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Insurrections et guerre des barricades dans les grandes villes: par le général de brigade Roguet

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The Project Gutenberg eBook of Insurrections et guerre des barricades dans les grandes villes

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Title: Insurrections et guerre des barricades dans les grandes villes

Author: comte Christophe-Michel Roguet

Release date: August 12, 2011 [eBook #37053]

Language: French

Credits: Produced by Mireille Harmelin, Eric Vautier and the Online Distributed Proofreaders Europe at http://dp.rastko.net. This file was produced from images generously made available by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica)

*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK INSURRECTIONS ET GUERRE DES BARRICADES DANS LES GRANDES VILLES ***

Produced by Mireille Harmelin, Eric Vautier and the Online

Distributed Proofreaders Europe at http://dp.rastko.net. This file was produced from images generously made available by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica).

INSURRECTIONS ET GUERRE DES BARRICADES DANS LES GRANDES VILLES

PAR
LE GÉNÉRAL DE BRIGADE ROGUET.

Quand un prince d'une ville est chassé de sa ville, le procès est fini; s'il a plusieurs villes, le procès n'est que commencé.

(Esprit des lois, liv. VIII, chap. 16.)

À la guerre, les circonstances morales exercent la plus grande influence sur les événements: elles sont tout dans une guerre civile.

PARIS,

LIBRAIRIE MILITAIRE DE J. DUMAINE.

1850

TABLE DES MATIÈRES.

CHAPITRE Ier.—HISTORIQUE.

§ 1er.—Temps anciens et moyen-âge.

Temps anciens et derniers Carlovingiens.

Républiques italiennes du moyen-âge.

Guerre civile de 33 ans dans Florence, 1215.

Émeute de Venise, 1310.

Bourgeoisie des communes.

Révolte de Bruges, 1302.

Émeute de Paris, 1306.

Révolte des Pastoureaux, 1320.

§ 2.—Valois.

Révolte du prévôt des marchands Marcel, 1358.

Émeute de Londres, 1381.

Id. de Paris, 1382.

Les rois de Paris et de Bourges, 1420.

Révolte de Gênes, 1461.

Id. de Bruges, 1488.

Id. de Naples, 1547.

Id. de Bordeaux, 1548.

Émeute de Toulouse, 1562.

Journée des barricades à Paris, 1588.

§ 3.—Bourbons.

Guerre de la ligue, 1589.

Fronde, 13 septembre 1647 et 5 janvier 1648.

Fronde, 1649.

Dispositions de sûreté contre la population d'Utreck, 1672.

Lutte dans Crémone, 1702.

§ 4.—Révolution, Empire, Restauration.

Émeute de Varsovie, 1794.

Journée de vendémiaire, 1795.

Émeute de Madrid du 2 mai, 1808.

Journée de juillet, 1830.

§ 5.—Depuis 1830.

Révolution de Bruxelles, 1830.

Émeute de Lyon, 1831.

Émeutes des 5 et 6 juin 1832 et suivante, jusqu'à 1839.

Émeute de Clermont-Ferrand, 1841.

Révolution de février, 1848.

Émeute du 23 juin, 1848.

Émeute du 13 juin, 1849.

Problème désormais important, non pour la France, mais pour l'Europe.

CHAPITRE II.—DIFFÉRENTS PARTIS À PRENDRE.

§ Ier.—Réprimer la révolte dans toute la ville.

§ 2.—Occuper un grand quartier militaire.

Avantages de ce parti.

Choix du quartier militaire et des positions extérieures.

§ 3.—Occuper une position contiguë.

Cas où il faut prendre ce parti.

Opinion de quelques hommes d'état.

Opinion de quelques militaires.

Opinion probable de Napoléon.

§ 4.—Position extérieure de ralliement.

Cas où il faut la prendre.

Dispositions permanentes nécessaires pour ce cas.

Campagnes de Henri IV contre la ligue, de 1590 à 1596.

Campagne de Turenne, en 1652.

Ce qu'on aurait peut-être pu faire, le 24 février 1848.

§ 5.—Éloignement de la capitale.

Il y a deux partis également dangereux.

Projet de retraite formé par la Cour, le 5 juillet 1652, à Saint Denis.

Projet de défense de Louis XVIII, dans le département du Nord, en 1815.

CHAPITRE III.—PRINCIPES FONDAMENTAUX.

§ 1er.—Principes généraux.

Emploi de la force année dans les troubles civils.

Conservation de l'élément du combat.

Commandement en chef.

Légions de gardes nationales, mairies, commandements militaires et casernements ont les mêmes circonscriptions.

Pronostics et commencements de l'émeute.

§ 2.—Principes particuliers.

Conséquence de l'élévation des barricades relativement à la répression.

Ce qu'il faut de force dans chaque circonstance.

Force et composition des colonnes actives.

Comment la troupe doit être employée.

Principes généraux sur les détachements, établissement sur les positions de combat.

Données diverses.

§ 3.—Moyens matériels nécessaires.

Opinion du chevalier de Ville.

Émeute de Toulouse, du 11 au 17 mai 1562.

Journée du faubourg Saint-Antoine, le 2 juillet 1652.—Opinion de
Turenne.

Services administratifs, approvisionnements de vivres et de combat.

Matériel nécessaire.

Sage maxime du chancelier de l'Hôpital.

CHAPITRE IV.—MESURES GÉNÉRALES DE DÉFENSE.

§ 1er.—Dispositions permanentes.

Garde nationale.

Troupe de ligne, ses positions de casernement et de combat.

Militaires sans troupe ou de passage.

Système de mairies et casernes-magasins juxta-posées.

§ 2.—Divisions et subdivisions militaires.

Quartier général central.

Quartiers généraux divisionnaires et quartier militaire.

Subdivisions intrà muros et positions accessoires.

Subdivisions extrà muros.

Il faut également centraliser la direction générale et multiplier l'action.

Répartition générale des forces.

Donnée diverses.

§ 3.—Observations.

Ce que doit être la direction générale.

Entraves habituelles de la direction militaire.

Se mettre en rapport avec tous.

Il faut pouvoir toujours modifier le plan adopté.

Epreuve pour les pouvoirs.

§ 4.—Applications.

1° Ville de 10,000 âmes.

2° de 50,000 âmes.

3° de 80,000 âmes.

4° d'un million d'âmes.

CHAPITRE V.—DISPOSITIONS DE DÉTAIL.

§ 1er.—Etablissement sur les positions de combat.

Marche et établissement de la troupe, ralliement de la garde nationale.

Etablissement de chaque bataillon.

Réseaux de bataillons.

Positions avancées ou extérieures.

Approvisionnements de chaque détachement.

§ 2.—Opérations ultérieures.

Marcher de 2 à 3 centres d'action au foyer de l'insurrection.

Émeute dans une grande rue, dans un quartier rétréci, au delà de défilés.

Avancer dans une rue occupée.

Positions successives à prendre.

§ 3.—Marche plus régulière.

Forcer une enceinte de positions et s'établir au delà.

Déboucher sur une place.

Attaque des barricades.

Cheminer, dans les longues rues, de maisons en maisons.

Réduit de l'insurrection.

CHAPITRE VI.—CAS PARTICULIERS.

§ 1er.—Divers cas d'émeute.

Suivant l'état moral et politique.

— l'esprit des populations au dedans et au dehors.

—la force publique.

—la nature de la ville.

—la résidence du chef de l'État au moment de l'émeute.

§ 2.—Émeute à l'occasion des grains ou des impôts.

Etablissement de la troupe dans les cantonnements.

Service de la troupe pour la police des marchés.

Règles de conduite légale.

Principes militaires.

Recouvrement des impôts.

§ 3.—Révoltes des populations ennemies contre leurs garnisons.

La bonne politique et la vigilance administrative préviennent souvent les révoltes.

Maréchal Suchet en Aragon.

Napoléon en Italie.

Autres menées de l'anarchie.

Etablissement judicieux des troupes.

Direction générale des attaques en cas de révolte.

Importance de l'artillerie.

Parallèles successives.

Détail des cheminements.

Attaque des maisons.

Supériorité incontestable des armées.

CHAPITRE VII.—RÉCAPITULATION.

§ 1er.—Dispositions permanentes.

Concentration des principaux moyens d'action dans un quartier militaire.

Plan de défense.

Armées européennes.

Communications, obstacles.

Pénalité spéciale.

Police spéciale.

Limites imposées aux industries de même nature, dans chaque localité.

Agents de sûreté.

§ 2.—Dispositions pendant l'émeute.

Signe d'ordre, arrestations.

Surveillance pour la circulation, les cabarets, armuriers, pharmaciens et maisons.

Devoirs et responsabilité des chefs d'établissements industriels.

Rapports fréquents avec les populations.

Commissaires généraux éventuels; état de siége.

§ 3.—Causes générales d'anarchie.

Grands talents déréglés.

Excès de la centralisation.

Il vaut mieux la guerre entre nations qu'entre classes.

Une nation anarchique est le jouet de ses rivales.

La concorde et le respect du pouvoir peuvent seuls sauver.

Conclusion.

AVANT-PROPOS.

Le sujet de ce livre est la répression des émeutes dans les grandes capitales de l'Europe.

Une table analytique fait connaître la nature, l'ordre et la division des matières traitées.

Il n'y a point d'officier, en Europe, qui n'ait eu l'occasion d'étudier et même de pratiquer plusieurs fois, sur une échelle plus ou moins restreinte, ce triste genre de guerre: ce que tous ont fait ou vu, chacun a pu le méditer et en composer une théorie.

On ne dira, dans ce livre, rien de particulier à la France, quant aux mesures à prendre; non que cela eût offert quelqu'inconvénient: mais c'eût été inutile et en dehors du sujet exclusivement européen que nous nous proposions de traiter: tout projet, à l'égard de Paris, serait au-dessous des mesures actuellement prises dans cette capitale; toute préoccupation paraîtrait plus qu'exagérée, vu la surabondance et la solidité des moyens de répression; d'ailleurs, nous trouvons, à l'abri d'un pouvoir sage, la solution des difficultés actuelles: et la France, désormais fatiguée de révolutions, n'aspire qu'au repos.

La question se présente bien autrement générale et importante: une de ces périodes de bonheur, rarement accordées à l'humanité, va peut-être finir; et le monde paraît vouloir rentrer dans cet état normal d'excès qui assombrit l'histoire de siècles entiers.

Sur quelques points, il se livre une lutte désespérée à l'anarchie.

Des nationalités et des gouvernements européens sont plus ou moins en péril: peu de pays pourront rester tranquilles, tant qu'on n'y aura pas vu les drames les plus sanglants: trop de ruines ou d'anxiétés n'éclaireront peut-être pas: c'est exclusivement, en vue de ces déplorables parodies, que le lugubre problème de ce livre doit offrir quelque intérêt.

Si, par exception, on parlera quelquefois de la France, ce sera pour citer son passé, pour rappeler les redoutables écueils qu'elle a plus ou moins heureusement évités; ou pour mieux constater, à l'aide d'un pays plus connu de nous, mais désormais moins intéressé dans la question, la facile application des mesures proposées.

Aucun des principes de ce livre n'est absolu ou indispensable, aucun ne peut convenir à tous les cas et dans sa généralité: mais il pourra être avantageux de les appliquer le mieux possible, dans un grand nombre de circonstances, avec les modifications que celles-ci rendent toujours nécessaires; modifications qu'il serait également difficile de prévoir et d'énumérer.

Il est peu de préceptes théoriques qui, dans un cas donné, ne deviennent plus ou moins utiles; qu'on ne s'étonne pas de leur nombre, de leur généralité absolue, de la puissance des moyens représentés: il fallait tenir compte de la diversité infinie des situations possibles; il fallait surtout avoir constamment en vue l'émeute la plus sérieuse, l'attaque la plus formidable contre la société, celle qui aurait d'autres chances de succès qu'une surprise ou un malentendu.

Heureuse la répression toutes les fois qu'elle pourra modérer la rigueur de ses moyens vis-à-vis d'une révolte moins redoutable.

La théorie n'indique que les axes des directions les plus générales, et à côté desquelles, presque toujours, le praticien doit savoir marcher ainsi que le veulent les circonstances: à mesure qu'elle descend aux détails, ses indications deviennent plus vagues, plus rares, moins complètes: elle ne donne même alors, quelquefois, que des moyennes grossières, utiles pour fixer les idées, un moment, non pour servir, en quoique ce soit, dans l'action.

Un chef utilise d'autant mieux les règles de l'art, qu'il possède à un degré plus éminent le jugement et l'énergie: ces deux qualités innées, exclusivement constitutives de l'homme d'action, échapperont toujours à toute théorie.

La science militaire peut néanmoins rappeler, avec utilité, d'habiles dispositions tant de fois recommandées, à des époques ou dans des pays divers, et par le succès, et par les hommes éminents qui les ont prises.

Ces dispositions convenablement imitées rendraient, dans le plus grand nombre de cas, toute tentative de lutte impossible à l'anarchie; elles préserveraient l'humanité de calamités publiques et privées également irréparables: à ce titre, elles doivent vivement intéresser les hommes de bien.

Telle est désormais la noble et difficile tâche de quelques armées étrangères: car, on l'a dit, longtemps encore, gouverner les sociétés ce sera monter la garde et la faction; car la vie et l'activité des empires, la richesse, le bonheur des peuples, les labeurs de l'artisan, la petite et si respectable aisance des classes pauvres, l'existence même des nationalités deviendraient impossibles, au milieu des scènes sanglantes, des terreurs ou des excès journaliers; et alors que chaque famille pourrait, à tous moments, se dire avec une douloureuse anxiété:

_Pauperis et tuguri congestum cespite culmen, Post aliquot, mea regna, videns mirabor aristas?

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

     Barbarus has segetes! en quo discordia cives
     Perduxit miseros! en queis consevimus agros!_

Août 1849.

AVENIR DES ARMÉES EUROPÉENNES

ou le

SOLDAT CITOYEN.

CHAPITRE PREMIER.

Historiques.

1. Les luttes qui ont ensanglanté les grandes villes donnent de nombreux enseignements à recueillir; ce tableau rétrospectif sera une première exposition de règles qu'il est utile, vu leur importance, de reproduire plusieurs fois de manières diverses; au besoin, il prémunirait contre des préceptes erronés, excessifs ou incomplets.

La théorie devrait même se composer de principes assez nombreux, assez généraux, assez variés pour convenir au grand nombre de cas qui ont déjà eu lieu, et, s'il était possible, au nombre plus grand de ceux qui peuvent se présenter, surtout à une époque où l'insurrection semble être devenue une maladie européenne: maladie toujours fatale aux nationalités chez lesquelles ne met point fin à l'anarchie, un pouvoir assez absolu pour employer au dehors, dans l'intérêt de leur grandeur et de leur prospérité, l'excédant de forces vives qui les tourmente.

* * * * *

Notre époque n'est pas la première où il soit venu à l'idée du peuple des villes d'élever des barricades, de transformer les places et les principaux édifices en autant de redoutes: mais jamais cette manie n'avait été aussi peu motivée et barbare, aussi fatale aux nationalités.

§ 1er.

TEMPS ANCIENS ET MOYEN ÂGE.

2. Chez les anciens, plusieurs grandes villes, entre autres Thèbes, Syracuse, Rome et plus tard Constantinople, ont été, nonobstant des armes de jet moins puissantes, le théâtre d'émeutes sérieuses.

Le moyen âge offre des enseignements divers et nombreux: nous voyons l'évacuation des capitales ne pas toujours décider immédiatement la chute des dynasties; l'exemple suivant, nonobstant la différence des temps, a encore quelqu'intérêt, quoiqu'il soit difficile d'en tirer aucune conséquence utile pour l'époque actuelle.

Débordés par la féodalité, obligés de reconnaître, après de vaines résistances, l'hérédité des fiefs et offices royaux, de permettre aux seigneurs d'hérisser la France de châteaux, les derniers Carlovingiens luttèrent, de 843 à 991, pour obtenir une ombre de l'autorité que Charlemagne leur avait transmise: partout s'étaient élevés de petits États ayant une existence distincte, des intérêts séparés et une indépendance de fait.

Obligés de donner en fiefs leurs dernières provinces pour s'attacher des hommes vaillants, ils finirent par être réduits au rocher de Laon: ce fut là, mais seulement après soixante années de luttes, qu'expira la royauté Carlovingienne.

Ne possédant que Laon et son territoire, sans autre appui que des alliances dans le midi et l'influence du pape, ils résistèrent de 936 à 987, pendant trois règnes, avec des fortunes très-diverses, aux puissants seigneurs du nord, les ducs de France et de Normandie, le comte de Vermandois, qui n'avaient pas craint de faire hommage à un souverain étranger.

À la mort de Louis V, il ne restait qu'un Carlovingien, Charles, haï des
Français comme vassal germain.

Hugues-Capet fut proclamé roi par l'assemblée de Noyon, composée de ses vassaux et de ceux des ducs de Bourgogne et de Normandie ses proches.

Mais les comtes de Vermandois, de Flandres, de Troyes, de Blois, le duc d'Aquitaine, et presque tout le midi, ne tardent pas à lui opposer Charles.

En 988, celui-ci s'empare de Laon et s'y fait couronner; son oncle, l'archevêque de Rheims, lui livre cette dernière ville.

Hugues commence par isoler Charles de ses alliés, puis il assiége Laon deux fois sans succès: Charles s'empare de Soissons; mais, en 991, l'évêque de Laon ouvre les portes de la ville à Hugues.

Charles, prisonnier, fut enfermé à Orléans où il mourut.

* * * * *

3. L'émeute a ensanglanté les Républiques italiennes du moyen âge; les Guelfes et les Gibelins, ces deux factions qui s'y disputèrent longtemps le pouvoir, avaient leurs maisons fortifiées même à l'intérieur des villes. À chaque émeute, leurs partisans prenaient position autour de ces espèces de citadelles constamment approvisionnées de vivres, d'armes et de munitions; ils attaquaient les postes environnants ou les défendaient, en élevant des barricades, tendant des chaînes préparées à l'avance.

Chaque chef de faction était établi dans un solide bâtiment commandant les communications voisines, ainsi que la barricade, chaîne ou cheval de frise qu'il faisait, au besoin, placer contre, à l'aide d'anneaux fixés aux murs.

En cas d'émeute, les uns défendaient ainsi les places et carrefours, d'autres gardaient les grandes communications, d'autres bloquaient, attaquaient les chefs et les administrations opposées.

Ces combats, souvent renouvelés et pour lesquels, quoique les armes à feu n'aient été en usage que vers le milieu du 14e siècle, on prenait déjà des dispositions qui égalent la science militaire moderne, finissaient ordinairement par l'expulsion et la ruine de l'un des deux partis; ils ont formé la plupart des hommes de guerre de l'Italie; ce beau pays, subissant depuis les conséquences fatales d'un trop funeste genre de gloire, n'a pu encore, après tant de siècles écoulés, reconstituer une nationalité profondément atteinte par ces luttes fratricides. Citons deux exemples entre tant d'autres.

* * * * *

4. En 1215, la guerre civile éclata dans Florence à l'occasion d'une alliance manquée entre deux familles puissantes; des combats fréquents s'engagèrent entre quarante-deux familles Guelfes et vingt-quatre familles Gibelines: chacun éleva des tours et fortifia ses palais; les deux partis demeurèrent ensemble, dans l'enceinte des mêmes murs, pendant trente-trois ans; ils vécurent dans et pour la guerre civile jusqu'à l'expulsion de l'un d'eux par l'étranger.

Cette guerre continue, au sein de Florence, n'eut pas seulement pour effet d'accoutumer la nation aux luttes domestiques: elle imprima aussi un caractère particulier à son architecture, dont la force fait le principal et triste ornement; ce sont d'épaisses murailles embossées, des portes élevées au dessus du sol, de larges anneaux où l'on plaçait les drapeaux et les chaînes; enfin, tout l'appareil lourd et sévère de la guerre civile en permanence, de rue à rue, de maison à maison.

Les familles nobles des deux factions se combattaient fréquemment, soit devant les tours que chaque maison puissante avait élevées, soit dans quatre à cinq places principales, où les nobles de tout un quartier avaient placé des fortifications mobiles appelées serragli; c'étaient des barricades ou chevaux de frises pour barrer, en partie, une rue et se défendre derrière.

Les familles, près du palais desquelles les barricades étaient pratiquées, en conservaient le commandement, et elles se bâtaient de les fermer dès qu'il y avait une émeute: ainsi les Uberti, qui occupaient l'espace où est aujourd'hui le Palais vieux, commandaient la rue qui aboutit par cet endroit à la grande place; les Tedallini défendaient la porte Saint-Pierre; les Cattani la tour du Dôme.

En 1248, l'empereur Frédéric II, moyennant la promesse d'un secours de 1600 chevaux, engagea les Uberti à prendre les armes pour chasser les Guelfes; l'un et l'autre parti courut, avec fureur, à ses barricades accoutumées; les Gibelins, négligeant leurs autres retranchements, se concentrèrent tous à la maison des Uberti et obtinrent aisément la victoire sur les Guelfes d'un seul quartier; ils suivirent ainsi leurs adversaires de barricade en barricade, battant toujours des ennemis non encore réunis.

Tous les Guelfes échappés aux combats précédents se trouvèrent resserrés aux barricades des Guidollolli et des Bagnesi, en face de la porte San-Pier Scheraggio. Pour la première fois, les deux partis entiers furent en présence; pendant qu'ils combattaient, le secours promis par Frédéric arriva par une porte dont les Gibelins étaient les maîtres; les Guelfes soutinrent quelque temps l'effort des Gibelins et de la cavalerie allemande; mais, au bout de quatre jours, la nuit de la Chandeleur, ils se retirèrent tous dans leurs possessions de la campagne où ils se fortifièrent de nouveau. Jusqu'alors l'autorité publique avait cru pouvoir maintenir les deux factions d'une main impartiale. Mais, comme toujours, l'étranger était venu dire son mot décisif.

* * * * *

5. Le 15 juin 1310, dans la soirée, le doge de Venise fut instruit de l'existence d'une conspiration: on lui rapporta qu'il se formait un grand rassemblement chez Boemond Liepalo et un autre devant la maison Quirini; aussitôt il fit réunir son monde, envoya sommer les séditieux de se disperser et fortifia toutes les avenues de la place Saint-Marc.

Pendant ce temps, les conjurés s'étaient rendus maîtres de la chambre des officiers de paix au Rialto et de celle des blés.

Au point du jour, ils marchèrent vers la place; la bataille fut sanglante: mais le doge, qui avait eu plusieurs heures pour se préparer, profita de l'avantage des lieux, avantage grand pour celui qui se défend.

Les rues qui aboutissaient à la place Saint-Marc étaient étroites et tortueuses; la multitude des assaillants y devenait inutile: ils tombaient sans avoir combattu, sous les coups de ceux qui défendaient les barricades, ou qui des maisons lançaient des pierres.

Après une attaque obstinée, les rebelles, découragés par l'inutilité de leurs efforts, se retirèrent vers le pont de Rialto et se fortifièrent dans le quartier de la ville, au delà du canal.

Si le doge les y avait poursuivis, il aurait éprouvé à son tour le même désavantage qui, dans Venise, est le partage des assaillants; mais il traita avec eux, profitant du découragement où ils étaient, par suite du combat de Saint-Marc.

* * * * *

6. À la même époque, nos rois posaient les fondements de leur puissance en protégeant les bourgeois des communes contre les nobles et le clergé.

Il n'est pas de ville de France où cette émancipation n'ait donné lieu à des combats pareils à ceux dont il vient d'être question: mais livrés sur des théâtres moins importants, ils n'ont point toujours été signalés par l'histoire qui, cette fois, aurait pu constater le résultat heureux pour les peuples et pour la civilisation qu'en obtint quelquefois un pouvoir de plus en plus fort. Là se résume la politique intérieure des rois de France, de Louis-le-Gros à saint Louis.

* * * * *

7. Plus tard, lorsque saint Louis n'est plus, que les croisades ont cessé, l'esprit du moyen âge expire avec son plus beau représentant: des faits d'un caractère nouveau, d'épouvantables excès assombrissent la fin de cette période et forment le prélude sanglant du mouvement social du 14e siècle et de la première moitié du 15e, qui, à deux reprises différentes, désolera les Flandres, Paris et les campagnes, l'Angleterre et l'Allemagne.

À la nouvelle du soulèvement des artisans de Bruges et de leurs désordres dans la campagne, en 1302, Jacques de Châtillon entra dans cette cité avec 1500 cavaliers et 2500 sergents à pied français.

Mais les chefs des tisserands et des bouchers introduisirent leurs bandes dans la ville pendant la nuit du 21 mars.

Les corps de métiers prirent les armes en silence, tendirent des chaînes dans les rues pour arrêter la cavalerie: chaque bourgeois s'était chargé de dérober au cavalier logé chez lui sa selle et sa bride; les soldats furent réveillés par le cri: Vive la commune; Mort aux Français. Ils furent attaqués en détail dans les rues et dans l'intérieur des maisons. Le massacre continua pendant trois jours; les prisonniers conduits devant la communauté, y étaient mis à mort: les femmes plus féroces précipitaient les soldats des fenêtres.

1200 cavaliers et 2000 sergents périrent. Jacques de Châtillon, qui n'avait pas su préserver la garnison de telles horreurs, se déroba par une prompte fuite.

* * * * *

8. En 1306, le rétablissement du tarif des monnaies de saint Louis, par la réduction au tiers, exaspéra les Parisiens dont un grand nombre dut, par suite, payer le triple des loyers réellement convenus.

La populace se précipita vers le palais du Temple, où logeait alors Philippe IV, et n'ayant pu lui exposer ses plaintes, résolut de le forcer par la famine, en interceptant toutes les communications du palais.

La foule, informée qu'un riche propriétaire de maisons, nommé Barbet, avait suggéré par intérêt cette ordonnance, quitta le Temple pour se porter à sa maison, près Saint-Martin-des-Champs, et la piller.

Philippe IV profita de ce moment pour réunir et faire agir ses archers: les principaux agitateurs furent arrêtés et exécutés.

Néanmoins, dès le mois d'octobre, le roi modifia ce qu'il y avait de plus criant dans les ordonnances.

* * * * *

9. En 1320, un prêtre et un moine déserteurs des autels entraînèrent, en procession mendiante, les gens des campagnes, sous le nom de pastoureaux.

Une de ces troupes arriva à Paris, délivra les prisonniers de Saint-Martin-des-Champs, força le Châtelet, Saint-Germain-des-Prés, et se retrancha au Pré-aux-Clercs, d'où le gouvernement effrayé la laissa s'échapper.

Cette bande se dirigea sur le Languedoc, qu'elle traversa en juin: 40,000 hommes entrèrent en même temps par différents côtés.

Ces malheureux, dont les magistrats et les prêtres demandaient l'extermination, étaient eux-mêmes animés d'une égale férocité: le massacre des juifs était leur mission; partout ils les livrèrent à d'affreux supplices.

Les juifs du diocèse de Toulouse s'étalent réfugiés, au nombre de 600, dans le château royal de Verdun-sur-Garonne: ils y furent bientôt assiégés, les officiers royaux ne pouvant engager aucun chrétien à prendre leur défense. Les pastoureaux les poursuivent dans la plus haute tour, mettent le feu aux étages inférieurs et les réduisent, avant de s'entregorger, à jeter leurs enfants aux assaillants, dans l'espoir, bientôt trompé, qu'on prendrait pitié de leur innocence.

Le pape, lui-même, effrayé dans Avignon, prononça l'anathème contre ces forcenés; il somma les sénéchaux de Beaucaire et de Carcassonne de résister: les pastoureaux se rejetèrent sur Aigues-Mortes, pour s'y embarquer: ils furent cernés et moissonnés dans ces plaines pestilentielles, faute de vivres et d'abris: ceux qui essayaient de s'échapper étaient exécutés.

Il y a des époques ou l'histoire des nations semble être celle de tous les excès.

§ II.

VALOIS.

10. Le 22 février 1358, pondant la captivité du roi Jean, le prévôt des marchands, Marcel, d'accord avec la municipalité turbulente de Paris, massacre les maréchaux de Champagne et de Normandie aux pieds du dauphin et intimide ce prince.

D'abord, il gouverne Paris au moyen des Trente-Six, presque tous bourgeois ou clercs, la province, par de semblables conseils démagogiques.

Le 14 mars, les États-Généraux et les Trente-Six, las de la commune, limitent son pouvoir et nomment le dauphin régent du royaume.

Ce prince se retire à Meaux; il transfère les États-Généraux de Paris à Compiègne, le 4 mai; une partie des députés refuse de le suivre, l'autre se montre très-ardente pour les réformes: il y eut deux assemblées nationales et deux gouvernements en guerre ouverte.

Marcel s'empare du Louvre, fortifie Paris, prend à sa solde des compagnies de gens de guerre.

Le dauphin, avec 30,000 hommes, intercepte les avenues de la capitale, principalement sur la Seine et la Marne.

Du 21 mai aux première jours du juin, cent mille paysans de Champagne et de Picardie font la guerre il la noblesse; les campagnes rentrent enfin dans l'ordre, mais restent incultes et dépeuplées.

Dès ce moment, les bourgeois de Paris et une partie des États qui siégent dans la capitale travaillent ouvertement à la Restauration; le dauphin reprend le blocus, interrompu par la jacquerie des paysans.

Le 30 juillet, Marcel embarrassé, sans vivres, sans argent, allait livrer Paris au roi de Navarre, et par suite, aux Anglais ses alliés: les royalistes l'assassinent; ils parcourent la ville, excitent le peuple contre cette trahison, arrêtent soixante chefs de la sédition et avertissent le dauphin qui arrive le 2 août avec son armée: les réactions commencèrent, et le pouvoir royal fut bientôt plus absolu qu'avant le mouvement.

* * * * *

11. En 1381, Jean Wiclef, membre de l'université d'Oxford, prêchait les doctrines suivantes:

«Haine du peuple contre les riches.

«Les pauvres affranchis de toutes les puissances terrestres et seuls libres; entre eux, tout est commun, les femmes, l'argent, tous les biens et tous les maux de la terre.

«Tout ce qui est naturel est agréable à Dieu.

«Le vicieux doit être dépouillé; le droit de propriété est fondé sur la grâce, et les pécheurs ne peuvent réclamer aucun service des autres.

«Le peuple peut corriger à discrétion le souverain qui pèche.

«Les distinctions sociales ne sont que des tyrannies.»

Un prétexte rassemble, à Blackbeath, 60,000 paysans excités par ces doctrines; ils se portent sur Londres en chantant:

«Quand Adam labourait et Ève filait, qui était alors gentilhomme? Nous sommes tous égaux; plus de prélats, plus de seigneurs.»

Le bas peuple de Londres se déclara pour eux: les bourgeois n'osèrent pas résister et fermer leurs portes; beaucoup de nobles furent forcés de suivre. Le 12 juin, les insurgés étaient maîtres de la capitale, de Cantorbéry, de Rochester. Le roi Richard II, sur le point d'être assiégé à la Tour de Londres, où il s'était retiré avec peu de vivres et de moyens de défense, consentit à l'évacuer et à traiter; la tour fut prise, l'archevêque de Cantorbéry, chancelier d'Angleterre, avec trois autres personnages, y eurent la tête tranchée.

Le 15 juin, le roi se rendit à Smithfield pour conférer de nouveau avec les chefs de l'insurrection. Provoqué arrogamment par eux, Richard fit en vain preuve de courage, de modération et de présence d'esprit. Bientôt 8,000 soldats d'élite entourèrent Smithfield: alors Richard changea de langage, les insurgés prirent la fuite et trois des leurs furent exécutés; cette insurrection dura huit jours.

* * * * *

12. Le 1er mars 1382, après la proclamation pour les perceptions, en France, du douzième denier sur les vivres, un collecteur fut battu aux halles; le cri: Aux armes pour la liberté se fit entendre dans Paris.

L'évêque, le prévôt, plusieurs conseillers du roi, divers riches bourgeois et Hugues Aubriot, ancien prévôt, tiré du cachot par les rebelles pour être élu capitaine, se dérobèrent afin de n'être pas confondus avec les séditieux. D'autres suivirent au contraire ceux-ci pour les modérer.

Les révoltés forcèrent l'Arsenal, l'Hôtel-de-Ville, l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés, le Châtelet, l'Évêché, s'armèrent de maillets de plomb, seule arme non saisie par le duc d'Anjou; ils délivrèrent les prisonniers et assommèrent les collecteurs.

Le jeune roi était à Meaux ainsi que le duc d'Anjou et ses oncles. Il se dirigea d'abord sur Rouen, avec sa maison, pour punir cette ville moins difficile à réduire; l'émeute n'y avait duré qu'un jour; le roi y entra, avec sa petite armée, par un pan de mur abattu exprès; la bourgeoisie tremblante fut désarmée, les chefs de la révolte exécutés et les impôts rétablis.

Ensuite le roi se rapprocha de Paris; l'Université et l'avocat-général Desmarets lui demandèrent grâce à Vincennes. Le pardon fut accordé et les impôts les plus odieux supprimés, à condition que les chefs des métiers seraient punis.

À la vue des apprêts du supplice, les maillotins exaspérés s'emparèrent de la place et demandèrent grâce; l'exécution eut lieu la nuit.

Dans le midi, les paysans abandonnent leurs champs, leurs villages, et se forment en bandes sous le nom de truchins, secondés, dit-on, par l'ordre inférieur de la bourgeoisie, dans toutes les villes, ils firent une guerre impitoyable aux hautes classes. On correspondait, à cet effet, d'Angleterre, d'Allemagne et de France, avec Gand, centre de tous ces mouvements.

«Rien ne montre mieux la vie anarchique des cités communales que l'existence continuellement tumultueuse des villes de Flandres. Comme le commerce y était très-abondant, les ouvriers, surtout les tisserands et les foulons, y faisaient de grands gains, et on les voyait presque toujours dans les tavernes, sur les places publiques, en querelles perpétuelles. Dans une seule année on compte 1,400 meurtres à Gand.»

(Hist. des Français.)

Pendant les expéditions que le roi entreprit ensuite contre les villes flamandes révoltées, les Parisiens attendaient chaque jour la nouvelle d'un succès des Gantois pour exécuter leur projet de raser le Château-Beauté, le Louvre, Vincennes, et toutes les fortes maisons autour de Paris. À Reims, Châlons, Orléans, Blois, Beauvais, et même dans toute la France, la bourgeoisie ne demandait qu'un signal pour massacrer la noblesse; elle se tenait en rapport, avec les Flandres, pour les succès desquelles étaient tous ses voeux, considérant la guerre comme allumée, non point de nation à nation, mais partout entre la noblesse et le peuple.

Charles VI licencia les compagnies des provinces éloignées; et, avec celles de Bretagne, de l'Île-de-France, de Normandie, de Picardie, s'achemina de Flandre sur Saint-Denis, en janvier, 1383, par Arras et Compiègne. Ses coureurs eurent ordre de préparer les logements dans Paris.

Le 10 février, le prévôt des marchands, assurant au roi que la capitale est entièrement soumise, obtient qu'il n'ajournerait pas davantage son entrée. La ville, effrayée, espérait soit flatter, soit intimider le roi, par le spectacle d'une grande réception militaire.

Toute la milice, prête à livrer bataille, et parmi laquelle étaient plus de 20,000 maillotins, se rangea, le 11, du côté de Montmartre, entre Paris et Saint-Ladre; elle fit au connétable, qui précédait le roi, des protestations d'obéissance: celui-ci déclara que la première preuve de soumission était de rentrer chez eux et de désarmer immédiatement: on obéit sans murmurer.

Aussitôt le roi entra dans Paris, à la tête d'une partie de son armée, l'autre restant campée dehors; l'ordre avait été donné d'abattre les portes et toutes les chaînes que les bourgeois tendaient le soir aux coins des rues; de faire partout des patrouilles, la nuit comme le jour.

Le roi vint déposer, sur l'autel de Notre-Dame, un étendard semé de fleurs de lis d'or, et fut loger au Louvre. Les seigneurs s'établirent dans leurs hôtels; les soldats furent mis en quartier chez les bourgeois, avec ordre, sous peine de la vie, de les respecter ainsi que leurs propriétés.

Le 16, 300 bourgeois les plus remuants, avocats au parlement de Paris ou négociants, étaient arrêtés.

Le 21, toutes les chaînes avaient été arrachées et transportées à
Vincennes. On procéda, par visites domiciliaires, au désarmement.

Dans les quinze derniers jours de février, l'avocat-général Desmarets, qui s'était souvent interposé entre le peuple et le roi, et cent bourgeois des plus influents, la plupart anciens compagnons de Marcel, furent exécutés.

Les principaux bourgeois, qui avaient exercé des charges pendant les séditions, furent successivement appelés devant la chambre du conseil, qui les taxa à des amendes, selon leur fortune. Les impôts furent maintenus.

Le roi fit récapituler, devant le peuple assemblé au Louvre, toutes les séditions des Parisiens, depuis les trente dernières années; il déclara, néanmoins, que grâce était accordée au reste de la population.

* * * * *

13. Dans la première moitié du XVe siècle, la France, théâtre sanglant de guerres civiles et étrangères, n'appartint, à proprement parler, ni aux Valois, ni à l'Angleterre.

On vit les factions de Bourgogne et d'Armagnac, abusant de la démence de Charles VI, troubler l'État, déjà trop affaibli par les malheurs d'Azincourt et les progrès des Anglais.

Le meurtre du duc de Bourgogne, Jean-sans-Peur, à Montereau, jeta, dans les bras de ceux-ci, son successeur aveuglé par la vengeance.

On vit la reine soutenir successivement les deux factions qui désolaient la France quelquefois contre le roi, toujours contre son propre fils; en 1420, par le traité de Troyes, elle fait déshériter le dauphin, en faveur de sa fille promise au roi d'Angleterre, Henri V.

Les deux rois Charles VI et Henri V font leur entrée à Paris: les États-Généraux ratifient le traité; la capitale, qui partageait ces sentiments éhontés, fêta les succès des Anglais et du malheureux Charles VI contre le dauphin. Plus tard, lors de la mort presque simultanée des deux monarques lignés, elle proclama Henri VI roi de France et d'Angleterre.

Charles VII en appela à Dieu et à son épée: il se fit couronner roi de France dans la même ville de Poitiers où, avant la mort de son père, il avait déjà pris le titre de régent et organisé des universités, des parlements en opposition à ceux de Paris: les simulacres d'États-Généraux, assemblés à Bourges et à Carcassonne, lui donnèrent quelques subsides.

La noblesse, en Aquitaine, en Dauphiné, en Champagne et en Lorraine, qui ne lui aurait peut-être pas obéi s'il eût été puissant, lutte, par amour du pillage, sous sa bannière, contre les Anglais. Le Midi, animé de sa vieille haine envers le Nord, sauve la nationalité française.

Après des armées de fortunes diverses, de constance et d'efforts, les ducs de Bourgogne et de Bretagne se détachent successivement des Anglais.

En 1429, Jeanne d'Arc fait lever miraculeusement le siège d'Orléans et sacrer le roi à Reims.

En 1436, Charles VII redevient maître de Paris, où il ne se hâte pas de rentrer, par éloignement pour sa bourgeoisie turbulente; de Bourges, il réorganise l'administration de la capitale, il rétablit le parlement et règle les monnaies.

En 1437, il visite Paris sans rien faire pour cette ville ruinée, paraissant encore décidé à transporter la capitale au delà de la Loire; l'année suivante, les États d'Orléans créent une armée royale permanente de 9,000 cavaliers.

Malgré la révolte du nouveau dauphin et des seigneurs Français que Charles VII dut aller soumettre, dans cette même Aquitaine, d'où la monarchie s'était relevée, toutes les provinces furent successivement enlevées aux Anglais: dès 1450, ceux-ci ne possédèrent plus, en France, que Calais.

Le souvenir de Jeanne d'Arc, de cette longue et mémorable lutte de trente années, où le roi et les peuples du midi sauvèrent la nationalité française, restera un des plus populaires de notre histoire: à plus d'un titre, il est encore digne d'être médité; les positions ou contrées suivantes jouèrent alors un rôle important:

1° Les places de la moyenne Loire, de l'Yonne, de l'Oise, de l'Aisne, de la Basse-Marne, pivots des opérations, autour de Paris, pour le couvrir ou le bloquer;

2° La Normandie, la Picardie, comme bases des opérations des étrangers auxiliaires de l'insurrection contre la nationalité;

3° Le pays entre l'Oise et l'Aisne, grande voie stratégique des divers ennemis du roi;

4° La Champagne, la Lorraine, les rives de la Loire, le Dauphiné, sont les éléments de la résistance nationale contre Paris et l'étranger: en dernier lieu, la Bretagne, devient l'auxiliaire de cette résistance.

5° Bourges et Poitiers servirent de capitales éventuelles.

* * * * *

14. En 1461, après la bataille de Northampton, Charles VII pressa les Gênois d'envoyer une flotte contre celle des Anglais; cette demande irrita une ville, dont le commerce aurait eu des valeurs considérables compromises à Londres; les conseillers refusèrent, en disant que le trésor était vide.

Louis de la Vallée, gouverneur français, chercha à le remplir par de nouvelles taxes; les nobles lui conseillèrent d'augmenter les droits de consommation dont ils étaient exempts; la querelle s'engagea entre les diverses classes, sur les priviléges de la noblesse.

Les officiers français, tous gentilshommes, oublièrent alors le rôle de neutralité qui leur convenait; ils se prononcèrent vivement pour la noblesse gênoise et excitèrent ainsi, dans le peuple, une haine qui fut fatale à la France.

Le 9 mars, un homme obscur sortit de l'un des conseils en criant: aux armes! Les plébéiens répondirent à son appel; Louis de la Vallée fut contraint de se retirer, avec tous les Français, dans la forteresse du Castello, abandonnant la ville aux partis du clergé et du peuple, momentanément réunis.

Le 17 juillet, une nouvelle armée de six mille Français débarqua à Savonne: elle attaqua Gênes, par les hauteurs, de concert avec la noblesse du pays, tandis que la flotte se présentait devant le port; repoussés avec grande perte, les Français se rembarquèrent; le Castello fut évacué; la flotte regagna la Provence et Louis de la Vallée tint garnison à Savonne.

* * * * *

15. En 1488, les soldats allemands de Maximilien pillaient la campagne; ses courtisans étaient logés chez les bourgeois de Bruges, et en exigeaient une table splendide; ils cherchaient à séduire leurs femmes et leurs filles; souvent ils les maltraitaient; les menaçait-on de porter plainte au roi des Romains, ils répondaient: Maximilien nous permettra de baigner nos bras dans le sang bourgeois.

Le 1er février, après la révolte de Gand, Maximilien crut intimider le peuple par une grande revue de ses troupes sur la place: le comte de Sornes commanda: abaissez les piques; les soldats répondirent par le cri de vive le roi; les bourgeois croyant qu'on allait les charger, coururent aux armes. Tout à coup 52 bannières furent déployées, la place du marché occupée, et 49 canons dirigés contra l'hôtel de Maximilien; celui-ci, bloqué avec sa garde, s'estima heureux d'éviter les hostilités qu'il avait voulu provoquer; il signa, le 16 mai, avec la révolte, un traité, mal exécuté depuis, par suite duquel il devait évacuer la Flandre en huit jours, renonçant à ses droits et se contentant d'une pension de 6,000 livres: la jactance, les exactions, les provocations n'ont jamais réussi.

* * * * *

16. En mai 1547, une insurrection éclata à Naples, par suite des intrigues des Français et de l'inquisition que don Pedro de Toledo, gouverneur espagnol, voulait introduire.

Aucune des promesses de secours de la France ne se réalisa; les députés de la noblesse napolitaine n'obtinrent de Charles-Quint que l'ordre d'obéir; des troupes espagnoles arrivèrent de toutes parts, contre Naples, qui dut se soumettre.

Le 12 août, après l'exécution des principaux chefs de la révolte, et une amende de 100,000 ducats d'or imposée à la ville, une amnistie fut publiée.

* * * * *

17. En 1548, lors des ordonnances de François Ier pour rendre le prix du sel uniforme, Tristan de Monneins, lieutenant du roi de Navarre, s'était rendu odieux dans la Guienne par sa sévérité. Il eut la malheureuse idée de venir de Bayonne à Bordeaux pour intimider, par la menace des châtiments réservés aux révoltés, ce peuple jusque-là tranquille.

La multitude, rassemblée par lui, vit ses forces et s'unit pour se venger de proclamations impolitiques. Elle se porta à l'arsenal, y prit des armes, et vint assiéger Monneins dans Château-Trompette.

Le président au Parlement de Bordeaux, La Chassagne, obtient du peuple une capitulation pour Monneins: mais, voyant ce dernier assassiné, et tant d'excès commis, il se réfugie dans un couvent.

La Chassagne pressé par le peuple de prendre l'autorité, adopta immédiatement les mesures suivantes, dans l'intérêt de l'ordre et du gouvernement dès ce moment menacés:

1° Fermeture des portes de la ville, après renvoi des paysans accourus pour prêter main-forte à la révolte;

2° Milice bourgeoise armée et organisée, pour fournir des corps du garde et des patrouilles dans toutes les rues;

3° Réouverture des tribunaux; arrestation, jugement et exécution des principaux chefs de la révolte, à commencer par celui qui avait appelé aux armes en sonnant le tocsin.

Le connétable, venu à Toulouse pour y réunir les troupes et marcher sur Bordeaux, repoussa une députation de cette ville, demandant que les landsknechts n'y entrassent pas. Nonobstant la soumission d'une cité qui aurait pu se défendre, il y pénétra par une large brèche qu'il fit ouvrir à travers les murailles, cantonna militairement ses troupes dans les principaux quartiers de la ville, procéda au désarmement des habitants et fit transporter les armes au château.

Une information sévère eut lieu; 140 chefs furent successivement exécutés; la ville elle-même perdit tous ses priviléges; la maison de ville dut être rasée, et toutes les cloches transportées dans des châteaux fortifiés exprès; deux galères seraient équipées pour défendre les gouverneurs de la province contre une nouvelle révolte: toutes les dépenses nécessitées par ces mesures furent à la charge de la ville.

Le 9 novembre, le connétable quitta Bordeaux, en y tenant le comte de
Lude, avec une forte garnison devenue désormais nécessaire.

* * * * *

18. Pendant les journées du 11 au 17 mai 1562, les réformés, quoique maîtres de l'hôtel de ville, dès le 11, échouèrent dans leur projet de s'emparer de l'intérieur de Toulouse.

25,000 protestants, ayant pour eux les huit capitouls, devaient célébrer la Cène le 17 mai; le parlement leur défend de s'assembler et ordonne aux étrangers de sortir de la ville.

Un cordelier défroqué, chef des calvinistes, les excite à s'emparer du Capitole, ce qui est exécuté, par surprise, dans la nuit du 11 au 12 mai.

Le parlement remplace les capitouls, demande des secours à Montluc et aux capitaines à proximité, fait sonner le tocsin, et, en robe rouge, il conduit le peuple à l'assaut de l'hôtel de ville, des librairies ou des maisons de réformés: celles-ci sont incendiées ou pillées.

Les protestants, retranchés dans un tiers de la ville, défendaient l'hôtel de ville avec du canon, en attendant les secours promis par Montauban et autres villes du parti.

Mais Montluc, à la tête d'un corps nombreux de cavalerie, donna de suite, du dehors, des ordres qui plus tard n'auraient pas été efficaces; il arrêta les secours de l'insurrection, fit sonner le tocsin, à huit lieues à la ronde, pour appeler aux armes les paysans catholiques; il introduisit successivement, et à propos, des renforts dans la ville, dont les principales portes étaient gardées.

En vain, pour réduire le Capitole, la populace mit le feu au quartier environnant, l'incendie fut arrêté. Les deux partis firent usage de mantelets roulants.

Le 17 mai, les protestants, affaiblis par la désertion, privés de munitions et de vivres, cernés de toutes parts dans l'hôtel de ville et les positions conservées par eux, furent heureux qu'on leur permît de se retirer sans armes ni bagages.

À huit heures du soir, après avoir célébré la Cène, ils sortirent par la porte Villeneuve; mais à peine éparpillés dans la campagne, le tocsin rassembla contre eux les paysans: 3,000 périrent.

Au long tems que j'ai porté les armes, disait à ce sujet le maréchal de Montluc, le 18, au parlement de Toulouse, j'ai appris qu'en telles affaires, il vaut mieux se tenir dehors, pour y faire acheminer les secours, sachant que cette canaille n'étoit pas pour forcer si tôt la ville; que, s'ils m'eussent attendu, jamais entrepreneurs n'eussent été mieux accommodés.

Ces paroles résument, il est vrai, d'une manière un peu rude, la théorie de la répression des émeutes dans une ville de province: elles ne doivent même pas être oubliées contre une capitale, dans certains cas. Il serait à désirer que les anarchistes les comprissent: ils y verraient quelle peut être leur impuissance contre un pouvoir habile, et renonceraient, sans doute, à leurs projets.

Quoi qu'il en soit, Montluc fit poursuivre les instigateurs de la révolte. Le parlement de Toulouse, refusant trois fois d'enregistrer l'amnistie accordée aux protestants par le roi, fit juger et exécuter 200 personnes; 440 furent condamnées par contumace. La guerre civile ne développe que les mauvais penchants.

* * * * *

La journée du 12 mai 1588, dite des barricades, est, pour le sujet qui nous occupe, une des plus fécondes en enseignements.

En avril et en mai, le roi négligea deux occasions de faire arrêter, en flagrant délit de conspiration, Jean Leclerc et Lachapelle-Marteau, chefs du conseil secret des Seize, ces aventuriers perdus de dettes, qui excitaient le due de Guise et les révoltes futures, pour arriver à la ruine du pays.

Pressé, à Soissons, par les Seize, de venir se mettre à la tête des 30,000 milices bourgeoises de Paris, Guise les invite à s'organiser d'abord militairement; il fait déployer sous leurs yeux, par Lachapelle, un grand plan de Paris, qui fut aussitôt divisé en cinq quartiers au lieu de seize; dans chacun de ces arrondissements, l'action militaire fut centralisée sous un des cinq colonels, que Guise envoya avec un gros état-major. 500 chevaux vinrent occuper la banlieue, au nord de la capitale.

Le désordre fut principalement excité, dans Paris, par 15,000 étrangers turbulents qui trompèrent la population. Henri III négligea l'occasion de comprimer la révolte, en faisant arrêter ou expulser les hommes les plus dangereux, et surtout le duc de Guise, qu'il avait eu, un moment, en son pouvoir au Louvre.

Le 12 mai, Guise excite la bourgeoisie de Paris, en annonçant l'entrée dans la capitale des 4,000 suisses venus d'abord de Lagny à Saint-Denis, et de 2,000 soldais d'élite. À cette nouvelle vraie, il ajoute celle d'un prétendu projet d'exécution des seize et de cent principaux Parisiens dont il fait circuler la liste.

La modération, à l'égard des factieux, fut sans succès. Après l'invitation faite par Henri III au duc de Guise de prêter son concours pour l'expulsion des étrangers, celui-ci annonce que le roi a peur, qu'on obtiendra de lui les États-Généraux et, par ceux-ci, tout ce qu'on voudra.

Le maréchal de Biron ne comprit pas les ordres du roi, qui étaient d'occuper, extérieurement au quartier militaire du Louvre, trois positions avancées, dans les faubourgs Saint-Denis, Saint-Antoine et Saint-Marceau.

Les places Saint-Antoine et Maubert, l'hôtel de Guise, furent les centres d'insurrection. À neuf heures du matin, leurs environs; à midi, le reste de la ville, et jusqu'aux approches du Louvre, étaient déjà barricadés de cent pas en cent pas. Des petits groupes, en tête de chacun desquels étaient des officiers du duc de Guise, péroraient, faisaient tendre les chaînes au coin des rues, et élevaient derrière des barricades de poutres ou de tonneaux remplis de terre.

Les suisses et les gardes françaises, accablés de pierres du haut des maisons, sans communications avec leurs chefs, sans vivres et tombant sons les coups d'hommes invisibles, se replièrent sur le Louvre, où les 6,000 hommes de troupes royales furent bientôt resserrés, sans positions extérieures.

Dans la nuit du 12 au 13, un corps de 15,000 hommes, envoyé par le duc de Guise à travers la Chaussée-d'Antin, acheva de bloquer la Cour, sur toute la rive droite, dans son quartier militaire trop rétréci.

La reine-mère et Villequier exhortèrent Henri III à sortir du Louvre pour se montrer au peuple; ils assuraient qu'éblouis de l'éclat de la majesté royale, les mutins le respecteraient et rentreraient dans le devoir.

Le roi, qui ne manquait pas de courage, trouva ce conseil trop téméraire; il ne jugea pas à propos d'exposer sa réputation, sa dignité, et peut-être sa vie, à la discrétion de cette multitude déchaînée.

Faute d'approvisionnements de vivres et de munitions, dans le Louvre, la défense y était impossible.

Le 13 mai, au matin, tandis que la reine-mère était venue écouter les arrogantes propositions du duc de Guise, Henri III sortit par la porte neuve du pont Royal, jurant de ne rentrer dans sa capitale que par la brèche, et de la mettre hors d'état de se révolter désormais. Le duc de Guise ne put déguiser son dépit et ses craintes, en apprenant que le roi s'était soustrait à la révolte pour mieux la combattre. Cette nouvelle inattendue, modifiant tout à coup ses projets, frappa un moment d'indécision et de découragement ce chef, jusque-là toujours maître de lui-même.

Henri III, bientôt suivi des gardes françaises et des suisses, coucha à Rambouillet; il fut le lendemain rallier, à Chartres, son gouvernement et ses moyens de répression.

Cette victoire inespérée des milices urbaines sur des troupes aguerries surprend les deux partis dans l'incertitude; la reine-mère et la régente restent au Louvre pour tenter encore de profiter de ce moment de stupeur; néanmoins, la capitale, compromise plus qu'elle ne l'avait voulu, rejette l'autorité royale et délègue tous pouvoirs au conseil secret des Seize. Guise, peu confiant dans la masse des émeutiers, organise aussi bien que possible ses partisans les plus éprouvés en deux régiments; il se hâte de prendre Saint-Cloud, Lagny, Charenton, Pontoise, d'occuper Corbeil et Troyes, pour prévenir le blocus de la capitale dans la lutte longue et sérieuse à laquelle, dès ce moment, il croit devoir s'attendre. Il ne partage aucune des illusions de l'anarchie, et, pour ne pas échouer, s'efforce d'organiser, en dehors d'elle, des ressources de guerre plus réelles et moins ingouvernables.

En juin, le roi s'établit à Rouen, en septembre à Blois, où les États-Généraux furent convoqués. Le 14 août, à l'instigation des deux reines restées à Paris, le duc de Guise fut nommé lieutenant-général du royaume, mesures de conciliation qui restèrent sans résultat.

En juillet 1589, les rois de France et de Navarre, après avoir pris Gergeau, Pithiviers, Étampes, Pontoise, réunirent, à Saint-Cloud, 42,000 hommes dont 15,000 suisses amenés par Sancy.

Henri III s'établit au nord de la Seine, le roi de Navarre au midi, pour attaquer, le 2 août, Paris et les 8,000 hommes de Mayenne, également découragés; mais le 1er août, au matin, le roi était assassiné.

La détermination prise par Henri III, le 13 mai 1588, retarda la chute des Valois et sauva la monarchie française; bien que sérieusement menacée par l'esprit de trahison, la couronne devait cependant avoir encore de nombreux et éclatants jours de gloire.

La reine-mère pensait que le trône n'aurait jamais pu, au milieu du débordement révolutionnaire, et sous sa pression, se rétablir dans la splendeur qu'il eut depuis; mieux valait aborder de suite les plus redoutables difficultés que de rester dans une voie qui, éternisant la crise, conduirait tôt ou tard à une position plus désastreuse encore.

La transmission de la couronne au roi de Navarre devint possible. Nous verrons Henri, après l'assassinat du dernier Valois, combattre pendant six années, avec des succès très-divers, mais toujours en intrépide soldat et en politique consommé, le parti révolté le plus souvent maître de la capitale et appuyé par l'Espagne; il soutint cette lutte difficile jusqu'au jour où les peuples, guéris de tant d'excès anarchiques, revinrent au pouvoir légitime, en délaissant les factieux qui les exploitaient de concert avec l'étranger.

§ III.

BOURBONS.

20. En 1589, Henri IV, devenu l'héritier légitime du trône, se retire des environs de Paris au camp retranché d'Arques. Il y résiste à Mayenne et rallie quelques-uns de ses partisans ainsi qu'un renfort anglais.

Le 19 octobre, il marche sur Paris, se rend maître des faubourgs qu'il dévaste pendant quatre jours; il disperse son armée près d'Étampes, s'établit à Tours, réduit Vendôme, le Mans, Falaise et la Basse-Normandie, ayant contre lui les prêtres, les bourgeois et les paysans.

Pendant ces guerres de religion, la capitale, dévouée à la cause catholique, avait privé les huguenots d'un centre de puissance, où les autorités de la monarchie habituellement réunies obtenaient pour elle l'apparence du commandement et de l'obéissance.

Tant que les deux partis s'étaient balancés, Condé et Coligny avaient tenté en vain de se rendre maîtres de Paris; après la mort de ces chefs, les huguenots, confinés au midi de la Loire, ne durent songer qu'à se défendre.

Henri IV, dans la même position militaire, mais plus fort par son droit héréditaire, eut des chances de s'emparer de la capitale, dont la possession seule pouvait le faire roi: en dehors de celle-ci il n'était qu'un prétendant, tandis que la ligue et Mayenne y prenaient les apparences de la légitimité. C'était dans Paris, et reconnu par le Parlement, la Chambre des Comptes, la Sorbonne, que Mayenne pouvait oser se dire lieutenant-général du royaume.

La capitale n'était pas encore sérieusement menacée: mais les royalistes avaient conservé dans le voisinage, surtout le long des rivières et des principales routes, des places circonvallantes; la famine menaçait une population trop accoutumée à toutes les douceurs; la victoire devait rester à celui des deux partis qui occuperait le plus longtemps ces positions d'investissement ou de communication avec le reste de la France et l'étranger, tout en commettant le moins possible de fautes politiques.

En 1590, avec le secours d'argent du cardinal légat, Mayenne put s'emparer de Pontoise et assiéger Meulan qu'Henri IV délivra bientôt.

Mayenne, après avoir rallié en Flandres 5,000 hommes du duc de Parme, revint contre Henri alors occupé au siége de Dreux; il fut battu, le 14 mars, à Ivry, et alla de nouveau s'humilier en demandant des secours à Farnèse.

Le 29 mars, Henri IV s'approche de Paris, occupe Chevreuse, Montlhéry,
Lagny, Corbeil, Melun, Cressy, Moret, Provins, Nangis, Montereau,
Brie-Comte-Robert, Nogent-sur-Seine, pour achever de resserrer la
capitale; il échoue devant Sens.

Le 8 mai, il canonne les murs de Paris; mais il évite une attaque de vive force, soit par défaut de moyens, soit pour épargner à la capitale les suites d'une prise d'assaut; il assiége Saint-Denis.

Le 5 juin, Mayenne, renforcé de 5,000 auxiliaires, réunit 10,000 hommes à Laon, sa place de sûreté et de jonction avec les secours étrangers. Henri IV marche à sa rencontre, le force à s'enfermer dans la ville; mais, pendant ce temps, Saint-Paul, détaché par Mayenne avec 800 chevaux et un gros convoi de vivres, gagnait Meaux, filait derrière la Marne et rendait, le 17 à Paris, avec l'abondance, l'esprit de confiance et de sédition.

Le 24 juillet, tous les faubourgs de la capitale sont pris par Henri
IV; et la famine reparaît dans cette ville hermétiquement bloquée.

Le duc de Parme, venu de Valenciennes avec 16,000 hommes, rejoint les 12,000 hommes de Mayenne à Meaux, le 23 août.

Le 30, Henri IV lève le siége de Paris qui est aussitôt ravitaillé; avec ses 33,000 hommes réunis à Chelles, il offre la bataille à Farnèse qui la refuse; ce dernier se retranche et continue de faciliter l'approvisionnement de la capitale.

Le duc de Parme, après avoir pris Lagny, entre à Paris le 8 septembre, tandis que le roi, qui a échoué dans une nouvelle surprise contre la capitale, disperse en Touraine, Normandie, Champagne, Bourgogne et Brie, le gros de son armée impatiente de repos. Henri prend position de sa personne à Senlis, à Compiègne et sur l'Oise, de manière à intercepter les secours étrangers et les communications de ceux-ci.

La ville de Lagny contenait de grands approvisionnements; elle assurait à la Ligue la navigation de la Marne: de riches et nombreux convois descendirent à Paris.

À la fin de novembre, Farnèse rentre en Flandre, après avoir pris
Corbeil.

En janvier 1591, Henri IV recommence le même système de guerre, affamant
Paris, essayant de le surprendre; il s'empare de Chartres et de Noyon.

À la fin de novembre, Mayenne apprend, à Laon, que les Seize et le parti violent offrent la couronne à l'Espagne; il confie son armée à Guise; ramassant, avec 700 chevaux d'élite, les garnisons de Soissons et de Meaux, il arrive à Paris où, à l'aide de la bourgeoisie, il donne la victoire à un parti plus modéré et moins anti-national.

En décembre, Henri IV assiége Rouen; forcé de lever le siége, en avril 1592, par le duc de Parme, il soutient une campagne glorieuse, difficile, et indécise.

Le 31 juillet 1593, après l'abjuration d'Henri IV, une trêve est signée à La Villette pour trois mois: de tous côtés les passions politiques s'apaisent.

Le 21 mars 1594, le gouverneur Brissac livre Paris à Henri IV; la Bastille et Vincennes sont ensuite remis; les Espagnols se retirent sur Soissons. Il semble que la soumission de la capitale confère seule au roi la légitimité. Dès ce moment il n'y a plus qu'à rallier les factions vaincues, résister aux prétentions des vainqueurs, cicatriser les plaies de l'anarchie, et forcer le chef de la Ligue dans son dernier réduit, en le séparant des plus exaltés ligueurs et de l'étranger.

Le 25 mai, après avoir soumis Rouen, Abbeville, Montreuil, Troyes, Sens, Riom, Agen, Poitiers, Honfleur, Henri IV assiége, avec 14,000 hommes, Laon, ancienne place de dépôt devenue la capitale des derniers ligueurs; il doit se garder contre les 8,000 Espagnols de Mansfeld retranchés à la Capelle, et contre les garnisons de Lafère, Soissons et Reims, entre lesquelles manoeuvre Mayenne.

Le 22 juillet, après la retraite de l'armée espagnole, la ville capitule; ensuite Péronne, Roye, Montdidier, La Châtre, Orléans, Bourges, se rendent.

Les principaux ligueurs font défection en 1595; le roi déclare ouvertement la guerre à l'Espagne, ce qu'il n'avait osé faire jusqu'alors: sa nationalité lui créait ainsi plus de forces que d'obstacles. Le pape lui accorde l'absolution; nonobstant les revers partiels éprouvés par Henri IV dans cette campagne Mayenne se soumet le 24 janvier 1596 à Folembray.

De 1596 à 1598, le roi prend Lafère, perd et reprend Amiens, et signe à
Vervins la paix avec l'Espagne.

Ainsi le pouvoir royal fut définitivement rétabli en faveur de la maison de Bourbon, à qui de grandes et diverses destinées étaient encore promises; ces six années de guerre, pendant lesquelles les deux partis prirent tour à tour, près de Paris, des positions militaires importantes; qui virent constamment le roi, habile politique, intrépide soldat, bon frère d'armes dans toute l'acception militaire du mot, monarque et général persévérant, sont dignes de méditation, principalement les campagnes de 1590 et de 1594.

Jamais trône, dans aucun pays, à aucune époque, ne s'était trouvé aussi bas; un siècle plus tard, avec la même dynastie, il devait frapper l'univers d'un éclat inouï: mais il lui restait encore des jours difficiles.

Ce n'est pas sans raison que la mémoire du bon roi, sauveur de la nationalité française, est restée populaire; sa noble image, qui domine la vieille cité, a dû souvent gémir de tant de folies, de tant d'attentats, de tant de revers également funestes à la gloire et à la puissance de notre malheureuse patrie.

* * * * *

21. Le 13 septembre 1647 et le 6 janvier 1648, après les émeutes des 26 et 27 août, la régente Anne d'Autriche sauva également la monarchie, mais dans des circonstances bien moins graves, en se retirant à Saint-Germain, avec son gouvernement, pour cerner Paris, qui se soumit six semaines après.

* * * * *

22. Mais, en 1649, Mazarin compromit la royauté dans sa propre cause, en prolongeant un pouvoir devenu presque impossible; il brava l'opposition des hommes les plus considérables et une guerre civile qui pouvait avoir de graves conséquences; il avait fait sortir de Paris, sans une urgente nécessité, la cour et le gouvernement royal. Une minorité augmente les difficultés; mais celles-ci ne justifient pas la révolte.

Turenne cherche à excuser ainsi, dans ses mémoires, et longtemps après, la grande faute où il se laissa alors entraîner: «Il lui répugna d'autoriser, une entreprise, le départ de la cour, qu'il ne croyait pas légitime en aucuns temps, et principalement dans une minorité, d'autant plus que personne encore n'avait pris les armes contre le roi, ni témoigné aucune désobéissance ouverte; il y avait, à la vérité, des compagnies qui avaient montré trop d'animation, mais c'était plutôt par des intérêts particuliers que par un dessein formé de se révolter contre la cour.»

«Dieu, dit Fléchier, dont les jugements sont des abîmes, voulut affliger et punir la France par elle-même, et l'abandonna à tous les déréglements que causent dans un état les dissensions civiles. Souvenez-vous de ce temps de désordre et de trouble, où l'esprit ténébreux, l'esprit de discorde confondait le devoir avec la passion, le droit avec l'intérêt, la bonne cause avec la mauvaise; où les astres les plus brillants souffrirent presque tous quelque éclipse, et les plus fidèles sujets se virent entraînés, malgré eux, par le torrent des partis, comme ces pilotes qui, se trouvant surpris de l'orage en pleine mer, sont contraints de quitter la route qu'ils veulent tenir, et de s'abandonner pour un temps au gré des vents et de la tempête. Telle est la justice de Dieu: telle est l'infirmité naturelle des hommes. Mais le sage revient aisément à soi, et il y a dans la politique, comme dans la religion, une espèce de pénitence plus glorieuse que l'innocence même, qui répare avantageusement un peu de fragilité par des vertus extraordinaires et par une fermeté continuelle.

«Mais où m'arrêtai-je? votre esprit vous représente déjà, sans doute, M. de Turenne à la tête des armées du roi. Vous le voyez combattre et dissiper la rébellion, ramener ceux que le mensonge avait séduits, rassurer ceux que la crainte avait ébranlés, et crier, comme un autre Moïse, à toutes les portes d'Israël: Que ceux qui sont au seigneur se joignent à moi. Tantôt sur les rives de la Loire, suivi d'un petit nombre d'officiers et de domestiques, il court à la défense d'un pont, et tient ferme contre une armée; et soit la hardiesse de l'entreprise, soit la seule présence de ce grand homme, soit la protection visible du ciel, qui rendait les ennemis immobiles, il étonna par sa résolution ceux qu'il ne pouvait arrêter par la force, et releva par cette prudente et heureuse témérité l'État penchant vers sa ruine. Tantôt se servant de tous les avantages des temps et des lieux, il arrête avec peu de troupes une armée qui venait de vaincre, et mérite les louanges mêmes d'un ennemi qui, dans les siècles idolâtres, aurait passé pour le dieu des batailles. Tantôt, vers les bords de la Seine, il oblige, par un traité un prince étranger, dont il avait pénétré les plus secrètes intentions, de sortir de France, et d'abandonner les espérances qu'il avait conçues de profiter de nos désordres.»

* * * * *

23. Au commencement de septembre 1672, le duc de Luxembourg cantonna ses 50,000 fantassins et 8,000 chevaux dans la province de Gueldre et la tête de bêteau: 15,000 fantassins, 4,000 chevaux occupèrent la province d'Utrecht et les parties avancées; 9,000 fantassins et 2,600 chevaux de ce corps, c'est-à-dire 16 bataillons et 20 escadrons, furent cantonnés de la manière suivante, dans et autour de la ville d'Utrecht, grand quartier-général de l'armée.

Il y aurait eu impossibilité de rassembler, à temps, dans cette grande ville hostile, les soldats logés par deux chez l'habitant; d'avoir la nuit les officiers, à qui les portes des maisons seraient peut-être barricadées.

Deux bataillons furent casernés dans les maisons bourgeoises, à droite et à gauche de chacune des quatre portes principales, en s'étendant dans la rue ou le long des remparts, sans solution de continuité.

À défaut de place centrale, où il aurait été convenable de caserner deux bataillons, huit petites places intérieures ou bâtiments principaux furent occupés, à l'aide de bons corps de garde défensifs, par autant de postes de 100 fantassins et de 50 chevaux.

Au besoin, le surplus des troupes aurait été caserné le long des remparts, de manière à ne pas s'étendre sur plus du tiers de la ville, dont on embrassait ainsi toute la circonférence.

À chacune des portes principales, il y avait 120 fantassins de garde.

Les quatre faubourgs étaient tous retranchés à leur tête; au faubourg de la Porte-Blanche, un bataillon et une brigade de cavalerie formaient l'aile droite. Au faubourg Vyanem, aile gauche, il y avait autant de troupes. Ces deux annexes embrassaient la ville et communiquaient le plus facilement avec les deux autres. Dans les faubourgs d'Amsterdam et de Woorden, on mit 6 bataillons, les dragons et 7 escadrons.

Les bourgeois furent désarmés, on leur fit prêter le serment de fidélité, des exemples sévères les retinrent dans le devoir.

En cas du révolte dans la ville, autour de laquelle toutes les troupes étaient constamment concentrées ou casernées sur leurs positions de combat, 6 bataillons et 7 escadrons des faubourgs pouvaient arriver par les quatre portes, le surplus des forces extérieures restait sous les armes.

Il est curieux de lire, dans la correspondance de Louvois et de Luxembourg, les motifs et les détails de ces mesures de prévoyance longuement et habilement préparées.

* * * * *

24. La surprise de Crémone, par le prince Eugène, en 1702, donne lieu aux remarques suivantes:

Celui des deux partis qui compte sur un secours, doit occuper, approvisionner, organiser en réduit une position communiquant avec la campagne, ainsi que les bâtiments, clochers ou postes voisins.

Il partira de là pour s'emparer: 1° des portes ou poternes de l'enceinte de la ville; 2° des coupures, passages et ponts existant au travers des vieilles fortifications, murs de terrasse, rivières à l'intérieur, afin de resserrer davantage l'autre parti, d'intercepter ses communications avec le dehors et diviser ses forces au dedans.

Si on ne peut garder ces passages, on les coupe, ou au moins on les barricade.

On marche à ces défilés, la cavalerie soutenant l'infanterie, les flancs éclairés; on laisse, entre soi et le réduit, une réserve; et sur les flancs, des petits corps de garde pour n'être pas pris de côté ou par derrière.

Si l'on peut se glisser le long d'un obstacle on n'aura qu'un flanc à couvrir.

On attaque ces positions sur plusieurs têtes de colonnes, par différentes rues, en flanc, en tête, en queue, la cavalerie échelonnée sur les côtés pour protéger; des tirailleurs, aussi bien abrités que possible, visent continuellement aux créneaux les plus dangereux; on incendie, on menace d'incendier les bâtiments les plus résistants; et, si on ne le peut, on occupe autour des points dominants.

Les positions enlevées sont immédiatement fortifiées; on garnit de fusiliers les clochers et maisons extérieures qui complètent ces réduits.

Des piquets de cavalerie parcourent sans cesse les environs, interceptent les nouvelles et les secours, gardent les défilés extérieurs et rapprochés par lesquels on arriverait à la ville.

On avance ensuite, par l'intérieur des maisons, aux arsenaux, magasins et places ou positions voisines; ou marche également au réduit du parti opposé pour le bloquer, du côté de la ville, et, s'il est possible aussi, du côté de la campagne.

Une position attaquée se défend toujours par des contre-attaques en tête, en queue, sur les flancs.

Si le parti opposé doit être secouru de deux côtés, il faut fortement occuper l'obstacle qui les sépare; ce parti, au contraire, organise de l'un à l'autre une communication assurée.

On empêche de cerner, dans leurs quartiers, les troupes et surtout la cavalerie, en garnissant les clochers et lieux dominants, en face ou à proximité.

Ne pas s'aventurer, en trop grand nombre, dans une enceinte battue de feux croisés, sans être appuyé par quelques tirailleurs qui les contrebattront.

Gagner le pied des murailles et des maisons pour se soustraire à l'effet du tir.

Les communications les plus importantes, dans un même édifice, ou entre plusieurs bâtiments faisant système de défense, doivent avoir lieu à couvert ou sous blindage.

§ IV.

RÉVOLUTION, EMPIRE, RESTAURATION.

25. L'émeute de Varsovie, contre les troupes russes, le 6 et le 7 avril 1794, doit être mentionnée.

La garnison russe comptait 9 bataillons, 8 escadrons, 36 canons, 5 à 6,000 hommes.

1,000 prussiens auxiliaires étaient cantonnés, à une et à deux lieues, au nord de la ville.

2,000 polonais hostiles, à la disposition de généraux et d'un gouvernement également hostiles, étaient établis en ville, au nord, au sud et à l'ouest, dans quatre casernes; ils avaient des magasins d'armes, de munitions et d'artillerie.

La ville de Varsovie, figurait une demi-circonférence de 2.500 mètres de rayon, sur la rive gauche et à l'ouest de la Vistule; elle communiquait, par un pont, avec Praga, sur la rive droite et à l'est; elle renfermait, dans une enceinte fortifiée, 900 hectares et 125,000 habitants.

Par des affiches, des pièces de théâtre politiques, de fréquentes alarmes et incendies, par des rumeurs contre les Russes, par des clubs, on excitait le peuple, on l'attroupait.

Les bourgeois restèrent chez eux, leurs portes fermées, sans prendre part à la révolte, où figurèrent, sous la direction de quelques mécontents, des ouvriers, domestiques et paysans, ainsi que des soldats congédiés venus du dehors; en tout, il y eut 1,000 à 1,200 émeutiers agissant par bandes de 150.

Plus on approchait du jour de l'émeute, moins on pouvait prévoir qu'elle dût éclater; cependant, dans la journée du 5, plus de 50,000 cartouches furent distribuées de main en main.

Le plan de défense était connu des polonais avec qui il avait fallu le concerter.

4 brigades, espacées de 800 mètres les unes des autres et du quartier général, fortes chacunes de 2 à 3 bataillons et escadrons, 6 à 10 pièces, devaient occuper au sud, à l'ouest, au centre, au nord de la ville, mais de trop loin et sans communications suffisamment assurées, les avenues du quartier général; surveiller et contenir les troupes polonaises, le pont et le faubourg de Praga.

Le 6, à quatre heures du matin, les polonais commencèrent les hostilités, ayant pour principal but de parvenir au quartier général.

Les 2 bataillons, 2 escadrons, 9 pièces de la brigade Milaschewicz occupaient, au sud, le carrefour des Trois-Croix et les grandes rues en arrière, vers le centre de la ville, pour contenir le régiment polonais Dzialinsky dans ses casernes.

La tête de cette brigade et ses postes de flancs laissèrent passer ce régiment: le reste de la brigade l'arrêta et parlementa avec lui pendant 3 heures, sans se mettre en mesure d'agir; lorsque les hostilités commencèrent, les compagnies contre lesquelles les Polonais s'étaient présentés, se battirent seules pendant plusieurs heures, sans être soutenues par le reste de la brigade: cette dernière troupe, qui eût décidé le succès contre le régiment polonais, ne donna plus signe de vie pendant les journées du 6 et du 7.

Les deux bataillons de grenadiers, deux compagnies, trois escadrons et dix pièces de la brigade Van Suchteln, placés depuis le palais de Saxe jusqu'aux barrières de Wola et de Jérusalem, de l'est à l'ouest de la ville, dans la partie centrale la plus importante et la plus facile à tenir, près de laquelle le corps prussien et le parc auraient dû être réunis, restèrent inactifs, sans se garder, sans voir d'ennemis sérieux, sans marcher au secours du quartier général, faute des ordres et de la présence du général de brigade.

Le général Nowiczky vint prendre ce commandement abandonné; et s'exagérant la position de la 1re brigade, fit sortir la 2e brigade de la ville, à 11 heures du matin, par une porte ouest; il prit position en carré, à 500 mètres de l'enceinte, avec le parc d'artillerie laissé à Wola, sous la garde de deux compagnies et d'un escadron; en ce moment, Nowiczky disposait de 4 bataillons, 5 escadrons et 24 canons.

De ces troupes, sorties si mal à propos de Varsovie, il en rentra 3 bataillons, 4 escadrons et 16 pièces, en une colonne profonde, à 2 heures et demie du soir; la tête parvint jusqu'au palais de Saxe, à 500 mètres du général en chef, dans un quartier tranquille et ouvert.

Mais, après trois heures de station, alors que l'insurrection se croyait perdue à la vue d'une pareille colonne, contre laquelle aucun coup de fusil n'avait été tiré des fenêtres, on fut étonné de voir cette troupe, à 6 heures du soir, rétrograder jusqu'au dehors de la ville, devant 50 émeutiers qui faisaient mine de lui disputer le passage avec un canon. Des compagnies entières de ce corps s'étaient débandées pour piller: elles furent plus tard massacrées ou prises.

La colonne rejoignit, sans être nullement inquiétée, le général Nowiczky qui l'avait détachée; le corps entier fit halte jusqu'à minuit, puis se retira à deux lieues de la ville; le lendemain, à midi, le général Nowiczky se mit en marche, avec tout son monde, vers les grands équipages, vis-à-vis Karczew, sans s'occuper de ce qui se passait en ville. Le 19 avril, à Sgersche, le général en chef eut seulement des nouvelles de ce corps.

Les trois bataillons et deux escadrons de la brigade du comte de Zouboff devaient garder le centre de la ville, plus au nord, direction ouest-est, ainsi que le passage de la Vistule.

Un bataillon suivit le mouvement de retraite de la précédente brigade; un autre fut massacré dans une église où il communiait sans armes. Le 7, au soir, le 3e bataillon et l'hôpital évacuèrent tranquillement Praga, sur transports fournis par l'autorité municipale; ils rejoignirent, le 13 avril, le général en chef à Modlack.

Pendant l'émeute, toutes les attaques furent dirigées contre le quartier du général en chef Igelstrom, rue Podwal, par quatre bandes de 150 hommes, occupant du côté de la Vieille ville et de l'arsenal, à 300 mètres de distance, les maisons de seigneurs et les carrefours environnants, pour bloquer et fusiller les troupes du quartier général.

Ce quartier général, dans une partie de ville rétrécie et hostile, non centrale par rapport aux autorités ou troupes polonaises et à la ville de Varsovie elle-même, aurait dû être placé rue Krolewska, près du palais de Saxe.

Le matin du 6, l'ennemi fut partout repoussé autour de cette position, avec perte en hommes et en canons. À 2 heures après midi, il renouvela ses attaques; dans l'intervalle il s'était borné à tirer des fenêtres et des coins de rues contre les postes russes qui répondaient à ce feu.

Ceux-ci résistèrent espérant être rejoints par les autres brigades: mais les tiraillements de l'état-major général, l'irrésolution des chefs détachés, les corps entiers débandés, le passage subit d'un excès de confiance au découragement; et, pardessus tout, le quartier général bloqué de près, sans possibilité de communiquer avec les autres brigades, ne permirent aucune bonne résolution.

Les troupes du quartier général auraient pu marcher aux détachements et les réunir: mais on craignit d'abandonner les archives non encore brûlées.

Le soir, on ne fut plus assailli que par le quart des rassemblements du matin; la nuit fut tranquille et aurait permis une retraite facile.

Au commencement, le quartier général avait été défendu par un bataillon et deux escadrons; ces troupes furent successivement renforcées le 6, avant 7 heures du soir, par les deux bataillons de la 4e brigade.

Celle-ci, chargée de défendre la partie nord de la ville, très-hostile, et en face de trois quartiers de troupes polonaises, se retira d'abord en dehors de Varsovie sur les Prussiens; puis, au bruit de la fusillade, elle revint assez facilement sur le quartier général.

Au jour, les Polonais informés de la retraite définitive et inespérée de la 2e brigade, moitié de la garnison, reprirent avec la plus grande vivacité toutes leurs attaques, jusque-là successivement ralenties ou abandonnées; ils cernèrent le quartier général, de plus près, et au point de le rendre inhabitable: le moral des troupes était abattu.

700 hommes, 50 chevaux et 4 canons restaient au quartier général ou dans une cour voisine.

Le 7, vers 8 heures du matin, le général en chef se retira avec 350 hommes, sur les Prussiens, par le nord de la ville, à travers une suite d'enclos où l'on ouvrit des passages; on évita ainsi les positions investissantes, le feu des maisons occupées et l'artillerie des insurgés. À 10 heures, on rejoignit, dans un assez grand désordre, mais avec perte seulement de 30 hommes, la cavalerie prussienne à la barrière de Powonsck: on fut camper avec les Prussiens à Babice.

Pendant la nuit, un demi-escadron du quartier général avait porté, à ce corps auxiliaire, l'ordre de se joindre, vers Wola, à la brigade Nowiczky, pour rentrer en ville au secours du général en chef: lorsque les Prussiens rencontrèrent celui-ci, en retraite, ils exécutaient cette marche.

Le colonel Parfentiew et les 400 hommes du quartier-général ne suivirent pas le mouvement de retraite; ils furent forcés, dans la soirée, par l'insurrection.

Les Russes perdirent, à Varsovie, plus du tiers de leur garnison et 11 pièces de canon.

Le 7, à quatre heures du soir, le corps russo-prussien vint camper à
Modzin, à trois quarts de lieue de Varsovie.

Le 8 avril, il coucha à Sakroczin.

Le 19, à Sgersche.

L'arrivée, près de Varsovie, des troupes prussiennes, dont le général Igelstrom ne voulut pas profiter; les imprudentes propositions d'accommodement; la retraite intempestive d'une brigade russe, furent autant de causes d'exaltation pour les insurgés.

Ainsi que dans plusieurs affaires de ce genre, l'honneur militaire fut ici compromis, devant des forces très-intérieures, par le défaut de vigilance et de bonnes dispositions; par l'irrésolution des chefs détachés; par de longs pourparlers toujours dangereux; par des tiraillements dans l'état-major-général; il en résulta des revers inattendus; ceux-ci abattirent entièrement le moral d'une troupe qui, mieux dirigée, eût glorieusement fait son devoir, et éprouvé beaucoup moins de perte.

* * * * *

26. Dans la soirée du 12 vendémiaire an 3, les pourparlers, les hésitations et la retraite intempestive du général chargé d'arrêter les sectionnaires Lepelletier, au couvent des filles Saint-Thomas, à Paris, enhardirent ces réactionnaires, augmentèrent le nombre de leurs partisans; aussi, le lendemain, osèrent-ils attaquer la Convention, aux Tuileries, avec 40,000 hommes armés.

Le 13, Bonaparte adopta pour ligne de défense, autour de la Convention, la Seine, depuis le pont Louis XV jusqu'au Pont-Neuf, le Louvre, les débouchés de la rue Saint-Honoré depuis la rue de Rohan jusqu'à la place de la Concorde; il repoussa, il foudroya, avec l'artillerie et les 5,000 hommes de l'armée conventionnelle, cette émeute qui attaquait imprudemment par colonnes compactes de 4.000 hommes.

Pendant la nuit, il empêcha, par quelques volées de coups de canons, l'élévation des barricades que tentèrent de construire les moins découragés; le peuple, ouvrier ordinaire des barricades, n'appuyait pas ce mouvement contre-révolutionnaire.

Le 14, la section Lepelletier fut désarmée.

Dans ces journées, Bonaparte n'hésita pas à prendre parti pour la Convention, malgré ses odieux excès antérieurs. Il comprit, qu'entre un pouvoir existant, qui avait traversé les plus redoutables crises, et une masse agitée sans union, sans influence dans le pays, le salut de la France ne permettait pas d'hésiter.

Le commandement de l'armée d'Italie fut la récompense de cette haute pensée d'ordre à laquelle il demeura toujours fidèle, même aux dépens de son pouvoir, dans les phases les plus diverses d'une prodigieuse existence; de tous ses lauriers, celui de vendémiaire ne fut pas un des moins utiles. La postérité remarquera qu'il le cueillit au commencement de sa carrière, à l'aide d'un coup d'oeil et d'une énergie également exceptionnels. Ce début résume tout ce qui, dans cette grande nature, restera le plus cher à la France et à la civilisation.

La gloire militaire de Napoléon sera sans égale, et cependant la postérité admirera encore plus son génie politique: il révèla à un siècle égaré les éternelles conditions du pouvoir et des sociétés; et rien ne marche encore que par ce qui reste de sa vigoureuse impulsion.

Jamais chef d'État n'eut, contre l'anarchie, une soudaineté, une vigueur de résolution, des colères, des antipathies égales aux siennes: son exceptionnelle nature repoussait énergiquement toutes les impuretés des aberrations humaines, attirait, élevait à elle ce qui était vrai, utile, grand et beau.

Les rois l'ont abattu et persécuté: mais sa mémoire restera le dieu Lare du foyer populaire; tout ce qu'il a fait, tout ce qu'il a dit y sera, de génération en génération, admiré et cru. Le peuple, dérouté par les mauvais exemples et les mauvaises leçons du siècle, n'ayant plus de foi que pour Napoléon, ne connaîtra d'idées nobles et sensées que celles de son héroïque légende. Sophistes qui conduisîtes l'Europe à l'anarchie et à la ruine, expliquez le double mystère de cette mission et de cette popularité également providentielles.

* * * * *

27. Le 1er mai 1808, les gens de la campagne, accourus dans Madrid, se joignirent aux groupes nombreux de mécontents, surtout à la Puerta del Sol, grande place centrale qui lie les rues principales de Mayor, d'Alcala, de Montera, de Las Carretas; quelques escadrons de dragons maintinrent cette multitude.

Le 2 mai, malgré les dispositions de la junte, Murat persista à faire partir le reste de la famille royale; la vue d'un aide-de-camp français, envoyé pour la complimenter, fut le signal d'une rixe qui bientôt excita un soulèvement universel.

Les révoltés firent main basse sur les militaires isolés, qui, nonobstant les ordres de l'Empereur, étaient dispersés, soit dans les maisons de la ville, soit en corvée.

Murat monte à cheval, se place, avec la cavalerie de la garde, en dehors des quartiers populeux, derrière le palais, près de la porte par laquelle devait arriver une des divisions extérieures, sur une position dominante, d'où il sera libre de déboucher dans toutes les directions.

Il fait entrer en ville et marcher sur la Puerta del Sol, par les principales communications, les différents camps extérieurs ou corps cantonnés à la circonférence.

Ces colonnes, venant à la rencontre l'une de l'autre, avaient rejeté sur la place centrale la multitude furieuse, n'ayant même plus la liberté de fuir. La cavalerie de la garde la dispersa.

La foule repoussée se réfugia dans les maisons et tira par les fenêtres; les troupes firent des exécutions. La lutte la plus opiniâtre eut lieu à l'arsenal; une partie de la garnison espagnole y était renfermée avec ordre de ne pas combattre. Des insurgés s'y portèrent, firent feu sur nos troupes, et le corps des artilleurs espagnols se trouva malgré lui engagé.

L'attaque, à découvert, d'un édifice d'où partait un feu vif de mousqueterie, nous coûta quelques hommes; nos soldats débusquèrent les défenseurs, et l'arsenal fut pris, avant que le peuple pût s'emparer des armes et des munitions.

En deux heures, cette redoutable émeute fut ainsi réprimée, mais non sans carnage; d'abord, à l'hôtel des Postes, une commission militaire faisait fusiller les paysans pris les armes à la main; la cavalerie, dans la campagne, n'accordait aucun quartier aux fuyards, les ministres espagnols et le chef d'état-major français firent cesser le combat partout, et les premiers obtinrent la fin des exécutions.

Cette journée ôta à la populace de Madrid tout espoir de résister, même à nos jeunes soldats dirigés par de vieux cadres. L'un des infants dit le soir à Murat: «Enfin on ne nous répétera plus que des paysans armés de couteaux peuvent venir à bout de troupes régulières.» Les insurgés avaient perdu 400 hommes, les Français 100 soldats; mais une exagération salutaire donnait à cette journée plus d'importance; dès cet instant Murat aurait pu tout oser. Le lendemain, il fit partir sans difficulté le reste de la famille royale.

Le 4 décembre 1808, Napoléon reprit Madrid que le roi Joseph avait évacué le 2 août.

Mais, se bornant à cantonner militairement son armée dans les principaux quartiers de la ville et surtout dans les couvents; à faire opérer un désarmement général, il resta, lui et son frère, à deux lieues au dehors. Son intention était de réduire cette capitale, sous un long régime d'état de siége, avant d'y laisser rentrer le roi Joseph, dont le gouvernement n'aurait pu s'établir convenablement au milieu de l'anarchie.

Il organisa, comme noyau d'armée espagnole, 16,000 soldats d'élite presque tous étrangers.

La hauteur du Buen-Retiro fut entourée d'une enceinte, dont le parc et la fabrique de la China formaient le réduit fortifié. Celui-ci renfermait un hôpital, des magasins de matériel et de vivres considérables; le tout devait exiger une attaque régulière.

Le 22 janvier 1809, mais après les succès de la Corogne et d'Uclès, alors que l'insurrection paraissait définitivement abandonnée et vaincue, Joseph fit son entrée dans Madrid à la tête des plus belles divisions françaises.

* * * * *

28. En juillet 1830, le gouvernement avait un excès de confiance; l'apparition de la troupe, jusqu'alors, avait suffi pour dissiper les plus forts rassemblements; il ne prit pas toutes les dispositions indispensables pour pouvoir tenir pendant plusieurs jours, contre une rébellion armée, au milieu d'une population généralement mal disposée; position dont personne, pour ainsi dire, n'avait encore vu d'exemple, et que l'histoire seule pouvait faire supposer possible.

Le 26 juillet 1830, des piquets commandés à la hâte par les premiers officiers qui se trouvèrent dans les casernes, furent s'établir dans les différents quartiers de Paris; ils y passèrent la nuit, sur le qui-vive et sans provisions; pendant ce temps, les curieux et mécontents s'assemblèrent et s'excitèrent autour d'eux; on brisa les réverbères et les insignes de la royauté.

Le lendemain, l'autorité, ne voyant encore qu'une émeute et non une révolution, fit soutenir ces différents piquets par des détachements d'autres corps, au fur et à mesura des progrès de la révolte et des demandes de la police.

Les mécontents élevèrent, dans tout Paris, un nombre infini de barricades; ils séparèrent, ainsi, ces différents petits détachements, entre eux, de l'état-major général, des vivres, des munitions, des casernes ou des mairies, et les annulèrent entièrement.

Le 28, le pouvoir, au lieu de rallier ses débris dans le grand quartier militaire formé par le Louvre, les Tuileries, le Palais-Royal, les casernes du quai d'Orsay, Babylone, les Invalides, l'École militaire et le Trocadéro, pour y attendre les autres troupes de la 1re division, ainsi que le camp de Saint-Omer, et pour profiter plus tard des embarras de l'insurrection, battit en retraite sur Versailles et Rambouillet.

Le roi Charles X pouvait prendre une bonne position autour de Paris; soit sur la basse Seine à Saint-Denis, Courbevoie et Saint-Cloud; soit au-dessus de la capitale; suit sous le canon de Vincennes; il pouvait également se retirer sur la Loire, comme le fit Henri III en 1588, en une circonstance pareille. Sa position, au dehors de la capitale, au moment de la révolte, lui assurait de grands avantages.

Dans l'un ou l'autre cas, il eût causé de sérieux embarras au nouveau gouvernement, ou plutôt à la révolte que celui-ci allait avoir à combattre; la province suivit le mouvement de la capitale, et l'armée bientôt s'affaiblit. L'affaire de Rambouillet précipita une conclusion dès lors inévitable.

Des quatre fautes qui amenèrent cette catastrophe, deux, le manque d'approvisionnements et de prévoyance; l'inaction du roi Charles X pendant, ou plutôt, après l'émeute, sont le fait du gouvernement.

Les deux autres sont militaires; mais la première ne pourrait être reprochée au maréchal Marmont sans injustice. Ce chef, après le dévouement dont il fit preuve, fut blâmé; il se serait bien autrement exposé à cette disgrâce, si renonçant, comme l'expérience le conseillerait aujourd'hui, en pareille circonstance, à maintenir la tranquillité, à assurer la vie et les propriétés des citoyens, ainsi que l'exercice de l'autorité royale dans tout Paris à la fois, il s'était borné, en attendant l'arrivée des renforts, à occuper militairement la partie la plus importante de la capitale, et, selon les circonstances, à offrir, pour les autres quartiers, son appui aux détachements de gardes nationaux disposés à faire leur devoir en maintenant l'ordre.

Cette dernière tactique sauve également des inconvénients dans lesquels tombèrent Henri III en 1588, qui, en défendant le centre du gouvernement, s'y laissa bloquer; et Marmont en 1830, qui, voulant tout contenir, ne fut assez fort nulle part; justifiée par les événements de Lyon, en 1831, elle doit être suivie, dans un grand nombre de cas avec les précautions qui seront indiquées.

Quoi qu'il en soit, cette révolution allait être, pour elle-même, le plus dangereux précédent, si elle ne pouvait pas réduire à l'impuissance les idées anarchiques.

§ V.

DEPUIS 1830.

29. L'émeute qui eut lieu à Bruxelles, du 22 au 26 septembre 1830, donne lieu aux observations suivantes:

Le 22, une division hollandaise de 12,000 hommes, arrivée en vue de la ville, ne profita pas de l'imprudence que commirent les révoltés d'aller au-devant d'elle: cette division pouvait attirer les insurgés à une affaire décisive et les envelopper.

On négligea de s'emparer des portes ou de les masquer; l'arrivée des secours entretint le moral des rebelles, et décida, le 27, l'évacuation de la ville.

* * * * *

30. En novembre 1831, le lieutenant général Roguet, ayant à combattre, à Lyon, avec peu de troupes, à la suite des journées de juillet, une première et sérieuse insurrection, rallia ses forces, par une sortie vigoureuse à travers le faubourg Saint-Clair, sur la position de Montessuy.

Il maintint l'honneur du drapeau, prit sur lui de donner des ordres aux troupes et gardes nationales des divisions voisines, les fit converger sur Lyon en poste ou en bateau à vapeur, et réunit du grands moyens contre l'insurrection bientôt effrayée de son isolement.

Peu de jours après, le duc d'Orléans put rentrer, avec une véritable armée, dans la ville déjà soumise.

* * * * *

31. Lors des émeutes des 5 et 6 juin, les premières qui, à Paris, menacèrent le Gouvernement de juillet, un ministre exprimait au conseil ses inquiétudes; quelqu'un proposa de signer l'ordre suivant: «Le maréchal Lobeau, investi du commandement supérieur de toutes les forces réunies dans et autour de la capitale, est chargé, sur sa responsabilité, d'y rétablir l'ordre.» La signature apposée, on dit: Maintenant il n'y a plus rien à faire.

L'émeute fut vigoureusement comprimée, nonobstant des fautes de détail et l'apparition inquiétante de quelques groupes hostiles de gardes nationaux, vrais ou supposés. Le roi saisit habilement le moment de sa rentrée dans Paris et la rendit décisive.

Dans ces journées et celles qui successivement menacèrent l'existence du Gouvernement de juillet, celui-ci fut chaque fois sauvé grâces aux circonstances suivantes:

1° Unité de commandement militaire dans la 1re division;

2° Concours de la majeure partie de la garde nationale;

3° Lassitude dans la bourgeoisie de tous genres de troubles, par suite de la révolution de juillet, encore trop récente, et aux périls de laquelle on avait miraculeusement échappé;

4° Défaut de prétexte plausible pour l'émeute qui voulait évidemment une révolution et ne savait pas neutraliser, égarer la population, en masquant ses projets;

5° Intervention utile, au moment décisif, du roi et des princes;

6° Enfin, l'ascendant de la vieille expérience du maréchal Soult et de toutes les traditions militaires qu'il représentait.

«Le gouvernement ne doit pas dédaigner des troubles qui ont déjà plusieurs fois eu lieu sans danger; quoique tout nuage n'excite pas une tempête, il en viendra, s'il en passe beaucoup, enfin un qui crèvera et donnera le vent.

«BACON.»

* * * * *

32. L'émeute de Clermont-Ferrand, dans les journées des 9, 10 et 11 septembre 1841, donne lieu aux remarques suivantes:

Le 9, à 6 heures et demie du soir, une compagnie du 16e léger, chargée de protéger l'opération du recensement contre 200 factieux, reçoit prématurément l'ordre du faire feu; des gardes nationaux, mêlés aux groupes pour les calmer, sont atteints. La population exaspérée se prépare au combat, qui commence le lendemain matin.

Le 10, à midi, les 1,200 hommes du 16e léger et les dragons se concentrent et se barricadent autour de la préfecture, de la mairie, sur les places de la Poterne et d'Espagne. L'absence de postes aux barrières, de patrouiller dans et autour de la ville, permet l'entrée des paysans des environs; une barricade est élevée de la maison Uscale, à la Petite-Fontaine.

Pendant le combat, de 6 heures du soir à minuit, la troupe ne perd que la position de la poudrière.

Les insurgés établissent des postes chez les boulangers de la ville basse, et songent à couper l'eau à la ville haute. Dans leurs attaques infructueuses, ils ont 50 tués et 100 blessés.

Le 11, après quarante-huit heures de pillage, les insurges abandonnent la ville et se retirent dans deux villages voisin. Le lendemain, la troupe reprend toutes les positions évacuées.

De l'infanterie et de l'artillerie furent envoyées de Lyon et de Bourges; les troubles de Moulins, Mâcon et Châlons, empêchèrent les garnisons de ces villes d'arriver.

* * * * *

33. Pendant la lutte, plus politique que militaire, mais si sérieuse de février 1848, on remarque un concours de circonstances fatalement décisives.

Une revue étrangère, bien informée, a traité ce sujet de manière à ne plus laisser rien à dire de nouveau après elle. Nonobstant son point de vue particulier, nous la prendrons pour guide, chaque fois que nous aurons il parler des mêmes événements.

Elle a signalé, avant tout, une prospérité inouïe qui, exaltant les ambitions et poussant chacune au delà des limites de la prudence, avait amené un véritable malaise dans les affaires.

Un nombre d'ennemis, et parmi lesquels de très-redoutables, successivement grossi d'année en année, par tant d'ambitions non satisfaites.

Peu pour défendre résolument le présent, quelque riche d'avenir qu'il fût; beaucoup trop pour l'attaquer. Chez tous, un vague et inexplicable désir d'innovation.

Ensuite, on a remarqué le défaut d'unité dans le commandement de toutes les forces militaires réunies à Paris.

La moins bonne partie de la garde nationale s'assembla d'abord et devint maîtresse des plus importantes positions; le reste, abandonné aux menées des partis, passa successivement de l'inquiétude à l'indifférence, de celle-ci à la turbulence ou à l'hostilité.

De graves changements dans les commandements militaires les plus importants, intempestivement faits, au moment le plus critique, quant au personnel et aux circonscriptions.

Une succession rapidement fatale de ministres et de commandants de la garde nationale, qui n'eurent même pas le temps d'agir et de se faire connaître.

Un moment, le Roi veut rallier son gouvernement, son armée autour de
Vincennes: heureuse pensée qui n'est pas suivie.

Un changement de règne, dans une pareille crise, devait immédiatement briser, disperser tous les pouvoirs, décourager les plus fermes dévouements; la prépondérance, que le roi exerçait autour de lui, ne pouvait alors être ni déléguée, ni suppléée, ni supprimée.

On sait comment fut accueillie la courageuse démarche de la duchesse d'Orléans, du duc de Nemours et des deux jeunes princes: dans cette heure solennelle, un groupe d'inconnus, d'étrangers peut-être, dispose de la société surprise.

La chambre, cornue tous les pouvoirs légaux, devait être méconnue tant qu'elle resterait sous la pression de l'émeute; il était urgent de s'y dérober; il fallait suivre cette autre pensée de rallier l'armée à Saint-Cloud; un fatal et généreux espoir entraîna la monarchie.

Au milieu de si graves événements, on ne fut pas assez en rapport avec les populations.

On a aussi constaté le défaut d'approvisionnements nécessaires; le long stationnement des troupes au milieu des rassemblements; leur emploi en fortes colonnes isolées, sans les points d'appui indispensables.

Enfin, ajoute-t-on, une pensée générale d'opposition, dans le but d'arracher quelques réformes à un Gouvernement qu'on ne voulait pas renverser, mais d'autant plus violemment attaqué qu'on le croyait inébranlable; pas assez de croyance au droit, ou plutôt au devoir de résister à l'anarchie; beaucoup trop de confiance dans la force de la légalité et dans la raison du pays.

«Le prince ne doit pas mesurer le danger sur la justice des motifs qui ont aliéné les esprits, ce serait supposer au peuple plus de raison qu'il n'en a: souvent il regimbe contre ce qui peut lui être le plus utile.»

«BACON.»

Ce Gouvernement s'est manqué à lui-même, par trop de confiance dans ses bonnes intentions et dans l'évidente nécessité de son existence; il eut, d'ailleurs, le tort grave de prendre au sérieux le régime constitutionnel dans un pays où, à de certains jours, rien ne paraît être sérieux.

Mais, a-t-on dit, pourquoi chercher les causes d'une catastrophe qui restera inexplicable?

Une royauté paraissait forte par sa tête, par ses rejetons, par son avenir, par les principes divers qu'elle représentait, par sa nécessité, par une armée, des ministres, des généraux également éprouvés; cette royauté, dont l'origine remontait aux premiers âges de notre monarchie, et qui rappelait à la France ses plus grandes splendeurs, avait fait trôner auprès d'elle, pendant 18 années de prospérité inouïe, les principes les plus sages de la bourgeoisie: en trois jours elle fut jetée aux abîmes.

La postérité aura peine à le comprendre; les contemporains, pour qui l'instabilité était devenue habitude ou besoin, en sont eux-mêmes encore étonnés.

Les chefs des peuplades sauvages ont d'autant plus d'inquiétude et de vigilance que leurs tribus sont plus prospères; que les récoltes, que les troupeaux sont plus riches; ils disent alors: Méfie-toi, la prospérité, c'est l'ivresse: On s'est demandé s'il devait en être de même des peuples civilisés?…

* * * * *

34. Lors de l'émeute de juin 1848, toutes les forces avaient d'abord été concentrées près des Invalides, à l'extrémité du quartier militaire de la capitale, sans détachements dans les faubourgs Saint-Antoine, Saint-Marceau et Saint-Denis, comme centres extérieurs de résistance; les approvisionnements de combat étaient insuffisants; la lutte fut sanglante.

Grâce au pouvoir unique et respecté de l'Assemblée, au péril évident qui menaçait la société, à de nobles dévouements dans l'armée et la garde nationale, à la précision, à la vigueur des opérations, à l'élan des provinces, le succès définitif resta assuré.

L'arrivée d'un grand convoi de munitions fut décisive.

Pour ces divers motifs, vu les circonstances et le faible effectif des troupes au premier moment, cette concentration, sur l'opportunité de laquelle les militaires et les hommes d'état seront souvent partagés, fut peut-être utile; ces journées eurent, d'ailleurs, après celles de février une immense portée. Honneur aux généraux et aux soldats! Honneur à tant de victimes du plus noble devoir!

* * * * *

35. L'émeute du 13 juin 1849, si heureusement comprimée, prouve que le plus souvent ces sortes de mouvements commencent par une grande démonstration; une colonne se porte, avec un drapeau ou à un certain cri de ralliement, à un lieu convenable pour faire éclater la révolte.

Attendre cette colonne à l'endroit choisi pour couronner la manifestation; chercher à résister de front à une masse qui se grossit en avançant de toute la foule des curieux, et dont la force morale peut devenir irrésistible au terme, serait une faute.

Il faut charger transversalement sur ses flancs allongés; une double masse, composée de cavalerie en tête et d'infanterie, débouche d'une rue latérale; chaque colonne rabat sur l'un des deux côtés, et refoule la moitié séparée jusqu'à une bonne position, dont on occupe toutes les avenues; La cavalerie charge au milieu; l'infanterie l'appuie à droite et à gauche.

* * * * *

36. Ces luttes, quelquefois usitées chez les anciens, très-souvent au moyen-âge, sont devenues plus sérieuses aujourd'hui, par suite de l'usage des armes à feu; du grand nombre de grosses voitures, barricades roulantes en circulation dans les grandes villes; de la nature du pavage des rues et des constructions qui les bordent; du système de recrutement qui jette chaque année, en dehors des armées, la partie la plus militaire de la population dès-lors déclassée; de l'extension exagérée de l'industrie; de la misère accidentelle qu'elle occasionne, dans des masses agglomérées d'ouvriers de même état; d'un luxe surabondant d'aspirants aux fonctions publiques de tous les degrés; mais, surtout, d'une centralisation imprudente et de l'affaiblissement graduel de tous les pouvoirs.

De l'examen de chacun des faits précédents résultent des principes généraux et la nécessité de les modifier selon les circonstances.

Nous essaierons de tenir compte de ces graves enseignements. Problème difficile, important, digne des méditations des hommes d'état, des militaires et des amis de l'humanité, non dans l'intérêt de la France mais de l'Europe: la première a eu trop à souffrir des révolutions pour désormais s'y exposer.

* * * * *

Heureuse la nouvelle génération européenne, si le hideux tableau des luttes intestines, des excès barbares des âges passés; si le souvenir plus saisissant des jours néfastes qui l'ont vu grandir, pouvait la dégoûter, pour longtemps, de l'anarchie, et rendre oiseuse toute préoccupation à l'égard des moyens de prévenir ou de réprimer les désordres de la guerre civile.

CHAPITRE II.

Différents partis à prendre en cas d'émeute.

§ 1er.

RÉPRIMER LA RÉVOLTE DANS TOUTE LA VILLE.

37. Selon l'état moral de la troupe, de la garde nationale, de la population, des provinces, des insurgés; selon les desseins avoués ou secrets des factions, les forces respectives de tous, la nature du théâtre de la lutte, la position du Gouvernement vis-à-vis les pouvoirs légaux et l'étranger, il y a quatre partis différents à prendre, de prime-abord, en cas de révolte.

1° N'évacuer aucun quartier, réprimer partout l'émeute;

2° Occuper un quartier militaire, sauf à agir ultérieurement au dehors de ce grand réduit;

3° Concentrer toutes ses forces dans une position extérieure, contiguë, dominante;

4° Se replier sur une place voisine pour revenir, avec toutes les forces réunies, contre la capitale.

38. Le premier parti est ordinairement suivi; c'est le plus naturel: celui que conseillent à la fois l'humanité, la politique et les devoirs imposés à un Gouvernement dans sa capitale.

Le plus souvent, il restreint l'insurrection et ses ravages; il permet d'éviter, dans tout le pays, une commotion sanglante; il empêche les dévouements de faiblir, les moyens répressifs d'échapper; il couvre mieux le Gouvernement menacé, en s'opposant directement à l'installation des pouvoirs révolutionnaires: nous nous en occuperons spécialement dans ce mémoire.

Avant de s'arrêter à ce premier parti, il faut bien examiner la situation, peser toutes choses et leurs conséquences; les émeutes deviennent chaque jour plus fréquentes, redoutables et décisives.

Il faut savoir si l'on peut, si l'on veut livrer bataille à l'intérieur, partout ou se présentera la révolte; si l'on est sûr de rester toujours calme au milieu du dédale immense des différents quartiers hostiles; en présence des vagues frémissantes d'une population follement impressionnable, qui sera, dans de certaines circonstances, à la suite, à la discrétion apparente ou réelle des partis les plus audacieux; si l'on doit compter sur l'inébranlable solidité de la troupe, même au delà de l'heure suprême; si la nature de la ville, les communications et obstacles qui la traversent, les positions qui y existent, facilitent la lutte; si une trop grande concentration ne donnerait pas plus de force et d'audace à l'insurrection que de chances à la répression; si le pouvoir sera certain de rester toujours un et fort; si, au milieu des surprises, des péripéties qui vont augmenter ses embarras, il ne sera pas exposé à laisser échapper ses moyens d'action les plus essentiels et jusqu'à l'autorité suprême.

Dans une ville de province, où l'existence du Gouvernement ne peut être mise en question, et plus encore dans toute ville étrangère, différentes circonstances pourraient faire rejeter ce parti comme anti-militaire, si la question d'humanité ne devait pas le plus souvent dominer.

§ II.

OCCUPER UN QUARTIER MILITAIRE.

39. Le second parti, c'est-à-dire la concentration dans et autour d'un grand quartier militaire, est plus conforme aux règles spéciales de la guerre; différentes circonstances, détaillées précédemment, peuvent le faire préférer, même au point de vue politique; il est moins exclusif, moins absolu; il n'abandonne pas entièrement la population à tous les écarts et à toutes les influences.

Ce parti se prête d'ailleurs merveilleusement, pendant la lutte même, aux modifications devenues désirables, soit pour passer au premier plan, soit pour adopter successivement les deux derniers; il permet de tenir compte de toutes les éventualités et circonstances ultérieures, si variables, si imprévues.

Il serait dangereux, inhumain et souvent inutile d'en venir de suite, sans une impérieuse nécessité évidemment démontrée par l'insuccès des premiers plans successivement et sérieusement essayés, au parti extrême de l'évacuation complète, du blocus et du bombardement; il faut se résoudre à combattre énergiquement, dans la ville même, et s'organiser de longue main en conséquence.

40. Ce système de défense doit être adopté par une garnison inférieure, chargée de maintenir une population nombreuse, en s'appuyant à une position intérieure fortifiée, d'où elle peut donner la main aux amis de l'ordre.

Si elle abandonnait la ville, ses forces affaiblies, en s'éloignant de la citadelle et de ses partisans, éprouveraient de grandes pertes au milieu d'une masse d'insurgés rapidement accrue sur la ligne de retraite: les plus graves désordres seraient commis dans la ville évacuée.

41. Ce parti et le précédent sont les seuls à prendre, à l'égard de toute ville amie ou ennemie fortifiée d'une enceinte continue, derrière laquelle l'insurrection pourrait longtemps se défendre, avec des approvisionnements et moyens suffisants.

Ils sont encore les plus convenables, malgré l'existence et la possession des forts dominants les rares issues de cette enceinte et toutes les avenues du la ville.

42. Dès que les attroupements menacent d'une émeute, la garde nationale a dû faire d'abord ses efforts pour éloigner cette triste éventualité; elle tient bon, et se replie, en cas de nécessité, sur les casernes et mairies.

Pendant ce temps, la troupe de ligne disposée, dès le premier bruit, à prendre les armes, et restée jusque-là au repos, sort de ses casernes pour occuper militairement le quartier de la ville le plus favorable.

Elle prend position à l'intérieur des principaux établissements qui s'y trouvent, et où ont été rassemblés des approvisionnements de vivres, de munitions et de tout ce qui est indispensable pour faciliter la défense ou l'attaque dans ce genre de guerre.

* * * * *

43. Le quartier militaire de défense choisi doit, autant que possible, dominer le reste de la ville et le dehors; communiquer facilement avec eux sans défilés intermédiaires; être à cheval sur les obstacles qui traversent la cité; renfermer le centre du gouvernement, les grandes administrations, les principaux magasins de vivres et de munitions ou, au moins, les couvrir; isoler les uns des autres les différents arrondissements insurgés; communiquer directement avec la capitale ou avec les villes et contrées principales d'où l'on peut être secouru.

Il serait à désirer qu'il fût séparé de la partie de cité non occupée par une enceinte d'obstacles ou de grandes communications faciles à garder; et qu'il isolât, d'avec le dehors, les arrondissements abandonnes ou révoltés.

La surface du quartier militaire doit être le tiers ou le quart, au moins, de celle de la ville.

Les flancs de l'enceinte de séparation, difficiles à tourner, seront convenablement appuyés à de fortes positions extérieures dominantes, le tout afin de pouvoir agir dans les diverses directions, et d'éviter d'être bloqué ou refoulé.

44. Dans le même but, et suivant que la ville a 100,000 âmes ou 1,000,000 d'âmes de population, 500 ou 5,000 hectares de superficie, il est presque toujours nécessaire d'occuper, au milieu de la partie non gardée, à 800 ou 1500 mètres en avant, par des détachements de 1/2 bataillon à 2 bataillons de ligne, renforcés, s'il y a lieu, à l'aide des gardes nationaux de l'arrondissement, trois positions importantes, fortes et approvisionnées: ces avancées devront, autant que possible, dominer les principaux défilés que forment les obstacles transversaux.

S'il existe un quartier populeux et hostile plus en dehors de cette ligne avancée, il est même utile d'y occuper, au centre, par un détachement pareil, un poste dominant, fort et approvisionné, où peuvent se rallier également les gardes nationales des environs.

Ces trois ou quatre positions extérieures au quartier militaire forment, dans la partie de ville non entièrement occupée, un réseau de centres d'action pour les retours offensifs, espacés de 500 à 1500 mètres l'un de l'autre, suivant que la ville a 100,000 âmes ou 1,000,000 d'âmes de population; elles sont surtout utiles contre une insurrection qui fait usage des barricades: elles retardent l'établissement de celles-ci, ou donnent le moyen de les tourner toutes lorsque l'on reprendra l'offensive.

Les défilés existants, sur les communications de ces établissements avec le gros de la garnison, seront également gardés.

Les mairies, la manutention, les télégraphes, l'arsenal, la poudrière, la poste, et même les messageries, pourraient être ainsi occupés comme postes extérieurs. On choisira, parmi ces édifices, les plus importants par eux-mêmes et par l'avantage de leur situation.

Si, nonobstant le concours des gardes nationaux, la conservation de quelques-uns de ces établissements principaux, affaiblissait la troupe en exigeant un trop grand fractionnement de forces, on réduirait ces postes extérieurs au strict nécessaire.

Mais il faudrait, autant que possible, avant d'évacuer les édifices les moins utiles à la défense, rallier la garde nationale de l'arrondissement; transporter dans le quartier militaire, ou au moins détruire tout ce dont les révoltés pourraient profiter, voitures, bateaux, moyens de transport, de correspondance ou de combat.

La majeure partie des gardes nationales seront successivement dirigées, par détachements suffisants, sur des positions à occuper en arrière de la troupe de ligne.

45. Si G représente le chiffre de la garnison qui était nécessaire dans la ville, pour y combattre partout l'émeute, conformément au premier plan, l'effectif de la troupe indispensable dans cette seconde hypothèse sera 1/8 G plus 2 à 8 bataillons, en général, la moitié de la garnison précédente.

L'effectif de la troupe détachée au dehors du quartier militaire variera du tiers à la moitié au plus des forces totales.

§ III.

OCCUPER UNE POSITION CONTIGUË.

46. Le troisième parti, la concentration dans une position dominante, extérieure et contiguë, tient à la fois du second et du quatrième.

Par les motifs précédemment exposés, on ne peut soutenir la lutte à l'intérieur: la garde nationale est momentanément indifférente; l'évacuation complète offre plus d'avantages que d'inconvénients sous les rapports politiques et militaires. Une fois ce parti pris, la position de la garnison doit chaque jour s'améliorer, et celle de l'insurrection devenir plus difficile: cette révolte, restreinte dans la ville à une faction, n'a pas de racines au dehors; elle a été le résultat passager, imprévu, d'une excitation, d'une surprise, d'une erreur accidentellement partagée par une population entière, faible ou aveuglée, mais que ses véritables intérêts doivent bientôt ramener. De quelque manière que ce soit, cette insurrection renferme des germes de faiblesse et de dissolution: le parti de la révolte veut et peut empêcher la violation des personnes et des propriétés; c'est alors le cas, pour le Pouvoir, d'abandonner momentanément la capitale aux habitants; de rallier les forces militaires, avec tous les moyens d'action, dans une position extérieure, contiguë et dominante.

Là, il fait appel à la raison du pays entier bientôt éclairé par l'audace et les excès de la faction un instant victorieuse: celle-ci, promptement réduite à ses faibles ressources, effrayée de son isolement, laissera la population rappeler le Gouvernement.

47. On ne doit prendre ce parti extrême, dans sa propre capitale, qu'en cas de nécessité absolue et bien évidente pour tous.

À l'égard d'une ville de province, et surtout d'une ville ennemie, ce parti est plus souvent admissible.

Si, en février 1848, le dernier Gouvernement s'était retiré, avant l'abdication du roi, à Chaillot, dans l'anse de la Seine limitée par la route de Neuilly, en conservant le Champ de Mars, l'École militaire et les Invalides, comme tête de pont offensive, sur la rive gauche du fleuve, il eût peut-être sauvé la monarchie, sans avoir même besoin d'occuper d'autre position extérieure et voisine que Vincennes.

* * * * *

Des hommes d'état, dont nous allons résumer ci-dessous les idées, avaient pensé que ce parti extrême de l'évacuation, tout décisif qu'il est contre une émeute, ne doit être pris, même dans une ville de province, qu'en cas d'une absolue nécessité et dans les circonstances exceptionnelles suivantes:

1° Alors que la collision, n'ayant pas de couleur politique, doit naturellement cesser après l'exaspération passagère qui y a donné lieu.

2° Quand la révolte, abandonnée à elle-même, pourra mieux juger les difficultés de sa position et les conséquences de ses excès.

3° La faiblesse numérique d'une garnison cernée au milieu d'une population nombreuse, moitié exaspérée et hostile, moitié indifférente ou terrifiée.

4° La chance, soit de périr faute de vivres, de munitions et de communications avec le pouvoir central ou les secours; soit de compromettre l'honneur du drapeau; soit de faiblir ou de succomber, au milieu d'un débordement de flot révolutionnaire, à l'influence duquel il est urgent de se soustraire, sont aussi des motifs pour évacuer le théâtre de la lutte.

49. Ce parti, bien hasardeux dans une capitale, doit être pris vigoureusement et non comme une fuite, présage d'une chute définitive par l'affaiblissement de tous les dévouements, la dispersion de tous les pouvoirs, l'abandon de tous les moyens d'action.

On l'adoptera comme le meilleur dans la circonstance et pour mieux vaincre par des moyens extrêmes, imprévus, décisifs, la rébellion à laquelle il sera utile de montrer ses forces et son énergie, même en se retirant. Il ne sera pas alors sans compensation que des raisons politiques et militaires engagent à prendre une direction difficile, sur laquelle le drapeau aura l'occasion de se déployer intact.

50. Cette condition fut remplie lors de la retraite de la petite garnison de Lyon, en novembre 1831, sur l'importante position de Montessuy, à travers le faubourg Saint-Clair, position principale d'une émeute redoutable.

Alors on fut étonné que le général Roguet, au lieu de passer sur la rive gauche du Rhône, ait préféré traverser le plus fort de l'insurrection pour établir de suite son camp au sortir de la ville. Cette position menaçante avait, dans la situation des choses, quelques inconvénients: mais elle imposa de suite aux rebelles, dès ce moment affaiblis par la crainte, l'indécision et la division; elle releva immédiatement le moral des troupes convaincues, dès lors, qu'on ne s'était ainsi placé que pour mieux dominer l'insurrection et la combattre, à l'aide des secours que l'on pourrait appeler à soi, des instructions que l'on serait en mesure de recevoir du Gouvernement: en pareille circonstance, le défaut de communications est toujours embarrassant et souvent décisif.

51. Il était nécessaire d'insister sur le très-petit nombre de cas exceptionnels où, d'après cette autre manière de voir, le parti extrême de l'évacuation peut être approuvé; et nous continuons à développer cette opinion.

Dans des cas différents, et même dans ceux où ce parti peut avoir les plus graves conséquences, on aurait cependant failli le prendre mal à propos.

Ainsi le principe émis par le maréchal de Montluc, au sujet de l'affaire de Toulouse en 1562, qu'en fait d'émeute il vaut mieux être dehors que dedans, pour y faire acheminer les secours, souffrirait des exceptions, selon les circonstances morales et politiques, surtout à l'égard des capitales des états complètement centralisés, où le principe du pouvoir a perdu des appuis essentiels.

52. En résumé, toute émeute de province peut souvent être ainsi comprimée.

Victorieuse ou vaincue, elle tendra les bras au pouvoir après quelques jours: le sang et l'honneur militaires auront été épargnés, si la troupe s'est bornée à cerner la position et à l'observer du dehors: les propriétés seules seront violées.

53. Une capitale ne doit être jamais abandonnée devant une émeute; on l'évacuera quelquefois en présence d'une révolution imminente.

Il ne faut quitter qu'à la dernière extrémité le bras de levier avec lequel on ébranle les provinces, encore moins le céder aux factions: un mouvement rétrograde donne aux révoltés 50,000 auxiliaires, un gouvernement et de puissantes ressources; il expose aux plus grands désastres.

54. En principe, chaque garnison ou fraction de troupe doit défendre, jusqu'à la dernière extrémité, la position qu'elle occupe et sauver à la fois, même au prix des plus grands sacrifices, la société et l'honneur militaire en péril.

Il faut surtout ne pas songer à une retraite avec une garnison nombreuse et bien établie, vis-à-vis de factieux mal armés, mal commandés, sans sympathie dans la population.

Enfants perdus d'un parti politique lui-même isolé, quelques hommes remuants deviendraient, au premier pas en arrière, le noyau de rassemblement d'une armée entière, bientôt grossie par la peur ou par un entraînement coupable. L'effet de cette reculade serait irréparable, surtout à l'égard d'une capitale où un gouvernement improvisé s'imposerait de suite.

Telles étaient les appréhensions, les vues différentes qui faisaient généralement préférer, aux hommes d'état dont nous avons parlé, le premier et le deuxième parti; le troisième n'était adopté par eux que pour le cas le plus extrême.

* * * * *

55. Mais la marche générale et toute exceptionnelle des choses, en Europe, la puissance destructive des partis hostiles à la société, l'insouciance, les divisions des hommes d'ordre, peuvent donner lieu, il est vrai accidentellement, à une tout autre série de considérations.

Les grandes capitales ont toujours été les places fortes de l'esprit révolutionnaire: aujourd'hui, par suite d'une centralisation chaque jour progressive, et du rendez-vous que s'y donnent successivement les plus mauvaises passions de tous les pays, on les regarde comme un péril incessant pour les gouvernements, les nationalités et les principes sociaux.

«Un grand empire suppose une influence despotique dans celui qui gouverne (prince, ville ou province); il faut que la promptitude des résolutions supplée à la distance des lieux où elles sont envoyées; que la crainte empêche la négligence du gouverneur ou du magistrat éloigné; que la loi soit dans une seule tête; et qu'elle change sans cesse, comme les accidents, qui se multiplient toujours, dans l'État, à proportion de sa grandeur.

«MONTESQUIEU.»

56. Jusqu'à quel point convient-il désormais, et tant que cet état de choses durera, de s'y engager obstinément pour remporter une victoire, qui, certaine dans le plus grand nombre de cas, si peu prévoyant que l'on soit, laisse toujours néanmoins sous la pression plus ou moins funeste d'une démagogie audacieuse, aveuglée et qu'il est impossible d'arrêter dans ses dévastations progressives?

À quoi bon un système de défense malheureusement quelquefois stérile ou compromettant contre un ennemi qui n'a rien à perdre et est décidé à ne rien respecter; qui met habilement à profit le moindre succès; qui s'arrête, sans reculer, le jour d'une défaite, pour recommencer le lendemain; telles sont les questions que, dans toutes les armées de l'Europe, se posent aujourd'hui les militaires les plus distingués.

Les événements de Paris, de Vienne, de Berlin, de Milan, de Rome, en 1848; la pression déplorable exercée sur les corps constitués, sur les hommes les plus considérables et sur les provinces, par une minorité de factieux accourus successivement de tous les coins de l'Europe dans ces capitales; les périls auxquels des États rapidement déchus ont été exposés, ainsi que la société entière, font penser qu'il pourrait y avoir, alors, un quatrième parti à prendre pour sauver la civilisation en péril.

* * * * *

57. On est même arrivé à se demander si, dans une certaine situation anormale de la société, le siège du gouvernement doit rester au milieu d'une grande capitale, foyer incessant d'agitations, place d'armes redoutable des factions antisociales.

Plusieurs de nos rois, et surtout Louis XIV, n'avaient pas hésité à résoudre négativement cette question, à l'époque où une décentralisation complète la rendait moins grave.

Napoléon fut souvent préoccupé de ces tristes idées, à diverses époques d'un règne glorieux, qui cependant avait comprimé les factions avec habileté et rétabli miraculeusement la société sur ses éternelles bases.

D'abord il pensa, pour les temps plus difficiles que ses successeurs pourraient avoir à traverser, à l'établissement solide du château du roi de Rome; projet que reprit la Restauration sous le prétexte de la caserne du Trocadéro.

En 1815, il ordonna d'importants travaux sur la butte Montmartre, travaux qui, dans une autre circonstance, disait-il, auraient une autre utilité.

En 1807, il conseillait à son frère, le roi de Naples, de ne pas trop s'abuser sur les dispositions changeantes du peuple de sa capitale, et sur l'efficacité de la répression à l'aide d'une armée non cimentée par la guerre et la victoire.

En attendant que la gloire et le temps eussent donné à celle-ci les sentiments d'honneur, de fidélité et de devoir, il conseillait d'appeler des corps suisses; de créer un grand réduit de sûreté à Castellamare, pour pouvoir au besoin s'y retirer et y dominer les événements, plus encore dans l'intérêt du peuple que dans celui de la couronne.

Il suffisait alors de faire observer Naples par un corps de troupes légères, qu'appuyait un échelon également chargé de maintenir les Abruzes.

Cette préoccupation a paru significative, chez un souverain, à qui on ne peut refuser l'énergie, la capacité, le jugement et la prévoyance éclairés par une connaissance profonde de toutes les conditions actuelles du pouvoir.

58. Lord Liverpool entendant, en 1822, Chateaubriand faire l'éloge de la solidité de la monarchie anglaise pondérée par le balancement égal de la liberté et du pouvoir, dit, en montrant la cité de Londres: «Qu'y a-t-il de solide avec ces villes énormes? Une insurrection sérieuse à Londres et tout est perdu.»

Si l'on récapitule, en effet, les dangers que telle capitale aurait fait courir à son empire depuis qu'il existe; l'appui ouvertement prêté à l'étranger et aux ennemis de l'état; les abîmes où elle aurait failli précipiter; la tyrannique pression exercée, par elle, sur les pouvoirs les plus élevés, on la considérera comme une des fatalités qui entraînent vers la décadence.

59. On fait aussi observer, qu'en même temps que la position morale des populations et celle des gouvernements ont graduellement varié, les moyens de sécurité ont décru.

Ainsi, par exemple, Vincennes et même le Louvre étaient déjà d'insuffisants réduits intérieurs ou rapprochés, eu égard au Paris du XVIe siècle; et cependant, la Bastille dominait alors le faubourg le plus populeux.

Il faudra bien un jour aborder cette redoutable question des chefs-lieux de gouvernement; on décidera, enfin, si l'existence des États devient possible avec une seule ville exclusivement prépondérante.

La chute des pouvoirs ne serait qu'une révolution, si, dans un certain état des sociétés, les pouvoirs n'entraînaient, avec eux, les empires et les nationalités à une ruine commune.

§ IV.

POSITION EXTÉRIEURE DE RALLIEMENT.

60. Ainsi, supposons qu'une grande effervescence politique règne uniquement dans la capitale; l'on est assuré des provinces irritées contre une tyrannique oppression; la garde nationale est décidément aveuglée ou hostile; les moyens de répression suffisants n'ont point été réunis à propos; les dévouements sont sur le point de flotter incertains; alors des militaires compétents recommandent l'adoption du quatrième parti.

Ils regardent la lutte comme très-chanceuse, non-seulement à l'intérieur de toute la ville, mais même à une de ses extrémités, vu les graves conséquences qu'elle peut entraîner, conséquences à redouter, la garnison eût-elle de forts points d'appui dans les principaux quartiers; car il peut y avoir contre l'autorité, disent-ils, et au moment le plus critique, une influence morale rapidement croissante.

61. Dans ce cas, le Gouvernement exprime le désir qu'une méprise, qu'une surexcitation passagère et sans fondement ne finisse pas par une boucherie regrettable; il livre la capitale à la garde nationale sommée de la préserver du pillage.

Il rallie son armée avant qu'elle ne soit paralysée par les manifestations, les hésitations, les insuccès; il la rallie, ainsi que les assemblées et les principales administrations, en dehors de ce foyer de révolte; soit sur une place forte ou position voisine; soit sur une ligne de places frontières, communiquant avec la majeure partie du pays ou appuyée à une puissance amie, et convenablement approvisionnée.

Son but doit être d'aviser, selon les événements; il pourra, au moins, dans l'intérêt de la société, exiger que l'autorité soit transmise régulièrement, du pouvoir tombant à un autre élevé selon le voeu du pays, qui ne tardera pas à se faire connaître.

* * * * *

62. À cet effet, toute grande capitale doit être dominée, à moins d'une journée de marche, par un réduit fortifié du 1/10e de son développement, du 1/25e de sa surface; 20 fronts seraient quelquefois nécessaires; cette citadelle est, ou peut devenir accidentellement, le siége du Gouvernement.

Des dispositions sont prises pour que ce cas échéant:

1° Les principaux services administratifs y trouvent réunis leurs moyens d'action les plus indispensables, en personnel et en matériel de tout genre;

2° L'armée ait un considérable approvisionnement de vivres, de munitions, de matériel, avec les moyens de transports nécessaires.

Une centralisation administrative exagérée rend indispensable l'adoption la plus complète de ces mesures difficiles.

À une marche autour de la capitale, sur la circonférence des lignes d'invasion, sont trois ou quatre places semblables écartées, entre elles, d'une journée de marche, et dominant les lignes transversales ou parallèles de défense.

Ces places et le réduit paraissent également nécessaires contre l'ennemi du dehors et celui du dedans. En temps de paix, on y entretient de fortes garnisons, auxquelles les troupes des divisions militaires voisines viennent se rallier, en cas d'évacuation de la capitale.

Ces grands dépôts de sûreté contiennent, en tous temps, les approvisionnements, le matériel, les vivres et les moyens de transports nécessaires.

Des règlements de police et de servitude militaires s'opposeraient à l'extension exagérée de la population, et surtout d'une population remuante, soit à l'intérieur, soit aux environs.

63. La capitale cernée, menacée d'un blocus ou d'un siége, ayant contre elle le pays tout entier, serait bientôt obligée de rentrer dans le devoir; sa révolte la plus obstinée ne pourrait se prolonger au delà de quelques jours, ainsi que l'ont démontré les derniers événements de Vienne, en octobre 1848.

Presque toujours, et ce n'est pas la moindre compensation des inconvénients de ce plan, car on est obligé de lui en reconnaître, l'emploi des moyens de rigueur serait moins nécessaire.

* * * * *

64. Nous avons vu Henri IV dominer ainsi, de 1590 au commencement de 1596, la capitale révoltée; la ligue était secourue par l'armée espagnole de Flandres, à l'aide de la position intermédiaire de Laon, son dernier réduit.

Le roi, pour resserrer Paris, l'affamer et l'isoler, occupa simultanément plusieurs des positions suivantes: Meulan, Chartres, Chevreuse, Montlhéry, Corbeil, Melun, Moret, Montereau, Nogent-sur-Seine, Provins, Nangis, Brie-Comte-Robert, Lagny, Cressy et les places de l'Oise.

Plus habile politique et officier de combat que général dirigeant, Henri IV sut néanmoins, par la persévérance de ses efforts intelligents, arriver enfin à un succès définitif, qui d'abord avait paru impossible aux plus capables.

* * * * *

65. En 1652, Turenne contint, de la même manière, avec une armée de 8 à 11,000 hommes, en s'appuyant sur les principales positions, à une journée de marche autour de Paris, depuis l'Oise jusqu'à la Loire, la capitale révoltée et les 15,000 hommes de l'armée des princes.

Ceux-ci étaient successivement secourus, de Cambrai, par les 12,000
Espagnols détachés sous les ordres de Fuenseldange; des rives de la
Marne, par les 8,000 hommes du duc de Lorraine.

Les forces de Turenne ne s'élevaient pas au tiers de celles de l'insurrection trop favorisée par le pays; le roi ne pouvait être reçu dans la plupart des villes. On avait à combattre le grand Condé.

Du 30 janvier au 15 octobre, pendant huit mois d'angoisses journalières, Turenne sauva plusieurs fois par son activité, son habileté et sa prudence, la royauté chaque jour au moment de périr; il finit par la ramener triomphante dans la capitale.

Les positions circonvallantes autour de Paris, occupées successivement par ce grand capitaine, dans cette immortelle campagne, furent:

Sur l'Eure, Chartres;

Sur la Loire, Jargeau, Briare et Bleneau;

Sur la Haute-Seine, Melun, Corbeil, Ablon et Villeneuve-Saint-Georges;

Sur la Marne, Meaux et Lagny;

Entre la Marne et l'Oise, Dammartin et le Thillay près Gonesse, la
Nonette de Borrestz à Senlis;

Sur l'Oise, Compiègne, Creil et Beaumont;

Sur la Basse-Seine, Épinay.

Le 24 juillet, le roi ayant eu connaissance que les princes marchaient vers la Brie et avaient des intelligences sur l'Yonne, que les espagnols ne pénétreraient pas plus avant dans le royaume, avait prescrit d'occuper simultanément, sur les principales lignes transversales, à quatre et dix lieues de Paris, Étampes, Melun, Corbeil, Meaux, Lagny, Beaumont et Creil, dont on venait d'apprécier l'importance.

Pendant cette campagne, la cour, pour laquelle les Parisiens conservèrent l'apparence de quelques ménagements, erra successivement de la rive gauche de la Loire, à Chartres, Saint-Cloud, Saint-Germain, Poissy et Saint-Denis.

Laon, comme point de jonction des armées d'Espagne et de Lorraine, ou de refuge de l'armée des princes; Villeneuve-Saint-Georges, comme lieu de réunion de celle ci à l'armée de Lorraine, jouèrent un rôle important.

C'est à Turenne, à la promptitude, à la sûreté de son jugement, à une activité et à un dévouement de tous les jours, de toutes les heures, que la France doit, pour ainsi dire, le beau siècle de Louis XIV. Jamais général ou homme d'état ne rendit à son pays, mis sur le bord de l'abîme par la félonie et l'esprit de faction, des services aussi signalés; de telles campagnes sont de celles qui laissent après elles autre chose que des morts et des dépenses ruineuses. L'exemple de Turenne a inspiré généreusement les hommes de guerre appelés, par les événements, à jouer le rôle si grand de défenseurs du principe d'autorité, au milieu de la société en ruine; pour honorer convenablement de tels génies, de tels services rendus, les plus éclatantes voix de la renommée seraient encore impuissantes.

«Les princes doivent avoir toujours auprès d'eux, à tout événement, plusieurs hommes d'épée d'une fidélité et d'une capacité éprouvées pour étouffer les séditions dès le commencement.

«BACON.»

À la même époque, Condé, autrefois et plus tard digne émule de Turenne, persévérait dans l'erreur avec les criminels agitateurs de la France; il devait un jour réparer aussi noblement, et par son repentir, et par de glorieux services, ces écarts regrettables.

«Et puisqu'il faut une fois parler de ces choses, dont je voudrais pouvoir me taire éternellement, jusqu'à cette fatale prison, il n'avait seulement pas songé qu'on pût rien attenter contre l'État; et, dans son plus grand crédit, s'il souhaitait d'obtenir des grâces, il souhaitait encore plus de les mériter; c'est ce qui lui faisait dire qu'il était entré en prison le plus innocent des hommes, et qu'il en était sorti le plus coupable: Hélas, poursuivait-il, je ne respirais que le service du roi et la grandeur de l'État. On ressentait dans ses paroles un regret sincère d'avoir été poussé si loin dans ses malheurs.

«BOSSUET.»

* * * * *

66. À défaut des dispositions de prévoyance militaire et politique détaillées au n° 62, le dernier Gouvernement, placé dans des circonstances peut-être équivalentes, n'avait-il pas encore, en Février 1848, plusieurs partis à prendre; le succès était d'autant plus probable que telle était l'attente de la France?

On pouvait se retirer, avec les forces de la 1re division militaire, entre les places de l'Aisne et de l'Oise, et rallier en quelques jours, de cette position importante, plusieurs armées sur les avenues de la capitale.

1° Sur la ligne de la Somme, les nombreuses troupes de la 16e division.

2° Sur Châlons et la Marne, celles des 2e, 3e et 5e divisions.

3° Sur Troyes et la Haute-Seine, celles des 6e et 18e divisions.

4° Sur Blois et la Loire, celles des 4e et 15e divisions.

5° Sur la Basse-Seine, celles de la 14e division.

Dans cette position, adossé au royaume ami de Belgique, en rapport avec l'Europe, le Gouvernement de 1830 eût intercepté, à son avantage, les communications du reste de la France.

Parmi tant de capacités et d'illustrations, dont le dévouement ne pouvait être mis en doute, l'homme d'État pour conseiller et organiser l'exécution d'un tel plan, aurait-il été impuissant?

Dans la société actuelle, sans hiérarchie, affaiblie, usée, dissoute par tant de révolutions successives et contraires, tous les liens, tous les dévouements, toutes les énergies, toutes les croyances, tous les pouvoirs sont-ils relâchés ou altérés au point de rendre impossible un effort sérieux à l'heure suprême de la vie des Gouvernements?

67. Cependant, on a cru que le pouvoir de juillet s'était préparé, même avec préoccupation, à une telle lutte et à toutes ses conséquences.

C'est peu présumable: car, de toutes les dispositions de prévoyance, ce pouvoir intelligent aurait donc, alors, pris la moins heureuse: celle de préparer, par l'enceinte continue et ses 14 forts détachés, une place forte à la révolte.

Ces forts sont trop nombreux pour qu'on puisse espérer qu'ils seraient, dans de pareilles circonstances, convenablement garnis de troupes et utilisés.

Ils augmentent la nécessité déjà si fâcheuse des détachements, et déplacent avec désavantage le casernement de Paris, en dehors des quartiers à dominer.

Ils sont trop rapprochés de la capitale, trop inquiétants pour elle, et chacun pas assez importants, pour résister longtemps à l'influence révolutionnaire qui y surgirait.

Tout au plus les positions principales, et cependant encore trop rapprochées, de Vincennes, de Saint-Denis, du Mont-Valérien, du haut Clamart, auraient pu être fortifiées, dans ce but et avec quelque avantage, sur une plus grande échelle: elles auraient été occupées et conservées par quatre détachements d'élite.

Eu cas d'invasion étrangère, toujours malheureusement appuyée par un simulacre de parti, ces fortifications, colossales par leur étendue et les détachements qu'elles nécessiteraient, auraient une utilité toute spéciale: elles serviraient surtout contre une armée qui n'oserait pas ou ne pourrait pas réunir les immenses moyens nécessaires pour les aborder. Elles auraient toute leur incontestable valeur dans une certaine situation morale des populations. Comme ouvrages d'art, et surtout pour la rapide exécution, ces immenses travaux resteront un des monuments du dernier règne.

68. Un fait a, d'ailleurs, été constaté: c'est la répugnance du roi Louis-Philippe pour l'emploi des moyens sanglants; c'est sa persévérance à résoudre la crise, par des voies de conciliation et de légalité, même aux dépens de sa dynastie.

Si l'on ne craignait pas de paraître injuste pour de grandes infortunes, et de ne pas tenir assez de compte des impossibilités qui, vu l'étal actuel de notre société démantelée, peuvent, à une heure critique, arrêter, annihiler les plus beaux caractères, les plus nobles résolutions, ne serait-ce même pas le cas de dire: «semblables au pilote qui, environné d'écueils et assailli par la tempête, lutte, succombe ou se sauve avec l'équipage recueilli sur une mer agitée, les princes ont toujours mission de diriger, d'exciter leurs peuples, de les entraîner de force au milieu des grandes crises, et non de les abandonner à cet esprit de vertige ou de découragement qui les saisit alors: plus élevés vers la région des orages politiques ou sociaux, eux seuls peuvent leur faire tête et en triompher.»

Trop d'esprits puissants ont échoué devant le mystère d'événements si grands, si imprévus, pour que longtemps encore le vulgaire soit excusable de revenir ainsi sur ce que l'on pouvait attendre de princes tant de fois éprouvés, partout où il y avait de nobles exemples à donner, et qui avaient si bien compris les exigences, les nécessités, les rudes devoirs de leur époque.

Le 15 mars 1815, après le débarquement de Napoléon à Cannes, le duc d'Orléans conseillait au duc de Feltre, ministre de la guerre, de faire rallier la cour et le gouvernement à Lille.

«Votre Altesse ne sait pas, lui avait répondu le ministre, ce qu'est une translation semblable: nous l'avons vu, l'an dernier, lorsque nous voulûmes transférer le gouvernement impérial à Blois. La queue de nos voitures s'étendait de Paris à Vendôme. Cela est impraticable; il faut tenir à Paris, car il est impossible d'aller ailleurs.»

Le souvenir de cette conversation et des entraînements de 1815 a-t-il fatalement influé sur la conduite du roi, en février 1848?

La difficulté vraiment grande du déplacement des principaux services administratifs, des autorités, des moyens de défense ou de subsistance, au milieu d'une pareille crise, à chaque instant plus compliquée, alors que les dévouements sont déconcertés ou ébranlés, s'est-elle alors manifestée trop insurmontable?

Cependant les circonstances étaient peut-être différentes, quant à ce que l'on pouvait attendre ou craindre de Paris, des provinces, de l'armée, de l'étranger: le roi, mieux que personne, pouvait les apprécier.

Son abdication, alors que le trône était si ouvertement menacé, fut, en définitive, l'obstacle à l'adoption de tout bon parti et la cause de la chute de la Monarchie.

À propos des journées de juin 1848, on aurait dit: Il n'y a qu'un gouvernement anonyme qui puisse se défendre ainsi. Ce mot présenterait, sous un nouveau jour, l'événement de février.

§ V.

ÉLOIGNEMENT DE LA CAPITALE.

69. Il serait presque inutile de parler de deux autres partis bien chanceux, et qui ne peuvent être approuvés que dans les circonstances les plus désespérées.

1° S'éloigner de la capitale, des provinces mécontentes, des forces ennemies qui s'y appuient.

2° Évacuer entièrement le territoire.

Le premier parti conduit trop souvent au second, à une chute définitive et quelquefois au partage du pays.

Le second n'est admissible que dans un cas encore plus désespéré, quand une faction tout à fait dominante ne laisse d'autre chance de rétablissement que l'appui dangereux de l'étranger.

Alors, le mieux est de rester le plus près possible de la frontière, en communication directe et facile avec les partisans que l'on conserve à l'intérieur, et la protection sur laquelle on compte, ne serait-ce que pour la surveiller.

Deux exemples, empruntés à notre histoire, malheureusement si féconde en catastrophes de ce genre, développeront suffisamment ces principes:

* * * * *

70. Vers le 15 juillet 1652, la cour alarmée, à Saint-Denis, de la marche de l'archiduc avec les 20,000 soldats d'Espagne et de Lorraine, au secours des princes et de Paris révolté, décida que, le 17, elle se retirerait, sous l'escorte de 2,000 hommes, sur Lyon.

Les motifs du conseil du roi, pour prendre cette résolution, étaient d'éviter que la cour et sa petite armée de 8,000 hommes fussent enfermées entre les 20.000 Espagnols de l'archiduc, Paris révolté et les 8,000 soldats de l'armée des princes.

L'essentiel paraissait être de mettre la personne du roi en sûreté. La Normandie avait refusé de le recevoir; il y avait partout tant d'étonnement ou de rébellion que peu de villes n'eussent ouvert leurs portes aux ennemis: Lyon et ses environs étaient seuls dévoués.

M. de Turenne, arrivé le même jour à Saint-Denis, apprit ce projet et fut aussitôt le combattre, auprès du cardinal Mazarin, par les raisons suivantes:

La retraite de la cour, au midi de Paris, entraînerait infailliblement la perte des places du roi en Picardie, Champagne et Lorraine; les Espagnols s'avanceraient vers Laon, Soissons et Compiègne, positions décisives en cas de toute révolte de la capitale appuyée de l'étranger.

Ces provinces abandonnées s'accorderaient avec les Espagnols ou avec la Fronde. Les princes, ainsi établis, verraient leur force, leur réputation, leurs ressources augmenter aux dépens de celles de la couronne; le roi serait à la veille d'être entièrement chassé du royaume, et une pareille situation inspirerait la pensée de diviser la France.

Turenne conclut que le parti le plus prudent, pour le roi, était de se retirer avec sa garde à Pontoise, où il serait respecté des Parisiens, encore bienséants, quoique hostiles; au pis aller, il pouvait se réfugier dans une des places de la Somme.

En se portant à Compiègne, l'armée arrêterait ou retarderait au moins les progrès des Espagnols, à l'aide des rivières qui environnent cette position de flanc. Les Espagnols, naturellement soupçonneux et prudents à l'excès, craindraient, voyant Turenne venir à eux, de trop se fier aux princes et à l'inconstance ordinaire de la nation.

L'archiduc n'oserait marcher sur Paris avec toutes ses forces, de peur de laisser l'armée du roi entre lui et la Flandre, sa base d'opérations alors entièrement dégarnie. S'il envoyait un secours considérable aux princes, il serait obligé de se retirer sur la frontière, ne pouvant rester en présence de l'armée du roi qu'avec des forces très-supérieures.

La cour, mais surtout la reine, qui n'avait jamais trouvé aucun parti trop hasardeux, adoptèrent le projet de Turenne; et trois mois après, à la suite d'une admirable campagne qui mérite d'être méditée, dont l'idée et l'exécution appartiennent exclusivement à Turenne, le roi rentrait dans Paris soumis.

* * * * *

71. Le 17 mars 1815, à la suite des progrès rapides de Napoléon sur Paris, le duc d'Orléans, ayant sous ses ordres le duc de Trévise, avait été envoyé à Péronne pour former dans le Nord un corps de réserve.

Dans la nuit du 19 au 20 mars, Louis XVIII partit de Paris, arriva le 20 à Abbeville; le maréchal Macdonald le détermina, au lieu d'y attendre sa maison, à se rendre à Lille, où il rallierait mieux ses forces, ainsi que son gouvernement.

Arrivé le 22 à Lille, Louis XVIII apprit la déclaration du 15 mars du congrès de Vienne. D'abord il voulut se retirer à Dunkerque, où il aurait plus de liberté de communications avec la France et l'étranger, d'où il serait plus en dehors des mouvements ultérieurs des armées alliées; l'ordre fut même expédié à sa maison de s'y rendre. Il différa de répondre à une offre de secours du prince d'Orange.

Dans la nuit, le roi changea de projet; il parut vouloir rester à Lille et craindre le trajet de cette ville à Dunkerque.

Pendant ce temps, Napoléon ordonnait d'arrêter Louis XVIII et les princes, ou, au moins, de les rejeter sur le littoral, de manière à forcer la cour à s'embarquer pour l'Angleterre: la présence du Roi, à Londres, serait moins à craindre; il aurait moins d'influence sur les généraux et les conseils de la coalition.

Le 23 mars, Louis XVIII ne pouvant plus rester à Lille, n'osant pas se rendre directement à Dunkerque, partit pour Ostende et Gand, où il se mit bientôt en communication avec la France, un des ministres de l'Empereur et la coalition.

Ainsi échoua le projet de Napoléon, par suite d'une circonstance que
Louis XVIII avait d'abord jugée regrettable.

Napoléon et le duc de Guise, entre lesquels du reste aucune autre comparaison n'est possible, furent également inquiets d'apprendre, l'un, que Henri III venait de se dérober à l'émeute de Paris; l'autre, que Louis XVIII était à Gand en rapport avec la France et la coalition: en présence d'une révolution imminente, le pouvoir menacé doit être, au centre de ses points d'appuis réels, en dehors de la masse de ses ennemis.

* * * * *

Avant d'aborder, dans sa généralité et avec toutes ses difficultés, l'important problème de la répression des émeutes à l'intérieur des capitales de l'Europe, il était nécessaire d'énumérer les autres principaux plans de défense, proposés ou suivis jusqu'à ce jour, contre une tentative de révolution: ici, encore, les enseignements de l'histoire n'ont point fait défaut: il est malheureusement peu de sujets militaires sur lesquels on puisse recueillir autant de faits et de déplorables, mais utiles leçons.

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