Insurrections et guerre des barricades dans les grandes villes: par le général de brigade Roguet
CHAPITRE III.
Principes fondamentaux.
§ 1er.
PRINCIPES GÉNÉRAUX.
72. Commençons par l'exposé des principes généraux qui ont rapport à la force morale de la troupe et à son maintien en toutes circonstances.
Il est d'abord nécessaire de rappeler huit assertions relatives à l'emploi de l'armée dans les troubles civils; on avait donné beaucoup trop d'importance aux trois premières; les militaires et les hommes d'État ne peuvent les admettre, même très-exceptionnellement et avec les plus grandes restrictions. Les trois dernières sont moins contestables.
1° Le lendemain même d'une révolution, a-t-on dit, la troupe serait moins apte à faire cette guerre, sans aucune préoccupation.
2° Il y aurait même, dans ce premier moment, lieu de ne pas trop s'exagérer ce service, qui, peu de jours après, serait décisif.
3° La troupe obtiendra immédiatement un succès complet, si la garde nationale marche avec elle; dans le cas contraire, il faudra moins espérer de la prompte efficacité de son action.
4° Un gouvernement régulier et national peut être forcé d'avoir, quelquefois, recours à ce moyen extrême.
5° Dans ce genre de guerre, le tort et la défaite sont presque toujours pour le parti qui donne lieu à la lutte; le succès et le droit pour le Pouvoir qui se défend et sait se laisser attaquer.
6° Les forces morales sont incommensurables par rapport aux forces matérielles: 10,000 hommes de secours que l'autorité peut recevoir sont plus, pour elle, que 20,000 hommes à la présence desquels les partis sont habitués.
7° Si, dans la guerre ordinaire, le moral joue le plus grand rôle, il a une autre importance dans une guerre d'émeutes, au milieu des hésitations ou du délire des partis, et des embarras du Pouvoir.
8° Les troupes doivent donc, en général, être tenues à proximité des villes où la tranquillité peut être compromise, plutôt que dans ces villes mêmes où elles pourraient, quelquefois, être disséminées dans une lutte mal engagée.
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73. Ajoutons que les armées n'ont pas une valeur égale et constante, surtout aux époques critiques de la vie des nationalités; il y a, pour cela, une infinité de raisons dont le sujet de ce livre ne comporte pas le développement: quatre principales doivent cependant être rappelées: la discipline, l'administration, le maintien de l'effectif des disponibles, la bonne composition des cadres.
L'administration et la discipline font les armées patientes, durables, laborieuses, invincibles: avec elles le soldat est heureux, puisqu'il est pourvu aussi bien que possible, et qu'il sait ce qu'exige de lui une volonté intelligente, non capricieuse au gré des instants.
Le militaire qui, tous les jours, et jusque dans les moindres choses, aura contracté l'habitude impérieuse de la règle et du devoir, n'y échappera jamais dans les circonstances les plus grandes, les plus difficiles, et même à l'heure suprême des Gouvernements où la mollesse et le scepticisme ont quelquefois plus de latitude.
74. L'effectif, ou plutôt le maintien de l'effectif des disponibles, est une des premières causes d'ordre et de force morale: un corps qui, au jour d'une action, d'une opération militaire importante, a moitié moins de l'effectif disponible qu'il pourrait déployer, n'est capable que de la moitié de ce qu'il doit au pays; bien plus, le découragement qui résulte de cette situation fâcheuse, les vices dont elle provient, réduisent réellement sa force morale au quart de celle d'un autre régiment qui se serait mieux maintenu: souvent même, l'effet si rapidement progressif du désordre rend cette troupe d'un secours douteux ou négatif.
Le maintien de l'effectif résulte de l'observation constante et intelligente de l'administration, de la discipline et des règles militaires: le soldat qui n'a pas ce qu'on peut lui procurer, qui n'est pas commandé comme il doit l'être et par qui il le faut, qui n'est pas utilisé comme le veulent les règlements, ce soldat, ailleurs précieux et inépuisable élément de gloire, prend l'habitude du désordre; il s'use au milieu des difficultés et du vice incessant d'une position rendue impossible; il végète dans les hôpitaux, échappe à ses chefs et au service de mille manières, ou succombe écrasé par un surcroît de devoirs devenus d'autant plus grands pour ceux qui restent auprès du drapeau: cent soldats ne sont pas égaux à cent soldats; ils valent d'autant plus que tous les éléments précédents se sont mieux maintenus autour et au-dessus d'eux; d'autant moins qu'ils ont été davantage négligés ou méprisés.
L'art si difficile du commandement se compose de deux parties bien distinctes: créer et entretenir l'élément de combat; le mettre en action. Aucuns succès durables ne peuvent être obtenus sans le concours de toutes deux.
75. Les cadres font aussi les armées qu'ils fortifient, qu'ils dominent, qu'ils entraînent aux plus grandes choses, s'ils sont vigoureux, riches de capacité, d'avenir, d'audace et de dévouement; ils forment, autour du chef, au-dessus des soldats, une atmosphère entraînante qui, bonne ou mauvaise, rend tout facile ou impossible: ils méritent la plus active, la plus constante sollicitude.
Turenne, qu'il ne faut pas se lasser de citer, exécuta de grandes choses dans ces temps d'anarchie où tout marche vers l'impossible; il les exécuta avec de petits corps de troupes admirablement administrés et dont il soignait lui-même l'éducation militaire par un sollicitude de tous les jours, préparant chaque fois, dans d'immortelles conférences où s'échappaient les secrets de la victoire, ses officiers aux efforts surhumains que les circonstances exigeaient.
Napoléon doubla la force des légions impériales par l'admirable composition de ses cadres. Ne se fiant même pas il sa prodigieuse activité d'investigation, à sa profonde connaissance des hommes dont il ne perdait aucun de vue, il aimait à reproduire, sous ce rapport, toute sa volonté, toute sa persévérance, au milieu de nombreuses et de lointaines armées, par des généraux de confiance longtemps éprouvés, sous ses yeux, comme créateurs et conservateurs de l'élément de combat.
Il doubla surtout ses forces par d'inimitables proclamations, dont l'héroïque poésie fera battre le coeur des soldats jusqu'aux derniers âges du monde.
Ainsi il put longtemps soutenir une lutte prodigieuse, et contre l'Europe, et contre les éléments, et contre des désastres successivement accumulés, par ceux-ci, comme pour lui rappeler les limites dont aucun génie humain n'avait jamais eu, encore, ni la force, ni l'audace d'approcher.
Au dernier jour d'action et de gloire impériales, le monde étonné voit Napoléon impassible, seul avec une poignée de soldats privés de tout, au milieu des masses d'armées ennemies, étreindre, entraîner encore d'un bras vigoureux, sous ses aigles toujours redoutées, la victoire expirante de lassitude et d'efforts.
D'immortels cadres, qui ne croyaient rien d'impossible parce qu'ils avaient déjà tant de fois fait ou vu faire tout ce qui est humainement exécutable, et quelques jeunes paysans apprenant la charge en douze temps dans les combats de chaque jour, partageront, avec le génie des temps modernes, la gloire de cette grande lutte et de ces grands revers.
Mais c'est trop insister sur ces quatre principaux éléments de la force des armées; il eût été mieux, surtout pour les temps d'anarchie, de n'en compter qu'un seul: le respect et l'habitude constante de la règle, d'où découlent nécessairement tous les autres, même la force morale.
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76. Une capitale soulevée est un champ de bataille des plus difficiles par son étendue, les péripéties morales qui le compliquent, l'imprévu qui y règne, les masses rapidement impressionnables au milieu desquelles on agit, le terrain inextricable, le danger, quelquefois même la nécessité de beaucoup de détachements; les positions, qui peuvent les compromettre; l'importance, la diversité des résultats; le nombre des partis, entre lesquels il faut choisir de suite, et sans perdre les instants précieux aussi fugitifs que décisifs qui les conseillent; les influences, les impressions, les exigences au milieu desquelles le chef militaire est obligé de se débattre; les émotions progressives et rapides qui aggravent tout autour de lui; la difficulté de savoir juger, dans chaque circonstance, l'état dominant des esprits; ce qu'il permet d'employer de rigueur et d'énergie, de manière à faire constamment progresser la répression, sans accroître imprudemment l'excitation.
77. Pour une pareille lutte, le chef ne peut avoir trop de supériorité, de fermeté, de calme, de jugement, de prudence ou de prévoyance habile. Cette lutte devient tout-à-coup des plus graves; elle menace l'existence du Pouvoir et de la société entière un moment après celui où elle paraissait sans importance.
Le Gouvernement lui-même, presque toujours alors directement attaqué, et par conséquent affaibli, doit avoir toutes ces qualités, en conserver l'usage, et cependant les mettre entièrement à la disposition d'un chef militaire, en qui il ait pleine confiance.
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78. En face de l'insurrection qui ne cesse pas d'être unie et vigoureuse, en vue du renversement qu'elle se propose, les changements de commandants militaires, de ministres, et à plus forte raison de chef de l'État, sont toujours dangereux et décisifs.
79. Les divisions et sous-divisions, dans le commandement militaire, doivent être assez nombreuses pour que partout la répression soit prompte, énergique et éclairée; sans qu'il y ait lieu d'attendre une direction qui ne peut partir de loin, quant aux détails d'exécution.
Un arrondissement de 400 à 800 hectares d'étendue, de 50 à 100,000 âmes de population, est une unité de résistance partielle des plus convenables; la répression y sera forte du concours de tous les moyens d'action, de l'influence d'une autorité municipale et de la légion de garde nationale directement intéressées au maintien de l'ordre.
La répression se multiplie autant qu'il est nécessaire, mais partout sous une direction unique; les gardes nationales, l'armée, l'administration, la police, le pouvoir judiciaire, la gendarmerie, doivent réunir leurs forces et centraliser leur impulsion, avec les services administratifs, dans des quartiers généraux-magasins établis aux mairies, ou aux chefs-lieux de circonscriptions civiles, sous les ordres de commandants militaires investis des pouvoirs de l'état de siége.
80. Trop souvent une faible insurrection semble tenir en échec le double et quelquefois même le triple de ses forces réelles, à l'aide du concours apparent des curieux et indécis trois ou quatre fois plus nombreux.
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81. L'émeute se porte habituellement:
1° Sur les grandes communications ou places et dans les lieux de réunion ordinaires de la population.
2° Dans les quartiers populeux, mécontents ou mal percés.
3° Accidentellement, près des édifices, autorités ou demeures des individus qui sont le motif ou le prétexte du désordre.
82. Les révolutionnaires ont toujours le même jeu: ils excitent le peuple, ils l'appellent dans la rue par la presse incendiaire, les agitations des clubs, les menées des sociétés secrètes, dont certains mots d'ordre répétés à la fois par toutes les bouches accusent la puissance et l'activité.
Puis, l'on affecte de donner des conseils de prudence, de modération, qu'on sait bien ne pas devoir être suivis; des meneurs, au besoin désavoués, achèvent d'irriter, en attendant l'occasion d'apparaître dans la rue avec les éternels éléments de l'émeute.
Il y a, dans toute capitale, une bande de vagabonds que toute émotion publique fait instantanément surgir à la disposition des agitateurs: cette troupe, audacieuse si la résistance est incertaine, disparaît devant un pouvoir résolu.
Les rassemblements publics sont précédés de réunions occultes et précèdent, eux-mêmes, l'établissement des barricades. Celui-ci est d'abord timide, lent, décousu; mais bientôt, si l'on montre de la faiblesse ou de l'indécision, si la répression reste inactive, il s'étend avec audace, ensemble et activité progressive, chaque barricade poussant, pour ainsi dire, la suivante avec une vitesse de plus en plus accélérée.
Un mouvement marqué de la province, et même de l'étranger; les routes couvertes de piétons voyageant par troupes vers la capitale, sont, plusieurs jours d'avance, des indices certains de l'émeute.
83. La police, informée, avertit le gouvernement, qui a dû prendre les mesures nécessaires, parmi lesquelles il faut surtout compter:
1° L'arrestation prompte et secrète des chefs principaux de l'insurrection, et quelquefois du parti hostile le plus en mesure d'en profiter.
Les véritables instigateurs des révolutions sont presque toujours des hommes hauts placés dans le pays, souvent même auprès des diverses fonctions ou pouvoirs de l'État; il faut savoir remonter jusqu'à eux, par les chefs plus ostensibles et de confiance qui les représentent au plus bas de la masse des anarchistes.
Le langage des journaux et bien des indiscrétions donnent, à ce sujet, des indices aussi certains que les rapports de police.
2° La réunion, dans les centres de défense et surtout dans le quartier militaire, de considérables approvisionnements de vivres, de munitions et de matériel.
3° La concentration des principaux pouvoirs et moyens d'action autour du chef du gouvernement.
Le défaut de ces trois prévisions a fait réussir la plupart des émeutes.
§ II.
PRINCIPES PARTICULIERS.
84. 300 à 600 hommes suffisent, en quelques heures, pour barricader, à l'aide d'une première traverse provisoire couvrante et plus avancée, tout un quartier, de cent pas en cent pas; ils travaillent par groupes de 10 à 20 hommes; une fois l'opération exécutée, ils peuvent défendre la tête de leur travail, si profond qu'il soit.
85. 150 à 200 hommes de troupes de ligne suffisent d'abord, dans un quartier de 15 à 25,000 âmes de population, de cent hectares d'étendue, pour empêcher, au premier moment, avec les quelques gardes nationaux déjà accourus, l'élévation des barricades.
86. Une fois les insurgés groupés, fortifiés, et excités par l'inertie de la répression, 1,500 soldats deviendront insuffisants devant la série de barricades accumulées, les unes derrière les autres, le long d'une rue et sur ses flancs; ces véritables citadelles intercepteront toutes les communications, bloqueront chez eux les gardes nationaux; elles seront défendues, avec un entraînement inexplicable, par ceux-là mêmes qui d'abord seraient restés tranquilles, ou auraient aidé à les attaquer; une population ainsi agitée n'est que trop disposée à suivre moutonnement ceux qui savent l'entraîner; ses dispositions varient du tout au tout en un instant.
Ces 1,500 hommes, vu leur nombre et la manière dont l'absence de la garde nationale aura été expliquée, seront insuffisants, quoique convenablement engagés par leurs chefs; mais si, ce qui arrive quelquefois dans des circonstances aussi critiques, la direction laisse à désirer, un échec partiel peut devenir bientôt imminent.
87. L'élévation de ces barricades constitue, au milieu de la ville, un grand obstacle qui intercepte les communications, les mouvements de troupes, la transmission des ordres et des rapports, l'arrivée des vivres et de la grande quantité de munitions nécessaires, qu'il faut, dès lors, faire venir par de longs détours et avec de grosses escortes, si ces moyens de défense indispensables n'ont pas été, à l'avance, réunis sur les positions principales.
88. Dès ce moment, la cavalerie ne peut être employée dans la partie barricadée que par petites troupes, sur les places et carrefours, en arrière des barricades, et avec beaucoup de prudence ou d'à-propos; elle est d'autant moins utile qu'on a laissé élever plus de retranchements.
89. Lors même qu'elle fait peu de mal réel, l'artillerie produit un grand effet moral sur la population, soit avant l'élévation des barricades qu'elle empêche, à l'aide de quelques volées de coups de canon, dans les rues longues et droites.
Soit, après leur construction, pour faire évacuer ces retranchements ainsi que les bâtiments qui les dominent.
Soit contre les colonnes profondes d'insurgés qui se présentent imprudemment à ses coups. Avec son concours, la troupe les disperse sans courir risque de s'éparpiller elle-même en les poursuivant.
Son action est plus avantageuse partout où elle peut atteindre de loin, sans se découvrir à la fusillade des insurgés, soit en se masquant pendant une partie de la manoeuvre derrière un retour de rue, ou en faisant occuper, en avant d'elle, par l'infanterie, les maisons d'où celle-ci pourra la protéger.
Le nouveau tir des obus à balles de plein fouet aurait une puissance telle, qu'il est à désirer qu'on n'ait pas lieu d'en faire usage dans une lutte aussi funeste.
L'artillerie ne peut plus circuler à travers un quartier déjà barricadé, elle doit éviter, soit de laisser couper ses communications en arrière et de côté, par des traverses; soit de traîner, à sa suite, en tête des colonnes d'attaque, le nombre de chevaux et de caissons excédant ses besoins les plus indispensables dans une pareille lutte; des pièces prises, ou que l'on ne pourrait facilement dégager, exalteraient le moral des insurgés; la place de cette arme est principalement aux réserves divisionnaires ou générales.
90. Le feu de l'infanterie produit le plus d'effet dans des rues étroites, et du haut de positions dominantes, sur les groupes arrêtés par des obstacles.
L'impulsion donnée par le duc d'Aumale, à l'aide d'écoles spéciales, aux exercices du tir et au perfectionnement de l'arme, ont fait acquérir, sous ce rapport, à l'infanterie, une puissance et des propriétés nouvelles, dont les premières guerres démontreront toute l'importance sur l'art désormais profondément modifié.
Chaque arme attire les insurgés sur le terrain qui lui est favorable et évite de se laisser entraîner, là où elle perd une partie de ses avantages.
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91. 200 soldats de ligne, approvisionnés et bien commandés, résistent dans un bâtiment de facile défense cerné par l'insurrection.
92. Deux bataillons de ligne, approvisionnés dans un centre d'action, ralliant au besoin les gardes nationales du quartier, commandent, autour d'eux, un espace militaire d'environ 500 mètres de rayon.
93. Pour enlever une barricade, ordinairement faite par 10 à 20 hommes, défendue tout au plus par 50 à 100 hommes, deux patrouilles jumelées de 100 hommes chaque, dont une agissant sur les flancs, par les rues latérales ou l'intérieur des maisons, suffisent en une demi-heure.
L'attaque, uniquement faite de front, et par le bas de la rue même, exigerait dix fois plus de monde, de temps et de pertes.
94. Entre deux centres d'action espacés de 500 mètres, des patrouilles mixtes de 100 hommes de garde nationale et de troupes de ligne, chacune, cheminant en deux pelotons distants de 50 mètres, suffisent, surtout si elles sont appuyées par une patrouille semblable, suivant, à même hauteur, une direction parallèle.
95. Par arrondissement de 50 à 100,000 âmes de population, de 400 à 800 hectares de superficie, il faut, selon que le quartier est plus ou moins populeux, hostile ou révolté, 200, 2,000, 4,000 ou 6,000 hommes, au plus, de troupes de ligne, c'est-à-dire moins de 10 soldats par hectare, et 200 hommes par rayon de 250 mètres environ.
96. Dans chaque arrondissement, les troupes en patrouille doivent être le tiers de celles en réserve, au centre d'action; les deux tiers de l'effectif total des disponibles.
97. Entre deux grands quartiers généraux, disposant d'une réserve mobile de troupes, et espacés de 1,500 mètres, aucune insurrection sérieuse ne pourra solidement s'établir.
98. Entre deux centres d'action espacés de 500 mètres, convenablement occupés et approvisionnés, aucune barricade ne pourra être élevée bien solidement, même dans le quartier le plus hostile; il sera difficile, pour des attroupements considérables, d'y stationner et même de s'y former.
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99. Un faible détachement d'une ou deux compagnies peut lutter avantageusement, dans le dédale des rues, contre un corps considérable d'insurgés, si celui-ci n'agit que de front, et si, au contraire, les flancs et derrière du détachement sont assurés.
La profondeur des colonnes mobiles ou d'attaque n'est qu'un embarras et une cause de pertes ou d'étonnement; le chef ne peut répondre de ce qui se passe loin derrière lui; les subdivisions doivent marcher à une distance telle les unes des autres, qu'elles puissent se protéger réciproquement contre les entreprises tentées des maisons et rues transversales intermédiaires; deux ou trois subdivisions de garde nationale et de ligne entremêlées et flanquées de semblables colonnes jumelées suffisent.
Plus une position à enlever est formidable, plus un quartier à battre est hostile et populeux, plus l'emploi de colonnes parallèles jumelées, cheminant à la fois de front et sur les flancs des rassemblements ou barricades, est indispensable.
100. La concentration de la troupe par corps et fractions constituées de corps, sous les ordres de ses chefs naturels, fait sa force morale et assure plus facilement, plus complètement tous les besoins.
Trop souvent cette troupe avait été fatalement fractionnée sur des étendues de 2 à 4,000m, sous des commandements supérieurs différents, en détachements de 2 à 4 compagnies, et chaque position se trouvait être occupée par des fractions ainsi affaiblies de plusieurs corps.
Dans de pareilles circonstances, où tout moment peut amener des événements qui changent totalement la position des partis, les détachements sont toujours difficiles; ils deviennent fâcheux s'ils ne sont indispensables; tous ne sont pas également capables, au milieu de pareilles préoccupations, de prendre conseil des circonstances; un seul qui se trompe peut causer un échec partiel.
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101. Le soldat qui stationne, sans agir, plusieurs jours de suite sur les places ou rues, au milieu de la population agitée, se fatigue et s'inquiète: la troupe qui n'est pas active doit rester, au repos, à l'intérieur d'établissements et positions convenables.
102. La force armée, obligée de se rassembler, d'attendre les officiers, de se munir de tout ce qui est nécessaire, et souvent de relever ses postes journaliers, occupe d'autant plus tard les positions de combat que celles-ci sont plus éloignées de ses quartiers.
L'arrivé des ordres de mouvement exige une heure à une heure et demie de temps; le départ du quartier a lieu une demi-heure après; la troupe emploie une heure ou deux pour se rendre sur les points de concentration; elle n'entre en action que deux ou trois heures ensuite, obligée souvent de rebrousser chemin; ainsi, presque toujours, il y a quatre à six heures de retard, habilement mis à profit par l'émeute pour s'établir.
103. Les divers corps doivent se concentrer sur les points d'une circonférence de positions les plus rapprochées de leurs casernes; cette circonférence menace les quartiers suspects et couvre, à proximité, le centre de défense ou quartier militaire.
104. La réunion des gardes nationales est d'autant plus lente et plus difficile, leur action sera d'autant moins efficace, leur service d'autant plus pénible, qu'elles iront opérer sur des positions plus éloignées de leur quartier.
Les légions de garde nationale, les pelotons à cheval, les arrondissements, les subdivisions militaires de défense, organisées d'une manière permanente, doivent avoir les mêmes circonscriptions, et pour centre unique d'action, la mairie convenablement établie dans un lieu central dominant à débouchés faciles; une caserne, pour 2 à 3 bataillons, est en face ou à côté.
105. Il faut se hâter d'occuper le réseau de toutes les positions principales; et successivement, au fur et à mesure du développement de l'insurrection et de l'arrivée des forces dont on dispose, occuper également, dans les plus mauvais quartiers, les positions secondaires et tertiaires autour des grands centres d'action, afin d'obliger la révolte, désunie et débordée de toutes parts, à les attaquer avec désavantage.
Il serait regrettable de lui avoir laissé le temps de se réunir, de choisir, de prendre ces positions, de s'y fortifier et de réduire ensuite la troupe à en faire le siége long et sanglant.
Dans ce genre de guerre, l'avantage est pour celui qui part de positions défensives judicieusement établies; les pertes, les difficultés, pour celui qui les attaque sans les bases d'appui nécessaires.
Il y a d'autant moins de danger à occuper un plus grand nombre de postes que la position de l'armée et les dispositions de la garde nationale sont meilleures; mais toujours ces détachements doivent être convenablement appuyés d'une réserve centrale présentant une force double de l'effectif total des diverses fractions qui en dépendent.
106. Les méprises, les engagements pris en apparence avec les révoltés, sont leur principal moyen de succès; l'insurrection les obtient à l'aide de pourparlers toujours compromettants et dangereux. Dans aucun cas, la troupe et ses chefs ne doivent entrer en rapport avec les insurgés, si habiles à profiter des hésitations et des malentendus, et décidés à pousser tout à l'extrême, tant que l'on reste sur la voie des concessions. Toute hésitation est funeste, même au seul point de vue de l'humanité.
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107. Les gros détachements doivent se lier entre eux et au quartier général par des postes intermédiaires ou, au moins, par des signaux de correspondance.
108. Quelques grandes cours seront occupées comme places d'armes avec des réserves de toutes armes.
Elles sont d'autant plus avantageuses qu'elles dominent mieux un plus grand nombre de débouchés et qu'elles assurent les communications entre les principaux détachements.
109. Les divers postes, et même les plus considérables, doivent toujours pouvoir se soutenir et, au besoin, réunir toutes leurs forces contre un gros rassemblement qui se formerait dans leur rayon d'activité.
110. Chaque poste ou détachement a son but, son centre d'action, sans y être immobilisé.
Il doit marcher, soit au secours des corps voisins, soit au secours du quartier général lui-même, selon les circonstances.
La première règle, pour tous, est de ne pas cesser d'être utiles et de prendre conseil des événements.
111. Le temps de l'établissement des troupes sur leurs positions de combat est le plus critique de toute la lutte.
Il faut l'abréger autant que possible, et éviter de modifier, pendant ce mouvement, les ordres donnés, ce qui le rendrait plus long, plus difficile, plus dangereux.
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112. Les dégâts résultant de la lutte donnent lieu à une dépense de 100 à 200,000 fr., par journée, et pour un arrondissement de 100,000 âmes.
113. La perte en tués et en blessés, pour les deux partis, s'élève de 1 à 15/10,000 de la population, par journée de combat: la force armée supporte les 2 à 5/10 de ces pertes. Dans les deux partis, les hommes tués font les 3 à 4/12 de tous ceux frappés.
114. Par heure, un parc d'artillerie organisé à raison de 50 bouches à feu, dont 1/2 à 2/3 mortiers, pour 100,000 âmes de population hostile, jettera dans un quartier de ville de cette importance 100 projectiles, dont 2/3 bombes, 1/3 boulets rouges. Il détruira 100 maisons et fera pour 250,000 fr. à 500,000 fr. de dégâts. Ce genre d'attaque, employé contre Bruxelles en 1695, peut se prolonger pendant 2 et 3 jours: l'humanité le réprouve, même contre une population étrangère.
115. Dans la moitié ou les deux tiers d'une ville en émeute, et pendant deux à quatre jours, on élève ordinairement 8 à 12 barricades par hectare.
On distribue le plus souvent 4 à 8 cartouches, par journée de lutte, à chaque soldat ou garde national; les 2/3 de ces munitions sont consommées. On peut tirer 400 à 800 coups de canon pur jour, dans la plus grande capitale; les approvisionnements seront faits d'avance à chaque quartier général, en conséquence, ainsi que pour les vivres. C'est surtout le quartier militaire qui doit être abondamment pourvu, non-seulement de tous moyens de résistance, mais encore des transports nécessaires.
116. Si la ville a une surface en hectares de S hect. le chiffre P de la population sera 250 S y compris une population flottante de 50 S
Le nombre d'individus gênés en temps difficile 2/3 P
Les individus secourus P/3
parmi lesquels sont indigents P/10
Chiffre de la classe ouvrière P/36
dont sans ouvrage en temps difficile P/160
L'effectif de la garde nationale est 2P/25
dont un quart se présentera au rappel P/50
L'effectif des gardes journalières fournies
par la troupe sera P/250
La troupe disponible fera les 2/3 de son effectif total.
Le chiffre des gardes nationaux de province, accourus 2 ou 3 jours après au secours de l'autorité, s'élèvera peut-être à P/20
La garnison nécessaire pour avoir de suite, et sans compter sur ce dernier secours tardif ou incertain, moitié en sus des plus gros rassemblements hostiles possibles, sera P/20
Le chiffre maximum des hommes sur lesquels l'émeute pourrait compter, hommes la plupart accourus à cet effet du dehors, s'élèverait peut-être, dans les circonstances les plus critiques, à P/30
Chiffre plus probable des anarchistes P/250
Parmi lesquels sont véritablement résolus P/5000
Détenus de toute espèce P/100
Telles sont les moyennes qui peuvent servir à fixer très-approximativement les idées. Telle est la triste statistique de la plus horrible de toutes les guerres civiles.
§ III.
MOYENS MATÉRIELS NÉCESSAIRES.
117. Dès que l'émeute est solidement retranchée dans ses positions, l'attaque ne peut réussir, à moins d'une lutte longue et sanglante, qu'à l'aide des précautions et moyens accessoires ordinairement employés dans la guerre des retranchements.
«Aux affaires de villages retranchés, de barricades, de maisons, dit Antoine de Ville, il y a des préparatifs sans lesquels je ne crois pas qu'on pusse réussir, si ce n'est par hasard, ou que la peur gagne ceux qui sont dedans, ce qui n'arrive jamais souvent.
«Au contraire j'ai vu la plupart des attaques de ce genre échouer, les assaillants être repoussés avec perte et honte, l'assurance des ennemis augmenter, celle des nôtres diminuer lorsqu'il s'agissait de retourner à de nouvelles attaques, soit contre les mêmes positions, soit contre de nouvelles.
«Cela est arrivé faute de s'être présenté muni de ce qui se peut préparer et conduire partout facilement, de ce qui assure la vie des soldats et diminue les obstacles à franchir.
«Ces obstacles sont un fossé avec parapet derrière, une muraille, une barricade, palissade, barrière ou porte.
«Si on n'emploie aucune invention pour les forcer, que celle des hommes, on en viendra difficilement à bout, et on n'en recevra que de la perte.
«On a à faire à des gens assurés derrière leurs parapets; ceux qui attaquent viennent de loin et à découvert; on les canarde sans qu'ils puissent répondre efficacement; le remède est d'employer les moyens accessoires suivants:
«Je voudrais premièrement avoir des chariots légers, tant des roues que du reste, qui puissent être facilement tirés par un cheval et marcher aussi vite que la cavalerie.
«Il faudrait quelques pétards bien chargés, en état d'être appliqués avec leurs madriers, des fourchettes, des marteaux et autres choses nécessaires à cet effet. Cet instrument est indispensable dans toute entreprise où il peut y avoir quelque chose à rompre.
«Les pièces de bois, en guise de béliers pour faire tomber les clôtures des jardins, sont aussi très-utiles: on passera, par ce moyen, en des endroits dont les défenseurs ne se doutent pas.
«Les serpes, haches, hoyaux, pics et pelles sont également nécessaires pour abattre ou ouvrir les retranchements.
«On rompt les portes à l'aide de gros marteaux ou en arrachant la serrure et le verrou avec de fortes tenailles longues de 3 pieds; d'autres tenailles plus petites et quelques scies seraient aussi utiles.
«Qu'on ne dise pas que cet attirail serait embarrassant à porter; d'ailleurs, si on a bien reconnu la position, on ne traînera avec soi que les outils nécessaires à l'entreprise.
«Les mantelets sont indispensables; je voudrais les faire avec 2 ou 3 petites roues, 2 manches et des montants pour les tenir debout; ils auraient 5 pieds de hauteur par-dessus la partie à 1'épreuve du mousquet; j'y joindrais 5 pieds d'exhaussement en planches légères avec canonnières de 3 pieds de large pour tirer.
«Il faudra avoir plusieurs mantelets; un chariot en portera 3. Lors de l'attaque, plusieurs avanceront de front poussés par les soldats abrités: lorsque ceux-ci seront aux barricades, ils abattront le mantelet contre, en haussant les manches, de manière à se couvrir des endroits où les ennemis seront; on montera par-dessus pour entrer dans le retranchement. Ce moyen est bon là où il n'y a pas de fossés.
«J'ai vu quelquefois les paysans se retirer dans des églises où ils résistent tant qu'ils peuvent; puis ils montent au haut de la voûte et tirent l'échelle après eux; la voûte est percée en plusieurs endroits, d'où ils fusillent ceux qui veulent entrer pour prendre le butin qu'ils y ont retiré.
«Pour ce cas, on aura des mantelets élevés et portés sur l'essieu de deux roues, à l'aide de pieds droits; ils seront soutenus debout par des soldats marchant au-dessous.
«Avec ces mantelets, on avancera à couvert sans être exposé.
«En marchant à travers la campagne, on les laisse porter sur l'essieu pour les élever quand cela est nécessaire.»
118. Dans l'émeute de Toulouse, du 11 au 17 mai 1562, on fit avantageusement usage de mantelets analogues à ceux que recommande le chevalier de Ville.
* * * * *
119. L'attaque de l'armée de Condé retranchée derrière les barricades du faubourg Saint-Antoine, le 2 juillet 1652, ne fut aussi sanglante qu'à cause du mépris de ces règles.
Le roi, le cardinal et la cour, aussitôt qu'ils virent l'infanterie arrivée, envoyèrent ordre au vicomte de Turenne d'attaquer, sans attendre le maréchal de La Ferté, le canon et toutes les choses nécessaires pour rompre les murailles, combler les retranchements, enfoncer les barricades.
M. de Turenne les fit inutilement prier de prendre patience; il représenta que l'ennemi ne pouvait échapper, si les Parisiens, dont on croyait être assuré, ne lui ouvraient les portes; le temps qu'il fallait pour avoir le canon n'en donnerait pas assez à Condé pour se fortifier davantage; il était dangereux de s'exposer ainsi, sans les précautions nécessaires, à un échec qui ferait manquer une entreprise, au contraire assurée si l'on attendait que le canon et les outils de pionniers fussent arrivés.
L'impatience de la cour l'emporta sur toutes ces bonnes raisons; M. de Bouillon pressa plus que personne son frère de suivre aveuglément des ordres imprudents, mais formels, plutôt que de s'exposer à la censure des courtisans capables de persuader au roi qu'il voulait épargner le prince de Condé.
M. de Turenne n'était pas encore assez bien dans l'esprit du roi; il n'avait pas alors cette réputation de probité acquise depuis; pour oser désobéir à des ordres contraires au bien du service, il ne se fiait pas, à cette époque, sur sa capacité et son expérience, autant qu'il le fit dans la suite en plusieurs occasions; après avoir opposé la résistance qui lui était alors permise, il crut qu'il était sage d'obéir à des volontés que son autorité, toute grande qu'elle était déjà, ne pouvait cependant pas encore éclairer.
* * * * *
120. Mais de tous les moyens matériels d'action, ceux dont il faut constamment se préoccuper de la manière la plus sérieuse, et dont le défaut a fait triompher la plupart des émeutes, ce sont les approvisionnements de vivres et de combat, sur la plus grande échelle, et pour les diverses éventualités.
Cette prévoyance des services administratifs, si importante dans toutes les guerres, devient encore plus décisive en celle-ci; le moral est alors plus impressionnable; tant de péripéties diverses peuvent tout à coup surprendre, et si peu de moments sont accordés, au milieu de la tourmente révolutionnaire, pour pourvoir aux nécessités nouvelles de chacun de ces instants, où se décident irrévocablement les plus grandes destinées.
En pareille circonstance, la victoire sera presque toujours pour celui qui, le dernier, pourra subsister et combattre.
Les magasins de vivres et de munitions des divers quartiers généraux, ceux du quartier militaire ou de la position extérieure de ralliement, les approvisionnements de vivres particuliers des fournisseurs protégés par ces centres d'action, les moyens de transports suffisants et de toute nature, des services administratifs actifs et mobiles avec l'armée, assureront, ainsi qu'il sera expliqué ultérieurement, ces grands et impérieux besoins.
* * * * *
Nous venons de voir l'opinion de Turenne sur l'utilité de l'artillerie dans une semblable lutte.
À propos du deuxième siége de Sarragosse, en 1808, Napoléon répète plusieurs fois: La prise de cette ville est une affaire de canon, que ne pourraient avancer de nouveaux renforts de troupes.
Ainsi, plus la lutte sera sérieuse, plus la répression aura dû employer les voies lentes et régulières, plus il faudra de matériel: nécessité moins regrettable, si l'abondance des moyens prévient l'effusion du sang, en rendant toute lutte impossible.
* * * * *
Après avoir résumé les principaux faits observés ou les principes qui s'en déduisent pour ce triste genre de guerre, et avant d'exposer le système général de répression qu'il convient d'adopter, rappelons une maxime du chancelier de L'Hospital, qui doit être toujours présente à l'esprit:
«Toute sédition est mauvaise et pernicieuse en royaume et république; encore qu'elle eust bonne et honnête cause, il vaut mieux souffrir toutes pertes et injures qu'être cause d'un si grand mal, que d'amener guerre civile en son pays.»
CHAPITRE IV.
Mesures générales de défense.
§ Ier.
DISPOSITIONS PERMANENTES.
En conséquence des principes qui viennent d'être exposés, les dispositions suivantes doivent être prises dans le cas où l'on veut soutenir la lutte à l'intérieur de la ville, partout où éclatera la révolte.
121. Les légions, bataillons et compagnies de gardes nationales à pied ou à cheval sont établies par arrondissement, quartier et rue, pour les garder sans avoir à se déplacer.
Des bataillons, demi-bataillons ou compagnies désignés d'avance occupent les positions importantes à proximité.
D'autres détachements, tirés des arrondissements hostiles à l'émeute qui n'a pu s'y développer, vont de suite suppléer les gardes nationales moins bien disposées des plus mauvais arrondissements.
122. L'artillerie de la garde nationale reste concentrée à la réserve générale; sa dissémination dans les divers arrondissements aurait peu d'utilité, elle pourrait donner lieu à la perte de quelques pièces.
123. Les fractions de garde nationale ne laissent pas stationner dans les rues, dissipent les groupes, empêchent la formation des barricades, en font au besoin de défensives là où celles-ci ne peuvent être nuisibles à la répression, fouillent ou arrêtent les personnes suspectes, accompagnent les autres à l'aller et au retour.
124. Dans chaque compagnie, on tient, pendant la lutte, un état des hommes hostiles du quartier ou des gardes nationaux qui manquent à l'appel.
125. Sitôt que l'insurrection s'est complètement démasquée, des bataillons ou légions des arrondissements restés tranquilles, la moitié ou le tiers des troupes de ligne primitivement affectées à leur défense, viennent renforcer les réserves des divisions et subdivisions militaires engagées.
* * * * *
126. Les troupes de ligne fournissent habituellement le service dans ou près de leur arrondissement de casernement ou de combat, de manière à ce que les gardes puissent être plus facilement appuyées, rappelées ou relevées s'il y a lieu.
127. Les troupes agissent, autant que possible, dans la subdivision militaire où elles sont casernées, concurremment avec la garde nationale du quartier, à l'aide de l'assistance des autorités municipales et des agents de police dudit arrondissement.
Ainsi, elles sont constamment sur leurs positions de combat, et convenablement approvisionnées de vivres, de munitions; elles n'ont même pas besoin d'ordres et de temps pour les occuper et les défendre.
128. Les troupes casernées extrà muros ou sur les lignes de chemin de fer composent la majeure partie de la réserve générale, des réserves divisionnaires et des subdivisions extrà muros le plus à leur proximité.
129. Les commandements militaires de division et de subdivision sont permanents quant à la troupe, aux quartiers et positions que celle-ci doit défendre, aux gardes nationales et aux agents municipaux ou de police avec lesquels elle doit opérer constamment.
130. Les sections hors rang, les malades, les officiers et sous-officiers comptables, les caporaux d'ordinaire et les cuisiniers laissés dans les casernes; les postes journaliers, les patrouilles pour aller aux vivres sont, ainsi, autant de détachements inutiles aux corps casernés sur leurs positions de combat.
Ceux-ci restent d'autant plus compacts et forts; il y a moins de chances d'échecs partiels, et pour la révolte plus d'impossibilités.
* * * * *
131. Les officiers, sous-officiers et soldats de passage, en congé, en non-activité ou en retraite, dont l'état nominatif ou numérique doit constamment être tenu dans chaque arrondissement, se réunissent au premier rappel, à la mairie de leur quartier; on prend note de leur présence, on les embrigade, on les utilise.
Les autres militaires, employés à des services spéciaux dans la capitale, se rendent, avec leur chef, au quartier général divisionnaire ou principal.
Tous peuvent être employés utilement; aucuns ne doivent être, en apparence, livrés à de mauvaises excitations.
* * * * *
132. Les meilleures dispositions pour l'établissement des mairies et casernes juxta-posées, au point de jonction de plusieurs rues, de manière à en faire des centres d'action complets et des magasins d'approvisionnements de tous genres, pour la lutte la plus sérieuse, sont:
1° Une place uniquement formée par la mairie, une caserne et des établissements publics, de telle sorte que ceux-ci se trouveraient naturellement protégés sans qu'il soit besoin d'y faire des détachements et qu'aucun bâtiment de la place ne puisse tomber à la disposition des émeutiers.
2° Un carrefour au centre duquel est une mairie isolée; à l'un des coins de rue en face est la caserne; toutes les fenêtres extérieures du rez-de-chaussée sont grillées.
3° Une cour commune de communication pour la mairie et la caserne; chacun de ces établissements fait façade sur l'une des deux rues parallèles ou concourantes.
4° La caserne et la mairie aux deux côtés opposés d'une rue; un de ces établissements possède un second débouché, derrière, sur une rue parallèle.
133. Dans ces centres, il y a une réserve de munitions et d'approvisionnement en vivres de campagne, pour quatre jours, et pour chaque soldat.
En outre, des mesures sont prises avec des bouchers, marchands de vins, boulangers et grènetiers voisins, pour la fourniture, pendant la lutte, des rations de viande, de vin, de pain et de fourrages journellement nécessaires.
Dans le quartier militaire, et en sus des approvisionnements d'arrondissement, des mesures analogues sont prises, à l'effet de pourvoir aux besoins journaliers de toute l'armée, en vivres et en munitions, au cas où celle-ci viendrait à s'y concentrer.
Des moyens de transport suffisants y sont rassemblés. Il y a, dans les magasins, une autre réserve d'approvisionnement de quatre jours en vivres de campagne et en munitions de combat.
Ainsi le pouvoir, la force armée et chacune de ses subdivisions ou spécialités sont constamment mobiles et en mesure pour toutes circonstances.
§ II.
DIVISIONS ET SUBDIVISIONS MILITAIRES.
134. Le ministre de la guerre, ou un général en chef délégué, commande directement toutes les forces, sans être gêné ou retardé dans son action par les commandements parallèles ou spéciaux de la division ou subdivision territoriale, de la garde nationale ou urbaine.
Il a, sous ses ordres, les commandants des divisions et subdivisions militaires de la capitale intrà et extrà muros.
* * * * *
135. Des généraux de division commandent chacun l'un des grands quartiers de la capitale, de 600 à 1800 hectares d'étendue, de 150 à 400,000 âmes de population, ainsi que les subdivisions extrà muros attenantes.
Leurs quartiers généraux, espacés entre eux de 1500m, à 1000 ou 1500m au plus de distance du centre, à proximité des grandes communications intérieures de la capitale, à 6000m des centres extérieurs d'action extrà muros, sont éloignés de 1000m au plus des quartiers généraux subdivisionnaires intrà muros et des mairies qui en dépendent.
136. Il y a, à l'avance, dans chaque centre tertiaire, si un établissement public convenable le permet, une réserve d'approvisionnement de vivres, de munitions et de matériel.
137. Ces généraux ont avec eux, comme réserve, des troupes de ligne de toutes armes en grande partie casernées extrà muros.
138. La circonscription du commandement des généraux de division a une grande étendue et une haute importance:
Ces chefs ne peuvent que coordonner, d'un quartier général, les opérations secondaires des généraux de brigade dans leurs arrondissements, et les appuyer à propos, à l'aide d'une partie de la réserve dont ils disposent.
139. Un de ces généraux de division commande exclusivement le quartier militaire centre de défense, d'approvisionnement de toutes espèces et des moyens administratifs ou de gouvernement sur la plus vaste échelle.
Il dispose de transports considérables pour toutes les éventualités.
* * * * *
140. Chaque subdivision intérieure ou arrondissement municipal de 200 à 600 hectares d'étendue, de 60 à 120,000 âmes de population, d'une défense indépendante ou au moins limitée par de grandes lignes de communication, est sous les ordres permanents d'un général de brigade.
Le quartier général est à la mairie, où se trouvent, en tous temps, les approvisionnements nécessaires de vivres et de munitions de réserve.
141. Ce général, outre la légion et le peloton de cavalerie du quartier, dispose d'une réserve de 2 à 3 bataillons de ligne casernés en face de la mairie ou, au moins, à proximité.
142. Les généraux de subdivision intérieure doivent comprimer l'émeute dans l'étendue ordinaire d'une grande ville de province.
Leur commandement est encore très important: ils ont une responsabilité qui exige une certaine initiative ou latitude.
143. Dans chaque subdivision intérieure, les centres offensifs ont, pour l'action et le logement des troupes, des débouchés, des enceintes, des locaux convenables.
Ils sont près d'établissements publics à préserver, de carrefours ou de défilés importants, sur des lignes de communications ou de séparations principales.
144. Les passages sur les rivières, canaux, vieilles enceintes, escarpements, seront défendus, de manière à maintenir constamment séparées les diverses insurrections; à empêcher les transports d'armes, de poudre de l'une à l'autre, et à conserver cependant, pour la troupe, tous ces avantages décisifs.
Suivant la force de la garnison, et le concours plus ou moins efficace de la garde nationale, l'on occupera également, dans les quartiers importants, les dépôts de grains et de farines, les maisons de boulangers, d'armuriers, d'artificiers, les imprimeries, les caisses publiques et particulières, les églises et clochers où l'on pourrait sonner le tocsin, ainsi que les maisons, qui protégent le débouché sur les places.
Tous les petits postes ordinaires, autres que ceux ci-dessus mentionnés, se replieront promptement sur les corps-de-garde les plus rapprochés non abandonnés.
145. Ces dispositions résultent d'ailleurs de l'exécution intelligente du principe général suivant.
Les arrondissements militaires en pleine insurrection, bientôt et successivement renforcés par une portion des réserves de la division dont ils font partie, et au besoin par une fraction de la réserve générale, font occuper, à 600m autour de leur quartier général, cinq à six centres d'action tertiaires, espacés de 600m les uns des autres, et gardés, chacun, par un demi-bataillon de garde nationale avec 2 à 4 compagnies de ligne.
Ces points d'appui offensifs sont principalement établis au noeud des communications, aux défilés importants, sur les principales artères; là où se rend ordinairement la foule des promeneurs, des curieux, des émeutiers; au centre des quartiers populeux ou mécontents.
* * * * *
146. Les subdivisions extrà muros, avec les gardes nationales des faubourgs et de la banlieue, avec de l'infanterie, de l'artillerie et la majeure partie de la cavalerie, successivement appelées dans la capitale, sont chacune sous les ordres d'un général de brigade.
Elles surveillent, interceptent les avenues de la ville, la banlieue, les barrières, les chemins de fer, les passages des malles, diligences et courriers.
147. S'il y a un mur d'octroi, les petites barrières sont fermées.
Les barrières principales, espacées de 1500m en 1500m, sont gardées par des détachements de ligne qu'appuient les gardes nationales des faubourgs et des provinces.
148. Les quartiers généraux des subdivisions militaires extrà muros, au nombre de trois ou de quatre, sont à une distance de l'enceinte au moins égale à la moitié du rayon de celle-ci; leur écartement entre eux peut être quatre fois plus grand: chacun est le chef-lieu d'un arrondissement administratif, où existent les réserves d'approvisionnements de vivres et de munitions nécessaires.
Ces quartiers généraux commandent les avenues et les cours d'eau principaux, ainsi que toutes les positions intermédiaires; au besoin, ils assurent les mouvements, convois et communications par la banlieue; ils arrêtent les insurgés, rallient les secours qui viennent du dehors.
* * * * *
149. On se récriera contre ce nombre de divisions et de subdivisions militaires; contre les intermédiaires, les lenteurs qui peuvent en résulter pour l'exécution des ordres. On dira que c'est créer, pour une capitale, à l'intérieur, en pleine paix apparente, une véritable armée.
Cependant l'effectif des forces, l'étendue, la complication du théâtre des opérations, les péripéties imprévues que chaque heure y fait succéder, la difficulté des communications, la durée probable de la lutte, son acharnement, ses conséquences peuvent exiger désormais, quelque part en Europe, tout ce surcroît de sous-divisions dans les hauts commandements, cette hiérarchie de responsabilité pour des mesures ou des événements la plupart hors de la portée du général en chef.
Ne faut-il pas une véritable armée organisée en permanence, d'une manière complète, avec les accessoires les plus puissants, pour une lutte qui durerait plusieurs jours, dans laquelle cent mille gardes nationaux ou soldats, répartis sur un dédale immense, au milieu de l'ouragan des révolutions, consommeraient des millions de cartouches et des milliers de coups de canon; perdraient plusieurs milliers d'hommes et autant de généraux que les plus grandes, les plus meurtrières journées de l'époque impériale en ont vus périr?
Outre ces pertes cruelles et les quelques millions engloutis pour dévastations; outre la capitale transformée pendant plusieurs mois en un hôpital de blessés et de mourants, la société peut enfin y voir ses dernières journées.
Certes, voilà des motifs suffisants pour prendre, à l'avance, de sérieuses dispositions.
150. Aucun champ de bataille n'est plus vaste, plus difficile, plus voilé, plus mystérieux, plus inquiétant pour une seule responsabilité; aucun n'exige, pour chaque grade, fraction de troupe ou position occupée, autant de latitude et de spontanéité d'action dans de certaines limites.
Napoléon lui-même, avec toutes ses puissantes facultés, y réclamerait encore le concours complet des admirables agents de combat qui le suppléèrent si heureusement, dans les opérations secondaires de ces champs de bataille immortels, dont l'immensité ne pouvait néanmoins rien dérober à son génie.
151. Telles sont désormais les nécessités malheureuses de pareilles luttes: chaque général divisionnaire ou sous-divisionnaire doit irrévocablement s'attacher à son centre d'action pour y défendre les dernières murailles avec le dernier soldat. Ce centre a, dans le plan général adopté, une latitude en rapport avec l'importance des forces dont on y dispose et du grade élevé qui les dirige; lié au quartier militaire et aux centres voisins dans de certaines limites, il reste indépendant au-dessous de ces limites.
Mieux vaut, sous quelques rapports et dans une juste mesure, plusieurs grandes défenses individuelles efficaces par leur responsabilité et leur influence réelles sur les événements; mieux vaut toute l'action du général en chef exclusivement consacrée à coordonner, soutenir, rallier ces défenses individuelles, selon le plan général de défense adopté, qu'une direction unique et impossible si elle doit dominer jusqu'aux détails des opérations secondaires.
Un instant critique, qu'il faut prévoir, pourrait tout à coup étonner, déconcerter, jeter dans l'isolement et l'impuissance le commandement le plus actif ainsi compromis.
152. D'ailleurs, ce nombre de divisions et de subdivisions militaires, tant intérieures qu'extérieures, résulte de la nécessité désormais évidente de coordonner partout, d'une manière intime et complète, en vue d'une répression énergique, l'action des troupes de ligne, des légions de garde nationale, des autorités municipales d'arrondissement et des agents de sûreté, de telle sorte que, dans chaque centre de résistance, il y ait unité forte de tous les concours, de tous les moyens répressifs et approvisionnements indispensables.
Ce nombre résulte aussi de la nécessité également évidente d'utiliser les légions de garde nationale dans leur arrondissement, avec le chiffre des bataillons de ligne, qui seuls peuvent leur donner la consistance et la valeur désirables.
Il résulte enfin de l'étendue même du champ de bataille, du nombre des positions capitales qui, à différents degrés d'importance, le subdivisent inévitablement; celles-ci exigent, dans de certaines limites, des forces ou des approvisionnements de toute nature, indépendants et assurés.
Voilà bien des motifs, et cependant nous avons encore à donner le plus important, celui qui seul dominerait dans une pareille question: la nécessité de préserver l'humanité de jours sanglants et néfastes, en rendant, par un surcroît de moyens répressifs ou préventifs, toute tentative de lutte impossible à l'anarchie.
En définitive, il faut également centraliser et élever la direction générale, multiplier et localiser l'action.
* * * * *
153. Le chiffre relatif des réserves divisionnaires est réglé d'après l'étendue, l'importance de leurs circonscriptions, des craintes qu'elles donnent; les différentes armes y entrent dans la proportion présumée utile, en raison de la nature des localités.
Ensuite, on fait ultérieurement, au fur et à mesure des nouvelles nécessités, à l'aide de la réserve générale et des troupes disponibles dans les arrondissements restés tranquilles, les modifications exigées par les événements.
154. La répartition des forces entre les subdivisions intérieures, celles extrà muros, les quartiers généraux divisionnaires et la réserve centrale, a lieu, autant que possible, conformément au tableau ci-contre.
DIVISIONS ET SUBDIVISIONS MILITAIRES. 191
+—————————————————————————————————+ | LIGNE. | +———————————+—————+—————+——————+————+ | |Infanterie| Cavalerie| Artillerie | Génie | +———————————+—————+—————+——————+————+ | Subdivisions intrà | | | | | | muros. | 10/20 | » | » | » | +———————————+—————+—————+——————+————+ | Subdivisions extrà | | | | | | muros. | 3/20 |8 à 10/20 | 8 à 10/20 | 2/20 | +———————————+—————+—————+——————+————+ | Quartiers généraux | | | | | | divisionnaires. | 5/20 |10 à 8/20 | 10/20 | 10/20 | +———————————+—————+—————+——————+————+ | Quartier général | | | | | | central. | 2/20 | 2 à 3/20 | 2 à 4/20 | 8/20 | |__________________________________________________________________|
+—————————————————————————————————+ | GARDES. | +—————————————————+———————————————-+ | Nationale. | Urbaine. | +—————————————————+———————————————-+ | 8/12 des légions. | » | +—————————————————+———————————————-+ | Toute la banlieue. | » | +—————————————————+———————————————-+ | 3/12 des légions. | » | +—————————————————+———————————————-+ | 1/12 des légions. | tout le corps. | |__________________________________|_______________________________|
155. Les autorités civiles et militaires sont responsables du maintien de l'ordre dans l'étendue de leur circonscription.
Elles y logent, ainsi que les officiers des corps de ligne casernés dans ledit quartier.
156. Chaque centre d'action principal ou secondaire lance incessamment des patrouilles mixtes de garde nationale et de troupe de ligne vers les centres voisins, les grands carrefours environnants, les défilés au travers des rivières, canaux, escarpements, vieilles enceintes; vers les noyaux de rassemblement ou établissements à surveiller.
On ne détache, en permanence, des fractions de ces centres qu'aux points les plus importants, non assurés convenablement par les patrouilles, et cependant indispensables comme postes intermédiaires.
Ainsi, l'on conserve le plus possible de forces réunies autour de chaque centre d'action.
Partout la garde nationale assiste la troupe de ligne de sa force morale, de la connaissance qu'elle a des localités, des individus et de la situation.
* * * * *
157. La proportion la plus avantageuse des différentes armes paraît être, à l'intérieur d'une grande ville, 1 escadron, 3 bataillons, 1 pièce 1/2 et 25 sapeurs du génie: c'est-à-dire, infanterie 177/200, cavalerie 12/200, artillerie 8/200, sapeurs du génie 3/200.
Dans les arrondissements extrà muros, on peut adopter la proportion, 1 bataillon, un escadron, 1 pièce et une escouade de sapeurs.
La proportion moyenne, pour toute la garnison, paraît être celle établie par les chiffres suivants: 10 bataillons, 6 escadrons, 6 pièces et 1 compagnie de sapeurs.
158. Le calcul moyen des troupes de ligne nécessaires pour un pareil système de défense, dans une ville dont P représenterait le chiffre de population, est détaillé dans les deux tableaux ci-dessous.
Ces chiffres, ceux que nous avons déjà donnés ou que nous établirons ultérieurement, ne sont que des moyennes approximatives; selon les circonstances morales ou politiques, ils peuvent beaucoup différer des chiffres véritables.
Nombre de bataillons nécessaires.
|———————————————————|——————————-| | Désignation des commandements. | Bataillons. | |———————————————————|——————————-| | P/100,000 arrondissements intérieurs | 30 P/1,000,000 | | ou mairies à 3 bataillons | | | ou P/66,000 à 2 bat. | | | | | | 1/3 du chiffre précédent pour les | 10 P/1,000,000 | | arrondissements extrà muros. | | | | | | 1/2 du même chiffre pour les | 15 P/1,000,000 | | quartiers généraux divisionnaires. | | | | | | 1/5 pour le quartier général | 6 P/1,000,000 | | principal. |_____________________| | | | | Total des bataillons de ligne | P/10,000 | | nécessaires. | | |———————————————————|——————————-|
Troupes de lignes nécessaires.
|—————————————————————————————————| | Désignation des armes. | Nombre | | | d'hommes. | |———————————————————————-|—————————| | P/16,000 bataillons de ligne à 700 h. | 700 P/16,000 | | | | | 1/10 de l'effectif précédent pour les | 70 P/16,000 | | escadr. | | | | | | 1/60 id. pour les pièces. | 11 P/10,000 | | | | | 8 sapeurs du génie par bataillon d'infanterie.| 8 P/16,000 | | | | | Garde urbaine, pompiers. | 56 P/16,000 | | |__________________| | | | | Total général de la garnison nécessaire. | P/20 hommes. | |———————————————————————-|—————————|
§ III.
OBSERVATIONS.
159. Une direction unique, ferme et modérée, non exclusivement militaire, mais telle que le concours complet de tous soit assuré, part du centre même du gouvernement, autour duquel sont réunis le commandant en chef et tous les agents ou principaux moyens d'action nécessaires.
Le chef de l'administration civile, celui de la police, le commandant des gardes nationales, une imprimerie, des courriers, une réserve générale, composée de partie des gardes nationales des provinces, des milices urbaines et des troupes de ligne, appelées successivement dans la capitale, restent disponibles.
160. Les ordres généraux pour la prise d'armes, indiquant les positions principales, secondaires et tertiaires à occuper, sont concertés d'avance entre les autorités militaires ou civiles et le chef de la garde nationale.
Ils sont rédigés, pour chaque fraction de corps logée ou devant prendre position séparément, de manière à pouvoir être expédiés et exécutés de suite.
161. Mais le mieux est qu'un établissement judicieux des casernes et mairies, dans la position principale de chaque arrondissement, y fixe en permanence les troupes de ligne et de garde nationale qui y seraient indispensables au commencement de la lutte, pour rendre celle-ci difficile ou même impossible, en s'opposant à la formation des rassemblements et à leur établissement sérieux.
Ainsi, même à défaut d'ordres généraux, la répression agirait partout, immédiatement et d'une manière convenable, avec des approvisionnements assurés.
* * * * *
162. La direction militaire est trop souvent entravée, pendant l'émeute, par des influences diverses:
1° Les solliciteurs de détachements ne demandent, le plus souvent, qu'à mettre leur responsabilité à couvert, dans l'intérêt particulier de leur service ou de leurs établissements, sans s'inquiéter de la situation générale et des considérations qui doivent dominer;
2° Les incessants porteurs de nouvelles alarmantes prétendent avoir vu toutes les choses absurdes qu'une imagination timorée leur suggère;
3° Les donneurs de conseils sont toujours nombreux, un faux et ridicule zèle les excite;
4° Quelquefois des citoyens intéressés, passionnés, enveniment, prolongent, ensanglantent la lutte par leur intervention inopportune;
5° Les entremêleurs officieux et suspects sont d'autant plus dangereux qu'ils ont presque toujours un pied dans la révolte: on profite du concours loyal ou perfide de ceux-ci, de manière à les compromettre et à désorganiser l'émeute; mais on ne leur permet pas de s'initier au secret des mesures de répression; on saisit le premier prétexte pour arrêter les plus dangereux.
163. Les rapports régulièrement fréquents des chefs de patrouille aux commandants de centres d'action, de ceux-ci aux chefs de subdivisions et de divisions, de ces derniers au centre du gouvernement et au quartier général principal; des commissaires et agents de sûreté au commissaire central de police; des officiers de place ou de l'état major de ronde; dans chaque arrondissement, ceux de la milice urbaine; les signaux établis entre les différents quartiers généraux, mairies, positions militaires et casernes, permettent toujours d'apprécier, au juste, ces demandes de secours, ces avis, ces rapports exagérés, et d'agir avec connaissance de cause; ils assureront la prompte et complète exécution des ordres.
Ces avantages, ces facilités résultent de la juxta-position permanente si utile des autorités civiles et militaires correspondantes, dans chaque arrondissement et quartier.
On fait parler à chaque fraction de troupe ou de garde nationale; on trace une ligne de conduite, ferme, modérée, qui inspire la confiance; on explique le système de répression adopté, son efficacité; ainsi l'on doit triompher des principaux obstacles.
* * * * *
164. Des proclamations fermes, modérées, sans jactance, sans provocation, sont adressées à la population pour l'éclairer et la soustraire à l'influence des partis.
On invite les citoyens paisibles à rentrer chez eux de bonne heure et à ne pas renforcer l'émeute, en apparence, par leur présence curieuse.
165. Le gouvernement indique aux populations un but et une idée de ralliement qui puissent convenir au plus grand nombre et permettre à chacun d'espérer.
Il leur dévoile l'insurrection, ses projets véritables, ses progrès menaçants, leurs conséquences, de manière à lui retirer le plus possible de partisans; à satisfaire, à mettre à profit ce génie, cette fougue d'initiative qui distingue les nations turbulentes dans la politique comme du combat.
Il conserve plutôt, ainsi, la bonne position du protecteur de la société que celle de principal ou unique intéressé à la répression.
166. Il faut éloigner, de suite, les autorités ou les citoyens dont l'imprudence aurait fourni un juste sujet d'excitation à l'émeute; quelquefois même on sévit contre eux.
En temps de malaise ou de mécontentement, les plus grands ménagements sont nécessaires; on évite ce qui peut surexciter.
* * * * *
167. Les dispositions de ce chapitre sont prises en vue d'une lutte énergique à l'intérieur de la ville; mais le Pouvoir et le chef militaire doivent toujours se réserver, pour un cas extrême, la possibilité, suivant les circonstances, d'adopter, soit le plan de défense dans le quartier militaire, soit une concentration en dehors de la capitale.
L'un ou l'autre de ces deux plans peut encore sauver, quoique pris éventuellement et après qu'un aura échoué dans celui dont il vient d'être question; car les mesures prescrites, en vue de ce dernier système de défense, ne sont nullement incompatibles avec celles que les autres partis exigent.
168. Ce moment sera une épreuve pour les autorités diverses; il n'est pas au-dessus des forces vitales des nations européennes; et il faut bien que le grand problème des sociétés modernes puisse être résolu dans sa plus désespérante difficulté.
Le soldat obéit toujours; il aime qu'on lui commande avec confiance et énergie des actes utiles au pays; le désordre lui est antipathique.
Toute armée fera son devoir; on n'hésitera pas sur le chef à lui donner et sur les mesures à prendre: chefs et mesures, également désignés d'avance par l'anarchie, dans ses efforts pour les rendre impossibles.
Les officiers savent jusqu'où s'élève l'importance de leur mission en de semblables circonstances; ils savent le sort qui les attendrait.
Les grades, les honneurs qu'ils ont obtenus sont le prix d'un dévouement absolu aux intérêts de la société; en les acceptant, ils ont contracté de sérieux et glorieux engagements.
Pendant une longue carrière, dont la presque totalité se passe souvent dans la tranquillité et les honneurs, il peut y avoir, pour chacun, quelques jours, quelques moments difficiles, où l'occasion glorieuse se présentera enfin de remplir cet engagement sacré pour tout homme de coeur.
Le sang de l'officier ne peut être plus utilement versé qu'en préservant le pays de longs et irréparables malheurs; qu'en sauvant, par quelques moments d'énergie, les intérêts les plus chers des familles; l'honneur est son élément.
Si les services rendus dans toutes les guerres contre l'étranger, la plupart également stériles et ruineuses, ont toujours été si justement honorés, de quelle considération les gouvernements et les peuples, aujourd'hui menacés dans leur existence, ne doivent-ils pas récompenser les défenseurs de la société en décadence.
169. D'un autre côté, aucun pouvoir, ou fonctionnaire ne s'arrête, dans de pareilles circonstances, devant les fautes ou le découragement des autres: chacun a sa responsabilité dont le succès et le noble but à atteindre fixent seuls les limites.
Si les gouvernements chancèlent, c'est, quelquefois, quand, par un fatal mal entendu, on paraît disposé à se préoccuper de l'apparence trompeuse d'un défaut de lumières, de dévouement et de résolution, pouvant ou sachant toujours se rendre utiles.
En 1652, pendant une année d'angoisses et de folles rebellions, Turenne raffermit plusieurs fois le trône, soit par les résolutions prudentes et fermes qu'il inspira ou les projets désastreux qu'il put écarter; soit par un dévouement militaire de tous les instants, qui ne laissa échapper aucunes occasions, si peu importantes, si fréquentes qu'elles fussent, de prendre un avantage ou d'éviter un insuccès.
Grâce à cette héroïque persévérance, payant aussi bien chaque jour, et de sa personne et de son génie, le fils d'Anne d'Autriche put devenir Louis XIV.
Turenne replaça ainsi, sur la tête du jeune roi, cette couronne qu'il eut le bonheur de voir si belle, et qui, par un éclat inouï restera, pour la gloire de la France, pour l'admiration de la postérité, le symbole de la plus puissante nationalité.
Les pleurs que le peuple versa à la mort de ce grand homme, le mot de Montecuculli, le respect de l'histoire, et d'âge en âge, l'estime, la reconnaissance des hommes d'état, sont la juste récompense d'une persévérance de dévouement, d'une probité politique, et d'une capacité également providentiels.
Que cette grande renommée inspire les soldats appelés à rendre de tels services aux sociétés menacées!
Justum et tenacem propositi virum Non civium ardor prava jubentium, Mente quatit solidâ.
(HORACE, Ode 3, liv. 3.)
§ IV.
APPLICATIONS.
Appliquons ces considérations générales à quatre cas particuliers.
170. La ville a 10,000 âmes de population; elle est entourée d'une enceinte.
Une place centrale et l'hôtel-de-ville séparent les deux parties égales de la cité, aux extrémités desquelles sont des casernes.
Un piquet de plusieurs compagnies de ligne et de garde nationale, renouvelé plusieurs fois dans les 24 heures, lance incessamment, de l'hôtel-de-ville, des patrouilles au-devant de celles envoyées par l'une et par l'autre caserne.
Les faubourgs veillent chez eux et fournissent les gardes des portes; ils interceptent aux émeutiers toute communication.
* * * * *
171. Supposons une ville de 50,000 âmes de population, de 3 bataillons de ligne de garnison; la garde nationale compte trois bataillons; il existe un mur d'octroi avec barrières: la troupe et la milice citoyenne, quoique résolues, manquent de consistance, et le pays s'attend aux plus graves événements.
Les autorités réunies en permanence à la mairie ont, sous leur main, toute la garde nationale dans l'hôtel-de-ville et, en face, à l'autre extrémité d'une grande place, toute la garnison dans une caserne.
Pendant deux heures consécutives, deux patrouilles mixtes, composées chacune de 50 à 100 hommes de ligne et d'autant de gardes nationaux, opèrent simultanément de manière à dégager un quartier.
Ces doubles patrouilles mixtes sont relevées, à leur rentrée, par des patrouilles semblables pour opérer, selon les circonstances, ailleurs ou dans le même quartier.
Les gardes nationaux des faubourgs gardent les barrières et interceptent la communication aux émeutiers.
Les positions, qu'il devient utile d'occuper accidentellement, le sont, pendant tout le temps nécessaire, par des postes mixtes relevés de deux heures en deux heures.
* * * * *
172. Supposons une ville fortifiée, avec château, de 80,000 âmes, de 250 hectares de surface: elle a 7 bataillons et un escadron de garde nationale, 4 bataillons de ligne, un régiment de cavalerie et une section d'artillerie attelée; total: 3,000 hommes de garnison. Cette ville représente à peu près, par son étendue, l'un des arrondissements pris pour unité de résistance militaire dans une capitale. La mairie, à l'extrémité opposée de la citadelle, n'est pas centrale.
La section d'artillerie, la compagnie hors rang, les malingres, les cuisiniers et une compagnie du centre du régiment caserné au château garderont ce réduit.
Un bataillon de ligne, le bataillon de garde nationale du quartier et l'escadron de garde nationale formeront réserve générale, dans un établissement central, le plus rapproché de l'hôtel-de-ville.
Plusieurs détachements composés d'un demi-bataillon de ligne et du bataillon de garde nationale du quartier, s'établiront, chacun, dans un bâtiment convenable, de manière à former, autour du quartier général, une circonférence de 5 à 6 centres d'action espacés entre eux de 300 à 400m et d'autant du quartier général. La mairie sera un de ces centres d'action.
Le régiment de cavalerie, les chevaux sellés, restera dans sa caserne: il enverra des patrouilles, dans les quartiers environnants les plus ouverts, et jusqu'aux centres voisins; des piquets extérieurs d'observation surveilleront les populations urbaines remuantes.
Un demi-bataillon de ligne et un demi-bataillon de garde nationale occuperont une position intermédiaire de nature à assurer la communication avec le château.
Chaque centre d'action fait garder les portes ou le débarcadère du chemin de fer, à sa proximité, par des détachements convenables.
* * * * *
173. Supposons une grande capitale d'un million d'âmes et de 3,300 hectares de superficie: elle a une garde urbaine, 42 bataillons de garde nationale et 14 pelotons à cheval; 80 bataillons, 32 escadrons, 7 batteries, 8 compagnies du génie peuvent y être réunis facilement.
Il y aura 4 divisions militaires, dont une au quartier général; 18 subdivisions militaires, dont 14 intrà muros, correspondantes aux 14 mairies.
Sauf l'artillerie, en majeure partie réunie au quartier militaire, celui-ci aura à peu près le double de troupes des autres divisions.
Sur les 80 positions tertiaires à occuper autour des quartiers généraux divisionnaires, 50 au plus, seraient simultanément nécessaires, l'émeute ne s'étendant jamais partout également: parmi ces dernières, les deux tiers, mairies ou casernes, seront déjà suffisamment gardés par les rassemblements obligés des gardes nationaux ou par les petits dépôts des corps: tout au plus peuvent-elles compter pour moitié, quant aux garnisons nécessaires.
Il n'y aurait donc réellement que quarante détachements à fournir simultanément, par un peu plus du quart des forces subdivisionnaires.
Les troupes seraient rendues sur leur position de combat: savoir, celles des subdivisions intrà muros, deux heures après le départ des ordres; celles des subdivisions extrà muros et des réserves divisionnaires trois heures après ce départ des ordres; la majeure partie de la réserve générale trois à six heures en suite des ordres donnés.
6 à 18 heures après l'expédition dus ordres, il pourrait arriver, par les voies de fer, de terre ou d'eau, des garnisons voisines, un renfort d'un septième de troupes, surtout en cavalerie.
24 à 36 heures après l'expédition des ordres, il arriverait peut-être des divisions voisines, par la voie de fer ou en poste, principalement en infanterie et en artillerie ou en sapeurs, un renfort aussi important.
Ces secours non indispensables rendraient le succès encore plus assuré.
174. Beaucoup de cas peuvent être ramenés aux quatre suppositions qui viennent d'être faites: et le système général de défense, précédemment exposé, se plie également à chacun d'eux.
CHAPITRE V.
Dispositions de détail.
§ Ier.
ÉTABLISSEMENT SUR LES POSITIONS DE COMBAT.
175. Ce chapitre est le développement indispensable de celui qui précède: on y expose les détails pratiques d'exécution.
À l'aide de quelques répétitions nécessaires, puisqu'elles ne portent que sur les principes les plus incontestables, les plus importants, on a pu présenter l'ensemble de toutes les mesures pratiques de répression, indépendamment du plan général de défense précédemment exposé et comme une autre solution moins générale, moins théorique, moins absolue du problème qui nous occupe.
Mais, cette fois encore, ne l'oublions pas, la principale condition du problème sera de rendre toute lutte impossible à la révolte, afin du mieux éviter l'effusion du sang et les autres calamités qui en résultent pour tous.
* * * * *
176. Contre une émeute sérieuse, qui veut faire une révolution, il faut occuper plus d'un point; les rebelles libres, ou soutenus de tous les indifférents et peureux, y bloqueraient la garnison.
Si, au contraire, on occupe toute la ville uniformément, on n'est fort nulle part; les troupes disséminées agissent sans ensemble, leurs communications sont interceptées; chaque corps bloqué est livré à ses propres forces et impressions; la situation est moins bonne.
Il faut choisir un quartier militaire renfermant le centre du Gouvernement, les ministères, la poste, les télégraphes, les chambres, les messageries, la manutention, l'arsenal et les principales administrations: de cette position, on doit pouvoir dominer le reste de la cité, séparer les unes des autres les différentes parties de ville en insurrection, communiquer directement avec l'extérieur, isoler les quartiers extérieurs abandonnés ou révoltés.
177. Le rassemblement des gardes nationaux se fera aux mairies: les premiers réunis, ou un peloton d'élite, envoyé par la troupe dès qu'elle sera arrivée, parcourra tambour battant les rues deux fois de suite: une première fois pour appeler aux armes, une seconde pour rallier.
Aussitôt, un signe général, jusque-là inconnu, sera délivré ou assigné à chaque garde national: le peloton de la ligne retournera à son bataillon.
178. Chaque corps, avant départir, laissera dans sa caserne, sous les ordres d'un officier, 25 à 30 hommes renforcés par autant de gardes nationaux du quartier, pour défendre l'édifice, empêcher le pillage des armes: celles-ci seront démontées et incomplètes.
On occupera un bâtiment en face de la porte de la caserne, surtout si celle-ci n'a pas de cour.
170. Les bataillons, formés sur deux rangs, seront divisés en pelotons de 40 à 50 hommes, sous les ordres de deux officiers, de manière à ce que les soldats restent, autant que possible, avec leurs chefs habituels: ordinairement il y aura 10 pelotons, dont 4 d'élite par bataillon.
180. Dès que les troupes arriveront dans un quartier en pleine révolte, on y prendra position.
Elles seront précédées et suivies, à 50 pas, de deux files de 7 à 8 tirailleurs sur un rang, sous les ordres d'un officier.
Les divisions, en colonne par section, prendront entre elles 50 pas de distance, tambours et clairons dans les intervalles.
181. Lorsqu'une compagnie marchera isolément, la première section en tirailleurs à droite et à gauche, pour faire fermer les fenêtres et tirer à tout ce qui s'y montre armé, éclairera la 2e suivant à 60 pas en arrière.
* * * * *
182. Parvenu au premier embranchement de rue voisin de la position, le bataillon sera arrêté à l'abri du feu des insurgés; chaque division surveillant provisoirement le carrefour près duquel elle se trouve et assurant les derrières de la précédente.
Le premier peloton de fusiliers occupera les maisons d'angle du premier carrefour.
L'embranchement suivant à 50 ou 80 pas de distance, plus ou moins, de manière à ne laisser aucune partie de rue non observée, recevra le 2e peloton, protégé s'il est nécessaire, pendant sa marche, par le feu du 1er.
On placera de la même manière le 3e et, s'il y a lieu, le 4e peloton de fusiliers.
183. L'état-major et les 4 pelotons d'élite de réserve occuperont, au centre des pelotons déjà placés, un ou deux bâtiments contigus ou vis-à-vis l'un de l'autre, spacieux, susceptibles d'une bonne défense et à débouchés faciles.
184. Les compagnies du centre, non encore employées, prendront position aux carrefours de droite et de gauche, dans les rues littorales, vis-à-vis de cette position centrale.
185. Chaque poste particulier aura, au plus, deux factionnaires dans la rue: une des fenêtres, par maison occupée, sera constamment ouverte la nuit, sans lumière dans la chambre, et garnie de deux factionnaires.
De jour, les hommes se montreront aux fenêtres.
La grande porte du bâtiment occupé par la réserve sera ouverte, afin que les forces de celle-ci soient vues et qu'elles puissent déboucher immédiatement.
Les boutiques des maisons occupées resteront fermées.
* * * * *
186. Chaque détachement s'établira d'abord militairement.
1° Des feux de flancs plongeants, et des feux de revers renforceront l'enceinte occupée, au point de la rendre inexpugnable, même par des forces considérables, et de manière à ce que la majeure partie du détachement puisse agir au dehors, selon les circonstances.
2° Des positions extérieures seront prises pour laisser, entre elles et le poste principal de chaque détachement, les défilés d'où celui-ci pourrait être plus facilement bloqué.
3° Les maisons, qui battent ou commandent la communication du poste principal avec les avancées, seront occupées ainsi que celles qui domineraient la porte.
4° Celui de ces détachements, qui sera au milieu d'un quartier populeux et resserré, établira le gros de ses forces aussi à proximité que possible d'un arrondissement ouvert et tranquille, se bornant à soutenir, par des échelons plus ou moins forts, une avancée au centre même de l'insurrection.
187. Un peloton de la réserve du bataillon, allant se faire reconnaître aux différents postes occupés, ou lier communication avec les bataillons voisins, sera constamment dehors; il arrêtera, désarmera les insurgés et ralliera les gardes nationaux en retard.
La patrouille faite sera recommencée immédiatement par le même peloton qui, après la seconde, tournée, devra être remplacé par un autre. Tous les soldats au repos conserveront la giberne et le sabre.
188. De cette manière, et tant qu'il n'y aura pas de lutte sérieuse, chaque homme pourra se reposer trois et quatre heures de suite; moins du quart du bataillon veillera sous les armes.
La troupe, abritée et bien nourrie, résistera facilement à une émeute de plusieurs jours; elle occupera, à portée des chefs, les positions dominantes, sous la protection de la réserve; le bataillon entier pourra être réuni facilement pour un mouvement quelconque.
189. Les 5 et 6 juin 1832, un bataillon occupa, conformément à ces principes, la grande poste et le quartier environnant.
Les rebelles avaient intérêt à bloquer cet établissement, afin de tromper la province par l'absence des courriers ou l'envoi de fausses nouvelles; il leur suffisait, pour parvenir à ce but, de faire des barricades tout autour, sans même qu'il fût nécessaire de les défendre.
De ce centre d'action, d'incessantes patrouilles rayonnèrent au delà des petits postes extérieurs, jusqu'au Carrousel, les Halles, la Banque, les Petits-Pères; elles rallièrent les gardes nationaux et empêchèrent l'insurrection de s'établir dans ce quartier; elles assurèrent l'approvisionnement régulier du bataillon en vivres pris chez les fournisseurs voisins et en munitions: la soupe fut régulièrement faite dans l'hôtel même de la poste.
190. Un bataillon, posté connue il a été dit plus haut, tiendra un espace circulaire de 2 à 300m de diamètre, dans les lieux importants duquel aucun homme armé ne pourra se montrer sans être fusillé de plusieurs points.
Un second bataillon, dont la réserve sera à 5, ou 600m de celle du précédent, maintiendra un autre quartier hostile; il sera impossible aux insurgés de faire un établissement sérieux, et même de se grouper, entre eus deux centres d'action constamment liés par des patrouilles.
191. Le 11 et le 12 mai 1839, deux bataillons occupèrent ainsi les quartiers Saint-Méry, du marché des Innocents, du Châtelet et du Quai-aux-Fleurs, de manière à y rendre impossible tout désordre, nonobstant le nombre et la nature des masses de curieux ou autres individus venus de tous les points de Paris.
Un bataillon eut sa réserve dans l'église Saint-Méry, l'autre sur la place du Châtelet, à la chambre des notaires.
192. La partie de la ville à occuper sera maintenue par des bataillons ainsi postés, dans les quartiers les plus difficiles et les plus rétrécis, mais à portée des grandes communications et des lieux ouverts.
Ces bataillons feront réseau en avant de l'espace militaire qui renferme le centre du Gouvernement, les Chambres, les ministères, les principales administrations, la manutention des vivres, les télégraphes.
Liés entre eux et avec l'état-major général, ils agiront sur un rayon proportionné à leur force, et offriront aux gardes nationaux ou aux autorités, dans ces espèces de citadelles, des centres d'action et de réunion. On triomphera bientôt, ainsi, d'une insurrection débordée de toutes parts.
* * * * *
193. Les îles qui commandent les divers ponts, les débouchés des places, les étranglements et passages, rampes, escaliers, en travers des vieilles enceintes ou escarpements, seront gardés et défendus comme postes détachés, de manière à ce qu'on puisse couper les communications aux insurgés et conserver celles-ci pour la troupe.
D'autres bataillons, espacés comme il vient d'être dit, rattacheront les faubourgs et quartiers à maintenir, les citadelles ou postes extérieurs à conserver.
194. Les troupes de ligne seront à peu près réparties de la manière suivante:
1° 6/10 de l'infanterie, 4/10 des autres armes pour former le réseau;
2° 2/10 de l'infanterie, 4/10 des autres armes à l'extérieur;
3° 2/10 de toutes les armes comme réserve générale au centre du quartier militaire.
195. La garde nationale s'établira dans les mairies et places environnantes; elle pourra garder des carrefours voisins de ceux occupés par la ligne, détacher des compagnies auprès des réserves des bataillons, et des bataillons entiers auprès de la réserve générale.
196. On interceptera, à l'aide des 2/10 de l'infanterie et des 4/10 des autres armes, les communications de l'insurrection avec le dehors:
1° En occupant ou bouchant les différentes portes, si la ville a une enceinte;
2° En plaçant des bataillons ou demi-bataillons dans trois ou quatre positions extérieures commandant les principaux obstacles ou issues, chemins, ponts, rivières, canaux, et communiquant directement avec le quartier militaire;
3° Des piquets de cavalerie battent les environs, interceptent les nouvelles, dispersent les rassemblements, gardent les défilés extérieurs et rapprochés par lesquels on arriverait à la ville.
197. Les gardes de la manutention, des télégraphes, de l'arsenal, de la banque, des postes et même des messageries ou autres administrations rentreront, sur l'avis des agents de police, dans ces établissements; elles s'y barricaderont et s'y défendront; la porte du corps-de-garde sera fermée s'il est extérieur.
Si, nonobstant les concours de la garde nationale, la conservation de ces postes exigeait un trop grand déploiement de forces, il faudrait, autant que possible, avant de les évacuer, transporter dans le quartier militaire, ou, au moins détruire, tout ce qui pourrait favoriser la révolte: bateaux, voitures, poudres, moyens de transport et de correspondance.
Les gardes qui, par leur faiblesse, ne pourraient résister, se replieraient, à l'avertissement des agents de sûreté, sur d'autres postes indiqués.
198. Suivant la force de la garnison et les dispositions de la milice citoyenne, l'on occupera, sur quelques points, les dépôts de grains et de farines, les maisons de boulangers, d'armuriers, d'artificiers, les imprimeries, les caisses publiques et particulières, les églises ou clochers d'où l'on pourrait sonner le tocsin ou faire des signaux, ainsi que les bâtiments qui protégent le débouché sur les places et en dehors des casernes.
Mais on évitera toujours de disséminer la troupe, de l'engager légèrement sans les appuis et moyens nécessaires, sur des points trop éloignés communiquant difficilement entre eux ou avec la réserve.
199. On fera provision, dans le réduit de chaque bataillon et dans les mairies, de vivres, munitions, cordes, haches, leviers, échelles, petits pétards de 5 à 6 livres de poudre, mantelets, pompes à incendie, chariots légers à un cheval, béliers en bois, serpes, scies, pelles, pioches, gros marteaux et tenailles de trois pieds de long.
200. Dans les principaux centres de résistance, existent des tonneaux à lancer, soit des grenades jusqu'à 200m de distance; soit des carcasses enflammées ou de mitraille.
Ces tonneaux portatifs sont traînés et établis sur de petits traîneaux roulants: deux hommes suffisent pour les servir, soit contre une barricade, soit contre un rassemblement à disperser.
201. Les mantelets avec canonnières auront deux ou trois petites roues, deux manches et des montants de 4 à 5 pieds de haut, 3 à 4 de large: ils seront surmontés d'une pareille construction en planches légères, à l'épreuve de la balle.
Plusieurs soldats, marchant de front, en poussent chacun un devant eux; ils le renversent contre la barricade et escaladent celle-ci.
202. Chaque bataillon fera cuire du pain chez les boulangers voisins; on fera la soupe dans plusieurs des locaux occupés.
Des escortes régulières iront chercher les vivres, soit à la manutention, soit au quartier, si ceux-ci sont peu éloignés.
Dans le dernier cas, chaque compagnie, avec armes et bagages, pourra, à son tour, aller prendre ses repas à la caserne: elle servira de patrouille à l'aller et au retour.
On profitera des patrouilles, dirigées vers les dépôts les plus voisins, pour augmenter l'approvisionnement en cartouches.
203. Toutes ces dispositions prises, et autant que possible de manière à ce que les commandements militaires, le casernement des troupes, qui en dépendent, aient les mêmes circonscriptions que les mairies et que les légions de garde nationale, ainsi que nous l'avons expliqué dans le chapitre 3, les opérations ultérieures auront lieu conformément aux principes suivants.
§ II.
OPÉRATIONS ULTÉRIEURES.
204. De deux on trois centres de bataillon, on marche au foyer même de l'insurrection, s'il est extérieur, avec des troupes de la réserve; on le cerne, on s'emparant au fur et à mesure des bâtiments convenables, surtout des édifices publics; on y rallie la garde nationale des environs.
On avance toujours ainsi, en resserrant et isolant les rebelles de l'intérieur et de l'extérieur, mais de manière à pouvoir se rapprocher du gros de la garnison, en cas d'échec.
205. Si, au centre même de l'insurrection, est un bâtiment ou groupe de bâtiments important, facile à défendre, et bien approvisionné, il faut y jeter quelques compagnies, même un bataillon bien commandé.
Ce détachement facilitera les attaques, en tournant une partie des barricades et positions ennemies; il contiendra le quartier et en ralliera les gardes nationales; on communiquera, avec ce centre d'action, par quelques positions intermédiaires, par des patrouilles, ou, au moins, par des signaux.
* * * * *
206. Si une grande rue, promenade ou place, est au milieu des parties insurgées, on fera tous ses efforts pour y arriver par plusieurs directions.
On occupera fortement tous les bâtiments qui les flanquent, et ceux aux angles des rues aboutissantes; on délogera les rebelles de toutes les maisons qui y ont vue, afin que l'artillerie soit libre d'agir.
Plusieurs attaques tentées de cette place d'armes et de ces rues aboutissantes, dont deux fausses sur les ailes et les flancs de l'ennemi, une ou deux véritables sur le centre, doivent, si elles ont été bien préparées, forcer les positions des insurgés.
207. S'il y a difficulté de pénétrer dans les lieux rétrécis qu'occupent les rebelles, on les attire par une retraite simulée sur un terrain ouvert, battu de feux croisés d'artillerie et d'infanterie; on les cerne, on les attaque.
208. Partout où l'on s'étend, il faut s'emparer des défiles qui divisent l'insurrection ou qui l'isolent de l'extérieur et des autres quartiers.
Si on ne peut garder ces passages, et s'ils sont inutiles à l'attaque, on les coupe, on les barricade.
Il faut aussi s'assurer des défilés ou positions qui commandent les communications des différentes colonnes entre elles, ou avec les points occupés en arrière.
* * * * *
209. On marche, dans toutes ces opérations, par divisions à grandes distances, comme nous l'avons déjà expliqué, un peu de cavalerie soutenant l'infanterie, les flancs éclairés.
Une réserve intermédiaire est laissée entre le réduit ou point de départ.
Sur les flancs, des petits corps de garde bien établis empêchent qu'on ne soit tourné.
Si l'on peut se glisser le long d'un obstacle, canal, rivière, muraille, on n'aura qu'un flanc à couvrir.
210. Vu la difficulté du feu oblique à droite, surtout par une fenêtre élevée et sans se découvrir, une colonne suivant une rue non tortueuse, n'a guère à craindre que les feux à droite: elle évitera le plus souvent la fusillade des maisons en longeant le pied des bâtiments du côté droit de la rue.
Pour le même motif elle peut, en faisant occuper, par les derrières, les maisons du rang gauche de la rue, ordinairement peu garnies, assurer sa marche.
Ces principes résultent des observations faites, en juin 1848, par le génie militaire, à l'attaque au delà du canal Saint-Martin.
* * * * *
211. On s'étend le plus possible aux environs des rues par lesquelles ou près desquelles on a pénétré; ou occupe de distance en distance, principalement aux carrefours, deux bâtiments solides, élevés et vis-à-vis l'un de l'autre.
À mesure qu'on avance, il faut laisser à chaque attaque, de cent pas en cent pas, dans des jardins, sur les places, en arrière des clôtures ou barricades, des petites réserves de cavalerie, autant que possible abritées contre le feu des positions non forcées, et ayant des communications libres.
En dehors ou dans les parties enlevées, les lieux et bâtiments, d'où l'on peut plonger à revers sur les défenseurs des enclos ou sur les positions non encore prises, sont occupées.
212. On attaque chaque poste, sur plusieurs têtes de colonnes, par différente rues, de côté, de front, en queue; la cavalerie est échelonnée sur les flancs pour protéger ou pour prévenir les contre-attaques en tête, en queue, de côté.
Les positions enlevées et utiles sont fortifiées; les autres démolies, si elles peuvent favoriser les rebelles; on occupe les clochers, maisons et points extérieurs dominants.
Les postes que l'on ne peut forcer sont bloqués, en garnissant les bâtiments extérieurs qui les commandent.
213. Ce genre d'attaque suppose qu'il y ait peu d'obstacles matériels à franchir; ou que l'on veuille finir vite, coûte que coûte, soit pour disperser une insurrection naissante qui peut grossir; soit pour joindre un corps bloqué et sur le point de faiblir.
Il est en effet des circonstances où, vu la fatigue et l'affaiblissement des insurgés, la faiblesse de leurs positions, la nécessité de hâter la conclusion ou, au moins de nettoyer un quartier, et de parvenir, soit à une troupe bloquée qui n'a plus ni vivres, ni munitions, soit à une position importante, où l'émeute, avec le temps, pourrait solidement s'établir, il faut lancer une colonne d'attaque, à travers le dédale des rues, et enlever plusieurs positions successives de vive force.
§ III.
DÉFENSE PLUS RÉGULIÈRE.
214. Ces cas exceptés, il vaut mieux avancer pied à pied, ne faire un pas qu'autant que l'on s'est bien établi en arrière; gagner le long des murailles et maisons pour se soustraire à l'effet des feux; au besoin cheminer par l'intérieur des bâtiments, et même par les toits.
Rassurée par le nombre surabondant des regrettables moyens de défense qui vont être extraits de l'Officier d'infanterie en campagne, la répression n'oubliera pas un seul instant quels sont les hommes égarés à combattre; elle règlera, avec le calme et toute la modération possible, l'énergie de son action sur l'impérieuse nécessité ou sur le plus ou moins de violence de la révolte; choisissant toujours, de préférence, les voies les moins calamiteuses, elle n'adoptera les mesures extrêmes que dans les cas les plus désespérés.
215. Ne pas marcher à une enceinte ultérieure que tous les postes voisins de droite et de gauche, en avant, à hauteur, et en arrière de la précédente, ne soient enlevés, occupés; les passages en travers élargis; on ouvre des communications latérales; les coupures dominées sont enlevées ou masquées à l'aide de troupes et de contre-barricades; les masses d'ennemis éloignées à coups du fusil.
On établit de larges communications en arrière, et entre les attaques, à mesure que l'on avance on s'assure des voies transversales, pour que les colonnes constamment liées puissent s'entre-secourir dans les grandes rues.
La cavalerie ne doit dépasser l'infanterie, et poursuivre les ennemis en retraite, qu'autant que cette infanterie s'est emparée de toutes les maisons dominantes ou occupées par l'émeute.
216. Chaque attaque, précédée à 50 pas de deux rangs de 5 à 6 tirailleurs, marchera par petites colonnes du front d'une section ou d'une demi-section, de la force d'une à deux compagnies espacées de 50 à 100 mètres, les tambours dans les intervalles.
Cette formation a plusieurs avantages;
La troupe n'est pas entassée inutilement; ses diverses fractions peuvent agir, selon les circonstances, sous la direction d'officiers vigoureux.
On augmente ainsi les réserves, qui ne sont pas toutes sous le feu de l'ennemi; ces petites colonnes se protègent les unes les autres, empêchant que, des croisées ou des rues en arrière, on ne puisse prendre à dos les subdivisions les plus avancées.
Les dernières colonnes soutiennent les premières, prennent à droite ou à gauche pour tourner les obstacles qui arrêtent la tête.
Cette tactique fut employée par le général de division Roguet, d'après les ordres de Napoléon, pour enlever le village de Ligny, le 16 juin 1815, avec 2 bataillons de vieille garde, marchant par division à 100 mètres de distance.
Elle convient d'autant plus, quand la solidité déjà éprouvée d'une troupe permet de multiplier ainsi les commandements particuliers, et les détachements si important, si délicats en pareilles circonstances.
217. On borde, aussi près et aussi à couvert que possible, un obstacle intérieur défendu; on occupe surtout les maisons extérieures qui le dominent; on le fait évacuer à coups de fusil, avant d'essayer de le franchir; et toujours on passe sur plusieurs points à la fois.
On s'établit solidement au delà; on y ouvre des brèches larges et nombreuses, sous le commandement des positions occupées.
Si l'obstacle n'est pas défendu, il faut le franchir et s'établir lestement de l'autre côté.
* * * * *
218. Se pas s'aventurer en trop grand nombre dans une place ou enceinte battue de feux; établir des tirailleurs dans les premières maisons ou lieux élevés voisins; occuper les deux bâtiments d'angle de la place.
S'étendre successivement pour protéger le débouché de la colonne, sous leur appui, soit par l'intérieur des maisons; soit extérieurement, en faisant contre-battre les tirailleurs opposés.
La tête de la colonne s'établit dans les bâtiments qui enfilent, barrent ou commandent les défilés voisins.
219. Il sera possible quelquefois d'exciter la présomption d'ennemis peu habiles, de les engager par une fuite simulée, mais lente, à déboucher en force de la place: on fera volte-face, auprès d'obstacles à l'abri desquels des réserves masquées déboucheront.
L'infanterie chargera dans le milieu, la cavalerie coupera la retraite sur les flancs; n'ayant plus à craindre le feu des maisons, on y entrera pêle mêle avec l'ennemi, avant qu'il puisse s'y mettre en état de défense.
* * * * *
220. Les barricades et maisons attenantes sont les clefs de toutes les positions:
Leur attaque sera d'autant plus lente et meurtrière qu'on négligera davantage les moyens tournants.
Il faut éviter de trop disséminer, sous le feu de ces positions, des troupes fatiguées.
221. Si la coupure est mal établie ou mal défendue, un seul peloton précédé de la 1re section de tirailleurs, l'enlèvera sans aucune opération préliminaire.
222. Deux divisions suffisent pour prendre la plus forte barricade; l'attaque est conduite pied à pied sur les flancs de la position, de manière à assurer le succès sans effusion inutile de sang.
Elles arriveront par une rue latérale et s'arrêteront, en arrière du retour de rue le plus voisin, à l'abri des feux de la coupure.
Une compagnie prendra position dans les maisons du 1er carrefour; elle dirigera son feu, des étages élevés, contre la barricade et les bâtiments qui la protègent; au besoin, une section, sous l'appui de ce feu, occupera un bâtiment plus rapproché, d'où elle remplira mieux ce but.
Deux autres compagnies ou sections s'établiront de même, aux deux carrefours voisins, dans les rues latérales de droite et de gauche pour menacer par des feux, ou par une attaque, soit le long des maisons, soit dans la rue, les flancs ou les derrières du la coupure.
Il suffira, dès-lors, de marcher à celle-ci, avec quelques hommes, pour l'enlever.
223. Si l'on ne peut tourner ainsi la traverse, les deux sections d'une même compagnie, munies de pétards, de mantelets, de leviers ou de haches, s'en rapprocheront alternativement de 50 à 100 mètres; chaque section, sous la protection de celle restée en position dans un étage supérieur en arrière, avancera pour occuper chaque fois un bâtiment plus rapproché.
Après un ou deux mouvements pareils, on plongera de près sur la barricade et sur les fenêtres qui la flanquent: l'attaque sera facile; deux pelotons suffiront pour cette opération.
Les colonnes latérales détachent quelques hommes résolus vers celle du centre, et celle-ci vers les autres, par les jardins ou maisons, pour prendre ou plonger à dos les barricades.
224. Huit à dix coups de canon suffisent pour renverser une barricade.
Souvent on tire, contre une pareille position, 400 à 800 coups de fusil.
1/20 des insurgés qui la défendent sont frappés; ils ont 4 à 8 morts; 15 à 30 blessés.
225. Si l'on préférait atteindre le but moins vite, sans grande effusion de sang, on arriverait par l'intérieur des cours ou des maisons, en escaladant les murs de clôture, en perçant ceux de refend au-dessus et derrière la position à enlever: on occuperait les toits.
226. On ne doit pas dépasser une barricade avant de s'être rendu maître des maisons attenantes; il faut exécuter avec prudence le passage du défilé en avant, et faire élargir aussitôt le chemin pour la cavalerie qui ne viendra qu'ensuite.
227. Alors cette arme, soit contre les retours offensifs mal appuyés, soit contre les groupes qui tentent de se reformer, agit par petites troupes dans les rues, sous la protection de l'infanterie logée aux fenêtres: Elle se replie au besoin en arrière de ces maisons occupées; elle charge, en tête et en flanc, les ennemis déjà repoussés par le feu des bâtiments garnis de fusiliers: mais elle doit éviter de gêner l'action de ces derniers comme le fit, le 13 mai 1839, un escadron de cavalerie qui obstrua longtemps la rue Saint-Merry dont les fenêtres étaient garnies de fantassins.
* * * * *
228. Les longues rues seront déblayées à coups de canon, en s'établissant toujours un peu en arrière de leurs coudes, si tout autre moyen est insuffisant; les maisons qui flanquent les barricades seront battues en brèche ou incendiées avec des obus, ce qui ne les fera peut-être pas évacuer.
229. On attaque ces maisons à dos, en se glissant derrière, et les enveloppant si elles sont isolées.
On occupera les bâtiments les plus voisins dans le cas contraire, afin de l'emporter par un plus grand feu.
Les meilleurs tireurs seront embusqués dans les greniers, sur les toits, derrière les cheminées; ils tireront à tout homme armé qui se montrera, et contraindront l'ennemi à laisser le champ libre.
230. On pénètre, d'une maison dans une autre attenante, par tous les étages à la fois, par la cave, le grenier, le toit ou la terrasse.
À chacun de ces étages, on perce des créneaux dans le mur de refend, on les garnit de fusiliers; sous la protection de ceux-ci, on fait ensuite des trous plus gros pour le passage des hommes.
231. Si l'on ne peut ainsi s'emparer d'une maison contiguë, et si l'importance de la position, les circonstances les plus impérieuses, les plus désespérées, l'exigent, on y met le feu, ou on brûle le bâtiment qui est à côté.
Dos soldats délogent les tireurs qui sont aux fenêtres ou sur les toits, et ceux qui veulent éteindre un incendie, dernier et regrettable moyen de salut.
232. Chaque bâtiment principal enlevé sera gardé et fortifié sans perdre de temps.
On occupera, par autant d'escouades, une maison en face de chacune de ses portes.
Si la position est nuisible à la troupe, elle sera ouverte et démolie du côté opposé.
233. Le pétard, pour faire sauter les portes, est une boîte en tôle, ou un sac goudronné, rempli de 4 à 5 livres de poudre; au marteau de la porte il y a un oeil à mèche.
L'homme qui a mis le feu, sous la protection de quelques tirailleurs, ou en se glissant de nuit et le long des maisons, s'abrite dans une allée voisine, du même côté, pendant l'explosion.
* * * * *
234. L'attaque du réduit, ordinairement la dernière et la plus sérieuse des opérations successives contre une cité étrangère, a beaucoup moins d'importance et présente peu de difficultés dans le cas qui doit plus nous occuper.
Car une insurrection cernée et resserrée dans son dernier réduit, à l'intérieur d'une ville, se disperse bientôt, lors même que l'on voudrait l'en empêcher, ce que l'on se garde bien de faire; alors chaque insurgé s'échappe le plus souvent inconnu et insaisissable, à travers les positions de la troupe dont le cercle, nonobstant toutes les précautions prises, a toujours quelques solutions de continuité.
Bienheureux la ville et le Gouvernement qui voient ainsi, après de lugubres journées, l'ordre renaître et l'effusion du sang s'arrêter.
En récapitulant toutes les cruelles nécessités de la répression, les malheurs, les victimes, les ruines que cause immédiatement l'émeute, alors même qu'elle est réprimée, on ne saurait trop flétrir les coupables excès d'une anarchie fratricide, et désirer la prompte guérison de cette monomanie furieuse du temps actuel.
L'humanité lasse d'une civilisation si féconde en chefs-d'oeuvres divers, en inventions puissantes et utiles, en hommes illustres, voudrait-t-elle rétrograder vers des époques d'une barbarie telle, qu'à peine les annales des temps les plus calamiteux en donnent l'idée.
Quelle époque que celle où il faut s'occuper de pareilles théories: où la défense sanglante du foyer domestique, lui-même, par les moyens les plus désespérés, peut devenir le sujet d'étude journalier et trop souvent applicable du citoyen, menacé dans le produit de ses labeurs, dans sa sûreté, et dans ses affections les plus douces, les plus sacrées.
Félicitons-nous d'avoir pu échapper à de tels malheurs, et plaignons les peuples qui auraient encore à traverser d'aussi dures épreuves; plaignons-les surtout de n'avoir pas su les conjurer.
CHAPITRE VI.
Cas particuliers.
§ Ier.
DIVERS CAS D'ÉMEUTE.
235. Les principes précédemment exposés doivent subir d'importantes modifications, selon le caractère de l'émeute à comprimer et les circonstances au milieu desquelles celle-ci éclate.
Ces circonstances dépendent de cinq éléments principaux:
1° État moral et politique;
2° Esprit des populations intérieures et extérieures;
3° La force publique;
4° Nature de la ville;
5° Résidence du chef de l'État au moment de l'émeute.
* * * * *
236. L'état moral et la politique dominent tout: si les esprits sont agités et mécontents; si l'opposition est dans toutes les têtes, la patience nulle part; si les affaires souffrent; si les ambitions depuis longtemps sont surexcitées et les esprits habitués aux changements; si des puissances voisines, gênées dans leur politique ambitieuse, désirent la chute du Gouvernement; si une classe importante est hostile à ce Pouvoir, une seule étincelle déterminera l'explosion pour laquelle tout est préparé.
Peu d'hommes décidés à tout, et depuis longtemps unis dans les mêmes desseins, seraient en effet une force redoutable, vis à vis d'une société divisée ou sans énergie, sans confiance en elle-même, et qui, n'ayant qu'indifférence, doute ou esprit d'opposition, ne présenterait nulle part, au milieu d'une tourmente sérieuse, un point d'appui réel à l'autorité depuis longtemps affaiblie.
Le pouvoir le plus nécessaire au pays, le plus régulier, et en apparence le plus fort, pourra s'affaisser tout à coup, au milieu de l'abandon général.
Heureux si, alors, une résolution vigoureuse, prise à propos, lui permet d'attendre, à la tête de l'armée, que cette surexcitation, que ces erreurs aient fait leur temps.
237. Si le Gouvernement, disposant d'une troupe suffisante, a pour lui l'opinion, tant dans la capitale qu'au dehors; si, rassuré contre une révolution, il ne peut redouter qu'une simple émeute excitée par un parti sans racines, il protégera l'ordre et les propriétés partout où ils seront menacés.
Il pourra, alors, disséminer ses forces et les laisser à la disposition des agents civils que cette affaire regardera particulièrement.
Mais il faut éviter que ces sortes de troubles se renouvellent et laissent descendre l'agitation jusque dans les dernières profondeurs de la société; éviter aussi que la troupe y soit employée d'une manière indécise et compromettante, et que l'anarchie y fasse parade de ses moyens: ce qui affaiblirait, à la longue, le moral du parti de l'ordre et élèverait celui des factieux, pour des circonstances plus graves.
L'anarchie aveuglée n'apprécie jamais bien ses forces et ses ressources relatives: elle compte tous les mécontents, tous les curieux pour ses adhérents: au premier coup de fusil ceux-ci se retirent: il ne reste plus que quelques groupes compromis dont les chefs prennent leurs sûretés, et alors une moitié se défie de l'autre: il ne faut croire ni à toutes ses espérances, ni à la sécurité que le défaut de ses forces réelles inspirerait.
238. Si l'insurrection préparée, soit dans un faubourg, soit à la campagne, est tout a fait étrangère et extérieure à la ville, où elle veut agir dans une circonstance donnée, le mieux sera de lui barrer le chemin, de l'isoler, soit en gardant les issues de l'enceinte; soit en occupant le débouché des principaux faubourgs et une forte position centrale intérieure, sur laquelle on convergera, en cas de trouble; soit en prenant une position intermédiaire extérieure d'observation avec de la cavalerie, sur la direction des populations agitées.
À l'entrée ou à l'intérieur de la ville, et même dans les communes environnantes suspectes, on arrête les meneurs, mais de manière à ne pas déterminer une explosion.
Dans ce cas, il faut se borner à repousser le désordre, éviter d'aller le chercher dans son centre; de l'exciter, de lui fournir un prétexte; d'appeler aux armes et de forcer, pour ainsi dire, à s'ameuter tous les habitants des communes mécontentes, soit par des dispositions militaires qui ne seraient pas indispensables, soit par des motifs de mécontentement donnés aux approches des jours de fête, de marché ou de réunion; on a soin de ne pas rallumer d'anciens dissentiments, par l'emploi de gardes nationales étrangères à la localité.
239. Éviter, surtout, d'attaquer ouvertement, de retenir dans une lutte des insurgés arrivés de l'extérieur sans but bien déterminé; faciliter, sous main, leurs projets pour une autre direction, sauf à pourvoir: ou aura plus facilement raison de cette insurrection bientôt réduite, au dehors, au dixième, par la dispersion. Dans tous les cas, elle sera moins redoutable que dans une capitale, où existent tant d'éléments inflammables.
* * * * *
240. Si l'insurrection est dans le quartier militaire qu'occupe la garnison, celle-ci, non affaiblie par des détachements, l'isolera d'abord du reste de la ville et de l'extérieur.
Sans grande effusion de sang, on pourra compter sur un succès avant le second ou le troisième jour, suivant les forces et les approvisionnements des rebelles.
Mais, si l'on veut hâter la conclusion, les différents corps postés dans les établissements publics les plus importants, bien approvisionnés de vivres et de tous les moyens indispensables dans la guerre de maisons, logés à l'écart de la population et des agitateurs, se lieront entre eux et avec l'état-major général, comme il a été expliqué: agissant sur un rayon proportionné à leurs forces, ils offriront ainsi aux gardes nationaux et autorités civiles, dans des espèces de citadelles actives, des centres de réunion et de défense.
Engagées de cette manière, les troupes n'éprouveront nulle part ni perte, ni grande résistance, et triompheront bientôt d'une insurrection débordée de toutes parts.
241. Dans le cas d'une émeute intérieure et sérieuse, les insurgés veulent agir à la fois sur tous les points et se disséminent; alors, on enlève la position la plus importante par un grand effort, et l'on marche ensuite aux autres jusque-là contenues par de fausses attaques.
Ou les réduit successivement, on menace, on avance, avec toutes les troupes réunies, en tête, en queue et par les flancs.
242. Si les insurgés n'occupent réellement qu'un seul point en forces, il faut les y amuser par peu d'hommes éprouvés et, en même temps, les cerner en occupant tous les débouchés environnants.
On agit vigoureusement et simultanément en plusieurs endroits, là où les colonnes d'attaque pourraient être soutenues par une réserve commune.
243. Dans le cas d'une rébellion ouverte, l'émeute se développe à l'extérieur du quartier militaire occupé; des secours attendus, des causes de division ou de lassitude qui peuvent survenir parmi les insurgés engagent à gagner du temps; alors, on se fera une enceinte, en profitant des rues, jardins, vieux murs, canaux, rivières, le long de laquelle on occupera de bons bâtiments, surtout aux embranchements de rues et de carrefours, de 200 en 200 pas, afin du mieux se flanquer, d'enfiler les principales communications parallèles et transversales.
Les édifices, faisant tête de pont au delà de cette enceinte, seront également occupés, pour prendre des revers utiles sur le pourtour, et permettre d'agir au dehors dès que cela sera possible ou nécessaire.
Ce parti serait chanceux, en cas de révolution imminente, dans la capitale d'un gouvernement centralisé: il ne faut le prendre que comme un pis aller, ou un des derniers moyens de ne pas abandonner tout à fait un théâtre si important, et alors seulement que la garde nationale refuse son concours; ainsi l'on reste près des factions, on profite de leurs divisions, hésitations ou découragements.
Dans ce cas, on abandonne à la garde nationale la majeure partie de la ville qu'elle sera obligée de préserver du pillage.
L'émeute de Clermont, en septembre 1841, est, sous certains rapports, un exemple de l'application de ce principe.
244. L'agitation excitée dans la ville, parmi une classe de citoyens, veut agir au dehors, contre quelques localités ou établissements, soit par le pillage, soit par l'incendie.
Des troupes d'infanterie et de cavalerie sont cantonnées, dans des positions intermédiaires d'observation, de manière à intercepter les communications aux mal intentionnés; à les arrêter au départ ou au retour; à se porter rapidement, soit au secours des établissements menacés avec des pompes à incendie; soit aux quartiers de la ville où les rassemblements s'organiseraient, en attaquant ceux-ci, partout où on pourrait les atteindre, avant qu'ils ne deviennent dangereux par leur nombre et leur position.
* * * * *
245. Si la force armée se compose d'éléments vigoureux et dévoués, tous éprouvés dans des guerres longues et glorieuses, si les chefs sont des hommes d'expérience, si les grands principes d'autorité et de fidélité sont intacts; si de récentes catastrophes n'ont donné ni le goût ni l'habitude des révolutions, le pouvoir ne peut redouter d'émeute que celle qui aurait les motifs les plus graves, les plus irritants, pour l'honneur et les intérêts de la nation: alors, la plus faible garnison agissant, avec un ensemble majestueux, donnera facilement force à la loi. Mais il faut que l'autorité veuille se défendre, et ne se laisse pas égarer, de concessions en concessions, par l'espoir trompeur d'une conciliation quelquefois impossible.
On ne doit pas oublier qu'au commencement de sa victoire, l'émeute n'est en mesure nulle part, même sur les positions les plus importantes: partout elle ne présente qu'une foule ivre de son succès; une compagnie balayerait tout en un instant, si le pouvoir attaqué gardait son sang-froid pour ce moment décisif.
246. Dans les mêmes circonstances, l'effectif du la troupe est si peu nombreux qu'il lui est impossible de conserver ses postes au milieu de l'insurrection. Des forces extérieures peuvent être ralliées: alors on se concentre de plus en plus, se jetant, s'il le faut, au dehors de la ville, ou à une de ses extrémités, de manière à pouvoir, soit rentrer au besoin; soit couper extérieurement les communications de la révolte, conserver les siennes et appeler les secours nécessaires.
Le caractère du chef pourra encore triompher d'une émeute bientôt effrayée de sa propre victoire, et qui, à l'aspect des troupes qui vont fondre sur elle de toutes parts et des difficultés intérieures qui l'attendent, viendra elle-même prier qu'on reçoive sa soumission.
Les autorités civiles resteront, autant que possible, à leur poste, pour profiter des premières bonnes dispositions des rebelles, et empêcher l'élévation d'autorités nouvelles qui, une fois compromises, s'opposent à tout accommodement.
La conduite ferme et habile de la reine-mère, dans l'émeute de 1588, est un exemple de l'observation de ce principe.
247. Dans un état des pouvoirs publics, où ceux-ci auraient besoin d'être fortifiés, encouragés, rassurés par le concours de l'opinion, il faudrait agir avec prudence et résoudre le plus de difficultés possibles sans rien compromettre.
248. Si, à proximité de la ville, existe un corps auxiliaire que l'on ne peut immédiatement y faire entrer, pour quelque motif que soit, le camp provisoirement occupé par ce corps et les positions de combat de la garnison seront tels que leurs communications restent constamment faciles et assurées.
249. Dans les états où il n'existe pas de garde nationale, le plan général de défense exposé, chapitre 4, devra être grandement modifié; il ne sera plus, alors, aussi indispensable d'organiser à l'avance, comme centres d'action et magasins d'approvisionnements, toutes les mairies; les règles pratiques du chapitre 5 resteront utiles.
Dans ce cas nouveau, il ne faudrait pas désespérer de réprimer le désordre; un principe militaire plus fort, vis-à-vis de l'anarchie entièrement désarmée, pourrait encore suppléer au défaut de cet utile auxiliaire.
* * * * *
250. La topographie de la ville permet à la garnison d'occuper, comme base d'opérations, un quartier militaire à cheval sur toutes les rives, communiquant avec toutes les directions, renfermant les principales administrations et s'étendant de la circonférence vers le centre: c'est le cas le plus avantageux qui puisse se présenter.
251. Le nombre et l'importance des obstacles qui divisent la ville sont à l'avantage de la troupe ou de l'insurrection, selon que la première peut, d'un petit nombre de positions à sa portée, dominer ces obstacles, ou que ceux-ci ne couvrent pas directement l'insurrection.
252. Un quartier militaire central est d'autant moins convenable que les approvisionnements de toute nature y sont moins assurés, que la force publique est moins puissante et que ses communications avec l'extérieur peuvent être plus facilement interceptées. Il a souvent l'avantage d'isoler les différents arrondissements insurrectionnels.
Le plus heureusement placé du tous ces quartiers est celui qui se trouve dans un arrondissement peu habité et ouvert, au point de concours de plusieurs obstacles transversaux, et au centre de diverses parties de ville hostiles, populeuses, rétrécies et éloignées les unes des autres.
253. Si un quartier ennemi, très-habité, mal percé, domine toute la ville, si la troupe ne peut y parvenir, en cas d'émeute, qu'en forçant de redoutables positions, il faut nécessairement y avoir un établissement militaire permanent.
À défaut du celui-ci, et si l'on veut éviter une affaire vive et sanglante, l'attaque par le dehors de la cité ou le blocus peuvent réussir.
254. Une enceinte de ville facilite la répression toutes les fois qu'on peut faire garder ses rares issues, sans se trop diviser; mais elle rend encore plus critique le parti déjà si hasardeux de l'évacuation; dans ce cas, l'émeute, à qui on aurait abandonné la ville, s'y trouverait fortifiée; avec des approvisionnements de vivres et du combat, elle aurait peut-être les moyens de s'y défendre quelque temps.
255. Dans une grande ville que commande une citadelle, et quoiqu'on ait peu de forces, il vaut mieux occuper cette bonne position militaire d'où l'on pourra surveiller, contenir et au moins résister à la révolte, que de laisser, en se retirant, celle-ci libre de soulever les plus indifférents, et de venir, au dehors, profiter des avantages du nombre ou de la position.
* * * * *
256. La résidence du chef de l'État, ou plus généralement la position éventuelle du pouvoir et de ses principaux moyens d'action ou de défense, avant ou au moment de l'émeute, est souvent décisive.
La position la plus favorable est assurément au dehors; on apprécie, on domine mieux les événements, on est moins gêné par les hommes et les circonstances, on est plus libre d'esprit et d'action, on est obligé à moins de concessions; on peut enfin intervenir, avec autorité et un grand effet moral, au moment opportun, et de la manière la plus convenable; ces grands avantages, il ne faut pas se hâter légèrement de les perdre, d'autant plus qu'on ne les retrouverait pas tels, en se retirant ensuite après s'être avancé.
257. À la supériorité de cette position se joindront tous les moyens de la faire valoir, si le chef de l'État apprend les événements au milieu de forces réunies dans toute autre prévision, ou de populations vigoureuses et dévouées, qu'il serait alors également facile de rallier et de mettre en action.
258. La pire de toutes les positions est l'investissement complet du chef de l'État dans un réduit intérieur; quels que soient la force, la garnison et les approvisionnements de cette citadelle, il faut en sortir, même au prix des plus larges concessions, pour se soustraire aux enlacements de l'émeute ou à la discrétion des dangereux amis qui viendraient la combattre à leur manière; il faut, aussi tôt que possible, se mettre en rapport véritable avec les populations, les moyens de gouvernement et de résistance.
Un bruit vrai ou faux, de nature à servir d'autre aliment à la révolte, pourra la détourner tout à coup de la voie qu'elle suit; avant les conséquences de sa nouvelle direction, si dangereuses qu'elles soient, on aura le temps de prendre un parti et de tenter un effort décisif; ainsi, il y aura moyen d'échapper et de ressaisir la direction des événements.
* * * * *
Parmi les mesures adoptées par Napoléon, le 13 vendémiaire, on doit remarquer la réunion aux Tuileries de tous les vivres et munitions ramassés dans Paris, et les dispositions prises pour se retirer, avec la Convention, sur la position de Meudon qu'il avait fait occuper, en vue des circonstances les plus extrêmes.
§ II.
TROUBLES AU SUJET DES GRAINS OU DES CONTRIBUTIONS.
Il y a encore malheureusement lieu, quelquefois, de réprimer ou de prévenir d'autres troubles sérieux et peu motivés, mais plus excusables, soit pour la cherté des grains, soit au sujet du recouvrement des contributions; les uns et les autres exigent des mesures spéciales.
Un hiver rigoureux, une certaine situation politique des esprits, peuvent donner à ces désordres la plus grande gravité; ce sujet ne comporte que des détails assez simples et déjà connus; néanmoins il doit être traité ici.
Nous le ferons en résumant les usages et les règlements ou législations le plus généralement adoptés; nous emprunterons presque tout à la France, où, plus souvent menacée, l'autorité a dû s'occuper davantage de la question et fournir d'utiles documents pour les autres pays.
* * * * *
259. Dans chaque circonscription, l'administration encourage le commerce à faire arriver, vers les ports ou grands dépôts limitrophes, des grains, et, à leur défaut, des denrées alimentaires qui puissent y suppléer; elle assure l'écoulement de ces denrées vers l'intérieur; partout elle oblige, ainsi, les accapareurs et gens timorés à ne pas cacher et retenir leurs approvisionnements, quelquefois considérables.
260. Dans une contrée, les troubles ont lieu à l'occasion de la cherté des grains, tantôt sur un marché, tantôt sur un autre ou à leurs abords; alors on prend les dispositions suivantes:
Une à deux compagnies d'infanterie sont cantonnées de 7 à 8 lieues en 7 à 8 lieues, généralement aux chefs-lieux administratifs, ou au centre des communications les plus importantes, de manière à couvrir le pays agité d'un réseau de détachements espacés d'une journée de marche.
261. Dans la position centrale la plus importante, sous le rapport de la population et des communications, il y aura, pour 4, 5, 6 détachements ou arrondissements pareils, une réserve d'un à un demi-bataillon et escadron.
262. Chaque détachement sera caserné dans un bâtiment loué par la commune; pendant les courses, les cuisiniers et les malades pourront y rester sans craindre d'être inquiétés.
À défaut de ce bâtiment, la troupe sera cantonnée sous la main du chef, autour d'un corps-de-garde central; elle fera ordinaire.
Les visites de santé seront régulièrement faites dans les cantonnements; on dirigera, à temps, les malades sur les hôpitaux voisins.
On évitera de faire voyager, soit des hommes isolés, soit des détachements sans chefs, sans armes, sans munitions; mais les évacuations seront faites, soit sous la protection des patrouilles journalières, soit à des époques fixées.
263. La troupe, ainsi cantonnée, recevra l'indemnité de rassemblement.
L'indemnité de route sera allouée aux troupes casernées dans les garnisons ordinaires, toutes les fois qu'elles feront 24 kilomètres, aller et retour, ou quand elles découcheront; la feuille de route prise au départ constatera le droit de percevoir.
* * * * *
264. Le jour de marché dans une des communes, à moins d'une demi-journée de marche d'un détachement, celui-ci se transportera auprès de ladite commune, avec armes, munitions, bagages et vivres pour un repas.
Il s'arrêtera dans un local au dehors, et à proximité du marché, afin d'intervenir pour le rétablissement de l'ordre à la première demande des autorités.
Les soldats resteront réunis et prêts à prendre les armes: sur l'avis du maire, que leur présence n'est plus nécessaire, ils rentreront à leur cantonnement.
Les brigades de gendarmerie voisines se réuniront sur le marché pour y assurer la tranquillité; elles arrêteront les mutins et les accapareurs.
265. Les détachements, les piquets armés doivent se faire par fractions constituées.
Les premiers, lorsqu'il s'agira de réprimer ou de prévenir des troubles, à plus de deux lieues de distance, ne doivent jamais être moindres de 40 à 60 hommes.
266. Dans ses courses, la troupe rassurera les habitants, répandra les bonnes nouvelles des villes voisines, engagera à venir aux marchés et à les alimenter.
Partout les officiers verront les autorités, vivront bien avec elles et avec les principaux habitants; la troupe restera étrangère aux inimitiés locales, elle évitera les querelles de cabaret ou avec la population.
267. Les chefs de cantonnement adresseront régulièrement, au commandant territorial des 4 ou 6 arrondissements réunis, le rapport sur les événements de la journée.
Au besoin, ils correspondront entre eux ou avec les brigades de gendarmerie, soit pour combiner des courses dans un but commun, soit pour prévenir ou être prévenus de ce qui se passe.
268. Ainsi, une à deux compagnies d'infanterie assureront les marchés dans un arrondissement de 64 lieues carrées et de 100,000 âmes de population; 1 à 2 bataillons, et autant d'escadrons, en tout 700 à 1,400 hommes, garderont une circonscription de 320 lieues carrées et de 500,000 âmes; c'est-à-dire qu'il faudra moyennement 4 soldats par lieue carrée et par 1,000 âmes.
Le difficile hiver de 1846 à 1847 exigea, dans presque toute la France, l'application de mesures analogues; comme toujours alors l'armée rendit d'utiles services.
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269. En cas de troubles sérieux dans une localité, quatre principes serviront de règle.
1° Nulle troupe, même requise ne doit sortir de la ville où elle se trouve sans un ordre du général commandant la circonscription territoriale.
2° Nulle troupe ne doit être employée, même dans la ville où elle est établie, que d'après des réquisitions écrites par l'autorité civile à l'autorité militaire, indiquant clairement le but à atteindre et laissant au chef militaire le choix des moyens pour y arriver, quant au nombre d'hommes et à leur emploi.
3° Toute action des troupes doit être le résultat du concert préalable entre les autorités civiles et militaires.
En principe, la réquisition est faite par l'intermédiaire du chef supérieur de l'administration civile au général de brigade.
Il n'est fait exception aux deux premières règles que pour le cas de flagrant délit et d'urgence, c'est-à-dire pour ceux où le temps et les moyens d'avoir une réponse, à la réquisition de l'autorité civile, manqueraient absolument.
Mais alors, et bien que le chef de détachement doive toujours obtempérer immédiatement à la réquisition, les formalités prescrites, en cas ordinaire pour celle-ci, seront de suite remplies à son égard, en lieu et place du général; la réquisition écrite sera adressée dans la journée, à ce dernier, ainsi que le rapport sur l'événement, et les suites qu'il peut avoir.
4° En France, conformément à la loi du 3 août 1791, la troupe chargée, soit d'occuper un poste et de le défendre, soit de conserver intact un dépôt ou un convoi, n'a pas besoin, pour faire usage de la force, d'être requise par un magistrat civil, alors que les attroupements se disposent à la forcer dans ses positions, à la désarmer ou à violer la consigne.
Dans cette pénible circonstance, c'est à l'officier qui commande à éviter, autant que possible, l'effusion du sang, en prononçant lui-même à haute voix, si les autorités civiles sont absentes ou muettes, et si la nature de l'attaque le permet, les mots: obéissance à la loi; on va faire usage de la force; après quoi il agit suivant sa consigne.
Le concert le plus complet entre les diverses autorités, et la réserve de chacune d'elles dans ses attributions spéciales, sont désirables en de telles circonstances.
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270. S'il n'y a qu'une seule compagnie dans la localité, et surtout si le casernement est étendu et ne peut être fermé, le chef juge le petit nombre d'hommes qu'il sera nécessaire de laisser au centre du cantonnement pour le garder pendant son absence.
Mais, lors même qu'il serait assuré de n'avoir pas à agir, il partira en mesure de le faire et restera toujours dans cette position; le détachement étant constamment réuni et chaque homme ayant ses cartouches: de cette manière il ne tentera pas les malintentionnés.
271. Pendant les marchés, on évitera de détacher des hommes au milieu de la foule, comme surveillants, ou comme auxiliaires de la police qu'ils ne peuvent suppléer.
Si des accapareurs occupent les avenues des marchés, achètent ou détournent les grains qui y arrivent, afin de pousser à la hausse, le chef se concertera à ce sujet, avec les autorités; mais il évitera toujours de disséminer son détachement et d'en exiger un service de surveillance individuelle ou fractionné qui n'est pas le sien.
272. Si la troupe ne peut paraître, à la fois, sur tous les nombreux marchés à sa portée, elle fera en sorte d'arriver inopinément, et alternativement, sur chacun d'eux où sa présence sera toujours ainsi attendue.
273. Des signaux, convenus entra tous les détachements, la brigade de gendarmerie et la réserve générale; à leur défaut, des estafettes ou cavaliers de correspondance avertiront de suite, de la nécessite d'être secouru.
Dans ce cas, tout ou partie de la réserve générale sera dirigée, par la voie la plus prompte, chemin de fer, bateau à vapeur, relais de voitures organisés d'avance, sur le lieu où sa présence devient momentanément nécessaire.
274. Partout où il y aura lieu d'intervenir, soit pour assister l'autorité dans les arrestations, soit pour stationner près des marchés et les surveiller, soit pour y paraître en cas de désordres, soit pour agir militairement de quelque manière que ce puisse être, le chef du détachement tiendra son monde prêt à prendre les armes, réuni en une seule masse, sauf les quelques hommes à détacher pour se garder, mais vers lesquels on devra toujours pouvoir se porter promptement en cas de besoin.
Avant tout, on conservera l'influence morale que l'on est appelé à produire: on se présentera toujours en forces et en mesure d'agir promptement, avec vigueur, prudence et calme, mais aussi sans hésitation, si nécessité survenait: on évitera les tirailleries.
Le chef sera accompagné en pareille circonstance, autant que possible, par des agents de l'autorité administrative ou judiciaire, ayant qualité pour faire les sommations, conformément à la loi du 10 juillet 1791, si l'emploi des armes devient indispensable: dans le cas contraire, il agira conformément aux dernières prescriptions du n° 269.
275. Il se rappellera que, même dans les émeutes sérieuses, la troupe a devant elle des hommes sans organisation, sans bonnes armes, avec peu de munitions, sans expérience et sans chefs; aussi prompts à menacer qu'à fuir, et d'autant moins résolus qu'ils se savent en faute ou que le soldat est plus ferme.
La supériorité de celui-ci est donc grande surtout s'il est bien commandé, si le chef lui donne de la confiance en lui en montrant: s'il maintient le moral sans lequel la force numérique n'est qu'un embarras.
Les soldats sont ce qu'on les fait par des soins journaliers: il faut s'en occuper constamment dans leur intérêt et dans celui du service, même au moment où il y a le moins lieu de prévoir qu'il deviendra nécessaire d'avoir recours à leur dévouement: on peut être assuré de retrouver toujours celui-ci, s'il devient nécessaire.
Dans les mêmes circonstances où un détachement bien tenu, bien commandé, ne rencontre que quelques mutins effrayés de leur isolement, une autre fraction mal administrée, mal dirigée, pourra hésiter devant des centaines de turbulents enhardis par sa médiocre contenance; des rigueurs, qu'un aurait évitées, deviendront, dans ce dernier cas, nécessaires.
Rappelons, en terminant, que la troupe ne vaut que par la manière dont elle est groupée et employée, dans un certain nombre de centres d'action en rapport avec son effectif, avec l'étendue et l'état du pays: les bonnes réserves agissent à de grandes distances, dans toutes les directions à la fois, et souvent sans se déplacer: les petits détachements ne sont qu'inquiétants pour le chef de qui ils dépendent: d'un autre côté, les devoirs du soldat sont d'autant plus faciles qu'il sera resté plus étranger aux populations agitées et aux passions qui les divisent.
* * * * *
276. Le concours de la force publique, pour assurer le recouvrement des impôts, ne peut être refusé; d'anciennes instructions fixent les règles dont on ne doit point s'écarter.
La perception se poursuit par des porteurs de contrainte, par des saisies et par des garnisaires; ces derniers sont des agents commissionnés par le percepteur: ils s'établissent, pour deux jours au plus, chez le contribuable, lequel doit les nourrir ou leur payer la nourriture.
Les soldats ne sont jamais employés comme garnisaires, mais ils peuvent et doivent prêter appui et défense aux percepteurs, protéger les saisies et assurer les ventes, défendre au besoin la personne des garnisaires et de tout agent du fisc.
277. Lorsque l'autorité administrative, jugeant l'intervention de la force armée indispensable pour le recouvrement de l'impôt, adressera, à cet effet, une réquisition explicite et motivée, un bataillon ou un demi-bataillon, suivant le cas, sera dirigé sur le chef-lieu d'arrondissement de canton ou même de commune, habité ou entouré par les contribuables récalcitrants.
Des compagnies ou des demi-compagnies pourront être détachées, de ce centre, dans les communes environnantes, à une journée de marche au plus, afin d'être toujours à portée d'un appui respectable.
278. Ces détachements ne devront pas cesser un instant d'être sous les ordres du chef principal; c'est lui qui fixera leur force et réglera leur marche, sur les indications des autorités civiles; celles-ci pourront faire savoir aux populations quel est le motif de l'appel des troupes.
279. Les soldats seront logés chez l'habitant comme troupes en marche; les administrations municipales distribueront les billets de logement comme elles l'entendront; elles pourront faire principalement porter cette charge sur les contribuables volontairement en retard.
Mais l'autorité militaire, restée étrangère à ces considérations, ne doit faire valoir que celles qui auraient pour but un établissement des compagnies plus militaire et plus favorable au maintien de la discipline.
280. En France, nulle troupe, ainsi requise, ne reste dans le même lieu pendant plus de trois jours, après lesquels sa présence donnerait lieu à une indemnité payée par l'État.
Mais elle peut revenir après 24 heures d'intervalle, ou être remplacée par une autre; ce retour de la force publique se reproduit autant de fois qu'il est nécessaire.
§ III.
GARNISON DANS UNE VILLE ÉTRANGÈRE ENNEMIE.
281. Complétons ce chapitre en examinant le cas d'une population étrangère ennemie, révoltée contre sa garnison, et à l'égard de laquelle il n'y a plus lieu de garder les mêmes ménagements.
L'insurrection de Madrid contre l'armée française, le 2 mai 1808, est un événement qui peut se reproduire sur des échelles diverses.
Le fanatisme politique qui présida à la défense des Espagnols dans la guerre de la Péninsule; à celle des Russes, en 1812, donne lieu de penser que, malgré les progrès de la civilisation, nonobstant l'empire d'intérêts matériels énervants, les corps réguliers ne seront pas toujours les seuls qu'auront à combattre les armées d'invasion.
Les garnisons que celles-ci laisseront dans les places fortes conquises ou dans les villes de dépôt nécessaires pour assurer leurs opérations, et les troupes momentanément cantonnées, devront toujours s'établir en vue de luttes, sinon probables, du moins possibles, avec des populations hostiles.
Trop de sécurité exposerait des forces réellement irrésistibles à des échecs d'autant plus honteux qu'ils viendraient d'ennemis peu redoutables.
282. Les commandants territoriaux ne feront à la contrée que le tort rigoureusement inévitable dans l'état de guerre, et de la manière la moins blessante pour l'orgueil national.
Les précautions qu'ils prendront pour éviter le désordre, le gaspillage, les vexations, à l'aide d'une discipline sévère et d'une sage administration; leur sollicitude pour connaître ceux des intérêts des populations ennemies que l'on peut et que l'on doit respecter ou protéger; leurs rapports avec les citoyens les plus influents, les plus éclairés; la bonne administration des armées, des provinces, des villes, et principalement, une politique aussi sage que ferme, sont les vrais moyens préventifs contre de telles insurrections.
Ces mesures exerceront également une salutaire influence sur l'ensemble des opérations militaires, simplifiées et préservées des complications les plus graves. Un article spécial ne serait pas inutile sur ces éléments de succès si importants et néanmoins quelquefois négligés.
283. On évitera tout mouvement rétrograde, surtout dans une grande ville centre de province.
On n'évacuera jamais entièrement celle-ci, à moins d'un ordre formel, de peur de donner, dans la ville et ailleurs, aux révoltés, la masse toujours très-grande des indifférente pour auxiliaire; et que, par suite d'un événement aussi décisif sur l'esprit des populations, on soit obligé de suspendre l'exécution de projets d'ensemble déjà commencée, pour se livrer à toute une nouvelle série d'opérations accessoires, longues et chanceuses.
284. Des mesures de police auront pu prévenir ces luttes ou en limiter les suites.
On assurera les approvisionnements des populations.
On surveillera les quartiers les plus populeux et les grands établissements industriels où des masses d'ouvriers de même état sont réunis.
On fera concourir ces industries aux approvisionnements de l'armée; on emploiera à des travaux de défense, ou même à des ouvrages d'utilité publique, comme le fit le maréchal Suchet en Aragon, le peuple inoccupé, en évitant, toutefois, d'attirer les ouvriers de l'extérieur.
285. À moins d'une hostilité déclarée et irrévocable d'une partie de la population, les garnisons resteront entièrement étrangères aux passions qui divisent les cités; elles n'épouseront, elles ne persécuteront aucun parti. Les officiers, à cet égard, donneront l'exemple de la neutralité la plus complète.
L'étranger qui se mêle à des dissensions intérieures ne recueille que les haines les plus violentes des uns, l'indifférence, et quelquefois la jalousie secrète des autres, la défiance de tous.
286. Hâter l'explosion d'une révolte inévitable pour la combattre moins terrible, serait sage, si le public, toujours porté en pareilles circonstances à ne remarquer que le mauvais côté des choses, ne voyait alors que provocation et abus du droit de légitime défense contre une population ennemie égarée.
* * * * *
287. L'administration des provinces de l'est du la péninsule espagnole, sous l'Empire, a été souvent citée comme modèle à étudier et à imiter.
Le duc d'Albuféra eut d'autant plus de ressources dans le pays pour entretenir son armée, ses forces purent d'autant plus être réduites, qu'il avait su habilement neutraliser les populations, les consoler par une politique sage, une administration régulière.
Dans la même guerre, d'autres maréchaux préparèrent un pareil état de choses; mais moins stables, moins isolés; constamment détournés ou déplacés par les grands mouvements des armées impériales et par des événements inattendus, ils ne purent recueillir le fruit de leurs sages dispositions.
Un jour d'aussi beaux exemples inspireront d'autres généraux français, utilisant, sur de glorieux théâtres pour la grandeur de leur patrie, un excédant de forces vives au moins embarrassant lorsqu'il n'est pas noblement employé.
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288. Napoléon, dont les actions donnent de si utiles renseignements, soit pour la politique, soit pour la guerre, parvint à étouffer, en 1796, sur les derrières de son armée, un moment retardée dans sa marche victorieuse, une insurrection qui menaçait de prendre les plus grandes proportions: il agit avec la célérité et la vigueur qui, presque toujours, suffisent pour arrêter le mal naissant.
La garnison autrichienne du château de Milan avait donné, aux campagnes environnantes, le signal d'une révolte générale, en attaquant la division française qui l'investissait; les moines et les nobles étaient à la tête de ce mouvement, qui fut immédiatement comprimé.
Aux environs de Pavie, les révoltés furent plus heureux; ils entrèrent en ville, et s'en emparèrent, malgré la résistance de 300 soldats français malades.
Le 23 mai, Bonaparte apprend, à Lodi, ces événements inquiétants; il rebrousse chemin avec un bataillon de grenadiers, 300 chevaux et 6 pièces: l'ordre était déjà rétabli dans Milan; il continue sa route sur Pavie, en se faisant précéder par l'archevêque de Milan.
Lannes disperse l'avant-garde des insurgés au bourg de Binasco, et incendie ce village pour effrayer Pavie: Bonaparte s'arrête devant cette ville de 30,000 âmes de population, défendue par 8,000 paysans révoltés, et entourée d'une enceinte: il fait afficher aux portes, pendant la nuit, la proclamation suivante:
«Une multitude égarée, et sans moyens réels de résistance, brave une armée triomphante des rois; elle veut perdre le peuple italien. La France, persistant dans son intention de ne pas faire la guerre aux peuples, veut bien pardonner à ce délire, et laisser une porte ouverte au repentir; mais ceux qui ne poseront pas les armes à l'instant seront traités comme rebelles. On brûlera leurs villages: les flammes de Binasco doivent servir de leçon.»
Le matin, les paysans aveuglés refusèrent encore de se rendre. Bonaparte fit balayer les murailles à coups de mitraille et d'obus; ses grenadiers enfoncèrent à la hache les portes et pénétrèrent dans la ville, dont ils restèrent les maîtres après quelques combats de rue.
Pour faire un exemple, Bonaparte accorda à ses 1000 soldats trois heures de pillage; ensuite, il fit sabrer, dans la campagne, par ses 300 chevaux, les paysans en fuite.
L'Italie, sur le point de se révolter sous l'influence des nobles et des moines, apprit en même temps cette insurrection et sa prompte répression. Le 28 mai, Bonaparte faisait franchir le Mincio à son armée toujours victorieuse et redoutée.
* * * * *
289. Il y a quelquefois lieu aussi de contenir l'anarchie, se produisant sous un autre aspect, au milieu des populations envahies; de la réprimer alors que, pour se livrer aux plus coupables excès, elle tente de se faire l'auxiliaire dangereux du vainqueur lui-même, en exagérant, dénaturant ses principes politiques.
Rien n'ajoute davantage à la gloire de ce dernier, vis-à-vis des contrées conquises et de l'humanité en général, que de savoir deviner et flétrir de pareilles menées; leur impunité préparerait, au pays, des discordes et des calamités bien plus funestes que l'invasion elle-même; la discipline de l'armée victorieuse pourrait aussi être altérée. Un général qui se respecte se hâte de repousser de tels auxiliaires. Ici encore, nous retrouvons pour guide le génie de Napoléon.
En octobre 1796, Bonaparte, effrayé des progrès de la démagogie italienne, dut, en effet, rappeler au peuple de Bologne les éternels principes qui servent de fondement aux sociétés, paroles dignes des méditations de la génération européenne actuelle.
«J'ai vu avec plaisir, disait-il au peuple de Bologne, le 19 octobre 1796, en entrant dans votre ville, l'enthousiasme qui anime les citoyens et la ferme résolution où ils sont de conserver la liberté. La constitution et votre garde nationale seront promptement organisées. Mais j'ai été affligé de voir les excès auxquels se sont portés quelques mauvais sujets indignes d'être Bolonais.
«Un peuple qui se livre à des excès est indigne de la liberté. Un peuple libre est celui qui respecte les personnes et les propriétés; l'anarchie produit la guerre intestine et les calamités publiques. Je suis l'ennemi des tyrans; mais, avant tout, je suis l'ennemi des scélérats qui les rendent nécessaires lorsqu'ils pillent; je ferai fusiller ceux qui, renversant l'ordre social, sont nés pour l'opprobre et le malheur du monde.
«Peuple de Bologne, voulez-vous que la République française vous protège? Voulez-vous que l'armée française vous estime et s'honore de faire votre bonheur? Voulez-vous que je me vante quelquefois de l'amitié que vous me témoignez? Réprimez ce petit nombre de scélérats, faites que personne ne soit opprimé: quelles que soient ses opinions, nul ne peut être opprimé qu'en vertu de la loi… Faites surtout que les propriétés soient respectées.»
* * * * *
290. Après la bonne administration du territoire, sous le rapport politique et financier, la meilleure mesure contre les révoltés est une judicieuse répartition des garnisons.
Les forces morales sont incommensurables par rapport aux forces matérielles; 1,000 hommes de secours qu'un commandant supérieur peut recevoir sont plus pour lui que 2,000 hommes à la présence desquels le peuple ennemi est habitué.
Les troupes qui occupent une province conquise et très-hostile doivent donc, en général, être tenues, soit dans les places fortes, soit à proximité des villes les plus remuantes, les plus populeuses, plutôt que dans ces villes mêmes où elles seraient souvent dispersées, neutralisées ou affaiblies par un service et des obligations toujours pénibles.
On fera surveiller la plupart de ces villes par des détachements établis, dans des réduits ou des quartiers militaires fortifiés d'une étendue en rapport avec l'importance politique et stratégique de ces cités; détachements qui concourent aussi au service de la ligne d'opérations.
En cas de révolte, ces garnisons se défendront, observeront ou cerneront la population, en attendant les secours qui leur seront immédiatement envoyés par les divisions actives ou garnisons plus importantes à proximité.
C'est ici le cas de répéter que toute révolte partielle dans une province peut être ainsi comprimée; victorieuse ou vaincue, elle tendra les bras au chef habile, après deux ou trois jours de lutte, et souvent même avant que celui-ci ne soit secouru.
291. Les garnisons plus importantes, là où les populations sont hostiles, s'installeront de la manière suivante:
La moitié de l'infanterie embrassera la circonférence entière de la ville en occupant, au plus, le tiers de sa surface.
Un, deux à trois bataillons de cette moitié seront casernés dans les grands établissements, à droite et à gauche de chacune des quatre ou cinq entrées principales du la ville, en s'étendant le long de l'enceinte, avec le moins possible de solutions de continuité, par ordre de compagnies et de bataillons, au besoin retranchés, de telle sorte que chaque issue principale fasse système de défense indépendant.
Un détachement d'égale importance occupera, de la même manière, les maisons dominantes d'une place centrale.
À défaut de celle-ci, on établira, dans cinq ou six petites places du centre de la ville, et, autant que possible, à des passages obligés, autant de corps-de-garde fortifiés pour 50 à 100 fantassins, 25 à 50 chevaux.
Chaque porte de la ville sera gardée par 80 à 160 fantassins.
L'autre moitié de l'infanterie, avec la presque totalité de la cavalerie, seront cantonnées et retranchées dans les faubourgs les plus voisins du la ville, ou qui la dominent le mieux.
Les communications de ces faubourgs aux grandes entrées de la ville seront réparées, élargies, assurées, raccourcies.
Si les soldats sont logés chez l'habitant, ils ne conserveront que leurs armes pour se défendre: les selles, brides et chevaux resteront réunis au parc ou dans de grands locaux gardés.
Les bourgeois, dont on pourra exiger des sûretés, seront désarmés; ils devront être rentrés chez eux, le soir, à une certaine heure; des exemples sévères les maintiendront.
On ne laissera circuler, en dehors des quartiers occupés, aucun homme isolé, aucune petite corvée, surtout sans armes; les officiers logeront auprès des soldats.
292. En cas de troubles, les camps nombreux des faubourgs et les corps retranchés ou casernés aux principales entrées, ou sur le pourtour de l'enceinte, convergeront, par les principales rues, sur le détachement établi à la place centrale ou sur les corps de garde qui en tiennent lieu.
Les gardes des portes principales continueront d'intercepter les communications avec le dehors; elles arrêteront les gens de la campagne qui voudraient venir prendre part à la révolte. Celle-ci, débordée de toutes parts, ne pourra ni se masser, ni agir, en présence d'une garnison convenablement établie pour appliquer, de suite, les principes de ce genre de guerre.
293. S'il existe dans la ville des troupes et des autorités indigènes, pouvant devenir hostiles, et que des raisons politiques ont empêché de supprimer, ces corps seront, autant que possible, disséminés dans des quartiers éloignés les uns des autres, du centre de leurs autorités et de leurs arsenaux.
Ces quartiers et locaux devront être facilement surveillés par des troupes à proximité, et, autant que possible, situés au delà de défilés ou obstacles derrière lesquels on les arrêterait.
Les positions de combat, assignées à la garnison, seront choisies de manière à intercepter toute communication entre ces établissements.
Le général s'attachera quelque sous-ordre de chaque corps en administration indigène à surveiller; ainsi il tiendra leurs chefs dans une salutaire défiance.
Les troupes indigènes, lors même qu'elles ne voudraient prendre part à aucun désordre, exigeraient encore une certaine surveillance, soit à cause des insurgés qui pourraient revêtir leur uniforme et abuser de son influence, soit pour les armes et munitions que la révolte en exigerait.
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294. Le 21 juillet 1808, Napoléon écrivait: «Sarragosse n'a pas été prise; elle est aujourd'hui cernée, et une ville de 40 à 50,000 âmes, défendue par un mouvement populaire, ne se prend qu'avec du temps et de la patience. Les histoires des guerres sont pleines de catastrophes des plus considérables pour avoir brusqué et s'être enfourné dans les rues étroites des villes. L'exemple de Buenos-Ayres et des 12,000 Anglais d'élite qui y ont péri, en est une preuve.»
Si donc, ce qui pourra quelquefois arriver, le nombre et l'acharnement des populations ennemies, la force de leurs positions, le défaut de dispositions antérieures prises, obligent à d'autres précautions, à plus d'efforts et de lenteur, s'ils rendent infructueuses les dispositions détaillées n°s 290 et suivants, ce sera le cas d'exécuter, à l'égard d'un ou plusieurs quartiers, les prescriptions suivantes de l'officier d'infanterie en campagne, pour l'attaque régulière des villes fortifiées passagèrement.
Deux ou trois attaques voisines, à distance de 600 mètres, et concourant l'une vers l'autre, se prêteront un mutuel appui; elles domineront tout le terrain intermédiaire; chacune d'elles suivra, autant que possible, les deux côtés d'une large rue perpendiculaire qui, en cas d'assaut, livrera passage aux colonnes. Ces attaques convergeront sur une place ou aboutiront à une grande communication.
Un régiment, à chaque attaque, fournit 1/10 de travailleurs; un autre régiment est en arrière en réserve; en tête du tout, 50 à 60 sapeurs, sous les ordres de 3 officiers du génie, cheminent en prenant les précautions nécessaires. Ils sont relevés tous les matins, à 6 heures, afin qu'ils puissent mieux connaître les positions à défendre ou à enlever.
Une attaque exige donc 2 à 3,000 hommes, et 10,000 si l'on compte les troupes au repos; sur ce chiffre, il y a 1/30 de militaires du génie, dont 1/15 d'officiers, 2/15 de mineurs, 11/15 de sapeurs. Chaque attaque s'étend à 100 mètres au moins, à droite et à gauche, pour assurer ses flancs.
295. On organisera, vis-à-vis les positions à aborder, une parallèle continue, les ailes bien appuyées, le centre renforcé par des maisons dominantes.
Il faut qu'on puisse en déboucher par des rues larges et droites, sur une grande communication, d'où l'on gagnera le réduit de la défense, et d'où l'on donnera la main aux autres attaques.
Tant qu'une aile d'attaque n'est pas bien appuyée, une réserve extérieure garde les défilés en arrière contre les sorties latérales.
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296. Deux espèces de batteries appuient les flancs, les unes pour les soutenir directement, les autres pour battre en brèche les positions latérales qui les contrarient.
Dans les cheminements, établir des batteries de mortier et de petit calibre pour battre, à faibles charges, les défenses les plus rapprochées et incommoder l'ennemi au delà des bâtiments qui le défilent.
Quelques pièces de campagne pourront être employées pour faire brèche aux maisons.
Des communications larges et faciles auront été ouvertes, à travers les obstacles franchis, pour le passage de cette artillerie et des différentes armes.
«Remarquons que, le 18 juillet 1808, Napoléon écrivait: Le 14e et le 44e arrivent demain: après demain ils partent pour Sarragosse: non pas que ces troupes puissent avancer la reddition qui est une affaire de canon.»
Cette importance de l'artillerie en pareille circonstance, sur laquelle les meilleurs esprits ont été partagés, dépend de la facilité des communications, de la légèreté, de la simplicité du matériel employé, de la profondeur des masses qui se présentent imprudemment à ses coups, et enfin de l'action inintelligente des tirailleurs ennemis, car désormais la lutte est entre ceux-ci et les pièces, et dans beaucoup de cas l'avantage peut rester aux premiers, s'ils sont instruits et bien armés.
* * * * *
297. Dans une rue parallèle, filer le long des maisons qui forment le côté le plus rapproché, occuper les îlots en face, y communiquer à l'aide de doubles caponnières ou de caves, fortifier les bâtiments qui flanquent cette rue ou qui enfilent les voies transversales.
S'étendre, par l'intérieur des maisons, des deux côtés des rues perpendiculaires; occuper les édifices qui enfilent les voies transversales; franchir celles-ci de nuit, après avoir pris position du côté de bâtiments contigus aux positions; occuper vis-à-vis une maison d'où on avance, à droite et à gauche, en perçant des créneaux dans les murs de refend et en y prévenant l'ennemi.
Garnir de fusiliers les étages et les toits des maisons voisines attenantes à celles de l'ennemi; boucher les portes et les fenêtres qui lui font face, avec des sacs à terre; chercher à s'étendre sur les côtés.
Cheminer vers les bâtiments qui tournent les positons conservées par l'ennemi, sur les flancs en arrière; y faire brèche, s'en emparer, et de là menacer les communications.
298. Une ville, dont les rues étroites et tortueuses n'ont entre elles que de rares communications, offre un champ de bataille à l'avantage de celui qui s'y défend: il faut éviter de se laisser emporter par un succès obtenu, de peur d'avoir de suite une situation et une fortune contraires.
Chercher à s'étendre le plus possible aux environs des rues par lesquelles on veut pénétrer: occuper les bâtiments latéraux, tourner les barricades et ne jamais les attaquer de front; enfin, mettre en action au moins autant de monde que l'ennemi.
Si l'on est faible, il faut rester sur ce terrain; si l'on et plus fort, on attire, par une fuite simulée, l'ennemi dans un quartier où, établi d'avance, on prendra sur lui le même avantage.
Que l'attaque soit plus ou moins brusquée, plus ou moins régulière, elle offre d'autant plus de chances de succès qu'elle est mieux conduite conformément aux principes précédents.
Ainsi, il faut toujours pénétrer sur 3 ou 4 colonnes concourantes ou au moins parallèles, de 2 à 3 bataillons, autant d'escadrons et de pièces chacune, écartées de 500 mètres, et faisant des établissements à même hauteur, en avant des communications transversales, comme chaînons de parallèles générales, de 300m en 300m; les points forts d'une parallèle précédente, serviront du réduits, aux parties correspondantes de la parallèle nouvelle, sur laquelle on prend position; et les postes avancés du celle-ci deviendront plus tard les points forts d'une 3e parallèle ultérieure. La nécessité de ces précautions est également démontrée par la sanglante journée du faubourg Saint-Antoine, le 2 juillet 1652, et par les longues luttes de Sarragosse en 1808.
* * * * *
299. Pour ce qui est du détail des cheminements, éviter toute échauffourée; à mesure qu'on s'empare d'une maison, s'y établir, la créneler, boucher les basses ouvertures sur la rue.
Élargir la communication avec le précédent bâtiment pris, avant d'en attaquer un autre plus éloigné.
300. Les mines peuvent avoir l'inconvénient d'arrêter plusieurs jours par les incendies qu'elles produisent, comme cela eut lieu dans la rue des Munitions, le 1er février, au deuxième siège de Sarragosse.
Le meilleur moyen est le fourneau peu chargé, de manière à percer et à ébranler les maisons sans les renverser, ni ouvrir de grands entonnoirs vus de toutes parts; il y reste encore des abris contre les feux plongeants des édifices voisins.
Dans l'espace de 24 heures, on avance ainsi de 80 à 100 mètres; on a par attaque 30 hommes tués ou blessés; on gagne, de chaque côté de rue, 4 ou 5 maisons.
À chaque attaque, il y a 50 sapeurs, 50 travailleurs et 100 soldats armés, dont une moitié en réserve.
On consomme, en 48 heures, pour une mine, 100 à 150 livres de poudre; on prend, par ce moyen, 4 à 5 maisons fortifiées.
Profiter des caves pour communiquer sous les rues; les employer comme entrées de rameaux; éviter autant que possible, ainsi que cela eut lieu au deuxième siége de Sarragosse, de coffrer et d'être en arrière de la sape.
Après chaque explosion, on s'empare d'une ou de plusieurs maisons; la réserve relève les troupes qui y sont logées; l'ordre est donné pour le travail de nuit.
301. La nuit, on ouvre les communications avec les maisons prises de jour; on traverse, à la sape, les rues transversales: 10 sapeurs et quelques travailleurs suffisent à chaque attaque.
Profiter du jour pour bien reconnaître les communications; dans les ordres être clair et précis, afin d'éviter des méprises fâcheuses, comme le fut celle d'un régiment qui, au premier siége de Sarragosse, vint dans un passage tortueux et étroit, où quelques hommes l'arrêtèrent.
302. Les communications seront établies le long des rues non enfilées par l'ennemi, ou sur le côté de celles qui sont battues; on les fera droites autant que possible; elles ne seront contournées que pour éviter un passage périlleux ou difficile.
On allumera, de distance en distance, des petits feux, en lieux couverts, pour y servir de repaires pendant la nuit.
Des draps ou des tapis, pendus à des cordes d'un côté de rue à l'autre, couvriront les communications que l'on ne pourra défiler autrement.
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303. Pour franchir d'une maison à une autre, on fera, à chaque étage, des créneaux, et ensuite quelques grosses ouvertures, dont une sur le toit pour le passage; d'autres trous et créneaux, s'il est possible, sont percés sur les flancs ou au-dessous, pour obliger l'ennemi à évacuer sans se défendre.
304. Si l'ennemi dispute une chambre, on ouvre des créneaux en face des siens, l'on tiraille des deux côtés; la chambre intermédiaire se remplit bientôt de fumée; le sapeur s'y glisse à plat-ventre jusque sous les canons de fusil des défenseurs; il se lève, frappe les fusils à coups redoublés, avec une barre à mine, oblige à les retirer; aussitôt des hommes déterminés embouchent les créneaux, y jettent des grenades et forcent l'ennemi à défendre un mur plus éloigné.
Si un gros mur arrête, les sapeurs réduisent son épaisseur avec la pioche avant d'y faire ouverture; puis ils le renversent d'un seul coup sur l'ennemi. Si le temps manque, ils le font sauter avec un sac de poudre.
305. Il est surtout nécessaire d'occuper en force les toits, pour y blottir, derrière les cheminées ou les lucarnes, d'adroits tirailleurs, qui feront évacuer les parties inférieures ou empêcheront les retours offensifs de l'ennemi sur les derrières et communications des attaques. Il ne faut s'aventurer, dans une cage d'escalier, qu'après s'être rendu maître des toits et étages supérieurs.
Si l'on pénètre plus avant dans les étages élevés, on déloge les défenseurs de l'étage inférieur, soit en menaçant leurs communications, soit en les fusillant par les ouvertures faites aux planchers. Dans cette position, on n'aura à craindre, ni la fusillade sans effet de bas en haut, ni l'incendie dont l'emploi est presque toujours dangereux pour celui qui se défend.
Les coupures d'une chambre ou d'un corps de logis à l'autre sont franchies à l'aide de madriers, également utiles pour se préserver des feux de flanc, en les appuyant contre les créneaux; on s'abrite des feux de l'étage supérieur, à l'aide de paniers mis sur la tête, et au-dessus du fond desquels sont fixées des rondelles en forts madriers.
306. Si l'on ne peut vaincre la résistance des défenseurs établis dans un étage supérieur, on se hâte de mettre le feu en dessous, ou d'y faire déposer, par une escouade d'élite, un sac de 100 à 150 livres du poudre; ce moyen est suffisant pour chasser l'ennemi et ouvrir le bâtiment sans le renverser; il restera encore, après l'explosion, des abris contre les feux plongeants des maisons voisines.
Si plusieurs assauts n'ont pu faciliter l'entrée dans le bâtiment, il faut l'incendier. On lance dessus les toits, contre les fenêtres et les portes, des flèches entortillées de mèches allumées, des tourteaux goudronnés; on tire sans relâche sur le feu à coups de fusil ou de canon, pour empêcher d'éteindre ou de jeter les parties enflammées dehors.
Ou peut aussi incendier les bâtiments voisins du côté du vent; approcher, de la partie de la maison la moins bien défendue, des matériaux combustibles, auxquels on met le feu; ou saper un mur et jeter, par l'ouverture, des grenades ou carcasses enflammées.
Ces diverses attaques se font simultanément à tous les étages d'une même maison, afin de n'être pas exposé, soit à la fusillade à travers les planchers supérieurs, soit aux grenades jetées par les cheminées ou les toits.
Il est surtout nécessaire d'occuper ceux-ci en force. Les Espagnols en profitèrent, à Sarragosse, pour faire des sorties sur nos derrières et pour couper nos communications.
307. De nuit, enduire de résine les portes faiblement barricadées, et ensuite y mettre le feu.
Battre à coups de bélier celles qu'on est obligé d'enfoncer de nuit.
308. Donner les assauts aux bâtiments et positions, dès le point du jour, afin d'éviter les méprises et de ne pas laisser le temps à l'assiégé de replacer ses postes pendant la nuit.
Si l'on marche vers une grande communication ou une place bien connue, ou si l'on veut donner le change et surprendre, on peut s'écarter de ce principe.
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309. Il est inutile de faire remarquer l'avantage incontestable des armées régulières ainsi engagées, avec entière liberté de déployer toute leur majestueuse et invincible puissance.
S'il n'y avait de plus grands malheurs à éviter, de tristes mais impérieux devoirs à remplir, et la perspective d'un ineffaçable outrage au drapeau, on n'éprouverait peut-être qu'une sorte d'intérêt pour des populations ennemies révoltées toujours follement compromises, en pareille circonstance, sans chefs expérimentés, sans organisation, sans discipline, sans armes, sans matériel et sans approvisionnements suffisants.
La lutte pourra être lente et sanglante: mais, à une heure prévue, le succès est assuré. Ici et en tout, la disproportion est si grande, que la raison ne peut même s'expliquer une tentative sérieuse et réfléchie. D'un autre côté, l'honneur militaire a trop de prestige pour permettre, à cet égard, le moindre doute.
Les populations qui auront le courage de soutenir leurs garnisons assiégées et de défendre avec elles, non-seulement les remparts, mais encore l'intérieur des villes contre l'étranger, pourront aussi succomber dans une lutte inégale; mais ce sera après avoir noblement bravé toutes les horreurs d'un long siége, pour la défense de leurs foyers, l'indépendance et l'honneur de la patrie: les projets les plus importants de l'armée d'invasion auront été remis ou abandonnés: une inquiétude salutaire les rendra désormais plus timides, moins décisifs: le monde entier respectera une telle chute, désormais la gloire et la force du pays, et, pour toutes les nations, une nouvelle leçon de patriotisme.