L'esprit de la révolution de 1789
Il avait été facile aux prêtres de s'emparer d'un prince ainsi prévenu. Leurs intérêts alors si compromis leur rendaient plus importante que jamais la captation du monarque. Le clergé ne pouvant espérer son salut que du pouvoir absolu, les prêtres firent au roi une affaire de conscience du maintien de ce pouvoir, de la conservation du clergé une affaire de conscience, de la haine de la constitution, encore une affaire de conscience. Ils étaient d'accord avec la reine, dont la fierté imposait au roi les mêmes obligations, comme des devoirs d'honneur dont l'infraction le rendrait indigne de sa tendresse.
Ces préjugés, ces influences, non seulement resserraient l'esprit du roi dans des bornes plus étroites, mais encore lui donnaient de fausses directions.
Sa conscience était toute remplie des scrupules que l'intérêt du clergé y avait jetés; sa raison, son esprit, épuisaient leur peu de forces à discuter ces scrupules avec sa conscience. Le roi ne voyait rien au-delà de son clergé, de la reine, peut-être de sa famille et de la cour. Il entrevoyait ce grand peuple qui était au loin derrière l'enceinte que sa cour formait autour de lui; il lui voulait du bien, mais il ne savait comment lui en faire, ni ce qui pouvait empêcher que le bien ne se fît de lui-même. Il ne concevait pas plus une oppression qu'une révolte, tant il croyait que ses seules intentions devaient suffire pour en préserver. Sa bonté naturelle l'intéressait aux souffrances qui sautent aux yeux, aux souffrances physiques de la pauvreté, du dénuement; mais cette bonté ne put jamais lui inspirer plus que de bonnes intentions pour son peuple. C'était cette vertu toute chrétienne à qui la religion a donné le doux et respectable nom de charité. C'est à cette bonté qu'il faut rapporter plusieurs actes du règne de Louis XVI qui lui ont mérité de la reconnaissance: l'abolition de la torture, l'assainissement des prisons, une meilleure administration des hôpitaux. Mais cette souveraine bonté des rois qui embrasse les droits et les intérêts de toutes les parties d'un grand peuple, ceux des palais, ceux des chaumières, qui veille sur tous, contient les uns, encourage les autres, protége le travail, patrimoine du pauvre, la justice, refuge du faible, qui s'occupe du présent et de l'avenir, et s'étend aux plus grandes distances de temps et de lieux, cette bonté, par laquelle les rois sont l'image de la Providence, paraît avoir manqué à Louis XVI. Point d'étendue dans les vues, jamais d'élan, jamais d'action, jamais en avant. Tout arrêtait, tout empêchait un bon mouvement: la pesanteur organique, le défaut de lumières, l'inquiétude de la conscience. Tout empêchait une bonne résolution: la faiblesse du caractère, la crainte des contrariétés dans son intérieur, une invincible répugnance à tenir de la confiance du peuple ce pouvoir qu'on lui disait tous les jours être un don de Dieu. Toujours sans volonté; n'ordonnant rien, accordant tout ce qui n'était pas contraire à ses opinions religieuses; permettant beaucoup, n'osant rien interdire; permettant moins peut-être qu'il ne tolérait; s'engageant à ceux qui lui promettaient le pouvoir constitutionnel, en laissant faire ceux qui lui promettaient le pouvoir de Louis XIV.
Après la séance royale du 21 juin 1789, le peuple le crut malveillant pour lui, et décidé à protéger les privilégiés: on cessa de l'aimer; l'amour se retira subitement et complètement de lui, parce que cette préférence qui paraissait accordée aux privilégiés contrariait, dans sa première ferveur, la passion naissante du peuple: l'amour de l'égalité et de la liberté.
Vers le milieu du mois de juillet, l'armée, rassemblée entre Paris et Versailles, tomba en défection et fraternisa avec les patriotes de la capitale: l'on vit alors la faiblesse du pouvoir. Le 15 ou 17 juillet, le roi vint à Paris, à l'Hôtel-de-Ville, et fit tout ce qu'on lui avait demandé: alors on vit la faiblesse de la personne, et le peuple lui retira son respect.
La fête des gardes-du-corps du 2 octobre affermit l'opinion qu'on avait de la malveillance du roi, et trahit les apparences de sincérité qu'il montrait: là commença le mépris avec le ressentiment. Le mouvement populaire des 5 et 6 octobre acheva de dissiper la crainte des forces royales, et donna au peuple la mesure des siennes. Le peuple apprit ces jours-là qu'il pouvait tout vouloir et tout oser. Il osa vouloir que le roi fût prisonnier à Paris, et il l'emmena.
L'audace du peuple était alors excitée par une souffrance qui l'a dans tous les temps porté à quelques excès: c'était la faim, ou le pressentiment de la faim, causé par la rareté des subsistances. Malheureusement cette cause ordinaire d'écarts passagers, et qui en était aussi l'excuse, se trouvait cette fois unie à une cause de renversement; elle faisait oser autre chose qu'une révolte: c'était une révolution.
On amena le roi à Paris tout à la fois comme un aristocrate reconnu et comme un munitionnaire suspect[108]. Il ne restait plus rien dans le peuple de l'esprit de sujets du roi; le peuple était le souverain mécontent d'un fonctionnaire.
Le roi emmené à Paris, résidant à Paris, y était-il détenu, ou prisonnier sur parole, ou roi en liberté? Pendant l'hiver la question resta indécise; au commencement d'avril, le roi voulut la résoudre à sa convenance, il ne put qu'éclaircir qu'elle était résolue au mépris de sa personne et de sa dignité. Il annonça un voyage à Saint-Cloud: un rassemblement l'empêcha de sortir de son palais. Il fut manifeste qu'il était prisonnier.
Le 20 juin le roi s'évade et fuit vers la frontière où les émigrés étaient armés. On l'arrête à Varennes; on le ramène, on le replace aux Tuileries. Au mois d'avril c'était un prisonnier au moins considérable; au retour de Varennes, on voit en lui un prisonnier criminel: on avait la famine, disait-on, il a voulu donner en outre la guerre. C'est de plus un prisonnier maladroit, un prisonnier rattrapé, un prisonnier qui a été en butte à l'indignation et aux insultes d'un million de Français sur une route de cinquante lieues. Le peuple de Paris n'a plus même un souvenir de respect, ni un sentiment d'égards. Ce n'est plus du roi, ce n'est plus de Louis XVI qu'il s'agit dans les discours; c'est du traître Louis, c'est du transfuge Louis, c'est de l'ennemi déclaré de la France: on ne le nomme plus autrement.
On veut son jugement, on veut la déchéance.
Le 26 juillet la loi martiale est publiée et exécutée au Champ-de-Mars contre un rassemblement qui demande la déchéance. Ainsi, dit-on, c'est pour l'impunité du traître qu'on massacre les citoyens! On se tait un moment, mais l'on impute au traître supposé un crime de plus.
L'année suivante, l'étranger, les émigrés réunis s'avancent vers les frontières. On s'écrie: C'est le traître qui l'a appelé. La guerre s'annonce par des revers, c'est le traître qui les a ménagés. Les cris se renouvellent pour la déchéance.
La déchéance se fait attendre, on veut l'abdication.
Le 20 juin le peuple force le palais. Louis se laisse voir et ne sait pas se montrer. Soixante mille personnes l'approchent, le pressent successivement et lui parlent, les uns avec une familiarité insolente, les autres avec mépris, les autres avec menace. Il ne s'émeut point. «Celui qui a la conscience pure, dit-il, ne craint rien; mettez la main sur mon cœur, et voyez s'il bat plus fort qu'à l'ordinaire, s'il a la moindre frayeur.» Certes, il eût été beau de ne pas s'émouvoir, si à l'indifférence pour le danger, le malheureux monarque avait ajouté le sentiment profond de la majesté outragée, s'il l'avait marquée par la fierté de son maintien, par l'éloquence de ses paroles, s'il avait su, comme un Mathieu Molé, réprimer, ou éclairer, ou émouvoir cette multitude: mais le peuple le vit monté sur une banquette, coiffé d'un bonnet rouge, boire dans une bouteille, criant vive la nation. Se faire un mérite du calme de sa conscience, devant un peuple en révolte, n'était-ce pas ajouter à un abaissement que le peuple ne voyait que trop? On était entré, voulant l'abdication; on oublia en voyant le roi qu'on l'avait jugée nécessaire.
L'ennemi entré en France, la fureur un moment apaisée se rallume. Elle produit le massacre du 10 août qui produit un redoublement de fureur.
De ce moment, la capitale ne cesse de retentir de ce cri: la mort du tyran. L'ennemi s'approche de la capitale. On pressent tous les désastres qu'y entraînera la victoire, et les vengeances qu'exerceront le roi, les prêtres, les nobles: les nobles cent fois plus redoutés que le vainqueur. La peur se joint au ressentiment, et le rend plus cruel. On redouble les cris d'alarme et de fureur: le trône est renversé, la république proclamée. Depuis long-temps on ne voyait plus un roi de France dans Louis, plus même un homme considérable; alors on en vient à ne plus voir en lui qu'un danger pour la république à laquelle chacun attache désormais la sûreté de sa propre existence, et chacun veut la mort de Louis, comme assurance de sa propre vie. La commune et la Montagne rejettent sur le malheureux prince les diverses accusations, les soupçons multipliés qu'inspirait au peuple la rareté des subsistances.
Telle fut la marche des sentimens populaires qui, depuis le 14 juillet 1789, jusqu'à la fin de l'année 1792, ont amené l'accusation et le jugement de Louis.
Quelles circonstances pour ce jugement! La république est à peine élevée sur la monarchie renversée, que déjà triomphante elle asseoit sur les fautes et les crimes de quelques rois, la condamnation de la royauté, la traîne à son char dans la poussière, et tire ensuite de la condamnation de la royauté, celle de tous les rois! Quelles circonstances que celles où l'on met en principe qu'il n'y a point de roi innocent, et qu'avoir été roi c'est être criminel aux yeux de la république!
Cependant l'inviolabilité du roi était toujours subsistante aux yeux de la loi; et si l'on décidait qu'au mépris de son inviolabilité il serait mis en jugement, du moins ses moyens de défense au fond lui restaient. On sait quel fut le sort de cette double garantie. Il ne s'agit point ici de discuter le jugement, mais seulement de voir quelle impression il fit sur l'opinion nationale.
D'abord elle regardait Louis XVI comme coupable, non pas en détail de chacun des faits portés dans l'acte d'accusation, mais de la guerre, et du double dessein d'anéantir la révolution et d'en poursuivre les auteurs. Quand le roi fut jugé, la nation détourna ses regards d'une condamnation qu'elle trouva trop rigoureuse, et qu'elle n'aurait point prononcée; mais elle se familiarisa ensuite avec l'idée d'un évènement sans remède, qui n'était pas tombé sur une parfaite innocence, et qui, dans l'intérêt de la révolution, se présentait avec des idées confuses d'utilité. C'était à cet intérêt de la révolution que les esprits rapportaient alors tout en France. On n'était ni plus féroce, ni peut-être moins ami de la justice que dans les temps antérieurs; mais on mettait tous les sentimens de bonté et de justice à assurer cette révolution, qu'on regardait comme la justice et la bonté étendues à de nombreux millions d'hommes, au lieu que la justice assise sur les tribunaux ne regarde que les individus qui l'invoquent.
Et sur quoi jugeait-on le roi coupable de la guerre? Ce n'était, certes, pas sur les analyses, les dissertations, les déclamations, les griefs spéciaux des orateurs de la convention; ce n'était pas sur les écrits trouvés après le 10 août dans l'armoire de fer du château des Tuileries; ce n'était ni sur le traité de Pilnitz qui faisait connaître les sollicitations des princes et supposait le vœu du roi, ni sur les états de paiement des gardes du corps à Coblentz; c'était sur un ensemble de circonstances notoires, sur un enchaînement de faits indubitables qui avaient saisi tous les esprits, sur un corps de preuves morales, de celles qui portent la conviction avec elles sans le secours du raisonnement, et qu'aussi le raisonnement ne peut affaiblir.
Les émigrés s'étaient armés aux frontières, en 1791, contre la révolution. Lorsque le roi partit pour Varennes, c'était pour se mettre à portée d'eux: il voulait donc diriger la guerre contre la révolution.
Monsieur est parti en même temps que lui: donc leur marche était combinée. Monsieur a bientôt été reconnu chef de l'émigration armée: donc le roi était d'accord avec l'armée des émigrés.
Bientôt on parle d'armées étrangères qui embrassent la même cause que les émigrés: donc elles sont provoquées par les chefs de l'émigration, par Monsieur; donc elles sont autorisées par le roi qui était parti avec Monsieur.
Les armées étrangères s'avancent avec les émigrés, ainsi la liaison de l'étranger et de l'émigration se vérifie par le fait: donc le roi parti avec son frère, chef de l'émigration, est d'accord avec l'étranger.
L'empereur d'Autriche est frère de la reine, la reine est ennemie déclarée de la révolution: donc l'empereur d'Autriche, provoqué par Monsieur, est aussi pressé par la reine. La reine gouverne l'esprit du roi: donc le roi est d'accord avec l'empereur d'Autriche.
Le roi rappelle ses frères par des écrits solennels, et ils ne rentrent pas: ce ne peut être que parce qu'il dément en secret les écrits qu'il publie.
Il refuse la sanction d'une loi qui les bannit, et la refuse pour constater sa liberté, donner plus de poids au rappel qu'il leur adresse: s'il n'écoutent point, ce ne peut être que parce qu'il leur fait savoir que son intention n'est pas plus changée que son sort.
L'émigration et la guerre attirent la malveillance du peuple sur sa tête, et ses frères n'en sont pas plus décidés à rentrer: quelle apparence que ses frères eussent voulu l'exposer aux dangers d'une révolte, si Louis n'eût été résolu à les braver? Lui seul pouvait disposer ainsi de sa sûreté. La tendresse fraternelle n'eût osé prendre sur elle les évènemens qui s'annonçaient. La mort du roi était sans doute un crime inutile à l'établissement de la république, puisqu'il avait un successeur; mais cette considération ne suffisait pas pour rassurer la tendresse de deux frères contre un peuple furieux jusqu'à la frénésie.
Les puissances, conjurées avec les émigrés, font précéder leurs troupes de déclarations et de manifestes où elles parlent le langage des émigrés, où elles annoncent l'intention de délivrer le roi de la dépendance où il est retenu; et leurs manifestes sont au fond la même chose que la déclaration laissée par le roi à son départ pour Varennes l'année précédente: donc les étrangers répondent au vœu du roi, à ses sollicitations secrètes, à celles de son frère avouées par lui.
Enfin, et ceci était sans contredit une forte présomption, la condition actuelle du roi était la détention; il était donc naturel qu'il désirât d'en sortir. Le sort que la constitution nouvelle lui promettait pour l'avenir était loin de valoir sa condition passée; donc il devait être bien aise d'y revenir. Voilà des armées d'étrangers et d'émigrés qui prétendent l'y ramener; donc c'est lui qui a invoqué leurs secours, donc il a appelé la guerre. Pour la multitude, la preuve la plus certaine de la vérité d'une accusation est de sentir en soi-même qu'à la place de l'accusé on aurait fait ce qui lui est imputé; et ce qu'il y a de remarquable, c'est que ce sentiment qui devrait porter à l'indulgence est ce qui détermine le plus sûrement à condamner.
Le peuple ne mettait pas en doute que l'appel des étrangers ne fût un crime; la constitution avait déclaré que le commandement d'une armée dirigée contre la nation, était une abdication de la royauté, et elle ne supposait pas même le commandement d'une armée étrangère. L'intérêt national s'expliquait bien plus haut et plus clairement que la constitution. L'avocat de Louis XVI déclara dans son plaidoyer pour le roi, «Que se mettre à la tête d'une armée et en diriger les forces contre la nation, était un grave délit. Certainement, dit-il, il ne peut pas en exister de plus grave; celui-là les embrasse tous. Il suppose, dans les combinaisons qui le préparent, toutes les perfidies, toutes les machinations, toutes les trames qu'une telle entreprise exige nécessairement. Il suppose dans ses effets toutes les horreurs, tous les fléaux, toutes les calamités qu'une guerre sanglante et intestine entraîne avec elle.»
Telle était l'opinion publique sur la question de droit; M. de Sèze n'a fait que l'exprimer. Sur les questions de fait, l'opinion générale n'était peut-être pas exempte d'erreurs; mais elle n'en renferme pas non plus d'assez palpables pour que l'égarement général fût absolument sans excuse. Répétons au reste qu'il ne s'agit pas ici de juger l'opinion, mais seulement de reconnaître quelles furent ses décisions.
S'il y avait lieu à prononcer aujourd'hui sur le jugement de la multitude, il faudrait examiner d'abord si les intentions du roi, à l'époque du départ de Monsieur et de l'arrestation de Varennes, n'avaient pas changé depuis, soit parce que le roi avait reconnu, comme il l'a dit, le vœu national qui lui avait été manifesté sur toute la routé de Varennes à Paris, et par les amendemens que le comité de révision avait faits à l'acte constitutionnel, pour rendre au pouvoir royal plus de force et de dignité que n'en avaient donné les premières rédactions.
Il faudrait vérifier ensuite par tous les moyens possibles, si les princes et les émigrés, ne se sont pas cru permis alors de servir la cause du roi, contre les défenses expresses consignées dans ses écrits patens, bien que sa correspondance secrète les eût confirmées ou ne les eût point démenties; et s'ils n'ont pas agi sur ce principe: que la volonté intime du roi, quelle que soit sa position, doit toujours être présumée conforme à ce qu'on regarde comme les droits et les intérêts de la couronne, sans égard à ses déclarations officielles et patentes. En un mot, il faudrait savoir si la guerre n'était pas hasardée officieusement par leur dévouement et leur fidélité, au lieu d'être entreprise par ses ordres.
On me demandera sur quoi se fonde l'assertion que l'opinion générale, je ne dirai point approuva la mort de Louis XVI, mais ne s'est point révoltée en apprenant sa condamnation. Elle se fonde sur ce fait: que tous les corps judiciaires, administratifs et municipaux, ont signé, dans l'intervalle du 10 août 1792 au mois de janvier 1793, ou des pétitions pour demander le jugement du roi, ou des adresses pour en féliciter. Elle se fonde sur ce que la discussion du procès a duré plusieurs mois, et qu'elle n'a été détournée par aucune pétition contraire, sur ce qu'enfin le 21 janvier, six cent mille personnes de Paris ont vu sans opposition exécuter le jugement fatal.
On peut aussi donner en preuve de l'acquiescement ou du moins de la résignation de l'opinion nationale, la formation, l'enthousiasme et les victoires des armées qui, après le 2 septembre, ont marché contre les Prussiens et les Autrichiens en Champagne. Six cent mille hommes qui, pendant que le roi est au temple, et que l'on demande sa tête, courent aux ennemis qui veulent sa délivrance, et les battent, sont des votans qui prononcent l'absolution des évènemens du 10 août, et de ceux qui devaient en être la suite. Et enfin, puisqu'il faut compter l'armée pour quelque chose en France, il y a lieu à rappeler ici la résistance des soixante mille hommes commandés par M. de Lafayette, qui ont refusé de marcher contre les auteurs des évènemens du 10 août et du renversement du trône. Cette défection fut légitimée par les adresses des autres armées alors existantes.
On ne peut en parler ici sans faire une observation qui mérite peut-être quelque examen.
Cet abandon du roi par l'armée était la seconde défection depuis 1789, et elle ne devait pas être la dernière[109].
L'esprit de parti a beaucoup essayé, depuis le mois de juin 1815, d'établir que l'armée française s'était déshonorée dans le mois de mars précédent, en se replaçant au retour de l'empereur sous le drapeau tricolore: il n'a point réussi.
Il ne faut pas s'abuser; l'honneur ne se prête point à placer sur la même ligne l'abandon du prince pour la patrie, et l'abandon du prince et de la patrie pour l'étranger. Ce peut être un malheur que le militaire fasse une distinction entre le prince et la patrie; mais il dépend du prince de la rendre impossible par son intime union avec le peuple qu'il gouverne.
Il faut aussi se persuader que l'armée distinguera toujours entre le prince et la patrie, quand la patrie voudra l'égalité, et que la cour fera craindre que le prince ne veuille les priviléges. L'armée est la partie de la nation la plus intéressée à l'égalité de droits, parce que les grades militaires sont très multipliés et que les hauts grades sont très honorables et très avantageux. D'ailleurs le service militaire est, sans contredit, la profession où l'égalité de droits est la plus légitime, puisque le danger est le même pour tous ceux qui l'exercent, que ce danger est capital et que le courage qui l'affronte est le fondement de la gloire militaire.
Enfin, quand l'intérêt général de l'armée tient à un noble besoin, tel que celui de l'égalité de droits, quand cet intérêt a été épousé par l'honneur, c'est l'honneur même qui semble dégager le soldat de sa fidélité, ou plutôt lui faire honte de cette fidélité envers le prince dont le gouvernement ou la cour l'offense ou le menace. Il est bien temps de se persuader que dans un pays où l'égalité est devenue un point d'honneur général, il est impossible de faire des armées fidèles au prince, si elles ne sont parfaitement convaincues de la fidélité du prince aux droits de tous. Il sera toujours impossible de faire une armée où le soldat ignore jusqu'à quel degré d'élévation le dernier conscrit a pu de nos jours parvenir par le talent et la bravoure, et où il soit aussi encouragé par les regards d'un général, homme de cour, que par l'espérance de devenir général lui-même. Les troupes russes seront plus tôt atteintes de l'ambition si long-temps légitime du soldat français, que le soldat français ne sera résigné à l'insupportable néant du soldat russe.
Je finis en observant que ces défections intérieures repoussent d'autant mieux le mépris qui s'attache toujours aux défections utiles à l'étranger, qu'elles semblent ajouter à l'ardeur de le combattre. Jamais les armées françaises ne se sont plus vaillamment battues contre les ennemis de la France, qu'après leurs défections intérieures, soit qu'elles crussent avoir à défendre un intérêt mieux garanti au dedans, soit qu'elles voulussent mériter du prince même leur absolution par leurs services.
Il ne reste plus qu'à faire connaître la part que l'opinion générale a prise à la constitution de 1791, et à la proclamation de la république à la fin de 1792.
La multitude n'est pas en état de juger l'ensemble d'une constitution, mais elle entend fort bien si les intérêts dont elle est occupée sont protégés par les dispositions constitutionnelles, ou s'ils sont mal assurés.
Pour le grand nombre des Français, la constitution consistait essentiellement dans les abolitions exprimées par des articles préliminaires. Je les rappelle ici:
«Il n'y a plus ni noblesse, ni pairie, ni distinctions héréditaires, ni distinctions d'ordres, ni régime féodal, ni justices patrimoniales, ni aucun des titres, dénominations et prérogatives qui en dérivaient, ni aucun ordre de chevalerie, ni aucune des corporations ou décorations, pour lesquelles on exigeait des preuves de noblesse, ou qui supposaient des distinctions de naissance, ni aucune autre supériorité que celles des fonctionnaires publics dans l'exercice de leurs fonctions.
»Il n'y a plus ni vénalité, ni hérédité d'aucun office public.
»Il n'y a plus, pour aucune partie de la nation, ni pour aucun individu, aucun privilége ni exception au droit commun de tous les Français.
»Il n'y a plus ni jurandes, ni corporations de professions, arts et métiers.
»La loi ne reconnaît plus ni vœu religieux, ni aucun autre engagement qui serait contraire aux droits naturels ou à la constitution.»
Ces points étant bien exprimés, il ne s'agissait, pour la multitude, que de voir si l'organisation des pouvoirs n'aurait rien de contraire à leur maintien.
Les résistances des priviléges, celles de la cour, aux premiers actes de la révolution, mirent le peuple en garde contre toutes dispositions qui pourraient tendre à rétablir le pouvoir du clergé et de la noblesse, et à conserver au roi les moyens de les protéger. Rien n'aide à entendre les questions générales comme d'avoir un intérêt particulier qui s'y rapporte. La partie du peuple la plus illettrée donna une attention merveilleuse aux discussions les plus abstraites; et dès qu'une proposition présentait quelque sujet d'inquiétude pour la cause nationale, la multitude prenait parti, se passionnait pour les orateurs qui mettaient leur éloquence à la faire rejeter, et récompensait leurs efforts par les témoignages les moins équivoques de son contentement et de sa reconnaissance. Cette disposition toute nationale, irritée chaque jour par l'opposition du parti aristocratique, se développait chaque jour avec plus d'énergie. Ce parti malveillant avertissait lui-même du danger de ses principes par ses efforts pour les faire prévaloir; il avait tellement mis à découvert l'intérêt personnel dans la plupart de ses discussions, qu'il avait décrédité d'avance tout ce qu'il aurait pu dire de plus raisonnable. La constitution se ressentit de la maladresse des uns et de la méfiance des autres. Elle ne fut point telle qu'elle avait d'abord été conçue dans toute la France par les esprits éclairés; elle ne fut point telle qu'elle aurait dû être pour se maintenir contre les factions populaires. L'opinion du peuple, à force de précautions contre l'ennemi, avait oublié ou méconnu la nécessité d'en prendre contre lui-même, ou contre les intrigans qui pouvaient l'égarer. Et comme si la chose publique n'eût pu être menacée que par le pouvoir, on ne songea qu'à se préserver de ses abus. En fuyant le despotisme on travailla pour l'anarchie. Les cahiers avaient demandé la séparation des pouvoirs, pour que les lois fussent l'ouvrage d'un corps impartial pour que l'exécution fût indépendante et énergique: les pouvoirs furent bien distingués par leurs dénominations et par quelques circonstances, mais ils furent malheureusement confondus au fond. Le pouvoir exécutif, borné à un veto suspensif, privé du droit de l'appliquer à un grand nombre de cas où sa conservation était intéressée, borné à sanctionner ou à suspendre des lois dont l'initiative appartenait exclusivement au corps législatif, ayant d'ailleurs pour agens d'exécution des corps municipaux, des corps administratifs, dont les membres étaient nommés par le peuple seul, c'est-à-dire dont les pouvoirs venaient d'une source opposée à celle d'où émanaient les ordres à exécuter, des corps délibérant toujours dans les cas même où il fallait unité de volonté et rapidité d'action, des corps dont le roi n'avait la faculté de punir les écarts que par la suspension, et dont le jugement définitif appartenait au corps législatif: avec de telles chaînes, le pouvoir exécutif était presque nul, et le peu qui en existait était subordonné au pouvoir législatif, et se confondait avec lui. Tel était le résultat des méfiances que les ordres privilégiés avaient tous les jours accrues contre la cour, et que la cour avait elle-même inspirées.
Les hommes éclairés avaient désiré un pouvoir législatif composé d'une chambre haute et d'une chambre de députés; ils le souhaitaient ainsi pour que les lois ne pussent jamais être l'ouvrage de quelque ascendant particulier, ou de quelque entraînement de circonstances; ils le désiraient pour que la plus importante prérogative du trône, celle de l'hérédité, fût sous la garde d'une magistrature héréditaire elle-même, et dont chaque titulaire fût lié par un intérêt de famille au maintien de l'hérédité royale; ils le désiraient pour que la cour du monarque ne fût pas uniquement composée de courtisans, et pour qu'il y eût, entre le prince et les particuliers, des intermédiaires indépendans qui assurassent leurs mutuelles relations.
Quoique l'hérédité d'une magistrature conférée, par une élection nationale, à cent ou deux cents personnes tout au plus, dénuées de tout privilége autre que l'hérédité même, n'eût rien de commun avec celle de la noblesse disséminée naguère sur toute la France; quoique l'existence d'une chambre haute, composée de citoyens distingués des autres uniquement par leur magistrature, n'eût rien de commun avec celle d'une chambre composée de privilégiés, et fût même le plus puissant obstacle que l'on pût opposer au retour d'une chambre féodale et nobiliaire, cependant l'inquiétude du peuple le rendit sourd à toute proposition d'une chambre haute, et même de deux chambres égales. On craignit que la chambre haute ne fût composée des anciens pairs, et ne rétablit ainsi l'ancienne chambre du parlement; qu'elle ne fût composée de nobles, et qu'elle ne refît l'ancienne chambre de la noblesse des états-généraux; qu'elle ne fût d'une manière ou de l'autre une garantie, un retranchement pour l'aristocratie; et l'on repoussa l'idée d'une seconde chambre comme sacrilége. Ce fut le point d'honneur de l'égalité, exalté jusqu'au fanatisme par la contrariété du parti des priviléges, qui entraîna à vouloir une seule chambre, faute dont l'expérience a si bien fait sentir à la suite les fâcheuses conséquences.
La constitution de 1791, composée au gré de la défiance nationale, n'eut de force que contre la puissance royale. Faite dans la vue de consacrer l'abolition des priviléges, on sentait moins la nécessité de fonder une institution vraiment monarchique, que celle d'empêcher le roi, protecteur des priviléges, de les rétablir. On, s'était plus occupé de rendre la constitution capable de renverser le roi, que capable de se soutenir elle-même. C'était au fond une république démocratique, avec un fantôme de royauté. Quand on eut suspendu le roi, la république, existait de fait. Quand on la proclama, le peuple qui n'avait demandé à sa constitution monarchique que sûreté contre le retour des priviléges abolis et contre le roi qui le faisait craindre, accepta la république comme une garantie plus sûre que la monarchie. Mais il ne crut pas juger la question de la prééminence de la république sur la monarchie, ou de la monarchie sur la république. L'instinct national n'avait pas cessé d'être en faveur de la monarchie: les opinions contraires n'avaient jamais été accueillies par les écrivains éclairés, même par les patriotes les plus exagérés; les jacobins les avaient repoussées jusqu'au dernier moment; et quelques semaines avant la suspension du roi, le corps législatif avait voué à l'animadversion générale toute idée de république. Dans le fait la république qui a été décrétée sans discussion, sans délibération, sur une motion dénuée de toute exposition de motifs, n'a reçu cette existence inattendue que des passions vives et profondes qui partageaient la convention. Dans les uns ç'a été l'espérance de sauver la vie du roi, dans d'autres la crainte de sa réintégration et de sa vengeance, dans d'autres la haine du duc d'Orléans qu'on croyait appelé au trône, dans tous le désir de renverser les hommes du parti contraire au sien et de détruire leur influence dans la convention. La guerre était déjà déclarée, et une guerre à mort, entre les partis de cette assemblée: chacun cherchait sa sûreté ou ses avantages dans le système politique qui était le plus contraire au parti opposé. Ainsi la Gironde crut anéantir la Montagne en faisant évanouir la possibilité de couronner le duc d'Orléans; et la Montagne crut anéantir la Gironde et se garantir de tout péril en renversant le trône de Louis XVI. Et c'est ainsi que les intérêts publics étaient réglés au gré des intérêts particuliers.
La constitution de 1791 n'a point été soumise à l'acceptation du peuple. La constitution démocratique de 1793 l'a été. On ne voit nulle part quel a été le nombre des votans, et quelle a été la majorité en faveur de celle-ci. Mais on a lieu de croire ou qu'elle a été faible, ou que les votans ont été peu nombreux; car dans les séances de la convention qui ont suivi le rapport fait à cet égard, on voit agiter la question de savoir quelles peines seront infligées aux citoyens qui n'auront point accepté.
Le nombre des suffrages est plus concluant qu'on n'est disposé à le croire; il exprime mieux qu'on ne pense l'opinion générale. Les institutions qui ont été vraiment nationales ont obtenu jusqu'à quatre millions de suffrages ou environ, tandis que d'autres n'en ont pas eu le quart; et il y a lieu de croire que la constitution de 1793 fut dans ce dernier cas. Au reste, cette constitution excéda la mesure de démocratie qu'on avait généralement cru raisonnable de faire entrer dans une grande république comme la France; ainsi les votes peu nombreux de 1793 sont à peu près étrangers à la simple proclamation de la république de 1792.
APPENDICE.
DE LA TERREUR.
AVERTISSEMENT.
Cet écrit n'est ni une satire, ni une vaine déclamation. C'est une suite d'observations générales, que la mémorable expérience de l'année 1793 a fournies; c'est une théorie du régime de la terreur, que quelques personnes, en trop grand nombre, sont disposées à regarder comme utiles, en certaines occurrences, à l'art de gouverner.
Le fond de cet ouvrage a été composé peu après la mort de Robespierre, époque où finit la terreur, en 1795. Je l'adressai, de l'asile où je m'étais retiré, à M. Charles His, alors rédacteur d'un journal estimé, le Républicain. M. His voulut, avant de l'insérer dans son journal, que quelques membres de la convention en entendissent la lecture. Il la fit chez madame Tallien, chez qui se rassemblaient les ennemis du comité de salut public. L'ouvrage fut goûté; madame Tallien engagea son mari à le lire le lendemain à la tribune de la convention sous la forme de discours. Tallien y mit un petit préambule et le lut. Je puis croire, sans trop me flatter, qu'il contribua au renversement du comité de salut public et au retour des lois.
En 1815, quand le parti royaliste proposa un système de proscription et de terreur, je recherchai mon manuscrit, j'y ajoutai un préambule approprié à la circonstance, et je le fis parvenir à Louis XVIII. Je l'imprime ici tel qu'il fut arrangé en 1815.
DE LA TERREUR.
(Partie de 1793 et de 1794.)
Les princes qui appelés à gouverner des pays civilisés, osent affronter la haine des peuples, ceux qui dédaignent d'apprendre comment se gagne leur amour, verront dans cette période, fertile en hautes leçons, ce que c'est que cette terreur où ils croient trouver leur sûreté. Jamais, chez aucun peuple, ce fléau ne fut porté aussi loin, ne se prolongea aussi long-temps, ne s'étendit à autant de malheureux qu'en France durant la convention nationale; jamais la terreur ne courba au même point la partie éclairée d'une grande nation, n'abaissa, ne dégrada les habitans des grandes cités, ne les persécuta, ne les dépouilla, ne les opprima, comme elle le fit alors. Il fallait avoir été saisi dans la liberté pour être ployé si bas dans la servitude; jamais on n'eût fait d'un peuple esclave, un peuple si esclave. Les sultans, les czars, les janissaires et les strélitzs ne firent jamais ce qu'ont osé quelques Montagnards aidés par nos armées révolutionnaires, composées de prolétaires, comme toutes les troupes des despotes. Et, comme si la destinée avait voulu se jouer du respect des hommes pour la justice et la liberté, elle fit voir, dans ces temps d'oppression intérieure, des armées que le patriotisme rendait invincibles, qui assurèrent l'indépendance nationale, et rétablirent la gloire des armes françaises[110]. Mais malheur au pouvoir qui se repaîtrait de ce spectacle, qui prendrait quelque plaisir à le contempler, qui n'y verrait qu'un grand succès de tyrannie, qui croirait y surprendre quelques secrets de l'art de gouverner, qui aurait la funeste tentation de le mettre en pratique, ou du moins en réserve pour l'occasion; qui enfin ne serait pas pénétré d'horreur pour tous ses principes et pour toutes ses conséquences. Malheur au pouvoir qui ne s'attachera pas aux intérêts, aux sentimens, à l'opinion de la classe mitoyenne de la société, comme au centre de tous les intérêts, à la représentation de tous les droits, au seul principe de force durable. Si la justice et l'humanité lui permettent de contempler sans horreur l'affreuse existence du gouvernement révolutionnaire, et les moyens par lesquels il parvint à répandre la terreur, et les excès par lesquels il la soutint, que la politique du moins porte ses regards sur les dangers qui menacent les premiers essais de ce régime, sur la catastrophe qui en amène inévitablement la fin, sur les longues calamités qu'elle entraîne à sa suite; qu'elle voie le sort de tous ceux qui l'ont exercée, de toutes les institutions qui lui ont appartenu, et qu'elle juge après si les résultats que le pouvoir croit avoir obtenus sont réellement dus à la terreur, si en tout cas ils n'auraient pas été achetés à trop haut prix, et s'il n'eût pas été plus facile et plus sûr de les préparer par la raison et la justice qui secondent toutes les entreprises sages et n'entravent que la barbarie ou la démence.
Fixons d'abord, s'il se peut, notre attention sur cet état de terreur dont nous voulons apprécier les effets.
Ce fut une crainte profonde et toujours présente de la mort, des supplices, de l'ignominie. Ce fut une véritable maladie où le moral et le physique étaient continuellement en action l'un sur l'autre; un état extrême qui suspendit l'usage de la raison, qui en fut presque l'égarement. La terreur concentra chacun en soi-même, détacha de tout autre intérêt que celui de la conservation, dégagea des plus importantes affaires, des affections les plus intimes, des devoirs les plus saints, paralysa tout à la fois les bras et les âmes. Elle fit évanouir tout respect de soi même, elle abaissa toutes les grandeurs, avilit toutes les dignités, soit qu'elles fussent données par le hasard ou obtenues par le mérite personnel, humilia tous les genres de considération, et les prosterna dans la fange aux pieds de vils scélérats. Elle poussa quelques caractères faibles à l'abandon, quelquefois même à la trahison de leurs parens, de leurs amis, comme à un moyen de salut, et mit beaucoup d'autres en défiance de tout le monde: comme si ce tourment eût été un moyen de sécurité.
Toute la partie éclairée et aisée de la nation fut atteinte de cette maladie, plus particulièrement les habitans riches des villes, plus particulièrement encore ceux des villes manufacturières. La terreur étant imposée par les prolétaires et pour eux, elle affectait tout ce qui n'était pas eux, et leur pouvoir s'appesantissait d'autant plus que la proportion de leur nombre avec celui des propriétaires d'une même commune, était plus à leur avantage.
Si elle n'eût été générale, se serait-elle établie? S'il eût été possible de s'y soustraire, sans en être l'instrument, de n'en pas être victime n'en étant pas agent, n'aurait-on pas vu une ligue puissante se former contre elle?
La terreur affecta toutes les conditions, tous les âges, tous les sexes. Toutes les figures en portaient la sinistre empreinte. On ne rencontrait que des regards qui l'eussent communiquée si l'on en eût été exempt, qui la redoublaient en ceux à qui elle accordait un peu de relâche. Et si tout n'eût annoncé qu'elle interdisait les encouragemens, les consolations, les secours, les asiles de l'amitié, elle n'eût pas été la terreur.
Par quelle suite d'attentats parvint-on à introduire et à soutenir cette calamité?
Il fallut d'abord que le gouvernement rompît solennellement avec la justice, qu'il assurât un libre cours à l'arbitraire, que l'arbitraire fût assuré de régner sans partage. Sous le règne de la justice, le crime tremble sans doute, mais le crime seul; et ce n'était pas contre le crime qu'était préparée la terreur. Elle devait moins atteindre les ennemis de l'État, que les ennemis personnels des gouvernans. Il ne s'agissait pas d'imprimer à quelques traîtres la crainte salutaire des lois, puisque les lois se faisaient craindre d'elles-mêmes: il fallait imposer à tous les citoyens une crainte stupide des personnes. La terreur du crime fait la sécurité des gens de bien, et c'était des gens de bien que l'on avait à se défendre: c'était le crime lui-même qui avait besoin de rejeter sa terreur sur ceux dont la justice faisait la sécurité. En un mot l'objet n'était pas de punir, mais de proscrire.
Ce qu'ont osé alors des scélérats se conçoit mieux que ce qu'ont paru croire quelques gens de bien. Quand les premiers instituèrent leur gouvernement révolutionnaire, ils dirent: nous voulons l'arbitraire pour répandre la terreur parmi les ennemis de la patrie et la sécurité parmi ceux qui l'aiment: comme s'il pouvait y avoir de la sécurité pour quelqu'un là où il n'y a pas de justice pour tous. L'hypocrisie qui exprimait cette intention en déguisa sans doute l'absurdité. On les crut. Cependant cette belle et salutaire répartition de la sécurité et de la terreur entre le crime et la vertu, n'était-elle pas toute faite par la justice; et peut-elle se faire par une autre puissance que la sienne? L'arbitraire n'est-il pas la faculté de confondre l'innocent avec le coupable; l'arbitraire n'est-il pas la faculté de protéger le crime, de le commettre, et de perdre l'innocence? Et pour quel usage un gouvernement peut-il avoir besoin de l'arbitraire, quand il a contre les malfaiteurs des lois et des tribunaux, si ce n'est pour perdre des hommes irréprochables, et parce qu'en accusant ceux qu'il veut perdre, il croit la justice plus à craindre pour lui que pour ceux qu'il accuse?
Encore une fois, la première condition de la terreur, était l'arbitraire; mais ce n'était pas assez, il le fallait plein et entier, exempt de toute contrariété, libre de toutes sujétions, sans frein, sans retenue. Il le fallait de plus en action, violent, sanguinaire, redoublant chaque jour de cruauté. Si dans un pays libre et civilisé l'arbitraire se bornait à menacer comme dans ceux où l'habitude de la servilité en a rendu l'exercice inutile, la liberté des esprits, l'indépendance de l'opinion, l'obligeraient bientôt à reployer sa bannière méprisée. Chez un peuple libre et éclairé, il faut que l'arbitraire s'annonce en frappant, et qu'il étourdisse des premiers coups. Comme tous les grands crimes, le renversement des lois et l'établissement de l'arbitraire ne veulent ni se faire à demi, ni s'exécuter lentement, ni s'annoncer par des apprêts. Un bras levé long-temps sans frapper, terrible au premier aspect, n'est bientôt que ridicule. Il est le signe d'une volonté cruelle et d'une impuissance honteuse; il autorise ceux qu'il menace à tout entreprendre, il les conduit à tout oser; il redouble les dangers qu'il redoute, par ceux dont il menace sans pouvoir les faire craindre.
Quand l'arbitraire a frappé une fois, il faut qu'il frappe toujours. S'il s'arrête un moment, la stupeur cesse, le courage renaît, le besoin de vengeance se joint à l'intérêt de la sûreté, et la tyrannie peut être renversée.
Et ce n'est point assez de ne point interrompre le cours de ses excès: il faut chaque jour l'accroître, soit en multipliant le nombre des victimes, soit en enchérissant sur les supplices: encore aura-t-il peine à suivre par cette progression celle des ressentimens que le temps amasse contre lui.
Et ce n'est point assez de frapper ceux qu'on craint; il faut frapper les époux, les pères, les enfans des victimes, et punir du même supplice et les sollicitations faites en faveur de celles-ci, et les asiles qui leur seront offerts, et les réclamations, les gémissemens, les larmes des veuves et des orphelins. Il serait dangereux de laisser ouvrir par les sollicitations une porte à l'espérance, par de secrets asiles un moyen de sauver sa vie: la tyrannie pourrait craindre que des gémissemens entendus par la pitié courageuse, ne fissent revenir aux malheureux des promesses de vengeance qui donneraient quelque relâche à la terreur.
Il faut encore que l'arbitraire frappe des victimes de tout état, de toute profession, de tout sexe, de tout âge. S'il était une classe de citoyens, un seul citoyen qui pût impunément élever la voix pour les autres, il mettrait en péril l'arbitraire et ses agens.
Comme la tyrannie ne peut pas admettre la justice des tribunaux en concurrence avec l'arbitraire, il ne peut non plus consentir à la puissance de l'opinion; s'il n'interdisait la liberté de la presse et de la parole, cette liberté le renverserait. Mais interdisant la liberté de la presse et la parole aux citoyens, il faut aussi qu'il l'interdise à la représentation nationale; car si l'oppression peut craindre qu'une ligue, un mot, une plainte des opprimés n'appelle le courage au secours du malheureux, comment serait-elle sans alarmes, comment ceux en qui elle veut imprimer la terreur seraient-ils sans confiance en voyant, en face de l'arbitraire, une tribune d'où les représentas du peuple tonneraient contre elle avec toute l'autorité de leur considération, toute la force de leur talent, tout l'ascendant de leur position? Cette tribune ne serait-elle pas l'encouragement, l'espoir, la force des malheureux? Y aurait-il long-temps des malheureux? Aussi la convention vit-elle, mais trop tard, qu'en donnant l'arbitraire au gouvernement, elle faisait cesser pour elle-même tout exercice de l'autorité législative, la prérogative de l'inviolabilité, la liberté de la presse, de la parole, de la pensée; aussi vit-elle, par la longue effusion de son propre sang, que quand d'infidèles mandataires du peuple le livrent à l'arbitraire, ils s'y soumettent eux-mêmes; que quand ils abandonnent ses droits, ils abdiquent leurs pouvoirs; que quand ils nous interdisent les gémissemens, les plaintes, ils ne peuvent se permettre le plus secret murmure; enfin, que quand ils livrent nos têtes, ils exposent la leur.
L'arbitraire n'a point à dérider quelles actions sont criminelles; dès qu'un homme lui est suspect, il n'est point innocent.
Il n'a point à déterminer les circonstances qui sont des motifs de suspicion: tout soupçon est fondé dès qu'il n'a pas été prévenu.
Il n'a point à déterminer la mesure de preuves nécessaires, ni pour l'accusation, ni pour la condamnation: la délation suffit pour accuser et condamner.
Rien ne l'assujettit à des formes ni pour l'accusation, ni pour l'instruction, ni pour le jugement: il juge sans procédure; rien n'arrête pour le choix des juges, pourvu qu'il puisse indifféremment faire asseoir les bourreaux sur le tribunal ou charger les magistrats de l'office de bourreaux.
Cependant ce n'est que par degrés que l'arbitraire s'affranchit de l'importunité des formes et de toute retenue dans le choix et le nombre des victimes. Non qu'il ne puisse secouer tout-à-coup tout scrupule et toute pudeur, mais par cet instinct secret qui lui fait craindre qu'arrivé aux dernières limites de la férocité, il n'y trouve aussi le terme de sa durée.
Ainsi l'on commença par dire quelles conditions, quelles actions, quelles liaisons seraient réputées suspectes. C'étaient d'abord les nobles, c'étaient, les parens d'émigrés; ce furent ensuite les riches, les marchands; ce furent plus tard les auteurs d'écrits ou de discours contre la liberté; enfin ce furent tous ceux à qui les comités de surveillance jugèrent à propos de ne pas accorder de certificats de civisme, c'est-à-dire tous ceux qu'il plut aux prolétaires de désigner comme indignes de leur confiance; ce furent, comme on le dit alors, les hommes suspects d'être suspects.
On ordonna d'abord le désarmement des suspects, ensuite l'inscription de leurs noms et qualités sur la porte de leur domicile, bientôt après leur arrestation et leur détention jusqu'à la paix.
En même temps que l'arbitraire étendait ainsi la classe des suspects, et aggravait leur sort, il étendait celle des actions, des écrits, des discours qui seraient punis de mort: on avait d'abord déterminé que ce serait la résistance aux lois de la république, les écrits, les discours qui y seraient contraires. Bientôt on ajouta tout ce qui serait contraire aux arrêtés du comité de salut public. Bientôt ensuite on déclara contraires aux lois de la république et aux décrets du comité de salut public, non seulement les actions, les écrits, les discours royalistes, fédéralistes, mais aussi tout ce qui serait trop conforme à l'esprit du gouvernement révolutionnaire; les exagérations, les applications erronées des principes républicains, en paroles, en actions, en écrits: de sorte qu'on marqua autant d'écueils au-delà qu'en-deçà.
Ces lois ne laissant rien d'innocent dans les actions, ni dans les pensées, et soumettant la convention elle-même aux proscriptions du comité, l'intérêt de finir l'arbitraire et la terreur se fit sentir aux conventionnels. Alors on vit éclore une faction nouvelle, celle des modérés; un crime nouveau, le modérantisme: crime grave sans doute, le plus grave de tous, car il attaquait dans ses fondemens le comité de salut public entre les mains de qui résidait le gouvernement révolutionnaire. Ce fut alors que la pitié pour les malheureux, les asiles qui leur furent ouverts, les sollicitations des pères, des enfans, des époux, en leur faveur, les gémissemens et les larmes des veuves et des orphelins, se trouvèrent au premier rang dans les crimes d'État, et assimilés aux manœuvres des plus abominables conspirations.
Tout fut crime alors, excepté le crime même. Plus de suspects: tous étaient coupables. Il ne fut plus question de tenir en prison jusqu'à la paix ceux qui étaient incarcérés: jusqu'à la paix! les malheureux ne devaient jamais la voir!
Tandis que l'arbitraire désignait ainsi les crimes et les coupables, il ne laissait point en arrière les formes de ses procédures, ni la composition de ses tribunaux. Après le 10 août on avait institué un tribunal extraordinaire; on nomma et l'on constitua ensuite un tribunal révolutionnaire, sous l'autorité du comité de salut public, composé d'hommes de son choix, soudoyé par lui, obligé de lui rendre compte chaque jour de ce qu'il avait fait, et de prendre l'ordre sur ce qu'il aurait à faire le jour suivant. Pendant que ce tribunal faisait couler le sang à Paris, des tribunaux révolutionnaires, des commissions militaires, instituées, échauffées par des commissaires de la convention, soutenus par des armées révolutionnaires, répandaient la terreur et le deuil dans les provinces.
Les procédures avaient toujours peu gêné le tribunal révolutionnaire de la capitale. La loi du 27 mars 1793, loi proposée par Danton, adoptée par l'unanimité de la convention, et en vertu de laquelle il a été jugé, ainsi que plusieurs de ses collègues[111], avait mis formellement hors la loi les aristocrates et les ennemis de la révolution. Cependant un autre décret du 29 octobre 1793 (8 brumaire an II) autorisait à examiner les preuves d'aristocratie, sauf à abréger le débat lorsqu'il paraîtrait trop long. Mais un autre décret du 4 avril 1794 (15 germinal an II), rendu à l'occasion du jugement de Danton même, ordonnait de mettre hors des débats, c'est-à-dire de déclarer hors la loi tout prévenu qui insulterait à la justice nationale, c'est-à-dire qui essaierait de se défendre; et bientôt après toute personne fut autorisée à arrêter et traduire devant les magistrats, les conspirateurs et contre-révolutionnaires. Alors le malheur d'être soupçonné ou même accusé sans soupçon tenant lieu de crime, et la délation tenant lieu de preuve, il ne s'agissait plus de juger, mais d'exécuter une proscription. Aussi le 10 juin 1794 (22 prairial an II), les interrogatoires des prévenus furent retranchés de l'instruction; tout défenseur leur fut refusé; on en vint à faire un crime aux juges, non seulement de demander des preuves pour condamner, mais d'en admettre et de perdre du temps à en écouter: non seulement d'absoudre, mais de ne pas accélérer les condamnations. En effet, tous étant hors la loi, il ne fallait plus de jugemens, mais de simples attestations de l'identité des proscrits.
La terreur ne put s'établir que par ce monstrueux exercice de l'arbitraire le plus effréné.
Combien dura ce régime, comment finit-il, quel avantage en tirèrent ses auteurs?
L'arbitraire, principe de la terreur, écrasa sans doute un grand nombre des victimes qu'il avait désignées, mais il fit périr aussi tous ceux qui le professèrent, et ceux qui l'exercèrent, et ceux qui en furent les instrumens; il fit périr les tyrans par les tyrans; il fit périr tous ses agens par l'anarchie réactionnaire qui succéda à la terreur. Enfin il laissa le prolétaire dans l'indigence, dans l'humiliation, dans le repentir.
La Gironde, pendant la session de l'assemblée législative, avait fait les premiers essais de l'arbitraire, par l'établissement d'un tribunal extraordinaire et de procédures particulières, ensuite par ses accusations contre les ministres et par ses provocations contre la cour. Dans les premiers temps de la convention, elle concourut, avec la Montagne, à développer ce système. La Montagne s'en est servie pour faire périr la Gironde.
Après la destruction de la Gironde, la Montagne s'étant divisée en deux partis, celui de Marat et Hébert d'un côté, celui de Robespierre et Danton de l'autre, ce dernier fit périr les Hébertistes et les Maratistes, comme tous ensemble avaient fait périr la Gironde.
Robespierre et Danton, restés maîtres du champ de bataille, se divisèrent à leur tour. Robespierre envoya Danton à l'échafaud, de la même manière que Danton et Robespierre y avaient envoyé de concert les Girondins et les Maratistes.
Robespierre ayant voulu de nouvelles victimes parmi ses coopérateurs, Tallien, Bourdon, Cambon, Barrère, Billaud, Collot, ceux-ci firent tomber sa tête comme eux et lui avaient fait tomber celles des Girondins, des Maratistes, des Dantonistes.
Tous, après avoir désigné, dans leur puissance, leurs ennemis à la haine populaire, les avoir chargés de calomnies, et accablés d'outrages, le furent à leur tour par un ennemi devenu supérieur. Tous, après avoir imputé à leurs victimes des crimes imaginaires, furent l'objet d'accusations calomnieuses et dérisoires. Tous, après avoir porté leurs accusations sans entendre les prévenus, furent aussi accusés sans avoir été entendus. Tous, après avoir concouru à remplir les prisons de personnes irréprochables, y furent jetés en criminels, et plusieurs comme complices des accusés qu'ils y avaient envoyés avec fureur. Tous, après avoir appelé par des accusations atroces, des condamnations sans formes, ont été à leur tour condamnés sans être jugés. Tous, après avoir envoyé leurs victimes à des assassins qu'ils avaient assis d'un commun accord sur le tribunal révolutionnaire, y furent eux-mêmes envoyés en victimes vouées au supplice. Tous enfin se flattaient, en allant à l'échafaud, que le peuple s'indignerait de leur proscription: les plus favorisés furent regardés avec indifférence; la plupart reçurent les mêmes outrages que les malheureux qui les avaient précédés: soit que le peuple ne voulût pas douter de la justice du plus fort dont il était l'appui, soit plutôt qu'un sentiment de justice naturelle lui fît trouver quelque satisfaction à voir le crime puni par le crime, dans un temps où les tribunaux étaient sans force ou plutôt sans existence.
Alors l'arbitraire avait atteint les dernières limites où il pût porter ses excès; il avait multiplié les condamnations autant qu'il était possible, aboli les formalités des jugemens, mis en place des juges accomplis en férocité, étendu ses exécutions sanguinaires à toutes les conditions, à tous les âges, à tous les sexes, aux auteurs de la terreur même, à ses ministres, à ses agens, à ses bourreaux. Enfin le nombre des hommes atteints par la terreur s'était accru d'une partie de ceux qui l'avaient répandue; et le nombre de ses agens n'était plus en proportion avec le nombre de ceux qu'il fallait y tenir enchaînés. La honte, l'horreur d'eux-mêmes gagnait ces agens fatigués de crimes. Dans cette situation, il suffisait qu'un seul malheureux tentât les ressources du désespoir et fît entendre un cri de vengeance, pour que la terreur s'évanouît.
Les membres de la convention qui prévoyaient pour eux-mêmes le sort de plusieurs de leurs collègues, étaient prêts à donner le signal de la révolte, lorsque Robespierre fut attaqué par Billaud. Aussi saisirent-ils ce moment. L'unanimité de la convention, bientôt confondue avec celle de la nation, proclama la chute du tyran et de la tyrannie, de l'arbitraire et de la terreur. La terreur finit avec Robespierre. En vain le comité de salut public voulut-il la maintenir en la ramenant, disait-il, à son institution primitive, en bornant son atteinte aux royalistes et aux contre-révolutionnaires: on rejeta ce système comme absurde. On vit alors que la terreur est un ressort que rien ne soutient quand il s'affaiblit, que rien ne supplée quand il se rompt; et qu'inévitablement elle succombe au premier choc. Mais c'était peu: on éprouva que la cruauté ajoutée à l'injustice produit les plus implacables vengeances, la plus violente réaction. Tallien et les anciens amis de Danton, après s'être réunis avec Barrère, Collot-d'Herbois et Billaud-Varennes pour renverser Robespierre et ses satellites, se séparèrent de ces trois conjurés et les firent condamner à la déportation, comme ils avaient ensemble condamné Robespierre à périr. Enfin pour que la même année vît engloutir dans le gouffre de l'arbitraire les chefs et les principaux agens de la terreur, le tribunal révolutionnaire, ce tribunal qui sans motifs et sans jugemens avait envoyé à l'échafaud tant de milliers de victimes innocentes, et presque tous ceux qui avaient concouru à le dresser, y fut envoyé lui-même tout entier par le parti vengeur de Danton, qui fut en cette circonstance vengeur de la nation et de l'humanité[112].
La mort de Robespierre fut donc la catastrophe qui mit fin au gouvernement révolutionnaire et à la terreur. Mais à la terreur succéda l'anarchie, et l'arbitraire demeura.
La vengeance se saisit de l'arbitraire, et de toutes les armes qu'il avait employées. Après avoir commandé dans le sein de la convention la déportation de Collot, de Billaud et de Barrère, et envoyé le tribunal révolutionnaire au même échafaud où il avait envoyé des milliers de victimes, la vengeance répandit ses fureurs dans les provinces. Partout où le gouvernement révolutionnaire avait exercé ses ravages, elle agita ses torches et fit étinceler son poignard; à Lyon, à Marseille, à Toulon, elle se signala comme l'avait fait la terreur. Partout elle rechercha et suivit les traces de sang qu'avaient laissées les victimes, pour les couvrir du sang des bourreaux. Ceux qui se sont soustraits à la mort ou à l'exil, n'ont pu se soustraire à l'infamie. Enfin les prolétaires, aveugles instrumens de passions criminelles, revenus et honteux des odieuses espérances qui les avaient entraînés, déchus de leurs véritables moyens d'existence, de l'habitude du travail, de l'industrie, du courage, appauvris par la rapine, par une vie dissolue, par l'abaissement du crime, tournaient leurs regards vers les ateliers où ils avaient trouvé si long-temps la subsistance de leurs familles, et leurs regards ne rencontrèrent plus que des ruines.
Tel a été le règne de l'arbitraire durant la terreur, tel il a été dans sa force, telle a été sa chute, telles ont été ses conséquences, tels ont été les châtimens de ses auteurs et de ses coopérateurs.
Ainsi périront hors la loi, tous les agens des princes contempteurs des lois, par l'arbitraire tous les fauteurs de l'arbitraire; ainsi périront par la force, les gouvernemens qui auront méconnu la justice; par la révolte, ceux qui auront exercé la tyrannie; ainsi tomberont avec la tyrannie, les tyrans et les suppôts qu'ils auront épargnés; et s'ils échappent aux premiers coups, ils succomberont bientôt aux vengeances qui seront déchaînées contre eux par l'anarchie, inévitable suite de la terreur.
NOTE
QUI SE RAPPORTE A LA PAGE 68 ET SUIVANTES.
De la Souveraineté.
Il est possible d'établir quelques principes sur le droit de souveraineté.
La souveraineté est le droit d'avoir et d'exercer une volonté supérieure à toutes les volontés; c'est par conséquent un droit accompagné des moyens de résister à toutes les attaques et de vaincre toutes les résistances.
Cette seconde condition est inséparable de la première: car la faculté de vouloir sans pouvoir ne serait pas plus la souveraineté que la libre volonté dans une paralysie n'est l'indépendance. La souveraineté se compose donc de droit et de fait, de volonté et d'action, de vouloir et de pouvoir.
Le pouvoir, proprement dit, est une faculté physique; c'est, ou une force naturelle inhérente au souverain, ou une force composée et d'institution.
Le droit de la souveraineté est d'institution, et ne peut procéder que d'une convention de chacun avec tous, de tous avec chacun. Pour qu'un million, cent millions d'hommes aient des droits sur un individu, il faut qu'ils forment une société, et que cet individu en fasse partie; sinon il serait à l'égard de cette multitude dans l'état de nature, où nul n'a de droits (jura) à exercer sur un autre; mais seulement un droit naturel, une équité volontaire à invoquer, quid æquum, quid rectum.
La souveraineté est donc le droit originairement acquis à la société en corps par l'association même sur chacun de ses membres en particulier.
La souveraineté est inaliénable de droit et de fait. De droit, parce que la société ne peut se dépouiller, sans être contraire au but de sa formation, des droits qu'elle a pour objet de garantir; et parce que ces droits sont inséparables de la qualité d'homme; de fait, parce que le tout est nécessairement plus fort que la partie quand il veut l'être.
Le principe de l'inaliénabilité n'empêche pas que la société ne puisse déléguer l'exercice et la jouissance d'une portion du pouvoir souverain, telle que celle de faire exécuter les lois, et que l'usage ne puisse donner à cette délégation le titre de pouvoir souverain par une extension usitée dans le langage. La délégation peut se faire, soit à un individu, soit à une suite d'individus d'une même famille, soit à un certain nombre d'individus simultanément et collectivement; mais dans tous les cas, avec des précautions suffisantes pour ne point compromettre le fond du droit, et même pour éviter l'abus sans empêcher le bon usage de la portion de souveraineté dont l'exercice est délégué. Par exemple, une nation peut déléguer le pouvoir d'exécuter les lois sous les réserves suivantes: 1o qu'elle les fera par elle-même ou par des représentans; 2o que l'application des lois pénales qui intéressent la liberté, et des lois civiles qui intéressent la propriété, sera remise à des juges indépendans; 3o que l'argent nécessaire pour défrayer le service de la délégation non seulement sera voté par la nation ou ses représentans, mais aussi le sera périodiquement et annuellement; 4o enfin, que le pouvoir délégué retournera à la nation lorsqu'arrivera l'extinction de la personne ou de la suite de personnes, ou de l'agrégation de personnes à qui la délégation a été faite. Chacune de ces précautions sera séparément un témoignage toujours évident de la souveraineté nationale. Étant réunies, elles pourront suffire contre les entreprises du pouvoir délégué.
Pour exercer le pouvoir délégué, le prince a besoin de subdélégués et de force. Sa force ne peut être qu'un extrait de la force générale de la société; toutefois accru des moyens artificiels d'armement, de maniement des armes, de mouvemens de masses réunies ou séparées. Les magistrats subdélégués et la force armée ont eux-mêmes besoin de moyens de subsistance qui se renouvellent sans cesse comme le besoin. Ces moyens sont représentés par l'argent. L'argent est un produit de la propriété particulière qui est garantie par la société et sur laquelle les particuliers n'ont rien cédé de leur droit. La contribution est un acte volontaire que la société s'est réservé de voter périodiquement. Si elle la refuse, c'est qu'elle réprouve l'usage qui a été fait du pouvoir: elle le suspend, elle l'anéantit. Si le prince veut, au lieu d'une contribution volontaire, un impôt, en fixer le montant et le lever en vertu de sa volonté, la nation refuse. Si le prince, pour vaincre le refus, essaie d'employer la force, il risque de deux choses l'une, ou d'éprouver le refus de la force elle-même, ou de provoquer contre elle la force générale et souveraine dont elle est extraite et à laquelle il n'y a point d'égale. C'est le soulèvement de cette force générale qu'on nomme l'insurrection; elle est le terme de la délégation du prince, surtout si la force constituée a refusé d'agir pour soumettre la résistance de la nation à l'impôt. On peut dire alors que le pouvoir délégué est rentré de lui-même dans le pouvoir souverain dont il était détaché; puisque le droit de commander sans moyens de contraindre à l'obéissance est un droit chimérique; ne pas garder ces moyens quand on en a été investi, c'est comme ne les avoir pas reçus.
Non seulement le droit de voter la contribution est une réserve de la souveraineté nationale, mais de plus l'exercice de ce droit est la preuve du pouvoir suprême, puisqu'il est son fait et qu'il sert de régulateur à la portion de puissance déléguée.
Il suffirait de la réversibilité de la couronne à la nation, pour que la souveraineté nationale ne fût pas douteuse. Dire qu'elle revient à la nation dans un cas quelconque, c'est dire qu'elle est venue d'elle, et que la nation est supérieure à celui qui l'a reçue. Dire que la nation pourrait seule disposer du trône si la famille qui l'occupe venait à manquer, c'est dire qu'elle y a élevé la famille régnante, que c'est elle qui a élevé le trône même.
Le droit de ne payer que des contributions consenties, le droit d'être jugé par des juges indépendans, ont toujours été de droit public en France, et sont consacrés par la charte. La réversibilité de la couronne, au défaut d'héritiers mâles dans la famille royale, a toujours été regardée comme incontestable. De plus elle a été solennellement reconnue en 1717 par tous les membres de la maison de Bourbon individuellement, et consacrée par une loi revêtue des formalités alors légales. Elle l'a été récemment, au couronnement de Charles X, dans un mandement de l'archevêque de Reims qui rapporte les droits de la dynastie régnante au trône, non au droit divin, ni à l'onction sainte, mais à la loi de l'État qui a fixé la succession au trône de France.
Je transcrirai à la suite de cette note, et la loi de 1717 et la partie du mandement publié pour le couronnement de Charles X.
Les personnes qui voudront bien réfléchir sur ces textes, ainsi que sur le droit de voter l'impôt, seront convaincues que s'il est criminel de dire que la souveraineté appartient à la nation, les premiers coupables à qui il faut faire le procès sont l'archevêque de Reims, Louis XV, le duc d'Orléans régent, le duc de Bourbon, les princes de Conti, le comte de Charolais, et le parlement qui a enregistré l'édit de 1717.
Ce qui a fait méconnaître l'inaliénabilité du pouvoir souverain, c'est l'appréhension qu'elle n'autorise ou du moins ne favorise l'opinion que la nation peut, quand il lui plaît, destituer son roi, le juger, le condamner, même le mettre à mort, et substituer à la monarchie une autre forme de gouvernement. Je l'ai dit dans l'écrit qu'on vient de lire, je l'ai dit plus fortement encore, lorsqu'on a commencé le procès de Louis XVI: quand la nation a délégué une portion de souveraineté en stipulant l'irrévocabilité et l'inviolabilité de ceux qui l'exerceront, leur personne, leur titre, leur droit héréditaire et leur autorité sont aussi sacrés que s'ils étaient souverains par la grâce de Dieu, et beaucoup plus que s'ils l'étaient par la grâce de leur épée. Le mépris du principe a été une des calamités de la révolution.
ÉDIT
DE JUILLET 1717.
Quelques notions préliminaires ne sont pas inutiles à rappeler.
Au mois de juillet 1714, Louis XIV avait ordonné par un édit que si les princes légitimes de la maison de Bourbon venaient à manquer, le duc du Maine et le comte de Toulouse, ses fils adultérins, succéderaient à la couronne de France. Cette loi a eu pour motifs apparens, les malheurs et les troubles qui pourraient arriver un jour dans ce royaume, si tous les princes de la maison royale venaient à manquer.
Le même édit ordonnait que le duc du Maine et le comte de Toulouse auraient entrée et séance au parlement, au même âge et avec les mêmes honneurs que les princes du sang, et qu'ils jouiraient des mêmes prérogatives dans toutes les cérémonies où le roi et les princes se trouveraient. Cet édit avait été enregistré au parlement, le 2 août de la même année 1714.
Quelque temps après, des chambres du parlement ayant refusé de donner aux princes légitimés la qualité de princes du sang, Louis XIV, par une déclaration du 23 mai 1715, défendit de faire aucune différence entre les princes légitimes et les princes légitimés, ordonna que ceux-ci prendraient la qualité de princes du sang, et qu'elle leur serait donnée dans tous les actes judiciaires et autres.
Trois mois après cette déclaration, Louis XIV meurt.
Alors trois princes du sang, le duc de Bourbon, le comte de Charolais et le prince de Conti, présentent au roi, dans son conseil, une requête et différens mémoires pour obtenir la révocation de l'édit du mois de juillet 1714, et de la déclaration du 23 mai 1715. Un des griefs exposés dans leurs requêtes est que la ligne masculine et légitime venant à manquer dans la maison de Bourbon, c'est à la nation à faire choix d'une famille pour régner, et que Louis XIV n'avait pas le droit de disposer de la couronne.
Il faut remarquer qu'alors Louis XV était mineur, et le duc d'Orléans régent.
La requête fut communiquée aux princes légitimés, qui supplièrent le roi de la renvoyer à sa majorité, ou de faire délibérer les états du royaume juridiquement assemblés, sur l'intérêt que la nation pouvait avoir aux dispositions de l'édit de juillet, et s'il lui était utile ou dangereux d'en demander la révocation. Peu après que cette requête eut été présentée, les princes légitimés firent une protestation aux mêmes fins, devant notaire, et ils présentèrent une requête au parlement pour obtenir le dépôt de cette protestation au greffe. Le parlement rendit compte de cette requête au roi, et attendit ses ordres pour statuer.
Au mois de juillet 1717, le roi mit fin à la difficulté par un édit qui révoqua et annula celui du mois de juillet 1714, et la déclaration du 23 mai 1715.
Cet édit signé Louis, l'est aussi par le duc d'Orléans, régent, présent.
Le préambule de la loi expose les principes que nous allons transcrire littéralement, dans la crainte d'en altérer la substance.
«Nous espérons (c'est Louis XV qui parle) que Dieu qui conserve la maison de France depuis tant de siècles, et qui lui a donné dans tous les temps des marques si éclatantes de sa protection, ne lui sera pas moins favorable à l'avenir, et que la faisant durer autant que la monarchie, il détournera par sa bonté le malheur qui avait été l'objet de la prévoyance du feu roi. Mais si la nation française éprouvait jamais ce malheur, ce serait à la nation même qu'il appartiendrait de le réparer par la sagesse de son choix; et puisque les lois fondamentales de notre royaume nous mettent dans une heureuse impuissance d'aliéner le domaine de notre couronne, nous faisons gloire de reconnaître qu'il nous est encore moins libre de disposer de notre couronne même: nous savons qu'elle n'est à nous que pour le bien et pour le salut de l'État, et que par conséquent l'État seul aurait droit d'en disposer dans un si triste évènement que nos peuples ne prévoient qu'avec peine, et dont nous sentons que la seule idée les afflige. Nous croyons donc devoir à une nation si fidèlement et si inviolablement attachée à la maison de ses rois, la justice de ne pas prévenir le choix qu'elle aurait à faire, et c'est par cette raison qu'il nous a paru inutile de la consulter en cette occasion où nous n'agissons que pour elle, en révoquant une disposition sur laquelle elle n'a pas été consultée; notre intention étant de la conserver dans tous ses droits, en prévenant même ses vœux, comme nous nous serions toujours cru obligé de le faire pour le maintien de l'ordre public, indépendamment des représentations que nous avons reçues de la part des princes de notre sang.»
Tels sont les motifs littéralement exprimés dans l'édit de 1717, qui révoque celui de 1714 et la déclaration de 1715.
La fin du préambule que nous venons de citer, indique que les principes exposés étaient invoqués par les princes du sang, dans la requête présentée par eux au conseil de régence. Ainsi ajoutant à l'hommage que leur ont rendu les princes requérans, celui que leur rend le duc d'Orléans, présidant le conseil de régence, en signant l'édit et en l'envoyant au parlement, on peut dire que tous les princes de la maison de Bourbon ont alors individuellement exprimé leur profession de foi sur les droits de la nation; ajoutez le suffrage unanime des membres du conseil du roi, entre lesquels on voit l'illustre d'Aguesseau, et l'assentiment unanime du parlement qui a enregistré, sans le moindre délai, l'édit de révocation de 1717, et il sera, je crois, évident que la royauté de droit divin, la royauté telle qu'elle était dans Israël, telle que nous la donne Bossuet, telle que croyait la posséder Louis XIV, a été désavouée par la famille de ce prince, immédiatement après sa mort.
L'édit de juillet 1717 qui renferme tout ce qu'on vient de lire, est imprimé dans tous les recueils du temps.
EXTRAIT
DU MANDEMENT DE L'ARCHEVÊQUE DE REIMS,
A L'OCCASION DU SACRE DE CHARLES X.
(Moniteur, 29 avril 1825.)
«....Mais n'allez pas, N. T. C. F., conclure de ces réflexions, n'allez pas supposer que nos rois viennent recevoir l'onction sainte pour acquérir ou assurer leurs droits à la couronne: non, leurs droits sont plus anciens, ils les tiennent de l'ordre de leur naissance, et de cette loi immuable qui a fixé la succession au trône de France, et à laquelle la religion attache un devoir de conscience...»
Nota. Pour concevoir l'aveu que contient ce mandement, il faut se rappeler que Napoléon avait aussi reçu l'onction-sainte.
FIN.
NOTES:
[1] M. Lacretelle a été victorieusement réfuté par l'auteur anonyme d'une brochure d'environ cent pages, intitulée: De l'assemblée constituante, en réponse à M. Charles Lacretelle. Paris, chez Corréard, libraire, 1822. Cet écrit paraît être d'Alexandre de Lameth, qui connaissait très bien les faits et les personnages.
[2] Par égalité de droits, il faut entendre l'égalité non seulement devant la loi civile, devant la justice, devant les tribunaux, mais aussi devant la loi politique, qui fonde les emplois publics, les dignités, les honneurs, et en règle la distribution.
[3] C'est cette passion de l'égalité qui, après avoir enduré quinze ans d'outrages depuis la restauration des Bourbons, jusqu'au mois de juillet 1830, s'est reproduite depuis quelques années avec l'exaltation d'un sentiment long-temps comprimé, et fait attaquer par des esprits irréfléchis non seulement la royauté héréditaire, l'hérédité d'une magistrature sur laquelle se fonde l'hérédité du trône, mais même cette inévitable aristocratie des lumières et de l'expérience que la jeunesse a le chagrin de rencontrer partout où l'on voit des hommes de cinquante ans et au-delà. Cette effervescence ne sera pas de longue durée.
[4] En 1442.
[5] On pourrait faire la généalogie de presque tous les grands esprits qui ont acquis de la célébrité, comme on fait celle de tous les personnages de grand nom. Il n'y a pas un homme illustre depuis deux siècles dans les sciences ou dans les lettres, dont les ouvrages ne procèdent du talent ou du savoir d'un prédécesseur et dont on ne puisse faire la filiation, soit d'après ses aveux, soit d'après les rapprochemens de ses ouvrages avec ceux du même genre qui ont été publiés avant lui. Boileau descend d'Horace, Racine de Virgile, Molière de Plaute d'un côté, de Térence de l'autre; La Fontaine d'un côté de l'Arioste et de Bocace, de l'autre de Phèdre qui descend d'Ésope; La Grange et La Place descendent d'Euler, de Newton; Condillac descend de Locke, Locke de Bacon, Bacon d'Aristote.
[6] L'impératrice de Russie, le grand Frédéric, furent en correspondance suivie avec Voltaire, d'Alembert, Diderot et autres.
[7] En vain d'Anthiocus le luxe asiatique...
(Seizième édile. Traduction de Firmin Didot.)
[8] Vixêre fortes ante Agamemnona.
(Ode 9, liv. 4.)
[9]
Tous deux également nous portons des couronnes;
Mais, roi, je les reçois; poète, tu les donnes.
[10]
Sans le secours soigneux d'une muse fidèle,
Pour t'immortaliser tu fais de vains efforts...
(Épître première.)
[11] Bréquigny, Préface des ordonnances du Louvre.
[12] Sous Louis X.
[13] En 1305, sous Philippe-le-Bel.
[14] Les Bourguignons et les Armagnacs paraissent avoir tout conduit, tout animé de leur esprit, tout passionné pour leurs intérêts; ils ont été les agens, intéressés sans doute, mais souvent passifs, des intérêts d'autrui. S'il n'avait pas existé d'intérêts populaires, les ducs de Bourgogne auraient été bien peu de chose.
[15] Mémoire sur Louis XII, page 44.
[16] Sous le ministère du maréchal de Ségur.
[17] Que diriez-vous, disait à ce sujet M. Siéyès, si le législateur, avant de punir un scélérat du tiers-état, avait l'attention d'en purger son ordre en lui donnant des lettres de noblesse?]
[18] Déclaration du 23 juin 1789, art. 8, et instructions promulguées à la suite, art. 12.
[19] L'auteur écrivait en 1828.
[20] Elle ne fut point soumise à la sanction du peuple, mais elle était conforme aux cahiers; et les assemblées primaires y jurèrent fidélité en faisant les élections pour la première législature.
[21] On ne voit nulle part quel est le nombre des votans. Le rapport de Gossius, du 9 août 1793, dit que toutes assemblées de district ont accepté. Mais on voit dans les séances suivantes qu'on demande quelles seront les peines de la non-acceptation?
[22] 914,853 votes pour; 41,892 contre.—On vota dans les assemblées primaires sur cette question: Deux tiers de la convention passeront-ils dans le corps législatif? Il y a eu peu de votans, 167,758 pour, et 95,373 contre.
[23] Elle a eu 304,007 votes, et 1,562 contre.
[24] Elle a eu 3,521,675 votes pour, et 2,679 contre.
[25] Le 1er juin 1815, il n'était arrivé de votes que de 66 départemens, il en restait 20 en retard et plusieurs arrondissemens n'étaient point la règle. Dans les 66 départemens il y a eu 1,302,562 votans, 1,298,356 ont voté pour, et 4,206 contre. Si on ajoute seulement 200,000 cinquième ou un sixième de votans pour les départemens en retard, on aura 1,600,000 votans pour la constitution.
[26] Art. 5 de l'arrêté du 4 août 1789.
[27] Art. 5 de l'arrêté du 11 août 1789, promulgué le 3 novembre suivant; voyez au sujet de l'abolition de la dîme l'avant Moniteur, séance du 11 août.
[28] Constitution civile du clergé du 12 juillet, sanctionnée le 24 août suivant.
[29] Décret du 27 novembre 1790, accepté le 26 décembre suivant.
[30] 29 novembre 1791.
[31] 5 septembre 1791.
[32] 6 avril 1792.
[33] 25 mai 1792.
[34] 17 juin 1792.
[35] 30 août 1792.
[36] 2, 3, 4, 5, septembre 1792.
[37] 26 février 1790.
[38] 3 mars 1790.
[39] 19 juin 1790.
[40] 20 juin 1792.
[41] 30 juillet 1791.
[42] 27 août 1791.
[43] 8 novembre 1791.
[44] 9 février 1792.
[45] 30 mars 1792.
[46] 15 août 1792.
[47] 12 septembre 1792.
[48] 28 octobre 1792.
[49] 25 et 27 juillet, déclaration du duc de Brunswick.
[50] 23 octobre 1792.
[51] 30 octobre 1792.
[52] 11 novembre 1792.
[53] 4 et 5 octobre 1789.
[54] 17 avril 1790.
[55] Voici les propres expressions qu'on lit dans cette adresse concernant l'avanie du 17 avril: «Vous êtes entouré, sire, des ennemis de la liberté. Vous favorisez les réfractaires; vous n'êtes servi presque que par des ennemis de la constitution, et l'on craint que les préférences trop manifestes n'indiquent les véritables dispositions de votre cœur. Sire, les circonstances sont fortes. Que la nation apprenne que son roi a choisi pour environner sa personne les plus fermes appuis de la liberté; car aujourd'hui il n'est pas d'autres véritables amis du roi... Le conseil que vous offre le département de Paris vous serait donné par les quatre-vingt-trois départemens du royaume s'ils pouvaient se faire entendre aussi promptement que nous.»
[56] 27 août 1791.
[57] 15 juillet 1791.
[58] Le duc d'Orléans.
[59] 17 juillet 1791.
[60] 3 septembre 1791, acceptée le 13.
[61] 15 septembre 1791.
[62] 5 décembre 1791.
[63] Adresse du 5 décembre 1791.
[64] Ce comité se rassemblait chez la reine.
[65] 8 juin 1792.
[66] 18 juin 1792.
[67] Voir les procès-verbaux.
[68] 8 août 1792.
[69] 3 août 1792.
[70] Déclaration du 20 juin, au départ pour Varennes.
[71] Le premier, composé de députés de Bordeaux, fut par cette raison appelé Parti de la Gironde: le second, composé des députés les plus violens de toutes les parties du royaume, fut appelé la Montagne, parce qu'ils se plaçaient d'ordinaire sur les bancs les plus élevés de la salle. Les modérés se tenaient au fond.
[72] Jean-Bon-Saint-André termina ainsi son opinion sur le jugement du roi: «N'entendez-vous pas, législateurs, le cri de la France entière qui s'exprime par ces nombreuses adresses des départemens où l'on accuse notre lenteur? Ce sont vos commettans eux-mêmes, ce sont les assemblées électorales, les administrations de département et de district, les municipalités, tous les citoyens enfin qui élèvent simultanément leurs voix, et vous disent: Nous avons été long-temps malheureux, car l'auteur de nos maux est entre vos mains; nous vous avons remis le soin de notre vengeance: pourquoi tardez-vous à le punir?»
[73] On voit par un article de Charles Villette, adressé à ses frères les Parisiens, dans la chronique (premiers jours de 1793) quelle terreur inspirait la commune: «On assure, disait-il, que depuis huit jours plus de quatorze mille personnes ont quitté Paris, à cause des listes de proscription renouvelées contre les signataires des Campe, des Guillaume, des membres de la Sainte-Chapelle, et du club de 1789.
»D'abord on serait tenté de croire que ces quatorze mille dénoncés vont se fâcher très sérieusement contre cette poignée de brigands dénonciateurs... Point du tout, les bons Parisiens ont la complaisance de déguerpir, lorsque, la plupart armés de piques ou de baïonnettes, ils pourraient rosser les fabricateurs de listes, comme ils étrillent les soldats de Prusse ou d'Autriche.
»Après une si entière et si profonde résignation, faut-il s'étonner des massacres paisibles de septembre? On annonce de nouvelles visites domiciliaires sous le prétexte de découvrir des émigrés. Mes chers compatriotes vont sans doute s'y soumettre avec la même obéissance.»
[74] Baudin des Ardennes, dont le courage égalait les autres vertus, ne croyait pas, comme Jean-Bon-Saint-André, que la majorité de Paris voulût la mort du roi, mais il décrit bien la situation où le peuple égaré par la commune mettait les membres de la convention: «La liberté des législateurs, s'écrie Baudin, existe-t-elle quand la hache du 2 septembre peut encore se lever sur eux et quand chacun d'eux peut craindre pour sa tête s'il ne prononce que celle de Louis peut être abattue?» A-t-on droit d'exiger du commun des hommes, je dis même des hommes instruits et vertueux, ce courage qui affronte habituellement et les poignards et les outrages journaliers de la calomnie? La valeur guerrière qui se précipite au milieu des combats pour y chercher la victoire ou une fin glorieuse, peut-elle entrer en comparaison avec ce dévouement qu'exige la perspective des assassinats? (Dernières réflexions de Baudin, p. 8.)
[75] 12 août 1790.
[76] 9 mai 1790.
[77] 2 juillet 1790.
[78] 6 avril 1792.
[79] 27 mai 1792.
[80] 18 juin 1792.
[81] 26 août 1792.
[82] 2, 3, 4 et 5 septembre 1792.
[83] Il y a aujourd'hui 42 ans que la dîme est convertie en impôt.
[84] 26 février 1790.
[85] 23 mars 1790.
[86] 20 juin 1790.
[87] 30 juillet 1791.
[88] 9 novembre 1791.
[89] 7 février 1792.
[90] Décret du 30 mars 1792.
[91] 12 septembre 1792.
[92] 20 juin 1792.
[93] 25 août 1792.
[94] septembre 1792.
[95] 23 octobre 1792.
[96] 28 octobre 1792.
[97] 3 octobre 1791.
[98] 11 novembre 1792.
[99] 16 octobre 1789.
[100] 17 avril 1790.
[101] 22 juin 1791.
[102] 25 juin 1791.
[103] Page 64.
[104] Constitution du 3 novembre 1791, acceptée le 13.
[105] 17 juillet 1791.
[106] Voyez l'extrait imprimé du registre des délibérations du corps municipal, du 17 juillet 1791.
[107] 20 juin.
[108] Le peuple criait: voilà le Boulanger et la Boulangère.
[109] Le lecteur voudra bien ne pas oublier que ceci a été écrit à la fin de 1815. Voyez l'avertissement.
[110] J'ai établi ailleurs que la terreur, loin d'avoir contribué aux victoires de 1794, les aurait empêchées si quelque chose avait pu faire obstacle aux insurmontables causes qui rendaient nos armes invincibles.
D'abord il faut se rappeler que les premières armées de la révolution et ses premières victoires ont précédé la terreur; la terreur ne serait donc nécessaire pour expliquer la création d'armées nouvelles et de nouvelles victoires, qu'autant que les causes des premiers succès auraient cessé.
Mais elles n'avaient point cessé: 1o ces causes étaient d'abord l'inépuisable fabrique des assignats; 2o la rareté des subsistances et le manque d'ouvrage qui poussaient aux armées un grand nombre de soldats; 3o l'ardeur que donna aux troupes l'avancement aux grades militaires et aux commandemens en chef; 4o le génie qui se développa dans une multitude de jeunes généraux en qui l'ivresse d'un avancement inespéré se joignait au feu de la jeunesse, à des habitudes d'audace, à une émulation de vaillance jusque là inconnue.
On objectera que ce fut la terreur qui, en faisant périr nombre de vieux généraux, en mit de jeunes à la tête des armées. Mais on répond qu'il aurait suffi à la politique de destituer les premiers.
La création, la recrutement des armées, leurs succès n'ont pas même été le but du gouvernement révolutionnaire. Les Montagnards ont fait ce gouvernement, non pour procurer une armée à l'État, mais pour avoir la leur contre les Girondins. La terreur a été faite par une faction contre l'autre. On eût dit alors qu'il y avait deux nations différentes au service de la France, celle qui composait l'armée proprement dite, et celle qui composait l'armée révolutionnaire. La première était dirigée par Carnot, homme illustre par le talent et le caractère; l'autre par le comité de salut public; l'une était l'armée de la république, l'autre l'armée de la Montagne. L'une fut la consolation et l'honneur de la France; l'autre en fut l'opprobre et la désolation.
[111] Voici le décret du 27 mars 1793, qui fait le fond de toutes les lois postérieures concernant les suspects, et qui a fait la base de la justice pendant plus d'une année.
«La convention nationale, sur la proposition d'un membre, déclare la ferme résolution de ne faire ni paix, ni trève aux aristocrates et à tous les ennemis de la révolution; elle décrète qu'ils sont hors la loi, que tous les citoyens seront armés au moins de piques, et que le tribunal extraordinaire sera mis dans le jour en pleine activité.»
Fouquier-Tinville, lors de son jugement, disait: «Vous nous accusez d'avoir condamné, sans motifs suffisans, ou sans instruction suffisante des procès. Eh bien! si nous n'avons condamné que des aristocrates, la loi n'admet pas de nuances; elle n'admet pas même de procès pour eux; il n'y avait que l'identité des personnes à constater et tout ce qu'on a toujours fait au-delà était surabondant. Tout notre tort c'est d'avoir mis en tête de nos jugemens telle loi plutôt que celle du 27 mars; mais au fond, c'est la même chose...» Prudhomme fait, sur cette défense, l'observation suivante: «Ce que Fouquier n'avait pas osé faire une seule fois se pratiqua constamment sous les yeux de Tallien et Isabeau à Bordeaux. Tous les jugemens de la commission populaire avaient pour base ce décret de mise hors la loi.»
[112] Le 17 germinal an II, la commission révolutionnaire de Lyon a condamné à mort l'exécuteur des jugemens criminels de Lyon, Jean Ripet, âgé de cinquante-huit ans, l'un des plus infatigables bourreaux de la révolution. Il a été exécuté par son frère, exécuteur des jugemens criminels de l'Isère qui l'aidait précédemment dans ses exécutions militaires à Lyon.
TABLE DES MATIÈRES.
| Avertissement | j |
| Lettre à Monseigneur le duc d'Orléans | vij |
| L'Esprit de la révolution | 1 |
| Appendice.—De la terreur | 193 |
| Note | 222 |
| Édit de juillet 1717 | 229 |
| Extrait du mandement de l'archevêque de Reims, à l'occasion du sacre de Charles X |
234 |
FIN DE LA TABLE.