La comédie de celui qui épousa une femme muette
PERSONNAGES
| A la Porte Saint-Martin. | A la Renaissance. | |||
| MONSIEUR LÉONARD BOTAL, juge | MM. | Decaye. | MM. | Decaye. |
| MAITRE ADAM FUMÉE, avocat | Vilbert. | Cognet. | ||
| MAITRE SIMON COLLINE, médecin | Galipaux. | Cousin. | ||
| MAITRE JEAN MAUGIER, chirurgien-barbier | Bacqué. | Géo Leclercq. | ||
| MAITRE SÉRAPHIN DULAURIER, apothicaire | Koval. | Scott. | ||
| LE SIEUR GILLES BOISCOURTIER, secrétaire de M. Léonard Botal | Rablet. | Paul. | ||
| UN AVEUGLE, qui joue de la musette | Dutilloy. | Constant. | ||
| CATHERINE, femme de M. Léonard Botal | Mlle de Pouzols Saint-Phar. | |||
| ALIZON, servante de M. Léonard Botal | Mlles | M. Yrven. | Mlles | Lutzi. |
| MADEMOISELLE DE LA GARANDIÈRE | G. Gravier. | Y. Daumont. | ||
Une salle du rez-de-chaussée, en la maison de M. Léonard Botal. A gauche l'entrée sur la rue Dauphine à Paris; quand la porte s'ouvre on aperçoit le Pont-Neuf. A droite une porte donnant sur la cuisine. Au fond un escalier de bois conduisant aux chambres du premier étage. Aux murs pendent des portraits de magistrats en robe et se dressent de vastes armoires remplies et surchargées de sacs, de livres, de papiers et de parchemins. Une échelle double, à roulettes permet d'atteindre au haut des armoires. Une table à écrire, des chaises et des fauteuils de tapisseries, un rouet.
LA COMÉDIE
DE
CELUI QUI ÉPOUSA UNE FEMME MUETTE
ACTE PREMIER
SCÈNE PREMIÈRE
GILLES BOISCOURTIER, ALIZON, puis MAITRE ADAM FUMÉE et M. LÉONARD BOTAL
Gilles Boiscourtier est occupé à griffonner et à bâiller lorsque entre la servante Alizon, un grand panier sous chaque bras. Dès qu'il la voit, Gilles Boiscourtier saute sur elle.
ALIZON.
Sainte Vierge, est-il permis de se jeter comme un loup-garou sur les créatures, dans une salle ouverte à tout venant?
GILLES, qui tire de l'un des paniers une bouteille de vin.
Ne crie donc pas, petite oie. On ne songe pas à te plumer. Tu n'en vaux pas la peine.
ALIZON.
Veux-tu bien laisser le vin de monsieur le juge, larron!
Elle pose ses paniers à terre, rattrape sa bouteille, soufflette le secrétaire, reprend ses paniers et s'enfile dans la cuisine, dont on voit la cheminée par la porte entr'ouverte.
Entre maître Adam Fumée.
MAITRE ADAM.
N'est-ce point ici que demeure monsieur Léonard Botal, juge au civil et au criminel.
GILLES.
C'est ici, monsieur, et vous parlez à son secrétaire, Gilles Boiscourtier, pour vous servir.
MAITRE ADAM.
Eh! bien, mon garçon, va lui dire que son ancien condisciple, maître Adam Fumée, avocat, vient l'entretenir d'une affaire.
On entend du dehors une voix qui chante: «du mouron pour les petits oiseaux».
GILLES.
Monsieur, le voici lui-même.
Léonard Botal descend l'escalier intérieur. Gilles se retire dans la cuisine.
MAITRE ADAM.
Salut, monsieur Léonard Botal, j'ai joie à vous revoir.
LÉONARD.
Bonjour, maître Adam Fumée, comment vous portez-vous depuis le long temps que je n'ai eu le plaisir de vous voir?
MAITRE ADAM.
Fort bien! Et vous de même, j'espère, monsieur le juge.
LÉONARD.
Quel bon vent vous amène, maître Adam Fumée?
MAITRE ADAM.
Je viens tout exprès de Chartres pour vous remettre un mémoire en faveur d'une jeune orpheline dont…
LÉONARD.
Vous souvient-il, maître Adam Fumée, du temps où nous étudiions le droit à l'université d'Orléans?
MAITRE ADAM.
Oui, nous jouions de la flûte, nous faisions collation avec les dames et nous dansions du matin au soir… Je viens, monsieur le juge et cher condisciple, vous remettre un mémoire en faveur d'une jeune orpheline dont la cause est présentement pendante devant vous.
LÉONARD.
Donne-t-elle des épices?
MAITRE ADAM.
C'est une jeune orpheline…
LÉONARD.
J'entends bien. Mais donne-t-elle des épices?
MAITRE ADAM.
C'est une jeune orpheline dépouillée par son tuteur, qui ne lui a laissé que les yeux pour pleurer. Si elle gagne son procès, elle redeviendra riche et donnera de grandes marques de sa reconnaissance.
LÉONARD, prenant le mémoire que lui tend maître Adam.
Nous examinerons son affaire.
MAITRE ADAM.
Je vous remercie, monsieur le juge et cher ancien condisciple.
LÉONARD.
Nous l'examinerons sans haine ni faveur.
MAITRE ADAM.
Vous n'avez pas besoin de le dire… Mais répondez-moi. Tout va-t-il bien comme vous voulez? Vous paraissez soucieux. Pourtant vous êtes nanti d'une bonne charge?
LÉONARD.
Je l'ai payée comme bonne et n'ai point été trompé.
MAITRE ADAM.
Peut-être êtes-vous las de vivre seul. Ne songez-vous point à vous marier?
LÉONARD.
Eh! quoi? maître Adam, ne savez-vous point que je suis marié tout de frais; j'ai épousé, le mois dernier, une jeune provinciale de bonne maison et bien faite, Catherine Momichel, la septième fille du lieutenant criminel de Salency. Malheureusement elle est muette. C'est ce qui m'afflige.
MAITRE ADAM.
Votre femme est muette?
LÉONARD.
Hélas!
MAITRE ADAM.
Tout à fait muette?
LÉONARD.
Comme un poisson.
MAITRE ADAM.
Ne vous en étiez-vous pas aperçu avant de l'épouser?
LÉONARD.
Il était bien impossible de ne pas en faire la remarque. Mais je ne m'en sentais pas affecté alors comme aujourd'hui. Je considérais qu'elle était belle, qu'elle avait du bien, et je ne pensais qu'aux avantages qu'elle m'apportait et au plaisir que je prendrais avec elle. Mais maintenant ces considérations ne me frappent pas autant et je voudrais bien qu'elle sût parler; j'y trouverais un plaisir pour mon esprit et un avantage pour ma maison. Que faut-il dans la demeure d'un juge? Une femme avenante, qui reçoive obligeamment les plaideurs et, par de subtils propos, les amène tout doucement à faire des présents pour qu'on instruise leur affaire avec plus de soin. Les gens ne donnent que lorsqu'ils y sont encouragés. Une femme, adroite en paroles et prudente en action, tire de l'un un jambon, de l'autre une pièce de drap; d'un troisième, du vin ou de la volaille. Mais cette pauvre muette de Catherine n'attrape jamais rien. Tandis que la cuisine, le cellier, l'écurie et la grange de mes confrères regorgent de biens, grâce à leur femme, je reçois à peine de quoi faire bouillir la marmite. Voyez, maître Adam Fumée, comme il me porte tort d'avoir une femme muette. J'en vaux la moitié moins… Et le pis est que j'en deviens mélancolique et comme égaré.
MAITRE ADAM.
Vous n'en avez pas sujet, monsieur le juge. En y regardant bien, on trouverait dans votre cas des avantages qui ne sont pas à dédaigner.
LÉONARD.
Vous ne savez pas ce que c'est, maître Adam. Quand je tiens dans mes bras ma femme qui est aussi bien faite que la plus belle statue, du moins me le semble-t-il, et qui n'en dit certes pas davantage, j'en éprouve un trouble bizarre et un singulier malaise; je vais jusqu'à me demander si je n'ai pas affaire à une idole, à un automate, à une poupée magique, à quelque machine enfin due à l'art d'un sorcier, plutôt qu'à une créature du bon Dieu et, parfois, le matin, je suis tenté de sauter à bas de mon lit pour échapper au sortilège.
MAITRE ADAM.
Quelles imaginations!
LÉONARD.
Ce n'est pas tout encore. A vivre près d'une muette, j'en deviens muet moi-même. Parfois, je me surprends à m'exprimer, comme elle, par signes. L'autre jour, au tribunal, il m'arriva de rendre une sentence en pantomime et de condamner un homme aux galères, au seul moyen du geste et de la mimique.
MAITRE ADAM.
Vous n'avez pas besoin d'en dire davantage. On conçoit qu'une femme muette soit d'une pauvre conversation. Et l'on n'aime pas à parler, quand on ne reçoit jamais de réponse.
LÉONARD.
Vous savez maintenant quelle est la cause de ma tristesse.
MAITRE ADAM.
Je ne veux pas vous contrarier et je tiens cette cause pour juste et suffisante. Mais peut-être existe-t-il un moyen de la faire cesser. Dites-moi: votre femme est-elle sourde comme elle est muette?
LÉONARD.
Catherine n'est pas plus sourde que vous et moi; elle l'est même moins, si j'ose dire; elle entendrait l'herbe pousser.
MAITRE ADAM.
En ce cas, il faut prendre bon espoir. Les médecins, apothicaires et chirurgiens, s'ils parviennent à faire parler un sourd-muet, ce n'est jamais que d'une langue aussi sourde que son oreille. Il n'entend ni ce qu'on lui dit ni ce qu'il dit lui-même. Il en va tout autrement des muets qui entendent. C'est un jeu, pour un médecin, que de leur délier la langue. L'opération coûte si peu qu'on la fait journellement sur les petits chiens qui tardent à aboyer. Fallait-il donc un provincial tel que moi pour vous apprendre qu'un fameux médecin, qui demeure à quelques pas de votre logis, au carrefour Buci, dans la maison du Dragon, maître Simon Colline, est renommé pour couper le filet aux dames de Paris. En un tournemain, il fera couler de la bouche de madame votre épouse le flot clair des paroles bien sonnantes, comme en tournant un robinet on donne cours à un ruisseau qui s'échappe avec un doux murmure.
LÉONARD.
Vous dites vrai, maître Adam? Vous ne me trompez point? vous ne plaidez point?
MAITRE ADAM.
Je vous parle en ami et vous dis la vérité pure.
LÉONARD.
Je ferai donc venir ce célèbre médecin. Et sans tarder d'un instant.
MAITRE ADAM.
A votre aise! Mais avant de l'appeler, vous réfléchirez mûrement sur ce qu'il convient de faire. Car, tout bien pesé, si une femme muette a ses inconvénients, elle a aussi ses avantages. Bonsoir, monsieur le juge et ancien condisciple. Croyez-moi bien votre ami et lisez mon mémoire, je vous prie. Si vous exercez votre justice en faveur d'une jeune orpheline dépouillée par un tuteur avide, vous n'aurez point à vous en repentir.
LÉONARD.
Revenez tantôt, maître Adam Fumée; j'aurai préparé mon arrêt.
Maître Adam sort.
SCÈNE II
LÉONARD, puis GILLES, puis CATHERINE
LÉONARD, appelant.
Gilles! Gilles!… Le paillard ne m'entend pas; il est dans la cuisine en train de culbuter, à son ordinaire, la marmite et la servante. C'est un goinfre et un débauché. Gilles!… Gilles!… drôle! coquin!…
GILLES.
Me voici, monsieur le juge.
LÉONARD.
Mon ami, va de ce pas chez ce fameux médecin qui demeure au carrefour Buci, dans la maison du Dragon, maître Simon Colline, et dis-lui de venir tout de suite donner, en ce logis, ses soins à une femme muette.
GILLES.
Oui, monsieur le juge.
LÉONARD.
Suis droit ton chemin et ne va pas sur le Pont-Neuf, voir les bateleurs. Car je te connais, mauvais pèlerin. Tu n'as pas ton pareil pour ferrer la mule…
GILLES.
Monsieur, vous me jugez mal…
LÉONARD.
Va! et amène ici ce fameux médecin.
GILLES.
Oui, monsieur le juge.
Il sort.
LÉONARD, assis devant sa table, couverte de sacs de procédure.
J'ai quatorze arrêts à rendre aujourd'hui, sans compter la sentence relative à la pupille de maître Adam Fumée. Et cela est un grand travail, car une sentence ne fait point honneur à un juge quand elle n'est pas bien tournée, fine, élégante et garnie de tous les ornements du style et de la pensée. Il faut que les idées y rient et que les mots y jouent. Où mettre de l'esprit, sinon, dans un arrêt?
Catherine, descendue par l'escalier intérieur, vient se mettre à son rouet, tout près de la table. Elle sourit à son mari et se prépare à filer. Léonard, s'interrompant d'écrire:
Bonjour m'amour… Je ne vous avais pas seulement entendue. Vous êtes comme ces figures de la fable qui semblent couler dans l'air ou comme ces songes que les dieux, au dire des poètes, envoient aux heureux mortels.
On entend un villageois qui passe dans la rue en chantant: «Du bon cresson de fontaine, la santé du corps. A six liards la botte! A six liards la botte!»
M'amour, vous êtes une merveille de la nature; vous êtes une personne accomplie de toutes les manières; il ne vous manque que la parole. Ne seriez-vous pas bien contente de l'acquérir? Ne seriez-vous pas heureuse de faire passer sur vos lèvres toutes les jolies pensées qu'on devine dans vos yeux? Ne seriez-vous pas satisfaite de montrer votre esprit? Ne vous serait-il pas agréable de dire à votre époux que vous l'aimez? Ne vous serait-il pas doux de l'appeler votre trésor et votre cœur? Oui sans doute!…
On entend un marchand qui passe dans la rue en criant: «Chandoile de coton! Chandoile qui plus ard clair que nulle étoile!»
Eh! bien, je vous annonce une bonne nouvelle, m'amour… Il va venir tantôt ici un bon médecin qui vous fera parler…
Catherine donne des marques de satisfaction.
Il vous déliera la langue sans vous faire de mal.
Catherine exprime sa joie par une gracieuse impatience des bras et des jambes. On entend un aveugle qui passe dans la rue en chantant la bourrée sur la musette:
Dans l'eau l'poisson frétille,
Qui l'attrapera?
La déra;
Dans l'eau l'poisson frétille,
Qui l'attrapera?
Vous, la jeune fille,
On vous aimera.
L'aveugle d'une voix lugubre: «La charité pour l'amour de Dieu, mes bons messieurs et dames.» Puis il se montre sur le seuil et continue de chanter:
Passant vers la rivière,
Nous donnant le bras
La déra!
Passant vers la rivière,
Nous donnant le bras,
Trouvons la meunière,
Avec nous dansa
La déra!
Catherine se met à danser avec l'aveugle la bourrée. L'aveugle reprend:
Trouvons la meunière,
Avec nous dansa
La déra!
L'aveugle s'interrompt de jouer et de danser pour dire, d'une voix caverneuse et formidable: «La charité pour l'amour de Dieu, mes bons messieurs et dames.»
LÉONARD, qui enfoncé dans ses papiers, n'a rien vu, chasse l'aveugle en l'appelant:
Truand, ladre, malandrin, et en lui jetant des sacs de procès à la tête.
A Catherine qui s'est remise à son rouet.
M'amour, depuis que vous êtes descendue près de moi, je n'ai pas perdu mon temps; j'ai envoyé au pilori quatorze hommes et six femmes, distribué entre dix-sept individus… (Il additionne.) Six… vingt-quatre… trente-deux… quarante-quatre… quarante-sept et neuf, cinquante-six, et onze, soixante-sept, et dix, soixante-dix-sept, et huit, quatre-vingt-cinq, et vingt, cent cinq. Cent cinq ans de galères. Cela ne donne-t-il pas une haute idée du pouvoir d'un juge, et puis-je me défendre d'en ressentir quelque orgueil?
Catherine, qui ne file plus, s'appuie contre la table et regarde son mari en souriant. Puis elle s'assied sur la table couverte de sacs de procès. Léonard feignant de tirer les sacs de dessous elle:
M'amour, vous dérobez de grands coupables à ma justice. Des larrons, des meurtriers. Je ne les poursuivrai pas: ce lieu de refuge est sacré.
On entend un ramoneur qui crie du dehors: «Ramonez vos cheminées, jeunes dames, du haut en bas.»
Léonard et Catherine s'embrassent par-dessus la table. Mais voyant venir la Faculté, Catherine se sauve par l'escalier intérieur.
SCÈNE III
LÉONARD, GILLES, MAITRE SIMON COLLINE, MAITRE SÉRAPHIN DULAURIER, puis MAITRE JEAN MAUGIER, puis ALIZON
GILLES.
Monsieur le juge, voici ce grand docteur que vous avez fait appeler.
MAITRE SIMON.
Oui, je suis maître Simon Colline en personne… Et voici maître Jean Maugier, chirurgien. Vous avez réclamé notre ministère?
LÉONARD.
Oui, monsieur, pour donner la parole à une femme muette.
MAITRE SIMON.
Fort bien. Nous attendons maître Séraphin Dulaurier, apothicaire. Dès qu'il sera venu, nous opérerons selon notre savoir et entendement.
LÉONARD.
Ah! vraiment il faut un apothicaire pour faire parler une muette?
MAITRE SIMON.
Oui, monsieur, et quiconque en doute ignore totalement les relations des organes entre eux et leur mutuelle dépendance. Maître Séraphin Dulaurier ne tardera pas à venir.
MAITRE JEAN MAUGIER, soudain beugle d'une voix de Stentor.
Oh! qu'il faut être reconnaissant aux savants médecins qui, tels que maître Simon Colline, travaillent à nous conserver la santé et nous soignent dans nos maladies. Oh! qu'ils sont dignes de louanges et de bénédictions ces bons médecins qui se conforment dans la pratique de leur profession aux règles d'une savante physique et d'une longue expérience.
MAITRE SIMON, s'inclinant légèrement.
Vous êtes trop obligeant, maître Jean Maugier.
LÉONARD.
En attendant monsieur l'apothicaire, voulez-vous vous rafraîchir, messieurs?
MAITRE SIMON.
Volontiers.
MAITRE JEAN.
Avec plaisir.
LÉONARD.
Ainsi donc vous ferez, maître Simon Colline, une petite opération qui fera parler ma femme?
MAITRE SIMON.
C'est-à-dire que je commanderai l'opération. J'ordonne, maître Jean Maugier exécute… Avez-vous vos instruments maître Jean?
MAITRE JEAN.
Oui, maître.
Il présente une scie de trois pieds de long avec des dents de deux pouces, des couteaux, des tenailles, des ciseaux, une broche, un vilebrequin, une gigantesque vrille, etc.
Entre Alizon, avec le vin.
LÉONARD.
J'espère, messieurs, que vous n'allez point vous servir de tout cela?
MAITRE SIMON.
Il ne faut jamais se trouver démuni auprès d'un malade.
LÉONARD.
Buvez, messieurs.
MAITRE SIMON.
Ce petit vin n'est pas mauvais.
LÉONARD.
Vous êtes trop honnête. Il vient de mes vignes.
MAITRE SIMON.
Vous m'en enverrez une barrique.
LÉONARD, à Gilles qui se verse un rouge bord.
Je ne t'ai pas dit de boire, fripon.
MAITRE JEAN, regardant par la fenêtre dans la rue.
Voici maître Séraphin Dulaurier, apothicaire!
Entre maître Séraphin.
MAITRE SIMON.
Et voici sa mule!… Non, vraiment: C'est maître Séraphin Dulaurier lui-même. On s'y trompe toujours. Buvez maître Séraphin. Il est frais.
MAITRE SÉRAPHIN.
A votre santé, mes maîtres!
MAITRE SIMON, à Alizon.
Versez la belle. Versez à droite, versez à gauche, versez ici, versez là. De quelque côté qu'elle se tourne elle montre de riches appas. N'êtes-vous pas glorieuse, ma fille, d'être si bien faite?
ALIZON.
Pour le profit que j'en tire, ce n'est pas le cas d'être glorieuse. Les appas ne rapportent guère quand ils ne sont pas recouverts de soie et de brocart.
MAITRE SÉRAPHIN.
A votre santé, mes maîtres!
ALIZON.
On aime à rire avec nous. Mais gratis pro Deo.
Ils boivent tous et font boire Alizon.
MAITRE SIMON.
Maintenant que nous sommes au complet nous pouvons monter auprès de la malade.
LÉONARD.
Je vais vous y conduire, messieurs.
Il monte par l'escalier intérieur.
MAITRE SIMON.
Passez, maître Maugier, à vous l'honneur.
MAITRE MAUGIER, son verre à la main.
Je passe, sachant bien que l'honneur est de marcher derrière.
MAITRE SIMON.
Passez, maître Séraphin Dulaurier.
Maître Séraphin monte, une bouteille à la main.
MAITRE SIMON, ayant fourré une bouteille dans chaque poche de sa robe et embrassé la servante Alizon, gravit les montées en chantant:
A boire! à boire! à boire!
Nous quitt'rons-nous sans boire?
Les bons amis ne sont pas si fous
Que d'se quitter sans boire un coup.
Alizon, après avoir donné un soufflet à Gilles qui voulait l'embrasser, grimpe la dernière.
On les entend qui reprennent tous en chœur:
A boire! à boire! à boire!