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L'ibis bleu

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DEUXIÈME PARTIE

I

Marcant était parti depuis deux jours. Elise était seule, à la Terrasse, avec Georges. Marion était à sa besogne dont elle s'acquittait consciencieusement, aidée le matin, de huit heures à onze, par une femme de service plus adroite qu'elle aux menus travaux, soin des chambres, rangement des meubles, couture, etc.

Georges, dès le lever, courait au bord de la mer, cherchant des coquilles dans le sable, de menus coraux, sautant sur les basses roches, attentif à un crabe surpris, à un poisson bizarre en fuite sous une pierre.

De sa fenêtre, elle le surveillait, le rappelait, le conseillait:

—Georges, tu vas te mouiller, tu vas tomber!... Georges, prends garde!... ils sont pointus, ces rochers... Reviens vite!

Il relevait le nez, la regardait avec son beau visage riant de bonheur.

—Non, maman!... Oui, maman!...

La vague d'hiver, à travers les petites roches, creusées de mille cavernes mignonnes qui étaient pour l'enfant un monde, arrivait jusqu'à la porte du jardin, à trente pas à peine de la villa.

Et l'enfant se croyait un aventurier de la mer, un pirate ou un Robinson, et plusieurs fois dans le jour criait à sa mère:

—Est-ce que je l'aurai, bientôt, maman, mon Ibis Bleu?... Papa s'en souviendra, j'espère?... Est-ce qu'il lui faudra longtemps pour faire la route?

Marcant écrivit, il annonçait l'Ibis Bleu pour Georges avec des voiles et à vapeur.

Georges se réveilla plusieurs fois dans la nuit pour y penser.

—Maman! criait-il.

—Qu'as-tu, mignon?

—Il ne sera pas trop petit, j'espère.

—Non... non. Dors, mon chéri... il faut dormir.

La lettre de Marcant parlait aussi de l'affaire qui intéressait le père de M. Dauphin. La section de commune, qui réclamait son indépendance, ne l'obtiendrait sans doute pas, cette fois du moins... «C'est le diable, cette question des sections de commune. Voir, pour s'en convaincre, l'excellent livre intitulé: «Des Sections de commune et des Biens communaux, de Léon Aucoc.»

La section à laquelle M. Dauphin s'intéressait était en instance depuis plus de vingt ans. Elle avait encore à attendre un peu pour des raisons qu'il donnait et qu'il priait Elise de communiquer à M. Dauphin dès la première occasion. Suivaient quelques détails sur sa vie de garçon: il avait dîné au cabaret le premier soir; la vieille servante le soignait. L'oncle avait un accès de goutte qui retardait son projet de la rejoindre à Saint-Raphaël... où lui, Marcant, espérait lui rendre une courte visite de trois jours, mais pas avant trois semaines.

Elle brodait, lisait, arrangeait des fleurs, sortait de une à trois heures pour la promenade, avec Georges,—faisait à Saint-Raphaël quelques menues emplettes de voyageuse qui s'installe... effaçait de son logis, le plus possible, la banalité de maison louée en garni, posant çà et là un voile sur un fauteuil, un lambeau d'étoffe sur son lit, un tapis à elle sur une table, et, sur ce tapis, ses petits joujoux de femme, quelques portraits, un nécessaire préféré, une bonbonnière...

Elle donnait à Georges sa leçon quotidienne de lecture, d'orthographe et enfin d'anglais...

Et dans cette activité première de l'installation, elle ne songeait point à s'ennuyer. Aux instants où rien ne l'occupait, elle regardait, de sa fenêtre, ouverte au soleil, l'immobile tableau changeant: la mer bleue et dorée.

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