L'esclave religieux, et ses avantures
Chapitre XI.
L'Auteur au retour de la Campagne est occupé à la construction d'une nouvelle prison pour les Captifs, dont il refuse d'estre l'écrivain; Revolte des Gibelins sujets de Tripoly; Regep Bé met ces Rebelles à la raison; Son entrée à Tripoly aprés sa victoire; l'Auteur paye deux écus par mois pour être exempt du travail; Il fait divers mestiers; Une Barque de Malte sauve deux Captifs pour lesquels elle n'estoit pas venuë; Le Bacha s'en vange sur le Capitaine Augustin Maltois; Avantures d'un Savoyard qui avoit esté fait Captif avec l'Auteur.
Pendant nostre absence les Corsaires de Tripoly firent plusieurs prises, ce qui augmenta tellement le nombre des Esclaves, que le Bacha fut obligé de faire bastir une nouvelle prison, à la construction de laquelle je fus employé aprés mon retour. Le travail fut beaucoup precipité selon la coûtume des Turcs, & il fut achevé en trois mois de temps; il est vray que les murailles estoient de terre, mais elles estoient cimentées par les dehors. On y logea d'abord quatre cent Captifs de toutes Nations, & les Gardes m'en voulurent faire l'écrivain; je refusay cét employ, parce que le Chrestien qui l'exerce ne peut esperer la liberté, & les Gardes l'obligent à découvrir les fautes des autres Chrestiens. Baba Manoly Grec, pere de Regep Bé General de la Campagne, y fit faire une Chapelle qui fut dediée à Dieu, sous l'invocation de Saint Michel, par le Papas des Grecs. Baba Manoly estoit de l'Isle de Chio, & cousin du Bacha; Il s'estoit retiré à Tripoly pour profiter de la fortune de son fils qui estoit des premiers de la Ville. Regep entretenoit un frere qui s'appelloit Jacomin, & qui estoit aussi Turc que luy, bien qu'il ne portast pas le Turban. Leur pere frequentoit les Sacremens avec les Catholiques Romains, jeunoit regulierement comme eux, assistoit à leurs ceremonies, leur rendoit tous les offices imaginables, & les estimoit plus que ceux de sa Nation, quoy qu'il en fût le protecteur. Les Turcs le souffroient parmy eux à cause de l'autorité de son fils, & Osman le consideroit non-seulement parce qu'il estoit son cousin, mais encore parce qu'il attiroit chez luy ses parens qui venoient à Tripoly dans le dessein de s'y establir; Regep & Jacomin ses enfans estoient de veritables Ministres d'iniquité, & se servoient de toutes sortes de moyens pour faire renier leurs parens, afin de fortifier le party d'Osman, qui craignoit une revolte des Renegats François & Italiens. En ce temps-là, deux jeunes Grecs de l'Isle de Chio, qui sortoient de l'Accademie de Gennes, eurent la curiosité s'en retournant en Grece de passer à Tripoly, pour voir le Bacha qui estoit leur oncle. Il les receut avec bien de la joye, les fit loger chez Baba Manoly, & commanda aux Renegats Grecs de ne rien épargner pour les divertir & pour les faire demeurer à Tripoly. Le Capitaine qui les devoit rendre à Chio, se plaignit de ce qu'on retenoit des passagers de qualité qui luy estoient recommandez par la Republique de Gennes, & quoy qu'il assûrast qu'il en devoit répondre au peril de sa vie, on ne l'écoûta point; & mesme le Gouverneur de la Marine luy commanda de se mettre au plûtost à la Voile s'il ne vouloit encourir la disgrace du Bacha, qui ne manqueroit pas de s'emparer de son Navire & de le faire Esclave avec tous les Chrestiens. A peine fut-il party que l'on enferma les deux Grecs dans un Jardin à la Campagne, où Osman Caya leur cousin leur fit gouter tous les plaisirs qu'il put inventer pour leur faire oublier leur païs, mais au milieu du divertissement ils ne purent s'empécher de verser des larmes, quand ils aprirent que le Vaisseau n'estoit plus au Port, & peu s'en fallut que le plus jeune par desespoir ne se precipitast dans un puits. Neanmoins aprés une longue resistance, ces infortunez se voyant entre les mains de parens impitoyables, & dans l'impuissance de retourner en Grece, furent contraints de prendre le Turban, & le Bacha les honnora des plus importantes Charges de la Ville.
Les Gibelins peuples Arabes, sujets de Tripoly, ayant receu plusieurs mauvais traitemens des Turcs se revolterent contr'eux, Osman envoya Regep Bé, General de la Campagne, pour reduire ces Rebelles qui se promettoient de venir jusques aux portes de la Ville, & qui s'estoient déja fortifiez dans leurs montagnes avec d'autres mécontens du Royaume. Afin que l'Armée de Regep fût capable de donner de la terreur aux Gibelins, le Bacha y joignit les Levantis, c'est à dire les Soldats de la Mer. Le General se mit en campagne portant l'épouvante par tout où il passoit, mais les aproche de Gibel ne luy furent pas si favorables, les Rebelles taillerent en piéces les deux meilleures Compagnies de son Armée, qui estoient composées des troupes de la Mer, & sortirent victorieux de diverses attaques, de sorte que les Turcs furent contraints de se retirer avec une perte assez considerables. Regep voyant que les Ennemis se deffendoient vigoureusement, depécha un Courier pour donner avis à Osman de ce qui s'estoit passé, & le pria de luy envoyer quelques piéces de Canon. Osman apprit avec chagrin la déroute des siens, il ne croyoit pas que les Arabes deussent faire teste à son Armée, & craignant que les Soldats de la Mer ne quittassent la partie, il envoya sur des Chameaux quatre petites Coulevrines pour épouvanter les Gibelins, qui dans leur païs n'avoient jamais veu d'artillerie, & commanda cent Captifs Chrestiens pour la conduire, lesquels trouverent l'invention de la pointer sur des montagnes, où l'on voyoit quelques débris de Forteresses; Pendant que l'Infanterie Turque attiroit les Rebelles au combat, l'Artillerie fit si grand feu qu'elle donna de la terreur aux Gibelins.
Les Chrestiens se signalerent en cette occasion, faisant joüer l'Artillerie si à propos, & se mélant avec tant d'ordre & de valeur dans les attaques les plus perilleuses, qu'ils se rendirent plus redoutables aux Gibelins que les Levantis, & les obligerent d'abandonner leurs Forts. Le lendemain Regep apprit par des Transfuges que les Rebelles se retiroient, & que les Chefs avoient pris la fuite; ainsi les Turcs se voyant maistres du Champ de bataille, les poursuivirent si vivement qu'ils en passerent plusieurs par le fil de l'épée, & firent des prisonniers qui promirent le soir à Regep de luy livrer les deux principaux Chefs. Regep les ayant en son pouvoir fit enchaîner vingt Arabes des plus seditieux qu'il fit conduire à la Ville, & aprés s'estre emparé des richesses & des bestiaux des vaincus, il alla du costé de Bengase, de Derne, & de Mesrata, pour lever la garamme ou la taille des fruits, & se saisir en mesme temps des biens de ceux qui estoient morts de la peste, laquelle estoit cessée il y avoit plus de deux ans. J'ay déja dit que suivant la coûtume de Barbarie, les Bachas aprés la mort des Chefs de famille prennent leur dépoülle, & font telle part qu'ils veulent aux heritiers, sans qu'il soit permis de se plaindre du partage, quelque injuste qu'il soit; Et c'est pourquoy les Barbares enterrent leur argent & tuent l'Esclave dont ils se sont servis pour faire la fosse, de crainte qu'il ne revéle le tresor au Bacha, dans l'esperance qu'ils en joüiront en l'autre monde, selon les promesses de leur Prophete.
Regep à la fin de l'Automne retourna victorieux à Tripoly. Le jour qu'il y fit son entrée, l'Infanterie parut le matin sur une hauteur proche d'une Mosquée, où tous les Marabous de la Ville s'estoient assemblez pour donner leur benediction à cette Armée triomphante. La marche commençoit par les Soldats qui conduisoient les animaux qu'on avoit pris aux Gibelins, c'estoit des Chévres, des Moutons, des Bœufs, des Lions, des Gazelles & des Autruches; en suite une partie de la Cavallerie conduisoit les Chameaux & les Dromadaires chargez du butin des Ennemis; l'autre accompagnoit le bagage avec les Chevaux Barbes, les plus beaux qu'on avoit pû trouver dans la Province de Gibel; Regep au milieu d'un gros Escadron finissoit la marche, il estoit environné des Officiers, & derriere luy estoient les deux Chefs des Rebelles, avec les vingt Arabes prisonniers enchaînez deux à deux, qui augmentoient la gloire du Vainqueur; Il ne fut pas plûtost arrivé dans la plaine proche de la Mer, qu'il fut salué par le Divan & par les Capitaines des Navires, & complimenté par Osman Gouverneur de la Marine; On fit alors une décharge de Canons du Chasteau, qui fut suivie de ceux des Vaisseaux, & Regep fut diverty jusque à la Ville par des courses de Chevaux, & par des tireurs de Lances; Le Bacha vint le recevoir à la porte du Palais, & aprés luy avoir témoigné la joye qu'il avoit de son glorieux retour, il l'honora de sa Campanisse ou manteau garny de perles & de diamans, & luy fit d'autres presens tres-riches, en reconnoissance des obligations qu'il luy avoit d'avoir delivré la Capitale, des courses continuelles des Arabes, qui avoient tâché plusieurs fois de s'en rendre les Maistres. Le lendemain le Bacha fit distribuer aux Soldats le butin des Rebelles, on en fit part aux Captifs Chrestiens, qui avoient beaucoup contribué à la victoire. Quelque temps aprés ces réjoüissances, le Bacha voyant que les Arabes prisonniers ne pouvoient se racheter, leur fit couper les bras & les jambres hors la Ville, avec deffenses de leur donner à manger; quoy que les Turcs soient de mesme Religion que les Arabes, ils ont moins de pitié d'eux, que des Chrestiens. A l'égard des deux Chefs de la sedition, ils demeurerent enchaînez dans la prison du Chasteau, jusques à ce que le Bacha eût receu une grande somme d'argent pour leur liberté; mais au lieu de tenir la parole qu'il leur en avoit donnée, il les fit étrangler de nuit, & jetter leurs corps dans la Mer. Cela fait bien connoistre que le Bacha de Tripoly n'avoit ny foy ny humanité.
Depuis mon retour de la Campagne, je logeay dans la nouvelle prison dont j'avois refusé d'estre l'écrivain, les Gardes pour se vanger de mon refus me mirent au travail de la Marine, qui est un des plus penibles des Captifs, aprés celuy de la moisson dans les deserts. J'y aurois sans doute succombé sans le secours de Baba Manoly, qui me donna le moyen de m'en retirer; il avoit sceu que j'avois pris soin d'allumer une lampe dans la Chappelle du nouveau Cachot, & de faire la priere tous les soirs aprés la retraite des Chrestiens, afin de les exciter à quelque devotion, parce que nous n'avions point de Prestres, & que par consequent nous estions privez de la consolation des Sacremens; Ce bon homme me prit en affection, & me donna quatre écus pour faire quelque petit trafic & m'exempter du travail, en payant deux Piastres par mois aux Gardes de la prison. Plus de cent Captifs trafiquent dans la Ville de cette maniere, les uns sont pour le service des Marchands Chrestiens, les autres sont Cordonniers, Tailleurs d'habits, Barbiers, & la plus grande partie fait Cabaret; Il est vray que tous sont obligez de travailler quand on frete les Navires pour aller en course. Mon premier métier fut de blanchir le linge des Marchands Chrestiens, avec lesquels je gagnay quatre écus en deux mois. Ce petit gain & quelque autre fortune me firent entreprendre de donner à manger, non-seulement aux Chrestiens, mais encore aux Levantis & aux Renegats. Je fis la cuisine à la Françoise, ce qui m'attira la pluspart des Renegats, lesquels quittoient leur mauvaise chere pour venir manger de mes ragouts; Il est vray que j'y mélois de la chair de Porc, qui est deffenduë par l'Alcoran. Les prises continuelles que faisoient les Pirates, me firent gagner dix écus en trois mois. Mais je fus obligé d'abandonner le Cabaret, parce que malheureusement un Eunuque de la Sultanne s'estant apperceu qu'il avoit souvent mangé de cette viande deffenduë, voulut me poignarder, & sans le secours de deux Renegats qui n'estoient pas si scrupuleux que luy, il m'auroit assassiné. Cette disgrace m'obligea de quitter l'Auberge, de peur d'estre maltraité par ces odieux Gardes du Serrail, que je ne pus appaiser qu'avec des presens. Je fis en suite le Boucher à l'insceu des Turcs, ausquels il n'est pas permis de manger la chair des animaux qui ont esté tuez par les Chrestiens. Les Marchands & les Consuls aimoient mieux acheter de moy que des Barbares, qui n'ayant plus le debit des viandes qu'ils destinoient pour les Chrestiens, se douterent qu'il y avoit quelque Captif qui se méloit de faire boucherie. Ils avertirent les Juifs qui afferment les Gabelles de la Ville, de prendre garde à l'entrée des bestiaux, ce que les Juifs firent avec tant d'exactitude qu'ils me surprirent en faute. N'ayant pû un Vendredy arriver à temps pour faire entrer dans la Ville un Bœuf, six Moutons & quatre Chévres, par une fausse porte proche du Chasteau, laquelle étoit gardée par un Renegat qui m'en facilitoit l'entrée, pendant que la grande porte de la Ville estoit fermée, & que les Turcs estoient occupez à faire leur priere; les Juifs qui faisoient sentinelle virent proche du bord de la mer mes bestiaux dont je m'estois eloigné, & s'en saisirent. Je n'osay les reclamer de crainte de l'amende & de la bastonnade, estant deffendu d'en faire entrer par cette fausse porte; ainsi je perdis en un jour ce que j'avois eu bien de la peine à gagner en six mois.
Quelques Esclaves de qualité qui se croyoient dans l'impuissance d'estre rachetez, à cause des grandes sommes que le Bacha leur demandoit, écrivirent à leurs amis Chevaliers qui estoient à Malte pour y faire leur caravane, & les prierent d'envoyer une Barque avec un signal, dans laquelle ils pussent se sauver; Les frequentes sorties des Corsaires empécherent plusieurs fois que la Barque envoyée aux Captifs, ne parut sur les costes aux jours assignez; Un apres midy que les pécheurs retournoient de la Mer, elle se trouva parmy eux sans qu'elle fut reconnuë. Il ne parut d'abord qu'un vieillard habillé à la Moresque, qui vint prendre terre au dessus du Chasteau, proche duquel il feignit de pécher. Aprés avoir demeuré quelque temps sur le rivage de la Mer, il apperceut deux Captifs qui se retiroient à la Ville, lesquels il convia de s'embarquer. Vous pouvez juger avec quelle joye ils accepterent les offres de leur liberateur, qui apprit d'eux avec déplaisir que les Captifs qu'il cherchoit estoient ce jour-la enfermez dans les prisons, parce que c'estoit un Vendredy, auquel jour les Turcs croyent qu'ils seront exterminez par les Chrestiens dans leurs Mosquées. Ceux de la Barque Maltoise qui s'estoient mis le ventre contre terre de peur d'estre reconnus des Barbares que entroient dans la Ville ou qui en sortoient, descendirent pour aller recevoir les deux Captifs, qui avertirent le Capitaine du danger qu'il y avoit, s'il demeuroit plus longtemps en ce lieu, & aprés avoir fait embarquer par force un jeune Turc qui s'en retournoit à la Campagne, ils se servirent de leurs rames pour se retirer en diligence; la sortie de la Barque avec precipitation, fit connoistre aux Turcs qui gardoient la Marine, qu'elle estoit étrangere. C'est pourquoy le Commandant voyant la vitesse avec laquelle elle fit le trajet pour se mettre à la voile, fit partir en diligence des Barques legeres pour arrester cette fugitive, mais ce fut inutilement, & avant que les Turcs arrivassent aux Ecueils, ils perdirent de veuë la Barque Chrestienne que Dieu conduisoit, & retournerent à la Ville où ils déchargerent leur colere sur les Captifs qui tomberent sous leurs mains.
Le Bacha sceut bien se vanger de cette bravade dans la suite, le Capitaine Augustin Maltois qui trafiquoit sur la coste de Barbarie, estant venu peu de temps aprés cette action à Zoara, Ville du Royaume de Tripoly, où sont les plus belles salines de l'Afrique, se saisit de sa personne par l'ordre du Bacha, & sur de fausses accusations d'avoir fait des descentes en terre & d'y avoir causé du desordre, il le fit mourir cruellement; & tous les Chrestiens de son équipage furent faits Captifs. L'un de ces heureux Esclaves qui s'estoient sauvez estoit Maltois, & avoit eu le nez & les oreilles coupez pour avoir voulu s'enfuir; l'autre estoit Italien & Tailleur d'habits, qui travailloit dans le Chasteau. Dieu voulut recompenser ce dernier de la liberté, pour les charitez qu'il avoit exercées durant son esclavage, non-seulement envers les Chrestiens, mais encore envers les Oyseaux; Il se retranchoit le necessaire pour acheter des Cailles, des Tourterelles, des Pigeons, & autres en vie, ausquels il donnoit la liberté, priant Dieu de la luy donner de mesme, puisque ses parens estoient dans l'impuissance de le délivrer. Je puis dire à sa loüange, qu'il se privoit de sa nourriture pour soulager les malades. Aussi le Pere de misericorde luy procura cette occasion favorable, dans le temps qu'il l'esperoit le moins, estant veritable que la Barque n'estoit point venuë pour luy.
Dans le mesme temps les Corsaires de Tripoly prirent un Navire François qui venoit d'Alexandrie, le Capitaine s'apelloit Jean Seaume de la Ville de la Ciouta, & il trafiquoit pour Messine. Parmy ceux qu'on avoit fait Captifs dans ce Navire, il y avoit un Religieux de l'Ordre de Saint François, nommé le Pere Philippes de la Ville de Pontoise, qui avoit demeuré trois ans en la Terre Sainte, pour le service des Chrestiens qui visitent les Saints Lieux où se sont passez les Mysteres de nostre redemption; Ce bon Pere fut racheté par son Ordre, aprés huit mois de captivité. Un si fidelle témoin des miseres que je souffrois estant arrivé en France, avança beaucoup ma liberté; mes parens qui n'avoient point eû de mes nouvelles depuis trois ans, me croyoient ensevely parmy ceux qui estoient morts de la peste; Il disposa si bien les choses en ma faveur, & leur donna de si bonnes instructions de ce qu'ils devoient faire pour me racheter, qu'ils changerent la commodité de Thunis où le Chevalier de Tonnere estoit Captif, & me retirerent de la Barbarie par d'autres voyes, comme je feray voir dans la suite. Un jeune Savoyard natif de Montmelian, qui avoit esté fait Esclave sur Mer avec moy, fut reconnu parmy ces nouveaux Captifs, c'est celuy duquel je vous ay promis l'Histoire, dans le quatriéme Chapitre de la presente Relation. Comme il estoit jeune & bien fait, Osman Bacha de Tripoly, le choisit avec d'autres Captifs & des Noirs, pour en faire un present au Bacha d'Egypte son amy. Il ne demeura pas six mois au grand Caire qu'on le fit renoncer à sa Religion par la rigueur & l'artifice, & on luy donna le nom de Selim; Le Bacha fit bien élever nostre jeune Renegat, qui se rendit habile dans l'écriture & dans le langage du païs, en quoy conciste toute la doctrine des sçavans de l'Egypte. Le Bacha qui l'aymoit à cause de son merite, luy donna la Charge de Casanadal ou Tresorier du Serail, sans neanmoins avoir permission d'y entrer, qu'en la compagnie des Eunuques. Ces deffences n'empécherent pas Selim de satisfaire sa curiosité au peril de sa vie, & de voir ce qui se passoit dans le Serrail; Un jour comme il se promenoit dans un Jardin proche de ce Palais, Astera la plus belle des Sultanes luy jetta un billet dans lequel il y avoit un Diamant, elle luy marquoit l'estime qu'elle avoit pour luy depuis qu'il portoit le Turban, qu'elle desiroit le voir habillé à la Turque, & le conjuroit de tout entreprendre pour luy rendre visite & répondre à sa tendresse. Selim s'estant retiré dans un Jardin d'Orangers pour mediter sur le billet de la Sultane, un Eunuque le vint avertir de sa part, que le Bacha devoit aller l'aprés midy se promener à la Campagne avec des Turcs qui estoient arrivez de Constantinople, qu'Astera preparoit une comedie dans son appartement, pour divertir le Bacha qui la devoit visiter dans peu de jours, & que pour donner de l'ombre elle avoit besoin de grandes toilles, dans lesquelles on l'enveloperoit pour faciliter son entrée. Selim ne sçavoit à quoy se resoudre, d'un costé le danger d'une mort cruelle l'épouvantoit, de l'autre il craignoit d'encourir la haine d'Astera qui l'avoit protegé depuis son arrivée au Caire, & qui luy donnoit des marques si touchantes de son amitié. Mais l'amour qu'il avoit pour Astera dont il connoissoit les charmes, ne le laissa pas long-temps dans cette irresolution, il se détermina en faveur de sa maistresse, & dit à l'Eunuque que la perte de sa vie, n'estoit pas capable de l'empécher d'obeïr aux volontez de la Sultane. Pendant que le Bacha traitoit ses amis hors la Ville, l'Eunuque vint trouver Selim qu'il chargea sur un Chameau envelopé de toille, & le conduisit au Serrail, où deux Officiers Noirs l'enleverent comme un precieux paquet qui appartenoit à la Sultane. Ne troublons point l'entretien de ces amans, & contentons nous d'apprendre que Selim sortit du Serrail aussi heureusement qu'il y estoit entré, & qu'il fut mis dans une grande corbeille couverte d'un riche ouvrage de soye, que la Sultane avoit fait de sa main, & qu'elle envoyoit en present au Bacha. Le jour qu'on representoit la Comedie dans l'appartement d'Astera, estant arrivé elle demanda permission au Bacha d'avoir les joüeurs d'Instrumens, parmy lesquels il y avoit trois jeunes Turcs, quatre Eunuques & Selim qui conduisoit la Musique, parce qu'il la sçavoit & qu'il joüoit des Instrumens. Selim ne devoit entrer au Serrail qu'avec le Bacha, qui commanda aux autres Musiciens de s'y rendre de bonne heure, afin de donner quelques Preludes aux Sultanes en attendant la compagnie; Cette repetition fut ennuyeuse à Astera, à cause de l'absence du principal Acteur qui entra au Serrail avec le Bacha, mais comme le Bacha fut obligé de demeurer dans l'appartement de quelques femmes qui devoient sortir le mesme jour du Serrail, dont il gratifioit ses amis; Astera eut l'adresse de tirer Selim à l'écart, & de menager avec luy quelques momens de conversation, celle qu'ils eurent ensemble leur fit presque oublier que le Bacha n'estoit pas éloigné, & sans la garde des servantes qui les avertirent à propos de son approche, ils eussent esté surpris. Astera estoit Armenienne & plus Chrestienne dans l'ame que Mahometane, sa beauté la faisoit distinguer des autres femmes du Serrail qui en avoient de la jalousie; ses intrigues avec Selim furent conduites avec tant de precaution, & elle se servit de mediateurs si fideles, que Selim ne fut jamais découvert. L'amour & la fortune sont ordinairement pour les jeunes & agreables personnes, & se plaisent à favoriser la hardiesse de leurs entreprises. Cependant soit que la passion de Selim fut diminuée, ou qu'il craignît qu'elle ne l'entraînast dans le precipice, ou pour mieux dire le remords qu'il eut de son libertinage, le fit resoudre d'abandonner Astera, l'Egypte & le Mahometisme. Il confia son secret à un Maronite agent des Chrestiens de Jerusalem, qui faisoit souvent le voyage du Caire & de Babylone, pour rendre service aux Marchands Chrestiens qui negocioient dans ces Villes. Le Maronite fut ravy de sçavoir la resolution de Selim, qu'il conseilla de se retirer chez les Religieux de Saint François de Jerusalem; il offrit mesme de l'accompagner, & luy dit qu'il devoit esperer d'obtenir la liberté, dans la mesme Ville où Dieu avoit délivré le genre humain de l'esclavage du Demon. Selim s'abandonna entierement à sa conduite, & aprés avoir pris leurs mesures & fait quelques provisions pour traverser le desert, ils partirent du Caire à pied habillez en Arabes, leur voyage fut si heureux qu'ils éviterent les voleurs qui errent sans cesse dans le chemin, & se rendirent en dix jours au Convent des Cordeliers, qui receurent Selim avec bien de la joye. Ces bons Peres reçoivent à bras ouverts, ceux qui rentrent dans le sein de l'Eglise, de quelques endroits de la Turquie qu'ils puissent venir, & quand ils reconnoissent que leur conversion est veritable, ils leur procurent un embarquement pour retourner en terre Chrestienne, quoy qu'il y ait beaucoup de danger pour eux, & pour les Capitaines qui reçoivent dans leurs Navires des passagers qui sont circoncis, & qui ont porté le Turban en Barbarie. Selim aprés avoir séjourné trois mois en Jerusalem, & édifié par l'austerité de sa penitence, les Chrestiens qui visitoient lors les Saints Lieux, fut envoyé en Alexandrie travesty en Matelot, pour s'embarquer sur un Navire qui attendoit le vent favorable, afin de se mettre à la voile pour Messine; & en cét équipage le Capitaine le receut en son bord, à la recommandation des Religieux.
Ce mesme Navire fut par malheur pris par les Corsaires Tripolins, & Selim se vit une seconde fois Captif dans la même Ville. Les Turcs & les Renegats qui l'avoient reconnu, ne furent pas plûtost arrivez à Tripoly qu'ils en avertirent le Bacha, lequel fit assembler le Divan & les Cadis, pour juger le criminel selon la Loy de Mahomet, Selim ayant avoüé volontairement qu'il avoit vescu dans la Religion Mahometane pendant cinq années & qu'il s'estoit converty depuis peu, les Juges le condamnerent à estre bruslé vif. La rigueur de cét Arrest n'estonna point sa constance, il méprisa égallement les promesses & les menaces des Turcs, & demeura ferme dans la resolution qu'il avoit prise d'expier par sa mort les desordres de sa vie. Déja le bucher estoit preparé & il sortoit du Chasteau pour aller au lieu de son suplice, lorsque le Bacha fut averty qu'on avoit fait Esclave sur le mesme Vaisseau un Armenien qu'on croyoit aussi estre Renegat, cela fit remettre l'execution au lendemain. A la verité l'Armenien portoit la Tuppe afin de passer plus facilement dans l'Europe Chrestienne où il se retiroit avec de riches marchandises; Mais on reconnut qu'il n'avoit point esté Circoncis, ce qui luy sauva la vie & Osman se contenta de son esclavage & de s'emparer de sa dépoüille. Il est deffendu aux Grecs, aux Maronites, aux Georgiens & aux Armeniens de se retirer parmy les Chrestiens avec leur bien, c'est pourquoy les Pirates de Barbarie les font Captifs quoy qu'ils soient sujets du Grand Seigneur comme je l'ay déja remarqué.
Dans cette conjoncture Baba Manoly Grec, & un Officier qui estoit veritable Turc furent toûchez de la disgrace de Selim & resolurent d'aller ensemble au Palais pour obtenir sa grace; Ils representerent au Bacha que les cendres de Selim ne serviroient qu'à infecter l'air qui n'estoit pas trop purifié depuis la Peste, qu'il seroit assez puny par les miseres qu'on luy feroit souffrir dans les plus rudes travaux, & que les Princes Chrétiens pouroient se ressentir de cette cruauté aux dépens des Turcs qui estoient Captifs dans leurs Estats. Deux Marabous qui avoient esté toute la nuit dans la Prison pour tâcher de le pervertir assûrerent aussi le Bacha qu'on luy avoit fait prendre le Turban par force. Ces choses jointes aux prieres de la principalle Sultane que Selim avoit servie avant que d'estre envoyé au grand Caire, appaiserent Osman qui accorda sa grace. Il fut chargé de fers & conduit en la Prison voisine du Chasteau avec ordre aux Gardes de l'employer dans les travaux les plus penibles. Il ma protesté plusieurs fois avant mon départ que les plus horribles tourmens estoient incapables de le faire changer, & que puisque ses péchez l'avoient rendu indigne de la gloire du Martyre, il acceptoit avec joye les peines de sa captivité pour la satisfaction de ses crimes.
Chapitre XII.
Les Galeres du Grand Duc de Toscanne font Esclave un Chaoux que le Grand Seigneur envoyoit au Bacha de Tripoly, lequel fut obligé de luy procurer la liberté; Captivité d'un Religieux Augustin; amitié fraternelle; souffrances des Captifs dans un travail extraordinaire, & dans le Bastiment d'une Maison que Soliman Caya fait faire à la Campagne; l'Autheur se vange des Juifs qui luy avoient pris son Bestial; le danger auquel il s'expose proche d'une Mosquée; une Barque arrive de Marseille dont le Capitaine luy donne esperance de sa liberté.
Le Grand Visir ayant appris que les Corsaires de Tripoly avoient fait sur Mer des prises Considerables, & qu'Osman ne s'empressoit pas de payer le tribut à la Porte comme les autres Bachas, luy envoya de Constantinople un Chaoux pour le faire ressouvenir de son devoir, & peut-estre pour luy demander sa teste. Ce n'est pas pourtant que les Renegats qui gouvernent dans la Barbarie obeïssent facilement aux ordres de la Porte, & qu'ils ayent autant de foy aux réveries de l'Alcoran que les Musulmans, lesquels à la premiere demande du Grand Seigneur se laissent couper la teste dans l'esperance d'estre plus heureux & plus riches en l'autre Monde qu'en celuy cy. Le Navire qui conduisoit le Chaoux fut pris par les Galeres du Grand Duc de Toscanne, Osman n'en fut pas fâché quoy qu'il fût obligé de payer la Rançon du Chaoux & de sa suitte, parce que les Gouverneurs des Provinces à qui ces Officiers sont envoyez, leurs doivent procurer la liberté à quelque prix que ce soit. Comme le Bacha entretenoit à Florence des intelligences secretes, il ne luy fut pas difficile d'obtenir la liberté du Chaoux; comme aussi il sçavoit que le Grand Duc avoit pour son divertissement un Parc remply de Bestes sauvages, il luy envoya deux Lions masle & femele, deux Leopards, deux Tigres, une Civette, deux Chameaux, deux Dromadaires masle & femele, six Gazeles, six Autruches, des Singes, des Monines, des Bragons, des Sapajoux, plusieurs Oyseaux de diverses couleurs, six Chevaux Barbes richement équipez & six Esclaves Chrestiens sujets du Grand Duc pour avoir soin de cette arche de Barbarie. Le present étant arrivé à Florence le Grand Duc ne pût s'empécher de dire qu'il recevoit plus de bestes qu'il n'en donnoit, & qu'il auroit le plaisir de les voir dans son Parc, au lieu de voir dans ses Galeres des Turcs enchaisnez. Le Chaoux aprés avoir veû les beautez de Florence, de Pise & de Ligourne fut embarqué sur le mesme Navire avec sa suitte pour estre conduit à Constantinople. Ce fut un effet de l'adresse & de la Politique du Bacha qui en avoit prié le Grand Duc, parce qu'il craignoit, si l'échange venoit à Tripoly, de recevoir chez luy un hoste qui pour remerciment feroit peut-estre executer des ordres qui luy seroient funestes.
La Captivité d'un Religieux Augustin de Sicile, nommé Daniel, & qui n'estoit que Soûdiacre, merite d'avoir icy sa place pour avoir esté la cause d'une action memorable d'amitié fraternelle. Il y avoit dix ans qu'il souffroit à Tripoly toutes les miseres de la servitude, la delicatesse de son aage & de son temperament ne l'avoit pas empesché durant la Peste de servir avec zele les Chrestiens qui en estoient frappez, & les Turcs luy avoient fait en vain toutes les persecutions imaginables pour en faire d'un Ministre de Jesus-Christ un Marabous de la Mosquée. Pour comble de malheurs il voyoit qu'il n'y avoit pas d'apparence qu'il fût racheté ny par son Ordre ny par ses Parens; Mais Dieu qui n'abandonne jamais ceux qui ont confiance en sa misericorde, inspira son frere de venir à Tripoly pour contribuer à sa liberté. Il estoit Charpentier de Navire, & ces Ouvriers sont rares & necessaires dans la Barbarie; Aussi les offres que ce frere charitable fit de rester en ostage pour le Religieux pendant qu'il iroit en Sicile ramasser des Charitez pour payer sa Rançon, furent acceptées par le Bacha qui permit à Frere Daniel d'aller en son Pays. Ce bon Religieux ayant amassé en trois mois de temps quatre cens écus dont il estoit convenu pour sa Rançon, ne manqua pas de retourner à Tripoly & de retirer son frere. Les Turcs admirerent la tendresse & la confiance des deux freres & demeurerent d'accord qu'il falloit estre Chrestien pour estre capable d'une pareille generosité. Osman pria le Religieux de séjourner quelque temps à Tripoly pour y faire la fonction de Prestre, parce qu'il n'y en avoit point, Frere Daniel representa au Bacha qu'il n'en pouvoit pas faire le Ministere & qu'il estoit obligé de retourner en son Pays pour s'y faire ordonner, le Bacha en presence de plusieurs Consuls & Marchands Chrestiens luy dit serieusement qu'il luy donnoit permission de dire la Messe, & de faire toutes les fonctions du Sacerdoce, ce qui donna occasion de rire à la compagnie. Frere Daniel répondit au Bacha que son autorité ne s'estendoit point sur l'Eglise Romaine, & qu'il y avoit bien de la difference entre les Prestres des Chrestiens & les Marabous des Turcs. Osman voyant qu'il ne pouvoit rien obtenir du Religieux offrit a son frere de luy donner les quatre cens écus s'il vouloit travailler de son mestier à Tripoly pendant six ans, dequoy le Sicilien s'excusa sur ce qu'il estoit marié, & qu'il luy estoit deffendu d'exercer son Art dans la Turquie sous des peines trés-rigoureuses. Ces refus ne retarderent point le départ des deux freres ausquels le Bacha fit des presens & donna des provisions pour s'en retourner en Sicile où ils arriverent heureusement. Frere Daniel s'est occupé depuis son retour à recueillir des aumosnes pour racheter plusieurs Captifs de ses amis qui chanceloient dans leur Religion.
Un Vaisseau de Tripoly qui venoit de la Mer au delà de Constantinople chargé de bois pour la construction des Navires échoüa à terre à deux lieux de la Ville aprés avoir essuyé une furieuse tempeste. Nous fûmes deux cent Captifs occupez à sauver du Naufrage ces bois qui sont rares en Barbarie & qu'on est obligé d'aller chercher en des Pays esloignez. C'estoit au commencement de l'Esté que les chaleurs sont excessives, & par malheur il s'esleva un vent du Midy que les Arabes appellent vent de Bournon qui dura trois mois. Les Esclaves pendant ce temps-là endurerent beaucoup à cause de l'entrée & de la sortie de la mer, & l'air fut si chaud que tous les fruits de la Campagne furent bruslez, excepté celuy du Palmier qui se nourrit de chaleur. A peine pouvions-nous le soir retourner à la Ville, les sables nous brusloient les pieds, & generallement la chaleur fut si violente que les oyseaux moururent à la Campagne avec une infinité de bestes qui ne purent trouver d'azile pour s'exempter de l'ardeur du Soleil. Trois Esclaves & six Arabes qui conduisoient des Chameaux chargez de bois & de charbon pour le Chasteau furent bien heureux de trouver une Grotte pour se mettre à couvert; comme ils se disposoient d'en partir de nuit, ils apperceurent deux Lions qui s'y estoient retirez pour le mesme sujet, ces bestes oublierent tellement leur ferocité naturelle qu'elles ne firent point de difficulté de les suivre paisiblement à la Ville. A la verité c'estoit de jeunes Lions qui se rendirent si familiers qu'on les laissa promener par les ruës; Mais estans devenus grands ils firent plusieurs massacres & on fut obligé de les enfermer. A peine ce travail fut achevé que nous fûmes occupez à éparmer quatre Navires qui alloient en course. Les Barbares precipitent toûjours ces travaux, Car en deux jours il fallut changer les Equipages, décharger les Canons & faire la provision d'eau qu'on prend en des bassins proche de la Mer & qu'on porte avec des cruches dans les Barques qui sont exposées aux vagues de la Mer.
Soliman Caya ne discontinuoit point de faire la débauche avec le Consul Anglois & des Renegats Officiers de la Marine. Le Bacha son oncle luy témoigna plusieurs fois que cette conduite ne luy estoit pas agreable & que les Musulmans en estoient scandalisez; Ce qui obligea Soliman d'aller en des Jardins afin d'y avoir la liberté de boire du vin, & mesme if resolut de faire bastir une Maison de Campagne pour mieux se cacher au Bacha. On commença l'ouvrage qui devoit estre composé de quatre Pavillons & de six Jardins differens ornez de ce qu'il y avoit de plus rare dans le Pays sans comprendre les curiositez qu'il avoit fait venir de l'Europe. Nous fûmes quatre cens Chrestiens occupez à ce travail, outre les Turcs, les Arabes, les Grecs & les Negres qui furent destinez à la construction de toutes les Murailles, les Chrestiens eurent pour leur partage le bastiment de la Maison, la peinture des chambres & tout ce qui estoit necessaire pour la beauté des appartemens & des Jardins. Un jour les murailles d'un Pavillon fort élevé tomberent & trente Negres furent ensevelis sous les ruines sans incommoder les Chrestiens qui travailloient aux environs. Le bruit courut que l'endroit où les murailles estoient tombées appartenoit à un Marabous lequel s'estoit servy de l'art Magique qu'il sçavoit pour ce vanger du Caya qui luy avoit usurpé son heritage. Soliman n'osa s'en plaindre, & satisfit le Marabous parce qu'il estoit Officier de la principalle Mosquée, & de peur aussi qu'il ne fît derechef perir ses Esclaves Negres qui firent difficulté de continuer cét ouvrage, & se plaignirent que les Chrestiens estoient preferez aux Mahometans; Mais la response de Soliman, qu'il estimoit plus un Captif Chrétien que vingt Negres leur imposa silence. Les Pauvres Esclaves souffrirent une faim extrême dans ce travail, parce que le Caya pour satisfaire à sa débauche leur retranchoit une partie de leur subsistance, & que le vent de Bournon avoit bruslé les fruits qui dans cette saison devoient estre leur principale nouriture.
Depuis la prise de mon bestial dont je ne pûs avoir raison parce que le Bacha favorise les Juifs qui tiennent les Gabelles, je fus employé à la Marine, sans jamais perdre l'esperance que Dieu finiroit bientost ma captivité. Pendant l'Hyver je cherchay les occasions de reparer la perte que les Juifs m'avoient causée. Un Vendredy qu'ils faisoient blanchir des toiles sur un Rocher proche de la Mer, je fus les amuser du costé de terre pendant que Grimonville mon camarade vint à la nage derriere un tonneau, pour mieux joüer son personnage, il ne fut pas plustost arrivé à l'autre extremité du Rocher que jettant un petit crampon de fer attaché à une corde il tira une piece de toille qu'il mit dans le tonneau & s'en retourna à la faveur du vent à la Marine; les Juifs qui ne s'estoient pas apperceus de la ruse, me dirent des injures sur ce que je voulus leur persuader que leur toile avoit esté emportée par quelque Monstre marin. Le soir retournant à ma Prison je passay par la Juifverie, où je donnay quelques allarmes prés de la Sinagogue pendant que Grimonville & d'autres Captifs firent un bon butin chez un des plus puissans Marchands de la Ville. En suite j'aperceus un Juif qui conduisoit un Mouton avec une corde, je ne fis point d'autre ceremonie que de la couper par derriere & de le suivre en tenant le bout tandis que mon compagnon s'enfuit avec l'animal qu'il avoit chargé sur ses épaules. Si-tost que je le vis hors de danger je quittay la corde & fis semblant de suivre le Juif, lequel se retournant pour en sçavoir le sujet fut bien surpris de ne plus trouver le Mouton. Son plus grand chagrin estoit qu'il l'avoit destiné pour les Cacans qui ne mangent que de la viande approuvée par le Sacrificateur; cét officier aprés avoir égorgé la beste regarde s'il n'y a point d'impureté dans les intestins, & s'il en trouve, il déclare qu'elle n'est pas selon la Loy; cette Sentence oblige le Boucher de la vendre à vil prix aux Arabes ou aux Esclaves qui ne font pas difficulté d'en manger. Les riches & les devots de la Sinagogue font faire la dissection des viandes par des Officiers, sur tout de la cuisse où ils ne laissent ny graisse, ny nerfs, ny muscles en memoire de ce que le Patriache Jacob y fut blessé en combattant contre l'Ange, & parce qu'ils sont dans l'incertitude en laquelle des deux cuisses il fut blessé, ils les purifient égallement de peur de transgresser la Loy. Huit jours aprés Grimonville se vestit à la Moresque, & passans ensemble le soir devant une Mosquée où les Turcs s'assembloient pour faire leur Salem, il eut la temerité d'y entrer quand la priere fut commencée. Les Turcs ont coûtume de se laver avant que d'y entrer, & de laisser leurs Babouches proche de la porte en des lieux faits exprés; durant que Grimonville prit quinze paires de souliers je fis la garde, & jamais sentinelle perduë n'a esté si en danger que je le fus ce jour-là puisque nous nous exposions à estre supliciez; les Juifs acheterent nostre larcin qui servit en partie pour nous habiller de toile. Le Bacha se fit un plaisir d'entendre le recit de cette avanture, & railla les Turcs qui avoient perdu leurs Babouches; ils demandoient justice du sacrilege qu'ils disoient avoir esté commis dans la Mosquée; mais le Bacha leur répondit que le vol des souliers estoit pardonnable à des personnes qui en avoient besoin.
Au commancement de la huitiéme année de mon Esclavage je fus accablé de toutes les miseres imaginables, & j'avoüe à ma confusion, que dans le temps que je perdois presque l'esperance que j'avois toûjours euë de ma liberté, le Ciel disposoit en ma faveur les moyens de l'obtenir. Le Pere Philipes de Pontoise Religieux de Saint François estant arrivé en France solicita si vivement mes Parens qu'ils n'épargnerent rien pour me retirer au plustost; Nicolas Baudeau fils d'un Orfévre de Paris, qui fut racheté aprés la cessation de la Peste, les assura que j'en avois esté preservé. La liberté du sieur Remy de la Tille de Noyon me fut un sujet de consolation dans ma misere, par malheur la Barque de Marseille qui apportoit sa rançon fut prise par les Corsaires de Thunis; à la verité l'argent estoit asseuré à Marseille, mais le retardement de sa liberté le mit en danger s'estre envoyé à Constantinople à cause de sa jeunesse, & l'obligea de séjourner à Tripoly plus qu'il ne s'estoit imaginé. Lorsqu'il eût pris terre en Provence, ses premiers soins furent en faveur des François de sa connoissance qu'il avoit laissez dans les fers, & dans les Villes où il passa pour se rendre en son Pays, il vit leurs parens & leurs amis qu'il exhorta de les délivrer. Il a eû tant de charité pour les Esclaves que pour leur estre utile le reste de ses jours il s'est fait Religieux dans la Congregation des R. R. Peres de Nostre-Dame de la Mercy de la Redemption des Captifs devant l'Hôtel de Guise à Paris, où il a donné durant vingt-deux ans des marques de son zele pour le soulagement des Esclaves, demandant à Dieu dans ses saints sacrifices la perseverance pour ceux qui chancellent dans la foy. Les Religieux de cét Ordre qui passent les mers pour la Redemption sont obligez par un quatriéme Vœu de rester en ostage quand l'argent ne suffit pas pour satisfaire aux rançons & aux avances, c'est à dire aux sommes excessives que les Infideles les contraignent de payer pour racheter leurs Captifs qui sans ce prompt secours tomberoient dans l'infidelité, ainsi qu'il est arrivé depuis vingt ans dans les Royaumes d'Alger, de Fez & de Maroc, où les R. R. Peres de la Mercy ont fait paroistre leur charité envers de jeunes Chrestiens qui estoient sur le bord du precipice. Ainsi lorsque je me croyois quasi oublié des hommes, Dieu suscitoit de temps en temps des personnes officieuses qui me soulageoient dans ma misere & qui tâchoient d'adoucir mes chaînes dans lesquelles il m'a toûjours protégé. En effet aurois-je pû sans son assistance resister aux bastonnades, à la faim & aux fatigues que j'ay souffertes? & ne serois-je pas succombé dans plusieurs occasions où des Captifs moins coupables que moy ont esté seduits & ont fait nauffrage? J'ay esté plusieurs fois dangereusement malade, j'ay servy long-temps dans l'infirmerie, j'ay veu mourir de la peste des gens de toutes les Nations & de toutes les Sectes, j'en ay esté attaqué, & cependant j'ay recouvré une santé parfaite contre l'avis des Chirurgiens qui desesperoient de ma guerison. Ne devois-je pas en deux rencontres estre envelopé avec les Esclaves fugitifs? & la mort de Salem ne me conserva-t'elle pas la vie qu'il vouloit me faire perdre pour se vanger de mon refus? Enfin le Ciel ne m'a-t'il pas fait triompher des caresses & des rigueurs de mes Patrons, des artifices de Zoes, de la beauté de sa fille, de la rage de sa servante, de l'affection d'Isouf & d'Alima, & de tous les charmes de l'amour, de la fortune & de la liberté apparente que ces Infideles me vouloient procurer?
L'esperance que j'avois toûjours euë de mon rachapt ne fut pas vaine, car j'en receus des nouvelles par une Barque de Marseille, dont le sieur Mirangal Capitaine me mit és mains le 8. Janvier une lettre qui me donnoit avis qu'il avoit ordre de me rachepter. J'en fis la lecture en presence de Messieurs de la Barre & Gonneau Chevaliers de Malthe, Grimonville de Rennes, Guibaudet de Dijon, & Chaillou Parisien de la ruë Saint Denis prés du Sepulcre, lesquels furent surpris d'apprendre des nouvelles de Paris à Tripoly en dix-sept jours. Il est vray que Monsieur Giraud Banquier à Marseille lisant une lettre par laquelle Monsieur de saint Amand assez connu à Paris, luy recommandoit de ne perdre aucune occasion de me retirer au plustost de Barbarie, trouva le Capitaine Mirangal qui attendoit dans l'Hostel de Ville l'expedition de son Passeport, il le pria de differer quelque temps pour luy compter l'argent necessaire pour ma rançon, à quoy le Capitaine ayant répondu qu'il ne pouvoit attendre parce que sa Barque estoit à la voile, le Banquier se servit de l'authorité de Messieurs les Consuls, lesquels sur ce qu'il leur representa que j'estois esloigné de Provence & que perdant une pareille occasion je ne pouvois estre rachepté de long-temps, ne luy délivrerent point son Passe-port qu'il n'eust receu quatre cens écus du Banquier qui luy donna ordre de ne rien espargner pour ma liberté. Le Capitaine s'estant en suite embarqué dans sa Chaloupe, joignit sa Barque qui avoit déja passé les forteresses des environs de la Ville, & le vent luy fut si favorable qu'il arriva au Port de Tripoly le huitiéme jour de son départ de Marseille. Le soir dans la Prison je fis part de ces bonnes nouvelles à mes amis qui les receurent avec bien de la joye & à peine la priere fut achevée que les Esclaves de ma connoissance vinrent me feliciter. Depuis l'arrivée du Capitaine Mirangal je fus exempt du travail en payant deux écus par mois aux Gardes de la Prison, sans compter le present que leur fait le Capitaine quand il a rachepté les Esclaves qui se retirent chez luy jusqu'au départ. Mirangal differa plus d'un mois à me presenter au Bacha pour convenir du prix de ma rançon, pendant lequel temps je m'occupay à visiter les Jardins de la Campagne qui font toute la beauté du Pays. Les Esclaves qui avoient soin de les cultiver m'en permettoient l'entrée, je trouvay des malheureux qui ne se souvenoient presque plus des misteres du Christianisme pour estre depuis trente années de servitude privez des Sacremens; je les consolay du mieux qu'il m'estoit possible les exortant d'estre patiens dans leurs disgraces & fermes dans la Religion, & leur souhaitant la liberté comme à moy.
Chapitre XIII.
De quelle maniere les Mahometans vont en pelerinage à la Meque; Le Capitaine Mirangal presente l'Autheur au Bacha pour convenir de de sa rançon; Comment le rachapt des Esclaves Chrestiens se fait en Barbarie; Les desordres que commettent les Turcs pendant leur Ramadan ou Caresme, & les réjoüissances qu'ils font au temps de leur Pasque.
J'eus la curiosité d'aller voir une Caravanne des Pelerins de la Meque, qui vint camper proche de Tripoly, & je me persuade que le recit de la maniere dont les Turcs font ce pelerinage ne sera pas desagreable au Lecteur. Il n'y a point de Provinces sujetes à l'Empire Ottoman dans l'Europe, l'Asie & l'Afrique, qui ne fassent tous les ans un Camp de Pelerins, lesquels entreprennent le voyage de la Meque, dans la croyance qu'ils ont de ne pouvoir entrer en Paradis s'ils ne visitent au moins une fois pendant leur vie le Tombeau de leur Prophete. Il est vray que l'interest n'y a pas moins de part que la devotion, & que le desir du gain fait mépriser aux Agis, c'est à dire aux Pelerins de tous les endroits de la domination du grand Seigneur, les fatigues de ce long voyage, & les sables mouvans des deserts. Car les Turcs & les Barbares trafiquent de Ville en Ville tant en allant qu'en retournant, & ne reviennent jamais en leur païs qu'avec du profit; au lieu que les Chrestiens, & sur tout les François, font dépense pour satisfaire à leur devotion, & à l'envie qu'ils ont de voir les Royaumes estrangers. Tous les ans les Bachas font avertir dans les Villes Capitales de se preparer au pelerinage de la Meque; un Marabous porte par les ruës l'Etendart que le Bacha destine pour le voyage, & que l'on arbore hors la Ville dans un lieu où les Pelerins doivent s'assembler; & dés que le Camp est formé, on y établit un Commandant qui a tout pouvoir, & auquel chacun obeït. Le Camp d'Alger arriva au commencement de Janvier à Tripoly, il y fit peu de sejour, parce que celuy de Tunis suivoit de prés. Les Bachas sont obligez de leur donner du terrain proche des Villes afin de se reposer, & de negocier avec les habitans, ausquels ils vendent leurs marchandises & en achetent, qu'ils débitent dans la route. J'allay voir le Camp d'Alger, où je rencontray un Esclave qui me montra ce qu'il y avoit de plus curieux; Les Chameaux & les Dromadaires au nombre de plus de deux mil formoient tout au tour un espece de palissade; quoy que beaucoup de Pelerins fussent entrez dans la Ville pour y trafiquer, je ne laissay pas de voir un peuple infiny dans les Pavillons, les Cafigis, les Basars, & les Places publiques, qui sont les lieux où ils s'assemblent pour fumer, boire le Café, vendre des Marchandises, & acheter des provisions.
Les Mahometans ne font point de difficulté de mener quelquefois avec eux leurs femmes, & des Esclaves pour leur service, ausquels la Loy de Mahomet les oblige de donner la liberté au retour du pelerinage; Mais souvent ils ne font pas scrupule de la violer en ce point. J'apperceus un jeune Marabous qui faisoit le muet proche du Pavillon destiné pour la Mosquée; il avoit au col un Chapelet qu'il tournoit sans cesse, & faisoit cent singeries selon leur coûtume pour se faire respecter des Turcs. Je ne fus point surpris de ses grimaces, parce que la pluspart de ceux qui servent aux Mosquées sont fous ou innocens. Estant retourné à la Ville je trouvay ce Marabous proche de l'Eglise des Grecs, qui raisonnoit avec le Papas Dom André, qui m'invita d'assister à cét entretien. Jamais je ne fus plus surpris que d'entendre parler un muet, lequel nous avoüa ingenuëment qu'il estoit Espagnol de la Province d'Andalousie, que depuis deux ans il estoit esclave d'un Turc demeurant à Tunis, qui l'avoit beaucoup persecuté pour l'obliger à changer de Religion, que pour éviter ses persecutions il avoit entrepris de suivre le camp d'Alger, qu'il y gardoit le silence en presence des Turcs, qui luy fournissoient charitablement les choses necessaires pour son voyage, afin de le recompenser du service qu'il rendoit à la Mosquée, & que ses grimaces & ses boufonneries luy donnoient l'entrée des Pavillons, où les Pelerins le regaloient sans rien exiger de luy, sinon qu'il fît des vœux pour l'heureux succés de leur voyage. Avant qu'il prît congé de nous il pria le Religieux Grec de luy donner sa benediction, & de luy accorder quelque part dans ses prieres, l'asseurant que toutes les fois qu'il recitoit le Chapelet qu'il portoit au col c'estoit pour honnorer la Vierge sa protectrice, pour laquelle il avoit une devotion particuliere, & qu'il esperoit en passant par la Palestine au retour de la Meque, de se refugier chez les Religieux de la Terre Sainte, qui luy donneroient les moyens de se retirer en terre Chrestienne. On peut juger par l'action de cét Espagnol combien la liberté est precieuse, puisqu'un Captif a contrefait le muet & le bouffon pendant un si long & penible voyage, qu'il avoit entrepris aux seuls dépens de la Providence.
Les Pelerins ne se mettent jamais en campagne qu'avec des provisions de farine, de ris, de biscuit, de beurre, & d'eau, pour traverser les Provinces desertes de l'Egypte & de la Barbarie, où l'on ne trouve aucune habitation, & sans les puits avec leurs bassins que les Bachas sont obligez d'entretenir dans leurs Gouvernemens pour la necessité des Agis, il seroit impossible d'achever ce voyage, qu'on fait de nuit afin de se reposer pendant la chaleur, qui est si excessive, que ny les hommes ny les bestes ne pourroient pas la supporter. Il est bon de sçavoir que tous les Pelerins de differentes Provinces font leur possible pour se trouver en mesme temps dans l'Egypte proche d'une Montagne sur laquelle Mahomet institua la Pasque des sacrifices, afin quils y celebrent cette feste suivant la loy. Chaque chef de famille doit en ce lieu sacrifier un animal selon son pouvoir en action de grace, & en manger la viande avec ses amis. Les plus riches du Camp qui ont offert en sacrifice des Beufs, des Chameaux ou des Moutons, s'en reservent une partie, & distribuent le reste aux pauvres qui suivent le Camp pour le Service des Pelerins, & on laisse sur la Montagne les pieds, les testes & les intestins de toutes les Bestes qui ont esté immolées. Plusieurs qui ont fait la voyage, mesme des Chrestiens esclaves, m'ont asseuré que le lendemain il ne se trouve aucuns restes de ces issuës, & que les Turcs ont la foiblesse de croire que Mahomet accompagné de ses Dervis & Marabous vient de nuit manger ce qu'on a laissé, & qu'en suite il envoye une douce rosée pour purifier le sommet de la Montagne. Aprés que les Pelerins ont fait des réjoüissances pendant trois jours ils se mettent en campagne pour se rendre au grand Caire, où toutes les Caravannes le joignent & composent un corps d'Armée, afin de resister aux Arabes vagabonds qui ne manquent pas d'attaquer les Turcs, & de faire un butin considerable malgré leur resistance & leur grand nombre. Le grand Seigneur nomme dans Constantinople un Officier pour commander cette Armée de tous les Pelerins de son Empire. Lorsqu'elle part du grand Caire, le Commandant met à la teste les gens inutiles & les moindres Soldats, les Turcs ont la droite, les Afriquains la gauche, l'arriere-garde est deffenduë par les meilleures Troupes de Cheval, & au milieu sont les presens que l'Empereur, les Visirs, & les Bachas envoyent à la Meque, & qui sont gardez par les Marabous, les Santons, les Dervis, & par les principaux Officiers du Camp. Ces precautions & ces forces n'empéchent pas les Arabes d'attaquer de nuit le Camp avec huit ou dix mille Chevaux, & de donner de fausses allarmes tantost à la teste & tantost à l'arriere-garde, & pendant qu'ils embarrassent ainsi les Turcs, une partie de leur Cavallerie armée seulement d'une lance, sans selle ny étriers, & portant en croupe un Soldat, tombe sur eux, & quand elle peut percer jusques à l'endroit où sont les richesses, le Soldat monte sur un Chameau, ou sur un Dromadaire chargé de bagage, & le conduit à leur retraite qui n'est ésloignée que de trois ou quatre lieuës de la marche du Camp. Les Sables mouvans que les Pelerins sont obligez de traverser ne sont pas moins à craindre que les Arabes; Car si le vent est contraire & impetueux, il en perit quelque fois dans un seul voyage plus de dix mille, outre les animaux & les richesses qui demeurent ensevelis dans les sables. Aprés tant de dangers, d'allarmes & de fatigues, l'Armée arrive à Medine, que les Musulmans appellent la Ville du Prophete. On séjourne en ce lieu, parce que la Meque qui en est éloignée d'une journée ne peut pas contenir tant de monde. Les Pelerins laissent à Medine leurs Equipages & leurs Marchandises, pendant qu'ils vont à la Meque faire leurs devotions dans la Mosquée où l'on voit le tombeau de Mahomet. Des Esclaves qui ont suivy la Caravane m'ont asseuré qu'il n'y a point d'Eglise dans l'Europe qui posséde plus de richesses que cette Mosquée; Il y a par jour sept predications en differentes langues, & le Turc qui peut entrer dans la Chapelle ou est le Sepulchre de son Prophete, s'estime bien-heureux. On dit qu'il en sort un animal fait comme un Chat, qui caresse les veritables Musulmans qui sont dans la Chapelle, se mettant sur leurs testes ou sur leurs épaules, & que c'est pour cette raison qu'ils aiment ces bestes plus que les autres, & qu'ils deffendent aux Captifs de leur faire du mal: Ce sont des rêveries & d'agreables mensonges que les voyageurs se plaisent ordinairement à débiter. Il est certain qu'il y a beaucoup de Mahometans qui ont fait diverses fois ce pelerinage, & que plusieurs de ces devots ont esté si persuadez des beautez de la Meque, & de la veneration qu'on doit avoir pour ce lieu, qu'ils se sont crevé les yeux, dans la pensée qu'ils ne peuvent plus voir dans le monde aucune chose qui soit digne de leur respect & de leur admiration.
Lorsque les Pelerins ont achevé leurs devotions ils forment à Medine un Camp où ils exposent en vente les marchandises de l'Europe que les peuples esloignez estiment beaucoup, & acheptent d'eux de la soye, des Indiennes, des tapis, des drogues, des épiceries, des aromats, des plantes medicinales, de l'ambre, du musc, de la civette, des perles & des diamans & tout ce que la Turquie, la Perse, les Indes, la Chine & le Japon ont de plus rare & de plus precieux, parce que le commerce y fait venir des Marchands de toutes les Contrées du Monde, de sorte que les Foires de Guibray, de Beaucaire & de Messine ne sont point si marchandes & si belles que ce Camp qui fournit à nostre Europe tous les ouvrages, les bijous, les curiositez qui se trouvent dans le Levant. Voila de quelle maniere les Mahometans font leur pelerinage à la Meque avec plus d'avarice que de pieté.
Depuis que le Capitaine Mirangal estoit arrivé à Tripoly, il ne s'estoit occupé qu'à debiter ses marchandises & à faire achapt de celles qui estoient propres en France. Il resolut au mois de Février de presenter au Bacha les Esclaves qu'il avoit ordre de rachepter, & commença par moy. Je n'allay qu'en tremblant au Chasteau, & il sembloit que j'eusse preveu les difficultez du Bacha & la Trahison de l'Escrivain de la Barque nommé Savy de la Ville de Marseille, auquel le Capitaine avoit revelé les sommes qu'il avoit receuës pour le rachapt des Captifs. Cét Escrivain avoit un frere Renegat à Tripoly qui s'appelloit Regep & estoit Valet de Chambre du Bacha, il eut la malice de luy faire part de la verité des Rançons qu'on avoit délivrez à Mirangal; Regep pour faire sa cour découvrit au Bacha le secret que luy avoit confié son frere, qui tous les ans faisoit un voyage à Tripoly pour voir Regep lequel luy faisoit du bien; Mais ce perfide Chrestien n'eust pas le temps d'establir sa fortune, car trois ans aprés il mourut de Peste dans la Ville de Tripoly. Pendant que Mirangal faisoit son compliment, le Bacha m'examina depuis les pieds jusqu'à la teste, ce qui me donna du chagrin. Je demeuray plus d'une heure dans le Chasteau à deffendre mes interests, sans que le Bacha voulût rien diminuer de sa demande, ce qui obligea le Capitaine qui ne put rien obtenir de luy de sortir du Chasteau. Pour moy je me retiray à la prison accablé de douleur, sans pourtant perdre l'esperance que Dieu me délivreroit bientost, & qu'il ne permettoit ce retardement que pour me faire goûter avec plus de plaisir la douceur de ma liberté Estant dans la prison je me prosternay dans la Chapelle aux pieds du Crucifix & j'imploray de tout mon cœur l'assistance de la Sainte Vierge, qui n'est pas moins la consolatrice que le refuge des pecheurs, & de qui j'ay si visiblement éprouvé la protection tant durant ma captivité qu'en plusieurs autres rencontres de ma vie, que je ne puis m'empescher d'en rendre icy un témoignage public. L'aprés midy nous retournâmes au Chasteau, où je trouvay quantité de Marchands Chrestiens qui parlerent pour moy au Bacha, auquel je representay que je l'avois servy fidellement pendant tout le temps de mon Esclavage, que je ne pourrois plus resister à l'avenir à la fatigue du travail, que j'avois passé le terme de la Loy qui n'exige que sept ans de servitude, & que perdant l'occasion favorable qui se presentoit, je ne pourrois estre rachepté de mes parens qui estoient fort esloignez de Provence. Ces raisons ne toûcherent point ce Barbare qui se moqua des larmes que je versois en implorant sa pitié. De bonheur dans ce moment un de ses fils vint luy baiser la main avant que de monter à cheval pour aller à ses exercices. Je me jettay aux pieds de ce jeune Seigneur, suppliant le Bacha par sa teste de m'accorder la liberté, le fils toûché de compassion me dit ces paroles Arabes, Alla ya Meschin timpehy fy Bledy, Dieu te face la grace infortuné Chrestien d'aller en ton Pays. Osman qui aimoit tendrement son fils me dit qu'il se rendoit à ses souhaits, & qu'à sa priere il me donnoit la liberté moyennant quatre cens piastres, sans comprendre la sortie des portes & plusieurs autres frais. Je me retiray incontinant du Chasteau pour en faire part à mes amis, il m'est impossible d'exprimer la joye que je ressentis pour lors, car tout les plaisirs du monde ne sont rien en comparaison. Je ne fus pas plustost arrivé à la prison que j'entray dans la Chappelle pour remercier Dieu de ma délivrance, le soir un Officier du Bacha vint assurer le Gardien que j'estois libre, & me conduisit en la maison du Capitaine Mirangal où je demeuray jusqu'au départ de Tripoly.
La maniere de rachepter les Esclaves dans la Barbarie n'est pas toûjours égalle, & change selon la naissance, l'aage & les qualitez des Captifs. La jeunesse, l'art, la force, la qualité & le Pays sont autant d'obstacles à la liberté d'un Chrétien, qui ne peut rompre ses fers qu'il ne paye doublement sa condition ou son merite, à moins qu'il n'ait la prudence de les cacher. C'est ce qui arriva au sieur Bordier de Genéve horloger de son mestier que Mirangal presenta au Bacha le mesme jour que je fus rachepté. Osman qui estoit bien informé qu'il avoit six cens écus ne voulut rien rabatre de la somme qu'il demanda. Aprés une longue contestation le Capitaine qui avoit offert cinq cens écus sortit du Chasteau sans avoir obtenu grace pour le Genevois, lequel avant que de rentrer dans la prison ne put s'empescher de reprocher à Savy sa perfidie. Le lendemain on continua les solicitations envers le Bacha pour le pauvre Bordier qui estoit dans le dernier accablement; Et pour comble de malheur il fut reconnu par Mimy Renegat de son Païs qui avoit averty le Bacha que l'horloger avoit à Genéve des freres fort riches qui pouvoient avancer deux mille piastres pour son rachapt; Bordier eut beau representer à Osman que quand il fut fait Esclave par les Corsaires en allant à Constantinople, il avoit fait perte de quatre mil piastres en quoy consistoit tout son bien. Le Capitaine eut aussi beau assûrer le Bacha que le refus de la liberté de Bordier le mettroit au desespoir, & qu'il ne manqueroit pas d'imiter Gonneau Parisien qui pour le mesme refus s'estoit donné la mort, & l'avoit privé d'un Esclave qu'il aimoit à cause de son Art, Le Bacha répondit que toutes ces remostrance estoient inutiles, & que la mort d'un Chrestien luy estoit moins sensible que celle d'un Autruche qu'il entretenoit dans son Palais pour son divertissement. Mirangal voyant l'avarice & la dureté du Bacha se douta bien que son écrivain avoit revelé à Regep son frere les sommes destinées pour la rançon des Esclaves; c'est pourquoy il donna les six cens écus qu'il avoit receus en France, outre les portes & les autres frais que les Capitaines avancent lorsque l'argent ne suffit pas pour fournir aux dépenses des Captifs qui leur sont recommandez. Aprés tant de chagrins Bordier sortit du Chasteau plus joyeux qu'il n'y estoit entré, & assurément sans la recommandation du Consul Anglois qui estoit le protecteur des Protestans & chez lequel Bordier se retira, il auroit peut estre fait un long sejour dans la Barbarie. Mirangal ne trouva pas moins de difficulté dans le rachapt du Capitaine André Hollandois estably à Marseille, qui avoit esté fait Esclave au retour de la Ville d'Alexandrie pour laquelle il trafiquoit. André estoit un homme de belle taille, fort experimenté au fait de la Marine, & capable de commander un Navire en course. Les Renegats de sa Nation avoient tâché par toutes sortes de voyes de luy faire prendre le Turban, & sans l'arrivée de Mirangal il estoit en peril de changer de Religion parce qu'ils l'en solicitoient incessamment, & que les Turcs vouloient luy persuader qu'il pouvoit se sauver dans la Secte Mahometane aussi facilement que dans la Religion des Hollandois. C'est de tous-temps que les Infideles estiment plus les Catholiques Romains que les Protestans qu'ils acheptent d'aventage. Le Capitaine Mirangal ayant apris que les Renegats régaloient nostre Hollandois en des Jardins de plaisance à la Campagne dans le dessein de le seduire, eut l'adresse de le retirer de la compagnie de ces libertins pour le presenter au Bacha, qui eust bien de la peine à consentir à sa liberté. Quoy que Mirangal n'eût receu que cinq cens piastres pour sa rançon il ne fit point de difficulté d'en donner six cens, de crainte de laisser en Barbarie un homme de son experience & de sa valeur, lequel par desespoir de n'avoir pas esté rachepté, auroit renoncé au Christianisme & fait d'estranges ravages dans la Provence, ainsi que Morat et Chabam Rais Renegats qui ont pris plus de mille Chrestiens Esclaves. Le Capitaine André ne fut pas plustost libre que Mirangal le pria de se retirer au bord de la Barque jusqu'au départ de Tripoly & de n'en point sortir pour éviter les surprises que les Renegats luy pourroient faire. En effet ces apostats indignez de perdre une personne de son merite s'obstinerent plus que jamais à le pervertir; ils le visiterent dans sa retraite avec divers rafraichissemens où le vin ne manquoit pas, luy offrirent leurs Maisons, le prierent de voir les beautez de la Campagne, & firent tous leurs efforts pour l'obliger à mettre pied à terre. Ce que le Capitaine Hollandois ayant refusé, ils rodoient sans cesse aux environs de la Marine pour l'enlever par force, dont Mirangal porta ses plaintes au Bacha qui leur deffendit de continuer leurs violences. Ces deffenses ne les empécherent pas d'insulter les Matelots, un soir en allant au bord de la Barque je rencontray deux de ces Levantis qui me reprocherent de m'estre opposé à leur dessein, & sans doute ils m'auroient mal-traité, si Osman qui commandoit à la Marine ne leur eût donné ordre de se retirer. Par bonheur le Bacha fit équiper deux Navires pour aller en course sur lesquels s'embarquerent les ennemis du Capitaine André qui fut ravy d'estre délivré de leurs insultes.
Il ne restoit plus à Mirangal que de presenter au Bacha deux Esclaves de la Ville de Marseille qu'il avoit ordre de rachepter de la part des R. R. P. P. de la Mercy de Paris, qui nonobstant le grand nombre de Captifs qu'ils vont rachepter en personne dans les Royaumes d'Alger, de Fez & de Maroc, procurent encore de temps en temps la liberté aux Esclaves détenus dans les Villes de Thunis & de Tripoly, ainsi qu'il a paru depuis quinze ans en deux ceremonies fort éclatantes. Le Capitaine Mirangal pour les avoir à bon marché assura le Bacha qu'ils estoient pauvres & de basse condition; car l'un estoit Matelot & l'autre Tonnellier, & depuis dix ans d'esclavage ils avoient esté employez à la Marine. Il luy representa aussi que l'argent destiné pour le rachapt ne provenoit que des charitez des Chrestiens qui ont la bonté de retirer de la Barbarie les Captifs les plus abandonnez. Tes raisons sont bonnes, dit Osman au Capitaine, mais sçais-tu que la pluspart des Chrestiens se font de qualité au commencement de leur esclavage, & miserables à la sortie pour épargner leur bourse; je suis rebatu de tous les artifices dont se servent les Capitaines quand ils racheptent les Captifs, & je ne sçaurois me persuader que les aumônes des Chrestiens qui sont si zelez & si riches, soient limitées pour la rançon de leurs freres; pourquoy donc est-tu avare d'un argent dont tu seras remboursé? Les Consuls & les Machands parlerent en faveur des deux Marseillois ausquels le Bacha donna la liberté pour cinq cens écus parce que l'un d'eux estoit incommodé & incapable de travailler.
Quelques affaires survenuës à nostre Capitaine ayant fait differer son départ, j'eus la commodité de voir le Caresme des Turcs qui arrive presque dans le mesme temps que celuy des Chrestiens. Le jeûne des Mahometans est bien different du nostre qui n'est estably que pour mortifier le corps, au lieu que les Turcs ne s'abstiennent de boire & de manger pendant le jour, que pour s'abandonner durant la nuit à tous les desordres & à toutes les infamies qui peuvent flater leurs sens. Le premier mois de leur jeûne qui s'appelle Beyram est jeûné par les Cherifs, les Marabous, les Santons & les Dervis; le second qu'on nomme Chabam est jeûné par les devots & les zelez de la Loy; le troisiéme qui est le Rhamadam est universel & gardé si exactement par les veritables Musulmans, que dans quelques Provinces les enfans à la mamelle & mesme les animaux n'en sont point exempts. Il est deffendu pendant toute la Lune du Rhamadan de boire & de manger le jour, & les Arabes jeûnent avec tant d'exactitude qu'ils se privent de tous les plaisirs licites, comme de sentir les fleurs, de prendre du Tabac & de se rafraichir la bouche dans la plus grande chaleur du jour. Je me suis trouvé à la Campagne avec des Mahometans qui ont mieux aimé mourir que de violer la Loy du Prophete. La superstision ne manque jamais de victimes, & fait des martyrs dans les Religions les plus fausses & les plus ridicules. Les Renegats ne se mettent guerres en peine de ces jeûnes, & ils se menagent des retraites particulieres où pendant le Rhamadan ils se divertissent en secret; Mais s'il y a des plaintes contr'eux au Divan, ils sont punis avec rigueur, témoin un Renegat Hollandois qui fut trouvé yvre de jour par les ruës & auquel on fit avaler du plomb fondu pour punition d'avoir causé un scandale public, ce breuvage ne luy donna pas le temps de cuver son vin. Les Barbares ont plus d'horreur pour les yvrognes que pour les autres coupables, ils les appellent en leur langage Sacran, comme si c'estoit une chose sacrée dans la Barbarie de voir un homme de la nation pris de vin. Cependant les Turcs avec toute l'horreur qu'ils témoignent pour l'yvrognerie, & toute la regularité de leur jeûne pendant le jour de leur Caresme, ne laissent pas la nuit de faire toutes sortes de débauches & de commettre les crimes les plus abominables. Le Soleil n'est pas plustost couché qu'on les voit dans les ruës ou dans leurs maisons avec des viandes prestes à manger, & dés que les Marabous ont sur les tours des Mosquées donné le signal par leurs cris qui font l'office de cloche en Turquie, ils dévorent comme des Loups affamez. Ce qui fit dire à un Flamand que les cloches de son Païs faisoient des Concerts agreables, & que celles des Turcs mangeoient. Un de mes amis Esclave d'un Capitaine de Navire me convia d'aller coucher avec luy afin que je pusse voir de nuit le Ramadan, il eût ordre le soir aprés soupé d'aller trouver son Patron dans un Cafegy, je l'accompagnay dans ce lieu où les Turcs & les Renegats s'assemblent pour se divertir à fumer, à boire du Caffé & à joüer aux Dames & aux Echets, sans qu'il leur soit permis de joüer de l'argent parce que la Loy leur deffend. Nous eûmes la curiosité d'aller au grand Bazart où nous ne trouvâmes que du menu peuple & de la confusion. Les Places publiques estoient remplies de joüeurs d'instrumens & de danseurs, les Barbares se divertissent separement des Turcs, ainsi que les Negres que les Turcs traitent plus mal que les Chrestiens, quoy qu'ils soient Mahometans. Sitost que ces infidels ont le ventre plein ils courent par les ruës heurlans comme des possedez ce qui nous fit retirer de peur d'estre exposez à leurs insultes, je me contentay d'une premiere nuit & refusay de me trouver à une Comedie que les Capitaines devoient representer le soir suivant; le commencement du Ramadan s'annonce par un coup de Canon le premier jour de la Lune, & les Marabous publient la Pasque avec grande ceremonie. Ils en celebrent trois par an, la premiere est celle des Sacrifices qu'ils imitent des Juifs, la seconde des Bacanales, & la troisiéme est la Nativité de Mahomet. La premiere arrive au temps de la Pasque des Chrestiens, la seconde deux Lunes aprés & la troisiéme à la fin d'Octobre. Le jour de la feste le Bacha suivy du Divan & de sa Cour se rend en ceremonie à la Mosquée principalle pour y faire la priere, laquelle ce jour là dure plus qu'à l'ordinaire. Pendant qu'il demeure dans la Mosquée, il se fait un concert au haut de la Tour & à peine à-t'il achevé son Salem, qu'un Marabous arbore un Etendard rouge que l'on voit de toute la Ville. Aussi tost les Marabous annoncent sur les Tours des autres Mosquées la feste au peuple, aprés quoy le Chasteau fait une descharge de Canons, qui est suivie de celle des Navires. Durant le bruit de l'artillerie le Bacha est conduit au son de divers instrumens dans une grande place proche du Palais de Regep Bé où l'on a preparé sous des Pavillons un festin magnifique à la mode du Païs, & comme les Turcs ne mangent point sur des tables tous les Mets sont servis sur des peaux contre terre, le Bacha & les plus considerables Officiers mangent les premiers, ensuite les Renegats, les Turcs, & les Arabes de la Campagne qui viennent à la Ville pour y celebrer la feste & assister au regal où tout le monde trouve à manger abondamment, puisqu'on y sert quatre ou cinq mil plats de toutes sortes de viandes & de poisson. Le Bacha n'est pas plustost arrivé en son Palais qu'il fait ouvrir les prisons aux Captifs qu'on enferme pendant la Ceremonie, afin qu'ils puissent profiter des restes du festin, qu'ils mangent avec les Pauvres de la Ville. Les Esclaves sont exempts du travail le jour de la Pasque & on leur donne la liberté de se promener par les ruës pour voir les réjoüissances publiques.
Chapitre XIV.
Les avantures d'un Provençal & de sa niéce; celles d'un Majorquin & de sa sœur.
Avant de quitter la Barbarie il ne sera pas hors de propos de rapporter les avantures de quelques Esclaves lesquelles y sont arrivées; Mais je prie le lecteur de croire que bien qu'elles soient assez surprenantes, elle ne laissent pas d'estre veritables, & que je garderay dans la fin de cét ouvrage la mesme fidelité que j'ay gardée auparavant. Je commanceray par l'Histoire du sieur Taulignan que j'ay veû Esclave à Tripoly, avec lequel j'ay logé dans la mesme prison pendant deux années. Il est de la Ville de la Ciouta en Provence entre Marseille & Toulon, & frere du Consul de Zante, Isle qui appartient aux Venitiens dans la Grece. Ce Consul avoit esté nommé par Sa Majesté pour y conserver les interests des François à cause de la connoissance qu'il avoit de la Grece & de tout l'Archipel, à son départ de France avec sa famille il laissa dans le Convent des Religieuses de la Cioutat une petite fille que son bas aage rendoit incapable de supporter les incomoditez de la mer. Dés qu'elle eût atteint l'aage de dix ans le Consul pria son frere qui demeuroit avec luy à Zante de faire un voyage en France pour diverses affaires, & principalement pour tirer sa niece du Monastere, & la mener à Zante sur une Tartane qu'il chargeroit de marchandises propres au Païs. Taulignan fût bien-aise de faire le voyage dans l'esperance de voir ses parens & ses amis & de profiter sur les marchandises qu'il porteroit en France où il arriva heureusement. Pendant le sejour qu'il fit à la Cioutat il eut de la peine a faire resoudre sa niece de quitter son Convent comme si elle eût eû quelque pressentiment des malheurs qui luy devoient arriver. L'ayant fait embarquer il se mit à la voile avec un vent favorable qui le mit presque hors de danger des Corsaires de Barbarie, qui pour l'ordinaire croisent proche des Isles de Majorque, de Minorque, de Sicile & de Sardagne. Le troisiéme jour de son embarquement il apperceut le soir trois voiles qui costoyoient cette derniere Isle & leur maniere d'agir luy fit connoistre que c'estoit des Pirates. La nuit donna esperance à Taulignan qu'il s'esloigneroit d'eux; Mais à la pointe du jour ces Corsaires qui estoient Algeriens luy donnerent la chasse avec tant d'ardeur qu'ils l'obligerent de faire échoüer la Barque. Il se sauva dans l'Esquif avec sa niece, & le reste de l'Equipage se jetta dans la mer & gagna la terre, où les Pirates descendirent & poursuivirent les Chrestiens. La Tour du Cap Teclar dans le Golphe de la Palme n'estoit pas esloignée, Taulignan & sa niece y estant arrivez eurent le malheur de n'y trouver personne, parce que la peste qui desoloit lors la Sardagne avoit emporté la Garnison qu'on tient ordinairement dans cette Tour pour s'opposer à la descente des Corsaires. Les Algeriens ayant reconnu qu'elle estoit sans Soldats continuerent leurs poursuites & tirerent sur Taulignan qu'ils blesserent à la cuisse. Sa blessure, les cris des Turcs & le bruit des mousquetades donnerent une telle frayeur à la niece qu'elle demeura immobile sans pouvoir avancer d'un pas, & Taulignan eut bien de la peine à se retirer dans un Bois qui estoit proche de la Tour, les Algeriens se saisirent de la fille & pousserent jusqu'au Bois à l'entrée duquel ils trouverent Taulignan dans un estat si pitoyable qu'ils le crurent mort, & se contenterent de luy marcher sur le ventre.
Alors les Chrestiens qui s'estoient ralliez dans le Bois firent tant de bruit que les Pirates craignirent de tomber dans une embuscade, & regagnerent leurs Vaisseaux où Soliman leur Chef estoit demeuré pour faire transporter les marchandises de la Barque qu'il fit couler à fonds. La fille fut presentée au Capitaine qui la receut avec bien de la joye dans son bord, & les Corsaires ayant apperceu de loin plusieurs voiles abandonnerent la Sardagne & avant que d'arriver a Alger prirent un Navire qui venoit d'Alexandrie. Permettez que je laisse nostre jeune Captive dans le Serrail de Soliman & que je retourne à son oncle qui fait le principal sujet de cette Histoire.
Les Matelots de la Barque assurez de la retraite des Turcs chercherent leur Capitaine qu'ils trouverent presque mourant à cause de la quantité de sang qu'il avoit perdu. Ils luy banderent sa playe, & le porterent à Caillery Capitale de la Sardagne où de bonheur il rencontra des amis qui luy donnerent toutes les assistances dont il avoit besoin. Dés qu'il fut guerry il s'embarqua pour Zante où à son arrivée il dit à son frere que sa fille n'avoit pas voulu sortir de la Religion; Mais comme le danger estoit pressant, il avoüa la Captivité de sa niece, afin de travailler à sa liberté avant que son Patron la solicitât d'embrasser le Mahometisme. La perte de la Barque estimée dix mil écus ne fut pas si sensible au Consul que celle de sa fille, pour la liberté de laquelle il fit passer son frere en diligence en France avec des lettres de recommandation à Messieurs les Commandeurs Paul & de Benonville. Elles eurent tout l'effet qu'on pouvoit esperer, ces Messieurs luy offrirent un des plus puissans d'Alger qui estoit dans les Galeres de France, & mesme autant de Turcs qu'on demanderoit pour la liberté de sa niece. Taulignan ravy du succés de son voyage partit aussi-tost pour en porter la nouvelle à son frere lequel en son absence avoit esté à Venise, les services qu'il avoit rendus à la Republique pendant son Consulat luy avoient fait obtenir du General Morosiny quatre Turcs d'Alger qui luy donnerent des lettres pour leurs parens qui avoient du credit dans la Ville. Le Consul pria son frere de retourner en Provence où l'on trouve facillement des occasions pour Alger. Il trouva un Vaisseau qu'on équipoit pour cette Ville à Marseille, & donna au Capitaine les lettres des Turcs qu'on offroit d'échanger avec la fille. Si tost que leurs parens les eurent receus ils s'employerent fortement pour leur deslivrance, Soliman qui aimoit passionement sa belle Captive en fut allarmé, & pour ne la point rendre commit une perfidie insigne. Il luy fit des carresses extraordinaires, & l'assura de sa liberté. Un jour il la fit venir dans sa chambre où en presence de plusieurs personnes Turques de l'un & l'autre sexe il luy mit entre les mains un écrit qu'elle receut avec beaucoup de respect & de remerciement dans la pensée que c'estoit la carte de sa liberté qu'il luy avoit promise, Soliman en fit ensuite faire la lecture par un de la compagnie & pria la fille de repeter à haute voix ce que le Turc liroit, la fille prevenuë des fausses caresses de son Patron ne fit aucune difficulté de luy obeïr, & à peine la lecture fut achevée que les hommes & les femmes la feliciterent de s'estre faite Mahometane, car au lieu des parolles qui donnent la liberté, on luy avoit fait dire celles que les Turcs ont coûtume de faire prononcer aux Esclaves qui renoncent à la Religion Chrestienne. Jugez mon cher lecteur, de la douleur & de l'estonnement de cette infortunée, elle pleure, elle gemit, elle proteste qu'elle est Chrétienne, & qu'elle abhorre la loy de Mahomet qu'on luy a fait professer dans un langage qui luy est inconnu, elle regarde les Dames qui la flattent & la consolent comme ses ennemies & les complices de la trahison qu'on luy a faite, elle veut sortir de la chambre, elle implore la justice & la bonne-foy de Soliman qui l'arreste & la fait conduire dans une chambre voisine où les femmes la parent malgré elle d'habits magnifiques pour accomplir la Ceremonie. L'action de Soliman luy attira la haine & la vengence des parens & des amis des Esclaves Turcs, ils l'accuserent d'avoir empéché leur échange, d'avoir usé de surprise & de violence pour faire renier son Esclave, & d'avoir pris en course des Navires Chrestiens amis d'Alger. L'affaire fût poussée si vivement qu'il fut contraint de s'absenter de la Ville, & il n'y rentra que par la faveur du Caya qui le fit rappeller d'exil en consideration du present qu'il luy fit de sa Captive. Cét Officier est un veritable Turc & la seconde personne d'Alger où la Porte l'envoye pour y conserver ses interests.
Taulignan attendoit à Marseille l'effet des lettres qu'il avoit envoyées à Alger lorsqu'il apprit ce qui estoit arrivé à sa niece par celles qu'elle eût l'adresse de luy faire tenir quoy qu'elle fut enfermée dans un Serail. Il porta ces tristes nouvelles au Consul qui fut inconsolable du malheur de sa fille bien qu'elle l'assurât par ses lettres qu'elle estoit Chrestienne dans l'ame & qu'elle garderoit toute sa vie la Religion dans laquelle il l'avoit eslevée. Taulignan reconnoissant que sa presence augmentoit le chagrin de son frere resolut de trafiquer sur mer pour se recompenser des pertes qu'il avoit faites, il chargea une Barque de vivres & de munitions qu'il mena en la Ville de Candie qui estoit lors assiegée des Turcs, Il y fit plusieurs voyages en l'un desquels il fut pris sur les Isles de Sapience par les Corsaires de Tripoly où il a demeuré Captif pendant quatre années. Jean Seaume son beau-frere qui vint à Tripoly avec une Barque remplie de marchandise ne pût le racheter, parce qu'il estoit dans l'armée qu'on avoit envoyée contre les Arabes qui s'estoient, pour la seconde fois, revoltez dans la Province du Gibel. Le Consul de Zante averty que son frere estoit encore dans la Barbarie envoya son fils à Tripoly sur une Tartane chargée en partie de vin de Saragouse en Sicile. Il trouva Taulignan qui estoit de retour de son voyage du Gibel & qui ne voulut pas qu'il le rachetât parce qu'il esperoit que les Galeres de France qui deslivroient à Thunis les Esclaves François, viendroient faire la mesme grace à ceux de Tripoly. Ainsi le neveu se mit à la voile par l'ordre de l'oncle auquel il laissa de quoy se racheter si les Galeres ne rendoient point visite au Bacha de Tripoly, & quatre tonneaux de vin pour faire Cabaret. Taulignan bien informé que les Galeres avoient pris la route de France, songea aux moyens de se metre en liberté, & quoy que les Rançons des Esclaves soient mediocres pendant que les Galeres de France sejournent en Barbarie, il ne laissa pas de payer pour la sienne quatre cens piastres parce qu'il estoit estimé trés-habille pour la Marine & qu'il alloit en mer sur la Capitaine. A son arrivée à Marseille il apprit de son frere Pilote Real des Galeres de sa Majesté que leur neveu, sa Tartane, & tout l'équipage avoient pery en mer. Comme le Consul de Zante avoit beaucoup contribué à sa liberté il y alla pour le remercier; Mais il n'y fit pas long sejour à cause de l'affliction de son frere que le naufrage de son fils avoit augmentée, & retourna en France où il a eû des emplois honnorables. Il a toûjours servy sous le commandement de Monsieur de Vivonne en qualité de Lieutenant & de Capitaine de Barques & de Navires, & s'est signalé dans les occasions les plus perilleuses de Messine, d'Alger & de Thunis, il a mesme parcouru l'Archipel pour acheter des Corsaires Chrétiens des Turcs Esclaves, afin de renforcer la Chiourme de nos Galeres, & les a conduits à Marseille avec autant de succés que de gloire aprés avoir essuyé une escadre de l'Armée navale Ottomane. Ces dernieres avantures de Taulignan m'ont esté racontées par luy mesme en la Ville de Paris il y a trois ans, il servoit de Truchement à l'envoyé de Tripoly qui estoit venu en France pour demander au Roy une Paix éternelle, & prier Sa Majesté de rendre les Ostages de cette Ville qui estoient à Toulon depuis la Treve faite par les Tripolins avec Monsieur le Mareschal d'Estrée Vice-Amiral de France. Il me dit une particularité assez singuliere & qui merite bien d'avoir icy sa place, C'est que l'envoyé de Tripoly est celuy auquel Soliman Corsaire d'Alger fit present il y à vingt-cinq ans de la fille du Consul qu'il avoit épousée, que son fils qui l'accompagnoit estoit né de cette Renegate involontaire, & que l'envoyé exerçoit à Tripoly la charge de Caya qu'il avoit auparavant possedée dans Alger. J'appris aussi de Taulignan la mort d'Osman Bacha & les revolutions qui estoient arrivées dans le Gouvernement de Tripoly, voicy de quelle maniere il m'en fit le recit. Tous les Renegats ennuyez de la domination des Renegats Grecs se liguerent pour déposseder Osman, ils l'attaquerent dans son Chasteau qu'ils emporterent de force aprés une resistance de plusieurs jours. Le Bacha, ses parens, ses creatures & tous les Officiers Grecs furent passez par le fil de l'espée, & l'on establit pour Gouverneur un Renegat Italien. Les Esclaves Chrestiens firent paroistre leur valeur dans les attaques du Chasteau où il en perit beaucoup. L'Italien ne gouverna pas long-temps, car le Grand Seigneur ayant eû avis qu'Osman avoit laissé des richesses immenses, envoya un Bacha de la Porte pour commander en sa place avec des Officiers fidels, ce nouveau Commandant fut bien receu par les Turcs & les Arabes qui estoient ravis de secoüer le Joug des Renegats qui leurs estoient devenus insuportables, & il fit mourir l'Italien & tous les autres qui pouvoient estre suspects. C'est ainsi que l'autorité de la Porte fut entierement restablie dans la Ville & le Royaume de Tripoly, & qu'Osman fut puny de sa perfidie & de son ingratitude envers Mehemet son cousin, & son bienfaicteur qu'il avoit fait empoisonner.
J'avois dessein de passer sous silence les avantures de Dom Julio & de sa sœur à cause du rapport qu'elles ont dans le commencement avec celles de Taulignan; mais une personne de merite que j'ay consultée là dessus, m'a conseillé de les inserer dans ce livre parce que j'y ay fait mon personnage & que les estranges & veritables évenemens qui les composent peuvent donner de la satisfaction au Lecteur. Dom Julio est de la Ville de Majorque Capitale de l'Isle de ce nom, il avoit dans sa jeunesse servy la Republique de Venise en Candie où il avoit fait des amis & quelque établissement. Il eut envie d'aller dans son Païs pour visiter ses parens qu'il n'avoit point veus depuis plusieurs années. Durant le sejour qu'il fit à Majorque il sollicita une sœur qu'il avoit de venir avec luy en Candie, promettant de la marier avantageusement. Le plaisir de voyager & les beautez de la Grece dont son frere l'entretenoit souvent, ne furent point capables d'abord de la faire consentir au voyage; Mais lorsqu'elle vit une Barque chargée de provisions & qu'elle devoit estre bientost privée de Dom Julio qu'elle aimoit tendrement, elle ne resista plus & s'embarqua dés que le vent fut favorable. Dom Julio eût proche de l'Isle de Malte la chasse par deux Brigantins de Thunis qui le poursuivirent avec tant de vigueur qu'il fut contraint déchoüer dans la Sicile, il se sauva dans l'Esquif avec sa sœur & tous deux mirent pied à terre où les Pirates descendirent afin de poursuivre les Chrestiens fugitifs dont ils firent quelques uns Esclaves, Dom Julio en cét extréme danger prit sa sœur par la main, la conjura de ne point perdre courage & d'avancer jusqu'à un bois qui n'estoit pas esloigné, luy répresentant que la perte de la Tartane n'estoit rien en comparaison de la captivité qu'ils ne pouvoient éviter sans une prompte fuite. Mais ses prieres & ses peines furent inutiles, car la sœur effrayée des heurlemens des Turcs qui approchoient tomba en pamoison & sans aucun sentiment. C'est un coup de foudre pour Dom Julio qui ne sçait quel party prendre, sa tendresse l'empesche de quitter sa sœur, d'un autre costé il craint de tomber avec elle au pouvoir des Turcs, dans le mesme instant il fait reflexion aux surprises & aux violences qui luy seront faites à cause de sa jeunesse & de sa beauté, & il se la figure exposée aux miseres de l'Esclavage, au peril de l'apostasie & à la brutalité des infideles qui ont de la passion pour les femmes Chrestiennes de l'Europe. Ces fâcheuses idées qu'il se forme dans l'esprit l'aveuglent & le rendent furieux, elles luy font oublier les devoirs de l'amitié, du sang & de la nature, & dans son desespoir il donne à sa sœur plusieurs coups de cousteaux dans le sein, aprés quoy il gagne en diligence le bois & ensuite la Ville de Palerme.
Les Matelots qui s'estoient sauvez du naufrage arriverent presque aussi-tost que luy à Palerme & l'assurerent qu'ils avoient veû les Corsaires enlever sa sœur dans leurs Brigantins. Dom Julio persuadé par cette nouvelle que sa sœur n'estoit pas morte comme il avoit cru, ne songea plus qu'à la délivrer afin de reparer en quelques façon l'injure qu'il luy avoit faite par sa cruauté. Il resolut d'aller en Candie demander quelque Turc de Thunis Esclave dans l'armée navale de Venise pour en faire échange avec sa sœur. On équipoit à Palerme deux Brigantins qui devoient aller en course dans l'Archipel, l'occasion le fit embarquer avec ces Corsaires Chrestiens qui luy promirent de le rendre en Candie, ils costoyerent heureusement les Isles de Sicile & de Malte; Mais proche de la Lampedouze ils furent battus d'une si furieuse tempeste qu'il leur fût impossible d'y moüiller l'Ancre parce que le lieu est d'un abord trés difficile. La nuit suivante l'orage augmenta si horriblement que les Brigantins furent obligez de se separer, l'un perit, & l'autre sur lequel estoit Dom Julio alla le lendemain se briser dans l'Isle de la Limose, & de tout l'équipage il ne se sauva que luy & un Italien qui sur le débris du Brigantin aborderent en cette Isle deserte. Ce fut dans cette afreuse solitude qu'il s'imagina que Dieu l'avoit exilé pour le punir d'avoir poignardé une sœur dont il avoit causé l'infortune, puisqu'il l'avoit obligée de le suivre. Le lieu estoit steril, sans eau & dépourveu de toutes les commoditez de la vie. Ses deux nouveaux habitans n'avoient point d'autre occupation que de chercher des coquillages sur le bord de la mer pour leur servir de nouriture, se rafraischissans la bouche d'un peu d'eau salée; la nuit leur estoit encore plus insuportable que le jour parce qu'il se retiroit dans l'Isle quantité de Gabians qui sont oyseaux de mer lesquels par leurs cris effroyables interrompoient leur sommeil & sembloient reprocher à Dom Julio son crime. L'Italien au bout de cinq jours devint si foible qu'il ne fut plus capable de chercher sa nouriture que son compagnon luy apportoit charitablement. Un aprés midy Dom Julio ayant monté sur le sommet d'un Rocher apperceut de loin un Navire qui venoit à toutes voiles, il ne se mit point en peine s'il estoit Turc ou Chrestien, il ne songea qu'à sortir de cette malheureuse demeure & pria Dieu de les en délivrer, ses vœux furent exaucez, le Navire aprochant de l'Isle le Capitaine vit le signal qu'ils avoient mis pour implorer le secours des Vaisseaux passagers, & qui est ordinaire à ceux qui se sont perdus sur mer. Il envoya sa Chaloupe & à mesure qu'elle aprochoit de l'Isle, Dom Julio qui estoit accouru au devant & qui l'avoit reconnuë armée de Chrestiens s'écrioit qu'il estoit Chrestien. Celuy qui la commandoit ayant mis pied à terre, Dom Julio luy compta son naufrage & le conjura de le conduire au Vaisseau avec son compagnon, ce qui fut fait. Le Capitaine qui estoit Hollandois les traita si bien qu'ils recouvrerent leurs forces & leur santé avant que d'arriver en Candie où le Capitaine s'arresta pour décharger des marchandises, il y laissa Dom Julio & emmena l'Italien à Venise où il devoit charger son Navire pour la Hollande. Nostre Majorquin ne fit pas long sejour en Candie car aprés qu'il eut épuisé la bourse de ses amis & obtenu des Venitiens un Turc Esclave il s'embarqua sur un Navire François qui negocioit au Levant pour Messine dans le dessein de le quitter à Malte afin de s'aprocher de Thunis. Ce Navire se mit à la voile avec un vent Grec qui en six jours le mit quasi hors du danger des Pirates de Barbarie; Mais par malheur le mesme jour que le Capitaine esperoit arriver à Malte, il fut attaqué par les Corsaires Tripolins lesquels aprés un rude combat s'en rendirent les maistres. Ainsi Dom Julio fut fait Esclave avec une blessure qui faute d'estre bien pensée le mit en danger de perdre la vie. Nous avons demeuré trois ans dans la mesme prison où il a eû le loisir de me faire part de ses avantures.
Dom Julio ne fut pas plustost guery qu'il fit sçavoir à ses parens sa captivité & celle de sa sœur, ce qui les toûcha si sensiblement qu'ils n'espargnerent rien pour luy procurer la liberté afin qu'il pût ensuite travailler à celle de sa sœur. Comme il estoit de qualité & bien fait de sa personne ils furent obligez de consigner six cens Piastres és mains du Lieutenant d'un Navire qui fretoit à Gennes pour la Barbarie. Ce Genois qui avoit esté autrefois Captif à Tripoly changea en pieces de cinq sols plus de la moitié de l'argent qu'il avoit receu dans l'esperance de faire quelque profit. Il ne faut pas s'estonner si l'on en voit si peu en France, les Marchands Chrestiens les ont transportées en Turquie parce qu'il n'en faut que dix pour une Piastre dans tout l'Empire Ottoman. Les femmes Turques estiment tant cette monnoye qu'elles en mettent à leurs bracelets, à leurs colliers & à leurs coiffures. Le Capitaine Gennois ne fut pas plustost arrive à Tripoly que tout les Matelots commencerent à negocier les marchandises qu'ils avoient apportées d'Italie avec les Turcs, les Grecs, les Arabes, les Juifs & les Marchands Chrestiens. Le Lieutenant aprés avoir vendu les siennes acheta des marchandises du Païs pour deux cens écus qu'il paya en pieces de cinq sols sans sçavoir qu'elles fussent fausses. Les Juifs qui tiennent les Gabelles de la Ville & qui connoissent toutes sortes de monnoyes, s'en estant apperceus porterent incontinent leurs plaintes au Bacha qui donna ordre d'arrester le Lieutenant, & de faire recherche dans le Navire où l'on trouva le reste des pieces qui furent portées au Chasteau. Il luy fit donner cent Bastonnades pour sçavoir si le Capitaine n'estoit point coupable, le Lieutenant le déchargea & dit qu'il n'en avoit changé que pour trois cens écus, & que c'estoit une tromperie qu'on luy avoit faite dans son Païs. Le Bacha ordonna une seconde recherche dans le Navire & fit enchaîner le Lieutenant dans la Prison voisine du Chasteau. Le lendemain quoy que les Turcs l'assurassent qu'ils n'avoient trouvé que la quantité de pieces declarée par le Chrestien, il luy fit de rechef donner de la Bastonnade, & peu s'en fallut qu'il ne s'emparât de toutes les marchandises du Vaisseau à la Sollicitation des Juifs qui firent plus de bruit que tous les autres interessez. Mais comme il y alloit de l'honneur des Consuls, ils se rendirent au Chasteau & representerent au Bacha qu'il n'y avoit qu'un coupable qui neanmoins n'avoit point commis d'autre crime que de s'estre laissé tromper dans son Païs par des personnes qui trafiquent dans les Villes maritimes du change des monnoyes, & que le Capitaine ignoroit l'action qui n'estoit point telle que les Juifs la publioient. Ces remonstrances appaiserent un peu le Bacha qui condamna le Lieutenant à payer six cent Piastres & d'estre enchaîné dans la Prison jusqu'au payement. Ainsi par cette disgrace l'argent envoyé pour la Rançon de Dom Julio fut perdu & sa liberté retardée, parce que le Lieutenant estoit demeuré dans l'Impuissance de le racheter.
J'allay voir le Camp des Pelerins de Thunis qui estoit arrivé depuis huit jours à Tripoly, il est inutile de repeter ce que j'ay dit de cette armée d'Agis qui tous les ans vont à la Meque & qui trafiquent dans les Villes où ils passent pour se recompenser de la dépence & des peines du Voyage. Je rencontray un jeune Captif Italien proche des Pavillons du Commandant que je priay de me faire voir les beautez du Camp. Il me fit entrer dans les tentes de son Patron où je vis de riches équipages & de trés beaux chevaux Barbes. Il ne me fut pas permis d'entrer dans les Pavillons de sa Patrone qui ne sortoit que deux fois la sepmaine pour rendre visite aux Sultanes du Bacha de Tripoly. Ensuite il me conduisit dans le Basar & me convia d'entrer dans un Caffegy pour faire collation à la mode du Païs qui ne consiste qu'en Tabac & en Caffé, dans l'entretien je luy demanday s'il se croyoit assez robuste pour supporter les fatigues d'un si long voyage, il me dit qu'elles luy sembloient legeres, parce que sa Patrone luy avoit promis la liberté au retour de la Meque, à laquelle son mary l'avoit voüée pour rendre graces à Mahomet de la guerison des blessures qu'elle avoit receuës de son frere qui luy avoit voulu oster la vie dans la Sicile. Il n'en fallut pas davantage pour me persuader qu'elle estoit la sœur de Dom Julio, c'est pourquoy feignant d'estre surpris d'une action si extraordinaire, je le priay de me raconter plus particulierement les avantures de sa Maistresse, ce qu'il fit de la mesme maniere que Dom Julio me les avoit apprises jusqu'à l'enlevement de sa sœur dans les Brigantins des Corsaires. A l'égard de la suite le Captif m'en fit aussi la relation. Les Turcs visiterent les blessures de la nouvelle Captive qui ne se trouverent point mortelles, & le Capitaine prit beaucoup de soin de sa guerison. S'estant rendus à Thunis elle fut mise dans le Serrail du Bé de cette Ville qui estoit Renegat & la seconde personne du Royaume. A peine fut elle guerie que Moustafa son fils l'estima digne d'estre son épouse à cause de sa beauté. Il est certain que les premiers Officiers de Turquie sont passionnez pour les femmes Chrestiennes qu'ils font eslever dans toute la molesse du Païs afin de les seduire plus facilement. Moustafa n'espargna rien pour luy faire renoncer sa Religion, il la donna en garde à des Renegates qui tantost par des caresses & tantost par des mauvais traitemens l'obligerent d'obeïr à Moustafa qui l'épousa peu de temps aprés son infidelité; Il a pour elle une extrême tendresse, & c'est à cause de sa guerison qu'ils font ensemble le Pelerinage de la Meque. Je remerciay l'Esclave de toutes ses bontez & m'en retournay incontinant à la Ville; l'envie que j'avois de parler à Dom Julio me fit resoudre d'aller coucher la nuit dans la prison où je portay dequoy le regaler avec mes autres amis. Sur la fin du repas j'assuray Dom Julio que dans peu je luy ferois part de tres bonnes nouvelles, le lendemain avant que d'aller à son travail de la Marine il ne manqua pas de me remercier de la visite que je luy avois renduë, & de me prier de luy apprendre les nouvelles agreables dont je l'avois flaté le soir precedent. Je craignis de renouveler son affliction si je luy parlois de sa sœur; Mais remarquant sur son visage la joye qu'il avoit de me voir, je luy racontay tout ce que le Captif m'avoit appris dans le Camp des Pelerins; ce qui le mit dans une telle consternation qu'il demeura quelque temps immobile. Je le conjuray de ne pas negliger la seule occasion qui pouvoit rompre ses chaînes, il prit courage & me dit en prenant congé de moy & versant des larmes que dans cette affaire il s'abandonnoit entierement à ma conduite. Le mesme jour je retournay au Camp avec un de mes amis, nous rencontrâmes proche du Pavillon du Commandant le mesme Esclave auquel je témoignay que celuy qui m'accompagnoit estoit de son Païs, le desir qu'il avoit de sçavoir des nouvelles d'Italie l'obligea de luy tenir compagnie & de luy faire voir ce qu'il y avoit de plus beau, aprés quoy je le conviay d'entrer dans un Caffegy où nous fîmes collation, je l'assuray que le frere de sa Patrone estoit Captif à Tripoly depuis trois ans, je luy fis le recit du malheur qui avoit fait perdre l'argent de sa rançon, & luy demanday si par son moyen il pouvoit avoir Audiance de sa sœur. Il me répondit qu'il pouvoit la voir le lendemain vendredy parce que le Bacha regaloit son Patron avec les Principaux Officiers du Camp, & me promit d'employer le credit de l'Eunuque pour luy faire parler. Je luy rendis graces de ses offres & le priay d'avertir sa Patronne des disgraces de son frere, & de contribuer à la liberté du plus infortuné Captif de la Barbarie qui ne seroit pas ingrat de ses services. L'Esclave vouloit nous faire passer la nuit dans le Camp pour y voir luter les Pelerins avec ceux de la Ville qui s'estoient rendus redoutables dans cét exercice: Ce divertissement ne fut pas capable de nous arrester, & nous estans rendus à la Ville je fis provision d'un plat de viande pour aller souper avec Dom Julio dans la prison où je menay mon amy. Au milieu du repas je rendis compte de nostre sortie à Dom Julio qui jetta des soupirs & garda le silence. La Compagnie tâcha de le divertir & luy representa que sa sœur dans la foiblesse de son sexe n'avoit pû resister aux violences qu'on luy avoit faites, que l'honneur d'estre Sultane luy feroit oublier le passé, qu'il devoit luy rendre visite & que le plus grand mal qui luy pouvoit arriver estoit de ne point sortir d'esclavage, à quoy j'adjoustay qu'il ne tenoit qu'à luy de parler à sa sœur dont le Captif nous avoit dit tous les biens imaginables. Avant que de nous retirer il me promit derechef de suivre mes conseils, ce qui m'obligea de donner le lendemain une demie Piastre au Gardien de la Prison pour l'exempter ce jour là de travail. Je fis en sorte de le divertir toute la matinée pour empescher son chagrin & priay un Esclave nouvellement racheté de venir avec nous au Camp. A peine fûmes nous sortis de la Ville que Dom Julio regreta sa sortie & me dit plusieurs fois que j'allois le sacrifier à la vengence de sa sœur, nous ne laissames pas de le conduire au Camp où je trouvay le Captif Italien qui nous témoigna la joye qu'il avoit de nostre arrivée, & assura Dom Julio qu'il avoit parlé à sa sœur en sa faveur. Aprés nous avoir entretenus quelque temps, il nous posta dans un lieu où sa Maistresse devoit passer pour aller faire sa priere. L'Eunuque curieux de sçavoir qui nous estions vint nous aborder & comme il parloit un peu la langue Franque, commune dans la Barbarie, il prit plaisir à nous entretenir. Cependant Dom Julio étoit dans une cruelle inquietude & peu s'en fallut qu'il ne quittât la Partie; Mais par bonheur l'Eunuque nous avertit que sa Patronne alloit venir. Si-tost qu'elle parût Dom Julio se prosterna à ses pieds, implora sa misericorde & la pria de luy pardonner son crime qu'un zele indiscret d'honneur & de Religion luy avoit fait commetre. La Dame fut touchée de voir son frere en cette posture & commanda à l'Eunuque de le relever, elle l'embrassa tendrement & mesla ses larmes avec les siennes, en suite elle luy dit qu'elle avoit bien de la douleur de le trouver dans les fers aprés toutes ses disgraces, qu'elle oublioit de tout son cœur le passé, que les grandeurs dont elle se voyoit environnée ne pouvoient pas la consoler de la perte qu'elle avoit faite par sa foiblesse de la liberté des Enfans de Dieu, & qu'elle le conjuroit de ne point tomber dans la mesme infidelité. Son frere la remercia de ses bontez dont il estoit indigne, & elle luy demanda des nouvelles de leurs parens, aprés quoy elle luy témoigna qu'elle avoit un déplaisir sensible de ne pouvoir alors luy procurer la liberté; Mais qu'elle engageroit une partie de ses Diamans pour trafiquer dans le voyage afin de le racheter au retour de la Meque. Le Garde des Pavillons du Commandant vint dire à la Dame qu'il estoit arrivé dans le Camp plusieurs Cavaliers pour le voir, ce qui l'obligea de nous congedier. Dom Julio dans le retour à Tripoly parut aussi gay qu'il avoit esté chagrin en allant au Camp. Le jour suivant comme je passois par la Marine où il travailloit, il me dit que sa sœur luy avoit envoyé le matin deux Sultanins qui vallent six écus, avec deux pendans d'oreilles d'or qu'il vendit dix Piastres à des Marchands Chrestiens. Depuis ma sortie de Barbarie j'ay appris de personnes dignes de foy que Dom Julio fut racheté par sa sœur au retour de la Meque, & qu'elle luy fit un present pour s'en aller à Majorque, sa Patrie, où je le laisse joüir en repos du bonheur de sa liberté.
Chapitre XV.
L'Auteur régale ses amis, Esclaves, avant son départ de Tripoly; Plaisanterie d'un Arabe pris de vin, un Captif Chrestien bastonné pour n'avoir pas couché dans la Prison, embarquement de l'Auteur, tempeste, Vœu à Saint Joseph, arrivée à Marseille, le Vœu qu'on avoit fait sur Mer à Saint Joseph est accomply, Origine de la devotion que les Provençaux ont à ce Saint. Histoire de treize Esclaves qui se sauverent de Tripoly, exortation aux Chrestiens de racheter les Captifs.
Je priay le Capitaine qui m'avoit racheté de me prester quelque argent pour régaler mes amis que je laissois Captifs dans Tripoly, ce qu'il m'accorda volontiers, & afin que je pusse les mieux traiter il me fit present d'un baril de vin d'environ vingt pintes. Je ne fis pas grande dépence, parce que c'estoit en Caresme, & que le poisson est à si bon marché que pour quarante sols je traitay plus de vingt Chrestiens, bien que j'eusse de trés beaux poissons; Mais pour avoir les Captifs il me fallut payer quinze sols pour chacun, afin de les exempter du travail. Le Regal se passa joyeusement, & ce qui augmenta le plaisir ce fut un jeune Arabe qui conduisoit les Captifs dans leurs travaux, lequel aprés avoir bû avec excés du vin & de l'eau-de-vie, nous avoüa ingenument que Mahomet, son Prophete estoit un réveur d'avoir deffendu aux Mahometans la boisson des Chrestiens qui les rend plus spirituels qu'eux; il eut la temerité de parcourir toute la Ville en cét estat, & passant proche du Chasteau il donna le divertissement aux Turcs destinez pour la garde du Bacha ausquels il voulut persuader qu'il estoit petit fils de Mahomet; Soliman Caya entendant cette extravagance reconnut qu'il avoit oublié les deffenses de l'Alcoran & luy fit donner deux cent bastonnades aprés qu'il eut cuvé son vin. Un Captif qui estoit des conviez quitta la compagnie sans qu'on s'en aperceût, & alla joüer son roolle d'un autre costé dont il eut la mesme recompense pour avoir mal fait son personnage, car cét imprudent animé d'une liqueur qu'il n'avoit pas coûtume de boire alla dans la Ville & y déroba un Caffetan à un Officier du Bacha, l'ayant vendu aux Juifs qui achetent toutes les Captures des Esclaves, il entra dans un cabaret Grec avec quelques Chrestiens qu'il avoit invitez de profiter de son larcin, il but une si grande quantité d'eau de vie qu'il luy fut impossible de se retirer dans la Prison à l'heure ordonnée, ainsi qu'il y estoit obligé sur peine de la bastonnade. Les Gardes qui devoient répondre des Captifs voyans qu'il en manquoit un firent une perquisition si exacte qu'ils le trouverent cuvant son vin dans un marché, ils le réveillerent à coups de bastons & le conduisirent de mesme à la Prison où le matin il en receut deux cent par l'ordre du Bacha. L'Ivrognerie de ce Captif pensa me faire de la peine parce qu'on m'imputoit son absence, ce qui m'obligea de faire retraite dans la Barque pendant que le Capitaine parleroit aux Gardes ausquels je donnay quelque argent pour les appaiser, aprés quoy j'eus la liberté de me promener par la Ville comme auparavant, & d'aller consoler l'Esclave qui fut guery en peu de temps des bastonnades qu'il avoit receus parce que je recompensay son Chirurgien.
Deux inconveniens auroient obligé le Capitaine Mirengal de faire plus long sejour à Tripoly qu'il n'avoit voulu, le premier fut la maladie de son Escrivain qu'un Chrestien nouvellement racheté avoit mal-traité de nuit pour avoir revelé l'argent de sa rençon à son frere le Renegat. Et l'autre que le Bacha attendoit de jour en jour deux Corsaires qui estoient en mer, & qui retournerent avec la prise d'une Barque de Sicile chargée de riches marchandises. Si-tost qu'ils furent arrivez, Osman Rais qui commandoit à la Marine donna ordre à nostre Capitaine de se tenir prest pour mettre à la Voile. Ces agreables nouvelles me firent faire mes adieux à mes freres Captifs que je ne pus quitter sans répandre des larmes. Plusieurs me donnerent des lettres qui avancerent beaucoup leur délivrance avec les solicitations que je fis à leurs parens. Témoins Monsieur André de Saint Maximin, Jean Caumont de Cavaillon, de Lorme du Pont saint Esprit, Potier de Vienne en Dauphiné, Barras de Lion, Gibeaudet de Dijon, Chaillou de la ruë saint Denis, & Grimonville de Rennes. Les lettres que Blauchon natif de Grenoble, m'avoit données n'eurent pas le mesme effet, il avoit esté Jardinier de Salem Chastel mon premier Patron & avoit quitté le Calvinisme pour se faire Catholique pendant la peste qui emporta la famille de nostre Patron; je sejournay pendant quelques jours à Grenoble pour soliciter sa mere en faveur de son fils; Mais je ne pus rien obtenir de cette huguenote obstinée; qui me dit qu'elle l'avoit abandonné depuis qu'elle avoit appris qu'il n'estoit plus de sa communion. Il n'y a point de joye égale à celle que ressent un Chrestien racheté lorsqu'il est prest de quitter la Barbarie pour aller joüir des douceurs de son Païs, cependant j'ay fait moy-mesme l'experience que sa joye est troublée quand il fait reflexion au grand nombre de Chrestiens & d'amis qu'il laisse dans les fers, dont il connoist toute la pesanteur.
Au commancement du mois de Mars de l'année 1668. un jeudy au soir le Commandant de la Marine avertit nostre Capitaine de partir le lendemain, la nuit se passa en rejoüissances & à la pointe du jour les Matelots commancerent à serper les Ancres & à preparer tout ce qui estoit necessaire pour se metre à la voile, pendant que le Capitaine fut au Chasteau avec les nouveaux afranchis pour prendre congé du Bacha qui nous fit donner un Passe-port en langue Turque. Il me souvient que luy baisant la main il me dit que je me donnasse bien de garde d'un second voyage à Tripoly, il ne sçavoit pas que Dieu me destinoit pour aller racheter les Captifs non-seulement dans sa Capitalle, mais encore dans toute la Barbarie, il commanda en suite à deux Turcs de nous conduire à la Barque qu'ils visiterent pour voir s'il n'y avoit point quelque Esclave caché dans les Equipages; Mirangal leur fit un present pour les congedier & dés qu'ils furent dans la Chaloupe on salua le Casteau de trois Periers & de trois coups de Canon. Nous fûmes plus d'une heure sans pouvoir sortir du Port, parce que les Rochers qui l'environnent en rendent la sortie difficile, & qu'il nous falut passer au milieu de tous les Navires de Tripoly. Pendant ce temps nous fîmes une priere à Dieu de nous accorder un heureux voyage. Le vent nous fut d'abord si favorable qu'en peu de jours nous arrivâmes proche de Malthe où nous eûmes la chasse d'un Corsaire qui nous quitta de peur de tomber luy mesme entre les mains des Chevaliers. Entre cette Isle & la Sicile il se leva un vent si furieux que nous fûmes contraints de nous en esloigner, & ne pûmes moüiller l'Ancre dans la Sardagne; Nous demeurames cinq jours dans un travail continuel à cause de l'eau qui entroit dans la Barque avec tant d'abondance qu'à tous momens nous pensions perir. Bordier estant sorty de la chambre à cause d'un coup de mer fut rencontré par Mirangal qui couroit de poupe à proüe pour donner ses ordres, il luy imputa l'orage parce qu'il estoit de la Religion & fit semblant de le vouloir jetter en mer. La tempeste augmentant il sembloit à toute heure que la Barque alloit abismer. Les Matelots estoient occupez à changer les voiles à cause de l'inconstance des vents, & les passagers vuidoient l'eau que les vagues jettoient dans la Barque. La nuit estoit encore plus à craindre que le jour parce qu'il se trouve sur cét Element cent precipices inconnus qu'on ne peut éviter dans l'obscurité. Un soir aprés avoir souffert durant le jour toutes les fatigues imaginables, comme nous prenions un peu de refection dans la chambre du Capitaine, la Barque fut agitée d'un si grand coup de mer que nous crûmes tous estre ensevelis dans les ondes, le Capitaine qui estoit assis sur son coffre fut renversé sur Bordier auquel il déchargea plusieurs coups de poing, l'accusant d'estre cause de l'orage, & sans nostre secours il l'eût mal-traité. Nous passames la nuit en prieres pour implorer la misericorde Divine, tandis que les Matelots estoient occupez au service de la Barque qui estoit gouvernée par la seule providence. Il n'y eût pas un Chrestien qui ne fît un vœu en particulier & mesme les Huguenots promirent de jeûner le jour suivant, ce qu'ils executerent fidellement, & ne mangerent qu'aprés Soleil couché. Le Capitaine voyant le lendemain la mer plus orageuse que jamais fit assembler tout l'Equipage pour faire une priere publique, aprés laquelle il fit un Vœu à Saint Joseph qui fut accepté avec beaucoup de respect. Heureusement aprés dix jours de tempeste la mer se calma un peu, & nous reconnûmes que Dieu avoit exaucé nos Vœux par l'intercession de Saint Joseph; Car le soir le vent diminua beaucoup & la nuit fut plus tranquille que les precedentes où nous avions manqué cent fois de faire naufrage. Le lendemain la sentinelle avertit qu'il voyoit terre. Je ne sçaurois exprimer avec quel plaisir on receut cette nouvelle dont nous rendîmes graces à Dieu. Aprés-midy nous découvrîmes les montagnes de Gennes, & le jour suivant celles de Savoye. Le Capitaine donna ordre de moüiller l'Ancre à Nisse qui appartient au Duc de Savoye, mais il fut impossible d'en aprocher parce que le vent estoit encore trop impetueux, ce qui nous obligea d'aller à Antibes ville de Provence afin de nous mettre en seureté proche d'un petit Cap sur lequel il y a une Chapelle dediée à Nostre-Dame de Graces où nous fûmes de nuit remercier Dieu de nostre arrivée en France. Nous passâmes tout le jour au Port d'Antibes afin d'y prendre des rafraichissements & nous delasser des peines que nous avions endurées depuis nostre départ de Barbarie. Il me souvient que le Capitaine laissa en cette Ville plusieurs lettres de Captifs qu'on mit selon la coûtume dans le Vinaigre boüillant avant que de les recevoir, aussi bien que l'argent dont on payoit les provisions qu'on prenoit. Une vieille femme aima mieux me donner par charité des figues & des Oranges que j'avois achetez que de recevoir de l'argent de Barbarie, craignant en son aage décrepit de mourir de la peste, ce qui fit rire ceux qui le trouverent sur le Mole. Le lendemain nous partîmes d'Antibes à dessein d'aller passer la nuit à Toulon; Mais le vent fut si contraire qu'il nous obligea d'aller moüiller au fort Grimauld où nous arrivâmes un peu tard. Les Soldats de la Garnison nous saluerent de plusieurs coups de Mousquets à bale, c'est pourquoy le Capitaine fit metre sa Chaloupe en mer pour assurer le Gouverneur de la Place qu'il estoit de Marseille & qu'il cherchoit un azile pour passer la nuit, on n'ajoûta point de foy à sa parole & il fut contraint de mettre pied à terre & de faire un present aux Soldats qui estoit le seul moyen de les empescher de faire plus grand feu. Autre-fois les Corsaires de Barbarie se retiroient en ce lieu écarté, mettoient la nuit pied à terre & enlevoient les Chrestiens, mesme les Renegats Provençaux se servoient du langage du Païs pour mieux tromper leurs compatriotes. J'ay veu dans Tripoly deux freres Renegats que les Pirates avoient pris dans ce lieu comme ils gardoient les fruits d'une Bastide à une lieuë de la mer, l'un estoit Maistre de l'Arsenal, & l'autre Casanadal ou Tresorier d'Osman Bacha, ils sont tous deux peris avec luy & les Renegats Grecs dans la revolution arrivée à Tripoly. Le lendemain nous partîmes du fort Grimauld avec un vent favorable qui nous fit arriver le mesme jour à Marseille, où l'on nous fit garder exactement la quarentaine parce que nous avions des marchandises douteuses comme la laine, les cuirs & le cotton qui contractent facilement le mal contagieux. Les quarentes jours expirez on nous permit l'entrée du Port, où l'on parfuma la Barque avec tout ceux qui estoient de dans, cette ceremonie fut agreable à voir parce que nous avions des animaux de Barbarie, entre autres des Singes qui donnerent bien du divertissement à la compagnie, il y avoit peu de jours que nous estions à Marseille lorsque Jean Gal sur lequel le sort estoit tombé pour l'execution du Vœu fait à Saint Joseph, en partit pour aller l'accomplir. L'évenement qui a fait naistre la devotion que les Provençaux ont à ce Saint est trop singulier pour n'estre pas rapporté. Il y a plus de quarante ans que les Corsaires d'Alger prirent un Vaisseau Marseillois qui portoit le nom de Saint Joseph, ils l'armerent en course parce qu'il estoit bon voilier, & osterent de la poupe l'Image du Saint qu'ils mirent dans le magazin des bois necessaires à la Marine. Un jour qu'on espalmoit le Vaisseau le Turc qui commandoit aux Captifs indigné du respect qu'ils portoient à l'Image ordonna de la metre en pieces & de la brusler. Un Esclave Provençal ayant veû qu'on luy avoit donné plusieurs coups de hache sans qu'elle en fût endommagée pria le Commandant de luy vendre l'Image pour quatre Piastres, ce que le Turc avare luy accorda. Le Captif l'enleva du Vaisseau & trouva le moyen de l'envoyer en son Païs natal à deux lieuës de Barjos en Provence dans une Chappelle qui est desservie par les Peres de l'Oratoire. Dieu recompensa le zele & la pieté du Captif qui deux ans aprés se sauva d'Alger avec trois Chrestiens dans une Barque qu'il avoit luy mesme construite, & qui n'estoit composée que de peaux, sans voile, ny timon. Ce qui seroit incroyable si les Habitans de Toulon ne les avoient veus arriver dans leur Port, & si l'on ne voyoit encore aujourd'huy la Barque dans une Chapelle dediée à Sainte Anne hors de la Ville, proche le Jardin de feu Monsieur le Chevallier Paul.
Jean Gal neveu de nostre Capitaine, fit le pelerinage de Saint Joseph, qui est un des plus celebres de Provence, nuds pieds & jeuna au pain & à l'eau pendant la neuvaine. La délivrance de ce devot pelerin, que j'ay apprise depuis mon retour en France, n'est pas moins surprenante que celle que je viens de raconter. Un an aprés mon départ de Barbarie, Jean Gal fut fait Esclave par les Corsaires de Tripoly. Pendant sa captivité qui dura huit mois, il servit de Matelot sur le Capitaine, à cause de l'experience qu'il avoit de la Mediteranée. Comme un jour il travailloit dans le Navire avec douze Matelots Chrétiens, il leur proposa de se sauver dans la Chalouppe, tandis que leurs Gardes dormoient; Ses compagnons n'approuverent pas d'abord son dessein, & luy dirent qu'il y avoit de la temerité d'entreprendre un voyage aussi perilleux que celuy qu'il leur proposoit sans armes, sans voiles & sans provisions. Jean Gal leur ayant répondu que les meilleures armes estoient la foy & l'esperance, que Dieu seroit leur conducteur, & que prenant Saint Joseph pour Patron, leur entreprise auroit un heureux succez, ils ne resisterent plus & se jetterent tous dans la Chaloupe qu'ils mirent à la voile qu'ils avoient faite de leurs chemises. Les Turcs qui s'estoient réveillez demanderent en vain du secours aux autres Navires qui par bonheur estoient fort esloignez, car les Chrestiens avoient déja passé les Rochers qui environnent le Port, quand le Bacha apprit la fuite des Chrestiens, & le Ciel favorisa si visiblement leur fuitte qu'ils échaperent aux Barques legeres qu'on avoit commandées pour les poursuivre. Ils avoient si peu de provisions dans leur Chaloupe qu'elles leur manquerent au troisiéme jour, & qu'au septiéme ils furent reduits à la derniere extremité, ce qui leur fit prendre la cruelle resolution de tirer au sort à qui serviroit de nouriture à ses compagnons. Il tomba sur Jean Gal qui leur dit qu'il meritoit d'estre seul sacrifié pour tous puisqu'il estoit la cause de leur fuite, & qu'il les prioit de differer sa mort de quelques momens pour voir s'il ne découvriroit point la terre. Cela luy ayant esté accordé on dressa deux avirons sur lesquels il monta & n'y demeura pas une demie heure qu'il s'écria qu'il voyoit la terre. Cette découverte ranima tellement leur vigueur presque esteinte par l'abstinance qu'ils gagnerent en peu de temps à force de rames l'Isle deserte de Lampedouze. Il y a dans cette Isle une Grotte où l'on voit une Chapelle dediée à la Vierge; les Vaisseaux Chrestiens que la curiosité ou la tempeste obligent d'y moüiller l'Ancre y laissent des provisions pour les Navires passagers qui en ont besoin, on tient que ceux qui ont pris quelque choses sans necessité ne peuvent sortir de l'Isle qu'ils n'ayent intention d'en rendre la valeur à Nostre-Dame de Trapano en Sicile. Les Turcs ont mesme du respect pour ce lieu & n'y ont jamais fait aucun desordre ny poursuivy les Chrestiens. Nos treize fugitifs alerent en la Chapelle rendre graces à Dieu de les avoir délivrez de leurs Ennemis & de leurs miseres. Ils y trouverent par une espece de miracle treize poissons secs avec le biscuit qui leur estoit necessaire pour continuer leur voyage & pour les nourrir un jour qu'ils demourerent dans l'Isle afin de se delasser de leurs fatigues, ils aborderent à Malte & saluerent le Grand-Maistre qui admira leur action & dit qu'il faloit avoir le cœur François pour s'exposer à de si grands perils. Aprés y avoir esté fort bien traitez par l'ordre du Grand-Maistre pendant plusieurs jours ils en partirent & tous ariverent heureusement en leur Païs.
Quoy que j'eusse dessein de me rendre au plûtost en ma chere patrie, je ne pus m'empécher de voir le Desert de la Sainte Baume, & de séjourner en plusieurs Villes pour rendre les lettres des Captifs, & soliciter leurs parens de les racheter. Enfin j'arrivay en la Ville de ma naissance, où j'estois attendu de mes parens. Aprés les avoir remercié des obligations que je leur avois de ma liberté, je vins à Paris pour rendre graces à un de mes oncles auquel j'estois plus obligé, & pour executer ce que j'avois promis à Dieu, qui en estoit le premier auteur; Je me rendis Religieux dans la Congregation des RR. PP. de la Mercy, afin que dans cette Ordre, qui depuis son établissement s'est toûjours signalé par la charité qu'il font profession d'exercer envers les Captifs, je pûsse estre utile aux Chrétiens Esclaves, chargez des mesmes fers que j'avois portez pendant prés de huit années de captivité.
Je ne sçaurois finir cét Ouvrage sans vous avertir, Chrétiens, que cette charité qui fait le merite des Religieux de mon Ordre, fera un jour vostre condamnation si vous n'estes touchées de la misere des Captifs. Vous avez la mesme foy & la mesme esperance que ces enfans de Saint Pierre Nolasque, pourquoy n'avez-vous pas la mesme charité? Vous sçavez que les Esclaves sont exposez sans cesse au peril de tomber dans l'infidelité, & qu'ils souffrent pour la foy tous les maux imaginables, leurs cris passent les Mers pour implorer le secours de vos aumônes; Ils vous presentent leurs chaînes pour vous émouvoir à compassion. Cependant vous demeurez insensibles à leurs gemissemens, vos dépenses superfluës triomphent de leurs larmes, & il semble que vous ayez dessein d'insulter à leurs miseres, peut-on porter l'insensibilité plus loin dans le temps mesme que Dieu vous comble de prosperitez & de benedictions? Mais vous ne triompherez pas toûjours, & vostre dureté ne demeurera point impunie; Ces cris des Captifs lassez de vous prier inutilement changeront de route, ils monteront vers le trône de Dieu, & soliciteront sa vengence contre tant d'insensibles qui laissent perir un si grand nombre d'hommes rachetez par le sang precieux de Jesus-Christ. Aprés tout, ne vous flatez pas; car il est dit dans l'écriture, que Dieu au jour terrible de son Jugement, demandera compte au frere de l'ame de son frere, qui s'est perduë par sa faute? Que répondrez vous à ce Juge severe, lorsqu'il vous demandera compte de ce Captif qui l'a renoncé dans l'esclavage, & qui l'auroit glorifié dans la liberté si vous aviez brisé ses chaînes par vos aumônes? Mais si les Chrétiens insensibles sont blâmables, quelles loüanges ne meritent point ceux qui contribüent genereusement à la liberté des Esclaves; c'est par leur secours que les R. R. P. P. de la Mercy viennent d'en racheter dans Alger cent cinquante, qui ont beaucoup souffert, à cause des revolutions arrivées en cette Ville depuis quelques années. On prie ces charitables personnes de continuer leurs aumônes en faveur des autres, qui sont demeurez dans les mesmes peines, & qui implorent leur assistance. En finissant cét Ouvrage nous avons appris avec regret que le R. P. Charles Piquet, le plus ancien Religieux de la Congregation de Paris, estoit mort à Pont-sur-Yone proche de Sens, des fatigues qu'il a souffert dans le voyage d'Alger, où il estoit allé par ordre de la Majesté, pour le Rachapt des Captifs.
FIN.
NOTES SUR LA TRANSCRIPTION
On a conservé l'orthographe de l'original, avec toutes ses incohérences (notamment concernant l'usage des accents). Les coquilles les plus manifestes (interversion de lettres, etc.) ont néanmoins été corrigées.