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L'Humanité préhistorique

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CHAPITRE IV

LES INDUSTRIES NÉOLITHIQUES

Avec l'industrie néolithique, nous voyons, dans le monde entier, surgir des innovations sans nombre; il apparaît clairement que cette phase du développement de l'intelligence humaine fut celle qui ouvrit au progrès ses véritables voies. Le polissage des matières dures qui, nous l'avons vu, était appliqué à l'os et à l'ivoire, dès le pleistocène, dans les industries solutréenne et magdalénienne, est alors général; il devient d'usage pour aiguiser les roches les plus dures, le silex, le jade, la diorite, la syénite, etc., et leur donner une forme reconnue pour être la mieux adaptée à la destination des instruments. L'homme, toujours chasseur et guerrier, façonne les pointes de ses flèches de mille manières; mais le plus souvent, il s'inspire du harpon d'antan, et les munit de barbelures (fig. 28). Il ne se contente plus des peaux de bêtes pour se vêtir, mais tisse la laine et les fibres des plantes, perfectionne ses arts céramiques, asservit les animaux à ses volontés, élève le bétail, se construit des demeures sur terre et sur les eaux, creuse des pirogues, enfin cultive les céréales. Les portes sont grandes ouvertes pour qu'il entre véritablement dans le progrès; il lui suffira de développer ses connaissances, d'améliorer ses moyens de fabrication et, le jour où paraîtra le métal, il sera définitivement sorti de la barbarie.


Fig. 28.—Pointes de flèche.—1-8, Abydos (Coll. de l'auteur, don au Musée de St-Germain).—9-14, Ouargla (récolte Pézard).—15. Suse (Musée de St-Germain).—16, Alcala (Portugal).—17, Gironde (S.-G.).—18, Aveyron (S.-G).—19, Dolmen de Gourillach (Finistère).—20, Fayoum.—21, Californie (obsidienne).—22, Aveyron.—23, (id.).—24, Finistère.—25, Loir-et-Cher.—26, Abruzzes (Italie).—27, Aube.
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En même temps qu'il améliore sa vie, sa pensée se développe, il cherche le pourquoi des choses et, de ses méditations en présence des phénomènes de la nature, des incidents de l'existence, s'affirment des idées religieuses ou superstitieuses, ses sépultures témoignent d'une croyance à la seconde vie, l'architecture commence avec les pierres levées et les dolmens, les allées couvertes. L'ouvrier devient mineur, va chercher dans le sein de la terre de belles matières afin d'en faire ses outils et ses armes, il creuse le sol, attaque les bancs géologiques, et cette matière première, ce silex devient un objet de commerce très étendu, parce qu'il manque dans bien des régions. De vastes ateliers se créent pour alimenter l'exportation de la pierre taillée. Les beaux silex de Spiennes et du Grand Pressigny vont jusqu'en Suisse et l'ambre arrive en Gaule de pays lointains. Enfin l'homme protège ses agglomérations au moyen d'enceintes fortifiées, s'établit dans des Acropoles.

Les arts glyptiques, disparus avec les Magdaléniens, leurs auteurs, sont remplacés par de grossières représentations de l'homme lui-même, de ses armes, et par des ornements géométriques indignes de la perfection qu'atteint la taille de la pierre. En Égypte, en Scandinavie, grâce à l'abondance et à la belle qualité du silex dans ces pays, cette pierre se transforme en véritables œuvres d'art, sous forme de couteaux, de poignards, de têtes de javelots et de lances, de pointes de flèches, et les ouvriers deviennent si habiles qu'ils taillent même des bracelets légers et minces comme s'ils étaient faits de métal. Dans la vallée du Nil, dans les pays élamites, en Syrie, en Crète, dans l'Hellade d'aujourd'hui, la poterie peinte se montre, semblant n'être que la descendance d'arts plus anciens, dont les origines sont encore mystérieuses.

Mais, suivant les régions et suivant les peuples qui les habitent, il s'établit une foule de foyers de la culture néolithique, chacun possédant ses qualités propres, ses caractéristiques. Les types des instruments diffèrent d'un pays à un autre[116], au point que, pour un ethnologue accoutumé à manier les silex travaillés, il est aisé de distinguer, à première vue, la provenance de chacun d'eux.

La multiplicité des foyers néolithiques ne fait aucun doute; mais il nous serait impossible de fixer la position géographique d'un seul d'entre eux et, bien certainement aussi, ces divers centres ont souvent réagi les uns sur les autres. Les peuples, dans le monde entier, étaient, après les temps quaternaires, fort mélangés; aussi leurs industries s'enchevêtrent-elles d'une manière désespérante pour celui qui s'efforce de trouver les origines même d'un seul des groupes humains.

La propagation de l'ambre, matière nordique, jusque dans notre occident, montre combien étaient étendues les relations d'alors, et bien des preuves viennent nous convaincre que dans ces temps encore de grands mouvements de peuples vinrent, à bien des reprises, changer la face des choses en Europe. L'histoire légendaire nous entretient de quelques-uns de ces mouvements.

Si le milieu recevant était compliqué par le fait de migrations antérieures, le flot envahisseur ne l'était pas moins. Il y eut sûrement une multitude de mouvements qui, ne touchant que les voies naturelles, se recouvrirent, se croisèrent, laissant entre eux de vastes espaces indemnes de leur action directe. Il semble, en effet, certain que ce ne sont pas les mêmes hommes qui élevèrent les monuments mégalithiques, et qui bâtirent les villages lacustres; que les divers types de l'industrie néolithique, répondant à des tendances différentes, impliquent la diversité des origines ethniques. Et, côte à côte, on rencontrait alors, comme parfois encore de nos jours, des cultures très diverses comme développement. L'examen des diverses tribus Peaux-Rouges de l'Amérique méridionale en fournit aujourd'hui même de frappants exemples, et les colonies hollandaises de la Malaisie montrent pour le moins trois degrés d'avancement continuant à persister, quoique les trois classes d'hommes vivent côte à côte. Pour ne parler que de l'Occident européen, n'est-il pas concluant de constater qu'en France et en Angleterre la hache néolithique polie est arrondie sur les côtés, que dans les pays scandinaves et la Finlande, le nord de l'Allemagne, les îles de la mer Baltique, elle est taillée et polie carrément sur ses bords, que dans les palafittes son tranchant seul est poli, et qu'en Italie elle porte une large rainure?


Fig. 29.—Armes et outils néolithiques de l'Amérique du Nord.
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En se généralisant, le problème devient plus insoluble encore; car le monde entier, ou presque entier, a connu la hache en pierre polie, comme il a connu le coup de poing de type acheuléen: mais, alors que le coup de poing est à peu de chose près du même type dans toutes les régions, il n'en est pas de même pour la hache polie dont la forme varie à l'infini, tout en conservant les mêmes principes statiques.

De même que pour l'étude des industries quaternaires, celles relatives aux cultures néolithiques sont encore cantonnées dans les pays européens, asiatiques de l'Ouest et africains du Nord; car ce que nous savons du reste des vieux continents et du Nouveau Monde (fig. 29) est encore bien imprécis. En Amérique, toutes ces civilisations, si compliquées dans certaines régions, si primitives dans d'autres, toutes comprises sous la vague appellation de pré-colombiennes, ne nous sont connues ni par leur étendue géographique, ni par leur époque, alors que pour celles de l'Ancien Monde, nous commençons à voir plus clair non seulement dans leur étendue, mais aussi dans leur succession pour chaque région.


Fig. 30.—Outillage néolithique de la Scandinavie (Danemark et Scanie).
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Dans les pays scandinaves (fig. 30), on constate aux débuts l'existence d'une industrie dans laquelle la hache est entièrement polie, ou polie seulement sur son tranchant; puis vient l'apparition de la hache percée, ou hache-marteau, dénotant une habileté consommée dans le travail de la pierre; enfin l'établissement d'une phase de transition répondant à l'apparition du métal (industrie énéolithique).

En Espagne[117], on distingue trois époques: une industrie locale, d'aspect archaïque, avec quelques objets polis, probablement importés, répondant à l'époque des kjœkkenmœddings portugais (industrie mésolithique?), mais non pas à celle de la civilisation analogue en Scandinavie; ensuite, le plein développement du travail de la pierre polie et de la poterie ornée, cette industrie rappelant beaucoup comme art et comme technique, celle des premières villes d'Hissarlik; enfin vient l'apogée de la taille du silex et le commencement des métaux (énéolithique).

En Suisse, l'industrie lacustre comprend trois périodes successives: tout d'abord celle des haches, petites, à peine polies, fabriquées en roches indigènes; les os sont alors travaillés d'une façon rudimentaire et la poterie, grossière, n'est pas ornée (fig. 31); puis vient l'industrie des haches plus grandes, simples ou perforées, de matière souvent étrangère à la Suisse; la poterie, moins grossière, est alors simplement ornée. Enfin paraissent les haches-marteaux perforées, qui abondent dans certaines stations; le travail de la pierre, de l'os, de la corne est dès lors à son apogée; on ne voit plus de roches étrangères, la poterie s'orne de plus en plus; le métal fait son apparition (énéolithique).


Fig. 31.—Outillage néolithique des Cités lacustres.
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1, 2 et 3, Haches polies seulement au tranchant (lac de Neuchâtel) (1/3 G. N.).—4, Manche de hache (lac de Neuchâtel) (1/3 G. N.).—5, Hache emmanchée (lac de Neuchâtel) (1/4 G. N.).—6, Id., lac de Chalins (1/4 G. N.),—7, Herminetie (lac de Bienne) (1/4 G. N.).—8, Ciseau, Latringeu (Suisse) (1/2 G. N.).—9, Hache-marteau (lac de Neuchâtel) (1/3 G. N.).—10, Arc (Robenhausen, Suisse) (1/8 G. N.).—11, Pointe de flèche (lac de Neuchâtel). (G. N.).—12, Massue en bois d'if (Robenhausen) (1/6 G. N,).—13, Poignard en bois d'if (Robenhausen) (1/2 G. N.).—14, Poinçon en os (lac de Neuchâtel) (1/2 G. N.).—15, Poinçon en bois de cerf (lac de Chalins) (1/2 G. N.).—16, Scie montée en bois (Robenhausen) (2/3 G. N.).—17, Id. (lac de Moosseedorf) (2/3 G. N.).—18, Racloir en silex (lac de Neuchâtel) (2/3 G. N.).—19, Pointe en silex (lac de Neuchâtel) (2/3 G. N.).—20, Épingle en os (lac de Neuchâtel) (1/3 G. N.).—21, Aiguille en os (lac de Neuchâtel) (1/3 G. N.)


Fig. 32.—Couteaux de silex Messawiyeh (Haute-Égypte) (Fouilles Garstang).
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Fig. 33.—Pointes de silex de la Haute-Égypte
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1 et 2, Adimiyeh (Rech. Henri de Morgan).—3, 4 et 5, Négadah (Rech. Flinders Petrie).

En Italie, où l'on ne rencontre jamais de haches polies en silex, où toutes sont façonnées dans des roches dures, il semble que dans cette péninsule, deux courants néolithiques se soient réunis: l'un venant du Jura et de la Suisse, qui, traversant les Alpes, serait descendu dans la vallée du Pô et du Tessin, sans dépasser le Pô; l'autre arrivant du bassin du Danube, par l'Istrie, l'Émilie et la Vénétie, se serait avancé, en longeant les côtes adriatiques, jusque dans l'Apulie.


Fig. 34.—Haches en pierre polie. Tépéh Goulam (Poucht é Kouh et Louristan).
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Pour la France, le sud de l'Angleterre et la Belgique[118], il semble que nous devons adopter trois divisions: tout d'abord une industrie très voisine du Campignien, mais possédant la hache polie et la tête de flèche caractéristique du néolithique; ensuite celle de la hache-marteau, correspondant à l'introduction des roches étrangères et à l'apogée dans la taille du silex; enfin l'emploi du métal concurremment avec l'industrie précédente; la poterie s'améliorant au cours de ces trois phases.


Fig. 35.—Hache-marteau en serpentine—Chaldée. (Coll. de l'auteur, Musée de St-Germain).
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En Égypte (fig. 32 et Fig. 33)[119], il n'y aurait eu que deux phases, celle de la hache polie du type européen, dans laquelle le silex fait seul tous les frais de l'outillage[120], et la période énéolithique dans laquelle le travail du silex atteint son apogée. Alors se trouve en même temps l'emploi des roches dures et du métal; la poterie ornée de peintures à l'ocre rouge atteint sa plus grande perfection. Nous verrons plus loin que l'usage du métal dans la vallée du Nil et les arts semblent être venus de l'Asie.

En Élam (fig. 34) et dans la Chaldée (fig. 35 et 36), on rencontre également deux phases, celle de la hache polie du type européen[121], quoique plus plate, et l'industrie énéolithique, avec son admirable céramique peinte déjà très stylisée, ses instruments variés, ses haches-marteaux, ses pointes du type solutréen et ses armes et ustensiles métalliques très primitifs.


Fig. 36.—Instruments de silex.—Yokha (Chaldée). Coll. de l'auteur (Musée de St-Germain).
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Le Sahara et la Tunisie (fig. 37) montrent une industrie qui offre beaucoup d'analogie avec celle de l'Égypte, mais on n'y rencontre pas ces grandes lames merveilleusement ouvrées de la vallée du Nil. L'industrie de la Palestine est plus proche parente de celle de l'Égypte (fig. 38) que celle du Nord de l'Afrique.


Fig. 37.—Néolithique du Sahara (Rech. Pézard) (environs de Ouargla). 1 et 3, Coquille d'œuf d'autruche.—2, Silex blond opaque.—4, Silex brun veiné de noir.—5, Silex gris, patine blanche.—6, Silex blond opaque.—7 à 9, Silex jaune translucide.—10, Silex blond opaque.—11, Silex opalin translucide.—12, Silex jaune.—13, Silex opalin translucide.
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Fig. 38.—Instruments néolithiques, de la Palestine.
1-3, Sour Baher (Jérusalem).—4-5, Vallée d'Hesban (d'ap. Vincent.)
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Là, à peu de chose près, se bornent nos connaissances quant à la division des industries néolithiques dans les pays explorés jusqu'à ce jour. Comme on le voit, l'évolution de chaque pays a été indépendante dans ses grandes lignes; mais aussi les différences constatées sont souvent dues à des influences étrangères.

Quant à l'âge que l'on peut assigner à l'industrie néolithique, il est naturellement variable suivant les pays. O. Montelius, s'appuyant sur la stratigraphie du Tell de Suse et sur les observations de même ordre faites en Égypte, accorde vingt mille ans à l'apparition de la hache polie en Élam et dans la vallée du Nil. Cette estimation est beaucoup trop élevée, car elle accorderait douze mille ans environ à la durée de la phase néolithique pure dans ces deux pays, et l'importance des restes laissés par cette industrie, en Égypte comme en Susiane, ne légitime aucunement cette appréciation. Toutefois nous devons avouer que nous ne possédons pas de base pour fixer chronologiquement les débuts de cette culture dans aucun pays. Par suite, toute appréciation à cet égard ne peut être que du domaine de l'imagination.

En ce qui concerne la limite inférieure, nous sommes moins mal renseignés, parce que nous approchons des temps historiques. En Chaldée, c'est vers la fin du sixième millénaire avant notre ère, que le métal serait venu mettre fin à l'industrie néolithique dans cette région, si toutefois elle a jamais existé, ce que je considère comme très peu probable, et il en aurait été, à peu de chose près, de même en Égypte[122]; tandis que c'est, au plus tôt, au xxxe siècle, que serait née la civilisation égéenne, et que la Scandinavie n'aurait connu le bronze qu'au xviiie ou xxiie siècle avant J.-C. En Gaule, en Suisse et dans les pays limitrophes, c'est vers le xxve siècle que se serait passée cette évolution; alors que la Finlande aurait, vers le ve, ou même le iiie siècle avant le Christ remplacé ses armes de pierre par des instruments de fer, sans passer par l'intermédiaire presque général du cuivre et du bronze, et que bien des tribus de la Polynésie et d'autres régions, découvertes par les Européens dans les temps modernes, auraient attendu jusqu'au xviiie siècle ou au xixe siècle après J.-C. pour mettre de côté la hache de pierre et prendre l'arme à feu. Nous avons vu précédemment que la Basse-Chaldée semble n'avoir jamais connu l'homme en possession de l'industrie néolithique proprement dite; qu'au moment où elle s'est peuplée, et que déjà les habitants des montagnes qui la bordent au nord-est et au nord connaissaient le cuivre.

Dans une semblable étude, n'ayant en vue que l'exposé d'ensemble des progrès de l'humanité, il serait hors de propos d'entrer dans la description des innombrables industries néolithiques des régions diverses; nous donnons en figures les principaux types de quelques-unes d'entre elles, et le lecteur jugera par lui-même des caractéristiques. Nous ferons cependant remarquer qu'aucun pays n'a jamais atteint la perfection de l'Égypte et des pays scandinaves dans l'art de tailler la pierre, et les ouvriers de la vallée du Nil dépassaient de beaucoup en habileté ceux du Danemark et du sud de la Suède. Toutefois, dans l'une comme dans l'autre de ces deux régions, il est fort possible qu'à l'époque de la fabrication de ces admirables instruments, tant en Scandinavie qu'en Orient, le cuivre ait été déjà connu, bien qu'on ne le rencontre pas en Danemark et qu'en Égypte on trouve les mêmes silex taillés avec et sans le métal.

Toutefois, avant d'en terminer avec les industries néolithiques, nous montrerons, en citant un certain nombre de formes de haches polies, combien sont variables ces instruments (fig. 38).

Les types n° 1 et n° 2, très répandus en Europe, se rencontrent aussi en Asie antérieure et aux Indes, entre autres pays, alors que la forme n° 5, avec ses flancs carrés, caractéristique des pays scandinaves, du nord de l'Allemagne et de la Finlande, se trouve aussi, quoique plus exceptionnellement, dans nos pays occidentaux. La forme n° 6, en pierre dure, syénite, diorite, etc., est universelle; le type n° 7 est rare en Occident, de même que les formes nos 8 et 9, n° 10 et 18 se rencontrent en Élam et en Chaldée, caractérisées par ce fait que l'instrument est plus plat, moins renflé que dans nos pays. Le type n° 12, qui est rare en Europe, se rencontre aux Antilles, alors que le n° 13, très spécial, semble être particulier à l'Indo-Chine. Les nos 15 et 16 sont abondants aux États-Unis, mais on les connaît aussi de l'Europe et de l'Asie. Les mines de sel de Koulpi, dans la Transcaucasie, ont fourni quelques-uns de ces instruments.

Le type n° 17 semble être spécial à l'Élymaïde et celui n° 19 à l'Égypte; on connaît des instruments métalliques présentant ces formas; mais l'outil de métal a-t-il été copié sur celui de silex ou bien est-ce l'inverse qui a eu lieu? Nous ne saurions en décider. Puis vient la hache (ou tranchet) plate sur une face, très spéciale à la vallée du Nil, bien qu'elle soit inspirée du même principe que le tranchet campignien.


Fig. 39.—Diverses formes de haches néolithiques.
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1, France et tout l'Occident de l'Europe.—2, Id. type le plus fréquent.—3, Jadéite (Seine-et-Marne).—4, Id. (Bretagne).—5, Type le plus fréquent en Scandinavie, en Finlande, dans le nord de l'Allemagne; existe aussi dans l'Occident européen.—6, Extension universelle.—7, Occident européen, rare.—8, Id. rare.—9, Id. rare.—10, Susiane et Chaldée, type plat arrondi sur les côtés—11, Jadéite (Gers).—12, Antilles.—13, Cambodge.—15, États-Unis.—16, Id. Asie intérieure,—17, Susiane.—18, Id. type très plat.—19, Égypte.—20, type plat d'un côté.


Fig. 40.—Emmanchement des haches de pierre polie.
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1, La Lance (Musée de St-Germain. don de l'auteur).—2. Seeland (Danemark).—3, Clairvaux (Jura).—4, Baie de Penhouët (Loire-Infre).—5, La Lance (Suisse).—6, Gavr'inis (Morbihan).

Enfin les nos 3, 4 et 11 figurent des instruments de jadéite, matière considérée jadis comme ayant été exportée en Gaule de pays très éloignés (de Sibérie?), mais regardée aujourd'hui comme indigène de nos pays.

La hache polie était emmanchée, nous en possédons de nombreux exemplaires munis de leur manche (fig. 40, nos 1 à 5) et, dans les sculptures contemporaines de l'industrie néolithique, nous les voyons figurer (fig. 40, n° 6). Le plus souvent, la hache pénétrait dans un morceau scié et creusé de bois de cerf et ce bois de cerf lui-même, le plus souvent, était fixé en travers d'un manche de bois. Quant aux instruments munis d'une rainure, ils étaient emmanchés directement dans le bois. Les outils tels que scies, gouges, tranchets, racloirs, burins, étaient très fréquemment emmanchés soit dans du bois, soit dans de la corne ou de l'os.

Parmi les armes les plus fréquentes, et en même temps les plus variées de l'industrie néolithique, il faut citer les pointes de flèches qui, dans la plupart des stations, se rencontrent en très grand nombre, en tous pays du monde. La variété des formes est infinie, et encore ne possédons-nous que les têtes de flèches en silex et quelques-unes en os; celles faites en bois, en corne, en arêtes de poissons ont disparu.


Fig. 41.—Emmanchement des pointes de flèches en silex.
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1, Californie, d'après A. de Mortillet.—2, Hélouan (Basse-Égypte).—3, Abydos.—4 et 5, Abydos (d'après Flinder Petrie).—7 et 8, Flèches à tranchant de la période égyptienne historique. (Coll. de l'auteur.—Musée de St-Germain).

L'emmanchement de ces pointes de flèches (fig. 41), lui-même, était très varié; nous en possédons quelques spécimens soit antiques, soit parmi les collections ethnographiques de nos musées.

On remarquera que la tête de flèche tranchante, en usage chez les Égyptiens aux temps historiques (fig. 41, nos 6, 7 et 8) (Moyen Empire), était déjà employée par les contemporains de la première dynastie (fig. 40. nos 4 et 5), qui avaient fait de cette arme une véritable œuvre d'art. Mais, à côté de ces belles têtes de flèches, il en était certainement d'autres, composées d'un simple éclat sans retouches, dont nous rencontrons sans doute de nombreux spécimens sans comprendre leur usage. Et il en est sûrement de même pour une foule d'instruments appartenant à toutes les industries de la pierre, quelque peu retouchés ou même sans retouches, dont l'emploi demeure inconnu.

Ainsi les formes néolithiques varient à l'infini et se partagent en une foule de districts, en époques très variées. Il est de ces industries qui sont fort anciennes, il en est d'autres qui sont nos contemporaines, mais, quel que soit leur âge, quelque soit leur pays, toutes reflètent les mêmes pensées, chez les ouvriers qui les taillaient; et, par suite des exigences de la matière, toutes présentent un air de parenté, bien que dans la plupart des cas ces diverses industries soient absolument indépendantes les unes des autres.

CHAPITRE V

LES INDUSTRIES ÉNÉOLITHIQUES

Les archéologues italiens ont donné ce nom à la phase industrielle dans laquelle, aux instruments néolithiques, se joignent quelques objets métalliques. Cette phase caractérise la transition entre l'usage de la pierre taillée et celle du bronze. Elle ne connaît pas les alliages, mais seulement deux métaux, le cuivre et l'or, existant à l'état natif dans tous les pays du monde.

Il ne faut pas cependant comprendre dans l'industrie énéolithique les instruments de cuivre simplement forgés, tels ceux des Indiens de l'Amérique du Nord; ces objets appartiennent à la culture néolithique, le métal n'ayant pas été fondu, mais jouant seulement le rôle de minéral malléable. Par phase énéolithique on entend donc celle résultant des premiers pas de la métallurgie.

Les instruments de cuivre pur ont été en usage plus ou moins longtemps dans presque tous les pays: on en rencontre dans l'Europe entière, en Asie jusqu'aux Indes et, peut-être, plus loin encore vers l'Orient, mais ils semblent faire défaut au Japon, dans toute l'Afrique, sauf l'Égypte, et naturellement en Océanie, région dans laquelle la pierre taillée était encore en usage de nos temps.

Le cuivre a-t-il été découvert en un seul pays d'où sa connaissance aurait rayonné sur les autres régions, ou les foyers de sa découverte sont-ils multiples? C'est ce que nous ne saurions dire d'une manière certaine; cependant, comme on le rencontre à la base de toutes les civilisations, il est à croire que c'est dans les pays des plus anciennes cultures que se sont formés les foyers, peut-être secondaires, mais d'où cependant la précieuse découverte se serait répandue de par le monde.

Or ces pays à culture très ancienne sont fort peu nombreux. Seules la Chaldée, la Susiane, l'Égypte et les îles Égéennes peuvent entrer en ligne de compte par leur antiquité.

Cette antiquité, en ces dernières années, a été rajeunie de mille ans par les savants allemands[123] qui se refusent à reconnaître la vieille chronologie de Nabonid, et cette thèse a été acceptée en France par bon nombre d'archéologues[124]. Mais cette nouvelle théorie, que d'ailleurs on tend maintenant à abandonner, ne laissant pas à la civilisation orientale le temps nécessaire à son développement et aux dynasties celui de s'étendre sans chevaucher par trop les unes sur les autres, nous conserverons les anciennes évaluations chronologiques.


Fig. 42.
Ivoire. Tombe du roi Qa (1re dynastie).—Flinders
Petrie, The Royal Tombs, 1900.
Part I, pl. XII, fig. 12, 13.
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Dans ces conditions, c'est dans la seconde moitié du cinquième millénaire avant notre ère que serait née la culture pharaonique. Toutefois le problème se pose de savoir si cette culture est indigène ou bien si elle provient d'influences étrangères. Nous allons montrer comment, de très bonne heure, aux temps de l'industrie néolithique en Égypte, la vallée du Nil a été soumise à des influences asiatiques, probablement même occupée pour un temps par des populations venues des régions mésopotamiennes, et que ces conquérants auraient apporté dans ce pays la connaissance du cuivre. Nous verrons plus loin que c'est également à cette époque que paraissent avoir débuté les arts céramiques chez les Pré-Égyptiens.


Fig. 43.—Représentation de l'homme au début de l'époque pharaonique (D'après Flinders Petrie, Royal Tombs, 1901).
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Dans la tombe du roi Qa, de la Ire Dynastie, Fl. Petrie[125] a découvert une plaque d'ivoire représentant un captif de type asiatique (fig. 42), bien que l'auteur le pense être libyen. D'autres figurations de la même époque (fig. 43) montrent que déjà les artistes tenaient grand compte des caractères ethniques dans leurs représentations. Ailleurs, sur une plaque de schiste du Musée britannique (fig. 44), on voit en haut à droite un personnage vêtu d'une longue robe de caractère asiatique, qui pousse devant lui un captif nu, alors qu'à gauche un autre personnage nu s'enfuit; dans le champ on voit des carnassiers et des rapaces dévorant les cadavres à la suite d'une bataille. Les vaincus sont des Africains, ils portent la barbe à l'égyptienne et ont les cheveux crépus; il est à croire qu'en ces temps primitifs la race qui peuplait les bords du Nil n'était pas de type pharaonique, et que, s'il existait des hommes aux cheveux lisses, ils étaient cantonnés vers le nord, dans le delta en formation.


Fig. 44.—Palette de schiste archaïque égyptienne
(Musée britannique).
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Ces documents, et il en existe beaucoup d'autres, montrent, à n'en pas douter, que l'Égypte, vers l'époque de sa première dynastie, plutôt avant qu'après, a été le théâtre d'une lutte entre deux peuples de races distinctes, et renseignent sur la nature et l'origine des envahisseurs.

Il en est de même quand on compare les fig. 45 et 46, dans lesquelles nous avons groupé les principales formes industrielles et artistiques communes à l'Égypte anté-pharaonique, à la Chaldée et à l'Élam. On conviendra que les analogies sont telles qu'on ne peut nier l'influence de l'une des civilisations sur l'autre. Or la présence de la divinité asiatique en Égypte (nos 2, 3, 5, 6, 27, 33) et du cylindre-cachet qui, comme on le sait, est d'origine chaldéenne, ne peut laisser de doutes au sujet du foyer d'où serait partie la culture qui se transforma plus tard en civilisation pharaonique.


Fig. 45.—Principaux objets archaïques égyptiens.
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Il est donc à penser que c'est de la Chaldée que vint en Égypte et sur les côtes asiatiques de la Méditerranée, la connaissance du cuivre (fig. 47). Mais cette déduction ne nous avance pas quant au pays d'origine de la découverte de ce métal (fig. 48): car nous n'avons jamais rencontré dans la Chaldée comme dans l'Élam, comme sur le plateau iranien (fig. 49), de traces certaines de l'industrie néolithique pure et nous savons, par l'étude de la formation du delta des fleuves chaldéens, que ces parages n'ont été que relativement tard aptes à recevoir l'homme. Ce n'est donc pas en Chaldée, ni dans l'Iran qu'ont eu lieu les premiers essais métallurgiques. Il n'en demeure pas moins que, suivant toute vraisemblance, bien que nous ne connaissions pas encore le point initial de la métallurgie, l'Asie Antérieure a été pour le moins l'un des principaux foyers secondaires propagateurs de la connaissance du métal.

Des côtes méditerranéenes et de l'Asie centrale les types principaux de l'outillage en cuivre se seraient répandus dans les îles méditerranéenes en premier lieu, puis dans l'Europe occidentale, peut-être même centrale et nordique, se modifiant suivant les innombrables cultures néolithiques dans lesquelles ils pénétraient, mais conservant leurs caractères principaux, ceux de la hache plate et du poignard triangulaire; et si quelques rares objets égyptiens, phéniciens ou égéens sont parvenus jusqu'aux confins de l'Europe, ce ne fut jamais qu'exceptionnellement: c'est la connaissance des procédés métallurgiques qui s'est répandue et non l'objet lui-même. Le métal circulait probablement sous forme de lingots, ainsi qu'on l'a constaté pour le bronze, qu'on exportait tout préparé, contenant la bonne proportion d'étain.

Il paraît aujourd'hui prouvé que c'est en même temps du Sud et de l'Est qu'est parvenue en Gaule la connaissance du cuivre, qu'elle nous est venue de la mer Noire et de l'Égée, pays où, suivant les spécialistes des questions égéennes, cette industrie aurait débuté vers le commencement du troisième millénaire avant notre ère; mais, naturellement, sa propagation jusqu'aux îles Britanniques et à la Scandinavie aurait exigé de longs siècles. Nous ne contredirons pas ces auteurs en ce qui regarde l'âge de la civilisation dans les îles méditerranéenes, pas plus que dans l'Europe occidentale.


Fig. 46.—Principaux objets archaïques susiens et chaldéens.
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Fig. 47.—Industrie pré-pharaonique de la Haute-Égypte.
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Fig. 48.—Industrie énéolithique des temps historiques en Égypte. Objets de la 1re dynastie pharaonique.
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Quant à l'or, on le rencontre aussi anciennement employé que le cuivre, dont il est le compagnon dans presque toutes les stations et dans les sépultures énéolithiques. La tombe de Ménès, à Négadah, contenait une perle-spirale d'or, fort pesante. De même, dans les sépultures de Mugheïr (Ur de la Bible) et de Warka (Erech) les tombes renferment en même temps que des outils de pierre et de cuivre (quelquefois aussi de bronze), de grossiers bijoux d'or.

Quoique les découvertes soient, de jour en jour, plus nombreuses, nous sommes encore bien insuffisamment renseignés sur l'extension et la durée des industries énéolithiques; ce n'est que par de très nombreuses analyses chimiques qu'il sera possible d'être à même de se prononcer; car l'usage du bronze venant se greffer sur celui du cuivre, on trouve fréquemment des mélanges d'instruments de pierre, de cuivre et de bronze. Aussi la plupart des archéologues, tout en reconnaissant l'existence d'une industrie du cuivre et en la plaçant dans la dernière phase néolithique, ne la distinguent-ils que peu[126] ou point[127] de celle du bronze.

L'apparition du métal (fig. 50) ne donna pas lieu, comme on serait tenté de le penser, à une révolution dans l'ordre de choses établi; elle se fit lentement et par contact, dans la majeure partie des cas, plutôt que par invasion, et peu à peu s'infiltra dans les milieux néolithiques. Au début, les armes et les instruments métalliques furent peu nombreux, par suite de la rareté du cuivre qui, tout d'abord, n'entra chez les peuples que par le commerce; on copia les formes des outils de silex et, parfois aussi, ce fut l'inverse qui eut lieu. Puis, la métallurgie s'établissant dans les pays miniers, et les relations commerciales s'étendant, la plupart des types de pierre disparurent: mais cette substitution du métal à la pierre fut très irrégulière et très lente, la pierre taillée continua d'être en usage pendant longtemps encore; on l'employait pour armer les projectiles qui, par leur destination même, devaient être perdus. C'est ainsi que, même au temps où le fer était connu dans tout l'Ancien Monde, les pointes des flèches et des sagaies se fabriquaient en pierre en même temps qu'en métal. Puis, dans certaines pratiques rituelles, l'usage de la pierre demeura de rigueur; il persista même pendant des milliers d'années. L'éviscération des momies, en Égypte, se faisait au moyen d'une lame de silex[128] et, chez les Asiatiques, il en était de même pour la circoncision[129]. Cette dernière application de la pierre permet de comprendre l'importance que prit dans les pays égéens le travail de l'obsidienne en vue de l'exportation.


Fig. 49.—Tépéh Goulam (Poucht é Kouh).
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Fig. 50.—1, Sépulture énéolithique de Fontaine-le-Puits (Savoie).—a, Pointe de javelot.—b, c, Haches en jadéite.—d, Lames et tranchets.—e, Lames et grandes pointes de flèches.—f, 10 pointes de flèches en silex.—g, 22 pointes de flèches en silex.—h, Défenses de sanglier.—k, Hache plate en cuivre (n° 2).—m, Poignard en cuivre (n° 3).—n, Poinçon en cuivre.—p, Coquillage.—q, Pendeloque en cuivre.—4, Suse, cuivre.—5, Île de Crète, id.—6, Hissarlik, id.—7, Espagne (cuivre).—8-11, Adimeiyeh (Égypte), id.

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L'industrie énéolithique n'est donc pas, à proprement parler, une étape bien définie de la culture humaine; elle n'est qu'une phase de transition, et nulle part l'apparition du cuivre ne modifia les mœurs et les usages des néolithiques; elle ne représente ni une époque, ni une durée, car sa propagation fut irrégulière dans ses progrès suivant les lieux, et l'apparition du bronze s'étant produite de même manière, il en résulte que certaines régions demeurèrent beaucoup plus longtemps que d'autres, la Hongrie, par exemple, dans cet état transitoire.

Il est à remarquer que le métal, aux débuts, étant une matière extrêmement précieuse, on le ménageait avec grand soin et que, par suite, beaucoup de stations que nous considérons comme étant néolithiques parce que le cuivre y fait défaut, appartiennent cependant à l'industrie énéolithique; quelques archéologues sont même d'avis que les dernières phases de la pierre polie, chez les divers peuples, doivent toutes être rangées dans l'industrie naissante du métal; je ne suis pas éloigné de partager cette opinion en ce qui regarde l'Égypte et le nord de l'Afrique.

CHAPITRE VI

LES INDUSTRIES DU BRONZE

La découverte des métaux et la métallurgie.—Le bronze est un alliage de cuivre et d'étain. Ce mélange possède des qualités de dureté très supérieures à celles du cuivre rouge, métal mou qui se martèle aisément; le bronze est au cuivre ce que l'acier est au fer. Mais ce n'est pas seulement par l'alliage de l'étain qu'on peut donner de la dureté au cuivre, une faible proportion d'arsenic[130], d'antimoine ou de zinc[131] modifie l'état moléculaire du cuivre. Ces procédés ont peut être été tentés par les Anciens, par tâtonnements, mais on ne peut être affirmatif à cet égard; car ces alliages proviennent peut-être, probablement même, des impuretés du minerai de cuivre traité.

Le mélange qui donne au cuivre les qualités les plus propres à l'usage auquel étaient destinés les armes et les outils, est la proportion de 10 p. 100 d'étain; un supplément d'alliage le rend de plus en plus cassant; une teneur de 30 p. 100 d'étain donne un métal blanc, très fragile, qui était employé dans l'Antiquité pour les miroirs.

Cependant les métallurgistes des temps primitifs, ne disposant pas de nos moyens scientifiques modernes, ne pouvaient procéder que par tâtonnements, par essais successifs, et c'est pourquoi la teneur en étain des instruments de bronze est extrêmement variable. Il faut compter aussi que si les minerais de cuivre se rencontraient en abondance dans l'Ancien Monde, les gisements stannifères étaient beaucoup plus rares et que, par suite, l'étain faisait souvent défaut sur le marché de bien des pays. Toutefois, la composition que les fondeurs des temps préhistoriques semblent avoir voulu atteindre varie entre 10 et 18 p. 100 du métal blanc.

Le cuivre se présente dans la nature sous la forme de métal «natif», assez rare; de sulfures, très abondants, et de minerais oxydés, carbonatés et autres, résultant du contact prolongé des affleurements des filons et amas cuivreux avec les agents atmosphériques; les autres composés naturels du cuivre ne peuvent être pris en considération dans la question qui nous intéresse.

L'étain, dont les gisements sont beaucoup plus rares que ceux du cuivre, et qui sont cantonnés dans un petit nombre de régions, se présente dans les gîtes originels en filons et sous forme de petits cristaux dans des roches cristallines, qu'on désigne sous le nom de granulites; il est toujours à l'état oxydé (cassitérite); on ne le rencontre jamais natif.

La destruction des roches mères et des affleurements filoniens par les agents atmosphériques, a produit des alluvions dans lesquelles le minerai d'étain se trouve à l'état de sables; un lavage de ces alluvions suffit, en raison des différences de densité, pour en extraire la cassitérite. C'est ainsi qu'on procède dans les exploitations de la Malaisie, à Brangka, Pérak et ailleurs. L'or natif s'obtient par les mêmes procédés.

Les premiers métallurgistes, trouvant les gisements de cuivre et d'étain vierges encore, n'avaient donc affaire qu'à des produits oxydés qu'il leur suffisait de traiter au charbon de bois, dans un feu réducteur, pour voir couler le métal. Ce sont d'ailleurs les procédés métallurgiques encore employés de nos jours, et, en particulier pour l'étain, les Malais ont conservé l'usage des fours primitifs, dits bas foyers.

Quant à l'exploitation des mines, elle était fort simple; les affleurements des filons étant encore vierges, il suffisait de prendre, presque sans efforts, les roches filoniennes fendillées par les agents atmosphériques, de ramasser les blocs détachés dans les éboulis, pour le cuivre comme pour l'étain et, pour ce dernier métal, de laver les sables.


Fig. 51.—Les gisements de cuivre et d'étain de l'Ancien Monde.
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La cassitérite est toujours naturellement dans une gangue siliceuse, gangue qui s'éclate au feu. Quant aux cuivres carbonatés, que leur gangue soit calcaire ou siliceuse, elle se fend également à la chaleur.

Le procédé du feu a été employé de très bonne heure pour la désagrégation des roches contenant des métaux; on en rencontre des traces dans tous les districts miniers; les gisements aurifères de la Bohême et de la Transylvanie en montrent des milliers d'exemples. D'ailleurs le travail en galeries était en usage déjà du temps des néolithiques pour l'extraction du silex; aussi ne devons-nous pas être surpris de rencontrer de véritables mines datant des premiers temps de la connaissance des métaux.

Il suffisait donc de circonstances favorables, fortuites, pour que l'homme découvrît les deux métaux qui constituent cet alliage dont le rôle a été si grand dans les temps anté-historiques. Or, les gisements de cuivre étant beaucoup plus répandus sur la surface du globe que ceux d'étain, c'est le cuivre qui fut découvert le premier, en même temps que l'or dont les pépites brillaient dans les sables et les grèves des cours d'eau.

Si nous pointons, sur la carte du monde, les principaux gîtes naturels des minerais cuivreux (fig. 51), nous voyons que ce métal est de distribution universelle; aussi le cuivre a-t-il été découvert aussi bien dans l'Ancien Monde que dans le Nouveau; le Sud-Africain et l'Australie cependant n'ont pas profité de bonne heure de ces richesses que leur offrait la nature.

Mais, parmi les pays producteurs du cuivre, il importe de distinguer ceux qui ont reçu les connaissances métallurgiques de ceux où ces notions ont pu naître. Tout d'abord les deux Amériques doivent être mises hors de cause; et nous savons par de nombreux témoignages archéologiques que ce n'est ni l'Algérie, ni l'Espagne, ni la France, les îles Britanniques, la Scandinavie, ou l'Europe centrale qui ont vu couler le premier lingot de cuivre. Restent donc les îles Égéennes, l'Asie Antérieure et l'Égypte; car nous avons vu qu'il ne peut être question de la Chaldée, et que l'Égypte a fort probablement reçu de l'Asie la connaissance du cuivre.

En ce qui regarde l'Égypte, une légende[132] causée par une erreur du savant allemand Lepsius s'est établie et dure encore quant à la richesse des mines de cuivre de la presqu'île Sinaïtique[133]. Cet archéologue, qui n'était versé ni dans la minéralogie ni dans la géologie, a pris pour des scories résultant de l'exploitation intense de mines de cuivre supposées, les bancs naturels de minerais de manganèse de Sérabout-el-Khadim; et cette grossière erreur a fait loi parmi ceux qui ont parlé de l'Égypte: or, par leur constitution géologique, les couches dont la presqu'île Sinaïtique est formée ne peuvent contenir de grands gisements cuivreux, et les turquoises disséminées dans des grès sont la seule richesse de ces montagnes. À Wadi Maghara sont bien des restes d'industrie métallurgique; mais cette industrie n'a jamais porté que sur des quantités insignifiantes de minerais carbonatés existant en rognons dans les grès avoisinant ceux où se rencontrent les turquoises. Il faut donc absolument rayer l'Égypte des pays producteurs du cuivre.

Que reste-t-il alors comme contrées où l'invention de la métallurgie a pu se produire? les îles Égéennes, l'Asie Mineure, la Transcaucasie, l'Arménie et l'Iran, d'une part; le groupe extrême-oriental d'autre part; or il est certain que le métal, en Chaldée et dans l'Élam, est beaucoup plus ancien que dans les pays Sino-Japonais et Indo-Chinois.

L'Altaï et le Pamir sont également riches en cuivre; mais l'antiquité de la métallurgie dans ces régions paraît être peu reculée. C'est donc, suivant toute vraisemblance, dans le nord de l'Asie Antérieure que se serait produite cette grande découverte; de là, elle serait descendue en Chaldée, bien rudimentaire encore, avec les hommes qui, les premiers, sont venus habiter les îlots vaseux de ce qui fut plus tard l'empire de Sargon l'ancien et de Naram-Sin; puis elle aurait gagné l'Égypte, les côtes phéniciennes et les îles Égéennes, foyers de leur connaissance dans l'Europe.

Ce ne sont là, certainement, que des conjectures, mais elles reposent sur des bases sérieuses, sur un ensemble de faits que ni la géologie, ni les traditions asiatiques, ni les premières données historiques et l'archéologie ne viennent combattre.

En ce qui regarde l'étain, le problème est d'une solution plus difficile encore; car les régions stannifères sont très peu nombreuses[134]. Les rares gisements d'étain signalés au Maroc, en Espagne occidentale, en Auvergne, en Bretagne et en Finlande ne peuvent entrer en ligne de compte, et il en est de même pour ceux de l'Angleterre, par suite de l'éloignement de ce pays et de son isolement au milieu des mers. La cassitérite se rencontre, suivant certains auteurs, dans le Nord-Est de la Perse, au Khoraeân et dans plusieurs districts de l'Arménie; mais je n'ai pas été à même de vérifier ces renseignements. Madagascar, le cap de Bonne-Espérance, l'Australie doivent être rayés de la liste des pays où la découverte du métal blanc a pu se produire. En Amérique du Nord, la cassitérite se montre (fig. 52) sur la côte de l'océan Pacifique. Au Mexique elle a produit une industrie spéciale du bronze: elle paraît enfin dans l'Amérique méridionale, mais on ne peut faire état des gisements du Nouveau Monde dans une étude relative aux vieux continents.


Fig. 52.—Les gisements
de cuivre et d'étain
du Nouveau Monde.
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Il ne reste donc que le groupe malais, indo-chinois et chinois, dont la richesse est immense; peut-être que dans des temps plus rapprochés de nous l'étain a suivi la même voie que les grandes invasions mongoles du Moyen Âge pour arriver dans nos pays.

L'Indo-Chine et la Chine étaient particulièrement favorisées par la nature pour que se fit dans ces pays la découverte du bronze: car là se trouvent réunis, et en grande abondance, les minéraux cuprifères et stannifères; mais nous devons borner là ces considérations et attendre que le Centre asiatique et la Chine soient mieux explorés. Peut-être même découvrira-t-on quelque jour dans les montagnes du nord de l'Asie Antérieure des gisements stannifères oubliés depuis des milliers d'années: en ce cas la présence de la cassitérite dans cette région réduirait à néant toutes les hypothèses qu'on serait tenté de hasarder aujourd'hui sur la position du foyer initial de la métallurgie.


Fig. 53.—Moules. 1-2. Écosse (Univalves), pierre.—3, Moule en bronze margis (Lac Léman).—4, Lac du Bourget (pierre).
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Les archéologues se demandent si la préparation du bronze se faisait en dosant les proportions des deux éléments (fig. 53) à l'état métallique[135], ou bien si les minerais étaient mélangés avant la mise au four, et ils expliquent par cette dernière hypothèse les notables différences dans la teneur en étain des bronzes. Ce ne sont là que conjectures qui, pour être appuyées, exigeraient qu'on pût étudier avec certitude, et dans les moindres détails, une fonderie de cette époque, et analyser les scories laissées par les opérations.


Fig. 54.—1-3, Haches de bronze (Suse).—4 à 8, D'après un bas-relief de Naram-Sin, trouvé à Suse.
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Il convient d'ajouter que si les Anciens ne se sont pas servis du laiton, c'est-à-dire de l'alliage du cuivre avec le zinc, bien que la calamine soit fort abondante en Europe, c'est parce que le zinc brûle au contact de l'air quand il est porté au rouge, même à l'état d'alliage, et que les procédés métallurgiques de ces temps ne permettaient pas de toujours traiter dans une atmosphère réductrice; l'étain au contraire est fort stable, soit à l'état métallique pur, soit sous forme d'alliage. Quant au plomb, il s'oxyde, et c'est cette propriété qui fait la base de la coupellation, dont les Anciens, dans les temps historiques, ont fait si grand usage pour extraire l'or des quartz, avant que l'emploi du mercure fût en usage.

Quoi qu'il en soit de l'origine des métaux, nous voyons, dans presque tous les pays, l'usage du bronze succéder à celui du cuivre pur; et disparaître peu à peu les instruments néolithiques de pierre. Mais de même que l'industrie de la pierre polie se subdivise en provinces, de même le bronze se montre-t-il façonné de diverses manières suivant les régions et suivant les temps. Les nombreuses peuplades, qui occupaient le monde aux temps de l'introduction du métal, ont, avec le temps, accentué de plus en plus leurs caractères régionaux. Ce n'est pas la naissance des nationalités, car elles sont beaucoup plus anciennes que le métal, mais c'est l'affirmation définitive des clans, des tribus, des peuples, des empires. Les moyens puissants de domination que procurent les connaissances métallurgiques, les progrès rapides d'ordre matériel et intellectuel qu'elles provoquent permirent à certains peuples d'atteindre à l'hégémonie dans leur sphère d'influence, l'Histoire commence en Asie, en Égypte, dans l'Orient méditerranéen, peu après la diffusion de la métallurgie, elle se répand peu à peu aux alentours de ses premiers foyers, le monde moderne débute.


Fig. 55.—Bas-relief du tombeau de Méra (6e dynastie), représentant le travail des métaux précieux.
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En Chaldée et dans l'Élam, l'industrie du bronze naît en même temps que l'usage de l'écriture (fig. 54). Ces pays entrent dès lors dans le domaine de l'Histoire: toutefois, chez eux, cette phase de l'industrie se continue pendant bien des siècles encore, jusqu'à ce qu'insensiblement le fer vienne remplacer l'airain dans l'armement. Les formes de ces régions demeurent très longtemps spéciales, elles n'ont rien de commun avec celles usitées chez les peuplades encore barbares du Nord. Sous Naram-Sin, au milieu du quatrième millénaire avant notre ère, la lance, l'arc et la hache sont encore les principales armes offensives; le glaive ne paraît que beaucoup plus tard, pour devenir d'un usage courant en Assyrie, au temps seulement des rois d'Assour, chez les Hellènes avec l'invasion dorienne.


Fig. 56.—Instruments de bronze de l'Égypte pharaonique.
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Il en est de même dans la vallée du Nil (fig. 55), où le bronze demeure en usage pour bien des emplois jusqu'à l'époque de la conquête alexandrine parallèlement à celui du fer (fig. 56). Là aussi les formes archaïques sont spéciales; elles semblent découler de celles des instruments de pierre taillée (fig. 57). En Syrie (fig. 58) et dans les îles de la Méditerranée orientale (fig. 59), bien que l'influence égyptienne se fasse parfois sentir, les formes sont, dans la plupart des cas, très personnelles.


Fig. 57.—Instruments de bronze du Nouvel Empire égyptien (Musée du Caire).
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Nous ne sommes malheureusement que fort mal renseignés sur les industries des peuples de l'Asie Antérieure, autres que les Chaldéens, les Élamites et les Assyriens. Mille peuplades diverses se pressaient dans les montagnes et les hauts plateaux du Nord. Ces gens, sauf les Ourartiens, n'usaient pas de l'écriture, et, par suite, leur étude appartient à la préhistoire; les Annales assyriennes fournissent leurs noms; mais ces noms, nous ne pouvons que rarement les placer sur la carte avec sécurité: quant aux pays où ils ont vécu, ils demeurent encore inexplorés au point de vue archéologique.


Fig. 58.—Mobilier des sépultures de Tell et Tin (Syrie)(Fouilles de J.-E. Gautier).
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Fig. 59.—Instruments et armes de bronze égéo-mycéniens.
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Fig. 60.—Europe occidentale. Industries n°I et n°II du bronze.
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Fig. 61.—Europe occidentale. Industries n°III et n°IV du bronze.
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D'ailleurs, si l'on en juge par les résultats de mes propres études dans le nord-ouest de l'Iran et la Transcaucasie, recherches qui, à bien peu de chose près, ont fourni tout ce que nous savons sur ces régions, ce n'est pas vers les industries chaldéo-élamites qu'il convient de tourner ses regards pour découvrir les origines de la culture nordique, mais vers les pays encore inconnus de l'Asie centrale. Les diverses cultures du bronze, dont on rencontre les vestiges dans les dolmens du Talyche russe et persan, se relient plus ou moins étroitement aux civilisations de l'Europe centrale et occidentale; on y rencontre l'usage général du poignard et de l'épée, le torque, la céramique incisée, l'ornementation géométrique. À l'exclusion des représentations animales et humaines, beaucoup de ces goûts sont caractéristiques de nos populations néolithiques de l'Occident: il semblerait que, dès avant les temps de la pierre polie, un grand courant se soit établi entre les pays de l'Asie centrale et ceux de l'Europe, que ce courant n'ait pas été affecté d'une manière importante par les grands foyers de civilisation du sud de l'Asie Antérieure, mais qu'en passant d'est en ouest il ait, pour certains détails, emprunté des idées au monde Égéen. Il s'ensuit qu'en parvenant dans nos pays, il ne possédait plus complètement cette allure que nous révèlent les sépultures monumentales des rives méridionales de la mer Caspienne.


Fig. 62.—Haches d'armes en bronze.—1-2, Allemagne.—3, Espagne.
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Il convient donc, pour l'Ancien Monde, de partager l'industrie du bronze en diverses régions au développement personnel. La Chaldée et l'Élam, dont l'Assyrie fut la fille, l'Égypte, l'île de Crète: ces foyers semblent être les plus anciens; puis viennent les civilisations nordiques, toutes parentes, plus ou moins proches, qui couvrent tout le nord de l'Asie Antérieure et toute l'Europe, divisant ces vastes régions suivant les lieux et les temps. Là, tout en conservant les grandes lignes directrices de l'industrie nordique du bronze, les divers peuples font preuve de leur génie personnel, de leurs goûts, de leurs tendances. On voit, en des temps divers, se montrer les industries caspiennes, caucasiennes, mycéniennes, de la steppe russe, du Danube (Hongrie), de la Scandinavie et du nord de l'Allemagne, de la Gaule, de l'Espagne, du nord de l'Italie, etc.; et, dans les régions méditerranéenes, les influences minoenne, égéenne, égyptienne même se font très largement sentir, alors que dans les pays du nord elles sont moins accentuées ou, dans tous les cas, plus tardives.

Dans chacune de ces provinces du Nord, de l'Europe comme de l'Asie, l'industrie du bronze a évolué sur elle-même, suivant des phases successives. Dans le nord de la Perse et dans la Transcaucasie on distingue aisément plusieurs époques pour lesquelles les industries diffèrent par les détails, et il en est de même pour toutes les provinces dont il vient d'être question.


Fig. 63.—Instruments et armes de bronze de Hongrie (d'après A. de Mortillet, Musée préhistorique.)
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Dans nos pays, la forme des premiers instruments de bronze est le plus souvent inspirée par celles des outils de pierre; puis paraît l'épée qui, dans les derniers temps, devient d'un usage courant. Alors se montrent les armes défensives, le casque, la cuirasse, le bouclier, depuis longtemps en usage chez les Orientaux.

La fibule ne paraît en Occident que vers la quatrième industrie du bronze, alors que l'Égypte, la Chaldée, l'Élam et l'Assyrie ont toujours ignoré cette forme de bijou, tandis que le monde hellénique l'a connue dans des temps fort anciens.

L'espace manque dans cet exposé pour examiner un à un tous les objets des industries du bronze, pour rechercher leur parenté, voire même leur origine; une semblable étude nous entraînerait bien au delà des limites qui nous sont assignées pour ce volume, elle conduirait à distinguer entre les formes originelles de chaque peuple, et celles qui lui sont parvenues par contact avec les habitants des provinces voisines. Il suffit de dire que, dans nos industries du bronze, on rencontre de nombreuses traces de mélanges montrant qu'à ces époques les peuples entretenaient entre eux des relations très étendues.

Quant aux temps où l'industrie du bronze a débuté dans les pays divers, ils sont fort variés et bien souvent difficiles à préciser. En Élam, en Chaldée, en Égypte ce semble être vers la fin du cinquième millénaire avant notre ère; dans l'Orient méditerranéen ce serait au cours du troisième; à Mycènes, vers la même époque; en Gaule, vers 2000 avant J.-C., et dans le nord de la Perse et le Caucase probablement un millier d'années plus tôt; mais toutes ces évaluations ne sont qu'approximatives, notre documentation étant encore beaucoup trop imparfaite pour que nous soyons à même d'établir une chronologie certaine.

CHAPITRE VII

LES INDUSTRIES DU FER

Le passage de l'industrie du bronze à celle du fer ne s'est, dans aucun pays, produit subitement. Longtemps encore après l'arrivée des formes hallstattiennes, nous voyons se perpétuer l'usage des armes et des instruments de bronze. Souvent même, dans les tumuli, rencontre-t-on en même temps des épées et des poignards de bronze et de fer mélangés. Cependant les formes se modifièrent rapidement, et les modèles hallstattiens, reconnus comme supérieurs aux anciens, furent copiés en airain.

Les armes offensives sont l'épée, longue et mince, le poignard, la lance, l'arc et la flèche; glaives et poignards sont remarquables par la forme de leur poignée souvent munie d'antennes, fréquemment aussi d'un pommeau conique d'aspect spécial; quant aux têtes de lances et de javelots, elles sont inspirées des types de bronze.

Il en est de même pour les pointes de flèches. Les types néolithiques de pierre persistent en même temps que ceux de bronze; c'est que, principalement dans les débuts du hallstattien, on ménageait le fer, métal encore rare et précieux. Il n'était guère d'usage que pour les armes, glaives, lances, etc., qui tenues en main, ne se perdent pas.

Comme armes défensives, aussi bien qu'aux temps du bronze, la cuirasse se montre parfois; mais elle est, soit d'origine grecque ou italiote, soit copiée par les Celtes sur des modèles méditerranéens. D'ailleurs l'importation d'ustensiles et d'armes de facture méridionale faisait alors l'objet d'un commerce très étendu: sistules en cuivre battu, cistes et vases de toutes les formes sont fréquents dans les nécropoles hallstattiennes de l'Europe centrale et de la Gaule. Certains de ces récipients sont même fort ornés, montrent des sujets compliqués obtenus, soit au repoussé, soit par la fonte et, pour la plupart, les motifs qu'ils portent se retrouvent en Grèce et en Italie. Puis ce sont des coupes et des vases de verre de divers profils, souvent ornés de zones colorées, et dont la provenance ne peut soulever aucun doute. L'or lui-même intervient dans le mobilier comme dans la parure.

L'outillage et la batterie de cuisine se perfectionnent rapidement et montrent, par leur développement, que les exigences de la vie se sont accrues depuis la fin de l'industrie du bronze. On rencontre des scies, des ciseaux de sculpteur, des couteaux courbes, d'autres qui se replient dans le manche, tout comme ceux dont nous faisons encore usage. Les casseroles de bronze sont nombreuses, les broches réunies en faisceaux ne sont pas rares dans les sépultures étrusques; on fabrique des chenets, voire même des portes-broches, et, parmi les instruments rituels, il convient de citer les grandes fourches à rôtir les viandes.

Quelques tumuli de pays européens divers ont livré des chars[136], le plus souvent à quatre roues ferrées, et dans d'autres sépultures on a rencontré des socs de charrue. Les mors de chevaux et les bridons sont abondants.

Les bijoux, très variés, sont faits d'or, de bronze et de fer; ce sont des torques, des colliers de perles de verre coloré ou d'ambre, de corail, d'ivoire, de nacre; des bracelets aux formes multiples, des anneaux d'oreilles, des pendeloques, des épingles, des fibules variées à l'infini, des trousses de toilette, des amulettes représentant des animaux, le plus souvent des chevaux, parfois montés; enfin, des ceintures de bronze, plus ou moins larges, couvertes de gravures ou de figuration au repoussé. Presque tous les bijoux métalliques sont finement ornés de dessins géométriques gravés auxquels viennent souvent se joindre des représentations animales, humaines, ou des symboles religieux, tels que le disque solaire, la roue, le swastika, et beaucoup d'autres encore dont la signification nous échappe.

La forme des vases et l'abondance de la poterie varient suivant les régions. Cette céramique est généralement ornée de gravures géométriques, auxquelles vient se joindre une grossière peinture couvrant un enduit, mais on y voit également figurer l'homme et les animaux sommairement rendus par des traits droits, comme dans les représentations caucasiennes.


Fig. 64.—Métallurgie du fer. Four
à minerai, Jura bernois, d'après Quinquery.
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Les écrivains de l'antiquité classique, grecs et romains, nous entretiennent d'un peuple ligure, mal défini, mais dont le souvenir était resté vivace dans tout l'Occident. Ces Ligures se composaient assurément de toutes les anciennes races indigènes de nos pays, groupées et fondues dans un élément étranger que les auteurs modernes les plus judicieux[137], dans leurs hypothèses, considèrent comme les auteurs de la civilisation néolithique et pensent qu'ils font partie de ces vagues successives de parler aryen qui se sont abattues sur l'Europe à tant de reprises différentes; les Ligures seraient les constructeurs des dolmens et, peut-être aussi, les premiers habitants des palafittes; mais en même temps que des tailleurs de pierre émérites, ils seraient devenus métallurgistes, vraisemblablement sous des influences extérieures.

Nous avons montré de combien d'incertitudes s'entoure la genèse de la métallurgie, et nous avons dit que nous la pensons être d'origine orientale; elle serait donc parvenue chez les Ligures, déjà depuis longtemps installés en Occident, par des courants continentaux, ainsi que par la mer Méditerranée. Les Celtes et les Doriens auraient été les grands propagateurs de l'industrie du fer. Le métal se serait tout d'abord répandu, en tant que matière et procédés s'y rattachant, et les Ligures auraient adapté son usage à leurs besoins et à leurs goûts; puis seraient venus les objets exportés du monde hellénique. Ainsi s'explique le dualisme des tendances artistiques au cours de l'industrie du bronze, dualisme qui n'existe pas dans les dolmens orientaux du nord-ouest de la Perse, et qu'on ne retrouve dans ces régions que beaucoup plus tard, quand, par les comptoirs du Pont-Euxin, l'influence hellénique pénétra chez les peuples de la Transcaucasie.


Fig. 65.—Tuyères de fours
métallurgiques.—1, Silésie.—2-3, Hongrie.
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Dans nos pays, la période dite ligure est celle de la fondation des villes, ou du moins, l'industrie du bronze a-t-elle vu le développement des agglomérations créées par les néolithiques devenus sédentaires, par suite de l'apparition de la culture et de l'élevage, les relations commerciales s'étendirent. C'est alors à cette époque que les Phocéens, attirés par le commerce qui ne se faisait encore que de proche en proche, remontèrent à la source et, venant aborder chez les Ligures, fondèrent Marseille.

En ces temps aussi, d'autres peuplades barbares, celles des Celtes, habitaient des pays transrhénans, dans des îles lointaines, les dernières du monde[138]. On fait généralement venir les Celtes d'Orient, par la vallée du Danube[139]. Puis ces hordes seraient remontées dans les pays du nord de l'Allemagne, vers les côtes de la mer Baltique, et c'est de là que, par mer comme par terre, elles seraient descendu sur la Belgique et le nord de la Gaule, chassées de leurs domaines par ces raz de marée qui vers 530 av. J.-C., submergèrent les côtes de la mer du Nord et de la Baltique. C'est également vers cette époque que les Ibères venant de la péninsule espagnole seraient entrés dans le midi de la France.

L'histoire de l'exode des Celtes des pays du Nord nous est connue par bon nombre de passages des écrivains de l'antiquité; aussi les laisserons-nous occupant la Gaule, ayant soumis, sans les détruire ou les chasser, les Ligures. Mais ce qui nous importe le plus, c'est de retrouver leurs traces dans des temps plus anciens. D'ailleurs il était resté des Celtes dans la Thrace et en Macédoine; ce sont eux qui en 279 avant J.-C. pillèrent le temple de Delphes, et cette indication nous est précieuse, car elle permet de relier la culture celtique à des civilisations plus éloignés encore vers l'Orient.

Déchelette[140] estime que de leur domaine primitif, l'Europe centrale et la France du Nord-Est, les Celtes se sont répandus au premier et au second âge du fer sur des territoires très étendus, au commencement du IIIe siècle, époque de leur plus grande extension. Leur domaine aurait compris alors les îles Britanniques, la péninsule Ibérique, la Gaule, l'Italie du Nord, les régions du Rhin et du Danube, jusqu'à la mer Noire; quelques-unes de leurs tribus se seraient établies en Thrace; d'autres auraient réussi à fonder au centre de l'Asie Mineure (Phrygie et Cappadoce) un établissement durable, la Galatie.

Cette désignation de «domaine primitif» semble être bien hasardeuse et dictée par la réaction, de mode aujourd'hui, contre les origines orientales des peuples de langue aryenne. Nos renseignements, bien qu'ils soient incomplets, certainement nous montrent les Celtes s'étendant jusqu'aux rives du Pont Euxin sur le bas Danube; mais ils ne nous disent pas s'il en existait encore plus loin, dans les steppes russes, et si ces peuples n'y avaient pas vécu jadis.

M. Hoernes[141], l'un des préhistoriens les plus versés dans l'étude de la civilisation dite hallstattienne, se base principalement, dans sa classification, sur les caractères de la céramique et des fibules. Sans disconvenir que ces deux éléments présentent un grand intérêt, nous ferons cependant observer que la véritable caractéristique de cette culture est l'introduction du naturisme dans l'art géométrique, caractère qui la distingue très nettement de la civilisation du bronze dans l'occident et le centre de l'Europe et qui, par ses conceptions et sa technique, l'éloigne des cultures chaldéenne, égyptienne et préhellénique, tout en laissant entrevoir une certaine parenté, très éloignée, avec les goûts mycéniens.

Mais les traces de l'esprit hallstattien ne sont pas limitées à l'Europe, nous en retrouvons au loin dans l'Asie Antérieure du nord, au sud du Caucase et dans les pays caspiens.

Au cours de l'industrie du fer, on voit paraître, en Arménie russe, une civilisation très différente de celle des sépultures plus anciennes; et cette culture se retrouve, bien qu'elle soit modifiée dans bon nombre de détails, tant dans le Talyche russe et persan que dans l'Osséthie, voire même dans le Daghestan. Sa caractéristique est dans les représentations humaines et animales, dont la technique et le style paraissent dériver pour toutes du style géométrique.

En Osséthie, cette culture semble ne pas encore user industriellement du fer, toutes les armes étant faites de bronze; mais ce n'est là qu'une apparence, car la grande prédominance du cuivre chez les Ossèthes provient uniquement du voisinage de riches mines de ce métal. En Arménie elle comprend le fer, l'argent et le plomb. Quant à la céramique, elle possède dans les trois régions la même technique ornementale, l'incision, souvent très soignée, et le lissage; elle fournit des formes animales en Arménie et en Perse, fait nouveau dans ces régions.


Fig. 66.—Industrie du fer, Arménie russe.
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Fig. 67.—Têtes de flèches des sépultures de l'industrie du fer dans le nord de la Perse. 1-2, Bronze.—3, Fer.—4-5, Obsidienne transparente enfumée.—6, Obsidienne à veines rouges.—7, Jaspe rouge-feu (Talyche).
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Mais si l'on rapproche ce groupe industriel de celui de Hallstadt, on est frappé des analogies que présentent ces deux cultures; toutefois, dans le Hallstattien, il faut faire la part des influences méditerranéenes, exclure leurs produits, ce qui est aisé d'ailleurs; on se trouve alors en présence d'analogies telles qu'il est impossible de ne pas rapprocher ces deux industries et, par suite, les peuples qui en étaient les auteurs. L'ornementation des vases de Bavière, de style dit géométrique, est identiques à celles du Lelwar et d'Hélénendorf.


Fig. 68.—Hélénendorf (Transcaucasie).
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Dans la parure, nos bracelets hallstattiens ne diffèrent en rien de ceux de l'Orient, les torques sont les mêmes, et il en est ainsi des anneaux d'oreilles, des bagues, des pendeloques, des fibules; on rencontre également les ceintures de bronze, mais la plupart des nôtres sont inspirées par l'Étrurie ou la Grèce. Les trousses de toilette, la forme des armes, les nécessaires de tout genre, les grandes fourches de bronze, tout est sinon semblable, du moins fort analogue. Seules les épingles diffèrent; mais celles du Lelwar ne sont que des imitations transformées des épingles des industries précédentes du fer dans le même pays.

Le mode de sépulture est à peu de chose près le même en Orient qu'en Occident: le corps, allongé (jadis il était accroupi), est recouvert d'un amas de pierres.

De même que le bronze a fait son apparition en des temps divers, dans les différents pays, de même le fer s'est montré, suivant les lieux, à des époques très variées. En Chaldée, en Élam et en Égypte on a connu ce métal dès des temps fort anciens; mais, dans ces régions, l'usage du bronze étant resté prédominant, soit pour des causes religieuses, soit, plutôt, parce que le fer à l'état naturel était rare dans ces parties du monde antique, il en résulte que nous ne savons pas préciser l'époque à laquelle son usage industriel fut introduit. Il en est tout autrement en ce qui concerne les régions nordiques, tant en Asie qu'en Europe.

Dans la Transcaucasie, on distingue deux formes successives de l'industrie du fer, très différentes d'aspect et certainement appartenant à des groupes ethniques divers. La première, très spéciale, semble n'être, somme toute, qu'une continuation des usages de la culture du bronze dans ces pays; elle est localisée dans les montagnes de l'Arménie. La seconde au contraire, nous venons de le voir, est celle qui paraît avoir été soit la mère, soit la sœur du hallstattien de l'Occident. Cette dernière, d'ailleurs, si nous en jugeons par les mobiliers funéraires, aurait emprunté quelques détails à la civilisation qui l'avait précédée dans la Transcaucasie.


Fig. 69.—Épées et poignards hallstattiens de l'Occident européen.
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En Occident, seule la seconde culture caucasienne trouve son équivalent; mais elle est, dans nos pays, suivie d'une autre phase qu'on a coutume de désigner sous le terme d'industrie de la Tène, du nom de la localité où elle est le mieux représentée. Cette industrie de la Tène était celle de la Gaule à l'époque de la conquête romaine. Elle est fort imprégnée de l'esprit méditerranéen ainsi que de goûts venus du Nord, de l'Allemagne septentrionale et de la Scandinavie, et ne semble pas être, comme le Hallstattien, d'origine orientale.

À cette époque, dans tout l'Occident et le Centre européens, la culture hellénique et celle des Italiotes prend de plus en plus d'importance; la monnaie, grecque tout d'abord, puis indigène au type grec, fait son apparition, et l'histoire proprement dite commence.

Ailleurs, dans le nord de la Russie et en Finlande, l'usage du fer succède directement à celui de la pierre polie. Il en est de même dans l'Afrique centrale et sur le Haut Nil, probablement en des temps plus anciens qu'en Europe. Aux Indes, ce progrès paraît avoir été dû à la conquête alexandrine, ou tout au moins l'avoir précédée de peu de siècles. Quant aux pays extrême-orientaux, nous ne pouvons encore juger de leur évolution.

Au Nouveau Monde, en Océanie, dans la Polynésie, chez les tribus du Nord sibérien, l'apparition du fer est toute récente; elle date de la découverte de ces terres par les explorateurs de notre époque.

CHAPITRE VIII

LE TRAVAIL DES MATIÈRES DURES

Nous avons vu que les plus anciens produits de l'industrie humaine dont nous ayons actuellement connaissance, sont des instruments en pierre éclatée, silex, quartzite, grès siliceux, quartz, suivant que le pays fournissait naturellement l'une ou l'autre de ces roches, soit dans les affleurements des couches géologiques, soit dans les alluvions.

Dans toutes les contrées et dans tous les temps préhistoriques, le silex a toujours été préféré aux autres roches, parce qu'il s'éclate aisément et que ses éclats sont extrêmement tranchants. Le silex est une substance très résistante, que seul le choc sur un corps dur peut émousser; il se prête admirablement à la taille par percussion et ses éclats sont rapidement façonnés soit à petits coups, soit par la pression, car il suffit de comprimer obliquement, au moyen d'un corps de dureté moyenne, le tranchant d'un éclat de silex, pour déterminer la levée de petits éclats, et en répétant cette opération, on donne aisément une forme intentionnelle à l'instrument. Le retouchoir peut être en silex ou en toute autre pierre de dureté moyenne, voire même en bois, en os, en corne; car la pression à exercer pour obtenir les retouches est fort légère.

Le grès siliceux, les quartzites, le quartz et le cristal de roche, de dureté égale ou supérieure même au silex, ne possèdent pas les qualités de cette matière et se fendent gauchement, n'obéissent, semble-t-il, qu'à regret aux volontés de l'ouvrier qui les façonne. Il en est résulté tout d'abord que ces roches n'ont été employées qu'à défaut de silex et que, dans les temps où les relations entre peuplades étaient devenues faciles, le silex a fait l'objet d'un commerce fort étendu.

D'autres matières, telles le jade et l'obsidienne, ont été d'usage également; mais le jade, substance très dure, ne se taille que très difficilement, par percussion, et n'obéit guère qu'au polissage; aussi ne le rencontre-t-on que dans les dernières industries néolithiques, en même temps que la serpentine, la diorite et autres roches de filons dont l'emploi était inconnu avant que l'homme appliquât à la pierre le polissage que, depuis longtemps déjà, il pratiquait pour l'ivoire, l'os et la corne.

Quant à l'obsidienne, qui se taille de merveilleuse manière, elle présente le grand défaut d'être trop fragile. Cette roche volcanique a cependant été fort employée dans l'antiquité préhistorique, pour cette raison qu'elle peut, pour bien des usages, remplacer le silex toujours absent dans les pays où elle-même se rencontre naturellement au milieu des coulées de laves. Cette matière a été très employée au Mexique, au Japon, dans les îles grecques de la Méditerranée, en Transcaucasie et dans l'Arménie. Elle se taille tout comme le silex, mais ne se prête pas au polissage.

Quand on frappe obliquement sur un noyau de silex, soit à l'aide d'un marteau, soit avec un simple galet de pierre dure, on lève un éclat dont la face fraîche présente une surface légèrement bombée, saillante à proximité du point qui a reçu le coup. Cette protubérance se nomme «bulbe de percussion». Ce bulbe existe dans les éclats de toutes les roches dures. Il en résulte, sur le noyau, une cavité correspondante. Si, après avoir déterminé sur un noyau le départ d'un certain nombre d'éclats sur le même côté, on frappe dans l'autre sens, on produit un tranchant fort aigu, suivant une ligne sinueuse dont les saillants et les rentrants peuvent être atténués par de nouvelles tailles moins violentes; on parvient alors à façonner un tranchant très régulier. Ces deux types sont ceux de l'industrie paléolithique, le chelléen montrant, le plus souvent, les tranchants sinueux et l'acheuléen présentant les bords coupants à peu de chose près réguliers. Avec l'industrie moustiérienne la taille devient plus soignée dans les coups de poing; mais l'homme fait surtout usage d'éclats qu'il retaille sur les bords, d'un seul côté seulement, soit par percussion, soit par pression. Nous avons vu qu'avec les industries archéolithiques, le coup de poing disparaît; mais son procédé de taille sur les deux faces est, dès lors, appliqué à l'éclat; il en résulte l'apparition des nuclei, noyaux sur lesquels on prend les lames pour les façonner ensuite de cent manières différentes, suivant les besoins, en les retouchant sur une seule face ou des deux côtés.

L'industrie mésolithique montre de grands progrès quant à la variété des formes; on voit paraître entre autres le tranchet, précurseur de la hache qui, plus tard, sera polie; mais le tranchet, en général, n'est taillé que d'un seul côté, l'autre demeurant plat.

En Égypte et aux Indes[142], ce tranchet se montre sous la forme d'une véritable hache, concurremment avec une autre disposition dans laquelle l'instrument est dégrossi sur les deux faces; son taillant est alors obtenu au moyen d'un coup habilement frappé sur le côté de l'outil ainsi préparé. Toutefois, dans la hache-tranchet de l'Égypte, le tranchant est souvent produit par une série de retouches, ce qui l'éloigne du véritable tranchet campignien, comme celui des Indes.

La hache polie se montre dans l'industrie néolithique, en même temps qu'un grand nombre de formes nouvelles, et son usage se continue au cours des industries énéolithiques, voire même du bronze; car le métal était encore très rare alors et, pour bien des usages de la vie, on conservait l'emploi des anciens instruments.

C'est dans l'industrie néolithique et énéolithique que se rencontrent les chefs-d'œuvre de la taille du silex, et l'on a peine à concevoir que des ouvriers fussent assez habiles pour tailler avec une pareille perfection ces grandes lames égyptiennes, quelquefois polies d'un côté, toujours si minces et portant les traces d'enlèvement des éclats de retouche fait avec une régularité mathématique. Les néolithiques, tant en Égypte que dans les pays scandinaves, étaient passés maîtres dans leur art. Sur le Nil on façonnait même de légers bracelets en silex, parfaitement circulaires et polis à l'extérieur. Dans le Jutland et la Scanie, on excellait dans la fabrication des poignards. Quelques pièces trouvées en France même ne sont pas négligeables mais il reste à savoir si elles sont vraiment indigènes; car, à cette époque, le commerce du silex avait pris une grande extension.


Fig. 70.—Nos 1-2, nucleus (Grand-Pressigny).—Nos 3-4, 1re lame. N°5, 2e lame.—N° 6, 2e lame.
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Le silex se trouve, dans le nord de l'Europe, par gros rognons au milieu des assises du terrain crétacé supérieur (Cénomanien, Turonien et Sénonien); c'est surtout dans la craie qu'il s'est formé, alors qu'elle se déposait, la silice se concentrant dans les vides laissés par le moulage et la disparition des corps organiques enfouis dans la vase. Les spongiaires ont été la cause principale de cette concentration. Dans le sud de l'Angleterre, le nord de la France, la Belgique, le nord de l'Allemagne et le Danemark se trouve, dans la craie blanche, le plus beau silex du monde. En Suède il n'existe pas de craie à silex[143].

En Algérie et en Tunisie, les silex abondent dans les mêmes terrains qu'en Europe occidentale, alors qu'en Égypte c'est dans les couches tertiaires (nummulitiques) qu'il se rencontre; toutefois, dans les coteaux de la vallée du Nil, la qualité de cette matière ne le cède en rien à celle de nos silex occidentaux.

Pour alimenter le commerce et fournir de silex les populations qui n'en possédaient pas de gisements dans leur sol, il se forma des centres de la taille: des ateliers s'établirent en Belgique, dans le bassin de la Loire, au Grand Pressigny. Dans cette dernière localité se fabriquaient de superbes lames qui étaient exportées dans tout l'Occident européen; mais il ne semble pas qu'on y eût taillé en grand nombre d'autres instruments. Au Grand Pressigny, entre autres, les nuclei abandonnés, après qu'ils eurent rendu les services qu'on attendait d'eux, se rencontrent dans les champs par milliers et milliers. Ce sont de longs blocs de silex retaillés à grands éclats sur toutes les faces, mais dont une seule était préparée pour l'enlèvement des lames. Ils sont très variables de dimensions: on en voit présentant plus de cinquante centimètres de longueur (fig. 70).

C'est par percussion que ces grandes lames étaient enlevées; il fallait, à coup sûr, une bien grande habileté de main et des précautions spéciales pour que la vibration ne brisât pas ces couteaux si longs et si minces, si fragiles. Certes on rencontre des débris; mais ils sont en bien petit nombre si l'on tient compte du nombre énorme des nuclei, et par suite de la production des lames.

La taille des lames d'obsidienne, dans les îles de l'Orient méditerranéen, se faisait de la même manière, mais nuclei et lames n'atteignent pas de grandes dimensions: les plus grands nuclei ne dépassent jamais une vingtaine de centimètres de longueur (fig. 71).


Fig. 71. Nucleus et lames d'obsidienne (Phylacopi, île de Milo).
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Bientôt les affleurements de silex ayant été exploités, les ouvriers songèrent à creuser des puits dans le sol pour aller y chercher les couches riches en silex. D'ailleurs ces ouvriers avaient probablement reconnu que cette matière à l'état frais, et conservant encore son «eau de carrière», se taille plus aisément que celle qui, pendant longtemps, a été exposée au contact de l'air et aux intempéries.

C'est en 1867 que des géologues belges[144] découvrirent à Spiennes, près de Mons, les premières de ces curieuses mines; mais par la suite la même industrie fut reconnue dans l'Aveyron (fig. 72), par MM. Boule et Cartailhac[145], puis dans le département de l'Oise[146], dans celui de la Marne[147], en Angleterre, dans le Norfolk et le Sussex[148]. Enfin, dans ces dernières années, Seton Karr a découvert en Égypte de très vastes exploitations (fig. 73 et 74).


Fig. 72.—Puits d'extraction du silex à Mur-de-Barrez (Aveyron). D'après M. Boule (Mat. 1887, p. 8).
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À Spiennes, les néolithiques ont foré des puits de 0 m. 60 à 0 m. 80 de diamètre jusqu'à une profondeur atteignant parfois 12 mètres, au travers des couches du quaternaire et du tertiaire, puis de la craie, jusqu'à parvenir au banc des silex de la meilleure qualité. À cette profondeur ils avaient pratiqué dans tous les sens, des galeries irrégulières hautes de 0 m. 50 à 2 mètres et larges de 1 mètre à 2 m. 50. Dans ces galeries on a retrouvé des pics en bois de cerf et en silex, des marteaux, des haches polies, le tout accompagné de cendres, de bois calciné, et, autour de ces puits sur environ vingt-cinq hectares, le sol est couvert d'éclats et de rebuts de la taille; c'est là que se trouvait l'atelier.


Fig. 73.—Croquis topographique
des mines de silex de Ouadi el Cheikh (Égypte),
d'après les relevés de Seton Karr.
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Ces sortes d'exploitations ont certainement été fort nombreuses dans nos pays; mais les terres qui recouvrent les puits ayant été cultivées depuis de longues années, il est fort difficile de reconnaître leur emplacement. En Égypte, les conditions sont tout autres; c'est dans le désert que les néolithiques ont ouvert leurs mines, et le sol est encore dans l'état même où ils l'ont laissé, il y a de cela plus de six mille ans (fig. 73); on voit encore les buttes de décombres (fig. 74), haldes du travail des mineurs laissées autour du puits, et ces buttes s'alignent en nombre infini sur les bords de certains vallons connus dans ces temps pour la richesse en silex des couches qui se trouvent sous les alluvions quaternaires. Ces travaux, considérables, sont assurément contemporains de la belle industrie du silex en Égypte; c'est-à-dire que, commencés peut-être avant l'apparition du métal, ils se sont continués sous les rois dont les restes ont reposé dans les nécropoles de Négadah et d'Abydos.

Bien longtemps avant de polir le silex, les matières sédimentaires siliceuses et les roches cristallines, les hommes avaient travaillé et poli l'os et l'ivoire et quelques ustensiles de pierre; ils n'ignoraient donc pas cette méthode de travail mais, pour des causes qui nous échappent, ils ne l'employaient pas et ce n'est que très tardivement qu'ils en firent usage.


Fig. 74.—Mines de silex de Ouadi el Cheikh, d'après une photographie de H.-W. Seton Karr.
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L'instrument, taillé avec beaucoup de soin, présentait la forme qu'il devait avoir après le polissage. Pour les outils de silex, par de petites retouches habilement faites, on enlevait le plus qu'il était possible des arêtes par trop saillantes, et, pour les autres roches, c'est par un piquage, au moyen d'un percuteur pointu, d'une roche très résistante qu'on amenait l'instrument à sa forme; puis en le frottant sur une substance plus dure et, probablement aussi, en s'aidant de sable et d'eau, on enlevait tous les saillants des retouches.

Cette opération se faisait soit sur un rocher, soit sur une grosse pierre apportée dans le campement et auquel nous donnons le nom de polissoir. Nous connaissons des polissoirs des industries aurignacienne[149], magdalénienne[150], azilienne[151]: mais ces pierres ne servaient alors qu'au polissage des os et de l'ivoire, à la fabrication des aiguilles et des épingles. C'est au néolithique que commence le polissage de la pierre, il ne s'applique qu'à quelques instruments seulement, haches, erminettes, gouge, ciseau et casse-tête, dans le monde entier, couteaux et bracelets en Égypte seulement; et encore les instruments polis ne le sont-ils souvent qu'au tranchant. Toutefois il est à remarquer que dans le sud de l'Europe, en Italie, en Grèce et en Espagne les haches polies de silex font défaut[152] et qu'en Afrique du Nord elles semblent également manquer, ou du moins être extrêmement rares.


Fig. 75.—Pic de mineur de Ouadi el Cheikh (musée de Saint-Germain récoltes de Seton Karr) et son emmanchement.
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Fig. 76.—La «Pierre aux dix doigts», Villemaure (Aube).
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Les polissoirs sont le plus souvent en grès dur; on en connaît cependant en granit, en quartzite ou en toute autre roche dure. Dans la Dordogne on a fréquemment employé des dalles de silex[153]. L'un des plus remarquables est celui dit «la pierre aux dix doigts» (fig. 76), de Villemaure, dans l'Aube[154].

Mais à côté de ces polissoirs fixes, sur lesquels on frottait l'instrument qu'on désirait achever, il est bon nombre de polissoirs à main et d'aiguisoirs qui certainement n'étaient pas destinés au polissage des outils de pierre, mais servaient pour l'os, l'ivoire ou la corne. On les rencontre en grand nombre dans les stations néolithiques; quelques-uns même sont percés et pouvaient être suspendus à la ceinture.


Fig. 77.—Bas-relief de la VIe dynastie d'Égypte. La fabrication des vases de pierre.
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Fig. 78.—1 à 5, Vases de pierre. El Amrah (Hte-Égypte).
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Le néolithique, vers son apogée, a connu les instruments perforés pour recevoir leur emmanchement, haches, marteaux, masses, casse-têtes, etc., qu'on rencontre dans tous les pays du monde. Ces armes presque toujours faites de pierre très dure, diorite, serpentine ou autre, ont été longtemps en usage, car on les trouve fréquemment avec des instruments de bronze; mais on aurait grand tort de les considérer comme représentant une époque[155] car, dans les diverses régions où elles se rencontrent, l'industrie énéolithique ne peut être considérée comme de la même antiquité. En Égypte et en Chaldée, les masses de formes diverses sont extrêmement anciennes et leur usage s'est, dans la Mésopotamie, conservé jusqu'à nos jours. Les Arabes des tribus, en effet, sont encore armés d'un casse-tête fait d'un court bâton muni, à l'une de ses extrémités, d'une grosse boule de bitume.

Quant à la perforation du trou d'emmanchement, elle se faisait, comme de nos jours encore, par rotation d'un foret circulaire, généralement creux, actionné, soit à la main, soit à l'aide d'un archet, agissant sur la pierre à percer; le sable mouillé jouait un grand rôle dans ce travail qui permettait aussi le forage des vases de pierre dure, cristal de roche, obsidienne, cornaline, etc... Certains bas-reliefs de l'ancien empire égyptien nous montrent des ouvriers occupés à ce travail (fig. 77).


Fig. 79.—Vase de pierre.
Abou Zédan (Hte-Égypte).
Énéolithique.—Rech. H. de Morgan.
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Dès le temps des industries de la pierre éclatée, l'homme travaillait le bois; dans les dernières périodes, dans celles qui ont précédé l'apparition du métal, il abattait de gros arbres, dont il creusait le tronc pour en faire des pirogues[156], sortes d'auges allongées, rondes ou carrées aux extrémités. Il coupait aussi et taillait en pointe les pieux de ses villages lacustres et les poutres de ses habitations. Certes ce travail exigeait beaucoup de patience, nous le savons, ayant vu les Indiens de l'Amérique méridionale se livrer à ces travaux; mais on n'en parvenait pas moins à ses fins, tout comme si l'on avait disposé de haches métalliques. Le temps alors était le principal facteur de toutes les œuvres, il l'est encore chez les peuples primitifs; les Indiens de l'Alaska polissent l'ivoire de morse en le frottant pendant des semaines et des mois dans le creux de leur main, et obtiennent ainsi un lustre que jamais ne produirait un procédé plus rapide.


DEUXIÈME PARTIE

LA VIE DE L'HOMME PRÉHISTORIQUE


CHAPITRE I

L'HABITATION

Nous ne savons rien de l'habitation des hommes antérieurement à l'apparition de l'industrie moustiérienne; les cavernes, cependant, étaient ouvertes; car, dans la plupart d'entre elles, on trouve à la base du remplissage des dépôts de résidus de la vie des animaux sauvages. On est donc amené à penser, soit que le pays n'était pas habité antérieurement à l'existence des moustiériens, soit, comme nous l'avons dit plus haut, que les industries chelléennes et acheuléennes sont contemporaines du moustiérien, répondaient à des besoins que n'avaient pas les populations troglodytes, et que Chelléens et Acheuléens se construisaient des hottes dans les pays dépourvus d'abris naturels. Il n'est pas possible, en effet, d'admettre que ces gens ne se seraient pas mis à couvert dans les grottes qui s'offraient à eux.

Les cavernes ayant conservé les vestiges provenant des générations qui s'y sont succédé, apportent des renseignements des plus précis quant à la vie des hommes paléolithiques et archéolithiques. Dans celles de Grimaldi (grotte des Enfants), les dépôts de remplissage s'accumulaient avant les fouilles sur 10 mètres environ de hauteur. À la base était une couche renfermant des coprolithes d'hyènes, puis s'étageaient neuf zones de foyers distincts, tous appartenant au quaternaire. Les couches profondes étaient caractérisées par la présence d'ossements du Rhinoceros Mercki[157], et cet exemple n'est pas isolé; car toutes nos cavernes ont été habitées de même manière, avec plus ou moins de régularité. Quelques-unes cependant, provisoirement abandonnées par l'homme, sont devenues, à nouveau, le repaire des carnassiers; puis elles ont été reconquises, et les foyers succèdent aux couches dans lesquelles les produits de l'industrie sont absents.

En dehors des cavernes, nous ne connaissons avec certitude rien de l'habitation des hommes durant les temps quaternaires; c'est avec les industries mésolithiques qu'apparaissent les premières traces de huttes bâties en plein air. Les kjœkkenmœddings danois et les stations campigniennes montrent l'homme construisant ses abris en clayonnages de branches enduits de pisé, et ces huttes primitives le plus souvent sont groupées en villages et généralement défendues, soit par la nature, soit par des palissades. Ces maisons primitives étaient de petite taille, circulaires et offraient 2m, 50 au plus de diamètre. Dans certains cas, les unes servaient d'habitation et les autres de cuisine[158]. En général, les villages se trouvent à proximité des cours d'eau; car il ne faut pas oublier que, bien que s'adonnant à l'élevage et à la culture des céréales, les mésolithiques et néolithiques tiraient encore de la chasse et de la pêche une grande partie de leur subsistance. Bon nombre de ces agglomérations avoisinaient les gisements les plus importants de silex, d'obsidienne ou plus tard de métaux, causes de l'établissement de véritables fabriques pour l'exportation. Le sol devait fournir la vie et les groupes, chacun peu nombreux, trouvaient aisément leur subsistance autour des villages.

Le mode d'existence des hommes à cette époque ne les portait généralement pas à bâtir de véritables cités: cependant certaines agglomérations peuvent prendre le nom de ville, tel est le camp de Chassey, dans la Côte-d'Or, qui ne couvre pas moins d'une douzaine d'hectares, et le Campigny (Seine-Inférieure), dont les huttes s'étendent sur trois ou quatre hectomètres carrés. Plus en aval, dans la vallée de la Bresle, près du village d'Incheville, un plateau portait également un camp campignien, probablement fortifié; et ce camp mesurait plusieurs centaines de mètres de longueur. Citons encore les bourgs de Catenoy (Oise); de Camp-Barbet, à Janville, dans le même département: celui de Peu-Richard, commune de Thénac, dans la Charente-Inférieure.

Quant aux fabriques d'instruments de pierre, elles variaient suivant la nature du sol et les besoins de l'exportation. Dans beaucoup de localités on taillait des armes et des outils de toutes formes, alors que dans d'autres on ne fabriquait que certains types. En Normandie et en Champagne, on polissait les haches; dans le Calvados et la Seine, on taillait les grattoirs. Le Grand Pressigny, nous l'avons vu, était un centre de fabrication des grandes lames.

Mais ce n'est pas seulement en France qu'on rencontre les restes d'agglomérations humaines des derniers temps de la pierre. En Belgique, dans la province de Liège, sont les traces de nombreux villages de ces temps[159]. En Italie, d'intéressantes découvertes ont été faites dans les Abruzzes, dans le Reggianais, dans les provinces de Mantoue, de Brescia, etc.[160].

Ce que nous connaissons des huttes de l'Allemagne nous montre que les mœurs qui ont présidé à la construction des habitations différaient de celles de nos pays. Les huttes étaient rectangulaires, construites en charpente garnie de treillages de branches, enduits de pisé, peint en diverses couleurs[161] d'ornements géométriques. En Bohême, en Hongrie, en Bosnie en Transylvanie et jusqu'en Roumanie on a relevé les traces de villages néolithiques; mais si l'on compare ces découvertes entre elles, on constate de sensibles différences, soit dans la construction des abris, soit dans la céramique, soit dans l'outillage de pierre, dont le principe reste cependant le même d'une manière générale.

Il est bien difficile de distinguer entre les maisons néolithiques et celles des gens en possession du métal, les goûts différaient suivant les contrées, suivant la nature des matériaux que la nature mettait à la disposition de l'homme et, d'ailleurs ces habitations ne peuvent être datées que par les objets qu'on rencontre dans leurs ruines. Les maisons de Megasa et Phaestos attribuées par MM. Dawkins et Mosso au néolithique sont, sans qu'aucun doute soit possible, énéolithiques, d'après les objets qu'elles contiennent, autant que par leur mode de bâtisses. De même à Orchomène les constructions avec soubassements en pierre et murailles en briques crues, appartiennent à une civilisation déjà fort avancée, dans laquelle le métal était certainement connu. C'est à tort que Schliemann les attribue au néolithique.

L'Europe était alors peuplée de tribus appartenant à des races très diverses, de mœurs très différentes, et les variations dans les usages, qui se feront sentir plus encore après l'apparition des métaux, en sont la meilleure des preuves.

Dans les plaines et les vallées fertiles et giboyeuses, l'homme devait se tenir en garde contre les animaux sauvages et aussi contre ses voisins; les luttes étaient alors incessantes entre les tribus, comme elles le sont encore de nos jours chez les nomades soit pour la possession des terrains de chasse et de pêche, soit pour celle des pâturages et des terres de culture. La sécurité n'était donc que très relative. Ne savons-nous pas qu'avant d'avoir été presque anéantis par les Européens, les Indiens des États-Unis étaient perpétuellement en guerre entre eux? Aussi voyons-nous presque tous les villages néolithiques entourés de murailles de défense. Malheureusement ces sites ayant été habités longtemps encore après l'apparition du métal, il est impossible d'attribuer d'une manière certaine aux néolithiques les fortifications dont nous reconnaissons les restes.


Fig. 80.—Urne funéraire en forme de cabane (Étrurie).
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Toujours à la recherche de conditions d'existence plus favorables, les néolithiques, dans les régions des lacs, n'ont pas manqué de se mettre à l'abri de leurs ennemis en bâtissant leurs habitations sur l'eau. Malgré les moyens rudimentaires dont ils disposaient, ces hommes, abattant les arbres de leurs forêts, en firent des pieux qu'ils enfoncèrent dans la vase des lacs, puis sur ces pieux ils établirent un plancher plus ou moins étendu, et c'est là qu'ils construisirent leurs demeures. Ce procédé, ignoré dans nos pays avant l'apparition de la pierre polie, est encore en usage dans l'Extrême-Orient et l'Océanie. La baie de Singapoure m'en a fournit un frappant exemple: là, toute une population chinoise, composée en grande partie de pêcheurs, vit encore sur l'eau.

En Suisse, on compte aujourd'hui plus de deux cents palafittes[162]. Ces sortes de stations sont nombreuses dans nos lacs français des Alpes et du Jura; on en rencontre jusqu'en Écosse et en Russie.

D'ailleurs, la construction sur pilotis n'est pas réservée aux habitations bâties sur l'eau. Dans toute la Malaisie, les maisons sont établies sur pieux, et leur plancher est situé à quelques mètres du sol; c'est ainsi que les indigènes se protègent contre les miasmes et les animaux nuisibles. C'est sur ce même principe qu'ont été construits les terramares de la Haute-Italie[163].

Quant aux crannogs de l'Irlande et de l'Écosse, leur construction partait de la même conception; mais ce principe de se défendre par l'eau était réalisé sous une forme différente de celle des palafittes. Les crannogs sont des îlots faits de main d'homme produits par la surélévation artificielle de bas-fonds couverts d'eau en hiver, émergeant en été.

On conçoit que les habitants des palafittes aient jeté à l'eau tous les débris de leur vie, et que, bien souvent, des objets utiles soient tombés par mégarde. Aussi parmi la forêt des piquets encore plantés dans la vase, marquant la position des villages, la drague ramène-t-elle tout le mobilier de ces temps: instruments de pierre, de métal, os et bois travaillés, poteries, jusqu'à des fragments d'étoffes et de filets, des cordages, conservés par la tourbe, des pirogues creusées dans le tronc d'un arbre, des fruits, des graines, bref tout ce qui se rencontrait alors dans l'existence courante, et, grâce à ces innombrables restes, nous possédons mille renseignements sur la vie intime de ces populations.

Quant aux pilotis qui demeurent en place depuis tant de siècles, ils permettent de juger de l'importance des diverses agglomérations et d'établir le plan de leur contour.

À Robenhausen (en Suisse), sur le lac de Pfaeffikon, la surface de la bourgade était, à peu de chose près, d'un hectare et demi, et le village s'élevait à trois mille pas environ de la rive du lac. Un pont très long mettait en communication le bourg avec la terre.

Longtemps encore après l'apparition des métaux, les vieilles coutumes, quant à la construction des habitations, subsistèrent dans nos pays; nous possédons dans les bas-reliefs romains, surtout dans ceux de la colonne Trajane, des représentations très concluantes à cet égard; et quelques urnes funéraires de l'Étrurie et du Latium (fig. 80) nous donnent l'exacte reproduction des huttes de ces temps en ces pays. L'homme ne songea que beaucoup plus tard à construire des murailles pour ses habitations; son premier soin fut de faire usage de la pierre pour conserver les ossements de ses morts; ce n'est que longtemps après qu'il prit soin de protéger sa propre vie, en élevant des remparts de défense. Toutefois on doit remarquer que dans l'Orient méditerranéen les populations, dès les temps de l'industrie énéolithique, construisaient en pierres sèches les murailles de leurs habitations; qu'en Asie, on faisait usage de mottes irrégulières d'argile, à Suse entre autres, pour le rempart préhistorique, et que ce mode de construction se transforma rapidement en Égypte, et donna naissance à la brique dont les sépultures des dynasties Thiuites sont bâties; les tombes royales de Négadah et d'Abydos sont faites de briques crues. Quelque temps après, on employa même ces matériaux pour élever les remparts protecteurs des villes. Les murailles d'El Kab sont un bel exemple de l'architecture militaire primitive. Plus tard, sous la XIIe dynastie, les pyramides des Ousertesen et des Amenemhat se composaient encore d'un énorme noyau de briques crues, revêtu d'un parement de pierre; et, bien des siècles après, sous les Achéménides de Perse, tout était fait de grandes briques crues, maisons, palais et remparts, bien que la brique cuite fût déjà connue tout au moins depuis le temps des Patésis d'Élam. En Gaule, en Grèce, dans toute l'Europe, en Égypte même, la brique cuite n'est apparue, et ne devint d'un usage courant, que lors de la conquête romaine.

Les nomades de nos temps vivent sous la tente, abri fait de peaux, ou de toile grossière de crin, qu'ils chargent sur leurs bêtes, dès que les pâturages sont épuisés autour de leur campement; car à peine restent-ils quelques semaines sur le même point. Il en était certainement de même aux temps préhistoriques chez les nomades chasseurs ou pasteurs soit que le gibier fût épuisé, soit que l'herbe eût été mangée par les troupeaux. Or ces changements continuels ne laissent aucune trace durable; en quelques jours, la pluie et le vent disséminent les cendres des foyers; il ne reste sur le sol que quelques pierres demi-calcinées, et de rare objets oubliés ou abandonnés; c'est ainsi que s'expliquent les innombrables trouvailles d'objets isolés qu'on fait dans tous les pays, et que rien ne vient corroborer entre elles.

Les agglomérations préhistoriques, dans les divers pays, diffèrent beaucoup par leur taille: nous avons vu que la palafitte de Robenhausen mesurait environ 1 hectare et demi de superficie. Ces proportions se retrouvent dans quelques citadelles primitives; à Murcens (Lot), au mont Beuvray (Saône-et-Loire), les dimensions sont égales à celles de Robenhausen. Alise Sainte-Reine (Côte-d'Or) occupait une superficie de 9 700 ares; Gergovie, 7 000 ares; et la Rome palatine couvrait 1320 ares, alors que Tyrinthe n'était que de 200 ares, Athènes de 250 et Mycènes de 300.

Il est à remarquer que l'usage de s'établir dans des lieux élevés, de construire des acropoles entourées de murailles, paraît avoir été apporté par les peuples venus de la Sibérie; car toutes les grandes villes fondées par les peuples de vieille souche se trouvent dans les vallées au bord des cours d'eau. Thèbes, Abydos, Memphis, Our, Ourouk, Babylone, Suse, sont situées dans la plaine. Alors que Rome, Athènes, Ecbatane, Alise, et une foule de villes et de bourgades fondées par les nouveaux venus (Aryem) ont leur Acropole ou sont tout entières bâties sur les hauteurs. En Gaule les exemples du choix des hauteurs sont innombrables, l'occupation des îles et la construction des cités lacustres, des crannogs appartiennent au même besoin de protection naturelle des agglomérations.

CHAPITRE II

LA CHASSE, LA PÊCHE, LA DOMESTICATION DU BÉTAIL ET L'AGRICULTURE

La chasse.—Chez les peuples les plus primitifs, de nos jours, comme par le passé, la chasse, la pêche et la récolte des plantes et des graines sauvages sont les seuls moyens qu'a l'homme de se procurer sa nourriture; et il en était de même dans les phases les plus reculées de la préhistoire. Les débris qu'on rencontre dans les alluvions ne nous renseignent pas à cet égard en ce qui concerne la vie des populations qui taillaient les coups de poings chelléen et acheuléen, mais dans les cavernes, aux niveaux dits moustiériens, la grande abondance d'ossements des animaux qui, à l'état sauvage, peuplaient alors plaines, vallées et montagnes, ne laisse subsister aucun doute quant aux travaux des troglodytes. Ils étaient chasseurs et certainement aussi pêcheurs: la capture du gibier et du poisson était leur principale occupation.

Cependant la vie n'était pas aussi facile qu'on serait en droit de le croire; car, pendant toute la durée des temps quaternaires, l'homme avait à se mesurer avec de terribles adversaires, soit qu'il luttât contre eux pour assurer sa subsistance, soit qu'il eût à défendre sa propre vie; et ce n'est certainement pas avec l'aide seule des instruments grossiers de silex dont il disposait, qu'il pouvait se rendre maître des pachydermes, des rhinocéros, des bisons et de tous ces grands herbivores dont il faisait sa nourriture habituelle, qu'il était à même de vaincre l'ours et le lion. Assurément, de même que bon nombre de sauvages modernes, il faisait grand usage des lacets, des pièges, de ces fosses dont on use encore dans l'Indo-Chine pour capturer le tigre royal, et de plus, il fabriquait des armes puissantes de bois dur, des épieux, dont peut-être même la pointe était empoisonnée. Une tige de buis ou de chêne convenablement préparée devient, entre les mains d'un homme adroit et vigoureux, un moyen d'attaque très redoutable.


Fig. 81.—Lions et chiens de chasse. Bas-relief du tombeau de Méra, à Saqqarah (VIe dynastie).
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Chez les peuplades sauvages modernes, ces sortes d'armes, fort usitées, varient de forme et de nature suivant leur destination. La pique, le javelot, l'épieu garni d'une pointe de silex, d'os, de corne ou simplement d'un bois dur affilé, sont les principaux instruments de chasse des primitifs et, aux temps préhistoriques comme de nos jours, ils servaient aussi bien contre l'homme que pour abattre les animaux sauvages.

Dès avant l'introduction dans nos pays de l'industrie néolithique, l'arc et la flèche avaient certainement fait leur apparition; c'était un grand progrès sur le propulseur, car les projectiles atteignaient de grandes distances, jusqu'à quatre et cinq cents mètres (à l'époque romaine), et permettaient de frapper l'ennemi ou le gibier sans lui donner l'éveil. L'homme pouvait dès lors lutter contre le lion et l'ours sans exposer sa vie autant que par le passé. Cependant, dans les contrées chaudes, le chasseur n'avait pas affaire seulement aux grands carnassiers. En Égypte, le crocodile sortant la nuit des marais venait parcourir les villages en quête de proies, tout comme le font encore les alligators de l'Amérique centrale, et ni la flèche, ni l'épieu n'avaient d'effet sur leur armure. Ces monstres atteignaient parfois d'énormes proportions et, tandis que les habitants réfugiés dans leurs palissades n'osaient pas en sortir, le lion, quittant ses repaires du désert, venait rôder autour des huttes et des enclos du bétail. En Chaldée, le souvenir de ces luttes contre le roi des animaux est demeuré pendant des siècles très vif dans les esprits, la glyptique et la sculpture en font foi; alors que les bas-reliefs égyptiens des premiers temps historiques nous font assister le plus souvent (fig. 81) à des exploits cynégétiques plus pacifiques; ce sont généralement des chasses à la gazelle, à l'antilope, ou bien aux oiseaux d'eau, dans les marais. L'arc et le filet jouent le grand rôle.

Dans les kjœkkenmœddings de l'Égypte et de nos pays, dans les cavernes, on trouve des amas considérables d'os brisés, restes de repas que les hommes de ces temps ne prenaient pas la peine d'écarter de leur demeure; et ces débris varient suivant les époques, fournissent, pour chaque temps, la liste des animaux sauvages dont l'homme faisait sa nourriture. À Solutré l'on n'a pas trouvé moins de cent mille équidés, dont les os étaient amoncelés autour des anciennes habitations. Mais, alors que dans les régions extra-européennes on voit sur les rochers figurer l'homme à la poursuite du gibier, ces sortes de représentations n'existent pas chez nous pour les temps quaternaires, bien que nos cavernes soient couvertes de peintures; c'est plus tard seulement, avec l'industrie néolithique, qu'elles se montrent. Cette remarque est d'importance en ce qui regarde l'esprit dans lequel ont été dessinées les représentations magdaléniennes.

L'introduction de l'élevage et de l'agriculture chez les peuples de tous les pays n'a pas arrêté les exploits des chasseurs; mais dès lors, la capture du gibier, n'étant plus indispensable à la vie, n'a plus joué qu'un rôle secondaire dans les occupations. Les néolithiques, semble-t-il, tiraient autant de ressources des animaux sauvages que de leurs troupeaux, si nous en jugeons par les ossements qu'on rencontre dans la vase sous les cités lacustres; et ce n'est que beaucoup plus tard, aux temps historiques, que la chasse est devenue un agréable passe-temps, un luxe que les plus grands rois ne dédaignaient pas. Mais, avec l'apparition des métaux, l'armement devenant plus puissant, l'abondance du gibier diminua et bien des espèces disparurent. C'est ainsi que la cavalerie romaine de Julien le philosophe abattait de ses flèches les dernières troupes d'autruches du désert euphratique, que le lion disparut de la Grèce continentale et de l'Asie mineure, lors des débuts de l'histoire dans ces pays, que les bos urus de l'Europe occidentale furent exterminés dans les premiers siècles de notre ère.


Fig. 82.—Faucons de chasse:
1, entravé; 2, libre, Arménie russe. Seconde industrie du fer.
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Aux temps de l'industrie du fer, nous voyons paraître dans la Transcaucasie l'emploi du faucon pour la chasse (fig. 82), et cet usage si cher à nos seigneurs du moyen âge, est demeuré en vigueur jusqu'à nos jours chez les Orientaux.

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La pêche.—Si l'homme poursuivait le gibier, il ne négligeait certainement pas le poisson, alors d'une abondance extrême dans les lacs et les cours d'eau; abondance que nous ne connaissons plus aujourd'hui que dans les pays neufs, où les moyens de pêche modernes n'ont pas encore été appliqués.

Pour les temps les plus anciens, contemporains de l'industrie paléolithique, les documents nous manquent pour apprécier les méthodes de pêche; mais dès l'apparition du harpon, c'est-à-dire dès les débuts des industries archéolithiques, nous sommes assurés que nos prédécesseurs sur le sol des Gaules chassaient le poisson. Quant aux lignes de pêche de ces temps, nous n'en avons pas rencontré de traces; il est juste de dire que l'hameçon pouvait être fait de deux esquilles d'os ou de bois dur attachées ensemble et formant un angle aigu; cependant les microlithes géométriques (Tardenoisien ou Tourassien) paraissent avoir été taillés pour armer des engins de pêche.

Fig. 83.—Harpons et instruments de pêche.—N°1, Ivoire. N°2, Cuivre (Abydos). N°3, Silex (Hélouan). N°4, Emmanchement du n°3. N°5, Corne de cerf (lac de Neuchâtel). N°6, Robenhausen (Suisse). N°7, Flotteur en bois de pin (Robenhausen, Suisse). (Nos 5, 6, 7, d'après A. de Mortillet.)

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Le harpon (fig. 83, n°1 à 5), en usage dès les derniers temps quaternaires, se montre dans toutes les industries moins anciennes, jusqu'à nos jours; il est fait d'os, d'ivoire ou de métal, et certains petits instruments de silex qu'on rencontre, à Hélouan (Égypte) entre autres localités, peuvent être considérés comme des armatures de harpons.

Quant aux hameçons (fig. 84, nos 1 à 10), ils se montrent nombreux dans toutes les industries du cuivre et du bronze, affectant les formes que nous leur donnons encore de nos jours.


Fig. 84.—Hameçons.—Cités lacustres de Suisse: nos 1 à 8 et 11 à 13. N° 9, Suse. N° 10, Égypte.
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Les filets (fig. 83, n° 6) paraissent avec l'industrie néolithique des cités lacustres ou, du moins, est-ce dans les lacs qu'on a jusqu'ici rencontré les plus anciens spécimens de filet. Ils semblent avoir été faits «au pouce» plutôt qu'au «petit doigt». Des morceaux de bois léger (fig. 83, n° 7) tenaient lieu de flotteurs, et des cailloux percés (fig. 84, n° 11) ou de ces grosses perles de terre cuite qu'on nomme fusaïoles (fig. 84, nos 12 et 13) remplaçaient nos plombs pour les lignes comme pour les filets.

Dans certains pays, riches en lacs et en cours d'eau, ou situés sur les côtes, la pêche était la ressource principale des habitants; les kjœkkenmœddings danois en font preuve et les bas-reliefs qui nous ont été laissés par les Pharaoniques des premières dynasties fournissent de nombreuses représentations de scènes de pêche au filet dans le Nil, ou dans les marais latéraux de sa vallée (fig. 85). D'ailleurs les restes de cuisine égyptiens contiennent tous des débris de poissons en grand nombre; et certains de ces os, des vertèbres, indiquent qu'on capturait alors dans le fleuve sacré de véritables monstres, mesurant parfois deux et trois mètres de longueur.

Fig. 85.—Scènes de pêche. Bas-relief du tombeau de Méra, à Saqqarah (IVe dynastie). Registre supérieur: 1° Méra en bateau assiste à la pêche, un serviteur le fait boire. À l'avant de la barque un autre serviteur fend les poissons pour les faire sécher; 2° barques de pêcheurs relevant des nasses; 3° deux barques de pêcheurs à la trouble; au-dessous sont des oiseaux pêcheurs. Registre inférieur: dix-huit pêcheurs, sous les ordres d'un chef, tirent à terre la senne pleine de poissons.

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En Chaldée, pays de fleuves et de marais, voisins de la mer, la pêche était également en grand honneur et, suivant les textes archaïques, les rois légendaires s'y livraient. Aujourd'hui encore, au Japon, en Chine, dans la Polynésie, voire même certaines régions de l'Europe, la pêche fournit aux habitants une partie fort importante de leur nourriture.

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L'élevage.—La domestication des animaux, dans nos régions, débute, pour quelques espèces, à l'époque où l'industrie mésolithique était florissante. Le plus ancien animal domestique semble avoir été le chien, compagnon du chasseur, gardien de la hutte, dont on rencontre les squelettes dans les kjœkkenmœddings danois. Quant aux hypothèses attribuant aux Solutréens le dressage du cheval, de même que toutes les suppositions relatives à la domestication dans les temps quaternaires, elles ne reposent sur aucune base sérieuse. Ce n'est donc, semble-t-il, que fort tardivement, que l'homme fit des animaux des auxiliaires de sa vie et des réserves pour sa nourriture.


Fig. 86.—Le bétail sous l'ancien Empire (bœufs).—Bas-relief du tombeau de Méra à Saqqarah (VIe dynastie).
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Fig. 87.—Le bétail sous l'ancien Empire; antilopes, gazelles, hyènes, chacals.—Bas-relief du tombeau de Méra à Saqqarah (VIe dynastie).
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À l'époque des palafittes, le cochon, le cheval, le bœuf, la chèvre, le mouton et le chien étaient apprivoisés; le sanglier, le daim, le cerf, un grand bœuf, l'élan, le castor, le chat, le renard, le loup, le putois, la martre, le blaireau et l'ours brun vivaient à l'état sauvage; et l'homme, toujours chasseur, ne rapportait le plus souvent à son habitation que les parties les plus utiles du gibier, après l'avoir dépecé sur la place où l'animal était tombé. Cet usage, que nous voyons pratiqué dès les temps quaternaires, et qui s'est perpétué chez les peuples sauvages jusqu'à nos jours, a permis aux zoologistes de distinguer entre les bêtes capturées à la chasse et celles qui, domestiquées, étaient tuées dans les villages. On retrouve toutes les parties du squelette de ces dernières dans les restes laissés aux alentours des habitations, alors que ce sont toujours les mêmes os qu'on rencontre quand il s'agit du gibier[164].

Quant aux pays d'origine de la domestication des animaux, nous ne les connaissons pas. Certains auteurs[165], sans preuves d'ailleurs, les placent en Orient; mais il est plutôt à croire qu'elle s'est produite sur un grand nombre de points. Les Péruviens, comme le fait observer M. S. Reinach, avaient domestiqué le lama, et les Astèques, le dindon, avant la conquête espagnole[166].


Fig. 88.—Antilopes
d'après une fresque Meïdoum
(IIIe dynastie).
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En Égypte, j'ai retrouvé, alors que j'explorais les kjœkkenmœddings, non seulement des traces de la domestication des animaux parmi les restes des habitations, mais aussi les enceintes où les Prépharaoniques enfermaient leurs troupeaux pour la nuit, et ces troupeaux étaient composés en majeure parte d'antilopes (Bubalis buselaphus), de gazelles (Gazella dorcas et isabella), de chèvres (Hircus thebaicus), de moutons (Ovis longipes) et de mouflons à manchettes (Ammotragus tragelaphus)[167]. Le bœuf était également connu, car on trouve ses restes dans les débris de cuisine. Reste à savoir si, à cette époque, il vivait à l'état sauvage, ou s'il était domestiqué.

Parmi les troupeaux qui figurent sur les bas-reliefs de l'ancien Empire, on remarque certains bœufs (Bos macroceros et Bos brachyceros) ainsi que le mouton d'Asie, et leurs squelettes se rencontrent en abondance dans les kjœkkenmœddings de Toukh. Ce bétail a fort probablement été importé[168] à des époques fort anciennes.


Fig. 89.—Peinture rupestre de Cogul
(Espagne), d'après H. Breuil.
[169]
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Pour les autres pays, nous ne possédons pas d'éléments permettant de trancher la question de la domestication des animaux; nous ne savons pas, entre autres, à quelle époque le renne, qui a joué un si grand rôle comme gibier, à la fin des temps quaternaires, est devenu le serviteur de l'homme.

L'agriculture.—C'est aux temps des industries néolithiques, dans les cités lacustres de la Suisse, qu'il faut nous reporter, pour apprécier l'état de l'agriculture; parce que la vase des lacs nous a conservé en fort bon état les substances végétales, alors que dans les autres stations elles ont disparu.

Le Dr Herr[170], dont les travaux sur la question méritent toute confiance, a constaté que les habitants des cités lacustres récoltaient les noisettes, les prunelles, les fraises, les pommes, les poires, les châtaignes d'eau, les faînes, les glands et le raisin, soit pour leur nourriture, soit pour celle de leurs troupeaux; et plus dernièrement Neuweiler[171] a dressé une liste de près de cent vingt espèces préhistoriques, sans compter les céréales telles que le seigle, l'orge, le froment et l'avoine, qui abondent dans les palafittes, soit en grains, soit en épis. «Les habitants des villages lacustres, dit Sir John Lubbock[172], cultivaient trois variétés de froment, deux espèces d'orge et deux espèces de millet.»

Nous ne pouvons pas savoir si toutes ces espèces était indigènes, ou si elles avaient été importées d'autres pays tels que la Mésopotamie, contrée où les graminées abondent; constatons seulement qu'on a signalé dans les palafittes de la Suisse le froment égyptien (Triticum turgidum) et l'orge à six rangées (Hordeum hexasticon), espèce que cultivaient les peuples de l'antiquité en Grèce, en Italie, en Égypte et dans l'Asie antérieure.


Fig. 90.—1, Statuette de bois
(IIIe dynastie). Dahchour.
2, Monsheim (Hesse Rhénane).
3, Suse.
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Dans tous les pays, en Égypte, en Chaldée, en Italie, dans les contrées helléniques, on rencontre, dès les temps les plus anciens de la hache polie, la meule à bras (fig. 90) qu'on retrouve également dans les stations mésolithiques et néolithiques, ainsi que dans les palafittes. Cette meule est simplement composée d'une large pierre plate, en roche dure, et d'un broyeur de forme allongée, aplati sur l'une de ses faces. C'est à l'aide de cet instrument primitif, qu'on rencontre d'ailleurs aujourd'hui encore chez quelques peuplades peu avancées, que les gens des cités lacustres fabriquaient cette farine grossière avec laquelle ils faisaient les pains dont on a trouvé bon nombre de spécimens au fond des lacs, sorte de galette sans levain, analogue à celle dont se nourrissent aujourd'hui bien des populations africaines et asiatiques.

Fig. 91.—1, Faucille en bois armée de silex, d'après W.-M. Flinders Petrie, Illahum Cahun and Gurob, pl. III, fig. 27.—2, Coupe montrant le mode d'encastrement du silex et le ciment de bitume.—3, Signe hiéroglyphique d'après une fresque de Meïdoum (IIIe dynastie). Le manche est peint en vert et les dents sont blanchâtres.—4 à 8, Éléments de faucille.—9, Silex montrant encore le ciment de bitume et les traces laissées par le bois du manche.

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Mais la découverte la plus curieuse, faite en ces dernières années et relative à l'agriculture préhistorique, est celle de Flinders Petrie en Égypte. Cet archéologue a trouvé une faucille de bois armée sur toute sa partie tranchante de petites lames de silex munies de dents (fig. 91). Jusqu'alors on avait pensé que ces instruments de silex, extrêmement abondants dans toutes les stations néolithiques et énéolithiques de l'Égypte, étaient des scies. Il n'en est rien: et sur presque tous ces éléments de faucille aujourd'hui dispersés on reconnaît un polissage spécial des dents, non pas obtenu par friction sur un corps dur, mais causé par une substance souple, la paille, qui, à la longue, a émoussé toutes les arêtes saillantes de l'instrument. En Chaldée (à Yokha), en Élam (à Suse) et à la base de tous les tells, on rencontre ces éléments de faucilles en prodigieuses quantités; presque tous sont usés, tout comme ceux de l'Égypte et patinés par les intempéries depuis leur abandon; on les retrouve en Syrie et en Espagne (fig. 92).


Fig. 92.—Abuchal, près Carmona
(Espagne), d'après G. Bonsor.
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L'existence de cet instrument de bois, armé de silex, montre combien il importe d'être prudent dans nos appréciations quant à l'usage des silex taillés dont nous ne connaissons pas l'emmanchement.

Avec la venue des métaux nous voyons changer la forme de la faucille; elle diffère quelque peu suivant les pays, mais se présente toujours comme une lame courbée, garnie d'un épais dos saillant (fig. 93).


Fig. 93.—Faucilles de bronze: 1, Palafitte de Moringen (Suisse); 2, Corcelette; 3, Guévaux; 4, Athlone (Wessmeath); 5, Jura; 6, Hongrie; 7, Caucase.
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L'époque de l'apparition de la charrue (fig. 94) ne peut être précisée, parce que primitivement cet instrument dépourvu de socle se composait seulement d'un morceau de bois fourchu, dont l'une des branches était attachée au joug, tandis que l'autre pénétrait dans le sol; ce n'est que tardivement qu'on arma la charrue d'une garniture métallique; on connaît un assez grand nombre de socles de fer. En Égypte cependant on rencontre de volumineux silex taillés que l'on considère comme ayant servi de socles à des charrues.


Fig. 94.—Laboureur et sa
charrue. Gravure rupestre de Bohusland
(Suède), d'après A. Montelius.
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Quant aux chars, on les rencontre en Chaldée, en Égypte, en Italie, en Hellade et dans presque tous les pays méditerranéens au cours de l'industrie du bronze. Dans le Nord et l'Ouest européens, ils sont fréquents dès l'apparition du Hallstattien (fig. 95), bien qu'existant déjà depuis longtemps; les chars votifs scandinaves en sont la preuve.


Fig. 95.—Char attelé de chevaux sur un vase d'argile incisée (Industrie du fer). Oerdenburg (Hongrie).
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Ces progrès s'opérant peu à peu, soit par suite de conceptions indigènes, soit par contact avec des peuples plus avancés, l'homme, s'attachant au sol qu'il cultivait, modifia son genre de vie et, de chasseur, devint sédentaire; cependant, dans bien des pays montagneux, les besoins de ses troupeaux l'obligèrent à conserver quelque peu de son ancienne existence nomade et à rechercher les pâturages dans les diverses saisons. C'est ainsi que vivent aujourd'hui la plupart des tribus kurdes et tartares de l'Asie antérieure; pour la plupart, elles possèdent leurs villages, bâtis au milieu de leurs terres de culture et de leurs pâturages d'hiver; mais elles quittent ces parages, dès les chaleurs venues, pour gagner la montagne, y reviennent momentanément pour les moissons, au cœur de l'été, puis s'y installent à nouveau, dès que les neiges chassent leur bétail des hauts pâturages.

CHAPITRE III

LE VÊTEMENT ET LA PARURE

D'après les très rares représentations humaines que nous possédons des temps quaternaires, il semble qu'à ces époques l'homme de l'Europe occidentale vivait nu, ou peu s'en faut; car si, par les grands froids, il se couvrait de peaux d'animaux tués à la chasse, ce que n'indiquent pas, d'ailleurs, ses figurations, cela ne l'empêchait certainement pas de s'exposer aux intempéries; peut-être même que la nature, prévoyante à son endroit comme elle l'était pour les pachydermes, l'avait-elle gratifié d'une véritable toison, certaines gravures sur bois de renne permettraient de le penser. Or, s'il en était ainsi dans les régions froides, a fortiori n'en pouvait-il pas être autrement dans les contrées chaudes. D'ailleurs, en Égypte, même aux temps de l'industrie néolithique, l'homme ne paraît pas s'être vêtu; les plus anciennes figures nous le montrent nu ou simplement protégé par une sorte de pagne, fait qui se retrouve, de nos jours encore, chez la plupart des peuplades sauvages des pays chauds, et même chez quelques-unes des terres où, comme en Patagonie, le froid sévit avec intensité.

Aux niveaux des industries archéolithiques, dans les cavernes, on rencontre en grand nombre des aiguilles d'os et d'ivoire, et l'on peut en déduire que les gens de ce temps cousaient les fourrures et s'en couvraient le corps lors de la mauvaise saison venue, comme le font encore les Kamtchadales; mais il serait très hasardeux de leur attribuer la connaissance des tissus.

Quoi qu'il en soit, c'est au cours des industries néolithiques et énéolithiques que nous voyons avec certitude paraître les étoffes. Les Proto-Susiens fabriquaient une toile assez fine. Il est probable même que sous les premiers dynastes de la vallée du Nil on portait de ces étoffes de coton dont nous trouvons des échantillons si bien conservés sur les momies, dès la troisième dynastie. Les sépultures des premiers princes de Haute-Égypte ayant été livrées aux flammes, toutes les matières périssables qu'elles renfermaient ont disparu; et dans les tombes du peuple on ne trouve pas trace de tissus, qui, s'ils existaient déjà devaient être fort précieux.

En Europe occidentale, les gens des palafittes filaient et tissaient le lin, ils ne connaissaient pas encore le chanvre; et ce n'était pas le lin que nous cultivons aujourd'hui qu'ils employaient; c'était une espèce à feuilles étroites (Linum angustifolium) qui croît spontanément encore dans les régions méditerranéenes, et que, fort probablement, ils se contentaient, dans les débuts, de récolter dans les prairies.


Fig. 96.—1 à 3 Figurines d'argile,
dessins gravés (Iassy, Roumanie).—4 à 5,
Figurines d'argile, dessins peints (Toukh, Hte-Égypte).
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Cependant la nudité semble avoir persisté bien longtemps encore; car la coutume de se tatouer et de se peindre le corps demeura, tant en Europe qu'en Afrique et assurément aussi en Asie, jusqu'aux temps historiques. Il suffira de citer les figurines de terre cuite découvertes en Roumanie (fig. 96, nos 1 à 3) et celles de la Haute-Égypte (fig. 96, nos 4 et 5) représentant des danseuses; toutes appartiennent à l'industrie néolithique ou, au plus tard, énéolithique.

Les ornements corporels sont de deux natures: le tatouage indélébile, obtenu à l'aide d'une pointe faisant pénétrer la couleur sous la peau, et la peinture superficielle. Ces deux procédés sont encore en usage chez tous les peuples primitifs; mais, d'après les figurations qui nous ont été léguées par les hommes préhistoriques, il est impossible de faire la séparation entre les deux procédés. En Égypte et en Chaldée ces usages semblent avoir de très bonne heure perdu beaucoup de leur importance. De même, dans le monde Égéen comme en Crète, si le tatouage et la peinture corporelle existaient, ce ne paraît avoir été qu'à l'état d'exceptions. La peinture, dans tous les pays et en tous les temps, n'a d'ailleurs jamais été qu'accidentelle, et le plus souvent voulue soit par des rites religieux, soit à certains jours seulement.


Fig. 97.—1 et 2, Mycènes,
3, Cnossos.
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Le costume caractéristique des peuples était, dès qu'il fut en usage, extrêmement varié, et il l'est resté jusqu'aux débuts du xixe siècle, à qui appartient le triste honneur, au point de vue artistique, d'avoir commencé son unification. Mais les habillements en usage aux temps préhistoriques nous sont presque entièrement inconnus, parce que nous n'en pouvons juger que par les très rares représentations parvenues jusqu'à nous et par les figurines archaïques dont les costumes montrent quelles étaient les modes dans quelques pays (fig. 97). Pour les autres contrées, nous en sommes réduits à des suppositions basées sur les objets qu'on rencontre dans les tombeaux, mais qui éclairent plutôt sur la bijouterie que portaient hommes et femmes, en ces temps, que sur la forme du costume.


Fig. 98.—Amulettes et collier de l'industrie de la pierre.

1 à 6, Grotte des morts (Gard). 7, Aveyron. 8, Stéatite: dolmen d'Aiguèze (Gard). 9, Coquille de pectuncle: dolmen de Gamat (Lot). 10, Coquille (Dijon, Côte-d'Or). 11, Coquille, os et schiste: dolmen de Vinnac (Aveyron). 12, Luzarches (Seine-et-Oise). 13, Camp de Chassey (Saône-et-Loire). 14, Canine de chien (lac de Constance). 15, Callaïs: dolmen de Carnac (Morbihan). 16, Stéatite: dolmen de Vayssières (Aveyron). 17, Lignite: dolmen de Bessoles (Aveyron). 18, Albâtre: dolmen de Montaubert (Aveyron).

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Assurément hommes et femmes se paraient dès les temps des industries quaternaires; mais leur bijouterie, si primitive qu'elle soit, nous est encore presque inconnue; c'est avec les restes des industries néolithiques que nous voyous paraître, dans les sépultures et dans les cités lacustres, de nombreuses amulettes et des perles de colliers (fig. 98). En Égypte, dans les tombes néolithiques et énéolithiques, on rencontre fréquemment des colliers composés de perles ou de coquilles, des pendeloques et des bracelets d'ivoire, d'albâtre, de nacre, voire même de silex merveilleusement taillés (fig. 99, n° 5). Mais c'est avec l'industrie du bronze que débute la véritable bijouterie.


Fig. 99.—Bracelets 1 à 3, Frignicourt (Marne). 4, Albâtre (El Amrah). 5, Silex jaune (Abydos). 6, Nacre (El Amrah).
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Le bijou qui présente le plus d'intérêt au point de vue de la variété est la fibule, qui se montre avec l'industrie du bronze et dont l'usage s'est perpétué jusqu'à nos jours; mais avant que la fibule fût connue et dans les pays où jamais elle n'a été en usage, comme l'Égypte, d'autres moyens permettaient d'attacher ensemble deux pans d'étoffe. Dans les sépultures de la première industrie du fer, en Arménie russe, toutes les tombes renferment une grosse épingle; et la chance a voulu que dans l'une de ces sépultures, l'épingle fût encore engagée dans des restes de l'étoffe et entourée du cordon qui la maintenait[173]. L'épingle remplaçait donc commodément la fibule; aussi devons-nous penser que celles qui se rencontrent avec les industries archéolithiques n'avaient pas d'autre destination, soit qu'elles retinssent des peaux, soit qu'elles fussent enfoncées dans les plis d'un vêtement tissé. Plus tardivement encore est venu le bouton, petit morceau de métal muni d'un anneau.

En Égypte, comme en Élam, la fibule ne semble pas avoir été d'usage courant même aux temps historiques, on ne la rencontre jamais dans les tombeaux pré-pharaoniques et proto-élamites; et les dépôts de fondation du temple de Chouchinak n'en contenaient aucune. Cependant elle existe à Moughaïr et à Warka, en Chaldée, dans des sépultures qui passent pour être fort anciennes, mais dont la date est très discutable.

Le type primitif de la fibule est celui dit en archet, dans lequel la tige métallique fait tous les frais: repliée sur elle-même, elle compose l'épingle, son arrêt, son ressort et le dos qui, bientôt, prend une importance ornementale. Dès lors la fibule est faite de plusieurs pièces ajustées sur un motif central parfois très compliqué.

Dans le monde méditerranéen oriental, la fibule semble avoir fait son apparition en même temps que le péplos dont elle était le complément indispensable; car ce vêtement féminin, n'étant pas cousu, devait être, sur les deux épaules, retenu par des fibules. Ce bijou ne se montre que vers la fin de l'époque mycénienne, et encore est-il de peu d'usage jusqu'au temps de l'invasion dorienne qui en généralise l'emploi; il est donc permis de penser que le péplos et la fibule sont venus du Nord en Grèce; mais, originairement, la fibule n'était pas spéciale au port du péplos; depuis des temps fort anciens elle était en usage chez les peuples asiatiques du Nord et européens du Centre et de l'Ouest. Elle se montre contemporaine de la plupart des dernières industries du bronze en Italie, comme en Gaule. Dans la Transcaucasie et le Nord-Ouest iranien elle paraît avec le fer. Son absence en Égypte et à Suse vient à l'appui de l'opinion que ce bijou est d'origine asiatique centrale.

Les autres bijoux préhistoriques n'ont qu'un but de parure: ce sont les colliers, les diadèmes, les bracelets, les anneaux de jambes, les bagues, les pendants d'oreilles, les pendeloques et les appliques, pièces métalliques cousues ou fixées à l'aide de crochets sur les vêtements, enfin les ceintures qui, dans certains pays, tenaient en même temps lieu d'armes défensives.

Les plus anciens colliers sont faits de menus objets enfilés; ce sont des perles minérales, de turquoise, de callaïs, calcédoine, agate, cornaline, hématite, d'ambre, etc., des coquilles marines ou fluviales, des graines dures, des grains d'ivoire ou d'os, des perles métalliques, d'or, d'argent, de cuivre ou de fer, suivant les pays et les époques, enfin des grains de verroterie qu'on voit paraître dans l'Europe occidentale aux temps de l'industrie du bronze. En général ces colliers de perles portent au centre, sur la poitrine, soit une amulette, soit un pendentif quelquefois très important, comme le sont les pectoraux égyptiens.

Mais, au temps des métaux, ces pendentifs se multiplient souvent et alternent avec les perles sur tout le pourtour du collier; ils sont faits rarement de pierres, le plus souvent de métal, or, argent, cuivre, plomb, étain, antimoine, etc...

Vient alors le collier métallique rigide, dont le type le plus parfait en même temps que le plus ancien est le torque, très fréquent à toutes les époques et dans presque tous les pays, sauf en Chaldée, en Élam et en Égypte. Il se complique plus tard en s'articulant en son milieu.

Le bracelet, commun à toutes les régions et probablement d'origine fort ancienne, offre des formes très diverses; parfois il est, comme le collier, composé de perles; parfois il est d'une seule pièce et rigide, fait de nacre, de calcaire, de silex même (Égypte), de jayet, d'ivoire, de corne, de pâte, de métal ou de verre. Il se portait suivant les pays au poignet, à la cheville et à l'avant-bras.

La bague ne paraît qu'avec les métaux, dans les débuts et longtemps encore, en certains pays, en Élam entre autres, ce n'est qu'un anneau plus ou moins orné. Ailleurs, dans le monde égéen, par exemple, le chaton prend une grande importance et se couvre de motifs; alors il devient un véritable sceau, et remplace dans les usages courants le cylindre chaldéo-assyrien et le scarabée de l'Égypte qui, durant les temps pharaoniques, n'est pas monté en bague. En Europe occidentale, la bague ne semble pas avoir pris une réelle importance dans la parure avant que se soient répandus les goûts méditerranéens.

L'anneau d'oreilles est aussi ancien que l'industrie des métaux, pour le moins; il se compose tout d'abord d'une simple tige de métal amincie à ses extrémités, puis disposée en cercle; mais bientôt cet anneau se charge, surtout dans le monde hellénique, de pendentifs souvent très importants.

En explorant les sépultures, on rencontre parfois une seule boucle de ce genre, et l'on est tenté de penser que, comme chez certaines populations maritimes de nos pays, on ne portait l'anneau qu'à l'une des oreilles seulement; mais il ne faut pas oublier que parmi les peuples asiatiques il en est beaucoup, aux Indes entre autres, dont les femmes se passent un anneau dans l'une des narines; il se peut que cette pratique ait été en usage dans l'Occident européen et dans beaucoup d'autres régions, aux temps antérieurs à l'Histoire.

Le diadème jouait aussi un grand rôle dans la parure chez les peuples méditerranéens et peut-être de très bonne heure fut-il l'insigne de l'autorité. En Égypte il prit une importance capitale et probablement son usage passa-t-il aux pays helléniques, puis en Italie et en Espagne. L'adoption de la couronne comme emblème de la souveraineté en fut la conséquence.

La ceinture, qui tout d'abord était un simple lien de cuir ou d'étoffe, s'orna vite de motifs métalliques, puis se couvrit tout entière d'une feuille d'or, d'argent ou de bronze; elle devenait dès lors une protection du milieu du corps, et c'est assurément ainsi qu'est venue la pensée de forger des cuirasses couvrant tous les organes essentiels à la vie. Les ceintures métalliques sont nombreuses dans certaines nécropoles de la Transcaucasie, mais on en rencontre également, quoiqu'en petit nombre, dans le monde méditerranéen. C'est de l'Orient septentrional, sans doute, qu'elles sont venues dans nos pays, car on n'en voit ni dans la vallée du Nil, ni dans les pays du Tigre et de l'Euphrate.

Quant aux applications métalliques sur les vêtements, elles varient à l'infini, dans tous les pays; mais c'est surtout le faste asiatique qui en a tiré le plus riche parti, on en rencontre peu de témoins dans nos pays, sauf chez les Mycéniens. Ce sont, en général, de petites feuilles métalliques estampées, des bractéates, percées de trous permettant de les coudre sur les étoffes. L'apogée de ce mode de décoration des vêtements est à Byzance au temps des Basileïs.

Tous les peuples ont apporté dans la fabrication de leurs bijoux non seulement leurs soins, mais leur génie artistique tout entier. Il se sont efforcés d'atteindre l'idéal de leur goût, aussi voit-on varier à l'infini les formes et les motifs ornementaux de la joaillerie. L'ensemble était obtenu par la coulée du métal, ou par son travail au marteau; puis l'ornemaniste s'en emparait et terminait la pièce, soit au burin, soit en y ajoutant des filigranes, et, plus tard, en y incrustant des gemmes.

La gravure, nous l'avons vu, était déjà connue, voire même pratiquée avec grande habileté dans nos pays, dès le temps des Magdaléniens; mais ce ne sont certainement pas les procédés des cavernes qui ont été l'origine des arts du ciseleur et du graveur des civilisations modernes. Tous les peuples de l'Asie les pratiquaient, alors que l'Occident en était encore aux goûts barbares des néolithiques. En Égypte, cependant, tout comme en Chaldée, on ne paraît pas les avoir appliqués au métal dès les débuts de l'industrie du bronze; il semblerait même que, pendant bien des siècles encore, le cuivre n'appelât pas l'attention des artistes, car, ni en Élam, ni dans la vallée du Nil nous ne voyons orner de fines gravures les instruments métalliques. Ce serait à croire que ce goût fût apporté par des peuples qui, en des temps fort anciens, s'installèrent dans l'orient de la Méditerranée, laissant derrière eux, sur le continent, des congénères inspirés par les mêmes goûts artistiques, ou du moins familiarisés avec les mêmes procédés.

Le filigrane, travail beaucoup plus avancé, qui exige la connaissance de la soudure, ne vint que beaucoup plus tard. On le connaissait en Égypte dès une époque très reculée, et sous la xie dynastie il atteignait une rare perfection. À Suse il figure dans des dépôts de fondation fort anciens, de telle sorte que, sans crainte d'exagération, on peut assurer que ce genre de travail était courant au xxxe siècle avant notre ère, en Chaldée comme dans la vallée du Nil. Ces pays l'ont transmis aux Égéens qui, par la Grèce, l'ont introduit dans l'Europe occidentale et centrale; cependant quelques peuples venus de l'Asie centrale par les steppes de la Russie paraissent l'avoir reçu à une assez basse époque d'ailleurs, lors de leur contact avec l'Iran, en même temps que l'art d'enchâsser les pierres précieuses dans les bijoux et d'émailler la joaillerie, procédé qui n'est qu'une simplification de l'incrustation dans le métal des minéraux colorés ou brillants; mais cette bijouterie compliquée n'est venue chez les peuples du Nord que bien longtemps après que l'Occident eut appris, par les Hellènes et les Étrusques, l'usage du filigrane.


TROISIÈME PARTIE

LE DÉVELOPPEMENT INTELLECTUEL ET LES RELATIONS DES PEUPLES ENTRE EUX


CHAPITRE I

LES ARTS CHEZ LES PEUPLES SANS HISTOIRE

Dans l'étude des productions de l'art, il convient d'envisager deux éléments distincts: les procédés techniques et les conceptions artistiques, éléments d'ordres complètement différents, mais appelés à s'entr'aider l'un l'autre et à s'influencer mutuellement. La technique est en dépendance des connaissances industrielles du peuple, alors que le goût artistique est une disposition naturelle, spéciale à chacun des groupes humains, faisant partie de leur patrimoine. Les artistes, pour rendre leur pensée, mettent à profit les procédés pratiques résultant du développement industriel de leur nation.

Dans l'un comme dans l'autre de ces deux éléments, les dispositions indigènes sont fréquemment influencées par des apports étrangers, mais le génie de la race n'en demeure pas moins personnel dans l'ensemble de ses productions. C'est ainsi que les Hellènes, bien qu'ayant emprunté à l'Égypte bon nombre de ses idées, ont cependant suivi leurs dispositions ancestrales, sont sortis des règles de l'art asiatique et pharaonique et, en retournant vers la nature seule, ont atteint les sommets de l'art, alors que d'autres peuples, leurs congénères, moins bien doués que les Grecs, sont demeurés inférieurs au point de vue de l'esthétique, tout en ayant reçu de l'étranger les mêmes enseignements.

Avant d'entrer dans l'étude des formes chez les nations diverses, nous dirons quelques mots des procédés employés pour rendre les pensées artistiques, parce qu'il importe de montrer que la production de l'œuvre a toujours été soumise aux exigences des moyens de l'exécuter. Cette technique a progressé au cours des siècles et chez les diverses nations, en même temps que la culture générale se développait; elle repose tout d'abord sur des moyens fort simples qui vont en se compliquant jusqu'à nos jours et, suivant leur développement, ont permis aux artistes de réaliser plus ou moins complètement leur idéal.

Le dessin, la gravure, la peinture et la sculpture sont les branches principales de l'art. Les trois premières sont liées intimement entre elles; la troisième, bien que reposant également sur le dessin, est cependant indépendante. Il ne manque pas, en effet, de sculpteurs qui, tout en n'étant que de très médiocres dessinateurs, exécutent en relief des œuvres impeccables.

Le dessin, qu'il soit ornemental ou naturaliste, est inné chez tous les peuples; il se rencontre dans tous les temps et dans toutes les parties du monde, exécuté de manière plus ou moins heureuse, mais toujours par les mêmes procédés; l'artiste en obtient le tracé au moyen de couleurs plus foncées ou plus claires que celle de la surface sur laquelle il travaille; nous le voyons, dès les temps les plus anciens, faire usage du charbon, de l'ocre ou de la craie. Ces couleurs, il les applique soit à sec, soit humides et, dans ce dernier cas, fait ses premiers essais de peinture.

Il semble que dès les époques les plus reculées, tant dans les cavernes que sur les rives du Nil et dans l'Orient méditerranéen, le dessin se soit fait, comme c'est encore l'usage de nos jours, en deux phases: la première, celle de l'esquisse comprenant un tracé vague, à la recherche de la forme, et la seconde, celle du dessin définitif, dérivé de l'esquisse, et rendu à l'aide d'une couleur différente.

La gravure vient ensuite fixer le dessin définitif; elle y parvient en creusant le trait au moyen du burin, que l'instrument soit fait de pierre ou de métal. De la gravure découle la sculpture en bas-relief, qui n'a pour but que de donner l'impression des reliefs le plus souvent très atténués, il est vrai, mais suffisants pour la satisfaction de l'œil et de l'esprit.

La peinture est un autre moyen de rendre les reliefs, mais dans les arts primitifs elle ne joue pas encore ce rôle et se borne à traduire par des «à plat» la couleur de l'objet; c'est, en effet, tardivement seulement que l'artiste a songé à figurer les ombres, et, par suite, à donner à sa création un relief apparent. Jadis, en Grèce, en Égypte, la couleur était appliquée aux bas-reliefs et aux statues; les représentations qui couvrent les murailles des mastabas pharaoniques, les statues elles-mêmes étaient peintes de couleurs conventionnelles, se rapprochant le plus possible de celles de la nature, et la matière dont étaient faites ces sculptures ne jouait de rôle que par sa dureté plus ou moins grande, et, par suite, par la conservation plus ou moins longue qu'elle assurait à l'image. La gravure des dessins, dans les cavernes, semble avoir été exécutée dans le même esprit, pour lutter contre l'altération. Chez les Hellènes, comme en Égypte, les bas-reliefs, les statues et les motifs architecturaux étaient revêtus de couleurs.

Avec l'arrivée des métaux, les procédés de figuration se développent. Le burin joue dès lors le principal rôle; bijoux, armes et ceintures de bronze, ustensiles divers sont gravés à la pointe et la statuaire, très grossière dans les temps des industries de la pierre, prend son essor dans quelques pays. Les formes générales des instruments et des figurines de métal s'obtiennent aisément par la fonte, puis les objets sont ciselés et gravés quand il y a lieu.

On conçoit sans peine combien était ardu le travail des matières dures, alors que l'homme ne disposait encore que d'outils de pierre. Les troglodytes sciaient les blocs d'ivoire, les os et la corne, et c'est ainsi que la matière, se dégrossissant, présentait les formes d'ensemble du sujet. Le travail s'achevait au moyen de racloirs, de burins et de polissoirs. Mais quand vint le ciseau métallique, non seulement le travail fut plus rapide, mais le sculpteur eut toutes les facilités pour rendre son outil docile à ses volontés.

Aux matières dures sur lesquelles l'artiste exerçait son talent vinrent plus tard se joindre celles dont la plasticité permettait le modelage; l'invention de la céramique lui fournit un nouveau moyen puissant de rendre sa pensée.

Du jour que l'homme connut le feu, il s'est trouvé à même de découvrir l'industrie céramique; l'argile durcie par son foyer lui enseignait que la terre une fois cuite ne se délite plus sous l'action de l'eau. Cependant, nous l'avons vu, ce n'est qu'aux temps de la culture mésolithique que la poterie entre réellement dans les usages, bien qu'elle ait été déjà connue des Magdaléniens de la Belgique.

Ces premiers essais céramiques sont extrêmement grossiers, si nous en jugeons par les fragments qui nous sont parvenus des cavernes voisines de Liège; mais le principe était découvert et appliqué. Avec le Campignien, nous nous trouvons en présence d'une fabrication plus raisonnée: les nombreux tessons qu'on rencontre dans les fonds de cabanes de la vallée de la Bresle sont, parfois, en terre fine et bien choisie, le plus souvent en pâte grossière, et, très fréquemment, les uns comme les autres sont ornés de dessins géométriques incisés. L'emploi du tour est encore inconnu à cette époque; il n'apparaîtra que plus tard, avec la pierre polie et dans certains pays seulement.

Dans l'étude de la poterie, il y a lieu de distinguer entre trois éléments nettement séparés, indépendants les uns des autres, mais dont l'ensemble constitue l'art céramique que ce soit dans ses produits les plus perfectionnés, ou dans ceux les plus grossiers, éléments susceptibles chacun de nombreuses variations; aussi l'étude générale de la poterie est-elle extrêmement compliquée.

Tout d'abord il convient d'envisager la technique de la fabrication du vase, la matière plastique dont il est fait, la préparation de la pâte et le degré de cuisson, car les poteries peuvent être durcies près du feu, cuites au four, ou vitrifiées à une température élevée.

Puis vient la décoration qui, elle-même, se compose de la technique et de l'art. La technique comprend les procédés de dessin, les engobes, les émaux, et ces moyens, très nombreux, suivent en général, dans un même pays, une filiation en rapport avec le progrès des industries diverses. Quant à la forme même de l'ornementation, elle dépend des goûts des peuples, se modèle sur leur art, traduisant par des moyens spéciaux les conceptions esthétiques de l'époque et de la région.

Durant toute la période préhistorique, dans les pays divers, les procédés techniques de l'ornementation des vases sont, dans l'ordre général de leur apparition: l'incision, avec ou sans remplissage des creux par une pâte blanche ou colorée, le lissage de la pâte du vase elle-même ou d'une engobe argileuse le recouvrant, l'estampillage, le moulage, l'addition d'ornements en relief, la peinture à froid, les couleurs étant mélangées avec un corps gras ou de la colle, et la peinture fixe obtenue par fusion au feu des couleurs appliquées sur la pâte crue ou déjà cuite, enfin l'émail. À ces procédés, tous en usage en divers temps et divers pays aux époques préhistoriques, sont venus se joindre aujourd'hui, grâce aux découvertes récentes, un très grand nombre de moyens dont il n'y a pas lieu de parler au point de vue de la préhistoire. On doit observer cependant que la porcelaine à pâte dure était inconnue, que certaines couleurs telles que le bleu, le vert, le violet n'étaient pas en usage et que les pâtes anciennes, sauf de très rares exceptions, sont toujours naturelles, c'est-à-dire sans mélange intime de matières colorantes. La couleur est donc le plus souvent superficielle; on l'obtenait au moyen des minéraux, du fer et du manganèse seulement. Les Égyptiens ont, de très bonne heure, découvert la porcelaine; mais ils l'employaient en pâte tendre couverte d'une engobe qui se vitrifiait à basse température; ce procédé se retrouve dans les poteries très anciennes de la Chine. En Élam et en Chaldée l'usage de l'engobe vitrifiée se montre dès le temps de Naram-Sin et se poursuit jusqu'aux époques Sassanide et Arabe.

Quelquefois, mais très rarement, les potiers ont incrusté leurs vases de minéraux brillants ou transparents avant ou après la cuisson. Certains vases de l'industrie du fer, en Arménie russe, portent à leur fond un éclat d'obsidienne transparente fixé dans l'argile molle et passé au feu avec la pâte.

Dans les temps les plus anciens, le potier ne poursuivant qu'un but utilitaire, la forme du vase est voulue par l'usage auquel ce récipient était destiné. Aussi ne rencontrons-nous que peu de variétés dans les profils des céramiques primitives, et ces variétés sont-elles nées spontanément dans tous les pays. Mais peu à peu les goûts s'affinant d'une manière indépendante chez les divers peuples, on voit paraître des caractères régionaux, aussi bien dans les formes que dans les motifs ornementaux. Puis, quelques centres plus favorables au progrès, plus développés que les pays qui les avoisinent, influencent les goûts des peuplades demeurées en retard et, des progrès locaux accrus des influences extérieures, résulte bientôt une si grande variété d'écoles céramiques, qu'il serait impossible de les passer toutes en revue, même sommairement, sans sortir du cadre qui nous est tracé. Nous ne parlerons donc que des plus dignes d'intérêt, soit par leur ancienneté, soit par l'importance de leurs caractères.

C'est donc au temps de l'industrie mésolithique que, pratiquement, apparaît la poterie et, dès ses débuts, elle porte des ornementations incisées suivant les vieux principes appliqués à l'os dès les temps de la culture archéolitique: mais dans la pâte molle l'œuvre est aisée, la pointe entaille profondément l'argile et, pour donner plus d'importance au dessin, on remplit souvent les incisions d'une pâte colorée ou blanche.

Forcément le maniement de la glaise molle donne à l'artiste l'idée de façonner des figurines, et le modelage prend naissance. L'apparition du métal lui donne une plus grande importance encore. On modèle la cire, et bientôt on fond des statuettes à «cire perdue»; on fait des moules dans lesquels il suffit de presser de l'argile molle pour obtenir, en grand nombre, des figurines: c'est ainsi qu'en Chaldée et dans l'Élam, en Égypte se fabriquaient les ex-voto, les pendeloques, les statuettes divines et funéraires.

Mais, dans quelques pays, dans la vallée du Nil, en Susiane, en Syrie, dans l'Orient méditerranéen, aux décors incisés de la céramique, on ajoute la peinture avant ou après cuisson de la pâte: c'est ainsi que naquit cet art très spécial qui, chez les Grecs et les Italiotes, atteignit une si grande perfection technique et artistique. Peu à peu ces procédés gagnèrent l'Europe centrale et occidentale; mais là, pendant longtemps encore, la peinture, très grossière, ne fut qu'un complément de l'ornementation ciselée.

Bien loin de nos pays, dans les deux Amériques, la peinture céramique était également née dans des foyers spéciaux; le Mexique et le Pérou excellèrent dans cet art.

À l'origine de toutes les civilisations métallurgiques, le métal ne fut que fondu et martelé, travaillé au repoussé ou buriné, embouti, et les diverses pièces d'un même objet étaient reliées entre elles au moyen de chevilles et de rivets; ce n'est que très tardivement qu'apparut la soudure; à une époque que nous ne saurions préciser, on l'employa pour le bronze et pour l'or; alors, dans la bijouterie parut le filigrane dont les joyaux égyptiens de la XIIe dynastie et de l'Élam nous fournissent de très remarquables et très anciens exemples. Les Grecs et les Étrusques ont tiré de ces procédés des œuvres incomparables longtemps après leur apparition chez les Orientaux, le filigrane se montre dans les pays du Nord, en Scandinavie, chez les tribus germaniques, et, chez ces peuples il constitue même la base de la technique dans la bijouterie.

Cet aperçu sommaire permet de se rendre compte de l'évolution qui s'est produite dans les moyens à la disposition de l'homme pour traduire ses conceptions artistiques. Cependant il y a lieu d'observer que certains peuples ne disposant que de procédés techniques très primitifs, n'en ont pas moins laissé des œuvres très remarquables dénotant un goût très pur et une grande sûreté d'observation de la nature, alors que d'autres hommes, bien que secondés par des moyens très supérieurs, sont toujours demeurés dans la médiocrité quant à leurs vues esthétiques. La technique, bien que jouant un grand rôle, n'a donc pas eu d'influence décisive sur le développement des arts; ce sont les aptitudes des divers groupes humains qui ont créé les différentes écoles artistiques capables d'avenir.

Cette constatation faite, nous passerons en revue les diverses manifestations de l'esprit esthétique, en les rangeant d'après les époques auxquelles elles se sont produites et suivant leurs milieux, en montrant les caractères de chacune d'entre elles et, autant que faire se peut, la valeur des influences étrangères dans chacune des écoles. Dans une semblable étude, les arts céramiques doivent être confondus avec les autres produits du goût; car ils obéissent aux mêmes inspirations, et ne diffèrent que par la nature des matières ornées et par les procédés techniques du dessin. Aussi, contrairement à ce dont sont coutumiers tous les ouvrages sur ces sujets, ne ferons-nous pas de distinction de chapitre, et traiterons-nous en même temps de tous les produits artistiques, qu'ils soient céramiques ou autres. Toutefois nous serons obligés de parler souvent encore de la technique, en raison de l'influence qu'elle a exercée sur le travail des artistes.

C'est au milieu de débris des industries archéolitiques que se trouvent les premières œuvres d'art découvertes jusqu'à ce jour; aucune trace d'efforts artistiques ne s'est encore rencontrée accompagnant les diverses phases des industries paléolithiques: et quand les goûts esthétiques se montrent, il semble qu'ils aient été cultivés déjà depuis de très longues années, ils ne sont plus au berceau.

Nous ne possédons, il est vrai, que de rares épaves de l'œuvre des artistes quaternaires, tout au moins en ce qui regarde l'Aurignacien, industrie que nous devons, jusqu'à plus ample informé, considérer comme ayant assisté à l'aurore de ces arts. Mais, pour les derniers temps quaternaires, nous sommes infiniment plus riches, grâce aux magnifiques découvertes de ces dernières années.

Devons-nous penser que l'art magdalénien descend de celui des Aurignaciens? Bien des raisons nous portent à rejeter cette hypothèse. D'après leurs caractères et leurs tendances, ces deux écoles diffèrent notablement, et le Solutréen ne nous a pas laissé de documents en nombre suffisant pour établir le passage, ces diverses tribus n'étaient probablement pas de même origine ethnique et, en conséquence, leurs aptitudes étaient différentes. Toutefois il est à penser que les essais des Aurignaciens n'ont pas été sans exercer une influence, tout au moins quant aux procédés techniques, sur les peuplades qui leur ont succédé dans nos cavernes.

La caractéristique des temps où florissaient les industries archéolithiques est l'Art; et ses manifestations nous apparaissent, montrant qu'il a déjà atteint une grande perfection; encore ne connaissons-nous pas ses chefs-d'œuvre. On a pensé que ces goûts étaient nés dans l'occident de l'Europe, sous l'influence de civilisations étrangères: et M. Sophus Müller[174] est allé jusqu'à proposer de voir dans nos arts quaternaires de l'Occident un rayonnement de la civilisation égyptienne pré-pharaonique. Il n'est rien qui puisse légitimer une semblable hypothèse; d'ailleurs une telle supposition entraînerait au point de vue chronologique, des concordances auxquelles nous ne sommes pas autorisés.

Il ne semble pas être nécessaire de torturer la chronologie pour rattacher nos civilisations à de si lointains foyers; car rien ne s'oppose à ce que les goûts esthétiques soient nés dans nos propres pays, s'y soient développés dans des cantons qui jusqu'ici ne nous ont pas encore livré leurs secrets, et que les tribus artistes, changeant de place, soient venues habiter nos cavernes, que par influence leurs arts se soient répandus autour de leur domaine, ou bien que, changeant elles-mêmes d'habitat, elles aient laissé de leurs traces dans des régions beaucoup plus étendues que celles qu'elles occupèrent en un même temps. Il serait donc téméraire de chercher, dès aujourd'hui, l'origine de cette culture, de même qu'il serait prématuré de vouloir classer définitivement les œuvres d'art quaternaires, soit suivant la nature de leur exécution, soit d'après leur âge relatif ou leur distribution géographique. Chaque jour apporte de nouvelles découvertes, qui parfois bouleversent toutes les idées admises jusque-là: nous n'en sommes encore, pour ces questions, qu'à la période dans laquelle la science doit se contenter d'enregistrer les documents.

Piette, nous l'avons vu[175], a proposé de créer une période glyptique parce que, dans ses fouilles, au niveau aurignacien de Bassempouy, il a rencontré bon nombre de statuettes d'ivoire représentant pour la plupart des femmes nues; mais ces constatations sont très localisées, et ce n'est pas de l'absence presque complète d'autres œuvres artistiques qu'il faut déduire que la sculpture sur ivoire était seule en usage à l'époque où florissait l'industrie aurignacienne; la gravure ne fait pas absolument défaut dans les couches aurignaciennes et solutréennes.

En réalité, dit Déchelette[176], l'art quaternaire a compté deux phases distinctes: celle du style archaïque ou primitif et celle du style libre ou évolué. Réaliste et naturaliste dès son origine, il conserve ce même caractère pendant toute la durée de son développement, bien que la dégénérescence des types introduise peu à peu dans ces créations des formes conventionnelles, parfois même d'un schématisme obscur.


Fig. 100.—Statuettes quaternaires.—1 Villendorf (Autriche): Aurignacien ou Solutréen. Musée de Vienne.—2 et 2a, Bassempouy (Landes).—3 à 5, Aurignaco-solutréen: 3 et 3a, Grotte de Grimaldi à Menton; 4 et 4a, Homme (?). Bassempouy (Landes); 5, Rochebertier (Charente.)
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Il ne me semble pas possible de suivre Déchelette dans cette classification: car le caractère artistique des figurines aurignaciennes paraît résulter non pas de l'archaïsme, mais bien de conceptions relatives à la fertilité de la femme, conception semblable à celle des Chaldéens primitifs, et cette pensée semble ne plus exister dans l'esprit des Magdaléniens; ce serait donc à des mobiles très différents qu'ont obéi les artistes à ces deux époques.


Fig. 101.—Représentations gravées de l'homme.—1 et 2, Laugerie Basse(Dordogne): gravés sur bois de renne. 3. Mas d'Azil (Ariège). 4, La Madeleine. 5 et 6, Marsoulas (Hte-Garonne): sur rochers.
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Les figurines aurignaciennes présentent des caractères stéatopygiques très accentués (fig. 100 nos 1 et 3), ce qui, d'une part, les rapproche des statuettes céramiques de la vallée du Nil et de la Chaldée, et d'autre part de la conformation physique des Hottentotes; nous nous trouvons donc en présence de conceptions d'un caractère religieux ou bien de la représentation fidèle de la nature. Toutefois, dans le même gisement à Bassempouy, se trouvaient également des modèles plus élancés, se rapprochant des formes régulières de la femme (fig. 100, n° 4) et aussi une figurine de jeune fille portant une longue chevelure (fig. 100, n° 2). Ces sculptures montrent, principalement la tête de jeune fille, un réel talent; elles sont très supérieures aux représentations humaines laissées par les Magdaléniens (fig. 100, n° 5), car à l'époque de ces derniers, nous ne rencontrons que des images très grossières, gravées sur os, sur ivoire (fig. 101, nos 1 à 4) ou sur les rochers (fig. 101, nos 5 et 6). On remarquera d'ailleurs que hommes comme femmes paraissent être figurés couverts de longs poils[177] et que leurs cheveux ne semblent pas être crépus comme dans la statuette aurignacienne de Villendorf. Il n'y aurait donc pas identité dans les types ethniques qui ont servi de modèles.


Fig. 102.—Mammouth (Font de Gaume).
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Parmi les très nombreux dessins et les sculptures sur os et ivoire que nous possédons de l'art magdalénien il en est extrêmement peu figurant l'homme, et ces dessins sont tous d'une barbarie extrême. Le Magdalénien qui, comme nous l'allons voir, était passé maître dans la représentation des animaux, se montrait d'une extraordinaire inhabileté dans le dessin anatomique de l'homme; là, peut-être, est la cause de la grande rareté des figurations humaines.


Fig. 103.—Bison (Altamira).
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Sauf quelques cervidés en pierre découverts à Solutré, les représentations animales que nous connaissons actuellement appartiennent toutes au Magdalénien; elles sont sculptées, gravées ou peintes. Dans le premier cas elles ornent des instruments d'usage et sont de petite taille; dans le second, elles sont soit tracées sur des plaques de pierre, d'ivoire, d'os ou de corne, et ont alors de médiocres dimensions, soit gravées sur les rochers, alors elles se présentent de toutes les grandeurs, jusqu'à la taille naturelle, même quand elles figurent de grands animaux.

Le nombre des sculptures, des gravures et des peintures représentant les animaux aujourd'hui connues, est très considérable, grâce surtout aux magnifiques relevés de MM. Breuil et Obermaier, et chaque jour on découvre de nouvelles cavernes dont les parois sont couvertes de peintures. Presque toujours, dans la gravure et la peinture les figures se recouvrent les unes les autres, sans que l'artiste eût pris soin de respecter le sujet déjà tracé sur la surface qu'il avait choisie; il en résulte souvent un enchevêtrement de motifs divers. Ailleurs les sujets sont isolés, tout comme dans la sculpture. On connaît aussi quelques compositions d'ensemble, figurant des groupes d'animaux et non plus un fouillis de dessins en désordre[178].


Fig. 104.—Rhinoceros tichorinus (Font de Gaume).
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Le mammouth que nous possédons sculpté, gravé sur ivoire et peint sur les parois des cavernes (fig. 102), est représenté couvert d'une épaisse toison, armé de défenses puissantes; ses formes trapues sont généralement exagérées à dessein pour donner l'impression de la masse.

Le bison, très fréquent dans les cavernes (fig. 103), représenté le plus souvent de grandeur naturelle, et parfois en bandes nombreuses, est généralement fort habilement rendu; l'encolure très large donne une impression de grande force, la tête petite est enfoncée dans les épaules; les cornes sont menaçantes et la finesse des membres rend à merveille l'agilité, la rapidité à la course de ce grand ruminant, dont les Magdaléniens faisaient leur gibier favori.


Fig. 105.—Ours gravé sur un caillou roulé.
Grotte de Massat (Ariège). 1/2 gr.

Puis vient le rhinocéros (R. tichorinus) (fig. 104), plus rarement figuré, mais dont les formes sont habilement rendues; le corps long, les membres courts, les deux cornes allongées, cet hôte des forêts est encore de nos jours un terrible lutteur; jusqu'en ces derniers temps la peau du rhinocéros résistait à la balle, et l'on se demande comment l'homme quaternaire, sommairement armé, pouvait se rendre maître de ce dangereux animal.


Fig. 106.—Sanglier (Altamira).
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L'ours, très nombreux en ces temps, figure cependant très rarement dans les grottes (fig. 105), mais les rares dessins gravés que nous en possédons ne sont pas moins d'une grande exactitude; tous les caractères de l'animal sont rendus par quelques traits et son attitude elle-même, si caractéristique, est traduite avec une surprenante fidélité.


Fig. 107.—Cervus elaphus (Altamira).
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Le sanglier (fig. 106) n'est pas très commun dans les peintures des cavernes; celui que nous reproduisons d'après H. Breuil, et qui est peint dans la grotte d'Altamira, montre l'animal chargeant ou fuyant. Les proportions sont heureuses, et le mouvement est très habilement rendu.

Le Cervus elaphus (fig. 107, 108), très abondant à cette époque, grande ressource des chasseurs, figure sur une multitude d'objets; il est sculpté ou gravé, peint sur les parois des rochers. Cet animal est toujours admirablement rendu, quelle que soit sa position, et les artistes modernes auraient grand'peine à lui donner cette vie qu'on rencontre dans la plupart de ses dessins quaternaires.

Fig. 108.—Cervus elaphus.
Cav. Lorthet. Coll. Piette
(Musée de Saint-Germain).
Gravé sur bois de renne.
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Fig. 109.—Chevreuil (Font de Gaume).
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Le chevreuil (fig. 109) est très rarement représenté; toutefois dans tous les dessins que nous possédons de cet animal, les proportions sont heureuses et l'attitude est bonne.

Le cheval, l'un des animaux les plus répandus de ces temps, fait parfois les frais de décoration d'une caverne presque entière. On le voit sous toutes ses formes, au repos et en course (fig. 110), isolé ou en bandes, et dans tous les cas il est dessiné avec justesse. Sculptée, son image (fig. 111) ne peut avoir la souplesse du dessin, mais les proportions sont bien gardées. Une tête du Mas d'Azil le montre hennissant (fig. 112); ce morceau de sculpture est l'un des plus remarquables objets d'art parmi ceux que nous possédons des temps quaternaires.


Fig. 110.—Cheval (Font de Gaume).
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Le loup, bien que rare, figure également dans les cavernes (fig. 113) et ne le cède en rien aux autres représentations d'animaux, quant à l'exactitude du dessin et au rendu de l'allure.

Toute la grande faune de nos pays à ces époques se trouve représentée: Bos urus et bison, bouquetin, antilope Saïga, cerf, chamois, chèvre, élan, sanglier, ours et renard, glouton et phoque sont gravés côte à côte sur les rochers, avec les grands pachydermes, le rhinocéros et le cheval. Ces représentations sur les parois des cavernes semblent être à peu de chose près contemporaines. Cependant, de nouveaux dessins venant le plus souvent recouvrir les anciens, on peut croire que les types divers ont été successivement figurés, suivant leur prédominance dans les vallées et les forêts.

Les poissons n'ont pas été oubliés par les artistes: on les trouve gravés (fig. 114) et l'on reconnaît le brochet, la truite, l'anguille.


Fig. 111 et 112.—Chevaux: 1, Grottes des Espeluges (Lourdes), Magdalénien; 2, Mas d'Azil.
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