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Histoire de la Révolution française, Tome 04

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L'intrigue la plus honteuse fut celle que lia le baron de Batz, banquier et financier habile, avec Julien, de Toulouse, et Delaunay, d'Angers, les députés les plus décidés à faire fortune. Ils avaient le projet de dénoncer les malversations de la compagnie des Indes, de faire baisser ses actions, de les acheter aussitôt, de les relever ensuite au moyen de motions plus douces, et de réaliser ainsi les profits de la hausse. D'Espagnac, cet abbé délié, qui fut fournisseur de Dumouriez dans la Belgique, qui avait obtenu depuis l'entreprise générale des charrois, et dont Julien protégeait les marchés auprès de la convention, devait fournir en reconnaissance les fonds de l'agiotage. Julien se proposait d'en traîner encore dans cette intrigue Fabre, Chabot, et autres, qui pouvaient devenir utiles comme membres de divers comités.

La plupart de ces hommes étaient attachés à la révolution, et ne cherchaient pas à la desservir mais, à tout événement, ils voulaient s'assurer des jouissances et de la fortune. On ne connaissait pas toutes leurs trames secrètes; mais, comme ils spéculaient sur le discrédit des assignats, on leur imputait le mal dont ils profitaient. Comme ils avaient dans leurs rangs beaucoup de banquiers étrangers, on les disait agens de Pitt et de la coalition; et on croyait encore voir ici l'influence, mystérieuse et si redoutée, du ministère anglais. On était, en un mot, également indigné contre les agioteurs et les accapareurs, et on demandait contre les uns et les autres les mêmes supplices.

Ainsi, tandis que le Nord, le Rhin, le Midi, la Vendée, étaient envahis par nos ennemis, nos moyens de finances consistaient dans une monnaie non acceptée, dont le gage était incertain comme la révolution elle-même, et qui, à chaque accident, diminuait d'une valeur proportionnée au péril. Telle était cette situation singulière: à mesure que le danger augmentait et que les moyens auraient dû être plus grands, ils diminuaient au contraire; les munitions s'éloignaient du gouvernement, et les denrées du peuple. Il fallait donc à la fois créer des soldats, des armes, une monnaie pour l'état et pour le peuple, et après tout cela s'assurer des victoires.

CHAPITRE XII.

ARRIVÉE ET RÉCEPTION A PARIS DES COMMISSAIRES DES ASSEMBLÉES PRIMAIRES.
—RETRAITE DU CAMP DE CÉSAR PAR L'ARMÉE DU NORD.—FÊTE DE L'ANNIVERSAIRE
DU 10 AOUT, ET INAUGURATION DE LA CONSTITUTION DE 1793.—MESURES
EXTRAORDINAIRES DE SALUT PUBLIC.—DÉCRET ORDONNANT LA LEVÉE EN MASSE.
—MOYENS EMPLOYÉS POUR EN ASSURER L'EXÉCUTION.—INSTITUTION DU Grand
Livre
; NOUVELLE ORGANISATION DE LA DETTE PUBLIQUE.—EMPRUNT FORCÉ.
—DÉTAILS SUR LES OPÉRATIONS FINANCIÈRES A CETTE ÉPOQUE.—NOUVEAUX DÉCRETS
SUR LE maximum—DÉCRETS CONTRE LA VENDÉE, CONTRE LES ÉTRANGERS ET CONTRE
LES BOURBONS.

Les commissaires envoyés par les assemblées primaires pour célébrer l'anniversaire du 10 août, et accepter la constitution au nom de toute la France, venaient d'arriver à Paris. On voulait saisir ce moment pour exciter un mouvement d'enthousiasme, réconcilier les provinces avec la capitale, et provoquer des résolutions héroïques. On prépara une réception brillante. Des marchands furent appelés de tous les environs. On amassa des subsistances considérables pour qu'une disette ne vînt pas troubler ces fêtes, et que les commissaires jouissent à la fois du spectacle de la paix, de l'abondance et de l'ordre; on poussa les égards jusqu'à ordonner à toutes les administrations des voitures publiques de leur céder des places, même celles qui seraient déjà retenues par des voyageurs. L'administration du départemens, qui avec celle de la commune rivalisait d'austérité dans son langage et ses proclamations, fit une adresse aux frères des assemblées primaires. «Ici, leur disait-elle, des hommes couverts du masque du patriotisme vous parleront avec enthousiasme de liberté, d'égalité, de république une et indivisible, tandis qu'au fond de leur coeur ils n'aspirent et ne travaillent qu'au rétablissement de la royauté et au déchirement de leur patrie. Ceux-là sont les riches; et les riches dans tous les temps ont abhorré les vertus et tué les moeurs. Là, vous trouverez des femmes perverses, trop séduisantes par leurs attraits, qui s'entendront avec eux pour vous entraîner dans le vice…. Craignez, craignez surtout le ci-devant Palais-Royal, c'est dans ce jardin que vous trouverez ces perfides. Ce fameux jardin, berceau de la révolution, naguère l'asile des amis de la liberté, de l'égalité, n'est plus aujourd'hui, malgré notre active surveillance, que l'égout fangeux de la société, le repaire des scélérats, l'antre de tous les conspirateurs…. Fuyez ce lieu empoisonné; préférez au spectacle dangereux du luxe et de la débauche les utiles tableaux de la vertu laborieuse; visitez les faubourgs, fondateurs de notre liberté; entrez dans les ateliers où des hommes actifs, simples et vertueux comme vous, comme vous prêts à défendre la patrie, vous attendent depuis long-temps pour serrer les liens de la fraternité. Venez surtout dans nos sociétés populaires. Unissons-nous, ranimons-nous aux nouveaux dangers de la patrie, et jurons pour la dernière fois la mort et la destruction des tyrans!»

Le premier soin fut de les entraîner aux Jacobins, qui les reçurent avec le plus grand empressement, et leur offrirent leur salle pour s'y réunir. Les commissaires acceptèrent cette offre, et il fut convenu qu'ils délibéreraient dans le sein même de la société, et se confondraient avec elle pendant leur séjour. De cette manière, il n'y avait à Paris que quatre cents jacobins de plus. La société, qui siégeait tous les deux jours, voulut alors se réunir tous les jours pour délibérer avec les commissaires des départemens, sur les mesures de salut public. On disait que, dans le nombre de ces commissaires, quelques-uns penchaient pour l'indulgence, et qu'ils avaient la mission de demander une amnistie générale le jour de l'acceptation de la constitution. En effet, quelques personnes songeaient à ce moyen de sauver les girondins prisonniers, et tous les autres détenus pour cause politique. Mais les jacobins ne voulaient aucune composition, et il leur fallait à la fois énergie et vengeance. On avait calomnié les commissaires des assemblées primaires, dit Hassenfratz, en répandant qu'ils voulaient proposer une amnistie; ils en étaient incapables, et s'uniraient aux jacobins pour demander, avec les mesures urgentes de salut public, la punition de tous les traîtres. Les commissaires se tinrent pour avertis, et si quelques-uns, du reste peu nombreux, songeaient à une amnistie, aucun n'osa plus en faire la proposition.

Le 7 août, au matin, ils furent conduits à la commune, et de la commune à l'Evêché, où se tenait le club des électeurs, et où s'était préparé le 31 mai. C'est là que devait s'opérer la réconciliation des départemens avec Paris, puisque c'était de là qu'était partie l'attaque contre la représentation nationale. Le maire Pache, le procureur Chaumette et toute la municipalité, marchant à leur tête, introduisent les commissaires à l'Evêché. De part et d'autre, on s'adresse des discours; les Parisiens déclarent qu'ils n'avaient jamais voulu ni méconnaître, ni usurper les droits des départemens; les commissaires reconnaissent à leur tour qu'on a calomnié Paris; ils s'embrassent alors les uns les autres y et se livrent au plus vif enthousiasme. Tout à coup l'idée leur vient d'aller à la convention pour lui faire part de cette réconciliation. Ils s'y rendent en effet, et sont introduits sur-le-champ. La discussion est interrompue, l'un des commissaires prend la parole. «Citoyens représentans, dit-il, nous venons vous faire part de la scène attendrissante qui vient de se passer dans la salle des électeurs, où nous sommes allés donner le baiser de paix à nos frères de Paris. Bientôt, nous l'espérons, la tête des calomniateurs de cette cité républicaine tombera sous le glaive de la loi. Nous sommes tous montagnards, vive la Montagne!» Un autre demande que les représentans donnent aux commissaires le baiser fraternel. Aussitôt les membres de l'assemblée quittent leurs places, et se jettent dans les bras des commissaires des départements. Après quelques instans d'une scène d'attendrissement et d'enthousiasme, les commissaires défilent dans la salle, en poussant les cris de vive la Montagne! vive la république! et en chantant:

La Montagne nous a sauvés
En congédiant Gensonné….
La Montagne nous a sauvés
En congédiant Gensonné.
Au diable les Buzot,
Les Vergniaud, les Brissot!
Dansons la carmagnole, etc.

Ils se rendent ensuite aux Jacobins, où ils rédigent, au nom de tous les envoyés des assemblées primaires, une adresse pour déclarer aux départemens que Paris a été calomnié. «Frères et amis, écrivent-ils, calmez, calmez vos inquiétudes. Nous n'avons tous ici qu'un sentiment. Toutes nos âmes sont confondues, et la liberté triomphante ne promène plus ses regards que sur des jacobins, des frères et des amis. Le Marais n'est plus. Nous ne formons ici qu'une énorme et terrible MONTAGNE qui va vomir ses feux sur tous les royalistes et les partisans de la tyrannie. Périssent les libellistes infâmes qui ont calomnié Paris!… Nous veillons tous ici jour et nuit, et nous travaillons, de concert avec nos frères de la capitale, au salut commun…. Nous ne rentrerons dans nos foyers que pour vous annoncer que la France est libre et que la patrie est sauvée.» Cette adresse, lue, applaudie avec enthousiasme, est envoyée à la convention pour qu'elle soit insérée sur-le-champ dans le bulletin de la séance. L'ivresse devient générale; une foule d'orateurs se précipitent à la tribune du club, les têtes commencent à s'égarer. Robespierre, en voyant ce trouble, demande aussitôt la parole. Chacun la lui cède avec empressement. Jacobins, commissaires, tous applaudissent le célèbre orateur, que quelques-uns n'avaient encore ni vu ni entendu.

Il félicite les départemens qui viennent de sauver la France. «Ils la sauvèrent, dit-il, une première fois en 89, en s'armant spontanément; une seconde fois, en se rendant à Paris pour exécuter le 10 août; une troisième, en venant donner au milieu de la capitale le spectacle de l'union et de la réconciliation générale. Dans ce moment, de sinistres événemens ont affligé la république, et mis son existence en danger; mais des républicains ne doivent rien craindre; et ils ont à se défier d'une émotion qui pourrait les entraîner à des désordres. On voudrait dans le moment produire une disette factice et amener un tumulte; on voudrait porter le peuple à l'Arsenal, pour en disperser les munitions, ou y mettre le feu, comme il vient d'arriver dans plusieurs villes; enfin, on ne renonce pas à causer encore un événement dans les prisons, pour calomnier Paris, et rompre l'union qui vient d'être jurée. Défiez-vous de tant de pièges, ajoute Robespierre; soyez calmes et fermes; envisagez sans crainte les malheurs de la patrie, et travaillons tous à la sauver.»

On se calme à ces paroles, et on se sépare après avoir salué le sage orateur d'applaudissemens réitérés.

Aucun désordre ne vint troubler Paris pendant les jours suivans, mais rien ne fut oublié pour ébranler les imaginations et les disposer à un généreux enthousiasme. On ne cachait aucun danger, on ne dérobait aucune nouvelle sinistre à la connaissance du peuple; on publiait successivement les déroutes de la Vendée, les nouvelles toujours plus alarmantes de Toulon, le mouvement rétrograde de l'armée du Rhin, qui se repliait devant les vainqueurs de Mayence, et enfin le péril extrême de l'armée du Nord, qui était retirée au camp de César, et que les Impériaux, les Anglais, les Hollandais, maîtres de Condé, de Valenciennes, et formant une masse double, pouvaient enlever en un coup de main. Entre le camp de César et Paris, il y avait tout au plus quarante lieues, et pas un régiment, pas un obstacle qui pût arrêter l'ennemi. L'armée du Nord enlevée, tout était perdu, et on recueillait avec anxiété les moindres bruits arrivant de cette frontière.

Les craintes étaient fondées, et dans ce moment en effet le camp de César se trouvait dans le plus grand péril. Le 7 août, au soir, les coalisés y étaient arrivés, et le menaçaient de toutes parts. Entre Cambray et Bouchain, s'étend une ligne de hauteurs. L'Escaut les protège en les parcourant. C'est là ce qu'on appelle le camp de César, appuyé sur deux places, et bordé par un cours d'eau. Le 7 au soir, le duc d'York, chargé de tourner les Français, débouche en vue de Cambray, qui formait la droite du camp de César. Il somme la place; le commandant répond en fermant ses portes et en brûlant les faubourgs. Le même soir, Cobourg, avec une masse de quarante mille hommes, arrive sur deux colonnes aux bords de l'Escaut, et bivouaque en face de notre camp. Une chaleur étouffante paralyse les forces des hommes et des chevaux; plusieurs soldats, frappés des rayons du soleil, ont expiré dans la journée. Kilmaine, nommé pour remplacer Custine, et n'ayant voulu accepter le commandement que par intérim, ne croit pas pouvoir tenir dans une position aussi périlleuse. Menacé, vers sa droite, d'être tourné par le duc d'York, ayant à peine trente-cinq mille hommes découragés à opposer à soixante-dix mille hommes victorieux, il croit plus prudent de songer à la retraite, et de gagner du temps en allant chercher un autre poste. La ligne de la Scarpe, placée derrière celle de l'Escaut, lui paraît bonne à occuper. Entre Arras et Douay, des hauteurs bordées par la Scarpe forment un camp semblable au camp de César, et comme celui-ci appuyé par deux places, et bordé par un cours d'eau, Kilmaine prépare sa retraite pour le lendemain matin 8.

Son corps d'armée traversera la Cense, petite rivière longeant les derrières du terrain qu'il occupe, et lui-même se portera, avec une forte arrière-garde, vers la droite, où le duc d'York est tout près de déboucher. Le lendemain, en effet, à la pointe du jour, la grosse artillerie, les bagages et l'infanterie se mettent en mouvement, traversent la Cense, et détruisent tous les passages. Une heure après, Kilmaine, avec quelques batteries d'artillerie légère, et une forte division de cavalerie, se porte vers la droite, pour protéger la retraite contre les Anglais. Il ne pouvait arriver plus à propos. Deux bataillons, égarés dans leur route, se trouvaient engagés dans le petit village de Marquion, et faisaient une forte résistance contre les Anglais. Malgré leurs efforts, ils étaient près d'être enveloppés. Kilmaine, arrivant aussitôt, place son artillerie légère sur le flanc des ennemis, lance sur eux sa cavalerie, et les force à reculer; les bataillons sont alors dégagés, et peuvent rejoindre le reste de l'armée. Dans ce moment, les Anglais et les Impériaux, débouchant à la fois sur la droite et sur le front du camp de César, le trouvent entièrement évacué. Enfin, vers la chute du jour, les Français sont réunis au camp de Gavrelle, appuyés sur Arras et Douay, et ayant la Scarpe devant eux.

Ainsi, le 8 août, le camp de César est évacué comme l'avait été celui de Famars; Cambray et Bouchain sont abandonnés à leurs propres forces, comme Valenciennes et Condé. La ligne de la Scarpe, placée derrière celle de l'Escaut, n'est pas, comme on sait, entre Paris et l'Escaut, mais entre l'Escaut et la mer. Kilmaine vient donc de marcher sur le côté, au lieu de marcher en arrière; et une partie de la frontière se trouve ainsi découverte. Les coalisés peuvent se répandre dans tout le départemens du Nord. Que feront-ils? Iront-ils, marchant une journée de plus, attaquer le camp de Gavrelle, et enlever l'ennemi qui leur a échappé? Marcheront-ils sur Paris; ou reviendront-ils à leur ancien projet sur Dunkerque? En attendant ils poussent des partis jusqu'à Péronne et Saint-Quentin, et l'alarme se communique à Paris, où l'on répand avec effroi que le camp de César est perdu, comme celui de Famars; que Cambray est livré comme Valenciennes. De toutes parts, on se déchaîne contre Kilmaine, oubliant le service immense qu'il vient de rendre par sa belle retraite.

La fête solennelle du 10 août, destinée à électriser tous les esprits, se prépare au milieu de ces bruits sinistres. Le 9, on fait à la convention le rapport sur le recensement des votes. Les quarante-quatre mille municipalités ont accepté la constitution. Il ne manque dans le nombre des votes que ceux de Marseille, de la Corse et de la Vendée. Une seule commune, celle de Saint-Tonnant, départemens des Côtes-du-Nord, a osé demander le rétablissement des Bourbons sur le trône.

Le 10, la fête commence avec le jour. Le célèbre peintre David a été chargé d'en être l'ordonnateur. A quatre heures du matin, le cortège est réuni sur la place de la Bastille. La convention, les envoyés des assemblées primaires, parmi lesquels on a choisi les quatre-vingt-six doyens d'âge, pour représenter les quatre-vingt-six départemens, les sociétés populaires, et toutes les sections armées, se rangent autour d'une grande fontaine, dite de la Régénération. Cette fontaine est formée par une grande statue de la Nature, qui de ses mamelles verse l'eau dans un vaste bassin. Dès que le soleil a doré le faîte des édifices, on le salue en chantant des strophes sur l'air de la Marseillaise. Le président de la convention prend une coupe, verse sur le sol l'eau de la régénération, en boit ensuite, et transmet la coupe aux doyens des départemens, qui boivent chacun à leur tour. Après cette cérémonie, le cortège s'achemine le long des boulevarts. Les sociétés populaires, ayant une bannière où est peint l'oeil de la surveillance, s'avancent les premières. Vient ensuite la convention tout entière. Chacun de ses membres tient un bouquet d'épis de blé, et huit d'entre eux, placés au centre, portent sur une arche l'Acte constitutionnel et les Droits de l'homme. Autour de la convention, les doyens d'âge forment une chaîne, et marchent unis par un cordon tricolore. Ils tiennent dans leurs mains un rameau d'olivier, signe de la réconciliation des provinces avec Paris, et une pique destinée à faire partie du faisceau national formé par les quatre-vingt-six départemens. A la suite de cette portion du cortège, viennent des groupes de peuple, avec les instrumens des divers métiers. Au milieu d'eux, s'avance une charrue qui porte un vieillard et sa vieille épouse, et qui est traînée par leurs jeunes fils. Cette charrue est immédiatement suivie d'un char de guerre sur lequel repose l'urne cinéraire des soldats morts pour la patrie. Enfin la marche est fermée par des tombereaux chargés de sceptres, de couronnes, d'armoiries et de tapis à fleurs de lys.

Le cortège parcourt les boulevarts et s'achemine vers la place de la Révolution. En passant au boulevart Poissonnière, le président de la convention donne une branche de laurier aux héroïnes des 5 et 6 octobre, assises sur leurs canons. Sur la place de la Révolution, il s'arrête de nouveau, et met le feu à tous les insignes de la royauté et de la noblesse, traînés dans les tombereaux. Ensuite il déchire un voile jeté sur une statue, qui apparaissant à tous les yeux, laisse voir les traits de la Liberté. Des salves d'artillerie marquent l'instant de son inauguration; et, au même moment, des milliers d'oiseaux, portant de légères banderoles, sont délivrés, et semblent annoncer, en s'élançant dans les airs, que la terre est affranchie.

On se rend ensuite au Champ-de-Mars par la place des Invalides, et on défile devant une figure colossale, représentant le peuple français qui terrasse le fédéralisme et l'étouffe dans la fange d'un marais. Enfin on arrive au champ même de la fédération. Là, le cortège se divise en deux colonnes, qui s'allongent autour de l'autel de la patrie. Le président de la convention et les quatre-vingt-six doyens occupent le sommet de l'autel; les membres de la convention et la masse des envoyés des assemblées primaires en occupent les degrés. Chaque groupe de peuple vient déposer alternativement autour de l'autel les produits de son métier, des étoffes, des fruits, des objets de toute espèce. Le président de la convention, recueillant ensuite les actes sur lesquels les assemblées primaires ont inscrit leurs votes, les dépose sur l'autel de la patrie. Une décharge générale d'artillerie retentit aussitôt; un peuple immense joint ses cris aux éclats du canon, et on jure, avec le même enthousiasme qu'aux 14 juillet 1790 et 1792, de défendre la constitution: serment bien vain, si on considère la lettre de la constitution, mais bien héroïque et bien observé, si on ne considère que le sol et la révolution elle-même! Les constitutions en effet ont passé, mais le sol et la révolution furent défendus avec une constance héroïque.

Après cette cérémonie, les quatre-vingt-six doyens d'âge remettent leurs piques au président; celui-ci en forme un faisceau, et le confie, avec l'acte constitutionnel, aux députés des assemblées primaires, en leur recommandant de réunir toutes leurs forces autour de l'arche de la nouvelle alliance. On se sépare ensuite; une partie du cortège accompagne l'urne cinéraire des Français morts pour la patrie, dans un temple destiné à la recevoir; le reste va déposer l'arche de la constitution dans un lieu où elle doit rester en dépôt jusqu'au lendemain, pour être rapportée ensuite dans la salle de la convention. Une grande représentation, figurant le siège et le bombardement de Lille, et la résistance héroïque de ses habitans, occupe le reste de la journée, et dispose l'imagination du peuple aux scènes guerrières.

Telle fut cette troisième fédération de la France républicaine. On n'y voyait pas, comme en 1790, toutes les classes d'un grand peuple, riches et pauvres, nobles et roturiers, confondus un instant dans une même ivresse, et fatigués de se haïr, se pardonnant pour quelques heures leurs Différences de rang et d'opinion; on y voyait un peuple immense, ne parlant plus de pardon, mais de danger, de dévouement, de résolutions désespérées, et jouissant avec ivresse de ces pompes gigantesques, en attendant de courir le lendemain sur les champs de bataille. Une circonstance relevait le caractère de cette scène, et couvrait ce que des esprits dédaigneux ou hostiles pourraient y trouver de ridicule, c'est le danger, et l'entraînement avec lequel on le bravait. Au premier 14 juillet 1790, la révolution était innocente encore et bienveillante, mais elle pouvait n'être pas sérieuse, et être mise à fin comme une farce ridicule, par les baïonnettes étrangères; en août 1793, elle était tragique, mais grande, signalée par des victoires et des défaites, et sérieuse comme une résolution irrévocable et héroïque.

Le moment de prendre de grandes mesures était arrivé. De toutes parts fermentaient les idées les plus extraordinaires: on proposait d'exclure tous les nobles des emplois, de décréter l'emprisonnement général des suspects contre lesquels il n'existait pas encore de loi assez précise, de faire lever la population en masse, de s'emparer de toutes les subsistances, de les transporter dans les magasins de la république, qui en ferait elle-même la distribution à chaque individu; on cherchait enfin, sans savoir l'imaginer, un moyen qui fournît sur-le-champ des fonds suffisans. On exigeait surtout que la convention restât en fonctions, qu'elle ne cédât pas ses pouvoirs à la nouvelle législature qui devait lui succéder, et que la constitution fût voilée comme la statue de la Liberté, jusqu'à la défaite générale des ennemis de la république.

C'est aux Jacobins que furent successivement proposées toutes ces idées. Robespierre, ne cherchant plus à modérer l'élan de l'opinion, l'excitant au contraire, insista particulièrement sur la nécessité de maintenir la convention nationale dans ses fonctions, et il donnait là un sage conseil. Dissoudre dans ce moment une assemblée qui était saisie du gouvernement tout entier, dans le sein de laquelle les divisions avaient cessé, et la remplacer par une assemblée neuve, inexpérimentée, et qui serait livrée encore aux factions, était un projet désastreux. Les députés des provinces entourant Robespierre, s'écrièrent qu'ils avaient juré de rester réunis jusqu'à ce que la convention eût pris des mesures de salut public, et ils déclarèrent qu'ils l'obligeraient à rester en fonctions. Audouin, gendre de Pache, parla ensuite, et proposa de demander la levée en masse et l'arrestation générale des suspects. Aussitôt, les commissaires des assemblées primaires rédigent une pétition, et, le lendemain 12, viennent la présenter à la convention. Ils demandent que la convention se charge de sauver elle-même la patrie, qu'aucune amnistie ne soit accordée, que les suspects soient arrêtés, qu'ils soient envoyés les premiers à l'ennemi, et que le peuple levé en masse marche derrière eux. Une partie de ces propositions est adoptée. L'arrestation des suspects est décrétée en principe; mais le projet d'une levée en masse, qui paraissait trop violent, est renvoyé à l'examen du comité de salut public. Les jacobins, peu satisfaits, insistent, et continuent de répéter dans leur club, qu'il ne faut pas un mouvement partiel, mais universel.

Les jours suivans, le comité fait son rapport, et propose un décret trop vague, et des proclamations trop froides.

«Le comité, s'écrie Danton, n'a pas tout dit: il n'a pas dit que si la France est vaincue, que si elle est déchirée, les riches seront les premières victimes de la rapacité des tyrans; il n'a pas dit que les patriotes vaincus déchireront et incendieront cette république, plutôt que de la voir passer aux mains de leurs insolens vainqueurs! Voilà ce qu'il faut apprendre à ces riches égoïstes.»—«Qu'espérez-vous, ajoute Danton, vous qui ne voulez rien faire pour sauver la république? Voyez quel serait votre sort si la liberté succombait! Une régence dirigée par un imbécile, un roi enfant dont la minorité serait longue, enfin le morcellement de nos provinces, et un déchirement épouvantable! Oui, riches, on vous imposerait, on vous pressurerait davantage et mille fois davantage que vous n'aurez à dépenser pour sauver votre pays et éterniser la liberté!… La convention, ajoute Danton, a dans les mains les foudres populaires; qu'elle en fasse usage et les lance à la tête des tyrans. Elle a les commissaires des assemblées primaires, elle a ses propres membres; qu'elle envoie les uns et les autres exécuter un armement général!»

Les projets de loi sont encore renvoyés au comité. Le lendemain, les jacobins dépêchent de nouveau les commissaires des assemblées primaires à la convention. Ceux-ci viennent demander encore une fois, non un recrutement partiel, mais la levée en masse, parce que, disent-ils, les demi-mesures sont mortelles, parce que la nation entière est plus facile à ébranler qu'une partie de ses citoyens! «Si vous demandez, ajoutent-ils, cent mille soldats, ils ne se trouveront point; mais des millions d'hommes répondront à un appel général. Qu'il n'y ait aucune dispense pour le citoyen physiquement constitué pour les armes, quelques fonctions qu'il exerce; que l'agriculture seule conserve les bras indispensables pour tirer de la terre les productions alimentaires; que le cours du commerce soit arrêté momentanément, que toute affaire cesse; que la grande, l'unique et universelle affaire des Français, soit de sauver la république!»

La convention ne peut plus résister à une sommation aussi pressante. Partageant elle-même l'entraînement des pétitionnaires, elle enjoint à son comité de se retirer pour rédiger, dans l'instant même, le projet de la levée en masse. Le comité revient quelques minutes après, et présente le projet suivant, qui est adopté au milieu d'un transport universel:

ART. 1er. Le peuple français déclare, par l'organe de ses représentans, qu'il va se lever tout entier pour la défense de sa liberté, de sa constitution, et pour délivrer enfin son territoire de ses ennemis.

2. Le comité de salut public présentera demain le mode d'organisation de ce grand mouvement national.

Par d'autres articles, il était nommé dix-huit représentans chargés de se répandre sur toute la France, et de diriger les envoyés des assemblées primaires dans leurs réquisitions d'hommes, de chevaux, de munitions, de subsistances. Cette grande impulsion donnée, tout devenait possible. Une fois qu'il était déclaré que la France entière, hommes et choses, appartenait au gouvernement, ce gouvernement, suivant le danger, ses lumières et son énergie croissante, pouvait tout ce qu'il jugerait utile et indispensable. Sans doute il ne fallait pas lever la population en masse, et interrompre la production, et jusqu'au travail nécessaire à la nutrition, mais il fallait que le gouvernement pût tout exiger, sauf à n'exiger que ce qui serait suffisant pour les besoins du moment.

Le mois d'août fut l'époque des grands décrets qui mirent toute la France en mouvement, toutes ses ressources en activité, et qui terminèrent à l'avantage de la révolution sa dernière et sa plus terrible crise.

Il fallait à la fois mettre la population debout, la pourvoir d'armes, et fournir, par une nouvelle mesure financière, à la dépense de ce grand déplacement; il fallait mettre en rapport le papier-monnaie avec le prix des subsistances et des denrées; il fallait distribuer les armées, les généraux, d'une manière appropriée à chaque théâtre de guerre, et enfin, satisfaire la colère révolutionnaire par de grandes et terribles exécutions. On va voir ce que fit le gouvernement pour suffire à la fois à ces besoins urgens et à ces mauvaises passions qu'il devait subir, puisqu'elles étaient inséparables de l'énergie qui sauve un peuple en danger.

Exiger de chaque localité un contingent déterminé en hommes, ne convenait pas aux circonstances, c'eût été douter de l'enthousiasme des Français en ce moment, et on devait supposer cet enthousiasme pour l'inspirer. Cette manière germanique d'imposer à chaque contrée les hommes comme l'argent, était d'ailleurs en contradiction avec le principe de la levée en masse. Un recrutement général par voie de tirage ne convenait pas davantage. Tout le monde n'étant pas appelé, chacun aurait songé alors à s'exempter, et se serait plaint du sort qui l'eût obligé à servir. La levée en masse exposait, il est vrai, la France à un désordre universel, et excitait les railleries des modérés et des contre-révolutionnaires. Le comité de salut public imagina le moyen le plus convenable à la circonstance, ce fut de mettre toute la population en disponibilité, de la diviser par générations, et de faire partir ces générations par rang d'âge, au fur et à mesure des besoins. «Dès ce moment, portait le décret[1], jusqu'à celui où les ennemis auront été chassés du territoire de la république, tous les Français seront en réquisition permanente pour le service des armées.

[Note 1: 23 août.]

Les jeunes gens iront au combat; les hommes mariés forgeront des armes et transporteront les subsistances; les femmes feront des tentes, des habits, et serviront dans les hôpitaux; les enfans mettront le vieux linge en charpie; les vieillards se feront porter sur les places publiques pour exciter le courage des guerriers, prêcher la haine des rois, et l'amour de la république.»

Tous les jeunes gens non mariés, ou veufs sans enfans, depuis l'âge de dix-huit ans jusqu'à celui de vingt-cinq ans, devaient composer la première levée, dite la première réquisition. Ils devaient se réunir sur-le-champ, non dans les chefs-lieux de départemens, mais dans ceux de district, car, depuis le fédéralisme, on craignait ces grandes réunions par départemens, qui leur donnaient le sentiment de leurs forces et l'idée de la révolte. D'ailleurs, il y avait un autre motif pour agir ainsi, c'était la difficulté d'amasser dans les chefs-lieux des subsistances et des approvisionnemens suffisans pour de grandes masses. Les bataillons formés dans les chefs-lieux de district devaient commencer sur-le-champ les exercices militaires, et se tenir prêts à partir au premier jour. La génération de vingt-cinq ans à trente était avertie de se préparer, et, en attendant, elle était chargée de faire le service de l'intérieur. Le reste enfin, de trente jusqu'à soixante, était disponible au gré des représentans envoyés pour opérer cette levée graduelle. Malgré ces dispositions, la levée en masse et instantanée de toute la population était ordonnée de droit dans certains lieux plus menacés, comme la Vendée, Lyon, Toulon, le Rhin, etc.

Les moyens employés pour armer les levées, les loger, les nourrir, étaient analogues aux circonstances. Tous les chevaux et bêtes de somme, dont l'agriculture et les fabriques pouvaient se passer, étaient requis et mis à la disposition des ordonnateurs des armées. Les armes de calibre devaient être données à la génération qui partait; les armes de chasse et les piques étaient réservées au service de l'intérieur. Dans les départemens où des manufactures d'armes pouvaient être établies, les places, les promenades publiques, les grandes maisons comprises dans les biens nationaux, devaient servir à construire des ateliers. Le principal établissement se trouvait à Paris. On plaçait les forges dans les jardins du Luxembourg, les machines à forer les canons sur les bords de la Seine. Tous les ouvriers armuriers étaient requis, ainsi que les ouvriers en horlogerie, qui, dans le moment, avaient peu de travail, et qui pouvaient être employés à certaines parties de la fabrication des armes. Trente millions étaient mis, pour cette seule manufacture, à la disposition du ministre de là guerre. Ces moyens extraordinaires seraient employés jusqu'à ce qu'on eût porté la fabrication à mille fusils par jour. On plaçait ce grand établissement à Paris, parce que là, sous les yeux du gouvernement et des jacobins, toute négligence devenait impossible, et tous les prodiges de rapidité et d'énergie étaient assurés. Cette manufacture ne tarda pas en effet à remplir sa destination.

Le salpêtre manquant, on songea à l'extraire du sol des caves. On imagina donc de les faire visiter toutes, pour juger si la terre dans laquelle elles étaient creusées en contenait quelques parties. En conséquence, chaque particulier dut souffrir la visite et la fouille des caves, pour en lessiver la terre lorsqu'elle contiendrait du salpêtre. Les maisons devenues nationales furent destinées à servir de casernes et de magasins.

Pour procurer les subsistances à ces grandes masses armées, on prit diverses mesures qui n'étaient pas moins extraordinaires que les précédentes. Les jacobins auraient voulu que la république, faisant achever le tableau général des subsistances, les achetât toutes, et s'en fît ensuite la distributrice, soit en les donnant aux soldats armés pour elle, soit en les vendant aux autres citoyens à un prix modéré. Ce penchant à vouloir tout faire, à suppléer la nature elle-même, quand elle ne marche pas à notre gré, ne fut point aussi aveuglément suivi que l'auraient désiré les jacobins. Cependant il fut ordonné que les tableaux des subsistances, déjà commandés aux municipalités, seraient promptement terminés, et envoyés au ministère de l'intérieur, pour faire la statistique générale des besoins et des ressources; que le battage des grains serait achevé là où il ne l'était pas, et que les municipalités les feraient battre elles-mêmes si les particuliers s'y refusaient; que les fermiers ou propriétaires des grains paieraient en nature leurs contributions arriérées, et les deux tiers de celles de l'année 1793; qu'enfin les fermiers et régisseurs des biens devenus nationaux en déposeraient les revenus aussi en nature.

L'exécution de ces mesures extraordinaires ne pouvait être qu'extraordinaire aussi. Des pouvoirs limités, confiés à des autorités locales qui auraient été à chaque instant arrêtées par des résistances, qui, d'ailleurs, n'auraient pas eu toutes la même énergie et le même dévouement, ne convenaient ni à la nature des mesures décrétées ni à leur urgence. La dictature des commissaires de la convention était encore ici le seul moyen dont on pût faire usage. Ils avaient été employés déjà pour la première levée des trois cent mille hommes, décrétée en mars, et ils avaient promptement et complètement rempli leur mission. Envoyés aux armées, ils surveillaient les généraux et leurs opérations, quelquefois contrariaient des militaires consommés, mais partout ranimaient le zèle, et communiquaient une grande vigueur de volonté. Enfermés dans les places fortes, ils avaient soutenu des sièges héroïques à Valenciennes et à Mayence; répandus dans l'intérieur, ils avaient puissamment contribué à étouffer le fédéralisme. Ils furent donc encore employés ici, et reçurent des pouvoirs illimités, pour exécuter cette réquisition des hommes et des choses. Ayant sous leurs ordres les commissaires des assemblées primaires, pouvant les diriger à leur gré, leur confier une partie de leurs pouvoirs, ils tenaient sous leur main des hommes dévoués, parfaitement instruits de l'état de chaque localité, et n'ayant d'autorité que ce qu'ils leur en donneraient eux-mêmes pour le besoin de ce service extraordinaire.

Il y avait déjà différens représentans dans l'intérieur, soit dans la Vendée, soit à Lyon et à Grenoble, pour détruire les restes du fédéralisme; il en fut nommé encore dix-huit, chargés de se partager la France, et de se concerter avec ceux qui étaient déjà en mission pour faire mettre en marche les jeunes gens de la première réquisition, pour les armer, les approvisionner, et les diriger sur les points convenables, d'après l'avis et les demandes des généraux. Ils devaient en outre achever la complète soumission des administrations fédéralistes.

Il fallait à ces mesures militaires joindre des mesures financières pour fournir aux dépenses de la guerre. On connaît l'état de la France sous ce rapport. Une dette en désordre, composée de dettes de toute espèce, de toute date, et qui étaient opposées aux dettes contractées sous la république; les assignats discrédités, auxquels on opposait le numéraire, le papier étranger, les actions des compagnies financières, et qui ne pouvaient plus servir au gouvernement pour payer les services publics, ni au peuple pour acheter les marchandises dont il avait besoin; telle était alors notre situation. Que faire dans de pareilles conjonctures? Fallait-il emprunter, ou émettre des assignats? Emprunter était impossible dans le désordre où se trouvait la dette, et avec le peu de confiance qu'inspiraient les engagemens de la république. Emettre des assignats était facile, et il suffisait pour cela de l'imprimerie nationale. Mais, pour fournir aux moindres dépenses, il fallait émettre des quantités énormes de papier, c'est-à-dire cinq ou six fois plus que sa valeur nominale, et par là on augmentait nécessairement la grande calamité de son discrédit, et on amenait un nouveau renchérissement dans les marchandises. On va voir ce que le génie de la nécessité inspira aux hommes qui s'étaient chargés du salut de la France.

La première et la plus indispensable mesure était de mettre de l'ordre dans la dette, et d'empêcher qu'elle ne fût divisée en contrats de toutes les formes, de toutes les époques, et qui, par leurs différences d'origine et de nature, donnaient lieu à un agiotage dangereux et contre-révolutionnaire. La connaissance de ces vieux titres, leur vérification, leur classement, exigeaient une science particulière, et introduisaient une effrayante complication dans la comptabilité. Ce n'était qu'à Paris que chaque rentier pouvait se faire payer, et quelquefois la division de sa créance en plusieurs portions l'obligeait à se présenter chez vingt payeurs différens. Il y avait la dette constituée, la dette exigible à terme fixe, la dette exigible provenant de la liquidation; et, de cette manière, le trésor était exposé tous les jours à des échéances, et obligé de se procurer des capitaux pour rembourser des sommes échues. «Il faut uniformiser et républicaniser la dette,» dit Cambon; et il proposa de convertir tous les contrats des créanciers de l'état en une inscription sur un grand livre, qui serait appelé Grand-Livre de la dette publique. Cette inscription et l'extrait qu'on en délivrerait aux créanciers, seraient désormais leurs seuls titres. Pour les rassurer sur la conservation de ce livre, il devait en être déposé un double aux archives de la trésorerie; et, du reste, le feu et les autres accidens ne le menaçaient pas plus que les registres des notaires. Les Créanciers devaient donc, dans un délai déterminé, remettre leurs titres pour qu'ils fussent inscrits et brûlés ensuite. Les notaires avaient ordre d'apporter tous les titres dont ils étaient dépositaires, et on les punissait de dix ans de fers si, avant la remise, ils en gardaient ou délivraient des copies. Si le créancier laissait écouler six mois pour se faire inscrire, il perdait les intérêts; s'il laissait écouler un an, il était déchu, et perdait le capital. «De cette manière, disait Cambon, la dette contractée par le despotisme ne pourra plus être distinguée de celle contractée depuis la révolution; et je défie monseigneur le despotisme, s'il ressuscite, de reconnaître son ancienne dette lorsqu'elle sera confondue avec la nouvelle. Cette opération faite, vous verrez le capitaliste qui désire un roi parce qu'il a un roi pour débiteur, et qui craint de perdre sa créance si son débiteur n'est pas rétabli, désirer la république qui sera devenue sa débitrice, parce qu'il craindra de perdre son capital en la perdant.»

Ce n'était pas là le seul avantage de cette institution; elle en avait d'autres encore tout aussi grands, et elle commençait le système du crédit public. Le capital de chaque créance était converti en une rente perpétuelle, au taux de cinq pour cent. Ainsi le créancier d'une somme de 1,000 francs se trouvait inscrit sur le Grand-Livre pour une rente de 50 francs. De cette manière, les anciennes dettes, dont les unes portaient des intérêts usuraires, dont les autres étaient frappées de retenues injustes, ou grevées de certains impôts, étaient ramenées à un intérêt uniforme et équitable. L'état, changeant sa dette en une rente perpétuelle, n'était plus exposé à des échéances, et ne pouvait jamais être obligé à rembourser le capital, pourvu qu'il servit les intérêts. Il trouvait en outre un moyen facile et avantageux de s'acquitter, c'était de racheter la rente sur la place, lorsqu'elle viendrait à baisser au-dessous de sa valeur: ainsi, quand une rente de 50 livres de revenu et de 1,000 francs de capital ne vaudrait que neuf ou huit cents livres, l'état gagnerait, disait Cambon, un dixième ou un cinquième du capital en rachetant sur la place. Ce rachat n'était pas encore organisé au moyen d'un amortissement fixe, mais le moyen était entrevu, et la science du crédit public commençait à se former.

Ainsi l'inscription sur le Grand-Livre simplifiait la forme des titres, rattachait l'existence de la dette à l'existence de la république, et changeait les créances en une rente perpétuelle, dont le capital était non remboursable, et dont l'intérêt était le même pour toutes les portions d'inscriptions. Cette idée était simple et empruntée en partie aux Anglais; mais il fallait un grand courage d'exécution pour l'appliquer à la France, et il y avait un grand mérite d'à-propos à le faire dans le moment. Sans doute, on peut trouver quelque chose de forcé à une opération destinée à changer ainsi brusquement la nature des titres et des créances, à ramener l'intérêt à un taux unique, et à frapper de déchéance les créanciers qui se refuseraient à cette conversion; mais, pour un état, la justice est le meilleur ordre possible; et cette grande et énergique uniformisation de la dette convenait à une révolution hardie, complète, qui avait pour but de tout soumettre au droit commun.

Le projet de Cambon joignait à cette hardiesse un respect scrupuleux pour les engagemens pris à l'égard des étrangers, qu'on avait promis de rembourser à des époques fixes. Il portait que les assignats n'ayant pas cours hors de France, les créanciers étrangers seraient payés en numéraire, et aux époques déterminées. En outre, les communes ayant contracté des dettes particulières, et faisant souffrir leurs créanciers qu'elles ne payaient pas, l'état se chargeait de leurs dettes, et ne s'emparait de leurs propriétés que jusqu'à concurrence des sommes employées au remboursement. Ce projet fut adopté[1] en entier, et aussi bien exécuté qu'il était bien conçu.

[Note 1: 24 août.]

Le capital de la dette ainsi uniformisée fut converti en une masse de rentes de 200 millions par an. On crut devoir, pour remplacer les anciens impôts de différente espèce dont elle était grevée, la frapper d'une imposition foncière d'un cinquième, ce qui réduisait le service des intérêts à 160 millions. De cette manière tout était simplifié, éclairci; une grande source d'agiotage se trouvait détruite, et la confiance renaissait, parce qu'une banqueroute partielle, à l'égard de telle ou telle espèce de créance, ne pouvait plus avoir lieu, et qu'une banqueroute générale pour toute la dette n'était pas supposable.

Dès ce moment, il devenait plus facile de recourir à un emprunt. On va voir de quelle manière on se servit de cette mesure pour soutenir les assignats.

La valeur dont la révolution disposait pour ses dépenses extraordinaires consistait toujours uniquement dans les biens nationaux. Cette valeur, représentée par les assignats, flottait dans la circulation. Il fallait favoriser les ventes pour faire rentrer les assignats, et les relever en les rendant plus rares. Des victoires étaient le meilleur moyen, mais non le plus facile, de hâter les ventes. Pour y suppléer, on imagina divers expédiens. Par exemple, on avait permis aux acquéreurs de diviser leurs paiemens en plusieurs années. Mais cette mesure, inventée pour favoriser les paysans et les rendre propriétaires, était plus propre à provoquer des ventes qu'à faire rentrer des assignats. Afin de diminuer plus sûrement leur quantité circulante, on avait décidé de faire le remboursement des offices, partie en assignats, partie en reconnaissances de liquidation. Les remboursements s'élevant à moins de 3,000 francs devaient être soldés en assignats, les autres devaient l'être en reconnaissances de liquidation, qui n'avaient pas cours de monnaie, qui ne pouvaient pas être divisées en sommes moindres de 10,000 livres, ni autrement transmises que les autres effets au porteur, et qui étaient reçues en paiement des biens nationaux. De cette manière, on diminuait la portion des biens nationaux convertis en monnaie forcée; tout ce qui était transformé en reconnaissances de liquidation consistait en sommes peu divisées, difficilement transmissibles, fixées dans les mains des riches, et éloignées de la circulation et de l'agiotage.

Pour contribuer encore à la vente des biens nationaux, on déclara, en créant le Grand-Livre, que les inscriptions de rentes seraient reçues pour moitié dans le paiement de ces biens. Cette facilité devait amener de nouvelles ventes et de nouvelles rentrées d'assignats.

Mais tous ces moyens adroits ne suffisaient pas, et la masse de papier-monnaie était encore beaucoup trop considérable. L'assemblée constituante, l'assemblée législative, et la convention, avaient décrété successivement la création de 5 milliards et 100 millions d'assignats: 484 millions n'avaient pas encore été émis et restaient dans les caisses; il n'avait donc été mis en circulation que 4 milliards 616 millions. Une partie était rentrée par les ventes; les acheteurs pouvant prendre des termes pour le paiement, il était dû encore, pour les acquisitions faites, 12 à 15 millions. Il était rentré en tout 840 millions d'assignats qui avaient été brûlés: il en restait donc en circulation, au mois d'août 1793, 3 milliards 776 millions.

Le premier soin fut de démonétiser les assignats à effigie royale, qui étaient accaparés, et nuisaient aux assignats républicains par la confiance supérieure qu'ils inspiraient. Quoique démonétisés, ils ne cessèrent pas d'avoir une valeur; ils furent transformés en effets au porteur, et purent être reçus ou en paiement des contributions, ou en paiement des domaines nationaux, jusqu'au 1er janvier suivant. Passé cette époque, ils ne devaient plus avoir aucune espèce de valeur. Ces assignats s'élevaient à 558 millions. Cette mesure les faisait nécessairement disparaître de la circulation avant quatre mois, et comme on les savait tous dans les mains des spéculateurs contre-révolutionnaires, on faisait preuve de justice en ne les annulant pas et en les obligeant seulement à rentrer au trésor.

On se souvient que, pendant le mois de mai, lorsqu'il fut déclaré en principe qu'il y aurait des armées dites révolutionnaires, on décréta en même temps qu'il serait établi un emprunt forcé d'un milliard sur les riches, pour subvenir aux frais d'une guerre dont ils étaient, comme aristocrates, réputés les auteurs, et à laquelle ils ne voulaient consacrer ni leurs personnes, ni leurs fortunes. Cet emprunt, réparti comme on va le voir, fut consacré, d'après le projet de Cambon, à faire rentrer un milliard d'assignats en circulation. Pour laisser le choix aux citoyens de meilleure volonté, et leur assurer quelques avantages, il était ouvert un emprunt volontaire; ceux qui se présentaient pour le remplir recevaient une inscription de rente au taux déjà décrété de 5 pour cent, et obtenaient ainsi un intérêt de leurs fonds. Ils pouvaient, avec cette inscription, s'exempter de contribuer à l'emprunt forcé, ou du moins jusqu'à concurrence de la valeur placée dans le prêt volontaire. Les riches de mauvaise volonté, qui attendaient l'exécution de l'emprunt forcé, recevaient un titre qui ne portait aucun intérêt, et qui n'était, comme l'inscription de rente, qu'un titre républicain avec 5 pour cent de moins. Enfin, comme, d'après la nouvelle loi, les inscriptions pouvaient servir pour moitié dans le paiement des biens nationaux, les prêteurs volontaires, recevant une inscription de rente, avaient la faculté de se rembourser immédiatement en biens nationaux; tandis qu'au contraire les certificats de l'emprunt forcé ne devaient être pris en paiement des domaines acquis que deux ans après la paix. Il fallait, disait le projet, intéresser les riches à la prompte fin de la guerre et à la pacification de l'Europe.

L'emprunt forcé ou volontaire devait faire rentrer un milliard d'assignats qui seraient brûlés. Il devait en rentrer, en outre, par les contributions arriérées, 700 millions, dont 558 millions en assignats royaux déjà démonétisés, et reçus seulement pour le paiement des impôts. On était donc assuré, en deux ou trois mois, d'avoir enlevé à la circulation, d'abord le milliard de l'emprunt, puis 700 millions de contributions. La somme flottante de 3 milliards 776 millions se trouverait donc réduite à 2 milliards 76 millions. En supposant, ce qui était probable, que la faculté de changer les inscriptions de la dette en biens nationaux amènerait de nouvelles acquisitions, on pouvait par cette voie faire rentrer peut-être 5 à 600 millions. La masse totale se trouverait donc encore peut-être réduite par-là à 15 ou 16 cents millions. Ainsi, pour le moment, en réduisant la masse flottante de plus de moitié, on rendait aux assignats Leur valeur; les 484 millions restant en caisse devenaient disponibles. Les 700 millions rentrés par les impôts, et dont 558 devaient recevoir l'effigie républicaine et être remis en circulation, recouvraient aussi leur valeur, et pouvaient être employés l'année suivante. On avait donc relevé les assignats pour le moment, et c'était là l'essentiel. Si l'on parvenait à se sauver, la victoire les relèverait tout à fait, permettrait de faire de nouvelles émissions, et de réaliser le reste des biens nationaux, reste qui était considérable et qui s'augmentait chaque jour par l'émigration.

Le mode d'exécution de cet emprunt forcé était, de sa nature, prompt et nécessairement arbitraire. Comment évaluer les fortunes sans erreur, sans injustice, même à des époques de calme, en prenant le temps nécessaire, et en consultant toutes les probabilités? Or, ce qui n'est pas possible, même avec les circonstances les plus propices, devait l'être bien moins encore dans un temps de violence et de précipitation. Mais lorsqu'on était obligé de troubler tant d'existences, de frapper tant de têtes, pouvait-on s'inquiéter beaucoup d'une méprise sur les fortunes, et de quelques inexactitudes de répartition? On institua donc pour l'emprunt forcé, comme pour les réquisitions, une espèce de dictature, et on l'attribua aux communes. Chaque individu était obligé de déclarer l'état de ses revenus. Dans chaque commune, le conseil général nommait des vérificateurs; ces vérificateurs décidaient, d'après leurs connaissances des localités, si les déclarations étaient vraisemblables; et s'ils les supposaient fausses, ils avaient le droit de les porter au double. Dans le revenu de chaque famille, il était prélevé 1,000 francs par individu, mari, femme et enfants; tout ce qui excédait constituait le revenu superflu, et, comme tel, imposable. De 1,000 fr. à 10,000 fr. de revenu imposable, la taxe était d'un dixième. 1,000 fr. de superflu payaient 100 fr.; 2,000 fr. de superflu payaient 200 fr., et ainsi de suite. Tout revenu superflu excédant 10,000 fr. était imposé d'une somme égale à sa valeur. De cette manière, toute famille qui, outre les 1,000 fr. accordés par individu, et les 10,000 de superflu frappés d'un dixième, jouissait encore d'un revenu supérieur, devait donner à l'emprunt tout cet excédant. Ainsi, une famille composée de cinq individus, et riche à 50,000 livres de rentes, avait 5,000 fr. réputés nécessaires, 10,000 fr. imposés d'un dixième, et réduits à neuf, ce qui faisait en tout quatorze; et elle devait pour cette année abandonner les 36,000 fr. restants à l'emprunt forcé ou volontaire. Prendre une année de superflu à toutes les classes opulentes n'était certainement pas une si grande rigueur, lorsque tant d'individus allaient expirer sur les champs de bataille; et cette somme, que du reste on aurait pu prendre sans condition, comme taxe indispensable de guerre, on l'échangeait contre un titre républicain, conversible ou en rentes sur l'état, ou en portions de biens nationaux[1].

[Note 1: Le décret sur l'emprunt forcé est du 3 septembre.]

Cette grande opération consistait donc à tirer de la circulation un milliard d'assignats en le prenant aux riches; d'ôter à ce milliard sa qualité de monnaie et de valeur circulante, et d'en faire une simple délégation sur les biens nationaux, que les riches échangeraient ou non en une portion correspondante de ces biens. De cette manière, on les obligeait de devenir acquéreurs, ou du moins à fournir la même somme d'assignats qu'ils auraient fournie s'ils l'étaient devenus. C'était, en un mot, le placement forcé d'un milliard d'assignats.

A ces mesures, destinées à soutenir le papier monnaie, on en joignit d'autres encore. Après avoir détruit la rivalité des anciens contrats sur l'état, celle des assignats à l'effigie royale, il fallait détruire la rivalité des actions des compagnies de finances. On décréta donc l'abolition de la compagnie d'assurances à vie, de la compagnie de la caisse d'escompte, de toutes celles enfin dont le fonds consistait en actions au porteur, en effets négociables, en inscriptions sur un livre, et transmissibles à volonté. Il fut décidé que leur liquidation serait faite dans un court délai, et que le gouvernement pourrait seul à l'avenir créer de ces sortes d'établissemens. On ordonna un prompt rapport sur la compagnie des Indes, qui, par son importance, exigeait un examen particulier. On ne pouvait pas empêcher l'existence des lettres de change sur l'étranger, mais on déclara traîtres à la patrie les Français qui plaçaient leurs fonds sur les banques ou comptoirs des pays avec lesquels la république était en guerre. Enfin on eut recours à de nouvelles sévérités contre le numéraire, et le commerce qui s'en faisait. Déjà on avait puni de six ans de gêne quiconque vendrait ou achèterait du numéraire, c'est-à-dire qui le recevrait ou le donnerait pour une somme différente d'assignats; on avait de même soumis à une amende tout vendeur ou acheteur de marchandises, qui traiterait à un prix différent, suivant que le paiement serait stipulé en numéraire ou en assignats. De pareils faits étant difficiles à atteindre, on s'en vengea en augmentant la peine. Tout individu convaincu d'avoir refusé en paiement des assignats, de les avoir donnés ou reçus à une perte quelconque, fut condamné à une amende de 3,000 liv., et à six mois de détention pour la première fois; et en cas de récidive, à une amende double et à vingt ans de fer. Enfin, comme la monnaie de billon était indispensable dans les marchés, et ne pouvait être facilement suppléée, on ordonna que les cloches seraient employées à fabriquer des décimes, des demi-décimes, etc., valant deux sous, un sou. etc.

Mais quelques moyens qu'on employât pour faire remonter, les assignats et détruire les rivalités qui leur étaient si nuisibles, on ne pouvait pas espérer de les remettre au niveau du prix des marchandises, et il fallait forcément rabaisser le prix de celles-ci. D'ailleurs le peuple croyait à de la malveillance de la part des marchands, il croyait à des accaparemens, et quelle que fût l'opinion des législateurs, ils ne pouvaient modérer, sous ce rapport, un peuple qu'ils déchaînaient sur tous les autres. Il fallut donc faire pour toutes les marchandises ce qu'on avait déjà fait pour le blé. On rendit un décret qui rangeait l'accaparement au nombre des crimes capitaux, et le punissait de mort. Était considéré comme accapareur celui qui dérobait à la circulation les marchandises de première nécessité, sans qu'il les mît publiquement en vente. Les marchandises déclarées de première nécessité étaient le pain, la viande, les grains, la farine, les légumes, les fruits, les charbons, le bois, le beurre, le suif, le chanvre, le lin, le sel, le cuir, les boissons, les salaisons, les draps, la laine, et toutes les étoffes, excepté les soieries. Les moyens d'exécution, pour un pareil décret, étaient nécessairement inquisitoriaux et vexatoires. Il devait être fait par chaque marchand des déclarations préalables de ce qu'il possédait en magasin. Ces déclarations devaient être vérifiées au moyen de visites domiciliaires. Toute fraude ou complicité était, comme le fait lui-même, punie de mort. Des commissaires, nommés par les communes, étaient chargés de faire exhiber les factures, et d'après ces factures, de fixer un prix qui, en laissant un profit modique au marchand, n'excédât pas les moyens du peuple. Si pourtant, ajoutait le décret, le haut prix des factures rendait le profit des marchands impossible, la vente n'en serait pas moins effectuée, à un prix auquel l'acheteur pût atteindre. Ainsi, dans ce décret, comme dans celui qui ordonnait la déclaration des blés et leur maximum, on laissait aux communes le soin de taxer les prix suivant l'état des choses dans chaque localité. Bientôt on allait être conduit à généraliser encore ces mesures, et à les rendre plus violentes en les étendant davantage.

Les opérations militaires, administratives et financières de cette époque étaient donc aussi habilement conçues que la situation le permettait, et aussi vigoureuses que l'exigeait le danger. Toute la population, divisée en générations, était à la disposition des représentans, et pouvait être appelée, soit à se battre, soit à fabriquer des armes, soit à panser les blessés. Toutes les anciennes dettes, converties en une seule dette républicaine, étaient exposées à partager le même sort, et à n'avoir pas plus de valeur que les assignats. On détruisait les rivalités multipliées des anciens contrats, des assignats royaux, des actions des compagnies; on empêchait les capitaux de se retirer sur ces valeurs privilégiées, en les assimilant toutes; les assignats ne rentrant pas, on en prenait un milliard sur les riches, qu'on faisait passer de l'état de monnaie à l'état d'une simple délégation sur les biens nationaux. Enfin, pour établir un rapport forcé entre les monnaies et les marchandises de première nécessité, on laissait aux communes le soin de rechercher toutes les subsistances, toutes les marchandises, et de les faire vendre à un prix convenable dans chaque localité. Jamais aucun gouvernement ne prit à la fois des mesures ni plus vastes ni plus hardiment imaginées, et pour accuser leurs auteurs de violence, il faudrait oublier le danger d'une invasion universelle, et la nécessité de vivre sur les biens nationaux sans acheteurs. Tout le système des moyens forcés dérivait de ces deux causes. Aujourd'hui, une génération superficielle et ingrate critique ces opérations, trouve les unes violentes, les autres contraires aux bons principes d'économie, et joint le tort de l'ingratitude à l'ignorance du temps et de la situation. Qu'on revienne aux faits, et qu'enfin on soit juste pour des hommes auxquels il en a coûté tant d'efforts et de périls pour nous sauver.

Après ces mesures générales de finances et d'administration, il en fut pris d'autres plus spécialement appropriées à chaque théâtre de la guerre. Les moyens extraordinaires, depuis longtemps résolus à l'égard de la Vendée, furent enfin décrétés. Le caractère de cette guerre était maintenant bien connu. Les forces de la rébellion ne consistaient pas dans des troupes organisées qu'on pût détruire par des victoires, mais dans une population qui, en apparence paisible et occupée de ses travaux agricoles, se levait tout à coup à un signal donné, accablait de sa masse, surprenait de son attaque imprévue les troupes républicaines, et, en cas de défaite, se cachait dans ses bois, dans ses champs, et reprenait ses travaux sans qu'on pût distinguer celui qui avait été soldat de celui qui n'avait pas cessé d'être paysan. Une lutte opiniâtre de plus de six mois, des soulèvements qui avaient été quelquefois de cent mille hommes, des actes de la plus grande témérité, une renommée formidable, et l'opinion établie que le plus grand danger de la révolution était dans cette guerre civile dévorante, devaient appeler toute l'attention du gouvernement sur la Vendée, et provoquer à son égard les mesures les plus énergiques et les plus colères. Depuis longtemps on disait que le seul moyen de soumettre ce malheureux pays était, non de le combattre, mais de le détruire, puisque ses armées n'étaient nulle part et se trouvaient partout. Ces voeux furent exaucés par un décret formidable[1], où la Vendée, les derniers Bourbons, les étrangers, étaient frappés tous à la fois d'extermination.

[Note 1: 1er août.]

En conséquence de ce décret, il fut ordonné au ministre de la guerre d'envoyer dans les départemens révoltés des matières combustibles pour incendier les bois, les taillis et les genêts. «Les forêts, était-il dit, seront abattues, les repaires des rebelles seront détruits, les récoltes seront coupées par des compagnies d'ouvriers, les bestiaux seront saisis, et le tout transporté hors du pays. Les vieillards, les femmes, les enfants, seront conduits hors de la contrée, et il sera pourvu à leur subsistance avec les égards dus à l'humanité.» Il était enjoint en outre aux généraux et aux représentans en mission de faire tout autour de la Vendée les approvisionnements nécessaires pour nourrir de grandes masses, et, aussitôt après, de provoquer dans les départemens environnants, non pas une levée graduelle, comme dans les autres parties de la France, mais une levée subite et générale, et de verser ainsi toute une population sur une autre. Le choix des hommes répondit à la nature de ces mesures. On a vu Biron, Berthier, Menou, Westermann, compromis et destitués pour avoir soutenu le système de la discipline, et Rossignol, infracteur de cette discipline, tiré de prison par les agents du ministère. Le triomphe du système jacobin fut complet. Rossignol, de simple chef de bataillon, fut tout à coup nommé général en chef de l'armée des côtes de La Rochelle. Ronsin, le chef de ces agents du ministère qui portaient dans la Vendée toutes les passions des jacobins et soutenaient qu'il ne fallait pas des généraux expérimentés, mais des généraux franchement républicains; non pas une guerre régulière, mais exterminatrice; que tout homme de nouvelle levée était soldat, que tout soldat pouvait être général; Ronsin, le chef de ces agents, fut fait en quatre jours capitaine, chef d'escadron, général de brigade, et fut adjoint à Rossignol avec tous les pouvoirs du ministère lui-même pour présider à l'exécution de ce nouveau système de guerre. On ordonna en même temps que la garnison de Mayence fût conduite en poste du Rhin dans la Vendée. La méfiance était si grande, que les généraux de cette brave garnison avaient été mis en arrestation pour avoir capitulé. Heureusement, le brave Merlin, toujours écouté avec la considération due à un caractère héroïque, vint rendre témoignage de leur dévouement et de leur bravoure. Kléber, Aubert-Dubayet, furent rendus à leurs soldats, qui voulaient les délivrer de vive force, et ils se rendirent dans la Vendée, où ils devaient, par leur habileté, réparer les désastres causés par les agents du ministère. Il est une vérité qu'il faut répéter toujours: la passion n'est jamais ni sage, ni éclairée, mais c'est la passion seule qui peut sauver les peuples dans les grandes extrémités. La nomination de Rossignol était une hardiesse étrange, mais elle annonçait un parti bien pris, elle ne permettait plus les demi-mesures dans cette funeste guerre de la Vendée, et elle obligeait toutes les administrations locales qui étaient encore incertaines à se prononcer. Ces jacobins fougueux, répandus dans les armées, les troublaient souvent, mais ils y communiquaient cette énergie de résolution sans laquelle il n'y aurait eu ni armement, ni approvisionnement, ni moyens d'aucune espèce. Ils étaient d'une injustice inique envers les généraux, mais ils ne permettaient à aucun de faiblir ou d'hésiter. On verra bientôt leur folle ardeur, se combinant avec la prudence d'hommes plus calmes, produire les plus grands et les plus heureux résultats.

Kilmaine, auteur de la belle retraite qui avait sauvé l'armée du Nord, fut aussitôt remplacé par Houchard, ci-devant général de l'armée de la Moselle, et jouissant d'une assez grande réputation de bravoure et de zèle. Dans le comité de salut public, quelques changements eurent lieu. Thuriot et Gasparin, malades, donnèrent leur démission. L'un d'eux fut remplacé par Robespierre, qui pénétra enfin dans le gouvernement, et dont la puissance immense fut ainsi reconnue et subie par la convention, qui jusqu'ici ne l'avait nommé d'aucun comité. L'autre eut pour successeur le célèbre Carnot, qui déjà, envoyé à l'armée du Nord, avait donné de lui l'idée d'un militaire savant et habile.

A toutes ces mesures administratives et militaires, furent ajoutées des mesures de vengeance, suivant l'usage de faire suivre les actes d'énergie par des actes de cruauté. On a déjà vu que, sur la demande des envoyés des assemblées primaires, une loi avait été résolue contre les suspects. Il restait à en présenter le projet. On le demandait chaque jour, parce que ce n'était pas assez, disait-on, du décret du 27 mars, qui mettait les aristocrates hors la loi. Ce décret exigeait un jugement, et on en souhaitait un qui permît d'enfermer, sans les juger et seulement pour s'assurer de leur personne, les citoyens suspects par leurs opinions. En attendant ce décret, on décida que les biens de tous ceux qui étaient mis hors la loi appartiendraient à la république. On exigea ensuite des dispositions plus sévères envers les étrangers. Déjà ils avaient été mis sous la surveillance des comités qui s'étaient intitulés révolutionnaires; mais on voulait davantage. L'idée d'une conspiration étrangère, dont Pitt était supposé le moteur, remplissait plus que jamais tous les esprits. Un portefeuille trouvé sur les murs de l'une de nos villes frontières renfermait des lettres qui étaient écrites en anglais, et que des agens anglais en France s'adressaient entre eux. Il était question dans ces lettres de sommes considérables envoyées à des agens secrets répandus dans nos camps, nos places fortes et nos principales villes. Les uns étaient chargés de se lier avec les généraux pour les séduire, de prendre des renseignemens exacts sur l'état de nos forces, de nos places et de nos approvisionnemens; les autres avaient mission de s'introduire dans les arsenaux, dans les magasins, avec des mèches phosphoriques, et d'y mettre le feu. «Faites hausser, disaient encore ces lettres, le change jusqu'à deux cents livres pour une livre sterling. Il faut discréditer le plus possible les assignats, et refuser tous ceux qui ne porteront pas l'effigie royale. Faites hausser le prix de toutes les denrées. Donnez les ordres à vos marchands d'accaparer tous les objets de première nécessité. Si vous pouvez persuader à Cott….i d'acheter le suif et la chandelle à tout prix, faites-la payer au public jusqu'à cinq francs la livre. Milord est très-satisfait pour la manière dont B—t—z a agi. Nous espérons que les assassinats se feront avec prudence. Les prêtres déguisés et les femmes sont les plus propres à cette opération.»

Ces lettres prouvaient seulement que l'Angleterre avait quelques espions militaires dans nos armées, quelques agens dans nos places de commerce pour y aggraver les inconvéniens de la disette, et que peut-être quelques-uns se faisaient donner de l'argent sous prétexte de commettre à propos des assassinats. Mais tous ces moyens étaient fort peu redoutables, et étaient certainement exagérés par la vanterie ordinaire des agens employés à ce genre de manoeuvres. Il est vrai que des incendies avaient éclaté à Douai, à Valenciennes, à la voilerie de Lorient, à Bayonne, et dans les parcs d'artillerie près Chemillé et Saumur. Il est possible que ces agens fussent les auteurs de ces incendies; mais certainement ils n'avaient dirigé ni le poignard du garde-du-corps Pâris contre Lepelletier, ni celui de Charlotte Corday contre Marat; et s'ils agiotaient sur le papier étranger et les assignats, s'ils achetaient quelques marchandises moyennant les crédits ouverts à Londres par Pitt, ils n'avaient qu'une médiocre influence sur notre situation commerciale et financière, qui tenait à des causes bien plus générales et plus majeures que ces viles intrigues. Cependant, ces lettres, concourant avec quelques incendies, deux assassinats, et l'agiotage du papier étranger, excitèrent une indignation universelle. La convention, par un décret, dénonça le gouvernement anglais à tous les peuples, et déclara Pitt l'ennemi du genre humain. En même temps elle ordonna que tous les étrangers domiciliés en France depuis le 14 juillet 1789, seraient sur-le-champ mis en état d'arrestation (Décret du 1er août).

Enfin on décréta le prompt achèvement du procès de Custine. On mit en jugement Biron et Lamarche. L'acte d'accusation des girondins fut pressé de nouveau, et ordre fut donné au tribunal révolutionnaire de se saisir de leur procès dans le plus bref délai. Enfin la colère se porta sur les restes des Bourbons, et sur la famille infortunée qui déplorait, dans la tour du Temple, la mort du dernier roi. Il fut décrété que tous les Bourbons qui restaient en France seraient déportés, excepté ceux qui étaient sous le glaive des lois[1]; que le duc d'Orléans, qui avait été transféré, dans le mois de mai, à Marseille, et que les fédéralistes n'avaient pas voulu faire juger, serait reconduit à Paris, pour y comparaître devant le tribunal révolutionnaire.

[Note 1: 1er août.]

Sa mort devait servir de réponse à ceux qui accusaient la Montagne de vouloir en faire un roi. L'infortunée Marie-Antoinette, malgré son sexe, fut, comme son époux, vouée à l'échafaud. Elle passait pour l'instigatrice de tous les complots de l'ancienne cour, et était regardée comme beaucoup plus coupable que Louis XVI. Elle avait le malheur surtout d'être fille de l'Autriche, qui était dans ce moment la plus redoutable de toutes les puissances ennemies. Suivant la coutume de braver plus audacieusement l'ennemi le plus dangereux, on voulut, au moment même où les armées impériales s'avançaient sur notre territoire, faire tomber la tête de Marie-Antoinette. Elle fut donc transférée à la Conciergerie pour être jugée comme une accusée ordinaire par le tribunal révolutionnaire. Madame Elisabeth, destinée à la déportation, fut retenue pour déposer contre sa soeur.

Les deux enfans devaient être élevés et gardés par la république, qui jugerait, à l'époque de la paix, ce qu'il conviendrait de statuer à leur égard. Jusques alors, la dépense du Temple avait été faite avec une certaine somptuosité qui rappelait le rang de la famille prisonnière. Il fut décrété qu'elle serait réduite au nécessaire. Enfin, pour consommer tous ces actes de la vengeance révolutionnaire, on décréta que les tombes royales de Saint-Denis seraient détruites.

Telles furent les mesures que les dangers imminens du mois d'août 1798 provoquèrent pour la défense et pour la vengeance de la révolution.

FIN DU TOME QUATRIÈME.

NOTE ET PIÈCES JUSTIFICATIVES DU TOME QUATRIÈME.

NOTE PAGE 143.

Les véritables dispositions de Robespierre, à l'égard du 31 mai, sont manifestées par les discours qu'il a tenus aux Jacobins, où on parlait beaucoup plus librement qu'à l'assemblée, et où l'on conspirait hautement. Des extraits de ce qu'il a dit aux diverses époques importantes prouveront la marche de ses idées à l'égard de la grande catastrophe des 31 mai et 2 juin. Son premier discours prononcé sur les pillages du mois de février donne une première indication.

(Séance du 25 février 1793.)

Robespierre: «Comme j'ai toujours aimé l'humanité et que je n'ai jamais cherché à flatter personne, je vais dire la vérité. Ceci est une trame ourdie contre les patriotes eux-mêmes. Ce sont les intrigans qui veulent perdre les patriotes; il y a dans le coeur du peuple un sentiment juste d'indignation. J'ai soutenu, au milieu des persécutions et sans appui, que le peuple n'a jamais tort; j'ai osé proclamer cette vérité dans un temps où elle n'était pas encore connue; le cours de la révolution l'a développée.

«Le peuple a entendu tant de fois invoquer la loi par ceux qui voulaient le mettre sous son joug, qu'il se méfie de ce langage.

«Le peuple souffre; il n'a pas encore recueilli le fruit de ses travaux; il est encore persécuté par les riches, et les riches sont encore ce qu'ils furent toujours, c'est-à-dire durs et impitoyables. (Applaudi.) Le peuple voit l'insolence de ceux qui l'ont trahi, il voit la fortune accumulée dans leurs mains, il ne sent pas la nécessité de prendre les moyens d'arriver au but; et, lorsqu'on lui parle le langage de la raison, il n'écoute que son indignation contre les riches, et il se laisse entraîner dans de fausses mesures par ceux qui s'emparent de sa confiance pour le perdre.

«Il y a deux causes: la première, une disposition naturelle dans le peuple à chercher les moyens de soulager sa misère, disposition naturelle et légitime en elle-même; le peuple croit qu'au défaut des lois protectrices, il a le droit de veiller lui-même à ses propres besoins.

«Il y a une autre cause. Cette cause, ce sont les desseins perfides des ennemis de la liberté, des ennemis du peuple, qui sont bien convaincus que le seul moyen de nous livrer aux puissances étrangères, c'est d'alarmer le peuple sur ses subsistances, et de le rendre victime des excès qui en résultent. J'ai été témoin moi-même des mouvemens. A côté des citoyens honnêtes, nous avons vu des étrangers et des hommes opulens, revêtus de l'habit respectable des sans-culottes. Nous avons entendu dire: On nous promettait l'abondance après la mort du roi, et nous sommes plus malheureux depuis que ce pauvre roi n'existe plus. Nous en avons entendu déclamer non pas contre la portion intrigante et contre-révolutionnaire de la convention, qui siège où siégeaient les aristocrates de l'assemblée constituante, mais contre la Montagne, mais contre la députation de Paris et contre les jacobins, qu'ils représentaient comme accapareurs.

«Je ne vous dis pas que le peuple soit coupable; je ne vous dis pas que ses mouvemens soient un attentat; mais quand le peuple se lève, ne doit-il pas avoir un but digne de lui? Mais de chétives marchandises doivent-elles l'occuper? Il n'en a pas profité, car les pains de sucre ont été recueillis par les mains des valets de l'aristocratie; et en supposant qu'il en ait profité, en échange de ce modique avantage, quels sont les inconvéniens qui peuvent en résulter? Nos adversaires veulent effrayer tout ce qui a quelque propriété; ils veulent persuader que notre système de liberté et d'égalité est subversif de tout ordre, de toute sûreté.

«Le peuple doit se lever, non pour recueillir du sucre, mais pour terrasser les brigands. (Applaudi.) Faut-il vous retracer vos dangers passés? Vous avez pensé être la proie des Prussiens et des Autrichiens; il y avait une transaction; et ceux qui avaient alors trafiqué de votre liberté, sont ceux qui ont excité les troubles actuels. J'articule à la face des amis de la liberté et de l'égalité, à la face de la nation, qu'au mois de septembre, après l'affaire du 10 août, il était décidé à Paris que les Prussiens arriveraient sans obstacle à Paris.»

(Séance du mercredi 8 mai 1793.)

Robespierre: «Nous avons à combattre la guerre extérieure et intérieure. La guerre civile est entretenue par les ennemis de l'intérieur. L'armée de la Vendée, l'armée de la Bretagne et l'armée de Coblentz, sont dirigées contre Paris, cette citadelle de la liberté. Peuple de Paris, les tyrans s'arment contre vous, parce que vous êtes la portion la plus estimable de l'humanité: les grandes puissances de l'Europe se lèvent contre vous: tout ce qu'il y a en France d'hommes corrompus secondent leurs efforts.

«Après avoir conçu ce vaste plan de vos ennemis, vous devez deviner aisément le moyen de vous défendre. Je ne vous dis point mon secret; je l'ai manifesté au sein de la convention.

«Je vais vous révéler ce secret, et, s'il était possible que ce devoir d'un représentant d'un peuple libre pût être considéré comme un crime, je saurais braver tous les dangers pour confondre les tyrans et sauver la liberté.

«J'ai dit ce matin à la Convention que les partisans de Paris iraient au-devant des scélérats de la Vendée, qu'ils entraîneraient sur leur route tous leurs frères des départemens, et qu'ils extermineraient tous, oui, tous les rebelles à la fois.

«J'ai dit qu'il fallait que tous les patriotes du dedans se levassent, et qu'ils réduisissent à l'impuissance de nuire, et les aristocrates de la Vendée et les aristocrates déguisés sous le masque du patriotisme.

«J'ai dit que les révoltés de la Vendée avaient une armée à Paris; j'ai dit que le peuple généreux et sublime, qui depuis cinq ans supporte le poids de la révolution, devait prendre les précautions nécessaires pour que nos femmes et nos enfans ne fussent pas livrés au couteau contre-révolutionnaire des ennemis que Paris renferme dans son sein. Personne n'a osé contester ce principe. Ces mesures sont d'une nécessité Pressante, impérieuse. Patriotes! volez à la rencontre des brigands de la Vendée.

«Ils ne sont redoutables que parce qu'on avait pris la précaution de désarmer le peuple. Il faut que Paris envoie des légions républicaines; mais quand nous ferons trembler nos ennemis intérieurs, il ne faut pas que nos femmes et nos enfans soient exposés à la fureur de l'aristocratie. J'ai proposé deux mesures: la première, que Paris envoie deux légions suffisantes pour exterminer tous les scélérats qui ont osé lever l'étendard de la révolte. J'ai demandé que tous les aristocrates, que tous les feuillans, que tous les modérés fussent bannis des sections qu'ils ont empoisonnées de leur souffle impur. J'ai demandé que tous les citoyens suspects fussent mis en état d'arrestation.

«J'ai demandé que la qualité de citoyen suspect ne fût pas déterminée par la qualité de ci-devant nobles, de procureurs, de financiers, de marchands. J'ai demandé que tous les citoyens qui ont fait preuve d'incivisme fussent incarcérés jusqu'à ce que la guerre soit terminée, et que nous ayons une attitude imposante devant nos ennemis. J'ai dit qu'il fallait procurer au peuple les moyens de se rendre dans les sections sans nuire à ses moyens d'existence, et que, pour cet effet, la convention décrétât que tout artisan vivant de son travail fût soldé, pendant tout le temps qu'il serait obligé de se tenir sous les armes pour protéger la tranquillité de Paris. J'ai demandé qu'il fût destiné des millions nécessaires pour fabriquer des armes et des piques, pour armer tous les sans-culottes de Paris.

«J'ai demandé que des fabriques et des forges fussent élevées dans les places publiques, afin que tous les citoyens fussent témoins de la fidélité et de l'activité des travaux. J'ai demandé que tous les fonctionnaires publics fussent destitués par le peuple.

«J'ai demandé qu'on cessât d'entraver la municipalité, et le départemens de Paris, qui a la confiance du peuple.

«J'ai demandé que les factieux qui sont dans la convention cessassent de calomnier le peuple de Paris, et que les journalistes qui pervertissent l'opinion publique fussent réduits au silence. Toutes ces mesures sont nécessaires, et en me résumant, voici l'acquit de la dette que j'ai contractée envers le peuple:

«J'ai demandé que le peuple fît un effort pour exterminer les aristocrates qui existent partout. (Applaudi.)

«J'ai demandé qu'il existât au sein de Paris une armée, une armée non pas comme celle de Dumouriez, mais une armée populaire qui soit continuellement sous les armes pour imposer aux feuillans et aux modérés. Cette armée doit être composée de sans-culottes payés; je demande qu'il soit assigné des millions suffisans pour armer les artisans, tous les bons patriotes; je demande qu'ils soient à tous les postes, et que leur majesté imposante fasse pâlir tous les aristocrates.

«Je demande que dès demain les forges s'élèvent sur toutes les places publiques, où l'on fabriquera des armes pour armer le peuple. Je demande que le conseil exécutif soit chargé d'exécuter ces mesures sous sa responsabilité. S'il en est qui résistent, s'il en est qui favorisent les ennemis de la liberté, il faut qu'ils soient chassés dès demain.

«Je demande que les autorités constituées soient chargées de surveiller l'exécution de ces mesures, et qu'elles n'oublient pas qu'elles sont les mandataires d'une ville qui est le boulevart de la liberté, et dont l'existence rend la contre-révolution impossible.

«Dans ce moment de crise, le devoir impose à tous les patriotes de sauver la patrie par les moyens les plus rigoureux; si vous souffrez qu'on égorge en détail les patriotes, tout ce qu'il y a de vertueux sur la terre sera anéanti; c'est à vous de voir si vous voulez sauver le genre humain.

(Tous les membres se lèvent par un élan simultané, et crient en agitant leurs chapeaux: Oui, oui, nous le voulons!)

«Tous les scélérats du monde ont dressé leurs plans, et tous les défenseurs de la liberté sont désignés pour victimes.

«C'est parce qu'il est question de votre gloire, de votre bonheur; ce n'est que par ce motif que je vous conjure de veiller au salut de la patrie. Vous croyez peut-être qu'il faut vous révolter, qu'il faut vous donner un air d'insurrection? point du tout, c'est la loi à la main qu'il faut exterminer tous nos ennemis.

«C'est avec une impudence insigne que des mandataires infidèles ont voulu séparer le peuple de Paris des départemens, qu'ils ont voulu séparer le peuple des tribunes du peuple de Paris, comme si c'était notre faute à nous, qui avons fait tous les sacrifices possibles pour étendre nos tribunes pour tout le peuple de Paris. Je dis que je parle à tout le peuple de Paris, et s'il était assemblé dans cette enceinte, s'il m'entendait plaider sa cause contre Buzot et Barbaroux, il est indubitable qu'il se rangerait de mon côté.

«Citoyens, on grossit les dangers, on oppose les armées étrangères réunies aux révoltés de l'intérieur; que peuvent leurs efforts contre des millions d'intrépides sans-culottes? Et, si vous suivez cette proposition, qu'un homme libre vaut cent esclaves, vous devez calculer que votre force est au-dessus de toutes les puissances réunies.

«Vous avez dans les lois tout ce qu'il faut pour exterminer légalement nos ennemis. Vous avez des aristocrates dans les sections: chassez-les. Vous avez la liberté à sauver: proclamez les droits de la liberté, et employez toute votre énergie. Vous avez un peuple immense de sans-culottes, bien purs, bien vigoureux; ils ne peuvent pas quitter leurs travaux: faites-les payer par les riches. Vous avez une convention nationale; il est très possible que les membres de cette convention ne soient pas également amis de la liberté et de l'égalité, mais le plus grand nombre est décidé à soutenir les droits du peuple et à sauver la république. La portion gangrenée de la convention n'empêchera pas le peuple de combattre les aristocrates. Croyez vous donc que la Montagne de la convention n'aura pas assez de force pour contenir tous les partisans de Dumouriez, de d'Orléans, de Cobourg? En vérité, vous ne pouvez pas le penser.

«Si la liberté succombe, ce sera moins la faute des mandataires que du souverain. Peuple, n'oubliez pas que votre destinée est dans vos mains; vous devez sauver Paris et l'humanité; si vous ne le faites pas, vous êtes coupable.

«La Montagne a besoin du peuple; le peuple est appuyé sur la Montagne. On cherche à vous effrayer de toutes les manières; on veut nous faire croire que les départements méridionaux sont les ennemis des Jacobins. Je vous déclare que Marseille est l'amie éternelle de la Montagne; qu'à Lyon les patriotes ont remporté une victoire complète.

«Je me résume et je demande, 1° que les sections lèvent une armée suffisante pour former le noyau d'une armée révolutionnaire qui entraîne tous les sans-culottes des départemens pour exterminer les rebelles; 2° qu'on lève à Paris une armée de sans-culottes pour contenir l'aristocratie; 3° que les intrigans dangereux, que tous les aristocrates soient mis en état d'arrestation, que les sans-culottes soient payés aux dépens du trésor public, qui sera alimenté par les riches, et que cette mesure s'étende dans toute la république.

«Je demande qu'il soit établi des forges sur toutes les places publiques.

«Je demande que la commune de Paris alimente de tout son pouvoir le zèle révolutionnaire du peuple de Paris.

«Je demande que le tribunal révolutionnaire fasse son devoir, qu'il punisse ceux qui, dans les derniers jours, ont blasphémé contre la république.

«Je demande que ce tribunal ne tarde pas à faire subir une punition exemplaire à certains généraux pris en flagrant délit, et qui devraient être jugés.

«Je demande que les sections de Paris se réunissent à la commune de Paris, et qu'elles balancent par leur influence les écrits perfides des journalistes alimentés par les puissances étrangères.

«En prenant toutes ces mesures, sans fournir aucun prétexte de dire que vous avez violé les lois, vous donnerez l'impulsion aux départemens, qui s'uniront à vous pour sauver la liberté.»

(Séance du dimanche 12 mai 1793.)

Robespierre: «Je n'ai jamais pu concevoir comment, dans des momens critiques, il se trouvait tant d'hommes pour faire des propositions qui compromettent les amis de la liberté, tandis que personne n'appuie celles qui tendent à sauver la république. Jusqu'à ce qu'on m'ait prouvé qu'il n'est pas nécessaire d'armer les sans-culottes, qu'il n'est pas bon de les payer pour monter la garde et assurer la tranquillité de Paris, jusqu'à ce qu'on m'ait prouvé qu'il n'est pas bon de changer nos places en ateliers pour fabriquer des armes, je croirai et je dirai que ceux qui, mettant ces mesures à l'écart, ne vous proposent que des mesures partielles, quelque violentes qu'elles soient, je dirai que ces hommes n'entendent rien au moyen de sauver la patrie; car ce n'est qu'après avoir épuisé toutes les mesures qui ne compromettent pas la société, qu'on doit avoir recours aux moyens extrêmes; encore ces moyens ne doivent-ils pas être proposés au sein d'une société qui doit être sage et politique. Ce n'est pas un moment, d'effervescence passagère qui doit sauver la patrie. Nous avons pour ennemis les hommes les plus fins, les plus souples, qui ont à leur disposition tous les trésors de la république.

«Les mesures que l'on a proposées n'ont et ne pourront avoir aucun résultat; elles n'ont servi qu'à alimenter la calomnie, elles n'ont servi qu'à fournir des prétextes aux journalistes de nous représenter sous les couleurs les plus odieuses.

«Lorsqu'on néglige les premiers moyens que la raison indique, et sans lesquels le salut public ne peut être opéré, il est évident qu'on n'est point dans la route. Je n'en dirai pas davantage; mais je déclare que je proteste contre tous les moyens qui ne tendent qu'à compromettre la société sans contribuer au salut public. Voilà ma profession de foi: le peuple sera toujours en état de terrasser l'aristocratie; il suffit que la société ne fasse aucune faute grossière.

«Quand je vois qu'on cherche à faire inutilement des ennemis à la société, à encourager les scélérats qui veulent la détruire, je suis tenté de croire qu'on est aveugle ou malintentionné.

«Je propose à la société de s'arrêter aux mesures que j'ai proposées, et je regarde comme très-coupables les hommes qui ne les font pas exécuter. Comment peut-on se refuser à ces mesures? comment n'en sent-on pas la nécessité? et, si on la sent, pourquoi balance-t-on à les appuyer et à les faire adopter? Je proposerai à la société d'entendre une discussion sur les principes de constitution qu'on prépare à la France; car il faut bien embrasser tous les plans de nos ennemis. Si la société peut démontrer le machiavélisme de nos ennemis, elle n'aura pas perdu son temps. Je demande donc que, écartant les propositions déplacées, la société me permette de lui lire mon travail sur la constitution.»

(Séance du dimanche 26 mai 1793.)

Robespierre: «Je vous disais que le peuple doit se reposer sur sa force; mais, quand le peuple est opprimé, quand il ne lui reste plus que lui-même, celui-là serait un lâche qui ne lui dirait pas de se lever. C'est quand toutes les lois sont violées, c'est quand le despotisme est à son comble, c'est quand on foule aux pieds la bonne foi et la pudeur, que le peuple doit s'insurger. Ce moment est arrivé: nos ennemis oppriment ouvertement les patriotes; ils veulent, au nom de la loi, replonger le peuple dans la misère et dans l'esclavage. Je ne serai jamais l'ami de ces hommes corrompus, quelques trésors qu'ils m'offrent. J'aime mieux mourir avec les républicains, que de triompher avec ces scélérats. (Applaudi.)

«Je ne connais pour un peuple que deux manières d'exister: ou bien qu'il se gouverne lui-même, ou bien qu'il confie ce soin à des mandataires. Nous, députés républicains, nous voulons établir le gouvernement du peuple, par ses mandataires, avec la responsabilité; c'est à ces principes que nous rapportons nos opinions, mais le plus souvent on ne veut pas nous entendre. Un signal rapide, donné par le président, nous dépouille du droit de suffrage. Je crois que la souveraineté du peuple est violée, lorsque ses mandataires donnent à leurs créatures les places qui appartiennent au peuple. D'après ces principes, je suis douloureusement affecté….»

L'orateur est interrompu par l'annonce d'une députation. (Tumulte).

«Je vais, s'écrie Robespierre, continuer de parler, non pas pour ceux qui m'interrompent, mais pour les républicains.

«J'exhorte chaque citoyen à conserver le sentiment de ses droits; je l'invite à compter sur sa force et sur celle de toute la nation; j'invite le peuple à se mettre, dans la convention nationale, en insurrection contre tous les députés corrompus. (Applaudi.) Je déclare qu'ayant reçu du peuple le droit de défendre ses droits, je regarde comme mon oppresseur celui qui m'interrompt, ou qui me refuse la parole, et je déclare que, moi seul, je me mets en insurrection contre le président, et contre tous les membres qui siègent dans la convention. (Applaudi.) Lorsqu'on affectera un mépris coupable pour les sans-culottes, je déclare que je me mets en insurrection contre les députés corrompus. J'invite tous les députés montagnards à se rallier et à combattre l'aristocratie, et je dis qu'il n'y a pour eux qu'une alternative: ou de résister de toutes leurs forces, de tout leur pouvoir, aux efforts de l'intrigue, ou de donner leur démission.

«Il faut en même temps que le peuple français connaisse ses droits; car les députés fidèles ne peuvent rien sans la parole.

«Si la trahison appelle les ennemis étrangers dans le sein de la France; si, lorsque nos canonniers tiennent dans leurs mains la foudre qui doit exterminer les tyrans et leurs satellites, nous voyons l'ennemi approcher de nos murs, alors je déclare que je punirai moi-même les traîtres, et je promets de regarder tout conspirateur comme mon ennemi, et de le traiter comme tel.» (Applaudi.)

FIN DE LA NOTE ET DES PIÈCES JUSTIFICATIVES.

TABLE DES CHAPITRES CONTENUS DANS LE TOME QUATRIÈME.

CHAPITRE VII.

Suite de nos revers militaires; défaite de Nerwinde.—Premières négociations de Dumouriez avec l'ennemi; ses projets de contre-révolution; il traite avec l'ennemi.—Évacuation de la Belgique.—Premiers troubles de l'Ouest; mouvemens insurrectionnels dans la Vendée.—Décrets révolutionnaires. Désarmement des suspects.—Entretien de Dumouriez avec des émissaires des jacobins. Il fait arrêter et livre aux Autrichiens les commissaires de la convention.—Décret contre les Bourbons.—Mise en arrestation du duc d'Orléans et de sa famille.—Dumouriez, abandonné de son armée après sa trahison, se réfugie dans le camp des Impériaux; opinion sur ce général. Changements dans les commandements des armées du Nord et du Rhin. Bouchotte est nommé ministre de la guerre à la place de Beurnonville destitué.

CHAPITRE VIII.

Etablissement du comité de salut public.—L'irritation des partis augmente à Paris. Réunion démagogique de l'Évêché; projets de pétitions incendiaires.—Renouvellement de la lutte entre les deux côtés de l'assemblée.—Discours et accusation de Robespierre contre les complices de Dumouriez et les girondins.—Réponse de Vergniaud.—Marat est décrété d'accusation et envoyé devant le tribunal révolutionnaire.—Pétition des sections de Paris demandant l'expulsion de vingt-deux membres de la Convention.—Résistance de la commune à l'autorité de l'assemblée. Accroissement de ses pouvoirs.—Marat est acquitté et porté en triomphe. —Etat des opinions et marche de la révolution dans les provinces. Disposition des principales villes, Lyon, Marseille, Bordeaux, Rouen. —Position particulière de la Bretagne et de la Vendée. Description de ces pays; causes qui amenèrent et entretinrent la guerre civile. Premiers succès des Vendéens, leurs principaux chefs.

CHAPITRE IX.

Levée d'une armée parisienne de 12,000 hommes; emprunt forcé; nouvelles mesures révolutionnaires contre les suspects.—Effervescence croissante des jacobins à la suite des troubles des départements.—Custine est nommé général en chef de l'armée du Nord.—Accusations et menaces des jacobins; violente lutte des deux côtés de la convention.—Formation d'une commission de douze membres, destinée à examiner les actes de la commune. —Assemblée insurrectionnelle à la mairie. Motions et complots contre la majorité de la convention et contre la vie des députés girondins; mêmes projets dans le club des Cordeliers.—La convention prend des mesures pour sa sûreté.—Arrestation d'Hébert, substitut du procureur de la commune. —Pétitions impérieuses de la commune.—Tumulte et scènes de désordres dans toutes les sections.—Evénements principaux des 28, 29 et 30 mai 1793. Dernières luttes des montagnards et des girondins.—Journées du 31 mai et du 2 juin. Détails et circonstances de l'insurrection dite du 31 mai.—Vingt-neuf représentants girondins sont mis en arrestation. —Caractère et résultats politiques de cette journée. Coup d'oeil sur la marche de la révolution. Jugement sur les girondins.

CHAPITRE X.

Projets des jacobins après le 31 mai.—Renouvellement des comités et du ministère.—Dispositions des départemens après le 31 mai. Les girondins proscrits vont les soulever contre la convention.—Décrets de la convention contre les départemens insurgés.—Assemblées et armées insurrectionnelles en Bretagne et en Normandie.—Evènemens militaires sur le Rhin et au Nord. Envahissement des frontières de l'Est par les coalisés; retraite de Custine. Siège de Mayence par les Prussiens. Echecs de l'armée des Alpes. Situation de l'armée des Pyrénées.—Les Vendéens s'emparent de Fontenay et de Saumur.—Dangers imminens de la république à l'intérieur et à l'extérieur.—Travaux administratifs de la convention; constitution de 1793.—Echecs des insurgés fédéralistes à Evreux.—Défaite des Vendéens devant Nantes.—Victoire contre les Espagnols dans le Roussillon.—Marat est assassiné par Charlotte Corday; honneurs funèbres rendus à sa mémoire; jugement et exécution de Charlotte Corday.

CHAPITRE XI.

Distribution des partis depuis le 31 mai, dans la convention, dans le comité de salut public et la commune.—Divisions dans la Montagne. —Discrédit de Danton.—Politique de Robespierre.—Evènements en Vendée. Défaite de Westermann à Châtillon, et du général Labarolière à Vihiers. —Siège et prise de Mayence par les Prussiens et les Autrichiens.—Prise de Valenciennes.—Dangers extrêmes de la république en août 1793.—Etat financier.—Discrédit des assignats.—Etablissement du maximum. —Détresse publique.—Agiotage.

CHAPITRE XII.

Arrivée et réception à Paris des commissaires des assemblées primaires. —Retraite du camp de César par l'armée du Nord.—Fête de l'anniversaire du 10 août, et inauguration de la constitution de 1793.—Mesures extraordinaires de salut public. Décret ordonnant la levée en masse. —Moyens employés pour en assurer l'exécution.—Institution du Grand-Livre; nouvelle organisation de la dette publique.—Emprunt forcé. —Détails sur les opérations financières à cette époque.—Nouveaux décrets sur le maximum.—Décrets contre la Vendée, contre les étrangers et contre les Bourbons.

FIN DE LA TABLE.

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