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L'art d'aimer les livres et de les connaître: lettres à un jeune bibliophile

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II

Q UOIQUE vous soyez encore bien jeune, mon ami, pour aimer à collectionner,—il paraît que ce goût est le privilège de l'âge mûr et de la vieillesse,—je vous vois acheter, acheter encore, sans relâche, acheter toujours des volumes qui viennent rapidement remplir votre bibliothèque. Savez-vous que je suis presque effrayé de cette ardeur fiévreuse. Prenez garde, croyez-moi, d'arriver bientôt à l'encombrement, je dirais presque à la satiété. J'espère bien plutôt vous trouver un jour, qui n'est peut-être pas éloigné, vous faisant, en face de votre amas de livres, ces réflexions assez naturelles: «Que vais-je faire de tout ce fouillis? Comment vais-je le classer? Qu'y a-t-il de bon dans tout cela? Combien de volumes m'intéressent vraiment, au milieu de ces rayons pleins à double ou triple étage? Où vais-je loger les bons et beaux ouvrages que je dois acheter désormais? Car enfin je ne vais pas m'arrêter en si beau chemin, et puisque je suis pris de la noble passion des livres,—je suis dans un âge où il faut donner aux passions un libre cours,—je veux marcher en avant dans cette voie charmante que je me suis tracée. Mais je suis menacé d'un engloutissement complet, d'une asphyxie terrible, sous des avalanches de bouquins, qui me suffisaient au temps de mon inexpérience, mais qui m'offusquent aujourd'hui. Je commence à éprouver le besoin de respirer largement. Mes poumons et mes goûts de bibliophile demandent désormais une atmosphère plus pure. Il faut élaguer, épurer, trier, rejeter tout ce qui est inutile ou nuisible dans ma bibliothèque. Allons, à l'œuvre! et du courage! Soyons impitoyable pour les mauvais livres, même pour les livres médiocres! Place aux bons! je ne veux plus désormais avoir que de ceux-là. Et s'il ne me reste enfin qu'un volume sur dix ou vingt, ce sera bien, j'aurai eu de l'énergie; s'il ne m'en reste qu'un sur cent ou même sur mille, ce sera encore mieux, j'aurai fait preuve de goût, car ce serait déjà merveilleux si parmi les innombrables productions du cerveau humain, les bons ouvrages existaient même dans cette dernière proportion. Puisque j'ai acheté jusqu'ici sans discernement, il est temps que j'expie ma faute, et je ne veux désormais agir qu'avec prudence, en bibliophile éclairé.»

Bonnes résolutions, mon cher ami! qui nous viennent toujours tôt ou tard, en cela comme en bien d'autres choses, et que nous avons un certain mérite à mettre en pratique. Car il faut avoir une grande volonté pour vaincre ses habitudes, surtout les mauvaises!... Ainsi je vous engagerai à ne pas trop vous abandonner à votre caractère indécis, et à vous tracer à l'avance un but en bibliophilie, comme vous devez en avoir un dans votre existence morale. Dites-vous: «Je veux que ma bibliothèque ait tel ou tel caractère et que tous les ouvrages qui la composeront concourent à lui donner ce caractère-là.» Vous avez, par exemple, un goût très prononcé pour la littérature et les beaux-arts, plutôt que pour les sciences, ou la théologie, vous devrez vous attacher à donner à votre bibliothèque un caractère littéraire et artistique; et ces deux séries formeront à elles seules une réunion importante d'ouvrages, autour desquels vous pourrez encore grouper quelques volumes d'un autre genre, qui auront un peu de rapport avec ceux-là. Les livres de théologie, de jurisprudence, de mathématiques, de sciences exactes quelconques, pourront sans inconvénient n'y être que faiblement représentés, si là n'est pas votre goût. Mais vous serez toujours forcément obligé d'y admettre un certain nombre d'ouvrages d'histoire, de voyages, de biographie, qu'il est agréable de pouvoir consulter de temps en temps, sur des faits, des hommes, ou des pays, auxquels les autres livres nous reportent nécessairement.

Que d'autres amateurs, tout aussi éclairés, mais ayant des goûts différents, achètent presque exclusivement des livres de sciences, ou des livres religieux, ou des livres de droit, c'est leur affaire, et ils ont aussi bien raison que vous. Ce doit même vous être une satisfaction, car vous n'êtes pas exposé à les avoir pour rivaux dans vos acquisitions. Mais que leurs conseils ne vous fassent pas vous écarter du but que vous poursuivez, de même que vos raisonnements, si persuasifs qu'ils fussent, n'arriveraient pas à les détourner eux-mêmes de leurs idées! Nous n'avons ni les uns ni les autres, que diable! la manie d'être universels; et le bibliophile qui aurait la prétention de former une bibliothèque complète, ou seulement d'avoir tous les livres intéressants, me paraîtrait assez semblable aux gens qu'on appelle des paniers percés et qui se figureraient avec leurs bienheureux paniers arriver un jour à réunir la fortune de Rothschild; il me semblerait attelé à un travail pareil à celui d'une dame de l'antiquité qu'on appelait Pénélope, ou encore au labeur fatigant et peu récréatif de ces demoiselles de la fable qu'on nommait les Danaïdes.

J'espère bien, mon ami, que ce n'est pas la prétention dont je viens de parler qui vous conduit à vous encombrer ainsi de bouquins, et je vous attends au jour prochain de l'épuration.

Je sais bien que votre éducation est encore à faire sur ce point, et que vous ne pouvez devenir en quelques semaines ou même en quelques mois docteur ès sciences bibliographiques; que vous ne pouvez pas, en si peu de temps, avoir appris à connaître les bonnes éditions, les volumes rares et précieux, les reliures des différentes époques, les provenances, etc., quand il y a des gens, même du métier, qui s'occupent de tout cela depuis quarante ou cinquante ans, et qui n'y connaissent pas encore grand'chose. Mais avec votre intelligence et vos aptitudes naturelles, avec votre goût passionné pour les beaux et bons livres, vous devez «doubler vos classes» et arriver en peu de temps à de grandes et sérieuses connaissances bibliographiques.

Vous trouverez peut-être bien puéril le conseil que je vais vous donner, d'acquérir sans retard les principaux ouvrages de bibliographie et de les consulter invariablement lorsque vous désirez acheter un volume qui vous a plu; car vous possédez sans doute déjà quelques-uns de ces ouvrages. Mais je l'ignore et je vais vous les citer, comme si vous n'en connaissiez aucun.

Je mets en première ligne, comme le plus important, le plus sérieux de tous, le Manuel du libraire et de l'amateur de livres, de Jacques-Charles Brunet, qui en est à sa cinquième édition, datée de 1860-1865, la seule que je vous recommande, en attendant la sixième, que des continuateurs de Brunet ne tarderont sans doute pas à donner, pour mettre ce livre au courant des découvertes nouvelles, et aussi des goûts nouveaux. Cet ouvrage, véritable monument de patience et d'érudition, est indispensable à tout amateur sérieux; et malgré les imperfections et les erreurs, très rares du reste, que l'on ne peut manquer de rencontrer par-ci par-là, dans un ouvrage de descriptions et de recherches, contenant pas moins de six gros volumes grand in-8º, de plus de dix-huit cents colonnes chacun, ce livre est jusqu'ici le plus complet et le mieux compris qui existe sur ce sujet. Si vous ne l'avez pas, je vous engage à en faire de suite l'acquisition.

A l'époque où J.-Ch. Brunet rédigeait et publiait son Manuel, la mode en bibliophilie était différente de ce qu'elle est aujourd'hui. Ainsi il y a tels ouvrages, assez nombreux, du XVIIIe siècle, illustrés de gracieuses et légères figures, que l'on ne prisait guère alors, et qui sont arrivés aujourd'hui à atteindre des prix fabuleux, disputés qu'ils sont par un grand nombre d'amateurs. L'auteur du Manuel du libraire, d'accord du reste avec les bibliophiles de son temps, traite ces ouvrages assez dédaigneusement et ne leur attribue qu'une valeur presque infime. En cela je ne puis le blâmer; car ce qui devrait être le meilleur dans un livre c'est le fonds, c'est le texte; et franchement le texte des ouvrages en question, le fonds, la partie importante enfin, manque absolument de style, de talent, d'idées et de littérature.

La nouvelle génération d'amateurs qui s'est formée depuis dix ou quinze ans, a décidé que la plupart des livres du XVIIIe siècle méritaient d'être recherchés, pour la grâce et le charme de leurs illustrations. On ne peut pas empêcher la mode de régner en maîtresse là comme ailleurs, et d'imposer sa loi aussi bien en ce qui est du domaine de la curiosité qu'en ce qui regarde la toilette, le goût, les idées, même la morale. On ne peut pas l'arrêter, cette déesse capricieuse, dans sa course à travers les siècles, qu'elle parcourt comme un papillon impatient passe à travers l'espace azuré, en laissant autour de lui la légère fraîcheur de ses ailes agitées et un scintillant reflet de ses riches couleurs. Et la légèreté, la grâce de ce papillon nous séduit, nous charme tous, qui que nous soyons, de même que quel que soit notre caractère, sérieux ou triste, gai ou morose, nous arrivons tous à sacrifier un jour ou l'autre à cette divinité entraînante et fantasque.

La mode donc, ayant de nos jours mis en lumière les ouvrages illustrés du XVIIIe siècle, on s'est empressé de fabriquer, trop à la hâte peut-être pour qu'ils soient parfaits, des ouvrages spéciaux pour décrire ces sortes de livres. Je vous recommanderai d'avoir le Guide de l'amateur de livres à figures du XVIIIe siècle, par Henry Cohen, dont une quatrième édition a paru l'année dernière. Il ne faudra pas toutefois vous figurer que cet ouvrage soit sans défaut et qu'il faille s'y fier aveuglément. Non, il faut même le consulter avec une certaine réserve, car on y trouve d'assez nombreuses inexactitudes, qui, je l'espère, seront un jour corrigées, et surtout des omissions. Mais il n'en est pas moins très utile et donne d'excellents renseignements sur un grand nombre de livres à figures.

Il ne faut pas manquer de vous munir aussi des Supercheries littéraires dévoilées, de Quérard, et du Dictionnaire des anonymes et pseudonymes, de Barbier, ces deux ouvrages indiscrets, qui vous feront connaître, à votre grande joie, des noms véritables d'écrivains que ces pauvres diables avaient pris tant de peine à cacher. Une nouvelle édition vient d'être publiée depuis quelques années, par MM. Gustave Brunet et Pierre Jannet pour le premier de ces ouvrages, et par MM. Olivier Barbier, René et Paul Billard, pour le second. C'est celle-là que je vous recommande comme très soignée et beaucoup plus complète que toutes les autres.

A côté de ces trois grands ouvrages, qui résument à peu près tout l'historique des livres depuis le commencement de l'imprimerie, surtout si l'on y ajoute des ouvrages de bibliographie moderne comme la Bibliographie romantique de Ch. Asselineau, il est utile d'avoir le recueil intéressant de Otto Lorenz, Catalogue général de la Librairie française, dont plusieurs volumes ont déjà paru, depuis 1867 à nos jours. Vous y trouverez décrits brièvement ou cités, par ordre alphabétique d'auteurs, tous les livres parus depuis 1840 environ. Je vous engagerai à acheter encore un modeste volume de renseignements pratiques, que l'on appelle Connaissances nécessaires à un bibliophile. Cet ouvrage qui a pour auteur et pour éditeur Édouard Rouveyre, est rempli de détails sur tout ce qui a rapport aux livres, leur fabrication, leur format, leur impression, leur papier, leur reliure, etc., et vous y trouverez d'excellents conseils sur tout ce qui vous intéresse aujourd'hui que vous voilà décidément bibliophile. Ce petit manuel pratique en est, à l'heure qu'il est, à sa troisième édition, qui n'a pas suivi de loin la première, malgré les corrections et augmentations que l'auteur a dû y faire.

Je pourrais vous citer aussi comme bons à acquérir différents autres ouvrages de bibliographie spéciale ou particulière, dont j'aurai prochainement l'occasion de dire quelques mots. Aujourd'hui je me tiens dans les généralités. Et quand je vous aurai parlé du Repertorium bibliographicum, de Hain, dans lequel sont décrits de nombreux volumes des premiers temps de l'imprimerie, des incunables enfin, ouvrage dont je vous conseillerais l'achat, si vous aviez le désir de réunir un certain nombre de ces raretés typographiques, je terminerai ma lettre en vous souhaitant beaucoup de chance dans vos recherches, un peu moins de fol enthousiasme pour ce qui est bouquin, et un peu plus de goût et de méthode dans vos acquisitions.


III

A UJOURD'HUI que tout le monde est en vacances, et que vous-même vous paraissez moins disposé à songer aux livres qu'aux délices de la villégiature, vous me permettrez bien, mon cher ami, de faire trêve un instant à mes arides citations bibliographiques. J'éprouve le besoin de flâner un peu, tout en ne négligeant pas le cher sujet qui nous occupe l'un et l'autre. Flânons donc, si vous voulez. Philosophons, sentimentalisons.

Je vous raconterais bien, si cela pouvait vous intéresser, comment je suis devenu le bibliophile passionné que vous connaissez; mais c'est tout un roman, et vous pourriez en trouver le récit aussi long que peu amusant. Je n'en prendrai que la conclusion, qui est celle-ci: «Souvent l'amour des livres suit de près ou aspire à remplacer un autre attachement, plus charmant sans doute, mais aussi beaucoup plus fragile, lorsque ce sentiment vient à être détruit par une cause quelconque.»

Il est probable, mon ami, que vous avez dû éprouver, comme moi, comme nous tous, au moins une fois dans votre vie, quoiqu'elle soit très courte encore, une désillusion, un chagrin d'amour, une douleur de famille, une tristesse poignante enfin. Vous avez versé d'abondantes larmes, si vous pleurez facilement; vous avez souffert en silence d'une façon bien cruelle, si vous n'avez pas les larmes faciles; vous avez peut-être crié, tempêté, blasphémé, si vous êtes d'une nature violente. Et puis, un jour le calme est revenu peu à peu, la mélancolie a remplacé tout doucement la tristesse, vous avez senti le besoin de vous souvenir et d'occuper un peu votre âme endolorie. Je parierais qu'à ce moment-là vous avez pris un livre, dans lequel vous avez cherché, sinon une distraction, qu'on ne cherche guère quand on souffre, au moins une occupation apparente, ne fût-ce que pour forcer les indifférents à vous laisser en paix. Vous avez lu d'abord machinalement, en pensant à votre chagrin; puis quelques mots au hasard vous ont frappé, vous y avez apporté un peu d'attention, vous avez relu ce que vos yeux n'avaient pas aperçu d'abord; enfin, vous avez pris quelque intérêt à votre volume et vous l'avez au moins parcouru sérieusement. Le temps a passé ainsi d'une façon assez rapide. Vous vous êtes mis à rêver presque autant à votre lecture qu'à votre douleur: s'il était tard, vous vous êtes sans doute endormi en songeant à l'une et à l'autre, et votre pauvre cœur a été aussi un peu soulagé.

Je suis persuadé qu'elles sont fréquentes ces sortes de guérisons de l'âme par la lecture; et si l'on s'en rendait bien compte, le nombre des bibliophiles augmenterait dans de grandes proportions. Ils auront beau faire, ces médecins du corps, que l'immortel Molière a si spirituellement ridiculisés ... tout en suivant leurs prescriptions; ils auront beau se dire possédés de la science infuse, qu'ils soient astrologues ou alchimistes, physiologistes ou pathologistes, homéopathes ou allopathes, phlébotomistes ou hydropathes, énergiques ou expectants, qu'ils viennent du nord ou du midi, des extrémités de l'équateur ou des limites des pôles, qu'ils aient étudié à Paris ou à Pékin, en France ou en Amérique, qu'ils soient disciples d'Hippocrate ou de Galien, d'Ambroise Paré ou d'André Vesale, de Nélaton ou de Claude Bernard, ils ne réussiront jamais à guérir le mal qui a son siège profondément caché au fond du cœur, et qui a pour cause une douleur morale, une déception ou un chagrin quelconque.

Et je mets en fait que la méthode de traiter un grand chagrin par l'essai de la lecture d'un ou de plusieurs livres intéressants a produit de nombreux et merveilleux effets.

En voulez-vous une preuve, entre mille? Si intime qu'elle soit, vous me la pardonnerez. Elle me fournit l'occasion de parler d'une de mes plus chères amitiés, je ne laisserai pas échapper cette occasion, au risque d'être accusé par vous de prolixité.

Un de mes amis donc, Gustave B..., que vous connaissez, une nature loyale et dévouée, un homme doué d'un doux et joyeux caractère, avait perdu il y a quelques années son père, pour lequel il avait une véritable adoration. La mort avait été subite et la nouvelle était venue foudroyer ce pauvre fils au milieu d'une intime réunion joyeuse comme lui. A partir de ce moment douloureux, mon pauvre ami était tombé dans une tristesse mortelle. Une prostration presque complète pendant le jour était suivie de longues nuits d'insomnie, pendant lesquelles il souffrait d'affreuses tortures morales et physiques. Ceux qui lui étaient dévoués avaient bien fait leur possible pour apporter des consolations à cette pauvre âme brisée. Amis et amies avaient employé en vain pour le soulager toutes les ressources de leur affection. Il en était arrivé à ne plus voir personne, et s'enfermait en donnant l'ordre d'éconduire qui que ce fût. Moi-même, un compagnon de jeunesse et de joie, comme aussi un compagnon fidèle de souffrance et de malheur, je n'avais plus que très difficilement accès auprès de lui. J'avais fini par lui envoyer un jour, sous enveloppe, avec une lettre des plus affectueuses, cette seule strophe d'un poète qui a bien su, hélas! ce que c'était que la souffrance.

Oh non! je n'irai pas, sous son toit solitaire,
Troubler ce juste en pleurs, par le bruit de mes pas
Car il est, voyez-vous, de grands deuils sur la terre,
Devant qui l'amitié doit prier et se taire.
Oh! non, je n'irai pas!

Ces vers que le pauvre Hégésippe Moreau avait dû écrire dans une circonstance analogue à celle où je me trouvais, me semblaient si bien appropriés à la situation, qu'ils m'avaient vivement frappé.

Le lendemain je reçus une réponse de mon malheureux ami (c'était la première fois qu'il répondait depuis son chagrin). Après m'avoir remercié, il me suppliait de lui dire de suite d'où venaient les beaux vers que je lui avais adressés, et il exprimait le désir de lire la pièce tout entière. Je m'empressai non seulement de lui copier en entier la Fauvette du Calvaire, mais encore je lui portai le recueil entier du poète, le Myosotis, et j'y joignis à tout hasard les Méditations de Lamartine. Cette fois, mon ami m'accueillit avec la même tristesse rêveuse et froide, mais avec moins de sauvagerie. Il me pria même de lui lire la pièce d'où j'avais tiré la strophe que je lui avais envoyée. Pendant que je lisais, avec une bien grande émotion, je l'avoue, des larmes, d'abord furtives et ensuite plus libres et plus abondantes, s'échappaient de ses yeux. Bientôt sa douleur éclata, et aux dernières strophes il s'élança dans mes bras, en poussant des gémissements à fendre le cœur. Il était sauvé, mais pas encore guéri; il pouvait pleurer, c'était déjà beaucoup.

Au bout de quelques jours il m'écrivit une lettre touchante, dans laquelle il me remerciait avec effusion de lui avoir donné des volumes, qui, disait-il, lui avaient fait un bien infini, avaient relevé son âme prête à se laisser décourager, et avaient apporté un grand soulagement à son chagrin. Il me priait de lui choisir quelques autres livres et de venir les lui porter moi-même, parce qu'il avait le désir de causer longuement avec moi.

J'y courus le jour même, accompagné de plusieurs volumes, des poésies de Lamartine, de Victor Hugo, d'Alfred de Musset, des Paroles a'un Croyant, de Lamennais, de l'Amour, par Michelet, d'un volume d'Edgar Quinet, d'un volume de Taine, d'un volume de voyage de Théophile Gautier, etc. Ce pauvre B... me reçut avec une affectueuse cordialité, et me pria de venir le voir tous les jours, pour l'aider de mon amitié à supporter sa douleur; je ne manquai pas à ces amicales visites.

Malheureusement, à peine commençait-il à se remettre, qu'un chagrin d'une autre nature vint de nouveau troubler son cœur, bien malade encore. Il apprit un jour qu'une jeune fille qu'il aimait tendrement depuis longtemps, et qu'il avait peut-être le secret espoir d'épouser, quoiqu'il ne l'avouât pas ou qu'il ne s'en rendît pas compte lui-même, venait d'être fiancée et allait se marier dans quelques mois. Dire quelle fut son émotion serait impossible. J'étais près de lui au moment où il reçut cette nouvelle: il devint tout à coup d'une pâleur mortelle, un tremblement nerveux s'empara de lui, et il resta pendant plusieurs minutes sans pouvoir parler; j'eus une peur affreuse, je croyais qu'il allait mourir.

Enfin, au bout d'un quart d'heure, lorsqu'il put respirer, il me prit la main et me la serrant convulsivement: «Je puis te dire adieu, mon bien cher ami, me dit-il d'une voix étouffée, car je suis perdu, je ne survivrai pas à cette nouvelle douleur. J'avais mis dans mon attachement pour cette enfant, tout ce que mon cœur contenait de tendresse, d'amour, de pureté, de générosité, d'espérance enfin. Maintenant, c'est fini, deux de mes plus chères affections viennent de m'être enlevées depuis quelques mois, il ne me reste plus qu'à mourir et j'espère que cela ne tardera pas.»

Malgré tous les efforts que je fis pour le consoler un peu, il resta plusieurs jours dans un état déplorable. Je craignais de ne pouvoir le sauver. Tout à coup, je me rappelai l'effet qu'avaient produit sur lui les vers que je lui avais envoyés quelques mois auparavant, et j'eus l'idée d'employer de nouveau le même moyen de salut. En causant avec le pauvre garçon, dont la tristesse était désespérante, je pris négligemment un des volumes que je lui avais apportés depuis quelque temps déjà, et je me mis à lire, en ayant l'air de ne prendre que peu d'intérêt à la conversation.

—Tu ne m'écoutes plus, je t'ennuie, me dit ce pauvre B..., avec un ton de triste reproche; je le comprends, la société d'un homme chagrin et morose comme moi n'est pas bien agréable.

—Mon cher ami, tu te trompes parfaitement, malgré ta perspicacité habituelle; je suis loin de m'ennuyer près de toi. Mais pardonne-moi un moment de distraction, je lisais de si jolis vers à l'endroit où j'ai ouvert ce livre, que j'ai voulu achever la pièce. Maintenant, si tu veux causons.

Et je fermais le livre, tout en me rappelant bien la page où j'avais lu.

Les gens qui souffrent, soit moralement, soit physiquement, sont naturellement curieux; aussi mon cher B..., ne me tint pas quitte ainsi.

—Quels étaient ces vers? me demanda-t-il. Crois-tu qu'ils m'intéresseraient?

—Oh oui! j'en suis sûr.

—Veux-tu me les montrer? Je ne lis plus depuis que j'ai tant de chagrin. D'ailleurs je n'ai plus de goût pour rien, même pour la lecture.

Je saisis promptement l'occasion, comme on le pense bien, et voici les vers que je lus à mon pauvre malade:

Quand on est petit, on lit pour apprendre;
Pour se souvenir on lit, étant vieux;
La vie est un livre écrit pour les cieux,
Qu'on relit toujours sans y rien comprendre.
Le commencement ressemble à la fin,
Comme le berceau ressemble à la tombe;
Le siècle le prend au siècle qui tombe,
Pour le repasser à l'autre, demain.
Ainsi va le monde autour de ce livre.
Puisqu'il faut apprendre avant de mourir,
Lisons doucement pour nous souvenir,
Car le souvenir aide l'homme à vivre.
Que chaque feuillet du livre éternel
Nous compte des jours passés en prière.
Puisqu'il faut laisser le corps à la terre,
Que l'âme ait les yeux ouverts sur le ciel!

Ces vers, écrits par un jeune poète, Léon Séché, sur un exemplaire d'Évangeline, de Longfellow, étaient si bien de circonstance, que j'avais cru ne pouvoir trouver mieux, pour appuyer le conseil que je voulais donner à mon triste ami, de tâcher de lire pour se distraire. Il me demanda, en effet, de les lui répéter deux fois, et ensuite il me promit d'en lire lui-même un certain nombre d'autres tous les jours.

Il dut tenir sa parole, car, peu de temps après, il me priait de lui prêter de nouveaux volumes, poésie et prose, me disant qu'il voulait lire beaucoup.

Bien plus, au bout de quelques semaines, il se décida à acheter un bon nombre de livres, que je lui aidai à choisir, et peu à peu, en continuant ses acquisitions, il est arrivé à posséder une des bibliothèques les plus intéressantes (cela ne veut pas dire les plus chères ni les plus volumineuses) que l'on puisse trouver.

Il y a quelque temps, je m'étais hasardé à lui parler un peu de ses chagrins, j'avais même fait une allusion amicale à ses anciennes amours, tout en ménageant délicatement la susceptibilité de ce grand et excellent cœur: «Oh! mon cher ami! s'écria-t-il, prends bien garde, tu remues des cendres encore bien chaudes, que les larmes n'ont pas encore entièrement noyées. C'est égal, toutes mes passions, toutes mes affections ont été pour moi des sources de souffrances. Seule, la passion des livres,—car, j'en suis possédé de plus en plus, grâce à toi,—ne m'a procuré que des satisfactions et des consolations. Aussi tu vois que je m'y suis consacré d'une façon assez sérieuse. J'ai trop souffert, comme tu le sais, pour songer désormais à me marier; restant seul ainsi, je pourrai employer une partie de ma fortune à acheter des livres. Puisque mon plus grand plaisir maintenant est de lire, je veux donner à mes nouveaux et mes plus stables amis une large place dans ma demeure.»

Chaque fois que je le rencontre, ce cher Gustave, il me parle chaleureusement de ses lectures et de sa bibliothèque; il cite encore avec mélancolie des noms chers autrefois, mais il ne paraît plus disposé à mourir.

Ma lettre d'aujourd'hui ne vous aura pas égayé, mon ami, mais elle vous aura prouvé que l'amour des livres et de la lecture n'est pas un sentiment ou un goût vulgaire, et qu'on peut souvent y trouver de sérieuses consolations. Un grand bibliophile, Pixerécourt, avait fait imprimer cette maxime dans tous les ouvrages de sa bibliothèque: «Un livre est un ami qui ne change jamais.» Sans admettre cette pensée mot à mot, car on peut faire observer que le mot changer n'est peut-être pas ici toujours exact, puisque l'ami en question change de temps en temps de ... propriétaire, et aussi quelquefois de reliure, j'y trouve cependant une idée profonde et philosophique qui me plaît beaucoup. Je préférerais, je l'avoue, cette devise ainsi modifiée et plus vraie: «Un livre est un ami qui ne trahit jamais.»

Oui, les livres sont des amis, des compagnons dévoués; et ils ont cet avantage sur les autres,—je ne dis pas cela pour vous, mon cher ami,—que, quelle que soit notre humeur, la disposition de notre esprit, ils nous offrent toujours, avec le même calme et la même fidélité, des conseils et des distractions aux misères et aux douleurs de la vie.

Et vous ajouterez, vous, en faisant allusion à cette longue lettre, que vous avez bien été obligé de lire jusqu'au bout: «Au moins, ces amis-là, on a le droit de ne pas les lire, quand leur prose vous ennuie.» N'est-ce pas que j'ai raison?


IV

D ANS une lettre précédente, je vous donnais le conseil de n'acheter qu'à bon escient les livres qui vous sont utiles ou qui peuvent procurer une satisfaction durable à votre esprit de bibliophile. Je vous faisais presque un reproche de l'empressement que vous mettiez à encombrer vos armoires. Qu'allez-vous donc me répondre aujourd'hui, quand j'aurai continué à vous énumérer une série d'ouvrages bibliographiques,—assez encombrants,—que je vous engage à acquérir?

Les volumes de cette nature sont, il est vrai, de bonne composition et vous pouvez, sans le moindre inconvénient, les reléguer dans un casier ouvert de votre cabinet de travail. Vos bibliothèques n'en souffriront donc pas; je dis plus: ces ouvrages seront beaucoup mieux là que dans un meuble fermé. Vous pourrez les consulter plus facilement.—Ne les mettez pas loin de la portée de votre main, afin de pouvoir les prendre sans trop vous déranger. Il existe maintenant des casiers tournants à quatre faces, qui vous rendront, dans ce cas, de vrais services.

Revenons à notre énumération.

En fait de bibliographies spéciales, je vous ai cité le Guide de l'amateur d'ouvrages illustrés du XVIIIe siècle, par Henri Cohen. Il est bon d'avoir, à côté de cet ouvrage, le volume du baron Roger Portalis, intitulé les Dessinateurs d'illustrations au XVIIIe siècle. Vous, mon ami, qui recherchez les bons dessins et les belles gravures, vous lirez avec fruit et avec satisfaction ce livre intéressant, écrit avec esprit et simplicité, par un amateur éclairé, homme du monde et agréable écrivain.

M. le baron R. Portalis a publié depuis, en collaboration avec un autre amateur, Henri Draibel (M. Henri Béraldi), les Graveurs du XVIIIe siècle, gros ouvrage en 3 volumes in-8º, plein de renseignements sur l'art gracieux de l'époque de Louis XV et de Louis XVI. Les graveurs qui se sont adonnés plus particulièrement à l'illustration des livres y occupent une large place.

Comme vous le savez sans doute, puisque vous suivez les ventes publiques de livres, on recherche beaucoup depuis plusieurs années les ouvrages du XVIIIe siècle. On en était même arrivé, il y a peu de temps encore, à faire de véritables folies pour posséder quelques-uns de ces livres illustrés, que les amateurs (même ceux d'aujourd'hui) traitèrent avec tant de dédain pendant un demi-siècle au moins. Mais, comme l'exprime aussi brièvement que clairement un proverbe français, «tout lasse, tout casse, tout passe.» Les bibliophiles, même les plus riches, se sont lassés de couvrir d'or certains livres du XVIIIe siècle, qui n'ont pour tout mérite que de gracieuses illustrations. D'ailleurs la plupart des grands amateurs étaient arrivés à les posséder. Et comme l'élévation des prix en avait fait sortir un bon nombre des greniers poudreux ou des bibliothèques délaissées, la rareté n'existant plus au même degré, les prix de tous ont nécessairement baissé un peu.

D'un autre côté, les bibliophiles nouveaux, non encore habitués à voir le Pactole rouler ainsi ses flots d'or autour de quelques livres ornés de gravures, ont commencé par acheter avec prudence, en tâtant un peu le terrain, qui leur semblait tant soit peu mouvant. Ces néophytes sont sans doute les grands bibliophiles de l'avenir, mais, pour le moment, ils se contentent de livres modestes, qu'ils trouvent à des prix raisonnables. Et ils attendent des temps plus doux pour acquérir les volumes illustrés que la mode actuelle a trop surfaits.

Chose digne de remarque et qui m'a souvent donné l'occasion de philosopher, le goût des amateurs de toutes sortes tend aujourd'hui à se rapprocher des objets de fabrication plus récente, soit en meubles, soit en objets de luxe de différente nature, soit en livres. Nous devenons positifs et pratiques; et aucune époque n'ayant, comme la nôtre, travaillé au point de vue des besoins matériels et du bien-être, nous fixons nos désirs sur les objets de toute nature, qui peuvent le plus contribuer à remplir ce but. Et comme notre époque n'est pas douée d'une imagination merveilleuse, nous nous bornons à faire imiter les objets des siècles passés, mais en laissant l'industrie moderne y donner son cachet utilitaire.

Or, les livres du XIXe siècle sont eux-mêmes imprimés dans des formats plus commodes; le papier est plus beau, au moins en apparence, et souvent plus fort; les caractères d'impression sont plus nets et moins fatigants pour les yeux. Et les bibliophiles nouveaux prennent tout cela en sérieuse considération. Ces livres coûtent aussi moins cher que les beaux livres anciens, autre considération tout aussi sérieuse que la première. Les amateurs se sont donc mis à acheter les livres du XIXe siècle.

De là l'idée de rédiger quelques guides, pour reconnaître les bons et beaux ouvrages de notre époque. C'est ce qui a donné naissance à divers ouvrages particuliers, comme la Bibliographie (et Iconographie) de l'œuvre de Béranger, volume très bien fait, dont l'auteur, M. Jules Brivois, est un fanatique du grand poète chansonnier et possède la plus belle collection connue de toutes ses éditions.

Nous avons vu ensuite paraître successivement des bibliographies spéciales pour les œuvres de Victor Hugo, H. de Balzac, Alexandre Dumas, Pétrus Borel, rédigées avec soin par M. Ad. Parran, soit sous son nom, soit sous la signature: «Un bibliophile cévenol.» La Bibliographie des œuvres d'Alfred de Musset, minutieusement établie par M. Maurice Clouard, nous fournit sur les livres du poète des détails curieux et fort peu connus. La bibliographie des ouvrages de Théophile Gautier a été bien faite par M. Maurice Tourneux.

Il y a quelques années, M. Paul Lacroix avait dressé la Bibliographie Moliéresque, l'Iconographie Moliéresque, la Bibliographie Cornélienne, volumes importants et remplis de détails curieux. M. Bengesco avait déjà publié l'année dernière la Bibliographie des œuvres de Voltaire, ouvrage de patience et de recherches difficiles, consciencieuses, non exempt, certes, de fautes et d'erreurs, mais utile à consulter. M. Louis Dangeau (Louis Vian) avait publié aussi la Bibliographie des œuvres de Montesquieu, très bien rédigée. Un bibliophile aussi modeste que distingué a commencé la publication anonyme d'une série de bibliographies par la Bibliographie et iconographie des œuvres de Regnard, en un excellent petit volume paru en 1878. On attend impatiemment les autres.

La science bibliographique est entrée de nos jours dans des détails si précis, qu'on publie non seulement des traités spéciaux à chaque écrivain, mais encore des monographies relatives aux différentes éditions d'un seul ouvrage.

C'est ainsi que M. Henry Harrisse, l'auteur d'un grand et excellent traité intitulé Bibliotheca Americana, nous a donné la Bibliographie de Manon Lescaut, étude dont la seconde édition a paru avec des modifications et des augmentations, en 1877. Je vous recommande ce livre, si vous avez le désir d'acheter un jour ou l'autre une édition originale, ou rare, ou remarquable, de l'immortel roman de l'abbé Prévost.

Un petit livre moderne, tout spirituel et gracieux, a eu l'honneur d'être ainsi monographié. Ce sont les Contes Rémois, de M. de Chevigné. Une Bibliographie des Contes Rémois, a paru en 1880, rédigée avec soin par le Dr Bougard.

Pour moi, j'avoue que je préfère de beaucoup à tous ces manuels pleins de recherches si minutieuses, presque byzantines, un volume que j'ai lu avec un charme infini, et dans lequel j'ai trouvé, en dehors d'un style de maître, des aperçus délicieux et des réflexions remplies de bon sens, sur les livres et sur les bibliophiles. Je vous cite le titre de cet ouvrage en dernier lieu, vous recommandant tout particulièrement de l'acquérir. Il est intitulé: le Livre et la petite bibliothèque d'amateur, par M. Gustave Mouravit.

Vous trouverez dans une superbe publication périodique, le Livre, publié par M. Quantin, sous la direction de M. Octave Uzanne, de très intéressants documents sur tout ce qui se rapporte au monde littéraire, aux livres et aux bibliophiles. L'art de former une bibliothèque, par Jules Richard, petit volume paru chez Rouveyre et Blond, est d'une lecture attrayante.

Plusieurs ouvrages plus ou moins spéciaux seraient aussi utiles à consulter de temps à autre, pour quiconque tiendrait à ne pas se tromper,—ou à se tromper le moins possible. Par exemple, des traités sur diverses collections typographiques comme celles des Alde, des Estienne, des Elzevier. Je vous parlerai de tout cela en temps opportun. Et puis franchement, mon ami, il ne faut pas sacrifier trop de temps à étudier tous les ouvrages de bibliographie. Vous finiriez par devenir trop expert en l'art de connaître les livres, et telle est bizarre notre nature, qu'il y a beaucoup à parier qu'alors vous commenceriez à les moins aimer. Tant il est vrai que nous éprouvons toujours un certain charme à cheminer à travers l'inconnu, et qu'il se mêle souvent une certaine satisfaction à l'ennui d'être trompé ou de se tromper soi-même.


V

M AINTENANT que vous êtes suffisamment pourvu d'ouvrages de bibliographie, d'outils de travail, de guides, en un mot, vous pourrez acheter avec plus de sécurité ce qui aura quelque attrait pour vous, ce qui vous paraîtra intéressant. Sans vouloir influencer votre goût, je vous dirai, puisque vous me le demandez, comment j'aurais procédé pour former ma bibliothèque, si la Fortune avait daigné me favoriser, et comment on peut agir pour composer une collection intéressante, lorsqu'on est dans une situation relativement modeste.

Avant tout permettez-moi de vous rappeler ce que Jules Janin a dit de sensé, de nouveau et d'intéressant dans un petit livre fort joli, et bien écrit, mais dont le principal mérite est d'être rare: l'Amour des livres: «N'achetez aujourd'hui que si vous avez lu, d'un bout à l'autre, le livre acheté il y a deux mois, il y a six semaines. Furetière demandait un jour à son père de l'argent pour acheter un livre.—«Or çà, répondait le bonhomme, il est donc vrai que tu sais tout ce qu'il y avait dans l'autre acheté la semaine passée?» C'était bien répondre.»

Je ne suis pas d'avis de prendre à la lettre le conseil du bon gros critique, qui n'a jamais dû connaître à fond la passion des livres, ni la joie intime que nous procure l'acquisition d'un volume souhaité, ni le serrement de cœur qu'on éprouve à voir passer en d'autres mains l'objet qu'on espérait obtenir.

Non certes, il n'est pas absolument indispensable de lire tous les volumes, au fur et à mesure qu'on les achète, avant d'en acquérir d'autres. Cependant l'idée de l'auteur était bonne; il a voulu évidemment mettre en garde les bibliophiles contre l'entraînement des occasions favorables et les empêcher d'encombrer leurs vitrines de livres qu'ils ne liront sans doute jamais. Et en cela il a raison. Le premier motif qui doit nous pousser à acquérir un ouvrage, c'est le désir de le lire, soit immédiatement, soit plus tard, dans des moments de loisir. Il arrive bien souvent, hélas! que ces moments-là ne viennent pas vite ou ne viennent jamais; on n'en achète pas moins toujours des livres qu'on se propose aussi de reprendre un jour, et qui, en attendant, viennent occuper à côté des autres une place d'où ils ne seront pas vite dérangés.

Mais la bibliothèque formée dans ces conditions offrira toujours de l'intérêt; car vous trouverez là, sous la main, des volumes dont le texte aura eu pour vous un certain attrait, et que vous pourrez consulter, ne fût-ce qu'un instant, si vos idées vous y conduisent ou si la conversation vous y ramène.

Eh! mon Dieu, quel est donc l'homme, si érudit qu'il soit, si universelles que soient ses connaissances, si vaste que soit sa mémoire, qui n'a pas besoin quelquefois de retremper un peu son esprit, son imagination ou sa science, dans la lecture de quelque livre de poésie, de littérature, d'histoire? S'il possède ces livres chez lui, il les ouvre juste à point pour rafraîchir sa mémoire, préciser son érudition ou même reposer son cerveau. Tandis que s'il est obligé d'attendre, de faire des démarches pour se procurer le livre, d'aller à une bibliothèque publique, son impression est perdue, l'effet bienfaisant est manqué, et la consultation de l'ouvrage devient presque inutile.

Cela conduit à engager les bibliophiles, et vous en particulier, mon ami, à choisir soigneusement les ouvrages qui doivent être en rapport avec vos goûts, avec votre situation, je dirais presque avec votre entourage.

Voilà des principes bons à suivre pour ce qui concerne les livres à lire, soit pour l'utilité soit pour l'agrément. Mais il arrive quelquefois qu'un bibliophile peut s'écarter des préceptes de Jules Janin et même de ceux qui se trouvent consignés dans la première partie de la présente lettre. C'est lorsqu'il s'agit de volumes dont le texte n'offre peut-être que peu d'intérêt, mais dont la reliure, par exemple, a un mérite artistique ou porte un chiffre, des armoiries qui indiquent une provenance célèbre, ou encore lorsqu'un personnage éminent a écrit dans ce livre des notes manuscrites qui en font une relique ou un souvenir.

Dans ce cas, le désir de la possession du livre (désir très respectable, du reste) devient une sorte de sentiment, qui est quelquefois de l'admiration, plus rarement de la piété, et bien souvent de l'orgueil, de la vanité, la satisfaction de posséder un objet qu'on montrera à des amis, à des rivaux peut-être, qui ne peuvent en trouver un autre semblable.

Bien des bibliothèques de nos grands collectionneurs modernes ont été composées évidemment sous l'influence des idées ci-dessus développées ou de ces divers sentiments. Pour moi, j'avoue que, dans mon petit cadre, j'ai eu souvent pour guide les unes, et je n'ai pas pu me défendre moi-même des autres. Ma conscience est, dans tous les cas, bien tranquille, car je suis sûr que mes bons confrères en bibliophilie ne raisonnent pas autrement. Nous autres collectionneurs, nous sommes quelquefois de grands égoïstes, pour ne pas dire de grands envieux, qui mettons notre joie à exciter chez les autres le regret de ne pas posséder l'équivalent de ce que nous possédons nous-mêmes, et qui sommes vexés de voir nos semblables agir de même à notre égard.

Après cet aveu, mon ami, si vous me conservez toujours vos sympathies, c'est que vous avez le cœur grand et l'esprit indulgent pour nos petites faiblesses, cher et aimable confrère.

Maintenant, pour vous faire oublier un peu ces méchancetés, que je viens de lancer à nos camarades et dont quelques-unes vont aller à votre adresse, maintenant, dis-je, que vous êtes des nôtres, j'entre en plein dans le cœur de mon sujet.

Vous m'avez avoué votre prédilection pour les ouvrages exclusivement littéraires, c'est-à-dire les livres de poésie, de théâtre, les romans, la critique. Je commencerai donc mon énumération par ceux-là. Cependant vous me permettrez bien, chemin faisant, de ne pas négliger entièrement les livres d'art ou d'histoire, qui ont un grand intérêt et rentreront bien dans vos goûts, j'en suis sûr.

Il y avait à peine trente ans que l'imprimerie ou plutôt la typographie était inventée, lorsqu'on publia la première édition du poète des poètes, sous le titre: Homeri opera (en grec), et avec la mention: Florentiæ, sumptibus Bernardi et Nerii Nerliorum, avec la date de 1488, édition en 2 gros volumes in-folio, imprimés en lettres rondes et non avec les caractères gothiques qui avaient été jusque-là le plus souvent employés. Si vous rencontrez un jour ces deux volumes, qui sont d'une insigne rareté, je vous engage à les acquérir, fût-ce même à un grand prix. C'est un livre précieux et une superbe édition, fort bien imprimée. Un exemplaire a atteint du reste le prix de 4,000 francs dans une vente publique des années dernières, la vente de M. Renard, de Lyon. Il fut acquis par M. Eugène Paillet.

Je vous signale ce livre de haute curiosité, comme je vous citerai le Virgile, Virgilii opera, édition princeps, que l'on croit imprimée en 1469, et portant la mention: Romæ, per Conradum Suueynheym et Arnoldum Pannartz; format petit in-folio, également en caractères ronds, dits romains. Après cela je vous laisserai momentanément tranquille pour l'acquisition des premières éditions d'auteurs anciens, et nous passerons à des ouvrages plus modestes. Il est bon d'avoir quelques-uns de ces volumes rarissimes et capitaux, que les amateurs appellent des clous de collection; mais pas trop n'en faut, croyez-moi. Laissons ces objets de musées aux grands dépôts publics, où il nous est facile d'aller les admirer, je ne dis pas les lire, car on les lit beaucoup mieux dans de belles et bonnes éditions plus récentes.

Et, comme cette lettre devient un peu longue, j'abrège et je vous dirai prochainement quels sont les ouvrages à choisir, parmi ceux de nos écrivains français qui méritent d'entrer dans une bibliothèque d'élite.

Mais auparavant je vous conseille de commencer déjà à faire le catalogue de vos livres. A mesure que vous achetez un volume, croyez-moi, inscrivez-le tout de suite sur une fiche mobile, en indiquant bien soigneusement le titre (abrégé, si c'est utile), le nom de l'éditeur et celui de l'imprimeur, la date, le format et la reliure. Si vous tardiez davantage à commencer ce travail, le nombre de vos volumes augmentant tous les jours, vous arriveriez promptement à vous décourager, voyant trop de besogne en retard. Votre bibliothèque ne pourrait qu'être en désordre, car vous seriez obligé de vous fier à votre mémoire pour retrouver vos livres, et la meilleure mémoire fait quelquefois défaut. Tandis qu'avec des fiches, sur lesquelles vous indiquez la place de chaque volume, cela n'est pas à craindre.

Lorsque les fiches faites sont en certain nombre, vous les classez par ordre alphabétique de noms d'auteurs, car vous avez eu soin d'écrire le nom en tête de chaque fiche; et aussitôt que vous en avez une nouvelle, vous la placez immédiatement à son rang, pour ne pas avoir de lacunes. Si tous les bibliophiles suivaient cette méthode, ils s'épargneraient bien des ennuis.


VI

L ORSQUE je vous ai cité les éditions premières d'Homère et de Virgile, vous avez cru sans doute que j'allais continuer à vous énumérer par ordre de dates, toute une série de volumes di primo cartello, qui pourraient entrer dans les galeries de tous les grands amateurs.

Rassurez-vous. Je sais qu'on n'arrive à acquérir ces ouvrages de haute valeur qu'après un assez long noviciat, timide qu'on est encore sur un terrain qu'on ne connaît guère ou même qu'on ne connaît pas. Les amateurs nouveaux ou jeunes, ayant une certaine fortune, feront bien de commencer par l'acquisition des ouvrages réunis ou séparés de nos grands classiques du XVIIe siècle, Shakspeare, Malherbe, Corneille, Molière, Racine, La Fontaine, Boileau, Bossuet, Pascal, Fénelon, La Bruyère, La Rochefoucauld, Regnard. Outre que la lecture de leurs chefs-d'œuvre présente toujours un nouvel attrait, le vrai bibliophile éprouve un certain charme à posséder les éditions que ces écrivains ont publiées eux-mêmes, surtout lorsque les éditions suivantes ont subi des modifications, comme cela est arrivé fréquemment à toutes les époques.

Donc, mon ami, quand vous rencontrerez quelque pièce séparée ou quelque ouvrage de ces auteurs, en édition originale, je vous engage fortement à l'acquérir. Vous n'aurez jamais à le regretter, pourvu toutefois que vous ne fassiez pas, pour les posséder, les folies que les amateurs trop pressés de jouir ont faites dans ces dernières années. En effet, depuis dix ou douze ans le prix de ces livres n'avait pas cessé de s'élever, dans des proportions considérables; et il y a deux ou trois ans, on ne pouvait pas obtenir une édition originale de chaque pièce de Molière, Corneille et Racine, par exemple, à moins de 1,000 à 2,000 francs et plus quelquefois. Il était curieux de se rappeler, en constatant ces prix, que moins de quarante ans auparavant, à la première vente Taschereau, par exemple, faite vers 1845, les mêmes éditions se donnaient pour 3 à 16 francs.

Aussi ces livres, qui étaient fort rares lorsqu'on ne les recherchait pas, se rencontrent-ils beaucoup plus souvent aujourd'hui. L'appât de l'argent et la spéculation en ont fait exhumer un certain nombre des recoins négligés ou même des grandes bibliothèques séculaires. Et tout cela a passé dans de petites mais précieuses collections, auxquelles on a donné, je ne sais pourquoi, le nom assez vague de cabinets, n'osant pas les appeler des bibliothèques. Mais comme beaucoup de ces livres, non encore placés chez des amateurs, s'étaient accumulés chez les libraires, il en est résulté une baisse assez considérable dans les prix. Actuellement on peut trouver de beaux exemplaires des éditions séparées dont il s'agit, pour 500 à 1,000 francs.

Il faut en excepter cependant trois pièces, qui sont d'une rareté insigne et que plusieurs bibliophiles attendent et souhaitent ardemment, l'édition originale du Cid, de Corneille, 1637, in-4º; l'édition originale de Sganarelle, de Molière, 1660, in-12, et l'édition originale des Plaideurs, de Racine, 1669, in-12. Leur prix serait certainement trois ou quatre fois plus élevé que celui des autres. J'ai été assez heureux pour découvrir un exemplaire de l'édition originale des Femmes sçavantes, de Molière, daté de 1672, tandis que ceux que l'on connaît sont datés de 1673. Ce doit être là un livre très précieux.

Les éditions collectives de Corneille, datées de 1644 à 1664, ont encore beaucoup d'intérêt; quelques-unes des premières sont cotées fort cher et sont très recherchées. Il en est de même des réunions d'œuvres de Molière, portant une des dates de 1666, 1673, 1674, 1679, 1682, et des œuvres réunies de Racine datées de 1675 à 1697. Cette édition de 1697 du grand tragique fut encore revue par lui et on n'en donna plus d'autre de son vivant. Les Pensées de Pascal, 1670, in-12, et les Lettres d'un provincial, 1657, in-4º, les Réflexions ou sentences et maximes morales, de La Rochefoucauld, 1665, et les Caractères, de La Bruyère, 1688, sont encore assez chers.

Les premières éditions séparées ou collectives des autres classiques que nous avons cités plus haut, sont également recherchées, et il est utile de les avoir, surtout les pièces de Regnard qui sont restées au répertoire. Le Joueur est très rare.

Quand je vous engage à acheter les éditions princeps des grands écrivains du XVIIe siècle, je dois vous paraître bien exclusif. Aussi suis-je d'avis d'étendre ce conseil à tous les auteurs qui ont acquis, par leur génie ou leur talent, le droit d'immortalité; et afin de ne pas vous condamner à les posséder tous indistinctement, il faut vous laisser le soin de choisir ceux dont les livres vous procurent le plus de satisfaction. Les goûts des bibliophiles sont si différents, comme les tempéraments et les caractères, et disons-le, si variables même chez chacun, suivant les dispositions du moment et la mode du jour, que ce serait une grande présomption d'espérer de les influencer. Et je ne vous excepte pas de la loi générale, mon ami.

Cependant,—je suis incorrigible dans mes avis, mais c'est votre faute,—j'aimerais à voir entrer chez vous peu à peu des éditions originales de quelques-uns des ouvrages ou des pièces de Le Sage, Montesquieu, Voltaire, J.-B. Rousseau, Marivaux, J.-J. Rousseau, Bernardin de Saint-Pierre, sans toutefois vous attacher à former des collections complètes de leurs œuvres, ce qui deviendrait fastidieux, et serait d'ailleurs presque impossible.

Le Diable boiteux, édition de 1707, 1 volume in-12, Gil-Blas, publié en trois parties, dans l'espace de vingt années, savoir 2 volumes en 1715, 1 volume en 1724 et le quatrième volume en 1735, sont des ouvrages fort intéressants à posséder, mais d'une grande rareté, de même que la fameuse comédie Turcaret, le chef-d'œuvre théâtral de Le Sage. Parmi les ouvrages de Montesquieu, achetez donc les Considérations sur la Grandeur des Romains et leur décadence, 1734, 1 volume in-12; l'Esprit des loix (sic), 1748, 2 volumes in-4º, et les Lettres persanes, d'Amsterdam 1721, 2 volumes petit in-12. Achetez Manon Lescaut de 1731, ou de 1753. Choisissez les meilleures pièces de Marivaux, quelques-uns des plus remarquables ouvrages de Voltaire et de J.-J. Rousseau, mais surtout pas toutes les œuvres de ces deux derniers, à moins que vous ayez d'énormes vides à remplir dans vos armoires et je ne crois pas que vous soyez dans ce cas.

Les éditions admirables qui en ont été données de 1785 à 1789 pour Voltaire, et de 1793 à 1800 pour J.-J. Rousseau, ont malheureusement l'inconvénient d'encombrer à elles seules un ou plusieurs rayons de bibliothèques, ou d'être en grand format, et nos petits appartements modernes ne sont pas faits pour recevoir de pareilles collections.

N'oubliez pas d'acquérir la jolie édition originale de Paul et Virginie, datée de 1789, et surtout choisissez un exemplaire en papier vélin, contenant les 4 figures charmantes de Moreau le jeune et de J. Vernet, épreuves avant la lettre. Vous le payerez cher certainement, de 1,500 à 2,000 francs, mais c'est si rare! Si vous ne tenez pas aux épreuves avant lettre, vous pourrez avoir le même livre pour 100 francs, en reliure ordinaire. Voyez la différence, pour une ou deux lignes d'impression en plus ou en moins! C'est là le cas de faire remarquer que les épreuves avant lettre sont toujours beaucoup plus belles et, d'ailleurs, elles se trouvent si rarement, que les amateurs se les disputent à outrance; de là leur prix élevé.

Il a été publié par Didot et l'éditeur Bleuet, à la fin du siècle dernier, une série de jolis volumes semblables comme format à Paul et Virginie, et également illustrés de gracieuses vignettes. Ces petits livres, vrais trésors de typographie et d'art, sont cotés aujourd'hui très cher, lorsque les exemplaires sont en grand papier vélin, et contiennent des figures avant lettre, surtout des eaux-fortes, c'est-à-dire le premier état de morsure de l'acide sur la planche, avant le modelé au burin. En général, sauf pour un ou deux, le texte de ces petits ouvrages n'a guère d'intérêt et ne justifie nullement l'exagération de prix que ces livres ont atteinte. Sauf Manon Lescaut, qui est dans toutes les éditions et toujours un admirable ouvrage, et les Voyages de Gulliver, les autres ne signifient presque rien. C'est, par exemple, Ollivier, de Cazotte, Zélomir et Primerose, de Morel de Vindé, Le Temple de Gnide, de Montesquieu, Œuvres choisies de Mme Deshoulières, Télémaque, etc...... Le principal mérite de ces livres consiste dans la grâce des illustrations et dans la belle typographie.

On pourrait en dire autant de beaucoup d'ouvrages ornés de figures, du XVIIIe siècle, banalités ou rapsodies, en vers ou en prose, fadeurs érotiques, de Dorat, Piis, Imbert, Berquin, et autres écrivassiers en pourpoint brodé et en coiffures à ramage, dont les volumes n'ont d'autre mérite que d'avoir été illustrés de ravissantes gravures, art aussi faux que la poésie du temps, mais plein de charme et d'élégance raffinée.

C'est la possession de ces volumes qui a souvent excité les amateurs à faire des folies, et, si l'on peut appliquer ici l'expression toute neuve et fort à la mode, c'est pour ces objets dont la vue flatte encore plus les sens que la lecture n'affadit l'esprit,—car on ne les lit guère, heureusement,—que nos bibliophiles contemporains subissent les accès d'une sorte de névrose, hier encore à l'état aigu, aujourd'hui déjà presque à l'état chronique.

Dieu me garde de censurer ici ce goût du joli et du maniéré, qui ne manque pas de renaître aux périodes de décadence des siècles ou des sociétés. Je sais que ma voix ne trouverait pas d'écho. Mais je n'aime pas les livres nuls, illustrés à si grands frais, et j'avoue comprendre mieux la manie des iconophiles, qui recherchent les gravures tirées à part, c'est-à-dire vierges de ces textes insipides; car ils ont au moins la certitude d'avoir de meilleures épreuves, et de pouvoir les loger dans un album qui tient moins de place que ces volumineux recueils de platitudes.

J'admets, pour un bibliophile, l'acquisition de livres comme les Œuvres de Molière, illustrées par Boucher, en 1734, ou par Moreau, en 1773; les Fables de La Fontaine, avec nombreuses gravures d'après Oudry, 1755, quoique le grand format in-folio de ces quatre derniers volumes soit bien incommode; les Contes de La Fontaine, avec dessins d'Eisen, 1762, édition des Fermiers généraux; les Métamorphoses d'Ovide, traduction de l'abbé Banier, 1767 à 1771, avec de charmantes gravures d'après les gracieux maîtres de l'époque; le Décameron de Boccace, de 1757, orné de 110 jolies figures, d'après Gravelot, Eisen, Boucher, etc...; les Baisers (de Dorat), 1770, seulement pour les jolies vignettes d'Eisen.... mais j'avoue que peu d'autres livres de cette époque me séduiraient. Je les laisse aux amateurs de gravures, dont je comprends jusqu'à un certain point l'engouement, eu égard à la légèreté de nos mœurs actuelles, qui me paraissent ressembler singulièrement à celles de la même période du siècle dernier.

Vous le voyez, mon ami, j'exprime ici des idées toutes personnelles et je ne vous donne aucun conseil, persuadé qu'il est impossible de tracer au bibliophile une ligne de conduite, pour le guider à travers une époque qui n'eut elle-même d'autre règle que les plaisirs, d'autres principes que la volupté et la galanterie sensuelles.

Après la Révolution on publia très peu de livres de luxe. Je ne veux pas cependant omettre de vous signaler les Contes de La Fontaine, édition de 1795, en 2 volumes, grand in-4º, qui ne fut malheureusement pas terminée, quoiqu'elle contienne déjà 20 superbes gravures achevées, d'après Fragonard, Mallet et Touzé. Cette édition, qui devait contenir 80 gravures, eût été l'un des chefs-d'œuvre de typographie et d'art du XVIIIe siècle. Le texte seul est complet. Il faut tâcher d'y joindre les épreuves, très rares d'ailleurs, de plusieurs autres planches qui restèrent à l'état d'ébauche.

Cinquante-sept dessins originaux de Fragonard, faits pour ce livre, sont entre les mains de M. Eug. Paillet, qui a eu, d'accord avec M. Rouquette, libraire, la bonne idée de les faire graver à l'eau-forte par un artiste de mérite, A.-P. Martial. Vous pourrez compléter à peu près l'édition de 1795 en y joignant les deux premiers états de ces belles eaux-fortes.


VII

N OUS voici arrivés à la littérature du XIXe siècle et à la littérature contemporaine. Il me serait plus facile de vous donner ici des conseils, mais je suis persuadé que vous en avez moins besoin que jamais. Nos grands écrivains modernes, soit les romantiques, soit les idéalistes, soit les réalistes, ou les naturalistes, sont assez connus de vous, pour que vous puissiez choisir, parmi leurs œuvres, celles qui sont dignes de votre bibliothèque. Il reste à prendre une décision entre les éditions, souvent nombreuses, qui ont été faites du même livre, et c'est là que le goût du bibliophile a lieu de s'exercer. Je vais essayer de vous guider.

Fidèle à mon principe, je vous engage à recueillir, quand vous les trouverez à des prix raisonnables, les premières éditions des ouvrages ou recueils séparés de nos meilleurs poètes, comme par exemple, les Méditations, de Lamartine, publiées en 1820, aux frais d'un ami, Eug. Genoude, tant le jeune poète éprouva d'abord de difficultés à trouver un éditeur. Ce livre est fort recherché et très cher, de 200 à 300 francs; les Harmonies, 1830, 2 volumes in-8º; les Recueillements, 1839, 2 volumes in-8º; Jocelyn, 1836, 2 volumes in-8º; les Odes de Victor Hugo, parues en 1822, en petit format in-18 très modeste, format que le poète ne tarda pas à changer pour ses autres livres; les Nouvelles Odes, 1825, in-18; les Odes et Ballades, 1826, réunies en 1 volume in-18, contenant l'édition originale des Ballades; les Orientales, 1829, 1 volume in-8º; les Feuilles d'automne, 1832, 1 volume in-8º; ce sont là les plus rares de ses recueils de poésies. Achetez aussi les Chants du crépuscule, 1835, in-8º; les Voix intérieures, 1837, in-8º; les Rayons et les Ombres, 1840, in-8º; toutes ses pièces de théâtre que vous pourrez trouver en premières éditions, et surtout: Le Roi s'amuse, 1832; Marion de Lorme, 1831; Lucrèce Borgia, 1833; Ruy Blas, 1838; Hernani, 1830; et les Burgraves, 1843, ce drame superbe et grandiose qui, pour n'être pas facilement jouable à cause du manque de mise en scène, n'en est pas moins l'un des plus beaux poèmes dramatiques de Victor Hugo. Les autres pièces ont moins d'importance; cependant, Angelo, 1834, est d'une grande rareté; Marie Tudor, 1833, est encore difficile à trouver. Quelques-unes de ces pièces ont de curieux frontispices, gravés à l'eau-forte par Célestin Nanteuil, le dessinateur ultra-romantique, qui accentua encore par la verve de son crayon les étrangetés contenues dans plusieurs livres de cette grande école. N'oubliez pas Notre-Dame de Paris, 1831, 2 volumes in-8º, dont un exemplaire a atteint jusqu'à 1,650 francs. Mais surtout ne payez pas ce prix-là; malgré le mérite de l'ouvrage et la rareté de l'édition, ce serait une folie insigne. J'en connais un exemplaire précieux, appartenant à M. Lortic, dans lequel se trouvent des corrections autographes de Victor Hugo, avec sa signature. C'est d'un grand intérêt.

Si vous partagez mon admiration pour le talent d'Alfred de Musset, achetez les premières éditions de ses recueils séparés, soit en vers, soit en prose: Contes d'Espagne et d'Italie, son premier volume de vers, publié en 1830, in-8º; Un spectacle dans un fauteuil, vers, 1 volume daté de 1833, et prose, 2 volumes à la date de 1834; la Confession d'un enfant du siècle, 1836, 2 volumes in-8º; les deux Maîtresses, et Frédéric et Bernerette, parus ensemble en 1840, chez Dumont, et formant 2 volumes in-8º. Tous ces ouvrages ou recueils sont fort recherchés en première édition et se vendent cher, en moyenne 100 à 150 francs le volume, à l'heure qu'il est. Si vous ne tenez pas à payer ces prix, vous pourriez vous contenter des premières éditions de format in-12, publiées par Charpentier, lesquelles sont bien imprimées, et très jolies dans leur simplicité. Dans tous les cas, il est bon d'acquérir aussi les comédies séparées, formant 11 pièces également publiées par Charpentier, et qui donnent le texte légèrement modifié des représentations. Un volume qu'il faut encore avoir, si l'on veut compléter les œuvres en prose, c'est celui qui est intitulé Nouvelles, par Alfred et Paul de Musset, dans lequel on trouve: Pierre et Camille, et le Secret de Javotte, en première édition.

A propos d'Alfred de Musset, et pour compléter les éditions originales de ses œuvres, je pourrais vous engager à acheter sa première publication, faite au sortir du collège, à dix-huit ans, l'Anglais mangeur d'opium, paru en 1828, chez Mame et Delaunay-Vallée, 1 volume in-12; simple traduction, signée seulement de ses initiales. Mais, outre que ce volume est fort rare et coûte 150 à 200 francs au moins, il est bien peu intéressant, et je ne vous le signale que dans le cas où votre passion pour le «poète de la jeunesse» devenant du fanatisme, vous voudriez accaparer tout ce qu'il a écrit.

J'allais oublier de vous recommander la plus belle édition des œuvres de Musset, publiée pour les amis du poète, chez Charpentier, en 1865-1866, avec une notice biographique du frère de l'auteur. Cette édition imprimée sur papier de Hollande grand in-8º, contient de jolies illustrations par Bida, tirées sur papier de Chine. Elle n'est point tout à fait complète, et on a signalé quelques omissions; mais elle offre l'avantage de pouvoir contenir des gravures assez grandes et les amateurs de livres illustrés la recherchent pour ce motif. Si vous vous décidez à lui donner la préférence sur les autres, je vous conseillerai d'y joindre les belles illustrations à l'eau-forte de Ad. Lalauze, d'après les aquarelles de Eugène Lami, que publie en ce moment la librairie Morgand. Ces compositions ont peut-être sur celles de Bida l'avantage d'avoir été faites à l'époque même de l'apparition des différents volumes du poète, et de rendre mieux, d'une façon plus véridique, certaines scènes qu'il est difficile de reconstituer à quarante ans d'intervalle. Les costumes sont aussi ceux du moment, et cela a bien son importance. Eugène Lami a été un contemporain et un familier de Musset; il a pu quelquefois s'inspirer des idées mêmes du poète, d'après sa conversation, et bien comprendre à son contact ce qu'un autre artiste eût peut-être compris différemment plus tard. Le graveur Ad. Lalauze a su aussi tirer un bon parti de ces aquarelles, souvent peu finies et par cela même assez difficiles à interpréter.

J'aimerais à vous voir acquérir plusieurs des ouvrages d'Alfred de Vigny, toujours en éditions originales, par exemple: Cinq-Mars, 2 volumes in-8º, 1826; Servitude et Grandeur militaires, 1 volume in-8º, 1835; Stello, 1 vol. in-8º, avec 3 vignettes sur bois de T. Johannot, 1832; ses différents recueils de poésies, et surtout ses pièces de théâtre, la Maréchale d'Ancre, 1831; Chatterton, 1835; le More de Venise, 1829, toutes de format in-8º.

On recherche en ce moment les ouvrages de Stendhal (Henry Beyle); je comprends qu'on achète le Rouge et le Noir, un de ses plus beaux romans, 1831, 2 volumes in-8º; La Chartreuse de Parme, et l'Abbesse de Castro; les autres livres de ce grand écrivain sceptique me séduiraient moins. Pourtant son ouvrage, De l'Amour, paru en 1822, en 2 volumes in-12, m'a vivement intéressé. Un pareil livre, si hardi et si froidement réaliste, dut faire sensation au milieu de la littérature plate, fade ou mystique de ce moment de transition, où l'école qui se prétendait issue de nos grands classiques était à l'agonie, et où le romantisme était encore au berceau.

Quoique les différents ouvrages d'Alexandre Dumas aient d'abord été imprimés comme volumes de cabinets de lectures, sur papier médiocre, il est intéressant d'avoir ses principaux romans et ses meilleures pièces. On connaît peu son volume de début en prose: Nouvelles contemporaines, petit in-12, paru en 1826; il est d'ailleurs très rare. Henri III et sa cour, 1829, in-8º; Angèle, 1834, in-8º; Antony, 1831, in-8º; Catherine Howard, 1834, in-8º; Térésa, 1832, in-8º; sont ses pièces les plus recherchées.

Achetez les Iambes, d'Auguste Barbier, publiés chez Urbain Canel et Ad. Guyot, en 1830, in-8º. Ce livre puissant et viril est le seul du poète qui mérite d'entrer dans une bibliothèque bien composée. La première édition est recherchée.

Choisissez quelques volumes de Théophile Gautier, ce grand artiste ciseleur en poésie et en phraséologie, ce «parfait magicien ès langue française», comme l'appelait Baudelaire. Si je ne consultais que mon goût personnel, je vous dirais de commencer par acquérir non pas ses premières œuvres, mais l'un de ses recueils de poésie les plus récents, Émaux et Camées, un vrai chef-d'œuvre à tous les points de vue. La première édition, publiée en 1852, chez Eugène Didier, est un petit bijou typographique, sorti de l'imprimerie de Simon Raçon. Quelques années après, en 1858, les éditeurs Poulet-Malassis et de Broise réimprimèrent ce beau livre augmenté de plusieurs pièces. Leur édition, recherchée aujourd'hui autant que la première, est entièrement en caractères italiques, avec fleurons sur bois en tête de chaque pièce; c'est une des plus belles publications de ces intelligents imprimeurs-éditeurs.

Le premier recueil, Poésies de Théophile Gautier, paru en 1830, chez Ch. Mary, est d'une grande rareté et se vend fort cher, de même que la seconde édition de Paulin, 1833, sous le titre Albertus ou l'Ame et le Péché, titre du long poème qui termine le volume. On recherche aussi les Jeune-France, romans goguenards, 1835; la Comédie de la Mort, recueil de poèmes et poésies paru en 1838, dans le format grand in-8º; les premières éditions de ses différents autres livres, romans ou voyages; Fortunio, 1838 (très rare et l'un de ses plus intéressants romans), Une larme du diable, 1839, Tra los montes, etc., mais on s'arrache surtout les exemplaires de Mademoiselle de Maupin, 1836, 2 volumes in-8º. Dans ces derniers temps la passion des amateurs pour ce livre, lorsqu'il est broché avec les couvertures conservées, est arrivée presque à la folie.

Plusieurs exemplaires ont été vendus de 1,000 à 1,500 francs. Quoique grand admirateur du style éblouissant de Th. Gautier, de cette prose à facettes de diamants, dont le scintillement vous empêche de voir que le fond manque quelquefois, je trouve ce livre bien imparfait, toute réserve faite pour la préface, qui est un chef-d'œuvre. Je ne comprends pas qu'on le paye aussi cher. Mais allez donc parler de raisonnement à des bibliomanes, qui achètent un livre pour le seul motif qu'il est rarissime, ou encore parce que la mode l'a désigné à leur convoitise!

Si vous tenez à avoir Mademoiselle de Maupin, achetez donc la belle édition que vient de publier L. Conquet, en 2 volumes admirablement imprimés par G. Chamerot. Pour le quart du prix que vous emploieriez à acquérir l'édition originale, vous aurez un exemplaire de luxe, et je vous assure que vous serez heureux d'avoir suivi mon conseil. Vous trouverez dans cette édition une intéressante notice bio-bibliographique de M. Charles de Lovenjoul, le gentilhomme bibliophile, qui a voué à Th. Gautier, comme à Balzac et à G. Sand, une véritable admiration, laquelle n'est pas stérile puisqu'il nous donne sur ces écrivains des études remplies de documents inédits et d'aperçus nouveaux, pleins de charme.

L'édition originale du Capitaine Fracasse, parue chez Charpentier, en 1863, 2 volumes in-12, après avoir valu, pendant plusieurs années, modestement 3 fr. 50, est cotée aujourd'hui 50 ou 60 francs. C'est cher pour un livre aussi récent, mais cette fantaisie est si intéressante! Moi, j'ai acheté aussi avec plaisir la grande édition illustrée par Gustave Doré, premier tirage, de 1866.

Cela me fournit l'occasion de vous dire, mon ami, que, dans une prochaine lettre, je vous citerai un certain nombre de livres illustrés que l'on recherche maintenant et qui ont vraiment un certain mérite. Mais, auparavant, je terminerai l'énumération des principaux ouvrages de notre époque, dont les premières éditions peuvent figurer dans votre bibliothèque.


VIII

A CÔTÉ ou plutôt au-dessous des maîtres que je vous ai cités, dans la première période romantique, il y eut un certain nombre d'écrivains plus ou moins extravagants, dont les bibliomanes recherchent aujourd'hui les ouvrages. Eh bien, franchement, je ne vois pas pourquoi on attache une certaine valeur à de pareils volumes. Je comprends, par exemple, qu'on achète le Sylphe, poésies de Dovalle, publié en 1830, avec une préface pleine de sentiment, de Victor Hugo, le Reliquiæ, de G. Farcy, paru aussi en 1830; ces deux recueils de jeunes poètes, morts violemment, avant d'avoir donné la mesure de leur réelle valeur, sont en même temps des œuvres de talent et des reliques. Mais il ne faut pas encombrer vos rayons de la littérature de bousingot, selon l'expression même des écrivains en question, de ces livres bizarres qui furent à la mode pendant une dizaine d'années, de 1830 à 1840 environ.

Nous arrivons immédiatement à la seconde période, qui donna des écrivains de haute valeur comme Mérimée, Sainte-Beuve, de Balzac, Alexandre Dumas, George Sand, Jules Sandeau, Méry, Gérard de Nerval, etc., et nous conduisit à l'école réaliste moderne, laquelle a déjà produit des œuvres d'un réel mérite, mais nous conduira elle-même, où?... Nous ne pouvons le prévoir.

Parmi tant d'œuvres pleines de talent, vous n'avez plus qu'à choisir, mon ami. Consultez vos préférences et votre goût; vous pourrez encore, même en vous montrant difficile, garnir deux ou trois rayons de votre bibliothèque, en prenant des éditions originales d'ouvrages de choix. En procédant à peu près par ordre chronologique, vous pourriez acheter, par exemple, de Mérimée, ce beau roman historique qui a pour titre: 1572, Chronique du temps de Charles IX, daté de 1829, in-8º; le Théâtre de Clara Gazul, 1825, in-8º; la Jacquerie, scènes féodales, 1828, in-8º; le charmant recueil de nouvelles intitulé Mosaïque, 1833, in-8º, petites pièces de genres variés, dans lesquelles l'auteur a donné d'un coup l'échantillon des différentes faces de son talent. De notre grand Balzac, vous ne manquerez pas d'acquérir la Physiologie du mariage, 2 volumes in-8º, parus en 1830; les Contes drolatiques, ce petit chef-d'œuvre de haut goût et de style archaïque, qu'on croirait extrait du fameux recueil du XVe siècle, intitulé les Cent Nouvelles nouvelles, ou encore des œuvres les plus amusantes d'un conteur du moyen âge. (Un exemplaire broché de ces 3 volumes parus en 1832, 1833, 1837, vaut aujourd'hui environ 300 francs.) N'oubliez pas ce chef-d'œuvre de pureté et de sentiment élevé, le Lys dans la vallée, 1836, 2 volumes in-8º; Eugénie Grandet, 1834, premier volume des Scènes de la vie de province, 1 volume in-8º, ce roman qui est l'une des œuvres les plus vraies et aussi les plus délicates de Balzac; le Père Goriot, 1835, 1 volume in-8º; la Peau de chagrin, 1831, 2 volumes in-8º; et quelques autres livres du grand romancier, qui se vendent moins cher et qu'on trouve plus facilement. A moins que vous ne préfériez acheter d'un coup toutes les œuvres de Balzac, et, dans ce cas, je vous conseillerais la belle édition illustrée, publiée ainsi: d'abord 17 volumes in-8º par Furne et Dubochet, 1843-1845, et ensuite pour les 3 derniers volumes, par Houssiaux, en 1855; vous aurez là le premier tirage des gravures et, par conséquent, de bonnes épreuves. La grande édition en 23 volumes in-8º, donnée, dans ces dernières années, par la maison Calmann Lévy, est peut-être encore préférable au point de vue du texte, qui est plus complet. Cette édition contient des écrits inédits, mais elle n'a pas de figures.

Je ne vous conseillerai pas d'avoir toutes les œuvres de George Sand, mais achetez ses premiers livres: Indiana, 1832, 2 volumes in-8º; Lélia, 1833, 2 volumes in-8º; Valentine, 1832, 2 volumes in-8º; Jacques, 1834, in-8º; et le roman, célèbre à cause d'une liaison presque aussi éphémère que la collaboration d'où il sortit, Rose et Blanche, 1831, 5 volumes in-12, qui fut signé J. Sand, pseudonyme aussitôt abandonné; toutefois, je vous préviens que ce dernier est rarissime et que vous aurez de la peine à vous le procurer. A côté de ces ouvrages et de ceux que votre goût vous y fera joindre, placez les Lettres d'un voyageur, 1837, 2 volumes in-8º, très intéressants sur la littérature et les arts de l'époque, et sur les relations de G. Sand. Ne manquez pas d'acquérir les volumes de la charmante Correspondance de George Sand, actuellement en cours de publication à la librairie Calmann Lévy.

Parmi les livres de Jules Sandeau, Mademoiselle de la Seiglière, 1848, 2 volumes in-8º; Sacs et Parchemins, 1851, 2 volumes in-8º; la Chasse au roman, 1849, 2 volumes in-8º; le Docteur Herbeau, 1841, 2 volumes in-8º, sont des volumes intéressants à acquérir, surtout si l'on choisit des exemplaires sur papier vélin fort, dont il n'a été tiré qu'un petit nombre.

Les 3 volumes de poésies de Sainte-Beuve, Vie, pensées et poésies de Joseph Delorme, 1829, in-16, les Consolations, 1830, in-16, et les Pensées d'août, 1837, in-12, méritent une place sur vos rayons. Je ne dis rien de Volupté, 1834, 2 volumes in-8º, sorte de roman philosophico-mystique dans lequel on trouve de belles pages, mais dont l'ensemble manque d'intérêt. Vous devez avoir les ouvrages de critique du célèbre écrivain, aussi je ne vous en parle pas.

On paye déjà cher les premiers livres d'Alexandre Dumas fils, surtout les Péchés de Jeunesse, seul recueil de poésies qu'il ait publié, paru en 1847, in-8º, et la Dame aux Camélias, son meilleur roman, 1848, 2 volumes in-8º. Le premier n'eut aucun succès; dans une lettre de l'auteur, que je possède, il avoue qu'il se vendit au plus 14 exemplaires. Je ne sais si l'édition fut tirée à petit nombre, ou si elle passa plus tard en grande partie chez les marchands de tabac; dans tous les cas, on la rencontre rarement.

Plusieurs volumes d'écrivains tout à fait modernes, romans, poésies ou pièces de théâtre, ont déjà acquis une certaine valeur. De ce nombre sont le Roman d'un jeune homme pauvre, d'Octave Feuillet; les Scènes de la bohème, 1851, de Henri Murger, dont le titre fut de suite modifié et quelques chapitres furent changés dans les éditions suivantes; les Fleurs du mal, de Charles Baudelaire, édition de Poulet-Malassis, 1858, qui contient plusieurs pièces retranchées par ordre dans les éditions suivantes; il existe de rares exemplaires tirés sur papier de Hollande; Madame Bovary, le célèbre roman naturaliste de Gustave Flaubert, qui, malgré son mérite incontestable, n'eut guère d'autre succès, à son apparition, que la curiosité soulevée par le procès auquel il donna lieu. Ce livre, dont la première édition est de 1857, chez Michel Lévy, en 2 volumes in-12, à 1 franc, est maintenant fort recherché, et l'édition originale se paie 50 à 60 francs. Quelques exemplaires, beaucoup plus chers encore, sont imprimés sur papier vélin fort, en un volume, avec un seul titre.

On commence à rechercher plusieurs ouvrages de contemporains, comme les Odes funambulesques, de Théodore de Banville, 1857, édition de Poulet-Malassis, très jolie; les Vignes folles, d'Albert Glatigny, beau volume in-8º, paru en 1860; quelques livres d'Alphonse Daudet, surtout Fromont jeune et Risler aîné, 1874, in-12, et le Petit Chose, 1868, in-12. On estime, sans les payer encore très cher, quelques ouvrages de Champfleury, Charles Monselet, Alfred Delvau (ceux de ce dernier se vendent surtout pour les jolies eaux-fortes qui y sont jointes), et des volumes presque tout récents, comme ceux de Ludovic Halévy, qui font prime dès le jour de leur publication. Deux ou trois romans d'Émile Zola ont déjà acquis aussi une plus-value. Tous ces livres peuvent ne pas être considérés, quant à présent, comme des objets d'amateur; mais comme ils ne coûtent pas cher, recueillez ceux qui vous plairont, et toujours en premières éditions; plus tard, lorsque vous les verrez cotés à des prix beaucoup plus élevés, vous serez content de les posséder.

D'ailleurs ce sont là en général des ouvrages bien écrits, intéressants; et quand même ils cesseraient d'obtenir les faveurs des bibliophiles, ils n'en mériteraient pas moins d'être conservés par vous, qui avez le bon esprit de faire passer le mérite littéraire d'un livre avant tout autre.

Ne faites pas comme un bibliomane de ma connaissance, qui ne voulait jamais acheter que les livres «en hausse» (c'était son expression). Il était toujours pris d'un désir effréné de posséder les volumes qui, dédaignés hier, étaient maintenant en vogue. De sorte que ses acquisitions étaient généralement faites aux prix les plus élevés. Et comme les volumes ainsi achetés lui déplaisaient aussitôt que les amateurs ses confrères venaient à les délaisser pour de nouveaux favoris, il se débarrassait invariablement des avant-derniers élus, et cela naturellement à des conditions de prix très onéreuses.

Non seulement il ne faisait pas ce que les spéculateurs appellent si élégamment «de bonnes affaires», mais encore il m'a avoué n'avoir jamais eu une vraie satisfaction. Oh! mon ami, méditez cela!

En résumé, si vous rencontrez les ouvrages que je vous ai signalés, achetez-les à des prix raisonnables: mais, de grâce, ne suivez aucunement la mode et n'attendez pas qu'elle vous ait désigné des volumes pour les acquérir, car vous les payerez, dans ce cas, toujours plus qu'ils ne valent.


IX

M ES observations seraient incomplètes si je ne vous signalais pas les ouvrages illustrés de gravures, parus depuis 1835 environ jusqu'à présent, qui font maintenant les délices de beaucoup d'amateurs nouveaux. J'avoue que moi-même je ne déteste pas ces livres, dont les illustrations sont pourtant inférieures à celles des ouvrages du XVIIIe siècle, mais dont le texte est en général plus intéressant que celui des susdits ouvrages. Toutefois, je me déclare très difficile; je ne voudrais faire entrer dans ma bibliothèque que les meilleurs.

L'un des premiers et aussi l'un des plus beaux, Paul et Virginie, édition de Curmer, 1838, grand in-8º, est maintenant fort recherché, et c'est justice; il est orné d'un grand nombre de jolies vignettes sur bois dans le texte et hors texte, et de quelques gravures sur acier. Les Contes de Perrault, du même éditeur, superbe édition, entièrement gravée, publiée en 1843, grand in-8º, se vendent plus cher encore et sont d'une grande rareté. Des exemplaires brochés se sont vendus jusqu'à 500 francs.

Un grand volume qu'on recherche beaucoup aujourd'hui, après l'avoir dédaigné, c'est le Journal de l'expédition des Portes de fer, ouvrage rédigé par Charles Nodier, pour le duc d'Orléans et sur les notes de ce prince, avec d'intéressantes vignettes d'après Raffet; ce volume très grand in-8º, paru en 1844, vaut aujourd'hui de 400 à 500 francs. S'il vous arrivait, par un grand hasard, de rencontrer un exemplaire imprimé entièrement sur papier de Chine, oh! vous pourriez le couvrir d'or! On n'en connaît jusqu'ici que trois ou quatre, entre autres celui d'un de nos plus sympathiques amis des livres, M. Ferdinand Gauthier. Celui-là doit être, d'ailleurs, l'exemplaire du duc d'Orléans, car au milieu des plats de la reliure de Simier, relieur du roi, sont gravées les initiales F. F. O. (Ferdinand-François d'Orléans), surmontées d'une couronne fermée. Un autre, broché, a été découvert dernièrement par M. Jules Brivois, l'auteur de la Bibliographie des ouvrages illustrés du XIXe siècle, un chercheur intelligent et infatigable, qui méritait vraiment de le posséder après l'avoir si bien décrit!

Viennent ensuite les Chants et chansons populaires de la France, beau recueil publié par H. Delloye, en 1843, formant 3 volumes très grand in-8º. Le texte des chansons est gravé au milieu d'encadrements formés de nombreux dessins représentant les différentes scènes; en regard est la musique, aussi gravée, et l'histoire de chaque chanson est imprimée sur un feuillet à part. Si vous trouvez ce bel ouvrage broché, avec ses couvertures imprimées en or et en couleurs, sur lesquelles on voit de fort jolies vignettes, vous ne risquez rien de le payer 500 à 600 francs; assurez-vous toutefois que l'exemplaire soit entièrement de premier tirage, et pour cela voyez si au bas de la musique de chaque chanson se trouve la mention: Imprimerie de Félix Locquin, etc.; tout autre nom d'imprimeur indique une réimpression.

Notre-Dame de Paris, par Victor Hugo, édition de 1844, illustrée de nombreuses figures sur bois et sur acier, grand-in-8º, est encore un beau livre qu'il ne faut pas manquer d'avoir; on le cote aussi très cher, lorsque l'exemplaire est de premier tirage et broché, avec la couverture imprimée.

Un livre intéressant à posséder, et qui cependant se vendit mal d'abord, la Peau de chagrin, par H. de Balzac, édition de 1838, est un charmant volume, fort recherché aujourd'hui; il est orné de 100 jolies vignettes, finement gravées sur acier et tirées avec soin dans le texte sur des blancs réservés, ce qui était difficile et double le mérite du livre au point de vue typographique.

Les différentes éditions illustrées des Chansons de Béranger ont de la valeur, lorsque les épreuves des figures sont avant la lettre. Mais celle de Perrotin, sous le titre d'Œuvres complètes, parue en 1847, en 2 volumes in-8º, ornée de 53 belles gravures sur acier, d'une finesse admirable, exécutées sur de fort jolis dessins de A. de Lemud, Charlet, Daubigny, Raffet, Sandoz et autres, est particulièrement recherchée. Les exemplaires, très rares, dont les épreuves sont tirées sur papier de Chine, avant la lettre, valent aujourd'hui de 1,000 à 1,500 francs. Si vous achetez ce beau livre, vous pouvez y joindre les Dernières Chansons, de 1857, en 1 volume, et Ma biographie, de 1860, 1 volume, avec 22 nouvelles gravures des mêmes artistes, plus une photographie, publiées après coup pour y être jointes, savoir: 14 pour le premier de ces volumes, et 8 plus la photographie pour le second. Les éditions illustrées par Henri Monnier, et aussi celle qui contient de petites vignettes sur acier, sous la date de 1833 et 1834, sont encore très estimées.

J'aime beaucoup un volume plus modeste que ceux-là, le Livre des orateurs, par Cormenin, édition de 1842, portant le titre de onzième, ornée de 27 portraits sur acier; vous connaissez ce texte plein d'esprit, de malice et de bon sens; les portraits, qui sont bien gravés, ont aussi leur intérêt.

Dans le genre satirique, tâchez donc de trouver le Musée Dantan, recueil de 100 charges fort amusantes, faites sur les célébrités de l'époque, paru en 1839, chez Delloye. Ce volume est rare.

Ai-je besoin de vous recommander les principaux ouvrages illustrés par Grandville? Surtout le fameux recueil in-4º, les Métamorphoses du jour, de 1829, et l'édition des mêmes dessins reportés sur bois, parue en 1842, in-8º; les Animaux peints par eux-mêmes, 1842; les Fables de La Fontaine, 1838, 2 volumes in-8º, avec le complément de 120 gravures, paru en 1840; les Voyages de Gulliver, 2 volumes, 1838; les Petites Misères de la vie humaine, 1 volume, de 1843; Cent Proverbes, 1845; enfin plusieurs autres livres illustrés par le même artiste, et dont je laisse à votre goût le soin de décider l'acquisition.

Dans l'année 1843, parut en livraisons un charmant recueil de contes illustrés, que je vous engage beaucoup à faire entrer dans votre bibliothèque: c'est la Pléiade, ballades, fabliaux, nouvelles et légendes, volume in-8º illustré de jolies vignettes à l'eau-forte et de gravures sur bois, d'après Ch. Jacque, Gavarni, Jeanron, etc. Mais vous serez obligé de le payer cher, 250 à 300 francs, s'il est broché, avec couverture conservée.

Un ouvrage des plus intéressants et qu'il ne faut pas manquer d'acquérir, c'est le recueil ayant pour titre les Français peints par eux-mêmes, 9 volumes grand in-8º, publiés par Curmer en 1841 et 1842, y compris le volume intitulé le Prisme, qui en fait nécessairement partie. Outre les études humoristiques fort nombreuses, dues à nos principaux écrivains, Balzac, Ch. Nodier, Léon Gozlan, J. Janin, Alph. Karr, Cormenin, Fréd. Soulié, Pétrus Borel, etc., vous y trouverez des types dessinés avec verve et esprit, par des artistes de premier ordre, tels que: Meissonier, Gavarni, Grandville, Daumier, Charlet, Daubigny, Français, Tony Johannot, Bertall, etc. Choisissez de préférence un des exemplaires dont les gravures sont coloriées, et parmi ceux-là distinguez encore un des anciens, car il en existe un grand nombre dont le coloris plus récent est détestable. Je m'en rapporte à votre goût pour cela, vous les reconnaîtrez certainement.

La différence est tellement grande entre les deux sortes d'exemplaires, que l'œil du vrai amateur ne s'y trompe pas. Le premier coloris fut fait très habilement, par des mains exercées, bien exactement entre les lignes du dessin, et au moyen de couleurs très fines; tandis que plus tard, pour écouler les exemplaires restés en magasin, on employa à la hâte des barbouilleurs quelconques; et les couleurs, souvent maladroitement placées, sont aussi bien plus criardes. Tâchez de recueillir en même temps toutes les couvertures des livraisons; vous y verrez des notes, des renseignements curieux et une correspondance intéressante.

N'oubliez pas d'avoir le Diable à Paris, Paris et les Parisiens, Mœurs et Coutumes, Caractères et Portraits, curieux et bel ouvrage entièrement illustré par Gavarni et Bertall. Le texte se compose d'articles pleins d'esprit et d'originalité, fournis par un grand nombre d'écrivains, comme George Sand, Balzac, Alfred de Musset, Gérard de Nerval, Alphonse Karr, Théophile Gautier, Eugène Sue, Octave Feuillet, Henri Monnier, Léon Gozlan, Jules Janin, P.-J. Stahl, Arsène Houssaye, etc. L'ouvrage forme 2 volumes grand in-8º, publiés chez J. Hetzel, le premier en 1845, et le deuxième en 1846; là se trouve le premier tirage des gravures, qui sont fort intéressantes.

Cela me conduit à vous conseiller l'acquisition des principaux volumes illustrés par Gavarni, ce spirituel dessinateur et écrivain, dont le talent fut peut-être le plus complet de tous ceux des artistes de notre époque. Nul au moins n'a observé l'humanité avec plus de vérité et n'a traduit ses observations avec un crayon plus fin et une plume plus mordante. Ne manquez pas d'acheter surtout les 4 volumes in-4º dans lesquels furent réunis, sous le titre d'Œuvres choisies, ses principaux dessins, au nombre de 320, parfaitement gravés sur bois. Outre les légendes spirituelles de chaque sujet, vous y trouverez des notices intéressantes par Théophile Gautier, Laurent-Jan, Lireux, Léon Gozlan et P.-J. Stahl. Tâchez de trouver aussi ses lithographies, ce qui est plus rare encore, mais présente un grand intérêt au point de vue de l'art, qui traduit là directement la pensée de l'artiste.

L'édition collective des Œuvres de Balzac (que je vous ai déjà citée ailleurs), parue de 1842 à 1848, chez Dubochet, Hetzel et Paulin, et chez Furne, en 17 volumes in-8º, est bien illustrée. Comme d'ailleurs elle est imprimée avec soin, en beaux caractères faciles à lire, je vous en conseille l'acquisition. On y voit des dessins de Tony Johannot, Meissonier, Gavarni, Henri Monnier, Bertall, Célestin Nanteuil, Gérard Séguin, Français, etc. Tous ces dessins sont fort bien gravés sur bois. Pour compléter cette édition, il faut y ajouter les tomes XVIIIe, XIXe et XXe, parus chez Houssiaux, en 1855, imprimés exprès dans le même format, avec gravures d'après les mêmes artistes. Le premier tirage de ces 20 volumes est devenu très rare.

Je vous engage à acheter les meilleurs ouvrages illustrés par Gustave Doré, surtout les Œuvres de Rabelais, édition populaire publiée par Bry, en 1854, format in-4º, à deux colonnes, et le charmant livre de Balzac, les Cent Contes drolatiques, paru en 1855; les illustrations de ce dernier en font un petit chef-d'œuvre de verve et d'originalité. L'Histoire pittoresque et caricaturale de la Sainte Russie, ce malicieux et amusant pamphlet écrit et dessiné par G. Doré, fut publié dans le même format que les Œuvres de Rabelais déjà citées. Il est digne de figurer à côté des deux premiers. Les grands ouvrages illustrés par cet artiste si fécond et si fantaisiste mériteraient bien tous d'entrer dans votre bibliothèque, mais ils sont si encombrants!... Heureusement des volumes comme l'Enfer, le Paradis et le Purgatoire, du Dante, les Fables de La Fontaine, la Bible, la Légende du Juif-Errant, les Contes de Perrault, peuvent être mis sur une table de salon, et il est toujours agréable d'en feuilleter les belles gravures.

Parmi les ouvrages intéressants de satire politique ou de satire de mœurs, ne manquez pas de chercher un bel exemplaire de cette fameuse publication qui s'appelait la Caricature morale et politique, parue de 1830 à 1835 et dans laquelle se trouvent réunies les charges les plus jolies, les plus spirituelles et les plus mordantes qui aient été dessinées à notre époque. La collection complète et en bon état de ce journal fameux vaut très cher, 700 à 800 francs au moins. C'est un beau prix, mais on trouve là les chefs-d'œuvre satiriques de nos principaux artistes, Raffet, Daumier, Grandville, Henri Monnier, Ch. Philippon, Célestin Nanteuil, V. Adam, etc.... et cela présente un grand intérêt.

Dans le même ordre d'idées, il est curieux d'avoir Jérôme Paturot à la recherche d'une position sociale, de Louis Reybaud, belle édition de 1846, illustrée par Grandville; Jérôme Paturot à la recherche de la meilleure des républiques, édition pareille de 1849, illustrée par Tony Johannot; l'Assemblée nationale comique, de Lireux, illustrée par Cham, en 1850; la Revue comique, à l'usage des gens sérieux, parue de novembre 1848 à décembre 1849; les Robert-Macaire, par Daumier et Ch. Philippon, en choisissant le premier tirage colorié; la Correctionnelle, 1840, illustrée par Gavarni. Tous ces ouvrages datent d'une époque où la lithographie et la gravure sur bois furent en honneur, à juste titre d'ailleurs, car jamais de plus consciencieux artistes ne s'adonnèrent à ces deux branches aujourd'hui un peu trop négligées de l'art du dessin.

Peu de volumes contiennent des dessins de Meissonier; je vous recommande particulièrement un joli recueil presque entièrement illustré par ce maître, les Contes rémois, du comte de Chevigné, édition de 1858, qui contient le premier tirage. Les gravures sont sur bois et fort bien exécutées. Si vous pouvez trouver un exemplaire en papier de Hollande, avec figures tirées sur papier de Chine, achetez-le; mais je vous préviens qu'il vaut très cher, de 500 à 600 francs.

Bientôt devait trôner en maître et gagner rapidement les sympathies des amateurs d'estampes, comme celles des amateurs de livres, un art qui possède un très grand charme, une grande puissance d'expression: la gravure à l'eau-forte. Déjà, depuis plusieurs années, quelques essais timides avaient été tentés avec succès pour l'illustration des livres. Célestin Nanteuil et Ch. Jacque, entre autres, avaient donné de remarquables spécimens de fines gravures à l'eau-forte; mais ce fut seulement vers 1860 que la mode et le goût du jour vinrent donner raison aux artistes qui avaient fait de nouvelles tentatives en ce genre. Les différents ouvrages d'Alfred Delvau, par exemple, les Cythères parisiennes, les Heures parisiennes, les Cafés et Cabarets de Paris, les Barrières de Paris, les Dessous de Paris, etc... parus de 1865 à 1867, offraient déjà de jolies illustrations à l'eau-forte, par Gustave Courbet (qui n'a pas dû en faire beaucoup d'autres), par Félicien Rops, Bracquemond, Émile Bénassit, Émile Thérond, Léop. Flameng. Mais c'étaient là des livres de peu d'importance et que les libraires vendaient à très bon marché, quoique la valeur en ait décuplé depuis.

Les éditeurs Jouaust et Lemerre ne tardèrent pas à publier leurs intéressantes collections de livres illustrés, dont les gravures à l'eau-forte sont signées d'artistes devenus célèbres, Leloir, Ad. Lalauze, Ed. Hédouin, Laguillermie, Boilvin, Léop. Flameng, de Los Rios, Edmond Morin, Henri Pille, Worms, Giacomelli, Burnand, Delort, Mongin, Le Rat, Arcos, Monziès, etc... Dans la collection Jouaust surtout, vous trouverez quelques jolis ouvrages, vraiment réussis, tant au point de vue des gravures qu'à celui du texte. Achetez donc, par exemple, les Œuvres de Molière, illustrées par Leloir, en 8 vol. in-8º; les eaux-fortes de Léopold Flameng, exécutées sur les dessins de Louis Leloir pour cet important ouvrage, peuvent compter parmi ses meilleures. Choisissez de préférence un exemplaire imprimé sur papier de Chine; le tirage des épreuves y est meilleur et les volumes en sont moins encombrants. Je vous cite maintenant au hasard quelques livres de Jouaust qui sont encore dignes d'une bibliothèque de luxe: les Contes de Perrault, avec de gracieuses eaux-fortes de Lalauze, en 2 volumes; le Voyage sentimental, de Sterne, avec gravures à l'eau-forte d'Ed. Hédouin; le Voyage autour de ma chambre, par Xavier de Maistre, ce spirituel livre qui est le mieux réussi de la collection et qui est aussi illustré d'eaux-fortes charmantes par Ed. Hédouin; les Contes rémois, par le comte de Chevigné, avec eaux-fortes de Rajon, d'après les dessins de J. Worms; les Voyages de Gulliver, illustrés par Lalauze; Gil Blas, avec eaux-fortes de Los Rios; la Physiologie du goût, qui contient de ravissantes vignettes à l'eau-forte, par Lalauze, en tête des principaux chapitres; la Vie des dames galantes, de Brantôme, avec gravures à l'eau-forte par Boilvin, d'après les dessins d'Ed. de Beaumont, et quelques autres, selon votre goût et le genre d'ouvrages que vous aimez. Mais tâchez d'acquérir de préférence les exemplaires tirés de format in-8º sur papier Whatman ou sur papier de Chine, qui contiennent les premiers tirages avant la lettre des figures en épreuves supérieures.

Les Œuvres (choisies) de Fr. Coppée, publiées chez Lemerre, avec eaux-fortes de Boilvin, forment encore un beau livre, très désirable.

Il y a plusieurs volumes superbes à choisir dans les belles séries en divers formats publiées par la librairie et imprimerie Quantin. En général, les meilleurs et les plus dignes d'une bibliothèque d'amateur sont ceux qui ont paru en moyen ou petit format, toute question d'importance et de prix à part. La petite collection antique renferme, par exemple, des illustrations pleines d'originalité et en même temps de grâce, et la partie typographique en est très soignée. Vous avez assez de goût, mon ami, pour distinguer dans les autres séries ce qui mérite de fixer votre attention et, d'ailleurs, la place que vous avez à consacrer dans vos armoires aux ouvrages illustrés de grand format pourra influer sur votre choix. La librairie Hachette et MM. Charavay frères ont aussi publié quelques beaux volumes avec gravures.

M. Chamerot, qui s'était contenté jusqu'à présent d'imprimer pour le compte des autres des volumes exécutés toujours avec un soin particulier, et d'obtenir pour cela une médaille d'or à l'Exposition universelle de 1878, vient d'adjoindre à sa maison des salons de libraire-éditeur. Il a heureusement inauguré une série de publications qu'il prépare, en donnant une édition de luxe de la Chanson de l'Enfant, par Jean Aicard. Ce beau volume est illustré de dessins charmants de Lobrichon, Rudaux et Steinlen, gravés sur bois avec un vrai talent par L. Rousseau. C'est déjà une œuvre capitale et je vous conseille de la mettre dans votre bibliothèque, en choisissant un exemplaire sur papier du Japon. Vous y trouverez des épreuves superbes avant la lettre supérieures à celles du papier ordinaire.

Un jeune libraire, L. Conquet, a commencé de publier quelques livres illustrés, qu'on s'arrache dès leur apparition; et c'est justice, car ces volumes sont établis avec beaucoup d'intelligence, de goût et d'art. Ce sont presque toujours des réimpressions de luxe des plus intéressants ouvrages de nos auteurs modernes ou même contemporains. L'éditeur a compris que les collections de volumes du même format, ornés de la même façon, par les mêmes artistes ou les mêmes procédés, devenaient d'une monotonie désespérante. Il s'est attaché à varier le genre de ses livres, l'impression et les illustrations. Dans quelques-uns, par exemple, comme le Lion amoureux, par Frédéric Soulié, la Chartreuse de Parme, par Stendhal, il a essayé avec succès de faire revivre la fine gravure au burin qui fit les délices des bibliophiles et iconophiles d'antan, et dont le beau volume la Peau de chagrin, de Balzac, édition de 1838, montre les plus intéressants spécimens.

En rééditant le gracieux ouvrage d'André Theuriet, Sous Bois, avec de charmantes compositions de Giacomelli gravées sur bois, il a prouvé que, dans l'art du dessin et de la gravure même, aussi bien qu'en musique, il est possible de faire de l'harmonie imitative, car l'ensemble de ce volume est très beau. Il avait déjà réussi à souhait en faisant exécuter de jolies gravures sur bois, pour Mon oncle Benjamin, de Claude Tillier. Là ne s'arrêteront certainement pas les belles publications de ce jeune éditeur. Du reste, j'ai vu chez lui en préparation un livre appelé certainement à un grand succès: le Rouge et le Noir, par Stendhal. Cet ouvrage ne contiendra pas moins de 80 compositions, toutes dessinées et gravées par Dubouchet, l'artiste déjà apprécié et aimé, qui a reproduit en petit format les planches du Monument du costume au XVIIIe siècle, par Moreau.

Je vous parlerais bien de Mademoiselle de Maupin, le curieux roman de Théophile Gautier, dont L. Conquet a donné une superbe édition, que je vous ai citée déjà; mais mon cœur se serre en pensant que l'artiste chargé d'illustrer ce beau livre, Louis Leloir, vient de mourir à quarante ans à peine, sans avoir pu achever son œuvre, dont on avait déjà vu quelques charmants spécimens. Cet artiste était si sympathique, que sa disparition a causé une profonde tristesse. Je sais bien qu'un autre peintre et dessinateur de grand talent, M. Toudouze, prépare des gravures qui devront être bien intéressantes aussi pour cet ouvrage; mais la satisfaction de posséder un jour celles-ci ne me console pas du chagrin de ne voir jamais paraître celles-là.

Vous achetez tous ces livres, à mesure qu'ils paraissent, et vous choisissez des exemplaires sur papier supérieur; vous faites bien, car cela s'épuise vite, et d'ailleurs avec de tels volumes on forme, à coup sûr, une jolie bibliothèque.

Je m'intéresse moins aux réimpressions d'ouvrages anciens, antérieurs à notre siècle, et je n'aime pas du tout les reproductions d'anciennes gravures. Les fac-similés n'ont aucun mérite artistique; à peine s'ils sont utiles pour populariser certaines œuvres, trop rares pour être connues et appréciées d'après les originaux. Là, mon ami, j'ai trouvé que vous faisiez un peu fausse route, en achetant plusieurs de ces reproductions; mais ce n'est qu'une opinion toute personnelle et je laisse au temps et à l'expérience qui vous vient tout doucement le soin de vous désabuser.

L'énumération que je viens de vous faire d'un certain nombre de livres illustrés pourrait être augmentée encore, car il existe d'autres volumes de moindre importance qui méritent bien aussi de fixer l'attention. Mais il arriverait que mes lettres ne seraient plus qu'une sèche nomenclature et c'est ce que je voudrais éviter; elles sont déjà assez arides comme cela.

Vous avez un moyen de vous renseigner plus amplement. Achetez l'ouvrage intéressant et fait avec un soin remarquable, que vient de publier M. Jules Brivois, la Bibliographie des ouvrages illustrés du XIXe siècle. Vous y trouverez non seulement la description minutieuse des livres en question, mais encore des appréciations très justes de leur mérite artistique et des détails anecdotiques curieux sur la publication des plus importants. Ce livre est incontestablement l'un des meilleurs ouvrages de bibliographie qui aient été faits jusqu'ici.


X

N 'ÊTES-VOUS pas étonné, mon ami, que dans l'énumération succincte d'ouvrages bons à acquérir, j'aie laissé de côté tout ce qui a paru antérieurement au XVIIe siècle? C'est à dessein pourtant que j'ai agi ainsi. J'ai pensé qu'aucun amateur jeune ou nouveau ne commencerait par collectionner ces ouvrages, mais je suis persuadé aussi que tôt ou tard les meilleurs volumes des époques anciennes doivent trouver place dans une bibliothèque bien entendue.

Parmi les livres nombreux qui parurent depuis la découverte de l'imprimerie jusqu'à la fin du XVIe siècle, je vous en citerai quelques-uns, que vous pourrez recueillir si vous les rencontrez chemin faisant, dans vos excursions bibliophiliques. Puis je vous dirai quelques mots des manuscrits de la Renaissance ou antérieurs à cette brillante époque.

Outre les éditions princeps des grands classiques anciens, comme Homère et Virgile, que je vous ai citées, et aussi celles de quelques autres auteurs grecs ou latins, poètes ou historiens, il est intéressant de posséder les éditions les plus anciennes des principaux écrivains français et étrangers, poètes ou conteurs surtout, comme le Rommant (sic) de la Rose, édition sans date, gothique, à 2 colonnes, que l'on suppose imprimée vers 1483 à 1485, par Guillaume Leroy, à Lyon; ou encore une des éditions de ce curieux ouvrage, imprimées par Vérard, ou celle de Galiot du Pré, 1529. Ce poème, amoureux, satirique, contre les femmes, et même quelque peu libertin, est toujours recherché. On y opposa à la même époque le Champion des Dames, dont plusieurs éditions sont intéressantes et estimées.

L'un des principaux recueils de contes du temps, les Cent Nouvelles nouvelles, composé, dit-on, à la cour de Louis XI, par les jeunes seigneurs de son entourage, est un livre de premier ordre. On pourrait chercher sans la trouver, pendant bien des années, l'édition originale gothique de Vérard, 1486, car elle est d'une rareté insigne. Mais on peut se contenter d'une de celles qui ont paru jusque vers 1532, car toutes ont de la valeur et sont plus ou moins recherchées. Bien des amateurs achètent une édition plus récente, celle de 1701, en 2 volumes in-12, dont le texte n'est pourtant pas bon, mais qui contient de curieuses gravures à l'eau-forte, par Romeyn de Hooghe; de même qu'ils recherchent aussi l'édition de Boccace, en français, de 1697, 2 volumes in-12, avec figures du même artiste.

Quant au Boccace, outre l'édition originale, si précieuse, du Decameron, en italien, publiée à Venise, chez Valdarfer, en 1471, les grands amateurs estiment beaucoup les éditions françaises de la fin du XVe siècle ou du commencement du XVIe.

Les premières éditions du XVe siècle, de Gringoire, de Coquillart, sont d'une grande rareté, quelques amateurs les payent très cher; mais ce sont là des livres dont le mérite littéraire est contestable; ils rentrent plutôt dans le domaine de la curiosité que dans celui de la bibliophilie.

Des ouvrages intéressants à posséder, ce sont les différents romans de chevalerie, qui parurent depuis 1480 environ jusque vers 1550. Je puis, sans crainte de vous voir encombrer vos bibliothèques, vous conseiller d'acheter les principaux, car vous aurez de la peine à en trouver quelques-uns, tant ils sont tous rares. L'un des plus anciens imprimés, le Roman de Fier-à-Bras le géant, remonte à 1478. Viennent ensuite: le Roman de Mélusine; l'Arbre des Batailles; Histoire de Tristan, fils de Méliadus de Leonoys; les Neuf Preux; Lancelot du Lac; le Livre du vaillant chevalier Artus ... de Bretaigne; les Quatre Fils Aymon; Ogier le Dannoys; Gyron le Courtoys; la Conqueste du grand roy Charlemaigne; la Vie de Robert le Diable; Galien Rethoré; Huon de Bordeaux; l'Histoire du sainct Greaal; Amadis de Gaule; Histoire du roy Perceforest; le Roman de Jehan de Paris; Histoire et chronique du petit Jehan de Saintré; Histoire de Gérard, comte de Nevers; le Roman de Richard sans paour; le Roman de la belle Helayne (sic) de Constantinople, etc., etc.

L'une des bibliothèques les plus importantes formées dans notre siècle, celle de M. Didot, contenait un certain nombre de ces ouvrages; mais il en manquait encore beaucoup. Contentez-vous donc de ceux que vous trouverez, mon cher ami, pourvu que les exemplaires soient beaux et bien conservés.

Au nombre des livres les plus intéressants et les plus recherchés du XVIe siècle, il faut vous citer d'abord les premières éditions des œuvres de Villon, celles des œuvres de Clément Marot, surtout l'Adolescence Clementine, édition de 1532, imprimée pour Pierre Roffet, dit le Faucheur, par Geofroy Tory; et la Suite de l'Adolescence Clementine, du même éditeur, soit l'édition sans date, soit celle qui est datée de 1534. Les autres éditions précieuses et plus complètes de ce poète sont: celle d'Étienne Dolet, 1538, celle de François Juste, imprimée à Lyon par Jehan Barbou, en 1539, et surtout celle de Dolet, 1542. Cette dernière est fort jolie comme impression, en lettres rondes, et on y trouve des pièces omises jusque-là dans les autres. L'édition de Lyon, à l'enseigne du Rocher, 1544 ou quelquefois 1545 (la date seule est changée), présente encore un grand intérêt; les poésies sont classées là pour la première fois dans l'ordre des genres, ordre qui a été adopté définitivement depuis; en outre, elle est belle et bien imprimée. Ces diverses considérations la font rechercher beaucoup des bibliophiles.

On estime toujours et on paye encore très cher, les Marguerites de la Marguerite des princesses... royne de Navarre, édition de 1547, et le fameux recueil de contes de la même princesse, intitulé: Heptaméron des nouvelles de... Marguerite de Valois, royne de Navarre, édition de 1559, la première portant ce titre. Si vous trouviez le même livre, qui avait paru d'abord sous le titre: Histoire des amans fortunez, à Paris chez Gilles Gilles, 1558, vous pourriez vous vanter d'avoir découvert un trésor rarissime.

Les Euvres de Lovize Labé lionnoize, édition de Lyon, Jan de Tournes, 1555, est d'une telle rareté, qu'un exemplaire bien conservé vaudrait aujourd'hui de 5 à 6000 francs. C'est cette plaquette précieuse, un volume très mince, de format petit in-8º, relié avec une riche mosaïque de Trautz-Bauzonnet, qui figura, il y a quelques années, dans la bibliothèque de M. Ernest Quentin-Bauchart et fut acquis au prix de 15,000 francs, par le regretté baron James de Rothschild. Le même amateur, dont la mort vient de laisser en deuil toute la bibliophilie, avait également acquis dans ces derniers temps un autre petit volume de haute curiosité et faisant bien le pendant du précédent, les Rymes de..... Pernette du Guillet, Lyonnoise, édition de Jan de Tournes à Lyon, 1545. Ce livret doit lui avoir coûté à peu près aussi cher que le premier, avec le prix de la reliure en mosaïque, qu'il a fait établir par le même artiste.

A côté de l'Heptameron, cité ci-dessus, on peut placer un autre livre de contes, intitulé: les Nouvelles Récréations et joyeux devis de feu Bonaventure Des Periers, édition de Robert Granjon, à Lyon, 1557, laquelle présente une particularité intéressante, celle d'être imprimée entièrement en caractères dits de civilité, très élégants et très corrects; comme elle est fort rare d'ailleurs, on la paye cher. Le nombre des livres imprimés avec ces caractères de civilité n'est pas considérable et les amateurs les recherchent; toutefois ils n'attribuent une grande valeur qu'aux ouvrages qui ont de plus un mérite littéraire ou historique, comme le volume précédent.

Il ne faut pas que j'oublie de vous mentionner les différentes éditions originales des œuvres de Rabelais. Le grand réformateur de la langue française, le maître en esprit gaulois, publia ses ouvrages par fragments ou par livres, lesquels sont devenus si rares qu'on ne les trouve même pas dans les dépôts publics. L'édition originale du premier livre, du Gargantua, paraît même avoir entièrement disparu, car on ne connaît pas d'édition antérieure à la première du Pantagruel, de Paris, Claude Nourry (sans date, mais probablement de 1532). Cependant il est vraisemblable que le Gargantua a été écrit avant le Pantagruel, lequel y fait suite naturellement. On connaît bien, sous la date de 1532, une plaquette rarissime, intitulée: les Grandes et inestimables Cronicques du grant et énorme geant Gargantua.... Nouvellement imprimees à Lyon... 1532; mais, quoi qu'en dise Jacq.-Ch. Brunet, pourtant très compétent, des érudits prétendent que cet opuscule n'est pas de Rabelais. En effet, il diffère entièrement du Gargantua que le fameux «curé de Meudon» a placé en tête de ses œuvres. Plusieurs éditions et imitations de ce petit livre parurent dans les mêmes années.

Le vrai Gargantua, tel qu'on le retrouve plus tard dans les œuvres avouées de Rabelais, n'aurait paru pour la première fois avec date qu'en 1535, à Lyon, chez François Juste, de format in-24 allongé, impression en gothique. Jusqu'à présent on joint cette édition à celle du Pantagruel publiée en 1533, à Lyon, chez le même éditeur et dans le même format. On forme avec ces deux petits livres et ceux que je vais citer, un ensemble des œuvres originales de Rabelais, que possèdent seulement deux ou trois amateurs. Une autre édition du Pantagruel, de même format, datée de 1534, mais sans nom d'imprimeur, est encore intéressante à posséder, parce qu'elle offre un texte un peu différent du précédent, et très augmenté. Ce petit volume, fort rare aussi, peut se joindre encore au Gargantua, de François Juste, 1535, car le titre est entouré de la même bordure; et, comme le pense avec raison Brunet, ces deux livres doivent venir du même éditeur.

A partir de l'édition de 1537, on trouve, à la suite des deux livres décrits ci-dessus, deux opuscules intitulés: Pantagrueline prognostication..... pour l'an..... (l'année varie suivant l'édition), et le Voyage et navigation que fist Panurge, disciple de Pantagruel aux isles étranges. Mais l'attribution de ces deux pièces à Rabelais est très contestable et d'ailleurs contestée. La première de ces pièces avait paru d'abord dans le format in-4º, vers 1532, à la même époque à peu près que la première édition du Pantagruel, publiée aussi dans ce format.

On continue la série des œuvres originales de Rabelais, en joignant aux petits volumes ci-dessus désignés, le Tiers Livre des faictz et dictz héroïques du noble Pantagruel, composez par M. Franc. Rabelais, docteur en medicine et calloier des Isles Hieres, édition rare et précieuse, portant la rubrique: A Paris, par Christian Wechel, a lescu de Basle; 1546, de format petit in-8º; ou l'une des deux éditions, rares également, imprimées à Lyon, par Pierre de Tours, en 1547, sans son nom, ou sans date, avec son nom. Et si l'on veut avoir un meilleur texte, on tâche de trouver celle de Paris, de l'imprimerie de Michel Fezandat, 1552, revue et augmentée par Rabelais lui-même et donnant son texte définitif.

D'ailleurs cette édition va très bien avec la suite, que voici: le Quart Livre des faits et dicts héroïques du bon Pantagruel..... Paris, de l'imprimerie de Michel Fezandat, 1552, de format petit in-8º, laquelle forme la fin de l'œuvre qui peut être attribuée avec certitude à Rabelais.

Cependant on y joint encore: le Cinquiesme et dernier Livre des faicts et dicts héroïques du bon Pantagruel..... paru en 1564,—onze ans après la mort de Rabelais,—et publié par un nommé Jean Turquet, lequel a signé de son anagramme Nature quite une épigramme intitulée «Rabelais est-il mort?» placée après la table de ce volume. Les curieux recherchent aussi un fragment de ce cinquième livre, paru deux ans auparavant, sous le titre: l'Isle sonnante, par maistre François Rabelais..... imprimé nouvellement, 1562, plaquette rare, petit in-8º, dont le texte fut un peu modifié dans le volume ci-dessus.

Il est intéressant encore de posséder avec ces diverses œuvres originales, le fameux et bizarre volume intitulé: les Songes drôlatiques de Pantagruel, ou sont contenues plusieurs figures de l'invention de maistre François Rabelais..... première édition de Paris, Richard Breton, 1565, de format petit in-8º. Ces figures grotesques et satiriques furent inspirées à un artiste humoriste par les œuvres de Rabelais, mais non dessinées par lui, comme semble l'indiquer le titre. Le recueil en est très rare et très cher.

Vous ferez bien d'acquérir l'édition complète des Œuvres de Rabelais, publiée à Amsterdam chez Henry Bordesius, en 1611, contenant 5 volumes petit in-8º. C'est une des meilleures; elle contient d'intéressantes remarques de Le Duchat et Bernard de la Monnoye. Choisissez le grand papier. Une superbe édition a paru en 1741; elle renferme 3 volumes in-4º, ornés de portraits et de belles gravures d'après Bernard Picart et Du Bourg. Mais le texte est moins correct que dans celle de 1711.

Parmi les poètes de la fin du XVIe siècle, vous pouvez acheter les œuvres de J.-Antoine de Baïf, de Remy Belleau, de Joachim Du Bellay. Surtout, ne manquez pas d'avoir les œuvres de Ronsard, dont la plus belle édition est celle de 1567, en 6 tomes petit in-4º; la plus complète et la meilleure est celle de Paris, chez Nicolas Buon, 1623, mais elle est de format in-folio et par conséquent moins facile à placer dans des rayons. Les Œuvres de Vauquelin de La Fresnaye sont fort recherchées; l'édition de 1605 ou celle de 1612, qui n'est autre que la même avec un nouveau titre, se vendent cher. Un autre poète, normand comme Vauquelin, est assez estimé et ses œuvres offrent d'ailleurs un certain intérêt très piquant. C'est Courval-Sonnet, gentilhomme virois. La plupart de ses pièces sont satiriques et forment contraste, par leur allure libre et gauloise, avec la poésie fade et un peu naïve de cette époque. On trouve difficilement la première édition, datée de 1621, intitulée les Satyres du sieur Thomas de Courval-Sonnet et Satyre Ménippée sur les poignantes traverses du mariage, in-8º, et surtout l'édition originale séparée de 1609, de la Satyre Menippée contre les femmes et les poignantes incommoditez du mariage. Les éditions suivantes sont toutes presque aussi rares; celle de 1622, sous le titre d'Œuvres satyriques, est très recherchée, ainsi que celle de 1627; cette dernière est la plus complète de toutes.

Enfin Malherbe vint...

Nous arrivons à Malherbe et quand je vous aurai donné le conseil d'acheter l'édition originale si précieuse de ses œuvres, publiée à Paris, chez Ch. Chappelain, en 1630, ou la bonne et belle édition donnée en 1757, par Lefebvre de Saint-Marc, je m'arrêterai là dans mes citations. Les œuvres de Malherbe forment en effet une transition toute naturelle entre les ouvrages des poètes de la Pléiade et autres écrivains du XVIe siècle que je viens de citer, et les ouvrages immortels de nos grands génies du XVIIe, que je vous ai énumérés ailleurs.


XI

J E crois vous avoir promis, mon ami, de vous dire quelques mots des vieux manuscrits enluminés, dont chaque bibliophile qui se respecte doit posséder au moins un échantillon. Les plus beaux et les plus recherchés parmi ces ouvrages de patience, qui méritent aussi quelquefois d'être appelés des œuvres d'art, sont ceux du XIIIe, du XIVe et du XVe siècle. Les manuscrits antérieurs à ces époques présentent certainement beaucoup d'intérêt, mais conviennent mieux à des bibliothèques publiques ou à des érudits qu'à des bibliophiles. D'ailleurs leur rareté les fait payer très cher, surtout lorsque le texte est orné d'enluminures, dont le dessin, quoique souvent très primitif, offre un certain caractère de naïveté et de puissante expression.

Pour vous qui n'avez pas encore une bibliothèque importante, et qui pouvez compter sur beaucoup d'années pour former votre collection, achetez donc d'abord quelques beaux spécimens de manuscrits du XVe siècle, enrichis de miniatures des différentes écoles. L'écriture de cette époque est une belle gothique bien formée et lisible, les dessins des sujets sont beaux et les figures bien modelées. Cela flattera davantage vos yeux et vous causera plus de satisfaction que les manuscrits des siècles précédents. Vous devrez certainement arriver à acquérir aussi des échantillons de ceux-ci, mais lorsque votre goût se sera formé et lorsque, votre éducation artistique et bibliographique étant plus complète, vous pourrez mieux apprécier des œuvres d'un style plus rude, mais plus original et peut-être plus grandiose, étant plus primitif.

Les manuscrits les mieux ornés sont ordinairement les livres d'heures, quelques romans de chevalerie et quelques vieilles chroniques. Malgré leur prix élevé, les premiers sont ceux que l'on paye le moins cher, à mérite égal. Les autres offrent en outre un intérêt littéraire ou historique qui rehausse la valeur de l'œuvre calligraphique et artistique, ce qui ne se rencontre pas dans les livres d'heures.

Votre patriotisme vous commande de donner la préférence à des œuvres de l'école française, et vous rencontrerez là, certes, de merveilleux chefs-d'œuvre; mais il ne faut pas négliger d'examiner aussi les manuscrits des autres écoles, dans lesquels vous trouverez des miniatures admirables. Entre les trois écoles principales de France, les connaisseurs établissent du premier coup d'œil une distinction marquée: l'école de Paris brille par l'élégance et la crânerie de son dessin; celle de Bourgogne, par une plus grande simplicité de composition, mais une grande élévation de sentiment et aussi par une sobriété de ton peu habituelle à cette époque; l'école de Touraine, surtout celle de la seconde moitié du XVe siècle, réunit une composition brillante et expressive à un coloris étincelant.

En dehors des écoles françaises, il ne faut pas manquer de chercher quelques beaux spécimens dans l'école flamande surtout et dans l'école italienne; l'une offre déjà à cette époque la précision, la minutie de dessin qui a toujours caractérisé les œuvres des artistes du Nord; l'autre, plus idéaliste, sacrifie moins à la forme et au détail et parle plus à l'âme. Chez les peintres italiens de cette époque, comme toujours d'ailleurs, le coloris est ordinairement plus éclatant, les tons sont plus chauds, disent les connaisseurs,—question de tempérament, de climat et de soleil.

Il existe, dans les manuscrits du XIVe et du XVe siècle des diverses écoles, un genre de miniatures différent de ce qui avait été fait jusqu'alors, et qu'on appelle «grisaille», à cause de l'unique teinte grise qui y est employée. Les manuscrits ornés de ces dessins sont, plus particulièrement encore, l'objet des recherches et des convoitises des amateurs. Ils sont d'ailleurs beaucoup plus rares que tous les autres, ce genre difficile de miniature n'ayant été tenté que par peu d'artistes.

Vous, mon ami, qui êtes allé visiter la collection superbe de M. Ambroise-Firmin Didot, avant que les enchères l'eussent dispersée, vous avez pu voir là les plus beaux spécimens de manuscrits ornés, de toutes les époques, et dont quelques-uns remontaient environ au VIIe siècle. Vous avez rencontré là, entre autres, quelques types ravissants des miniatures de l'école française de Bourgogne, dans le fameux missel exécuté, paraît-il, pour Charles VI et sa fille, missel dont l'histoire a fait le tour du monde, racontée dans la presse, il y a quatre ou cinq ans, à l'époque de l'une des ventes Didot.

L'école de Touraine y était aussi brillamment représentée par le missel de l'église de Tours, qui renfermait plusieurs grandes miniatures admirables de composition, de dessin et de coloris. Vous rappelez-vous, en fait de «grisaille», le bijou de manuscrit de tout petit format, qui était venu à M. Didot de la collection De Bure et que les bibliophiles appelaient pour ce motif le manuscrit de De Bure? Ce joli livre de prières, qui contient entre autres miniatures charmantes, une tête de Christ d'une idéale beauté, peut être pris comme modèle des plus belles productions de l'école flamande du XVe siècle. Il appartient à M. le baron de La Roche-Lacarelle. Un autre petit manuscrit du même genre, et admirable aussi, est en la possession d'un autre amateur, M. le comte de Sauvage, qui l'a découvert en Italie.

Parmi les œuvres calligraphiques et artistiques plus anciennes qui ont été offertes à vos regards, vous avez pu admirer le grand et beau volume exécuté pour Charlemagne et contenant «les quatre évangiles», manuscrit qui appartient au musée d'Abbeville et qui figurait à l'Exposition rétrospective des Arts décoratifs en 1882. Les manuscrits de cette époque et, en général, ceux des premiers siècles de notre ère, jusqu'au XIe environ, sont beaucoup plus lisibles que ceux des siècles suivants. Ils sont écrits en lettres onciales ou lettres romaines, d'une grande simplicité, sans fioritures, avec de nombreuses abréviations que l'on comprend facilement aussitôt qu'on en a la clef; tandis que les livres des siècles suivants, jusqu'au XVe, sont écrits en gothique plus ou moins bien formée, avec force majuscules en arabesques ou lettres historiées, ce qui empêche de bien comprendre les abréviations et en rend la lecture difficile.

L'usage des lettres rondes est revenu plus tard, vers la fin du XVe siècle, pour les livres imprimés, et ce sont ces caractères qui, après avoir lutté pendant plusieurs années contre les caractères gothiques, ont fini par s'implanter définitivement chez nous, après avoir subi quelques modifications et quelques perfectionnements.

Quant aux peintures qui ornent les livres des époques carlovingiennes, elles se ressentent, comme les différents motifs de décoration qu'on y rencontre, de la simplicité du style roman. Elles sont belles, d'une beauté sévère et expressive, sans grâce, mais sans mièvrerie. L'école byzantine, pourtant plus ancienne, n'avait pas encore importé chez nous cette finesse d'exécution et cette merveilleuse habileté qui la distingue, habileté qui s'exerçait presque toujours au détriment de la largeur de conception et de la puissance du caractère de l'œuvre.

L'époque gothique donna naissance à un grand nombre de livres intéressants dont les enluminures ou miniatures, dessinées avec un plus grand soin et de plus en plus enjolivées, flattent davantage les yeux des bibliophiles de nos jours. A mesure qu'on se rapproche de la Renaissance, les progrès faits dans l'art du dessin, surtout dans l'art de modeler avec grâce les figures et de rendre élégamment les formes et le mouvement des personnages, arrivent à leur plus haute expression. Aussi, quelques œuvres du XVe siècle sont-elles d'une grandeur de style et en même temps d'un fini incomparables. Telles sont, par exemple, les miniatures exécutées par des artistes comme Andrieu Beauneveu, Jehan Foucquet, Jehan Clouet et Jehan Poyet, en France; les Van Eyck, Jean de Bruges, Memling, dans les Flandres, etc... et par les élèves de ces grands maîtres.

Comme je vous l'ai conseillé au commencement de ma lettre, mon ami, ce sont des manuscrits de cette époque qu'il faut acheter avant tout; vous en trouverez facilement, car il en fut produit une quantité innombrable. Il s'agit de choisir et, pour cela, je suppose que vous avez assez de goût et de connaissance en art pour ne pas vous tromper.

Vous n'aurez guère à chercher dans les œuvres calligraphiques du XVIe siècle; elles sont peu nombreuses, surtout dans la dernière moitié. Celles des premières années, jusqu'au règne de Henri II, ont encore du mérite, mais après cela une décadence complète se fait sentir, et il faut arriver jusqu'à la fin du règne de Louis XIII pour trouver quelques manuscrits dignes d'être cités. A ce moment, et pendant le règne de Louis XIV, quelques écrivains très habiles se produisirent; Jarry, Duguernier, Aubriet et plus tard Gilbert, exécutèrent à la plume des livres charmants que vous ferez bien d'acquérir lorsque vous en rencontrerez. Les volumes écrits par Jarry surtout sont des merveilles d'habileté et de patience que les amateurs apprécient hautement, car leur enthousiasme se traduit par des chiffres d'une éloquence très significative. Tâchez de rencontrer un «Jarry», si modeste qu'il soit; et si vous ne le payez que quelques centaines de francs, ou même quelques mille francs, selon son importance, vous ferez une bonne affaire.

Est-il utile de vous rappeler l'histoire si connue de la Guirlande de Julie, ce bijou de livre que le duc de Montausier fit exécuter entièrement à la main, par Jarry, en deux formats différents, et illustrer de peintures de fleurs par Nicolas Robert, pour la belle Julie d'Angennes, marquise de Rambouillet, qui devint ensuite sa femme? Ce livre était sorti de la famille, il y est rentré depuis quelques années, à grands frais; à ma connaissance, un bibliophile offrit à l'ancien possesseur 40,000 fr. du plus beau des deux exemplaires, celui du plus grand format, relié par le fameux Le Gascon. Celui-là appartient actuellement à Mme la duchesse d'Uzès, une héritière des Montausier, bien digne de posséder ce trésor, composé et écrit tout exprès pour une de ses aïeules, dont l'esprit ne fut égalé que par la beauté et par la grâce.

Plusieurs volumes fort jolis, écrits par Jarry, ont subi le feu des enchères depuis bon nombre d'années, et tous ont atteint, suivant l'importance et aussi suivant l'ornementation, les prix de 1000 à 10,000 ou même 12,000 francs. J'oubliais de vous dire que la plupart des livres de cet habile calligraphe sont signés à quelque endroit, toujours à peu près ainsi: C. N. Jarry scripsit, avec la date. Il est évidemment inutile de vous dire, comme les parfumeurs ou les fabricants de chocolat l'écrivent sur leurs enseignes: Évitez les contrefaçons; je ne crois pas qu'il en existe, et, s'il existait des imitations, je suis persuadé qu'il est impossible de s'y laisser prendre.

Je vous ai cité tout à l'heure le nom de Gilbert, calligraphe habile qui vint un peu plus tard. Cet artiste fut le maître d'écriture de Louis XV. Il exécuta, entre autres œuvres d'un certain mérite, quelques livres de prières pour le Roi et pour sa maison. J'ai vu il y a quelques années, à la librairie Fontaine, un de ces volumes fort bien écrit et dont le libraire demandait, je crois, 1,800 francs. Un autre, portant les armes de la reine Marie Leczinska, a passé l'année dernière en vente publique et a atteint un prix plus élevé encore.

Il faut vous arrêter là, mon ami, dans l'acquisition des manuscrits calligraphiés et illustrés. Les ouvrages de ce genre, postérieurs à la fin du XVIIe siècle ou au commencement du XVIIIe, sont rarement dignes de figurer dans une bibliothèque choisie.

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