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La Comédie humaine - Volume 06. Scènes de la vie de Province - Tome 02

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«Madame la comtesse veut-elle faire à monsieur Lousteau la grâce de le recevoir un instant, et à l'instant.»

Ce mot était cacheté d'un cachet qui, jadis, servait aux deux amants. Madame de La Baudraye avait fait graver sur une véritable cornaline orientale: parce que! Un grand mot, le mot des femmes, le mot qui peut expliquer tout, même la création.

La comtesse venait d'achever sa toilette pour aller à l'Opéra, le vendredi était son jour de loge. Elle pâlit en voyant le cachet.

—Qu'on attende! dit-elle en mettant le billet dans son corsage.

Elle eut la force de cacher son trouble et pria sa mère de coucher les enfants. Elle fit alors dire à Lousteau de venir, et elle le reçut dans un boudoir attenant à son grand salon, les portes ouvertes. Elle devait aller au bal après le spectacle, elle avait mis une délicieuse robe en soie brochée à raies alternativement mates et pleines de fleurs, d'un bleu pâle. Ses gants garnis et à glands laissaient voir ses beaux bras blancs. Elle étincelait de dentelles, et portait toutes les jolies futilités voulues par la mode. Sa coiffure à la Sévigné lui donnait un air fin. Un collier de perles ressemblait sur sa poitrine à des soufflures sur de la neige.

—Qu'avez-vous, monsieur? dit la comtesse en sortant son pied de dessous sa robe pour pincer un coussin de velours, je croyais, j'espérais être parfaitement oubliée...

—Je vous dirais jamais, vous ne voudriez pas me croire, dit Lousteau qui resta debout et se promena tout en mâchant des fleurs qu'il prenait à chaque tour aux jardinières dont les massifs embaumaient le boudoir.

Un moment de silence régna. Madame de La Baudraye, en examinant Lousteau, le trouva mis comme pouvait l'être le plus scrupuleux dandy.

—Il n'y a que vous au monde qui puissiez me secourir et me tendre une perche, car je me noie, et j'ai déjà bu plus d'une gorgée.... dit-il en s'arrêtant devant Dinah et paraissant céder à un effort suprême. Si vous me voyez, c'est que mes affaires vont bien mal.

—Assez! dit-elle, je vous comprends...

Une nouvelle pause se fit entre eux pendant laquelle Lousteau se retourna, prit son mouchoir, et eut l'air d'essuyer une larme.

—Que vous faut-il, Étienne? reprit-elle d'une voix maternelle. Nous sommes en ce moment de vieux camarades, parlez-moi comme vous parleriez... à... à Bixiou...

—Pour empêcher mon mobilier de sauter demain à l'hôtel des Commissaires-Priseurs, dix-huit cents francs! Pour rendre à mes amis, autant? trois termes au propriétaire que vous connaissez... Ma tante exige cinq cents francs...

—Et pour vous, pour vivre...

—Oh! j'ai ma plume!...

—Elle est à remuer d'une lourdeur qui ne se comprend pas quand on vous lit... dit-elle en souriant avec finesse.—Je n'ai pas la somme que vous me demandez... Venez demain à huit heures, l'huissier attendra bien jusqu'à neuf, surtout si vous l'emmenez pour le payer.

Elle sentit la nécessité de congédier Lousteau qui feignait de ne pas avoir la force de la regarder; mais elle éprouvait une compassion à délier tous les nœuds gordiens que noue la Société.

—Merci! dit-elle en se levant et tendant la main à Lousteau, votre confiance me fait un bien!... Oh! il y a long-temps que je ne me suis senti tant de joie au cœur...

Lousteau prit la main, l'attira sur son cœur et la pressa tendrement.

—Une goutte d'eau dans le désert, et... par la main d'un ange!... Dieu fait toujours bien les choses!

Ce fut dit moitié plaisanterie et moitié attendrissement; mais, croyez-le bien, ce fut aussi beau, comme jeu de théâtre, que celui de Talma dans son fameux rôle de Leicester où tout est en nuances de ce genre. Dinah sentit battre le cœur à travers l'épaisseur du drap, il battait de plaisir, car le journaliste échappait à l'épervier judiciaire; mais il battait aussi d'un désir bien naturel à l'aspect de Dinah rajeunie et renouvelée par l'opulence. Madame de La Baudraye, en examinant Étienne à la dérobée, aperçut la physionomie en harmonie avec toutes les fleurs d'amour qui, pour elle, renaissaient dans ce cœur palpitant; elle essaya de plonger ses yeux, une fois, dans les yeux de celui qu'elle avait tant aimé, mais un sang tumultueux se précipita dans ses veines et lui troubla la tête. Ces deux êtres échangèrent alors le même regard rouge qui, sur le quai de Cosne, avait donné l'audace à Lousteau de froisser la robe d'organdi. Le drôle attira Dinah par la taille, elle se laissa prendre, et les deux joues se touchèrent.

—Cache-toi, voici ma mère! s'écria Dinah tout effrayée. Et elle courut au-devant de madame Piédefer.—Maman, dit-elle (ce mot était pour la sévère madame Piédefer une caresse qui ne manquait jamais son effet), voulez-vous me faire un grand plaisir, prenez la voiture, allez vous-même chez notre banquier monsieur Mongenod, avec le petit mot que je vais vous donner. Venez, venez, il s'agit d'une bonne action, venez dans ma chambre?

Et elle entraîna sa mère qui semblait vouloir regarder la personne qui se trouvait dans le boudoir.

Deux jours après, madame Piédefer était en grande conférence avec le curé de la paroisse. Après avoir écouté les lamentations de cette vieille mère au désespoir, le curé lui dit gravement:—Toute régénération morale qui n'est pas appuyée d'un grand sentiment religieux, et poursuivie au sein de l'Église, repose sur des fondements de sable... Toutes les pratiques, si minutieuses et si peu comprises que le catholicisme ordonne, sont autant de digues nécessaires à contenir les tempêtes du mauvais esprit. Obtenez donc de madame votre fille qu'elle accomplisse tous ses devoirs religieux et nous la sauverons...

Dix jours après cette conférence, l'hôtel de La Baudraye était fermé. La comtesse et ses enfants, sa mère, enfin toute sa maison, qu'elle avait augmentée d'un précepteur, était partie pour le Sancerrois où Dinah voulait passer la belle saison. Elle fut charmante, dit-on, pour le comte.


Note de l'Auteur.—Page 360, ligne 27, au lieu de Tobie Piédefer, lisez Silas Piédefer. On peut pardonner à l'auteur de s'être rappelé trop tard que les calvinistes n'admettent pas le livre de Tobie dans les Saintes-Écritures.

FIN DU SIXIÈME VOLUME.

TABLE DES MATIÈRES.


SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.


Les Célibataires: (deuxième histoire) Le Curé de Tours. 1
Les Célibataires: (troisième histoire) Un Ménage de garçon. 63
Les Parisiens en province: (première histoire) L'Illustre Gaudissart. 318
Les Parisiens en province: (deuxième histoire) La Muse du département. 355

FIN DE LA TABLE.

Au lecteur.

Cette version numérisée reproduit, dans son intégralité, la version originale. Seules les corrections indiquées ci-dessous ont été effectuées.

Les fautes d'impression en début ou en fin de ligne ont été tacitement corrigées, ainsi que les erreurs typographiques dans les noms Chapeloud, Bridau, Grande-Narette, Petite-Narette, Rouget, Gaudissart et Clagny. Également la ponctuation a été tacitement corrigée par endroits.

Enfin, les corrections indiquées ci-après ont été effectuées. Enfin, les corrections indiquées dans le texte ont été effectuées. Elles sont soulignées par des pointillés. Positionnez la souris sur le mot souligné pour voir l'orthographe initiale.

Page 2: «wisth» est orthographié ainsi dans l'original (au wisth chez madame de Listomère).

Page 5: «supris» remplacé par «surpris» (Birotteau, surpris de plus en plus).

Page 6: inséré «l» (l'appartement de Chapeloud).

Page 8: «Brst» remplacé par «Bast» (Bast, le lendemain mademoiselle m'a donné).

Page 11: «soupposer» remplacé par «supposer» (ait pu me supposer couché).

Page 14: «circonscription» remplacé par «circonspection» (l'extrême circonspection de ses rapports avec mademoiselle Gamard).

Page 22: «pouiller» remplacé par «pouillé» (le pouillé des évêques).

Page 34: «mot» remplacé par «mots» (ne pourraient pas prononcer ces trois mots).

Page 41: «Allouette» remplacé par «Alouette» (l'emmena sur-le-champ à l'Alouette).

Page 59: «Lu» remplacé par «Lui» (Lui qui, depuis ses malheurs, peut à peine marcher).

Page 62: «vssez» remplacé par «assez» (Les âmes assez vastes).

Page 66: «intentions» remplacé par «attentions» (ni les attentions ni le respect).

Page 66: «honheur» remplacé par «bonheur» (ne porta point bonheur à son oncle).

Page 66: l'orthographe du nom «Roberspierre» est conforme à l'original.

Page 67: «mit» remplacé par «mis» (comme si l'échafaud y eût mis l'inexplicable contagion).

Page 74: «sanglottant» remplacé par «sanglotant» (tout en sanglotant).

Page 77: «fusins» remplacé par «fusains» (le cadet pour des fusains).

Page 77: «sa» remplacé par «se» (Sa passion l'avait amenée à se contenter).

Page 81: «est» remplacé par «es» (Depuis quand es-tu là).

Page 94: «sonscription» remplacé par «souscription» (cette fameuse souscription).

Page 101: «un» remplacé par «une» (une espèce de poulailler).

Page 101: «cet» remplacé par «ces» (ces mots magiques).

Page 109: «frances» remplacé par «francs» (son billet de mille francs).

Page 109: «devinatoire» remplacé par «divinatoire» (mais le sens divinatoire).

Page 121: «serrurrier» remplacé par «serrurier» (un serrurier qui demeurait à deux pas).

Page 121: «fois» remplacé par «foi» (l'insigne mauvaise foi).

Page 131: «Chargé» remplacé par «Chargée» (Chargée uniquement du déjeuner).

Page 131: «constitutionunel» remplacé par «constitutionnel» (les limites du gouvernement constitutionnel).

Page 131: «tos» remplacé par «tous» (tous les services rendus).

Page 133: «abmirablement» remplacé par «admirablement» (ils s'unirent admirablement).

Page 133: l'orthographe du mot «dam!» est conforme à l'original.

Page 148: «tous» remplacé par «tout» (la fable de tout le pays).

Page 173: «Lous» remplacé par «Louis» (comme on sculptait sous Louis XV).

Page 188: «vouz» remplacé par «vous» (vous voyez venir ici).

Page 203: «un» remplacé par «une» (pour ficeler une dinde).

Page 215: «quantités» remplacé par «quantité» (en consommeront une certaine quantité).

Page 224: «anecdocte» remplacé par «anecdote» (l'anecdote du cadeau).

Page 233: «tout-puissante» remplacé par «toute-puissante» (où la religion sera toute-puissante).

Page 236: «la» remplacé par «le» (qui le trouva dormant).

Page 241: supprimé «du» (au petit jour).

Page 249: «Autun.n» remplacé par «Autun.» (au lieu d'Autun.)

Page 263: «destination» remplacé par «destinations» (à vos destinations respectives).

Page 266: «le» remplacé par «les» (emporte les vingt mille francs).

Page 267: «boulevart» remplacé par «boulevard» (le boulevard Baron).

Page 293: «ait» remplacé par «ai» (c'est moi qui dès le principe, ai conseillé votre mariage).

Page 295: «pronfondément» remplacé par «profondément» (son intelligence profondément perverse).

Page 301: «battaille» remplacé par «bataille» (sur plusieurs champs de bataille).

Page 301: «une» remplacé par «un» (un homme sans mœurs).

Page 324: «retardaire» remplacé par «retardataire» (entre le public retardataire qui se refuse à payer).

Page 326: «qnand» remplacé par «quand» (Ah! quand on aime un homme).

Page 332: «arrrive» remplacé par «arrive» (et arrive au bout de la vie).

Page 335: «joujous» remplacé par «joujoux» (les châsses des joujoux allemands).

Page 336: «Jéruralem» remplacé par «Jérusalem» (Jérusalem! répondait-il).

Page 337: «a les» remplacé par «les a» (il les a roulées).

Page 337: inséré «ni» (Dieu ni diable).

Page 342: «attrappez» remplacé par «attrapez» (Mais vous m'attrapez, monsieur).

Page 344: «capitanx» remplacé par «capitaux» (Messieurs de l'Assurance sur les capitaux).

Page 352: «Vauvray» remplacé par «Vouvray» (madame Fontanieu et l'adjoint de Vouvray).

Page 360: lire «Silas Piédefer» au lieu de «Tobie Piédefer» (voir la note de l'auteur, page 509).

Page 366: «galaterie» remplacé par «galanterie» (ni propos vides, ni galanterie arriérée).

Page 366: il faut sans doute lire «fraîchement» au lieu de «franchement» (des œuvres franchement écloses au théâtre).

Page 367: «un» remplacé par «une» (une espèce d'oasis).

Page 368: «on» remplacé par «ont» (au souvenir de ceux qui l'ont connu).

Page 375: «d'abord» remplacé par «l'abord» (ce nain à qui, dès l'abord).

Page 383: «Un» remplacé par «Une» (Une magnifique description de Rouen).

Page 383: «ponsif» remplacé par «poncif» (Le poncif du portrait de la jeune Espagnole).

Page 384: «portant» remplacé par «pourtant» (Elle a pourtant quitté Séville).

Page 390: «qu'il» remplacé par «qui» (et qui n'y arrivent qu'après avoir erré).

Page 392: «simplicicité» remplacé par «simplicité» (dans cette excessive simplicité).

Page 394: «provinces» remplacé par «province» (dans le cœur d'une femme de province).

Page 401: «daus» remplacé par «dans» (perdu dans la foule).

Page 404: «ils» remplacé par «il» (il s'en trouve).

Page 411: «anssi» remplacé par «aussi» (aussi noire, aussi obscure).

Page 414: «joloux» remplacé par «jaloux» (le jaloux mari).

Page 416: «voyont» remplacé par «voyant» (en voyant revenir le capitaine).

Page 417: «soigué» remplacé par «soigné» (j'ai soigné ce pauvre Béga).

Page 420: «applaties» remplacé par «aplaties» (deux petites boules de cire aplaties).

Page 421: «fait» remplacé par «faire» (j'ai comploté de faire raconter).

Page 426: «mile» remplacé par «mille» (six mille francs de droits).

Page 434: «d'alle» remplacé par «d'elle» (il était aimé d'elle).

Page 444: «découvre» remplacé par «découvrent» (d'où se découvrent par échappées de magnifiques paysages).

Page 459: «hommme» remplacé par «homme» (Le pauvre homme).

Page 463: «garotter» remplacé par «garrotter» (le temps de le garrotter).

Page 472: «elles» remplacé par «elle» (deux lignes auxquelles elle n'était pas étrangère).

Page 476: «le» remplacé par «la» (unis par la honte).

Page 477: inséré «vous» (ou si vous voulez).

Page 483: «le» remplacé par «la» (la gaminerie de Lousteau).

Page 491: «Stendalh» remplacé par «Stendhal».

Page 492: il faut sans doute lire «Rothschild» au lieu de «Rostchild» (aussi riches que les Rostchild).

Page 494: «esquises» remplacé par «exquises» (d'autant plus exquises).

Page 494: «supérieur» remplacé par «supérieure» (la glose paraissait à Dinah presque supérieure au livre).

Page 498: «abrévation» remplacé par «abréviation» (l'abréviation par laquelle on désigne).

Page 504: «entendu» remplacé par «entendue» (de manière à n'être entendue que du magistrat).


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