L'art d'aimer les livres et de les connaître: lettres à un jeune bibliophile
XII
LUSIEURS fois, dans le cours de ces lettres,
j'ai eu l'occasion de vous parler de
la mode, qui exerce son influence aussi
bien en bibliophilie qu'en ce qui regarde
le costume, l'ameublement, l'ornementation,
etc... Je me suis souvent demandé si, dans le
goût des livres, c'était, comme dans les autres branches
de l'industrie ou du commerce de luxe, le producteur,
le fabricant, le vendeur qui imposait ses
idées, ou si c'était l'acheteur, le client, l'amateur en
un mot, dont les préférences arrivaient à faire loi.
Je précise: Aujourd'hui le bibliophile, ou, pour généraliser davantage, l'acheteur de livres, recherche particulièrement les ouvrages illustrés du XVIIIe siècle et du XIXe, ou même les volumes qu'on publie actuellement à grand prix et à grand renfort de gravures; il achète aussi des romantiques, romans ou pièces de théâtre, dont j'ai eu l'occasion de vous signaler un certain nombre dans d'autres lettres. Mais il commence à négliger un peu les ouvrages plus anciens, du XVIIe siècle et des siècles antérieurs; ce qui fait la grande joie de quelques vieux bibliophiles, restés fidèles aux livres précieux de ces grandes époques, et plus sûrs désormais de trouver à de meilleures conditions les volumes qui leur manquent.
Or, il y a quelques années à peine, comme je vous l'ai dit, je crois, les livres tant dédaignés actuellement avaient une grande valeur, tandis que ceux du XIXe siècle, surtout les romantiques, se vendaient à peine au poids du papier, et on faisait fi des illustrations du XVIIIe. A cette époque-là vivaient (j'allais dire régnaient) des libraires modestes et sérieux, mais savants en bibliographie, connaissant à fond les livres anciens, leur mérite, leur rareté, leurs provenances, pour avoir étudié tout cela longuement, patiemment, on pourrait presque dire avec ferveur. Tout commerçants qu'étaient ces hommes, ils ne sacrifiaient point entièrement la science bibliographique ou la satisfaction d'apprendre à connaître les livres, au désir fiévreux de les revendre de suite, sans les avoir à peine regardés, et surtout à l'espoir d'un gain considérable, presque scandaleux, qui multiplié avec une rapidité vertigineuse aurait pu leur donner en quelques années une grande fortune. Peu de libraires de la génération précédente sont devenus riches, en effet, et beaucoup n'ont acquis qu'une aisance modeste.
Les amateurs de cette époque-là, heureux de trouver des bouquinistes avec lesquels ils pouvaient causer des livres d'un autre âge, ne songeaient guère à acheter des ouvrages modernes. Le XVe siècle avec ses précieux échantillons de la typographie naissante, le XVIe avec ses poètes, ses romans de chevalerie, ses ouvrages illustrés de gravures magistrales, et le XVIIe avec ses chefs-d'œuvre littéraires de toutes sortes, suffisaient à nos grands bibliophiles. Ils étudiaient ces œuvres de mérite chez leurs libraires, lesquels étaient eux-mêmes enchantés de faire valoir ainsi leurs connaissances et d'en acquérir d'autres quelquefois, au contact de bibliophiles aussi expérimentés qu'eux et plus érudits encore.
Ce fut l'époque des J.-J. de Bure, des Renouard, des Crozet, des J. Techener, des Potier, tous, hélas! disparus, malheureusement sans laisser de successeurs dignes de leur être comparés. Et ces libraires vécurent pendant quarante à cinquante années de notre siècle, toujours en relations familières, disons même souvent amicales, avec l'élite des amateurs français et étrangers. On vit passer successivement, dans les officines de ces hommes sans prétention, des amateurs hommes de science ou de haute lignée, comme Guilbert de Pixerécourt, Charles Nodier, Armand Cigongne, Victor Cousin, le comte de la Bédoyère, Armand Bertin, le comte de Lignerolles, le duc d'Aumale, le baron de La Roche-Lacarelle, le marquis de Ganay, Eugène Dutuit, le prince d'Essling, Yemeniz, Ambroise Firmin-Didot, lord Ashburnham, Jacques-Charles Brunet le grand bibliographe, le comte de Lurde, le baron J. Pichon, et plusieurs autres qui donnèrent au goût de la bibliophilie un élan jusqu'alors inconnu. Bien peu de ceux-là survivent hélas!... mais les uns et les autres ont droit à l'expression de nos sympathiques respects et de notre admiration; il est regrettable que la tradition adoptée par eux en bibliophilie n'ait pas été suffisamment conservée par la génération actuelle d'amateurs.
Tout change en ce monde, et ces mots fatidiques paraissent donner une explication suffisante aux variations du goût des bibliophiles. Cependant tâchons d'en découvrir les motifs. Notre siècle est incontestablement le siècle de l'argent et du papier, l'un faisant valoir l'autre ou l'anéantissant tour à tour. Les anciens bibliophiles, presque tous gentilshommes ou propriétaires, écrivains ou artistes, n'avaient aucunement l'idée de spéculer sur leurs collections, pas plus sur les livres que sur les tableaux ou les objets d'art. Ils achetaient les livres anciens qui leur plaisaient, sans arrière-pensée d'agiotage ou de bénéfice, et ne payaient pas très cher d'ailleurs même les plus beaux ouvrages. Et comme le nombre de ces amateurs était alors passablement restreint, la rivalité entre eux était moins grande et les volumes anciens revenant alternativement en circulation étaient suffisants pour les satisfaire. Peu à peu le nombre des bibliophiles s'étant accru, et les desiderata ne portant toujours que sur les beaux et bons livres des trois siècles passés, il en est résulté une plus grande rareté de ces ouvrages et une hausse dans leur prix.
Là comme à la Bourse et comme partout où il s'agit de mouvement ascensionnel des prix d'objets quelconques, ou de valeurs financières, la spéculation est venue pour profiter du mouvement, que les libraires ne pouvaient qu'encourager dans leur intérêt. Les spéculateurs ont réussi pendant quelques années à maintenir et à accentuer la hausse, qui est arrivée jusqu'à l'exagération. Le goût des livres n'était plus dès lors une satisfaction douce et calme comme autrefois, c'était une véritable névrose. Or, comme les névroses, surtout celles qui affectent le cerveau, se résolvent par une catastrophe finale ou un ramollissement du système intellectuel, la spéculation sur les livres devait elle-même avoir une mauvaise fin. C'est ce qui est arrivé; une baisse importante s'est produite en quelques mois, et a atteint en général les ouvrages surfaits.
Autre motif: les financiers qui s'étaient mis à acheter des livres ont tous été plus ou moins atteints, soit directement par le krach financier, soit par ses conséquences, et leur retraite immédiate comme acheteurs de livres a encore fait accentuer la baisse.
Mais pendant que les grands acheteurs faisaient des folies sur les livres anciens, des bibliophiles plus modestes, de jeunes amateurs, suivant la mode du jour ou suivant leurs goûts, s'étaient mis à acheter aussi, et, ne pouvant ou n'osant encore aborder les volumes cotés très haut à la «bourse des livres», avaient songé à collectionner des ouvrages modernes, qui étaient encore à bon marché quoiqu'ils fussent intéressants.
C'est alors que quelques libraires intelligents et encore peu lancés eux-mêmes, parce qu'ils avaient moins d'argent que les gros matadores de la librairie, ont eu l'idée d'encourager chez les jeunes amateurs ce goût des livres modernes. Ils se sont chargés de faire sortir les plus beaux et les plus intéressants d'entre ces derniers des recoins ou des bibliothèques de province où ils avaient été oubliés. De belles collections modernes se sont ainsi formées et, la mode aidant, un certain nombre de bibliophiles anciens ont suivi les nouveaux sur ce terrain. La rivalité existant ici comme autrefois, tant parmi les amateurs que parmi les libraires, les livres modernes ont acquis eux-mêmes une certaine valeur.
On peut constater même que plusieurs ouvrages de notre époque se vendent maintenant plus cher que de beaux livres anciens. Je regarde comme inutile de vous les rappeler ici, vous les ayant cités à peu près tous dans le cours de mes lettres. Vous vous rappelez même sans doute que j'ai traité de folie l'exagération du prix de quelques-uns de ces volumes, chose dont je me repens presque aujourd'hui, car je crois qu'il n'existe vraiment pas d'amateur sans un grain de cette folie, dont Érasme fit autrefois un si éloquent éloge.
Il faut espérer que, comme en philosophie, l'éclectisme va ramener dans le sein de la bibliophilie des idées moins exclusives, et que nous allons revoir se former d'intéressantes bibliothèques, composées de beaux et bons volumes de toutes les époques. On verra ainsi chez nos amateurs érudits, sensés et délicats, les beaux manuscrits du Moyen Age ou de la Renaissance s'élever sur leurs rayons, non loin des meilleurs ouvrages de notre époque de progrès et de science, en laissant une large place aux superbes monuments de la typographie du XVe siècle, du grand art du XVIe, de l'élévation de pensée et de style du siècle de Louis XIV et aux petits chefs-d'œuvre d'illustration gracieuse et légère du XVIIIe siècle. C'est la grâce que je vous souhaite, mes frères en bibliophilie ou en librairie!
XIII
OUS venez de vous marier, mon ami, et
les joies du foyer vous enlèvent momentanément
aux distractions quotidiennes
que vous procurait le goût
militant de la bibliophilie, mais sans vous y faire
renoncer entièrement. Je suis heureux de vous voir
agir ainsi, et votre conduite, qui continuera d'être
la même, j'en suis persuadé, me servira de preuve
contre les détracteurs de notre goût des beaux et
bons livres. Bien des gens, en effet,—des femmes
surtout, est-ce pour cause?—prétendent que notre
intelligente manie du bouquin, comme elles disent,
possède une influence pernicieuse sur les relations
matrimoniales. Comme les femmes, avec leur grâce
adorable, se contentent ici de rester hypocritement
dans les généralités, il est peut-être bon de tâcher
de surprendre le fond de leur pensée, ne leur en
déplaise. Permettez-moi de leur consacrer aujourd'hui
cette lettre.
Votre charmante compagne vous a approuvé dans vos goûts et vos idées; j'ai donc plutôt l'espoir de l'avoir pour alliée que la crainte d'être forcé de lutter contre elle comme ennemie, ce qui me causerait un véritable chagrin.
Or donc, Mesdames, vous croyez (je vous ai devinées) que l'amour des livres vous enlève un petit coin du cœur de vos maris, et vous vous insurgez contre cette horrible passion. Nous ne voulons certes pas vous reprocher un tel sentiment, qui ne peut que nous flatter et nous faire croire à la force de votre tendresse pour nous; tendresse qui ne peut souffrir de rivalité, même chez les objets inanimés. Nous aimons les livres, donc, supposez-vous, nous devons moins aimer notre femme. Je commence à croire que vous jouez un peu sur les mots, et que le mot amour, introduit dans le vocable que nous employons pour désigner notre goût à l'égard de malheureux petits volumes, vous semble profané. En cela je suis de votre avis et je ne puis me pardonner d'employer moi-même ce mot dans une pareille acception. Hélas! il est pourtant bien autrement profané dans beaucoup d'autres cas! Ne dit-on pas: l'amour de la chasse, l'amour des chevaux, l'amour du jeu, l'amour du vin, etc... Il est vrai qu'on dit aussi: l'amour de l'art, l'amour de la patrie, ce qui est mieux.
Quant à l'affection que nous cesserions de vous porter, selon vous, si nous venons à avoir le goût des livres, soyez sans crainte. Il est, au contraire, prouvé que le vrai bibliophile est un être de mœurs douces et de cœur aimant. Dans tous les cas, si vous avez des rivalités à redouter, croyez-moi, ce n'est pas celle de ces bons et fidèles compagnons de nos veilles, que nous feuilletons pour orner notre esprit, reposer notre cerveau, surtout lorsque vous nous manquez ou lorsque les exigences de la vie ou de la société nous appellent loin de vous.
Mais il est un grave motif qui détermine votre courroux contre les maris bibliophiles. Vous êtes, Mesdames, très positives, sans en avoir l'air. Les livres, dites-vous, coûtent cher, et avec le prix de tel ou tel ouvrage on pourrait acquérir des choses beaucoup plus utiles.—Traduction presque toujours: «Avec le prix de ces méchants bouquins, combien de belles robes ou de bijoux ne pourrait-on pas avoir!»—Mesdames, vous parlez d'or! comme disaient les anciens. Et lorsque vous ajoutez,—cela vous arrive quelquefois,—«qu'il vaudrait mieux acquérir des rentes que des livres,» je serais bien tenté de vous donner raison, si de nombreux exemples recueillis par d'autres ou par moi ne venaient se jeter en travers de votre opinion et vous donner tort moralement, sinon matériellement.
Je vais tâcher de vous convaincre.
Prenons, si vous le voulez bien, le goût des livres à son début, à son état embryonnaire, chez l'homme que vous avez bien voulu gratifier de votre tendresse et auquel vous avez daigné permettre de partager votre existence.—Vous voyez, je suis très..... moyen âge, pour vous engager à me lire jusqu'au bout.—Cet homme arrive un jour avec un livre à la main. Il vous a entendu dire hier que vous aviez un peu d'ennui, que vous ne saviez à quoi employer certaines parties de vos journées... Et il a jugé, en homme intelligent et en mari affectionné, que la lecture d'un livre intéressant pourrait peut-être contribuer à dissiper les nuages légers qui voltigent sur votre front d'ivoire.
Il dépose donc sur vos genoux le livre qu'il a choisi aussi intéressant que possible. Vous êtes déjà flattée de cette attention, à moins que vous n'ayez le caractère de deux ou trois petites-maîtresses de ma connaissance, qui considèrent l'homme comme leur vil esclave, et ne croient pas devoir accepter une gracieuseté qui leur est faite, autrement que comme une humble marque de servage d'un vulgaire mortel vis-à-vis d'une divinité. Mais je suis persuadé que de telles créatures sont rares, et ne les regardant pas à mon tour comme femmes, puisque l'apanage de celles-ci est la grâce et la bienveillance aimable, je ne m'adresse pas à celles-là.
Vous êtes naturellement curieuses, Mesdames, et n'eussiez-vous guère envie de lire, vous ne manquez pas d'ouvrir le volume, pour savoir au moins «ce que c'est». Si votre mari a su s'y prendre, connaissant votre goût, le livre sera certainement lu par vous, tôt ou tard, et vous y prendrez intérêt.
La lecture terminée, direz-vous, le volume devient inutile; j'ai connu des gens qui le jetaient dans un coin, d'où il sortait plus tard, avec beaucoup d'autres, revendus, en moyenne, pour quelques sous, et ne valant guère davantage, tant ils étaient détériorés. Eh bien! voilà, Mesdames, où je vais donner raison à votre goût spéculatif, et vous fournir les moyens de le satisfaire.
Lorsque votre mari a acquis le volume, s'il n'est pas bibliophile, il a pris, sans regarder, l'édition quelconque qui lui a été offerte; et cette édition une fois coupée, lue et sans doute un peu froissée, a perdu plus de 50 à 60 pour 100 de son prix, quand ce n'est pas davantage; tandis que, si votre mari aime les livres, il choisira une édition originale de l'ouvrage qu'il veut vous offrir, ce qui est encore facile à trouver lorsque le livre a paru depuis peu de temps. Or, comme les éditions premières de chaque ouvrage ont été de tout temps et sont surtout à l'heure qu'il est de plus en plus recherchées, elles finissent en peu de mois ou en peu d'années par être cotées à un prix bien supérieur à celui de l'acquisition. En un mot, vous possédez ainsi des objets dont la valeur va toujours croissant, et si vous désirez un jour les vendre, soit pour en acheter d'autres, ou encore pour avoir les bijoux ou les rentes que vous convoitez, il se trouve que vous avez fait une bonne affaire et réalisé un beau bénéfice.
Cela force aussi votre mari à vous choisir des livres intéressants, de bons auteurs, car ce sont ceux-là seuls qui acquièrent de la valeur. Témoin les premières éditions des ouvrages, même récents, d'Alphonse Daudet, Octave Feuillet, Ludovic Halévy, Émile Zola, et plusieurs autres, qui ont déjà triplé, quadruplé ou quintuplé de valeur; ou pour remonter un peu plus loin, les volumes de Victor Hugo, Alfred de Musset, Lamartine, Théophile Gautier, de Balzac, George Sand, dont les éditions originales se vendent aujourd'hui à des prix fort élevés.
On a vu des bibliothèques formées à peu de frais il y a cinquante ans, avec des volumes à 4 francs ou 6 francs, de l'école romantique, par exemple, se vendre dans ces derniers temps cinquante fois plus cher qu'elles n'avaient coûté.
Je raisonne ici, Mesdames, sur de petites sommes, pour flatter votre manière de voir, un peu mercantile mais, je n'en doute pas, tout à fait sérieuse et respectable. Vous allez m'objecter que la passion du bibliophile est différente et s'exerce sur une bien plus grande échelle. J'allais en venir là, et comme je sais que vous êtes d'habiles diplomates et que votre éloquence est fort entraînante, j'ai tâché de tout prévoir.
Admettons, si vous le voulez bien, que vous ayez quelquefois l'envie de relire des ouvrages qui vous auront plu une première fois, des romans ou des pièces de nos classiques, enfin des œuvres quelconques. Si vous ne possédez plus ces ouvrages, qui auront passé chez le bouquiniste, vous êtes forcées ou de renoncer à satisfaire votre désir,—détermination rare chez une femme,—ou d'acheter de nouveau les livres,—double dépense;—alors, que vous n'auriez qu'à aller les prendre, de vos doigts délicats, dans votre bibliothèque ou dans celle de votre mari, si vous aviez eu la bonne idée de les y conserver. Et voulez-vous me dire, Mesdames, quelle est celle d'entre vous qui ne se trouve, un jour ou l'autre, dans le cas de désirer, immédiatement, un livre à lire, ou à relire, pour la distraire de quelque ennui!..... Le temps qu'on emploiera à aller vous quérir ce livre, si vous n'êtes même pas obligées de l'attendre jusqu'au lendemain, ne suffira-t-il pas pour vous faire changer d'idée? L'impossibilité de voir votre désir exaucé à l'instant même n'irritera-t-elle pas terriblement votre frêle organisation de sensitive, ou ne donnera-t-elle pas à votre système nerveux l'occasion d'exercer violemment sa puissance, souvent trop disproportionnée dans votre être tout charmant?
Je livre cela à vos méditations et je passe aux objections les plus graves.
Oui, certes, Madame, votre mari devenu bibliophile pourra arriver, après avoir commencé par acheter des premières éditions de livres à 3 francs, à acquérir ensuite des volumes qui coûteront 300 francs, sinon davantage. J'admets d'abord que vous ayez une fortune suffisante pour vous permettre des dépenses de luxe, et je suppose que votre mari puisse, sans causer de gêne dans votre intérieur, se passer quelques fantaisies. Croyez-moi, ne réprouvez point chez lui le goût, la manie même des livres; et si vous voyez engloutir dans ses vitrines une assez forte partie des sommes destinées au superflu, encouragez encore ce goût ou cette manie. Dites-vous que, s'il ne vous reste pas à la fin de chaque année certaines sommes d'argent à employer autrement ou à joindre au capital pour grossir votre fortune, il reste en nature, c'est-à-dire en livres précieux, une valeur certaine; car les volumes bien achetés, si chers qu'ils paraissent, conservent toujours au moins leur prix, quand ils n'acquièrent pas de plus-value. De l'argent employé ici, il ne resterait peut-être plus aucune trace, s'il avait servi à payer d'autres fantaisies.
Et puis, franchement Mesdames, sortons donc un peu de ce raisonnement assez mesquin et plaçons-nous à un point de vue plus élevé. Ne croyez-vous pas que nous tous, êtres bien imparfaits, hélas! auxquels heureusement vous voulez bien de temps en temps, prêter ou donner le gracieux appoint de vos vertus, nous avons besoin d'avoir dans notre existence un jouet, un hochet, une marotte, chose qui correspond toujours à nos sentiments, bons ou mauvais, à nos défauts ou quelquefois même à nos qualités,—les naturalistes diraient: à notre tempérament.—Eh bien! le goût des livres est un de ces jouets, une de ces marottes, si vous voulez, comme le goût des porcelaines, des bronzes, des tableaux, des vieux meubles, des tabatières.
Mais je prétends que le collectionneur de livres rencontre des satisfactions bien plus diverses et bien plus durables.
En effet, lorsqu'on a regardé un certain nombre de fois les objets dont il est question plus haut, on doit finir par se blaser et l'œil doit en être repu. Les livres, au contraire, offrent d'abord les satisfactions immédiates des yeux, de l'esprit et souvent aussi du cœur. En lisant, on peut éprouver des émotions de toutes sortes. Le livre vous instruit, vous amuse, vous indigne, vous fait rire, vous arrache des larmes, vous flatte les yeux par sa belle impression typographique, par ses gravures, par l'ornementation de sa reliure. Et chaque fois que vous reprenez le volume, vous pouvez faire renaître ces émotions différentes. Un livre peut vous distraire pendant de longs instants, de longues heures quelquefois; la contemplation d'un tableau, si beau qu'il soit, d'une statuette, fût-ce un pur chef-d'œuvre antique, ou un marbre de Houdon, ou une petite et gracieuse terre cuite de Tanagra; l'examen minutieux, même à la loupe, de chaque personnage campé par Hall ou Blarenberghe sur une tabatière ou une boîte à bonbons microscopique, ne vous occupera guère que quelques minutes: chose à considérer, surtout au milieu d'une existence désœuvrée de grand rentier ou de femme du monde.
Si vous ne possédez qu'une fortune modeste, et que votre mari soit bibliophile, laissez-le acheter des livres, bien entendu dans de moindres proportions eu égard à la petite somme qu'il peut employer en menus plaisirs. Et un jour, vous verrez,—j'en reviens toujours à vos idées positives,—lorsque ce gredin, ce tyran viendra à mourir, bien avant vous certainement, comme vous l'espérez, il se trouvera que vous possédez dans vos armoires des valeurs sur lesquelles vous ne comptiez pas.
Je termine ma longue lettre, qui ne vous a pas amusées, n'est-ce pas, par cette petite histoire toute crue et positive, comme une réclame de financier ou de marchand.
Un savant éminent et riche, bien connu, après avoir beaucoup travaillé, eut tout à coup, à un certain âge, l'idée de former une bibliothèque. Il se mit à courir chez tous les principaux libraires, à assister aux ventes publiques, en France, à l'étranger, partout; à recueillir chez des amateurs les livres que ceux-ci voulurent bien lui céder. On le vit pendant plusieurs années, achetant, achetant encore avec une furia toute juvénile, quoiqu'il eût, disait-on, doublé le cap des passions; et ses bibliothèques se meublaient, s'emplissaient, s'encombraient; et des sommes considérables s'éparpillaient à tous les coins du monde, en échange des raretés qui entraient chez notre grand amateur. Si bien que sa respectable compagne, ainsi que ses enfants devenus grands et chefs de famille à leur tour, s'émurent bientôt de ce qu'ils appelaient de folles prodigalités. On prononçait même, paraît-il, tout bas les mots d'interdiction, de conseil de tutelle, etc. Mais heureusement on revint à des idées plus indulgentes. Bref, l'éminent bibliophile mourut, et au recensement des sommes employées à former sa remarquable collection, il se trouva qu'un million et demi environ avait été dépensé.
Quelque temps après, on commença à faire procéder à la vente de tous ces livres, admirables, ou précieux, ou rarissimes; et comme résultat final, la famille put constater que ... le million et demi était au moins doublé.
Mes belles dames, qui êtes en grande majorité, à l'heure qu'il est, de sérieux et immuables hommes d'affaires, lisez et réfléchissez. Mais pardonnez-moi cette interminable causerie; je me suis tellement complu en votre société, que je dois vous avoir fort ennuyées. Prenez un livre intéressant dans la bibliothèque de votre mari, et désennuyez-vous!
Mais comme il serait fort regrettable que des éditions vulgaires ou des livres mal reliés fussent feuilletés par vos jolis doigts, ou vinssent fatiguer vos beaux yeux, vous êtes intéressées à ce que votre mari sache bien choisir ses volumes ou les vôtres et leur donner des reliures dignes de vous.
Mieux encore: je ne désespère pas de voir plusieurs d'entre vous, des plus intelligentes et des plus distinguées, devenir elles-mêmes bibliophiles, tant elles auront trouvé que la société des livres possède d'agréments et de charmes, qui reposent des fatigues de cette autre société, à laquelle les femmes sont fatalement vouées: le monde. Eh! Mesdames, la compagnie dans laquelle vous vous trouverez alors n'est point à dédaigner. Vos petits cénacles féminins pourront être hantés par les âmes des nobles et gracieuses beautés d'autrefois, qui daignèrent accorder à de pauvres livres quelques-unes des faveurs si hautement appréciées et si ardemment désirées de leurs contemporains. Heureux livres! heureuses femmes! Ces nouveaux amis, ces confidents plus fidèles et plus discrets que les autres, durent les consoler quelquefois de grands chagrins, s'ils furent souvent témoins de véritables joies!
Les souvenirs de célèbres princesses ou de grandes dames, comme Diane de Poitiers, Louise de Lorraine, Marguerite de Valois, Anne d'Autriche, Mme de Chamillart, la comtesse de Verrue, la comtesse d'Artois, Mme de Pompadour, et même l'infortunée reine Marie-Antoinette, pourront vous apprendre que ces hochets, tant dédaignés peut-être jusqu'alors, les sauvèrent parfois de bien des tristesses et leur procurèrent de charmantes ou salutaires distractions.
Et même en dehors de ces femmes d'élite du passé, dont l'esprit seul peut être maintenant en relation avec le vôtre, ne trouverez-vous pas, parmi nos grandes dames modernes, à coudoyer les plus célèbres beautés et les plus hautes intelligences? Les plus nobles dames et aussi les plus lettrées ont tenu à faire partie de sociétés bibliophiliques ou littéraires. Ne voit-on pas, par exemple, Mme la comtesse de la Ferronays, admise dans une célèbre compagnie, où il est plus difficile d'entrer qu'à l'Académie française, d'abord parce qu'on y est moins nombreux, ensuite parce que ... on y est toujours très difficile, la «Société des Bibliophiles français»! Une duchesse de Noailles y fut également admise. Mme Edmond Adam, une des reines de l'intelligence et du goût, à notre époque où cette royauté domine les autres, fait partie d'une intéressante société, celle des «Amis des Livres». Plusieurs autres grandes dames, non enrôlées dans ces spirituelles confréries, n'en sont pas moins d'ardentes bibliophiles, et j'espère, Mesdames qui daignez me lire, que beaucoup d'entre vous ne tarderont pas à suivre leur exemple.
XIV
ES bibliophiles ou bibliomanes de nos
jours ne sont pas très logiques parfois.
Ils se laissent prendre d'un bel enthousiasme
pour les volumes anciens, sur
la reliure desquels furent frappées les armes d'un
grand personnage des siècles passés; mais ils jettent
les hauts cris lorsqu'un amateur moderne, un de
leurs collègues en bibliophilie, s'avise de faire apposer
ses armoiries sur une reliure qu'il fait exécuter
exprès pour lui. Le moindre petit chiffre,
frappé sur une reliure nouvelle, déprécie à leurs
yeux cette reliure, et le volume ainsi déshonoré
perd une grande partie de sa valeur, lorsque, par
hasard, il passe en vente publique ou privée.
Ainsi, mon ami, vous voilà prévenu. N'allez pas faire graver sur vos livres ni écusson armorié, ni aucun signe à vous personnel, si vous ne voulez pas encourir les railleries et la réprobation des bibliophiles vos contemporains. Ou alors craignez de ne laisser à vos enfants,—auxquels vous devez penser, j'en suis persuadé,—qu'une bibliothèque dépréciée et sans valeur, si vos héritiers, suivant la mode, se «résignent» à la disperser aux enchères. Cependant vous avez un moyen de sauver la situation; devenez un grand homme, une célébrité, chose assez facile par le temps qui court,—ne soyez pas ministre toutefois,—et dans un siècle ou deux, votre âme aura la satisfaction de voir les bibliophiles de l'avenir s'arracher à prix d'or les volumes qui vous auront appartenu.
Explique qui pourra cette défaveur jetée par nous tous sur les livres portant une marque ineffaçable de la possession de ces objets par un de nos contemporains. Il serait pénible pourtant de mettre ici en avant de mesquines questions de jalousie ou de rivalité, tout à fait indignes de nos grands cœurs. Pour moi, j'aime bien mieux supposer que les bibliophiles mes frères, gens sages et parfaits, austères philosophes, font assez bon marché de ces hochets de la vanité humaine qu'on appelle des armoiries ou des chiffres. Et s'ils achètent encore à de grands prix des volumes anciens armoriés, c'est tout bonnement parce que les amateurs du passé avaient bien quelque goût et savaient choisir leurs livres et leurs reliures; ensuite parce que ces choses anciennes sont rares et difficiles à obtenir, et notre nature est telle, que nous n'attachons un grand prix qu'aux objets dont la possession nous a coûté beaucoup de difficultés.
Un autre motif pour lequel les armoiries modernes ne nous séduisent pas, c'est que nos graveurs héraldiques actuels n'ont pas compris le grand caractère d'archaïsme qu'il fallait laisser aux blasons qu'on leur donnait à exécuter. Au lieu de graver largement les planches destinées à frapper les armoiries et de leur conserver cette tournure un peu incorrecte des blasons anciens, qui ne nuisait pas à leur beauté, ils se sont mis à faire de la gravure précise et mathématique, où la finesse devient de la mièvrerie et la précision de la sécheresse. Qu'ils examinent donc comment sont frappées les armes diverses de Jacq.-Aug. de Thou, par exemple, et celles de Colbert, du comte d'Hoym, de Mme de Chamillart, du duc de Montausier et de Julie d'Angennes, de Mme de Pompadour, de la comtesse d'Artois, du grand Dauphin, de Marie-Antoinette, etc... Ils verront combien le sentiment décoratif était supérieur, chez les artistes qui ont gravé ces écussons, à l'idée d'exactitude et d'indication de couleur des pièces du blason, auxquelles les graveurs héraldiques modernes ont trop souvent sacrifié.
Je viens de vous citer quelques noms de personnages dont les volumes armoriés sont l'objet des recherches constantes des bibliophiles. Il faut vous dire qu'en général les armoiries, même celles des hommes les plus illustres, n'ont une grande valeur pour nos amateurs nouveaux que lorsqu'elles se trouvent sur des reliures en maroquin. Ainsi, depuis le XVIe siècle jusqu'à ces dernières années, on employa, pour la reliure des volumes, plus encore de peaux de veau, de basane, de parchemin ou de vélin, que de maroquin; et quelquefois les bibliophiles du passé firent graver leurs armoiries aussi bien sur les reliures simples que sur les belles reliures. Les blasons gravés sur des volumes reliés en veau, en basane ou en parchemin n'ont presque pas de valeur. Sur vélin, ils sont un peu plus estimés; ceux de Jacques-Auguste de Thou, sur vélin, par exemple, sont quelquefois très recherchés, presque autant que sur maroquin, lorsque les ouvrages sont en français et offrent de l'intérêt.
La qualité de la reliure, la beauté du dessin, de l'ornementation et de la dorure, son degré de conservation, sa fraîcheur, ont une grande influence sur son prix. Les plus belles et les meilleures reliures armoriées sont celles qui furent faites pour Marguerite de Valois (la reine Margot), ainsi que celles de Jacques-Auguste de Thou, probablement exécutées par l'un des Ève; quelques-unes sont couvertes de superbes dorures; celles de la bibliothèque de Louis XIII et surtout d'Anne d'Autriche qui sortaient presque toutes de l'atelier de Le Gascon, et celles de H. Petit du Fresnoy, qu'on peut aussi attribuer au même artiste; celles du comte d'Hoym, qui furent faites par Boyet et par Padeloup, de même que la plupart de celles sur lesquelles se voient les insignes de la Toison d'or, marque de Longepierre. Les reliures aux armes de Colbert, celles qui portent l'écureuil du surintendant Fouquet, sont bonnes aussi ordinairement; cependant les unes et les autres paraissent venir de plusieurs ou au moins de deux ateliers; les meilleures sont sans doute de Du Seuil.
En se rapprochant de notre époque, on voit encore quelques volumes bien reliés portant des armoiries, comme, par exemple, quelques-uns venant du Régent Philippe d'Orléans, évidemment reliés par Padeloup. De ce nombre est la mosaïque superbe qui recouvre l'exemplaire de Daphnis et Chloé, 1718, que je dois vous avoir cité je ne sais plus où dans mes lettres.
D'autres reliures de provenance célèbre du XVIIIe siècle sont également bien exécutées, sans qu'on puisse les attribuer à des relieurs connus. Quelques-unes de celles de Mme de Pompadour viennent peut-être de Derome l'ancien, mais la plupart étaient faites par un nommé Vente qui les a parfois signées. D'autres, très richement ornées, sont d'un relieur-doreur qui s'appelait Monier ou Monnier. Le duc de Hamilton, dont la vente s'est faite en 1882, possédait un livre orné d'une splendide reliure à mosaïque, attribuée à Monier, portant au milieu les armes de la fameuse reine de la main gauche. L'ouvrage était la Rodogune de Corneille, édition de luxe, éditée aux frais de Mme de Pompadour, en 1760, et imprimée, paraît-il, dans son appartement. Ce volume a été acheté, pour un grand prix, par M. le comte de Sauvage.
A part toutes ces armoiries, qu'on recherche quelquefois autant pour la qualité de la reliure que pour la notoriété du possesseur ancien, il y a des provenances auxquelles les bibliophiles attachent une grande valeur. Ce sont celles de quelques souverains, par exemple François Ier, Charles-Quint, Henri II, Henri III, Henri IV; de femmes célèbres, comme Diane de Poitiers, Mme de Chamillart, Mme Du Barry, quoique la qualité des reliures laisse à désirer. Les armes de Marie-Antoinette, soit celles de sa jeunesse lorsqu'elle était dauphine, soit celles qu'elle prit comme reine de France, sont extrêmement recherchées. On les considère évidemment comme des reliques; de plus, elles sont assez rares, et les amateurs se les disputent avec acharnement et les payent très cher. La qualité de ces reliures est médiocre; mais comme elles sont souvent fraîches et bien conservées, et que les blasons sont parfaitement beaux, elles ont un grand charme. On en a trouvé un certain nombre dont les écussons furent recouverts de maroquin, probablement à l'époque de la Révolution. Sur quelques-unes de ces plaques de maroquin furent frappées plus tard de nouvelles armoiries et, lorsqu'on enlève celles-ci avec précaution, on retrouve les premières dessous, admirablement conservées. C'est ce qui les a sauvées ou de la destruction ou des injures du temps.
Beaucoup d'autres armoiries sont encore recherchées et il serait bien difficile de les désigner toutes ici. Cela, d'ailleurs, ne vous instruirait pas beaucoup, mon ami; tâchez d'en voir le plus possible et vous apprendrez ainsi bien mieux à les connaître. De même, pour la valeur qu'on leur attribue, vous ne vous en rendrez compte qu'en suivant les ventes publiques, en lisant les catalogues, en voyant les reliures et en établissant des comparaisons. Il y a bien une sorte de guide qui pourrait vous aider un peu dans vos recherches et qui est jusqu'ici unique en son genre: c'est l'Armorial du bibliophile, par Joannis Guigard. Quoique ce livre soit assez imparfait, il vous rendra cependant des services; les armes de chaque personnage y sont gravées en noir dans le texte, et l'ordre alphabétique des familles permet de trouver de suite les renseignements dont on a besoin. Ces renseignements sont parfois très détaillés. D'autres ouvrages plus anciens sur le blason, comme l'Armorial de Dubuisson, 1757, 2 volumes in-12º, le Grand Armorial de Chevillard, l'Armorial général de France, par d'Hozier, 10 volumes in-folio, parus depuis 1736, pendant plusieurs années, jusqu'en 1768, et ensuite continués par d'autres, puis réédités de nos jours, peuvent être aussi consultés. Mais, sauf le premier, tous ces ouvrages sont si encombrants qu'il est difficile de les avoir chez soi, surtout dans nos appartements modernes si exigus. Je vous conseille, mon ami, si vous avez quelquefois le désir de les étudier, de vous rendre tout bonnement à une bibliothèque publique, où vous les aurez facilement.
La mode actuelle, pour les bibliophiles qui tiennent à laisser trace de possession et à marquer leurs livres d'un signe à eux personnel, est de coller sur la garde intérieure des volumes une étiquette en papier ou en peau, sur laquelle se trouve gravé leur nom, avec des armoiries ou avec une devise, des ornements ou des attributs allégoriques quelconques. On a donné à ces étiquettes le nom générique d'ex libris, parce que ces mots se trouvent sur presque toutes, suivis du nom du possesseur.
Les ex libris commencèrent à être en usage vers la fin du XVIIe siècle. Bossuet eut un ex libris gravé et tiré en noir sur papier, bien qu'il fît frapper ses armes en dorure sur beaucoup de livres; Daniel Huet, évêque d'Avranches, avait aussi un ex libris sur papier, avec ses armoiries. Pendant tout le XVIIIe siècle, on grava un nombre considérable d'ex libris; plusieurs furent exécutés par de vrais artistes et sont, d'ailleurs, de petits chefs-d'œuvre de dessin décoratif et de gravure. A tel point que des iconophiles se sont mis à les collectionner pour en faire des albums ou pour les faire entrer dans des cartons de gravures de choix, comme pièces d'art véritable.
Cette habitude se passa un peu vers l'époque de la Révolution, de même que la mode de faire frapper ses armes sur les volumes; et c'est seulement depuis vingt-cinq ou trente ans que le goût des ex libris est revenu aux bibliophiles. Il n'est guère d'amateur, si modeste qu'il soit, possédant cent volumes ou en possédant dix mille, qui ne fasse graver son ex libris. Toutes les ressources de l'imagination de l'artiste sont mises en jeu pour en composer les sujets. Ce sont tantôt des motifs archaïques, imités de l'art ancien, tantôt des entourages empruntés à la Renaissance ou des copies d'ornements du XVIIIe siècle; parfois ce sont des reproductions d'un coin de vieux manuscrit gothique ou des arabesques dans le goût oriental ou byzantin; souvent la fantaisie domine et l'allégorie ou la satire s'y donnent libre cours. Le bon goût y manque quelquefois, mais l'originalité s'y montre de temps en temps, et c'est déjà quelque chose, à notre époque d'imitation servile et banale.
La taille des ex libris est très variable; on en voit qui ont à peine 2 centimètres, et d'autres dont les dimensions, trop exagérées à mon avis, sont de 10 à 12 centimètres. Tantôt la gravure est faite sur bois, et tantôt au burin sur cuivre, ou à l'eau-forte. Quelques amateurs se sont contentés de faire graver leur nom, entouré d'une simple banderole ou d'une couronne de feuillages, et de faire dorer ensuite sur papier de couleur ou sur peau. Ce système, employé au XVIIIe siècle, par Girardot de Préfond, est très bien reçu par les plus grands bibliophiles de nos jours. Charles Nodier le remit à la mode.
On attache un certain intérêt au choix d'un ex libris. Un ouvrage spécial a été fait sur ce sujet: les Ex libris français depuis leur origine jusqu'à nos jours (par Poulet-Malassis), et deux éditions en ont déjà paru, chez Rouquette, l'une en 1874, l'autre, avec planches, en 1875. Ce volume intéressant contient encore peu de documents, en comparaison de ce qui pourrait être écrit sur ce sujet.
Quand vous adopterez un ex libris, mon ami, tâchez qu'il soit d'une grande simplicité, ou attachez-vous à lui faire donner une tournure originale, en ne négligeant pas surtout le côté artistique. Ne me parlez pas de faire imiter ou même copier servilement le dessin d'un ex libris ancien; quand même ce serait un chef-d'œuvre, je trouve que la copie n'en aurait aucun intérêt.
Entre les artistes modernes qui ont dessiné et gravé des ex libris, je ne puis m'empêcher de vous nommer M. Aglaüs Bouvenne, dont toutes les œuvres ont un cachet particulier de fantaisie et d'originalité. Homme d'imagination, chercheur patient et lettré, il a su composer avec verve et talent des sujets toujours bien appropriés au genre de bibliothèque, à l'esprit, au goût, et au caractère du possesseur.
En général ces petits sujets sont nettement et délicatement gravés à l'eau-forte, avec une élégance qui n'exclut pas l'énergie et qui n'enlève rien à l'originalité de la conception. J'avoue que j'ai vu d'autres ex libris gravés plus finement, à l'eau-forte ou au burin, petites estampes témoignant d'une habileté remarquable chez le praticien qui les avait exécutées. Mais je n'en ai jamais rencontré ayant une aussi fière allure, comme disent les artistes, ni un caractère plus librement expressif que ceux-là.
XV
ORSQU'UN livre a appartenu à un personnage
célèbre, et lorsque le possesseur
n'y a pas fait graver ses armes ou son
chiffre, il peut encore avoir un grand
prix si le personnage en question l'a annoté ou y a
apposé sa signature. Alors l'intérêt du volume et sa
valeur sont beaucoup moins absolus. C'est au bibliophile
à juger du prix, d'après le mérite plus ou
moins grand de l'ancien possesseur, ou d'après la
valeur littéraire ou historique des notes jointes au
volume. Ainsi, mon ami, si le hasard vous faisait un
jour découvrir un des rarissimes volumes portant
la signature autographe de Molière, payez-le bien
cher, s'il le faut, mais ne le laissez pas échapper, de
grâce. Et, chose presque impossible, si après les
recherches longues, minutieuses et infructueuses
des curieux et même des érudits, vous arriviez à
trouver, soit dans un livre, soit ailleurs, une lettre ou
des notes autographes du grand poète comique, ou
une de ses pièces, oh! alors votre fortune serait
faite. Des bibliophiles et des directeurs de bibliothèques
ou de musées publics assiégeraient votre
domicile et des ponts de billets de banque vous
seraient faits, pour permettre à votre autographe de
sortir de chez vous, sans vous laisser trop de regrets.
On recherche aussi beaucoup les volumes annotés ou seulement signés par nos grands classiques français, de même que les lettres écrites par eux ou leurs manuscrits sont l'objet des plus grandes convoitises. J'ai vu une lettre de Corneille se vendre 4,000 francs, il y a deux ou trois ans; des livres annotés par lui vaudraient aussi fort cher. Les autographes de Racine, La Fontaine, Bossuet, La Bruyère, Pascal, et en remontant plus loin, ceux de Malherbe, Montaigne, Rabelais, sont extrêmement recherchés. Les Anglais font de grandes folies pour une signature de Shakspeare. Tout cela est fort intéressant; mais gardez-vous, mon ami, des fausses écritures ou des fausses signatures, que quelques chevaliers d'industrie modernes ont mises en circulation. Lorsqu'une pièce autographe vous plaît à acquérir, ne manquez pas de consulter des experts, qui vous diront, presque toujours à première vue, si l'écriture est authentique, tant ils ont l'habitude d'étudier ces sortes de choses. M. Étienne Charavay, qui est archiviste-paléographe, et son cousin, M. Eugène Charavay, ou encore M. Voisin, pourront vous donner à ce sujet tous les renseignements qui vous seront nécessaires.
On trouve plusieurs amateurs d'autographes ou de livres annotés par des écrivains du XVIIIe siècle. Ceux de Regnard, Le Sage, Voltaire, J.-J. Rousseau, Diderot, d'Alembert, Montesquieu, Beaumarchais, Bernardin de Saint-Pierre, André Chénier, sont les plus estimés. D'autres collectionneurs s'attachent à trouver des écrits de la main de personnages célèbres, dans l'histoire ou dans les sciences et les arts, de toutes les époques. Enfin beaucoup de bibliophiles actuels se sont mis à rechercher les autographes de nos célébrités en tous genres, surtout ceux des littérateurs, des artistes du XIXe siècle. Comme ce goût est beaucoup plus facile à satisfaire, le nombre des amateurs augmentant chaque jour, il s'ensuit une rivalité, une émulation, qui font monter les prix; de sorte qu'on arrivera peut-être prochainement à payer plus cher les autographes intéressants modernes que les anciens.
Il est curieux de joindre à un volume qui nous intéresse une ou plusieurs lettres autographes ou des notes de l'auteur, surtout lorsque ces notes ou ces lettres sont relatives à l'ouvrage. Les dédicaces d'auteurs, écrites de leur main et signées, donnent encore aux livres un certain charme et en augmentent la valeur. Et lorsque ces lettres, ces notes ou ces dédicaces viennent d'écrivains illustres ou aimés, surtout si ces écrivains n'ont pas prodigué leurs correspondances, les amateurs se les disputent avec tant d'acharnement que le prix en devient parfois très considérable. Telles les lettres d'Alfred de Musset, qui sont d'une grande rareté et dont la moindre, un simple billet signé, se vend de 50 à 100 francs. Quelques-uns de ses manuscrits publiés se trouvaient à la vente faite après le décès de son frère, Paul de Musset. Ils ont atteint de très grands prix; chaque amateur ou littérateur présent tenait à posséder un souvenir, une relique du charmant poète. Des livres de lui, portant des dédicaces autographes, ont été enchéris à un prix double du prix ordinaire, et des pièces de vers de sa main, signées ou non signées, se sont vendues 150 à 200 francs au moins, quelques-unes même beaucoup plus cher.
Les lettres, ou pièces de vers, ou dédicaces de Victor Hugo, tout en étant recherchées, ont beaucoup moins de valeur. On sait la prodigalité avec laquelle le grand poète a éparpillé ses correspondances. Il n'est guère de personne ayant désiré posséder une de ses lettres, qui n'ait réussi à l'obtenir, même en la lui demandant directement. Ses pièces de vers sont plus rares; ses ex dono existent en grand nombre, et malgré cela on les recherche. Les autographes de Lamartine ne sont guère moins nombreux et valent à peu près autant.
Balzac a écrit une grande quantité de lettres; mais elles présentent presque toutes un certain intérêt, de même que celles de George Sand. Les livres avec dédicaces ou envois de ces deux illustres écrivains se rencontrent bien plus difficilement que leurs correspondances.
On paye cher encore les autographes de Théophile Gautier et on en rencontre rarement, surtout des pièces de vers signées ou des lettres importantes. Les écrits de Stendhal (H. Beyle), Mérimée, Gérard de Nerval, Henri Murger, Pétrus Borel, Alfred de Vigny, Baudelaire, Auguste Barbier, Thiers, Michelet, Béranger, sont très convoités. Les lettres de Béranger sont nombreuses, mais souvent intéressantes; on recherche beaucoup les originaux ou copies autographes de ses chansons, pour les placer dans les belles éditions de ses œuvres, en regard des chansons imprimées.
Les bibliophiles joignent souvent aux ouvrages illustrés des lettres ou notes autographes des artistes qui y ont collaboré; c'est intéressant, lorsque ces lettres ou ces notes ont trait à l'ouvrage et à leurs dessins. On achète beaucoup, pour ce motif, les autographes de Grandville, Gavarni, Henri Monnier, A. de Lemud, Gustave Doré, Charlet, Raffet, Alfred et Tony Johannot, etc.... Les volumes ainsi augmentés présentent un certain attrait; mais il ne faut pas qu'ils soient bourrés d'autographes, comme nous en avons vu quelques-uns, formés par des amateurs sans goût. Car, mon cher ami, il faut bien avouer avec résignation que dans notre aimable et chère confrérie, il y a bien parfois des gens auxquels le goût manque tout à fait, et aussi le raisonnement, et aussi le bon sens, etc.... Ce qui étonne fort le commun des mortels, qui s'imaginent avec quelque raison, mais d'une façon un peu trop absolue, que les livres devraient leur inculquer tout cela.
A toutes les époques, au temps passé, comme de nos jours, les écrivains eurent l'habitude, en offrant quelques exemplaires de leurs ouvrages, à des amis ou à des personnages de marque, d'écrire sur le premier feuillet une dédicace ou ex dono. Les livres qui possèdent ainsi un ex dono autographe de l'auteur sont recherchés et acquièrent une plus-value proportionnelle à la célébrité de l'écrivain.
On trouve un certain nombre d'ouvrages du XVIe siècle et du XVIIe avec la simple mention: Pour Monsieur X..., sur le premier feuillet, puis la signature de l'auteur. Plus tard, les dédicaces furent plus étendues et plus respectueuses; ainsi je possède une des éditions originales de Boileau, avec cette dédicace autographe du fameux satirique à l'un de ses frères:
«Pour Monsieur Boileau, payeur des rentes, par son très humble et très obéissant serviteur,
Despréaux.»
Cette habitude se continua au XVIIIe siècle, et la formule n'en fut pas sensiblement modifiée.
De nos jours les dédicaces et ex dono sont très nombreux et la forme en est variée à l'infini, tantôt solennelle, tantôt gaie, tantôt bizarre, tantôt tendre et passionnée, tantôt fine et mordante. Ce sont quelquefois des vers, un distique, un quatrain, plus rarement un sonnet; mais le plus souvent c'est ce qu'on appelle simplement un envoi, avec les mots, A Monsieur un tel ..., ou A mon ami un tel, suivi des mots: Hommage de l'auteur, accompagnés d'un ou de plusieurs qualificatifs.
Les ex dono ou envois les plus recherchés d'écrivains de nos jours sont ceux d'Alfred de Musset, de Victor Hugo, de Théophile Gautier, de Lamartine, de Balzac, d'Émile Augier, de Baudelaire, de George Sand, de Gérard de Nerval, etc.... Et lorsque les envois autographes sont accompagnés de réflexions piquantes ou d'allusions satiriques, ou de déclarations amoureuses, comme cela arrive souvent quand ils s'adressent à des femmes artistes ou à des déesses du demi-monde, le volume qui les porte acquiert quelquefois une grande plus-value.
Voulez-vous que je vous en cite deux ou trois, que j'ai sous la main? Celui-ci est du spirituel auteur de quelques livres amusants, Gustave Claudin, qui vient de publier un volume de Souvenirs rempli d'intérêt, quoique un peu suranné.
L'ex dono est écrit sur la première page d'un livre intitulé Paris, qui parut en 1862, et il est adressé à une fameuse «beauté» contemporaine:
«A ma chère Anna Dellion, à la Beauté absolue. Ce n'est pas à l'hôtel des Trois-Empereurs, mais à celui de tous les Dieux que vous devriez habiter. Vous êtes belle.
Gustave Claudin.»
Et au-dessous:
«Pardonnez-moi le chapitre XIII. Il ne vous concerne pas. Lisez-le.»
En effet, le chapitre XIII, consacré au Plaisir, renferme quelques pages assez vives, contre «ces demoiselles», et l'auteur a fait acte de galanterie, en prévenant la dame en question avant de la laisser séjourner devant ce miroir, où elle aurait pu à peu près se reconnaître.
Un autre, un peu emphatique, quoique plein de sentiment et de chaleur, écrit par Alexandre Dumas le père, sur un exemplaire que je possède de sa tragédie l'Orestie, parue en 1856:
«A la mort et à l'exil.—A Dreux et à Guernesey.—Au duc d'Orléans et à Victor Hugo.—Celui qui les a aimés, les aime et les aimera éternellement, dédie ce succès de l'Orestie.
Alexandre Dumas.»
A qui fut donné cet exemplaire, imprimé sur beau papier vert? Il est probable que l'auteur le garda chez lui. Dans tous les cas, le rapprochement de ces noms est curieux.
En voici un tout simple de Victor Hugo, écrit sur la première édition de les Rayons et les Ombres:
«A Madame Delphine de Girardin, vive et respectueuse admiration.
Victor H.»
Un autre, d'Auguste Vacquerie, sur l'Enfer de l'Esprit:
«Aux pieds de Madame Adèle Hugo.
Auguste Vacquerie.»
Mme Victor Hugo avait écrit sur un exemplaire donné à Théophile Gautier, du livre dont elle était l'auteur, Victor Hugo raconté par un témoin de sa vie, l'envoi suivant:
«A Monsieur Théophile Gautier, l'un des vaillants lutteurs d'Hernani.
Adèle Victor Hugo.»
C'était une allusion à la querelle entre romantiques et classiques, qui eut lieu le jour de la première représentation d'Hernani. J'ai vu ce livre chez Théophile Gautier, mais je regrette de ne pas savoir quel en est l'heureux possesseur actuel.
Celui-ci, de Victor Hugo, est plus récent. Il se trouve sur la première édition complète des Châtiments, publiée après la rentrée du poète en France, en 1870:
«A mon vaillant et éloquent confrère Jules Janin.
Victor Hugo.»
Charles Baudelaire, en publiant les Fleurs du mal, avait dédié son livre à Théophile Gautier. Tout le monde connaît sa fameuse dédicace imprimée: «Au poète impeccable, au parfait magicien ès langue française, à mon très cher et très vénéré maître et ami Théophile Gautier, avec les sentiments de la plus profonde humilité je dédie ces Fleurs maladives. C. B.» En offrant son livre à l'auteur de Mademoiselle de Maupin, le poète des Fleurs du mal écrivit en tête d'un exemplaire tiré sur papier de luxe de l'édition originale:
«Mon bien cher Théophile, la dédicace imprimée à la première page n'est qu'une ombre très faible de l'amitié et de l'admiration véritables que j'ai toujours éprouvées pour toi. Tu le sais.
Ch. Baudelaire.»
Je trouve encore un volume d'Eugène Vermersch, les Hommes du jour, une série de biographies courtes et satiriques, publiée il y a une quinzaine d'années, qui contient l'envoi et la réponse que voici:
«A mon cher ami E. Cadol, hommage bien dévoué.
Eug. Vermersch.»
«L'auteur des Inutiles, retourne à l'auteur des Hommes du jour, son livre.
E. Cadol.»
L'exemplaire était renvoyé sans avoir été coupé.
Voici un des premiers ex dono d'Octave Feuillet sur la première édition de la pièce le Roman d'un jeune homme pauvre, parue en 1859:
«A Monsieur Chaumont, à son zèle si parfait, à son talent si élevé, à son succès mérité.
L'auteur reconnaissant,
Octave Feuillet.»
L'acteur Chaumont avait créé dans la pièce le rôle du notaire Laubépin.
Il existe déjà plusieurs amateurs de ces dédicaces et, ma foi, je trouve qu'ils ont raison de les rechercher; car on en trouve quelquefois de très amusantes, que je ne vous citerai pas ici, parce que ma lettre est déjà trop longue et aussi parce qu'elle pourrait tomber entre les mains de «belles et honnestes dames» qui ne me le pardonneraient peut-être pas.
XVI
'HISTOIRE de la reliure a déjà été faite
plusieurs fois, tant au point de vue
technique qu'au point de vue bibliographique
ou même au point de vue
héraldique. Je vous engage, mon ami, à consulter
les différents ouvrages publiés sur ce sujet. La connaissance
de cette branche de la bibliographie est
très utile, comme vous le verrez. Lisez surtout le
petit volume in-12 publié en 1864, par Édouard
Fournier, l'Art de la reliure en France. Vous aurez
sans doute de la peine à trouver ce livre, qui est
rare, mais vous êtes si patient et si persévérant!
deux qualités de bibliophile! Consultez le grand
ouvrage de Marius-Michel, un praticien qui arrivera,
je crois, à laisser une réputation de bon et
habile relieur, en mettant en pratique ses idées
et en s'inspirant des bons principes de ses devanciers.
Vous trouverez dans ses deux grands volumes,
la Reliure française jusqu'à la fin du XVIIIe siècle,
paru en 1880, et la Reliure française, commerciale
et industrielle, publié en 1881, des documents intéressants
et des planches qui reproduisent de curieux
types de reliures.
N'oubliez pas, pour vous faire connaître les styles et les époques, la marche et les progrès de l'art de la reliure, de feuilleter les albums de fac-similés, publiés l'un par Bachelin-Deflorenne, il y a plusieurs années, et l'autre tout récemment par les éditeurs Rouveyre et Blond. Il y a encore une petite brochure parue à l'époque de l'Exposition de 1878, et rédigée par un relieur, C. Wynants, dans laquelle le côté pratique de la reliure, le travail de l'ouvrier ou de l'artiste, sont traités avec beaucoup de bon sens et de compétence.
Mais surtout apprenez à connaître les reliures, soit anciennes, soit nouvelles, en les observant et les comparant vous-même, en les examinant dans tous les détails, et aussi en prenant l'avis des anciens amateurs, qui sont encore les plus aptes à vous renseigner sur ce chapitre. Vous formerez ainsi votre goût et vous deviendrez connaisseur par la force de l'habitude.
Si vous voulez faire relier vous-même vos livres,—ainsi doit agir tout véritable bibliophile,—sans vous en rapporter exclusivement à votre libraire, comme l'acheteur de volumes «à la toise», commencez par choisir un bon relieur. Dès lors, sans vous laisser entièrement guider par lui, vous pourrez écouter ses conseils.
Vous comprendrez aussi qu'il est utile d'observer et d'étudier les reliures anciennes, autant pour la satisfaction qu'on retire de ces connaissances, dans la conversation avec de vrais amateurs, que pour être apte à donner son avis au relieur auquel on confie ses volumes. En effet, chaque époque a eu son style, en cela comme en toutes choses, et un homme de goût doit toujours s'attacher à faire concorder le genre de la reliure qu'il fait exécuter, avec l'ouvrage lui-même. La date du volume doit guider l'artiste pour l'ornementation de la reliure, et tout vrai bibliophile est tenu de pouvoir renseigner cet artiste.
Ainsi un amateur comme vous, mon ami, doit savoir qu'avant le XVIe siècle les volumes, soit manuscrits antérieurs à l'invention de l'imprimerie, soit imprimés datant des quarante premières années de cette découverte, étaient ordinairement reliés avec des ais en bois. La plupart étaient recouverts de cuir estampé ou repoussé, d'une très grande solidité. En remontant plus loin encore, les manuscrits du moyen âge étaient ornés de reliures en métal, soit en cuivre ciselé, doré ou poli, soit en fer découpé à jour, et souvent avec des incrustations d'émaux ou de pierreries, ou encore avec des sujets en métal repoussé ou en ivoire sculpté. Plusieurs beaux spécimens de ces reliures se trouvaient dans la collection célèbre de feu M. Ambroise Firmin-Didot. Des maisons spéciales, comme celle de M. Gruel-Engelmann, ont quelquefois imité et exécutent encore avec succès des copies de belles reliures de ce genre.
Dans la première moitié du XVIe siècle on relia solidement les livres, en employant soit des plats en bois mince, soit de forts cartons, recouverts le plus souvent de peau de truie ou de cuir, avec dessins à froid. Quelques reliures exécutées pour le roi François Ier, plus tard d'autres faites pour Diane de Poitiers, et quelques-unes aussi ayant appartenu à Henri II, sont conservées encore comme des œuvres d'art.
On ne commença guère qu'en 1520 ou 1530 à employer l'or sur le cuir des reliures. Et il paraît que les premiers ouvriers qui furent chargés de ce travail étaient des «doreurs de bottes», dont le métier consistait d'abord à tracer des arabesques dorées sur les bottes des gentilshommes galants et coquets de l'époque. Il faut dire que dès ce moment les artistes relieurs ou doreurs sur cuir atteignirent à la perfection. On connaît deux noms de doreurs sur cuir qui travaillaient sous Henri II, et peut-être plus tard: Jehan Foucault et Jehan Louvet, ouvriers très habiles que durent employer les relieurs contemporains. Les reliures exécutées pour Charles IX, Catherine de Médicis, sur la plupart desquelles on voit la lettre K reproduite en différents endroits; celles de Henri III, avec la tête de mort et la devise: Spes mea Deus; celles de Henri IV et de Marguerite de Valois, souvent couvertes de dorures, composées de branches de feuillages, de volutes, d'entrelacs de filets, etc... toutes ces œuvres remarquables d'artistes qui s'appelaient Clovis Ève et Nicolas Ève et autres, sont souvent de véritables bijoux précieux.
N'oubliez pas de remarquer, quand vous en verrez, les reliures faites à peu près vers cette époque, pour un grand amateur, Jean Grolier, lesquelles sont presque toujours ornées de superbes dessins de filets entrelacés, quelquefois en mosaïque, avec une grande science de composition et un goût parfait. La plupart de ces volumes portent d'un côté la devise: Joh. Grolierii et amicorum, et de l'autre côté: Portio mea Domine sit in terra viventium. Toutes ces reliures sont fort recherchées, de même que celles d'un autre amateur, ami de Grolier, un Italien, Thomas Maïoli, qui confiait ses volumes évidemment aux mêmes artistes. Il avait pris aussi une devise semblable: T. Maioli et amicorum. Un autre illustre amateur de livres, Jacques-Auguste de Thou, fit exécuter des reliures très riches et admirablement ornées, auxquelles deux relieurs et libraires du temps, Pierre Gaillard et Pierre Portier, travaillèrent probablement.
L'examen de toutes ces reliures vous guidera, si vous avez de beaux et précieux volumes du XVIe siècle à faire relier, car ce sont là vraiment d'admirables modèles.
A la fin du règne de Henri IV et dans les premières années du règne de Louis XIII, un habile ouvrier, nommé Pigorneau, doreur de bottes comme ceux que nous avons cités, s'était mis à faire de la dorure de livres pour les relieurs. Il obtint un grand succès en exécutant ce que nous appelons aujourd'hui des compartiments à petits fers.
Sous Louis XIII et les premières années du règne de Louis XIV, la dorure à profusion fut à la mode. C'est de ce moment que date l'ornementation faite au pointillé sur un grand nombre de reliures. Un artiste surtout, celui qui travailla pour Louis XIII et Anne d'Autriche, le fameux Le Gascon, exécuta de petites merveilles en ce genre et dépassa de beaucoup tous ses contemporains. Le temps nous a heureusement conservé un certain nombre d'échantillons des ouvrages de ce maître en son art, qui fut en même temps un habile ouvrier, car le travail matériel de ses reliures, ce que nos contemporains ont nommé le corps d'ouvrage, est très soigneusement fait. Cette ornementation au pointillé, dont le dessin, souvent très compliqué, couvre entièrement les plats des reliures, est d'une grande richesse. Ce n'est déjà plus l'art majestueux et large du XVIe siècle, mais c'est infiniment gracieux. A la même époque on fit, aussi bien en Italie qu'en France, de nombreuses reliures dorées de la même manière, mais aucune n'approche de la finesse et de la netteté qui caractérisent celles de Le Gascon.
Vers la fin du XVIIe siècle, au moment où éclosent les chefs-d'œuvre de nos illustres classiques, la reliure redevient simple et peu ornée. On comprenait sans doute que ces œuvres grandioses ou sublimes n'avaient besoin d'aucun vêtement chamarré pour les faire paraître, et d'ailleurs l'impression elle-même en était peu soignée. Jamais ouvrages ne furent présentés au public d'une façon plus austère que les chefs-d'œuvre de Corneille, Molière, Racine, Pascal, La Fontaine, Boileau, La Rochefoucauld, Bossuet, La Bruyère, etc... Jamais volumes ne furent reliés aussi modestement; ce qui ne veut pas dire que les reliures fussent mauvaises ou même médiocres.
Plusieurs bons ouvriers dans ce genre se succédèrent depuis 1670 environ jusqu'aux premières années du XVIIIe siècle. Citons en première ligne, comme des relieurs presque incomparables, au point de vue de la qualité ou de la solidité de la reliure, d'abord Du Seuil, qui employa si souvent, comme dorure, cette double rangée de filets parallèles, l'une au bord, l'autre plus rapprochée du centre de chaque plat de la reliure, avec des coins en losanges dessinés à petits fers, et auxquels on a donné son nom. Ensuite vint le fameux Boyet, qui suivit les mêmes principes, mais en perfectionnant son travail au point de vue de la grâce et de l'élégance. Boyet est, selon nous, le modèle le plus parfait du bon relieur, et les volumes sortis de ses mains, si peu ornés qu'ils soient, font maintenant la joie des grands amateurs, qui ont fini par y attribuer des prix fort élevés.
Du Seuil et Boyet furent les premiers à doubler en maroquin à l'intérieur les plats d'un grand nombre de reliures. Cela avait été fait quelquefois avant eux, mais bien rarement. Nos bibliophiles les plus délicats attachent une grande importance à ces doublures, qui donnent maintenant une plus-value considérable aux livres sur lesquels on les rencontre. D'ailleurs les reliures de cette époque ont bravé les injures du temps avec une crânerie étonnante. La couleur est à peine modifiée, la dorure a conservé une grande fraîcheur; et il serait à désirer que nos maroquins modernes, à l'épiderme tendre, aux couleurs si variées et si brillantes, résistassent comme ceux-là pendant deux siècles, sans subir la moindre altération. Mais hélas! je crains bien qu'il n'en soit pas ainsi!
Les derniers relieurs véritablement habiles qu'on peut encore citer avant la décadence du métier, sont les Padeloup, dont la famille s'occupa de reliure pendant un demi-siècle environ, depuis 1715 jusque vers 1760; Anguerran, leur contemporain à peu près; Bisiaux, qui relia des livres pour Mme de Pompadour; et ensuite les Derome ou De Rome, dont le plus ancien et le meilleur relieur vivait au temps des derniers Padeloup.
Le Régent Philippe d'Orléans, qui ne dédaigna pas le goût des livres,—ce qui prouve une fois de plus que ce goût n'est pas incompatible avec celui de la galanterie,—fit relier un certain nombre de volumes par Padeloup. Il est même possible que ce fût pour ce prince que le relieur exécuta ses premières mosaïques, jolies œuvres d'art dont nous connaissons de si curieux spécimens. En effet, nous avons vu récemment passer en vente, dans la bibliothèque de M. Ernest Quentin-Bauchart, un intéressant volume illustré de gravures d'après les dessins du Régent, les Amours pastorales de Daphnis et de Chloé, daté de 1718, et sans doute relié la même année pour le prince, avec une superbe mosaïque portant au milieu les armes de Philippe d'Orléans. Ce volume appartient aujourd'hui à M. le comte de Mosbourg.
Les reliures de Padeloup, du premier surtout, se distinguent de celles de ses devanciers et de ses contemporains par des cartons plus minces et un travail d'ensemble plus élégant, sans exclusion de la solidité. Ce fut aussi le premier relieur qui signa ses œuvres d'une petite étiquette placée soit au bas du titre, soit au coin d'un feuillet de garde; mais toutes ses reliures ne furent pas signées.
L'ancien Derome, qu'on appelle aussi Derome le père, fut un excellent relieur et ses travaux se rapprochent de ceux des Padeloup. Comme eux il signa ses reliures d'une étiquette portant son nom et son adresse. Il exécuta aussi quelques mosaïques, que l'on recherche beaucoup de nos jours.
Un autre relieur ou seulement doreur sur cuir, Monnier, exécuta, à la même époque que Padeloup et Derome l'ancien, quelques mosaïques très riches et d'un dessin original. La plus belle et la plus finie que j'aie vue se trouve chez un de nos grands bibliophiles, M. Daguin, et recouvre un autre joli exemplaire du Daphnis et Chloé, 1718, petit in-8º que je viens de vous citer. En regardant attentivement ce volume, on est convaincu que la reliure doit être exécutée par Padeloup. Le corps d'ouvrage est pareil à celui des reliures qu'on lui attribue, les cartons sont minces, les châsses courtes, les coiffes fines; enfin l'ensemble a tout à fait le cachet des reliures de Padeloup. La mosaïque est signée Monnier, en six endroits. On sait d'ailleurs que Padeloup et Monnier travaillèrent ensemble.
A la vente Beckford-Hamilton, à Londres, se trouvaient quelques reliures à mosaïques, portant la signature de Monnier. La plus importante, à lui attribuée, mais non signée, avait été faite pour Mme de Pompadour, sur un exemplaire de la fameuse édition de Rodogune, imprimée en 1760, au Nord, dans les appartements mêmes de la célèbre favorite. Je vous ai déjà signalé ce volume à propos d'armoiries. Les sujets de la mosaïque sont larges et cependant finement exécutés. Le format in-4º a d'ailleurs permis à l'artiste de développer son dessin. Au milieu de chacun des plats se trouve la tour du blason de Mme de Pompadour.
Une autre mosaïque, également de grand format, recouvrait l'Imitation de Jésus-Christ, édition de De Beuil. Quoique le dessin japonais avec personnages ne soit pas en rapport avec le livre, il faut dire que l'exécution de cette mosaïque, qui présentait beaucoup de difficultés, est très remarquable. Monnier avait frappé sa signature en plusieurs endroits. Ces deux volumes, curiosités de premier ordre, appartiennent aujourd'hui à un amateur de merveilles, M. le comte de Sauvage.
Derome le jeune, celui dont on connaît le plus grand nombre de reliures, celui auquel on doit ces dos plats qui ont fait pendant bien des années la joie des bibliophiles, paraît n'avoir pas relié après 1790, époque où Bradel lui succéda. Mais déjà la décadence de la reliure avait commencé, et le corps d'ouvrage fut si négligé depuis ce moment jusque vers 1840, que les volumes sortis des ateliers pendant cette période de cinquante ans ressemblaient assez à des cartonnages recouverts d'une peau médiocrement apprêtée.
Après Bradel, qui se contenta de suivre les traditions du dernier Derome, une transformation sérieuse s'opéra dans l'emploi des substances premières destinées à la reliure. Jusqu'à la fin du XVIIIe siècle environ, les peaux avaient été préparées avec un grand soin, tant au point de vue du tannage qu'à celui de la teinture et du grain presque arrondi qui leur donnait un si bel aspect. C'est grâce à ces soins minutieux que les reliures les plus anciennes exécutées en maroquin, celles du XVIe siècle même, ont conservé jusqu'à nos jours cette solidité et cette fraîcheur de tons qui nous séduit. Depuis les premières années de l'Empire, jusqu'en 1840 à peu près, les peaux subirent une préparation toute différente. Les grains en furent allongés et on employa souvent du cuir de mouton, auquel on donna l'aspect de maroquin, au lieu du cuir de chèvre qui servait à cet usage. Les couleurs, devenues plus brillantes, étaient aussi moins solides, sauf le rouge, qui a bravé les injures du temps. Les meilleurs relieurs de cette époque, Bozérian, Courteval, Lefebvre, Simier, Thouvenin, ne laissent rien de remarquable, quoiqu'ils aient montré quelquefois, surtout le dernier, Thouvenin, une certaine habileté.
Cependant il faut dire à la louange de ces ouvriers, qu'ils firent preuve d'intelligence et de bon goût, en conservant presque toujours, sinon intactes, au moins peu rognées, les marges des volumes qui leur furent confiés. Le même éloge ne peut être adressé à tous leurs prédécesseurs du XVIIIe ou du XVIIe siècle; car, en général, ceux-là ne trouvèrent pas toujours utile de joindre cette qualité à celles qu'on se plaît à leur reconnaître.
Il est évident qu'à toutes les époques que je viens de vous faire parcourir, de nombreux relieurs existèrent à côté de ceux que je vous ai cités. Mais la plupart de leurs noms ne sont pas parvenus jusqu'à nous; et d'ailleurs, mon ami, je n'ai pas la prétention de vous faire ici un cours, mais de vous fournir quelques données, qui suffiront à votre intelligence, je n'en doute pas.
XVII
A rénovation de la reliure à notre époque
est due peut-être autant à la délicatesse
du goût des bibliophiles modernes
qu'à l'habileté des relieurs eux-mêmes.
En effet, pendant la période de décadence que je
vous ai signalée, surtout depuis la Révolution jusqu'au
règne de Louis-Philippe, peu de belles bibliothèques
s'étaient formées, peu de vrais amateurs
avaient existé. Une collection de livres précieux
était une satisfaction de grand luxe, que pouvaient
seuls se donner autrefois la noblesse et les grands
financiers. Et comme après la Révolution tout s'était
démocratisé, la noblesse de race n'existant plus
guère, la noblesse d'argent (!) n'existant pas encore,
et la bourgeoisie n'étant pas alors assez riche pour
songer à des dépenses superflues, tout ce qui était
objet d'art attirait peu l'attention: les livres et les
reliures devaient aussi subir cette crise.
Mais après 1830, la situation financière étant devenue meilleure, la haute bourgeoisie qui s'enrichissait, la noblesse qui avait conservé sa fortune ou en avait obtenu la restitution, se remirent à acquérir des objets de luxe. Une certaine rivalité excita l'émulation des amateurs, et, l'amour-propre s'en mêlant, chacun voulut avoir les plus beaux livres, ou les plus beaux tableaux, ou les plus beaux bronzes, ou les plus beaux marbres, etc... Les bibliophiles, dont le goût se formait au contact des beaux livres anciens, commencèrent à donner leur avis et ensuite à imposer leurs idées aux relieurs, lesquels firent de leur mieux pour contenter des clients devenus très sérieux et déjà difficiles.
Les progrès de la reliure ne se sont point arrêtés et de nos jours cet art est arrivé à atteindre une grande perfection.
Ce fut d'abord Purgold,—le contemporain de Simier et surtout de Thouvenin,—qui recommença à donner un plus grand soin au travail matériel, au «corps d'ouvrage», dans la reliure en maroquin. Bon ouvrier lui-même, il sut s'entourer de gens habiles, et c'est de son atelier que sortit Bauzonnet dont le nom devait faire époque dans les annales de la reliure, surtout accolé à celui de Trautz son successeur, qui dépassa encore le maître.
Les reliures de Purgold étaient «à dos plat» comme celles de ses prédécesseurs, mais elles offraient plus de solidité et plus de fini dans l'exécution. Son élève, Bauzonnet, réforma graduellement ces dos, qui manquaient peut-être de grâce, tout en étant très commodes et en facilitant l'ouverture des volumes. Il les arrondit peu à peu et en amincissant légèrement les cartons il donna aux reliures un cachet plus élégant.
Ce fut lui aussi qui commença à remettre à la mode l'emploi des petits fers pour l'exécution de la dorure, tandis que depuis de longues années on se servait presque toujours de plaques gravées frappant d'un seul coup l'ornementation de chaque plat, ce qui était plus expéditif mais moins gracieux. On n'a plus conservé l'habitude d'employer ces plaques que pour les livres d'étrennes ou de distributions de prix.
Lorsque Trautz devint chef de l'atelier de Bauzonnet, il accentua encore la forme ronde pour le dos des reliures, ce qui leur donna une consistance qu'elles n'avaient pas eu depuis Du Seuil, Boyet et Padeloup. Mais ce qui fut une grande qualité chez ces maîtres devint un défaut chez Trautz, car les volumes reliés par ce dernier, surtout ceux qui sont de petit format et épais, s'ouvrent difficilement, tant le dos est rond et serré, tandis que les reliures anciennes de ceux que nous venons de citer s'ouvrent très bien.—Il faut dire, non sans malice, que plusieurs amateurs bibliomanes ont attaché peu d'importance à ce défaut, qu'ils ont même considéré comme un progrès, n'éprouvant jamais, sans doute, le besoin d'ouvrir leurs livres.
Mais heureusement Trautz a eu un mérite autrement sérieux. Plus spécialement doreur que relieur, lorsqu'il était ouvrier dans l'atelier de Bauzonnet, il avait eu l'occasion de perfectionner son art, en exécutant l'ornementation de reliures de grand luxe, destinées à de riches amateurs. Devenu à son tour chef de maison, il continua à se réserver la dorure, en prenant des ouvriers habiles pour exécuter le travail matériel de la reliure, préparer ou plutôt parer le maroquin, endosser et couvrir. Mais l'œil du maître veilla toujours sur l'ensemble, et c'est grâce à ces soins minutieux donnés à tous les travaux sortant de son atelier, que ses reliures ne tardèrent pas à être fort prisées de la plupart des bibliophiles.
Plusieurs relieurs actuels, mais surtout Thibaron et Cuzin, procèdent immédiatement de Trautz; le premier fut son ouvrier et le second s'attacha à prendre ses bons principes, qu'il appliqua ensuite fort habilement. L'un et l'autre sont actuellement de très bons relieurs.
Je tiens à mentionner tout spécialement, à côté de Trautz, un artiste qui existe encore et dont le nom et les travaux vivront avec un certain éclat, quoi qu'en aient dit quelques amateurs trop exclusifs. Je veux parler de Lortic, à qui il serait injuste de ne pas attribuer une large part dans la renaissance de la reliure et surtout de la dorure. Contemporain de Trautz-Bauzonnet, quoique plus jeune, Lortic fut un rival sérieux, et il faut dire que si des bibliophiles lui préférèrent Trautz, il eut aussi un grand nombre de partisans. D'abord Lortic exécuta des reliures beaucoup plus importantes, dans lesquelles il fallut dépenser une bien plus grande science de composition et une bien plus grande habileté d'exécution que pour celles de Trautz.
Lortic, très bien secondé par ses fils (qui lui succèdent aujourd'hui), créa un grand nombre de dessins, souvent fort compliqués, et les exécuta avec succès. Si l'on a pu lui reprocher quelques incorrections de style, on aurait bien dû aussi mettre en balance la difficulté de trouver une ornementation essentiellement appropriée au genre du livre ou à son époque. On lui demanda des reliures très riches, très ornées, très brillantes, il trouva dans son imagination le modèle de ces reliures, tout en tenant compte autant que possible de la nature des volumes ou de leur âge. On voyait à l'Exposition universelle de 1878 plusieurs reliures d'une grande richesse, faites par lui et à l'exécution desquelles ses fils avaient largement collaboré.
La plupart de ses ornements à mosaïque sont des créations, et les dessins en sont nombreux. Reprochez-lui maintenant quelques fautes de goût, trouvez mauvais qu'il surcharge de dorure toutes ses œuvres, vous le pouvez. D'autres vous répondront que c'est là un genre à part, que ce genre plaît à beaucoup d'amateurs, et qu'en somme un artiste original est toujours plus méritant qu'un habile copiste.
Trautz a montré beaucoup de goût dans l'exécution de presque toutes ses reliures; sa manière de dorer était excellente et donna des résultats superbes; son ornementation avait un grand caractère; tout cela est vrai, soit; c'est bien à considérer, et les bibliophiles ont raison d'estimer des travaux aussi parfaits. Mais Trautz n'a rien ou presque rien créé; il a imité les meilleurs artistes anciens, dont il a su choisir les beaux échantillons. Il a composé ses grandes dorures en s'inspirant des superbes compartiments à entrelacs du relieur de Jean Grolier, ou des ornements à volutes et à feuillages des Nicolas Ève et Clovis Ève. Ses belles dorures au pointillé ou au petit fer microscopique sont souvent copiées sur des reliures de Le Gascon. Il a pris à Padeloup et à Derome les modèles de ses plus importantes mosaïques. Et tout cela est arrangé avec une habileté remarquable; c'est ce qui fait son principal mérite, et c'est aussi sans doute pour cela que les grands bibliophiles, dont le goût est très classique, dont l'œil est habitué aux belles œuvres des anciens relieurs, ont accordé au disciple fidèle de ces artistes une telle préférence.
On peut encore citer comme bons relieurs, quelques-uns de l'époque de Trautz et de Lortic, par exemple Niedrée, Duru, Capé, et parmi les nouveaux, Motte, successeur de Trautz, Cuzin, Thibaron, Lortic frères, successeurs de leur père, Marius-Michel et fils, d'anciens doreurs qui se sont mis depuis quelques années à relier, Mme Reymann, Amand, Chambolle, successeur de Duru, David, etc. Quelques-uns font surtout de la demi-reliure d'amateur, avec dos et coins de maroquin, et ils excellent en ce genre; ce sont: David, Roussel, Raparlier, Affolter, Mme Brany, Smeers, etc ... Quel que soit le relieur que vous choisissiez entre tous ceux-là, vous aurez de bon travail, pourvu toutefois que vous ne le pressiez pas trop; car, chez de tels ouvriers, les reliures ne se font pas par douzaines ou par grosses, comme dans les ateliers spéciaux où les volumes sont reliés presque à la vapeur, par des moyens mécaniques.
En général il faut que vous ayez la patience d'attendre au moins six mois à un an pour des reliures pleines en maroquin, bien faites, et au moins deux mois pour des demi-reliures. En voici la raison: les bons relieurs n'ont pas autant d'ouvriers que les relieurs de commerce; ils n'en ont pas moins beaucoup de clients et des clients difficiles, ce qui les force à travailler lentement, pour soigner leurs œuvres. Ensuite ils commencent leurs reliures par séries d'un même genre, par trains, comme ils disent, de quarante ou cinquante, ou cent, suivant leur personnel. Chaque partie de la reliure de ces volumes s'exécute en même temps pour tous, et quand toute la série est terminée, on en commence une autre. Quand vous donnez des livres à relier, il est évident que plusieurs séries ont pris rang avant vous; vous devrez attendre le train dans lequel passeront vos volumes. Et pour que les reliures soient réussies, il faut que le collage de chaque partie soit très sec avant de passer à une autre partie; c'est ce qui fait que l'ensemble du travail exige un temps assez long.
Un grand ennui, qu'il fallait subir quand on donnait un livre à relier chez Trautz-Bauzonnet, par exemple, c'était d'attendre souvent plusieurs années. Cet artiste n'avait qu'un ouvrier et par conséquent produisait peu, voulant tout voir et repasser par lui-même.
Voici, mon ami, quelques recommandations bonnes à vous rappeler, quand vous ferez relier un volume. Lorsque vous commandez une reliure pleine,—entièrement recouverte de maroquin ou de veau,—faites rogner légèrement les tranches, pas plus qu'il ne faut pour les dorer. Si c'est une demi-reliure que vous désirez, avec coins en maroquin comme le dos, ne faites rogner que la tranche supérieure, qui devra être aussi dorée, tandis que les autres tranches resteront à leur état naturel, avec marges intactes. Ceci est le grand genre de notre époque.
Il est de mode aussi de relier avec le livre la couverture entière de la brochure, de sorte que le volume reste sous le maroquin, tel qu'il a paru. J'approuve ce système, qui s'explique seul lorsqu'il s'agit de couvertures illustrées de gravures, lesquelles sont curieuses à conserver; et pour faire comprendre qu'on garde même des couvertures simplement imprimées, il faut dire qu'elles contiennent souvent des renseignements qu'on ne trouverait pas ailleurs. A notre époque de documents précis et méticuleux, quelques mots ou quelques lignes ont parfois de l'importance.
Faites relier en plein maroquin les ouvrages d'un réel mérite littéraire, soit anciens, soit modernes, et pour ces derniers choisissez autant que possible des exemplaires imprimés sur papier supérieur. Cela a été fait et se fait encore pour la plupart des volumes publiés de nos jours, comme cela se faisait autrefois pour quelques ouvrages les plus intéressants.
Les livres de travail demandent de bonnes et solides reliures, avec dos et coins de maroquin et plats en carton recouverts de papier. (La toile ou la percaline estampées à froid ou dorées, comme recouvrement des plats, n'ont aucun cachet et ne se mettent que sur les livres d'étrennes pour enfants ou de distributions de prix.) Les romans, les poésies, les critiques, les biographies, doivent être aussi reliés de la même façon. Cependant je vous engage, en ce qui concerne les volumes auxquels votre goût et le sentiment du public assignent un mérite hors ligne, qui sont destinés par cela même à acquérir une plus grande valeur, à les faire provisoirement cartonner d'une certaine façon, qui les conserve presque intacts. Cela vous permettra plus tard de leur donner la reliure qui leur convient, quand, l'opinion et le temps ayant consacré votre goût, vous serez décidé à en faire la dépense. Dans ce cas, je vous conseillerai de vous adresser à un relieur spécialiste, nommé Carayon, qui a trouvé le moyen de donner à des cartonnages de ce genre un caractère aussi gracieux qu'original. D'autres relieurs, par exemple Pierson, Lemardeley, Gayler-Hirou, Pouillet, Raparlier, les exécutent aussi avec soin.
Voici une anecdote sur la reliure, pour terminer cette lettre. Un relieur m'a raconté qu'ayant été autrefois appelé par M. Thiers, pour prendre un certain nombre de volumes de divers formats, le grand historien le conduisit devant un rayon de sa bibliothèque, dont il lui fit mesurer l'écartement, en lui disant: «Arrangez-vous pour que tous les volumes soient rognés de façon à entrer dans ce rayon.—Mais, Monsieur, les in-12 seuls pourront entrer ici, et pour les in-8 ce sera impossible.—Comment, impossible! s'écria l'homme d'État, je les ai mesurés, et en les réduisant à la taille des in-12 cela ira fort bien; il suffit qu'on puisse lire le texte; les marges ne signifient rien.»
Je ne vous engage pas, mon ami, à suivre l'exemple de cet illustre niveleur de volumes, qui faisait abattre des marges, comme le Grand Cardinal faisait abattre des têtes, quand elles étaient trop hautes et qu'elles le gênaient. Cela prouve qu'on peut être un écrivain éminent et un habile politicien sans être bibliophile; mais cela ne prouve pas qu'un bibliophile ne puisse être un grand homme. Jacques-Auguste de Thou, Richelieu, Colbert, le prince Eugène de Savoie, aimaient les livres et les faisaient relier avec luxe; ce n'étaient pas là des pygmées, je pense!
DERNIERS MOTS
OILA mon premier recueil terminé.
J'avoue que j'éprouve une grande émotion
en le livrant au public spécial,
délicat et pointilleux des bibliophiles.
Sera-t-il lu seulement? Daignera-t-on y prendre un
peu d'intérêt?
Si, par hasard, quelqu'un allait prétendre que ce volume ne renferme pas même trois bonnes pages, il aurait tort, car j'ai composé celles qui suivent avec quelques aphorismes tirés des meilleurs ouvrages écrits sur le goût des livres.
Richard de Bury, grand chancelier d'Angleterre au XVIe siècle, a laissé un fameux ouvrage, intitulé Philobiblion, dans lequel il se montrait déjà ardent bibliophile. J'en extrais ceci:
«Les livres nous charment lorsque la prospérité nous sourit, ils nous consolent lorsque la mauvaise fortune semble nous menacer; ils donnent de la force aux conventions humaines et sans eux les graves jugements ne se prononcent pas.
Les arts et les sciences résident dans les livres et aucun esprit ne suffirait à exprimer le profit que l'on peut en tirer.
En retournant ce que Sénèque nous apprend dans sa 84e lettre, «que l'oisiveté sans livres est la mort et la sépulture de l'homme vivant», nous conclurons incontestablement que le commerce des lettres et des livres constitue la vie...»
A côté de cette apologie enthousiaste des livres pour ce qu'ils contiennent, je place deux remarques plus sceptiques et tout aussi justes. La première est de d'Alembert:
«L'amour des livres, quand il n'est pas guidé par la philosophie et par un esprit éclairé, est une des passions les plus ridicules. Ce serait à peu près la folie d'un homme qui entasserait cinq ou six diamants sous un monceau de cailloux.»
L'autre est un peu le pastiche de celle-là, mais l'auteur, M. de Sacy, a eu soin de l'idéaliser, tout en accentuant encore le côté satirique:
«Le goût des livres, quand il n'est pas la passion d'une âme honnête, élevée et délicate, est le plus vain et le plus puéril de tous les goûts.»
Jules Janin, dans sa petite plaquette: l'Amour des livres,—que je regrette presque d'avoir jugée un peu cavalièrement en quelque endroit de mes lettres,—a écrit des pensées plus encourageantes:
«Les livres ont encore cela d'utile et de rare: ils nous lient d'emblée avec les plus honnêtes gens; ils sont la conversation des esprits les plus distingués, l'ambition des âmes candides, le rêve ingénu des philosophes dans toutes les parties du monde; parfois même ils donnent la renommée, une renommée impérissable, à des hommes qui seraient parfaitement inconnus sans leurs livres...
Accordez-nous, grands dieux, une provision suffisante de beaux livres, qui nous accompagnent dans notre vie, et nous servent de témoignage après notre mort.»
Et Jules Richard, dans l'Art de former une bibliothèque: «Après avoir profité de tous les biens de ce monde dans la juste mesure de mes moyens et de mes forces, je puis, sans hypocrisie, constater ici que, de toutes les jouissances, celles qui proviennent de l'amour des livres sont, sinon les plus vives, tout au moins les plus facilement et les plus longtemps renouvelables.»
C'est, en quelques phrases, le vrai code moral, philosophique et sensé de la bibliophilie.
TABLE
| Pages. | |
|---|---|
| Préface | I |
| Déclaration | III |
| LETTRE I | |
| De la bibliophilie.—Du goût de la lecture.—Comment on devient bibliophile.—Il ne faut pas prêter ses livres.—Deux devises opposées sur ce sujet.—Il faut savoir discerner les bonnes éditions des mauvaises. | 1 |
| LETTRE II | |
| De la tendance à acquérir beaucoup de livres, sans choix raisonné.—Des goûts différents de chaque amateur.—Folie de ceux qui voudraient avoir tous les livres intéressants.—De l'urgence d'acheter des ouvrages de bibliographie.—Énumération des principaux ouvrages de ce genre. | 9 |
| LETTRE III | |
| Réflexions sentimentales et physiologiques sur la lecture et sur l'amour des livres.—Du goût des livres comme traitement des maladies de l'âme.—Un livre est un ami qui ne trahit jamais. | 19 |
| LETTRE IV | |
| Nouveaux ouvrages de bibliographie à acquérir.—Variations du prix des livres et de la mode en bibliophilie.—Le goût des amateurs se modernise.—Livres du XVIIIe et du XIXe siècle.—Guides relatifs à ces ouvrages. | 31 |
| LETTRE V | |
| Des moyens de composer une bibliothèque.—Opinion de Jules Janin sur la manière d'acheter des livres.—Nécessité d'avoir des volumes dont le texte intéresse d'abord et contienne des documents.—Des volumes achetés pour leur reliure ou leur provenance.—De la vanité chez les bibliophiles.—Ouvrages littéraires anciens.—Éditions princeps d'Homère et de Virgile.—Méthode pour dresser un catalogue de ses livres. | 39 |
| LETTRE VI | |
| Les éditions originales des grands classiques français du XVIIe siècle; leur valeur actuelle comparée à celle de 1845 environ; leur rareté.—Éditions originales du Cid, de Sganarelle et des Plaideurs, rarissimes.—Les Femmes savantes, édition datée de 1672.—Éditions collectives des œuvres de Corneille, Molière, Racine, etc....—Premières éditions de tous les bons écrivains.—Les meilleurs auteurs du XVIIIe siècle.—Paul et Virginie, de 1789, avec figures de Moreau.—Petite collection Didot et Bleuet.—Ouvrages du XVIIIe siècle, souvent insipides, mais ornés de gracieuses vignettes.—Choix à faire dans les volumes de cette époque. | 47 |
| LETTRE VII | |
| Littérature du XIXe siècle.—Premières éditions de nos grands poètes.—Lamartine, Victor Hugo, Alfred de Musset, Alfred de Vigny.—Divers ouvrages de Stendhal et de Théophile Gautier.—Folies faites à propos de Mademoiselle de Maupin. | 57 |
| LETTRE VIII | |
| Charles Dovalle, le Sylphe; J.-G. Farcy, Reliquiæ.—Premières éditions de quelques ouvrages de Mérimée, de Balzac, George Sand, Jules Sandeau, Sainte-Beuve.—Écrivains contemporains: Alexandre Dumas fils, Octave Feuillet, Henri Murger, Charles Baudelaire, Gustave Flaubert, Théodore de Banville, Albert Glatigny, Alphonse Daudet, etc. | 67 |
| LETTRE IX | |
| Livres illustrés du XIXe siècle.—Paul et Virginie.—Les Contes de Perrault.—L'Expédition des Portes de Fer.—Chants et chansons populaires de la France.—Notre-Dame de Paris.—La Peau de chagrin.—Chansons de Béranger.—Le Livre des Orateurs.—Le Musée Dantan.—Ouvrages illustrés par J.-J. Grandville.—La Pléiade.—Les Français peints par eux-mêmes.—Le Diable à Paris.—Ouvrages illustrés par Gavarni.—Œuvres de H. de Balzac.—Volumes illustrés par Gustave Doré.—La Caricature.—Jérôme Paturot.—L'Assemblée nationale comique.—La Revue Comique, les Robert Macaire.—La Correctionnelle.—Ouvrages illustrés de gravures à l'eau-forte.—Volumes d'Alfred Delvau.—Collections Jouaust et Lemerre.—Œuvres de Molière, avec dessins de Leloir.—Divers ouvrages illustrés par Lalauze, Hédouin, Worms, etc....—Livres publiés par l'éditeur Conquet, avec gravures au burin et gravures sur bois.—Les reproductions d'anciennes gravures.—La Bibliographie des ouvrages illustrés du XIXe siècle. | 75 |
| LETTRE X | |
| Ouvrages antérieurs au XVIIe siècle.—Le Roman de la Rose; Les Cent Nouvelles nouvelles.—Éditions anciennes de Boccace.—Premières éditions de Gringoire, de Coquillart. Romans de chevalerie.—Œuvres de Villon, Clément Marot, Marguerite de France, reine de Navarre, Louise Labé, Pernette du Guillet, Bonaventure Des Périers.—Premières éditions des livres séparés de Rabelais; ses Œuvres complètes.—Poètes de la fin du XVIe siècle, jusqu'à Malherbe exclusivement. | 93 |
| LETTRE XI | |
| Les manuscrits enluminés, du XIIIe au XVe siècle.—Les manuscrits plus anciens.—Ceux qui sont les plus estimés.—L'école française.—Les écoles de Paris, de Bourgogne et de Touraine.—L'école flamande et l'école italienne.—Les peintures en grisaille, fort recherchées.—Quelques manuscrits de la collection Didot.—Le fameux «Évangéliaire» de Charlemagne.—L'écriture aux différents siècles.—L'art aux époques carlovingiennes, à l'époque gothique et à l'époque de la Renaissance.—Divers artistes du XVe siècle.—Nécessité d'apprendre à bien connaître les manuscrits.—Disette d'œuvres calligraphiques dans la seconde moitié du XVIe siècle.—Les écrivains sous Louis XIII et Louis XIV.—Jarry, la Guirlande de Julie, etc. | 105 |
| LETTRE XII | |
| Variations du goût des bibliophiles; relations des amateurs avec les libraires.—Anciens bibliophiles désintéressés.—Spéculateurs qui ont causé la hausse exagérée et ensuite la baisse du prix des livres.—Les amateurs nouveaux, acheteurs de livres modernes.—L'éclectisme en bibliophilie. | 115 |
| LETTRE XIII | |
| Idées bizarres des femmes sur le goût des livres; prétendue influence de ce goût sur les relations matrimoniales.—Réfutation de ces idées.—La bibliophilie bien ordonnée, au point de vue spéculatif, que les femmes ne dédaignent pas.—Agrément de lire un ouvrage dans un volume bien imprimé et de bel aspect.—Satisfaction de trouver immédiatement sous la main un livre qu'on veut relire.—Comparaison des bibliophiles avec les autres collectionneurs.—Anecdote positive et financière sur les avantages qu'on peut retirer d'une bibliothèque bien choisie.—Derniers conseils aux femmes.—Princesses et grandes dames bibliophiles, du temps passé et de nos jours. | 123 |
| LETTRE XIV | |
| Armoiries et provenances des volumes.—Armoiries anciennes fort recherchées, armoiries modernes dépréciées; motifs de cette différence.—Personnages dont les armoiries augmentent beaucoup le prix des livres.—Qualité des reliures armoriées, influant sur le prix.—Les ex libris. | 137 |
| LETTRE XV | |
| Annotations ou signatures des personnages célèbres.—Signature de Molière très précieuse; ses autographes introuvables.—Volumes annotés par les écrivains célèbres de diverses époques.—Dédicaces d'auteurs; autographes joints aux volumes.—Lettres de nos grands écrivains modernes; celles qui sont les plus recherchées.—Les dédicaces ou ex dono.—Quelques ex dono curieux. | 149 |
| LETTRE XVI | |
| Reliures et relieurs.—Histoire de la reliure; ouvrages à consulter sur ce sujet.—Utilité de connaître les reliures anciennes.—Genres de reliures différents suivant les époques.—Relieurs célèbres depuis le XVIe siècle jusqu'à la fin du XVIIIe.—Goût du Régent, Philippe d'Orléans, pour les belles reliures.—Mosaïques.—Décadence de la reliure au commencement de notre siècle et jusque vers 1840. | 161 |
| LETTRE XVII | |
| Reliures modernes.—Causes de la rénovation de l'art de la reliure.—Les meilleurs relieurs, Purgold, Bauzonnet, Trautz, Lortic, Niedrée, Duru, Capé, Cuzin, Thibaron, Marius-Michel, Mme Reymann, Amand, Chambolle, David, etc.—Les bons relieurs de second ordre; demi-reliures.—Patience nécessaire pour obtenir de bonnes reliures.—Recommandations utiles pour faire approprier le genre de reliure à l'ouvrage lui-même.—Anecdote sur M. Thiers, à propos de reliures. | 175 |
| Derniers mots. | 187 |
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PAR
GEORGES CHAMEROT
POUR
JULES LE PETIT
bibliophile
le 26 avril 1884.
Corrections.
La première ligne indique l'original, la seconde la correction.
- à tous les auteurs qui ont acquis, par leur génie ou leur talent, le doit d'immortalité;
- à tous les auteurs qui ont acquis, par leur génie ou leur talent, le droit d'immortalité;
p. 159
- Eug. Vermesch.
- Eug. Vermersch.
p. 179
- lui reprocher quelques incorcertions
- lui reprocher quelques incorrections