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Jours de famine et de détresse: roman

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AH! VOUS AVIEZ DES «KWARTJES!»[5]

[5] Kwartje : un quart de florin.

Nous étions très familiarisés avec la faim, et ma mère avait même appris à la manier de façon assez dangereuse.

Un soir, nous étions assis autour d'un bon feu de tourbes : comme nous avions demandé des secours, on nous avait donné des tourbes. De toute la journée, nous n'avions eu d'autre nourriture qu'un petit pain de dix «cents», que ma mère avait partagé en neuf tranches. Elle avait le bébé au sein, et nous causions de ce que nous aurions acheté à manger si nous avions eu un florin.

On frappe à la porte ; je cours ouvrir ; un Monsieur s'arrête à l'entrée.

— Restez donc, petite femme, dit-il gentiment à ma mère ; vous êtes assise avec tous vos enfants autour du feu? Voici…

Il me remet une pièce d'un florin et part. Je voulais tout de suite chercher ce dont nous avions parlé : du pain, du café, et des harengs saurs, quand ma mère me dit :

— Donne le florin.

Je le lui donnai, et elle me passa trois pièces d'un «kwartje». Je regardais, stupéfaite, ces pièces, et levant le regard vers elle :

— Ah! fis-je, vous aviez des «kwartjes»?

Elle baissait les yeux en rougissant.

— Oui, tu sais, ces six aunes d'indienne que j'ai reçues de Madame… Eh bien, il me manque quatre aunes pour faire une robe. Cela coûte un «kwartje» l'aune : on a le même dessin au Nieuwendyk. J'ai épargné pour les acheter ; avec ce florin, j'irai les chercher demain.

Je restais hébétée, en répétant :

— Ah! vous aviez des «kwartjes», des «kwartjes»!

— Allons, morveuse, va chercher du pain.

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