Histoire de la Révolution française, Tome 05
The Project Gutenberg eBook of Histoire de la Révolution française, Tome 05
Title: Histoire de la Révolution française, Tome 05
Author: Adolphe Thiers
Release date: February 1, 2004 [eBook #10953]
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HISTOIRE
DE LA
RÉVOLUTION
FRANÇAISE
HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
PAR M. A. THIERS DE L'ACADÉMIE FRANÇAISE
NEUVIÈME ÉDITION
TOME CINQUIÈME
HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE.
CONVENTION NATIONALE.
CHAPITRE XIII.
MOUVEMENT DES ARMÉES EN AOUT ET SEPTEMBRE 1793.—INVESTISSEMENT DE LYON PAR L'ARMÉE DE LA CONVENTION.—TRAHISON DE TOULON QUI SE LIVRE AUX ANGLAIS.—DÉFAITE DE QUARANTE MILLE VENDÉENS A LUÇON.—PLAN GÉNÉRAL DE CAMPAGNE CONTRE LA VENDÉE.—DIVISIONS DES GÉNÉRAUX RÉPUBLICAINS SUR CE THÉÂTRE DE LA GUERRE.—OPÉRATIONS MILITAIRES DANS LE NORD.—SIÉGE DE DUNKERQUE PAR LE DUC D'YORK.—VICTOIRE DE HONDSCHOOTE.—JOIE UNIVERSELLE QU'ELLE CAUSE EN FRANCE.—NOUVEAUX REVERS.—DÉROUTE A MENIN, A PIRMASENS, A PERPIGNAN, ET A TORFOU DANS LA VENDÉE.—RETRAITE DE CANCLAUX SUR NANTES.—ATTAQUES CONTRE LE COMITÉ DE SALUT PUBLIC.—ÉTABLISSEMENT DU gouvernement révolutionnaire.—DÉCRET QUI ORGANISE UNE ARMÉE RÉVOLUTIONNAIRE DE SIX MILLE HOMMES.—LOI DES SUSPECTS.—CONCENTRATION DU POUVOIR DICTATORIAL DANS LE COMITÉ DE SALUT PUBLIC.—PROCÈS DE CUSTINE; SA CONDAMNATION ET SON SUPPLICE.—DÉCRET D'ACCUSATION CONTRE LES GIRONDINS; ARRESTATION DE SOIXANTE-TREIZE MEMBRES DE LA CONVENTION.
Après la retraite des Français du camp de César au camp de Gavrelle, les alliés auraient dû encore poursuivre une armée démoralisée, qui avait toujours été malheureuse depuis l'ouverture de la campagne. Dès le mois de mars, en effet, battue à Aix-la-Chapelle et à Nerwinde, elle avait perdu la Flandre hollandaise, la Belgique, les camps de Famars et de César, les places de Condé et de Valenciennes. L'un de ses généraux avait passé à l'ennemi, l'autre avait été tué. Ainsi, depuis la bataille de Jemmapes, elle n'avait fait que des retraites, fort méritoires, il est vrai, mais peu encourageantes. Sans concevoir même le projet trop hardi d'une marche directe sur Paris, les coalisés pouvaient détruire ce noyau d'armée, et alors ils étaient libres de prendre toutes les places qu'il convenait à leur égoïsme d'occuper. Mais aussitôt après la prise de Valenciennes, les Anglais, en vertu des conventions faites à Anvers, exigèrent le siége de Dunkerque. Alors, tandis que le prince de Cobourg, restant dans les environs de son camp d'Hérin, entre la Scarpe et l'Escaut, croyait occuper les Français, et songeait à prendre encore le Quesnoy, le duc d'York, marchant avec l'armée anglaise et hanovrienne par Orchies, Menin, Dixmude et Furnes, vint s'établir devant Dunkerque, entre le Langmoor et la mer. Deux siéges nous donnaient donc encore un peu de répit. Houchard, envoyé à Gavrelle, y réunissait en hâte toutes les forces disponibles, afin de voler au secours de Dunkerque. Interdire aux Anglais un port sur le continent, battre individuellement nos plus grands ennemis, les priver de tout avantage dans cette guerre, et fournir de nouvelles armes à l'opposition anglaise contre Pitt, telles étaient les raisons qui faisaient considérer Dunkerque comme le point le plus important de tout le théâtre de la guerre. «Le salut de la république est là,» écrivait à Houchard le comité de salut public; et Carnot, sentant parfaitement que les troupes réunies entre la frontière du Nord et celle du Rhin, c'est-à-dire dans la Moselle, y étaient inutiles, fit décider qu'on en retirerait un renfort pour l'envoyer en Flandre. Vingt ou vingt-cinq jours s'écoulèrent ainsi en préparatifs, délai très concevable du côté des Français, qui avaient à réunir leurs troupes dispersées à de grandes distances, mais inconcevable de la part des Anglais, qui n'avaient que quatre ou cinq marches à faire pour se porter sous les murs de Dunkerque.
Nous avons laissé nos deux armées de la Moselle et du Rhin essayant de s'avancer, mais trop tard, vers Mayence, et n'empêchant pas la prise de cette place. Depuis, elles s'étaient repliées sur Saarbruck, Hornbach et Wissembourg. Il faut donner une idée du théâtre de la guerre pour faire comprendre ces divers mouvemens. La frontière française est assez singulièrement découpée au Nord et à l'Est. L'Escaut, la Meuse, la Moselle, la chaîne des Vosges, le Rhin, courent vers le Nord en formant des lignes presque parallèles. Le Rhin, arrivé à l'extrémité des Vosges, tourne subitement, cesse de couler parallèlement à ces lignes, et les termine en tournant le pied des Vosges, et en recevant dans son cours la Moselle et la Meuse. Les coalisés, sur la frontière du Nord, s'étaient avancés entre l'Escaut et la Meuse; entre la Meuse et la Moselle, ils n'avaient point fait de progrès, parce que le faible corps laissé par eux entre Luxembourg et Trêves n'avait rien pu tenter; mais ils pouvaient davantage entre la Moselle, les Vosges et le Rhin. On a vu qu'ils s'étaient placés à cheval sur les Vosges, partie sur le versant oriental, et partie sur le versant occidental. Le plan à suivre, comme nous l'avons dit précédemment, était assez simple. En considérant l'arête des Vosges comme une rivière dont il fallait occuper les passages, on pouvait porter toutes ses masses sur une rive, accabler l'ennemi d'un côté, puis revenir l'accabler de l'autre. Ni les Français, ni les coalisés n'en avaient eu l'idée; et depuis la prise de Mayence, les Prussiens, placés sur le revers occidental, faisaient face à l'armée du Rhin. Nous étions retirés dans les fameuses lignes de, Wissembourg. L'armée de la Moselle, au nombre de vingt mille hommes, était postée à Saarbruck, sur la Sarre; le corps des Vosges, au nombre de douze mille, se trouvait à Hornbach et Kettrick, et se liait dans les montagnes à l'extrême gauche de l'armée du Rhin. L'armée du Rhin, forte de vingt mille hommes, gardait la Lauter, de Wissembourg à Lauterbourg. Telles sont les lignes de Wissembourg; la Sarre coule des Vosges à la Moselle, la Lauter des Vosges dans le Rhin, et toutes les deux forment une seule ligne, qui coupe presque perpendiculairement la Moselle, les Vosges et le Rhin. On en devient maître en occupant Saarbruck, Hornbach, Kettrick, Wissembourg et Lauterbourg. C'est ce que nous avions fait. Nous n'avions guère plus de soixante mille hommes sur toute cette frontière, parce qu'il avait fallu porter des secours à Houchard. Les Prussiens avaient mis deux mois à s'approcher de nous, et s'étaient enfin portés à Pirmasens. Renforcés des quarante mille hommes qui venaient de terminer le siége de Mayence, et réunis aux Autrichiens, ils auraient pu nous accabler sur l'un ou l'autre des deux versans; mais la désunion régnait entre la Prusse et l'Autriche, à cause du partage de la Pologne. Frédéric-Guillaume, qui se trouvait encore au camp des Vosges, ne secondait pas l'impatiente ardeur de Wurmser. Celui-ci, plein de fougue, malgré ses années, faisait tous les jours de nouvelles tentatives sur les lignes de Wissembourg; mais ses attaques partielles étaient demeurées sans succès, et n'avaient abouti qu'à faire tuer inutilement des hommes. Tel était encore, dans les premiers jours de septembre, l'état des choses sur le Rhin.
Dans le Midi, les événemens avaient achevé de se développer. La longue incertitude des Lyonnais s'était terminée enfin par une résistance ouverte, et le siége de leur ville était devenu inévitable. On a vu qu'ils offraient de se soumettre et de reconnaître la constitution, mais sans s'expliquer sur les décrets qui leur enjoignaient d'envoyer à Paris les patriotes détenus, et de dissoudre la nouvelle autorité sectionnaire. Bientôt même, ils avaient enfreint ces décrets de la manière la plus éclatante, en envoyant Chalier et Riard à l'échafaud, en faisant tous les jours des préparatifs de guerre, en prenant l'argent des caisses, et en retenant les convois destinés aux armées. Beaucoup de partisans de l'émigration s'étaient introduits parmi eux, et les effrayaient du rétablissement de l'ancienne municipalité montagnarde. Ils les flattaient, en outre, de l'arrivée des Marseillais, qui, disaient-ils, remontaient le Rhône, et de la marche des Piémontais, qui allaient déboucher des Alpes avec soixante-mille hommes. Quoique les Lyonnais, franchement fédéralistes, portassent une haine égale à l'étranger et aux émigrés, la Montagne et l'ancienne municipalité leur causaient un tel effroi, qu'ils étaient prêts à s'exposer plutôt au danger et à l'infamie de l'alliance étrangère, qu'aux vengeances de la convention.
La Saône coulant entre le Jura et la Côte-d'Or, le Rhône venant du Valais entre le Jura et les Alpes, se réunissent à Lyon. Cette riche ville est placée sur leur confluent. En remontant la Saône du côté de Mâcon, le pays était entièrement républicain, et les députés Laporte et Reverchon, ayant réuni quelques mille réquisitionnaires, coupaient la communication avec le Jura. Dubois-Crancé, avec la réserve de l'armée de Savoie, venait du côté des Alpes, et gardait le cours supérieur du Rhône. Mais les Lyonnais étaient entièrement maîtres du cours inférieur du fleuve et de sa rive droite, jusqu'aux montagnes de l'Auvergne. Ils dominaient dans tout le Forez, y faisaient des incursions fréquentes, et allaient s'approvisionner d'armes à Saint-Étienne. Un ingénieur habile avait élevé autour de leur ville d'excellentes fortifications; un étranger leur avait fondu des pièces de rempart. La population était divisée en deux portions: les jeunes gens suivaient le commandant Précy dans ses excursions; les hommes mariés, les pères de famille gardaient la ville et ses retranchemens. Enfin, le 8 août, Dubois-Crancé, qui avait apaisé la révolte fédéraliste de Grenoble, se disposa à marcher sur Lyon, conformément au décret qui lui enjoignait de ramener à l'obéissance cette ville rebelle. L'armée des Alpes se composait tout au plus de vingt-cinq milles hommes, et bientôt elle allait avoir sur les bras les Piémontais, qui, profitant enfin du mois d'août, se préparaient à déboucher par la grande chaîne. Cette armée venait de s'affaiblir, comme on l'a vu, de deux détachemens, envoyés, l'un pour renforcer l'armée d'Italie, et l'autre pour réduire les Marseillais. Le Puy-de-Dôme, qui devait fournir ses recrues, les avait gardées pour étouffer la révolte de la Lozère, dont il a déjà été question. Houchard avait retenu la légion du Rhin, qui était destinée aux Alpes; et le ministère promettait sans cesse un renfort de mille chevaux qui n'arrivaient pas. Cependant Dubois-Crancé détacha cinq mille hommes de troupes réglées, et leur joignit sept ou huit mille jeunes réquisitionnaires. Il vint avec ces forces se placer entre la Saône et le Rhône, de manière à occuper leur cours supérieur, à enlever aux Lyonnais les approvisionnemens qui leur arrivaient par eau, à conserver ses communications avec l'armée des Alpes, et à couper celles des assiégés avec la Suisse et la Savoie. Par ces dispositions, il laissait toujours le Forez aux Lyonnais, et surtout les hauteurs importantes de Fourvières; mais sa situation le voulait ainsi. L'essentiel était d'occuper les deux cours d'eau et de couper Lyon de la Suisse et du Piémont. Dubois-Crancé attendait, pour compléter le blocus, les nouvelles forces qui lui avaient été promises et le matériel de siége qu'il était obligé de tirer de nos places des Alpes. Le transport de ce matériel exigeait l'emploi de cinq mille chevaux.
Le 8 août, il somma la ville; il imposa pour conditions le désarmement absolu de tous les citoyens, la retraite de chacun d'eux dans leurs maisons, la reddition de l'arsenal, et la formation d'une municipalité provisoire. Mais dans ce moment, les émigrés cachés dans la commission et l'état-major continuaient de tromper les Lyonnais, en les effrayant du retour de la municipalité montagnarde, et en leur disant que soixante mille Piémontais allaient déboucher sur leur ville. Un engagement, qui eut lieu entre deux postes avancés, et qui fut terminé à l'avantage des Lyonnais, les exalta au plus haut point, et décida leur résistance et leurs malheurs. Dubois-Crancé commença le feu du côté de la Croix-Rousse, entre les deux fleuves, où il avait pris position, et dès le premier jour son artillerie exerça de grands ravages. Ainsi, l'une de nos plus importantes villes manufacturières était réduite aux horreurs du bombardement, et nous avions à exécuter ce bombardement en présence des Piémontais, qui allaient descendre des Alpes.
Pendant ce temps, Carteaux avait marché sur Marseille, et avait franchi la Durance dans le mois d'août. Les Marseillais s'étaient retirés d'Aix sur leur ville, et avaient formé le projet de défendre les gorges de Septèmes, à travers lesquelles passe la route d'Aix à Marseille. Le 24, le général Doppet les attaqua avec l'avant-garde de Carteaux; l'engagement fut assez vif, mais une section, qui avait toujours été en opposition avec les autres, passa du côté des républicains, et décida le combat en leur faveur. Les gorges furent emportées, et, le 25, Carteaux entra dans Marseille avec sa petite armée.
Cet événement en décida un autre, le plus funeste qui eût encore affligé la république. La ville de Toulon, qui avait toujours paru animée du plus violent républicanisme, tant que la municipalité y avait été maintenue, avait changé d'esprit sous la nouvelle autorité des sections, et allait bientôt changer de domination. Les jacobins, réunis à la municipalité, étaient déchaînés contre les officiers aristocrates de la marine; ils ne cessaient de se plaindre de la lenteur des réparations faites à l'escadre, de son immobilité dans le port, et ils demandaient à grands cris la punition des officiers, auxquels ils attribuaient le mauvais résultat de l'expédition de Sardaigne. Les républicains modérés répondaient là comme partout, que les vieux officiers étaient seuls capables de commander les escadres, que les vaisseaux ne pouvaient pas se réparer plus promptement, que les faire sortir contre les flottes espagnole et anglaise réunies serait fort imprudent, et qu'enfin les officiers dont on demandait la punition n'étaient point des traîtres, mais des guerriers malheureux. Les modérés l'emportèrent dans les sections. Aussitôt une foule d'agens secrets, intrigant pour le compte des émigrés et des Anglais, s'introduisirent dans Toulon, et conduisirent les habitans plus loin qu'ils ne se proposaient d'aller. Ces agens communiquaient avec l'amiral Hood, et s'étaient assurés que les escadres coalisées seraient, dans les parages voisins, prêtes à se présenter au premier signal. D'abord, à l'exemple des Lyonnais, ils firent juger et mettre à mort le président du club jacobin, nommé Sévestre. Ensuite ils rétablirent le culte des prêtres réfractaires; ils firent déterrer et porter en triomphe les ossemens de quelques malheureux qui avaient péri dans les troubles pour la cause royaliste. Le comité de salut public ayant ordonné à l'escadre d'arrêter les vaisseaux destinés à Marseille, afin de réduire cette ville, ils ne permirent pas l'exécution de cet ordre, et s'en firent un mérite auprès des sections de Marseille. Ensuite ils commencèrent à parler des dangers auxquels on était exposé en résistant à la convention, de la nécessité de s'assurer un secours contre ses fureurs, et de la possibilité d'obtenir celui des Anglais en proclamant Louis XVII. L'ordonnateur de la marine était, à ce qu'il paraît, le principal instrument de la conspiration; il accaparait l'argent des caisses, envoyait chercher les fonds par mer jusque dans le département de l'Hérault, écrivait à Gènes pour faire retenir les subsistances et rendre ainsi la situation de Toulon plus critique. On avait changé les états-majors; on avait tiré de prison un officier de marine compromis dans l'expédition de Sardaigne, pour lui donner le commandement de la place; on avait mis à la tête de la garde nationale un ancien garde-du-corps, et confié les forts à des émigrés rentrés; on s'était assuré enfin de l'amiral Trogoff, étranger que la France avait comblé de faveurs. On ouvrit une négociation avec l'amiral Hood, sous prétexte d'un échange de prisonniers, et, au moment où Carteaux venait d'entrer dans Marseille, où la terreur était au comble dans Toulon, et où huit ou dix mille Provençaux, les plus contre-révolutionnaires de la contrée, venaient s'y réfugier, on osa faire aux sections la honteuse proposition de recevoir les Anglais, qui prendraient la place en dépôt au nom de Louis XVII. La marine, indignée, envoya une députation aux sections pour s'opposer à l'infamie qui se préparait. Mais les contre-révolutionnaires toulonnais et marseillais, plus audacieux que jamais, repoussèrent les réclamations de la marine, et firent accepter la proposition le 29 août. Aussitôt on donna le signal aux Anglais. L'amiral Trogoff, se mettant à la tête de ceux qui voulaient livrer le port, appela à lui l'escadre en arborant le drapeau blanc. Le brave contre-amiral Saint-Julien, déclarant Trogoff un traître, hissa à son bord le pavillon de commandement, et voulut réunir la marine fidèle. Mais, dans ce moment, les traîtres, déjà en possession des forts, menacèrent de brûler Saint-Julien avec ses vaisseaux: il fut alors obligé de fuir avec quelques officiers et quelques matelots; les autres furent entraînés, sans trop savoir ce qu'on allait faire d'eux. L'amiral Hood, qui avait long-temps hésité, parut enfin, et, sous prétexte de prendre le port de Toulon en dépôt pour le compte de Louis XVII, le reçut pour l'incendier et le détruire.
Pendant ce temps, aucun mouvement ne s'était opéré aux Pyrénées; dans l'Ouest, on se préparait à exécuter les mesures décrétées par la convention.
Nous avons laissé toutes les colonnes de la Haute-Vendée se réorganisant à Angers, à Saumur et à Niort. Les Vendéens s'étaient, dans cet intervalle, emparés des ponts de Cé, et, dans la crainte qu'ils inspirèrent, on mit Saumur en état de siége. La colonne de Luçon et des Sables était seule capable d'agir offensivement. Elle était commandée par le nommé Tuncq, l'un des généraux réputés appartenir à l'aristocratie militaire, et dont Ronsin demandait la destitution au ministère. Auprès de lui se trouvaient les deux représentans Bourdon de l'Oise, et Goupilleau de Fontenay, animés des mêmes dispositions et opposés à Ronsin et à Rossignol. Goupilleau surtout, né dans le pays, était porté, par ses relations de famille et d'amitié, à ménager les habitans, et à leur épargner les rigueurs que Ronsin et les siens auraient voulu exercer.
Les Vendéens, que la colonne de Luçon inquiétait, résolurent de diriger contre elle leurs forces partout victorieuses. Ils voulaient surtout donner des secours à la division de M. de Roïrand, qui, placé devant Luçon, et isolée entre les deux grandes armées de la Haute et de la Basse-Vendée, agissait avec ses seules ressources, et avait besoin d'être appuyée. Dans les premiers jours d'août, en effet, ils portèrent quelques rassemblemens du côté de Luçon, et furent complètement repoussés par le général Tuncq. Alors ils résolurent de tenter un effort plus décisif. MM. d'Elbée, de Lescure, de La Rochejaquelein, Charette, se réunirent avec quarante mille hommes, et, le 14 août, se présentèrent de nouveau aux environs de Luçon. Tuncq n'en avait guère que six mille. M. de Lescure, se fiant sur la supériorité du nombre, donna le funeste conseil d'attaquer en plaine l'armée républicaine. MM. de Lescure et Charette prirent le commandement de la gauche, M. d'Elbée celui du centre, M. de La Rochejaquelein celui de la droite. MM. de Lescure et Charette agirent avec une grande vigueur à la droite; mais au centre, les soldats, obligés de lutter en plaine contre des troupes régulières, montrèrent de l'hésitation: M. de La Rochejaquelein, égaré dans sa route, n'arriva pas à temps vers la gauche. Alors le général Tuncq, faisant agir à propos son artillerie légère sur le centre ébranlé, y répandit le désordre, et en peu d'instans mit en fuite tous les Vendéens au nombre de quarante mille. Aucun événement n'avait été plus funeste pour ces derniers. Ils perdirent toute leur artillerie, et rentrèrent dans le pays, frappés de consternation.
Dans ce même moment arrivait la destitution du général Tuncq, demandée par Ronsin. Bourdon et Goupilleau, indignés, le maintinrent dans son commandement, écrivirent à la convention pour faire révoquer la décision du ministre, et adressèrent de nouvelles plaintes contré le parti désorganisateur de Saumur, qui répandait, disaient-ils, la confusion, et voulait remplacer tous les généraux instruits par d'ignorans démagogues. Dans ce moment, Rossignol faisant l'inspection des diverses colonnes de son commandement, arriva à Luçon. Son entrevue avec Tuncq, Goupilleau et Bourdon, ne fut qu'un échange de reproches; malgré deux victoires, il fut mécontent de ce que l'on avait livré des combats contre sa volonté: car il pensait, du reste avec raison, qu'il fallait éviter tout engagement avant la réorganisation générale des différentes armées. On se sépara, et immédiatement après, Bourdon et Goupilleau, apprenant quelques actes de rigueur exercés par Rossignol dans le pays, eurent la hardiesse de prendre un arrêté pour le destituer. Aussitôt, les représentans qui étaient à Saumur, Merlin, Bourbotte, Choudieu, et Rewbell, cassèrent l'arrêté de Goupilleau et Bourdon, et réintégrèrent Rossignol. L'affaire fut portée devant la convention: Rossignol, confirmé de nouveau, l'emporta sur ses adversaires. Bourdon et Goupilleau furent rappelés, et Tuncq suspendu.
Telle était la situation des choses, lorsque la garnison de Mayence arriva dans la Vendée. Il s'agissait de savoir quel plan on suivrait, et de quel côté on ferait agir cette brave garnison. Serait-elle attachée à l'armée de la Rochelle et mise sous les ordres de Rossignol, ou à l'armée de Brest et confiée à Canclaux? Telle était la question. Chacun voulait la posséder, parce qu'elle devait décider le succès partout où elle agirait. On était d'accord pour envelopper le pays d'attaques simultanées, qui, dirigées de tous les points de la circonférence, viendraient aboutir au centre. Mais, comme la colonne qui posséderait les Mayençais devait prendre une offensive plus décisive, et refouler les Vendéens sur les autres colonnes, il s'agissait de savoir sur quel point il était le plus utile de rejeter l'ennemi. Rossignol et les siens soutenaient que le meilleur parti à prendre était de faire marcher les Mayençais par Saumur, pour rejeter les Vendéens sur la mer et sur la Basse Loire, où on les détruirait entièrement; que les colonnes d'Angers, de Saumur, trop faibles, avaient besoin de l'appui des Mayençais pour agir; que, réduites à elles-mêmes, elles seraient dans l'impossibilité de s'avancer en campagne pour donner la main aux autres colonnes de Niort et de Luçon; qu'elles ne pourraient même pas arrêter les Vendéens refoulés, ni les empêcher de se répandre dans l'intérieur; qu'enfin, en faisant avancer les Mayençais par Saumur, on ne perdrait point de temps, tandis que par Nantes, ils étaient obligés de faire un circuit considérable, et de perdre dix ou quinze jours. Canclaux était frappé au contraire du danger de laisser la mer ouverte aux Vendéens. Une escadre anglaise venait d'être signalée dans les parages de l'Ouest, et on ne pouvait pas croire que les Anglais ne songeassent pas à une descente dans le Marais. C'était alors la pensée générale, et, quoiqu'elle fût erronée, elle occupait tous les esprits. Cependant les Anglais venaient à peine d'envoyer un émissaire dans la Vendée. Il était arrivé déguisé, et demandait le nom des chefs, leurs forces, leurs intentions et leur but précis: tant on ignorait en Europe les événemens intérieurs de la France! Les Vendéens avaient répondu par une demande d'argent et de munitions, et par la promesse de porter cinquante mille hommes sur le point où l'on voudrait opérer un débarquement. Tout projet de ce genre était donc encore bien éloigné; mais de toutes parts on le croyait prêt à se réaliser. Il fallait donc, disait Canclaux, faire agir les Mayençais par Nantes, couper ainsi les Vendéens de la mer, et les refouler vers le haut pays. Se répandraient-ils dans l'intérieur, ajoutait Canclaux, ils seraient bientôt détruits, et quant au temps perdu, ce n'était pas une considération à faire valoir: car l'armée de Saumur était dans un état à ne pouvoir pas agir avant dix ou douze jours, même avec les Mayençais. Une raison qu'on ne donnait pas, c'est que l'armée de Mayence, déjà faite au métier de la guerre, aimait mieux servir avec les gens du métier, et préférait Canclaux, général expérimenté, à Rossignol, général ignorant, et l'armée de Brest, signalée par des faits glorieux, à celle de Saumur, connue seulement par des défaites. Les représentans, attachés au parti de la discipline, partageaient aussi cet avis, et craignaient de compromettre l'armée de Mayence, en la plaçant au milieu des soldats jacobins et désordonnés de Saumur.
Philippeaux, le plus ardent adversaire du parti Ronsin parmi les représentans, se rendit à Paris, et obtint un arrêté du comité de salut public en faveur de Canclaux. Ronsin fit révoquer l'arrêté, et il fut convenu alors qu'un conseil de guerre tenu à Saumur déciderait de l'emploi des forces. Le conseil eut lieu le 2 septembre. On y comptait beaucoup de représentans et de généraux. Les avis se trouvèrent partagés. Rossignol, qui mettait une grande bonne foi dans ses opinions, offrit à Canclaux de lui résigner le commandement, s'il voulait laisser agir les Mayençais par Saumur. Cependant l'avis de Canclaux l'emporta; les Mayençais furent attachés à l'armée de Brest, et la principale attaque dut être dirigée de la Basse sur la Haute-Vendée. Le plan de campagne fut signé, et on promit de partir, à un jour donné, de Saumur, Nantes, les Sables et Niort.
La plus grande humeur régnait dans le parti de Saumur. Rossignol avait de l'ardeur, de la bonne foi, mais point d'instruction, point de santé, et, quoique franchement dévoué, il était incapable de servir d'une manière utile. Il conçut, de la décision adoptée, moins de ressentiment que ses partisans eux-mêmes, tels que Ronsin, Momoro et tous les agens ministériels. Ceux-ci écrivirent sur-le-champ à Paris pour se plaindre du mauvais parti qu'on venait de prendre, des calomnies répandues contre les généraux sans-culottes, des préventions qu'on avait inspirées à l'armée de Mayence, et ils montrèrent ainsi des dispositions qui ne devaient pas faire espérer de leur part un grand zèle à seconder le plan délibéré à Saumur. Ronsin poussa même la mauvaise volonté jusqu'à interrompre les distributions de vivres faites à l'armée de Mayence, sous prétexte que, ce corps passant de l'armée de la Rochelle à celle de Brest, c'était aux administrateurs de cette dernière à l'approvisionner. Les Mayençais partirent aussitôt pour Nantes, et Canclaux disposa toutes choses pour faire exécuter le plan convenu dans les premiers jours de septembre.
Telle avait été la marche générale des choses sur les divers théâtres de la guerre, pendant les mois d'août et de septembre. Il faut suivre maintenant les grandes opérations qui succédèrent à ces préparatifs.
Le duc d'York était arrivé devant Dunkerque avec vingt-un mille Anglais et Hanovriens, et douze mille Autrichiens. Le maréchal Freytag était à Ost-Capelle avec seize mille hommes; le prince d'Orange à Menin avec quinze mille Hollandais. Ces deux derniers corps étaient placés là en armée d'observation. Le reste des coalisés, dispersés autour du Quesnoy et jusqu'à la Moselle, s'élevait à environ cent mille hommes. Ainsi cent soixante ou cent soixante-dix mille hommes étaient répartis sur cette ligne immense, occupés à y faire des siéges et à y garder tous les passages. Carnot, qui commençait à diriger les opérations des Français, avait entrevu déjà qu'il ne s'agissait pas de batailler sur tous les points, mais d'employer à propos une masse sur un point décisif. Il avait donc conseillé de transporter trente-cinq mille hommes, de la Moselle et du Rhin au Nord. Son conseil avait été adopté, mais il ne put en arriver que douze mille en Flandre. Néanmoins, avec ce renfort et les divers camps placés à Gavrelle, à Lille, à Cassel, les Français auraient pu former une masse de soixante mille hommes, et, dans l'état de dispersion où se trouvait l'ennemi, frapper les plus grands coups. Il ne faut, pour s'en convaincre, que jeter les yeux sur le théâtre de la guerre. En suivant le rivage de la Flandre pour entrer en France, on trouve Furnes d'abord, et puis Dunkerque. Ces deux villes, baignées d'un côté par l'Océan, de l'autre par les vastes marais de la Grande-Moër, ne peuvent communiquer entre elles que par une étroite langue de terre. Le duc d'York arrivant par Furnes, qui se présente la première en venant du dehors, s'était placé, pour assiéger Dunkerque, sur cette langue de terre, entre la Grande-Moër et l'Océan. Le corps d'observation de Freytag ne s'était pas établi à Furnes de manière à protéger les derrières de l'armée de siége; il était au contraire assez loin de cette position, en avant des marais de Dunkerque, de manière à couper les secours qui pouvaient venir de l'intérieur de la France. Les Hollandais du prince d'Orange, postés à Menin, à trois journées de ce point, devenaient tout à fait inutiles. Une masse de soixante mille hommes, marchant rapidement entre les Hollandais et Freytag, pouvait se porter à Furnes derrière le duc d'York, et, manoeuvrant ainsi entre les trois corps ennemis, accabler successivement Freytag, le duc d'York et le prince d'Orange. Il fallait pour cela une masse unique et des mouvemens rapides. Mais alors on ne songeait qu'à se pousser de front, en opposant à chaque détachement, un détachement pareil. Cependant le comité de salut public avait à peu près conçu le plan dont nous parlons. Il avait ordonné de former un seul corps et de marcher sur Furnes. Houchard comprit un moment cette pensée, mais ne s'y arrêta pas, et songea tout simplement à marcher contre Freytag, à replier ce dernier sur les derrières du duc d'York, et à tâcher ensuite d'inquiéter le siége.
Pendant que Houchard hâtait ses préparatifs, Dunkerque faisait une vigoureuse résistance. Le général Souham, secondé par le jeune Hoche, qui se comporta à ce siége d'une manière héroïque, avait déjà repoussé plusieurs attaques. L'assiégeant ne pouvait pas ouvrir facilement la tranchée dans un terrain sablonneux, au fond duquel on trouvait l'eau en creusant seulement à trois pieds. La flottille qui devait descendre la Tamise pour bombarder la place, n'arrivait pas, et au contraire une flottille française, sortie de Dunkerque et embossée le long du rivage, harcelait les assiégeans enfermés sur leur étroite langue de terre, manquant d'eau potable et exposés à tous les dangers. C'était le cas de se hâter et de frapper des coups décisifs. On était arrivé aux derniers jours d'août. Suivant l'usage de la vieille tactique, Houchard commença par une démonstration sur Menin, qui n'aboutit qu'à un combat sanglant et inutile. Après avoir donné cette alarme préliminaire, il s'avança, en suivant plusieurs routes, vers la ligne de l'Yser, petit cours d'eau qui le séparait du corps d'observation de Freytag. Au lieu de venir se placer entre le corps d'observation et le corps de siége, il confia à Hédouville le soin de marcher sur Rousbrugghe, pour inquiéter seulement la retraite de Freytag sur Furnes, et il alla lui-même donner de front sur Freytag, en marchant avec toute son armée par Houtkercke, Herséele et Bambèke. Freytag avait disposé son corps sur une ligne assez étendue, et il n'en avait qu'une partie autour de lui, lorsqu'il reçut le premier choc de Houchard. Il résista à Herséele; mais, après un combat assez vif, il fut obligé de repasser l'Yser, et de se replier sur Bambèke, et successivement de Bambèke sur Rexpoede et Killem. En reculant de la sorte, au-delà de l'Yser, il laissait ses ailes compromises en avant. La division Walmoden se trouvait jetée loin de lui, à sa droite, et sa propre retraite était menacée vers Rousbrugghe par Hédouville.
Freytag veut alors, dans la même journée, se reporter en avant, et reprendre Rexpoede, afin de rallier à lui la division Walmoden. Il arrive à Rexpoede au moment où les Français y entraient. Un combat des plus vifs s'engage: Freytag est blessé et fait prisonnier. Cependant la fin du jour s'approche; Houchard, craignant une attaque de nuit, se retire hors du village, et n'y laisse que trois bataillons. Walmoden, qui se repliait avec sa division compromise, arrive dans cet instant, et se décide à attaquer vivement Rexpoede, afin de se faire jour. Un combat sanglant se livre au milieu de la nuit; le passage est franchi, Freytag est délivré, et l'ennemi se retire en masse sur le village de Hondschoote. Ce village, situé contre la Grande-Moër et sur la route de Furnes, était un des points par lesquels il fallait passer en se retirant sur Furnes. Houchard avait renoncé à l'idée essentielle de manoeuvrer vers Furnes, entre le corps de siége et le corps d'observation; il ne lui restait donc plus qu'à pousser toujours de front le maréchal Freytag, et à se ruer contre le village de Hondschoote. La journée du 7 se passa à observer les positions de l'ennemi, défendues par une artillerie très forte, et, le 8, l'attaque décisive fut résolue. Dès le matin, l'armée française se porte sur toute la ligne pour attaquer de front. La droite, sous les ordres d'Hédouville, s'étend entre Killem et Béveren; le centre, commandé par Jourdan, marche directement de Killem sur Hondschoote; la gauche attaque entre Killem et le canal de Furnes. L'action s'engage entre les taillis qui couvraient le centre. De part et d'autre, les plus grandes forces sont dirigées sur ce même point. Les Français reviennent plusieurs fois à l'attaque des positions, et enfin ils s'en rendent maîtres. Tandis qu'ils triomphent au centre, les retranchemens sont emportés à la droite, et l'ennemi prend le parti de se retirer sur Furnes par les routes de Houthem et de Hoghestade.
Tandis que ces choses se passaient à Hondschoote, la garnison de Dunkerque faisait, sous la conduite de Hoche, une sortie vigoureuse, et mettait les assiégeans dans le plus grand péril. Le lendemain du combat, ceux-ci tinrent un conseil de guerre; se sentant menacés sur leurs derrières, et ne voyant pas arriver les armemens maritimes qui devaient servir à bombarder la place, ils résolurent de lever le siége, et de se retirer sur Furnes, où venait d'arriver Freytag. Ils y furent tous réunis le 9 septembre au soir.
Telles furent ces trois journées, qui eurent pour but et pour résultat de replier le corps d'observation sur les derrières du corps de siége, en suivant une marche directe. Le dernier combat donna son nom à cette opération, et la bataille d'Hondschoote fut considérée comme le salut de Dunkerque. Cette opération, en effet, rompait la longue chaîne de nos revers au Nord, faisait essuyer un échec personnel aux Anglais, trompait le plus cher de leurs voeux, sauvait la république du malheur qui lui eût été le plus sensible, et donnait un grand encouragement à la France.
La victoire d'Hondschoote produisit à Paris une grande joie, inspira plus d'ardeur à toute la jeunesse, et fit espérer que notre énergie pourrait être heureuse. Peu importent, en effet, les revers, pourvu que des succès viennent s'y mêler, et rendre au vaincu l'espérance et le courage. L'alternative ne fait qu'augmenter l'énergie et exalter l'enthousiasme de la résistance.
Pendant que le duc d'York s'était porté à Dunkerque, Cobourg avait résolu l'attaque du Quesnoy. Cette place manquait de tous les moyens nécessaires à sa défense, et Cobourg la serrait de très près. Le comité de salut public, ne négligeant pas plus cette partie de la frontière que les autres, avait ordonné sur-le-champ que des colonnes sortissent de Landrecies, Cambray et Maubeuge. Malheureusement, ces colonnes ne purent agir en même temps; l'une fut renfermée dans Landrecies; l'autre, entourée dans la pleine d'Avesnes, et formée en bataillon carré, fut rompue après une résistance des plus honorables. Enfin le Quesnoy fut obligé de capituler le 11 septembre. Cette perte était peu de chose à côté de la délivrance de Dunkerque; mais elle mêlait quelque amertume à la joie produite par ce dernier événement.
Houchard, après avoir forcé le duc d'York à se concentrer à Furnes avec Freytag, n'avait plus rien d'heureux à tenter sur ce point; il ne lui restait qu'à se ruer avec des forces égales sur des soldats mieux aguerris, sans aucune de ces circonstances, ou favorables ou pressantes, qui font hasarder une bataille douteuse. Dans cette situation, il n'avait rien de mieux à faire qu'à tomber sur les Hollandais, disséminés en plusieurs détachemens, autour de Menin, Halluin, Roncq, Werwike et Ypres. Houchard, procédant avec prudence, ordonna au camp de Lille de faire une sortie sur Menin, tandis qu'il agirait lui-même par Ypres. On se disputa pendant deux jours les postes avancés de Werwike, de Roncq et d'Halluin. De part et d'autre, on se comporta avec une grande bravoure et une médiocre intelligence. Le prince d'Orange, quoique pressé de tous côtés, et ayant perdu ses postes avancés, résista opiniâtrement, parce qu'il avait appris la reddition du Quesnoy et l'approche de Beaulieu, qui lui amenait des secours. Enfin, il fut obligé, le 13 septembre, d'évacuer Menin, après avoir perdu dans ces différentes journées deux à trois mille hommes, et quarante pièces de canon. Quoique notre armée n'eût pas tiré de sa position tout l'avantage possible, et que, manquant aux instructions du comité de salut public, elle eût agi par masses trop divisées, cependant elle occupait Menin. Le 15, elle était sortie de Menin et marchait sur Courtray. A Bisseghem, elle rencontre Beaulieu. Le combat s'engage avec avantage de notre côté; mais tout à coup l'apparition d'un corps de cavalerie sur les ailes répand une alarme qui n'était fondée sur aucun danger réel. Tout s'ébranle et fuit jusqu'à Menin. Là, cette inconcevable déroute ne s'arrête pas; la terreur se communique à tous les camps, à tous les postes, et l'armée en masse vient chercher un refuge sous le canon de Lille. Cette terreur panique dont l'exemple n'était pas nouveau, qui provenait de la jeunesse et de l'inexpérience de nos troupes, peut-être aussi d'un perfide sauve qui peut, nous fit perdre les plus grands avantages, et nous ramena sous Lille. La nouvelle de cet événement, portée à Paris, y causa la plus funeste impression, y fit perdre à Houchard les fruits de sa victoire, souleva contre lui un déchaînement violent, dont il rejaillit quelque chose contre le comité de salut public lui-même. Une nouvelle suite d'échecs vint aussitôt nous rejeter dans la position périlleuse d'où nous venions de sortir un moment par la victoire d'Hondschoote.
Les Prussiens et les Autrichiens, placés sur les deux versans des Vosges, en face de nos deux armées de la Moselle et du Rhin, venaient enfin de faire quelques tentatives sérieuses. Le vieux Wurmser, plus ardent que les Prussiens, et sentant l'avantage des passages des Vosges, voulut occuper le poste important de Bodenthal, vers la Haute-Lauter. Il hasarda en effet un corps de quatre mille hommes, qui, passant à travers d'affreuses montagnes, parvint à occuper Bodenthal.
De leur côté, les représentais à l'armée du Rhin, cédant à l'impulsion générale, qui déterminait partout un redoublement d'énergie, résolurent une sortie générale des lignes de Wissembourg pour le 12 septembre. Les trois généraux Desaix, Dubois et Michaud, lancés à la fois contre les Autrichiens, firent des efforts inutiles et furent ramenés dans les lignes. Les tentatives dirigées surtout contre le corps autrichien jeté à Bodenthal, furent complètement repoussées. Cependant on prépara une nouvelle attaque pour le 14. Tandis que le général Ferrette marcherait sur Bodenthal, l'armée de la Moselle, agissant sur l'autre versant, devait attaquer Pirmasens, qui correspond à Bodenthal, et où Brunswick se trouvait posté avec une partie de l'armée prussienne. L'attaque du général Ferrette réussit parfaitement; nos soldats assaillirent les positions des Autrichiens avec une héroïque témérité, s'en emparèrent, et recouvrèrent l'important défilé de Bodenthal. Mais il n'en fut pas de même sur le versant opposé. Brunswick sentait l'importance de Pirmasens, qui fermait les défilés; il possédait des forces considérables, et se trouvait dans des positions excellentes. Pendant que l'armée de la Moselle faisait face sur la Sarre au reste de l'armée prussienne, douze mille hommes furent jetés de Hornbach sur Pirmasens. Le seul espoir des Français était d'enlever Pirmasens par une surprise; mais, aperçus et mitraillés dès leur première approche, il ne leur restait plus qu'à se retirer. C'est ce que voulait le général; mais les représentans s'y opposèrent, et ils ordonnèrent l'attaque sur trois colonnes, et par trois ravins qui aboutissaient à la hauteur sur laquelle est situé Pirmasens. Déjà nos soldats, grâce à leur bravoure, s'étaient fort avancés; la colonne de droite était même prête à franchir le ravin dans lequel elle marchait, et à tourner Pirmasens, lorsqu'un double feu, dirigé sur les deux flancs, vient l'accabler inopinément. Nos soldats résistent d'abord, mais le feu redouble, et ils sont enfin ramenés le long du ravin où ils s'étaient engagés. Les autres colonnes sont repliées de même, et toutes fuient le long des vallées, dans le plus grand désordre. L'armée fut obligée de se reporter au poste d'où elle était partie. Très heureusement, les Prussiens ne songèrent pas à la poursuivre, et ne firent pas même occuper son camp d'Hornbach, qu'elle avait quitté pour marcher sur Pirmasens. Nous perdîmes à cette affaire vingt-deux pièces de canon, et quatre mille hommes tués, blessés ou prisonniers. Cet échec du 14 septembre pouvait avoir une grande importance. Les coalisés, ranimés par le succès, songeaient à user de toutes leurs forces; ils se disposaient à marcher sur la Sarre et la Lauter, et à nous enlever ainsi les lignes de Wissembourg.
Le siége de Lyon se poursuivait avec lenteur. Les Piémontais, en débouchant par les Hautes-Alpes, dans les vallées de la Savoie, avaient fait diversion, et obligé Dubois-Crancé et Kellermann à diviser leurs forces. Kellermann s'était porté en Savoie. Dubois-Crancé, resté devant Lyon avec des moyens insuffisans, faisait inutilement pleuvoir le fer et le feu sur cette malheureuse cité, qui, résolue à tout souffrir, ne pouvait plus être réduite par les désastres du blocus et du bombardement, mais seulement par une attaque de vive force.
Aux Pyrénées, nous venions d'éprouver un sanglant échec. Nos troupes étaient restées depuis les dernier événemens aux environs de Perpignan; les Espagnols se trouvaient dans leur camp du Mas-d'Eu. Nombreux, aguerris, et commandés par un général habile, ils étaient pleins d'ardeur et d'espérance. Nous avons déjà décrit le théâtre de la guerre. Les deux vallées presque parallèles du Tech et de la Tet partent de la grande chaîne et débouchent vers la mer; Perpignan est dans la seconde de ces vallées. Ricardos avait franchi la première ligne du Tech, puisqu'il se trouvait au Mas-d'Eu, et il avait résolu de passer la Tet fort au-dessus de Perpignan, de manière à tourner cette place, et à forcer notre armée à l'abandonner. Dans ce but, il songea d'abord à s'emparer de Villefranche. Cette petite forteresse, placée sur le cours supérieur de la Tet, devait assurer son aile gauche contre le brave Dagobert, qui, avec trois mille hommes, obtenait des succès en Cerdagne. En conséquence, vers les premiers jours d'août, il détacha le général Crespo avec quelques bataillons. Celui-ci n'eut qu'à se présenter devant Villefranche; le commandant lui en ouvrit lâchement les portes. Crespo y laissa garnison, et vint rejoindre Ricardos. Pendant ce temps, Dagobert, avec un très petit corps, parcourut toute la Cerdagne, replia les Espagnols jusqu'à la Seu-d'Urgel, et songea même à les repousser jusqu'à Campredon. Cependant la faiblesse du détachement de Dagobert, et la forteresse de Villefranche, rassurèrent Ricardos contre les succès des Français sur son aile gauche. Ricardos persista donc dans son offensive. Le 31 août, il fit menacer notre camp sous Perpignan, passa la Tet au-dessus de Soler, en chassant devant lui notre aile droite, qui vint se replier à Salces, à quelques lieues en arrière de Perpignan, et tout près de la mer. Dans cette position, les Français, les uns enfermés dans Perpignan, les autres acculés sur Salces, ayant la mer à dos, se trouvaient dans une position des plus dangereuses. Dagobert, il est vrai, remportait de nouveaux avantages dans la Cerdagne, mais trop peu importans pour alarmer Ricardos. Les représentans Fabre et Cassaigne, retirés avec l'armée à Salces, résolurent d'appeler Dagobert en remplacement de Barbantane, afin de ramener la fortune sous nos drapeaux. En attendant l'arrivée du nouveau général, ils projetèrent un mouvement combiné entre Salces et Perpignan, pour sortir de cette situation périlleuse. Ils ordonnèrent à une colonne de s'avancer de Perpignan, et d'attaquer les Espagnols par derrière, tandis qu'eux-mêmes, quittant leurs positions, les attaqueraient de front. En effet, le 15 septembre, le général Davoust sort de Perpignan avec six ou sept mille hommes, tandis que Pérignon se dirige de Salces sur les Espagnols. Au signal convenu, on se jette des deux côtés sur le camp ennemi; les Espagnols, pressés de toutes parts, sont obligés de fuir derrière la Tet, en abandonnant vingt-six pièces de canon. Ils viennent aussitôt se replacer au camp du Mas-d'Eu, d'où ils étaient partis pour exécuter cette offensive hardie, mais malheureuse.
Dagobert arriva sur ces entrefaites, et ce guerrier, âgé de soixante-quinze ans, réunissant la fougue d'un jeune homme à la prudence consommée d'un vieux général, se hâta de signaler son arrivée par une tentative sur le camp du Mas-d'Eu. Il divisa son attaque en trois colonnes: l'une, partant de notre droite, et marchant par Thuir sur Sainte-Colombe, devait tourner les Espagnols; la seconde, agissant au centre, était chargée de les attaquer de front et de les culbuter; enfin la troisième, opérant vers la gauche, devait se placer dans un bois et leur fermer la retraite. Cette dernière, commandée par Davoust, attaqua à peine, et s'enfuit en désordre. Les Espagnols purent alors diriger toutes leurs forces sur les deux autres colonnes du centre et de la droite. Ricardos, jugeant que tout le danger était à droite, y porta ses plus grandes forces, et parvint à repousser les Français. Au centre seul, Dagobert, animant tout par sa présence, emporta les retranchemens qui étaient devant lui, et allait même décider de la victoire, lorsque Ricardos, revenant avec les troupes victorieuses à la gauche et à la droite, accabla son ennemi de toutes ses forces réunies. Cependant le brave Dagobert résistait encore, lorsqu'un bataillon met bas les armes, en criant: Vive le roi! Dagobert indigné dirige deux pièces sur les traîtres, et tandis qu'il les foudroie, il rallie autour de lui un petit nombre de braves restés fidèles, et se retire avec quelques cents hommes, sans que l'ennemi, intimidé par sa fière contenance, ose le poursuivre.
Certainement ce brave général n'avait mérité que des lauriers par sa fermeté au milieu d'un tel revers, et si sa colonne de gauche eût mieux agi, si ses bataillons du centre ne se fussent pas débandés, ses dispositions auraient été suivies d'un plein succès. Néanmoins, la défiance ombrageuse des représentans lui imputa ce désastre. Blessé de cette injustice, il retourna prendre le commandement subalterne de la Cerdagne. Notre armée se trouva donc encore refoulée sur Perpignan, et exposée à perdre l'importante ligne de la Tet.
Le plan de campagne du 2 septembre avait été mis à exécution dans la Vendée. La division de Mayence devait, comme on l'a vu, agir par Nantes. Le comité de salut public, qui recevait des nouvelles alarmantes sur les projets des Anglais sur l'Ouest, approuva tout à fait l'idée de porter les principales forces vers les côtes. Rossignol et son parti en conçurent beaucoup d'humeur, et écrivirent au ministère des lettres qui ne faisaient attendre d'eux qu'une faible coopération aux plans convenus. La division de Mayence marcha donc sur Nantes, où elle fut reçue avec de grandes démonstrations de joie, et au milieu des fêtes. Un banquet était préparé, et avant de s'y rendre, on préluda au festin par une vive escarmouche avec les partis ennemis répandus sur les bords de la Loire. Si la colonne de Nantes était joyeuse d'être réunie à la célèbre armée de Mayence, celle-ci n'était pas moins satisfaite de servir sous le brave Canclaux, et avec sa division déjà signalée par la défense de Nantes et par une foule de faits honorables. D'après le plan concerté, des colonnes partant de tous les points du théâtre de la guerre devaient se réunir au centre et y écraser l'ennemi. Canclaux, général de l'armée de Brest, partant de Nantes, devait descendre la rive gauche de la Loire, tourner autour du vaste lac de Grand-Lieu, balayer la Vendée inférieure, remonter ensuite vers Machecoul, et se trouver à Léger le 11 ou le 12. Son arrivée sur ce dernier point était le signal du départ pour les colonnes de l'armée de La Rochelle, chargées d'assaillir le pays par le Midi et l'Est. On se souvient que l'armée de La Rochelle, sous les ordres de Rossignol, général en chef, se composait de plusieurs divisions: celle des Sables était commandée par Mieszkousky, celle de Luçon par Beffroy, celle de Niort par Chalbos, celle de Saumur par Santerre, celle d'Angers par Duhoux. A l'instant où Canclaux arriverait à Léger, la colonne des Sables avait ordre de se mettre en mouvement, de se trouver le 13 à Saint-Fulgent, le 14 aux Herbiers, et le 16 enfin, d'être avec Canclaux à Mortagne. Les colonnes de Luçon, de Niort, devaient, en se donnant la main, avancer vers Bressuire et Argenton, et avoir atteint cette hauteur le 14; enfin, les colonnes de Saumur et d'Angers, partant de la Loire, devaient arriver aussi le 14 aux environs de Vihiers et Chemillé. Ainsi, d'après ce plan, tout le pays devait être parcouru du 14 au 16, et les rebelles allaient être enfermés par les colonnes républicaines entre Mortagne, Bressuire, Argenton, Vihiers et Chemillé. Leur destruction devenait alors inévitable.
On a déjà vu que, deux fois repoussés de Luçon avec un dommage considérable, les Vendéens avaient fort à coeur de prendre une revanche. Ils se réunirent en force avant que les républicains eussent exécuté leurs projets; et tandis que Charette assiégeait le camp des Naudières du côté de Nantes, ils attaquèrent la division de Luçon, qui s'était avancée jusqu'à Chantonay. Ces deux tentatives eurent lieu le 5 septembre. Celle de Charette sur les Naudières fut repoussée; mais l'attaque sur Chantonay, imprévue et bien dirigée, jeta les républicains dans le plus grand désordre. Le jeune et brave Marceau fit des prodiges pour éviter un désastre; mais sa division, après avoir perdu ses bagages et son artillerie, se retira pêle-mêle à Luçon. Cet échec pouvait nuire au plan projeté, parce que la désorganisation de l'une des colonnes laissait un vide entre la division des Sables et celle de Niort; mais les représentans firent les efforts les plus actifs pour la réorganiser, et on envoya des courriers à Rossignol, afin de le prévenir de l'événement.
Tous les Vendéens étaient dans ce moment réunis aux Herbiers, autour du généralissime d'Elbée. La division était parmi eux comme chez leurs adversaires, car le coeur humain est partout le même, et la nature ne réserve pas le désintéressement et les vertus pour un parti, en laissant exclusivement à l'autre l'orgueil, l'égoïsme et les vices. Les chefs vendéens se jalousaient entre eux comme les chefs républicains. Les généraux avaient peu de considération pour le conseil supérieur, qui affectait une espèce de souveraineté. Possédant la force réelle, ils n'étaient nullement disposés à céder le commandement à un pouvoir qui ne devait qu'à eux-mêmes sa fictive existence. Ils enviaient d'ailleurs le généralissime d'Elbée, et prétendaient que Bonchamps eût été mieux fait pour leur commander à tous. Charette, de son côté, voulait rester seul maître de la Basse-Vendée. Ils étaient donc peu disposés à s'entendre, et à concerter un plan en opposition à celui des républicains. Une dépêche interceptée venait de leur faire connaître les projets de leurs ennemis. Bonchamps fut le seul qui proposa un projet hardi et qui révélait des pensées profondes. Il pensait qu'il ne serait pas possible de résister long-temps aux forces de la république réunies dans la Vendée; qu'il était pressant de s'arracher de ces bois, de ces ravins, où l'on serait éternellement enseveli, sans connaître les coalisés et sans être connu d'eux; en conséquence il soutint qu'au lieu de s'exposer à être détruit, il valait mieux sortir en colonne serrée de la Vendée, et s'avancer dans la Bretagne où l'on était désiré, et où la république ne s'attendait pas à être frappée. Il conseilla de marcher jusques aux côtes de l'Océan, de s'emparer d'un port, de communiquer avec les Anglais, d'y recevoir un prince émigré, de se reporter de là sur Paris, et de faire ainsi une guerre offensive et décisive. Cet avis, qu'on prête à Bonchamps, ne fut pas suivi des Vendéens, dont les vues étaient toujours aussi bornées, et qui avaient toujours une aussi grande répugnance à quitter leur sol. Leurs chefs ne songèrent qu'à se partager le pays en quatre portions, pour y régner individuellement. Charette eut la Basse-Vendée, M. de Bonchamps les bords de la Loire du côté d'Angers, M. de La Rochejaquelein le reste du Haut-Anjou, M. de Lescure toute la partie insurgée du Poitou. M. d'Elbée conserva son titre inutile de généralissime, et le conseil supérieur son autorité fictive.
Le 9, Canclaux se mit en mouvement, laissa au camp des Naudières une forte réserve sous les ordres de Grouchy et d'Haxo, pour protéger Nantes, et achemina la colonne de Mayence vers Léger. Pendant ce temps l'ancienne armée de Brest, sous les ordres de Beysser, faisant le circuit de la Basse-Vendée par Pornic, Bourneuf et Machecoul, devait se rejoindre à Léger avec la colonne de Mayence.
Ces mouvemens, dirigés par Canclaux, s'exécutèrent sans obstacles. La colonne de Mayence, dont Kléber commandait l'avant-garde, et Aubert-Dubayet le corps de bataille, chassa tous les ennemis devant elle. Kléber, à l'avant-garde, aussi loyal qu'héroïque, faisait camper ses troupes hors des villages pour empêcher les dévastations. «En passant, dit-il, devant le beau lac de Grand-Lieu, nous avions des paysages charmans, et des échappées de vue aussi agréables que multipliées. Sur une prairie immense erraient au hasard de nombreux troupeaux abandonnés à eux-mêmes. Je ne pus m'empêcher de gémir sur le sort de ces infortunés habitans, qui, égarés et fanatisés par leurs prêtres, repoussaient les bienfaits d'un nouvel ordre de choses pour courir à une destruction certaine.» Kléber fit des efforts continuels pour protéger le pays contre les soldats, et réussit le plus souvent. Une commission civile avait été jointe à l'état-major pour faire exécuter le décret du 1er août, qui ordonnait de ruiner le sol et d'en transporter la population ailleurs. Il était défendu aux soldats de mettre le feu; et ce n'était que d'après les ordres des généraux et de la commission civile, que les moyens de destruction devaient être employés.
On était arrivé le 14 à Léger, et la colonne de Mayence s'y était réunie à celle de Brest, commandée par Beysser. Pendant ce temps, la colonne des Sables, sous les ordres de Mieszkousky, s'était avancée à Saint-Fulgent, suivant le plan convenu, et donnait déjà la main à l'armée de Canclaux. Celle de Luçon, retardée un moment par sa défaite à Chantonay, était demeurée en arrière; mais, grâce au zèle des représentans qui lui avaient donné un nouveau général, Beffroy, elle s'était reportée en avant. Celle de Niort se trouvait à la Châtaigneraie. Ainsi, quoique le mouvement général eût été retardé d'un jour ou deux sur tous les points, et que Canclaux ne fût arrivé que le 14 à Léger, où il aurait dû se trouver le 12, le retard étant commun à toutes les colonnes, l'ensemble n'en était pas détruit, et on pouvait poursuivre l'exécution du plan de campagne. Mais, dans cet intervalle de temps, la nouvelle de la défaite essuyée par la division de Luçon était arrivée à Saumur; Rossignol, Ronsin et tout l'état-major avaient pris l'alarme; et, craignant qu'il n'arrivât de semblables accidens aux deux autres colonnes de Niort et des Sables, dont ils suspectaient la force, ils décidèrent de les faire rentrer sur-le-champ dans leurs premiers postes. Cet ordre était des plus imprudens; cependant il n'était pas donné de mauvaise foi, et dans l'intention de découvrir Canclaux et d'exposer ses ailes; mais on avait peu de confiance en son plan, on était très disposé, au moindre obstacle, à le juger impossible, et à l'abandonner. C'est là sans doute ce qui détermina l'état-major de Saumur à ordonner le mouvement rétrograde des colonnes de Niort, de Luçon et des Sables.
Canclaux, poursuivant sa marche, avait fait de nouveaux progrès; il avait attaqué Montaigu sur trois points: Kléber, par la route de Nantes, Aubert-Dubayet, par celle de Roche-Servière, et Beysser, par celle de Saint-Fulgent, s'y étaient précipités à la fois, et en avaient bientôt délogé l'ennemi. Le 17, Canclaux prit Clisson; et, ne voyant pas encore agir Rossignol, il résolut de s'arrêter, et de se borner à des reconnaissances, en attendant de nouveaux renseignemens.
Canclaux s'établit donc aux environs de Clisson, laissa Beysser à Montaigu, et porta Kléber avec l'avant-garde à Torfou. On était là le 18. Le contre-ordre donné de Saumur était arrivé à la division de Niort, et avait été communiqué aux deux autres divisions de Luçon et des Sables; sur-le-champ elles s'étaient retirées, et avaient jeté, par leur mouvement rétrograde, les Vendéens dans l'étonnement, et Canclaux dans le plus grand embarras. Les Vendéens étaient environ cent mille sous les armes. Un nombre immense d'entre eux se trouvait du côté de Vihiers et de Chemillé, en face des colonnes de Saumur et d'Angers; un nombre plus considérable encore du côté de Clisson et de Mortagne, sur Canclaux. Les colonnes d'Angers et de Saumur, en les voyant si nombreux, disaient que c'était l'armée de Mayence qui les leur rejetait sur les bras, et se plaignaient de ce plan qui les exposait à recevoir un ennemi si formidable. Cependant il n'en était rien, et les Vendéens étaient partout debout en assez grand nombre pour occuper les républicains sur tous les points. Ce jour même, loin de se jeter sur les colonnes de Rossignol, ils marchaient sur Canclaux: d'Elbée et Lescure quittaient la Haute-Vendée pour joindre l'armée de Mayence.
Par une singulière complication d'événemens, Rossignol, en apprenant les succès de Canclaux, qui avait pénétré jusqu'au centre de la Vendée, contremande ses premiers ordres de retraite, et enjoint à ses colonnes de se reporter en avant. Les colonnes de Saumur et d'Angers, placées à sa portée, agissent les premières, et escarmouchent, l'une à Doué, l'autre aux ponts de Cé. Les avantages sont balancés. Le 18, celle de Saumur, commandée par Santerre, veut s'avancer de Vihiers à un petit village nommé Coron. Artillerie, cavalerie, infanterie, se trouvent, par de mauvaises dispositions, accumulées confusément dans les rues de ce village qui était dominé. Santerre veut réparer cette faute et faire reculer les troupes pour les mettre en bataille sur une hauteur; mais Ronsin, qui, en l'absence de Rossignol, s'attribuait une autorité supérieure, reproche à Santerre d'ordonner la retraite, et s'y oppose. Dans ce moment, les Vendéens fondent sur les républicains, un horrible désordre se communique à toute la division. Il s'y trouvait beaucoup d'hommes du nouveau contingent levé avec le tocsin; ceux-ci se débandent; tout est entraîné et fuit confusément, de Coron à Vihiers, à Doué et à Saumur. Le lendemain 19, les Vendéens marchent contre la division d'Angers, commandée par Duhoux. Aussi heureux que la veille, ils repoussent les républicains jusqu'au-delà d'Érigné, et s'emparent de nouveau des ponts de Cé.
Du côté de Canclaux, on se bat avec la même activité. Le même jour, vingt mille Vendéens, placés aux environs de Torfou, fondent sur l'avant-garde de Kléber, composée tout au plus de deux mille hommes. Kléber se place au milieu de ses soldats, et les soutient contre cette foule d'assaillans. Le terrain sur lequel il se bat est un chemin dominé par des hauteurs; malgré le désavantage de la position, il ne se retire qu'avec ordre et fermeté. Cependant, une pièce d'artillerie ayant été démontée, un peu de confusion se répand dans ses bataillons, et ses braves plient pour la première fois. A cette vue, Kléber, pour arrêter l'ennemi, place un officier avec quelques soldats auprès d'un pont, et leur dit: Mes amis, vous vous ferez tuer. Ils exécutent cet ordre avec un admirable héroïsme. Sur ces entrefaites, le corps de bataille arrive, et rétablit le combat; les Vendéens sont enfin repoussés bien loin, et punis de leur avantage passager.
Tous ces événemens s'étaient passés le 19; l'ordre de se reporter en avant, qui avait si mal réussi aux deux divisions de Saumur et d'Angers, n'était pas encore parvenu, à cause des distances, aux colonnes de Luçon et de Niort. Beysser était toujours à Montaigu, formant la droite de Canclaux et se trouvant découvert. Canclaux voulant mettre Beysser à l'abri, lui ordonna de quitter Montaigu et de se rapprocher du corps de bataille. Il enjoignit à Kléber de s'avancer du côté de Beysser pour protéger son mouvement. Beysser, trop négligent, avait laissé sa colonne mal gardée dans Montaigu. MM. de Lescure et Charette la surprirent, et l'auraient anéantie sans la bravoure de deux bataillons, qui, par leur opiniâtreté, arrêtèrent la rapidité de la poursuite et de la retraite. L'artillerie et les bagages furent perdus, et les débris de cette colonne coururent à Nantes, où ils furent reçus par la brave réserve laissée pour protéger la place. Canclaux résolut alors de rétrograder, pour ne pas rester en flèche dans le pays, exposé à tous les coups des Vendéens. Il se replia en effet sur Nantes avec ses braves Mayençais, qui ne furent pas entamés, grâce à leur attitude imposante, et aux refus de Charette, qui ne voulut pas se réunir à MM. d'Elbée et de Bonchamps, dans la poursuite des républicains.
La cause qui empêcha le succès de cette nouvelle expédition sur la Vendée est évidente. L'état-major de Saumur avait été mécontent du plan qui adjugeait la colonne de Mayence à Canclaux; l'échec du 5 septembre fut pour lui un prétexte suffisant de se décourager, et de renoncer à ce plan. Un contre-ordre fut aussitôt donné aux colonnes des Sables, de Luçon et de La Rochelle. Canclaux, qui s'était avancé avec succès, se trouva ainsi découvert, et l'échec de Torfou rendit sa position encore plus difficile. Cependant l'armée de Saumur, en apprenant ses progrès, marcha de Saumur et d'Angers, à Vihiers et Chemillé, et si elle ne s'était pas si tôt débandée, il est probable que la retraite des ailes n'aurait pas empêché le succès définitif de l'entreprise. Ainsi, trop de promptitude à renoncer au plan proposé, la mauvaise organisation des nouvelles levées, et la puissance des Vendéens, qui étaient plus de cent mille sous les armes, furent les causes de ces nouveaux revers. Mais il n'y avait ni trahison de la part de l'état-major de Saumur, ni vice dans le plan de Canclaux. L'effet de ces revers était funeste, car la nouvelle résistance de la Vendée réveillait toutes les espérances des contre-révolutionnaires, et aggravait singulièrement les périls de la république. Enfin, si les armées de Brest et de Mayence n'en étaient pas ébranlées, celle de La Rochelle se trouvait encore une fois désorganisée, et tous les contingens, provenant de la levée en masse, rentraient dans leurs foyers, en y portant le plus grand découragement.
Les deux partis de l'armée s'empressèrent aussitôt de s'accuser. Philippeaux, toujours plus ardent, écrivit au comité de salut public une lettre bouillante d'indignation, où il attribua à une trahison le contre-ordre donné aux colonnes de l'armée de la Rochelle. Choudieu et Richard, commissaires à Saumur, écrivirent des réponses aussi injurieuses, et Ronsin courut auprès du ministère et du comité de salut public pour dénoncer les vices du plan de campagne. Canclaux, dit-il, faisant agir des masses trop fortes dans la Basse-Vendée, avait rejeté sur la Haute-Vendée toute la population insurgée, et avait amené la défaite des colonnes de Saumur et d'Angers. Enfin, rendant calomnies pour calomnies, Ronsin répondit au reproche de trahison par celui d'aristocratie, et dénonça à la fois les deux armées de Brest et de Mayence, comme remplies d'hommes suspects et malintentionnés. Ainsi s'envenimait toujours davantage la querelle du parti jacobin contre le parti qui voulait la discipline et la guerre régulière.
L'inconcevable déroute de Menin, l'inutile et meurtrière tentative sur Pirmasens, les défaites aux Pyrénées-Orientales, la fâcheuse issue de la nouvelle expédition sur la Vendée, furent connues à Paris presque en même temps, et y causèrent la plus funeste impression. Ces nouvelles se répandirent successivement du 18 au 25 septembre, et, suivant l'usage, la crainte excita la violence. On a déjà vu que les plus ardens agitateurs se réunissaient aux Cordeliers, où l'on s'imposait encore moins de réserve qu'aux Jacobins, et qu'ils régnaient au ministère de la guerre sous le faible Bouchotte. Vincent était leur chef à Paris, comme Ronsin dans la Vendée, et ils saisirent cette occasion de renouveler leurs plaintes accoutumées. Placés au-dessous de la convention, ils auraient voulu écarter son autorité incommode, qu'ils rencontraient aux armées dans la personne des représentans, et à Paris dans le comité de salut public. Les représentans en mission ne leur laissaient pas exécuter les mesures révolutionnaires avec toute la violence qu'ils désiraient y mettre; le comité de salut public, réglant souverainement toutes les opérations suivant des vues plus élevées et plus impartiales, les contrariait sans cesse, et il était de tous les obstacles celui qui les gênait le plus; aussi leur venait-il souvent à l'esprit de faire établir le nouveau pouvoir exécutif, d'après le mode adopté par la constitution.
La mise en vigueur de la constitution, souvent et méchamment demandée par les aristocrates, avait de grands périls. Elle exigeait de nouvelles élections, remplaçait la convention par une autre assemblée, nécessairement inexpérimentée, inconnue au pays, et renfermant toutes les factions à la fois. Les révolutionnaires enthousiastes, sentant ce danger, ne demandaient pas le renouvellement de la représentation nationale, mais réclamaient l'exécution de la constitution en ce qui convenait à leurs vues. Placés presque tous dans les bureaux, ils voulaient seulement la formation du ministère constitutionnel, qui devait être indépendant du pouvoir législatif, et par conséquent du comité de salut public. Vincent eut donc l'audace de faire rédiger une pétition aux Cordeliers, pour demander l'organisation du ministère constitutionnel, et le rappel des députés en mission. L'agitation fut des plus vives. Legendre, ami de Danton, et déjà rangé parmi ceux dont l'énergie semblait se ralentir, s'y opposa vainement, et la pétition fut adoptée, à un article près, celui qui demandait le rappel des représentans en mission. L'utilité de ces représentans était si évidente, et il y avait dans cette clause quelque chose de si personnel contre les membres de la convention, qu'on n'osa pas y persister. Cette pétition provoqua beaucoup de tumulte à Paris, et compromit sérieusement l'autorité naissante du comité de salut public.
Outre ces adversaires violens, ce comité en avait encore d'autres parmi les nouveaux modérés, qu'on accusait de reproduire le système des girondins, et de contrarier l'énergie révolutionnaire. Fortement prononcés contre les cordeliers, les jacobins, les désorganisateurs des armées, ils ne cessaient de faire leurs plaintes au comité, et lui reprochaient même de ne pas se déclarer assez fortement contre les anarchistes.
Le comité avait donc contre lui les deux nouveaux partis qui commençaient à se former. Suivant l'usage, ces partis profitèrent des événemens malheureux pour l'accuser, et tous deux, d'accord pour condamner ses opérations, les critiquèrent chacun à sa manière.
La déroute du 15 à Menin était déjà connue; les derniers revers de la Vendée commençaient à l'être confusément. On parlait vaguement d'une défaite à Coron, à Torfou, à Montaigu. Thuriot, qui avait refusé d'être membre du comité de salut public, et qu'on accusait d'être l'un des nouveaux modérés, s'éleva, au commencement de la séance, contre les intrigans, les désorganisateurs, qui venaient de faire, au sujet des subsistances, de nouvelles propositions extrêmement violentes. «Nos comités et le conseil exécutif, dit-il, sont harcelés, cernés par un ramas d'intrigans qui n'affichent le patriotisme que parce qu'il leur est productif. Oui, le temps est venu où il faut chasser ces hommes de rapine et d'incendie, qui croient que la révolution s'est faite pour eux, tandis que l'homme probe et pur ne la soutient que pour le bonheur du genre humain.» Les propositions combattues par Thuriot sont repoussées. Briez, l'un des commissaires envoyés à Valenciennes, lit alors un mémoire critique sur les opérations militaires; il soutient qu'on n'a jamais fait qu'une guerre lente et peu convenable au génie français, qu'on s'est toujours battu en détail, par petites masses, et que c'est dans ce système qu'il faut chercher la cause des revers qu'on a essuyés. Ensuite, sans attaquer ouvertement le comité de salut public, il paraît insinuer que ce comité n'a pas tout fait connaître à la convention, et que, par exemple, il y avait eu près de Douay un corps de six mille Autrichiens, qui aurait pu être enlevé et qui ne l'avait pas été. La convention, après avoir entendu Briez, l'adjoint au comité de salut public. Dans ce moment, arrivent les nouvelles détaillées de la Vendée, contenues dans une lettre de Montaigu. Ces détails alarmans excitent un élan général. «Au lieu de nous intimider, s'écrie un des membres, jurons de sauver la république!» A ces mots, l'assemblée entière se lève, et jure encore une fois de sauver la république, quels que soient les périls qui la menacent. Les membres du comité de salut public, qui n'étaient point encore arrivés, entrent dans ce moment. Barrère, le rapporteur ordinaire, prend la parole. «Tout soupçon dit-il, dirigé contre le comité de salut public, serait une victoire remportée par Pitt. Il ne faut pas donner à nos ennemis le trop grand avantage de déconsidérer nous-mêmes le pouvoir chargé de nous sauver.» Barrère fait ensuite connaître les mesures prises par le comité. «Depuis plusieurs jours, continue-t-il, le comité avait lieu de soupçonner que de graves fautes avaient été commises à Dunkerque, où l'on aurait pu exterminer jusqu'au dernier des Anglais, et à Menin, où aucun effort n'avait été fait pour arrêter les étranges effets de la terreur panique. Le comité a destitué Houchard, ainsi que le général divisionnaire Hédouville, qui n'a pas fait à Menin ce qu'il devait; et on examinera sur-le-champ la conduite de ces deux généraux; le comité va ensuite faire épurer tous les états-majors et toutes les administrations des armées; il a mis les flottes sur un pied qui leur permettra de se mesurer avec nos ennemis; il vient de lever dix-huit mille hommes; il vient d'ordonner un nouveau système d'attaque en masse; enfin, c'est dans Rome même qu'il veut attaquer Rome, et cent mille hommes, débarquant en Angleterre, iront étouffer à Londres le système de Pitt. C'est donc à tort que l'on a accusé le comité de salut public; il n'a pas cessé de mériter la confiance que la convention lui a jusqu'ici témoignée.»
Robespierre prend alors la parole: «Depuis long-temps, dit-il, on s'attache à diffamer la convention et le comité dépositaire de sa puissance. Briez, qui aurait dû mourir à Valenciennes, en est lâchement sorti, pour venir à Paris servir Pitt et la coalition, en déconsidérant le gouvernement. Ce n'est pas assez, ajoute-t-il, que la convention nous continue sa confiance. Il faut qu'elle le proclame solennellement, et qu'elle rapporte sa décision à l'égard de Briez, qu'elle vient de nous adjoindre.» Des applaudissemens accueillent cette demande; on décide que Briez ne sera pas joint au comité de salut public, et on déclare par acclamation que ce comité conserve toute la confiance de la convention nationale.
Les modérés étaient dans la convention, et ils venaient d'être repoussés, mais les adversaires les plus redoutables du comité, c'est-à-dire les révolutionnaires ardens, se trouvaient aux Jacobins et aux Cordeliers. C'était surtout de ces derniers qu'il fallait se défendre. Robespierre se rendit aux Jacobins, et usa de son ascendant sur eux: il développa la conduite du comité, il le justifia des doubles attaques des modérés et des exagérés, et fit sentir le danger des pétitions tendant à demander la formation du ministère constitutionnel. «Il faut, dit-il, qu'un gouvernement quelconque succède à celui que nous avons détruit; le système d'organiser en ce moment le ministère constitutionnel n'est autre chose que celui de chasser la convention elle-même, et de décomposer le pouvoir en présence des armées ennemies. Pitt peut seul être l'auteur de cette idée. Ses agens l'ont propagée, ils ont séduit les patriotes de bonne foi; et le peuple crédule et souffrant, toujours enclin à se plaindre du gouvernement, qui ne peut remédier à tous ses maux, est devenu l'écho fidèle de leurs calomnies et de leurs propositions. Vous, jacobins, s'écrie Robespierre, trop sincères pour être gagnés, trop éclairés pour être séduits, vous défendrez la Montagne qu'on attaque; vous soutiendrez le comité de salut public qu'on veut calomnier pour vous perdre, et c'est ainsi qu'avec vous il triomphera de toutes les menées des ennemis du peuple.»
Robespierre fut applaudi, et tout le comité dans sa personne. Les cordeliers furent ramenés à l'ordre, leur pétition oubliée; et l'attaque de Vincent, repoussée victorieusement, n'eut aucune conséquence.
Cependant il devenait urgent de prendre un parti à l'égard de la nouvelle constitution. Céder la place à de nouveaux révolutionnaires, équivoques, inconnus, probablement divisés parce qu'ils seraient issus de toutes les factions vivant au-dessous de la convention, était dangereux. Il fallait donc déclarer à tous les partis qu'on allait s'emparer du pouvoir, et qu'avant d'abandonner la république à elle même, et à l'action des lois qu'on lui avait données, on la gouvernerait révolutionnairement, jusqu'à ce qu'elle fût sauvée. De nombreuses pétitions avaient déjà engagé la convention à rester à son poste. Le 10 octobre, Saint-Just, portant la parole au nom du comité de salut public, proposa de nouvelles mesures de gouvernement. Il fit le tableau le plus triste de la France; il chargea ce tableau des sombres couleurs de son imagination mélancolique; et, avec le secours de son grand talent, et de faits d'ailleurs très vrais, il produisit une espèce de terreur dans les esprits. Il présenta donc et fit adopter un décret qui renfermait les dispositions suivantes. Par le premier article, le gouvernement de la France était déclaré révolutionnaire jusqu'à la paix; ce qui signifiait que la constitution était momentanément suspendue, et qu'une dictature extraordinaire était instituée jusqu'à l'expiration de tous les dangers. Cette dictature était conférée à la convention et au comité de salut public. «Le conseil exécutif, disait le décret, les ministres, les généraux, les corps constitués, sont placés sous la surveillance du comité de salut public, qui en rendra compte tous les huit jours à la convention.» Nous avons déjà expliqué comment la surveillance se changeait en autorité suprême, parce que les ministres, les généraux, les fonctionnaires, obligés de soumettre leurs opérations au comité, avaient fini par ne plus oser agir de leur propre mouvement, et par attendre tous les ordres du comité lui-même. On disait ensuite: «Les lois révolutionnaires doivent être exécutées rapidement. L'inertie du gouvernement étant la cause des revers, les délais pour l'exécution de ces lois seront fixés. La violation des délais sera punie comme un attentat à la liberté.» Des mesures sur les subsistances étaient ajoutées à ces mesures de gouvernement, car le pain est le droit du peuple, avait dit Saint-Just. Le tableau général des subsistances, définitivement achevé, devait être envoyé à toutes les autorités. Le nécessaire des départemens devait être approximativement évalué, et garanti; quant au superflu de chacun d'eux, il était soumis aux réquisitions, soit pour les armées, soit pour les provinces qui n'avaient pas le nécessaire. Ces réquisitions étaient réglées par une commission des subsistances. Paris devait être comme une place de guerre approvisionnée pour un an, à l'époque du 1er mars suivant. Enfin, on décrétait qu'il serait institué un tribunal, pour vérifier la conduite et la fortune de tous ceux qui avaient manié les deniers publics.
Par cette grande et importante déclaration, le gouvernement, composé du comité de salut public, du comité de sûreté générale, du tribunal extraordinaire, se trouvait complété et maintenu pendant la durée du danger. C'était déclarer la révolution en état de siége, et lui appliquer les lois extraordinaires de cet état, pendant tout le temps qu'il durerait. On ajouta à ce gouvernement extraordinaire diverses institutions réclamées depuis long-temps, et devenues inévitables. On demandait une armée révolutionnaire, c'est-à-dire une force chargée spécialement de faire exécuter les ordres du gouvernement dans l'intérieur. Elle était décrétée depuis long-temps; elle fut enfin organisée par un nouveau décret[1]. On la composa de six mille hommes et de douze cents canonniers. Elle devait se déplacer, et se rendre de Paris dans les villes où sa présence serait nécessaire, et y demeurer en garnison aux dépens des habitans les plus riches. Les cordeliers en voulaient une par département; mais on s'y opposa en disant que ce serait revenir au fédéralisme que de donner à chaque département une force individuelle. Les mêmes cordeliers demandaient en outre qu'on fît suivre les détachemens de l'armée révolutionnaire d'une guillotine portée sur des roues. Toutes les idées surgissent dans l'esprit du peuple quand il se donne carrière. La convention repoussa toutes ces demandes, et s'en tint à son décret. Bouchotte, chargé de composer cette armée, la recruta dans tout ce que Paris renfermait de gens sans aveu, et prêts à se faire les satellites du pouvoir dominant. Il remplit l'état-major de jacobins, mais surtout de cordeliers; il arracha Ronsin à la Vendée et à Rossignol, pour le mettre à la tête de cette armée révolutionnaire. Il soumit la liste de cet état-major aux jacobins, et fit subir à chaque officier l'épreuve du scrutin. Aucun d'eux, en effet, ne fut confirmé par le ministre sans avoir été approuvé par la société.
A l'institution de l'armée révolutionnaire, on ajouta enfin la loi des suspects, si souvent demandée, et résolue en principe le même jour que la levée en masse. Le tribunal extraordinaire, quoique organisé de manière à frapper sur de simples probabilités, ne rassurait pas assez l'imagination révolutionnaire. On souhaitait pouvoir enfermer ceux qu'on ne pourrait pas envoyer à la mort, et on demandait des dispositions qui permissent de s'assurer de leurs personnes. Le décret qui mettait les aristocrates hors la loi était trop vague, et exigeait un jugement. On voulait que sur la simple dénonciation des comités révolutionnaires, un individu déclaré suspect pût être sur-le-champ jeté en prison. On décréta, en effet, l'arrestation provisoire, jusqu'à la paix, de tous les individus suspects[2]. Étaient considérés comme tels: 1º ceux qui, soit par leur conduite, soit par leurs relations, soit par leurs propos ou leurs écrits, s'étaient montrés partisans de la tyrannie du fédéralisme, et ennemis de la liberté; 2º ceux qui ne pourraient pas justifier de la manière prescrite par la loi du 20 mars dernier, de leurs moyens d'exister, et de l'acquit de leurs devoirs civiques; 3º ceux à qui il avait été refusé des certificats de civisme; 4º les fonctionnaires publics suspendus ou destitués de leurs fonctions par la convention nationale et par ses commissaires; 5º les ci-devant nobles, les maris, femmes, pères, mères, fils ou filles, frères ou soeurs, et agens d'émigrés, qui n'avaient pas constamment manifesté leur attachement à la révolution; 6º ceux qui avaient émigré dans l'intervalle du 1er juillet 1789 à la publication de la loi du 8 avril 1792, quoiqu'ils fussent rentrés en France dans les délais déterminés.
Les détenus devaient être enfermés dans les maisons nationales, et gardés à leurs frais. On leur accordait la faculté de transporter dans ces maisons les meubles dont ils auraient besoin. Les comités chargés de prononcer l'arrestation ne le pouvaient qu'à la majorité, et à la charge d'envoyer au comité de sûreté générale la liste des suspects et les motifs de chaque arrestation. Leurs fonctions étant dès cet instant fort difficiles et presque continues, devinrent pour les membres une espèce de profession qu'il fallut solder. Ils reçurent dès lors un traitement à titre d'indemnité.
A ces dispositions, sur l'instante demande de la commune de Paris, il en fut ajouté une dernière qui rendait cette loi des suspects encore plus redoutable: ce fut la révocation du décret qui défendait les visites domiciliaires pendant la nuit. Dès cet instant, chaque citoyen poursuivi fut menacé à toute heure, et n'eut plus aucun moment de repos. En s'enfermant pendant le jour dans des cages ingénieuses et très étroites que le besoin avait fait imaginer, les suspects avaient du moins la faculté de respirer pendant la nuit; maintenant ils ne le pouvaient plus, et les arrestations, multipliées jour et nuit, remplirent bientôt toutes les prisons de la France.
Les assemblées de section se tenaient chaque jour; mais les gens du peuple n'avaient pas le temps de s'y rendre, et en leur absence les motions révolutionnaires n'étaient plus soutenues. On décida, sur la proposition expresse des jacobins et de la commune, que ces assemblées n'auraient plus lieu que deux fois par semaine, et que chaque citoyen qui viendrait y assister recevrait quarante sous par séance. C'était le moyen le plus assuré d'avoir le peuple, en ne le réunissant pas trop souvent, et en payant sa présence. Les révolutionnaires ardens furent irrités de ce qu'on mettait des bornes à leur zèle, en limitant à deux par semaine les séances des sections. Ils firent donc une pétition fort vive pour se plaindre de ce qu'on portait atteinte aux droits du souverain, en l'empêchant de se réunir toutes les fois qu'il lui plaisait. C'est le jeune Varlet qui fut l'auteur de cette nouvelle pétition; mais on la repoussa, et on n'en tint pas plus de compte que de beaucoup d'autres demandes inspirées par la fermentation révolutionnaire.
Ainsi, la machine était complète sous les deux rapports les plus importans dans un état menacé, la guerre et la police. Dans la convention, un comité dirigeait les opérations militaires, choisissait les généraux et les agens de toute espèce, et pouvait, par le décret de la réquisition permanente, disposer à la fois des hommes et des choses. Il faisait tout cela, ou par lui-même, ou par les représentans envoyés en mission. Sous ce comité, le comité dit de sûreté générale avait la direction de la haute police, et se servait pour sa surveillance des comités révolutionnaires institués dans chaque commune. Les individus légèrement soupçonnés d'hostilité, ou même d'indifférence, étaient enfermés; d'autres, plus gravement compromis, étaient frappés par le tribunal extraordinaire, mais heureusement encore en petit nombre, car ce tribunal n'avait prononcé jusqu'alors que peu de condamnations. Une armée spéciale, véritable colonne mobile ou gendarmerie de ce régime, faisait exécuter les ordres du gouvernement, et enfin le peuple, payé pour se rendre dans les sections, était toujours prêt à le soutenir. Ainsi, guerre et police, tout aboutissait au comité de salut public. Maître absolu, ayant le moyen de requérir toutes les richesses, pouvant envoyer les citoyens ou sur les champs de bataille, ou à l'échafaud, ou dans les cachots, il était investi, pour la défense de la révolution, d'une dictature souveraine et terrible. A la vérité, il lui fallait, tous les huit jours, rendre compte à la convention de ses travaux, mais ce compte était toujours approuvé, car l'opinion critique ne s'exerçait qu'aux Jacobins, dont il était maître depuis que Robespierre en faisait partie. Il n'y avait en opposition à cette puissance que les modérés, restés en deçà, et les nouveaux exagérés, portés au-delà, mais peu à craindre les uns et les autres.
On a vu que déjà Robespierre et Carnot avaient été attachés au comité de salut public, en remplacement de Gasparin et de Thuriot, tous deux malades. Robespierre y avait apporté sa puissante influence, et Carnot sa science militaire. La convention voulut adjoindre à Robespierre Danton, son collègue et son rival en renommée; mais celui-ci, fatigué de travaux, peu propre à des détails d'administration, dégoûté d'ailleurs par les calomnies des partis, ne voulait plus être d'aucun comité. Il avait déjà bien assez fait pour la révolution; il avait soutenu les courages dans tous les jours de danger; il avait fourni la première idée du tribunal révolutionnaire, de l'armée révolutionnaire, de la réquisition permanente, de l'impôt sur les riches, et des quarante sous alloués par séance aux membres des sections; il était l'auteur enfin de toutes les mesures qui, devenues cruelles par l'exécution, donnaient néanmoins à la révolution cette énergie qui la sauva. A cette époque, Danton commençait à n'être plus aussi nécessaire, car depuis la première invasion des Prussiens on s'était fait du danger une espèce d'habitude. Les vengeances qui se préparaient contre les girondins lui répugnaient; il venait d'épouser une jeune femme dont il était épris, et qu'il avait dotée avec l'or de la Belgique, au dire de ses ennemis, et suivant ses amis, avec le remboursement de sa charge d'avocat au conseil; il était atteint, comme Mirabeau, comme Marat, d'une maladie inflammatoire; enfin il avait besoin de repos, et il demanda un congé pour aller à Arcis-sur-Aube, sa patrie, jouir de la nature, qu'il aimait passionnément. On lui avait conseillé cette retraite momentanée comme un moyen de mettre fin aux calomnies. La victoire de la révolution pouvait désormais s'achever sans lui; deux mois de guerre et d'énergie suffisaient, et il se proposait de revenir, après la victoire, faire entendre sa voix puissante en faveur des vaincus et d'un ordre de choses meilleur. Vaine illusion de la paresse et du découragement! Abandonner pour deux mois, pour un seul, une révolution si rapide, c'était devenir pour elle étranger et impuissant.
Danton refusa donc d'entrer au comité de salut public, et obtint un congé; Billaud-Varennes, Collot-d'Herbois, furent joints au comité, et y apportèrent, l'un son caractère froid et implacable, et l'autre sa fougue et son influence sur les turbulens cordeliers. Le comité de sûreté générale fut réformé. De dix-huit membres on le réduisit à neuf, reconnus les plus sévères.
Tandis que le gouvernement s'organisait ainsi de la manière la plus forte, un redoublement d'énergie se manifestait dans toutes les résolutions. Les grandes mesures prises au mois d'août n'avaient pas encore produit leurs résultats. La Vendée, quoique attaquée suivant un plan régulier, avait résisté; l'échec de Menin avait presque fait perdre les avantages de la victoire d'Hondschoote; il fallait de nouveaux efforts. L'enthousiasme révolutionnaire inspira cette idée, que la volonté avait, à la guerre comme partout, une influence décisive, et, pour la première fois, il fut enjoint à une armée de vaincre dans un temps donné.
On voyait tous les dangers de la république dans la Vendée. «Détruisez la Vendée, avait dit Barrère, Valenciennes et Condé ne seront plus au pouvoir de l'Autrichien. Détruisez la Vendée, l'Anglais ne s'occupera plus de Dunkerque. Détruisez la Vendée, le Rhin sera délivré des Prussiens. Détruisez la Vendée, l'Espagne se verra harcelée, conquise par les méridionaux, joints aux soldats victorieux de Mortagne et de Cholet. Détruisez la Vendée, et une partie de cette armée de l'intérieur va renforcer cette courageuse armée du Nord, si souvent trahie, si souvent désorganisée. Détruisez la Vendée, Lyon ne résistera plus, Toulon s'insurgera contre les Espagnols et les Anglais, et l'esprit de Marseille se relèvera à la hauteur de la révolution républicaine. Enfin, chaque coup que vous porterez à la Vendée retentira dans les villes rebelles, dans les départemens fédéralistes, sur les frontières envahies!... La Vendée et encore la Vendée!... C'est là qu'il faut frapper, d'ici au 20 octobre, avant l'hiver, avant l'impraticabilité des routes, avant que les brigands trouvent l'impunité dans le climat et dans la saison.
«Le comité, d'un coup d'oeil vaste et rapide, a vu dans ce peu de paroles tous les vices de la Vendée:
«Trop de représentans;
«Trop de division morale;
«Trop de divisions militaires;
«Trop d'indiscipline dans les succès;
«Trop de faux rapports dans le récit des événemens;
«Trop d'avidité, trop d'amour de l'argent dans une partie des chefs et des administrateurs.»
A la suite de cet exposé, la convention réduisit le nombre des représentans en mission, réunit les deux armées de Brest et de La Rochelle en une seule, dite armée de l'Ouest, et en donna le commandement, non à Rossignol, non à Canclaux, mais à Léchelle, général de brigade dans la division de Luçon. Enfin, elle détermina le jour auquel la guerre de la Vendée devrait être finie, et ce jour était le 20 octobre. Voici la proclamation qui accompagnait le décret[3]:
LA CONVENTION NATIONALE A L'ARMÉE DE L'OUEST
«Soldats de la liberté, il faut que les brigands de la Vendée soient exterminés avant la fin du mois d'octobre! Le salut de la patrie l'exige; l'impatience du peuple français le commande; son courage doit l'accomplir. La reconnaissance nationale attend à cette époque tous ceux dont la valeur et le patriotisme auront affermi sans retour la liberté et la république.»
Des mesures non moins promptes et non moins énergiques furent prises à l'égard de l'armée du Nord, pour réparer l'échec de Menin, et décider de nouveaux succès. Houchard destitué fut arrêté. Le général Jourdan, qui avait commandé le centre à Hondschoote, fut nommé général en chef de l'armée du Nord et de celle des Ardennes. Il eut ordre de réunir à Guise des masses considérables pour faire une irruption sur l'ennemi. Il n'y avait qu'un cri contre les attaques de détail. Sans juger le plan ni les opérations de Houchard autour de Dunkerque, on disait qu'il ne s'était pas battu en masse, et on voulait exclusivement ce genre de combat, mieux approprié, disait-on, à l'impétuosité du caractère français. Carnot était parti pour se rendre à Guise auprès de Jourdan, et mettre à exécution un nouveau système de guerre tout révolutionnaire. On venait d'adjoindre trois nouveaux commissaires à Dubois-Crancé, pour faire des levées en masse, et les précipiter sur Lyon. On lui enjoignait de renoncer au système des attaques méthodiques, et de donner l'assaut à la ville rebelle. Ainsi partout on redoublait d'efforts pour terminer victorieusement la campagne.
Mais les rigueurs accompagnaient toujours l'énergie; le procès de Custine, trop différé au gré des jacobins, était enfin commencé, et conduit avec toute la violence et la barbarie des nouvelles formes judiciaires. Aucun général en chef n'avait encore paru sur l'échafaud; on était impatient de frapper une tête élevée, et de faire fléchir les chefs des armées devant l'autorité populaire; on voulait surtout que quelqu'un des généraux expiât la défection de Dumouriez, et l'on choisit Custine, que ses opinions et ses sentimens faisaient considérer comme un autre Dumouriez. On avait saisi, pour arrêter Custine, le moment où, chargé du commandement de l'armée du Nord, il était venu momentanément à Paris concerter ses opérations avec le ministère. On le jeta d'abord en prison, et bientôt on demanda et on obtint le décret de sa translation au tribunal révolutionnaire.
Qu'on se rappelle la campagne de Custine sur le Rhin. Chargé d'une division de l'armée, il avait trouvé Spire et Worms mal surveillés, parce que les coalisés, pressés de marcher sur la Champagne, avaient tout négligé sur leurs ailes et sur leurs derrières. Des patriotes allemands, accourus de tous côtés, lui offraient leurs villes; il s'avança, prit Spire, Worms, qu'on lui livra, négligea Manheim, qui était sur sa route, par ménagement pour la neutralité de l'électeur palatin, et par crainte aussi de ne pas y entrer aisément. Il arriva enfin à Mayence, s'en empara, réjouit la France de ses conquêtes inattendues, et se fit conférer un commandement qui le rendait indépendant de Biron. Dans ce même moment, Dumouriez venait de repousser les Prussiens, et de les rejeter sur le Rhin. Kellermann était vers Trêves. Custine devait alors descendre le Rhin jusqu'à Coblentz, se réunir à Kellermann, et se rendre ainsi maître de la rive du fleuve. Toutes les raisons se réunissaient en faveur de ce plan. Les habitans de Coblentz appelaient Custine, ceux de Saint-Goard, de Rhinfelds, l'appelaient aussi; on ne sait jusqu'où il aurait pu aller en s'abandonnant au cours du Rhin. Peut-être aurait-il pu descendre jusqu'en Hollande. Mais, de l'intérieur de l'Allemagne, d'autres patriotes le demandaient aussi; on s'était figuré, en le voyant avancer si hardiment, qu'il avait cent mille hommes. Percer sur le territoire ennemi et au-delà du Rhin, plut davantage à l'imagination et à la vanité de Custine. Il courut à Francfort lever des contributions, et exercer des vexations impolitiques. Là, les sollicitations l'entourèrent de nouveau. Des fous le pressaient d'aller jusques à Cassel, au milieu de la Hesse électorale, prendre le trésor de l'électeur. Les avis plus sages du gouvernement français l'engageaient à revenir sur le Rhin, et à marcher vers Coblentz. Mais il n'écoutait rien, et rêvait une révolution en Allemagne.
Cependant Custine sentait le danger de sa position: voyant bien que, si l'électeur rompait la neutralité, ses derrières seraient menacés par Manheim, il aurait voulu prendre cette place qu'on lui offrait, mais il ne l'osait pas. Sur le point d'être attaqué à Francfort, où il ne pouvait tenir, il ne voulait pas abandonner cette ville, et rentrer sur la ligne du Rhin, pour ne point abandonner ses prétendues conquêtes, et ne pas s'engager dans les opérations des autres chefs en descendant vers Coblentz. Dans cette situation, il fut surpris par les Prussiens, perdit Francfort, fut rejeté sur Mayence, resta incertain s'il garderait cette place ou non, y jeta quelque artillerie prise à Strasbourg, n'y donna que très tard l'ordre de l'approvisionner, fut encore une fois surpris au milieu de ces incertitudes par les Prussiens, s'éloigna de Mayence, et saisi de terreur, se croyant poursuivi par cent cinquante mille hommes, se retira dans la Haute-Alsace, presque sous le canon de Strasbourg. Placé sur le Haut-Rhin avec une armée assez considérable, il aurait pu marcher sur Mayence, et mettre les assiégeans entre deux feux, mais il ne l'osa jamais; enfin, honteux de son inaction, il livra une attaque malheureuse le 15 mai, fut battu, et se rendit à regret à l'armée du Nord, où il acheva de se perdre par des propos modérés et par un conseil très sage, celui de laisser l'armée se réorganiser dans le camp de César, au lieu de la faire battre inutilement pour secourir Valenciennes. Telle fut la carrière de Custine. Il y avait là beaucoup de fautes, mais pas une trahison. On commença son procès, et on appela, pour déposer, des représentans envoyés en mission, des agens du pouvoir exécutif, ennemis opiniâtres des généraux, des officiers mécontens, des membres des clubs de Strasbourg, de Mayence et de Cambrai, enfin le terrible Vincent, tyran des bureaux de la guerre sous Bouchotte. C'était une cohue d'accusateurs accumulant des reproches injustes et contradictoires, des reproches tout à fait étrangers à une véritable critique militaire, mais fondés sur des malheurs accidentels, dont le général n'était pas coupable, et qu'on ne pouvait pas lui imputer. Custine répondait avec une certaine véhémence militaire à toutes ces accusations, mais il était accablé. Des jacobins de Strasbourg lui disaient qu'il n'avait pas voulu prendre les gorges de Porentruy, lorsque Lukner lui en donnait l'ordre; et il prouvait inutilement que c'était impossible. Un Allemand lui reprochait de n'avoir pas pris Manheim, qu'il lui offrait. Custine s'excusait en alléguant la neutralité de l'électeur et les difficultés du projet. Les habitans de Coblentz, de Rhinfelds, de Darmstadt, de Hanau, de toutes les villes qui avaient voulu se livrer à lui, et qu'il n'avait pas consenti à occuper, l'accusaient à la fois. Quant au refus de marcher sur Coblentz, il se défendait mal, et calomniait Kellermann, qui, disait-il, avait refusé de le seconder; quant au refus de prendre les autres places, il disait avec raison que toutes les imaginations allemandes l'appelaient, et qu'il lui aurait fallu, pour les satisfaire, occuper cent lieues de pays. Par une contradiction singulière, tandis qu'on le blâmait de n'avoir pas pris telle ville, ou fait contribuer telle autre, on lui faisait un crime d'avoir pris Francfort, d'y avoir pillé les habitans, de n'y avoir pas fait les dispositions nécessaires pour résister aux Prussiens, et d'y avoir exposé la garnison française à être massacrée. Le brave Merlin de Thionville, l'un de ceux qui déposaient contre lui, le justifiait sur ce point avec autant de loyauté que de raison. Eût-il laissé vingt mille hommes à Francfort, il n'aurait pas pu y tenir, disait Merlin; il aurait dû se retirer à Mayence, et son seul tort était de ne l'avoir pas fait assez tôt. Mais à Mayence, ajoutaient une foule d'autres témoins, il n'avait fait aucun des préparatifs nécessaires; il n'avait amassé ni vivres, ni munitions; il n'y avait amoncelé que l'artillerie dont il avait dépouillé Strasbourg, pour la livrer aux Prussiens, avec vingt mille hommes de garnison et deux députés. Custine prouvait qu'il avait donné les ordres pour les approvisionnemens; que l'artillerie était à peine suffisante, et qu'elle n'avait pas été inutilement accumulée pour être livrée. Merlin appuyait toutes les assertions de Custine; mais ce qu'il ne lui pardonnait pas, c'était sa retraite si pusillanime, et son inaction sur le Haut-Rhin, pendant que la garnison de Mayence faisait des prodiges. Custine ici restait sans réponse. On lui reprochait ensuite d'avoir brûlé les magasins de Spire, en se retirant; reproche absurde, car la retraite, une fois obligée, il valait mieux brûler les magasins que de les laisser à l'ennemi. On l'accusait d'avoir fait fusiller des volontaires à Spire pour cause de pillage: à quoi il répondait que la convention avait approuvé sa conduite. On l'accusait encore d'avoir particulièrement épargné les Prussiens, d'avoir volontairement exposé son armée à être battue le 15 mai, de s'être tardivement rendu dans son commandement du Nord, d'avoir tenté de dégarnir Lille de son artillerie pour la porter au camp de César, d'avoir empêché qu'on secourût Valenciennes, de n'avoir pas opposé d'obstacle au débarquement des Anglais; accusations toutes plus absurdes les unes que les autres.—«Enfin, lui disait-on, vous avez plaint Louis XVI, vous avez été triste le 31 mai, vous avez voulu faire pendre le docteur Hoffmann, président des jacobins à Mayence, vous avez empêché la distribution du journal du Père Duchesne et du journal de la Montagne dans votre armée, vous avez dit que Marat et Robespierre étaient des perturbateurs, vous vous êtes entouré d'officiers aristocrates, vous n'avez jamais eu à votre table de bons républicains.» Ces reproches étaient mortels, et c'étaient les véritables griefs pour lesquels on le poursuivait.
Le procès traîna en longueur; toutes les imputations étaient si vagues, que le tribunal hésitait. La fille de Custine, et beaucoup de personnes qui s'intéressaient à lui, avaient fait quelques démarches; car, à cette époque, bien que la crainte fût déjà grande, on osait témoigner encore quelque intérêt aux victimes. Aussitôt on dénonça aux Jacobins le tribunal révolutionnaire lui-même. «Il m'est douloureux, dit Hébert aux Jacobins, d'avoir à dénoncer une autorité qui était l'espoir des patriotes, qui d'abord avait mérité leur confiance, et qui bientôt en va devenir le fléau. Le tribunal révolutionnaire est sur le point d'innocenter un scélérat, en faveur duquel, il est vrai, les plus jolies femmes de Paris sollicitent toute la terre. La fille de Custine, aussi habile comédienne dans cette ville, que l'était son père à la tête des armées, voit tout le monde et promet tout pour obtenir sa grâce.» Robespierre, de son côté, dénonça l'esprit de chicane et le goût des formalités qui s'était emparé du tribunal, et soutint que, seulement pour avoir voulu dégarnir Lille, Custine méritait la mort. Vincent, l'un des témoins, avait vidé les cartons du ministère, et avait apporté les lettres et les ordres qu'on reprochait à Custine, et qui, certes, ne constituaient pas des crimes. Fouquier-Tinville en conclut un parallèle de Custine avec Dumouriez, qui perdit le malheureux général. Dumouriez, dit-il, s'était rapidement avancé en Belgique, pour l'abandonner ensuite non moins rapidement, et livrer à l'ennemi, soldats, magasins, et représentans. De même Custine s'était rapidement avancé en Allemagne, avait abandonné nos soldats à Francfort, à Mayence, et avait voulu livrer avec cette dernière ville, vingt mille hommes, deux représentans, et toute notre artillerie qu'il avait méchamment extraite de Strasbourg. Comme Dumouriez, il médisait de la convention et des jacobins, et faisait fusiller les braves volontaires, sous prétexte de maintenir la discipline. A ce parallèle, le tribunal n'hésita plus. Custine justifia pendant deux heures ses opérations militaires. Tronçon-Ducoudray défendit sa conduite administrative et civile, mais inutilement. Le tribunal déclara le général coupable, à la grande joie des jacobins et des cordeliers, qui remplissaient la salle, et qui donnèrent des signes bruyans de leur satisfaction. Cependant Custine n'avait pas été condamné à l'unanimité. Sur les trois questions, il y avait eu successivement contre lui dix, neuf, huit voix, sur onze. Le président lui ayant demandé s'il n'avait rien à ajouter, il regarda autour de lui, et ne trouvant pas ses défenseurs, il répondit: «Je n'ai plus de défenseurs, je meurs calme et innocent.»
Il fut exécuté le lendemain matin. Ce guerrier, connu par une grande bravoure, fut surpris à la vue de l'échafaud. Cependant il s'agenouilla au pied de l'échelle, fit une courte prière, se rassura, et reçut la mort avec courage. Ainsi finit cet infortuné général, qui ne manquait ni d'esprit ni de caractère, mais qui réunissait l'inconséquence à la présomption, et qui commit trois fautes capitales; la première, de sortir de sa véritable ligne d'opération, en se portant à Francfort; la seconde, de ne pas vouloir y rentrer, lorsqu'on l'y engageait; et la troisième, de rester dans la plus timide inaction pendant le siége de Mayence. Cependant aucune de ces fautes ne méritait la mort; mais il subit le supplice qu'on n'avait pas pu infliger à Dumouriez, et qu'il n'avait pas mérité comme celui-ci par de grands et coupables projets. Sa mort fut un terrible exemple pour tous les généraux, et le signal pour eux d'une obéissance absolue aux ordres du gouvernement révolutionnaire.
Après cet acte de rigueur, les exécutions ne devaient plus s'arrêter; on renouvela l'ordre de hâter le procès de Marie-Antoinette. L'acte d'accusation des girondins, tant demandé et jamais rédigé, fut présenté à la convention. Saint-Just en était l'auteur. Des pétitions des jacobins vinrent obliger la convention à l'adopter. Il fut dirigé non-seulement contre les vingt-deux et les membres de la commission des douze, mais en outre contre soixante-treize membres du côté droit, qui gardaient un silence absolu depuis la victoire de la Montagne, et qui avaient rédigé une protestation très connue contre les événemens du 31 mai et du 2 juin. Quelques montagnards forcenés voulaient l'accusation, c'est-à-dire la mort, contre les vingt-deux, les douze et les soixante-treize; mais Robespierre s'y opposa, et proposa un moyen terme, ce fut d'envoyer au tribunal révolutionnaire les vingt-deux et les douze, et de mettre les soixante-treize en arrestation. On fit ce qu'il voulut; les portes de la salle leur furent aussitôt interdites, les soixante-treize arrêtés, et injonction faite à Fouquier-Tinville de s'emparer des malheureux girondins. Ainsi la convention toujours plus docile se laissa arracher l'ordre d'envoyer à la mort une partie de ses membres. A la vérité, elle ne pouvait plus différer, car les jacobins avaient fait cinq pétitions plus impérieuses les unes que les autres, pour obtenir ces derniers décrets d'accusation.
NOTES:
Du 3 septembre.
Ce décret célèbre fut rendu le 17 septembre. Il est connu sous le nom de loi des suspects.
Décret du 1er octobre.
CHAPITRE XIV.
CONTINUATION DU SIÉGE DE LYON. PRISE DE CETTE VILLE. DÉCRET TERRIBLE CONTRE LES LYONNAIS RÉVOLTÉS.—PROGRÈS DE L'ART DE LA GUERRE; INFLUENCE DE CARNOT.—VICTOIRE DE WATIGNIES. DÉBLOCUS DE MAUBEUGE.—REPRISE DES OPÉRATIONS EN VENDÉE.—VICTOIRE DE COLLET. FUITE ET DISPERSION DES VENDÉENS AU DELA DE LA LOIRE.—MORT DE LA PLUPART DE LEURS PRINCIPAUX CHEFS.—ÉCHECS SUR LE RHIN. PERTE DES LIGNES DE WISSEMBOURG.
Chaque revers réveillait l'énergie révolutionnaire, et cette énergie ramenait les succès. Il en avait toujours été ainsi pendant cette campagne mémorable. Depuis la défaite de Nerwinde jusqu'au mois d'août, une série continuelle de désastres avait enfin provoqué des efforts désespérés. L'anéantissement du fédéralisme, la défense de Nantes, la victoire d'Hondschoote, le déblocus de Dunkerque, avaient été le résultat de ces efforts. De nouveaux revers à Menin, à Pirmasens, aux Pyrénées, à Torfou et Coron dans la Vendée, venaient d'exciter un nouveau redoublement d'énergie qui devait amener des succès décisifs sur tous les théâtres de la guerre.
Le siége de Lyon était de toutes les opérations, celle dont on attendait la fin avec le plus d'impatience. Nous avons laissé Dubois-Crancé campé devant cette ville, avec cinq mille hommes de troupes réglées, et sept à huit mille réquisitionnaires. Il était menacé d'avoir bientôt sur ses derrières les Sardes que la faible armée des grandes-Alpes ne pouvait plus arrêter. Comme nous avons déjà dit, il s'était placé au Nord, entre la Saône et le Rhône, en présence des redoutes de la Croix-Rousse, et non sur les hauteurs de Sainte-Foy et de Fourvières, situées à l'ouest, et par lesquelles on aurait dû diriger la véritable attaque. Le motif de cette préférence était fondé sur plus d'une raison. Il importait avant tout de rester en communication avec la frontière des Alpes, où se trouvait le gros de l'armée républicaine, et d'où les Piémontais pouvaient venir au secours des Lyonnais. On avait encore l'avantage, dans cette position, d'occuper le cours supérieur des deux fleuves, et d'intercepter les vivres qui descendaient la Saône et le Rhône. Il est vrai que l'ouest restait ainsi ouvert aux Lyonnais, et qu'ils pouvaient faire des excursions continuelles vers Saint-Étienne et Montbrison: mais tous les jours on annonçait l'arrivée des contingens du Puy-de-Dôme, et une fois ces nouvelles réquisitions réunies, Dubois-Crancé pouvait achever le blocus du côté de l'ouest, et choisir alors le véritable point d'attaque. En attendant, il se contentait de serrer l'ennemi de près, de canonner la Croix-Rousse au nord, et de commencer ses lignes à l'est, devant le pont de la Guillotière. Le transport des munitions était difficile et lent; il fallait les faire venir de Grenoble, du fort Barraux, de Briançon, d'Embrun, et leur faire parcourir ainsi jusqu'à soixante lieues de montagnes. Ces charrois extraordinaires ne pouvaient avoir lieu que par voie de réquisition forcée et en mettant en mouvement cinq mille chevaux; car on avait à transporter devant Lyon quatorze mille bombes, trente-quatre mille boulets, trois cents milliers de poudre, huit cent mille cartouches, et cent trente bouches à feu.
Dès les premiers jours du siége, on annonçait la marche des Piémontais qui débouchaient du petit Saint-Bernard et du Mont-Cénis. Kellermann partit aussitôt sur les pressantes instances du département de l'Isère, et laissa le général Dumuy pour le remplacer à Lyon. Du reste, Dumuy ne le remplaçait qu'en apparence, car Dubois-Crancé, représentant et ingénieur habile, dirigeait lui seul toutes les opérations du siége. Pour hâter la levée des réquisitions du Puy-de-Dôme, Dubois-Crancé détacha le général Nicolas avec un petit corps de cavalerie; mais celui-ci fut enlevé dans le Forez, et livré aux Lyonnais. Dubois-Crancé y envoya alors mille hommes de bonnes troupes, avec le représentant Javoques. La mission de celui-ci fut plus heureuse; Il contint les aristocrates de Montbrison et de Saint-Étienne, et fit lever environ sept à huit mille paysans, qu'il amena devant Lyon. Dubois-Crancé les plaça au pont d'Oullins, situé au nord-ouest de Lyon, et de manière à gêner les communications de la place avec le Forez. Il fit approcher le député Reverchon, qui, à Mâcon, avait réuni quelques mille réquisitionnaires, et le plaça sur le haut de la Saône tout à fait au nord. De cette manière, le blocus commençait à être un peu plus rigoureux; mais les opérations étaient lentes, et les attaques de vive force impossibles. Les fortifications de la Croix-Rousse, entre Rhône et Saône, devant lesquelles se trouvait le corps principal, ne pouvaient être emportées par un assaut. Du côté de l'est et de la rive gauche du Rhône, le pont Morand était défendu par une redoute en fer à cheval, très habilement construite. A l'ouest, les hauteurs décisives de Sainte-Foy et Fourvières ne pouvaient être enlevées que par une armée vigoureuse, et pour le moment il ne fallait songer qu'à intercepter les vivres, à serrer la ville, et à l'incendier. Depuis le commencement d'août jusqu'au milieu de septembre, Dubois-Crancé n'avait pu faire autre chose, et à Paris on se plaignait de ses lenteurs sans vouloir en apprécier les motifs. Cependant il avait causé de grands dommages à cette malheureuse cité. L'incendie avait dévoré la magnifique place de Bellecour, l'arsenal, le quartier Saint-Clair, le port du Temple, et avait endommagé surtout le bel édifice de l'hôpital, qui s'élève si majestueusement sur la rive du Rhône. Les Lyonnais n'en résistaient pas moins avec la plus grande opiniâtreté. On avait répandu parmi eux la nouvelle que cinquante mille Piémontais allaient déboucher sur leur ville; l'émigration les comblait de promesses, sans venir cependant se jeter au milieu d'eux, et ces braves commerçans, sincèrement républicains, étaient, par leur fausse position, réduits à désirer le secours funeste et honteux de l'émigration et de l'étranger. Leurs sentimens éclatèrent plus d'une fois d'une manière non équivoque. Précy ayant voulu arborer le drapeau blanc, en avait bientôt senti l'impossibilité. Un papier obsidional ayant été créé pour les besoins du siége, et des fleurs de lis se trouvant sur le filigrane de ce papier, il fallut le détruire et en fabriquer un autre. Ainsi les Lyonnais étaient républicains; mais la crainte des vengeances de la convention, et les fausses promesses de Marseille, de Bordeaux, de Caen, et surtout de l'émigration, les avaient entraînés dans un abîme de fautes et de malheurs.
Tandis qu'ils se nourrissaient de l'espoir de voir arriver cinquante mille Sardes, la convention avait ordonné aux représentans Couthon, Maignet et Châteauneuf-Randon, de se rendre en Auvergne et dans les départemens environnans, pour y déterminer une levée eu masse, et Kellermann courait dans les vallées des Alpes au devant des Piémontais.
Une belle occasion s'offrait encore ici aux Piémontais d'effectuer une tentative hardie et grande, qui n'aurait pu manquer d'être heureuse: c'était de réunir leurs principales forces sur le petit Saint-Bernard, et de déboucher sur Lyon avec cinquante mille hommes. On sait que les trois vallées de Sallenche, de la Tarentaise et de la Maurienne, adjacentes l'une à l'autre, tournent sur elles-mêmes comme une espèce de spirale, et que, partant du petit Saint-Bernard, elles s'ouvrent sur Genève, Chambéry, Lyon et Grenoble. De petits corps français étaient éparpillés dans ces vallées. Descendre rapidement par l'une d'elles, et venir se placer à leur ouverture, était un moyen assuré, d'après tous les principes de l'art, de faire tomber les détachemens engagés dans les montagnes, et de leur faire mettre bas les armes. On devait peu craindre l'attachement des Savoyards pour les Français; car les assignats et les réquisitions ne leur avaient encore fait connaître de la liberté que ses dépenses et ses rigueurs. Le duc de Montferrat, chargé de l'expédition, ne prit avec lui que vingt à vingt-cinq mille hommes, jeta un corps à sa droite, dans la vallée de Sallenche, descendit avec son corps principal dans la Tarentaise, et laissa le général Gordon parcourir la Maurienne avec l'aile gauche. Son mouvement, commencé le 14 août, dura jusqu'en septembre, tant il y mit de lenteur. Les Français, quoique très inférieurs eu nombre, opposèrent une résistance énergique, et firent durer la retraite pendant dix-huit jours. Arrivé à Moustier, le duc de Montferrat chercha à se lier avec Gordon, sur la chaîne du Grand-Loup, qui sépare les deux vallées de la Tarentaise et de la Maurienne, et ne songea nullement à marcher rapidement sur Conflans, point de réunion des vallées. Cette lenteur et ses vingt-cinq mille hommes prouvent assez s'il avait envie d'aller à Lyon.
Pendant ce temps, Kellermann, accouru de Grenoble, avait fait lever les gardes nationales de l'Isère et des départemens environnans. Il avait ranimé les Savoyards qui commençaient à craindre les vengeances du gouvernement piémontais, et il était parvenu à réunir à peu près douze mille hommes. Alors il fit renforcer le corps de la vallée de Sallenche, et se porta vers Conflans, à l'issue des deux vallées de la Tarentaise et de la Maurienne. C'était vers le 10 septembre. Dans ce moment, l'ordre de marcher en avant arrivait au duc de Montferrat. Mais Kellermann prévint les Piémontais, osa les attaquer dans la position d'Espierre qu'ils avaient prise sur la chaîne du Grand-Loup, afin de communiquer entre les deux vallées. Ne pouvant aborder cette position de front, il la fit tourner par un corps détaché. Ce corps, formé de soldats à moitié nus, fit pourtant des efforts héroïques, et, à force de bras, éleva les canons sur des hauteurs presque inaccessibles. Tout à coup l'artillerie française tonna inopinément sur la tête des Piémontais, qui en furent épouvantés; Gordon se retira aussitôt dans la vallée de Maurienne sur Saint-Michel; le duc de Montferrat se reporta au milieu de la vallée de la Tarentaise. Kellermann, ayant fait inquiéter celui-ci sur ses flancs, l'obligea bientôt à remonter jusqu'à Saint-Maurice et à Saint-Germain, et enfin il le rejeta, le 4 octobre, au-delà des Alpes. Ainsi la campagne courte et heureuse qu'auraient pu faire les Piémontais en débouchant avec une masse double, et en descendant par une seule vallée sur Chambéry et Lyon, manqua ici par les mêmes raisons qui avaient fait manquer toutes les tentatives des coalisés, et qui avaient sauvé la France.
Pendant que les Sardes étaient repoussés au-delà des Alpes, les trois députés envoyés dans le Puy-de-Dôme pour y déterminer une levée en masse, soulevaient les campagnes en prêchant une espèce de croisade, et en persuadant que Lyon, loin de défendre la cause républicaine, était le rendez-vous des factions de l'émigration et de l'étranger. Le paralytique Couthon, plein d'une activité que ses infirmités ne pouvaient ralentir, excita un mouvement général; il fit partir d'abord Maignet et Châteauneuf avec une première colonne de douze mille hommes, et resta en arrière pour en amener encore une de vingt-cinq mille, et pour faire les réquisitions de vivres nécessaires. Dubois-Crancé plaça les nouvelles levées du côté de l'ouest vers Sainte-Foy, et compléta ainsi le blocus. Il reçut en même temps un détachement de la garnison de Valenciennes, qui, d'après les traités, ne pouvait, comme celle de Mayence, servir que dans l'intérieur; il plaça des détachemens de troupes réglées en avant des troupes de réquisitions, de manière à former de bonnes têtes de colonnes. Son armée pouvait se composer alors de vingt-cinq mille réquisitionnaires, et de huit ou dix mille soldats aguerris.
Le 24, à minuit, il fit enlever la redoute du pont d'Oullins, qui conduisait au pied des hauteurs de Sainte-Foy. Le lendemain, le général Doppet, Savoyard, qui s'était distingué sous Carteaux dans la guerre contre les Marseillais, arriva pour remplacer Kellermann. Celui-ci venait d'être destitué à cause de la tiédeur de son zèle, et on ne lui avait laissé quelques jours de commandement que pour lui donner le temps d'achever son expédition contre les Piémontais. Le général Doppet se concerta de suite avec Dubois-Crancé pour l'assaut des hauteurs de Sainte-Foy. Tous les préparatifs furent faits pour la nuit du 28 au 29 septembre. Des attaques simultanées furent dirigées au nord vers la Croix-Rousse, à l'est en face du pont Morand, au midi par le pont de la Mulatière, qui est placé au-dessous de la ville; au confluent de la Saône et du Rhône. L'attaque sérieuse dut avoir lieu par le pont d'Oullins sur Sainte-Foy. Elle ne commença que le 29, à cinq heures du matin, une heure ou deux après les trois autres. Doppet, enflammant ses soldats, se précipite avec eux sur une première redoute et les entraîne sur la seconde avec la plus grande vivacité. Le grand et le petit Sainte-Foy sont emportés. Pendant ce temps, la colonne chargée d'attaquer le pont de la Mulatière parvient à s'en emparer, et pénètre dans l'isthme à la pointe duquel se réunissent les deux fleuves. Elle allait s'introduire dans Lyon, lorsque Précy, accourant avec sa cavalerie, parvient à la repousser, et à sauver la place. De son côté, le chef d'artillerie Vaubois, qui avait dirigé sur le pont Morand une attaque des plus vives, pénétra dans la redoute en fer à cheval, mais il fut obligé de l'abandonner.
De toutes ces attaques, une seule avait complètement réussi, mais c'était la principale, celle de Sainte-Foy. Il restait maintenant à passer des hauteurs de Sainte-Foy à celles de Fourvières, bien plus régulièrement retranchées, et bien plus difficiles à emporter. L'avis de Dubois-Crancé, qui agissait systématiquement, et en savant militaire, était de ne pas s'exposer aux chances d'un nouvel assaut, et voici ses raisons: il savait que les Lyonnais, réduits à manger de la farine de pois, n'avaient de vivres que pour quelques jours encore, et qu'ils allaient être obligés de se rendre. Il les avait trouvés très braves à la défense de la Mulatière et du pont Morand; il craignait qu'une attaque sur les hauteurs de Fourvières ne réussît pas, et qu'un échec ne désorganisât l'armée, et n'obligeât à lever le siége. «Ce qu'on peut faire, disait-il, de plus heureux pour des assiégés braves et désespérés, c'est de leur fournir l'occasion de se sauver par un combat. Laissons-les périr par l'effet de quelques jours de famine.»
Couthon arrivait dans ce moment, 2 octobre, avec une nouvelle levée de vingt-cinq mille paysans de l'Auvergne. «J'arrive, écrivait-il, avec mes rochers de l'Auvergne, et je vais les précipiter dans le faubourg de Vaise.» Il trouva Dubois-Crancé au milieu d'une armée dont il était le chef absolu, où il avait établi les règles de la subordination militaire, et où il portait plus souvent son habit d'officier supérieur que celui de représentant du peuple. Couthon fut irrité de voir un représentant remplacer l'égalité par la hiérarchie militaire, et ne voulut pas surtout entendre parler de guerre régulière. «Je n'entends rien, dit-il, à la tactique; j'arrive avec le peuple; sa sainte colère emportera tout. Il faut inonder Lyon de nos masses, et l'emporter de vive force. D'ailleurs j'ai promis congé à mes paysans pour lundi, et il faut qu'ils aillent faire leurs vendanges.» On était alors au mardi. Dubois-Crancé, homme de métier, habitué aux troupes réglées, témoigna quelque mépris pour ces paysans confusément amassés et mal armés; il proposa de choisir parmi eux les plus jeunes, de les incorporer dans les bataillons déjà organisés, et de renvoyer les autres. Couthon ne voulut écouter aucun de ces conseils de prudence, et fit décider sur-le-champ qu'on attaquerait Lyon de vive force sur tous les points, avec les soixante mille hommes dont on disposait; car telle était maintenant la force de l'armée avec cette nouvelle levée. Il écrivit en même temps au comité de salut public pour faire révoquer Dubois-Crancé. L'attaque fut résolue dans le conseil de guerre pour le 8 octobre.
La révocation de Dubois-Crancé et de son collègue Gauthier arriva dans l'intervalle. Les Lyonnais avaient une grande horreur de Dubois-Crancé, que depuis deux mois ils voyaient acharné contre leur ville, et ils disaient qu'ils ne voulaient pas se rendre à lui. Le 7, Couthon leur fit une dernière sommation, et leur écrivit que c'était lui, Couthon, et les représentans Maignet et Laporte que la convention chargeait de la poursuite du siége. Le feu fut suspendu jusqu'à quatre heures du soir, et recommença alors avec une extrême violence. On allait se préparer à l'assaut, quand une députation vint négocier au nom des Lyonnais. Il paraît que le but de cette négociation était de donner à Précy et à deux mille des habitans les plus compromis le temps de se sauver en colonne serrée. Ils profitèrent en effet de cet intervalle, et sortirent par le faubourg de Vaise pour se retirer vers la Suisse.
Les pourparlers étaient à peine commencés, qu'une colonne républicaine pénétra jusqu'au faubourg Saint-Just. Il n'était plus temps de faire des conditions, et d'ailleurs la convention n'en voulait pas. Le 9, l'armée entra, ayant les représentans en tête. Les habitans s'étaient cachés, mais tous les montagnards persécutés sortirent en foule au devant de l'armée victorieuse, et lui composèrent une espèce de triomphe populaire. Le général Doppet fit observer la plus exacte discipline à ses troupes, et laissa aux représentans le soin d'exercer eux-mêmes sur cette ville infortunée les vengeances révolutionnaires.
Pendant ce temps, Précy, avec ses deux mille fugitifs, marchait vers la Suisse. Mais Dubois-Crancé, prévoyant que ce serait là son unique ressource, avait depuis long-temps fait garder tous les passages. Les malheureux Lyonnais furent poursuivis, dispersés et tués par les paysans. Il n'y en eut que quatre-vingts qui, avec Précy, parvinrent à atteindre le territoire helvétique.
A peine entré, Couthon réintégra l'ancienne municipalité montagnarde, et lui donna mission de chercher et de désigner les rebelles. Il chargea une commission populaire de les juger militairement. Il écrivit ensuite à Paris qu'il y avait à Lyon trois classes d'habitans: 1º les riches coupable; 2º les riches égoïstes, 3º les ouvriers ignorans, détachés de toute espèce de cause, et incapables de bien comme de mal. Il fallait guillotiner les premiers et détruire leurs maisons, faire contribuer les seconds de toute leur fortune, dépayser enfin les derniers, et les remplacer par une colonie républicaine.
La prise de Lyon produisit à Paris la plus grande joie, et dédommagea des mauvaises nouvelles de la fin de septembre. Cependant, malgré le succès, on se plaignit des lenteurs de Dubois-Crancé, on lui imputa la fuite des Lyonnais par le faubourg de Vaise, fuite qui d'ailleurs n'en avait sauvé que quatre-vingts. Couthon surtout l'accusa de s'être fait général absolu dans son armée, de s'être plus souvent montré avec son costume d'officier supérieur qu'avec celui de représentant, d'avoir affiché la morgue d'un tacticien, d'avoir enfin voulu faire prévaloir le système des siéges réguliers sur celui des attaques en masse. Aussitôt une enquête fut faite par les jacobins contre Dubois-Crancé, dont l'activité et la vigueur avaient cependant rendu tant de services à Grenoble, dans le Midi et devant Lyon. En même temps, le comité de salut public prépara des décrets terribles, afin de rendre plus formidable et plus obéie l'autorité de la convention. Voici le décret qui fut présenté par Barrère et rendu sur-le-champ:
«Art. 1er. Il sera nommé par la convention nationale, sur la présentation du comité de salut public, une commission de cinq représentans du peuple, qui se transporteront à Lyon sans délai, pour faire saisir et juger militairement tous les contre-révolutionnaires qui ont pris les armes dans cette ville.
«2. Tous les Lyonnais seront désarmés; les armes seront données à ceux qui seront reconnus n'avoir point trempé dans la révolte, et aux défenseurs de la patrie.
«3. La ville de Lyon sera détruite.
«4. Il n'y sera conservé que la maison du pauvre, les manufactures, les ateliers des arts, les hôpitaux, les monuments publics et ceux de l'instruction.
«5. Cette ville cessera de s'appeler Lyon. Elle s'appellera Commune-Affranchie.
«6. Sur les débris de Lyon sera élevé un monument où seront lus ces mots: Lyon fit la guerre à la liberté, Lyon n'est plus[4]!»
La nouvelle de la prise de Lyon fut aussitôt annoncée aux deux armées du Nord et de la Vendée, où devaient se porter les coups décisifs, et une proclamation les invita à imiter l'armée de Lyon. On disait à l'armée du Nord: «L'étendard de la liberté flotte sur les murs de Lyon, et les purifie. Voilà le présage de la victoire; la victoire appartient au courage. Elle est à vous; frappez, exterminez les satellites des tyrans!.... La patrie vous regarde, la convention seconde votre généreux dévouement; encore quelques jours, les tyrans ne seront plus, et la république vous devra son bonheur et sa gloire!» On disait aux soldats de la Vendée: «Et vous aussi, braves soldats, vous remporterez une victoire; il y a assez long-temps que la Vendée fatigue la république; marchez, frappez, finissez! Tous nos ennemis doivent succomber à la fois: chaque armée va vaincre. Seriez-vous les derniers à moissonner des palmes, à mériter la gloire d'avoir exterminé les rebelles et sauvé la patrie?»
Le comité, comme on voit, n'oubliait rien pour tirer le plus grand parti de la prise de Lyon. Cet événement, en effet, était de la plus haute importance. Il délivrait l'est de la France des derniers restes de l'insurrection, et ôtait toute espérance aux émigrés intrigant en Suisse, et aux Piémontais qui ne pouvaient compter à l'avenir sur aucune diversion. Il comprimait le Jura, assurait les derrières de l'armée du Rhin, permettait de porter devant Toulon et les Pyrénées des secours en hommes et en matériel devenus indispensables; il intimidait enfin toutes les villes qui avaient eu du penchant à s'insurger, et assurait leur soumission définitive.
C'est au nord que le comité voulait déployer le plus d'énergie, et qu'il faisait aux généraux et aux soldats un devoir d'en montrer davantage. Tandis que Custine venait de porter sa tête sur l'échafaud, Houchard, pour n'avoir pas fait à Dunkerque tout ce qu'il aurait pu, était envoyé au tribunal révolutionnaire. Les derniers reproches adressés au comité, en septembre dernier, l'avaient obligé de renouveler tous les états-majors. Il venait de les recomposer entièrement, et d'élever aux plus hauts grades de simples officiers. Houchard, colonel au commencement de la campagne, et, avant qu'elle fût finie, devenu général en chef, et maintenant accusé devant le tribunal révolutionnaire; Hoche, simple officier au siége de Dunkerque, et promu aujourd'hui au commandement de l'armée de la Moselle; Jourdan, chef de bataillon, puis commandant au centre le jour d'Hondschoote, et enfin nommé général en chef de l'armée du Nord, étaient de frappans exemples des vicissitudes de la fortune dans ces armées républicaines. Ces promotions subites empêchaient que soldats, officiers, et généraux, eussent le temps de se connaître et de s'accorder de la confiance; mais elles donnaient une idée terrible de cette volonté qui frappait ainsi sur toutes les existences, non pas seulement dans le cas d'une trahison prouvée, mais seulement pour un soupçon, pour une insuffisance de zèle, pour une demi-victoire; et il en résultait un dévouement absolu de la part des armées, et des espérances sans bornes chez les génies assez hardis pour braver les dangereuses chances du généralat.
C'est à cette époque qu'il faut rapporter les premiers progrès de l'art de la guerre. Sans doute, les principes de cet art avaient été connus et pratiqués de tous les temps par les capitaines qui joignaient l'audace d'esprit à l'audace de caractère. Tout récemment encore, Frédéric venait de donner l'exemple des plus belles combinaisons stratégiques. Mais dès que l'homme de génie disparaît pour faire place aux hommes ordinaires, l'art de la guerre retombe dans la circonspection et la routine. On combat éternellement pour la défense ou l'attaque d'une ligne, on devient habile à calculer les avantages d'un terrain, à y adapter chaque espèce d'arme; mais, avec tous ces moyens, on dispute pendant des années entières une province qu'un capitaine hardi pourrait gagner en une manoeuvre; et cette prudence de la médiocrité sacrifie plus de sang que la témérité du génie, car elle consomme les hommes sans résultats. Ainsi avaient fait les savans tacticiens de la coalition. A chaque bataillon ils en opposaient un autre; ils gardaient toutes les routes menacées par l'ennemi; et tandis qu'avec une marche hardie ils auraient pu détruire la révolution, ils n'osaient faire un pas, de peur de se découvrir. L'art de la guerre était à régénérer. Former une masse compacte, la remplir de confiance et d'audace, la porter promptement au-delà d'un fleuve, d'une chaîne de montagnes, et venir frapper un ennemi qui ne s'y attend pas, en divisant ses forces, en l'isolant de ses ressources, en lui prenant sa capitale, était un art difficile et grand qui exigeait du génie, et qui ne pouvait se développer qu'au milieu de la fermentation révolutionnaire.
La révolution, en mettant en mouvement tous les esprits, prépara l'époque des grandes combinaisons militaires. D'abord elle suscita pour sa cause des masses d'hommes énormes, et bien autrement considérables que toutes celles qui furent jamais soulevées pour la cause des rois. Ensuite elle excita une impatience de succès extraordinaires, dégoûta des combats lents et méthodiques, et suggéra l'idée des irruptions soudaines et nombreuses sur un même point. De tous côtés on disait: il faut nous battre en masse. C'était le cri des soldats sur toutes les frontières, et des jacobins dans les clubs. Couthon, arrivant à Lyon, avait répondu à tous les raisonnemens de Dubois-Crancé, en disant qu'il fallait livrer l'assaut en masse. Enfin Barrère avait fait un rapport habile et profond, où il montrait que la cause de nos revers était dans les combats de détail. Ainsi, en formant des masses, en les remplissant d'audace, en les affranchissant de toute routine, en leur imprimant l'esprit et le courage des innovations, la révolution prépara la renaissance de la grande guerre. Ce changement ne pouvait pas s'opérer sans désordre. Des paysans, des ouvriers, transportés sur les champs de bataille, n'y apportaient le premier jour que l'ignorance, l'indiscipline et les terreurs paniques, effets naturels d'une mauvaise organisation. Les représentans, qui venaient souffler les passions révolutionnaires dans les camps, exigeaient souvent l'impossible, et commettaient des iniquités à l'égard de braves généraux. Dumouriez, Custine, Houchard, Brunet, Canclaux, Jourdan, périrent ou se retirèrent devant ce torrent; mais en un mois, ces ouvriers, d'abord jacobins déclamateurs, devenaient des soldats dociles et braves; ces représentans communiquaient une audace et une volonté extraordinaires aux armées; et, à force d'exigences et de changemens, ils finissaient par trouver les génies hardis qui convenaient aux circonstances.
Enfin un homme vint régulariser ce grand mouvement: ce fut Carnot. Autrefois officier du génie, et depuis membre de la convention et du comité de salut public; partageant en quelque sorte son inviolabilité, il put impunément introduire de l'ordre dans des opérations trop décousues, et surtout leur imprimer un ensemble qu'avant lui aucun ministre n'eût été assez obéi pour leur imposer. L'une des principales causes de nos revers précédens, c'était la confusion qui accompagne une grande fermentation. Le comité établi et devenu irrésistible, et Carnot étant revêtu de toute la puissance de ce comité, on obéit à la pensée de l'homme sage qui, calculant sur l'ensemble, prescrivait des mouvemens parfaitement coordonnés entre eux, et tendant à un même but. Des généraux ne pouvaient plus, comme Dumouriez ou Custine avaient fait autrefois, agir chacun de leur côté, en attirant toute la guerre et tous les moyens à eux. Des représentans ne pouvaient plus ordonner ni contrarier des manoeuvres, ni modifier les ordres supérieurs. Il fallait obéir à la volonté suprême du comité, et se conformer au plan uniforme qu'il avait prescrit. Placé ainsi au centre, planant sur toutes les frontières, l'esprit de Carnot, en s'élevant, dut s'agrandir; il conçut des plans étendus, dans lesquels la prudence se conciliait avec la hardiesse. L'instruction envoyée à Houchard en est la preuve. Sans doute, ses plans avaient quelquefois l'inconvénient des plans formés dans des bureaux: quand ses ordres arrivaient, ils n'étaient ni toujours convenables aux lieux, ni exécutables dans le moment, mais ils rachetaient par l'ensemble l'inconvénient des détails, et nous assurèrent, l'année suivante, des triomphes universels.
Carnot était accouru sur la frontière du Nord auprès de Jourdan. La résolution était prise d'attaquer hardiment l'ennemi, quoiqu'il parût formidable. Carnot demanda un plan au général pour juger ses vues et les concilier avec celles du comité, c'est-à-dire avec les siennes. Les coalisés, revenus de Dunkerque vers le milieu de la ligne, s'étaient réunis entre l'Escaut et la Meuse, et formaient là une masse redoutable qui pouvait porter des coups décisifs. Nous avons déjà fait connaître le théâtre de la guerre. Plusieurs lignes partagent l'espace compris entre la Meuse et la mer; c'est la Lys, la Scarpe, l'Escaut et la Sambre. Les alliés, en prenant Condé et Valenciennes, s'étaient assuré deux points importans sur l'Escaut. Le Quesnoy, dont ils venaient de s'emparer, leur donnait un appui entre l'Escaut et la Sambre; mais ils n'en avaient aucun sur la Sambre même. Ils songèrent à Maubeuge, qui, par sa position sur la Sambre, les aurait rendus à peu près maîtres de l'espace compris entre cette rivière et la Meuse. A l'ouverture de la campagne prochaine, Valenciennes et Maubeuge leur auraient fourni ainsi une base excellente d'opérations, et leur campagne de 1793 n'eût pas été entièrement inutile. Leur dernier projet consista donc à occuper Maubeuge.
Du côté des Français, chez lesquels l'esprit de combinaison commençait à se développer, on imagina d'agir par Lille et Maubeuge, sur les deux ailes de l'ennemi, et, en le débordant ainsi sur ses deux flancs, on espéra de faire tomber son centre. On s'exposait, il est vrai, de cette manière, à essuyer tout son effort sur l'une ou sur l'autre des deux ailes, et on lui laissait tout l'avantage de sa masse; mais il y avait certainement moins de routine dans cette conception que dans les précédentes. Cependant le plus pressant était de secourir Maubeuge. Jourdan, laissant à peu près cinquante mille hommes dans les camps de Gavrelle, de Lille et de Cassel, pour former son aile gauche, réunissait à Guise le plus de monde possible. Il avait composé une masse d'environ quarante-cinq mille hommes, déjà organisés, et faisait enrégimenter en toute hâte les nouvelles levées provenant de la réquisition permanente. Cependant ces levées étaient dans un tel désordre, qu'il fallut laisser des détachemens de troupes de ligne pour les garder. Jourdan fixa donc à Guise le rendez-vous de toutes les recrues, et s'avança sur cinq colonnes au secours de Maubeuge.
Déjà l'ennemi avait investi cette place. Comme celles de Valenciennes et de Lille, elle était soutenue par un camp retranché, placé sur la rive droite de la Sambre, du côté même par lequel s'avançaient les Français. Deux divisions, celles des généraux Desjardins et Mayer, gardaient le cours de la Sambre, l'une au-dessus, l'autre au-dessous de Maubeuge. L'ennemi, au lieu de s'avancer en deux masses serrées, et de refouler Desjardins sur Maubeuge, et de rejeter Mayer en arrière sur Charleroy, où il eût été perdu, passa la Sambre en petites masses, et laissa les deux divisions Desjardins et Mayer se rallier dans le camp retranché de Maubeuge. C'était fort bien d'avoir séparé Desjardins de Jourdan, et de l'avoir empêché ainsi de grossir l'armée active des Français; mais en laissant Mayer se réunir à Desjardins, on avait permis à ces deux généraux de former sous Maubeuge un corps de vingt mille hommes, qui pouvait sortir du rôle de simple garnison, surtout à l'approche de la grande armée de Jourdan. Cependant la difficulté de nourrir ce nombreux rassemblement était un inconvénient des plus graves pour Maubeuge, et pouvait, jusqu'à un certain point, excuser les généraux ennemis d'avoir permis la jonction.
Le prince de Cobourg plaça les Hollandais, au nombre de douze mille, sur la rive gauche de la Sambre, et s'attacha à faire incendier les magasins de Maubeuge, pour augmenter la disette. Il porta le général Colloredo sur la rive droite, et le chargea d'investir le camp retranché. En avant de Colloredo, Clerfayt avec trois divisions forma le corps d'observation, et dut s'opposer à la marche de Jourdan. Les coalisés comptaient à peu près soixante-cinq mille hommes.
Avec de l'audace et du génie, le prince de Cobourg aurait laissé quinze ou vingt mille hommes au plus pour contenir Maubeuge; il aurait marché ensuite avec quarante-cinq ou cinquante mille sur le général Jourdan, et l'aurait battu infailliblement; car, avec l'avantage de l'offensive, et à nombre égal, ses troupes devaient l'emporter sur les nôtres encore mal organisées. Au lieu d'adopter ce plan, le prince de Cobourg laissa environ trente-cinq mille hommes autour de la place, et resta en observation avec environ trente mille, dans les positions de Dourlers et Watignies.
Dans cet état de choses, il n'était pas impossible au général Jourdan de percer sur un point la ligne occupée par le corps d'observation, de marcher sur Colloredo qui faisait l'investissement du camp retranché, de le mettre entre deux feux, et, après l'avoir accablé, de s'adjoindre l'armée entière de Maubeuge, de former avec elle une masse de soixante mille hommes, et de battre tous les coalisés placés sur la rive droite de la Sambre. Pour cela, il fallait diriger une seule attaque sur Watignies, point le plus faible; mais, en se portant exclusivement de ce côté, on laissait ouverte la route d'Avesnes qui aboutissait à Guise, où était notre base et le lieu de la réunion de tous les dépôts. Le général français préféra un plan plus prudent, mais moins fécond, et fit attaquer le corps d'observation sur quatre points, de manière à garder toujours la route d'Avesnes et de Guise. A sa gauche, il détacha la division Fromentin sur Saint-Waast, avec ordre de marcher entre la Sambre et la droite de l'ennemi. Le général Balland, avec plusieurs batteries, dut se placer au centre, en face de Dourlers, pour contenir Clerfayt par une forte canonnade. Le général Duquesnoy s'avança avec la droite sur Watignies, qui formait la gauche de l'ennemi, un peu en arrière de la position centrale de Dourlers. Ce point n'était occupé que par un faible corps. Une quatrième division, celle du général Beauregard, placée encore au-delà de la droite, dut seconder Duquesnoy dans son attaque sur Watignies. Ces divers mouvemens étaient peu liés, et ne portaient pas sur les points décisifs. Ils s'effectuèrent le 15 octobre au matin. Le général Fromentin s'empara de Saint-Waast; mais n'ayant pas pris la précaution de longer les bois pour se tenir à l'abri de la cavalerie, il fut assailli et rejeté dans le ravin de Saint-Rémy. Au centre, où l'on croyait Fromentin maître de Saint-Waast, et où l'on savait que la droite avait réussi à s'approcher de Watignies, on voulut passer outre, et au lieu de canonner Dourlers, on songea à s'en emparer. Il paraît que ce fut l'avis de Carnot, qui décida l'attaque malgré le général Jourdan. Notre infanterie se jeta dans le ravin qui la séparait de Dourlers, gravit le terrain sous un feu meurtrier, et arriva sur un plateau où elle avait en tête des batteries formidables, et en flanc une nombreuse cavalerie prête à la charger. Dans ce même instant, un nouveau corps, qui venait de contribuer à mettre Fromentin en déroute, menaçait encore de la déborder sur sa gauche. Le général Jourdan s'exposa au plus grand danger pour la maintenir; mais elle plia, se jeta en désordre dans le ravin, et très heureusement reprit ses positions sans avoir été poursuivie. Nous avions perdu près de mille hommes à cette tentative, et notre gauche sous Fromentin avait perdu son artillerie. Le général Duquesnoy, à la droite, avait seul réussi, en parvenant à s'approcher de Watignies.
Après cette tentative, la position était mieux connue des Français. Ils sentirent que Dourlers était trop défendu pour diriger sur ce point l'attaque principale; que Watignies, à peine gardé par le général Trécy, et placé en arrière de Dourlers, était facile à emporter, et que ce village une fois occupé par le gros de nos forces, la position de Dourlers tombait nécessairement. Jourdan détacha donc six à sept mille hommes vers sa droite, pour renforcer le général Duquesnoy; il ordonna au général Beauregard, trop éloigné avec sa quatrième colonne, de se rabattre d'Eule sur Obrechies, de manière à opérer un effort concentrique sur Watignies, conjointement avec le général Duquesnoy; mais il persista à continuer sa démonstration sur le centre, et à faire marcher Fromentin vers la gauche, afin d'embrasser toujours le front entier de l'ennemi.
Le lendemain 16, l'attaque commença. Notre infanterie débouchant par les trois villages de Dinant, Demichaux et Choisy, aborda Watignies. Les grenadiers autrichiens, qui liaient Watignies à Dourlers, furent rejetés dans les bois. La cavalerie ennemie fut contenue par l'artillerie légère disposée à propos, et Watignies fut emporté. Le général Beauregard, moins heureux, fut surpris par une brigade que les Autrichiens avaient détachée contre lui. Sa troupe, s'exagérant la force de l'ennemi, se débanda, et céda une partie du terrain. A Dourlers et Saint-Waast, on s'était contenu réciproquement; mais Watignies était occupé, et c'était l'essentiel. Jourdan, pour s'en assurer la possession, y renforça encore une fois sa droite de cinq ou six mille hommes. Cobourg, trop prompt à céder au danger, se retira, malgré le succès obtenu sur Beauregard, et malgré l'arrivée du duc d'York, qui venait à marches forcées de l'autre côté de la Sambre. Il est probable que la crainte de voir les Français s'unir aux vingt mille hommes du camp retranché, l'empêcha de persister à occuper la rive droite de la Sambre. Il est certain que si l'armée de Maubeuge, au bruit du canon de Watignies, eût attaqué le faible corps d'investissement, et tâché de marcher vers Jourdan, les coalisés auraient pu être accablés. Les soldats le demandaient à grands cris; mais le général Ferrand s'y opposa, et le général Chancel, qu'on crut à tort coupable de ce refus, fut envoyé au tribunal révolutionnaire. L'heureuse attaque de Watignies décida la levée du siége de Maubeuge, comme celle d'Hondschoote avait décidé la levée du siége de Dunkerque: elle fut appelée victoire de Watignies, et produisit sur les esprits la plus grande impression.
Les coalisés se trouvaient ainsi concentrés entre l'Escaut et la Sambre. Le comité de salut public voulut aussitôt tirer parti de la victoire de Watignies, du découragement qu'elle avait jeté chez l'ennemi, de l'énergie qu'elle avait rendue à notre armée, et résolut de tenter un dernier effort qui, avant l'hiver, rejetât les coalisés hors du territoire, et les laissât avec le sentiment décourageant d'une campagne entièrement perdue. L'avis de Jourdan et de Carnot était opposé a celui du comité. Ils pensaient que les pluies, déjà très abondantes, le mauvais état des chemins, la fatigue des troupes, étaient des raisons suffisantes d'entrer dans les quartiers d'hiver, et ils conseillaient d'employer la mauvaise saison à discipliner et organiser l'armée. Cependant le comité insista pour qu'on délivrât le territoire, disant que dans cette saison une défaite ne pourrait pas avoir de grands résultats. D'après l'idée nouvellement imaginée d'agir sur les ailes, le comité ordonna de marcher par Maubeuge et Charleroi d'un côté, par Cysaing, Maulde et Tournay de l'autre, et d'envelopper ainsi l'ennemi sur le territoire qu'il avait envahi. L'arrêté fut signé le 22 octobre. Les ordres furent donnés en conséquence; l'armée des Ardennes dut se joindre à Jourdan; les garnisons des places fortes durent en sortir, et être remplacées par les nouvelles réquisitions.
La guerre de la Vendée venait d'être reprise avec une nouvelle activité. On a vu que Canclaux s'était replié sur Nantes, et que les colonnes de la Haute-Vendée étaient rentrées à Angers et à Saumur. Avant que les nouveaux décrets qui confondaient les deux armées de la Rochelle et de Brest en une seule, et en conféraient le commandement au général Léchelle, fussent connus, Canclaux prépara un nouveau mouvement offensif. La garnison de Mayence était déjà réduite, par la guerre et les maladies, à neuf ou dix mille hommes. La division de Brest, battue sous Beysser, était presque désorganisée. Canclaux n'en résolut pas moins une marche très-hardie au centre de la Vendée, et en même temps il conjura Rossignol de le seconder avec son armée. Rossignol réunit aussitôt un conseil de guerre à Saumur, le 2 octobre, et fit décider que les colonnes de Saumur, de Thouars et de la Châtaigneraye, se réuniraient le 7 à Bressuire, et marcheraient de là à Châtillon, pour faire concourir leur attaque avec celle de Canclaux. Il prescrivit en même temps aux deux colonnes de Luçon et des Sables de garder la défensive, à cause de leurs derniers revers, et des dangers qui les menaçaient du côté de la Basse-Vendée.
Pendant ce temps, Canclaux s'était avancé le 1er octobre jusqu'à Montaigu, poussant des reconnaissances jusqu'à Saint-Fulgent, pour tâcher de se lier par sa droite avec la colonne de Luçon, dans le cas où elle parviendrait à reprendre l'offensive. Enhardi par le succès de sa marche, il ordonna, le 6, à l'avant-garde, toujours commandée par Kléber, de se porter à Tiffauges. Quatre mille Mayençais rencontrèrent l'armée de d'Elbée et de Bonchamps à Saint-Simphorien, la mirent en déroute après un combat sanglant, et la repoussèrent fort loin. Dans la soirée même, arriva le décret qui destituait Canclaux, Aubert-Dubayet et Grouchy. Le mécontentement fut très-grand dans la colonne de Mayence, et Philippeaux, Gillet, Merlin et Rewbell, qui voyaient l'armée privée d'un excellent général au moment où elle était exposée au centre de la Vendée, en furent indignés. C'était sans doute une excellente mesure que de réunir le commandement de l'Ouest sur une seule tête, mais il fallait choisir un autre individu pour en supporter le fardeau. Léchelle était ignorant et lâche, dit Kléber dans ses mémoires, et ne se montra jamais une seule fois au feu. Simple officier dans l'armée de La Rochelle, on l'avança subitement, comme Rossignol, à cause de sa réputation de patriotisme, mais on ignorait que n'ayant ni l'esprit naturel de Rossignol, ni sa bravoure, il était aussi mauvais soldat que mauvais général. En attendant son arrivée, Kléber eut le commandement. On resta dans les mêmes positions entre Montaigu et Tiffauges.
Léchelle arriva enfin le 8 octobre, et on tint un conseil de guerre en sa présence. On venait d'apprendre la marche des colonnes de Saumur, de Thouars et de la Châtaigneraye, sur Bressuire: il fut convenu alors qu'on persisterait à marcher sur Cholet, où l'on se joindrait aux trois colonnes réunies à Bressuire, et en même temps il fut ordonné au reste de la division de Luçon de s'avancer vers le rendez-vous général. Léchelle ne comprit rien aux raisonnemens des généraux, et approuva tout en disant: Il faut marcher majestueusement et en masse. Kléber replia sa carte avec mépris. Merlin dit qu'on avait choisi le plus ignorant des hommes pour l'envoyer à l'armée la plus compromise. Dès ce moment, Kléber fut chargé, par les représentans, de diriger seul les opérations, en se bornant, pour la forme, à en rendre compte à Léchelle. Celui-ci profita de cet arrangement pour se tenir à une grande distance du champ de bataille. Éloigné du danger, il haïssait les braves qui se battaient pour lui, mais du moins il les laissait se battre, quand et comme il leur plaisait.
Dans ce moment, Charette, voyant les dangers qui menaçaient les chefs de la Haute-Vendée, se sépara d'eux, prétextant de fausses raisons de mécontentement, et il se rejeta sur la côte, avec le projet de s'emparer de l'île de Noirmoutiers. Il s'en rendit maître en effet, le 12, par une surprise et par la trahison du chef qui y commandait. Il était ainsi assuré de sauver sa division, et d'entrer en communication avec les Anglais; mais il laissait le parti de la Haute-Vendée exposé à une destruction presque inévitable. Dans l'intérêt de la cause commune, il avait bien mieux à faire: il pouvait attaquer la colonne de Mayence sur les derrières, et peut-être la détruire. Les chefs de la grande armée lui envoyèrent lettres sur lettres pour l'y engager; mais ils n'en reçurent jamais aucune réponse.
Ces malheureux chefs de la Haute-Vendée étaient pressés de tous côtés. Les colonnes républicaines qui devaient se réunir à Bressuire s'y trouvaient à l'époque fixée, et elles s'étaient acheminées le 9 de Bressuire sur Châtillon. Sur la route, elles rencontrèrent l'armée de M. de Lescure, et la mirent en désordre. Westermann, réintégré dans son commandement, était toujours à l'avant-garde, à la têtes de quelques cents hommes. Il entra le premier dans Châtillon le 9 au soir. L'armée entière y pénétra le lendemain 10. Pendant ce mouvement, Lescure et Larochejacquelein avaient appelé à leur secours la grande armée, qui n'était pas loin d'eux; car, déjà très resserrés au centre de ce pays, ils combattaient à peu de distance les uns des autres. Tous les généraux réunis résolurent de se porter sur Châtillon. Ils se mirent en marche le 11. Westermann s'avançait déjà de Châtillon sur Mortagne, avec cinq cents hommes d'avant-garde. D'abord il ne crut pas avoir affaire à toute une armée, et ne demanda pas de grands secours à son général. Mais enveloppé tout à coup, il fut obligé de se replier rapidement, et rentra dans Châtillon avec sa troupe. Le désordre se mit alors dans la ville, et l'armée républicaine l'abandonna précipitamment. Westermann se réunissant au général en chef Chalbos, et groupant autour de lui quelques braves, arrêta la fuite, et se reporta même assez près de Châtillon. A l'entrée de la nuit, il dit à quelques-uns de ses soldats qui avaient fui: «Vous avez perdu votre honneur aujourd'hui, il faut le recouvrer.» Il prend aussitôt cent cavaliers, fait monter cent grenadiers en croupe, et la nuit, tandis que les Vendéens confondus dans Châtillon sont endormis ou pris de vin, il a l'audace d'y entrer, et de se jeter au milieu de toute une armée. Le désordre fut au comble, et le carnage effroyable. Les Vendéens, ne se reconnaissant pas, se battaient entre eux, et, au milieu d'une horrible confusion, femmes, enfans, vieillards, étaient égorgés. Westermann sortit à la pointe du jour avec les trente ou quarante soldats qui lui restaient, et alla rejoindre, à une lieue de la ville, le gros de l'armée. Le 12, un spectacle affreux vint frapper les Vendéens, ils sortirent eux-mêmes de Châtillon, inondé de sang et dévoré des flammes, et se portèrent du côté de Cholet où marchaient les Mayençais. Chalbos, après avoir rétabli l'ordre dans sa division, rentra le surlendemain 14 dans Châtillon, et se disposa à se porter de nouveau en avant, pour faire sa jonction avec l'armée de Nantes.
Tous les chefs vendéens, d'Elbée, Bonchamps, Lescure, La Rochejaquelein, étaient réunis avec leurs forces aux environs de Cholet. Les Mayençais, qui s'étaient mis en marche le 14, s'en approchaient; la colonne de Châtillon n'en était plus qu'à peu de distance; et la division de Luçon, qu'on avait mandée, s'avançait aussi, et devait venir se placer entre les colonnes de Mayence et de Châtillon. On touchait donc au moment de la jonction générale. Le 15, l'armée de Mayence marchait en deux masses vers Mortagne, qui venait d'être évacué. Kléber, avec le corps de bataille, formait la gauche, et Beaupuy, la droite. Au même moment, la colonne de Luçon arrivait vers Mortagne, espérant trouver un bataillon de direction que Léchelle aurait dû faire placer sur sa route. Mais ce général, qui ne faisait rien, ne s'était pas même acquitté de ce soin accessoire. La colonne est aussitôt surprise par Lescure, et se trouve assaillie de tous côtés. Heureusement Beaupuy, qui était près d'elle par sa position vers Mortagne, accourt à son secours, et parvient à la dégager. Les Vendéens sont repoussés. Le malheureux Lescure reçoit une balle au-dessus du sourcil, et tombe dans les bras de ses soldats, qui l'emportent et prennent la fuite. La colonne de Luçon se réunit alors à celle de Beaupuy. Le jeune Marceau venait d'en prendre le commandement. A la gauche, et dans le même moment, Kléber soutenait un combat vers Saint-Christophe, et repoussait l'ennemi. Le 15 au soir, toutes les troupes républicaines bivouaquaient dans les champs devant Cholet, où les Vendéens s'étaient retirés. La division de Luçon était d'environ trois mille hommes, ce qui, avec la colonne de Mayence, faisait à peu près douze ou treize mille.
Le lendemain matin 16, les Vendéens, après quelques coups de canon, évacuèrent Cholet, et se replièrent sur Beaupréau. Kléber y entra aussitôt, et, défendant le pillage sous peine de mort, y fit observer le plus grand ordre. La colonne de Luçon fit de même à Mortagne. Ainsi tous les historiens qui ont dit qu'on brûla Cholet et Mortagne ont commis une erreur ou avancé un mensonge.
Kléber fit aussitôt toutes ses dispositions, car Léchelle était à deux lieues en arrière. La rivière de Moine passe devant Cholet; au-delà, se trouve un terrain montueux, inégal, formant un demi-cercle de hauteurs. A gauche de ce demi-cercle, se trouve le bois de Cholet; au centre de Cholet même, et à droite, un château élevé, Kléber plaça Beaupuy, avec l'avant-garde, en avant du bois; Haxo, avec la réserve des Mayençais, derrière l'avant-garde, et de manière à la soutenir; il rangea la colonne de Luçon, commandée par Marceau, au centre, et Vimeux, avec le reste des Mayençais, à la droite, sur les hauteurs. La colonne de Châtillon arriva dans la nuit du 16 au 17. Elle était à peu près de neuf ou dix mille hommes, ce qui portait les forces totales des républicains à vingt-deux mille environ. Le 17, au matin, on tint conseil. Kléber n'aimait pas sa position en avant de Cholet, parce qu'elle n'avait qu'une retraite, le pont de la rivière de Moine aboutissant à la ville. Il voulait qu'on marchât en avant pour tourner Beaupréau, et couper les Vendéens de la Loire. Les représentans combattirent son avis, parce que la colonne venue de Châtillon avait besoin d'un jour de repos.
Pendant ce temps, les chefs vendéens délibéraient à Beaupréau, au milieu d'une horrible confusion. Les paysans traînaient avec eux leurs femmes, leurs enfans, leurs bestiaux, et formaient une émigration de plus de cent mille individus. La Rochejaquelein, d'Elbée, auraient voulu qu'on se fît tuer sur la rive gauche; mais Talmont, d'Autichamp, qui avaient une grande influence en Bretagne, désiraient impatiemment qu'on se transportât sur la rive droite. Bonchamps, qui voyait, dans une excursion vers les côtes du Nord, une grande entreprise, et qui avait, dit-on, un projet lié avec l'Angleterre, opinait pour passer la Loire. Cependant il était assez d'avis de tenter un dernier effort, et d'essayer une grande bataille devant Cholet. Avant d'engager le combat, il fit envoyer un détachement de quatre mille hommes à Varades, pour s'assurer un passage sur la Loire en cas de défaite.
La bataille était résolue. Les Vendéens s'avancèrent, au nombre de quarante mille hommes, sur Cholet, le 15 octobre, à une heure après midi. Les généraux républicains ne s'attendaient pas à être attaqués, et venaient d'ordonner un jour de repos. Les Vendéens s'étaient formés en trois colonnes: l'une dirigée sur la gauche, où étaient Beaupuy et Haxo; l'autre sur le centre, commandé par Marceau; la troisième sur la droite, confiée à Vimeux. Les Vendéens marchaient en ligne et en rang, comme des troupes régulières. Tous les chefs blessés qui pouvaient supporter le cheval étaient au milieu de leurs paysans, et les soutenaient en ce jour qui devait décider de leur existence et de la possession de leurs foyers. Entre Beaupréau et la Loire, dans chaque commune qui leur restait, on célébrait la messe, et on invoquait le ciel pour cette cause si malheureuse et si menacée.
Les Vendéens s'ébranlent, et joignent l'avant-garde de Beaupuy, placée, comme nous l'avons dit, dans une plaine en avant du bois de Cholet. Une partie d'entre eux s'avance en masse serrée, et charge à la manière des troupes de ligne; les autres s'éparpillent en tirailleurs pour tourner l'avant-garde, et même l'aile gauche, en pénétrant dans les bois de Cholet. Les républicains accablés sont forcés de plier; Beaupuy a deux chevaux tués sous lui; il tombe embarrassé par son éperon, et allait être pris, lorsqu'il se jette derrière un caisson, se saisit d'un troisième cheval, et va rejoindre sa colonne. Dans ce moment Kléber accourt vers l'aile menacée; il ordonne au centre et à la droite de ne pas se dégarnir, et mande à Chalbos de faire sortir de Cholet une de ses colonnes pour venir au secours de la gauche. Lui-même se place auprès d'Haxo, rétablit la confiance dans ses bataillons, et ramène au feu ceux qui avaient plié sous le grand nombre. Les Vendéens sont repoussés à leur tour, reviennent avec acharnement, et sont repoussés encore. Pendant ce temps, le combat s'engage au centre et à la droite avec la même fureur. A la droite, Vimeux est si bien placé, que tous les efforts de l'ennemi demeurent impuissans.
Au centre, cependant, les Vendéens s'avancent avec plus d'avantage qu'aux deux ailes, et pénètrent dans l'enfoncement où se trouve le jeune Marceau. Kléber y accourt pour soutenir la colonne de Luçon, et, à l'instant même, une des divisions de Chalbos, qu'il avait demandée, sort de Cholet, au nombre de quatre mille hommes. Ce renfort était d'une grande importance dans ce moment; mais, à la vue de cette plaine en feu, cette division mal organisée, comme toutes celles de l'armée de La Rochelle, se débande et rentre en désordre dans Cholet. Kléber et Marceau restent au centre avec la seule colonne de Luçon. Le jeune Marceau, qui la commande, ne s'intimide pas; il laisse approcher l'ennemi à une portée de fusil, puis tout à coup démasque son artillerie, et, de son feu imprévu, arrête et accable les Vendéens. Ceux-ci résistent d'abord; ils se rallient, se serrent sous une pluie de mitraille; mais bientôt ils cèdent et fuient en désordre. Dans ce moment, leur déroute est générale au centre, à la droite et à la gauche; Beaupuy, avec son avant-garde ralliée, les poursuit à toute outrance.
Les colonnes de Mayence et de Luçon étaient les seules qui eussent pris part à la bataille. Ainsi treize mille hommes en avaient battu quarante mille. De part et d'autre, on avait déployé la plus grande valeur; mais la régularité et la discipline décidèrent l'avantage en faveur des républicains. Marceau, Beaupuy, Merlin, qui pointait lui-même les pièces, avaient déployé le plus grand héroïsme; Kléber avait montré son coup d'oeil et sa vigueur accoutumés sur le champ de bataille. Du côté des Vendéens, d'Elbée, Bonchamps, après avoir fait des prodiges, avaient été blessés à mort; La Rochejaquelein restait seul de tous les chefs, et il n'avait rien oublié pour partager leurs glorieuses blessures. Le combat avait duré depuis deux heures jusqu'à six.
L'obscurité régnait déjà de toutes parts; les Vendéens fuyaient en toute hâte, jetant leurs sabots sur les routes. Beaupuy les suivait à perte d'haleine. A Beaupuy s'était joint Westermann, qui, ne voulant pas partager l'inaction des troupes de Chalbos, avait pris un corps de cavalerie, et courait, à bride abattue, sur les fuyards. Après avoir poursuivi l'ennemi fort long-temps, Beaupuy et Westermann s'arrêtent, et songent à faire reposer leurs troupes. Cependant, disent-ils, nous trouverons plutôt du pain à Beaupréau qu'à Cholet, et ils osent marcher sur Beaupréau, où l'on supposait que les Vendéens s'étaient retirés en masse. Mais la fuite avait été si rapide, qu'une partie se trouvait déjà à Saint-Florent, sur les bords de la Loire. Le reste, à l'approche des républicains, évacue Beaupréau en désordre, et leur cède ce poste où ils auraient pu se défendre.
Le lendemain matin, 18, l'armée entière marche de Cholet vers Beaupréau. Les avant-gardes de Beaupuy, placées sur la route de Saint-Florent, voient un grand nombre d'individus accourir en criant: Vive la république, vive Bonchamps! On les interroge, et ils répondent en proclamant Bonchamps comme leur libérateur. En effet, ce jeune héros, étendu sur un matelas, et près d'expirer d'un coup de feu dans le bas-ventre, avait demandé et obtenu la grâce de quatre mille prisonniers que les Vendéens traînaient à leur suite, et qu'ils voulaient fusiller; les prisonniers rejoignaient l'armée républicaine.
Dans ce moment, quatre-vingt mille individus, femmes, enfans, vieillards, hommes armés, étaient au bord de la Loire, avec les débris de ce qu'ils possédaient, et se disputaient une vingtaine de barques pour passer à l'autre bord. Le conseil supérieur, composé des chefs qui étaient capables encore d'opiner, délibérait s'il fallait se séparer ou porter la guerre en Bretagne. Quelques-uns auraient voulu qu'on se dispersât dans la Vendée, et qu'on s'y cachât en attendant des temps meilleurs: La Rochejaquelein était du nombre, et il conseillait de se faire tuer sur la rive gauche plutôt que de passer sur la rive droite. Cependant l'avis contraire prévalut, et on se décida à rester réunis et à passer outre. Mais Bonchamps venait d'expirer, et personne n'était capable d'accomplir les projets qu'il avait formés sur la Bretagne. D'Elbée, mourant, était envoyé à Noirmoutiers; Lescure, blessé à mort, était transporté sur un brancard. Quatre-vingt mille individus quittaient leurs champs, allaient porter le ravage dans les champs voisins, et y chercher l'extermination, pour quel but, grand Dieu! pour une cause absurde et de toutes parts délaissée ou hypocritement défendue! Tandis que ces infortunés s'exposaient généreusement à tant de maux, la coalition songeait à peine à eux, les émigrés intriguaient dans les cours, quelques-uns seulement se battaient bravement sur le Rhin, mais dans les rangs des étrangers; et personne encore n'avait songé à envoyer ni un soldat ni un écu à cette malheureuse Vendée, déjà signalée par vingt combats héroïques, et aujourd'hui vaincue, fugitive et désolée.
Les généraux républicains se réunirent à Beaupréau, et là on résolut de se diviser, et de se rendre partie à Nantes et partie à Angers, pour empêcher un coup de main sur ces deux places. L'avis des représentans, non partagé pourtant par Kléber, fut que la Vendée était détruite. La Vendée n'est plus, écrivirent-ils à la convention. On avait donné jusqu'au 20 octobre à l'armée pour en finir, et elle avait terminé le 18. L'armée du Nord avait, le même jour, gagné la bataille de Watignies, et avait terminé la campagne en débloquant Maubeuge. Ainsi, de toutes parts, la convention semblait n'avoir qu'à décréter la victoire pour l'assurer. L'enthousiasme fut au comble à Paris et dans toute la France, et on commença à croire qu'avant la fin de la saison la république serait victorieuse de tous les trônes conjurés contre elle.
Un seul événement pouvait troubler cette joie, c'était la perte des lignes de Wissembourg sur le Rhin, qui avaient été forcées le 13 et le 15 octobre. Après l'échec de Pirmasens, nous avons laissé les Prussiens et les Autrichiens en présence des lignes de la Sarre et de la Lauter, et menaçant à chaque instant de les envahir. Les Prussiens, ayant inquiété les Français sur les bords de la Sarre, les obligèrent à se replier. Le corps des Vosges, rejeté au-delà d'Hornbach, se retira fort en arrière à Bitche, dans le centre des montagnes; l'armée de la Moselle, repoussée jusqu'à Sarreguemines, fut séparée du corps des Vosges et de l'armée du Rhin. Dans cette position, il devenait facile aux Prussiens, qui avaient, sur le revers occidental, dépassé la ligne commune de la Sarre et de la Lauter, de tourner les lignes de Wissembourg par leur extrême gauche. Alors ces lignes devaient tomber nécessairement. C'est ce qui arriva le 13 octobre. La Prusse et l'Autriche, que nous avons vues en désaccord, s'étaient enfin entendues, le roi de Prusse s'était rendu en Pologne, et avait laissé le commandement à Brunswick, avec ordre de se concerter avec Wurmser. Du 13 au 14 octobre, tandis que les Prussiens marchaient le long de la ligne des Vosges jusqu'à Bitche, bien au-delà de la hauteur de Wissembourg, Wurmser devait attaquer les lignes de la Lauter sur sept colonnes. La première, sous le prince de Waldeck, chargée de passer le Rhin à Seltz, et de tourner Lauterbourg, rencontra, dans la nature des lieux et le courage d'un demi-bataillon des Pyrénées, des obstacles invincibles; la seconde, bien qu'elle eût passé les lignes au-dessus de Lauterbourg, fut repoussée; les autres, après avoir obtenu au-dessus et autour de Wissembourg des avantages balancés par la résistance vigoureuse des Français, s'emparèrent cependant de Wissembourg. Nos troupes se retirèrent sur le poste du Geisberg, placé un peu en arrière de Wissembourg, et beaucoup plus difficile à emporter. On ne pouvait pas regarder encore les lignes de Wissembourg comme tout à fait perdues; mais la nouvelle de la marche des Prussiens sur le revers occidental, obligea le général français à se replier sur Hagueneau et sur les lignes de la Lauter, et à céder ainsi une partie du territoire aux coalisés. Sur ce point, la frontière était donc envahie; mais les succès du Nord et de la Vendée couvrirent l'effet de cette mauvaise nouvelle. On envoya Saint-Just et Lebas en Alsace, pour contenir les mouvemens que la noblesse alsacienne et les émigrés excitaient à Strasbourg. On dirigea de ce côté des levées nombreuses, et on se consola par la résolution de vaincre sur ce point comme sur tous les autres.
Les craintes affreuses qu'on avait conçues dans le mois d'août, avant les victoires d'Hondschoote et de Watignies, avant la prise de Lyon et la retraite des Piémontais au-delà des Alpes, avant les succès de la Vendée, étaient dissipées. On voyait, dans ce moment, la frontière du Nord, la plus importante et la plus menacée, délivrée de l'ennemi, Lyon rendu à la république, la Vendée soumise, toute rébellion étouffée dans l'intérieur jusqu'à la frontière d'Italie, où la place de Toulon résistait encore, il est vrai, mais résistait seule. Encore un succès aux Pyrénées, à Toulon, au Rhin, et la république était complètement victorieuse; et ce triple succès ne semblait pas plus difficile à obtenir que les autres. Sans doute, la tâche n'était pas finie, mais elle pouvait l'être bientôt, en continuant les mêmes efforts et les mêmes moyens: on n'était pas encore entièrement rassuré, mais on ne se croyait plus en danger de mort prochaine.
NOTES:
Décret du 18e jour du 1er mois de l'an IIe de la République.