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L'Humanité préhistorique

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Par contre, les végétaux (fig. 115) sont bien pauvrement représentés dans l'art des cavernes; à peine cite-t-on quelques rares gravures figurant des plantes qu'il n'est pas possible d'identifier. D'ailleurs chez tous les peuples primitifs les pensées artistiques se sont attachées à la faune, mais bien rarement à la flore qui, ne rendant que des services secondaires, n'exigeant pas de lutte pour s'en emparer, attirait moins les regards que ces animaux qu'on devait poursuivre, contre lesquels il fallait combattre pour obtenir leur chair et posséder leur peau, leur ivoire, leurs cornes, toutes matières dont on fabriquait alors les ustensiles nécessaires à la vie. Mais les Magdaléniens n'ont pas seulement copié la nature; ils sont allés plus loin dans leur progrès artistique et ont introduit dans le décor l'ornementation géométrique, produit de la stylisation (fig. 116) chez un peuple ayant connaissance du grand art, efforts d'enfance chez celui qui ne sait pas observer la nature et la rendre par le dessin.

Fig. 113.—Loup (Font de Gaume).
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Fig. 114.—Poissons (Lorthet).
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Dans ces ornements nous voyons figurer la spirale, dont la présence aux temps quaternaires réduit à néant toutes les théories sur sa migration à des époques postérieures.


Fig. 115.—Végétaux:
1 et 2, Laugerie Basse;
3, Le Veyrier (Hte-Savoie);
4, Grotte du trilobite (Yonne).
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L'ornementation géométrique n'est pas très abondante; cependant, on la rencontre, gravée sur des os et des bois de renne; probablement entrait-elle dans le tatouage et la peinture corporelle, dans la parure, et il est à croire que les peaux dont on se vêtissait, pour se garantir contre les froids intenses de ces temps, étaient, elles aussi, enluminées de peinture représentant des ornements géométriques.

Là s'arrête ce que nous savons des arts quaternaires, mais avant de les quitter il convient d'ajouter encore quelques mots au sujet des procédés techniques en usage pour la sculpture, la gravure et la peinture.

Les matières employées pour la sculpture étaient (fig. 117) l'ivoire de mammouth, l'os, les bois de cerf et de renne, les roches tendres telles que la statéite, l'albâtre gypseux, les calcaires et autres substances qu'entamait assez aisément le silex.

L'ouvrier faisait grand usage de la scie; c'est avec elle qu'il coupait les os, et détachait des blocs d'ivoire ces longues esquilles qu'il transformait en aiguilles, en épingles, en poinçons, voire même en poignards; le grattoir et les lames à encoche permettaient ce travail; puis il reprenait la scie pour tracer les ornements géométriques, et le burin pour graver les traits courbes. Une foule d'instruments de formes diverses lui étaient nécessaires pour sculpter les matières dures; mais le silex était là, sous sa main, il le façonnait suivant ses besoins.

Nous ne possédons plus, aujourd'hui, que les images tracées sur les parois des cavernes, parce qu'elles se sont trouvées à l'abri des intempéries, mais il est à penser que les rochers extérieurs, les falaises portaient également des représentations, probablement moins confuses que celles des grottes, parce que l'artiste, disposant de grandes surfaces, n'était pas, comme dans les cavernes, contraint à dessiner sur d'anciennes représentations. Ces œuvres extérieures communes à tous les peuples primitifs, dont on rencontre les traces dans tous les pays du monde, sont aujourd'hui perdues dans nos régions.

Fig. 116.—Dessins magdaléniens de type géométrique. 1, 2, 5, Lourdes;—3, 4, Les Espelongues d'Arudy (Htes-Pyrénées);—6, 7, 8, 9, Laugerie Basse (Dordogne);—10, Marsoulas (Hte-Garonne);—11, Saint-Marcel (Indre). (agrandir)

Si nous en jugeons par les représentations qui figurent dans nos grottes, l'artiste esquissait son sujet probablement au charbon, ou à l'ocre; puis il arrêtait ses lignes au burin de silex, sans les graver profondément; enfin, avec une pâte composée d'ocre rouge ou de minerai noir de manganèse, et d'huile ou de graisse, voire même d'eau, il donnait à son œuvre le coloris. Dans ces peintures, deux tons seulement figurent le rouge et le noir qui, par leur mélange, fournissent le brun. Nous ne voyons jamais le vert ni le bleu, qu'on eût pu cependant obtenir avec les minéraux du cuivre; mais n'oublions pas que seules les couleurs minérales ont pu se conserver au travers des âges, et que tous les tons obtenus au moyen de substances organiques, animales ou végétales, ont disparu. Nous pouvons donc nous faire une idée nette de l'art du dessin, mais le coloris nous échappe. Ce coloris devait jouer un grand rôle; car il permettait à l'artiste de travailler sur une paroi déjà recouverte de figures qu'il faisait aisément disparaître en les lavant d'abord, puis en les recouvrant de tons vifs. Ainsi s'explique l'enchevêtrement des représentations sur les rochers de nos grottes.

On sait que les tapis orientaux sont tous colorés au moyen de teintures d'origine végétale, et que, dans nos industries tinctoriales encore, malgré les découvertes de la chimie, les végétaux n'ont pas cessé leur rôle, bien loin de là.

Il est à remarquer que les Magdaléniens ne se contentaient pas des œuvres purement artistiques, mais qu'ils adaptaient l'art à l'ornementation des objets usuels, comme l'ont fait les Chaldéens, les Égyptiens et les Grecs primitifs, les Mexicains, les Australiens, les Mincopies et les Hyperboréens; d'ailleurs, pour la plupart, les peuples barbares ont appliqué l'art aux objets de la vie courante. Nous possédons, des cavernes, de très nombreux instruments, des armes, dans lesquels les motifs artistiques, d'exécution très soignée, sont souvent déformés, comprimés par les nécessités de l'usage. De même, dans la plupart des ivoires japonais et chinois, les motifs se plient soit à la forme originelle de la matière, soit aux commodités d'emploi de l'instrument. Il tombe sous le sens que ces conceptions artistiques très primitives sont nées chacune chez les peuples qui nous en ont transmis les témoignages, et qu'inspirées par l'esprit pratique, elles n'ont entre elles rien de commun.

Fig. 117.—Sculptures quaternaires: 1, Bruniquel (Tarn-et-Garonne); 2, Mas d'Azil (Ariège); 3, Laugerie Basse (Dordogne); 4, La Madeleine (Dordogne). (agrandir)

Avec la fin de l'industrie magdalénienne les arts disparaissent soudain, sans que nous puissions être certains des causes de cet abandon. Quelques efforts étaient encore à faire, dans l'étude anatomique de l'homme et dans celle du règne végétal, pour que les populations de l'Ouest européen parvinssent au grand Art: car elles étaient certainement mieux douées que les peuples (Chaldéens, Égyptiens, peut-être même que les Hellènes) dont nous avons reçu les principes de l'art moderne. Non seulement elles possédaient au plus haut degré l'esprit d'observation, mais elles avaient encore la conception du rendu par des procédés simplifiés à l'extrême. Comme le Japonais, l'Égyptien et surtout le Grec de la belle époque, le Magdalénien savait rendre son impression par un seul trait; le détail qui, chez les Orientaux et chez nous-mêmes, a porté tant de préjudice à l'esthétique, était pour lui secondaire; la ligne, l'attitude dominaient chez ses artistes. La disparition de l'art magdalénien a été un grand malheur pour l'humanité qui, sans ce désastre, eût rapidement progressé, et la belle période du siècle de Périclès fût survenue, peut-être, quelques milliers d'années plus tôt.


Fig. 118.—Représentation de l'homme
à l'industrie du bronze (Italie).
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Nos observations jusqu'à ce jour, au point de vue de l'art quaternaire, n'ont porté que sur l'occident de l'Europe; il est à penser, d'ailleurs, que l'aire occupée par les artistes magdaléniens ne s'étend pas fort loin; car les populations qui occupaient le bassin méditerranéen n'appartenaient pas toutes à des races susceptibles de profiter des enseignements d'un peuple supérieurement doué. La disparition de cette école, déjà fort évoluée, montre que si elle est due à une invasion de nos pays, ce qui semble être fort probable, les nouveaux arrivés n'étaient pas aptes à recevoir le progrès artistique. N'en a-t-il pas été d'ailleurs de même quand les tribus germaniques se sont précipitées sur l'empire romain? Si, à cette époque, les arts n'ont pas entièrement disparu, c'est que la grande majorité de la population, nombreuse alors, est demeurée d'esprit gréco-latin.


Fig. 119.—Première phase de céramique peinte susienne et céramique rustique incisée.
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En quittant l'art quaternaire de l'Europe occidentale, nous sommes obligés de nous transporter en Orient pour retrouver les arts; car, dans nos pays, le goût esthétique a disparu et les manifestations informes qui, après un long hiatus, succèdent à l'art des cavernes, appartiennent aux temps de l'industrie néolithique, c'est-à-dire sont de beaucoup postérieures aux origines artistiques de la Chaldée, de l'Élam et de l'Égypte.

Les premiers hommes venus se fixer sur les monticules qui devaient plus tard porter la grande ville de Suse, la capitale de l'Élam, connaissaient le cuivre, nous l'avons dit, et s'en faisaient des armes en même temps qu'ils taillaient encore le silex et l'obsidienne. Ces colons étaient déjà d'une culture très avancée, ils se vêtaient de tissus: l'oxyde des haches de cuivre de leurs tombeaux nous en a conservé les empreintes; ils étaient agriculteurs, éleveurs et se montraient fort habiles dans la fabrication des vases de pierre; les roches les plus dures, aussi bien que la stéatite et l'albâtre calcaire ou gypseux obéissaient également à leur ciseau. Enfin, ils apportaient en même temps l'un des plus beaux arts céramiques de la préhistoire humaine.

Les vases proto-susiens faits d'une pâte fine, sont tournés, très réguliers et fort élégants de forme; ils sont couverts de fines peintures noires ou brunes suivant le degré de cuisson, et ces motifs figurent des animaux et des plantes, représentations déjà très stylisées (fig. 119, nos 1 à 7), par conséquent éloignées de plusieurs siècles du naturalisme originel. Toutes les sépultures de la nécropole primitive de Suse renferment de ces vases et ne contiennent aucune céramique d'autre nature; cependant, dans ces couches profondes, à quelques mètres seulement au-dessus des graviers en place géologique, on trouve fréquemment des tessons de poterie incisée (fig. 119, nos 8 et 9), ornée de dessins géométriques, de ces pâtes grossières, mal cuites, de ces motifs primitifs que nous avons coutume de ranger dans les industries néolithiques. Les proto-Susiens avaient donc, pour leur usage courant, conservé les modèles des anciens temps; mais ils ne les considéraient pas comme assez précieux pour les faire accompagner leurs morts dans l'autre vie. Il est à penser que les animaux et les végétaux stylisés des vases de la nécropole avaient une valeur religieuse ou magique: nous reviendrons à ce sujet en parlant des conceptions philosophiques (ch. XIV).

Ce n'est pas en Susiane, ce n'est pas non plus en Chaldée qu'est née cette curieuse céramique; elle est arrivée toute formée sur les rives de la Kerkha; or elle ne figure pas les animaux qui vivaient alors dans le pays des deux fleuves, l'hippopotame, le rhinocéros, peut-être même l'éléphant; son motif principal est le bouquetin aux longues cornes, animal des montagnes, absent en Chaldée et dans la plaine élamite, encore abondant, de nos jours, dans toutes les chaînes de l'Asie antérieure. On en doit donc conclure que c'est ailleurs, dans des districts montagneux, que sont nés les premiers rudiments de l'art proto-susien; mais où? dans quelle région? Nous l'ignorons encore. Toutefois la présence du métal, le cuivre, nous reporte vers le massif montagneux du nord, vers l'Anatolie, l'Arménie, la Transcaucasie, berceau, croyons-nous de la métallurgie.


Fig. 120.—Seconde phase de la céramique peinte susienne.
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À cette belle poterie, succède celle d'une autre école: la pâte est plus grossière, la peinture moins fixe, mais de deux couleurs, le rouge et le brun, et le naturalisme reprend, mélangé aux motifs géométriques; nous nous trouvons encore en présence de stylisations (fig. 120), mais avancées à tel point qu'elles deviennent incompréhensibles (cf. fig. 120 dessin de droite). Ces vases sont parfois de grande taille, on les trouve aussi bien à Suse qu'à Tépèh Aliabad, dans le Poucht è Kouh.

Après cette seconde phase, la peinture céramique disparaît pour toujours de l'Élam, quoique lentement. À l'époque de sa naissance l'histoire n'a pas encore commencé, ce n'est que dans les assises situées beaucoup plus haut, dans les ruines de Suse, que paraissent les plus anciens textes des Patésis[179].


Fig. 121.—Vase peint de Palestine.
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La première de ces céramiques semble être très spéciale à l'Élam; quant à la seconde, on en rencontre des vestiges en Chaldée, dans le Louristan, le pays des Bakthyaris et jusque dans les tells du sud-ouest du plateau iranien. Son extension paraît avoir été très grande, car, vers l'occident, elle semble avoir tout au moins influencé la Palestine (fig. 121) et la Phénicie.

Quelle est la cause de la disparition de ces arts? Nous l'ignorons et sommes réduits à ce sujet à des conjectures. Nous n'avons pas encore retrouvé le passage entre les deux phases de cette céramique peinte, et la dernière école ne s'éteint que graduellement, ne disparaît tout à fait qu'après l'aurore de l'Histoire; cependant M. Ed. Pottier considère la seconde comme dérivée de la première. Nous verrons au sujet des écritures, qu'un autre usage spécial à l'Élam a survécu pendant quelques siècles encore: celui des signes proto-élamistes qui, peu à peu, ont été supplantés par l'écriture sémitique, fait qui permet de penser que la seconde école céramique est entrée en agonie lors de l'arrivée des Sémites dans la Basse-Chaldée et l'Élam: cette conquête prit place à des époques très anciennes, car en ces temps on faisait encore, en Élam, usage de la pierre polie, en même temps que du cuivre et de quelque peu de bronze.

Si l'Élam cessa de fabriquer des vases peints de la seconde période, il n'en fut pas de même dans le reste de l'Asie antérieure, où cet art s'était répandu. Nous en retrouvons en effet les traces en Assyrie[180], en Palestine et en Syrie[181], en Cappadoce[182], puis dans les îles de la mer Égée. Mais là se pose un grave problème que seule la chronologie peut résoudre. La technique des vases peints est-elle venue de Chaldée en Syrie ou de l'île de Crète, comme bien des archéologues le pensent?

Une grande indécision règne dans les évaluations chronologiques en ce qui regarde l'histoire des temps les plus anciens de l'Égypte, de la Chaldée, de la côte asiatique et des îles de la Méditerranée; toutefois, mettant de côté des dates aussi discutées, ne devons-nous pas penser qu'un art qui s'est répandu jusqu'à la région d'Ispahan et d'Hamadan vers l'orient, ne peut avoir eu son foyer au milieu de la mer Méditerranée, et que c'est plutôt en Susiane qu'on doit chercher son origine? La céramique de la Palestine et de la Syrie présente d'ailleurs plus d'affinités avec celle de l'Élam préhistorique qu'avec celle des îles.

Ainsi l'art en Élam, dès ses débuts, est extrêmement stylisé et présente des caractères très spéciaux à ce pays; il descend du naturalisme, et est agrémenté de quelques motifs géométriques; mais la plupart de ces derniers ornements ne sont peut-être que des stylisations dont nous ne saisissons pas l'origine.

Dans la vallée du Nil[183] nous rencontrons, avec les industries néolithiques et énéolithiques, une céramique tout aussi remarquable que celle de l'Élam non pas par sa pâte, mais par ses formes, comme par son ornementation; cependant la technique de ses peintures diffère complètement de celle de Suse: ce n'est plus un enduit durci au feu qui couvre la surface des vases, c'est une peinture à froid, faite bien certainement au moyen d'une couleur broyée avec de l'huile, de la graisse ou de la colle, et, les matières organiques s'étant détruites avec le temps, il ne reste plus qu'une couche pulvérulente. Il ne faut pas oublier que ces vases étaient destinés aux sépultures et non aux usages de la maison. Les sujets de décoration sont très variés; certains types qui par leur forme imitent les vases de pierre, si nombreux alors en Égypte, sont parfois ornés de mouchetures rappelant les cristaux des roches dures (fig. 122, nos 12 et 3) ou de spirales inspirées par les calcaires nummulithiques (fig. 122, nos 4 et 8), ou les veines de l'agate et de la cornaline (fig. 122, nos 12 et 15), minéraux si communs dans le désert. Mais, plus fréquemment, les peintures des vases funéraires représentent la barque du mort (fig. 122, n° 18; fig. 123, nos 1, 2, 3 et 9), des danses rituelles (fig. 123, n° 1), des vases de libations (fig. 123, nos 8, 9) ou des scènes de la vie. C'est ainsi que nous voyons débuter des pratiques artistiques qui, plus tard, prendront une si grande extension dans l'ornementation des mastabas de l'ancien empire.

Mais là ne se borne pas la céramique de l'Égypte. Dans les tombes néolithiques et énéolithiques, comme dans les kjœkkenmœddings, on trouve des vases rouges, lissés, à bord noir, en très grand nombre; d'autres, couverts d'un engobe rouge lissé et portant une ornementation peinte en blanc et fixée au feu, technique qui se retrouve dans les îles de la Méditerranée. Enfin l'on voit les pâtes incisées avec ou sans remplissage des traits; ces sortes de vases, quoique rares, se rencontrent encore au temps du roi Snéfrou, c'est-à-dire jusqu'à la troisième dynastie.


Fig. 122.—Céramique égyptienne prédynastique.
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Fig. 123.—Céramique égyptienne peinte prédynastique.
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Avec l'apparition des premiers pharaons, la céramique à peintures rouges cesse brusquement. Nous avons fait la même remarque pour l'Élam où, après la seconde phase des vases peints, vient une poterie grossière. En Égypte, c'est, au début de l'ancien empire, la taille des substances dures qui domine; elle est à son apogée quand cesse la céramique peinte. Le tombeau de Négadah et ceux d'Abydos renfermaient, malheureusement à l'état de fragments, de véritables merveilles de l'art lapidaire, de petits vases de cristal de roche, de quartz laiteux, de cornaline, d'agate, voire même d'obsidienne, substance dont l'extrême fragilité ne permet plus qu'on fasse usage aujourd'hui. Ces sépultures ne contenaient aucun vase peint.

Fig. 124.—Manche en ivoire de poignard en silex, représentant la faune de l'Égypte au temps du début du régime pharaonique (découverte de Henri de Morgan à Hassaya, près d'Edfou). Lignes a partir du haut. 1, Éléphants; 2. Autruches, Girafes; 3, Panthères; 4, Capridés; 5, Chacals; 6, Antilopes; 7, Porcs-épics; 8, Bœufs; 9, Hippopotames; 10, Antilopes; 11, Éléphants, Salmonidés; 12, Capridés; 13, Panthères; 14, Capridés, Chien; 15, Ânes; 16, Antilopes; 17, Chiens et Chacals; 18, Bœufs; 19, Porcs ou Sangliers; 20, Bœufs.
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Nous avons vu que les pré-pharaoniques étaient d'une grande habileté dans la taille de l'ivoire et de la pierre et qu'ils sculptaient et gravaient avec adresse de nombreuses représentations animales et humaines. Nous citerons seulement ici le manche d'ivoire d'un poignard en silex, découvert par Henri de Morgan dans la nécropole d'Hassaya, près d'Edfou. Cette magnifique pièce est, sur toute sa surface, recouverte de figurations d'animaux, on y voit toute la faune de l'Égypte de ces temps (fig. 124).

S'ils étaient devenus experts dans le travail des roches et de l'ivoire, les gens d'Égypte aux temps énéolithiques n'étaient pas moins habiles à manier les métaux; un autre couteau de pierre, garni d'une feuille d'or en guise de manche, montre qu'ils savaient repousser avec talent le métal précieux (fig. 125).

Toutes ces œuvres artistiques des débuts de l'Égypte font preuve d'une grande liberté de style; mais elles s'éloignent d'autant plus de la nature que s'écoulent les temps. C'est qu'aux siècles des industries néolithiques et énéolithiques, l'artiste n'était pas encore astreint à suivre ces canons religieux qui, peu à peu, ont fait naître cet art si particulier des temps pharaoniques. Cette évolution prit place de très bonne heure; à la troisième dynastie elle était accomplie déjà, et désormais le dessin comme la sculpture furent réglés dans les moindres détails par des lois immuables. C'est la stylisation spéciale à l'Égypte qui se poursuit en s'accentuant jusqu'aux siècles où Rome était maîtresse dans la vallée du Nil; aussi les œuvres les plus naturelles, les plus largement conçues appartiennent-elles à l'ancien empire.


Fig. 125.—Couteau de silex blond garni d'une feuille d'or ornée au repoussé.
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Nécropole de Saghel-el-Baglieh (?), Haute-Égypte (Musée du Caire).

Dans les îles méditerranéenes on retrouve la technique de tous les vases dont nous venons de parler à propos de l'Élam et de l'Égypte, sauf toutefois les peintures rouges fragiles de la haute vallée du Nil; dans les îles, ces divers genres de poterie se rencontrent avec les industries énéolithiques qui semblent avoir été celles des premiers habitants de la Crète, de Chypre et de toutes les terres qui devinrent plus tard le domaine des Hellènes; ils montrent un art du potier encore rudimentaire (fig. 126 et 127), et, là aussi, c'est avec le métal que débutent les véritables essais artistiques. Mais si, dans le monde méditerranéen, la technique est la même qu'en Asie et en Égypte, les goûts artistiques sont très différents dès les premières phases de la peinture céramique (fig. 128).


Fig. 126.—Poterie incisée des Cyclades.
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Fig. 127.—Poterie incisée de la mer Égée: 1, Cyclades; 2, Chypre; 3, Milo.
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Le monde égéo-mycénien, bien qu'ayant été largement influencé par l'Égypte et par l'Asie, n'en montre pas moins un goût personnel très accentué. Le naturalisme fait la base de la plupart des travaux artistiques, mais les tendances sont très spéciales, différentes de celles dont il vient d'être parlé, complètement étrangères à celles des temps quaternaires dans l'Occident européen. Nous ne nous étendrons pas ici sur ce sujet qui doit être traité avec tout le développement désirable dans le tome IX de l'Évolution de l'Humanité. Ces arts ont joué un très grand rôle dans tous les pays méditerranéens, en Italie, en Espagne, en Gaule et jusque dans l'Europe centrale.

Avant de parler de l'Europe, jetons encore un coup d'œil sur l'Orient, sur le nord de la Perse et sur la Transcaucasie, pays dont les arts céramiques diffèrent complètement de ceux de la Chaldée, de l'Élam, de la Phénicie et de la Grèce, qui, se reliant aux conceptions des peuples du Nord, ont en certains cas, joué un rôle important dans la culture européenne, en dehors des influences méditerranéenes; car beaucoup des peuples caucasiens, et plus généralement asiatiques, faisaient partie jadis de groupes dont certaines fractions ont envahi l'Europe, alors que d'autres s'arrêtaient en chemin.


Fig. 128.—Vase de Kamarès (île de Crète).
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Quand on s'éloigne de ces régions pour pénétrer au cœur de l'Asie, dans le nord de la Perse, la Transcaucasie et la Sibérie, on se trouve en présence de deux conceptions artistiques très distinctes, l'une correspondant à l'industrie du cuivre et du bronze, dans les dolmens du Nord iranien, ne comportant qu'une ornementation géométrique fort simple, l'autre dans laquelle le principal motif est la figuration des animaux; ce dernier art se rencontre en Osséthie (fig. 131), au talyche russe et persan et dans l'Arménie russe avec le fer (fig. 132). La spirale joue alors un rôle très important, et le swastika devient plus fréquent que par le passé.

En Sibérie, dans les districts de Minoussinsk et de Krasnoïarsk, vers les frontières de la Mongolie, dans l'Altaï et jusqu'à l'Oural et à la Volga, pays où les gisements de cuivre sont extrêmement nombreux, on a trouvé, soit dans les sépultures, soit isolément, de très nombreux objets dans lesquels les représentations animales jouent le principal rôle décoratif. Les figures sont soit moulées, faisant partie des instruments et des armes, soit sous forme de statuettes, soit gravées au burin dans le métal, sur les objets divers, haches, poignards, vases, ceintures métalliques; et le goût comme la technique sont exactement ceux qui, de nos jours, guident encore les ciseleurs persans. On est tenté de voir dans l'apparition de cet art très caractérisé, venant supplanter l'ornementation géométrique, l'indice de l'arrivée des Iraniens sur le plateau persan, parmi ces populations d'origine inconnue, dont nous parlent les textes des rois d'Assour.


Fig. 129.—Chien et sanglier, d'après une fresque du palais de Tirynthe.
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Nous devons constater que cet art naturaliste paraît être demeuré complètement en dehors de la Chaldée, de l'Assyrie, de l'Égypte et de tout le monde occidental. Il n'y a donc pas lieu de faire intervenir son influence dans le développement du naturalisme méditerranéen (fig. 129).

Mais, si nous comparons cet ensemble artistique à celui qui s'est développé dans nos pays occidentaux, au début de l'industrie du fer, durant cette période qu'on désigne sous le nom de hallstattienne, on est frappé des analogies sans nombre qu'on relève entre l'art naturaliste oriental et celui de l'Occident. Fréquemment les formes des armes et des instruments sont les mêmes, quant aux motifs et aux procédés d'ornementation, principalement dans la gravure, ils sont identiques et spéciaux à tel point qu'on ne peut s'empêcher d'établir un rapprochement entre ces deux ensembles qui, d'après les découvertes dans le bassin du Danube et l'Ukraine, se rejoindraient au nord du Caucase, par les steppes russes.

Cette civilisation du fer, en Transcaucasie, a été précédée par une autre plus simple et dont l'art appartient au système géométrique, civilisation qui semble être dérivée de celle du bronze, alors qu'en Occident le Hallstattien succède directement au bronze par une rapide transition.

Dans ces conditions, il semble que le fer, qui était depuis longtemps connu en Asie, avant l'arrivée des artistes naturalistes, n'a peut-être pénétré en Europe qu'avec les Hallstattiens, venus d'Orient chez nous, par les steppes russes et la vallée du Danube.

Toutefois il y a lieu de tenir compte à cette époque des influences méditerranéenes qui, fort probablement, sont venues modifier quelque peu les coutumes des naturalistes de l'Asie.

Cette industrie, on s'accorde non sans vraisemblance à l'attribuer aux Celtes. Il s'ensuit donc que les Celtes, avant leur arrivée en Europe, auraient habité ou envoyé des colonies dans les pays du sud de la mer Caspienne, soit qu'ils y fussent venus du Nord par Derbend ou le Dariall (pays des Ossèthes), soit qu'en partant de la Transcaspienne, ils aient longé les montagnes de l'Elbourz, pour venir dans les pays de l'Araxe. Puis la branche méridionale de leur race se serait soit fondue, soit retirée vers le nord, laissant dans l'Iran leurs goûts et leurs méthodes naturalistes encore en vigueur aujourd'hui chez les graveurs persans. Cet art si caractéristique du Hallstattien se serait, dans l'Occident européen, effacé devant un goût très supérieur, celui des peuples méditerranéens, qui domine à partir de l'époque dite de la Teine.

C'est au début du premier millénaire avant notre ère qu'on place la naissance du Hallstattien dans nos pays. C'est donc plus anciennement que cet art s'est montré dans la Transcaucasie; peut-être quelques siècles seulement, peut-être un millénaire auparavant. D'ailleurs les Hallstattiens orientaux ont vraisemblablement appris à connaître le fer en Transcaucasie, puisqu'il existait dans ces pays avant leur venue; et les sépultures de l'Osséthie ne seraient alors que les témoins du passage des Hallstattiens au travers du Grand Caucase, pays où le cuivre à l'état naturel est beaucoup plus abondant que le fer, ce qui expliquerait la rareté de ce dernier métal dans la nécropole de Koban.

Ce ne sont là certainement que des conjectures; mais la grande diffusion d'un art aussi spécial qu'est celui du Hallstatt ne peut être considérée comme l'effet de simples coïncidences.

Malheureusement, jusqu'à ce jour, les recherches sont bien peu avancées, tant en Transcaucasie qu'en Perse et dans l'Asie centrale. Des fouilles ont été pratiquées en Osséthie, dans l'Arménie russe et dans le talyche russe et persan; là se bornent aujourd'hui nos recherches. Toutefois nous constatons que les peuples du Nord vivaient complètement en dehors de ceux du Sud, et que les civilisations si florissantes de Babylone, de Suse, de Ninive et d'Ecbatane n'ont pas influencé les peuples dont nous avons découvert les tombes dans les nécropoles du Nord.

Dans le nord de l'Asie antérieure, on ne rencontre que de très rares traces d'une céramique peinte toute spéciale, dans les tombeaux contenant des armes de fer; la poterie ornée de dessins au lissoir domine et l'ornement incisé n'est pas rare (fig. 130). Avec l'apparition du fer, nous constatons la présence de nombreux vases présentant des formes animales, chevaux, bœufs, oiseaux; mais, de même que dans la ciselure, nous sommes en présence d'un style spécial, d'origine altaïque si nous en jugeons par les découvertes faites en Sibérie au cours de ces dernières années.


Fig. 130.—L'industrie du fer en Osséthie. Figurations d'animaux.
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En Europe occidentale et centrale, les débuts de la céramique nous montrent des vases, généralement à fond plat, légèrement évasés, irréguliers (fig. 133), faits de pâte grossière et mal cuite à l'air libre dans les foyers; les tessons de cette poterie sont, en général, composés de deux couches extérieures brunâtres et de la partie centrale, à peine cuite et grisâtre; la terre en est à peine pétrie et mélangée de grains de sable.


Fig. 131.—Figurations gravées sur des ceintures de bronze des nécropoles de l'Arménie russe. Industrie du fer.
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Fig. 132.—Poterie incisée. Nécropole de Djonu (Talyche russe).
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Fig. 133.—Poteries grossières:
1, Tertre Guérin (Seine-et-Marne);
2, Dolmen de Châtêau-Larcher (Vienne)
[d'après A. de Mortillet]. (agrandir)
Fig. 134.—Vases néolithiques;
1 à 3 et 5 à
10, Chassy (Saône-et-Loire);
6, Bohême;
4, 11 et 12, Bretagne. (agrandir)

Plus tard, avec les perfectionnements de l'industrie néolithique, la technique s'améliore peu à peu; les formes se compliquent (fig. 134), deviennent même parfois assez élégantes, et l'ornementation paraît; on l'a déjà rencontrée sous forme d'incisions au cours du Campignien, elle se complique en ponctuations (fig. 134 nos 9, 10 et 12); viennent les vases cordés (fig. 134, n° 12), c'est-à-dire ornés de l'impression d'une corde enroulée sur la pâte encore molle; puis le potier écrase sur son vase de petites boulettes d'argile et en forme des dessins (fig. 134, nos 5, 7 et 8). Mais ce ne sont là que des exceptions; car dans presque tous les pays, c'est l'incision qui domine; parfois même elle devient très artistique, comme en Scandinavie, où elle est particulièrement remarquable dès les temps de la pierre polie. Avec le bronze, la céramique se perfectionne encore; depuis longtemps le tour est en usage et, peu à peu, les formes s'inspirent de celles du monde hellénique. En Italie méridionale, en Sicile, en Espagne, voire même dans le sud de la Gaule, les arts méditerranéens ont eu une grande influence sur l'Occident, dès l'apogée de la Crète et, par voie de terre (fig. 138, 139), les formes mycéniennes ont gagné l'Europe centrale; de telle sorte que, lors de l'apparition du fer, la forme des vases, les motifs des dessins, les procédés techniques ne sont plus qu'un mélange de la culture indigène et de l'art méditerranéen. On peint les vases, mais sans cette habileté des peuples helléniques, et, le plus souvent, ces œuvres de potier ne sont qu'un coloriage peu stable des ornements incisés.


Fig. 135.—Ornementation néolithique
d'après la Céramique.
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Fig. 136.—1, 2, Chypre; 3, Hissarlik; 4, Île de Moen (Danemark); 5, Île de Seeland.
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Fig. 137.—L'industrie du fer en Transcaucasie. Ornementation des vases (Hélénendorf, près Yélisavetpol).
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Partout en Europe, dans les derniers temps protohistoriques, l'influence méditerranéene se fait sentir; mais elle s'exerce chez des peuples très variés comme origine, comme goûts artistiques; il en résulte une multitude d'écoles, variétés sans nombre, dont les mouvements des peuplades compliquent encore l'étude. En Gaule seulement, on constate l'existence de nombreuses provinces et, pour les mêmes districts, d'écoles successives, dont les phases correspondent aux mouvements des populations, à l'ouverture de nouvelles voies commerciales, à des événements militaires, et à une foule d'autres causes qui souvent nous échappent.


Fig. 138.—Buchheim (Duché de Bade).
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En Occident et dans le nord de l'Europe, les temps préhistoriques se terminent au cours de la civilisation du fer, de l'industrie dite de la Tène. Les arts alors sont le produit des goûts indigènes très largement influencés par l'art gréco-étrusque et grec; on voit encore des motifs et des procédés anciens sur les vases incisés; mais aussi la peinture céramique et la sculpture portent ce caractère spécial, dérivé de l'hellénisme, qui, dans les pays septentrionaux, se conservera jusqu'au Moyen Âge.


Fig. 139.—Burzenhof (Wurtemberg).
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Somme toute, en dehors de l'Élam, de l'Égypte et du monde grec, chez qui nous rencontrons de véritables écoles artistiques, très nettement caractérisées par la technique comme par l'art, les goûts, dans l'Ancien Monde, sont encore très confus, et la raison en est que nulle part, chez les nombreux peuples dont il nous est resté des traces, nous ne rencontrons la même originalité que dans les grands centres de l'Orient.

Fig. 140.—Les arts de l'industrie de la Tène. 1, Turoe (Cté de Galway, Irlande); 2, Kermaria, près Pont-l'Abbé (Finistère); 3, Hoch-Redlan (Prusse); 4, Betheny (Marne); 5, Glastonbury (Somerset); 6, Roanne (Loire); 7, Marne; 8, Roanne (Loire); 9a, Matzhausen (Palatinat); 9, frise d'animaux de 9a.

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Mais le Nouveau Monde ne doit pas être négligé; car certaines régions de l'Amérique, le Mexique et le Pérou, ont eu des écoles non moins remarquables que celles de l'Asie et de l'Égypte. Là, nous sommes en présence d'un monde à part sans relations avec le reste de l'Univers, évoluant sur lui-même; cette évolution a produit les mêmes résultats que dans l'Ancien Monde; car on trouve en Amérique la poterie incisée, lissée, toutes les variétés de nos continents, et enfin la céramique peinte; les procédés techniques sont les mêmes; seules diffèrent les conceptions artistiques. Quant à l'époque de ces œuvres, nous ne pouvons pas nous en faire une idée basée sur des estimations sérieuses.

L'expérience du Nouveau Monde montre combien il convient d'être prudent dans les hypothèses relatives aux influences, surtout quand il s'agit des procédés d'ordre simple. La même pensée a pu venir chez bien des peuples divers en des temps différents. Les caractères de la céramique primitive, de celle qui ne comporte pas la peinture, ne peuvent être considérés comme concluants au point de vue chronologique, quand il s'agit de peuples différents ou de régions diverses.

D'ailleurs, pour toutes choses relatives aux arts et en particulier pour la céramique, nous sommes encore d'une grande ignorance, en ce qui regarde la plus grande partie de l'Ancien Monde; nous avons vu que pour la Transcaucasie, la Perse, la Russie nous ne possédons que de vagues informations limitées à quelques districts et à quelques peuples; mais au delà, plus loin vers l'Orient, notre ignorance est complète.

CHAPITRE II

LES CROYANCES RELIGIEUSES LE TOTÉMISME ET LA MAGIE

Deux principes semblent régner déjà sur les esprits aux temps où les occidentaux de l'Europe en étaient aux industries paléolithique et archéolithique: le respect des morts, par suite, une croyance à la survie, et peut-être aussi le totémisme, s'appliquant, comme chez les populations primitives modernes, aux événements de l'existence.

Dans les grottes de Grimaldi, et dans beaucoup d'autres cavernes, on a trouvé le mort enterré près de son foyer, entouré des objets qui lui étaient familiers. Cette coutume, qui s'est continuée jusqu'à la fin de l'usage de la pierre taillée, et qui, après l'apparition des métaux, a pris plus de force encore, montre, à n'en pas douter, que nos précurseurs sur le sol de la France possédaient déjà des notions sur le culte des morts, croyaient à la vie future et, en conséquence, à une puissance supérieure à celle des humains. Cette notion, d'ailleurs, n'est pas spéciale aux races qui ont habité l'Occident européen à l'époque quaternaire, elle est universelle; mais c'est dans nos cavernes que s'en rencontrent, semble-t-il, les plus anciens témoignages recueillis jusqu'ici.

Quant au totémisme, il est plus discutable; cependant, en étudiant les peintures de nos grottes, et en comparant les résultats de nos observations aux usages de certaines des peuplades sauvages vivant de nos jours, certains archéologues ont été amenés à penser que les Magdaléniens ne couvraient pas les parois de leurs habitations dans le seul désir de satisfaire leurs goûts esthétiques, mais qu'ils attachaient un sens superstitieux aux représentations qu'ils figuraient[184].

«En Australie, comme en Amérique, dit Déchelette[185], les clans se croient placés sous la protection d'un être tutélaire, ordinairement d'un animal dont il importe, pour le salut commun, de se ménager les faveurs. Cet animal totem devient par suite l'objet d'un culte constant. Les clans apposent les images de leurs totems sur leurs armes offensives et défensives. En outre, l'intervention de la magie permet d'en obtenir la multiplication, profitable à la communauté. MM. Spencer, Gillen et Frazer ont décrit les curieuses cérémonies qu'accomplissent dans ce but les Australiens, au pied des parois rocheuses, tapissées de représentations zoomorphes. Maintes particularités de ces pratiques magiques se rapprochent aisément des faits observés dans les grottes pyrénéennes et périgourdines.»

Il ne faudrait pas, cependant, abuser du totémisme et chercher à en retrouver partout les traces. Nous ne connaissons pas tous les mobiles des actions de l'homme à ces époques lointaines.

Les peintures de nos cavernes sont parfois situées dans des recoins ou sur des anfractuosités de rochers peu accessibles; on a supposé qu'elles ont été tracées dans ces endroits parce qu'elles auraient été interdites (Tabous) aux femmes, aux enfants et, d'une manière générale, aux non-initiés.

Ce n'est là qu'une hypothèse, vraisemblable il est vrai, mais qu'il serait hasardeux de développer tout comme celle relative au totémisme; car, là encore, nous ne pouvons pas déduire des superstitions des sauvages modernes les idées en cours dans des temps aussi éloignés de nous.

La croyance aux larvæ, c'est-à-dire aux spectres, aux revenants, qu'on rencontre depuis les temps historiques les plus anciens, dans la péninsule Italique, n'est certainement pas une conception spéciale aux peuples européens; elle existait en Égypte sous une autre forme, mais à coup sûr la crainte que les morts vinssent, par leurs apparitions, troubler la quiétude des vivants eut, chez tous les humains, une grande influence sur le respect qu'ils semblent avoir toujours témoigné à la sépulture, objet d'une crainte mystérieuse, vague, mais intense chez les primitifs, angoissante encore chez bien des modernes des plus développés.


Fig. 141.—Sépulture néolithique d'El-Amrah (Haute-Égypte).
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Avec l'apparition des industries néolithiques, le culte des morts s'affirme sous des formes multiples, car les sépultures de ces époques, très nombreuses dans tous les pays, sont en même temps extrêmement variées.

La tombe en pleine terre, sans enveloppe protectrice du cadavre, est peu commune dans nos pays. Cependant on la rencontre dans le département de la Marne, entre autres, à Dormans: les corps accroupis ou repliés étaient placés dans de petites fosses orientées du nord au sud.


Fig. 142.—Tombes des nécropoles de l'Arménie russe: Industrie du fer.
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Ce mode de sépulture, le plus simple de tous, était en usage dans la vallée du Nil, au temps où florissaient les industries néolithique et énéolithique (fig. 141)[186]. Souvent alors on trouve le squelette enfermé, cousu dans une peau d'antilope ou de gazelle, et l'apparition du cuivre ne modifia pas cet usage. Dans les couches les plus profondes du tell de Suse, les tombes présentent les mêmes caractères généraux.

En Allemagne, ce mode d'inhumation est plus fréquent que dans la Gaule.

Nous avons vu qu'aux temps quaternaires le mort était fréquemment enseveli dans les cavernes, auprès de son foyer. Aux temps néolithiques, ces grottes, alors inhabitées pour la plupart, furent choisies pour déposer les cadavres; telle celle de l'homme mort, dans la Lozère, où se trouvait un vaste ossuaire. Fréquemment une muraille de pierres sèches, fermant l'entrée de la caverne, abritait les corps contre les carnassiers.

Fig. 143.—Crypte de Croizard. Vallée de Petit Morin
(d'après le baron de Baye).
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Fig. 144.—Crypte de Courgeonnet. Vallée de Petit Morin
(d'après le baron de Baye).
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Mais comme il n'existait pas de grottes naturelles dans tous les pays, l'homme creusa dans le sol des abris artificiels. C'est dans le département de la Marne qu'on peut le mieux étudier cette forme de tombes. La vallée du Petit Morin en renferme un grand nombre[187]. Ce sont de véritables hypogées, creusés dans la craie, très régulièrement, composés d'une ou de deux chambres jadis fermées au moyen de dalles ou de madriers. Une tranchée pratiquée dans les éboulis et les alluvions avait permis d'atteindre les affleurements de la craie. Les squelettes étaient nombreux, régulièrement rangés les uns par-dessus les autres, en deux groupes laissant entre eux une sorte d'allée[188].

Fig. 145.—Dolmens: 1, Brantôme (Dordogne); 2, table des marchands (Locmariaker, Morbihan); 3, Krukenn (Plouharnel, Morbihan); 4, Lauzo (Orgnac, Ardèche); 5, Gramont (près Lodève, Hérault); 6, Trie-Château (Oise). (agrandir)

Certaines de ces grottes artificielles sont considérées par les archéologues[189] soit comme étant des chapelles funéraires destinées à la célébration de cérémonies rituelles, soit comme des sépultures réservées à des personnages de rang élevé.


Fig. 146.—Dolmens, plans et coupes.
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Dans la majeure partie de l'Europe, dans les pays méditerranéens, en Égypte et dans l'Asie antérieure, les hypogées sont nombreux; tous sont inspirés par le même principe, le respect du mort, et le désir de protéger ses restes contre les animaux et les hommes. Les tombes pharaoniques de Thèbes, les sépultures achéménides de la Perside, sont des grottes artificielles aux proportions monumentales. Mais creuser ces hypogées exigeait de grands travaux, auxquels on ne pouvait se livrer que pour un petit nombre de personnes; ce mode d'inhumation ne doit donc être considéré que comme exceptionnel. Il en est de même pour les dolmens, vastes chambres bâties en blocs de roches, puis, le plus souvent, recouvertes de terre.


Fig. 147.—Distribution géographique des dolmens dans l'ancien monde.
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Le dolmen[190] (fig. 145 et 146) est un monument en pierre, de dimensions variables, composé de murailles verticales formées de gros blocs dressés et d'une ou plusieurs grandes dalles recouvrant l'édifice. Certains dolmens ne renferment qu'une seule chambre, rectangulaire (fig. 145 et 146, nos 1, 3 et 4); d'autres en contiennent plusieurs (fig. 146, nos 5 et 7), d'autres enfin sont munis d'une galerie d'accès construite d'après les mêmes principes (fig. 146, nos 1, 3 et 7), plus ou moins longue, plus ou moins large et haute. Parfois les murs latéraux sont inclinés et donnent au dolmen l'aspect d'une pyramide tronquée (fig. 145, nos 4 et 5); on connaît même des allées couvertes dont les grandes dalles ne sont supportées que d'un seul côté, ce qui donne au couloir une section triangulaire. On voit aussi bon nombre de ces monuments formés d'une longue galerie sans chambre spéciale (fig. 146, nos 2 et 6). Dans quelques pays, en Irlande entre autres, les dalles du plafond sont remplacées par une voûte en encorbellement, construite en petites pierres plates (fig. 146, n° 7). Le sol des dolmens est, en France, souvent dallé (fig. 146, nos 1 et 6).


Fig. 148.—Dolmen bâti de Nâmin,
province d'Ardébil (Perse)
[relevés de l'auteur].
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Dans bien des cas les dolmens sont recouverts d'un monticule de terre plus ou moins grand; mais nous ne pouvons pas affirmer que tous occupaient l'intérieur d'un tumulus, et que ceux qui sont aujourd'hui découverts, l'ont été, soit par la culture, soit par les pluies.

Dans les dolmens complets, avec tumulus, on constate la présence au pourtour de la butte d'un cercle de grosses pierres destiné à limiter la base du tertre. Souvent on rencontre de ces cercles de pierre isolés, sans qu'un dolmen soit situé au centre. Pour la plupart ces cercles ne sont que les ruines d'anciens tumuli: mais il ne faut pas les confondre avec les cromlechs[191], monuments de destination inconnue, dont les dimensions sont beaucoup plus grandes.

L'apparition des dolmens[192] dans l'Europe occidentale semble coïncider avec la seconde phase de l'industrie néolithique de la Suisse et de la France; mais cette apparence semble être illusoire: car les plus anciens de ces monuments, dont les mobiliers ne comprennent que des outils de pierre, faits de roches dures importées renferment des traces de métal, cuivre et or, d'autres sont franchement énéolithiques.

L'extension géographique des dolmens est immense (fig. 146); on les rencontre depuis le sud de la Scandinavie jusqu'en Algérie, et depuis le Portugal jusqu'aux Indes et au Japon[193]. Dans le nord de l'Asie antérieure (talyche russe ou persan), ils appartiennent tous aux temps des industries du cuivre et du bronze; il s'ensuit que si l'usage de construire de semblables édifices est venu de l'Asie dans nos pays, cette pratique a forcément amené avec elle la connaissance des métaux, ce qui semble être le cas; car, en Europe occidentale, ces tombeaux renferment des mobiliers d'apparence néolithiques mais certainement dus à la pauvreté en cuivre de leurs constructeurs. L'hypothèse d'une propagation en sens inverse est inacceptable, car elle supposerait que les débuts du métal, dans les pays caspiens, sont postérieurs à ceux dans l'Armorique et ce ne peut être, la civilisation asiatique remontant à des âges beaucoup plus reculés que celle de l'Occident.

Reste à supposer que l'idée de construire ces vastes sépultures est née en des temps divers dans plusieurs pays, car le culte des morts est trop ancien et trop répandu pour qu'on puisse expliquer sa généralisation par sa propagation partant d'un foyer unique. La solution serait, semble-t-il, dans une hypothèse mixte; car il n'est pas possible de relier au grand groupe des dolmens asiatico-européens, les monuments du Japon, de Madagascar et de l'Amérique du Sud.

Dans tous les pays, les plus anciens dolmens sont faits de matériaux de grande taille, mal dégrossis; puis, peu à peu, les éléments des murailles verticales diminuent de grosseur et bientôt les blocs latéraux des débuts sont remplacés par un appareil en pierres brutes, il est vrai, mais soigneusement établi. Seules les grandes dalles du toit demeurent (fig. 148)[194] et, les dimensions du monument diminuant, on en arrive au ciste.


Fig. 149.—1, Menhir de Kérouézel à Porspoder (Finistère);
2, Géant de Kerdil, Carnac (Morbihan);
3, Penmarch (Finistère), hauteur 7 mètres.
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Ce n'est pas dire que l'usage d'enterrer les morts dans des coffres de pierre soit postérieur aux dolmens; les deux genres de sépulture ont certainement été usités en même temps dans les mêmes pays, mais le principe de ces constructions funéraires est le même. D'autre part, la conception du dolmen et de son tumulus, interprétée par des peuples de grande culture, a produit en certains pays de véritables colosses; témoin les pyramides royales égyptiennes de l'Ancien et du Moyen Empire.

Les dolmens ne sont pas les seuls monuments mégalithiques de l'antiquité préhistorique: on rencontre également dans bien des régions des traces inexpliquées encore de croyances religieuses ou superstitieuses, se rapportant peut-être au culte des morts, et se manifestant sous forme de pierres levées (menhirs)[195] (fig. 149), de portiques, rares d'ailleurs, composés de deux montants verticaux et d'un linteau; enfin des alignements de monolithes (fig. 150), le plus souvent associés à des cromlechs. Les dolmens eux-mêmes présentent parfois des singularités inexplicables: certains sont divisés en plusieurs chambres qui communiquent entre elles par un trou circulaire percé dans la cloison (fig. 145, nos 5 et 6; fig. 146, n° 6).


Fig. 150. Alignements de Ménec à Carnac (Morbihan).
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En France, les menhirs sont plus nombreux encore que les dolmens. A. de Mortillet en compte 6192, y compris les alignements et les cromlechs[196]; et leur distribution ne concorde pas exactement avec celle des dolmens. Le plus grand de ces monuments est le Men-er-Hroèck (Pierre de la Fée), aujourd'hui renversé et brisé, qui mesurait 26m, 50 de longueur. Ce monolithe rappelle par ses dimensions les obélisques d'Égypte; celui d'Hata Sou à Karnak est cependant beaucoup plus grand, sa hauteur étant de 33m, 20. On se perd en conjectures sur la destination primitive de ces monuments, mais aucune des hypothèses proposées jusqu'ici ne repose sur des bases scientifiques.

Il en est de même pour les alignements, longues files parallèles de menhirs plantés en terre à des distances presque égales et dont on voit encore les restes dans les départements du Morbihan et du Finistère. Ces alignements, jadis, étaient beaucoup plus étendus: ce qu'il en reste donne cependant encore une grande impression.

Les cromlechs sont de grands cercles de 50 ou 60 mètres de diamètre, formés de menhirs. Ces monuments mégalithiques sont très répandus sur notre sol, dans les îles Britanniques, en Suède, en Danemark. On en rencontre quelques-uns dans l'Asie antérieure. Toutes les interprétations qui ont été données à leur sujet sont du domaine de la fantaisie.

Le petit nombre de sépultures quaternaires découvertes jusqu'à ce jour ne permet pas d'établir les règles alors suivies dans la mise en terre du mort, et nous n'avons, de ces temps, aucune indication quant aux pratiques d'incinération que nous voyons souvent usitées par les néolithiques de nos pays. Mais avec l'apparition de la pierre polie, nos informations deviennent beaucoup plus sûres. Dans certaines régions, telle la Scandinavie, les tombes néolithiques sont toutes d'inhumation, alors qu'en France et surtout en Bretagne, on a fréquemment incinéré les morts[197]. Dans les départements de la Marne, de l'Aisne, du Gard et en beaucoup d'autres points de notre sol, la même observation a été faite[198]; et cette coutume de détruire le corps par le feu, aurait également été en vigueur aux mêmes époques en Thuringe et dans la Prusse occidentale[199], alors que dans les îles Britanniques, en Italie et en Suisse on n'a pas encore retrouvé de traces d'incinération.

D'ailleurs, dans les temps historiques, chez les Latins et les Étrusques, la crémation et l'inhumation étaient également pratiquées; seul l'Orient, et surtout l'Égypte, semble s'être refusé à la destruction du corps. Cependant l'incendie des tombes royales primitives de Négadah et d'Abydos permettrait de penser qu'à l'origine on pratiquait, pour les grands personnages, l'incinération non seulement de leur corps, mais de tous les biens leur ayant appartenu.

Quant au décharnement pré-sépulcral, il semble avoir été en usage dès les temps quaternaires, si nous en jugeons par la couleur qui couvre les ossements[200]. Pour les époques plus voisines de nous, cette pratique a laissé de nombreuses traces dans l'Europe occidentale, centrale, en Russie et, paraît-il, jusqu'au nord du Caucase.

Pendant que florissait l'industrie du bronze dans nos pays, les coutumes d'antan demeurèrent ce qu'elles étaient à l'époque des néolithiques; toutefois on cessa peu à peu de bâtir des dolmens et ceux qui existaient furent souvent employés comme ossuaires. Dès lors on enterra dans des cistes, dans des fosses aux parois garnies de moellons, dans des chambres bâties (fig. 151 et 152), sur lesquelles on élevait un tumulus qui, parfois, atteignait des proportions considérables. Celui de Saint-Menoux (Allier) ne mesurait pas moins de 25 mètres de diamètre[201]; il contenait quatre squelettes.

À cette époque la crémation était en usage également dans l'Europe; mais, comme aux premiers temps, l'Asie ne l'adopta pas, ou du moins, nous n'en avons jusqu'ici rencontré aucune trace. Là, dans certaines régions, le nord-ouest de la Perse entre autres, on peut suivre les diverses phases de passage du grand dolmen au ciste, et les mobiliers funéraires vont en se perfectionnant au fur et à mesure que se complique la construction funéraire.


Fig. 151 et 152.—Sépultures de l'industrie du fer à Djonu (Talyche russe).
Fouilles de l'auteur.
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Si les primitifs habitants des montagnes qui bordent au sud-ouest la mer Caspienne ne brûlaient pas les morts avec leurs épouses comme on le faisait aux Indes, du moins semble-t-il que l'homme les emmenait avec lui dans l'autre monde. Une sépulture que j'ai eu la bonne fortune de découvrir à Véri (Talyche russe) en 1890, est explicite à cet égard.

Un ciste aux contours irréguliers (fig. 153) renfermait quatre corps[202]. À droite sont les restes de l'homme (n° 1), accompagnés de ses armes: une épée, quatre poignards, plusieurs têtes de lances et bon nombre de pointes de flèche; comme bijou, un torque et quelques perles, de petits disques d'or. À gauche de l'homme, au milieu de la tombe, sont deux crânes de femmes (nos II et III), entourés de perles, de disques d'or; chacune a son torque, et des bracelets l'accompagnent; les armes font complètement défaut. À gauche est un autre crâne féminin (n° IV), entouré des mêmes bijoux et, près de là, un miroir de métal. (Dans la figure 153, les vases ont été enlevés, afin qu'on se rende mieux compte de la position des objets et des squelettes.)

L'examen du mobilier de cette sépulture montre d'une façon très nette que les trois femmes avaient accompagné leur maître dans la tombe. La position des bijoux, l'ordre qui régnait dans leur distribution, et le fait qu'aucun vase n'avait été brisé, prouve que ces femmes avaient été mises à mort avant la fermeture de la chambre sépulcrale. Là s'arrêtent nos constatations: mais elles sont fort importantes quant aux cérémonies des funérailles, au temps du bronze dans cette région, car elles ouvrent la voie aux comparaisons avec les Indes, où existait depuis des temps fort reculés, sous une autre forme, le même rite du sacrifice des femmes. Cette tombe rappelle celles des Scythes dont parle Hérodote.

Les mœurs à ces époques étaient fort variées et souvent de la plus affreuse barbarie; ainsi M. Stolpe, savant suédois qui a étudié une caverne de l'île Stôra Carlso (Gotland), a constaté que les habitants de cette île aux temps néolithiques étaient cannibales[203]; et l'on trouve encore mention du cannibalisme en Europe à l'époque historique[204].

Mais les néolithiques se livraient encore à d'autres pratiques sur les morts, et ces usages ont laissé des traces. Ils découpaient des rondelles dans les crânes, les trépanaient, non pas dans le but chirurgical de cette opération de nos jours, mais pour en détacher des fétiches; car ces rondelles ils les perçaient de trous pour les suspendre ou les faire entrer dans leurs colliers[205]; et les Gaulois eux-mêmes pratiquaient encore cet usage. On a découvert en Bohême, dans l'oppidum de Stradonitz, un fragment de calotte crânienne orné de dessins géométriques gravés, témoin d'un usage qu'on retrouve de nos jours en Océanie.


Fig. 153.—Sépulture de l'industrie du bronze à Véri (Talyche russe).
Fouilles de l'auteur (les vases ont été enlevés).
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Comme on le voit, les usages funéraires, aux temps préhistoriques, sont extrêmement variés; nous ne possédons de renseignements que sur fort peu d'entre eux, beaucoup nous échappent complètement.

En Perse, le Mazdéisme mit fin à la sépulture, et, dans le nord de l'Iran, aux tombes de l'industrie du fer, succèdent des cases pour l'exposition des cadavres[206]; ce n'est qu'avec la venue de l'Islam, c'est-à-dire au viie siècle de notre ère, que les tombes reparaissent. Or, l'on s'accorde pour assigner le xve siècle avant notre ère pour l'apparition dans la Médie de la doctrine zoroastrienne. Cette date serait donc, à quelques siècles près, celle de la disparition des sépultures de l'industrie du fer dans ce pays, si toutefois les hommes de l'industrie du fer, dont nous avons retrouvé les sépultures, se sont convertis au Mazdéisme.

Le culte des morts n'était d'ailleurs pas, aux temps préhistoriques, la seule croyance religieuse; il en existait une multitude d'autres, mais la question des idées philosophiques, chez les peuples sans histoire, est l'une des plus obscures qui soient, parce que nous manquons presque complètement de documents sur lesquels il nous soit possible de baser même des hypothèses. Sauf pour les rites funéraires qui, nous venons de le voir, montrent que dans tous les pays l'homme s'est préoccupé de la vie future, nous sommes presque toujours contraints, pour nous faire une idée de ce qu'étaient les cultes primitifs, de faire usage des sources historiques et de remonter, par la pensée, au travers des âges, en nous aidant, mais bien faiblement, des rares objets préhistoriques qui semblent se prêter à l'interprétation. Cette excursion dans les origines historiques des croyances nous montre les religions infiniment variées, ce qui n'est pas sans compliquer encore la tâche du préhistorien. En effet, si nous constatons que les peuples d'une même région, en entrant dans l'ère historique, possédaient des croyances diverses, que devons-nous penser de ceux qui successivement, dans les temps plus anciens, ont foulé le sol de ce même pays?

Les religions naissent, prospèrent, parfois se répandent au loin, puis entrent en décadence et meurent. Seules, celles qui sont basées sur des principes vraiment philosophiques survivent; mais plus nous remontons dans le temps et plus nous nous éloignons des conceptions élevées, plus nous pénétrons profondément dans les pratiques de la superstition et de la magie; car l'être humain, devant l'impuissance de ses efforts sur les phénomènes alors incompréhensibles, guidé d'une part par la crainte, d'autre part par l'espérance, a forcément attribué la multiplicité des faits dépassant son intelligence à une foule de causes. Il en résulte des pratiques compliquées à l'infini: «l'homme peupla d'abord l'espace de forces libres, passionnées, susceptibles d'être invoquées et fléchies[207]». Ce n'est que beaucoup plus tard que vint la notion du dieu unique: parce qu'elle exigeait une généralisation des causes que seuls des esprits développés étaient aptes à concevoir.

Le domaine de l'incompréhensible, très vaste au début, se restreignit peu à peu au fur et à mesure du progrès intellectuel. La pléiade divine primitive, née de la multiplicité des phénomènes, reçut un maître et, chez quelques rares esprits plus affinés, naquit la conception d'une force supérieure à toutes les autres, les englobant. La notion du dieu unique était née: mais, dans beaucoup de religions, cette conception supérieure demeura le secret du clergé: c'est ce qui eut lieu en Égypte et probablement aussi en Chaldée, et c'est, fort probablement, de ces notions sacerdotales que les Hébreux tirèrent Yaveh. Mais dans toutes les religions orientales les anciens dieux n'étaient pas destitués, les clergés les conservèrent longtemps encore, parce que les peuples n'étaient pas assez développés pour qu'on pût les faire renoncer à leurs superstitions.

Chez tous les peuples dont nous avons pu étudier les origines religieuses, ou tout au moins remonter fort loin dans l'examen de leurs croyances, nous rencontrons le polythéisme. Égyptiens, Chaldéens, Élamites, Hellènes possèdent tous un panthéon compliqué. Il en est de même pour les peuplades que par nos découvertes géographiques du xviie et du xviiie siècles, nous avons été à même de surprendre en pleine civilisation préhistorique.


Fig. 154.—Emblèmes religieux et insignes
des tribus sur les vases peints prédynastiques d'Égypte.
1 à 13, Négadah et Ballas; 14, El-Amrah et Abydos;
(15 à 41, d'après Schweinfurth).
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Chez les Sémites de la Chaldée, les Akkadiens, nous voyons l'idée de la divinité, dès les débuts, se rattacher aux astres, alors que pour les anciens habitants des pays du Tigre et de l'Euphrate, chez les Sumériens, la puissance incompréhensible appartient aux forces de la nature, conceptions différentes dans la forme, qui partaient du même besoin de s'adresser à quelqu'un ou à quelque chose pour conjurer le mauvais sort. Ces deux religions primitives n'avaient rien de philosophique, l'intérêt en était le mobile, et la superstition le guide.

En Égypte, il semble que deux cultes se soient mélangés celui des Aborigènes lybiens, de ces hommes que nous avons vus taillant la pierre, et celui des envahisseurs qui apportèrent avec eux la connaissance du cuivre; de cet ensemble sortit la religion pharaonique. Mais les vieilles coutumes survivaient encore aux temps grecs et romains. Tout avait été jadis dieu dans la nature, et chaque nôme conserva son dieu jusqu'aux premiers siècles de notre ère. C'était une survivance quatre ou cinq fois millénaire de la division du pays entre ces tribus dont nous voyons les insignes distinctifs figurer sur les vases peints préhistoriques. En Égypte comme en Chaldée chacun des dieux avait son emblème, son animal ou son objet privilégié, et chez les pharaoniques, le culte primitif des animaux s'était conservé, dernière trace du totémisme originel. On momifiait les chats, les chiens, les chacals, les crocodiles, les bœufs comme s'ils avaient été les dieux eux-mêmes.


Fig. 155.—Empreinte de cachet
(palais de Cnossos). Déesse apparaissant
au sommet d'une montagne, entre
deux molosses, et personnage en adoration.
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Mais les Asiatiques, qu'ils fussent Sémites ou qu'ils appartinssent aux anciennes races, ont aussi vénéré la nature: les arbres, les sources, les fleuves, les montagnes; et ce culte semble être le plus ancien chez tous les peuples: nous le retrouvons dans l'Europe occidentale, chez les sauvages de nos temps, et bien certainement des recherches plus étendues amèneront à constater que dans tous les pays il a été la base, l'origine des cultes divers.

Dans l'étude des questions religieuses relatives à la préhistoire de l'homme, nous devrons donc rejeter la notion du dieu unique, et nous attacher seulement au naturisme, qu'il soit sidéral ou se rapportant aux phénomènes terrestres. Les astres et les étoiles, la foudre, l'orage, la pluie, le vent, le froid et la chaleur ont été quelque part et en quelque temps des dieux; les eaux, sources, lacs, rivières, les montagnes (fig. 155), les rochers, les arbres, en ont été également, de même que les animaux; mais ces cultes étaient très variés suivant les lieux et les époques. Contentons-nous de glaner dans ce milieu d'une diversité infinie, et de signaler ceux des cultes dont il nous est parvenu des témoins consentant à parler.

Tout d'abord au culte des morts, à la conception de l'anéantissement terrestre, nous devons opposer l'image de la vie, de la création, de la fertilité, de l'abondance, bonheurs personnifiés par la déesse chaldéenne Nana une forme de l'Astarté, des Hellènes.


Fig. 156.—Représentations de la déesse Nana (Astarté).
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Dans les couches profondes des ruines chaldéennes et susiennes, jusque dans celle qui renferme les vases peints de l'industrie énéolithique, on rencontre de grossières figurines de cette déesse (fig. 156, n° 1), voire même son emblème (fig. 156, n° 2); image qui, plus tard, dans les temps historiques, se montrera en abondance, sous forme d'ex-voto d'argile (fig. 156, n° 3). Or, cette image, qui symbolise la fertilité, nous la retrouvons en Égypte (n° 4), soit réelle, soit symbolisée (n° 5), suivant le goût égyptien, car jamais en Chaldée elle ne se montre sous cette forme. Puis elle disparaît de la vallée du Nil dès l'établissement de la civilisation pharaonique; mais ce n'est pas seulement en Égypte qu'elle est parvenue du pays des deux fleuves: on la rencontre à Hissarlik, dans les ruines de la seconde ville (n° 7), en Cilicie, à Adalia (n° 9), dans les îles grecques, à Chypre (nos 6, 10, 11 et 12), accompagnant l'industrie néolithique et jusque dans le bassin du Danube, à Kliçevac, près de Belgrade (n° 13). L'Orient tout entier et quelques pays de l'Europe ont vénéré la déesse mère, dispensatrice de la fertilité dans les champs, chez les animaux et chez les hommes.


Fig. 157.—Danse rituelle.
Peinture rupestre de Cogul (Espagne),
d'après H. Breuil.
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En Asie, comme en Égypte, on représentait les dieux, on leur élevait des temples et des autels, alors que dans l'occident et le nord de l'Europe, il semble que des lois cultuelles interdisaient les images divines; car les temps néolithiques et ceux pendant lesquels florissait l'industrie du bronze ne nous ont laissé aucune sculpture religieuse. Seule une peinture rupestre de l'Espagne (fig. 157), qu'à tort, à mon avis, on a pensé pouvoir rapprocher de l'art magdalénien, nous montre soit aux temps néolithiques, soit plus tard, une sorte de cérémonie, une danse(?) de femmes qui paraît se rapporter au culte de Priape. Ces femmes portent de longues jupes, des coiffures étranges; leur poitrine est nue; elles font songer par leur costume aux représentations crétoises figurant également des danses rituelles (fig. 158). Mais ces peintures sont situées en Espagne, pays qui d'après H. Breuil n'ont pas été soumis aux influences égéennes. Il y a donc lieu de considérer cette scène soit comme purement indigène, soit comme étant d'origine africaine.


Fig. 158.—Bague d'or d'Isopata (près Cnossos).
Danse rituelle.
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Le culte du soleil, très ancien en Chaldée et en Égypte, se montre, en Europe, dès les temps de l'industrie du bronze. Mais les objets que nous possédons, affirmant son existence dans nos pays, sont si conformes au mythe grec, qu'on est amené à penser que les instruments pour ses rites ont été inspirés par le monde hellénique.

On sait que les anciens faisaient parcourir l'espace diurne par le soleil dans un char attelé de chevaux (fig. 159, n° 2); puis que, pour se rendre du couchant au levant, le dieu quittant son char (nos 1, 2 et 10, disque solaire et char), naviguait alors dans une barque sur le fleuve Océan (nos 3 à 7, bateaux solaires).

Or, en Scandinavie, à Trundholm, on a trouvé un char rituel en bronze, attelé d'un cheval, portant le disque; et, en Irlande comme en Angleterre, plusieurs disques solaires en or ont été découverts (fig. 159, nos 8 et 9, le cygne). Puis, les mêmes pays du Nord ont fourni des gravures rupestres (en Scandinavie), et des lames de couteaux portant gravée la représentation de la barque solaire, et enfin une barque votive en or (Jutland). Le mythe se développe donc tout entier dans les pays Scandinaves. M. O. Montelius estime que le char de Trundholm appartient à la seconde phase du bronze scandinave qu'il place vers l'an 1300 av. J.-C. Or, à cette époque l'Hellade était depuis longtemps en relations avec les pays baltiques, par le commerce de l'ambre.

Fig. 159.—Les attributs solaires. 1, Bandeau d'argent de Syros (Civ. égéenne); 2, char solaire de Trundholm (Suède); 3 et 4, barques solaires, graffiti de Suède; 5 et 6, couteaux Scandinaves avec barque solaire; 7, barque votive en or, de Nors (Jutland); 8, ceinturon de bronze de Falerii (Italie); 9 id. de Poggio Burtone (Italie); 10, disque de Staadorf (Haut-Palatinat). (agrandir)

Mais si le cheval était l'animal solaire diurne, le cygne était celui qui tirait la barque de la divinité sur les flots; et si jusqu'ici l'image du cygne remorquant l'esquif n'a pas été rencontrée, du moins la figuration du cygne se trouve-t-elle abondamment représentée dans nos pays, dans le nord de l'Italie et l'Europe centrale, ainsi que dans les pays Scandinaves eux-mêmes, depuis les temps de l'industrie du bronze dans ces pays jusqu'aux siècles du fer, voisins des débuts de la période historique. De telle sorte que, si nous nous en rapportons aux évaluations des préhistoriens les plus compétents, le culte du soleil aurait été en honneur dans toute l'Europe pendant un millénaire et demi, pour le moins; il était répandu dans toute l'Hellade, en Égypte, en Chaldée, en Arabie et couvrait ainsi tout l'Ancien Monde. Plus loin, dans la Médie, il prenait une forme particulière, mais non exclusive comme on l'a pensé; car la doctrine de Zoroastre admettait les dieux secondaires, et bien des siècles après, quoi qu'ils fussent de fervents Mazdéens, les souverains sassanides, se disaient dans leur protocole minutchétri men yezdân, c'est-à-dire «issus des dieux».

Fig. 160.—Barques funéraires peintes sur les vases prédynastiques d'Égypte.
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Fig. 161.—1, Hache de bronze votive (Suse); 2, hache de pierre votive (Hissarlik).
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Mais en Perse, le culte solaire était certainement de beaucoup antérieur à Zoroastre; car on rencontre dans les sépultures les plus anciennes le disque, le svastika et d'autres symboles reconnus aujourd'hui pour n'être qu'une stylisation de la figure du soleil. Le svastika figure sur les monnaies les plus anciennes de l'Inde, lingots poinçonnés qu'on attribue au viie s. av. J.-C.

Sur les vases funéraires peints de l'Égypte primitive, on voit très fréquemment figurer des barques (fig. 160); mais il ne faut pas confondre ces représentations avec celles ayant rapport à la course nocturne du soleil, il semble qu'elles soient les premiers témoins de l'usage pharaonique de transporter le mort à sa dernière demeure par voie fluviale. Cette coutume était encore en usage à la douzième dynastie; les barques funéraires, que mes fouilles de Dahchour ont fait connaître, en sont une indiscutable preuve. D'ailleurs les bas-reliefs égyptiens de toutes les époques témoignent de ce rite.

Nous citerons encore l'importance rituelle qu'ont prise aussi bien dans l'Orient que dans nos pays la hache votive simple ou double (fig. 162) et le bœuf, dont on trouve soit l'image complète, soit la figuration des cornes seulement très fréquemment représentées; ces deux symboles sont, dans bien des cas, réunis; par conséquent ils correspondraient sinon à la même pensée, du moins à deux croyances très proches l'une de l'autre.


Fig. 162.—Haches et taureaux votifs: 1, vase mycénien du Chypre; 2, Hissarlik; 3, Bythin (province de Posen);
4, 5, Châtillon-sur-Seiche (Ille-et-Vilaine); 6, Hissarlik; 7, Ebersberg; 8, Olympie; 9, Grotte de Dicté
(Crète).
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Ainsi, dans bien des cas, le naturisme, primitif s'est peu à peu transformé, l'idée première de la divinité sous sa forme réelle a disparu, et l'emblème des dieux a pris la place de la pensée initiale. C'est ainsi que sur les koudourrous chaldéens (bornes-titres de propriétés) nous voyons figurer indifféremment les dieux et leurs emblèmes; c'est ainsi également que sont nés les panthéons chez les Égyptiens, les Grecs, les Italiotes, etc...

Telles sont, dans leurs grandes lignes, toutes nos connaissances quant aux croyances religieuses chez les hommes avant l'Histoire. En ces temps la magie et la divination, issues du naturisme, jouaient un très grand rôle dans les rites; mais nous ne saurions entrer dans le détail de ces pratiques diverses; les documents font encore défaut.

CHAPITRE III

LA FIGURATION DE LA PENSÉE

Quand l'homme fut sorti de la vie uniquement matérielle, dès que son esprit s'affina quelque peu, il éprouva le besoin de fixer sa pensée, afin de la pouvoir transmettre par des signes intelligibles pour tous; et le premier moyen qu'il trouva fut de représenter par le dessin les idées simples qu'il concevait. Ce premier effort donna naissance à la pictographie représentative; mais bientôt le domaine de la pictographie devenant trop étroit pour répondre aux idées abstraites, même les plus simples, on y joignit la figuration conventionnelle, dont les tracés prirent rapidement une forme hiéroglyphique, et, grâce à son développement intellectuel, et aux progrès que chaque jour l'homme faisait dans toutes les branches de la pensée, bientôt cette écriture elle-même ne suffit plus à ses besoins, certains mots de son parler ne trouvant pas leur expression dans les figures dont il disposait et qu'il ne pouvait pas créer. C'est alors que, négligeant la signification représentative de certains signes, il ne leur accorda plus qu'une valeur phonétique, tout comme nous le faisons encore dans nos rébus. Ainsi naquirent les hiéroglyphes proprement dits, ceux de l'Égypte, de la Chaldée primitive, des Hétéens, de la Crète, de la Chine, du Mexique, etc., dont l'écriture se compose de signes mélangés représentatifs, idéographiques et phonétiques. De là, par des transformations successives des signes phonétiques, se forma l'écriture syllabique: tels le chinois, le cunéiforme des Achéménides, et de ces systèmes sortit la conception de l'alphabet.

Telle est l'évolution rationnelle de l'écriture. Quelques peuples seulement en ont connu toutes les phases; mais, à côté, se développa chez bien des tribus le mnémonisme, entièrement conventionnel, et dont, par suite, la clé s'est perdue en même temps que disparaissaient les hommes qui faisaient usage de ces moyens.


Fig. 163.—1 à 12, Galets peints du Mas d'Azil (Azilien):
13 et 14, os gravés, caverne de Lorthet (Hautes-Pyrénées) (Magdalénien).
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Aux temps quaternaires, la gravure et la peinture jouaient dans bien des cas probablement le rôle d'écriture pictographique simple; toutefois nous n'en pouvons être assurés; mais à côté de ces représentations artistiques, peut-être idéographiques, il existait aussi des aide-mémoire variés, dont fréquemment nous retrouvons des traces. Les galets coloriés du Mas d'Azil (fig. 163, nos 1 à 12), les os gravés de la Roche-Bertier (Charente) et de Lorthet (Hautes-Pyrénées) (fig. 163, nos 13 et 14) en sont d'indiscutables exemples[208]. Donc l'homme dans nos pays, dès la fin des temps quaternaires, usait de ces moyens mnémoniques dont se servent encore les tribus sauvages de l'Océanie, dont les Indiens du Nouveau Monde ont fait usage; et cette coutume semble avoir disparu lors de la naissance des industries mésolithiques, ou du moins nous n'en voyons plus de traces, dès que paraît le campignien, ainsi que pendant toute la durée des industries du bronze dans l'occident de l'Europe.


Fig. 164.—Inscription de Nunsingen
(Suisse) sur une perle de verre dans
un tombeau remanié de l'industrie
de la Tène (époque incertaine).
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Fig. 165.—Peinture figurative mexicaine accompagnée
de légendes explicatives en hiéroglyphes
(d'après L. de Rosny).
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Nos pays ne semblent pas avoir connu l'hiéroglyphe. C'est en Orient, dans le centre de l'Amérique et en Chine que ce système s'est surtout développé. Nous le trouvons établi en Égypte dès les temps pré-pharaoniques; il serait venu dans ce pays en même temps que la connaissance du cuivre. En Chaldée et dans l'Élam, aux temps de l'industrie énéolithique, il existait déjà comme précurseur des signes cunéiformes. Chez les Hétéens, nous le voyons complètement formé à l'époque des Ramessides, mais nous ne connaissons pas ses débuts; il en est de même pour les hiéroglyphes égéens[209]. Ces écritures, dans lesquelles le phonétisme jouait assurément un très grand rôle sont demeurées cantonnées dans les pays de l'idiome auquel elles correspondaient; et, même alors que les communications devinrent faciles entre l'Orient et l'Occident, elles n'ont jamais été adoptées en Europe et n'ont même pas inspiré d'écritures analogues. L'Occident ne connut pas de système alphabétique, avant l'apparition de l'écriture hellénique. Comme exemple, unique d'ailleurs jusqu'ici, de tentative indépendante de la Grèce, nous citerons l'inscription de Müningen, en Suisse (fig. 164), que porte une perle de verre datant des débuts de l'industrie du fer; encore ne pouvons-nous pas nous rendre compte de son origine.


Fig. 166.—Caractères
chinois de diverses époques.
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Parmi les essais d'inscriptions figuratives demeurés sans lendemain, nous citerons celles des rochers de Bohusland, en Suède (fig. 167), celles de la Sibérie (fig. 168), de la Haute-Égypte (fig. 169), du Marié-Lüd à Locmariaker (Morbihan) (fig. 170), comme étant parmi les plus caractéristiques de ce procédé de fixer la pensée.

Fig. 167.—Représentation pictographique
sur roche à Skebbervall (Bohusland, Suède).
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Fig. 168.—Représentations pictographiques
des rochers de l'Irytch (d'après Spassky).
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Quant aux systèmes hiéroglyphiques, il en est plusieurs qui ont fourni une longue carrière, et dont les transformations ont amené la naissance de procédés d'écriture beaucoup plus complets. Les plus importants sont ceux de la Chaldée, de l'Élam, de l'Égypte, de la Chine et du Mexique; nous pouvons suivre aisément leurs progrès successifs.


Fig. 169.—Graffiti gravés sur les rochers de Gébel-Hétemat (Haute-Égypte), (découverts et dessinés par M. G. Legrain).
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Dans les pays chaldéo-élamites nous nous trouvons, dès les temps très anciens, en présence de deux systèmes parallèles: celui de l'Élam appartenant aux indigènes, et celui de la Chaldée qui paraît être plutôt d'origine sémitique, et qui finalement a dominé sur toute la région.

Un très ancien cylindre-cachet, découvert à Suse (fig. 171), offre un texte nettement hiéroglyphique, et les tablettes d'argile portant les textes les plus archaïques de ce pays montrent souvent l'empreinte de cylindres également hiéroglyphiques (fig. 172).


Fig 170.—Figures tracées
sur une des dalles de la
chambre du tumulus du
Marie-Lud à Locmariaker
(Morbihan).
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Quant à l'écriture elle-même qu'on voit sur ces nombreuses tablettes, écriture proto-élamite (fig 173), elle représente la transition entre les caractères hiéroglyphiques soit figuratifs, soit idéographiques, et les signes purement conventionnels. Cette écriture était d'usage non seulement sur argile, mais aussi sur pierre (fig. 173) et, dans les deux cas, conservait le même aspect.

Fig. 171.—Développement d'un cylindre hiéroglyphique trouve a Suse (Mém. délég. en Perse, tome II, 1900, p. 129). (agrandir) Fig. 172.—Empreinte d'un cylindre portant une inscription hiéroglyphique sur une tablette proto-élamite (Id., t. X). (agrandir)

Dans les pays chaldéo-élamites, l'argile molle était le support courant des textes; or l'argile ne se prête pas au dessin des formes courbes; il en est résulté que l'écrivain, en dehors des cercles ou des ellipses qu'il obtenait par poinçonnage, en était réduit, quand il n'employait que la pointe triangulaire de son stylet, à transformer le plus souvent les parties courbes en polygones plus ou moins réguliers.

Fig. 173.—Inscription proto-élamite sur une tablette d'argile (Mém. délégation en Perse, tome VI, pl XXI). (agrandir) Fig. 174.—Inscription lapidaire en caractères proto-élamites du patési de Suse Karibou-Cha-Chouchinak (Mém. délég. en Perse, t. VI, pl. 11), XXVIIe siècle av. J.-C. (agrandir)

Malgré les difficultés matérielles qu'il avait à vaincre, l'écrivain des premiers temps conservait encore à ses signes, dans bien des cas la forme générale des motifs qu'il voulait figurer, tout en la traduisant par un groupe de clous irréguliers. Nous donnons (fig. 174) les fac-similés de quelques-uns de ces signes, de ceux pour lesquels il est le plus aisé de reconnaître la forme originelle; puis (fig. 175, nos 49 à 61) l'équivalent cunéiforme de basse époque de quelques-uns de ces groupes. En examinant ce tableau, le lecteur se rendra, bien mieux que par une description détaillée, compte de l'évolution qui s'est opérée en Élam. Il y a lieu de remarquer que ces hiéroglyphes sur argile ne peuvent être que la copie de figures plus complètes, et assurément étrangères à l'Élam, car ce n'est pas en s'essayant sur l'argile que les scribes eussent été à même de concevoir ces représentations.


Fig. 175.—Écriture proto-élamique.
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L'un des signes les plus intéressants à cet égard est celui qui représente l'homme (fig. 176). La silhouette est conservée, d'après des modèles plus parfaits et plus anciens, mais elle est rendue, sauf la tête, par de simples traits cunéiformes.

Fig. 176.—Ecriture proto-élamite:
représentation de l'homme.
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Fig. 177. Cunéiformes linéaires
chaldéens (Yokha, Chaldée)]
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Fig. 178.—Cunéiformes linéaires
chaldéens (Suse).
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Mais l'usage du système proto-élamite ne devait pas avoir de lendemain. De très bonne heure nous voyons les cunéiformes linéaires chaldéens (fig. 177 et 178) s'introduire en Élam et remplacer l'écriture indigène.


Fig. 179.—Fragment de tablette découverts
à Ninive fournissant l'explication, en caractères
cunéitonnes des hiéroglyphes primitif.
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Cette écriture chaldéenne avait, elle aussi, pour origine l'hiéroglyphe (fig. 179), mais ces hiéroglyphes différaient de ceux de Suse, quand ils ont fait leur apparition en Élam, partant de bases différentes, mais suivant les mêmes principes. Il semble certain que les cunéiformes chaldéens étaient déjà beaucoup plus avancés que ceux des proto-Élamites. Les deux peuples tendaient vers des résultats analogues, et c'est l'écriture qui était la plus avancée qui prévalut. En Égypte, il ne fut tout autrement, parce que ce n'est plus l'argile qui tenait lieu de support à l'écriture, mais la pierre tendre ou dure qui abonde dans la vallée du Nil.


Fig. 180.—Cylindres pré-pharaoniques (Égypte):
1, calcaire tendre (Musée du Caire, n° 14518; Quibell, Archaïc abjects);
2, Kjœkkenmœdding d'Adimiyèh: stéatite (Musée du Caire);
3, Thèbes: pierre noire (Muséedu Caire);
4, Hiérakopolis, stéatite.
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Cependant, dans les sépultures les plus anciennes, et dans ces tombes seulement, nous rencontrons des cylindres, en tout semblables à ceux de la Susiane, couverts de figurations et d'hiéroglyphes primitifs (fig. 180). Ces sortes de cachets sont nombreux dans les tombeaux de la première dynastie, à Négadah et Abydos; et dans ces deux localités on trouve également les empreintes de ces cylindres sur de larges bouchons d'argile fermant de grands vases.


Fig. 181.—Hiéroglyphes égyptiens archaïques. Tablette de schiste
(Musée du Caire).
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Fig. 182.—Tablette d'ivoire du trésor royal de Khemaka représentant le roi Ten dansant devant Osiris
(Semti, 1re dyn., vers 4266 av. J.-C.).
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Le sceau chaldéo-élamite a donc eu son temps dans la vallée du Nil; mais son existence ne devait pas être de longue durée car bientôt il a été remplacé par le véritable cachet indigène, par l'ancêtre du scarabée.

C'est au cours du temps où le cylindre était en usage que se sont définitivement formés les hiéroglyphes (fig. 181 et 182), procédé d'écriture dont l'emploi s'est continué jusqu'au troisième siècle de notre ère, pour le moins. Les matériaux que la nature mettait à la disposition des scribes, en Égypte et en Chaldée, ont donc été la cause de la conservation du système hiéroglyphique dans la vallée du Nil, et de la formation du cunéiforme dans les contrées asiatiques.


Fig. 183.—Inscription hiéroglyphique hétéenne de Djerablus
(d'après Wright The Empire, pl. X).
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Mais ce n'est pas seulement en Égypte que l'hiéroglyphe a connu la fortune; on l'employa aussi chez les Hétéens (fig. 183), en Crète (fig. 184) lors de la troisième période du Minoen, en Chine, dans la Transcaucasie, au Mexique.

Puis, dans certaines régions vinrent des écritures inspirées par la simplification des signes hiéroglyphiques, l'hiératique et le démotique égyptien entre autres, et peut-être aussi les écritures crétoises.

Nous ne connaissons les hiéroglyphes hétéens que par les inscriptions rupestres de la Cappadoce, et nous ignorons tout de leurs débuts comme de leur descendance. Pour ceux de la Crète, les opinions sont partagées; les uns les considèrent comme indigènes de l'île les autres, et nous nous rangerons à cet avis, comme provenant de pays étrangers. En Chine, l'hiéroglyphe est la source des signes encore en usage dans la majeure partie de l'Orient asiatique. Dans l'Amérique centrale, ils ont vécu jusqu'aux temps de la conquête espagnole. Quant aux autres tentatives, elles ne semblent pas avoir laissé de traces dans les écritures plus récentes.


Fig. 184.—Disque de Phaestos (île de Crète).
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Nous n'avons pas à entrer ici dans la descendance qu'eurent certains de ces systèmes primitifs. Toutefois il est intéressant de faire observer que le berceau des écritures est dans l'Asie antérieure et que de là, par les Phéniciens et les Hellènes, cette connaissance s'est répandue tout d'abord dans les pays méditerranéens, tandis que les peuples de l'Europe et de l'Asie centrale, de l'Occident européen et de l'Orient asiatique étaient privés de ce grand levier du progrès. Ce n'est que très tardivement, quelques siècles seulement avant notre ère, que lentement se propagea l'usage de l'écriture chez les peuples barbares. Les inscriptions, étrusques, ibériennes, rhunes, etc., etc., sont apparues seulement à des époques voisines du Christ, parfois même dans les premiers siècles de notre ère. On s'explique aisément, dès lors, pourquoi pendant plusieurs millénaires la Chaldée, l'Assyrie, l'Égypte, les côtes et les îles de la Méditerranée et l'Asie antérieure sont demeurées les maîtresses incontestées de la civilisation.

Quand on considère, dans leur ensemble, les efforts de l'humanité pour en arriver à figurer la pensée, on voit que dans bien des régions et chez bien des peuples, en des temps très différents, cette nécessité est apparue; mais on constate, aussi que, dans la plupart des cas, les tentatives sont demeurées infructueuses, que dans trois foyers seulement le succès, plus ou moins complet, a couronné les efforts, enfin que le seul centre qui soit parvenu à vaincre toutes les difficultés est celui de l'Asie antérieure et de l'Égypte. C'est de là que grâce à l'écriture, la lumière s'est répandue sur le monde entier.

Certes, dans ce domaine restreint, tous les efforts n'ont pas été récompensés de même manière, les hiéroglyphes crétois, hétéens, proto-anganistes ont disparu sans laisser de descendance, l'écriture cunéiforme, après une longue et utile carrière, s'est éteinte à son tour, seule la méthode de l'Égypte a survécu, non pas dans sa forme pharaonique, mais par ses dérivés d'où, pense-t-on, sont sortis les caractères phéniciens, ancêtres de notre écriture actuelle.

Assurément les cinq familles d'hiéroglyphes orientaux, comme les langages des peuples qui en faisaient usagé, sont indépendantes les unes des autres; mais est-il possible d'admettre que, dans un espace aussi restreint, chez des peuples aussi proches voisins les uns des autres, ces tentatives n'ont pas eu une origine commune? Ce n'est pas croyable, on ne peut s'empêcher de voir, à des époques très anciennes, une pictographie commune, dont chaque peuple aurait tiré parti suivant les besoins de son langage, d'après son génie personnel, indépendamment de ses voisins.

CHAPITRE IV

LES RELATIONS DES PEUPLES ENTRE EUX

Il ne peut être question des relations commerciales qui, vraisemblablement, ont déjà existé dans nos pays dès le temps des industries paléolithiques; il se faisait bien certainement des échanges de clan à clan, de tribu à tribu, mais ces opérations n'ont pas laissé de traces; c'est avec l'apparition de l'industrie néolithique seulement que nous constatons dans les stations de l'homme, parmi les débris laissés par leur vie, la présence de matières étrangères à la région, et par conséquent importées. C'est ainsi que le silex d'aspect résineux du Grand Pressigny se rencontre dans tout le centre et l'est de la France et jusqu'en Suisse. Déjà, de proche en proche, vers la fin de l'archéolithique, des coquillages, provenant de l'Océan, aussi bien que de la Méditerranée se rencontraient ensemble dans les cavernes au centre de la France, employés dans la parure; mais ces trouvailles ne sont pas concluantes quant à l'existence d'un commerce réel; à ces époques, les tribus d'alors guerroyaient sans repos, et l'on peut attribuer à des prises sur l'ennemi vaincu la présence de ces coquilles marines chez des populations vivant éloignées des côtes.

Mais il ne peut en être de même pour les objets néolithiques rencontrés au loin du gisement naturel de la matière dont ils sont faits, car nous connaissons, en assez grand nombre, les fabriques de ces instruments créées dans un but indéniable d'exportation.

Ce commerce du silex prit une grande importance, cela ne fait pas de doute; mais encore l'aire de son exportation était-elle forcément limitée aux régions pauvres en matières propices pour la taille. Il est d'autres minéraux, destinés à entrer dans la parure: la callaïs[210], la turquoise et les pépites d'or que nous voyons figurer dans les mobiliers des dolmens[211] et dans certaines grottes de la France occidentale et centrale ainsi que du Portugal. On ne les retrouve ni dans l'Europe centrale, ni dans les palafittes; bien certainement elles étaient extraites de gisements situés dans nos pays, mais que nous ne connaissons plus; ces matières ont fait l'objet d'un commerce restreint à l'Europe occidentale.


Fig. 185.—Carte des routes commerciales de l'ancien monde.
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Quelques archéologues[212] ont pensé que la callaïs nous venait de l'Orient; mais ce ne peut être; car, en cas de transport partant de contrées éloignées, on ne rencontrerait dans les pays parcourus par les caravanes, ce qui n'est pas. Il en est de même pour la turquoise. Quant à l'or, il existe à l'état natif dans bon nombre de cours d'eau français, espagnols, autrichiens, hongrois, etc... en France, spécialement dans le bassin du Rhône; il n'est donc pas surprenant de le rencontrer dans les dolmens du sud de notre pays, jusqu'en Bretagne[213] et en Portugal[214], en compagnie de la callaïs.

L'ambre présente beaucoup plus d'importance, au point de vue commercial, que les matières dont nous venons de parler. Il en existe quelques gisements en France, et l'on ramasse cette matière sur certains coteaux de la Seine-Inférieure, mélangés avec les cailloux du diluvium. Mais les véritables gisements étaient ceux des côtes scandinaves et germaniques de la mer Baltique et de la mer du Nord. Ce sont ces gisements qui nous sont signalés par les auteurs de l'antiquité, sources dont parle Hérodote qui, après nous avoir avoué son ignorance de la géographie du nord de l'Europe, assure avoir entendu dire que l'ambre arrivait en Grèce par le fleuve Éridan (l'Elbe ou la Vistule).

L'exemple le plus ancien de l'emploi de l'ambre en Europe occidentale se trouve dans la grotte d'Aurésan (Hautes-Pyrénées), qui est contemporaine du renne; mais certainement l'ambre de cette époque provenait de la France elle-même.

Aux temps de l'industrie néolithique, l'ambre était encore rare en Gaule, mais il abondait dans les pays de production, en Allemagne du Nord, en Suède et en Danemark. C'est que les marchés n'étaient pas encore établis. Bientôt, avec l'apparition du bronze, il fit l'objet d'un commerce considérable, et se répandit dans toute l'Europe et dans les pays méditerranéens. L'apogée de ce trafic est à l'époque de la métallurgie du fer, et l'usage de l'ambre se continuera longtemps encore après l'occupation romaine de nos pays, car il n'est pas de collier frank qui ne renferme ses perles de succin.

L'Asie antérieure méridionale ne semble pas avoir connu l'ambre, mais cette matière était en usage en Égypte dès la XIIe dynastie; toutefois on doit faire remarquer que cet ambre ne provient pas des pays du Nord, mais d'autres régions que nous ne saurions déterminer, car le succin des tombes égyptiennes est beaucoup plus rouge que celui de la Baltique. D'ailleurs, à l'époque des Amenemhat et des Ousertesen, l'Europe entière était encore plongée dans la barbarie; quelques peuples débutaient dans l'industrie des métaux, et les Égyptiens, très puissants en Afrique, poussaient au loin vers le sud leurs expéditions. C'est probablement du Soudan qu'ils ont également rapporté ces perles d'améthyste des colliers des princesses (XIIe dynastie), pierre d'un violet vineux profond, dont nous ignorons actuellement les gisements naturels, et qui ne se rencontre pas dans le commerce moderne.

Jamais dans mes fouilles en Asie antérieure je n'ai rencontré la moindre trace d'un commerce de l'Ambre, aussi bien dans les dolmens du cuivre et du bronze, dans les tombes de l'industrie du fer, que dans les ruines de la ville de Suse, il n'existait donc aucune relation entre les contrées baltiques et l'Asie antérieure. De même l'Ambre ne se rencontre, aux époques anciennes, ni en Sibérie, ni dans l'Inde. Cette remarque réduit à néant toutes les hypothèses relatives non seulement à l'origine européenne des peuples de langue aryenne, mais toutes celles concernant des mouvements vers l'Est, de peuples de l'Occident, tout au moins à partir de l'époque à laquelle les industries néolithiques et énéolithiques étaient florissantes dans nos régions, elle exclue l'Europe des foyers de la métallurgie, ce que nous venons de voir en ce qui regarde l'Ambre baltique est également vrai pour la callaïs.

Mais il est d'autres matières encore dont on a longtemps attribué au commerce la présence dans nos pays. Dès l'époque des dolmens de la Bretagne et celle des palafittes de la Suisse se montrent sous forme de haches des matières précieuses, inconnues jusqu'alors dans l'armement préhistorique: ce sont des néphrites, des jadéites, des chloromelanites, des saussurites[215] dont on ne s'expliqua pas tout d'abord la provenance, et dont l'origine fut l'objet de longues discussions. On s'accorda pendant longtemps pour faire venir de l'Orient, de la Sibérie et de la Chine ces belles matières; mais quelques découvertes faites en Suisse de ces substances, dans leur gisement originel, viennent de montrer que ces matières existant en Europe, il est inutile d'aller chercher au loin leur provenance. Il est à remarquer, d'ailleurs, que les jades ne se rencontrent aux temps préhistoriques dans aucun pays de l'Asie antérieure ni dans la vallée du Nil, et que si cette pierre était venue d'Orient en Europe, elle eût également pénétré dans ces pays beaucoup plus avancés que les nôtres, et où l'on était fort amateur de raretés minéralogiques. Même aux plus belles époques historiques, alors que les lapidaires pharaoniques recherchaient avec grand soin les matières rares, jamais on ne voit figurer le jade dans la joaillerie. Les Perses eux-mêmes n'en ont pas fait usage.

Il est encore une autre matière qui, dans les civilisations de la pierre polie, et au début des métaux, a joué un rôle important: l'obsidienne ou verre de volcan. On rencontre cette substance à l'état de coulée entre des lits de tuf ponceux, dans les massifs volcaniques. Elle est vert sombre (Mexique, Colombie), noirâtre et presque opaque (Archipel grec), presque incolore, simplement enfumée et quelquefois veinée de bandes rouges opaques (Alagheuz, en Arménie russe). Presque toujours elle est translucide, et parfois transparente comme du verre de vitre.

Les gisements naturels de l'Auvergne, de la Bohême, de la Hongrie, des îles Éoliennes et des environs de Naples semblent avoir été fort peu exploités et mis à profit seulement pour des besoins locaux; mais les obsidiennes de l'île de Milo ont fait l'objet d'un commerce important sous forme de lames, tout comme les silex du Grand Pressigny, dans des proportions cependant beaucoup plus réduites; car les nuclei de Milo atteignent rarement 10 centimètres de longueur.

Quant aux obsidiennes de l'Alagheuz, grâce aux veines rouges qu'elles contiennent fréquemment, on peut suivre le développement de leur commerce jusqu'en Susiane. En effet, les fragments et les éclats de cette roche sont nombreux dans les couches anciennes des tells de l'Élam, du Poucht-è-Kouh, du Louristan, du pays des Bakthyaris et de tout l'occident du plateau persan. Dans le petit Caucase et le talyche on en faisait de magnifiques pointes de flèches, même au temps relativement récents des armes de fer.

Dans le Nouveau Monde, non seulement au Mexique et en Colombie, l'obsidienne a été transformée en magnifiques instruments, mais on l'exportait, et il n'est pas un camp indien, dans les territoires méridionaux des États-Unis, qui ne contienne ses pointes de flèches et ses têtes de pique en obsidienne.

Au Japon, l'obsidienne fait presque tous les frais de l'outillage néolithique, et l'usage s'en prolonge longtemps encore après l'apparition du bronze.

Il est à remarquer que, dans nos pays d'Europe comme en Orient méditerranéen, l'obsidienne paraît n'avoir été en usage que lors des industries énéolithiques, elle accompagne le métal. Cependant au pied de l'Alagheuz, dans le massif du mont Ararat, cette matière paraît avoir été employée pour tailler des outils archéolithiques, le silex n'existant pas dans cette région[216].

En Égypte, l'obsidienne était importée, soit des Îles, soit de l'Arabie, car il n'existe pas de volcans plus proches de la vallée du Nil. Là nous la rencontrons, dans le tombeau de Négadah sous forme de petits vases: mais jamais cette matière n'a servi en Égypte à la fabrication des armes ou des instruments, elle n'a jamais joué le rôle du silex.

Comme on le voit, dès les temps de l'industrie néolithique, dans tous les pays les instincts du négoce se sont fort développés; mais tout d'abord les matières d'échanges étaient peu nombreuses, ensuite les moyens de communication faisaient défaut; on voyageait par terre ou sur les fleuves à l'aide de pirogues et, quoi qu'en aient pensé beaucoup d'archéologues, on ne s'aventurait guère sur les mers, si ce n'est pour aller à la pêche: les embarcations étaient encore trop peu stables pour qu'il fût possible de se risquer au loin, le long de côtes souvent fort inhospitalières. À ce point de vue, la mer Méditerranée se montrait beaucoup plus affable pour les navigateurs que les flots de l'Océan; aussi ne devons-nous pas être surpris de voir débuter la navigation dans cette mer intérieure bien longtemps avant qu'elle osât affronter les vagues de la «Grande Verte».

Mais, avec l'apparition des métaux, les conditions des voyages se modifièrent rapidement. Sanchoniathon nous dit que les premiers navigateurs de Tyr[217], ayant coupé un gros arbre, l'ébranchèrent, puis le roulèrent à la mer et, étant montés dessus à califourchon, partirent à la découverte de pays inconnus. Certes nos hommes de la pierre polie étaient moins primitifs que ces Phéniciens légendaires, car ils creusaient des pirogues parfois de grande taille, mais les instruments métalliques permettant un travail plus rapide et plus précis, on en vint vite à la construction de réels vaisseaux et, dès lors, le cabotage se développa au long des côtes. Il en résulta un accroissement notable des relations commerciales, et d'autre part, de jour en jour, les marchandises négociables devenaient plus nombreuses; dans ce commerce aussi bien sur terre que par eau, les métaux occupaient la première place; puis ce fut le sel gemme ainsi que des salaisons dont les continents étaient friands.

Quand on marque sur la carte les régions où se rencontrent le plus fréquemment les trouvailles de lingots de bronze, on voit qu'en France ces dépôts sont cantonnés sur les côtes de l'Océan et de la Manche, autour des mines de cuivre et des gisements naturels de sel, puis près des passages donnant accès de la Gaule en Italie. C'est donc que les transports de métaux qu'on allait chercher dans les Cornouailles, se faisaient par mer, que les salins se faisaient payer leurs produits en métal, et que les Pré-Gaulois fournissaient le nord de l'Italie en passant les Alpes.

La Scandinavie, bien qu'elle fût riche en cuivre, ne possédait pas l'étain; elle le recevait exclusivement, pensons-nous, des îles Britanniques sous forme de lingots de bronze; car c'est le bronze qui voyageait et non les métaux isolés.

Que recevait la Gaule en échange de ses produits, et que donnait-elle en paiement de leurs métaux aux métallurgistes d'outre-mer? Certainement des étoffes, car tous les peuples primitifs en sont fort amateurs; des produits manufacturés, qu'on découvre communément dans les palafittes et dans les sépultures: ce sont des bijoux d'or, des poignards et des casques italiques, des masses d'armes ibériques, scandinaves[218], des instruments et objets de parure de toute nature, des perles de verre assurément d'origine méditerranéene, des armes de type hongrois. Rencontrant ces diverses marchandises sur le continent, nous sommes autorisés à croire qu'elles poursuivaient leur chemin au de là de la Manche, et gagnaient les pays miniers[219].

Le commerce des métaux en Gaule ne se faisait pas uniquement avec les peuples de l'Occident: le monde grec, de proche en proche, apportait aussi son contingent; nous en avons la preuve dans les poids de certains saumons de métal trouvés, soit en France, soit dans le nord de l'Italie: ces lingots présentent généralement la forme d'une hache à deux tranchants et leur poids, assez régulier, est celui qui était en usage dans la Méditerranée hellénique.

Les considérations dans lesquelles nous venons d'entrer ne concernent, somme toute, que les régions occidentales de l'Europe et ont rapport seulement à de basses époques; car les relations entre la Gaule ou l'Angleterre et le monde hellénique ne peuvent être beaucoup plus anciennes que le second millénaire avant notre ère. Mais elles ne touchent en rien au commerce de l'Asie antérieure et de l'Égypte aux temps prédynastiques, alors que le monde grec n'était pas encore sorti de l'ombre, et que les Sémites des côtes phéniciennes étaient bien loin de songer à franchir les colonnes d'Hercule.

Des peuples descendus des montagnes venaient d'occuper la Chaldée sortant des eaux, et ils apportaient avec eux le cuivre dont ils transmettaient la connaissance à l'Égypte; mais d'où venaient ces hommes? Ce n'est pas du plateau de l'Iran, inhabité durant les temps quaternaires; ni de la Transcaucasie; probablement est-ce des montagnes de l'Arménie, de la Haute-Assyrie. Quoi qu'il en soit, quelques siècles après leur installation dans l'Élam et le pays des deux fleuves, ils connaissaient le bronze d'étain; l'Égypte, la Syrie les accompagnaient dans cette nouvelle voie à la métallurgie. Nous avons vu plus haut que, d'après des indications qui n'ont pas encore pu être vérifiées, il existait dans ces parages des gisements naturels d'étain, et que ces mines ne sont plus exploitées depuis bien des siècles. Il est à penser que c'est de ces montagnes qu'est venu le bronze dans les premiers temps de son emploi, tant en Chaldée qu'en Égypte; car il est inadmissible qu'à des époques reculées les Orientaux se soient pourvus de ce métal soit au Portugal, soit dans les îles de l'Océan; ils ne pouvaient pas plus le recevoir de l'Asie centrale ou méridionale.

On peut attribuer à nos pays bien des découvertes, on est justifié, dans bien des cas, à rejeter les explications dans lesquelles l'influence centrale asiatique est mise en jeu, mais en ce qui regarde la Chaldée et l'Égypte, nous sommes obligés de recourir à l'Asie antérieure elle-même pour expliquer la présence de l'étain dans les débuts de l'industrie du bronze.

Ce trafic ne se faisait probablement pas par caravanes partant des lieux d'origine pour se rendre directement à Suse et dans les vieilles cités du Tigre et de l'Euphrate; des intermédiaires se passaient de main en main le précieux métal; car un échange de relations directes eut entraîné l'introduction de l'influence chaldéenne dans les régions montagneuses du nord et nous n'en trouvons que des traces très fugitives aux temps de l'industrie du fer, alors même que les métallurgistes de la Transcaucasie avaient adopté les poids assyriens pour le métal qu'ils exportaient.

Le trafic fut de bonne heure très intense entre la Chaldée et les côtes phéniciennes; la grand'route suivait l'Euphrate jusqu'à la hauteur d'Antioche; puis elle s'infléchissait vers le sud. Une autre voie naturelle, la vallée du Tigre, mettait la plaine basse en communication avec les pays de l'Ararat, riches en obsidienne, nous l'avons vu; là, de grands et nombreux gîtes de cuivre étaient travaillés dans leurs effleurements, et exploités pour l'exportation, car les lingots, sous forme d'anneaux, sortes de monnaies de poids réguliers, étaient, dans les siècles de l'industrie du fer en Arménie, taillés suivant la mine assyrienne et ses divisions[220].

L'Égypte commerçait surtout avec les Asiates de la Phénicie et de la Chaldée, ainsi qu'avec les Libyens; ses vaisseaux parcouraient les îles de la Méditerranée orientale; mais il ne semble pas qu'elle se soit beaucoup éloignée vers l'Ouest africain, au delà de l'oasis d'Ammon. C'est vers l'Afrique centrale que se portait plus particulièrement son négoce: elle en recevait l'or, l'ivoire, et probablement aussi ces belles matières minérales qu'elle savait transformer en vases, en amulettes, en bijoux. Le Nil était sa voie naturelle: dieu pour ses prêtres, dieu également pour ses marchands; mais le Nil, d'après ce que nous en savons, ne lui apportait pas l'étain dont elle avait besoin pour sa métallurgie du bronze et, tout comme la Chaldée, elle n'allait pas le chercher dans les brumes de l'Océan.

La presqu'île du Sinaï, riche en turquoises, mais pauvre en cuivre, ne fournissait à l'Égypte qu'une bien modeste proportion de métal, quoiqu'on ait débité bien des fables à ce sujet; c'est pourquoi, plus tard, les gens du Nil allèrent s'approvisionner en Chypre. Cependant la presqu'île du Sinaï n'en était pas moins le boulevard de l'Égypte, c'est elle qui protégeait Péluse contre un ennemi venu de l'Asie; de là lui vint sa réputation, et non pas de ses gisements de cuivre qui, nous l'avons vu, sont d'importance très minime, presque nulle, part rapport aux besoins de l'empire pharaonique.

Il ne semble pas que l'Égypte ait jamais communiqué directement avec les pays de l'Occident méditerranéen. C'est par les Crétois, par les Phéniciens, par les Hellènes, que son influence et parfois aussi ses produits sont entrés en Italie, en Gaule méridionale et en Espagne.

Quant au monde égéen, sa vie était sur la mer, ses routes, celles de ses vaisseaux. Au nord, nous l'avons vu, les Grecs continentaux étaient en relations indirectes avec les contrées du nord et de l'occident de l'Europe, mais les insulaires demeuraient tributaires pour leur commerce de la côte phénicienne et de l'Égypte: aussi cherchèrent-ils à trafiquer avec des pays neufs, et se lancèrent-ils à la conquête de la toison d'or, sur les deux côtes du Pont-Euxin, sur le littoral de l'Italie, de la Gaule, de l'Espagne dans les grandes îles.

Toutefois, à ces conditions commerciales venaient certainement se joindre des éléments venus de l'Asie centrale. D'ailleurs le commerce des Égéens est de beaucoup plus récent que celui des pré-pharaoniques et des Proto-Chaldéens. Ces considérations se trouvent singulièrement renforcées par ce fait que depuis les temps les plus anciens pour lesquels les traditions et l'histoire nous documentent, nous assistons à une véritable ruée de peuples barbares qui, sortant du Centre asiatique, envahissent non seulement l'Europe, mais l'Asie antérieure elle-même. Tous suivent la même direction; ils marchent avec le soleil. Pourquoi voudrait-on que cet Océan ne se fût mis en mouvement qu'au moment où débute l'Histoire, et pourquoi ne pas admettre que ces peuples n'aient pas conservé des attaches avec leur pays d'origine et continué à commercer avec lui, fait venir des plaines sibériennes, de plus loin peut-être encore, les marchandises qui manquaient dans leur nouvelle patrie, ne les aient pas répandues autant en Europe que dans l'Asie antérieure et l'Égypte? Jadis on attribuait à ces étrangers toutes les inventions, toutes les relations commerciales; aujourd'hui on leur refuse tout, on cherche même leur berceau dans quelques-uns de nos pays, alors que l'enchaînement des faits montre qu'ils sont venus de très loin à l'Est, par vagues successives et qu'aujourd'hui encore beaucoup de ces hordes sont prêtes à reprendre la marche vers le couchant.

Il y a lieu de tenir grand compte de ces influences extrême-orientales; certes nous ne pouvons encore en apprécier toute l'importance, parce que l'étude de l'Asie centrale reste encore à faire; mais ne cherchons pas à tout rapporter à nos pays, parce que la documentation nous fait encore défaut pour d'autres régions; nous nous exposerions à de graves méprises. N'est-il pas préférable d'avouer que nous ne sommes pas encore assez documentés pour trancher de ces questions? que nous en sommes encore réduits à des hypothèses?

CONCLUSIONS

Si nous portons sur la carte les indications que donne l'archéologie préhistorique, en ce qui concerne les temps glaciaires, et si nous ajoutons à ce tracé les renseignements fournis par la géologie, quant à l'extension des glaces quaternaires, nous nous trouvons en présence de révélations vraiment inattendues; malheureusement les confidences que nous fait l'étude du sol, dans ses parties aujourd'hui accessibles, ne sont pas complètes, car nous ne savons rien des continents disparus, et fort peu de chose seulement des modifications subies par les côtes des terres que nous habitons. Quoi qu'il en soit, nos renseignements sont sûrs en ce qui regarde les parties de l'écorce terrestre émergeant encore de nos jours; et s'il demeure de grandes incertitudes quant à l'essaimage des premières colonies humaines, au sujet des influences qu'exercèrent les tribus primitives les unes par rapport aux autres, nous ne disposons pas moins de données suffisantes pour esquisser les premiers pas de l'humanité dans la voie du progrès.

Je ferai tout d'abord observer que, dans tous leurs travaux, les préhistoriens prennent, comme types des diverses industries, les formes qu'on rencontre dans l'occident de l'Europe et que, pour la plupart ils font de ces régions le foyer de diffusion. Ce mode de procéder, absolument anti-scientifique, est dû à ce que l'occident de l'Europe est mieux exploré que les autres parties du Monde. Nous sommes encore obligés de conserver à l'Europe une importance disproportionnée avec le rôle qu'elle a joué; mais, le jour viendra, où son exacte valeur provinciale lui sera rendue, alors les termes que nous employons aujourd'hui dans la nomenclature en usage perdront l'importance illusoire que nous leur accordons.


Fig. 186.—Les glaces et l'expansion de l'industrie paléolithique
(Types chelléen et acheuléen).
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Nous avons vu que les industries paléolithiques, les plus anciennes dont la connaissance certaine nous est parvenue, se décomposent en trois sous-industries: le Chelléen, l'Acheuléen et le Moustiérien; qu'il semble que ces trois formes du travail de la pierre sont contemporaines, dictées à l'homme par des besoins locaux. Or les instruments chelléens et acheuléens se rencontrent dans bien des parties du monde fort éloignées les unes des autres dont certains districts, vraisemblablement, n'ont pas eu de contact avec les autres régions de même industrie (fig. 186). On est donc amené à conclure de la grande extension géographique de ces types et que les mêmes causes ont produit les mêmes effets en des temps divers, dans des régions différentes, que l'industrie paléolithique est tout aussi bien née en Amérique du Nord qu'aux Indes, en Australie où elle est encore en usage, que dans l'Afrique méridionale, que dans l'Europe occidentale, et peut-être encore en beaucoup d'autres lieux. D'autre part on remarque que le «coup de poing» ne se rencontre pas dans un grand nombre de régions, telles la Sibérie, l'Asie orientale et centrale, la Grèce et ses îles, l'Asie mineure, l'Amérique du Sud, le Mexique, certaines parties de l'Afrique centrale, ainsi que dans les contrées du Nord, le plateau iranien et celui de l'Arménie, pays couverts de glaces pendant la majeure partie des temps quaternaires et, par suite, inhabitables.


Fig. 187.—Expansion du type moustiérien.
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L'Europe occidentale était alors séparée du monde oriental par une véritable barrière naturelle; en Russie, les mers polaires de glace descendaient jusqu'au sud de l'Oural, et l'espace qui les séparait des glaciers irano-caucasiens était occupé par le lac aralo-caspien, dont les eaux couvraient toute la Turkomanie de nos jours, et dont la mer Caspienne et la mer d'Aral ne sont que les derniers témoins, les dépressions les plus profondes. Mais si les voies de communication étaient fermées entre l'Asie centrale et l'Europe, il n'en était pas de même dans la mer Méditerranée; là, les chemins étaient libres, plus faciles même à suivre qu'aujourd'hui, car certainement il existait alors des terres reliant notre continent aux côtes africaines; les Baléares, la Corse, la Sardaigne, la Sicile, l'île de Malte ne sont que les ruines de ces immenses digues par lesquelles les animaux se sont retirés devant les rigueurs toujours croissantes du climat de la Gaule et qui, peut-être, ont permis à l'homme de répandre ses premières découvertes industrielles. En quelques semaines on pouvait en ces temps passer de la vallée du Rhône aux territoires africains, soit en descendant par l'Italie ou par l'Espagne, comme l'ont fait plus tard les envahisseurs germaniques, soit en traversant des terres aujourd'hui disparues.

La diffusion des industries paléolithiques dans tout le bassin méditerranéen s'explique donc aisément par la facilité des communications; et celle des formes moustiériennes, spéciale à l'Ancien Monde, vient appuyer cette hypothèse (carte, fig. 187) car son habitat semble avoir pour centre la mer Méditerranée; mais on ne peut faire état de la déduction que nous venons de tirer en ce qui regarde les régions plus lointaines dans lesquelles se rencontrent les instruments paléolithiques. Existait-il encore à cette époque un continent joignant le pays des Somalis à la péninsule hindoue? C'est chose possible; mais d'autre part les Somalis étaient séparés des Pré-Égyptiens par de grands espaces et de hautes montagnes peu favorables aux relations des peuples entre eux. Quant à l'Amérique du Nord, elle communiquait peut-être avec l'Europe par l'Atlantide: quant au continent dont Terre-Neuve et l'Islande ne seraient aujourd'hui que des points culminants demeurés hors des eaux, il était couvert de glaces. Cette supposition de la communication par l'Atlantide, semble être bien peu fondée, bien qu'elle soit basée sur la répartition géographique des mers aux derniers temps tertiaires.

Quoi qu'il en soit, s'il a jamais existé un foyer unique des industries paléolithiques, peut-être sur des terres aujourd'hui disparues, la propagation de ces industries n'a pas été l'affaire d'un jour et, par suite, en aucun cas, le synchronisme ne peut être admis pour la même industrie dans toutes les régions.


Fig. 188.—Expansion de l'industrie aurignacienne.
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Mais que peut-on penser des pays où ne se rencontrent pas les instruments paléolithiques, qui cependant, émergeant des eaux, n'étaient pas couverts de glace? Étaient-ils inhabités, ou les hommes qui les possédaient vivaient-ils encore à l'état d'homo stupidus? La Grèce, la Macédoine, l'Asie mineure, pour ne parler que des contrées du vieux monde, n'ont pas connu l'usage du «coup de poing»; et cependant ces pays ne sont éloignés ni de la Syrie, ou de l'Égypte, ni de la péninsule Italique, où l'on rencontre quelques témoins de l'industrie paléolithique. Dans ces régions ainsi que dans les îles, à Chypre, en Crète, dans l'Archipel, les premiers colons sont des néolithiques, souvent même des énéolithiques; ils polissent la pierre, ou font usage du cuivre; ce sont donc des étrangers qui forcément ont évolué dans d'autres pays, avant d'atteindre ce degré de culture.

Avec le paléolithique, cesse la grande extension industrielle, qu'elle provienne de la dilatation d'un foyer principal ou de centres multiples; le régionalisme s'établit après le dépeuplement post-moustiérien, et c'est en vain qu'on chercherait, et qu'on a d'ailleurs cherché, une généralisation des types archéolithiques. Chaque région possède dès lors ses usages, coutumes adaptées à ses besoins et aux ressources locales. L'Aurignacien (carte, fig. 188) sort à peine de la France, le Solutréen (carte, fig. 189) gagne quelque peu dans le nord-ouest de l'Espagne et en Suisse et certaines analogies ont fait penser qu'il s'était étendu jusqu'en Moravie et dans la Pologne russe, mais le fait est encore bien douteux. Le Magdalénien prend plus d'importance (carte, fig. 190); il couvre le nord-ouest de l'Espagne, le sud de l'Angleterre, toute la Gaule, une partie de l'Europe centrale et s'étendrait jusqu'à l'Ukraine; toutefois il est permis de se montrer sceptique, quant à l'homogénéité des industries qu'on groupe ainsi; car les similitudes dans quelques instruments en silex n'entraînent pas forcément l'identité des cultures; la hache polie, le racloir simple ou double, le perçoir, les lames retouchées du type néolithique égyptien qui se retrouvent en Espagne, en France, en Algérie et dans bien d'autres pays encore; et, cependant, on ne peut pas attribuer une même origine aux civilisateurs de ces divers pays. Il faut un ensemble de faits portant sur des applications multiples pour qu'on soit en droit d'identifier deux cultures.


Fig. 189.—Expansion de l'industrie solutréenne.
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Fig. 190.—Expansion de l'industrie magdalénienne.
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À la fin de la période quaternaire, les barrières dans lesquelles le vieux monde était enfermé se rompent, les glaciers se retirent peu à peu, pour se cantonner près du pôle et sur les hautes montagnes; les lacs qu'alimentait la fonte des neiges s'assèchent, et les portes de l'Asie septentrionale s'ouvrent largement. C'est un grand réservoir d'hommes qui va se vider, si l'on en juge par les événements post-quaternaires, réservoir qui pendant des milliers d'années déversera ses flots sur nos pays, où l'apparition des industries mésolithiques semble en être la première conséquence. Quand se présentent ces nouveaux venus, nous voyons paraître l'élevage et l'agriculture, on cultivera désormais les céréales; cependant il n'est pas possible de dire avec certitude si ces découvertes sont l'œuvre des autochtones, ou si les envahisseurs ont apporté ces connaissances de pays lointains. Peu après ces temps, on polit la pierre en Gaule, en Europe centrale, en Scandinavie, et l'art du potier se développe; mais les peuples nouveaux venus, tout en étant probablement plus développés que les aborigènes au point de vue industriel, ne sont que des barbares dans les questions d'art et de goût; avec leur arrivée coïncide la disparition de la belle école magdalénienne de la sculpture et du dessin. On a pensé que les représentations des cavernes possédaient un sens mystique, une valeur totémique, et que là serait la cause de leur abandon, de nouvelles conceptions venant supplanter les vieilles croyances.

À cette époque, qui nous apporte les premières notions solides au sujet des mouvements de peuples, se pose un problème de la plus haute importance. Nous avons vu que l'industrie paléolithique laisse de grands vides sur les cartes, et nous constatons que les types européens de l'archéolithique n'occupent que de faibles parties de l'ancien continent. Que s'est-il passé dans ces régions? Dans certains pays tels que la Grèce, l'Asie mineure, les Îles, ces colons se fixent et leurs premières industries sont celles de la pierre polie souvent accompagnée du métal comme en Chaldée et dans l'Élam.

Dans d'autres régions, telles que la Tunisie, l'Algérie, des industries spéciales de la pierre éclatée, très peu nombreuses, mais variées, ont pris place après la phase paléolithique, jouant le rôle de l'Aurignacien, du Solutréen et du Magdalénien de nos pays; c'est ainsi que le Capsien, si bien caractérisé à El Mekta (Tunisie), sert de transition entre l'Acheuléo-moustiérien et les types néolithiques, peut-être là aussi accompagnés du métal.

Dans la vallée du Nil, la transition est plus brusque encore. À l'Acheuléo-moustiérien, très abondant dans les alluvions désertiques, mais qui, jusqu'ici, n'a pas encore été rencontré in situ, succède immédiatement, sans transition aucune, le type néolithique le plus accompli qui soit. Il se pourrait cependant que les industries intermédiaires n'eussent pas encore été retrouvées; mais le fait est bien douteux car la zone à explorer est très limitée, et jusqu'ici aucune trace d'archéolithique n'a été rencontrée. En Syrie, on trouve, dans les cavernes, des restes qui à première vue semblent appartenir aux cultures archéolithiques mais leur âge et leur nature sont encore bien sujets à discussion.

De ces observations, qui portent sur de nombreuses contrées, il résulte que certains pays étaient inoccupés lors de l'arrivée des premiers colons post-quaternaires, que d'autres en étaient encore aux industries paléolithiques, que chez certains une forme de l'Archéolithique était en usage, que nos «âges» de l'Europe occidentale n'ont qu'une simple valeur régionale, dont bien des archéologues se sont exagéré l'importance; parce que ces industries faisaient l'objet de leurs études de chaque jour, ils ont été entraînés à leur accorder un rôle prépondérant.

Il ne faut pas oublier qu'aux temps glaciaires les contrées européennes médianes étaient exposées à de grands abaissements de température, et que les régions plus méridionales n'étaient pas soumises aux mêmes conditions climatériques. Les graffitis relevés sur les rochers de la Haute-Égypte reproduisent en grossières images la girafe, l'éléphant; et les vases funéraires peints figurent des troupeaux de gazelles et d'antilopes, des bandes d'autruches. Dans l'Afrique du Nord, qui ne s'était pas encore asséchée au point où elle l'est de nos jours, le climat était chaud et humide, et, par suite, les conditions de l'existence se montraient tout autres que celles de la même époque dans nos régions, et ces différences dans la nature de la vie se sont traduites dans les armes et les ustensiles que l'homme fabriquait pour répondre à ses besoins.

Tant que subsista le barrage qui, aux temps glaciaires, fermait la route d'Asie centrale vers l'Europe et vers les pays fertiles du Tigre et de l'Euphrate, tant que le plateau persan et le Caucase furent couverts de neige, que le lac Aralo-caspien baigna le front des glaciers polaires, la civilisation évolua sur elle-même dans chaque pays, progressant lentement et sans secousses. Il est à croire que c'est dans ce milieu relativement homogène que des étrangers sont venus apporter des connaissances nouvelles, dès que les portes de l'Asie centrale furent ouvertes. Sans nul doute cette barrière, dont l'existence correspond à l'extension maxima des envahissements glaciaires, a pu se rompre plusieurs lois, au cours des temps pléistocènes, lors des reculs des neiges, et c'est à plusieurs reprises que les gens de l'Asie centrale se seraient présentés dans notre Occident méditerranéen comme dans l'Europe centrale. Peut-être les arts et les industries primitives de la Chaldée et de l'Élam, dont nous ignorons d'ailleurs le berceau, ont-ils tiré leur origine de ces mouvements; peut-être sont-ils venus du Nord de l'Asie antérieure, du pays des bouquetins et des moutons. Il est, en tout cas, vraisemblable que des rives du Tigre, de l'Euphrate et de la Kerkha certaines pratiques ont gagné la Syrie, la Palestine, la vallée du Nil, puis l'Occident méditerranéen, par l'entremise des îles. Cette première émigration des gens de l'Asie centrale, ou tout au moins de leurs idées, serait de beaucoup la plus ancienne; elle aurait trouvé l'homme usant encore, en Chaldée et dans l'Égypte, des armes et des instruments paléolithiques, puis des terres sans habitants dans l'Hellade et dans les îles; plus tard, sur les côtes de l'Afrique du Nord, elle aurait rencontré des indigènes ayant remplacé les industries paléolithiques par d'autres, dont le Capsien, plus conformes à leurs besoins.

Mais les courants qui sont venus de l'Asie centrale étaient forcément partagés en deux branches par les obstacles que présentaient la mer Caspienne et le Caucase. La voie du nord, serpentant au milieu des plaines marécageuses laissées par le recul des glaciers, était plus longue, plus difficile que celle du sud, et bien des siècles s'écoulèrent certainement avant que les émigrants, ou tout au moins leurs inspirations, se soient avancés jusque dans nos pays de l'Europe occidentale.

Pendant des milliers et des milliers d'années, l'Orient a envoyé vers l'Europe occidentale et l'Asie antérieure d'innombrables flots humains qui tous, dans nos pays, ont soit créé, soit détruit, toujours modifié profondément l'état des choses existant lors de leur venue.

D'ailleurs ces flots successifs qui s'écoulèrent lentement ne portaient pas tous les mêmes notions. Dans les pays d'origine, certaines peuplades étaient plus avancées que leurs voisines, souvent elles mêmes très en retard. Si nous ne considérons que les vagues venues de l'Est dans les temps historiques, nous constatons de bien grandes différences dans les goûts et les aptitudes des divers flots, et il en a été de même pour les invasions beaucoup plus anciennes; les traces que nous en retrouvons le prouvent.

Toutefois ce ne sont là qu'hypothèses, permises, il est vrai, par l'état actuel de nos connaissances, mais au sujet desquelles il ne faut pas s'abuser: car, demain peut-être, elles s'écrouleront en présence de nouvelles découvertes. Cependant on peut tenir pour certain que la découverte du métal ne s'est produite ni en Chaldée, ni en Élam, parce qu'avant leur colonisation énéolithique, ces pays étaient inhabités, ni en Égypte, pour les mêmes causes et par suite de la pénurie des minerais cuivreux, ni dans les îles méditerranéenes de l'Orient; mais bien dans ces montagnes du nord de l'Asie antérieure que nous montre du doigt la tradition.

Aux deux derniers millénaires avant notre ère, aux influences directes ou de proche en proche de l'Asie centrale, sont venues se joindre celles des civilisations de l'Orient méditerranéen, et les complications deviennent plus grandes encore; car ces cultures ont réagi les unes sur les autres, sont liées par une multitude de conceptions communes, tout en conservant leur personnalité, et leur influence sur les peuples barbares, où elles ont rencontré des aptitudes très diverses, s'est compliquée de l'influence de ces peuplades sur leurs congénères. Les relations, très difficiles à restituer, se faisaient le plus souvent de proche en proche, et produisaient des idées hybrides, parfois fort éloignées de la pensée originelle.

Quelles sont les causes de ces mouvements des peuples sibériens, nous l'ignorons. Très probablement doit-on les attribuer au refroidissement de leur pays et de l'Asie centrale. Mais nous sommes bien pauvres en documents pour nous permettre de nous prononcer avec certitude à cet égard: l'Asie centrale et la Sibérie sont encore presque inexplorées au point de vue archéologique. Les seules traces d'industrie magdalénienne dans l'Asie antérieure, mise à part la Syrie, sont celles, fort incertaines d'ailleurs, qu'il m'a été donné de relever dans les stations d'obsidienne de l'Allagheuz (Transcaucasie). Peut-être que les forêts et les vallées de l'Altaï, à peine peuplées aujourd'hui, nous ménagent de grandes surprises quant à la variété des causes de départ des populations sibériennes: il se peut en effet que l'énorme accroissement de la population chinoise soit la cause de l'émigration vers l'occident des dernières hordes de celles des Mongols et des Turcs.

Mais ces peuples venus de loin, s'ils ont apporté des usages nouveaux et de précieuses industries, n'ont pas tiré de leurs connaissances tous les avantages qu'ils en pouvaient obtenir.

Pour la plupart, ils sont demeurés des barbares en face des grandes civilisations de l'Égypte et de la Chaldée. Tous d'ailleurs ne manquaient pas d'aptitudes et de génie personnel; car c'est de leur sein que devaient sortir les Hellènes et les Latins, chez qui les conceptions ancestrales se complétèrent par les enseignements des cultures asiatique et africaine, dont ils développèrent à tel point les principes que, bientôt, ils surpassèrent leurs maîtres, dans toutes les branches des connaissances humaines.

Parmi les autres peuples fixés en Europe, chacun prit alors sa part de progrès, mais tous n'étaient pas également aptes à recevoir les leçons, à s'assimiler avec fruit les conceptions élevées; c'est ainsi que la culture gréco-latine, qui domine aujourd'hui dans le monde entier, n'est pas également comprise dans tous les pays, et qu'en plein XXe siècle, bien des peuples ont encore conservé les instincts barbares de leurs ancêtres, quoiqu'ils soient, en apparence, de culture très avancée.

La pensée théorique qui consiste à créer une «période chronologique» lors de l'apparition d'un usage nouveau et à synchroniser cet événement dans les différents pays, a pendant longtemps porté grand préjudice aux études préhistoriques; car il est aujourd'hui prouvé que ces apparitions ont pris place en des temps très divers. De même que l'histoire ne débute pas à la même époque pour tous les peuples, de même il faut rayer du vocabulaire archéologique les mots âge, époque, période. Il faut voir dans l'évolution de l'humanité une succession de progrès et de reculs locaux, personnels, de découvertes et d'oublis, ensemble dont le résultat est un avancement, tantôt lent, tantôt rapide, vers un idéal dont l'humanité se rapproche sûrement, mais dont on doit considérer chaque élément à part, tout en tenant grand compte des influences extérieures, car il est souvent possible de tirer de celles-ci des notions chronologiques, par comparaison avec la culture des peuples entrés déjà dans l'histoire. Mais, parmi ces influences, il en est aussi qui proviennent de foyers oubliés aujourd'hui. Savions-nous, il y a quarante ans, combien a été important le rôle de la Crète dans la culture méditerranéene? Sommes-nous certains que d'autres révélations de civilisations oubliées ne viendront pas troubler nos hypothèses?

Tel peuple qui, en son temps, a joué un grand rôle rentre souvent dans l'ombre pour toujours, à la suite de quelque malheur. L'Ourartou fut un puissant royaume, lutta, souvent avec succès, contre les rois d'Assour; il nous serait inconnu sans les inscriptions gravées par ses princes sur les rochers de Van. On se souvenait à peine de l'Élam, avant les travaux de la Délégation en Perse. Nous ne savons rien des souverains puissants qui ont construit les villes ruinées du Yucatan. Par ces quelques exemples tirés de l'histoire, on peut se rendre compte des causes d'incertitude relatives aux faits préhistoriques; car la préhistoire n'est pas moins féconde en grands événements que l'histoire, événements éloignés de nous, plus encore que ceux qui nous sont signalés par les annales, et nous sommes souvent portés par notre ignorance à synchroniser les faits analogues, mais d'origine et de temps très divers. Nous parlons de l' «époque des dolmens», comme si les dolmens avaient été tous construits à la même époque dans toutes les parties du monde. Gardons-nous de généraliser hâtivement, et contentons-nous d'étudier pour chaque pays aux frontières naturelles la succession des mœurs, des usages, des industries, des pensées, avant le jour fixé par le destin pour l'entrée de ses peuples dans l'histoire; et si l'on doit un jour réunir certaines régions, les faits imposeront cette union comme ils la commandent déjà pour certains groupements historiques.

Pendant des milliers et des milliers d'années tous les peuples ont été sans annales: puis l'aurore de l'histoire est apparue avec la découverte de l'écriture. La Chaldée, l'Élam, l'Égypte ont de bonne heure réalisé ce rêve, alors que beaucoup d'autres peuples nous ont laissé des essais sans lendemain; puis sont venus la Crète, la Phénicie, l'Assyrie, les Héléens, Chypre, enfin les Grecs et les Latins. Quant aux nations barbares, ce n'est que bien tardivement qu'elles ont enregistré leurs hauts faits. L'histoire de la Gaule ne commence qu'avec César, dans le premier siècle avant notre ère; celle de la Scandinavie débute sous nos Carolingiens; les annales des peuples slaves sont moins anciennes encore, et les tribus sauvages du Nouveau Monde, de l'Océanie, de l'Afrique centrale, du Laos et des îles Malaises sont sans histoire. Pour chaque nation, pour chaque tribu la tâche du préhistorien est grande: longtemps l'ethnographie précède l'histoire, puis elle la coudoie et peu à peu se confond avec elle.

Nous avons, au début de ce volume, montré combien il est hasardeux de se lancer dans les évaluations chronologiques, aussi bien en ce qui concerne l'histoire géologique de la terre, qu'en ce qui regarde les événements de la préhistoire humaine; cependant, grâce à quelques données moins imprécises et aux documents historiques, nous pouvons esquisser quelques dates relativement aux dernières périodes des progrès humains, à celles appartenant à la proto-histoire, plutôt qu'à la préhistoire. Pour les faits plus anciens, comme en géologie d'ailleurs, seules les successions peuvent être indiquées.

Dans nos régions, les surrexions de la croûte terrestre qui marquent la fin de l'époque tertiaire ayant amené la formation d'immenses champs de neige, la période glaciaire commence, et c'est vers la fin de cette phase géologique que nous voyons paraître les premières traces de l'intelligence humaine, l'industrie paléolithique; puis, par suite de changements climatériques, de cataclysmes et de nécessités nouvelles, survient l'industrie archéolithique dans ses trois formes successives: l'Aurignacien, le Solutréen et le Magdalénien; alors les glaciers s'étant retirés, des hommes nouveaux ou tout au moins des idées nouvelles pénètrent dans nos pays, et s'étendent non seulement sur les terres alors habitées, mais aussi sur les contrées que viennent d'abandonner les neiges, c'est à ce moment qu'apparaissent les industries mésolithiques, celles des klœckenmœddings et du Campigny; la connaissance de la poterie les accompagne. Puis viennent la pierre polie, l'élevage et l'agriculture, le tissage; et c'est au cours de l'industrie néolithique que paraît le cuivre, précurseur du bronze, dont les archéologues les plus dignes de confiance placent la venue au cours du troisième millénaire avant notre ère. Le commencement du premier millenium aurait vu l'usage du fer se répandre dans nos régions; et l'Europe centrale tout entière aurait, à peu de chose près, suivi les mêmes phases de progrès, sous d'autres formes et en des temps peu différents.

Les pays du Nord, la Scandinavie et la Finlande, couverts de glace pendant toute la période quaternaire, demeuraient inhabitables, et les premières traces de l'homme qu'on y rencontre appartiennent aux industries mésolithiques; puis, comme dans nos pays, viennent, mais plus tardivement, la pierre polie, le cuivre et le bronze, enfin le fer.

Dans la Méditerranée, en Crète, en Chypre, les premiers habitants sont des énéolithiques; ils apportent la connaissance du cuivre au cours du quatrième millénaire avant notre ère, puis vient le bronze un millier d'années plus tard, enfin le fer vers la même époque que les Occidentaux, quelques siècles auparavant bien certainement; et il en est de même pour la Grèce continentale, l'Asie mineure, la Thessalie. Les dates généralement proposées pour l'Orient méditerranéen ne semblent pas toutefois, être assez reculées, si nous admettons celles dont nous avons parlé à propos de l'Occident; car le monde oriental méditerranéen était en relations avec les civilisations les plus vieilles du globe et, par suite, n'a pu longtemps ignorer les procédés en usage dans la Chaldée et dans l'Égypte.

Il semble que, dans les débuts, la vallée du Nil égyptienne, dans sa partie haute pour le moins, aurait été occupée par des tribus africaines aux cheveux crépus, peut-être aussi par quelques groupes Libyens, venus des côtes africaines de la Méditerranée. Ces gens succédaient, peut-être après un très long intervalle, aux hommes paléolithiques: ils en étaient à l'industrie de la pierre polie, quand le cuivre fit son apparition, apporté par des peuples asiatiques aux cheveux lisses, qui, probablement déjà, occupaient le delta du fleuve.

L'industrie énéolithique fut, en Égypte, de longue durée; elle comprend ce que les Pharaoniques ont appelé la période des «serviteurs d'Horus» et le règne des princes de la première dynastie. Ce n'est que plus tard, probablement au cours de la deuxième dynastie, qu'apparaît le bronze d'étain. Quant au fer, nous ne pouvons encore juger de l'époque de son introduction comme substance: les renseignements peu nombreux que nous possédons à son égard ne sont pas concluants; cependant, il paraît avoir été connu dès les temps Thissites. Au point de vue de son usage industriel courant il date, semble-t-il, de la fin du second millénaire avant notre ère seulement.

Si donc, suivant la thèse allemande rajeunissant la chronologie entière de mille ans, on place vers 3300 l'époque du roi Menès, il n'en reste pas moins que l'antiquité des débuts de la civilisation pré-pharaonique dépasse six mille ans avant nous; et, pour la Chaldée et l'Élam, les dates seraient quelque peu plus anciennes encore, puisque c'est de l'Asie qu'est venu le progrès en Égypte.

Nous ne parlerons ni des Indes, ni de la Chine, dont les légendes locales exagèrent comme à plaisir l'antiquité. Leurs civilisations ne sont pas aussi anciennes qu'on le pense généralement. Celle de la Chine date de sept ou huit siècles avant notre ère; quant à sa préhistoire, elle nous est encore complètement inconnue. Il est à remarquer que jusqu'à ce jour aucun instrument chelléen n'a été signalé dans l'Extrême-Orient.

Aux Indes, les données fournies par l'Archéologie sont encore bien vagues; le coup de poing se rencontre dans le sud et le centre de la péninsule, puis vient un long hiatus; au nord on voit des dolmens, et la pierre polie se montre dans presque toutes les provinces; mais nous ne savons pas si le métal ne l'accompagnait pas. Dans tous les cas l'industrie du cuivre a été longtemps en honneur dans la péninsule. Quant à l'histoire de l'Inde elle ne commence que très tardivement, quelques siècles seulement avant notre ère, après la campagne d'Alexandre le Grand.

Au Nouveau Monde quelques régions ont connu la prospérité. Au Mexique et au Pérou, entre autres, on tournait les vases, on sculptait ou fondait les métaux et l'on inscrivait sur les monuments et sur des peaux les annales des royaumes; malheureusement le fanatisme religieux des moines espagnols a détruit tous les documents périssables qui eussent pu nous renseigner sur l'évolution de ces peuples, sur leur histoire même. Nous en sommes donc réduits, pour ces régions, à des conjectures et tout guide chronologique positif nous fait défaut.

Nous avons vu qu'on ne peut rien dire du peuplement des îles de l'Orient méditerranéen, avant les temps où les régions furent colonisées par des hommes en possession de l'industrie énéolithique. Les plus anciens documents archéologiques que nous possédons au sujet de ces colons nous amènent à penser que leur migration s'était faite en venant de l'Asie continentale non de l'Europe comme je l'avais pensé moi-même, et cela, au cours du quatrième millénaire avant notre ère. Puis seraient intervenus les Pélasges, apportant dans ce milieu des conceptions nouvelles étrangères à l'Asie. Tout en occupant l'Hellade européenne, ces tribus se seraient avancées jusque dans les îles et les territoires asiatiques au milieu d'autres populations très développées, et qui, en aucun cas, ne peuvent être confondues avec les tribus pélasgiques. Vient alors l'envahissement progressif d'un élément nouveau qu'on nomme égéen. Deux types physiques sont en présence vers le second millénaire avant notre ère: l'un dolychocéphale, le plus ancien, qui avait déjà fourni la civilisation minoenne; l'autre brachycéphale, le plus récent, qui aurait été l'auteur de la culture mycénienne, et serait apparenté aux tribus qui, dans ces temps, habitaient la Thrace et les rives du Danube. Ces colons ne seraient pas des Hellènes proprement dits, mais des Thraco, Phrygiens, proches parents des Grecs. C'est d'eux que seraient, entres autres, sortis les Arméniens qui, après avoir traversé le Bosphore, auraient marché d'ouest en est, contrairement à la direction qu'ont suivie toutes les invasions et qui, vers le vie siècle avant le Christ, se seraient installés dans le plateau d'Erzeroum et les pays de l'Ararat.

Dans l'Europe centrale et occidentale, il en serait tout autrement. L'un des flots venus d'Asie, au travers des plaines russes, aurait apporté jusqu'aux plages de l'Atlantique l'usage de la pierre polie et celui du cuivre et du bronze: cette vague, on l'attribue aux tribus ligures qui, pendant de longs siècles, ont peuplé la Gaule. Puis seraient arrivés les Celtes, avec leur culture hallstattienne et l'industrie du fer, gens qui ont laissé des traces de leur passage dans la vallée du Danube, en Ukraine, dans le Caucase central (Osséthie), en Transcaucasie et dans les pays persans de l'Ouest voisins de la mer Caspienne, mais dont le berceau, encore inconnu, est probablement beaucoup plus lointain vers l'orient.

Ligures et Celtes apportaient avec eux non seulement des connaissances industrielles spéciales, nouvelles pour l'Occident européen, mais des goûts artistiques très différents; les premiers bornant leurs conceptions aux ornementations géométriques, les seconds introduisant dans leurs décors la représentation de l'homme et des animaux, mais traitant le dessin géométriquement par les mêmes procédés dont usaient avant eux les Ligures. Ces deux groupes, bien qu'ayant côtoyé les grands empires de l'Asie, ne semblent pas avoir été influencés par le contact de leur civilisation; leur goût demeure très personnel jusqu'au jour de leur établissement dans nos pays; c'est alors seulement qu'apparaissent chez eux les emprunts faits à la civilisation méditerranéene. Dans l'industrie, postérieure au Hallstattien, qu'on désigne sous le nom de «la Tène», se rencontrent alors, en foule, les traces d'influences mycénienne, grecque et étrusque; mais nous entrons alors dans la période historique des pays occidentaux de l'Europe.

Telle est, en quelques lignes, la succession des faits principaux relatifs à la préhistoire de l'homme dans le vieux monde. Elle est simple dans ses grandes lignes, parce que le progrès réel est parti de deux grands foyers, l'un, le plus récent, situé dans l'Asie du Nord, l'autre le plus ancien, dans l'Asie antérieure méridionale et l'Égypte; mais elle est extrêmement compliquée dans le détail, soit qu'on envisage les innombrables clans de l'humanité primitive, soit que l'on considère les diverses branches de l'avancement. La double origine de nos civilisations est un fait acquis que les traditions faisaient prévoir, et que les découvertes archéologiques confirment; mais reste le grand problème de ce qui s'est passé dans l'Asie centrale antérieurement à l'arrivée dans le monde européen des gens de parler aryen; divers problèmes, vraisemblablement, se confondent, et nous n'en tiendrons la solution qu'au jour où les pays encore barbares de la Sibérie et de l'Asie centrale, administrés par des peuples soucieux des sciences, auront livré les secrets de leur sol, seront étudiés avec la même méthode et la même persévérance que nos districts de l'Occident européen.

La tâche du préhistorien sera d'ailleurs bien loin d'être achevée; car même, en admettant que le jour se fasse sur les origines européennes et méditerranéenes, il restera encore à étudier les quatre cinquièmes des continents dont, à diverses époques, les habitants ont joué leur partie, plus ou moins importante, dans le concert du progrès général. Ce que nous savons aujourd'hui est bien peu de chose, en comparaison de ce qu'il nous reste à apprendre.


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