Jours de famine et de détresse: roman
The Project Gutenberg eBook of Jours de famine et de détresse: roman
Title: Jours de famine et de détresse: roman
Author: Neel Doff
Release date: November 15, 2020 [eBook #63773]
                Most recently updated: October 18, 2024
Language: French
Credits: Produced by Laurent Vogel (This book was produced from
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        Books project.)
NEEL DOFF
JOURS DE FAMINE
ET DE DÉTRESSE
— ROMAN —
PARIS
BIBLIOTHÈQUE-CHARPENTIER
EUGÈNE FASQUELLE, ÉDITEUR
11, RUE DE GRENELLE, 11
1911
Tous droits de reproduction, de traduction et d'adaptation sont réservés pour tous pays.
Il a été tiré de cet ouvrage
10 exemplaires numérotés sur papier
de Hollande
Exemplaire No 9
JOURS DE FAMINE
ET DE DÉTRESSE
VISION
Il neige ; j'ai la grippe ; sur la place, les gamins font des glissades. Je m'accoude à la fenêtre et contemple cette vie sur la neige. Sont-ils souples et lestes, ces enfants! Grands et petits s'en donnent : ils glissent ; ils se poussent ; ils tombent en grappes.
Ah! en voici un en loques, sale, la tête embroussaillée, les sabots trop grands, les bas troués, les genoux perçant le pantalon, le fond de culotte en lambeaux ; pâle, boursouflé, mais agile et râblé. Déjà de loin, il prend son élan et fait une glissade d'une douzaine de mètres. Dans cet élan qu'il ne parvient plus à maîtriser, il en entraîne d'autres, il en renverse sur son chemin. Aucun n'a mal. Tous cependant se fâchent, se redressent et tombent sur le petit : c'est qu'il est plus adroit qu'eux, et sale, et pouilleux. Ils le traînent hors de la piste, le roulent dans la neige, le cognent, et le jettent la bouche contre le trottoir. L'enfant se relève, essaie de se défendre, le bras en bouclier ; mais il est seul. De rage et de douleur, il s'en va, boitant et pleurant pitoyablement.
C'est ainsi que mon frère Kees nous revenait toujours, quand nous étions petits. Ce sensuel petit Kees, il avait d'admirables larmes, grandes et limpides comme des perles de rosée.
En me retirant de la fenêtre, j'aperçus ma figure dans l'espion. Ma bouche était contractée, mes yeux en pleurs : je venais de revivre une des scènes douloureuses de notre misérable enfance. Ces scènes, dont nous sortions honnis et maltraités, étaient toutes provoquées par notre pauvreté, car, quand c'est pour le plaisir, ce sont toujours les déguenillés que l'on rosse.