Jeanne la Fileuse: Épisode de l'Émigration Franco-Canadienne aux États-Unis
{4} Extraits de La France aux Colonies par E. RAMEAU: L'insurrection de 1837 détermina un grand mouvement d'émigration vers les États-Unis, émigration qui depuis longtemps commençait à s'opérer à petit bruit, mais qui se dessina d'un manière notable à partir de cette époque et que nous estimons en moyenne à 2,500 âmes par an, d'après le nombre considérable de Canadiens qu'accuse le recensement de 1850 des États-Unis, nombre que la seule émigration 1844 à 1850 ne saurait expliquer.—p. 325.
(Extrait du cens de 1850 des États-Unis.) Dans l'état du Maine, 14,181 émigrants nés dans l'Amérique anglaise;—Vermont, 14,470;—Massachusetts, 15,862;—New York, 47,200;—Pensylvanie, 2,500;—Louisiane, 499;—Ohio, 5,880;—Michigan, 14,008;—Illinois, 10,699;—Missouri, 1,053;—Wisconsin, 8,277;—Minnesota, 1,417;—Nous ne citons que ces États, parce que ce sont ceux-là qui nous paraissent avoir pu attirer le plus grand nombre de Canadiens-français. Tous cependant ne le sont pas, une partie vient de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick, notamment dans le Maine et le Massachusetts. Nous n'estimons pas que dans ces deux États il y eut plus de 12,000 Canadiens-français. Dans l'État de New-York il en vient de toutes les parties de l'Amérique anglaise; néanmoins, à cause du voisinage plus immédiat des Canadiens-français, nous estimons leur nombre à environ 18,000. Dans la Pensylvanie, dans l'Ohio, dans le Michigan et dans le Wisconsin, les émigrants du Haut-Canada et des autres parties de l'Amérique anglaise doivent se partager sans doute avec ceux du Bas-Canada; néanmoins nous n'estimerons ceux-ci qu'à 12,000; mais dans le Vermont, la Louisiane et le Missouri, ces derniers doivent former la presque totalité, et dans l'Illinois et le Minnesota, la majorité; nous les estimons donc dans cinq États au moins à 22,000 âmes, soit en tout 64,000. Mais nous sommes certainement dans cette évaluation au-dessous de la réalité, parce que nos estimations partielles sont trop basses, et qu'il faudrait encore tenir compte des Canadiens dispersés dans les autres États; aussi l'opinion commune est-elle au Canada que les Franco-Canadiens étaient pour plus de moitié dans les émigrants de l'Amérique anglaise aux États-Unis.
Nous nous basons dans ces appréciations sur les données que nous ont fournies 1—l'enquête faite au Canada en 1857 sur l'émigration et qui nous indique les points principaux où se portaient les Canadiens; 2—sur l'examen de la répartition des diverses paroisses catholiques des États-Unis et la recherche des points où le service religieux a lieu en français; 3—sur de nombreuses informations, par nous recueillies, sur la répartition des Canadiens-français aux États-Unis.
Les documents sur l'émigration, M. Taché et beaucoup d'autres estiment aujourd'hui à plus de 150,000 les Franco-Canadiens répandus aux États-Unis; il est vrai que dès 1850 ils estimaient cette émigration plus haut que nous ne le faisons.—p. 327.
En relevant les paroisses catholiques des États-Unis en 1853, nous trouvons sur le lac Ontario et le lac Érié, dans le comté de New-York, 7 paroisses où le service se fait en français, savoir: Petite-France, Oswego, Rochester; 2 paroisses à Buffalo, Cape-Vincent ou French-Creek et Rosière; en Pensylvanie, 2 paroisses près Meadville, savoir: Saint-Hippolyte et Saint-Pierre Saint-Paul; dans l'Ohio, la rivière Toussaint, près Sandusky, et Saint-Walbert, près Versailles, comté de Shelby. En 1842 le cap Vincent se composait d'une soixantaine de familles émigrées de France et d'une vingtaine de familles allemandes.—p. 328.
En 1856, le gouvernement fit procéder à une enquête sur les causes de l'émigration. Cette enquête qui provoqua plus de cent rapports détaillés ou sommaires, assigne d'une manière fort claire et assez unanime, les causes suivantes à l'émigration: 1—Le manque de chemins et de ponts pour communiquer des anciens établissements avec les terres vacantes de la couronne; 2—les concessions abusives de vastes étendues de terres faites autrefois par faveur ou intrigue à des individus ou à des compagnies; 3—le défaut de manufactures qui puissent occuper une partie de la population, réduite durant les longs hivers à une inaction forcée et préjudiciable; 4—les vices d'administration qui existaient dans le mode de vente des terres de la couronne, et dans les ventes de bois faites au commerce sur ces mêmes terres;—enfin plusieurs autres motifs qui ne sont qu'accidentels ou locaux.—p. 187.
M. Ducharme, un des déposants de cette enquête, établit qu'il avait personnellement constaté en 1852 la sortie de 2,165 émigrants canadiens-français, 2,678 en 1853, 4,857 en 1854 et 5,207 en 1855, total, près de 15,000 personnes en quatre ans, et cela sans compter les omissions inévitables dans les observations d'un seul particulier. D'après la même personne, la moitié de ces émigrants se compose de jeune gens ou ouvriers isolés, l'autre moitié de familles entières; une partie plus ou moins forte des premiers revient au pays, mais il en revient très peu des seconds.
D'après le sens général de l'enquête et l'opinion communément répandue au Canada, les constatations ci-dessus mentionnées ne correspondraient guère à plus de la moitié des émigrations. On peut juger par là dans quelle proportion le mal agissait sur une population aussi peu considérable.—p. 330.
Voici l'état statistique qui nous a été transmis sur la population canadienne des frontières de l'État de New-York: 1—sur le lac Champlain, Champlain et Corbeau 800 familles canadiennes, Plattsburgh et Keeseville 800 également, à Morristown, Fort-Henri et Ticonderoga 1,000 à 1,200 âmes; 2—sur la rive du Saint-Laurent et à la tête du lac Ontario, à Ogdensburgh 500 familles, dans Wexport, Blackbrook, la Fourchette, Lewis et Boquette; on comptait 2,700 communiants canadiens, ce qui peut supposer 6,000 âmes; enfin au cap Vincent et à Rosière, sur le lac Ontario, il peut s'en trouver 8 ou 900. Un peu plus dans l'intérieur des terres il se trouve encore quelques villages où l'on compte encore un assez grand nombre de Canadiens, comme à Malone, Châteauguay, etc. «Les Canadiens, ajoute M. l'abbé Mignaut, conservent à l'étranger leur langue, leurs usages, et le précieux trésor de la foi, presque aussi bien qu'au foyer paternel, mille fois j'en ai été témoin depuis les quarante-deux ans que j'ai soin des missions qui avoisinent le Canada.»—p. 334.
Nous avons vu qu'en 1850 il y avait au moins 64,000 émigrants canadiens aux États-Unis; depuis lors, en considérant le grand nombre d'émigrants de 1850 à 1855 (voir note 1, chap. XI), il n'y a rien d'exagéré à supposer, d'une part, que ce chiffre s'est élevé à 100,000 par 36,000 émigrants canadiens nouveaux; et d'autre part, que ces 100,000 émigrants, tous jeunes en général, doivent s'être doublés aujourd'hui, ci: 200,000 individus.—Les 20,000 Canadiens laissés dans l'ouest en un laps de cent ans peuvent bien être pris en ligne de compte pour cinq fois leur chiffre primitif (les Canadiens restés dans leur pays s'étant presque décuplés deux fois dans ce même laps de temps), ci: 100,000 individus.—Enfin les 35,000 coureurs de bois, traitants, voyageurs, dispersés ou perdus dans l'ouest avant 1760, représenteraient certainement aujourd'hui, ne se fussent-ils doublés que tous les trente ans, au moins 350,000 âmes.—On voit donc que, même en tenant un large compte des Franco-Canadiens déjà comptés par nous sur les frontières, notre calcul est extrêmement modéré quand nous évaluons à 500,000 individus la déperdition éprouvée par la population canadienne, chiffre dont elle bénéficierait aujourd'hui si elle n'avait pas été constamment décimée par des émigrations de toute nature.—p. 336.
{5} Ce document emprunté à un journal de l'époque, était signé par MM. L. O. Loranger, président, et Alfred LaRocque, fils, secrétaire du comité d'organisation.
{6} Cet appel, daté du 17 mars 1874 et publié dans plusieurs journaux, notamment dans L'Écho du Canada du 4 avril 1874 (vol. 1, 38) est reproduit ici de façon incomplète puisqu'il se terminait ainsi: «Un comité composé de Rév. J.B. Primeau, de MM. A.G. Lalime, Ferd. Gagnon et Fred. Houle, a été chargé de se mettre en rapport avec vous, à ce sujet, et de prendre toutes les mesures nécessaires pour organiser le mouvement aux États-Unis. Le Comité d'organisation, MM. L. Loranger, Président, MM. G.-A. Drolet, J.O. Joseph, Benoit Bastien, Dr. Lachapelle, C. Beausoleil, André Lapierre, Guill. Boivin, Jos. Loranger, H.A.A. Brault, M. Maire, T. Crevier, Dr W. Mount, A. Dansereau, Adolphe Ouimet, L. O. David, J. Perrault, Chs Desmarteaux, L.O. Taillon, Dr. L. Desrosiers, Narcisse Valois, P.A.A. Dorion. Pour copie conforme, Alfred LaRocque, Fils, Secrétaire du Comité d'Organisation.
{7} À propos de cette association, consulter la chronique à la date du 11 avril 1874.
{8} L'Écho du Canada était alors publié à Fall River sous la direction de l'auteur. [L'article qui suit est tiré en partie de L'Écho du Canada, 26 septembre 1874, vol. 2, no. 62. N.d.É]