice).
Le grigri de bravoure (L'homme au piti).
Le grigri de science (Mâdiou le charitable).
ARMES MERVEILLEUSES.
Le grigri de victoire (Yamadou Hâvé).
Le fusil qui tue quantité de gens d'un seul coup (A.-S. Niânyi.—S.-G. Diêgui.—La bague aux souhaits).
La poudre à tuer le gibier (La lionne et l'hyène).
La barbiche meurtrière (Même conte. Le bouc et l'hyène à la pêche).
Le sabre qui coupe des têtes multiples d'un coup unique (Voir B.-F. Faveurs aux nouveaux convertis).
REMÈDES SOUVERAINS.
Les drogues des «Talibés rivaux».
Les remèdes de Déro.
Ceux de Ntyi le patient (Les deux Ntyi).
OBJETS MERVEILLEUX AUTRES QUE DES TALISMANS103.
L'arbre prophétique du Boundou (Amady Sy)104.
Le canari-aigrette (Le canari merveilleux).
La graisse et les boyaux de Takisé (Le taureau de la vieille).
L'arbre aux fruits d'or.
Le baobab rempli d'or (Les présents des faro).
CHAPITRE IV
PERSONNAGES DES FABLES.
SOMMAIRE: Les fables et leurs acteurs.—Personnages non-merveilleux des fables et des contes.—Les professions mises en scène.—But des fables indigènes.—Sont-ce des satires sociales?—Les deux grands premiers rôles.—Le lièvre roublard et sceptique, mais serviable.—L'hyène stupide et crédule, féroce, vorace et infatuée.—Divers sobriquets de l'hyène.—Son rôle dans les contes.—Rôle de l'homme dans les fables.—Portrait peu flatté.—Animaux divers jouant un rôle fréquent dans les fables.—Le roi des animaux dans la littérature indigène: lion, éléphant et hyène; le riz.
On ne saurait dire de ces fables, comme de celles de La Fontaine par exemple, qu'elles ont le caractère d'un enseignement voulu de morale pratique. Moraliser n'est pas leur principal but et s'il leur arrive de formuler un précepte de cette sorte c'est par hasard pur et sans que le conteur ait cherché à le faire.
Les fables ne sont pas non plus—comme on aurait tendance à le croire au premier abord—des sortes de fabliaux satiriques dans le genre des récits analogues du Moyen-Age. Elles ne visent pas, à travers l'hyène, la brutalité et l'avidité des puissants et n'exaltent pas, dans le lièvre, la roublardise de la faiblesse opprimée. Du moins il ne me le semble pas.
On pourrait objecter pourtant que la société animale comporte, dans les fables, une hiérarchie rappelant d'assez près celle de la société indigène. A la tête des animaux se trouve un roi qui est soit l'éléphant, soit le lion, soit même l'hyène105 et, qui pis est, l'araignée (chez les Agni). Le noir qui a conçu les guinné comme semblables aux hommes, au point de vue du caractère, imagine de même les animaux organisés en société semblable à la sienne mais il n'a pas pour but, en adoptant cette conception, de railler, sous un voile d'allégorie, la constitution du groupement social dont il fait partie. Il lui semble qu'il n'existe qu'une forme de société possible: la sienne, et il ne songe pas à se fatiguer l'imagination à rêver d'une autre organisation sociale.
Les fables indigènes sont donc des récits exclusivement destinés à l'amusement des auditeurs et n'ont nullement pour but d'enseigner la morale, fût-elle uniquement pratique, ni de dénoncer les abus sociaux.
Parmi ces récits, les plus nombreux—et de beaucoup—sont ceux qui rapportent les bons tours joués par maître lièvre à l'hyène, son ennemie intime. Généralement ces bonnes farces se terminent tragiquement pour la bête couarde féroce et stupide qui en est l'objet, mais la bassesse de son caractère nous l'a rendue, par avance, si antipathique et ridicule qu'on applaudit de tout coeur à la victoire du kékouma (le rusé compère).
Ce dernier a, d'ailleurs, toute sorte de droits à la sympathie. Toujours serviable, du moment qu'il ne s'agit pas de fournir un travail qui le fatiguerait, mais simplement de donner un malin conseil ou de suggérer une heureuse idée, absolument désintéressé, et ne réclamant pas de récompense pour ses bons offices, comment ne lui souhaiterait-on pas réussir dans ce qu'il entreprend?
Avec cela rien moins que naïf! S'il oblige gratuitement, ce n'est pas qu'il se fasse illusion sur la gratitude de ses obligés. Tout en les aidant, il les guette du coin de l'oeil afin qu'ils ne lui jouent pas quelque mauvais tour tandis qu'il s'emploie à leur rendre service (V. L'homme, le caïman et le lapin106,—Le lièvre, la panthère et les antilopes107). Il trouve sans doute sa rémunération dans cette satisfaction d'orgueil qu'il éprouve à voir que tous, même les plus forts, sont contraints d'avoir recours à son intelligence. Pour ce qui le concerne, il n'est point de mauvais pas dont il ne se tire à son honneur. Une fable le montre pris au piège (un piège grossier)108 mais on ne le garde pas longtemps (V. Le forage du puits). Quant à celle du Hibou et du lièvre, c'est le seul cas où le lièvre commette véritablement un impair et ne le rachète pas par son ingéniosité.
Note 108: (retour) Voir une aventure analogue dans les fables sur le «vieux frère Lapin». Collection Larousse. De même, pour le lièvre utilisant l'hyène comme monture. Rien de plus naturel. Ces traditions ont été apportées par les noirs d'Afrique en Amérique. (Lapin est ici pour lièvre. Arcin emploie aussi ce mot le plus souvent).
Je l'ai dit, il ne montre pas une ardeur immodérée pour le travail. Pourquoi se donnerait-il de la peine puisqu'avec un petit effort d'intelligence il arrive aisément à faire son profit de ce que les autres ont créé pour eux-mêmes? (V. Le forage du puits,—La case des animaux de brousse,—Le lapin, la hyène et l'éléphant). Il élabore de la ruse aussi naturellement, je dirais presque aussi inconsciemment, qu'il boit, mange ou respire. Et ce n'est pas un mince titre à l'admiration des noirs.
Qu'il figure dans les contes ou dans les fables, c'est toujours à son honneur, différent en cela de l'hyène, dont le rôle est beaucoup plus relevé dans les contes que dans les fables où son sort constant est celui de la dupe. Maître lièvre dupe toujours en spéculant sur les défauts de ceux à qui il a affaire: gourmandise ou vanité. C'est un psychologue averti; en dépit de sa faiblesse il vainc invariablement et c'est peut-être à cause de cette faiblesse même qu'on l'a opposé à l'hyène forte et brutale pour le piquant du contraste. Son triomphe, devient de ce fait, encore plus significatif que celui du renard sur le loup dans les fabliaux de notre pays.
Vis-à-vis de l'homme, c'est en ami qu'il se comporte toujours109. Il en serait fort mal récompensé s'il était d'un naturel confiant mais sire lièvre escompte d'avance l'ingratitude de son obligé, ce qui lui permet d'en esquiver les manifestations.
Le lièvre est souvent figuré, la kora en main. Serait-il une personnification du griot rusé tandis que l'hyène serait celle du pitre de bas étage: le founé opposé au diéli? Ce point serait assez intéressant à élucider; mais je n'ai pas d'éléments d'appréciation assez sûrs pour me prononcer là-dessus.
Comme toutes les dupes, l'hyène, victime du lièvre, n'en a pas moins sans cesse recours à lui et nul autre que lui n'a sa confiance. Veut-elle s'associer à quelqu'un pour une entreprise? C'est au lièvre qu'elle s'adresse et c'est lui qu'elle charge d'en élaborer le plan. Et pourtant ces associations ne lui réussissent guère! (V. Arcin, Le lapin, l'hyène et le somono, etc). Ceci est bien observé. Dans la vie ne voyons-nous pas la dupe aller instinctivement au charlatan, dédaignant l'honnête associé qui ne force pas l'attention par une jactance exubérante ou des dehors artificiels?
L'hyène n'est pas seulement sotte et crédule, elle se signale en toute circonstance par son insigne mauvaise foi, mauvaise foi de brute qui se sait forte et qui n'allègue de prétexte que pour railler celui qu'elle peut écraser s'il ne feint pas de prendre pour argent comptant sa grossière explication. Malgré cela, son machiavélisme rudimentaire se retourne fatalement contre elle sitôt qu'elle a affaire au kékouma.
Quant à son avidité gloutonne, elle la manifeste dans tous les contes (V. notamment Les oeufs de blissiou.—L'hyène, le lièvre et le taureau de guina.—La case de cuivre pâle). Elle ne peut retarder d'un instant l'heure de la bombance et se met l'imagination à la torture pour hâter le départ du lièvre, son guide, vers le lieu du festin.
Comment elle se comporte envers ceux qu'elle appelle ses amis, c'est ce que nous montrent les contes de L'hyène et l'homme son compère.—La famille Diâtrou à la curée. Les avanies qu'elle subit ne l'empêchent pas de rester infatuée d'elle-même au plus haut point. Ses enfants commettent-ils une maladresse? elle est prompte à les renier et à les taxer de bâtardise car quiconque ne lui ressemble pas intellectuellement ne peut être né de ses oeuvres.
Quand au courage, elle montre une prudence excessive qui ressemble à tel point à la couardise qu'il est aisé de la confondre avec ce sentiment. Une plume d'autruche piquée devant l'orifice de son terrier suffit pour la terroriser et la contraindre à subir dans cette retraite les tortures de la faim.
En un mot l'hyène a tous les défauts et pas une qualité.
Ses sobriquets.—L'hyène est un des animaux qui ont le plus de sobriquets: chose ou être de nuit (Souroufin), le puant (Soumango), le bourricot de nuit, le déterreur de cadavres (Soubobâra), Dioudiou, (onomatopée), Diâtrou, Souroukou, Niénemba (le pitre femelle). Le nom de genre est «nama».
Je ne m'arrêterai pas davantage sur les autres animaux qui figurent dans les fables de ce recueil et—en tant que véritables animaux—dans les contes. Bien peu manqueraient à l'appel de ceux qui foisonnent sur la terre d'Afrique. Je ne vois guère que la girafe, le chacal ou le canard dont il ne soit pas parlé dans ceux que je reproduis ici. Ceux qui se représentent le plus souvent sont le boa, le charognard ou vautour d'Afrique, le lion, la chèvre, la mouche, le singe pleureur, le chien, le boeuf, la pintade, l'autruche, la tortue, l'oiseau-trompette, le cheval, le lézard, la panthère.
Je noterai cependant que le chien semble symboliser l'indiscrétion et le bavardage (V. Le chien et caméléon et conte de Delafosse: La mort du chien). Le singe, comme l'homme son semblable, y incarne l'ingratitude (V. le singe ingrat—Le lièvre et les pleureurs). Il représente en outre l'humeur de malfaisance.
J'ai dit que l'homme n'est que rarement présenté à son avantage dans les fables110 où il est mis en contact avec les animaux111. Dans les contes et fables de cette nature, les griefs des animaux contre lui sont énumérés soit de façon acrimonieuse, soit d'une manière plaisante, mais toujours en grande abondance et on est obligé de reconnaître que le portrait est exact et justifie la pointe du fabuliste français que le plus pervers des animaux:
Ce n'est point le serpent, c'est l'homme112.
Puisque je suis amené à parler de La Fontaine, je citerai quelques fables de lui auxquelles certains détails des contes et fables indigènes nous font penser: Livre VIII, 3. Le lion, le loup et le renard (Cf. Ingratitude—Le bouc et l'hyène à la pêche). Le chat et les deux moineaux (Cf. Les calaos et les crapauds). Le coq et le renard. Livre II, 15 (Cf. L'hyène et le bouc à la pêche et L'hyène et le pèlerin).
En revanche, on chercherait vainement une fable indigène analogue à La cigale et la fourmi. Les noirs y donneraient délibérément tort à la fourmi, tant ils confondent aisément l'économie et la prévoyance avec l'avarice. (Voir à ce sujet leurs contes sur les avares). De même, ils sont trop vaniteux pour goûter la leçon de la fable «Le renard et le corbeau» et, si vraiment les griots sont pour quelque chose dans la conception des contes et des fables, on comprendra qu'ils ne soient guère disposés à prêcher une morale si contraire à leurs intérêts.
Les animaux ont leur roi comme ceux de notre littérature «fablesque», mais ce n'est pas toujours, le lion. Pour la plupart des races, c'est l'éléphant, la plus robuste, sinon la plus féroce, des bêtes de la brousse; pour d'autres, c'est le lion; pour quelques autres ce sera l'hyène et même... l'araignée. Celle-ci mériterait la royauté par sa rouerie et son intelligence, si on en croit les Agni. Je ne parle que pour mémoire de la royauté du riz, cette royauté étant toute allégorique dans le conte où les animaux la proclament (Choix d'un lanmdo).
CHAPITRE V
DÉDUCTIONS POUR LA COMPRÉHENSION DE LA
PSYCHOLOGIE INDIGÈNE.—CONCLUSION
SOMMAIRE: Révélation par les contes et fables, non de ce que sont les noirs, mais de ce qu'ils rêvent d'être, tant au point, de vue idéal qu'au point de vue pratique.—Quelques aphorismes de morale des apologues.—Psychologie succincte des indigènes.—A) Sentiments: 1° Sentiments affectifs. Sentiments de famille. Conception de la beauté. Instinct sexuel.—2° Sentiments religieux préislamiques. Sociabilité. Solidarité raciale. Esprit d'association. Dévouement au maître. Magnanimité. Reconnaissance. Charité. Humeur hospitalière. Respect de la vieillesse. Sentiments envers les animaux, envers les captifs. Vanité. Sens de l'ordre et de la discipline.—B) Idées; Indifférence pour la vie. Admiration du courage, de la ruse. Considération pour la complaisance, la courtoisie. Indulgence pour la paresse ingénieuse. Mépris de l'envie, de l'avarice, de l'humeur fanfaronne, de la prétention, de l'ivrognerie, de l'intempérance verbale et de l'indiscrétion. Goût pour les paris risqués.—Les hypothèses cosmogoniques, ethniques et zoologiques des noirs.—Conclusion.—But de l'auteur: planter des jalons pour faciliter le travail de ceux qui voudront approfondir une matière digne d'une étude plus poussée que celle-ci.
Il me reste, pour en finir, à relever quelques indications de psychologie, découlant des récits du présent recueil. Assurément on ne peut conclure de façon ferme que le noir présente les défauts ou possède les qualités qu'il attribue aux héros de ses récits. Cela équivaudrait à juger des Français d'après les oeuvres de Ponson du Terrail ou de Xavier de Montépin et des déductions ainsi basées n'aboutiraient qu'à de grossières erreurs. Ce que l'on peut dire simplement c'est que nous retrouverons dans les contes et fables les tendances idéales et théoriques de la race dont ils émanent.
La geste de S.-G. Diêgui, notamment, nous révèle l'esprit chevaleresque des Torodo et, si l'on peut parfois comparer une période de notre évolution à l'état présent de la civilisation chez telle ou telle race indigène, il n'y aurait aucune audace à admettre des rapports marqués entre la mentalité des Torodo et celle de nos belliqueux ancêtres des premiers temps du Moyen-Age.
De même, les contes gaillards nous confirmeront dans cette idée que la paillardise existe toujours—avouée ou non avouée—au fond du coeur de toutes les races.
Les apologues et les fables sont intéressants en ce que leurs conclusions nous montrent sans équivoque de quelle façon l'indigène comprend l'existence au point de vue pratique.
J'en extrais dès à présent quelques maximes. «Le besoin seul nous apprend la juste valeur de ce qui sert à le satisfaire» (Le choix d'un lanmdo).—«Les chefs s'entendent entre eux comme larrons en foire et toujours les petits seront par eux tenus à l'écart» (Kahué—Le fils du sérigne—Les trois frères en voyage).—«Mieux vaut peu de nourriture et point de soucis que de la nourriture à satiété et des ennuis à l'avenant» (Les trois frères en voyage—Kahué).—«Il ne faut pas se confier aux femmes» (Guéhuel et damel,—Mariage ou célibat?—Le riche et son fils).—«Il n'est personne au monde qui ne trouve plus fort que soi» (Hâbleurs bambara et divers analogues signalés plus haut).—«Chassez le naturel, il revient au galop». (L'hyène et le lièvre aux cabinets,—Chassez le naturel).—«Pour garder son pouvoir, un talisman doit rester caché»113 (Le koutôrou porte-veine, etc.).—«Il faut se méfier de la bouche, c'est elle qui nous trahit». (V. La tête de mort).—«Un fils adoptif n'a pas pour son père les sentiments d'un fils»—(Guéhuel et damel). «La vérité doit parfois être atténuée ou même cachée» (Hammat et Maudiaye114).
On pourrait citer bon nombre d'aphorismes de ce genre, mais je ne prétends pas épuiser le sujet et je m'en tiendrai là.
PSYCHOLOGIE INDIGÈNE.
Pour un lecteur attentif, il ressortira aisément de la lecture des récits de ce recueil une impression, sinon très nette du moins très exacte, de la mentalité des indigènes. Et l'impression ainsi obtenue sera de beaucoup plus instructive que celle que pourraient donner toutes les définitions imaginables.
1°Sentiments affectifs.—Prenons d'abord parmi les sentiments affectifs l'amour des parents pour leurs enfants et réciproquement celui des frères et soeurs entre eux. Nous trouverons moins d'exemples d'amour paternel que d'amour filial, en ce qui concerne le père du moins. Il est même plusieurs contes qui paraissent en contradiction avec la notion des devoirs de dévouement des parents envers leurs enfants chez les peuples de race blanche. Dans le conte peuhl de La Mauresque, dans celui (gourmantié), de Diadiâri et Maripoua, dont le premier est une réplique partielle, dans le conte du Fils adoptif du guinnârou, les parents refusent de sacrifier leur vie pour ressusciter leur fils mort115. De même, le père de Hammadi Bitâra (conte de Fatouma Siguinné) sacrifie bien légèrement son fils à de faibles soupçons. De même encore le kuohi116 dans «Le joli fils de roi».
Cependant on peut opposer à ces exemples l'amour, allant jusqu'à la plus extrême faiblesse, d'Amady NGoné pour son fils117 indigne Biroum Amady; les parents sacrifiant leurs biens puis leur vie pour sauver leur fille (L'implacable créancier); la mère de la jeune mariée vengeant sa fille que le père n'a pas le courage de venger. (Une leçon de courage). En général, la mère manifeste une affection plus profonde que le père pour ses enfants, ce que l'on constatera chez les mères de toute race (V. le conte du prince qui ne veut pas d'une femme niassée.—La lionne et le chasseur—Mamady le chasseur—La lionne et l'hyène).
Il semble résulter de certains contes; L'hyène, le lièvre et l'hippopotame (Goumbli-Goumbli-Niam), que les parents ont, comme la mère du Petit Poucet, une préférence pour le dernier-né.
L'exemple de fils ingrats envers leurs parents ne se rencontre que dans le conte de Bérenger-Féraud déjà cité. Les noirs n'ont guère hérité de l'irrespect de leur ancêtre Cham pour son père Noé. La voix du sang—cette voix du sang dont le mélodrame a tant abusé—parle éloquemment au coeur des jeunes noirs, si l'on en croit le conte intitulé «L'épreuve de la paternité», où les fils adultérins, bien qu'ignorant leur origine réelle, font franchir délibérément à leurs chevaux le corps du mari de leur mère, alors que les véritables fils se refusent à cette épreuve, malgré tous leurs efforts pour obéir à l'ordre formel de leur père.
Les contes d'orphelines et de marâtres témoignent aussi du profond amour filial des noirs. Voir encore le dévouement de la fille du massa se sacrifiant, dans le conte ainsi intitulé, pour garder le pouvoir à son père.
Cet amour des enfants est susceptible de s'atténuer sous l'influence de certaines considérations. Aussi NDar ne pardonne pas à sa mère de l'avoir abandonné et S.-G. Diêgui condamne le frère de son père à la mendicité après l'avoir réduit à la déchéance. Le lionceau (Le lionceau et l'enfant) tue sa mère pour venger celle de son camarade que la lionne a dévorée. Diéliman aussi tue sa mère pour sauver sa femme (La sorcière punie). Deux contes (Quels bons camarades! et Les deux intimes) nous montrent des fils aidant leurs camarades à tromper leur père et cela (dans le conte: Quels bons camarades!) avec leur propre mère.
Dans ces derniers contes, la puissance de l'amitié chez les noirs est fortement mise en relief. On pourrait dire que cette parenté d'élection qu'est l'amitié crée souvent des liens beaucoup plus solides que la parenté de sang.—Le titre de frère, donné à un camarade, caractérise l'amitié à son plus haut degré. Cela ne signifie pas cependant qu'entre frères il y ait une affection bien résistante. Le frère est représenté jaloux de son frère (Le joli fils du roi.—Les perfides conseillers). Souvent la soeur aînée abdique d'un coeur léger son rôle de protectrice d'un frère plus jeune (V. La revanche de l'orphelin).—Par contre, je citerai un conte dans lequel un frère montre un dévouement très grand à son cadet (V. L'ancêtre des griots).
Je ne déduirai pas de deux contes où les frères entretiennent des relations avec leurs soeurs que l'inceste soit chose courante parmi les noirs. Ce serait généraliser hâtivement (V. Bénipo et ses soeurs et l'Origine des pagnes). (En France le conte de Peau d'Âne nous représente bien un roi désireux d'épouser sa fille). Ce n'est pas qu'il n'existe des allégations en ce sens, mais affirmer n'est pas prouver.
De marâtre à enfants d'un premier lit il ne saurait y avoir d'affection. De très nombreux contes en témoignent et notamment ceux ci-après: Sambo et Dioummi—Le sounkala de Marama. Je n'en vois qu'un seul où une marâtre ait le beau rôle. C'est celui de La marâtre punie.
Le beau-père est, au contraire, généralement présenté sous le jour le plus favorable. Il montre autant de tendresse pour l'enfant du premier lit que pour ceux qu'il a eus de sa propre femme; souvent il n'est payé que d'ingratitude par son fils adoptif (V. Guéhuel et damel et le conte de B.-F. Kothi Barma).
Continuant cet examen rapide des sentiments familiaux des noirs, nous en venons à l'amour conjugal. Ici l'amour en général a des droits plus sérieux au qualificatif de désir qu'à l'épithète de platonique. Il y a pourtant dans la littérature indigène des histoires d'amour purement spirituel (V. en ce sens: Les inséparables,—La Mauresque,—Diadiâri et Maripoua [1ère partie],—Amadou Sêfa Niânyi118). On rapporte même des exemples de fidélité excessive: les amants fidèles, la femme d'Ibrahima (Ibrahima et les hafritt) qui attend son mari neuf ans mais finit tout de même par se remarier.
En revanche, les histoires de maris trompés sont innombrables. Le noir les prend gauloisement et considère que la jalousie est une maladie quelque peu ridicule puisqu'elle s'obstine à empêcher l'inévitable. Peut-être se console-t-il tout simplement, en raillant le voisin, d'une infortune à laquelle lui aussi n'échappera pas.
Il sait que toute précaution restera vaine (La précaution inutile), que jamais homme ne sera assez malin pour obliger sa femme à la fidélité, si roublard soit-il d'autre part; (V. L'hyène commissionnaire). Aussi la jalousie tragique semble-t-elle assez rare, si l'on en croit les contes, car je n'en vois qu'un seul où le désir exaspéré amène une tragédie domestique (V. B.-F., Le beau-frère coupable). Encore, dans ce conte, est-ce le beau-frère qui tue parce qu'il ne peut amener sa belle-soeur à céder à ses instances.
En général la femme inspire aux noirs aussi peu d'estime qu'elle leur fait, par contre, éprouver de désirs violents. Ils la tiennent pour bavarde et incapable de stabilité dans ses affections. Lui confie-t-on un secret, elle s'empresse de le trahir par étourderie ou par malignité (Guéhuel et damel—Le koutôrou porte-veine—Le riche et son fils—Malick-Sy)119. Dans le conte de Diadiâri et Maripoua, celle-ci, qui avait offert sa vie en sacrifice pour sauver Diadiâri, le trahit ensuite pour un amant qu'elle croit plus riche et tend à ce dernier l'arme qui doit tuer son mari. De même, Ashia trompe Amadou Sêfa, qui l'a sauvée du serpent, avec un amant qu'elle juge cependant inférieur à son mari, comme elle le lui exprime sans équivoque dans le cours du récit.
De même, la femme cherche toujours à desservir ses co-épouses et même à les faire périr si cela lui est possible (v. La femme-biche.—La gourde.—Les trois femmes du sartyi.—L'hermaphrodite.—Takisé.—Les deux sinamousso.—Jalousie de co-épouse.—L'implacable créancier, etc., etc.). Après la mort de celle-ci, c'est sur les enfants de la co-épouse qu'elle se venge (v. les contes de marâtre cités plus haut).
De ce qui précède on peut conclure—ce que confirment les faits—que le noir possède, fortement accentué, le sentiment de la famille. Il aime sa mère et honore son père mais est moins fortement attaché à ses frère et soeur en ce sens que son affection pour ceux-ci peut plus aisément s'affaiblir par suite des constants froissements du contact quotidien. Quant aux questions d'intérêt c'est une cause de zizanie peu importante, étant donnée la constitution patriarcale de la famille indigène, où la qualité de chef est toujours déterminée par des règles précises.
Au point de vue désir sexuel, on pourrait croire le noir plus proche de la bestialité que le civilisé mais il n'y a qu'une différence d'épaisseur dans le vernis. D'après les contes, ce désir se manifeste avec violence chez le noir. Bilâli inspire un appétit si violent aux filles qu'il rencontre sur sa route qu'elles mettent à mort leurs parents pour lui ouvrir la route sur laquelle elles le suivront docilement 120. De son côté lui et son compagnon acceptent volontiers la mort en échange de la possession de femmes qu'ils désirent (v. Bilâli—L'homme au piti, etc.).
Il est rare qu'une considération quelconque combatte l'effet de ce désir. Cependant un conte de B.-F.: Les deux amis peuhl, montre, par exception, le conflit du devoir et du désir et même le triomphe du devoir.
A côté du désir sexuel, il y a place pour l'amour véritable, né d'une émotion esthétique en présence de la beauté soit physique soit morale. La ligne de démarcation est malaisée parfois à tracer. Il semble pourtant que le sentiment soit pur encore dans le conte de Bala et Kounandi, dans Lansêni et Maryama (Barot) et dans Amadou Sêfa Niànyi. Chez Amadou Sêfa, il triomphe de l'infidélité d'Ashia et celle-ci reste pour lui une sorte de joyau qu'il enchâsse dans le précieux écrin d'une chaise d'or. Pour satisfaire ses moindres désirs, il envoie à la mort sans scrupule. Il ne lui demande que de rester belle. La Beauté lui tient lieu de toute autre vertu.
Sur la conception indigène de la beauté physique, les contes renferment peu de détails. On parle des pieds petits de S.-G. Diègui, mais sans commenter davantage. Dans le conte de Hammadi Diammaro, le conteur, sur mon invitation, a décrit les perfections d'une femme telle qu'elle devrait être à son sens pour être tenue pour jolie121. Il est délicat d'insister en pareille matière. Le conteur, pour flatter l'Européen, prendrait comme type de la beauté pure les traits de la race blanche.
Ce ne serait donc que sous les plus expresses réserves que j'accepterais les indications du Dr Barot, ainsi formulées dans sa brochure «L'Ame soudanaise»:
«Il m'est arrivé personnellement d'interroger souvent les Noirs. Chez nous ils préfèrent les hommes grands à nez droit, portant la barbe, noire de préférence. Ils admirent beaucoup nos cheveux lisses. Ils se moquent de nos pieds rétrécis déformés par les chaussures; les yeux bleus leur plaisent davantage122. Chez eux ils regardent comme les plus beaux et les plus belles ceux dont les traits du visage et la couleur de la peau se rapprochent le plus de la race blanche».
Une seule certitude ressort, à ce point de vue, des contes que je connais, c'est que la marque cicatricielle, la balafre faciale, en quoi nous avons tendance à voir un ornement, ne présente pas d'attrait pour les noirs qui la considéreraient au contraire comme disgracieuse, s'il faut en juger par les contes, très nombreux et d'origines très diverses, où jeunes filles et jeunes gens recherchent, pour l'épouser, un jeune homme ou une jeune fille qui ne soit pas défiguré par des marques de cette nature (v. La femme de l'ogre,—Le boa marié,—L'anguille et l'homme au canari,—Le prince qui ne veut pas d'une femme niassée).
Amitié.—Le noir apporte à l'amitié une ardeur excessive et rendrait aisément des points à Oreste et Pylade, à Nysus et Euryale. Cette amitié va jusqu'à des extrémités qui peuvent nous choquer, à moins qu'elles ne nous paraissent héroïques... d'un héroïsme que nous ne serions pourtant guère tentés d'imiter. Le cas de ces fils sacrifiant l'honneur de leur père à la passion de leur intime ami (Quels bons camarades! Les deux intimes), du lionceau tuant sa mère pour venger celle de son ami, de Bassirou oubliant qu'Ismaïla a tué le fils d'un ami par rage de voir la mère de celui-ci résister à sa convoitise (Bassirou et Ismaïla), de ce peuhl qui, pour sauver son ami mourant de désir, lui cède sa propre femme123, tout cela montre que la fraternité d'élection inspire des sentiments aussi forts pour le moins que la fraternité du sang.
Il est bon de noter en passant que l'histoire de Mafal, dans Bérenger-Féraud, témoigne d'un certain scepticisme quant au dévouement des amis dans l'adversité124. On se rappellera aussi le dicton de Kothi Barma dans le conte de Bérenger-Féraud. «On a parfois un ami, on n'en a jamais plusieurs» (cf. le conte de L'hyène et l'homme son compère).
2º Idées religieuses.—Sociabilité.—Si nous écartons d'emblée les contes—relativement peu nombreux dans ce recueil—d'inspiration musulmane, on trouvera peu d'indications sur les idées religieuses des noirs.
Le dieu des Gourmantié: Outênou est, comme son confrère Ouinndé, dieu des Môssi, un potentat assez bénin qui philosophe, par le truchement de ses envoyés, avec les serviteurs plus ou moins sincères d'Allah, son concurrent envahissant. Quant à NGouala (ou Nouala), sorte d'Allah déformé à l'usage des Bambara fétichistes évoluant vers le monothéisme, c'est, lui aussi, une personnalité pleine de «bonace», un roi d'Yvetot, parfois à court d'argent, qui se voit obligé d'avoir recours aux humains de temps à autre quand l'arrivée d'hôtes inattendus ou la mort de sa belle-mère lui occasionnent des dépenses inaccoutumées.
Outênou connaît les faiblesses humaines; comme juge, il frôle, et de très près, la prévarication. Aussi serait-il mal venu à prêcher l'intégrité aux hommes. (V. Les méfaits de Fountinndouha où il donne raison à un sacripant, celui-ci lui ayant promis comme épices un don de trois idiots).
Tous ces dieux sont faits à l'image des petits potentats locaux, ce qui donnerait à penser que ces derniers ne furent pas toujours de si odieux tyrans qu'on les a représentés.
Ici, comme partout, l'anthropomorphisme se manifeste et les dieux sont faits à l'image des plus puissants des hommes dans une société où la puissance fut initialement la plus respectée des qualités.
Le noir se gausse, à l'occasion, des mômeries des hypocrites (V. Outênou et le marabout et Le boeuf marchand de grigris) 125. Il ne méconnaît pas le parti fructueux que tirent les marabouts et prêtres de toute sorte des sentiments religieux des naïfs... ce qui ne l'empêche pas, à l'occasion, de tomber dans leurs filets.
Il semble qu'il y ait dans quelques contes des traces de dendrolâtrie ou culte primitif des arbres. V. à ce sujet le conte de NMolo Diâra où celui-ci sacrifie un mouton au baobab. V. aussi le conte d'Amady Sy et ce qu'il y est dit des arbres prophétiques de Sendêbou, qui approuvent ou désapprouvent l'élection des nouveaux chefs et annoncent à l'almamy sa mort ou sa guérison en cas de maladie.
Il y a lieu aussi de noter quelques manifestations de patriotisme ou, plus exactement, de solidarité raciale. Le noir a, en premier lieu, la fierté de son village natal et en éprouve la nostalgie quand il en est éloigné. Ce patriotisme de clocher, si naturel à l'homme, se manifeste dans le conte du Courage mis à l'épreuve. Le kitâdo, qui n'a plus de parents dans son village d'où on l'a chassé, regrette pourtant d'en être éloigné.
Cette idée prend rarement une plus grande extension pour devenir un sentiment s'apparentant au patriotisme. Quand le fait se produit, quand il y a, comme dans l'histoire de Yamadou Hâvé, un acte de dévouement à la race, ce dévouement-là n'a qu'un rapport relatif avec celui d'un Décius et d'un Winkelried se vouant à la mort pour assurer la victoire de leurs compatriotes. C'est un marché où Yamadou stipule, en échange du sacrifice de sa vie, le pouvoir pour ses descendants et tous les avantages qu'il peut obtenir. C'est encore le cas, quoique à un moindre degré, puisqu'elle a déjà le pouvoir de fait, pour le dévouement de la reine Aoura Pokou sacrifiant son fils au fleuve Comoé dans le conte rapporté par Delafosse.
Quant à la fille du massa, dans le conte de ce nom elle se sacrifie pour son père plutôt que pour sa race.
Esprit d'association.—Le noir a-t-il tendance à s'associer en vue d'un but à atteindre? Il semble assez sceptique quant aux avantages qui peuvent résulter de la mise en commun de l'effort. Son bon sens et son esprit d'observation lui ont démontré que si l'union fait la force, elle fait la force surtout du plus roublard des membres de l'association. Dans les contes où il s'agit d'association, on voit presque toujours les associés naïfs roulés éhontément. Dans les fables, cette malchance de l'un des associés est constante et l'associé qui ne retire de son association que des désavantages s'appelle l'hyène. L'autre est le lièvre. La moralité semble donc ici: Ne vous associez à quelqu'un que si vous avez la rouerie du lièvre.
Si l'association produit ses effets utiles quelquefois, c'est dans des contes où l'imagination cherche moins à serrer la réalité que dans les fables126 (au point de vue de l'action, sinon des personnages). Voir en ce sens, Les dons merveilleux du guinnârou. Mais il y a des contes, au moins aussi nombreux, où l'association profite à un seul qui rémunère peu généreusement ses associés eu égard aux risques courus (V. Les six compagnons,—Ntyi vainqueur du boa, etc., etc.).
Dévouement au maître.—Les sentiments d'affection qu'un maître peut inspirer à son serviteur vont-ils, de la part de ce dernier, jusqu'au sacrifice de soi-même? Il n'en est pas d'exemple. Sans doute les captifs de la mère de Samba Guélâdio Diêgui lui donnent tout le mil qu'ils ont glané et se contentent d'herbes et de feuilles d'arbre pour leur propre nourriture—sacrifice digne d'être pris en considération de la part de gens qui traitent dédaigneusement ceux des autres races de mangeurs d'herbe127—mais on ne verra pas d'exemples analogues à ceux du fidèle Jean ou d'Henri-au-coeur-cerclé-de-fer dans les contes allemands128.
Certains captifs ont cependant une très forte affection pour leurs maîtres puisqu'ils mettent le souci de l'honneur de ceux-ci au-dessus du désir de leur plaire. Sévi Malallaya (conte de S.-G. Diêgui) et Albarka Babata (conte des Sorkos, Desplagnes, op. cit.) reprochent à leur maîtres leur inaction. Voir aussi le conte du làri reconnaissant, fidèle à son maître dans le malheur, conformément au proverbe bambara que l'on doit boire de l'infusion amère de cailcédrat avec celui qui vous a fait boire jadis de son eau miellée.
Reconnaissance.—Les noirs apprécient la beauté morale de la reconnaissance, mais ne croient pas outre mesure à la fréquence de sa mise en pratique. Ils représentent volontiers l'homme comme l'ingrat par excellence (V. Ingratitude,—Les obligés ingrats de NGouala—Mâdiou le charitable 129).
Molo et S.-G. Diêgui témoignent une médiocre reconnaissance aux animaux qui leur ont donné leurs talismans. L'un et l'autre tuent leur bienfaiteur. Il est vrai qu'ils n'agissent ainsi que pour empêcher que pareil don soit fait à quelque autre homme. C'est une explication, mais pas une excuse. De même encore les frères de Hammadi Bitâra (conte de Fatouma Siguinné) essaient de faire périr le frère qui les a sauvés.
Il y a d'ailleurs des contes où des animaux, et même des hommes, se montrent reconnaissants envers qui les a obligés (V. Ingratitude—Le lâri reconnaissant130—La protection des djihon, etc.).
Magnanimité.—Les noirs comprennent la magnanimité et admirent l'effort auquel elle oblige celui qui pardonne une offense. S'il y a, dans leurs contes, des récits dont un ressentiment, souvent féroce131, fait le fond, il s'en trouve beaucoup aussi où l'offensé oublie son ressentiment, telle l'orpheline pardonnant à sa marâtre (La marâtre punie), le pauvre pardonnant au fils de roi (D'où vient le soleil). V. encore: Une leçon du bonté,—Les deux Ntyi—Bassirou et Ismaïla. Chez les fétichistes surtout on constate une certaine facilité à oublier les injures, tandis que le pieux NDar, envoyé d'Allah, ne pardonne pas à sa mère et que S.-G. Diêgui, croyant, n'oublie qu'à demi les mauvais procédés de Konkobo Moussa à son endroit, non plus que ceux du tounka envers sa mère.
Compassion.—L'indigène n'a pas de pitié pour les infirmes, peut-être parce que, sa sensibilité physique étant peu développée, il ne sent pas toute l'horreur de leur sort. Maintes fois j'ai vu mes porteurs se gausser au passage des aveugles et se pâmer aux cris inarticulés des muets ou au gambillement des boiteux. A ce point de vue, ils sont inférieurs aux blancs, non par la sensibilité, mais par la compréhension de la souffrance. Cela est tellement probable que, pour certaines misères, celle par exemple des orphelins que tourmente une marâtre, ils sont pleins d'une pitié attendrie, comme le montrent les nombreux contes imaginés sur ce thème.
Hospitalité.—Générosité.—Les indigènes ont-ils le sens de l'hospitalité et de la générosité sans arrière-pensée? J'ai tendance à croire que, dans les manifestations apparentes de ces sentiments chez eux, il y a plus d'ostentation que de bienveillance, instinctive ou réfléchie. On peut cependant invoquer à l'appui de l'opinion contraire l'antipathie violente dont ils témoignent contre l'avarice. Ils criblent ce vice de sarcasmes dans un certain nombre de contes, parmi lesquels je citerai: L'avare et l'étranger et Ybilis.
Peut-être, il est vrai, ces sarcasmes ont-ils pour but de stimuler la vanité de ceux qui font passer leur intérêt propre avant leur amour-propre. Peut-être la gloriole des uns joue-t-elle de la fausse honte des autres pour les amener à ne rien conserver pour soi. Cette explication me semblerait plausible si les contes sont, dans leurs premières conception et forme, l'oeuvre de ces parasites qu'on nomme griots.
Respect pour les vieillards.—Le noir respecte les vieillards en général parce qu'il y retrouve l'image de son père et de sa mère, soit dans le présent, soit dans l'avenir. De plus, il considère en eux l'expérience acquise qui confère à ceux-ci une force morale rehaussant singulièrement le prestige qu'ils ont pu perdre du fait de leur affaiblissement physique (V. à ce sujet le conte de La femme fatale).
Pitié.—Envers les animaux, les indigènes ne manifestent guère de pitié. Ils soignent ceux qui leur sont utiles et dont la perte leur occasionnerait un remplacement onéreux, mais ils ne les aiment qu'en raison du parti qu'ils en tirent132. Les Peuhl prennent soin de leurs boeufs autant que des membres de leur propre famille, sinon davantage. Les Torodo, notamment, aiment leur cheval jusqu'à lui donner un nom comme à une personne. Quand au chien, on le considère comme gardien de la maison et comme un protecteur contre les méfaits des guinné, (V. Le chien de Dyinamoussa,—Le canari merveilleux) mais on ne lui témoigne pas d'affection véritable.
Dans un seul conte on voit l'attachement désintéressé à un animal: l'affection maternelle d'une vieille pour son taureau. (V. Takisé, le taureau de la vieille).
Quant aux captifs, on les tient pour des gens de caste inférieure avec lesquels il est déshonorant de s'unir. C'est ainsi que S.-G. Diêgui veut se suicider à cause du mariage de sa mère avec le captif Barka. Cependant il semble résulter des contes que, loin de refuser aux fils, nés de captifs et d'hommes libres, l'intelligence et les qualités de coeur, on les oppose souvent, et à leur avantage, aux enfants issus de parents libres l'un et l'autre.
Orgueil.—L'orgueil est le défaut le plus évident des noirs. C'est le premier dont on se rende compte d'abord et c'est par l'orgueil qu'on tient le plus sûrement ceux-ci. Le lièvre, ce psychologue avisé, n'ignore pas que l'orgueil est le plus grand ressort des êtres pensants et il en joue magistralement vis-à-vis de ses dupes. (Voir les contes du Grigri de malice, de La vache de brousse, etc., etc.).
Sens de l'ordre et de la discipline.—La plupart des noirs, ceux du moins qui se sont constitués en société, ont le sens de l'ordre et, pour obtenir qu'il règne dans leurs groupements, ils s'astreignent sans difficulté à l'obéissance. Voyez les Diolof choisissant Diâdiane pour chef parce qu'il a su faire un partage juste du produit de leur pêche entre de petits pêcheurs133 et, par là, empêcher le retour des contestations quotidiennes auxquelles ce partage donnait lieu Auparavant.
Idées.—Si, de l'étude des sentiments, nous passons à celle des idées, nous trouverons encore dans les contes des indications utiles à recueillir.
Le noir—ceci résulte de sa littérature même—voit à l'existence divers buts, presque tous matériels d'ailleurs: La conquête du pouvoir, celle de la fortune, celle de la femme désirée. Le quatrième but répond à ses instincts de vanité: c'est la conquête de la considération134.
Pour atteindre ces buts divers, le noir sacrifiera tout, même sa vie qu'il considère comme chose négligeable, car il ne voit au delà de la vie que ce pis-aller peu effrayant: le néant. Même islamisé, il ne semble guère croire à une vie future ou, s'il y croit, c'est avec l'espoir de racheter, grâce à quelques bonnes oeuvres de la dernière heure, tous les méfaits, petits et gros, qu'il aura pu commettre au cours de son existence.
Ce mépris de la vie est facile à constater dans les contes. Voyez avec quelle indifférence le conteur narre la mort des porteurs de mauvaises nouvelles (S.-G. Diêgui). Un coup de poing de Birama et c'est fini. Le narrateur ne s'attarde pas pour si peu. S'indigner, s'attendrir même, il n'y songe pas. La contrariété que ces courriers fâcheux causent à leur maître légitime justifie ce geste brutal et de si peu de conséquences. D'ailleurs, en ce pays, on a si souvent la mort sous les yeux qu'on se familiarise avec l'idée d'une fin définitive. L'Européen comme les noirs.
Dans le conte de Bilâli encore, deux des personnages, Bilâli et Sanio, promettent leur vie contre la possession éphémère de la femme désirée; un troisième fait cet échange contre des boeufs et un beau cheval. Ils acceptent que leur vie soit courte, sous condition qu'elle soit bonne.
Cette façon d'envisager l'existence prouve une bien faible foi en l'Au-Delà. Et en effet la conception de la vie reste profondément matérialiste malgré tous les enseignements de l'Islam. Il s'agit donc de réaliser la plus grande somme de jouissances en ce monde et les moyens dont on usera pour y parvenir constitueront les deux grandes vertus que le noir prise par dessus tout: le courage et la ruse.
Le courage est donc apprécié grandement et les braves sont honorés par les guinné eux-mêmes. (V. en ce sens contes du Guinné altéré)—de S.-G. Diêgui—d'Hdi Diammaro—La lionne coiffeuse, etc. Mais comme le courage n'est souvent qu'une force aveugle et incapable de tirer parti de ses ressources, l'admiration des noirs place la ruse encore bien au-dessus de lui. Aussi le héros de la vie pratique est-il le lièvre, symbole de l'homme avisé, ou bien encore des individus d'une honnêteté plus que douteuse mais débrouillards comme MBaye Poullo, NMolo Diâra, Féré (du Fils adoptif du guinnârou).
Sans doute le héros principal du conte—littérature de passe-temps—est l'homme courageux; mais celui des fables—littérature d'enseignement pratique (de fait plus encore que d'intention)—est le personnage roublard qui, malgré son peu de moyens physiques, arrive à ses fins et triomphe constamment de la force brutale.
Ceci ne veut pas dire que le noir refuse son admiration—toute platonique—aux qualités que toutes les races humaines s'accordent à honorer, sinon à mettre en pratique. Il leur donne volontiers cette satisfaction dont se paie la vanité de bon nombre d'humains.
Ainsi le conte, et même la fable, honorent le respect de la parole donnée (Le roi et le lépreux)135. Ils flétrissent l'envie (Sambo et Dioummi,—Les deux Ntyi), l'avarice (Les deux Ntyi). Ils raillent les fanfaronnades des hâbleurs (V. Les six géants et leur mère,—La fanfaronnade,—Hâbleurs bambara,—A la recherche de son pareil, etc.) Ils conseillent la modération dans les ambitions et désirs de toute sorte. C'est ainsi que ceux qui prétendent trouver chez leur future épouse des qualités peu communes (ce que symbolise peut-être l'idée de la personne sans balafres se voient punis de leur excessive prétention) par les défauts moraux, contre-partie de la perfection physique (Voir tous les contes relatifs aux marques cicatricielles).
Note 135: (retour) Noter que ce respect ne va pas jusqu'à engendrer des actions dans le genre de celles de Régulus ou de Porcon de la Babinais, sauf peut-être dans le conte de Bérenger-Féraud (Les deux amis brouillés par leur maîtresse) qui rappelle dans sa dernière partie l'histoire de Damon et Pythias.
Les contes et fables blâment encore la goinfrerie et l'intempérance (V. L'ivresse de l'hyène, etc.). Ils prônent la discrétion, parfois même aux dépens de la franchise, car la vérité n'est pas toujours bonne à dire et mieux vaut la taire quand elle est trop désagréable à entendre. (V. Hammat et Mandiaye.) Ils montrent la complaisance et la courtoisie récompensées (Voir la femme fatale,—Hdi Diammaro, etc.).
De même ils sont sévères pour l'intempérance de langue (V. Le sounkala de Marama,—Orpheline de mère,—Hammat et Mandiaye,—Le canari merveilleux)136, mais moins au point de vue moral qu'au point de vue pratique. Ici le noir raille plus qu'il ne morigène. On ne trouve pas chez le noir:
Ces haines vigoureuses
Que doit donner le vice aux âmes vertueuses.
Quant à la paresse, elle se voit excusée avec une indulgence amusée dès qu'elle se montre ingénieuse. Le lièvre, notamment, a toute la sympathie de l'auditeur des contes quand il trouve moyen de tirer profit du travail auquel il a refusé de participer (V. La case des animaux de brousse et Le forage du puits). NMolo bénéficie de la même indulgence quand il fait travailler à sa gerbe les petits palefreniers du fama Da Diâra.
Il reste encore à signaler le goût des noirs pour des paris dont l'enjeu est souvent leur propre vie (V. Guéhuel et damel,—La tête de mort,—Les bons coureurs,—Quels bons camarades!—Le bien qui vient en dormant).
Pour en finir avec cette étude un peu aride je renvoie le lecteur à ce j'ai dit (Chapitre I) des conceptions ethniques, cosmogoniques et zoologiques des noirs telles qu'elles semblent ressortir des contes de ce recueil.
Il va de soi que je n'entends pas dégager de ces contes une cosmogonie cohérente et complète. J'ai indiqué seulement à titre de curiosité les quelques récits relatifs à ces idées.
Ici se termine une étude que j'aurais voulu condenser davantage et présenter sous une forme moins aride; mais j'ai dû sacrifier la concision à la clarté. Je me suis préoccupé avant tout d'effectuer un premier tri des matériaux que je présente au public afin de préparer son travail à celui que la littérature merveilleuse indigène intéressera et qui voudra en faire une étude plus approfondie et plus savante que celle-ci.
Bandiagara, Octobre 1912.
F. V. Equilbecq.
N'ayant pris connaissance des «Contes populaires d'Afrique» (R. Basset. Guilmoto, éditeur), et des «Contes soudanais» (Monteil. Leroux, éditeur), que tardivement et au cours de l'impression de cet essai, je n'ai pu, malgré l'intérêt de comparaison qu'ils présentent, faire état de ces recueils dans l'étude ci-dessus. Je les signale à ceux que le folklore indigène intéresse et y renverrai dans les notes et éclaircissements placés à la fin de chacun de mes contes quand il y aura lieu à comparaison.
CONTEURS AYANT COLLABORÉ
AU PRÉSENT RECUEIL
AHMADOU DIOP—Ouolof.—Brigadier-chef de gardes régionaux à Yang-Yang (Sénégal).
BOUBAKAR MAMADOU—Torodo.—Garde-régional de 1re classe à Yang-Yang. (Sénégal).
SALIFOU GORNGO—Môssi.—Garde-cercle à Pama (Cercle de Fada).
DEMBA KAMARA—Malinké.—Garde-cercle à Pama (Cercle de Fada).
BADIAN KOULIBALY—Bambara.—Garde-cercle à Fada NGourma (Cercle de Fada).
KAMORY KEÏTA (dit Samba Diallo)—Malinké.—Garde-cercle à Fada NGourma (Cercle de Fada).
FILI KONÉ (dit Dielifili)—Malinké.—Garde-cercle à Fada NGourma (Cercle de Fada).
MOUSSA DIAKITÉ—Bambara.—Garde cercle à Fada NGourma (Cercle de Fada).
GAYE BA—Torodo.—Brigadier-laptot à Dubréka.
EDOUARD NGOM—Ouolof.—Brigadier des Douanes à Sambadougou (Cercle de Faranah, Guinée Fr.).
SAMAKO NIEMBÉLÉ (dit Samba Taraoré)—Bambara.—Interprète à Fada puis à Bandiagara.
AMADOU SY—Torodo.—Interprète à Koyah (Guinée Fr., Cercle de Dubréka).
KALOUDO—Peuhl.—Elève-médecin à Fada, Ngourma.
OUSMANN GUISSÉ—Torodo.—Griot. Lampiste à Dubréka.
MBABA GALLO—Ouolof.—Griot de MBallarhé (Cercle de Louga, Sénégal).
BALLO YATARA—Peuhl.—Griot de Fada.
AMADOU YÉRO (dit Sidi Mâbo)—Torodo.—Griot et dioula à Fada.
OUMAROU SAMBA—Peuhl.—Griot de Bandiagara.
MAKI KARAMBÉ—Kâdo.—Griot de Bandiagara.
AMADOU MBAYE—Ouolof.—Cadi de Yang-Yang (Sénégal).
SAMBA ATTA DABO (dit Sadiandiam Dâbo)—Ouolof.—Exorciste à Yang-Yang.
CLEVELAND. Ecrivain indigène à Kaolakh (Sénégal).
Mame NDiahouar—Ouolof.—Menuisier à Kaolakh.
ALDIOUMA TARAORÉ—Sénofo de Sikasso.—Menuisier à Fada.
FAMORO SARDOUKA.—Dioula kissien.
KEURFA KÉRA.—Malinké de Leyadoula (Cercle de Faranah).—Cultivateur.
KANDA KAMARA.—Malinké de Faranah.
SANICI TARAORÉ. Chef de village malinké (Demba Siria; Cercle de Faranah).
FADÊBI TARAORÉ—Bambara de Kôkou (Cercle de Bougouni, Côte d'Ivoire).
BENDIOUA—Gourmantié.—Palefrenier à Bogandé (Cercle de Fada).
YAMBA—Môssi.—Palefrenier à Bogandé (Cercle de Fada).
PATÉ DIALLO—Peuhl.—Palefrenier à Bogandé (Cercle de Fada).
DYIGUIBA TAPILI—Kâdo.—Palefrenier à Bandiagara.
NOUNDIA TENDABA—Gourmantié.—Boy à Fada et Bandiagara.
ISSA KOROMBÉ—Dyerma.—Cuisinier à Fada et Bandiagara.
AMADOU KOULOUBALY—Bambara.—Cuisinier à Yang-Yang.
DEMBA SAMAKÉ—Bambara.—Cuisinier à Dubréka.
YARÉDIA,—jeune Gourmantié—de Fada.
YÉRIFIMA, fils d'Onouânou,—Gourmantié de Fada.
YAMBA, fils d'Oyempâgo.—Elève gourmantié de l'école de Fada.
TALATA.—Elève gourmantié de l'école de Fada.
SANKAGO, fils d'Abdou.—Elève gourmantié de l'école de Fada.
IBRAHIMA GUIRÉ.—Elève gourmantié de l'école de Fada.
MOPO.—Elève gourmantié de l'école de Fada.
TANKOUA, fils de Papandia.—Elève gourmantié de l'école de Fada.
HAMANN TOURÉ.—Elève rimâdio de l'école de Bandiagara.
MAKI TAL.—Elève rimâdio de l'école de Bandiagara.
AMADOU BA.—Elève rimâdio de l'école de Bandiagara.
BILALI TAMBOURA.—Elève rimâdio de l'école de Bandiagara.
SAGOU KÉLÉPILI.—Elève kâdo de l'école de Bandiagara.
MAKI KARAMBÉ.—Elève kâdo de l'école de Bandiagara.
BAKRARI KAMARA.—Elève malinké de l'école de Bandiagara.
NGADA KAREMBÉ.—Rimâdio de Bandiagara.
Fe SOGOUÉ TARAORÉ.—Malinké—de Keurfamoréa (Cercle de Kankan, Guinée fr.).
Fe AMINATA TARAORÉ.—Malinké—de Soumankoye (Cercle de Kankan).
Fe SAMBA OUOLOGUÉ (dite Samba Kâdo).—Mendiante de Bandiagara.
Fe ADAMA YOUMANDI—Peuhl—de Bauddêni (Cercle de Fada).
Jeunes gourmantié de Bogandi (Cercle de Fada):
Fe YELBI
Fe OURDlO
Fe NASSA
Fe KAMISSA SOUKO—Malinké,—femme d'Amadou Ly, interprète à Fada.
Fe FATIMATA OAZI—Dyerma,—(ayant vécu longtemps chez les Haoussa) femme de l'interprète Samako Niembelé.
Fe ELISABETH NDIAYE, Ouolove de St-Louis.
Le Dr CREMER, médecin de l'Assistance médicale indigène à Koury (Cercle de Dêdougou) a bien voulu me communiquer quelques contes recueillis par lui. Trois de ces contes figurent dans le recueil.
I
TAKISÉ
LE TAUREAU DE LA VIEILLE
(Haoussa).
Une des vaches du troupeau d'un Peuhl s'échappa au moment de vêler et alla mettre bas dans un «vieux» lougan (champ). Elle regagna ensuite le parc à bestiaux de son maître. Les taureaux, la voyant débarrassée, se mirent à la recherche de son petit, mais ils eurent beau fouiller les broussailles, ils ne trouvèrent rien et rentrèrent tristement au parc en se disant que le veau avait sans doute été dévoré par quelque fauve.
Une vieille, qui cherchait des feuilles d'oseille pour la sauce de son touho (couscouss), dans ce lougan abandonné, aperçut le veau couché sous un arbuste. Elle l'emporta chez elle et le nourrit de son, de mil salé et d'herbe.
Le veau grandit et devint un taureau gros et gras.
Un jour un boucher vint demander à la vieille de lui vendre son taureau mais elle s'y refusa formellement «Takisé, dit-elle (elle avait donné ce nom à son nourrisson), «Takisé n'est pas à vendre.» Le boucher, mécontent du refus, alla trouver le sartyi137 et lui dit: «Il y a chez la vieille Zeynêbou un «gros taureau qui ne doit être mangé que «par toi tant il est beau.»
Le sartyi envoya le boucher et 6 autres avec lui sous le commandement d'un de ses dansama138, chercher le taureau de la vieille. Quand la petite troupe arriva chez Zeynêbou le messager du chef dit à celle-ci: «Le sartyi nous envoie prendre ton taureau «pour l'abattre dès demain».—«Je ne puis «m'opposer aux volontés du roi, répondit-elle. «Tout ce que je vous demande c'est de «ne m'enlever Takisé que demain matin.»
Le lendemain, au point du jour, le dansama et les sept bouchers se présentèrent chez la vieille et se dirigèrent vers le piquet auquel était attaché Takisé. Celui-ci marcha à leur rencontre en soufflant bruyamment et cornes basses. Les huit hommes, peu rassurés, reculèrent et le dansama, appelant la vieille, lui dit: «La vieille! dis donc à ton taureau «de se laisser passer la corde au cou.»
La vieille s'approcha du taureau: «Takisé! mon Takisé, lui demanda-t-elle, laisse-les te passer la corde au cou.» Le taureau alors se laissa faire. On lui mit le licol et on lui attacha une patte de derrière avec une corde pour l'emmener chez le sartyi. Arrivés devant le roi, les bouchers couchèrent le taureau sur le flanc et lui lièrent les quatre membres puis un d'eux s'approcha avec son coutelas pour l'égorger; mais le coutelas ne coupa même pas un poil de l'animal, car Takisé avait le pouvoir d'empêcher le fer d'entamer sa chair.
Le chef des bouchers pria le sartyi de faire venir la vieille. Il déclara que, sans elle, il serait impossible d'égorger Takisé qui devait avoir un grigri contre le fer. Le sartyi manda la vieille et lui dit: «Si on n'arrive pas à égorger ton taureau sans plus tarder, je vais te faire couper le cou.»
La vieille s'approcha de Takisé qui était toujours lié et couché sur le côté et lui dit: Takisé mon Takisé laisse-toi égorger. Tout est pour le sartyi maintenant.»
Alors le doyen des bouchers égorgea Takisé sans nulle peine. Les bouchers dépouillèrent le cadavre, le dépecèrent et en portèrent toute la viande devant le sartyi. Celui-ci leur commanda de remettre à la vieille pour sa part la graisse et les boyaux.
La vieille mit le tout dans un vieux panier et l'emporta chez elle. Arrivée là, elle déposa graisse et boyaux dans un grand canari, car elle ne se sentait pas le courage de manger de l'animal qu'elle avait élevé et à qui elle avait tant tenu.
La vieille n'avait ni enfant ni captive et devait faire son ménage elle-même; mais il advint que, depuis qu'elle avait déposé dans le canari des restes de Takisé, elle trouvait chaque jour sa case balayée et ses canaris remplis d'eau jusqu'au bord. Et il en était ainsi chaque fois qu'elle s'absentait un moment. C'est que la graisse et les boyaux se changeaient tous les matins en deux jeunes filles qui lui faisaient son ménage.
Un matin, la bonne femme se dit: «Il «faut que je sache aujourd'hui même qui me «balaye ainsi mon aire et me remplit mes «canaris...». Elle sortit de sa case et en ferma l'entrée avec un séko139 puis, se tenant derrière le séko, elle s'assit et guetta à travers les interstices du nattage, ce qui allait se passer à l'intérieur.
A peine était-elle assise qu'elle entendit du bruit dans la case. Elle attendit sans bouger. C'étaient des frottements de balais sur le sol qui produisaient ce bruit. Alors elle renversa brusquement le séko et aperçut les deux jeunes filles qui couraient vers son grand canari pour y rentrer au plus vite: «Ne rentrez pas! leur cria-t-elle. Je n'ai «pas d'enfant, vous le savez: nous vivrons «ici toutes trois en famille.»
Les jeunes filles s'arrêtèrent dans leur fuite et vinrent auprès de la vieille. Celle-ci donna à la plus jolie le nom de Takisé et appela l'autre Aïssa.
Elles restèrent longtemps avec la vieille sans que personne s'aperçut de leur présence car jamais elles ne sortaient. Un jour un gambari (marchand) se présenta chez elle et demanda à boire. Ce fut Takisé qui apporta l'eau, mais l'étranger était tellement ravi de sa beauté qu'il ne put boire.
Quand il rendit visite au roi, le gambari lui raconta qu'il avait vu chez une vieille femme du village une jeune fille d'une beauté sans pareille: «Cette fille, conclut-il ne peut avoir qu'un sartyi pour époux.»
Le sartyi ordonna incontinent à son griot d'aller, en compagnie du dioula, chercher la jeune fille. Elle se présenta, suivie de la vieille. «Ta fille est merveilleusement jolie dit le sartyi à cette dernière, je vais la prendre pour femme.—Sartyi, répondit la vieille, je veux bien te la donner comme épouse mais que jamais elle ne sorte au «soleil ou ne s'approche du feu, car elle fondrait «aussitôt comme de la graisse.»
Le sartyi promit à la vieille que jamais Takisé ne sortirait aux heures de soleil et que jamais non plus elle ne s'occuperait de cuisine. Il n'y avait donc pas à craindre de cette façon qu'elle fût exposée à la chaleur qui lui était funeste.
Takisé épousa le roi qui lui donna la place de sa femme préférée. Celle-ci, déchue de son rang, n'eut plus que la situation des femmes ordinaires, de celles qui ne doivent jamais se tenir, sans ordre exprès, au côté de leur mari.
Au bout de sept mois, le sartyi s'en fut en voyage. Le lendemain de son départ, ses femmes se réunirent et dirent à Takisé: «Tu es la favorite du chef et tu ne travailles «jamais. Si tu ne nous fais de suite griller «ces graines de sésame, nous allons te tuer «et nous jetterons ton corps dans la fosse «des cabinets.»
Takisé, effrayée par cette menace, s'approche du feu pour faire griller les graines de sésame dans un canari, et, à mesure qu'elle en surveillait la torréfaction, son corps fondait comme beurre au soleil et se transformait en une graisse fluide qui donna naissance à un grand fleuve.
Les autres femmes du roi assistaient, sans en être émues, à cette métamorphose. Quand tout fut terminé, l'ancienne favorite leur dit ceci: «Maintenant, soyez-en certaines, «nous voilà perdues sans retour car «le sartyi, une fois revenu de voyage, nous «fera couper la tête. Sûrement il ne «pourra nous pardonner d'avoir contraint «sa préférée à travailler près du «feu jusqu'à ce qu'elle soit entièrement «fondue. Et la première décapitée, ce sera «moi.»
Les femmes du roi vécurent donc, jusqu'au retour de leur mari, dans l'appréhension d'une mort inévitable.
Le sartyi revint de voyage quelques jours après. Avant même de boire l'eau qu'on lui offrait, il appela sa préférée «Takisé! Takisé!» L'ancienne favorite alors s'approcha de lui et lui dit: «Sartyi et mari, je ne peux rien te cacher. En ton absence, les petites (c'était les co-épouses qu'elle désignait ainsi) ont fait travailler ta favorite, Takisé, près du feu. Elle a fondu comme beurre et, ce fleuve nouveau que tu aperçois dans le lointain, c'est elle qui lui a donné naissance en fondant de la sorte.»
«—Il me faut ma Takisé!» Telle était l'idée fixe du sartyi qui courut aussitôt vers le cours d'eau, suivi de son ancienne favorite.
Quand ils furent au bord du fleuve, le roi se changea en hippopotame et plongea à la recherche de Takisé. La favorite d'autrefois, qui avait un sincère amour pour son mari, prit la forme d'un caïman et entra dans l'eau, elle aussi, pour ne pas quitter le sartyi.
Depuis lors hippopotame et caïman n'ont pas cessé de vivre dans les marigots.
Bogandé, 1911.
Fatimata Oazi (Interprété par SAMAKO
NIEMBÉLÉ dit SAMBA TARAORÉ).
ÉCLAIRCISSEMENTS
Cf. Die Wichtelmoenner (Grimm) et Sneegoroutchtka, conte russe.
II
LE FILS DES BARI
(Soussou)
En avril 1899, j'ai été désigné pour rétablir le poste de Douanes de Dankaldo dans le Kissi. A ce moment-là j'avais avec moi, comme caporal-laptot, un Timiné140, du nom d'Ali Bangoura, qui avait déjà fait avec moi le poste de Matakon. Quand je partis de ce dernier poste, Nâna, la femme de mon caporal, était enceinte. Lorsqu'en 1902 on m'envoya à Salatouk dans la Mellacorée je m'y retrouvai encore avec Ali Bangoura. Sa femme était enceinte de nouveau.
Ne pouvant supposer que la grossesse de celle-ci durât depuis mon départ de Matakon, je demandai à Ali ce qu'était devenu l'enfant dont elle avait dû accoucher après mon départ et il me raconta l'histoire que voici:
Vers le mois de mai 1899, Nâna avait donné naissance à un garçon, mais ce petit garçon ne ressemblait en rien aux autres enfants. Il était venu au monde avec une tête énorme et, à l'âge de trois ans, il ne savait pas encore se tenir sur ses jambes. Où on le plaçait, il restait immobile, à vrac, comme un paquet. La bave qui coulait de sa bouche avait donné la gale à sa mère. Et ses parents se désolaient, ne pouvant rien comprendre à tout cela.
Une vieille leur dit un jour: «Mais ce n'est pas un être humain, ce petit monstre, c'est un bâri141!
«—Qu'allons-nous en faire? se demandait le caporal-laptot.—Jette-le dans la brousse! lui conseilla la vieille. Il disparaîtra et vous en serez débarrassés!
«—Crois-tu? dit le caporal anxieux. Mais si le commandant142 l'apprend!... Je n'ose pas.
«—Tu n'as pas besoin d'avoir peur, répliqua la vieille. Expose-le sous un arbre de la plage. S'il est de race humaine, il restera où tu l'auras placé. Mais si c'est un bâri—comme j'en suis convaincue,—ceux de sa race viendront le prendre et l'emporteront avec eux. Il n'y a pas de danger que tu te trompes».
La vieille a demandé 7 oeufs, du riz pilé délayé dans un peu d'eau jusqu'à consistance de pâte et une bouteille de tafia de traite. Du riz, elle a fait 7 boulettes, chacune de la grosseur d'un oeuf. Puis elle a placé les oeufs dans une assiette, les boulettes de riz dans une autre et la bouteille de tafia sur une troisième. Elle, le caporal, Nâna et trois autres vieilles ayant passé l'âge d'avoir des enfants sont partis vers 6 heures du soir au moment où la nuit tombe. Les quatre vieilles portaient l'enfant.
Ils se sont rendus à la plage et ont déposé le petit sous un grand fromager. Les trois assiettes avec leur contenu ont été rangées devant l'enfant. Et la vieille a dit à celui-ci: «Quand tu ne vas plus nous voir, si tu préfères rester avec ta mère, tu n'as qu'à te mettre à pleurer. Mais si tu veux retourner avec ceux de ta race, va-t'en tout de suite. Nous renonçons à toi».
Déjà les autres vieilles étaient allées avec Nâna se cacher derrière l'énorme tronc du fromager. Quand à Ali Bangoura, il s'était éloigné de dix pas, attendant pour voir ce qui allait se passer...
La vieille se dirigea vers le fromager pour s'y cacher avec les autres femmes. A peine avait-elle fait un pas qu'une effroyable bourrasque vint secouer frénétiquement les branches du fromager. Dans l'arbre les singes se mirent à caqueter, à faire un tintamarre assourdissant. Les feuilles s'envolaient comme un essaim, en tourbillonnant par centaines. Cela dura une bonne demi-heure. Tous étaient transis, immobiles d'épouvante.—Enfin le vent cessa.
L'enfant avait disparu et avec lui toutes les offrandes: les 7 boulettes, les 7 oeufs et la bouteille de tafia. Seules, les assiettes étaient toujours au même endroit.
Jamais depuis on n'a revu l'enfant. Jamais plus on n'a entendu rien de lui.