Journal des Goncourt (Deuxième série, premier volume): Mémoires de la vie littéraire
J'ai cette grande jouissance de pouvoir donner ma vie au travail pour lequel j'étais né, mais c'est au milieu d'attaques, de haines, de fureurs, je puis le dire, comme aucun écrivain de notre époque n'en a rencontrées. Quelques années se passent ainsi dans la lutte, au bout desquelles mon frère est gravement attaqué du foie, pendant que chez moi se déclare une maladie des yeux menaçante. Puis mon frère tombe malade, très malade, est malade, tout un an de la plus effroyable maladie qui puisse affliger un coeur et une intelligence, noués au coeur et à l'intelligence d'un malade.
Il meurt. Et aussitôt sa mort, pour moi, accablé et sans ressort, commencent la guerre, l'invasion, le siège, la famine, le bombardement, la guerre civile; tout cela frappant plus durement sur Auteuil que sur tout autre point de Paris. Je n'ai vraiment pas été heureux jusqu'à ce jour. Aujourd'hui je me demande si c'est bien tout, je me demande si j'ai longtemps encore à voir, si je suis condamné à devenir bientôt aveugle, à être privé du seul sens qui me continue encore les uniques jouissances de ma vie.
Il y a incontestablement un enragement parmi la population parisienne. Je vois aujourd'hui une femme, qui n'est pas du peuple, qui a un âge vénérable, une bourgeoise mûre enfin, je la vois donner, sans provocation, un soufflet à un homme qui se permettait de lui dire: «de laisser en paix les Versaillais.»
On crie un nouveau journal de M. de Girardin: LA RÉUNION LIBÉRALE. Conciliation sans transaction. Faut-il que la France soit un peuple de gogos, pour avoir gobé cet homme à idées sans idées, ce puffiste d'antithèses!
Je pénètre, ce soir, à Saint-Eustache, où a lieu l'ouverture d'un club.
Au banc d'oeuvre, entre deux lampes est un verre d'eau sucré, entouré de quatre ou cinq silhouettes d'avocats. Dans les bas côtés, debout ou sur des chaises, un public de curieux amenés, par la nouveauté du spectacle. Rien de sacrilège dans l'attitude de ces hommes, dont beaucoup, en entrant, portent instinctivement la main à leur casquette, et ne la laissent qu'à la vue des chapeaux qui sont sur les têtes. Non, ce n'est point la profanation de Notre-Dame, en 93, ce ne sont point encore les harengs, grillés sur les patènes, seulement une forte odeur d'ail monte sous les voûtes sacrées.
La sonnette, la sonnette au tintement argentin de la messe, annonce que la séance est ouverte.
A ce moment surgit dans la chaire, une barbe blanche, qui, après s'être gargarisé avec quelques phrases puritaines, demande à l'assemblée de voter la proposition suivante: «Les membres de l'Assemblée nationale, et aussi bien Louis Blanc, Schoelcher, que les autres, les membres de l'Assemblée nationale, ainsi que les autres fonctionnaires, sont déclarés responsables, sur leur fortune privée, de tous les malheurs de cette guerre, et tout autant pour ceux qui périssent du côté de Versailles, que du côté de Paris. En sorte, dit-il, en entrant dans des explications, qu'un représentant de province sera très désagréablement surpris, quand le paysan, chez lequel on aura rapporté le corps de son fils, viendra lui réclamer, sur sa fortune, la pension qui lui est due.» La proposition mise aux voix n'est pas votée, je ne sais par quel empêchement.
A la barbe blanche succède un pantalon gris-perle qui déclare d'une voix rageuse, que pour vaincre, il n'y a que la terreur. Il réclame, celui-là, l'installation d'un troisième pouvoir, d'un tribunal révolutionnaire, avec la roulée immédiate sur la place publique de la tête des traîtres. La proposition est frénétiquement applaudie par une claque, groupée sur les chaises autour de la chaire.
Un troisième prédicateur, qui a toute la phraséologie de 93, apprend qu'on a trouvé 10 000 bouteilles de vin chez les calotins du séminaire de Saint-Sulpice, et demande que des perquisitions soient faites chez les bourgeois, où doivent être cachés de grands approvisionnements.
Ici—je veux être impartial—monte à la tribune un membre de la Commune, en costume de la garde nationale, et qui parle bonhommement, carrément. Tout d'abord, il affiche son mépris pour les phrases ronflantes, avec lesquelles on se fait une popularité facile, et déclare que le décret du Mont-de-Piété, dont le précédent orateur avait demandé l'extension, n'a pas été étendu au delà des objets de 20 francs, parce qu'il ne s'agit pas de prendre, sans savoir comment on payera.
Il ajoute que le Mont-de-Piété est une propriété privée; qu'il faut pouvoir être sûr de lui rembourser, ce dont on le dépossède, que la Commune n'est pas un gouvernement de spoliation, qu'il est nécessaire qu'on le sache bien, et que ce sont les maladresses d'orateurs pareils à celui qui l'a précédé, qui répandent dans le public l'idée, que les hommes de la Commune sont des partageux, et que tout individu qui a quatre sous, sera obligé d'en donner deux.
Puis parlant des hommes de 93, que, selon son expression, on leur jette sans cesse entre les jambes, il déclare que ces hommes n'ont trouvé devant eux que l'action militaire, mais que s'ils avaient eu à résoudre les énormes et difficiles problèmes du temps présent, ces fameux hommes de 93 n'auraient peut-être pas été plus adroits, que les hommes de 1871. Et là-dessus il lance un assez beau et assez brave: «Qu'est-ce ça me fait que nous soyons victorieux de Versailles, si nous ne trouvons pas la solution du problème social, si l'ouvrier demeure dans les mêmes conditions!»
On dit, autour de moi, que l'orateur s'appelle Jacques Durand.
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Lundi 8 mai.—En entrant ce matin chez Burty, je vois, sur sa cheminée, un magnifique bouquet de tamaris, de lilas, d'épines.
Il me raconte qu'il l'a cueilli, hier, sous les obus de Courbevoie. Et petit à petit, se lève pour moi, de son récit, de la mémoire de la journée, un paysage tout original et tout charmant, pour un roman de guerre. Jardins de Neuilly et de Clichy ne font plus aujourd'hui, par la percée des murs, qu'un seul jardin, tout blanc, tout rose, tout mauve, des floraisons des lilas et des épines à fleurs doubles: un jardin aux allées, qu'on dirait macadamisées avec des éclats d'obus, tant il en est tombé, tant il en tombe tous les jours. Dans la jeune verdure et la flore des arbustes printaniers, ici des gardes nationaux couchés à côté de leurs armes, brillant au soleil, là une blonde cantinière versant à boire à un soldat, avec sa grâce parisienne, et à tout coin, et sous tout abri de feuillage, sur le drap militaire, des filtrées, des zigzags de couleur à la Diaz.
Au-dessus des têtes, à tout moment, le beau bruit à la fois sonore et mat des boîtes à mitraille, en même temps que sur le bleu du ciel ensoleillé, l'éclosion, la formation, le grossissement lent de nuages, semblables à ces nuages de féerie, d'où sort un génie ou une fée, habillée de papier d'or, crachant aujourd'hui des morceaux de fonte.
Et l'horrible mêlé à cela. Un cadavre qu'on hisse dans un fourgon, et dont un homme retient, à deux mains, la cervelle prête à s'échapper du crâne, presque décalotté.
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Mardi 9 mai.—Des gardes nationaux! des gardes nationaux! des drapeaux rouges tout neufs! des cantinières en grand costume! des ambulancières, la couverture au dos, le sac à pansement au ventre! une multitude armée se massant sur la place Louis XV. Un moment, j'ai cru que tout ce rassemblement soldatesque partait pour le rempart. Ce n'est qu'une revue, où le nombre des gamins a quelque chose d'odieux, de révoltant.
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Mercredi 10 mai.—La proclamation de Thiers est vieillotte comme l'homme. Sur un tel thème, pas une belle phrase, ou simple, ou éloquente, ou indignée.
Ces jours-ci, à la Commune, Lefrançais demandait que les secrétaires voulussent bien faire parler français aux membres du gouvernement. On lui a répondu qu'on n'en avait pas le temps.
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Jeudi 11 mai.—Tous les magasins des rues avoisinant la place Vendôme ont leurs glaces treillagées de bandes de papier.
C'est singulier, comme il faut aux documents historiques un enfoncement dans le passé, pour me toucher. Ai-je, des fois, envié le bonheur, qu'avait eu Manuel, à mettre la main sur les papiers, avec lesquels il a fait la BASTILLE DÉVOILÉE. Peut-être, si j'avais été son contemporain, la trouvaille ne m'eût été de rien. Je le sens à vivre, à peu près tous les soirs, à côté de Burty, entouré, barricadé de papiers, de notes, de dépêches, de carnets, trouvés aux Tuileries, et qui m'en lit, à tout bout de champ, des fragments qui m'assomment. Dans son enthousiasme, sa jubilation de trouveur, va-t-il jusqu'à vouloir me faire toucher du doigt, les précieux autographes, mes mains les repoussent machinalement. Après tout, la cause de mon peu de curiosité est-elle due à l'abondance de la télégraphie, qui donne aux épanchements impériaux un style trop nègre?
Très souvent, le soir, je rencontre, chez Burty, Asselineau. Je ne connais pas un bavardage qui produise un ennui plus semblable à celui de la pluie, que le bavardage dudit. Pour n'être pas ennuyeux, à défaut d'autre chose, il n'est que besoin d'être tout simplement un peu passionné. Lui, c'est la melliflue et froide expansion de l'égoïsme d'un vieux garçon, doublée du rabâchage d'un bibliophile.
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Vendredi 12 mai.—La terrasse des Tuileries est couverte de balles de chiffons, destinées à barricader le jardin, sur toute la face de la place de la Concorde.
La maison de Thiers n'est pas encore démolie, mais déjà le drapeau rouge flotte au-dessus du petit cadre bleu, où se trouve le fameux numéro 27. La place est occupée militairement par des Vengeurs de la Patrie, de blêmes voyous, un ramassis de cette crapuleuse enfance de Paris, dont le métier est d'ouvrir les portières aux théâtres du boulevard du Crime.
A un: Diable! que je pousse à la lecture d'un journal du soir, m'apprenant que les Versaillais ont ouvert la tranchée à la batterie Mortemart, un voisin de café me demande s'il y a quelque chose de grave, aux dernières nouvelles! Je lui montre le journal, en lui disant que mon exclamation vient de ce que j'ai une maison à Auteuil, placée juste en face de la batterie. «Moi aussi, dit-il, j'en ai une!» Et nous causons.
Mon voisin a, dans ce moment-ci, un enfant opéré du croup, que soigne une soeur. La soeur est obligée de venir, en bourgeoise, pour n'être pas insultée dans la rue. Maintenant le chirurgien qui a opéré son enfant, et qui est le chirurgien de l'hôpital Necker, lui contait qu'avant-hier, un blessé, à qui il avait à faire une amputation le matin, était encore si saoûl de la veille, qu'il avait été obligé d'attendre à quatre heures.
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Samedi 13 mai.—Je tombe ce matin dans la destitution en masse des employés de la bibliothèque, et dans la fuite de ceux qui n'ont pas quarante ans: une débâcle qui serait grotesque, si elle n'était lugubre.
La démolition de l'hôtel Thiers est commencée, et le toit mis à jour laisse voir les voliges de bois blanc d'une économique construction. Au fond, cette attaque à la propriété, la plus significative qui soit, fait un excellent mauvais effet.
Lamentable, le spectacle de tout ce quartier, où l'on traque les réfractaires, et où l'on voit les sbires nationaux se lancer, la baïonnette en avant, sur les pas d'un adolescent, qui fuit, et cherche à leur échapper avec ses jeunes jambes.
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Dimanche 14 mai.—Si jamais je fais ce roman sur la vie de théâtre, dont mon frère et moi avions eu l'idée, si jamais je fais la psychologie d'une actrice, il faut que l'idée dominante, la pensée-mère de ce livre, soit le combat des instincts peuple, des goûts canaille, venant de la procréation, de la nature, de l'éducation, avec les aspirations à l'élégance, à la distinction, à la beauté morale: qualités congéniales d'un grand talent.
Il y aurait peut-être une forme originale pour ce livre.
Une première partie, dont voici à peu près le canevas.—Un soir je causais de cette femme, que je n'avais fait qu'entrevoir, mais qui avait éveillé en moi une espèce de curiosité amoureuse. Peut-être l'histoire du baiser de Rachel, donné à Saint-Victor, par dessus un paravent, pendant qu'elle s'habillait dans sa loge. La causerie avait lieu au bord de la mer, avec un ancien amant, un homme pratique, un homme d'affaires matiné de politiqueur, une espèce de Montguyon. Moment d'expansion de cet homme fort et fermé, produit par la beauté et la grandeur de la nuit. Récit très passionné, très sensuel, très matériel, très crû. Un long silence. Puis tout à coup il me prend le bras, monte chez moi, allume un cigare, ôte son habit, et se promène furieusement dans une chambre, en me reparlant d'elle. Et il raconte l'horreur soudaine qu'il a prise, tout à coup, pour cette femme, en ayant été témoin de l'étude impie qu'elle avait fait du rire sardonique, dans l'agonie de sa mère, et développe l'idée que le jeune homme est porté à aimer une femme qui a l'air d'une mauvaise bougresse, mais que, plus tard, en vieillissant, il veut trouver l'image de la bonté chez la femme.
Donc un récit parlé pour la première partie.
Deuxième partie.—Un séjour chez un cousin, second secrétaire d'ambassade dans une résidence d'Allemagne, une résidence comme Hesse-Darmstadt. Un déjeuner de garçons (peinture de diplomates français et étrangers) où l'on ne parle que de Paris, et où il est beaucoup question de l'actrice. Les invités partis, mon cousin me fait lire un paquet de lettres écrites sur elle, pendant qu'elle a été sa maîtresse, et adressées à un ami mort. Correspondance d'un enthousiasme tout jeune, qui souffre quelquefois des revenez-y canaille de la nature primitive de la femme. Intercaler là dedans le souvenir angélique de nuits d'amour, passées à l'hôtel de Flandres, à Bruxelles, nuits semblant bercées par l'orgue de l'église mitoyenne.
Donc la deuxième partie tout épistolaire.
Troisième partie.—Un jour d'hiver, un jour d'inoccupation, sur les cinq heures, la montée chez un marchand d'autographes qui a de la lumière à sa fenêtre. Un type à la façon de Laverdet, un cerveau d'ancien Saint-Simonien, légèrement malade, dont le possesseur porte son chapeau à la main, dans les rues. Peut-être fait-il son travail de dépouillement, à la clarté d'un nouvel appareil au magnésium, qui donne à son oeil clair une clarté un peu aiguë, un peu surnaturelle… Il range des petits cahiers, un journal, qui lui a été vendu, après sa mort, par une soeur crapule de l'actrice, qui a passé sa vie à l'exploiter, et à vendre des autographes d'elle. Ces petits carnets, c'est la confession amoureuse de l'actrice, pendant ses amours avec les deux hommes.
Donc, la troisième partie, une autobiographie[1].
[Note 1: Cette étude d'actrice parue, sous le titre de LA FAUSTIN, n'a été publiée qu'en 1882, et dans une forme différente de celle indiquée ici.]
Tout ce qui reste encore à Paris de population, se tient au bas des Champs-Elysées, où le rire joliment bruyant des enfants, assis devant le guignol, monte parfois sur le grondement de la canonnade lointaine.
La brute nationale commence à entrer en fureur. Je vois un de ces ignobles gardes nationaux, faisant d'office le métier d'agent de police, vouloir entraîner de force un homme qui n'est pas de son avis. Il ne parle rien moins que de «l'emballer pour l'École-Militaire et de le faire fusiller».
Il faut entendre les gens des groupes pour avoir une idée de la bêtise incommensurable du peuple le plus intelligent de la terre. Et il y a encore une chose plus triste que la bêtise: c'est que dans tout ce qui se dit, tout ce qui se crie, tout ce qui se gueule, vous ne touchez qu'une idiote envie, un désir homicide de ravalement.
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Lundi 15 mai.—Toujours l'attente de l'assaut, de la délivrance qui ne vient pas.
On ne peut se figurer la souffrance qu'on éprouve, au milieu du despotisme sur le pavé, de cette racaille déguisée en soldats.
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Mardi 16 mai.—Aux Tuileries, dans l'allée qui regarde la place Vendôme, des chaises jusqu'au milieu du jardin, et sur ces chaises des hommes et des femmes qui attendent tomber la colonne de la Grande Armée… Je m'en vais.
Cette garde nationale! elle ne mérite vraiment ni clémence ni merci. Aujourd'hui, ce qui reste de la Commune, du Comité de Salut Public, serait remplacé par dix forçats bien avérés, bien connus d'elle, qu'elle exécuterait servilement, et sans une protestation, leurs décrets de bagne.
… Quand je repasse, à six heures, dans les Tuileries, là où fut le bronze, autour duquel s'enroulait notre gloire militaire, il y a un vide dans le ciel, et le piédestal tout plâtreux montre, à la place de ses aigles, quatre loques rouges flottantes.
Sur les visages, comme l'annonce d'un événement heureux. On murmure chez les marchands de tabac que le drapeau tricolore flotte sur la porte Maillot.
Je regarde, à la lueur du gaz, de magnifiques photographies, représentant les ruines des maisons de Saint-Cloud, me demandant si la mienne ne figurera pas dans la suite de cette galerie.
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Mardi 17 mai.—Je suis réveillé par une voisine d'Auteuil, venant m'apprendre qu'un obus a démoli, hier, une fenêtre de ma maison. Le bombardement redouble. Aujourd'hui, dans Paris, grand mouvement d'artillerie et de camions de vin, annonçant une action prochaine.
Les boutiques se ferment, l'une après l'autre, et par les vitres de la porte sans volets de celles qui ne sont pas fermées, vous apercevez, sur une chaise, l'affaissement et les bras tristement pendants du boutiquier désoeuvré.
Devant le rapprochement des obus, les Guignols réfugiés au bas des Champs-Elysées ont décampé, emportant, avec Polichinelle, le joli rire des enfants, qui vous distrayait de la canonnade.
Je vague sur les quais. Tout à coup, derrière moi, une formidable et continue détonation. C'est un grondement de cratère, un craquement crépitant de bouquet de feu d'artifice, qui jaillit dans l'air. Je me retourne: au-dessus des maisons, un nuage blanc solide, dont les concrétions semblent du marbre sculpté. On crie autour de moi: «C'est à Saint-Thomas-d'Aquin, au Musée d'artillerie.» Je me jette dans la rue du Bac: «C'est le fort d'Issy qui a sauté!» entends-je répéter aux boutiquiers, encore tout épeurés de la danse de leurs vitres.
Je redescends la rue du Bac et me cogne à Bracquemond, qui me dit, en me montrant la direction de la fumée: «C'est la manufacture des tabacs ou l'École-Militaire!»
Nous remontons les Champs-Elysées. Une vieille femme, à la main bandée, et comme folle, s'exclame: «C'est la cartoucherie du Champ-de-Mars, mais n'y allez pas… ce n'est pas fini… il va y avoir une seconde explosion.»
Nous sommes devant l'ambulance, d'où Guichard nous jette, en nous ouvrant: «Si vous avez le coeur solide, entrez, mais si vous ne l'avez pas, allez-vous-en… Il y a des maisons qui ont dégringolé… vous allez voir des morceaux de femmes et d'enfants écrasés en tétant!»
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Jeudi 18 mai.—Les grands événements tragiques donnent le courage à la femme, à la femme qui en manque le plus, et dans le dramatique, son dévouement s'exalte à un point digne de l'admiration. Je pensais cela, en écoutant le récit du déménagement héroïque, qu'a fait une bonne de la maison voisine de la mienne, et aussi en songeant à ma pauvre Pélagie, s'exposant à être tuée, à toute minute, pour chercher à sauver ma maison du pillage et de l'incendie.
Nous sommes perdus, du moment où l'OFFICIEL, écrit si révolutionnairement mal, a des phrases comme celle-ci: «Une rétrogradation effroyable dans toutes les orgies du royalisme.» Cette littérature m'annonce que nous sommes au bord des massacres.
Je suis entraîné par la foule, au spectacle du jour, à la poudrière du Champ-de-Mars. Les rues par lesquelles je passe, n'ont plus un seul carreau. On marche sur de la poussière de vitre, et je vois une marchande de verre cassé, remplir, en un instant, sa voiture, du verre qu'elle ramasse à pleine main de fer.
Le choc a été si violent qu'il y a des devantures de boutiques, des portes cochères jetées tout de travers, et je n'ai vu rien de pareil au méli-mélo, produit dans les denrées coloniales d'un épicier. Les tuiles de l'hôpital du Gros-Caillou semblent avoir été mises en danse par un tremblement de terre.
Le Champ-de-Mars, le lieu du sinistre, dont la garde nationale vous tient à distance, présente un vague et confus tas de plâtre et de débris calcinés. Dans les détritus, à la porte des baraquements, les femmes cherchent, avec le bout de leurs ombrelles, des balles, qui étaient hier si nombreuses, que, selon l'expression d'un passant, la terre du Champ-de-Mars ressemblait à un champ, «où auraient pâturé des moutons».
Comme si tout ce que nous souffrons n'était pas suffisant, voici qu'il apparaît, dans les journaux, la perspective d'une occupation prussienne.
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Vendredi 19 mai.—Des journées interminables, que je promène çà et là: le trouble et la fatigue de ma vue ne me permettant pas la distraction d'un livre.
On ne rencontre dans les rues que des gens qui monologuent tout haut, semblables à des fous, des gens de la bouche desquels sortent des mots: désolation, malheur, mort, ruine,—tous les vocables de la désespérance.
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Dimanche 21 mai.—Dans mon désoeuvrement, mes pas me portent à l'ambulance des Champs-Élysées.
L'ambulance s'est agrandie de tout le concert Musart, dont l'orchestre est devenu une lingerie, et dont l'allée tournante a disparu sous des tentes, où s'aperçoivent des figures hâves dans des lits. Beaucoup de malades, de mourants, ont été transportés au plein air du jardin, et dans le soleil et la verdure tendre, s'agitent des mains jaunes, et des yeux, au grand blanc, qui interrogent le regard du passant. Presque tous ont une femme près de leur lit de souffrance, et quelquefois de petits enfants jouent sur leurs draps.
Guichard fait le pansement d'un jeune homme, qui a eu la cuisse emportée par un éclat d'obus. Je lui demande machinalement, où il a été blessé: «A Auteuil, dans sa maison, où sa mère l'a retenu!» Cette réponse me jette dans une inquiétude mortelle. Je me reproche la férocité de mon égoïsme et veux, dès le lendemain, aller chercher la pauvre fille restée dans ma maison, tout décidé à abandonner les choses à la grâce de Dieu.
Toute la journée, je l'avais passée dans la crainte d'un échec de Versailles, et dans l'agacement de cette phrase, plusieurs fois répétée par Burty, rencontré à l'ambulance: «Les Versaillais ont été sept fois repoussés!»
Sous ces diverses impressions de tristesse, d'inquiétude, je m'en vais, ce soir, à mon observatoire ordinaire: la place de la Concorde.
Lorsque j'arrive sur la place, une foule énorme entoure un fiacre, escorté par des gardes nationaux.
—«Qu'est-ce que c'est?»
—C'est, me répond une femme, un monsieur qu'on vient d'arrêter… il criait par la portière que les Versaillais venaient d'entrer.»
Je me rappelle, dans le moment, les petits groupes de gardes nationaux, que je viens de rencontrer, rue Saint-Honoré, défilant comme à la débandade. Mais, l'on a été si souvent trompé, si souvent déçu, que je n'accorde aucune confiance à la bonne nouvelle, et cependant je suis remué au fond de moi, et agité comme par un rien d'espérance. Je me promène longtemps, en quête de renseignements, d'éclaircissements… rien, rien, rien. Les gens, qui sont encore dans les rues, ressemblent aux gens d'hier. Ils sont aussi tranquillement consternés. Aucun ne semble informé du cri jeté sur la place de la Concorde. C'est encore un canard.
Je rentre enfin… Je me couche désespéré. Je ne puis dormir. Il me semble entendre, à travers mes rideaux hermétiquement fermés, une rumeur lointaine. Je me lève… J'ouvre la fenêtre. Non, c'est sur le pavé de rues éloignées le pas régulier de compagnies qui vont en relever d'autres, ainsi que cela se passe toutes les nuits. Allons, c'est un effet de mon imagination. Je me recouche… Ah! mais cette fois c'est bien le tambour, c'est bien le clairon! Je ressaute à la fenêtre… Le rappel bat dans tout Paris, et bientôt sur le tambour, sur le clairon, sur les clameurs, sur les cris: «Aux armes!» montent les grandes ondes tragiquement sonores du tocsin, qui se met à sonner à toutes les églises—bruit lugubre qui me remplit de joie, et sonne pour Paris l'agonie de l'odieuse tyrannie.
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Lundi 22 mai.—Je ne puis rester chez moi. J'ai besoin de voir, de savoir.
A ma sortie, je trouve tout le monde rassemblé sous les portes cochères: un monde agité, grondant, espérant, et déjà s'enhardissant à huer les estafettes.
Sur la place de l'Opéra, dans des groupes très clairsemés, on dit que les
Versaillais sont au Palais de l'Industrie.
La démoralisation et le découragement sont visibles chez les gardes nationaux, qui reviennent par petites bandes, tristes, éreintés.
Je monte chez Burty, et nous ressortons aussitôt pour nous rendre compte de la physionomie de Paris.
Il y a un rassemblement devant la devanture du pâtissier de la place de la Bourse, qui vient d'être déchirée par un obus. Sur le boulevard, devant le nouvel Opéra, s'élève une barricade, faite avec des tonneaux remplis de terre, une barricade défendue par quelques hommes, à l'aspect peu énergique.
Dans le moment, arrive en courant un jeune homme, qui nous annonce que les Versaillais sont à la caserne de la Pépinière. Il s'est sauvé, voyant des hommes tomber à côté de lui, à la gare Saint-Lazare.
Nous remontons le boulevard. Des ébauches de barricades devant l'ancien Opéra, devant la porte Saint-Martin, où une femme, en ceinture rouge, remue des pavés.
Partout des altercations entre les bourgeois et les gardes nationaux.
Du feu, revient un petit peloton de gardes nationaux, parmi lesquels est un enfant, aux doux yeux, qui a une loque passée en travers de sa baïonnette—un chapeau de gendarme.
Toujours par groupes, le lamentable défilé de gardes nationaux graves, qui abandonnent la bataille. Un désarroi complet. Pas un officier supérieur donnant des ordres. Pas, sur toute la ligne des boulevards, un membre de la Commune ceint de son écharpe.
Un artilleur ahuri promène à lui tout seul un gros canon, qu'il ne sait où mener.
Soudain, au milieu du désordre, au milieu de l'effarement, au milieu de l'hostilité de la foule, passe à cheval, la tunique déboutonnée, la chemise au vent, la figure apoplectique de colère et frappant de son poing fermé, le cou de son cheval, un gros et commun officier de la garde nationale, superbe dans son débraillement héroïque.
Nous rentrons. A tout moment, montent jusqu'à nous, du boulevard, de grandes clameurs: des disputes et des batailles de bourgeois commençant à se rebeller contre les gardes nationaux, qui finissent par les arrêter, au milieu des huées. Nous montons dans le belvédère de verre dominant la maison. Un grand nuage de fumée blanche prend tout le ciel, dans la direction du Louvre. A cette heure quelque chose d'effrayant et de mystérieux dans cette bataille qui nous entoure, dans cette occupation qui se rapproche sans bruit, et qui semble sans combats.
Je suis venu faire une visite à Burty, et me voici prisonnier jusqu'à quand? Je ne sais! On ne peut plus sortir. On enrégimente, on fait travailler aux barricades, les gens que la garde nationale trouve dans les rues. Burty se met à copier des extraits de la CORRESPONDANCE TROUVÉE AUX TUILERIES, et moi je me plonge dans son oeuvre de Delacroix, au bruit des obus qui se rapprochent.
Bientôt, ça éclate de tous côtés; bientôt, ça éclate tout près. La maison de la rue Vivienne, située de l'autre côté de la rue, a son kiosque brisé; un autre obus casse le réverbère en face de nous; un dernier, enfin, pendant le dîner, éclate au pied de la maison, et nous secoue sur nos chaises, comme par un fort tremblement de terre.
On m'a fait un lit. Je me jette dessus tout habillé. Sous les fenêtres, toute la nuit, les voix des gardes nationaux ivres, jetant, à chaque minute, un qui-vive enroué à tout ce qui passe. Au jour, je m'endors d'un sommeil traversé de cauchemars et de détonations.
* * * * *
Mardi 23 mai.—Au réveil, aucune nouvelle certaine. Personne ne sait rien de positif. Alors le travail de l'imagination dans le noir. A la fin, un journal inespéré, enlevé du kiosque qui est au bas de la maison, nous apprend que les Versaillais occupent une partie du faubourg Saint-Germain, Monceau, les Batignolles.
Nous montons au belvédère, où par le clair soleil qui illumine l'immense bataille, la fumée des canons, des mitrailleuses, des chassepots, nous fait voir une série d'engagements s'étendant depuis le Jardin des Plantes jusqu'à Montmartre. A l'heure qu'il est, c'est à Montmartre que semble se concentrer le gros de l'action. Au milieu du grondement lointain de l'artillerie et de la mousqueterie, des coups de fusil à la détonation très rapprochée nous font supposer que l'on se bat rue Lafayette et rue Saint-Lazare.
Un sinistre caractère, que le caractère de ce boulevard désert, avec ses boutiques fermées, avec les grandes ombres immobiles de ses kiosques et de ses arbres, avec son silence de mort, coupé de temps en temps par une sourde et fracassante détonation… Quelqu'un croit apercevoir, avec une lorgnette de spectacle, le drapeau tricolore flottant sur Montmartre. A cet instant, nous sommes chassés de notre observatoire de verre, par le sifflement des balles qui passent à côté de nous, faisant, dans l'air, comme des miaulements de petit chat.
Quand nous descendons, et que nous regardons au balcon, une voiture d'ambulance est sous nos fenêtres. L'on y monte un blessé qui se débat, répétant:—«Je ne veux pas aller à l'ambulance.» Une voix brutale lui répond:—«Vous irez tout de même.» Et nous voyons le blessé se soulever, ramasser ses forces défaillantes, lutter une seconde contre deux ou trois hommes, et retomber dans la voiture en criant d'une voix désespérée et expirante:—«C'est à se faire sauter la cervelle!»
La voiture part. Le boulevard redevient vide, et l'on entend pendant longtemps une canonnade rapprochée, qui semble éclater à la hauteur du nouvel Opéra.
Puis le trot lourd d'un omnibus, à l'impériale chargée de gardes nationaux, penchés sur leurs fusils.
Puis les galopades d'officiers d'état-major jetant aux gardes nationaux, ramassés sous nos fenêtres, la recommandation de prendre garde d'être cernés.
Puis l'arrivée de brancardiers remontant le boulevard, dans la direction de la Madeleine.
Pendant ce, la petite Renée pleure, parce qu'on ne veut pas la laisser jouer dans la cour. Madeleine, sérieuse et pâle, a des tressautements à chaque détonation. Mme Burty déménage fiévreusement des tableaux, des bronzes, des livres, cherchant et recherchant un coin reculé, où ses filles puissent être à l'abri des obus et des balles.
La fusillade se rapproche de plus en plus. Nous percevons distinctement les coups de fusil, tirés rue Drouot.
En ce moment apparaît une escouade d'ouvriers, qui ont reçu l'ordre de barrer le boulevard à la hauteur de la rue Vivienne, et de faire une barricade sous nos fenêtres. Ils n'ont pas grand coeur à la chose. Les uns dérangent deux ou trois pavés de la chaussée, les autres donnent, comme par acquit de conscience, une dizaine de coups de pioche dans l'asphalte du trottoir. Mais presque aussitôt, devant les balles qui enfilent le boulevard, et leur passent sur la tête, ils abandonnent l'ouvrage. Nous les voyons, Burty et moi, disparaître par la rue Vivienne avec un soupir de soulagement. Nous pensions tous deux aux gardes nationaux, qui allaient monter dans la maison et tirailler aux fenêtres, au milieu de nos collections, mêlées et confondues, sous leurs pieds.
Alors une troupe nombreuse de gardes nationaux se repliant avec leurs officiers, lentement et en bon ordre. D'autres venant après, qui marchent d'un pas plus pressé. D'autres, enfin, se bousculant dans une débandade, au milieu de laquelle on voit un mort, à la tête ensanglantée, que quatre hommes portent par les bras et les jambes, à la façon d'un paquet de linge sale, le menant de porte en porte, qui ne s'ouvrent pas.
Malgré cette retraite, ces abandons, ces fuites, la résistance est encore très longue à la barricade Drouot. La fusillade n'y décesse pas. Peu à peu, cependant, le feu baisse d'intensité. Ce ne sont bientôt plus que des coups isolés. Enfin, deux ou trois derniers crépitements, et presque aussitôt nous voyons fuir la dernière bande des défenseurs de la barricade, quatre ou cinq garçonnets d'une quinzaine d'années, dont j'entends l'un dire: «Je rentrerai un des derniers!»
La barricade est prise. Les Versaillais se répandent en ligne sur la chaussée, et ouvrent un feu terrible dans la direction du boulevard Montmartre. Dans l'encaissement des deux hautes façades de pierre enfermant le boulevard, les chassepots tonnent comme des canons. Les balles éraflent la maison, et ce ne sont aux fenêtres que sifflements, ressemblant au bruit que fait de la soie qu'on déchire.
Un instant, nous nous étions retirés dans les pièces du fond. Je reviens dans la salle à manger, et là, agenouillé, et paré aussi bien que possible, voici le spectacle que j'ai par le rideau entr'ouvert de la fenêtre.
De l'autre côté du boulevard, il y a étendu à terre un homme, dont je ne vois que les semelles de bottes, et un bout de galon doré. Près du cadavre, se tiennent debout deux hommes: un garde national et un lieutenant. Les balles font pleuvoir sur eux les feuilles d'un petit arbre, qui étend ses branches au-dessus de leurs têtes. Un détail dramatique que j'oubliais. Derrière eux, dans un renfoncement, devant une porte cochère fermée, aplatie tout de son long, et comme rasée sur le trottoir, une femme tient dans une de ses mains un képi,—peut-être le képi du tué.
Le garde national, avec des gestes violents, indignés, parlant à la cantonade, indique aux Versaillais qu'il veut enlever le mort. Des balles continuent à faire pleuvoir des feuilles sur les deux hommes. Alors le garde national, dont j'aperçois la figure rouge de colère, jette son chassepot sur son épaule, la crosse en l'air, et marche sur les coups de fusil, l'injure à la bouche. Soudain, je le vois s'arrêter, porter la main à sa tête, appuyer, une seconde, sa main et son front contre un petit arbre, puis tourner sur lui-même, et tomber sur le dos, les bras en croix.
Le lieutenant, lui, était resté immobile à côté du premier mort, tranquille comme un homme qui méditerait dans un jardin. Une balle qui avait fait tomber sur lui, non une feuille, cette fois, mais une branchette près de sa tête, et qu'il avait rejetée avec une chiquenaude, ne l'avait pas tiré de son immobilité. Alors, il eut un long regard jeté sur le camarade tué, et sa résolution fut prise. Sans se presser, et comme avec une lenteur dédaigneuse, il repoussa derrière lui son sabre, se baissa et s'efforça de soulever le mort. Il était grand et lourd, le mort, et, ainsi qu'une chose inerte, échappait à ses efforts, et s'en allait à droite et à gauche. Enfin il le souleva, et le tenant droit contre sa poitrine, il l'emportait, quand une balle fit tournoyer, dans une hideuse pirouette, le mort et le blessé qui tombèrent l'un sur l'autre.
Je crois qu'il a été donné à peu de personnes d'être, à deux fois, témoin d'un aussi héroïque et aussi simple mépris de la mort.
Notre boulevard est enfin au pouvoir des Versaillais. Nous nous risquons à les regarder de notre balcon, quand une balle vient frapper au-dessus de nos têtes. C'est le locataire de dessus, qui s'est avisé bêtement d'allumer sa pipe à la fenêtre.
Bon! voici des obus qui recommencent, des obus, cette fois-ci, tirés par les fédérés sur les positions conquises par les Versaillais. On campe dans l'antichambre donnant sur la cour. Le petit lit de fer de Renée est traîné dans un coin protecteur. Madeleine s'allonge près de son père, sur un canapé, son clair visage se détachant illuminé par la lampe, sur le blanc d'un oreiller, son petit corps perdu dans les plis et l'ombre d'un châle. Mme Burty s'affaisse anxieuse dans un fauteuil. Et moi j'ai une partie de la nuit, dans l'oreille, la plainte déchirante d'un soldat de ligne blessé, qui s'est traîné à notre porte, et que la portière, par une lâche peur de se compromettre, n'a pas voulu recevoir.
De temps en temps, je vais regarder, par les fenêtres du boulevard, cette nuit noire de Paris, sans une lueur de gaz dans les rues, sans une lueur de lampe dans les maisons, et dont l'ombre épaisse et redoutable garde les morts de la journée, qu'on n'a pas relevés.
* * * * *
Mercredi 24 mai.—A mon réveil, mes yeux retrouvent le cadavre du garde national, tué hier. On ne l'a pas enlevé, on l'a seulement un peu recouvert avec les branches de l'arbre, sous lequel il a été tué.
L'incendie de Paris fait un jour qui ressemble à un jour d'éclipse.
Un moment d'interruption dans le bombardement. J'en profite pour quitter Burty et gagner la rue de l'Arcade. J'y trouve Pélagie, qui a eu la témérité de traverser toute la bataille, à la main un gros bouquet de roses de mon grand rosier gloire de Dijon; aidée et protégée par les soldats, admirant cette femme s'avançant, sans peur, avec des fleurs, au milieu de la fusillade, et la faisant passer dans les environs de la Chapelle Expiatoire, par des cours percées par le génie.
Nous nous mettons en marche pour Auteuil, avec la curiosité de voir de près les Tuileries. Un obus qui éclate presque à nos pieds, place de la Madeleine, nous force à nous rejeter dans le faubourg Saint-Honoré, où nous sommes poursuivis par des éclats frappant au-dessus de nos têtes, à droite, à gauche.
Les projectiles ne dépassent pas la barrière de l'Étoile. De là, on voit Paris dans l'enveloppement de la dense fumée, qui couronne la cheminée d'une usine à gaz. Et tout autour de nous, et sur nous, du ciel obscurci tombe continuellement une pluie noire de petits morceaux de papier brûlé: la Comptabilité de la France, l'État civil de Paris… Je ne sais quelle analogie me vient à la pensée, de cette pluie de papier calciné avec de la pluie de cendre, sous laquelle a été ensevelie Pompéi.
Passy n'a pas souffert, c'est au boulevard Montmorency que commencent les ruines: les maisons dont il ne reste que les quatre murs noircis; les maisons effondrées et couchées à terre.
Elle est encore debout, la mienne, avec un grand trou dans le second étage. Mais de combien d'éclats d'obus a-t-elle été souffletée! Des monceaux de rocaille jonchent le trottoir. Il y a dans les moellons, des encoches comme la tête d'un enfant. La porte est percée de vingt petits ronds de balles, du gros rond d'un biscaïen, et un morceau manque, arraché par le pic d'un fédéré, qui s'essayait à la forcer.
Dans la maison, on marche sur les plâtras et les fragments de glaces mêlés aux éclats d'obus et aux balles, recroquevillées comme des sangsues, qu'on a fait dégorger dans du sel. Au premier une balle de chassepot,—je crois le cas extraordinaire,—a enfilé la maison, traversant une persienne, un matelas, une cloison, une portière flottante, une porte couverte d'une natte de Chine. Mais le vrai dégât est au second. Un obus, un tout petit obus, l'un des derniers tirés par les Versaillais, dans la nuit de dimanche, lorsqu'ils étaient déjà maîtres du Point-du-Jour, a brisé la poutre d'angle de la maison, passé par le pied du lit de Pélagie, traversé la porte de sa chambre, éclaté dans le parquet du palier, en mettant en charpie toutes les portes du second. Enfin, on pouvait être plus malheureux. Tout ce qui m'est précieux a été épargné, et le désastre de mes voisins a de quoi me consoler de mes pertes.
Pauvre jardin, avec son gazon, semblable à la grande herbe d'un cimetière abandonné, avec ses arbustes à feuilles luisantes, tout poussiéreux de plâtre, tout noirs de papier brûlé, avec ses grands arbres aux branches brisées, mettant leur feuillage de papier brouillard dans la verdure d'un arbre vivant, avec cette excavation au milieu de la pelouse faite par une bombe, cette excavation où l'on pourrait enterrer un éléphant.
Et pendant que nous faisons la visite de la maison, et qu'elle me sert à dîner, Pélagie me conte l'installation de mon voisin César, qui n'avait pas de cave voûtée, l'installation dans l'une des miennes, pendant qu'elle prenait possession de l'autre avec la domestique dudit César, et comme quoi n'ayant rien à faire, toutes deux passaient les journées à jouer aux cartes, leurs yeux s'étant habitués à voir dans l'obscurité.
Elle me conte, lorsque la bombe est tombée dans le jardin, la crainte que le monde de la cave a eue, que la maison ne s'écroulât, tant il s'était fait une écrasante projection de terre sur le toit. Elle me conte ses chamaillades avec les fédérés, voulant enfoncer la porte, voulant s'introduire, sous le prétexte de recherches d'armes et d'hommes, et un jour après une dispute terrible, et même des pierres jetées, un dialogue s'engageant entre elles et ces hommes, qui lui donnaient un pain, dont elle manquait, en lui disant: «Vous pouvez le manger, il n'est pas volé!» Elle me conte que, dans les derniers temps, les balles traversaient tellement la maison, que lorsque l'on voulait boire, on montait à quatre pattes l'escalier, on plaçait l'arrosoir sous le robinet de la cuisine, et tant pis pour l'eau qui se répandait, on attendait une embellie dans la fusillade, pour reprendre l'arrosoir.
Elle me conte que, tout le temps, elle a couché habillée, ayant pour le moment où le feu prendrait à la maison, un paquet de ses hardes les plus précieuses, l'argenterie de la maison, disposée pour la mettre dans ses poches, et un matelas pour se mettre sur le dos, à l'effet de se préserver de tout ce qui vous tombait dehors sur la tête.
Toute la soirée, vu par la trouée des arbres, l'incendie de Paris: un incendie ressemblant, sur l'obscurité de la nuit, à ces gouaches napolitaines d'une éruption du Vésuve sur une feuille de papier noir.
* * * * *
Jeudi 25 mai.—Pendant la journée entière, le canon et le roulement des mitrailleuses. Je passe cette journée à me promener dans les ruines d'Auteuil. C'est du saccagement et de la destruction, comme en pourrait faire une trombe.
On voit d'énormes arbres brisés, dont le tronc haché semble un paquet de cotterets, des tronçons de rail pesant mille livres, transportés sur le boulevard, des écrous d'égout, des plaques de fonte de quatre pouces d'épaisseur, réduites en fragments de la grosseur d'une boîte de plumes de fer, des barreaux de grilles, noués, tortillés autour l'un de l'autre, comme une attache d'osier.
Parfois au milieu de cette dévastation, la surprise de rencontrer, attaché à une maison demi-écroulée, un grand rosier grimpant, qui bouche du fleurissement de ses roses, de la gaieté fraîche de ses couleurs, les fissures béantes et les débris pendants.
Le numéro 75, une maison de cinq étages, toute neuve, n'a plus de façade, n'a plus de bas côtés, et vous montre, les planchers des cinq étages, comme les planches du fond des tiroirs d'une commode, qui n'aurait plus de devant, qui n'aurait plus de côtés, et dont, minute par minute, les planchers s'abaissant, laissent dégringoler, à chaque instant, dans la rue, un secrétaire, une table de nuit.
L'entrée de la grande rue d'Auteuil peut rivaliser avec Saint-Cloud. Les deux lignes de maisons ne sont que des décombres fumants ou des pans de murs qui ont les larges lézardes de ruines anciennes. Le dessin des arcades du viaduc a disparu, le pont rompu fait ventre au milieu, et ne vous laisse passer qu'en vous baissant. Quelques piliers de fer, quelques morceaux de zinc, épars çà et là, vous indiquent seuls la place de la gare. La maison du garde, un tas de brique, de ferraille, de bois charbonné.
Sous les pieds, l'on a des obus qui n'ont pas éclaté, des morceaux d'affûts de canons, des boîtes cassées d'artillerie portant 4 de M., des débris et des scories de toutes sortes, au milieu desquelles sourcillent, comme des sources, les eaux des conduites d'eau coupées.
Sur la ligne des fortifications toute écrêtée, un homme me montre une casemate: «C'est là, me dit-il, où se tenait le chef des Bellevillais, avec ses hommes et ses maîtresses. Là, tous les jours, des voitures à bras déménageaient les maisons voisines, apportaient linge, meubles, effets d'habillement, que le nouveau sultan partageait entre ses femmes.»
Pendant que je regarde, le feu reprend à une maison d'Auteuil, sans que personne se soucie de l'éteindre.
Paris est décidément maudit! Au bout de cette sécheresse de tout un mois, sur Paris qui brûle, voici un vent qui est comme un vent d'ouragan.
… Des voitures passent faisant le trajet de Saint-Denis à Versailles, et ramenant sur leurs banquettes, à Paris, des personnages, que le séjour en province a faits archaïques. On dirait des guimbardes, revenant de Coblentz.
* * * * *
Vendredi 26 mai.—Je longeais le chemin de fer, près la gare de Passy, quand j'aperçois, entre des soldats, des hommes, des femmes.
Je franchis la clôture brisée, et me voici sur le bord de l'allée, où sont prêts à partir pour Versailles les prisonniers. Ils sont nombreux les prisonniers! car j'entends un officier, en remettant un papier au colonel, murmurer à demi-voix: 407, dont 66 femmes.
Les hommes ont été distribués par rang de huit, et attachés l'un à l'autre avec une ficelle, qui leur serre le poignet. Ils sont là, tels qu'on les a surpris, la plupart sans chapeaux, sans casquettes, les cheveux collés sur le front et la figure, par la pluie fine qui tombe depuis ce matin. Il y en a qui se sont fait une coiffure de leurs mouchoirs à carreaux bleus.
D'autres, tout pénétrés de pluie, croisent contre leur poitrine un maigre paletot, où un morceau de pain fait une bosse. C'est du monde de tous les mondes, des blousiers aux dures figures, des artisans en vareuses, des bourgeois aux chapeaux socialistes, des gardes nationaux qui n'ont pas eu le temps de quitter leurs pantalons, deux lignards à la pâleur cadavéreuse: des figures stupides, féroces, indifférentes, muettes.
Chez les femmes, c'est la même confusion. Il y a aux côtés de la femme en marmotte, la femme en robe de soie. On entrevoit des bourgeoises, des ouvrières, des filles, dont l'une est costumée en garde national. Et au milieu de tous ces visages, se détache la tête bestiale d'une créature, dont la moitié de la figure est une meurtrissure. Aucune de ces femmes n'a la résignation apathique des hommes. Sur leurs figures est la colère, persiste l'ironie. Beaucoup ont l'oeil comme fou.
Parmi ces femmes, il en est une singulièrement belle, belle de la beauté implacable d'une jeune Parque. C'est une fille brune, aux cheveux crêpés et bouffants, aux yeux d'acier, aux pommettes rougies de larmes séchées. Elle est piétée dans une pose de défi, agonisant officiers et soldats d'injures, d'injures qui sortent de lèvres et d'un gosier si contractés par la colère, qu'elles ne peuvent se traduire par des sons, dans des paroles. Sa bouche, à la fois rageuse et muette, mâche l'insulte, sans pouvoir la faire entendre.
«C'est comme celle qui a tué Barbier d'un coup de couteau», dit un jeune officier à un de ses amis.
Les moins courageuses de ces femmes avouent seulement leur faiblesse, par un petit penchement de la tête de côté, qu'ont les femmes, quand elles ont longtemps prié à l'église. Une ou deux se cachaient dans leurs voiles, quand un sous-officier, faisant de la cruauté, touche un de ces voiles avec sa cravache: «Allons, bas les voiles, qu'on voie vos visages de coquines!»
La pluie redouble. Quelques femmes se couvrent la tête de leurs jupons relevés. Une ligne de cavaliers en manteaux blancs a doublé la ligne des fantassins. Le colonel, une de ces figures olivâtres, commande: «Garde à vous!» et les chasseurs d'Afrique arment leurs mousquetons. A ce moment, des femmes croient qu'on va les fusiller, et l'une se renverse dans une crise de nerfs. Mais la terreur ne dure qu'un moment, et aussitôt elles reprennent leurs figures moqueuses, quelques-unes leurs coquetteries avec les soldats.
Les chasseurs ont passé leurs carabines armées au dos, ont tiré leurs sabres. Le colonel s'est porté sur le flanc de la colonne, jetant à haute voix avec une brutalité que je sens affectée, et à l'effet de faire peur: «Tout homme qui quittera le bras de son voisin: c'est la mort.» Et ce terrible «c'est la mort» revient quatre ou cinq fois dans son court speach, pendant lequel s'entend le bruit sec des fusils, que charge l'escorte à pied.
Tout est prêt pour le départ; quand la pitié qui ne peut jamais abandonner l'homme, pousse quelques soldats de ligne, à promener leurs bidons au milieu des têtes de ces femmes, qui tendent une bouche altérée, dans des mouvements de grâce, et avec un oeil espionnant le visage rébarbatif d'un vieux gendarme, qui ne leur dit rien de bon.
Le signal du départ est donné, et la lamentable colonne s'ébranle pour
Versailles, sous le ciel qui fond.
… Les Finances croulantes emplissent la rue de Rivoli de décombres, au milieu desquelles s'agitent des légions ridicules de pompiers de province, réalisant le type de Clodoche.
D'Auteuil, ce soir, Paris semble tout entier la proie d'un incendie, avec, à toute minute, ces élancements de flammes, que fait un soufflet de forge dans un foyer incandescent.
* * * * *
Dimanche 28 mai.—Je passe en voiture dans les Champs-Elysées. Au loin, des jambes, des jambes, qui courent dans la direction de la grande avenue. Je me penche à la portière. Toute l'avenue est remplie d'une foule confuse, entre deux lignes de cavaliers. Aussitôt descendu, je suis avec les gens qui courent. Ce sont les prisonniers qui viennent d'être faits aux Buttes Chaumont, et qui marchent, cinq par cinq, avec quelques rares femmes au milieu d'eux. «Ils sont six mille; cinq cents ont été fusillés dans le premier moment!» me dit un cavalier de l'escorte.
Malgré l'horreur qu'on a pour ces hommes, le spectacle est douloureux de ce lugubre défilé, au milieu duquel, on entrevoit des déserteurs, portant leurs tuniques retournées, avec leurs poches de toiles grises ballantes autour d'eux, et qui semblent déjà à demi déshabillés pour la fusillade.
Je rencontre Burty sur la place de la Madeleine. Nous nous promenons dans ces rues, sur ces boulevards, tout à coup inondés d'une population, sortie de ses caves, de ses cachettes. Pendant que Burty, accosté à l'improviste par Mme Verlaine, cause avec elle, des moyens de faire cacher son mari, Mme Burty me confie un secret que m'avait gardé Burty. Un des amis de Burty faisant partie du Comité public lui avait annoncé, trois ou quatre jours avant l'entrée des troupes, que le gouvernement n'était plus maître de rien, qu'on devait se rendre dans les maisons, les déménager, et fusiller les propriétaires.
Je quitte le ménage, et vais à la découverte du Paris brûlé! Le Palais-Royal est incendié, mais ses jolis frontons des deux pavillons sur la place sont intacts. Les Tuileries sont à rebâtir sur le jardin et sur la rue de Rivoli.
On marche dans la fumée, on respire un air qui sent la fois le brûlé et le vernis d'appartement, et de tous côtés on entend le pschit des pompes. Il est encore, dans des endroits, des traces, des restes horribles de la bataille. Ici c'est un cheval mort, là, près des pavés d'une barricade, à moitié démolie, des képis baignent dans une mare de sang.
La grande destruction commence, se suivant d'une manière continue au Châtelet. Derrière le théâtre brûlé, sont étalés sur le pavé, les costumes: de la soie carbonisée, où éclatent, çà et là, des paillettes d'or, des scintillements d'argent. De l'autre côté du quai, le Palais de Justice a le toit de sa tour ronde décapité. Les bâtiments neufs n'ont plus que le squelette de fer de leur toiture. La Préfecture de police est un éboulement brûlant, dans les fumées bleuâtres duquel brille l'or tout neuf de la Sainte-Chapelle.
Par de petits sentiers, ouverts au milieu des barricades qui ne sont pas encore démolies, j'arrive à l'Hôtel de Ville.
La ruine est magnifique, splendide, inimaginable: c'est une ruine, une ruine couleur de saphir, de rubis, d'émeraude, une ruine aveuglante par l'agatisation qu'a prise la pierre cuite par le pétrole. Elle ressemble, cette ruine, à la ruine d'un palais magique, illuminé, dans un opéra, de lueurs de feux de Bengale. Avec ses niches vides, ses statuettes fracassées ou tronçonnées, son restant d'horloge, ses découpures de hautes fenêtres et de cheminées restées, je ne sais par quelle puissance d'équilibre, debout dans le vide, avec sa déchiqueture effritée sur le ciel bleu, cette ruine est une merveille de pittoresque à garder, si le pays n'était pas condamné sans appel aux restaurations de M. Viollet-le-Duc. Ironie du hasard! Dans la dégradation du monument, brille sur une plaque de marbre intacte, dans la nouveauté de sa dorure, la légende menteuse: Liberté, Égalité, Fraternité.
Soudain, je vois la foule se mettre à courir, comme une foule chargée, un jour d'émeute. Des cavaliers apparaissent, menaçants, le sabre au poing, faisant cabrer leurs chevaux, dont les ruades rejettent les promeneurs de la chaussée sur les trottoirs. Au milieu d'eux s'avance une troupe d'hommes, en tête desquels marche un individu à la barbe noire, au front bandé d'un mouchoir. J'en remarque un autre, que ses deux voisins soutiennent sous les bras, comme s'il n'avait pas la force de marcher. Ces hommes ont une pâleur particulière, avec un regard vague qui m'est resté dans la mémoire.
J'entends une femme s'écrier, en se sauvant: «Quel malheur pour moi d'être venue jusqu'ici!» A côté de moi, un placide bourgeois compte un, deux, trois… Ils sont vingt-six. L'escorte fait marcher ces hommes au pas de course, jusqu'à la caserne Lobau, où la porte se renferme sur tous, avec une violence, une précipitation étranges.
Je ne comprenais pas encore, mais j'avais en moi une anxiété indéfinissable. Mon bourgeois, qui venait de compter, dit alors à son voisin:
—Ça ne va pas être long, vous allez bientôt entendre le premier roulement.
—Quel roulement?
—Eh bien, on va les fusiller!
Presque au même instant, fait explosion, comme un bruit violent enfermé dans des murs, une fusillade ayant quelque chose de la mécanique réglée d'une mitrailleuse. Il y a un premier, un second, un troisième, un quatrième, un cinquième rrara homicide—puis un grand intervalle—et encore un sixième, et encore deux roulements précipités l'un sur l'autre.
Ce bruit ne semble jamais finir. Enfin ça se tait. Chez tous, il y a un soulagement, et l'on respire, quand éclate un coup fracassant qui remue, sur ses gonds ébranlés, la porte disjointe de la caserne, puis un autre, puis enfin le dernier. Ce sont, dit-on, les coups de grâce donnés par un sergent de ville à ceux qui ne sont pas morts.
A ce moment, ainsi qu'une troupe d'hommes ivres, sort de la porte le peloton d'exécution, avec du sang au bout de quelques-unes de ses baïonnettes. Et pendant que deux fourgons fermés entrent dans la cour, se glisse dehors un ecclésiastique, dont on voit, un certain temps, le long du mur extérieur de la caserne, le dos maigre, le parapluie, les jambes molles à marcher.
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Lundi 29 mai.—Je lis, affichée sur les murs, la proclamation de Mac-Mahon, annonçant que tout était fini hier, à quatre heures.
Ce soir, on commence à entendre le mouvement de la vie parisienne qui renaît, et son murmure ressemblant à une grande marée lointaine. Les heures ne tombent plus dans le silence d'un lieu désert.
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Mardi 30 mai.—De temps en temps des bruits redoutables: des écroulements de maisons et des fusillades.
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Jeudi 1er juin.—Immense course en voiture avec mon jeune cousin Marin.
La rue de Rivoli, encore toute fumante. La rue Saint-Antoine, sans trace de bataille, sauf aux alentours de la Bastille. Le boulevard, quelques maisons brûlées, çà et là. La dévastation circonscrite autour du Château-d'Eau. La caserne, les magasins effondrés, le Château-d'Eau, sens dessus dessous, avec un lion resté debout, et dont un boulet, passant entre ses crocs, a fait un lion rugissant.
Nous remontons Belleville. Dans le bas de la grande rue, la trace d'un chaud combat, trace qui s'efface et disparaît dans la partie élevée, où apparaît seulement, par-ci par-là, une éraflure blanche sur un mur. Mais dans toute la montée, des restes de barricades sur lesquelles passe, en nous cahotant, notre coupé. Des rues vides. Des gens qui boivent dans des cabarets, avec des visages mauvaisement muets. Un quartier qui a l'apparence d'un quartier vaincu, mais non soumis.
Des groupes de lignards se promènent le fusil à l'épaule, s'appuyant sur des cannes qu'ils se sont faites avec des baguettes de fusils d'insurgés, et à presque tous les détours de ces rues faubouriennes, des campements de pantalons rouges, au pied de petits arbres écorchés par les balles, et portant, dans leur branchage, le pittoresque accumulis de leurs sacs et de leurs gibernes.
Nous traversons Charonne, l'avenue du Trône. Nous passons devant le Grenier d'abondance, qui remplit tout le quartier d'une odeur de raffinerie. Nous poussons jusqu'au pont d'Austerlitz, où je m'arrête à voir les maisons incendiées, le restaurant bouleversé, le bouquet d'arbres haché par Bourbonne, que nous allons voir sur sa canonnière.
Sa canonnière est amarrée à l'endroit, où il a fait taire sept canons et deux mitrailleuses. Sur trente hommes, il a eu trois tués et sept blessés; tous ont des contusions. Il croit que sans la précaution qu'il avait eue de garnir son avant de sacs de terre, personne n'aurait survécu. Il a une très médiocre estime pour l'armée de terre, et il nous affirme qu'à tout moment, pendant l'action, on demandait 40 matelots pour enlever les hommes.
Ce qu'il nous dit de très curieux, c'est que trois jours avant l'entrée des troupes, les batteries de Montretout où il avait un commandement, faisaient dire à Versailles d'entrer. Les longues-vues leur montraient le Point-du-Jour complètement abandonné, et sans le capitaine Trêves, l'entrée eût été encore retardée.
Un colonel de cavalerie qui dîne à côté de nous, au café d'Orsay, parle d'une razzia et d'une large exécution faite, pendant la nuit dernière, dans la presqu'île de Gennevilliers.
Par le vent de ce soir, les affiches de la Commune, qu'on vient d'arracher des murs, font sur le pavé le bruit de feuilles mortes, chassées par une tourmente d'automne, et l'on entend le flottement rêche des tout neufs drapeaux tricolores.
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Vendredi 2 juin.—Ce matin, un spéculateur sur une grande échelle se présente chez moi, pour acheter des éclats d'obus. Il vient d'en acheter, d'un seul coup, mille kilogrammes chez mon voisin.
En rentrant, je trouve une lettre qui m'apprend la mort de mon cousin
Philippe de Courmont, tué au Trocadéro, le 22 mai.
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Lundi 5 juin.—Je suis frappé du provincialisme de tous ces Parisiens rentrant, un petit sac à la main. Je n'aurais jamais pu croire que huit mois d'absence, du centre du chic enlevassent ainsi à des individus le caractère, la marque, dite indélébile, du parisianisme.
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Mardi 6 juin.—Réapparition de la foule sur l'asphalte désert, il y a quelques jours, du boulevard des Italiens. Ce soir, pour la première fois, on commence à avoir peine à se frayer un chemin entre la badauderie des hommes et la prostitution des femmes.
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Samedi 10 juin.—Je vais à l'enterrement de Philippe de Courmont, le seul officier de cavalerie tué pendant les journées de mai. Il y a quelques années, nous avions dîné avec lui gaiement au mess de Fontainebleau, et des liens de famille, un peu dénoués, s'étaient renoués. Le pauvre garçon! il avait un tel pressentiment qu'il serait tué, ce jour-là, que deux heures avant qu'un obus lui enlevât une jambe et une partie du crâne, il avait remis à son brosseur sa montre et son portefeuille.
Dîner ce soir avec Flaubert, que je n'ai pas revu depuis la mort de mon frère. Il est venu chercher à Paris un renseignement pour sa TENTATION DE SAINT ANTOINE. Il est resté le même:—littérateur avant tout. Ce cataclysme semble avoir passé sur lui, sans le détacher en rien, de la fabrication impassible du bouquin.
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Lundi 12 juin.—Burty me montre, ce soir, des fragments ramassés à l'Hôtel de Ville, des tessons, des morceaux de matière calcinés, pareils à des scories de pierres précieuses. De la cloche, de la cloche historique, qui a fondu goutte à goutte, comme une bougie, il y a un bout de métal qui ressemble à ces surfaces de bronze ondulées, avec lesquelles les Japonais représentent des flots. Il me fait voir encore un morceau de vase en grès liquéfié, en me disant qu'il faut 1 500 degrés de chaleur, dans un four à potier, pour obtenir ce résultat.
On cause de la triste actualité, et on ne voit de résurrection pour la France, que grâce à cette admirable faculté de travail qu'elle possède, cette faculté de travail diurne et nocturne, que n'ont pas les autres pays, que n'a pas l'Angleterre, où il est presque impossible d'obtenir un travail de nuit: une faculté peut-être due à la supériorité de la force nerveuse des Français, attestée par les travaux de Dumont d'Urville.
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Jeudi 15 juin.—Lefebvre de Behaine, qui a pris un congé, me parle avec un grand découragement de Versailles, disant: «C'est toujours le mensonge, comme sous l'Empire, comme sous le Quatre-Septembre.»
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Mardi 20 juin.—Un triste anniversaire. Il y a aujourd'hui un an qu'il est mort. Je passe la journée à réunir les articles nécrologiques qui lui ont été consacrés.
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Vendredi 23 juin.—Mlle Eudoxe Marcille me racontait aujourd'hui que sa charmante tante, Mme Camille Marcille, lors de l'entrée des Prussiens à Chartres, avait passé, avec ses trois filles et deux nièces, deux jours dans la cathédrale. Tout ce petit monde féminin y mangeait, y couchait.
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Samedi 24 juin.—Départ pour la Comerie avec Lefebvre de Behaine. En chemin, revue des morts de notre connaissance… Un aimable type de vieil homme distingué. Un vieillard, vivant au milieu de deux corps de bibliothèque, renfermant deux cent mille francs de plaquettes reliées par Bauzonnet, avec toujours sous les yeux, quelque mois de l'année qu'il fût, un bouquet de roses, avec toujours à la portée de la main une boîte de porcelaine de Saxe, contenant du tabac, comme lui seul avait le secret d'en avoir à Paris. Ce vieil homme distingué était le comte de Lurde.
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Lundi 26 juin.—… Au château de Sancy, la première chose qui me saute aux yeux, est le cadre vide de la Parabère, du beau portrait de la célèbre maîtresse du Régent, peinte par Rigaud. On a craint la passion déménageante des Prussiens.
Mme de Sancy-Parabère nous parle de l'Empereur, de l'Impératrice, de leur résidence, où ils sont obligés de faire faire un lit pour le visiteur qui s'attarde. Elle nous dit l'impénétrabilité flegmatique de l'Empereur, les fluctuations d'espérance et de désespérance de l'Impératrice. Elle nous peint le flot des visiteurs, trompant les exilés avec des promesses fallacieuses, avec des assurances de retour dans la quinzaine.
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Mardi 27 juin.—En nous promenant avec de Behaine dans la forêt de Carnel, nous causons tristement des destinées de la France, de sa dissolution, de sa mort, ou tout au moins de la mort de la société dans laquelle nous avons été élevés.
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Samedi 1er juillet.—Au chemin de fer du Nord, débarquement des prisonniers revenant d'Allemagne. Des visages pâles et de la maigreur flottante dans des capotes trop larges, et la déteinte du drap rouge, et le passé du drap gris qui habille ces hommes: enfin la misère douloureuse des mines et des vêtements: c'est le spectacle que les trains d'Allemagne donnent, tous les jours, aux Parisiens.
Ils marchent, de petites cannes à la main, courbés sous des bissacs de toile grise; quelques-uns une culotte allemande au derrière, d'autres sur la tête une casquette, en place du képi resté sur le champ de bataille. Pauvres gens, quand on les lâche, c'est plaisir de les voir se redresser; c'est plaisir d'entendre le pas allègre, avec lequel ils touchent, de leurs semelles usées, le pavé de Paris.
A Saint-Denis, des casques prussiens, et tout le long du chemin de Saint-Gratien, à tout coin, la vue de l'envahisseur. On aperçoit partout des soldats, habillés de toile blanche, promener leur balourde gaieté, des domestiques mener à la main des chevaux battant la terre française de leurs ruades, et partout dans les maisons, dans les jardins résonne le ia vainqueur.
Enfin, me voici à Saint-Gratien. Le pavillon, de Catinat, où nous habitions, semble une caserne. Des têtes, coiffées de bérets, sont à toutes les fenêtres; une guérite noire et blanche se dresse contre la porte, et dans la grande allée qui mène au château, sont rangés des fourgons d'ambulance.
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La princesse me reçoit avec cette animation qui lui est particulière, et qui se traduit dans l'action qu'elle met dans son serrement de main. Elle m'entraîne dans une allée du parc, et se met à me parler d'elle, de son séjour en Belgique, de sa souffrance dans l'exil. Elle me dit qu'elle a été longtemps, sans pouvoir se rendre compte de ce qui se passait en elle, là-bas, mais qu'elle le sait maintenant: elle y était présente de corps, mais tout à fait absente d'esprit, et si bien, ajoute-t-elle, qu'elle croyait se réveiller, tous les matins, dans son hôtel de Paris. Comme je la félicite sur la gaieté de son moral: «Ah! ça n'a pas toujours été comme ça, il y a eu un mauvais moment, un moment bizarre pendant lequel, c'est singulier, j'avais les mâchoires si serrées par tout ce qui s'était passé en moi, que vraiment j'avais parfois comme de la peine à parler.» Alors, elle s'étend sur les petites misères de la vie de là-bas, me parlant du froid de l'hiver, pendant lequel elle avait pris le parti de se coucher, et de laisser sa porte ouverte, conversant avec ses amis, du fond d'un lit bien chaud.
En ce moment, Couchaud vient lui parler, et il y a un ennui sur son front. «Concevez-vous, me dit-elle, au bout de quelques instants, que le bruit court à Saint-Gratien que l'Impératrice est cachée ici… Comme les gens vous connaissent! Moi conspirer et venir conspirer ici?… Ils ne savent donc pas que je ne demande que la conservation de ma personne et de Saint-Gratien, ma liberté individuelle, comme je l'ai écrit à M. Thiers… Sur le reste, je suis blasée, je n'aime au fond que les choses vraies…, les autres choses, ça n'existe pas, ce n'est que de la convention.»
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Mercredi 5 juillet.—Chez Brébant. Berthelot affirme que les thermomètres de Regnault de Sèvres, ces thermomètres à la réputation européenne, ont été brisés méthodiquement par les Prussiens.
Renan annonce qu'il vient de recevoir une lettre de Mommsen, déclarant qu'il serait temps de renouer des relations, de reprendre les travaux de l'intelligence communs aux deux nations. Et sa lettre finit par une phrase, dans laquelle il dit qu'il trouverait digne de l'Académie, de continuer l'Empereur, c'est-à-dire de continuer les pensions aux étrangers. Ils sont merveilleux d'impudence, ces savants allemands, et tout semblables à ces commis, qui, un sourire humble sur les lèvres, et roulant leurs chapeaux entre leurs mains, viennent redemander leur place chez le patron, qu'ils ont ruiné, pillé, brûlé.
Puis la conversation s'emporte, et c'est chez tout le monde de la fureur contre Trochu. On s'étonne que la reconnaissance de son incapacité, si universelle à Paris, ne soit pas encore vulgarisée dans toute la France. On cherche à expliquer l'énigme de ce personnage mi-charlatan, mi-mystique. Là-dessus, quelqu'un raconte, que se trouvant au ministère de l'Intérieur, le jour où devaient être signées les conditions de la capitulation de Paris, il attendait avec un ou deux confrères, à l'effet d'avoir des renseignements pour son journal. Trochu entre, avise ces messieurs, auxquels il dit bonjour. Puis tirant sa montre, avec une intonation comique inconsciente: «Je suis d'un quart d'heure en avance, voulez-vous que je vous fasse une conférence politique?» Tel est le sérieux de l'homme—et le jour où Paris subissait une capitulation comme il n'en existe pas dans l'histoire de l'Europe.
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Lundi 10 juillet.—Départ pour Bar-sur-Seine. Je l'avais pressenti. Le vide de ma vie se fait aujourd'hui cruellement sentir. La guerre, le siège, la famine, la Commune: tout cela avait été une féroce et impérieuse distraction de mon chagrin, mais ça avait été une distraction.
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Mardi 11 juillet.—Quelle imprévoyance! Quel ganachisme! La société se meurt du suffrage universel. C'est, de l'aveu de tous, l'instrument fatal de sa ruine prochaine. Par lui, l'ignorance de la vile multitude, gouverne; par lui, l'armée est enlevée à la soumission, au devoir. Dire qu'au lendemain de l'entrée des Versaillais, on pouvait tout, on pouvait l'impossible, et l'on n'a pas touché à ce suffrage mortel. Ah! ce monsieur Thiers est, il me semble, un sauveur de société, à bien courte échéance. Il s'imagine sauver la France actuelle, avec du dilatoire, de la temporisation, de l'habileté, de la filouterie politique, de petits moyens pris sur la mesure de sa petite taille. Non, c'est avec l'audace des grandes mesures, avec un remaniement d'institutions, que la France, si elle ne doit pas mourir, pourra vivre.
Quel malheur que ce petit homme se soit trouvé là! Si nous n'avions pas eu la providence de l'avoir, la société se serait sauvée toute seule, avec un principe quelconque, un principe qui manque complètement à l'éclectisme sceptique du chef du pouvoir exécutif.
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Jeudi 13 juillet.—Aujourd'hui je vais avec Marin à Mussy,—Mussy, la première étape de notre voyage en 1849,—Mussy, où nous sommes arrivés si fatigués, les pieds tellement, meurtris par nos gros souliers neufs. Je retrouve avec une profonde tristesse, dans un coin de l'église, cette vieille descente de croix en pierre, que nous avions dessinée ensemble, et que je ne croyais jamais revoir—tout seul.
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Mercredi 19 juillet.—Toujours des nuits pleines de cauchemars. C'est d'abord sur moi l'étreinte de deux mains d'assassins, qui me font réveiller avec le cri: Au secours! Puis je me rendors, et lui entre dans mon rêve. Je ne sais pourquoi et par quelle circonstance, nous nous trouvons chez Nadar, et comment il y a chez Nadar, une ancienne édition de la Comédie du Dante, une édition merveilleuse.
Dans mes rêves, il est toujours malade de sa dernière maladie: c'est ainsi seulement qu'il m'est donné de le revoir. Et je m'aperçois tout à coup que, dans un moment de distraction, il a déchiré toutes les marges des premières pages. Et je suis dans d'horribles transes que Nadar ne s'en aperçoive, que Nadar ne découvre l'état du malheureux.
C'est maintenant perpétuellement une suite de rêves anxieux et biscornus, où continue, pendant mon sommeil, la souffrance de toute la dernière année de sa maladie.
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Vendredi 21 juillet.—Nous pêchons, toute la nuit, avec Grou-Grou et son porte-hotte, deux Mohicans de l'Aube, à la figure ridée, à l'oeil perçant et aiguisé par la contemplation braconnière des choses de la nature.
C'est toute la nuit, dans les ténèbres que font les arbres, sous un ciel sans lune, dans l'apparence trouble des paysages endormis, à la marge d'une eau à peine distincte de la terre, une promenade aventureuse et tâtonnante, à travers les saules et les troncs d'arbres contre lesquels on butte, au milieu de fossés ou l'on dégringole,—soutenus dans notre fatigue, par la passion de la pêche et l'attrait de la contravention.
Il y a, dans le noir de cette nuit, un mystère des choses qui vous fait cheminer, comme dans du vague, avec autour de vous un doux silence, dans lequel on perçoit le clapotement de l'eau, le flafla mouillé du filet qu'on ramasse, les querelles à voix basse des deux pêcheurs, le bruit englobant de l'épervier dans l'eau, qui s'argente un moment. Du vague dont le mot de Grou-Grou: «Ça toque!» vous sort soudain.
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Jeudi 27 juillet.—La supérieure de l'hôpital disait à ma cousine, que les officiers prussiens avaient pour leurs soldats malades, pour leurs soldats blessés, des soins de femme, des soins de mère.
Les paysans à nombreuse famille, ont de leurs enfants la notion diffuse, qu'un lapin peut avoir de sa portée. L'un disait: Est-ce bien six ou sept que nous ayons? Un autre, s'embarrassant dans les morts et les vivants, ne pouvait se rappeler s'il en avait eu quinze ou dix-huit.
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6 août.—C'est particulier comme dans les actes de la vie, que je rêve la nuit, notre fraternité ne s'est pas dissoute! Il est toujours là, prenant la moitié dans les faits de mon existence imaginative, comme s'il vivait toujours.
Je remarque à propos de l'absinthe bue hier soir,—j'avais déjà fait la même observation à l'occasion du Porto,—je remarque quelle réalité aiguë ces liqueurs opiacées mettent aux créations fantaisistes du sommeil, et comme les bizarreries qu'elles enfantent, se passent au milieu d'impressions, d'émotions d'une vie presque plus vivante, d'une vie presque plus sensibilisée, que celles de la vie éveillée.
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Jeudi 10 août.—Retour de Bar-sur-Seine à Paris.
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Mardi 15 août.—Dîner chez Brébant.
Quelqu'un parle des nationalités, déplore cette invention qui sort la guerre de son caractère courtois, de son caractère de duel entre les souverains. A l'instar des guerres d'animaux, cette invention doit amener la mangerie d'une race par l'autre, et cela condamne, dans un avenir prochain; les Français ou les Allemands à disparaître de l'Europe. C'est le sujet pour Berthelot, d'exécuter, ainsi qu'il en a l'habitude, un historique ingénieux, un historique de la disparition du rat primitif de l'Europe, entièrement dévoré au XVe et au XVIe siècles par le surmulot, qui lui-même est en train d'être mangé, à l'heure présente, par le rat Scandinave.
… «Oui, des fonctions, nous ne sommes que des fonctions,—c'est la voix de Renan,—des fonctions que nous accomplissons, sans le savoir, à peu près comme des ouvriers des Gobelins, qui travaillent à rebours et font un ouvrage qu'ils ne voient pas… L'Honnêteté, la Sagesse, qu'est-ce que ça, quelle importance cela a-t-il au point de vue surhumain? Cependant soyons honnêtes et sages. C'est un rôle que Celui de là-haut nous donne. Mais il ne faut pas qu'il s'imagine qu'il nous trompe, que nous sommes ses dupes!»
Et l'ancien séminariste dit cela, à voix basse, d'un ton presque peureux, avec la tête, penchée de côté sur son assiette, la tête d'un écolier qui sent une main de pion dans l'air,—absolument comme s'il redoutait une gifle du Tout-Puissant.
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Jeudi 17 août.—Mon état est un grand déliement des personnes et des choses. Les personnes qui me sont le plus sympathiques, je ne suis plus sûr de les aimer; quant aux choses, elles ont perdu pour moi leur attractivité. L'autre jour, sur le quai, un libraire m'a offert de voir un ballot de brochures sur la Révolution. Autrefois, la nuit eût eu de la peine à me chasser de chez lui; aujourd'hui, après avoir regardé deux ou trois de ces brochures, j'ai dit au libraire que j'avais des courses à faire, que je reviendrais un autre jour.
La princesse est dans une grande irrésolution sur le parti à prendre, en l'incertitude des choses, et cette irrésolution, pour un esprit si décidé, une volonté si arrêtée, c'est presque de la souffrance.
Je retrouve chez elle Théophile Gautier, que je n'avais pas revu depuis le siège.
Je le retrouve avec sa mélancolie sereine, faisant le triste tableau du triste état de l'OFFICIEL d'à présent. Il peint, avec cette charge comique qui est à lui, ce local qui se trouve être l'ancienne cuisine de Louis-Philippe. Il montre la table de rédaction: une planche basculante sous la trouvaille d'une épithète colorée. Il décrit enfin la caisse, qu'il nous dit se promener dans le gousset de Francis. Triste! triste! triste!
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27 août.—J'ai couché hier, et je passe aujourd'hui la journée à Saint-Gratien. Maintenant, ici, la conversation se traîne, coupée par de longs silences. Dans sa position actuelle, la princesse n'a plus sa liberté de parole, ces emportements éloquents, ces rudes coups de boutoir, ces portraits griffés d'une griffe originale. Près d'elle, on sent bien, à un froissement de robe, à un mouvement des pieds, à une révolte du corps, que l'indignation lui monte à la gorge et est prête à jaillir, mais aussitôt elle ferme les yeux, et semble endormir dans de la somnolence ses colères.
Dans la journée arrivent quelques amis, les Benedetti, Dumas fils, etc., etc. L'on va sans but à travers le parc, dans une promenade qui conduit à la fin sous un plein soleil, à la ferme, où l'on cause de la Commune.
Eudore Soulié, le dévot de Louis XIV, nous fait, indigné, le tableau de Versailles, ainsi qu'il est habité à l'heure présente. Dans les appartements du Grand Dauphin, de Louis XV, de Marie-Antoinette, logent un Dufaure, un Larcy, souillant ces domiciles historiques de leurs bourgeoises tables de nuit et de leurs bidets égueulés, Quant aux petits appartements de Mme du Barry, ils servent à Mme Simon, pour repriser ses bas.
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15 septembre.—Bar-sur-Seine. Une douzaine de jours de chasse. Des coups de soleil, des courbatures, et un très médiocre plaisir.
A garder pour une étude provinciale, le souvenir du Pinchinat. C'est une ruelle bordée de grands murs, où s'ouvrent des portes de granges; au milieu, un bâtiment a l'aspect d'une vieille geôle, avec sa porte couverte de gros clous, avec sa baie fermée d'épais barreaux. C'est l'ancien Grenier à sel, dont le crépi, encore imprégné de filtrations salines, est becqueté, toute la journée, de pigeons voletants.
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Jeudi 21 septembre.—Brisé de fatigue, et accablé par un temps d'orage, j'avais jeté mon fusil, et je m'étais couché au pied d'un bouquet d'épines, se tordant au haut d'une petite montagne.
Je regardais, les yeux demi-fermés, le ciel noir, et l'horizon cahoteux, déjà sombré dans la pluie. Les engouffrements du vent rabattaient le bouquet d'épines sur ma tête, et la lumière écliptique, et le paysage ardu, et l'électricité de l'air, et la tourmente de ces branches égratignantes, me donnaient comme la sensation d'un monde inconnu, d'un monde primitif, d'un monde, semblable à ce monde d'avant le déluge, dont les lectures de ces jours-ci m'avaient rempli la tête.
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Jeudi 28 septembre.—Il arrive aujourd'hui dans la maison une soeur de Troyes, qui vient soigner ma vieille cousine, attaquée de l'épidémie qui court la ville. C'est une soeur qui a la tête d'un chancelier d'Angleterre, une soeur aux manières hommasses, au langage peuple, avec de la douceur au milieu de tout cela. Il est curieux d'entendre son rude mépris à l'endroit des misérables pratiques de la religion, et des vieilles filles qui deviennent bigotes: on sent que la grandeur de ses devoirs l'a élevé naturellement, au-dessus des petitesses de la religiosité.
A ce sentiment se joint, chez cette travailleuse, qui passe trente-six heures d'une traite près d'une malade, un dédain, quelquefois colère, contre les fainéants du métier, contre les ordres qui ne travaillent pas, contre les ordres qui ne passent pas la nuit, et même contre les curés, que la sainte fille regarde comme des paresseux.
Et ce dédain de la communauté tout entière, se traduit singulièrement: la communauté a un chien qui mord spécialement les mollets des curés. Et, lorsque je lui dis:—Mais ce n'est pas naturel, il faut qu'on l'ait dressé à cela? La soeur a un charmant gros rire, avec un «Faut le croire!» adorable.
Elle ne se plaint de rien, trouve son sort le plus heureux du monde, ne le changerait pas, selon son expression, contre celui de Badinguet. Il n'y a qu'une seule chose à laquelle elle n'est pas encore accoutumée, et qui lui coûte, chaque nuit, un nouvel effort: c'est le manque de sommeil. Et c'est vraiment joli d'entendre dire à cette grosse femme, d'une voix doucement dolente: «Oh! chaque nuit que je passe, il faut que je renouvelle mon sacrifice!»
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Samedi 30 septembre.—Dans les maladies, les symptômes physiques, quelque graves qu'ils soient, je ne les redoute pas beaucoup, ce sont les symptômes moraux dont j'ai peur.
Ces jours-ci, je pensais, avec une certaine inquiétude, au caprice qu'avait eu ma cousine, de vouloir boire dans la timbale d'argent, dans laquelle buvait son fils à la pension, et aujourd'hui l'on m'apprenait, qu'elle avait recommandé qu'on lui fît son bouillon dans le petit pot de terre qui servait à lui faire cuire la soupe, quand il était tout petit. Ce retour tendre à notre enfance, ou à l'enfance des êtres que nous aimons, je me rappelais combien son obstination chez mon frère, m'avait été douloureuse, lorsqu'il avait commencé à être bien malade, et j'étais tout triste de cela, quand la soeur est entrée dans ma chambre et m'a dit de la part du médecin, d'écrire à la fille de ma cousine, de se rendre près de sa mère.
Hélas! la dernière personne aimante de ma famille, la femme à la jeunesse, à la vieillesse mêlées à mon enfance, à mon âge mûr, va-t-elle mourir; et le dernier refuge ami et familial, où j'aimais à entendre parler, rabâcher de ma mère, de mon père, de mon frère, va-t-il devenir vide?
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Dimanche 1er octobre.—Ce soir, au dessert, en croquant des noisettes avec des dents absentes, la soeur nous raconte un peu son histoire: c'est vingt-quatre années de garde-malade dans la maison Saint-Augustin de Troyes.
La maison avait abandonné l'hôpital, à cause du frère de Monseigneur ***, un pas grand'chose…
—Qu'est-ce qu'il faisait donc, ma soeur?
—«Eh bien, il coursait les jeunes soeurs!»—Et en disant cela, sa grosse gaîté la fait ressembler au diable d'une boîte à surprise. «Mais, Dieu merci, reprend-elle, notre ordre a été toujours intact et le restera… Alors nous nous sommes trouvées sur le pavé, mais là, si bien sur le pavé, que les gens de Troyes nous ont apporté des matelas, des meubles…»
Oui, il arrivait que la population ne voulait pas les laisser partir. A quelques années de là, les soeurs trouvaient des fonds, avec lesquelles elles achetaient un terrain, où elles faisaient bâtir une maison de 90 000 francs. Elles s'y logeaient, et recevaient vingt-quatre vieilles pensionnaires, dont l'utilité pour la communauté était surtout de faire l'apprentissage de gardes-malades des jeunes soeurs. Et c'est pour elle une occasion de tomber à bras raccourcis sur ces vieilles filles, sur ces vieilles dévotes, qui, dit-elle, prient tant Dieu de tuer le diable, et font pleurer, toute la journée, la soeur chargée de la cuisine.
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Lundi 2 octobre.—Dans sa lenteur sourde, dans sa gravité recueillie, dans la solennité de ces pauses, où le regard appuie la parole dite, quelle grande voix dramatisée que celle des mourants! C'était, ce matin, la voix de ma pauvre cousine.
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Samedi 7 octobre.—Paris. Je reçois, ce soir, la nouvelle de la mort de ma chère cousine. Cette nouvelle me renfonce, toute la soirée, dans le passé de la famille, dans le souvenir de notre jeunesse, écoulée ensemble. Je me rappelle quand la nourrice, ma vieille nourrice, venait nous chercher le dimanche, elle chez Cousinot, moi chez M. Goubaux, je me rappelle quelles promenades mes retenues lui faisaient faire sur la butte Montmartre, et j'ai souvenir comme toujours la nourrice, pour m'éviter une gronderie de mon père, mettait le retard sur le compte de la pauvre fille. Je la retrouve, quand nous allions en soirée chez les rigides demoiselles de Villedeuil, sévèrement passée en revue par mon père, dans sa toilette, qui fut toujours un peu à la diable. Je nous revois, la première année de son mariage, nous battant, comme des enfants que nous étions, aussitôt que son mari avait le dos tourné. Et toute cette évocation me fait penser à tous ceux qu'elle me rappelle, et qui ne sont plus.
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Lundi 9 octobre.—Les cérémonies mortuaires des gens que j'aime, me donnent une absence de l'existence qui n'est pas sans charme. Il me semble que le restant de ma vie demi-morte se perd et s'efface dans des bruits de cloche, des psalmodies, des murmures d'orgue, des pleurs de femmes, des bruits douloureux et doux à la fois.
Pauvre salle à manger, si riante, si proprette, et dont ma cousine voulait le parquet si luisant; aujourd'hui elle était toute boueuse des semelles des porteurs de sa bière.
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17 octobre.—Notre dîner de Brébant commence à être complètement abêti par l'élément grammairien, qui y a trop de coudes à table.
Un joli mot de Saint-Victor à propos de l'éducation universelle: «F… pour moi, j'aime mieux un homme élevé par une ballade que par la prose de Timothée Trimm!»
Quelqu'un fait la remarque que les Allemands contemporains qui ont toutes les sciences, manquent absolument de celle de l'humanité, qu'ils n'ont pas, à l'heure qu'il est, un roman, une pièce de théâtre.
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18 octobre.—L'affusion froide a un effet instantané sur le moral. Elle le relève et le décide à l'activité, quand il se sent vaincu par le manque de vouloir. Après la pluie, on fait ce qu'on a à faire.
Je tombe sur Flaubert, au moment où il part pour Rouen: il a sous le bras, fermé à triple serrure, un portefeuille de ministre, dans lequel est enfermée sa TENTATION DE SAINT ANTOINE. En fiacre, il me parle de son livre; de toutes les épreuves qu'il fait subir au solitaire de la Thébaïde, et dont il sort victorieux. Puis, au moment de la séparation, à la rue d'Amsterdam, il me confie que la défaite finale du saint est due à la cellule, la cellule scientifique. Le curieux, c'est qu'il semble s'étonner de mon étonnement.
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Dimanche 22 octobre.—Saint-Gratien. Théo se plaint drolatiquement de n'avoir plus les privilèges de la jeunesse près des femmes, et de se voir en même temps refuser le privilège des vieux. Il demande à être officiellement déclaré un individu sans conséquence, et de jouir de toutes les immunités attachées à cet état.
Quelqu'un causant des derniers événements, et à propos de ces événements de la dernière Exposition et de la réunion de tous les souverains de l'Europe qui auraient dû empêcher ces désastres, la princesse l'interrompt: «Oh! il n'y en avait qu'un qui le voulût, qui le désirât, c'était l'empereur de Russie. Et je le sais bien. Le jour du dîner de gala, la grande-duchesse de Russie vint à moi, me dit que l'Empereur voulait causer avec mon cousin, avant le dîner, et me demanda de le faire prévenir. Je lui répondis que c'était très facile, et j'allai trouver l'Empereur, qui vint aussitôt. Le tête-à-tête commença dans un petit salon, mais il fut malheureusement interrompu, ce tête-à-tête! et je vis presque aussitôt l'Empereur ressortir avec une figure, longue comme tout.»
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1er novembre.—Le vieux Giraud racontait ces jours-ci, à Saint-Gratien, qu'une nuit, un chiffonnier vint s'asseoir à côté de lui. La conversation s'engagea, et le chiffonnier s'écria: «Mon métier, c'est le plus beau des métiers, le roi des métiers!»—«Tiens! je croyais que c'était le mien!» fit ironiquement le peintre.—«Monsieur n'est pas chasseur; s'il l'était, ce que je lui dis, ce ne l'étonnerait pas… quand nous attaquons un tas, nous croyons notre fortune faite… et ça recommence comme ça, à chaque nouveau tas!»
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Dimanche 9 novembre.—Je trouve, chez Flaubert, Ramelli qu'il veut faire engager par l'Odéon pour la pièce de Bouilhet. Elle est là, se plaignant, avec des éclats de voix, du théâtre qui a pris l'habitude de ne plus payer que les premiers rôles, du théâtre qui donnait à Berton 300 francs par soirée dans LE MARQUIS DE VILLEMER… Je n'ai pas vu de corps d'état où la revendication de l'argent se fasse avec plus de violence que chez les acteurs et les actrices. Dans les lamentations de Ramelli, il y a de la colère sanguine avec des feux au visage, qui forcent l'actrice à se tenir dans une pièce où il n'y a pas de cheminée allumée, et d'où nous parviennent, par la porte ouverte, ses doléances furibondes.
Enfin elle part, et nous voilà seuls. Flaubert me conte l'inespérée fortune de la Présidente (Mme Sabatier, la femme au petit chien dont Ricard a fait un si beau portrait) qui a reçu un titre de 50 000 livres de rente, deux jours avant l'investissement de Paris, un envoi de Richard Wallace, qui avait couché avec elle dans le passé, et lui avait dit: «Tu verras, si je deviens jamais riche, je penserai à toi!»
Flaubert me parle encore de cette ambassade chinoise, tombée au milieu de notre siège et de notre Commune, dans notre cataclysme, et à laquelle on disait, en s'excusant:
—«Ça doit bien vous étonner ce qui se passe ici dans le moment?»
—«Mais non, mais non… vous êtes jeunes, vous les Occidentaux… vous n'avez presque pas d'histoire… mais c'est toujours comme ça… et le siège et la Commune: c'est l'histoire normale de l'humanité.»
Il me retient à dîner, et me lit, le soir, de sa TENTATION DE SAINT
ANTOINE.
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14 novembre.—Au dîner de Brébant, Robin établit que la pesanteur du cerveau est un symptôme de la valeur de l'intelligence, que la moyenne d'un cerveau bien constitué se trouve entre 1350 et 1400 grammes, que le cerveau de 1100 grammes est presque toujours un cerveau d'idiot. Et comme il cite le cerveau de Morny pesant 1600 grammes, Saint-Victor s'indigne et demande avec colère ce que devait peser le cerveau d'un Goethe. Moi, je me demande si le cerveau d'un Rothschild n'est pas aussi pesant que le cerveau d'un Alexandre, et si des capacités d'un ordre différent, d'un ordre jugé inférieur comme celui d'un financier comparé à un conquérant ou à un littérateur, ne sont pas produits par des organes semblables de même valeur.
Robin est toujours le causeur substantiel qui vous suspend à ses lèvres. Il parle du besoin pour le travail de l'homme, de la science de la cuisine, de la séparation et de la division des aliments, sans quoi l'homme se nourrissant comme les animaux de viandes crues, sa digestion serait aussi longue que la leur, et il ne lui resterait pas de temps pour le travail. Il croit aussi que le perfectionnement du manger amène un allongement de la vie. Selon lui, il y avait très peu de centenaires dans les races primitives, et à l'appui de sa thèse, il cite des momies égyptiennes, où les dents sont comme rasées et où la denture a été absolument détruite par l'imperfection des moulins qui broyaient le blé—et il n'y avait pas encore de Fattet.
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21 novembre.—Dîner des Spartiates. Aimable dîner de spirituels potiniers vous introduisant dans les coulisses du journalisme, de la Chambre, de la Bourse, et dans les bidets du monde galant de Paris… On s'élève assez verveusement contre cette blague consacrée par le théâtre: le déshonneur de la fille du peuple par les riches bourgeois, tandis qu'en réalité le déshonneur commence presque toujours avec les cousins et les mâles de la famille. Aubryet raconte qu'au début de sa carrière libertine, il était très troublé, le matin, par l'entrée du frère disant à sa soeur couchée avec lui: «C'est-y aujourd'hui, qu'on pose les rideaux?» Maintenant, ajouta-t-il, rien ne me gêne, on assemblerait le conseil de famille au pied du lit, que je serais plus à l'aise!
Puis c'est une improvisation charmante de Banville, sur l'imagination de la rime, qu'a au plus haut degré Hugo; puis c'est la nouvelle donnée par Houssaye, que la Païva s'est mariée avec le comte Henkel, le diadème de l'Impératrice sur la tête.
* * * * *
25 novembre.—Ce qui me semble annoncer la fin de la bourgeoisie, c'est l'apothéose présidentielle de M. Thiers: le représentant le plus complet de la caste. Pour moi, c'est comme si la bourgeoisie, avant de mourir, se couronnait de ses mains.
Attraper un peu, dans mon roman de la prostitution, un peu du caractère macabre qu'ont les crayons de Guys et de Rops.
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28 novembre.—Dans l'impossibilité où je suis de travailler, je dérange et j'arrange ma maison pour occuper l'activité qui est en moi. Je fais tout cela sans illusion, bien persuadé, que le jour, où mon intérieur sera créé, de suite la mort me déménagera et que si par hasard la mort est moins pressée que je ne le suppose, il surgira un inconvénient terrible qui me chassera de la maison.
* * * * *
29 novembre.—Aujourd'hui tombe chez moi un jeune ami qui m'écrivait il y a quelque temps, qu'il avait été très éprouvé. Il me dit qu'il a passé par de dures choses, qu'il avait été au moment de se marier avec une charmante jeune personne de la société, dont il était très épris, qu'il a dû rompre parce que cette charmante jeune fille cachait le monstrum horrendum. Ça avait été, ajoute-t-il, une tentative d'attraper le bonheur domestique, et la chose relative à la femme étant réglée, on pouvait se donner une bosse de travail, mais il faut faire encore de la putain, et je n'ai pour ces dames qu'un goût médiocre.»
Puis il me parle d'une pointe qu'il a poussée en Italie, de la belle pâte, de la belle matière que les Vénitiens mettaient si facilement sur leurs toiles, et il est à la recherche de cette confiture qu'il veut appliquer à la vie moderne.
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30 novembre.—Pouthier (l'Anatole de MANETTE SALOMON), le bohème original et fantasque, l'homme aux avatars si multiples d'une vie de misère, vient me voir. C'est toujours le même. Sa tête n'a pas un cheveu blanc de plus, son paletot une tache de moins.
Voici son histoire. Pendant le siège, pour manger, il s'est fait incorporer dans le 99e bataillon de la garde nationale; il y est resté pendant la Commune, a eu le bonheur d'être envoyé à Vincennes, n'a donc pas tiré un coup de fusil. Pourquoi donc cinq mois de ponton? Nul ne le sait, et lui encore moins que tout autre.
Le bataillon fait prisonnier, sans aucune résistance, est fourré dans les cellules de Mazas, le 29 mai. Le second jour de son emprisonnement, entre dans sa cellule un brigadier, qui lui dit:—«Écrivez votre nom sur cette feuille de papier, écrivez que vous êtes entré, le 29 mai, à Mazas.» Il écrit: le brigadier qui regarde par dessus son épaule, l'interrompt en lui disant:
—«Vous avez écrit à l'archevêque?»
—«Non.»
—«Pour vos travaux.»
—«Non, je n'ai jamais eu affaire qu'au ministère des Beaux-Arts.»
—«Vous connaissez l'archevêque au moins de vue.»
—«Non, j'ai vu des photographies de lui, mais sans y faire attention.»
Et l'interrogatoire se termine là.
Il ignorait absolument l'assassinat de l'archevêque, et n'attachait pas d'importance à l'interrogatoire; cependant le mot «le malheureux», prononcé dans la cellule voisine, par un Irlandais, un ami de captivité, pendant qu'on l'interrogeait, l'intriguait un peu, quand la porte s'ouvrit pour donner passage au commissaire de police, suivi de deux hommes. «Au fait, dit le commissaire de police à un de ces hommes, il me semble qu'il était plus grand?» Sur ce, l'homme passant les mains dans les cheveux de Pouthier:
—«Vous êtes brun, vous?»
—«Un brun qui grisonne.»
—«Montrez votre poitrine, vos bras.» Et sur toutes ces parties mises à nu, l'oeil du commissaire semblait chercher les marques d'un tatouage. Enfin il remonta à son visage qu'il fixa longtemps, et il finit par dire:—«Non, non, l'autre était plus grêlé!»
Était-ce une ressemblance physique avec un des assassins? Était-ce une ressemblance d'écriture avec des papiers compromettants? Était-ce enfin la ressemblance de son nom, avec un nommé Outhier, un membre de la Commune de Lyon?
Le troisième jour, au soir, dans un rang de cinq prisonniers, et le bras ficelé au bras de l'Irlandais Olready, il partait pour l'Orangerie de Versailles. En route, ayant parlé un peu haut, dans une petite altercation avec Olready, un officier les faisait sortir des rangs, et marcher vers un mur, où il s'attendait à être fusillé, quand le commandant criait: «Faites rentrer ces hommes, nous n'avons pas le temps de nous amuser ici, on les fusillera à la gare!» A la gare, on les oubliait, et ils montaient en chemin de fer.
Un type singulier et bizarre, cet Olready, un commis voyageur en révolution, un apôtre de fénianisme, un agent de l'Internationale, un misérable, être maladroit, laid, avortonné, mais possesseur d'un flegme merveilleux, d'une imperturbabilité héroïque, et répétant, avec un accent anglais tout à fait comique: «Très curious! très curious!» aux moments les plus critiques, à l'instant où il croyait qu'on allait le fusiller.
Les deux amis étaient jetés dans l'Orangerie, au milieu des milliers de prisonniers remplissant l'immense cave, toute pleine d'une poussière blanche, que le pas de chacun soulevait, faisant des nuages d'albâtre, dans lesquels tout le monde toussait à cracher ses poumons.
Les jours passés là, s'écoulaient dans une vague inquiétude d'être fusillés, d'un moment à l'autre, crainte à laquelle succédait, dans les esprits, la menace moins terrible de la déportation. Et là, je retrouvais tout à fait mon Anatole. L'idée de la déportation fut accueillie par sa cervelle amoureuse de voyage, comme un des moyens les plus simples pour faire des milliers de lieues sans payer, et de réaliser enfin ses rêves de pays exotiques.
Aussi, quand, au bout de deux ou trois jours, on demanda ceux qui voulaient partir, se fit-il inscrire de suite avec Olready. L'innocent croyait être transporté immédiatement en Calédonie… Il part, parqué avec ses compagnons, dans des wagons à bestiaux, si bien calfeutrés contre les évasions, que, vers la fin des quarante-huit heures que dura le voyage de Cherbourg, le pain s'aigrissant dans la fermentation de l'humanité, entassée là, ils étouffaient et étaient forcés, de se coucher, tour à tour, par terre, et de chercher un peu d'air respirable par les fentes du plancher.
Aussitôt arrivés, on les menait à bord du BAYARD, où, avant d'entrer, on les dépouillait de tout, ne leur laissant que leurs chemises et des souliers.
Le lendemain, à quatre heures et demie du matin, on leur criait de rouler leurs couvertures, et d'ôter leurs souliers, et alors une inondation générale, qui laissait le plancher mouillé jusqu'à dix heures.
—«Diable, lui dis-je, que vous avez dû souffrir!»
—«Eh bien, non, répond-il, je ne connais plus le froid aux pieds. Des asthmatiques se sont guéris, et Olready qui crachait le sang, en arrivant, va beaucoup mieux. Il y a eu des morts par la dyssenterie, par l'albuminurie, par le scorbut, mais personne n'est mort de la poitrine.»
«Mon cher, reprend-il, le curieux, c'est qu'au bout de trois jours, au milieu de ces hommes dépiotés de tout en entrant, il y avait des jeux de dames faits avec des mouchoirs, où l'on avait noirci des carreaux noirs, et avec des rondelles de drap de deux couleurs; il y avait des jeux de jonchets, faits avec des brindilles de balais; il y avait des jeux de jacquet, avec des dés en savon; il y avait des jeux de dominos, faits avec je ne sais quoi, et quand on nous a donné de la viande, il s'est trouvé des artistes qui ont fabriqué, avec les os, des couteaux, des couteaux qui se fermaient avec un système de ressort, en ficelle tressée, qui était un chef-d'oeuvre… enfin, figure-toi qu'à la fin, de ces cordes avec lesquelles on essuie le pont, et qu'on volait, tout le monde avait des pantoufles, des calottes en ficelle.»
«Nous avons passé trois mois dans la batterie, sans monter sur le pont, trois mois, où, sauf la première semaine, où l'on nous a donné deux fois du lard, nous n'avons pas eu de viande, et avons été nourris seulement de pois et de haricots, ce qui, par parenthèse, vous procurait des inflammations buccales bien désagréables.»
«Par exemple, au bout de trois mois, la première fois qu'on est monté là-haut, et qu'on a respiré de l'air vrai, on est monté à quatre pattes, et l'on étouffait, comme si tu te trouvais en ballon, à 6000 pieds, au-dessus de la terre.»
«Il existait toutes sortes de sociétés: la société des grinches avec la Volige, le garçon le plus facétieux de la terre; la société des maquereaux, présidée par Victor, l'imagination la plus cocasse. Il avait inventé un jeu de main chaude des plus spirituels, et dans le jeu de Monsieur le Président, il y mettait quelque chose tenant de l'improvisation des pièces italiennes, et de ce que j'ai lu dans un de tes livres sur Nicholson. Il était épatant d'invention… Moi, je faisais partie d'une société honnête, qui habitait la rue Tribordaise, et qui avait son plat,—tu sais le baquet dans lequel nous mangions:—Cailleboutis de l'Avent.»
«Il faut te dire que, lorsque j'avais été amené à l'Orangerie de Versailles, j'avais huit sous sur moi. On me les avait pris. Ça fait que je me trouvais absolument sans un patard. Alors, ô fortune, Signeux m'envoya dix francs en timbres-poste, parce qu'on ne nous laissait pas d'argent! Oh! la première tablette de chocolat que j'ai pu acheter, que cela m'a paru bon!… Mais qu'est ceci à côté de cela! Avec mes timbres j'ai pu acheter une feuille de papier, qu'on m'a vendue quinze sous, et un crayon Cacheux d'un sou, payé vingt-deux sous… et avec cela j'ai exécuté mon premier portrait qui a eu un succès énorme, en sorte que j'en ai fabriqué soixante-sept à deux francs,—ce qui a fait de moi, de moi, c'est risible, une espèce de banquier pour tout le monde.»
«Le dur, je te l'ai dit, a duré trois mois, trois mois où il y avait une telle vermine dans le trou où nous étions quatre cent trente, que nous étions obligés d'épouiller les vieux, pour qu'ils ne soient pas complètement mangés.»
«Donc, au bout des trois mois, on nous a permis de nous promener sur le pont, on nous a donné de la viande, on nous a même donné du vin, et quoiqu'on ne nous en donnât qu'un décilitre, cela grisait tout le monde, ce qui était parfois embêtant, vu les quatre bouches de mitrailleuses, que nous avions à l'avant et à l'arrière, et qu'on avait la galanterie de nettoyer devant nous et de recharger tous les dimanches.»
«Mes portraits faisaient rage. Ne voilà-t-il pas le commandant qui a envie d'avoir le sien! Je fais son portrait. Je fais le portrait de sa femme, d'après un daguerréotype. Ma position change. On me donne une cabine sur le pont. J'ai la permission de travailler. Les sergents me traitent avec respect. Enfin, un jour, mon brave homme de commandant, qui, je crois, avait manigancé en dessous, me dit: «Ça y est!» et me tend mon fiche-mon-camp.»
«J'étais entré le 5 juin, je sortais le 21 octobre, le jour de ma naissance. J'étais resté le dernier du plat… Olready, lui, quand je suis sorti, faisait vingt-deux jours de cale.»
«C'est drôle, au premier repas que j'ai fait dehors, quand j'ai trouvé une fourchette à côté de mon assiette, il m'a fallu un petit effort de mémoire pour savoir à quoi ça servait…»
* * * * *
3 décembre.—La composition, la fabulation, l'écriture d'un roman: belle affaire! Le dur, le pénible, c'est le métier d'agent de police et de mouchard qu'il faut faire, pour ramasser,—et cela la plupart du temps dans des milieux répugnants,—pour ramasser la vérité vraie, avec laquelle se compose le roman contemporain. Mais pourquoi, me dira-t-on, choisir ces milieux? Parce que c'est dans le bas, que dans l'effacement d'une civilisation, se conserve le caractère des choses, des personnes, de la langue, de tout, et qu'un peintre a mille fois plus de chance de faire une oeuvre ayant du style, d'une fille crottée de la rue Saint-Honoré que d'une lorette de Bréda. Pourquoi encore? peut-être parce que je suis un littérateur bien né, et que le peuple, la canaille, si vous voulez, a pour moi l'attrait de populations inconnues, et non découvertes, quelque chose de l'exotique, que les voyageurs vont chercher, avec mille souffrances dans les pays lointains.
* * * * *
5 décembre.—Enfermé chez moi par le rhume, dans la bibliothèque toute nouvellement faite, et où je viens de ranger mes livres, je sens rentrer en moi le désir et la volonté du travail.
* * * * *
11 décembre.—Bar-sur-Seine. Les pieds dans la neige, j'attends depuis neuf heures du matin jusqu'à quatre heures du soir, le débuché d'un sanglier, qui se refuse à quitter sa bauge, enviant la peau de ces gens du Châtillonnais qui vont tuer les sangliers, tout nus, pour ne pas en être éventés.
* * * * *
17 décembre.—La propriété de l'argent n'a absolument rien pour moi, de ce que je lui vois avoir pour les autres. L'argent pour moi, ce sont des rondelles de métal ou des carrés de papier à filigrane, où je lis: Bon pour une jouissance de cinquante centimes, de cinq francs, de vingt francs, de cent francs, de mille francs.
* * * * *
26 décembre.—Bar-sur-Seine. En descendant du bois dans le village de Plaines, mes yeux sont attirés par deux ou trois écorniflures bleuâtres dans la pierre d'un mur. «C'est un ouvrier de la fabrique, me dit mon compagnon de chasse, que les Prussiens ont mis contre le mur, et fusillé en entrant ici. A la maison où l'on garde les chiens, nous avons trouvé la femme de l'ouvrier, une jeune paysanne ayant dans son tablier une petite fille de quatre ans.
On l'avait fait venir pour tâcher de lui obtenir un secours. On lui a demandé son nom. Elle s'appelle Divine: n'est-ce pas un joli nom de baptême pour un romancier?
FIN
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TABLE ALPHABÉTIQUE DES NOMS
A
Alphand,      187.
Aristophane,      239.
Arago (François),      155.
Arago (Emmanuel),      68, 210.
Asselineau,      296.
Assi,      231, 240.
Attila,      113, 180.
Aubryet.      356.
B
Banville (de),      357.
Barbier,      324.
Baroche,      151.
Barry (Mme du),      346.
Bauer,      204.
Bazaine,      104.
Beauvais,      226.
Beauvallon,      122.
Behaine (le comte de),      111, 334, 335, 336.
Berthelot,      11, 24, 26, 27, 106, 107, 110, 143, 204, 206, 231, 338,
344.
Bertrand (le mathématicien),      106, 169.
Bismarck,      113, 124, 126, 172, 213, 235.
Blanc (Louis),      72, 106, 107, 108, 109, 186, 240, 292.
Blanc (Charles),      50, 55.
Blanqui,      105.
Bocher (Emmanuel),      226.
Bondieu (Mme),      8.
Bonington,      287,
Bourbaki,      212.
Bourbonne,      4, 331.
Bourgoin,      255.
Bracquemond (Mme),      280, 303.
Bracquemond,      253, 254, 255, 266.
Brébant,      14, 24, 50, 68, 86. 106, 142, 143, 166, 185, 203, 205, 207,
217, 234, 268, 338, 343, 352, 355.
Burty,      42, 62, 77, 172, 196, 200, 201, 210, 229, 237, 253, 206, 278,
286, 296, 306, 308, 310, 313, 316, 326, 333.
Burty (Mme),      134, 279, 312, 316, 326.
Burty (Madeleine),      312, 316.
C
Capoul,      9.
Chanzy,      200, 232.
Charles X,      226.
Charles Edmond,      11, 50, 86, 142, 185, 263, 264, 275.
Charles Edmond (Mme),      142, 263.
Chateaubriand,      168.
Chenavard,      55.
Chennevières,      18, 90, 111.
Chenu,      282.
Chevalier (Philippe),      197.
Chevalier,      255.
Chevet,      96.
Clément de Ris,      113.
Clément Thomas,      230.
Cobourg,      43.
Collet (Louise),      56.
Corcelet,      152.
Couchaud,      338.
Courasse,      262.
Courbet,      267.
Courmont (Cornélie de),      73.
Courmont (Philippe de),      332, 333.
Cousin,      167.
Cousinot (Mlle),      351.
Crémieux,      122, 214, 215.
D
Dampierre,      151.
Dante,      341.
Diaz,      294.
Divine,      367.
Ducrot,      149.
Dufaure,      283, 346.
Dumas père,      155, 156.
Dumas fils,      316.
Dumas (l'industriel),      190.
Du Mesnil,      24, 27, 158, 204, 206.
Duplessis (Georges),      202.
Durand (Jacques),      294.
E
Edouard VI,      212.
Esther,      235.
Eugénie (l'Impératrice),      13, 14, 336, 338, 357.
Ezéchiel,      268.
F
Favre (Jules),      203, 221.
Fattet,      356.
Ferri-Pisani,      48.
Ferry (Jules),      86, 187.
Flaubert,      16, 167, 333, 352, 354.
Flourens,      105.
Franchetti,      199.
Fromentin,      65.
Frontin,      121.
G
Gagneur,      68.
Gamache,      93.
Gambetta,      27, 86, 151, 235.
Garibaldi,      151.
Gautier (Théophile),      7, 14, 95, 96, 97, 106, 111, 154, 156, 217, 218,
219, 345, 353.
Gavarni,      13, 57, 76, 102, 143, 211, 226, 285.
Gavarni (Pierre),      48.
Gillet,      92.
Girardin (Emile de),      291.
Giraud (Eugène),      353.
Goethe,      355.
Goubaux,      351.
Goubie,      132.
Goupil,      208.
Gros (le peintre),      86.
Grou-Grou,      342.
Gudin (le peintre),      88.
Guichard,      303, 306.
Guillaume (le roi),      193, 213, 221, 226.
Guiod,      109.
Guys (le dessinateur),      357.
H
Haussmann,      51.
Hébrard,      107, 205, 206.
Hédé,      189.
Henkel (le comte),      357.
Henri V,      113, 232.
Hervilly (d'),      196.
Hetzel,      27.
Hirsch (le peintre),      198.
Homère,      241.
Houel,      82.
Houssaye (Arsène),      175, 357.
Hubert-Robert,      91.
Hugo (Victor),      103, 114, 115, 116, 121, 122, 154, 155, 229, 231, 357.
Hugo (Charles),      114, 229.
I
Isaïe, 236.
J
Job,      235.
Jonckind,      286, 287.
Judith,      235.
K
Knaus,      69.
Krupp,      159.
L
La Bruyère,      168.
Lafontaine,      104.
Lambillotte (l'abbé),      5.
Larcy (de),      346.
La Valette,      269.
Laverdet,      300.
Lecointe (le général),      230.
Ledru-Rollin,      105.
Le Flô,      186.
Lefrançais,      295.
Legouvé,      92.
Lemud,      84.
Lessore,      135.
Louis XV,      346.
Louis XVIII,      288.
Louis-Philippe,      125, 170.
Lullier,      231.
Lurde (le comte de),      335.
M
Mac-Mahon,      14, l9, 329.
Magny,      161.
Maherault,      926.
Mahias,      68.
Mainbourg (le père),      168.
Manuel,      295.
Marat,      189.
Marchal (le peintre),      195.
Marcille (Mme Camille),      335.
Marcille(Mlle Eudoxe),      334.
Marie-Antoinette,      228, 346.
Marin (Eugène-Labille),      7, 330.
Massillon,      168.
Masson (Mme),      197.
Masson (Frédéric),      132.
Mathilde (la princesse),      130, 337, 345, 353.
Maupas,      6.
Mendès (Catulle),      33.
Mérimée,      96.
Meurice,      114.
Michel-Ange,      115.
Millevoye,      61.
Molière,      239, 241.
Moncey,      117, 159.
Montguyon,      299.
Mommsen,      338.
Monnier (Henri),      73, 148.
Morny,      13, 175, 355.
Mottu,      105.
Mozart,      103.
N
Nadar,      131, 341.
Napoléon III,      78, 125, 335.
Napoléon (le prince),      268.
Nefftzer,      24, 27, 50, 68, 110, 121, 122, 123, 124, 142, 166, 204,
205, 206, 207, 236, 275.
Nils Barck (la comtesse),      208.
Nieuwerkerke,      90.
Nubar Pacha,      11, 12.
O
Ollivier,      204.
Olready,      360, 362, 305.
Outhier,      360.
P
Païva (Mme de),      94, 357.
Pasdeloup,      103.
Pélagie,      53, 64, 135, 157, 197, 236. 260, 261, 316. 319.
Pelletan,      86.
Pêne (de),      237.
Pipe-en-Bois (Georges Cavalier),      235, 273.
Picard (Ernest),      235.
Pitt,      43.
Platon,      240.
Potier (le capitaine),      109.
Pouthier,      358.
Praisidial,      211.
Proth (Mario),      50.
Protais,      61.
Proudhon,      122.
Q
Quentin, 81.
R
Rachel,      299.
Racine,      236.
Ramelli,      354.
Regnault (le savant),      338.
Regnault (Henri),      208.
Renan,      14, 24, 25, 26, 27, 28, 50, 110, 143, 158, 167, 168, 169, 186,
187, 204, 205, 217, 235, 268, 338, 341.
Retz (le cardinal),      168.
Richard (Maurice),      90.
Ricord,      147.
Robin (le docteur),      355.
Rochefort,      23, 86, 166, 196, 200.
Roos,      175.
Rops (l'aqua-fortiste),      357.
Rothschild,      122, 355.
Rouher,      91.
Rouland,      176.
Rousseau (Théodore),      13.
S
Sabatier (Mme),      354.
Sasse (Marie),      10.
Saint-Just,      186.
Saint-Simon,      168.
Saint-Victor,      14, 24, 28, 50, 68, 106,108, 149, 167, 186, 205, 235,
299, 352.
Sainte-Beuve,      33, 96, 130.
Sancy-Parabère (Mme de),      335.
Schérer,      275.
Schoelcher,      292.
Sévigné (Mme de),      168.
Signoux,      363.
Simon (Jules),      90, 167.
Simon (Mme),      346.
Soulié (Eudore),      346.
Spinoza,      236.
Strauss,      50.
T
Talma,      41.
Tamisier,      106.
Tessié du Motay,      186.
Thierry (Edouard),      9.
Thiers,      22l, 229, 278, 279, 280, 283, 295, 297, 298, 338, 340, 357.
Tissot,      269.
Tony Révillon,      80, 81.
Tourbey (Mme de),      128.
Trimm (Timothée),      352.
Trêves (le capitaine),      331.
Trochu,      20, 26, 38, 108, 109, 112, 166, 173, 186, 196, 197, 201, 203,
204, 210, 232, 338.
V
Vacquerie,      114, 122, 229.
Vaillant (le maréchal),      43.
Vallès,      241, 256, 271.
Vélasquez,      266.
Verlaine,      286, 288.
Verlaine (Mme),      326.
Véron (le docteur),      76.
Veuillot,      134.
Victor,      363.
Vinoy,      47, 186, 201, 202, 206.
Voisin,      176, 251, 278.
Volige (la),      363.
W
Wallace (Richard), 354.
Z
Zola, 15.
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TABLE DES MATIÈRES
ANNÉE 1870. ANNÉE 1871.
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