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La dernière lettre écrite par des soldats français tombés au champ d'honneur 1914-1918

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The Project Gutenberg eBook of La dernière lettre écrite par des soldats français tombés au champ d'honneur 1914-1918

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Title: La dernière lettre écrite par des soldats français tombés au champ d'honneur 1914-1918

Release date: May 1, 2004 [eBook #12401]
Most recently updated: October 28, 2024

Language: French

Credits: Produced by Tonya Allen and PG Distributed Proofreaders

*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK LA DERNIÈRE LETTRE ÉCRITE PAR DES SOLDATS FRANÇAIS TOMBÉS AU CHAMP D'HONNEUR 1914-1918 ***

La dernière lettre

écrite par des soldats français

tombés au champ d'honneur

1914-1918

Ces lettres ont été choisies par des pères qui pleurent un enfant mort pour la France et par d'anciens combattants réunis sous la présidence de M. le Maréchal FOCH.

L'Union des Pères et des Mères dont les fils sont morts pour la
Patrie
, 10, rue Lafitte, Paris (IXe), la Ligue des Chefs de Section et
des Soldats combattants
, 17 ter, Avenue Beaucour, Paris (VIIIe), et M.
Ernest Flammarion
, 26, rue Racine, Paris (VIe) ont édité ce livre.

Paris, le 29 Octobre 1921.

Le sacrifice de tous les soldats tombés pour la défense de la Patrie fut d'autant plus sublime qu'il fut librement consenti.

Les "Dernières Lettres" montrent de façon touchante l'esprit idéal et pur dans lequel ce sacrifice a été fait; c'est un monument de plus à la Gloire impérissable du Soldat Français.

Lettre écrite par le Soldat ABEILLE, 42e d'Infanterie, tombé au champ d'honneur le 12 Novembre 1914.

Saint-Gaudens, samedi 26 Septembre 1914.

…A Paris, j'ai vu une ville que je connaissais de longue date et dont les beautés m'étaient familières, avec des yeux sur lesquels l'amour avait mis son charme inexprimable.

C'était le 23 Septembre, après-midi ensoleillée et claire avec sur les arbres et dans le ciel des teintes douces qui déjà annonçaient le prochain automne. Je me suis trouvé sur la place de la Concorde, touché de la grâce extraordinaire, de la beauté de ce coin de Paris par cette claire journée de guerre. Je venais de passer devant la statue de Strasbourg, si éloquente dans son geste fier. Je venais d'admirer les pures couleurs du grand pavillon tricolore flottant comme toujours au-dessus du Ministère de la Marine.

Et au centre de la grande place, je voyais, d'un côté, à l'extrémité grandiose de l'avenue des Champs-Elysées, le profil de l'arc de triomphe de l'Etoile, monument de nos prestigieuses gloires passées.

A l'autre extrémité, au fond des Tuileries, encadrées d'arbres et de jets d'eau, les colonnes de porphyre du petit arc de triomphe du Carrousel, élevé lui aussi à la gloire des grandes armées, narguant le monument de Gambetta et les paroles émouvantes gravées dans la pierre devant le Louvre.

Et je voyais cela pour la première fois avec des yeux qui n'étaient plus ceux d'un vaincu accablé par l'abaissement d'une patrie qui avait été si grande. Je voyais pour la première fois la capitale de mon pays, en ayant le droit de regarder en face le sens des pierres de ses monuments, en étant certain que nous allions enfin nous montrer dignes de notre grande histoire.

Avoir vécu trente-trois ans avec l'angoisse de ne pas voir venir le jour de gloire tant rêvé, avec l'humiliation de transmettre aux enfants la honte d'être des Français diminués, moins fiers, moins libres que leurs grands-pères, avoir souffert de cela silencieusement, mais profondément, avec toute l'élite de mon pays, et voir soudain resplendir l'aube de la résurrection alors que je suis encore jeune et fort et que mon sang est prêt à jaillir, heureux, pour tous les sacrifices.

Je suis satisfait d'avoir été utile et même nécessaire à Nancy dans un moment difficile, où les événements n'auraient pas eu le même caractère si mes fonctions avaient été détenues par un homme ayant moins de sang-froid et d'esprit de décision. J'aurais été affecté s'il m'avait fallu quitter Nancy, moins d'un mois après mon arrivée, alors que le danger était grand et que j'avais beaucoup à faire.

Maintenant que mon rôle est terminé, il n'était pas admissible de s'attarder. Même utile, ma place n'était pas confinée dans un cabinet de travail. Ce n'est pas là qu'on participe suffisamment à une oeuvre historique qui exige la collaboration des forces de tout un peuple. Il est des heures où il faut la grande collaboration anonyme mais vivante sous le grand ciel avec la jeunesse entière de son pays. Malheur à ceux qui ne sont pas là à ce moment!

Malheur aux intellectuels qui ne comprennent pas qu'ils ont eux un double devoir, un devoir sacré de mettre leurs bras et leurs poitrines à la même place que les bras et les poitrines de leurs frères, moins avancés qu'eux-mêmes dans la possession de la conscience nationale.

A nous, les privilégiés, les gardiens de la tradition, les transmetteurs de l'Idéal, d'exposer nos vies et de faire joyeusement le don de nous-mêmes pour le maintien, le prolongement, l'exaltation de toute cette beauté, de toute cette fierté que nous sommes les premiers à sentir, dont nous sommes les premiers à jouir.

Et demain, nous aurons l'orgueil de rendre à nos fils le prestige de leur race et de faire tressaillir de reconnaissance nos pères dans leurs tombeaux….

Lettre d'Emile ABGRALL, Officier mécanicien à bord du Léon-Gambetta.

Cinq jours plus tard, le 27 Avril 1915, le sous-marin autrichien U-5 torpillait le "Léon Gambetta" à cinq milles de Sainte-Marie de Leuca. Emile ABGRALL disparut avec le croiseur.

22 Avril.

Notre plus cher désir était d'aller charbonner à Malte. Crac! contre-ordre. C'est Navarin qui nous réapprovisionnera. Mais à quel prix! Les Grecs vendent 35 francs les 100 kilos de patates. C'est la guerre!

Reuter nous apprend une bonne nouvelle: les Boches, qui avaient réussi à gagner du terrain près d'Ypres, grâce à l'emploi d'explosifs asphyxiants, ont été repoussés par les nôtres. Tout le terrain perdu est reconquis. Bravo! vivent les Poilus! Quel coup de main nous voudrions pouvoir leur donner.

Hier, des petits oiseaux sont venus nous rendre visite. Ils se sont installés sur les caisses qui servent de prisons à de jolis cochons roses et nous ont donné un ravissant concert. Ils avaient peut-être passé l'hiver en Bretagne. Qui sait! Tout l'équipage leur a fait fête. Nous avons eu un instant l'espoir qu'ils allaient continuer à vivre notre vie. Hélas! le soir venu, ils ont repris leur vol.

Reverrai-je un jour les oiseaux?…

Embrasse bien pour moi Papa, Maman. Mais, surtout, ne leur donne pas connaissance de mes alarmes. Laisse-les croire que je navigue sur une mer d'huile, loin de tout danger. Si le sort nous désigne pour le grand voyage, ils apprendront bien assez tôt cette fâcheuse nouvelle. S'il est écrit que la famille doit perdre l'un des siens dans la tourmente, n'est-il pas juste que ce soit moi?… Je ne laisserai ni femme, ni enfants.

Allons, adieu, cher Frère. Longues caresses à Raoul et à Joël.

Bien affectueusement à toi.

EMILE.

Lettre trouvée dans le portefeuille de l'Aspirant Henri ACHALME (9 Juin 1894-16 Juin 1915).

14 Juin.

Mes chéris,

Ne pleurez pas. Pendant toute ma vie, j'ai été heureux autant qu'on peut le rêver, autant, je crois, qu'on peut le réaliser et c'est vous qui m'avez tout donné. Je vous ai aimés de tout coeur, de toutes forces. Peut-être aurais-je souffert plus tard, et je m'en vais pour la plus belle cause: pour qu'en France on ait encore le droit d'aimer. J'espère être tombé face à la victoire. Alors, c'est bien!

Moi qui aurais tant voulu ne jamais vous faire de peine! Enfin, puisque je ne laisse ni haines, ni dégoûts, que tout m'a semblé beau et m'a été doux, je m'en vais encore heureux, puisque c'est pour permettre à d'autres de l'être. Comme c'était facile d'être heureux! Dites-le à Jacquot.

Je vous aime et tout doucement je vous embrasse.

HENRI.

Dites encore à mes amis, à tous ceux qui, de près ou de loin, m'ont un peu connu ou un peu aimé, que je les remercie de m'avoir permis de m'en aller en pouvant dire: «J'étais heureux!»

HENRI.

Lettre de Charles ADRIEN, Adjudant-Chef, 361e R.I., mort le 27 Mars 1916, à Verdun.

Mon cher petit Père,

Je suis heureux en ce jour de pouvoir t'adresser du fond de mon coeur mes voeux et souhaits de bonne fête.

Je sais que tu préfèrerais que tous tes gars soient là pour te les exprimer de vive voix, mais sois bien certain, où qu'ils se trouvent, qu'ils ne t'oublient pas en ce triste jour qui devrait être si gai.

Les dures nécessités de l'existence nous imposent ce triste moment; soyons convaincus, cependant, que bientôt tous réunis, de notre franc sourire, nous ferons oublier à tous et à nous-mêmes ces mauvais passages.

Ce 24 Juin 1915 ne se passera pas sans que les pensées de mon coeur et de mon âme te soient adressées, à toi, mon cher petit Père bien-aimé, qui sut faire de nous des hommes.

Sans penser à ce que nous sommes en ce moment, sois fier de tes enfants et de toi-même, car tu les as faits d'un moral et d'une santé assez élevés pour qu'ils puissent passer le plus aisément cette dure épreuve.

Tu as donc pour ta part contribué à nous donner une bonne chance de revenir. Nous saurons trouver les autres.

Je souhaite que cette lettre t'arrive pour le 24, pour bien te marquer que nous pensons beaucoup à toi que nous aimons si tendrement.

J'espère que mon cher frère Baptiste, dans la dure épreuve morale qu'il traverse, ne doutera pas que nos pensées vont un peu vers lui aussi.

Ayons confiance qu'un jour proche nous retrouvera tous joyeusement réunis et que si nous avons raté nos fêtes de famille cette année, nous puissions faire celle du coeur et du bonheur de nous revoir.

Je t'envoie de ma tranchée nouvellement conquise, bien près des Boches qui nous marmitent en ce moment, ces petites fleurs que j'ai cueillies à Hébuterne avant de partir.

Puisses-tu trouver dans elles l'expression de mes plus tendres sentiments affectueux.

Ton fils,

CHARLOT.

Lettre écrite par le Lieutenant ARNON, Maurice-Eugène, du Groupe cycliste de la 6e Division de Cavalerie, tombé à l'assaut de Launois (Vosges), le 24 Juillet 1915.

Le 23 Juillet 1915.

Mon cher Oncle,

Demain, j'aurai le très grand honneur de monter à l'assaut des tranchées ennemies, je commande une des colonnes d'attaque et dois m'emparer d'un blockaus garni de mitrailleuses et d'une maison crénelée. Je ferai tout mon devoir et, si je tombe, je vous demande de prévenir chez moi avec tous les ménagements possibles; c'est vous que j'ai demandé d'avertir. Et, maintenant, courage!

En avant! et vivent les chasseurs!

Bons baisers à tous.

MAURICE.

Lettre du Lieutenant Emmanuel AUBER, 2e Régiment d'Infanterie, tué en entraînant sa Compagnie à l'assaut, le 30 Avril 1917.

Maman adorée,

On t'aura déjà prévenue lorsque tu recevras cette lettre.

Oui, Maman chérie, si ce mot t'est envoyé, c'est que je serai resté là-bas, sur la plaine, dans l'assaut formidable que la France a entrepris.

Il ne faudra pas pleurer, ma Maman bien-aimée. Souviens-toi que tu es Française avant tout et que la mort qui m'enlève est glorieuse entre toutes. Il faut être fière de moi car j'aurai fait mon devoir pleinement. Je veux mourir face à l'ennemi et non dans la tranchée.

Tu crois en l'immortalité de l'âme, Maman chérie, seule l'enveloppe terrestre périt, l'âme demeure plus belle, plus pure.

Sois heureuse pour ton fils. Je veux de là-haut voir ma Mère calme devant cette mort, assez forte pour vaincre son émotion et pour dire encore: Vive notre belle France!

Je veux voir de là-haut notre cher Pays débarrassé de ses ennemis et son peuple renaître plus vigoureux et plus prospère.

Maman adorée, je reste auprès de toi. Frison n'est pas loin. Que ma pensée te soutienne pour être heureuse pleinement.

Adieu.

E. AUBER.

Lettre écrite par le Prêtre Marie-Dominique AUBERT, 18e Section d'Infirmiers militaires, tombé au champ d'honneur, le 18 Novembre 1916, à Rancourt (Somme).

18 Novembre 1916.

…Je ne me fais pas illusion, je sais que je serai plus exposé au danger … mais aussi je pourrai remplir un ministère plus fructueux, assistant les pauvres blessés et mourants, leur donnant les secours de la religion, leur ouvrant les portes du Ciel et remplaçant en quelque sorte auprès d'eux leur famille absente.

Quel beau ministère pour un prêtre!

AUBERT.

Lettre écrite par le Lieutenant Eugène AUBERT, 3e Génie, tombé au champ d'honneur, à Hannappes, sur le canal de la Sambre à l'Oise, le 31 Octobre 1918.

26 Octobre 1918.

Mes chers tous,

Je suis content ce matin, mais bien fatigué par une reconnaissance qui m'a tenu toute la nuit jusqu'à 5 heures du matin, puis de 5 à 7 heures pour établir mes plans et comptes rendus.

Enfin, j'ai passé une bonne nuit, je dis bien une bonne, car je suis heureux, j'ai rampé dans la boue, dans les orties, je me suis égratigné aux fils de fer, mais j'ai pu faire une bonne observation de laquelle va s'ensuivre un bon travail, je l'espère.

Ne vous en faites pas, tout va pour le mieux puisque la nuit d'hier était pour moi la seule qui portait des risques. Nous allons inscrire une autre victoire au tableau.

Vive la France! Santé parfaite.

J'espère que vous êtes tous très bien portants et, en attendant de vos nouvelles, je vous embrasse tous comme je vous aime.

Votre fils et frère,

E. AUBERT.

Lettre de Lucien AUFRERE, Aspirant au 172e Régiment d'Infanterie, blessé mortellement à Bouchavesnes, le 26 Septembre 1916.

Cher Père.

Je t'écris à toi parce que tu es homme et que je ne veux pas chagriner
Maman.

Nous avons eu deux jours de repos. Ce soir, nous montons à l'attaque. C'est nous qui percerons; j'ai le coeur plein de fierté et de confiance qu'une aussi belle tâche nous ait été confiée.

Nous vaincrons.

Pendant plusieurs jours, vous ne recevrez pas de nouvelles, l'avance ne permet pas des rapports très suivis entre l'arrière et l'avant.

Enfin, Père, sois sûr que ton fils sera toujours au chemin de l'honneur.

Tous mes baisers.

LUCIEN.

Je pense bien à Maman, comme je la plains.

Lettre écrite par le Caporal Georges ANFRIE, 158e Régiment d'Infanterie, tombé au champ d'honneur, le 25 Août 1914, à Menil-sur-Belville (Vosges).

Je vous embrasse tous fort, et si la chance nous est défavorable, ce ne sera pas un cas isolé et ce sera pour la plus grande France. Souhaitons que cela finisse bientôt.

Gardez-moi tous les documents que vous pourrez trouver sur la guerre pour que je voie un peu comment cela a marché. Jusqu'à présent, nous n'avons pas eu trop faim.

Envoyez-moi de l'argent, s'il ne vous est pas plus utile. J'ai repris froid dans ces tranchées par les nuits fraîches et je me complimente d'avoir emporté ma ceinture bleue.

Ne soyez pas trop en peine, ne voyez pas qu'un cas particulier. Il faut avoir du courage pour vaincre et vous ce pourrez faire que nous pleurer.

Je vous embrasse.

GEORGES.

Lettre écrite par le Caporal Armand BAYLE, 109e Régiment d'Infanterie, tombé au champ d'honneur le 24 Septembre 1915.

BIEN CHERS TOUS,

C'est quelques heures avant le «Grand Coup» que je trace ces quelques lignes, renfermant tout mon espoir et tout mon coeur! Un vague pressentiment me dit que, en même temps que beaucoup de mes camarades, je suis appelé à y rester, sur ce terrible plateau de Lorette, où je combats depuis le mois de mars! C'est ma destinée qui l'aura voulu. Aussi ma dernière pensée est-elle pour vous, qui avez toujours été si dévoués pour moi, vous qui avez pris tant de peine, qui vous êtes tant privés pour me donner l'éducation que j'ai en ce moment. Aucun geste, aucune parole ne pourront vous remercier assez de tous les bienfaits dont vous m'avez comblé: une reconnaissance éternelle, voilà malheureusement tous les remerciements que je puis vous adresser; car au moment où vous recevrez cette lettre, je ne serai plus de ce monde.

Grande sera votre douleur, mais vous aurez une consolation. Votre fils sera mort en brave; il sera digne de vous, vous pourrez parler de lui, car il aura mérité de la patrie. Quelle plus douce consolation, en des temps si cruels où la vie d'un homme ne tient à rien.

Adieu, bien chers tous; que mon sacrifice soit pour vous un porte-bonheur. Ayez confiance comme je l'ai en ce moment, et que cette horde de sauvages soit bientôt acculée à la défaite.

Tous mes souhaits, tout mon coeur sont enfermés dans cette lettre, à laquelle je joins mes plus ardents baisers.

Votre malheureux fils,

ARMAND.

Lettre écrite par Georges BELAUD, 369e Régiment d'Infanterie, tombé au champ d'honneur.

MA CHÈRE YVONNE,

Ne te fais pas de mauvais sang. J'ai bon espoir de te revoir, ainsi que mon cher Raymond. Je te recommande de te soigner, ainsi que mon fils, car, tu sais, je ne te pardonnerais jamais s'il t'arrivait quelque chose ainsi qu'à lui.

Maintenant, si, par hasard, il m'arrivait quelque chose, car, après tout, nous sommes en guerre et, ma foi, nous risquons quelque chose, eh bien! j'espère que tu seras courageuse et sache bien, si je meurs, je mets toute ma confiance en toi et je te demande de vivre pour élever mon fils en homme de coeur et donne-lui une instruction assez forte et selon les moyens que tu disposeras.

Et surtout tu lui diras, quand il sera grand, que son père est mort pour lui ou tout au moins pour une cause qui doit lui servir à lui et à toutes les générations à venir.

Maintenant, ma chère Yvonne, tout ceci n'est que simple précaution et je pense être là pour t'aider dans cette tâche, mais enfin, comme je te l'ai dit, on ne sait pas ce qui peut arriver. En tout cas, nous partons tous de bon coeur et dans le ferme espoir de vaincre.

Pour toi, ma chère Yvonne, saches bien que je t'ai toujours aimée et que je t'aime toujours quoi qu'il arrive; et j'espère que, quand je reviendrai, tu ne m'en feras plus jamais le reproche.

Aussitôt que tu le pourras, pars pour Fontenay, car, à mon retour, j'aimerai mieux te trouver là-bas et, encore une fois, je compte sur toi et tu seras courageuse et je ne te fais plus de recommandations car je crois que ce serait superflu.

Pour m'écrire, renseigne-toi, je suis au 369e d'Infanterie, mais au lieu du 5e Corps, c'est au 20e.

Ton petit homme qui t'embrasse bien fort ainsi que mon cher petit
Raymond.

GEORGES.

Lettre écrite par le Lieutenant BENDER, Robert, 3e Chasseurs Alpins, tombé au champ d'honneur le 27 Août 1916.

22 Août 1916.

Chère Maria,

Toujours en bonne santé, mais la vie est dure; malgré cela, santé et moral à la hauteur; le marmitage est terrible et tout voltige en l'air; nous vivons dans les trous d'obus. Nous avons largement la supériorité, mais le travail sera dur; dans tous les cas, il ne faut pas reculer devant aucun sacrifice pour la Patrie et la paix victorieuse. Vive la France! Nous ne serons tranquilles qu'au moment où les Boches seront tellement bas qu'ils demanderont grâce, c'est alors seulement qu'on pourra leur imposer notre volonté sans pitié et surtout pas de paix boiteuse, car tout serait nul.

Chère Maria, ne te fais pas de mauvais sang à cause de moi, tu sais que je suis un soldat consciencieux, je donne l'exemple à mes hommes dans le danger comme en dehors, ma conscience est tranquille, je ne crains pas la mort, au contraire, je la regarde bien en face; si toutefois ma destinée est de retourner près de toi, je retournerai; si le bon Dieu décide autrement, il n'y a rien à faire; prie pour moi et mes hommes, c'est tout ce qu'on peut faire; moi, de mon côté, si un malheur doit m'arriver, je suis prêt. Hier soir, avant de partir, je me suis fait donner l'absolution de notre aumônier, je suis tranquille; si quelque chose doit m'arriver, il t'avertira ou le médecin en chef à qui j'ai donné mon argent et portefeuille. Haut le coeur. Vive la France!

C'est en face de la mort qui fauche autour de nous que l'on sent revivre les sentiments de la foi la plus vive. Dieu est vraiment là qui me protège et me garde, mais je suis bien résigné à sa volonté: s'il me conserve pour ma chère Maria et mon cher Alexandre, je l'en remercie; s'il juge que mon sang et ma vie sont utiles à la France, je serai heureux de tout sacrifier pour la Patrie.

Voilà trois nuits que je ne dors pas, mais le moral prime sur la fatigue et mes hommes sont merveilleux. Heureux ceux qui verront la victoire et le retour de ma chère Alsace à la France.

Reçois de ton Robert les meilleurs baisers, caresses à Alexandre.

Tout à toi.

ROBERT.

Dernier adieu de BERT, Paul, Sous-Officier au 43e Régiment d'Infanterie, tué à l'ennemi, le 25 Septembre 1916, à l'âge de 19 ans.

ULTIMA VERBA

Priez pour moi.

A MES PARENTS

  Si l'honneur du Pays, de ma jeune existence,
  Immole à son salut les rêves d'avenir,
  Que de ce sacrifice le noble souvenir
  Eteigne en votre âme une injuste souffrance!

  Surtout de l'holocauste ignorez le remords!
  De me revoir aux cieux que le pieux espoir,
  Ressuscitant ma vie à votre dernier soir,
  Donne à vos coeurs meurtris le pouvoir d'être forts.

Lettre écrite par le Sous-Lieutenant Ernest-Augustin BERTAULT, 132e Régiment d'Infanterie, tombé au champ d'honneur le 22 Septembre 1914.

Ma dernière pensée sera pour tous ceux qui me sont chers, et pour mon pays qui bientôt sera le plus grand et le plus fier de tous.

A mes camarades, je demande de croire avec quelle fierté je me suis trouvé parmi eux et quelle affection j'avais vouée à notre cher régiment. Qu'ils pensent à moi quand on sonnera au Drapeau.

Je demande, et ceci est ma dernière volonté, qu'on ne pleure pas ma mort. C'est un honneur de pouvoir donner sa vie pour une cause aussi belle que la nôtre; et mes enfants se souviendront, je l'espère, que leur père est mort au champ d'honneur.

On doit envier ceux qui sont tombés comme moi en soldat, face à l'ennemi. Nous monterons, nous autres morts, la garde éternelle et notre souvenir rappellera aux vivants qu'on ne doit jamais désespérer et que le droit primera toujours un jour ou l'autre la force.

Je prie Dieu qu'il m'accorde, si telle est sa volonté, de tomber au delà de la frontière, la vraie, celle d'au delà du Rhin!

Je laisse ma femme libre de disposer de mon corps comme elle l'entendra. J'aurais voulu reposer parmi mes hommes, mais je n'ose lui demander ce dernier sacrifice et la laisse libre de me faire inhumer à Reims dans notre caveau.

Vive la France!

Lettre écrite par le Caporal Robert BERTRAND, 407e Régiment d'Infanterie, tombé au champ d'honneur, en Artois, le 28 Septembre 1915.

Chers Parents,

Quand vous recevrez cette carte, je ne serai plus de ce monde; je l'écris quelques minutes avant l'attaque et ce n'est pas sans émotion que je m'entretiens pour la dernière fois avec vous.

J'ai chargé un fidèle ami de vous la faire parvenir; il vous narrera aussi mes dernières heures de vie.

Une recommandation: n'écrivez à personne pour vous renseigner à mon sujet, car on pourrait apprendre que c'est lui qui vous a annoncé ma mort, ce qui est formellement interdit.

Bien chers parents, j'ai le coeur bien gros en songeant à tous les bienfaits dont vous m'avez comblé et qu'une vie trop courte m'a empêché de vous rendre.

Je vous embrasse de tout mon coeur, chers aimés, et quand je serai là-haut, près de la chère maman, je veillerai sur vous, comme elle veillait sur nous.

Ne nous oubliez pas dans vos prières, ne vous laissez pas abattre par ce malheur: c'est la destinée.

Faites comprendre à tous ceux qui vous parleront de moi que je n'ai fait que mon devoir en empêchant l'envahisseur de venir vous inquiéter.

Je donne gaiement ma vie, en songeant que c'est une façon pour moi de racheter tous les sacrifices que vous vous êtes imposés.

Ne me pleurez pas trop, mais songez à moi.

Allons, le devoir m'appelle, j'y cours. Encore une fois de gros baisers.

Vive la France!

ROBERT.

Dernière lettre du Sergent Louis BIELER, 238e Régiment d'Infanterie Coloniale, disparu au combat de la Main-de-Massiges, le 25 Septembre 1915.

24 Septembre 1915.

Mon cher Père et mon cher Charley,

J'ai bien reçu vos bonnes lettres. Merci pour vos encouragements. Je les porte gravés dans mon coeur. Mon régiment attaque demain et ma compagnie est en première ligne. C'est vous dire, mes bien-aimés, que je touche à l'une des heures les plus solennelles de ma vie. Soyez sans inquiétude, j'ai fait ma paix avec Dieu, j'ai confiance en Lui et j'espère en sa bonté. Lui qui sonde les coeurs sait que j'ai horreur du sang. Je vais à la lutte sans haine contre nos ennemis, mais pour remplir mon devoir de bon Français, de soldat de la Liberté et de bon chrétien. Puissent les flots de sang généreux versés pour une cause sainte être le signal d'un magnifique renouveau pour notre France meurtrie … et puisse la paix du Seigneur régner à jamais entre les hommes.

Au revoir, mes bien-aimés. Merci pour votre bonne et réconfortante affection. Priez Dieu pour moi et pour votre fils et frère bien-aimé André et recevez les plus affectueux baisers de votre fils et frère.

LOUIS.

Lettre écrite par le Sergent Isaac-Henri BISMUTH, Régiment colonial du Maroc, tombé au champ d'honneur, le 24 Octobre 1916, au fort de Douaumont.

8 heures du matin.

Au front, le 22 Octobre 1916.

Cher Frère,

Je crois que c'est la dernière lettre que je t'écris. Je pars aujourd'hui, à 10 heures, en auto, à Verdun, et je monte probablement en ligne cette nuit. On attaquera dans deux ou trois jours, je t'assure que je ferai du bon travail; on attaque pour prendre le fort de Douaumont. Eh bien! on le prendra, on le gardera, et en plus, les Boches, on les aura.

Je laisse le caoutchouc que Mme Sebah a bien voulu me payer, chez une bonne femme qui habite Stainville; s'il m'arrive un malheur, tu le réclameras. Voici son adresse: Mme Gallois, rue Nationale, 57, Stainville (Meuse).

Je pars avec enthousiasme et espoir de vaincre; j'ai une mission à remplir, je la remplirai jusqu'au bout.

J'ai confiance en notre victoire et je t'assure qu'on aura l'avantage.

Donne bien le bonjour, etc.

Ton frère,

Henri BISMUTH.

Lettre de Henri BONHOMME, 63e Bataillon de Chasseurs Alpins.

28 Février 1915.

Ma tendre Jeannette,

Voilà quelque temps que je n'ai pas reçu de tes nouvelles, mais j'ose espérer qu'elles sont, comme les miennes, toujours bonnes. La température est un peu froide, il tombait un peu de neige au lever du jour, mais cela ne durera pas peut-être. C'est aujourd'hui dimanche. Les cloches tintaient délicieusement ce matin. Nonobstant le cliquetis des armes qui évoque le bruit des combats, elles n'en conservaient pas moins leur douce mélancolie et leur esprit évocateur. Leur mélodieuse voix, qui est celle de la famille, parlait à nos coeurs et c'est par elle que vos inspirations et vos voeux me sont parvenus. Oui, la France se bat sans méchanceté ni sans haine et c'est pour cela qu'elle aura la victoire.

Dans cet espoir, je t'embrasse éperdument, ma chérie, ainsi que mes chers enfants si sages et si beaux.

Henri BONHOMME.

Lettre écrite à ses jeunes élèves par l'Adjudant Henri BOULLE, Instituteur, tombé au champ d'honneur le 1er Janvier 1915.

31 Décembre 1914.

Mes chers enfants,

Nous voici arrivés à la fin de cette année 1914, qui aura sa place dans l'Histoire du monde.

Nous avons vécu le premier semestre ensemble, travaillant paisiblement, côte à côte, dans le calme et la paix.

Depuis Juillet, nous sommes séparés; et tandis que, grâce à l'héroïsme de nos troupes, vous pouvez continuer vos études dans la quiétude d'une ville préservée de l'invasion, je vis, pour ma part, au milieu d'horreurs inimaginables.

Maudits soient à jamais ceux qui, par orgueil, par ambition ou par le plus sordide des intérêts, ont déchaîné sur l'Europe un tel fléau, plongé dans la plus effroyable misère et ruiné à jamais peut-être tant de villes et de villages de notre belle patrie!

Maudits soient à jamais ceux qui portent et porteront devant l'Histoire la responsabilité de tant de souffrances et de tant de deuils.

Les siècles futurs flétriront leur mémoire. A nous, une autre tâche incombe.

Nous autres soldats, défenseurs de nos libertés et de nos droits, il nous faut redoubler d'énergie et de ténacité pour chasser à jamais de notre pays un ennemi qui a accumulé tant de malheurs. Il nous faut garder intacte la foi en la victoire finale, qui sera le triomphe de la justice. Il nous faut être prêts à risquer chaque jour notre vie dans les plus terribles des combats, prêts à endurer à chaque heure mille souffrances morales et physiques.

Tous ces sacrifices, nous les consentons avec bonne humeur, pour arriver au succès définitif.

Nous saurons garder aussi pieusement la mémoire des camarades qui, par centaines, tombent à nos côtés. Et rappelez-vous que le patrouilleur qui risque sa vie dix fois, pour fournir un renseignement à son chef, lequel aidera à la victoire, mérite notre admiration au même titre que le plus habile de nos généraux.

Mais vous aussi, mes chers amis, avez aujourd'hui votre devoir tracé. Songez que vous êtes l'espoir de demain. C'est votre jeune génération qui devra remplacer vos aînés tombés au champ d'honneur.

N'oubliez pas que notre France fut de tout temps à la tête du monde civilisé. C'est elle qui toujours, au cours des siècles, a fourni au monde les plus grands génies: artistes, savants, littérateurs, penseurs de toutes sortes. Cette renommée intellectuelle, artistique, morale de la France, c'est à vous, demain, de la soutenir. Le plus humble artisan, s'il apporte dans son travail quotidien tout son coeur et tout le goût de sa race, a contribué à cette tâche.

Ecoliers, étudiez donc courageusement en classe. Adolescents, complétez après l'école votre instruction primaire. Adultes, travaillez sans relâche à votre éducation professionnelle. Montrez demain au monde que la saignée qu'il a subi n'a point appauvri notre race. Montrez-vous dignes de vos aînés, de ceux qui relevèrent notre nation abattue au temps de l'invasion normande comme au temps de Jeanne d'Arc, au début du XVIIe siècle comme aux temps héroïques de la Révolution ou après l'année terrible de 1870.

Quelle que soit l'issue de la guerre actuelle, il faut que le génie français vive! Nous autres qui avons fait joyeusement le sacrifice de notre vie et qui demain peut-être serons morts, nous comptons sur vous pour cela, et nous vous léguons cette tâche avec confiance.

Et, puisque nous voici au terme de l'année 1914, faisons tous ensemble des voeux pour que bientôt reviennent dans notre beau pays, avec la victoire, la paix, le travail et le bonheur.

A tous au revoir et mon souvenir ému.

H. BOULLE.

Lettre écrite par le Sergent-Agent de liaison Félix BREST, 415e Régiment d'Infanterie, tombé glorieusement, face à l'ennemi, le 27 Septembre 1915.

24 Septembre 1915.

C'est demain que nous faisons l'attaque. Priez bien pour la France … et pour que le sang qui sera versé ne le soit pas inutilement. Je communierai ce soir, n'ayant pu le faire ce matin.

Lettre écrite par André BREVAL, tombé au champ d'honneur, à Nieuport (Belgique), le 24 Janvier 1916.

19 Janvier 1916.

Ma chère Maman,

Je t'envoie cette petite chose que j'ai faite ce soir en pensant beaucoup à toi. Je ne t'ai jamais donné de vers; ce sont les premiers; garde-les bien. Je les aime encore qu'ils soient médiocres, mais je les pense et cela me suffit.

  Ma mère, il fait un soir triste et pénible et noir.
  La solitude est âpre et grave et monotone….
  Je rêve doucement, et puis, soudain, m'étonne
  De l'image qui naît et qui rit dans le soir….
  Je regarde et lui ris à mon tour…. C'est toi-même,
  C'est toi dans le petit chez nous…. Sous l'humble toit
  Je te revois, gaîment réelle…. C'est bien toi,
  Ma mère, une bien vieille amie à moi que j'aime.

  Je t'évoque là-bas sous la lampe…. Il est tard….
  J'évoque ton image, et joyeux m'en pénètre.
  Tu travailles … tu lis … tu couds…. Ton cher regard
  S'absorbe en tout … médite et s'attache…. Peut-être
  Cherches-tu dans ton coeur encore une bonté?
  Déjà, vois-tu, je ne me sens plus attristé:
  Je pense à toi qui n'as pas de vérité feinte,
  Je pense à toi qui dois m'attendre impatiente,
  Je pense à toi plus chère encore dans l'attente,
  Oh! ma Maman, je crois en toi, ma bonne sainte.

André BREVAL.

Testament fait le 4 Mai 1915 par le Soldat Maurice BRIOT, tombé au champ d'honneur le 9 Juin 1915.

MES DERNIERES VOLONTES….

J'espère que ce carnet tombera entre les mains d'un frère et qu'il le fera parvenir à ma femme à qui je le dédie.

Je laisse à ma femme tous mes biens, propriétés bâties et non bâties.

Je lui reconnais comme sa propriété personnelle tous les meubles, le linge et les effets qui ont été achetés avec son argent personnel et en communauté.

Je lègue à ma filleule Renée Bernard la somme de 1.000 francs (mille francs) due par mon oncle à moi.

J'ai l'espoir que l'argent que je dois à mon père ne sera pas réclamé à ma femme. Je laisse le soin de payer mes dettes par ma femme sur ce que je lui laisse.

Ma dernière pensée sera pour tous ceux qui me sont chers, pour ma femme d'abord, puis mon père et tous les miens que ma mort pourrait attrister.

Je pardonne à tous ceux qui m'ont fait du mal et je remercie ceux qui m'ont fait du bien.

Je demande pardon à tous les miens pour toutes les peines que j'ai pu leur faire.

Je veux que ma mort n'achève pas la vie de ma femme. Je veux qu'elle se remarie avec quelqu'un qui l'aime comme je l'ai aimée, et qu'elle soit heureuse, à moins que, trop attristée de ma mort, elle consacre sa vie auprès de mon père qui mérite beaucoup d'affection.

Je tiendrais à ce que mon corps ou les débris de mon corps soient transportés dans le petit cimetière de Jardres, près de ceux qui me furent chers, et que l'on dépose sur ma tombe les fleurs que je préfère. Mais je tomberai peut-être entre les lignes, où les rats et les corbeaux se disputeront mes dépouilles, alors je serai enfoui dans la fosse commune.

Je veux que l'on pense quelquefois à moi comme l'on pense à un ami qui voulait vivre et qui maudit cette guerre qui m'a fauché avant de connaître la vie, en pleine santé et en pleine force.

Lettre écrite par Robert CAMUS, Sergent, 408e d'Infanterie, blessé mortellement le 3 Octobre 1918.

27 Août.

Cher Papa,

Dans ton mot du 15, tu me disais que Marcel Blondin était en permission et qu'il portait le galon de sergent automobiliste. Tant mieux pour lui, c'est un poste de toute sécurité. Je conviens qu'il a une belle chance. Quant à moi, j'estime que je suis à la place qui convient à mon âge et à ma situation. D'ailleurs, je n'ai nullement le pouvoir d'en changer. J'ai aussi comme une fierté de la souffrance qui le plus souvent est la compagne de l'homme sur la terre. Et j'ai confiance dans le retour pour vous revoir et vous aimer.

Trouve ma chance égale à tout autre puisque je suis demeuré intact au milieu des plus fortes tempêtes.

Ici, le secteur continue d'être tranquille. L'avant-dernière nuit, j'ai eu un poste d'inquiété par une patrouille, mais quelques grenades ont suffi pour la mettre en fuite.

Le temps a changé quelque peu. Nous avons eu deux orages. Les nuits se font déjà fraîches, surtout dans la vallée qui s'emplit de brouillard.

Je suis heureux que vous ayez terminé la moisson par un temps favorable.

Je vous embrasse tous de tout mon coeur.

Ton fils dévoué,

ROBERT.

Lettre écrite par Roger CAUVIN, 153e Régiment d'Infanterie, tombé au champ d'honneur, à la bataille de Verdun, le 9 Avril 1916.

4 Avril 1916.

Mon très cher petit père,
Ma très chère petite mère,

Nous partons demain pour les tranchées.

Avant de «monter là-haut», comme on dit, je voudrais effacer par mes paroles, sinon par mes actes, les tourments que j'ai pu vous avoir causés.

5 Avril 1916.

Hier soir, je me suis confessé et ce matin j'ai communié. J'ai demandé pardon à Dieu de mes fautes et aussi je lui ai crié mon amour.

A vous aussi, mes bien chers parents, je dois crier que je vous aime et que, après Dieu, vous êtes mes seules grandes affections.

Lorsque j'étais petit, vous vous êtes souvent privés pour moi et vous n'avez jamais hésité à faire un sacrifice pour me rendre heureux. Que de travail petite mère n'a-t-elle pas fait. Depuis vingt ans, petit père se fatigue à travailler le soir pour moi.

Devant tant de dévouement et d'amour paternels et maternels, je n'ai montré souvent qu'ingratitude et désobéissance, que mauvaise humeur.

Malgré mon attitude froide, ne croyez pas que néanmoins la plus tendre affection n'existait pas chez moi. Avec l'expérience et l'âge, j'ai appris à vous connaître et à vous aimer. Je vous ai comparés aux autres parents. J'ai toujours trouvé que vous étiez les meilleurs et surtout ceux qui voyaient le mieux l'avenir de leur enfant.

Cette lettre vous arrivera si un accident m'arrivait. Gardez un bon souvenir de votre enfant cher qui vous aime de toute son âme et qui fut vraiment heureux entre petit père et petite mère.

Je vous remercie de vos prières pour que Dieu me conserve. Que Dieu vous bénisse!

Votre enfant qui vous embrasse mille fois tous les deux et qui pense toujours à vous.

ROGER.

Lettre écrite par le Sergent François CAYROL, 2e Zouaves, tombé au champ d'honneur.

5 Juin 1916.

Mes chers parents,

Je vous ai écrit hier à mon arrivée et avant-hier pendant mon voyage. Je suis en bonne santé; je suis bien reposé; je suis maintenant tout à fait à mon aise. Comme je vous l'écrivais hier, il y aura bientôt un renfort pour le front; je dois en faire partie.

Deux officiers de ma compagnie y participeront aussi; je suis content de cela car ils savent ce que je peux valoir et sûrement ils me garderont auprès d'eux.

Le départ de ce renfort est très proche, peut-être aura-t-il lieu après-demain. Ainsi mon désir va être exaucé; j'aurai attendu, contrairement à mon attente, sept mois pour affronter à nouveau les dangers de la lutte. Cette perspective me réjouit; je ne serai vraiment qu'au combat à mon poste véritable de soldat.

Ne soyez pas en peine pour moi; car s'il y en a bien un qui doive être en peine, c'est moi. J'ai confiance en ma destinée; même si ma vie devait être ravie, je n'en exprime aucun regret, car je l'ai offerte en sacrifice à Notre Souverain Créateur, pour le salut de notre chère France, de notre Patrie bien-aimée. Je suis heureux infiniment de pouvoir, présentement, faire ce que le devoir me trace. Je suis infiniment heureux de pouvoir, à l'époque actuelle, me battre pour une noble cause.

Deux honneurs au lieu d'un: défendre sa Patrie et combattre pour les principes sacrés et intangibles de la liberté et de la justice.

Ne devons-nous pas remercier Dieu de l'occasion qu'il nous donne de l'aimer. Oui, à mon avis, répandre son sang et accepter la douleur, pour une fin juste, c'est faire un présent agréable à Dieu. C'est lui témoigner qu'il ne nous a pas mis en ce monde en vain.

Placés au carrefour de deux chemins, la voie du bien et la voie du mal, nous avons choisi la voie épineuse du bien, car c'est la seule qui nous permette de goûter aux joies pures durant les haltes pendant lesquelles nous nous arrêtons pour poursuivre plus sûrement notre route.

Nous souffrons en ce monde, mais la souffrance nous purifie. Un être qui souffre excite la pitié et c'est par la pitié que nous obtenons le pardon de nos fautes. Oh! la pitié! comme c'est beau! Est-il un sentiment plus beau que celui-là? C'est lui qui, jusqu'à présent, m'a remué le plus profondément le coeur. C'est lui qui éclaire beaucoup d'âmes et qui incite aux nobles résolutions.

Ces pensées-là, que j'exprime tranquillement dans la solitude, j'ai tenu à vous les communiquer à une époque décisive de mon existence. Pendant la guerre, jusqu'à présent, j'ai pris deux décisions graves.

La première a été de défendre mon pays comme tous les Français l'ont fait au début de la campagne, ou tout au moins comme la plupart l'ont fait, c'est en bon fils de la Patrie, soucieux de la sauver d'un grand péril.

La deuxième a été de recommencer, non plus dans les mêmes conditions. C'est, maintenant, en possession de mon libre consentement. Aux yeux du monde, j'avais fait ce que je devais, et la blessure grave que j'avais reçue me dispensait de retourner sur la ligne de feu. Ma retraite à Belgrade aurait pu durer très, très longtemps, ma position me paraissait assez fixe pour une durée très longue, peut-être pour jusqu'à la fin de la guerre. Cependant, ma conscience me disait que ça ne suffisait pas. La France était toujours en danger et avait besoin plus que jamais de l'aide de tous ses fils. Certes, la résolution prise alors a été pénible dans ses suites. J'ai eu des heures de découragement et de lassitude. Comme le dit si bien l'Evangile, «Le vent brûlant du désert souffle souvent dans le coeur de l'homme et le dessèche. Mais il y subsiste toujours une petite fleur». A plusieurs reprises, des occasions se sont présentées pour me soustraire à ce que je considère comme mon devoir. Maintenant, rien ne paraît s'opposer à son accomplissement. Aimer et servir ses parents plus que son prochain, aimer et servir sa Patrie plus que ses parents.

Je vous embrasse tous bien, tous bien fort.

Votre fils qui vous aime bien tendrement,

FRANÇOIS.

Lettre écrite par le Conducteur André CHAPELLE, de la S.S. 104, tombé au champ d'honneur.

…Dire que nous croyions avoir tout vu dans l'Artois! Cela me paraît peu de chose auprès de la vie que nous allons mener ici!… Boue, rafales de grésil, froid, pluie qui cingle, vent glacial, brouillard, les marmites par-dessus tout cela! Et toujours en pleine nuit, sans aucune lanterne, naturellement. Il y a bien les fusées qui illuminent à giorno, mais c'est plutôt une gêne qu'une aide. Le meilleur, c'est encore Astarté, reine du Ciel. Malheureusement, c'est huit ou dix jours par mois. Aussi, nous continuons à suivre des yeux le calendrier, comme dit Bugeon. Je te prie de croire que nous sommes au courant des phases de la lune! Quant aux routes, défoncées, pleines de trous, ça ne change pas; première vitesse et du cinq à l'heure! Souvent, quand on revient, on ne peut plus passer: un 210 a coupé le chemin. Hier, avec un camarade, nous étions ainsi de chaque côté d'un entonnoir. Que faire? Et moi, j'avais des blessés! Il a fallu chercher un détour: cela a duré deux heures; pauvres malheureux blessés, avec ce froid!… Mais tu connais tout cela, et l'immobilité qui vous glace, et le morceau de viande gelée avec un quignon de pain, et les nuits dans les postes, avec le tintamarre du canon, et les quelques heures de sommeil (!) dans quelque coin, enroulé dans une couverture mouillée; je me demande comment nous résistons…. Nuits de front, les fusées, les cris lointains, les fusillades subites, l'inquiétude, la fièvre, les plaintes des blessés, et puis ces minutes d'exaltation de tout l'être, où l'on accepte…. Car nous autres, comment flancherions-nous, quand nous voyons tous ces pauvres camarades que nous transportons, dont nous tenons la vie entre nos mains, et qu'un coup de volant heureux peut sauver en les faisant arriver cinq minutes plus tôt sur la table d'opération! Mais je crois bien que je vais me vanter! à toi!… Et puis, je suis de ton avis, est-ce que cela existe auprès des fantassins? Eux, eux seuls, et voilà tout. Et dire que Paris ne se rendra jamais compte!… Moi, quand je les vois, je me dégoûte et je m'injurie. Enfin, quoi faire? Tu as le bonjour de Charles Brémond, etc….

Lettre d'André CHASSEIN, Soldat au 149e Régiment d'Infanterie, arrivé du Brésil le 16 Mars 1915, parti au front le 18 Juin 1915, mort un mois après, le 17 Juillet 1915, à Angres (Pas-de-Calais).

Parents chéris,

Je fais suite à ma lettre d'aujourd'hui pour vous annoncer que l'ordre vient d'arriver qui nous envoie en deuxième ligne, dans les abris souterrains; nous serons là pour appuyer immédiatement les lignes avancées du feu et prendre leur place dans deux, trois ou quatre jours. Nous quittons nos cantonnements de semi-repos ce soir, à 8 heures et, dans quelques heures, je serais, avec mes camarades, prêt à entrer dans la fournaise.

Il vient de pleuvoir mais le temps de ton grisaille est redevenu clair; aussitôt l'artillerie a recommencé de plus belle, et en ce moment les «marmites» boches tombent très près de nous.

Je crois qu'il est inutile de vous répéter que je pars avec toute confiance et que j'espère fermement être parmi vous pour célébrer et nous réjouir de la victoire finale. Mais si la chance vient à m'abandonner et que je reste dans la glorieuse lutte, je vous en prie, consolez-vous à l'idée que ce sacrifice était nécessaire et que j'aurai su mourir vaillamment pour notre pays et notre cause. Vous verrez qu'en somme, la rançon du sang est bien minime, car combien sont au feu dans notre famille pour défendre notre nom contre l'ignoble brute qui nous a attaqués?

Soyez forts si une telle épreuve vous était réservée, mais au moins vous pourrez relever la tête avec fierté et dire: Il a su faire son devoir….

Je ne veux pas vous donner des idées tristes et vous faire de la peine, mais ces quelques lignes étaient nécessaires: un homme doit savoir regarder froidement devant lui et envisager courageusement toutes les hypothèses. Nous sommes à une époque où il faut être pratique et même matériel. Donc, si j'ai été obligé de vous exposer tout ce préambule, c'est pour vous dire que tout ce que je possède vous reviendrait entièrement dans un tel cas. Je ne ferais que vous retourner ce qui vous appartient: n'est-ce pas là le fruit de l'éducation et des soins que vous m'avez donnés? Il n'y a aucun doute et je vous en dois encore une reconnaissance infinie, que mes plus profonds remerciements ne sauraient exprimer suffisamment.

Vous trouveriez également dans mes papiers une sorte de testament qui ne ferait que développer ce que je vous ai dit plus haut en une ligne. Et, pour avoir une idée plus complète des trois années que j'ai passées au Brésil, ouvrez toute ma correspondance, parcourez-la, de même qu'un livre à couverture verte sur lequel j'avais eu un jour la prétention de prendre des notes et d'en faire une sorte de Journal. Dans mes boîtes de clichés, vous trouverez quelques photos de moi qui ne sont pas trop mauvaises, vous choisirez et pourrez vous en servir.

Voici maintenant exposé tout ce que je pouvais avoir à vous dire. Je ne laisse rien derrière moi qui ne se comprenne et j'ai pris toutes mes dispositions; après un long baiser, le plus grand qu'un fils affectueux puisse envoyer à ses père et mère chéris, j'appartiens maintenant à la France; puisse-t-elle me ramener sain et sauf et victorieux si c'est la volonté du Tout-Puissant.

André CHASSEIN.

Lettre écrite par Marcel CLAROT, 27e Régiment d'Infanterie, tombé au champ d'honneur devant Verdun, au bois de Vaux-Chapitre, le 28 Juillet 1916.

Ma Maman et ma Mé adorées,

Si ce mot vous parvient, c'est qu'un événement bien triste vous sera arrivé et qu'il me sera arrivé malheur. Supportez avec courage, je vous en supplie, cette nouvelle épreuve que le Ciel vous envoie et ayez de la fermeté, c'est la plus grande joie que vous pourriez me causer. Je suis tombé pour sauver la France envahie et gravement menacée; je serai tombé au champ d'honneur pour elle, pour tous et pour ne pas laisser tant d'amis et de Français sans vengeance. Soyez braves et songez que la mort ne m'effraie aucunement. Je suis prêt pour paraître devant Dieu; c'est même un bonheur qu'il m'ait appelé en de si bonnes conditions. Pardonnez-moi si je vous ai causé quelquefois de la peine, je m'en repens; pardon pour tous ceux que j'ai pu offenser.

Je vous embrasse toutes deux le plus fort de mon coeur, ainsi que
Clémentine toujours bonne.

Marcel CLAROT.

Je mourrai en songeant à Dani, à vous et à Dieu. Adieu à tous mes parents.

Lettre écrite par le Sous-Lieutenant Paul COLIN, 18e Bataillon de Chasseurs à pied, tombé au champ d'honneur, à Douaumont, le 20 Avril 1916.

13 Avril 1916.

Ne jamais exécuter un ordre sans avoir reçu le contre-ordre, principe très militaire, une fois de plus vérifié! Le Bataillon, subitement arrêté dans sa marche vers le repos, a été envoyé de l'autre côté de la Meuse et maintenant nous attendons les événements dans une ancienne grande ville. Quand vous recevrez cette lettre, il est probable que nous serons cette fois au repos pour de bon, car notre séjour ici doit être court.

Je viens d'assister et de prendre part à une cérémonie touchante. Nous pouvons monter en ligne d'un moment à l'autre, peut-être cette nuit, peut-être demain, peut-être dans plusieurs jours. L'aumônier a dit ce soir, à 7 heures 30, une messe «des vivants et des morts», comme il a dit en commençant. Un sermon court comme il sait en faire et sachant remuer le coeur de tous, officiers et hommes, effrayant peut-être un peu sous l'habit bleu, mais amenant quand même un regard de fierté et une petite larme à l'oeil de ces braves chasseurs. «Nous sommes à Pâques, dit-il … ceci est une messe de Pâques…. Pâques dont vous vous souviendrez…. Pâques de guerre…. Pâques de lutte!! Jour d'union, je dirai plus, jour de communion. Pour communier, il faut être à jeûn, il faut se confesser…. Vous sortez de table et vous n'avez pas le temps de vous confesser … à l'impossible nul n'est tenu … que ceux qui veulent recevoir l'absolution s'agenouillent.» Et, dans un mouvement sublime, l'église (ou plutôt la grange, car de la cathédrale il ne reste qu'une cloche intacte au milieu des décombres) l'église entière s'est agenouillée, et d'une voix qu'il affermissait à grand' peine, l'aumônier a donné l'absolution à tous ces hommes, puis la communion…. «Votre musique, c'est le canon», avait-il dit à un moment de son prône, et, en effet, en ce moment, l'artillerie faisait rage! Puis la messe s'est terminée au milieu des cantiques.

De nouveau, l'aumônier prit la parole: «Mes enfants, j'ai oublié quelque chose, j'ai oublié votre pénitence, la voici: allez! et battez-vous bien!» Et la grange s'est vidée dans un silence de mort, et en sortant j'ai entendu cette réflexion venue je ne sais d'où: «Heureux ceux qui croient». Oh! comme il a dit vrai! dans un pareil moment, tout est beau….

J'avais vu des messes impressionnantes, j'avais vu des choses bien dures, jamais je n'ai été ému comme je viens de l'être … et tout le bataillon était là.

Que vous dirai-je maintenant? La confiance illimitée dans laquelle je suis en ce moment. Il me semble que je vais à une simple promenade et j'y vais le sourire aux lèvres!!!…

Embrasse.

A quand la prochaine lettre?

PAUL.

Lettre écrite par le Soldat COLIN, tombé au champ d'honneur le 2 Juin 1918.

Mes parents bien-aimés,

Si cette lettre vous tombait entre les mains, c'est qu'Eloi, votre fils, ne serait plus. Si ce malheur arrivait, ne me pleurez pas car je n'aurais fait que mon simple devoir que j'avais à coeur d'accomplir et pour lequel je vous ai fait tant de peine. La seule chose que je vous demande, c'est de me pardonner la peine que je vous fis en voulant m'engager.

Bénissez et priez pour moi.

Je m'arrête, car ces lignes vous broient le coeur. Courage, la victoire est à nous et vive notre chère Patrie!

Mes derniers baisers à vous tous que j'ai tant aimés. Adieu et vive la
France!

COLIN.

Lettre écrite par César COLOMA, 5e Régiment d'Infanterie, tombé au champ d'honneur, le 23 Janvier 1917, à Troyon.

Cher Papa,

Nous venons du repos; maintenant, nous voici dans les tranchées, les obus, les marmites ne cessent pas de nous passer sur la tête, mais on y est habitué, et puis il faut marcher. Et que je sois tué ou blessé, c'est toujours pour la Patrie.

Ma chère Maman, ne t'en fais pas pour moi, si je ne reviens plus, c'est pour Dieu et pour la France que je le fais; en avant et bon courage, et puis encore un mot, je te défends de t'habiller en noir, cela n'est pas nécessaire.

Papa, ne t'en fais pas, c'est pour la France.

C. COLOMA.

Lettre adressée par Auguste COMPAGNON, Sergent au 56e Régiment d'Infanterie, tombé au champ d'honneur en allant secourir un camarade blessé, à Somme-Suippes, en Champagne, le 7 Octobre 1915, au Président de l'Association de la Presse Chalonnaise, à propos de félicitations envoyées par cette Association.

10 Mars 1915.

…Mon mérite est si mince! C'est d'avoir fait, mes chers et braves amis, ce que vous auriez tous fait à ma place, dans l'ardeur de votre patriotisme, qui n'est pas inférieur au mien, bien au contraire. Si l'âge, si un état de santé précaire ne vous avaient contraints de rester à l'arrière, tous vous étiez prêts à marcher de l'avant, comme moi, et plus vite que moi, et à faire, vous aussi, de vos poitrines généreuses, un rempart à la mère Patrie.

Mais vous ne l'avez pas pu, et c'est moi le plus privilégié de vous tous; j'admire comment le grand bonheur que j'ai d'avoir pu faire mon devoir peut m'attirer, au surplus, des félicitations aussi douces que les vôtres.

Combattre pour la plus noble des causes: être de la grande foule des défenseurs du plus beau des pays, être du côté de la justice et de l'Humanité contre le plus barbare des envahisseurs: figurer,—oh! bien obscurément,—mais figurer tout de même dans le plus grand drame de l'histoire; avoir le moyen de centupler la valeur de sa vie misérable, en l'immolant, s'il le faut, au triomphe de tout ce qu'il y a de plus précieux en ce monde, quel destin inespéré, mes amis, et combien il nous dédommage amplement de tous nos sacrifices, nous qui avons pu être les combattants!

A. COMPAGNON.

Lettre écrite par Jean CONQUET, Aspirant au 122e Régiment d'Infanterie, quelques jours avant d'être frappé mortellement, le 7 Mars 1916, à Soupir (Aisne).

Celui qui tombe à l'ennemi ne meurt pas.

Si j'ai cet honneur insigne, je ne veux pas qu'on me pleure.

En faisant part de ma «perte glorieuse», on dira devant mon nom, mon grade et puis mes titres civils de licencié et diplômé de l'H.E.C, le tout suivi de la mention «tué à l'ennemi». Pas de flaflas, champ d'honneur, etc., la vérité, c'est tout.

On respectera la tombe de fortune que la bataille m'aura donnée. Sur nos tombeaux de famille, mon nom et l'endroit où je dormirai.

En face de mon nom, sur l'Annuaire H.E.C, on fera mettre la lettre «T» en italique et on demandera que cette indication remplace le «D» habituel pour tous les camarades tués à la guerre.

Mon deuil ne sera rien auprès de celui de l'Alsace-Lorraine pendant quarante-quatre ans.

C'est une joie de périr en refaisant la France.

Jean CONQUET.

Lettre écrite par l'Aspirant Jean CONTl, 7e Chasseurs Alpins, tombé au champ d'honneur le 5 Novembre 1916.

Chers parents,

C'est demain, à 5 heures, que nous partons rejoindre notre bataillon vers l'Alsace. Ne vous faites pas de mauvais sang, ne pleurez pas, je vais faire mon devoir et le faire de mon mieux. Tout le monde le fait, son devoir, et il serait lâche de ma part de reculer devant l'honneur de défendre sa Patrie.

Songez, mes chers parents, que je vais commander là 60 poilus, moi jeune aspirant de 19 ans.

C'est, il est vrai, une bien lourde responsabilité et je ne la prends qu'après avoir mûrement réfléchi; si je l'accepte, c'est plein d'espoir dans la Victoire, dans la Revanche.

Lorsque j'étais petit et que je lisais déjà les récits de la guerre de 1870, je ne rêvais dans ma jeune cervelle que désir de vengeance; j'aurais voulu être grand pour aller à la guerre, pour tuer le plus possible cet Allemand détesté; je ne le connaissais pas encore, mais lorsque, plus âgé, je lus des livres sérieux où l'on montrait ce que faisait l'Allemagne, ses efforts vers une puissance militaire toujours plus grande, j'ai compris que la guerre était inévitable; je la considérais comme telle et je souffrais que mon cher pays de France se laissât aller à des rêveries, à des songes plus ou moins utopiques, irréalisables. Ah! nous parlions de paix, nous autres, de fraternité, d'amour entre les peuples et nous ne voyions pas, de l'autre côté du Rhin, les hommes blonds aux yeux bleus qui préparaient la guerre; leurs philosophes, leurs penseurs nous traitaient de pourriture qu'il faut à tout prix supprimer, et nous, bêtes que nous étions, nous parlions de désarmement.

Un jour, le canon a grondé sur le Rhin: c'est la guerre; des gens s'affolèrent, d'autres, plus calmes, qui l'avaient vue venir, restèrent calmes. La guerre déchaînée par l'Allemand a ravagé notre pays; partout on voit des femmes en deuil, des jeunes filles qui pleurent, des soldats amputés; c'est à nous, jeunes gens, que revient l'honneur aujourd'hui de refouler le Boche. Et vous pleureriez, chers parents, en me voyant partir … non, n'est-ce pas? Vous vous dites: «Il va où son devoir l'appelle: il va chasser l'envahisseur du sol sacré de la France». Oui, c'est à nous à le bouter hors de France, comme jadis Jeanne d'Arc bouta les Anglais.

Ce devoir, pour périlleux qu'il soit, je ne le céderais pas pour tout l'or du monde.

Et si, chers parents, je meurs dans la bataille, vous pourrez être sûrs que votre fils chéri est mort en bon Français, la poitrine face à l'ennemi, en entraînant ses hommes.

Chers parents, ne pleurez pas votre petit enfant, soyez certains qu'il va faire son devoir et qu'il le fera jusqu'au bout.

Soyez forts, je vous enverrai tous les jours, si je le puis, de mes nouvelles. Au revoir, à bientôt, je reviendrai victorieux! vous serez fiers de moi.

Je vous embrasse. Votre fils dévoué qui vous aimera toujours,

CONTI.

Lettre écrite par le Sous-Lieutenant Conrad CRAWFORD, de l'Infanterie américaine, tombé près de l'Ourcq, à Sergy, le 1er Août 1918.

(Au front.) 13 Juillet 1918.

Ma chérie Mère,

Ce soir, je passerai au front, dans les tranchées du vrai front, les places des chauves—«bald-headed row»—pour ainsi dire. Tandis que j'ai une confiance absolue dans ma bonne chance et que je me battrai jusqu'au bout quand j'en aurai l'occasion, je t'écris ces lignes seulement au cas. Quand tu les auras reçues, tu sauras bien que tu ne reverras plus ton fils cadet. C'est ma prière de m'en aller d'une façon dont tu seras fière.

Quoique bien des lieues nous séparent, Mother dear, je te vois clairement, j'entends ton rire, je ressens ton amour si grand pour moi, et c'est avec une douleur saisissante que je me rends compte de la possibilité de ne te rejoindre plus. Mais toi, tu ne dois ressentir aucune douleur. Tu devras être fière, tu le seras, je le sais bien, du sacrifice que toi, avec des milliers d'autres mères, auras dû faire.

Mon amour pour chacun de vous, et surtout pour la plus chérie mère du monde, est si grand que je ne saurai m'amener au point de dire adieu. Notre bien-aimé père n'est plus là, mais j'espère qu'il sait que j'ai fait mon devoir au mieux de mon possible et que je paierai le sacrifice suprême fièrement et sans regret. La vie d'un homme dans cette guerre ne vaut pas le claquement des doigts.

Eh bien! espérons que, dans les mois à venir, nous nous amuserons bien de cette lettre.

Avec tout l'amour du monde à chacun de ma famille,

Affectueusement ton fils,

CONRAD.

Il y a aussi un dernier voeu que je te prie instamment de m'accorder. Si je tombe en France, permets que mes restes y soient enterrés; c'est-à-dire ne dépense pas d'argent pour les transporter aux Etats-Unis. Je n'ai aucun sentiment à ce propos, et je serai fier de m'endormir à tout jamais dans ce merveilleux petit pays.

Lettre écrite par le Sergent Charles CROSNIER, 355e Régiment d'Infanterie, tombé au champ d'honneur, le 27 Septembre 1915, à la Ferme Navarin.

23 Septembre 1915.

Ma chère Mère,

J'ai reçu hier ta bonne lettre contenant la carte d'Henri; je n'ai pas encore reçu de ses nouvelles.

C'est avec plaisir que j'apprends que Monsieur Viron t'a envoyé le montant de ce qu'il me devait. J'espère, chère mère, qu'avec cette somme tu pourras faire face aux dépenses de plusieurs mois; prends surtout tes précautions pour ceux d'hiver qui ne vont pas tarder.

Par ce courrier, j'écris à Madame X… J'ai eu des nouvelles de Monsieur Z…, de Béthune, par un de ses cousins, un jeune homme que j'ai rencontré tout à fait par hasard à Hesdin; il me paraît supporter allègrement la guerre en faisant de bonnes et grosses affaires.

Je crois, chère mère, que le grand coup est pour demain ou après-demain, le régiment y prendra sans doute part, je puis même dire certainement. Dire que l'on voit venir ce moment sans une petite appréhension serait mentir, mais je t'assure, ma bonne mère, que nous l'envisageons tous avec calme et confiance. Je crois que nous sommes maintenant bien préparés pour donner une bonne correction à notre ennemi maudit, et peut-être aussi pour le chasser tout à fait de notre chère France, de la Belgique. La Paix alors ne serait pas éloignée et ceux qui auront la chance d'échapper au carnage pourront retrouver ceux qu'ils aiment.

Si je ne suis pas de ceux-là, ma bonne mère, tu devras assurer ton existence, car il est trop tard pour que je te guide. Mais tu as tous les renseignements nécessaires pour obtenir ce qui m'appartient; je te rappelle que mes papiers sont chez Monsieur Bryon, 112, rue de Savoie, à Bruxelles; Mademoiselle Bertha, mon employée, se mettra certainement à ta disposition pour te donner tous les renseignements au sujet de mon entreprise; tu devras l'indemniser pour sa collaboration durant la guerre; je te laisse le soin pour la façon dont tu devras le faire.

Entoure-toi des conseils de Monsieur Guison, dont l'amitié m'assure son dévouement à ton égard. Pour toutes les affaires, comme il sera indispensable que tu produises l'acte de décès, tu devras t'entourer de tous les renseignements. Adresse-toi au Colonel ou au Commandant de la 20e Compagnie quand tu seras quelques jours sans recevoir de mes nouvelles; je te promets, chère mère, de t'écrire chaque jour, ne serait-ce qu'un mot; tiens compte toutefois des difficultés de correspondance.

Je te souhaite une bonne santé et reçois, ma bonne mère, les bons baisers de ton fils.

CHARLES.

Lettre écrite par l'Adjudant Georges CUVELLE, 63e Régiment d'Infanterie, tombé au champ d'honneur.

24 Septembre 1915.

Mon cher Léon,

Nous n'avons plus le temps de les faire longues, nos lettres.

C'est demain le grand jour!!

Tu verras les journaux. J'ai grand espoir que tout ira bien. Aussi, en attendant que tout soit fini, je t'embrasse bien fort.

GEORGES.

Lettres écrites par le Caporal réserviste Baptiste DEBONNE, du 3e Zouaves, blessé mortellement, le 7 Septembre 1914, à la bataille de la Marne.

Zemmorah, 3 Août 1914.

Cher Père,

Je t'écris ces quelques lignes avec sang-froid. Je pars demain à destination d'Oran au 3e Régiment de Zouaves. Je pars content de défendre notre chère France. Si je meurs, tu seras fier de dire un jour: «Mon fils est mort pour la Patrie». Tu reporteras ton affection sur tes autres enfants.

Adieu, cher père, je vous embrasse tous du plus profond de mon coeur et surtout ma maman chérie.

Ton fils chéri,

BAPTISTE.

Paris, 18 Septembre 1914.

Cher Père,

Les forces me manquent pour pouvoir te faire une longue lettre; tu peux croire que j'y mets toute ma bonne volonté pour t'écrire ces quelques lignes.

Je suis tombé blessé le 7 Septembre au combat de la Marne. J'ai reçu le boulet dans le dos en pleine force et cela a produit la paralysie. Les balles qui m'ont traversé le genou et l'avant-bras droits ce sont des balles qui se trouvaient dans le boulet. Le dos aussi a été traversé par une balle; le carnet que j'avais dans ma veste a arrêté une balle.

J'espère guérir, mais il faudra du temps. La paralysie n'est due qu'à la forte commotion. Je n'ai besoin de rien. Le jeudi et le dimanche, les Parisiens et les Parisiennes viennent nous rendre visite et nous inondent de friandises.

Enfin, cher Père, du courage; il faut espérer que je guérirai.

Je t'embrasse bien fort, sans oublier ma maman chérie, mes soeurs, mes frères et le petit Thomas.

BAPTISTE.

Lettre écrite par René-Anselme DEFARGE, Lieutenant au 107e d'Infanterie, tué à la bataille d'Ecurie, le 25 Septembre 1915.

25 Septembre 1915.

Mes chers parents,

Nous venons d'occuper de nuit nos emplacements de combat. Tous les préparatifs ont été faits, tout a été réglé minutieusement pour que rien ne soit laissé à l'imprévu qui peut être réglé d'avance. C'est du temps de gagné—des vies humaines pour aujourd'hui et pour l'avenir.

Depuis quatre jours, nous avons déchaîné sur le front allemand un formidable ouragan de fer. Jamais, même aux heures les plus difficiles, nous n'avons connu cela. Et si les Boches viennent, c'est qu'ils ont du coeur au ventre. Ce matin, dernière main à la préparation: crapouillots, 75, marmites de petit et de gros calibre, tout y va. Déjà la tranchée s'est rougie, un peu de sang a coulé, quelques-uns ont payé leur dette et au delà. Tout à l'heure, ce sera la ruée. Partout, dans le Nord comme en Champagne, nous allons leur tomber sur le poil! Il faudra bien que le rideau crève quelque part. Nous pouvons nous attendre évidemment à de gros sacrifices, une troupe d'assaut doit savoir les supporter. Il faut y aller de plein coeur, comme dit le généralissime, jusqu'aux pièces d'artillerie. Il faut traverser tout ce labyrinthe de sapes, de mines, de tranchées et de boyaux pour gagner la plaine et leur tailler des croupières. Il faudra, cette fois, ne leur laisser aucun répit, les talonner sans relâche jusqu'à l'extrême limite de nos forces. Les hommes sont décidés, ils en veulent. La perspective d'un autre hiver dans les tranchées les effraie beaucoup plus que l'assaut, je crois; et un gros succès ranimera les coeurs défaillants et retrempera les volontés pour la continuation d'une lutte que le monde … civilisé se doit de mener jusqu'au bout. Du reste, quand on a commencé une besogne, si pénible soit-elle, il faut l'achever pour en savourer les fruits. Et quand on se sacrifie pour un pays comme la France, on est payé par la pensée réconfortante que le plus noble idéal qui soit au monde ne périra pas. Et puis, nous sommes de la lignée des Bayard, des Jeanne d'Arc, des Henri IV, des Turenne, des Hoche, des Marceau, des Bonaparte, et leur sang ne peut pas mentir. Nous verrons bien. Voyez-vous que nous allions coucher à Douai!

Je ne pourrai certainement pas vous écrire de quelques jours de façon régulière; ne vous affolez pas et n'allez pas avoir des pressentiments, ce qui serait maladroit. Attendez pour savoir.

En tout cas, si je tombe, je vous le répète encore, je serai mort joyeusement, quelque pénible que soit la pensée de me séparer de vous; je serai mort sans regret parce qu'il y a des heures où la vie sans l'honneur ce n'est rien, des heures où il faut se jeter tête baissée dans la commune mêlée sous peine de se renier et de n'être plus qu'un corps sans âme.

Vous trouveriez dans ma cantine et dans ma panière ma Croix de Guerre, le seul héritage précieux que vous feriez de moi, et des photographies que j'ai pu prendre depuis la semaine. C'est un recueil intéressant, encore que j'eusse pu faire beaucoup mieux. J'ai sur moi, au moment du combat, mon kodak et mon portefeuille contenant ma citation. On les retirerait si possible et on les mettrait dans ma cantine.

Vous embrasserez mes oncles et tantes pour moi et vous leur direz mon affection. Je vous prie de croire à ma tendresse et vous embrasse très fort.

RENÉ.

Lettre écrite par Jean DELACHE, tombé aux champ d'honneur le 26 Août 1917.

Ma chère Maman,

D'après les lettres que tu m'as envoyées, je vois que tu n'as pas encore reçu une des miennes d'il y a quelques jours; j'espère qu'elle ne sera pas égarée. Les tiennes me sont toutes parvenues et les colis dont tu me parles avec elles. Je t'en remercie beaucoup. Les pommes ne sont pas abîmées du tout et la saucisse a l'air très bonne. Tu ne vas plus être aussi tranquille à mon sujet car demain on remonte en ligne et, comme je te l'ai dit, il y aura peut-être du nouveau. Je ne peux pas t'en dire plus long. On parlera des événements après leur échéance. Ne te fais pas trop de mauvais sang, ce n'est pas la peine, tu le sais bien. J'ai moi-même bien du mal à me faire une raison.

Tu me pardonneras si je ne réponds pas à tout ce que tu me dis dans ta lettre, car je ne peux plus mettre la main dessus et je ne me rappelle plus très bien de son contenu. Tu me demandes si tu peux m'envoyer l'Anabase de Xénophon, je le veux bien, il me sera toujours utile. Je continue, en effet, ma grammaire grecque dont j'ai vu une quarantaine de pages et sans ce malencontreux retard ça pourrait encore aller plus vite, mais l'on ne fait pas toujours comme l'on veut dans ce sacré métier.

Mais il paraît qu'après cela on va descendre au grand repos, pendant quelque temps. Cette façon de procéder est peut-être meilleure. Je ne vois rien à te dire de plus, l'existence est si peu variée, heureusement!

Je ne peux, en terminant, que te dire de t'armer de courage et t'embrasser tendrement.

Ton fils qui t'aime,

JEAN.

Lettre écrite à sa femme par Louis DEROCHE, 27e Régiment d'Infanterie, tombé au champ d'honneur, à Dolwing, le 20 Août 1914.

17 Août 1914.

J'ai reçu hier, au petit jour, le baptême du feu! Ce fut gentil tout plein. A la première décharge, un schrapnell, fusant sur mon escouade accroupie, traversa d'une balle le sac de mon camarade de gauche, déchira ma bretelle de fusil, rasa la figure du Caporal et d'un dernier plomb, le plus tragique, traversa le bras de mon vieux Faivre.

Pas une minute d'émotion!

…Nous sommes restés jusqu'à 3 heures de l'après-midi sous le feu de ces cochons-là. Qu'ils tirent mal et quelle inutile gabegie d'une marchandise qui coûte si cher!

…Ma compagnie, qui est des plus éprouvées, vient de se retirer en arrière et en réserve de façon à prendre un repos bien gagné.

…Tu ne saurais croire, mon petit ange, combien la proximité du danger agit salutairement sur l'âme de ton gosse. Je vis en une communion continuelle avec Dieu, dans lequel ma confiance augmente sans cesse. Ainsi, je lui dois mon calme, qui n'est pas une des moindres assurances contre le danger. Je lui ai promis, ainsi qu'à la Vierge d'Etang, que, si nous nous retrouvons bientôt heureux, chaque année, nos enfants et nous, feraient le pèlerinage de Velars….

J'ai enterré ce matin les deux morts de ma compagnie, pour lesquels j'ai dressé une croix et récité une prière. C'est à toi, mon amie, que je dois ce petit courage.

…Adieu, mon petit gosse, je te quitte. Continue d'être l'ange des deux foyers que j'ai quittés pour un temps. Il suffit que j'emporte ton coeur pour que ni la joie, ni l'espoir ne puissent s'envoler de dessous ma capote.

Je viens de revoir avec joie mon ancien Commandant du 10e. Il m'a causé affectueusement. Il m'a annoncé que la victoire se dessine sur tous les fronts.

LOUIS.

Lettre écrite par Médard-Paul DEVLAEMINCK, 41e Régiment d'Infanterie coloniale, tombé au champ d'honneur, à Souchez, le 1er Octobre 1915.

Ma chère Mère,

Merci pour ton petit trèfle à quatre feuilles; je conserve précieusement cette petite herbe que mes copains envient beaucoup. Hier soir, nous avons démoli 30 Boches, pas notre compagnie, mais le 1er bataillon. Figure-toi que, dans le secteur du 1er bataillon, les tranchées se touchent avec les Boches. Alors, un officier bavarois et 30 hommes ont sauté dans la tranchée, la nuit; l'officier boche est rentré dans une cabane occupée par les marsouins et a tué d'un coup de revolver un de ceux-ci; alors, le caporal l'a enfilé comme une crêpe. Ensuite les marsouins ont entièrement massacré les 30 Boches, aucun prisonnier. Furieux, les Boches ont voulu attaquer et ont encore reçu une pile; pour se venger, ils ont bombardé un village voisin toute la nuit; nous, on roupillait comme des Suisses; on est habitué à cette comédie, tu dois t'en douter.

…Ce soir, nous remontons aux tranchées, nous avons ordre de crier à notre tour: vive l'Italie! et de chanter la Marseillaise; ça, c'est pas la paix, mais enfin, ça fait un peu de changement. Ne te fais pas de mousse avec cela, dors tranquille….

…Notre secteur n'est pas mal placé, les Boches sont à environ 200 mètres de nous et seulement à 40 mètres des autres secteurs; nous sommes cette fois en forêt, nous habitons à cinq par villa; c'est pas cher comme loyer, nous avons un bail renouvelable tous les douze jours, car nous restons quatre jours dans les tranchées; si tu voyais notre cambuse, tu aurais le sourire: à la porte, il y a sculptures dans la pierre blanche, car les tranchées sont creusées dans la pierre; il y a la tête de la République et je t'assure que l'artiste du 43e Colonial qui l'a faite n'est pas un apprenti; en dessous est écrit: «Vive la République démocratique et sociale»; en plus, de l'autre côté, également dans la pierre, est inscrit: «Villa des cocus». Donc, ton fils habite «Villa des cocus». Ça sent la guerre, hein, à plein nez et je vois Valentine sourire. Nous ne sommes pas mal logés, pour le prix, on ne peut pas crier, on ne peut pas se plaindre….

Ce matin, pour venir, qu'est-ce que nous avons pris comme bain de pieds: il était tombé de l'eau toute la nuit, et nous en avions jusqu'aux genoux, nous étions dans la joie, car plus nous sommes dans la mouise plus nous avons le sourire. Tu vois, voilà les Poilus de la République…

DEVLAEMINCK.

Lettre écrite par Augustin DOUNET, 81e Colonial, tombé au champ d'honneur.

4 Juin.

Bien chers amis M. et Mme Gelin,

Je ne saurais trop dans quelle idée j'écrirai cette lettre. Que devez-vous penser de ce soldat qui venait parfois se faire payer toutes sortes de gâteries pendant les longues journées d'hiver. Que vos caresses et belles paroles lui faisaient oublier les jours de guerre. En effet, c'était plus la guerre que de vivre auprès de vous, mais le bonheur. Croyez-vous qu'il vous a oubliés? Non. Tous les jours j'y pense, à ces soirées récréatives, et voudrais pouvoir vous dédommager de tant de peine. Mais maintenant, malgré ma bonne foi, je ne peux vous être agréable que par ma lettre. Ça fait rien. Il faut espérer que cette guerre ne durera pas longtemps maintenant et qu'après tant de peine on pourra se revoir contents et glorieux de notre dévouement. C'est pour vous que je parle, car nous autres, c'est rien en comparaison de ce que vous fîtes pour nous.

Avant de finir, laissez-moi vous parler un peu du paysage pour changer les idées. On ne peut pas toujours parler de la terreur qui malheureusement court toutes les langues européennes. Nous avons passé en arrière pour prendre un peu de repos, dont je pense avoir envoyé un mot à mes dévoués amis. Mais tout marche à merveille. Tout le monde travaille et avec entrain. Aussi pas de terre inerte. Les récoltes sont élégantes et semblent vouloir fructifier. C'est beau que de voir la terre couverte d'une verdure qui pousse, et dans notre passage semble nous dire: défends-toi et le sol te nourrira. C'est beau pour moi de voir que le coeur des Français n'oublie pas leurs braves soldats et s'efforce pour faire le travail de leurs chers qui pour le moment sont au service commun. Les grands arbres qui couvrent la route nous donnent une fraîcheur exquise pendant le cours des marches militaires: au-dessus viennent lancer leurs joyeuses chansons les petits oiseaux. C'est beau le pays à cette belle saison du printemps. Les belles prairies qui vont nous donner leur fourrage nous embaument par leurs charmantes fleurs qui bornent la route. Rien n'est à comparer à notre sol français. On y trouve de tout. Aussi les Boches voulaient s'en emparer, mais trop tard, maintenant ils peuvent repartir chez eux. Nous n'en voulons plus de leurs tableaux sur notre terre sacrée, terrain que nos pères ont su conserver et que nous sommes appelés à défendre.

Il paraît qu'il s'est livré un gros combat naval. Peut-être sera-t-il une bonne preuve d'épuisement de cette terrible nation qui croyait nous anéantir sans reprendre, aussi l'a-t-on surnommée l'Aigle; quant à présent, c'est plus qu'un vautour. Dans tous les cas, vivement que ça finisse pour revoir tous ces braves qui ont su se dévouer et surtout faire patienter les braves soldats. Grâce à leur savoir viendra le jour où nous serons vainqueurs, et rentrant dans leurs foyers pourrons revoir ces braves, les félicitant, les remerciant de leur dévouement qu'ils ont su nous inspirer.

En attendant ce jour, recevez, mes braves amis, les plus grands souvenirs et le gage de la plus profonde amitié.

AUGUSTIN.

Lettre écrite par Marcel DUCREUX, engagé volontaire au 4e Régiment mixte de Zouaves, tombé an champ d'honneur.

Fin Décembre 1914.

Mes chers parents,

Accroupi dans la paille d'une modeste maisonnette de village, un sac en manière de pupitre, je suis heureux de pouvoir vous envoyer mes voeux de bonne année, s'il est possible qu'en les circonstances actuelles l'année 1915 soit pour quelques-uns pas trop douloureuse.

Ces voeux sont aussi les vôtres et un peu ceux de tout le monde, ils se trouvent confondus en un seul espoir, celui de se trouver réunis, en bonne santé, au grand jour de la Victoire française définitive.

Le général Joffre a lancé à tous ses soldats une proclamation dans laquelle il fait savoir que, pour en terminer avec la situation présente et chasser les Allemands de notre sol, un grand coup reste à frapper et que pour cela il compte sur tous.

Tenons-nous donc prêts pour ce sublime assaut libérateur.

En ce qui me concerne, mes chers parents, sachez que ni l'énergie, ni la notion du devoir ne me feront défaut et qu'à quelque prix que ce soit, je serai ce que vous m'avez appris à être, un bon Français et un homme de coeur.

Mon cher Papa, ma chère Maman, mes chères petites Soeurs, recevez les baisers remplis d'effusion de votre petit soldat bien-aimé.

Marcel DUCREUX.

Lettre écrite par Henri-Rémy DUHEM, 147e Régiment d'Infanterie, tombé au champ d'honneur, à l'assaut des Eparges, le 20 Juin 1915.

18 Juin 1915.

Cher Papa, chère Maman,

Je suis arrivé au but. Ma pensée est uniquement occupée de vos souvenirs que je savoure seul silencieusement aux instants rares de répit et qui reviennent vifs comme la réalité présente.

Malgré l'éloignement matériel, je sens plus que jamais que notre coeur bat identiquement, que notre cerveau fonctionne identiquement, que nos nerfs et notre sang ne font qu'un. Oui, nous sommes philosophes.

Je suis soumis à des forces majeures éventuelles, je les connais; si elles se présentent je les accepterai. Mais mon énergie n'en est pas moins toujours tendue, prête à tenir tête aux événements.

J'accepterai sans sourciller l'inévitable.

Intéressez-vous à quelqu'un qui le mérite et rattachez-vous à l'Art.

Rémy DUHEM.

Lettre écrite par le Sergent A. DURAND, 68e Régiment d'Infanterie, tombé au champ d'honneur.

Ma chère petite Femme,

Mes chers petits Enfants,

Au cas où Dieu voudrait qu'une balle meurtrière vienne me ravir à l'affection de ma chère Marguerite, de mes enfants chéris, de mes parents bien-aimés, tous vous trouverez une consolation en sachant que la mort m'a surpris prêt à faire le grand voyage et que du haut du ciel, où j'espère vous retrouver, mes prières remplaceront tout ce que j'aurais pu faire pour vous ici-bas.

Pour toi, ma chère petite femme, ta vie est brisée! Hélas! nos beaux jours ont été courts et peu nombreux et tu ne doutes pas que c'est pour moi un cruel crève-coeur que de penser que peut-être je ne vous verrai plus.

Mais quand même je veux agir en Français, en chrétien et en père de famille, en faisant mon devoir. Si donc la mort me frappe, mon dernier baiser, mon dernier soupir, seront pour toi, ma chère petite femme, mes petits enfants et mes parents.

Ma chère Marguerite, tu trouveras une précieuse consolation et un fidèle souvenir en ces enfants charmants, Jeanne et Maurice. Apprends-leur le souvenir de leur père qui les aimait à la folie. Enseigne-leur l'amour de Dieu, l'amour du travail, fais-leur donner une bonne éducation, en un mot, fais-en un bon fils, une bonne ménagère.

Conservez donc mon souvenir, mes Chéris, et soyez persuadés que, quoi qu'il arrive, je pense toujours à vous tous et que je ne veux pas me sacrifier inutilement, n'oubliant pas que j'ai une femme et des enfants, mais que si Dieu le veut et que le devoir m'appelle je me conduirai en soldat.

Au revoir, ma petite femme adorée, tu fus sans cesse l'objet de mes soucis, j'emporte ton amitié qui n'a que grandi pendant la longue et cruelle séparation que nous a imposée cette guerre.

Vous embrasse tous bien tendrement, une dernière fois peut-être.

Au revoir, mes chers parents. Prenez ma place et secondez ma chère
Marguerite.

A. DURAND.

_Lettre écrite par Maurice DUTHU, 109e Régiment d'Infanterie, tombé au champ d'honneur le 14 Juin 1917.

Après la soupe, j'avais commencé à vous faire réponse, installé dans les bureaux de la Compagnie de Béthune, fosse 6. Je ne sais si nous avons été repérés par un avion, toujours est-il qu'au moment où j'écrivais, arrive, gratis et franco, un obus dans la cour; un éclat traverse le vitrage de la salle où j'étais—merci!—et vient jusqu'à mes pieds après avoir descendu toutes les vitres dans un fracas épouvantable. J'ai eu juste le temps de me baisser assez pour ne pas être criblé de verre; je l'ai échappé belle cette fois encore. Heureusement que je tenais ma lettre à la main; ç'aurait été une belle feuille de papier perdue….

Maurice DUTHU.

Lettre écrite par le Lieutenant Jacques EBENER, 112e Régiment d'Infanterie, tombé au champ d'honneur le 19 Janvier 1917.

Ma chère Maman,

Le jour où tu liras ces mots, je ne serai plus de ce monde. Tante Marie, qui a toujours été si affectueuse pour moi, se chargera de te les faire parvenir.

…Voilà, ma chère maman, ce que j'avais à te dire et maintenant que je suis disparu, tombé glorieusement pour mon pays, je te demande autre chose: ne pleure pas ma mort, elle est la plus belle de toutes et, sous ton voile noir, tu auras le droit de lever fièrement la tête; et puis, qu'est-ce que la vie? Dans quelques années, tes souffrances seront finies et tu viendras me rejoindre dans l'au delà où le mal n'existe plus. Là, nous serons réunis, j'en suis sûr, car je t'ai trop aimée pour que nous ne soyions pas réunis un jour pour jamais en quelque essence supérieure qui vivra dans une béatitude éternelle. Dis-toi cela, ma chère mère, et cela t'aidera, pendant le temps qui te reste d'existence terrestre, à supporter ta douleur comme la supportaient les mères spartiates et romaines. Donner son fils à la Patrie, quand cette Patrie est la France, qu'y a-t-il de plus beau pour une mère?

Lettre écrite à sa mère par le Sous-Lieutenant Raymond D'ESCLAIBES D'HUST, 17e Bataillon de Chasseurs à pied, mort au champ d'honneur, le 3 Septembre 1916, devant Barleux.

1er Mars 1916.

Voici donc arrivé le jour fatal qui devait confirmer ce que tous deux pensions sans oser nous le dire, tant les paroles en eussent été cruelles; notre cher disparu, mon père bien-aimé, nous a quittés et nous ne le reverrons jamais. Dieu lui a réservé la plus belle récompense, la mort en héros, face à l'ennemi, et il n'est pas de doute possible qu'il ait pris avec lui cette âme d'élite à tous points de vue. Mais pour nous quelle affreuse réalité!… Je ne puis me figurer notre malheur, je ne puis envisager notre vie complètement sans lui, quoique la longue et pénible attente ait distillé peu à peu notre souffrance. Ce n'est qu'à la fin de cette guerre que nous la sentirons complètement. Quand nous serons tous deux seuls, combien sa présence nous manquera! La guerre est une phase de l'existence pendant laquelle les nerfs se tendent plus qu'ils ne le peuvent, mais quelle détresse terrible quand la réalité sera là! Il faut avoir notre état d'esprit actuel, qui nous fait considérer la mort comme la réalisation de nos plus beaux rêves de gloire, et la séparation d'avec les nôtres comme un sacrifice nécessaire au salut de notre chère Patrie, pour que ce coup ne nous frappe pas avec une violence plus grande encore et que nous puissions le supporter. Cher père! Quel exemple pour moi! Jamais je ne serai seulement à la cheville de cette magnifique nature que je respectais comme celle d'un parfait chrétien et d'un Français digne de son nom glorieux.

Dernière lettre du Lieutenant Marcel ETEVE, tué le 20 Juillet 1916.

19 Juillet.

Je suis retourné cet après-midi jeter un coup d'oeil sur le chaos des entonnoirs avoisinants: je ne reviens pas sur l'impression causée. Puis, des banquettes de notre tranchée, je regarde à la jumelle les éclatements sur les bois, les villages et les châteaux que tiennent les Boches. C'est épouvantable. Le beau temps semble aujourd'hui revenu, et notre artillerie lourde en profite pour faire ce qu'on appelle du beau travail. Quelles énormes colonnes de fumée noire, avec des éclatements en boule blanche! Quelquefois, un panache de fumée noire, comme une éruption de volcan. Les Boches ne doivent pas être à la noce. Et de derrière nos premières lignes partent aussi des torpilles. C'est la danse complète. Il faut s'en réjouir. Mais c'est toutefois un spectacle peu à l'honneur de l'homme.

Et nos pauvres villages qu'on est forcé de détruire de fond en comble pour les reprendre, et encore avec peine….

Pour me distraire de tout ce que je vois, j'ai lu hier soir, dans ma niche, Le Roi Lear, que j'ai trouvé traînant par là. Cela me rappelle un bon temps déjà loin, une belle soirée chez Antoine….

J'ai eu surtout hier, pour me mettre du baume au coeur, ta bonne lettre, avec ton joli jasmin: merci, la maman. Nous manquons de fleurs ici: sur le plateau, on ne voit comme floraison que, de loin en loin, émergeant du chaos d'entonnoirs, des piquets à fils de fer boches, à forme de tire-bouchons: c'est assez joli….

Et les communiqués sont bons.

Espérons, et aimons-nous fort, fort….

Lettre écrite la veille de sa mort par Prosper FADHUILE, Sous-Lieutenant au 29e Bataillon de Chasseurs à pied.

Maman chérie,

Je suis redescendu, hier, des premières lignes, où nous sommes restés cinq jours, devant le fort de Vaux.

Le bataillon a été superbe de courage et, pour ma part, je n'ai pas une égratignure.

Ce soir, deux compagnies choisies remontent pour attaquer par surprise; j'ai été choisi pour mener aussi la danse avec les meilleurs chasseurs du bataillon.

L'affaire promet d'être chaude, mais intéressante; c'est pourquoi je suis fier et content d'en être.

Néanmoins, je laisse cette lettre à un de mes camarades, le lieutenant
Guillaume, qui te la ferait parvenir si je ne redescendais pas.

Maman chérie, j'ai beaucoup d'espoir et je compte que mon étoile ne pâlira pas ce soir. Mais, si je tombe, soyez certains que j'aurai fait tout mon devoir de chasseur.

Si, au dernier moment, quelques minutes me restent encore pour vous, je t'enverrai mes plus doux baisers. L'image de ma maman sera là pour me consoler; celle de mon père et de mes frères chéris pour me donner la force de mourir le sourire aux lèvres, trop heureux de tomber pour vous. Dans un long baiser à tous je vous dirai adieu.

P. FADHUILE.

P.-S.—Ma chère maman, il ne faut pas pleurer, ce serait mal; il faut être courageuse pour mon papa et mes frères.

Lettre écrite sur son lit d'hôpital par Géo FARRET, Soldat de 1re classe, quelques jours avant sa mort.

Limoges, mardi 15 Septembre 1914.

Chers Parents,

C'est ici que j'ai échoué après avoir passé quarante-huit heures dans le train.

Bien content d'arriver la nuit dernière. Je suis dans un hôpital aménagé, selon les circonstances, dans une ancienne caserne.

Je n'y serai point mal.

Les voisins de lit sont Parisiens et l'on cause et l'on rit.

Admirablement bien soignés par docteurs et dames de la Croix-Rouge.
C'est heureux que je suis ici pour assez longtemps.

J'ai la jambe droite assez abîmée par un éclat d'obus et une légère blessure au bras droit.

Ne vous inquiétez pas, que ce soit long ou court, que ce soit douloureux ou non, il y en a tellement qui y laissaient leur peau!

Et puis, si je souffre, je suis content que ce soit pour quelque chose qui mérite qu'on lui sacrifie tout.

Tous mes amis et camarades de la compagnie étaient jeudi matin morts ou blessés, je ne sais. Le 72e est très décimé (11e compagnie, il restait 70 hommes sur 250).

Soyez heureux au moins de la certitude que vous avez maintenant. Je vous embrasse de tout coeur, papa, maman, Jacques.

N'oubliez pas d'embrasser pour moi bonne tante, tante Aimée et tous les
Maufroy.

Géo FARRET.

Lettre du Sergent FILIPPINI, Pierre, 7e Régiment d'Infanterie, 7e Compagnie, tombé au champ d'honneur, le 25 Septembre 1915, à l'âge de 19 ans.

Mon cher Henri,

Excuse-moi de ne pas t'avoir écrit plus tôt, mais toujours j'attendais de tes nouvelles et c'est par mon frère que j'apprends que tu venais d'être malade.

D'après ce que mon frère m'écrit, j'ai cru comprendre, pardonne-moi si je me trompe, que la question physique n'était pas la seule cause de ta maladie. Je me permets de te dire cela, mon cher petit Henri, parce que je crois être assez lié avec toi pour te le dire sans crainte de paraître indiscret. Si, par hasard, tu as quelque chose qui te pèse sur le coeur, dis-le-moi, je serais très heureux de pouvoir te réconforter; ce ne seront pas des conseils d'un homme que je te donnerai, mais ceux d'un jeune homme à qui la vie vient de se dévoiler sous un autre jour. J'ai souffert, depuis que j'ai quitté Bordeaux, physiquement et moralement et même oserai-je dire sans fanfaronnade plus que tu le peux chez toi, près des tiens. J'ai connu les affres de la faim, du froid et de la mort. J'ai vu sept de mes camarades réduits en bouillie près de moi, je me suis vu deux fois enterré et à moitié asphyxié. J'en sors indemne, c'est un miracle, et pourtant moralement et physiquement je ne me suis jamais si bien porté. Pourquoi? Parce que je suis heureux de faire mon devoir, parce que je sais que je deviens meilleur et que maintenant je suis mon maître.

Te souviens-tu de cette dissertation française de Monsieur Gain dans laquelle étaient cités ces beaux vers de Musset:

  «L'honneur est un apprenti, la douleur est son maître.
  Et nul ne se connaît tant qu'il n'a pas souffert.»

Nous les avons analysés ensemble à l'époque où nous étions réellement heureux et souvent maintenant dans la dure épreuve je me les rappelle et toujours ils me réconfortent. Oui, mon pauvre vieux, j'ai souffert et souvent le découragement et la maladie auraient pu s'emparer de moi, mais je ne suis pas seul, je suis gradé et moi, encore enfant, je suis responsable à tous les points de vue de l'existence de cinquante hommes, malheureusement presque tous pères de famille. C'est pour cela que je suis fort et que la maladie n'aura pas de prise sur moi.

Il en est de même pour toi, ne te décourage pas et continue tes études jusqu'à l'heure où la France t'appellera d'elle-même pour la servir. Je ne veux pas dire par là de délaisser les plaisirs, non, loin de là, chaque chose a son temps.

Depuis que je t'ai écrit, j'ai voyagé; j'ai traversé la France et j'ai vu presque tout le front. Je suis parti de la Marne, je suis allé à Paris, j'ai été dans l'Oise, à côté de Soissons; j'ai été à l'attaque du saillant de Quennevière. Je suis allé dans la Somme, dans le Pas-de-Calais, du côté d'Arras, et me voilà de nouveau dans la Marne. Eh bien, j'ai toujours été d'égale humeur, aussi gai le jour où j'ai pris le boyau de Quennevière que le jour où j'étais à l'arrière, à côté d'Amiens, à m'amuser avec des camarades. Tu vois que ce n'est qu'une affaire de volonté et celui qui veut peut.

Tu n'as qu'à réagir, mon cher Henri, et si tu as quelque chose, dis-le-moi, tu me feras plaisir.

Avec toute l'affection que j'ai pour toi, ton camarade qui t'aime bien.
Ecris-moi vite. Je suis proposé pour sous-lieutenant.

Ton vieux,

P.-A. FILIPPINI.

Lettre écrite par Guy DE BOYER DE FONS-COLOMBE, 303e Régiment d'Infanterie, tombé à l'attaque de Vermandouillers, le 4 Septembre 1916.

3 Septembre 1916.

Ma chère petite Maman,

Hélas! vous pleurerez en lisant ces lignes: votre fils sera mort pour la France, Dieu l'aura voulu ainsi et sûrement pour son bien. Ma chère maman, je veux une dernière fois vous écrire combien je vous aime; mon grand chagrin en pensant à ma mort est de penser à votre peine, pauvre chère maman; je ne serai plus là pour soutenir tant d'espérances, mais je serai là-haut auprès de mon père et nous nous retrouverons. La vie éternelle est tout! Je sais combien votre magnifique foi vous soutiendra. Enfin, je serai mort en plein combat, après avoir reconquis un peu de notre sol de France; on ne peut envier une plus belle mort; je vous supplie de conserver votre courage. Dieu n'éprouve que ceux qu'il aime et au milieu de vos enfants et de vos petits-enfants vous revivrez en les regardant vivre.

Priez pour moi, chère petite maman; je n'ai pas besoin de vous parler ainsi, vous m'avez donné le grand exemple de la religion et je vous en remercie. Dieu vous dispensera la force. Que je regrette, à la veille de l'attaque, de ne pouvoir vous embrasser une dernière fois, vous redire l'immensité de ma tendresse. J'aurais été si heureux d'essayer de vous rendre encore un peu heureuse en vivant une vie qui vous eût plu. J'embrasse avec toutes les forces de mon coeur mes frères et mes soeurs pour lesquels j'ai une telle affection; que tous se souviennent quelquefois du petit frère. Que l'on parle de lui. Au revoir, adieu, chère petite maman chérie. Si je continuais, je pleurerais peut-être et sous le canon on ne pleure pas….

…Je vous embrasse, ma mère chérie, merci de la tendresse de votre coeur pour moi, merci de m'avoir tant aimé.

GUY.

Lettre écrite par le Lieutenant Henri FOURNIER, 176e Régiment d'Infanterie, tombé au champ d'honneur le 13 Août 1915.

Mes chers Parents,

Nous embarquons ce soir pour les Dardanelles; je vous écris ces mots à la hâte car je n'ai pas une minute. Nous allons vraisemblablement à un sérieux coup de torchon. Si j'en réchappe, et je l'espère, je me dépêcherai de vous donner de mes nouvelles.

Je vous embrasse tous du fond du coeur et espère vous revoir bientôt. Si je ne reviens pas, acceptez mon sacrifice avec un coeur fort, en vous disant que je ne regrette rien et que je serai content de pouvoir donner ma vie pour mon pays, heureux surtout si nous avons la victoire.

Je vous demande pardon de vous causer peut-être de la peine en vous écrivant ces lignes, mais l'instant est critique.

Je ne vous en dis pas plus. Ayez confiance quand même et croyez que je reste malgré tout confiant dans le succès final.

Encore une fois, mille et mille baisers de votre fils qui vous aime.

HENRI.

Poème contenu dans la dernière lettre de Gabriel-Tristan FRANCONI, tombé au champ d'honneur le 23 Juillet 1918.

17 Juillet 1918.

PRIÈRE A LA FRANÇAISE

  Le poing brisé d'avoir frappé l'envahisseur,
  Permets que poursuivi par l'invincible mort,
  De mon exil sonore, amante aux chairs perdues,
  Je rêve aux soirs heureux où j'encerclais, vainqueur,
  Et ne pressentant pas mon misérable sort,
  En mes bras fortunés, ta jeunesse éperdue.

  Vous aussi, notre mère, enclose en la maison
  D'où jadis s'envolaient nos désirs d'hirondelle;
  Toi, la plus tendre amie, aussi franche que belle;
  Vous, la femme inconnue et pourtant désirée,
  Anges éblouissants, Françaises adorées,
  Recueillez les soldats épuisés sous vos ailes.

Ton orage implacable énerve l'horizon.

  Quand la vapeur de soufre et les éclairs de flamme
  Calcineront ce coeur qui vous a tant aimées,
  Qu'il repose à jamais sur vos seins frémissants.
  Ne laissez pas la boue ensevelir nos âmes.
  Il serait dur qu'en vain fût versé notre sang,
  Veuillez le recevoir en vos mains parfumées.

Gabriel-Tristan FRANCONI.

Lettre écrite par FRAYSSE, 7e Colonial, tombé au champ d'honneur.

Le 25 Juin 1916.

Bien chers Amis,

Voici le moment arrivé où tout bon Français doit faire voir qu'il a du coeur. On croit qu'il y aura bientôt une offensive, moi, je n'en sais rien. Mais, par mesure de prudence, je viens vous adresser mes meilleurs souvenirs, vous remercier de tout le dévouement que vous avez bien voulu me montrer, vous souhaitant une bonne santé, une vieillesse heureuse. Nous allons peut-être courir la chance. Mais si la Providence veut que nous ne nous revoyions, ça va sans dire que mon amitié vivra toujours avec vous. Et une fois ce massacre terminé, je serai content de refaire une petite promenade pour oublier les dangers que nous aurons dû courir.

Recevez, Monsieur et Madame, la plus chère amitié d'un soldat qui vous aime.

FRAYSSE.

Lettre écrite par Fernand FROIDEFON, Aspirant au 2e Zouaves, mort au champ d'honneur.

Chère petite Maman,

Je suis parti en bon petit Français m'acquitter d'une dette sacrée et remplir jusqu'au bout avec calme ce devoir pour lequel tombent depuis tantôt neuf mois les meilleurs fils de notre belle Patrie.

Il faut libérer notre sol, il faut effacer à jamais de notre glorieuse histoire une souillure, il faut garder française la terre de nos morts, il faut préparer à une France nouvelle une ère de paix, il faut libérer à jamais les foyers de chez nous d'une guerre et il faut empêcher qu'un semblable cataclysme vienne encore dans quelques années déchirer des millions de coeurs et faire revivre ces heures affreuses; c'est dans ce but, petite mère, que j'ai voulu être officier français et c'est pour cet idéal que j'ai fait le sacrifice de mes vingt ans.

Puisque tu lis cette lettre, je suis tombé en brave et vers ma chère maison, vers la tombe de papa, mes dernières pensées se sont envolées.

Pauvre mère, ton coeur déjà torturé reçoit un nouveau coup, mais je te sais vaillante et forte; tu sauras trouver l'énergie nécessaire pour surmonter tes terribles épreuves dans la pensée que, plus heureuse, malgré tout, que beaucoup de mères françaises, il te reste un fils à élever, qui te donnera la satisfaction que tu dois attendre de lui.

Et toi, mon cher Emile,

Je te recommande maman, tu seras son soutien; c'est pour toi aussi que j'accepte volontiers le sacrifice, afin que ta vie soit tranquille et heureuse, que tu aies le bonheur qui ne m'est pas réservé de fonder un foyer; tu profiteras de tous les instants de ton existence en persévérant dans le droit chemin et en cherchant à travers toutes les épreuves ta satisfaction dans le bien.

Tu te souviendras de ton aîné, du petit officier de zouaves qui ne reviendra plus et tu associeras ma mémoire à celle de notre cher père; je revivrai ainsi en toi tant que durera cet hommage.

Chère Maman, Emile,

Je ne vous demande pas de ne pas me pleurer, je vous interdirais la seule consolation qui vous reste; mais sachez conserver de la modération dans votre peine; notre deuil récent et terrible nous a montré à tous le peu de prix qu'il convient d'attacher à la vie et il n'est pas sans noblesse de dévouer la sienne à un idéal.

Adieu donc.

Bonnes et affectueuses caresses de votre fils et frère qui vous a toujours aimés du plus profond de son être, plus que lui-même et que tout.

Fernand FROIDEFON.

Paroles prononcées par un pupille de l'Assistance Publique, sur le champ de bataille, quelques secondes avant sa mort:

«Ecrivez à Monsieur Mesureur que G… est mort à Verdun, qu'il est perdu dans un grand champ de bataille comme un jour il fut trouvé dans la rue.»

CERTIFICAT DE M. LE DIRECTEUR DE L'ASSISTANCE PUBLIQUE

_Vous m'avez demandé d'attester l'authenticité des dernières paroles prononcées par mon pupille G…, tombé au champ d'honneur le 22 mai 1916.

Je m'empresse de vous adresser copie exacte de la lettre par laquelle le
Lieutenant VOISIN, du 36e Régiment d'Infanterie, me les a rapportées:_

_«J'avais toujours pensé, mais le temps m'avait manqué jusqu'alors, à vous entretenir des dernières paroles du jeune G…, un de mes excellents petits soldats et l'un de vos assistés. Il a été tué à Verdun, le 22 mai 1916, à l'attaque de la forteresse de Douaumont; il est resté avant le boyau de Vigouroux, notre objectif.

«En revisant mes notes de campagne, je retrouve le passage de sa mort et ses derniers mots. Je me fais donc un devoir, et c'est pour moi un honneur, de porter à votre connaissance la phrase ci-dessous que j'ai recueillie sur le champ de bataille:

«Ecrivez à M. Mesureur que G… est mort à Verdun, qu'il est perdu dans un grand champ de bataille comme un jour il fut trouvé dans la rue.»

Veuillez agréer, Monsieur le Président, l'assurance de ma considération distinguée._

Le Directeur de l'Administration Générale de l'Assistance Publique:

Louis MOURIER.

Lettre écrite par le Sergent Auguste GARROT, aîné de quinze enfants, 158e Régiment d'Infanterie, tombé au champ d'honneur le 6 Avril 1916.

Mes chers Parents,

Si le grand malheur arrive, soyez forts pour le supporter; vous saurez que votre fils est tombé d'une mort glorieuse, face à l'ennemi.

C'est vous que j'ai défendus, mes chers parents, c'est ma Patrie, c'est la grande République, une et indivisible.

Grâce au sang versé naîtra la paix dont mes frères jouiront. J'étais l'aîné, il était juste que je les défende; ils ne connaîtront jamais, heureusement, les horreurs de la guerre.

Père, tu peux être sûr que ton fils n'aura pas eu une minute de défaillance.

Oh! papa, maman, et vous tous mes frères et soeurs, jusqu'au bout j'aurai eu vos noms sur mes lèvres.

Adieu. Vive la France!

Auguste GARROT.

Lettre écrite par GAUDARD, quelques mois avant de tomber au champ d'honneur, dans l'Aisne.

Hagiang, 7 Mars 1915.

  Chef de l'atelier de l'Artillerie
  HAGIANG (Tonkin)

Mon cher Edmond,

J'ai à Sontay reçu ta lettre et n'y ai pas répondu plus tôt parce que je pensais être rapatrié pour pouvoir prendre part à la guerre. Hélas! le sort m'est contraire et je dois rester à la frontière de Chine pendant qu'en France on se bat tout le long de celles du Nord et de l'Est. Et je ne suis pas seul dans mon cas. Ce n'est vraiment pas gai de se trouver, après vingt ans passés de service, à quatre mille lieues de son pays pendant que celui-ci a besoin de défenseurs. Or, je croyais pouvoir prétendre me rendre quelque peu utile, mais le sort et le commandement en décident autrement! Alors, il faut obéir, c'est dur en l'occurrence!!!

Encore une fois avons-nous la chance de voir la Franche-Comté épargnée.

J'ai passé de bien mauvais moments en pensant à vous et vos familles restés à Paris, au moment où ces brigands s'approchaient à marches forcées de la capitale. Je revoyais possibles les horreurs et la famine du siège précédent et je me figurais qu'à temps tu aurais rejoint Etrappe pour éviter le péril que je vise ci-dessus; car il n'aurait pas fallu songer à aller chez Julia, en cas de désastre, sa maison était destinée à être abattue la toute première, de par sa situation au pied du fort La Chaux; il aurait fallu au contraire qu'elle-même se réfugie à Etrappe. Vous n'y auriez pas été grands seigneurs, ni les uns et les autres, mais cela eût mieux valu que rester à Paris.

As-tu eu des nouvelles du gamin? Je suppose que oui. Toutefois, il est possible que, fait prisonnier, il ne lui soit pas possible de faire savoir où il est.

Je sais que François est rentré à Sochaux, où il travaille aux automobiles, que Daclin est en Alsace, qu'Edmond, d'Etrappe, est enrôlé. On m'a annoncé la mort de plusieurs soldats de chez nous, la capture de quelques autres. Et moi, mon cher frère, pendant ce temps, je ne fais rien, ou du moins pas mon devoir de fils de Franche-Comté.

Je suppose que vous êtes en bonne santé. J'espère aussi que, malgré le marasme des affaires, tu trouves à t'employer et ce, dans Paris même, en raison du départ de tous les hommes ayant l'âge de prendre les armes.

Je ne sais quand j'écrirai de nouveau; si la chance voulait que je rentre, je te ferais savoir mon arrivée en France depuis Marseille. Je finis mon séjour le 22 Juin prochain. La guerre durera encore plus tard, alors tant mieux pour moi, car j'y prendrai part. C'est, Edmond, mon plus grand, mon seul désir. Si j'y reste, eh bien, vive la France!!!

Embrasse tout le monde pour celui qui est et restera l'onchot.

GAUDARD.

Lettre écrite par le Maréchal des Logis Henri GAVARD, 21e Chasseurs à cheval, tombé au champ d'honneur.

Ma bien chère petite Maman,

Sois courageuse et ne te laisse pas abattre par la triste nouvelle de ma mort que je tiens à t'apprendre moi-même.

Oui, ma pauvre maman, comme tant d'autres, j'ai payé de mon sang mon tribut à notre belle Patrie. Il est toujours terrible de perdre ses enfants, mais songe combien tu peux être fière en pensant que tes deux fils sont morts en défendant l'honneur et la grandeur de notre France. Nous avons été à la peine: par toi qui dois nous survivre et qui vivras nous serons à la Victoire. Ce sera, sois-en sûre, bien chère petite maman, notre plus belle consolation.

Je demande à mon officier, Monsieur Carf, 21e Chasseurs à cheval, 128e Division, S.P. 48, par ma lettre rédigée en même temps que celle-ci, de te faire parvenir toutes mes affaires et de me faire enterrer, si c'est possible, dans un cimetière. Tu pourras correspondre avec lui à ce sujet.

Inutile d'annoncer ma mort à grand renfort de publicité, simplement, tout simplement aux amis.

Sois forte, ne te laisse pas décourager par ma disparition et vis pour le souvenir de tes deux fils.

Par l'au delà, si la vie se poursuit, nous nous retrouverons un jour. En attendant, je te donne, pour la dernière fois ici-bas, mes plus tendres, mes plus affectueux, mes plus reconnaissants baisers.

Au revoir à tous.

Ton HENRI.

Lettre écrite par le Lieutenant observateur MARTIN DE GIBERGUES, tombé au champ d'honneur, dans un combat aérien, le 5 Mai 1917.

…Si, les ailes brisées un jour dans le ciel bleu, je retombe sur la terre en retournant à Dieu, que ces lignes apportent à ma mère et à mon père les pensées dernières, les désirs, les rêves suprêmes de leur fils tant aimé!

Dès que l'avion mortellement blessé refusera tout travail, dès que l'accomplissement de ma mission sera impossible et ma tâche sur terre terminée, dès que la chute se précipitera, à quelques mètres à peine au-dessus du vacarme de la bataille, une paix infinie depuis longtemps attendue m'envahira et je la chanterai de toute mon âme: Gloria in excelsis Deo!… Oh! ces quelques secondes devant la souffrance et la mort, dont le monde a une telle horreur qu'il essaiera de les cacher comme abominables, vous les bénissez avec moi: elles sont une faveur du juge souverain.

A mesure que mon corps frissonnant s'approchera du sol, mon âme remontera plus légère à des hauteurs inconnues, la séparation se fera victorieuse.

Ce sera le Magnificat complet: la prière d'adoration au seul Dieu grand et miséricordieux, la prière d'action de grâce pour ce qui m'a été donné avec tant de largesse de tous côtés, la prière d'expiation plus pour ce que j'ai omis que pour ce que j'ai fait; et puis l'appel suppliant qui ne peut pas ne pas être exaucé, demandant la vie éternelle, la force et la consolation pour ceux que je laisserai, la miséricorde et la gloire pour la France bien-aimée, l'arrivée du règne de Dieu, Adveniat regnum tuum.

Cette prière sera toute mêlée de vous, mes parents bien-aimés, car je l'ai apprise de vous par vingt-huit années de parole et d'exemple.

Elle sera calme et douce malgré les apparences, elle respirera la confiance et la paix.

Lettre écrite par le Soldat GLATIGNY, 301e d'Infanterie, tombé au champ d'honneur.

21 Octobre 1914.

Mes chers Parents,

Enfin! j'ai sur moi vos deux photographies! Elles me sont arrivées ce matin et ont rempli mon coeur de joie et mes yeux de larmes. J'aurai ainsi—toutes les fois que je le pourrai—devant moi mes bons parents que j'aime tant et un coin du cadre où s'est déroulé le meilleur de ma vie: le jardin de Brezolles, les fenêtres du cabinet de papa et celles de votre chambre à coucher.

Je ne crois pas que maman m'ait jamais fait plus grand plaisir.

Je vous écris de bonne heure, ce matin, car il faut absolument que je vous écrive aujourd'hui. Voici pourquoi. Nous sommes en toute première ligne. A 200 mètres environ, nous devinons les tranchées allemandes. Le général croit savoir que certaines de ces tranchées sont abandonnées. Il faut s'en rendre compte. Des hommes de bonne volonté ont été demandés pour cette mission assez périlleuse, mais très délicate. Deux se sont présentés, dont moi. Prudemment et lentement, avançant à plat ventre, dans une marche rampante, que nous faciliteront les gros arbres de la forêt dans laquelle nous sommes, nous tâcherons d'aller jusqu'à ces tranchées dont l'emplacement approximatif nous a été indiqué. Si nous sommes reçus à coups de fusil, c'est que l'ennemi n'aura pas déguerpi, et il faudra revenir si nous ne sommes pas atteints. Si nous allons jusqu'au bout, le renseignement sera précieux et j'aurai rendu ainsi quelque service.

Il est 10 heures 15. Un capitaine d'artillerie vient d'arriver à nos tranchées pour causer avec nous. L'artillerie va tâcher de nous faciliter l'exécution de notre mission. Son tir cessera à midi et demi, et nous partirons à une heure un quart, suivis du regard, certes avec anxiété, par nos camarades et nos officiers.

Et maintenant, ne me reprochez pas de m'être offert pour cette petite expédition. Le devoir est différent pour chacun. J'estime que le mien me commande cette conduite.

Avant de partir, je remettrai cette lettre à un ami. Si elle vous arrive sans d'autres renseignements sur mon équipée, c'est que j'y serai resté.

Et maintenant, je vais manger une bouchée.

1 heure 10. L'heure du départ est sonnée. Je viens de regarder encore vos photographies et de les embrasser, et maintenant je pars confiant et résolu.

GLATIGNY.

Lettre écrite par le Lieutenant Maurice GOBERT, 110e Régiment d'Infanterie, tombé au champ d'honneur, le 5 Octobre 1915, à Somme-Py.

Aux trois êtres qui me sont chers:

A ma mère, a mon epouse et a mon flls,

En cet instant suprême, à la veille de partir au feu, je vous réunis en une même tendresse.

Si le destin cruel doit me séparer de vous, sachez bien que ma dernière pensée sera pour vous. Soyez braves, demeurez bien Françaises en face de l'adversité. Vous devez vivre encore pour mon fils. Lui, le cher petit, ne souffrira sans doute pas beaucoup de ma disparition, il est de vous trois le privilégié.

Toi, ma chère mère, tu supporteras avec courage cette dure épreuve. Ensemble nous avons passé de cruels moments. Le sort semblait depuis quelque temps nous être favorable. Si je dois te quitter, tu demeureras pour venir de temps à autre me dire bonjour là-bas où sont déjà ceux qui m'ont précédé. Tu auras la sublime consolation de songer que je suis mort en faisant mon devoir, nimbé d'un peu de gloire.

Partage cette pensée, ma pauvre petite Marie. Il est encore bien tôt pour que je t'abandonne, et j'aurais voulu vivre avec toi beaucoup d'années de bonheur et d'amour. Maintenant que je suis disparu, tu deviendras le seul soutien de notre chéri.

Pardonne-moi de ne pas vous laisser à tous une situation meilleure.
J'aurais voulu voir votre avenir assuré.

Lorsque ta douleur sera un peu calmée, mets-toi à la tâche, veille sur lui comme je l'aurais fait avec toi.

Rappelle-lui bien que, dans la vie, le devoir est parfois pénible, mais qu'il doit passer avant tout. Dis-lui, lorsqu'il sera en âge de le comprendre, qu'il n'est dans la vie qu'un seul chemin, celui de la vertu. Bien que je ne prétende nullement me poser en modèle, cite-lui mon exemple, raconte-lui que je suis mort en bon Français et que, si la Patrie le réclame, il doit suivre le même chemin que moi.

Allons, adieu. Tous trois, je vous embrasse mille et mille fois par la pensée, en vous souhaitant une dernière fois beaucoup de courage.

Votre très affectueux

Maurice GOBERT.

Lettre écrite par Léon-Pierre GRENIER, 140e Régiment d'Infanterie, tombé au champ d'honneur, à Douaumont, le 19 Mars 1916.

Grenoble, le 18 Septembre 1915.

FIAT!!!

Mon très cher Joseph,

Ainsi que tu as dû l'apprendre brièvement, ma situation est changée et me voilà à nouveau dans le service armé, prêt à endosser le sac et à reprendre le «Lebel».

Je ne me plains pas, car Dieu m'a peut-être exaucé, car comme je le lui ai souvent dit: j'aimerais mieux partir que de te voir partir maintenant que tu es marié. Enfin, c'est sa volonté qui se manifeste et, comme ce matin, je redis: «FIAT!»

Je pense quitter Grenoble lundi 20 courant, pour aller m'entraîner, car je suis mobilisable depuis fin février 1914, ce qui me donne l'espoir de partir au premier convoi; au 140e, cela va rondement.

Je pars plein de courage bien que j'aie le pressentiment que je n'en reviendrai pas; cependant, avec quel courage plus grand encore j'y serais allé si j'avais pu embrasser une dernière fois ceux que j'aime … mais il n'y faut pas penser. Mais toi, cher Joseph, qui maintenant jouis du tarif militaire, est-ce que tu ne pourrais pas venir me voir avant mon départ? Si oui, fais-le, car je t'embrasserai doublement de coeur pour maman et pour toi. Si cela est possible, dis-le-moi et attends ma nouvelle adresse.

J'ai demandé plusieurs choses à maman, en outre le petit revolver de poche; c'est une chose précieuse, car si l'on est désarmé ou si l'on a perdu son fusil, si, blessé, vous vous voyez prêt à être achevé, une arme petite, maniable, n'est pas de reste pour sa défense; les blessés en ont tellement reconnu l'utilité que tous, ou presque, s'en munissent avant de partir. Tâche de me le faire parvenir.

Je regrette de vous donner tant de tracas, et peut-être diras-tu que ma personne ne vaut pas la peine de tant se tracasser pour elle; c'est vrai et j'en conviens; aussi, faites comme vous voudrez…. Surtout, priez un peu pour moi et, quoi qu'il arrive, sachez, que je vous ai toujours aimés.

Je m'arrête car je deviens triste malgré moi, je t'embrasse de tout coeur ainsi que ton épouse, que je regrette de ne pas avoir connue.

Ton frère qui t'aime,

PIERRE.

Lettre écrite par Auguste GROENER, tombé au champ d'honneur le 4 Août 1918.

Ma chère Mère,

Montons ce soir pour attaquer. A Dieu vat! si je meurs face aux Boches.
Prends confiance, c'est pour la France et pour garder ta maison.

Adieu, derniers baisers.

GROENER.

Lettre écrite à sa mère par le Lieutenant Henri GROS, 86e Régiment d'Infanterie, tombé au champ d'honneur, à Vermandovillers (Somme), le 17 Septembre 1916.

3 Septembre.

D'ici quelques jours, tu liras sur les journaux le récit de grands événements. Tu seras fière de songer que ton fils y participe.

Je n'ai nulle crainte que le fardeau de mon commandement soit trop lourd pour mes épaules. Je saurai en accepter les responsabilités et les devoirs. D'ailleurs en moi, comme pour la plupart des officiers, il y a deux hommes: le chef sérieux et juste et qui a plus que son âge; l'homme privé souvent gosse et aimant à s'amuser. Ils savent tous deux rester à leur place et ne pas empiéter sur leur domaine.

Mes meilleurs et mes plus tendres baisers.

HENRI.

Lettre écrite par le Sous-Lieutenant GUERIN, du 269e Régiment d'Infanterie, mort au champ d'honneur quelques mois plus tard, aux parents de son ami mort glorieusement quelques jours avant.

Cher Monsieur, chère Madame,

Aujourd'hui seulement je trouve le courage de vous écrire, après être bien sûr que vous ayez appris la mort glorieuse de votre fils bien-aimé, mon frère d'armes, mort comme je veux et espère mourir, en défendant le sol sacré de notre France au nom du Droit, de la Civilisation et de la Liberté.

Dans nos conversations amicales,—car, lorsque le service nous laissait un instant, nous étions l'un près de l'autre, discutant la grande chose que l'on puisse faire pour sa Patrie,—nous nous disions: «Quoi que nous fassions, nous ne serons jamais aussi grands que ceux qui sont morts.»

Et, quand la bataille a été finie, mon premier devoir a été d'aller fleurir sa tombe, et les larmes que j'ai versées ne sont pas seulement des larmes de regret, mais d'admiration. Combien il m'a paru grand ce noble et héroïque ami! Il m'a semblé qu'il me disait souriant: «Tu vois, j'ai passé devant toi.»

Nous avions été cités à l'ordre du jour en accomplissant en Lorraine la même action, fiers de posséder la première citation du 269e. Pourtant, ce n'est pas la récompense qui fait la valeur de l'action. Et lorsque nous rampions dans les blés remplis de morts et de mourants, au milieu de nos ennemis, pour aller chercher une mitrailleuse, ce brave Lecomte, Robert et moi, nous n'étions guidés que par le sentiment du devoir.

Plus tard, après avoir arrosé tous les deux de notre sang le sol de la
Patrie, le même sentiment nous a fait revenir, à peine guéris.

Et c'est ce même sentiment qui l'a fait mourir en héros. Nous savions bien, avant la lutte, lui, Chanterel et moi, en nous faisant nos adieux, les sacrifices qu'il fallait faire, c'est-à-dire risquer sa vie dix fois plus que les hommes, être debout quand ils sont couchés, cible vivante alors qu'ils sont abrités. Ce n'est pas que les hommes le comprennent, Ils se disent, au contraire: «S'il n'était pas resté debout, il n'aurait pas été touché». Ils ne se disent pas que s'il n'était pas resté debout, eux n'auraient pu rester couchés.

Et voilà comment votre fils est tombé mortellement en montrant l'exemple du plus beau des sacrifices.

Vous pouvez être fiers, cher Monsieur et chère Madame, de la mort héroïque de votre fils. Sa gloire rejaillira sur vous et dans vos larmes d'infini regret luira l'admiration du plus grand sacrifice consenti par un père et une mère à la Patrie. Et aux pères et aux mères qui verront leurs fils couverts de gloire et de lauriers, vous pourrez fournir l'argument indéniable: «Le mien a fait plus, il a donné sa vie.»

Vous me pardonnerez, cher Monsieur et chère Madame, si j'ai tant tardé à vous écrire, et ce n'est pas de gaieté de coeur que l'on apprend la mort d'un ami si cher, d'un si bon fils, à ses parents.

Je connais bien sa tombe et je sais ce qui me reste à faire, c'est-à-dire le venger ou mourir comme il est mort.

Recevez, Monsieur et Madame, mes condoléances les plus sincères et songez que vous n'êtes pas seuls à pleurer votre héros.

Respectueuses salutations.

GUERIN.

Lettre écrite par le Sergent Henri GUERIN, 113e Régiment d'Infanterie, tombé au champ d'honneur, au combat de Vouël-Tergnier, le 23 Mars 1918.

22 Mars 1918, 3 heures 1/2 de l'après-midi.

Ma Soeur bien-aimée,

Nous attendons toujours la soupe, la première de la journée. Nous avons été alertés ce matin, à 4 heures, et nous avons quitté en autos-camions le village d'où je t'ai écrit mes dernières lettres. Les camions nous ont transportés en arrière du front anglais, et nous sommes depuis plus d'une heure dans un champ inculte, prêts à partir au premier signal. Il y a donc des chances pour que nous entrions incessamment dans la mêlée.

J'ai l'âme sereine, comme toujours, en ces heures graves. Je suis le petit enfant du bon Dieu et il ne m'arrivera rien que de conforme à sa volonté. Or, ce qu'il veut pour moi, je le veux avec lui sans réserve…. Je n'ai donc pas lieu de m'inquiéter….

Et j'éprouve une joie suprême à la pensée de faire une fois de plus barrière de mon corps aux ennemis de ma Patrie, et de contribuer à arrêter la ruée ultime qu'ils viennent d'entreprendre.

Le canon tonne sans arrêt. Nous sommes présentement hors d'atteinte de ses coups. A l'heure voulue, nous nous ébranlerons et nous vaincrons si Dieu le permet.

Ma pensée retrouve les chères vôtres, mon coeur s'unit à vos coeurs plus fortement que jamais.

En hâte! baisers fortement doux et tendres à partager avec notre chère petite mère, avec le bon Noël et Daniel.

Je te presse sur mon coeur.

HENRI.

Lettre écrite par Louis-Gustave GUIBERT, Agent de liaison au 30e Régiment d'Infanterie, tombé au champ d'honneur, le 25 Septembre 1915, au combat de Perthes.

Le 24 Septembre 1915.

Ma Grand'Mère bien-aimée,

Peut-être un laps de temps assez long s'écoulera avant que je puisse à nouveau te donner de mes nouvelles. Pendant cette période d'attente, je te prie simplement de penser un peu plus à moi et de prier pour la France et la grandeur de notre Patrie, dont mon coeur sensible et porté vers les arts admirera toujours les divines productions, la belle littérature, la musique, les objets de luxe, que sans fatuité j'ai cru comprendre et goûter.

Je souhaite que ma prochaine lettre soit écrite de Rethel ou de Mézières et que l'action qui va se dérouler devienne la réalisation de cette magnifique espérance qui ne m'a jamais abandonné et fut toujours impatiemment attendue.

En bon Français, je ferai mon devoir jusqu'au bout. Il me semble que je rachète bien des petites erreurs passées. Cela ne diminue en rien la vive tendresse que toute ma vie j'ai ressentie pour ma famille et pour toi, Mémée, qui fut une maman bien tendre et eut un coeur exquis de grand'mère.

Si la joie immense m'est dévolue de me voir vainqueur guerrier sur le bord du Rhin ou plus modestement à notre frontière, je te demanderai de m'envoyer ce qui pourrait me faire besoin. Pour l'instant, je te remercie simplement de la délicieuse lettre reçue cette après-midi et je vais te rassurer: ma santé est parfaite. Je couche sur la dure! Mais que seront les jours à venir à côté de ceux que je passe? Ne me plains pas. Espère. Je te reviendrai un jour très fier, mais très doux, et si les privations momentanées m'ont amaigri un peu, sache que je suis bien plus élégant encore que par le passé.

Je suis (tu me le demandes) cycliste du capitaine Brun, mais appartiens à la 2e Compagnie du 1er Bataillon. Voilà pourquoi mes adresses sont dissemblables. J'aime mon chef. Il m'estime beaucoup … c'est une raison de ma confiance. Ma tendresse pour toi est un réconfort moral précieux et les baisers que je t'envoie sont enthousiastes.

GUIBERT.

Lettre écrite par HARDY, pupille de l'Assistance publique, tombé au champ d'honneur.

«A faire parvenir à Monsieur le Commandant P…, si je ne suis pas revenu le mercredi … à six heures du matin.»

Mon Commandant,

Ayant une mission, petite, il est vrai, mais assez hasardeuse, le lieutenant m'a fait l'honneur de m'y envoyer; c'est donc sans déplaisir que je pars, car c'est plutôt ma place qu'à n'importe lequel. Mais, comme il se peut que j'y reste, je vous remercie, ainsi que Mademoiselle Y…, d'avoir pensé à m'envoyer un oeuf de Pâques. Aussi, mon Commandant, permettez-moi de vous remercier.

En avant! Vive la France!

HARDY.

Si vous recevez cette carte, c'est que je serai tombé pour toujours.

En avant quand même!

HARDY.

Lettre écrite par le Sergent André D'HARMENON, 20e Bataillon de Chasseurs à pied, tombé au champ d'honneur le 6 Juin 1915.

5 Juin 1915.

Mes chers Parents,

De la tranchée où me «revoici» pour la dixième fois, ces quelques mots que je veux avant tout très tendres.

Pardonnez-moi si mes lettres ne le sont pas toujours autant que vous le désirez et autant que je le voudrais moi-même; cela tient à ma grande lassitude d'esprit et à mon coeur que cette horrible guerre a endurci.

Je vous aime de tout mon coeur et vous remercie de toutes vos bontés.

Merci à ma bonne tante Alice de ses paquets qui me sont parvenus hier.
Je vous écris sur le parapet de la tranchée.

Il est 8 heures 1/2 du soir, je ne vois plus. Je vous embrasse de toutes mes forces.

Votre ANDRE.

Lettre écrite par le soldat Henri HlLLAIRE, 11e Cuirassiers, tombé au champ d'honneur.

  Les tranchées, à 21 heures,
  le 25 Septembre 1918.

Bien cher Papa,

Bien chère Maman,

Si ces quelques mots vous parviennent, ce sera que votre Riri ne sera plus.

Je suis en ligne, ma lettre de ce matin a dû vous le dire. Nous allons attaquer; nous sortons des tranchées à 2 heures 30 demain matin. Encore quelques heures et nous bondirons sur l'ennemi. Ma dernière pensée aura été pour vous, mes chéris. Je sais que si cette lettre vous parvient c'est fini pour vous: la joie, la gaîté disparaîtront pour toujours de cette maisonnette où nous étions si bien. Mais courage, de là-haut votre Riri veillera et attendra que la suprême réunion se fasse pour vous dire tout….

Sachez qu'il vous a aimés et adorés, ma lettre quotidienne a dû vous le prouver.

Adieu donc, mon Papanou, adieu donc ma Mamanette, adieu à tous ceux que j'ai aimés.

Votre Riri qui vous aime.

Lettre écrite par le Sous-Lieutenant Marc HUBERT, 8e Génie, blessé mortellement le 23 Septembre 1917.

24 Septembre 1917.

Mon cher Papa,

Je te mets quelques lignes pour te montrer d'abord que je ne suis pas grièvement atteint: un obus, tombant sur ma cagna, m'a fracturé la jambe. C'est tout … étant un peu fatigué, je passe la plume à mon camarade Maillet (le radio du Commandant).

Lettre écrite par le Lieutenant Joseph JEANNIN, 103e Régiment d'Infanterie, blessé à Ethe, le 22 Août 1914, victime des atrocités allemandes à l'ambulance de Gomery, mort pour la France, au feld-lazareth de Vezin-Charency, le 27 Août 1914 (Meurthe-et-Moselle).

Paris, 2 Août 1914.

Mon cher Jules, chères Soeurs,

Je vous écris collectivement puisque, surpris par les événements, vous devez être encore réunis; en tout cas, si Monique et Guite ont repris la route de Provence, veuillez faire suivre.

Je me trouve à Paris, mobilisant avec le 103e et je prendrai dans quelques jours les routes d'invasion vers l'Allemagne, je l'espère fermement.

J'aurai probablement la satisfaction de conduire ma compagnie au feu, comme commandant de compagnie, et soyez persuadés que je ferai taper ferme. On ne peut pas présager l'avenir; mais notre cause est juste, puisqu'on nous attaque, et j'ai la profonde conviction qu'on peut tout espérer. Pauvre papa, serait-il heureux, s'il voyait l'élan français, lui qui tressaillait à la moindre alerte.

J'ai quitté ce matin, pour toujours peut-être, ma pauvre chère Madon et mes deux mignons. Ce fut bien dur, grand Dieu!

Vous savez tous, chers père et soeurs, quelle affection j'ai toujours eue pour vous; mon grand regret est de ne point vous revoir avant de me jeter corps et âme dans la fournaise.

Si le sort veut que je tombe au champ d'honneur, ne pleurez point, mais, en souvenir de moi, veillez sur les êtres si chers que je laisserai…. Je vous confie ma chère femme, j'ai admiré son courage ce matin, mais quelles transes pour elle maintenant, seule et immobilisée à Saint-Cyr; je vous confie ma petite Monette et mon petit André, si je viens à leur manquer qu'ils ne s'aperçoivent pas qu'ils n'ont plus de papa.

Mais au loin les tristes présages, car je compte bien revenir dans les rangs de nos armées victorieuses. Quel coup de torchon! mes aïeux! je crois que les Prussiens paieront cher leurs menées hypocrites et leur folie sanglante. La population, ici, est admirable de calme et de froide résolution, et c'est un état d'esprit général. C'est la guerre au couteau qu'ils auront voulue, je suis persuadé qu'on les servira en conséquence. J'ai vu aujourd'hui dans la foule plusieurs faits touchants de patriotisme se produire: un ouvrier arrachant, sur la place des Invalides, une carte d'Etat-Major à un monsieur qu'il supposait être un Allemand, et me l'apportant; un camelot vendait ses journaux, mais les donnait à l'oeil aux officiers et aux soldats, parce qu'il allait partir lui-même pour la frontière; ce ne sont pas des faits isolés; une nation comme la France, animée de ces sentiments, est mûre pour le succès.

Mes aspirants, en même temps que moi, ont rejoint leurs régiments, ils exultaient tous. Charles doit être à son poste. Où? je l'ignore, mais quel beau début de carrière pour un officier.

Et maintenant courage, mon cher Jules, mes chères soeurs. Nous allons traverser la période la plus dure que le monde ait vécue, soyons à la hauteur de notre tâche.

Je vous embrasse bien tendrement.

Votre frère,

J. JEANNIN.

Lettre écrite, sur l'Yser, par l'Aspirant Henri JOYEUX, blessé mortellement, un an plus tard, à la prise de Monastir.

18 Juin 1915.

Mon cher papa, ma chère maman,

Depuis quelques jours, je vous écris régulièrement. Je n'ai pas reçu de vos nouvelles. Je pense néanmoins que ma lettre vous trouvera toujours en bonne santé et toujours bien courageux, comme vous l'avez été jusqu'ici. Allons! soyez-le encore plus aujourd'hui. C'est la volonté de votre petit Doudou, de votre grand Henri.

Si cette lettre vous parvient, voyez-vous, c'est que la France m'aura voulu tout entier. J'aurai fait mon devoir, comme les autres, pas plus. J'en suis fier, et vous devez l'être aussi de savoir que votre enfant est mort vaillamment, qu'il a vu la mort avec gaîté et délivrance, l'âme complètement tranquille. Pourquoi en avoir peur? Vous rappelez-vous de ce soir-là où j'ai parlé avec papa sur la mort, sur sa douceur que je réclame. Ne me délivre-t-elle pas d'une vie que je n'ai pu qu'entrevoir et à laquelle je n'ai pu goûter, si j'ose dire, sous un jour âpre et terrifiant. Où sont les douces années de ma toute petite enfance, lorsque j'allais me consoler dans les bras d'une aussi bonne maman, d'un aussi bon papa que j'avais. Ici, je suis seul, pour me consoler de ne pouvoir vous embrasser, de ne pouvoir vous serrer dans mes bras, je suis encore seul. Si ce n'était ça, rien ne m'aurait coûté d'aller voir là-haut le beau résultat de la grande bataille. Aussi, en vous écrivant cette lettre, ce dernier adieu, je viens vous remercier de la tendre, de la douce affection que vous m'avez toujours témoignée. Pardon aussi de l'avoir connu trop tard, pardon d'avoir oublié mes devoirs d'enfant, pardon de tout ce que vous ne savez pas. Enfant je l'étais et c'est la guerre, la dure campagne qui m'a mûri, vieilli, qui a fait de moi un homme à 20 ans.

Allons, courage! refoulez vos larmes et ne vous abandonnez pas dans un chagrin qui pourrait abréger les quelques jours de tranquillité, de paix que vous trouverez auprès de mon petit frère quand il reviendra, lui; montrez-lui cette lettre qui devra lui faire comprendre que si je meurs tranquille, c'est que je pense bien à sa présence. Il saura adoucir par tous les moyens les jours heureux qui vous restent à passer ensemble.

Promettez-moi aussi de vivre heureux jusqu'au moment où le bon Dieu jugera que vous veniez me retrouver.

Peut être qu'un jour vous viendrez rechercher mes restes dans cette Belgique, la vraie, pas celle dont le sol a été foulé par d'impies barbares. Mon seul bonheur est de penser que vous viendrez me rechercher et qu'un jour je reposerai près de vous, à Marcey, que j'aurais tant souhaité revoir.

Faites mes adieux aux personnes amies, à tous ceux qui ne m'ont pas encore oublié.

Quant à vous, adieu, au revoir, mon bon papa, ma bonne maman. Je vous ai aimés, vous m'avez tout pardonné. Je vous embrasse pour la dernière fois bien bien fort.

Votre petit Henri mort pour la France.

Courage!

Lettre écrite par Albert JULHIEN, 6e Bataillon de Chasseurs Alpins, tombé au bois de Berthonval le 20 Décembre 1914.

19 Décembre 1914.

Mes chères tantes,

Si vous recevez cette lettre, mes chères tantes, c'est que, suivant mon pressentiment, l'attaque qui se prépare m'a été fatale. Si je vous confie la triste mission d'en avertir mes chers papa et maman, c'est que je sais que, dans la religion, vous saurez trouver les paroles de consolation qui leur seront si nécessaires en ces tristes moments et que votre grande affection vous dictera les précautions à prendre pour atténuer la douleur que leur causera certainement cette nouvelle.

Pour moi, j'ai la certitude d'avoir fait mon devoir de Français jusqu'au bout et c'est sans amertume que je fais à notre belle France le sacrifice de ma vie.

Notre cause est belle et elle triomphera certainement. Heureux ceux qui verront le triomphe, mais il ne faut point pleurer ceux qui y sont restés pour y contribuer, afin de ne pas diminuer la joie du triomphe.

Pourquoi ai-je pris tant de précautions ces jours-ci? Probablement que le bon Dieu a voulu qu'à vous tous j'aie le temps de lancer un dernier adieu.

Adieu, mes chères tantes, je mets dans mes caresses toute ma tendresse, et encore une fois je vous recommande ma chère famille. Dites-leur bien que ma dernière pensée a été pour eux et que, si je les ai précédés là-haut, c'est pour préparer la place où bientôt nous nous réunirons tous.

A vous de tout coeur.

BEBERT.

Lettre écrite par Pierre KIEFFERT, tombé au champ d'honneur.

Le 15 Avril 1917.

Mes chers parents bien-aimés,

Je n'ai que le temps de vous écrire ces quelques lignes, écrites avant mon départ vous savez où, je vous l'ai dit dans ma dernière lettre.

Je me remets tout entier dans la Providence divine, dans le coeur de Dieu. Puisse Dieu avoir pitié de vous et de moi, il a toujours eu pitié des nombreuses familles.

Ce soir, si je peux, j'irai une dernière fois le remercier de toutes les grâces qu'il nous a accordées jusqu'à ce jour. Oui, remercions-le ensemble et dans une fervente prière prenons confiance.

Je reviendrai, mais si toutefois le bon Dieu veut mettre fin à ma vie, ne pleurez pas, les vrais chrétiens ne pleurent pas puisqu'ils retrouvent ceux qu'ils ont perdus là-haut dans le ciel.

Je serai probablement longtemps sans vous écrire, cela dépendra, mais aussitôt que je pourrai le faire je vous écrirai un mot. Je n'ai pas changé de secteur depuis Verdun.

Donc, au revoir, chers parents, et confiance, priez pour moi, à bientôt.

Je vous embrasse tous deux, embrassez pour moi Simone, Jeannette,
Marthe, André.

Votre fils qui vous aime de tout coeur,

PIERRE.

Lettre d'Emile LACCASSAGNE, petit soldat de la classe 14, adressée à son patron chez lequel il avait été apprenti et ouvrier.

Du front, le 20 Septembre 1915.

Cher Monsieur Lasson,

C'est tout heureux que je viens de recevoir votre aimable carte. J'ai donné également de mes nouvelles à Madame Lasson, en réponse d'une carte que m'avait envoyée notre chère petite Nénette; vous en a-t-elle causé sur ses petites mignonnes lettres?

Je vois que vous vous êtes fait avec cette nouvelle vie et que vous êtes prêt à tout supporter pour contribuer avec toutes vos forces à la défense de notre chère Patrie.

Il faut que je vous gronde un peu!… Vous le permettez, n'est-ce pas?
Oh! ne tremblez pas déjà, car je ne suis pas trop terrible, allez.

Sur votre dernière lettre, vous me parlez de vos travaux, du rendement colossal que vous devez produire, de l'effervescence qui nuit et jour règne dans vos ateliers. C'est heureux, c'est beau, c'est merveilleux, c'est admirable. Et vous, quelle est votre déduction de tout cela? Que la guerre ne touche pas à sa fin, loin de là!…

Ah! non, par exemple, vous voyez de trop belles choses pour penser comme cela!…

Voyons, vous êtes là, vous voyez avec quelle rapidité le génie français se montre dans toute sa beauté et dans tout son développement.

Dans un an, la France a trouvé le moyen d'être plus prête que l'Allemagne dans quarante ans.

Chaque jour, notre puissance s'affirme davantage. Nos ennemis le sentent, et il faut que nous, depuis le simple pioupiou jusqu'au plus haut gradé, depuis le combattant jusqu'au peuple qui nous regarde et nous observe, il faut que nous sachions que nous sommes les plus forts.

On installe de nouvelles machines et aussitôt vous pensez: «tout cela prouve que la guerre ne tire pas à sa fin».

Que diriez-vous, si je vous disais, moi, que cela prouve le contraire?

Si l'on installe tout un machinisme nouveau, c'est sûrement pour fabriquer plus vite. Si l'on fabrique plus vite, c'est que les besoins se font plus pressants. Pensez-vous donc, si nous faisions une nouvelle campagne d'hiver, que nous n'aurions pas, en restant sur la défensive, le temps, pendant cinq ou six mois encore, de préparer des munitions en vue de l'offensive prochaine, et cela sans faire des modifications dans nos ateliers?

Il faut une fin prochaine à tout cela. Une seconde campagne d'hiver, c'est la ruine de l'Allemagne, la misère chez nous, la mort lente, triste, effrayante, des habitants de la tranchée, c'est une chose que l'on envisage, mais qui, pour moi, ne se fera pas.

Pour moi, d'un côté ou de l'autre, doit se tenter un grand coup, qui sera décisif. Si les deux partis résistent à ce choc formidable, qui sera le dernier, il ne nous restera plus qu'à attendre, à patienter, jusqu'à ce que l'Allemagne dise: «Eh bien!… j'en ai assez».

Mais cela n'arrivera pas, car que les Boches nous attaquent ou que nous le fassions, quand toutes les nations civilisées seront debout contre ce chef bandit du militarisme prussien, ils seront battus, c'est indiscutable. Ah! ce cri que le Juif Errant de la légende entendait retentir au-dessus de sa tête, chaque fois que, ruisselant de sueur, brisé de lassitude, il tentait de s'arrêter: «Marche». C'est à l'humanité tout entière que sa conscience crie aujourd'hui: «Marche à travers les obstacles, parmi les périls, malgré la mort, marche … sans repos, sans trêve, jusqu'au bout, jusqu'au bout, jusqu'à la victoire, jusqu'au sommet baigné de lumière d'où—le passé n'étant plus sous tes pieds qu'une ombre en train de s'effacer—tu verras se lever, dans un éblouissement, l'aube de l'avenir».

Comment vous l'expliquer, ce serait un livre à faire, mais tous ceux qui sont là au front le comprennent et le sentent bien. Vous verrez que pour Carnaval nous aurons presque fini. Vous serez chez vous, et j'espère bien manger un poulet avec vous. C'est entendu.

Allons, secouez-moi un peu tous ces gens-là qui se font un mauvais sang et qui voient tout sous un mauvais jour. Mais nous, qui sommes ici, nous sommes toujours contents. On s'encourage soi-même, on se dit ce que je vous raconte, on a le pouvoir de se persuader doucement, et c'est ce qui fait notre patience et notre calme.

Comprenez-vous notre secret?

Pour ce que je vous disais l'autre jour, c'est accepté. Je sais que je ne ferai pas cela comme qui s'amuse, ça m'est égal. Mais si je réussis, je sais bien qu'ainsi des camarades seront sauvés, et peut-être aussi de cela dépendra un heureux succès pour nos armes. Quand dois-je rentrer en action? Je l'ignore, mais enfin cela arrivera.

Je souhaite fort de réussir et, si je suis tué, je désire ne l'être qu'après avoir terminé mon travail.

Enfin, soyez tranquille, nous ferons tout notre possible pour obtenir le succès et nous réussirons. C'est égal, ce sera terrible, mais nous allons assister à quelque chose de beau.

Je vais terminer ma lettre, cher Monsieur Lasson, après vous avoir souhaité bon courage et en espérant vous voir bientôt.

Allons, adieu, bonne santé.

Vive la France!

EMILE.

Lettre écrite par l'Aspirant LAGORCE, Augustin-Pierre-Edouard, 89e Régiment d'Infanterie, tombé au champ d'honneur, le 25 Septembre 1916, à Bouchavesnes (Somme).

24 Septembre 1916, 6 heures.

Départ ce soir. Très probablement pour après-demain. Excellentes dispositions. Tout va bien et je me sens plein de confiance en Dieu et en moi-même.

Mille et mille baisers.

EDOUARD.

Lettre écrite par l'Aspirant Alexis LAMBLOT, 210e Régiment d'Infanterie, tombé au champ d'honneur, le 31 Mars 1917, à Koritia (Albanie).

15 Mars 1917.

Chers Parents,

Voilà cinq jours que le 210e attaque sur la rive gauche du lac de Prespa; le 6e bataillon, dont je fais partie, est parti l'avant-dernière nuit pour attaquer à son tour, mais a été rappelé à l'arrière au moment où j'allais aborder les Allemands avec ma section. J'ai été chargé par le commandant de protéger la retraite du bataillon.

Voilà la situation, pas brillante, il est vrai, mais pas désespérée; il est fort probable que nous repartirons à l'attaque cette nuit peut-être et je voudrais vous dire adieu avant.

Quand vous recevrez ces mots, je serai certainement mort.

Croyez que j'aurai fait mon devoir de Français et de chef comme tous ceux qui sont tombés jusqu'ici.

Je viens vous demander de me pardonner tout le mal que j'ai pu vous causer durant ma vie….

Je vous demanderai de conserver mon souvenir sur cette terre de France, où je n'aurai pas eu l'honneur de verser mon sang.

Au revoir, chers parents, ainsi qu'à tous mes parents et amis. J'espère vous revoir un jour au ciel.

Votre fils qui vous aime,

A. LAMBLOT.

Lettre écrite par le Sergent Victor LAMOTHE, 119e Régiment d'Infanterie, tombé au champ d'honneur le 15 Mai 1917.

Chère Mère,

Si je tombe dans la lutte actuelle, tu ouvriras cette petite lettre, elle te donnera mon dernier baiser.

Mère chérie, sois fière de ton enfant, il aura fait son devoir jusqu'au bout avec courage et foi. J'ai donné ma vie à la France, ne pleure pas, ma mort est belle, est grande, je meurs content.

Adieu, mère chérie, merci de tous tes bons soins, que ta santé soit toujours bonne et grand soit ton courage.

Je t'embrasse une dernière fois.

Adieu, mère, adieu!!!

Ton fils qui t'aime,

VICTOR.

Jean DE LANGENHAGER appartenait à une famille de médecins, il se sentit attiré par vocation vers la médecine, et prit quatre inscriptions à la Faculté de Paris. Il achevait sa première année de service militaire, au Havre, quand la guerre éclata. Ayant obtenu de partir comme soldat dans le rang, et non comme infirmier, il fit avec son régiment la partie initiale de la campagne, Charleroi, la retraite, la Marne. Blessé le 7 Septembre 1914, à la bataille de la Marne (combat de Cougivaux), il passa de longs mois dans les hôpitaux de l'arrière. Sa blessure, quoique peu grave, était mal placée: il avait eu le pied fracturé, et une saillie osseuse, due à une consolidation vicieuse, gênait la marche. Les médecins voulaient le faire passer dans le service auxiliaire. Il s'y refusa, obtint de porter une chaussure orthopédique, qui corrigeait le vice de la démarche, et, maintenu dans le service armé, rejoignit enfin le dépôt de son régiment. Là il trouva sa nomination de caporal, qui l'attendait depuis la bataille de la Marne; mais bientôt, en exécution des ordres ministériels qui, pour combler les pertes du cadre des jeunes médecins, prescrivaient de rechercher dans les formations combattantes les étudiants en médecine, même pourvus de quatre inscriptions seulement, pour les nommer médecins auxiliaires, il fut promu à ce grade et renvoyé au front en cette qualité. D'abord affecté à un régiment territorial, qui gardait les lignes de l'Argonne, il passa, sur sa demande, dans un régiment de l'active, et il tomba, dans une attaque, frappé d'une balle en plein coeur, en suivant, dit la citation à l'ordre de l'armée dont il fut honoré, la vague d'assaut de son unité, pour secourir plus rapidement les blessés.

4 Avril 1917.

Mon cher Oncle,

Nous nous recueillons pour l'action prochaine, qui n'est un mystère pour personne. C'est assez proche. Pas du tout d'enthousiasme. Mais pas du tout de défaillance, ni même de défiance. La guerre est devenue presque une habitude, un nouveau genre de vie, pour mes camarades, et ils sont blasés. Ils ne vont pas joyeusement au feu, presque ivres d'avance d'une victoire certaine et décisive, comme ceux de Mesnil-lès-Hurlus, de Tahure, de Massiges. Ils comptent avec l'ennemi. Ils savent qu'on a déjà fait bien des tentatives coûteuses et infructueuses. Ils savent aussi que, fatalement, un jour viendra où une de ces tentatives sera suivie d'une grosse avance, et ils se disent: Ce sera peut-être cette fois-ci. Ce ne sera pas un élan de patriotisme et d'abnégation. Ce sera une tâche, presque un métier, résolument entreprise, poursuivie avec patience, avec conscience, avec un courage contenu et le souci de la mener à bien. Je trouve que c'est, après trente-deux mois d'épreuves, un très beau moral.

Quant à moi, j'ose à peine m'abandonner à l'espoir que je suis peut-être appelé à prendre ma revanche d'Août-Septembre 1914. Je suis content d'avoir enfin une raison d'être. Depuis que je suis revenu au front, il y a presque un an, l'évidence de mon utilité ne m'était pas apparue. Je vais enfin vivre de grandes heures. Pourvu que mes parents soient forts! J'aime autant les savoir à Paris, où ils pourront puiser chez vous un peu de réconfort.

Comment te dire, cher oncle Paul, à quel point j'ai été ému de savoir que tu tournais vers moi tes pensées et tes voeux. Comment t'en remercier, sinon en te disant que mon plus cher désir, si je reviens de la guerre, sera d'avoir avec toi de fréquents entretiens pour essayer de profiter de ta longue expérience des choses et des hommes, et de toute la philosophie que tu as amassée…. Je termine en t'envoyant toute mon affection, et en vous embrassant, tante Marie, Henri et toi, de tout coeur.

JEAN.

Lettre écrite par le Sous-Lieutenant Claude LANGLE, tombé au champ d'honneur le 26 Septembre 1915.

25 Septembre 1915.

Mon cher Papa,

Si jamais cette lettre t'arrive, ce sera parce que je serai tombé glorieusement dans la grande bataille qui va achever le triomphe de la France. C'est de bon coeur que je donne ma vie pour la plus belle de toutes les causes. Je n'aurai que le regret de vous faire de la peine à toi et à maman. Je vous en supplie, ne pleurez pas; c'est si beau de mourir utilement! Nous sommes régiment d'attaque; les jeunes de la classe 15 vont montrer le chemin victorieux aux vieux.

Si tu as l'occasion d'écrire à Monsieur Canivinq, dis-lui de dire à mes camarades de Carnot de faire comme nous, de consacrer leur vie à notre beau pays de liberté, de se rappeler le cri de ralliement de 1915: «En avant pour la France!»

Je vous embrasse tous de tout mon coeur.

Claude LANGLE.

Lettre écrite par Raphaël LAPORTE, Aspirant au 215e Régiment d'Infanterie, tombé au champ d'honneur, à Crugny (Marne), le 28 Mai 1918.

Langres, 18 Mars 1915.

Cher Papa et chère Maman,

Je vous envoie tout simplement ce petit perce-neige, cueilli dans les jardins de l'hôpital le 16 Mars 1915, date bénie de mes vingt ans.

Vingt ans! l'âge tant désiré et tant regretté. A cette heure, je n'ose leur sourire. Que vais-je bien en faire de mes vingt ans? Aidez-moi, j'ai trop peur de les gaspiller follement et de les perdre à tout jamais.

J'ai bien réfléchi à toutes ces belles années passées. Plus j'y songe, plus je vous aime. Merci de tout coeur. Vous les avez faites belles, bien belles; vous m'avez gâté et à quel prix! Grand merci de votre petit soldat plein de reconnaissance. Mille fois pardon pour tous les soucis, les peines grandes et petites, les larmes que pendant ces vingt années je vous ai coûtés…. Pardon, je vous aime bien quand même.

Vingt ans, être soldat: c'est toute ma fortune en ce moment, et, malgré moi, de mon coeur à mes lèvres monte la belle phrase, le beau geste du zouave de Patay. Mon cher papa et ma bien chère maman, ne vous inquiétez plus si, dans quelques semaines, je tombe frappé en faisant mon devoir; j'aurai encore le courage de redire et de tout mon coeur:

Mon âme à Dieu, mes vingt ans à la France!…

Je vous aime.

Raphaël LAPORTE.

Lettre écrite par le Sergent LASCOUX, François-Pierre-Joseph, 412e Régiment d'infanterie, tombé au champ d'honneur, aux tranchées de la Miette, le 4 Octobre 1915.

Si vous recevez cette lettre, ce sera pour vous apprendre que je suis tombé au champ d'honneur et tombé en brave et en chrétien. Je dis en chrétien, car je suis prêt.

Je vous dis, non pas seulement au revoir, mais à Dieu, c'est là que je vous attends et que je vous donne rendez-vous, sûr de vous y retrouver un jour.

Soumettez-vous entièrement à la volonté de Dieu, qui a permis cet événement pour le plus grand bien de mon âme.

Regardez Marie au pied de la croix; comme elle, dites le Fiat!

Adieu, chère maman, consolez-vous en pensant que votre fils est mort en faisant son devoir et que sa dernière pensée aura été pour Dieu, pour la France et pour sa mère.

Rendez-vous … au ciel!

Même rendez-vous à tous ceux que j'aime.

Lettre écrite à sa soeur par le Sergent Jacques-Etienne-Benoist DE LAUMONT, du 66e Régiment d'Infanterie, tombé au champ d'honneur, le 25 Septembre 1915, à Agny-les-Arras.

24 Septembre 1915.

Ma chère petite Amie,

Je t'écris cette lettre à tout hasard; demain matin, à l'aube, vers les 3 h. 1/4, 4 heures, nous partons à la charge: c'est la grande, peut-être la victorieuse offensive, comme nous l'espérons tous, comme nous en sommes tous sûrs; nous devons percer et nous percerons, si ce n'est pas ici, c'est à côté que cela aura lieu.

Or, le 66e a l'honneur d'attaquer et le 1er bataillon en tête (le mien); je suis fier que le général nous ait jugés dignes de cet effort. Le sort est aveugle et peut me frapper, comme il peut m'épargner; tu peux être certaine que, dans l'un comme dans l'autre cas, je ferai mon devoir, tout mon devoir.

Si je suis tué, annonce-le à maman et à papa avec de grands ménagements; ma seule douleur, mon seul regret est que ma mort puisse vous faire de la peine à vous tous que j'aime tant; mais pourquoi pleurer, nous nous retrouverons un jour tous ensemble, un peu plus tôt, un peu plus tard. Et puis, n'est-ce pas la plus belle mort qui soit au monde, une mort utile, une mort pour un but, pour une idée, pour un idéal. Et dans le siècle médiocre où nous sommes, cela fait du bien de se dire: «Eh bien, moi, j'aurai au moins servi à quelque chose et j'aurai la mort qui me plaît le plus.»

Je veux être enterré là où je serai tombé. Je ne veux pas être enfermé dans un cimetière où l'on étouffe. Je serai mieux et plus à ma place de soldat dans la terre de France, dans un de ces beaux champs pour lesquels je donne ma vie avec joie, je vous le jure.

Cette lettre te parviendrait seulement dans le cas où il me serait arrivé malheur.

Je vous embrasse tous qui avez été si bons pour moi et que j'aime du plus profond de mon coeur.

JACQUES.

Lettre trouvée près du corps de Georges LE BALLE, Sous-Lieutenant au 151e Régiment d'Infanterie, tombé au champ d'honneur, le 22 Août 1914, à Barlieux, bataille de Pierrepont (Meurthe-et-Moselle).

22 Août 1914.

Mes chers petits Parents et Soeurettes bien-aimés,

Quand vous recevrez cette carte, votre petit gars ne sera plus. Faisant une patrouille avec 6 hommes, on m'a tiré une balle à quelques mètres, qui a rompu l'artère de la cuisse. Puis, abandonné, j'ai vécu encore vingt-quatre heures et je suis allé dans le sein de Dieu, où je vous retrouverai tôt ou tard. Ne pleurez donc pas trop et priez pour moi.

Allons! mes dernières pensées seront pour vous et pour Dieu.

Je vous embrasse pour la dernière fois bien longuement et bien tendrement.

Votre petit gars et frérot qui vous dit au revoir dans l'éternité,

GEO.

Extraits de lettres de l'Enseigne de Vaisseau de 1re classe Auguste-Charles-Jules-Marie LEFEVRE, mort héroïquement, le 27 Avril 1915, sur le Léon-Gambetta, torpillé à l'entrée de l'Adriatique par un sous-marin autrichien.

…Un jour, probablement, nous succomberons dans cette guerre sournoise que nous font les sous-marins, mais nous avons tous sacrifié notre vie à l'avance et nous ne sommes plus troublés.

…N'est-ce pas notre rôle de nous dévouer, de risquer notre vie? Que vaut-elle, après tout? N'avons-nous pas l'espoir d'une autre existence infiniment plus douce à ceux qui ont fait leur devoir ici-bas?

…De quel secours n'est pas la religion! Comme on la trouve belle, comme on l'aime, et comme elle réconforte!

Je communie très souvent, et j'y avais rarement trouvé de telles délices.

Cette guerre a une vertu morale très grande et il faut l'accepter comme un moyen de Dieu.

Peut-être, quand mon bateau coulera, aurai-je une angoisse atroce, insurmontable…. Mais, en ce moment, avec toute ma lucidité, sain de corps et d'esprit, je pense à cette heure sans amertume, le coeur en paix.

…Il aura appartenu aux enfants de vingt ans de régénérer la France. L'oeuvre accomplie, Dieu les rappelle à lui pour leur donner l'exquise récompense des martyrs.

…Priez un peu pour moi, non pas pour que le Ciel m'épargne, mais pour qu'il me fasse fort au moment du combat et à l'heure de la mort.

…Quand on est embrasé par la joie d'une vie future, on ne peut plus craindre la bataille.

Lettre écrite par le Sergent André LEGER, tombé au champ d'honneur, en 1915, devant Neuville-Saint-Waast.

Cher Papa,

Nous étions hier soir dans notre guitoune en train de faire une petite manille avec mes trois copains, lorsque mon caporal surgit à la porte: «André! un colis». Tout le monde pose à bas les cartes et tire son couteau de sa poche. Juge donc de notre bonheur: chaussons, mouchoirs, odeur, saucissons, sardines, pâtés, gâteaux, rhum, papier à lettres, enveloppes. Juge donc de notre joie.

Mais ce qui m'a fait le plus grand plaisir, cher père, c'est de m'avoir envoyé ta photographie et celle de la pauvre maman; aussitôt que je les ai vues, c'est immédiatement toute la maisonnée présente devant moi, et une intense émotion m'a surpris, c'est toute l'affection familiale dont je suis privé depuis trois mois qui brusquement s'est fait ressentir en moi.

Cela m'a ému et n'a pas affaibli mon courage. Au contraire, père, lorsque je monterai à l'assaut, je regarderai encore ta photographie, et elle me donnera tout ce que tu me dis par la pensée: «Courage! honneur! Vas-y en brave!»

Cela a augmenté mon ardeur, car c'est pour vous, pour mes frères et soeurs, tous les parents, que nous soldats faisons la barrière infranchissable devant laquelle les efforts des brutes et sauvages déchaînés viennent se briser. Et penser que c'est pour vous que je me bats, vous tous que j'aime tant, n'est-ce pas le plus grand encouragement qu'un soldat puisse recevoir?

Cher père, je te dis ceci tout naturellement, sans forfanterie, tu sais que nous subissons de grandes épreuves. Eh bien, tout ceci, vois-tu, pas une fois je n'ai regretté de le subir et au contraire je suis gai de souffrir, si quelquefois cela arrive, en pensant à la noble cause que nous servons. C'est dans ces sentiments que je puise mon inaltérable gaieté, que tu nommes courage. Oui, je veux être toujours gai, faire tous les sacrifices nécessaires avec bonne humeur, et si je reviens, car j'en ai le bon espoir, je pourrai dire: «Je n'ai jamais rien regretté à la Patrie!»

Les gâteaux d'Amélie sont excellents. Bons baisers à tous, j'écrirai demain à chacun en particulier. Soyez tous assurés de ma plus grande soif de triomphe et de mon impatience de vous embrasser tous bien fort. En attendant ce jour qui couronnera tous nos efforts et auquel il ne faut pas encore penser, patience, courage; on ne détruit pas en quelques jours un monstre de sauvagerie, patiemment édifié depuis quarante-quatre ans, mais, avec la ténacité, il finira par s'écrouler et, ce jour-là, l'horizon d'idéal et de liberté en sera bien éclairci.

Ayez comme nous confiance en la justice et l'immortalité de la France.

Ces jours-ci sont pour elle une de ses époques les plus glorieuses.

Vive la France!

ANDRE.

Lettre écrite par Jean-Marie LE GUEN, pour annoncer à sa mère la mort de son frère, quelques jours avant que lui-même ne soit tué.

En campagne, le 7 Octobre 1915.

Ma chère Mère,

Vous savez sans doute maintenant la triste nouvelle, puisque j'avais écrit à Tonton Louis pour lui demander d'aller vous annoncer cette nouvelle, qui a dû vous fendre le coeur à tous. J'ai trouvé qu'il valait mieux ainsi que de vous écrire directement, vous auriez ainsi du moins quelqu'un pour partager votre douleur, et la douleur partagée en commun se supporte plus facilement. Mon pauvre frère a été tué dimanche 3 Octobre. La veille, j'avais eu de ses nouvelles par un camarade qui lui avait parlé et il était toujours solide et confiant.

Dimanche au soir, on est venu m'avertir qu'il avait été blessé grièvement. Je suis parti aussitôt pour aller le voir, mais en route on m'a appris qu'il avait été tué sur le coup. C'est Marc GORREC, de Coat-Crenn, qui se trouvait à ses côtés, qui m'a donné les détails de sa mort. Un autre camarade et lui s'étaient creusé un gourbi pour pouvoir se mettre à l'abri et se reposer un peu, et il y avait à peine une demi-heure qu'ils s'y étaient étendus qu'un obus est tombé en plein sur leur abri et les a ensevelis. Marc et les autres camarades qui se trouvaient à côté se sont empressés de les dégager, mais, dix minutes plus tard, quand ils ont réussi à les dégager, il était trop tard, ils étaient morts asphyxiés. Yves était couché sur le côté, les bras croisés sur la poitrine, les yeux fermés, sans aucune blessure et nullement défiguré. Ils avaient été surpris dans leur sommeil et avaient été étouffés sur le coup. Il est du moins mort sans souffrir et n'aura pas eu le sort de beaucoup d'autres qui, blessés, ont dû rester trois ou quatre jours sur le champ de bataille et mourir ensuite. Quand je suis arrivé là-bas, il était déjà enterré dans une tombe, tout seul, et non comme beaucoup d'autres qui sont enterrés dans le même trou. J'ai fait faire une croix sur laquelle j'ai fait inscrire son nom, sa compagnie, son régiment et la date de sa mort, d'un côté, en peinture et, de l'autre côté, son nom gravé avec une pointe rougie au feu. Il est enterré dans un petit ravin, à deux kilomètres environ au nord de Perthes, à droite de la route qui va de Perthes à Tahure. Prenez bien note de ces renseignements: vous pourrez ainsi le retrouver si je ne revenais pas moi-même et faire transporter son corps pour qu'il repose au milieu de la famille. Faites dire un grand service pour lui sans attendre que l'acte de décès vous arrive, car cela pourrait mettre du temps, surtout maintenant qu'il y en aura tant à établir. Ce n'est pas qu'il ait besoin de prières, car il est tombé un jour de victoire en faisant son devoir et il repose dans une terre reconquise aux Allemands par son régiment, et où ils ne mettront jamais plus les pieds, et l'aumônier nous a répété bien des fois qu'il n'y a aucun doute à avoir sur le salut de ceux qui tombent en faisant leur devoir.

A qui donc serait-il, le paradis, sinon à ceux-là? Mais, et c'est surtout ce que je tiens à dire à mes frères et à mes soeurs, nous ne pourrons jamais assez faire pour honorer la mémoire de celui qui nous a gagné du pain et qui était si bon pour nous tous. Je voudrais que dès maintenant vous fassiez faire une belle tombe ou du moins une belle croix en sa mémoire parmi la famille où on pourra le mettre un jour. J'ai reçu hier une carte de Tonton Jean qui me donnait sa nouvelle adresse. Je lui ai écrit aussitôt pour lui annoncer à lui aussi la triste nouvelle. Il trouvera cela bien dur aussi, car, comme moi, il est là-bas tout seul sans personne pour partager sa peine. Vous aussi vous aurez ce coup-là bien dur et rien ne pourra jamais vous consoler de la perte que nous venons de faire. Il nous reste cependant à tous une consolation, c'est de penser qu'il pourra un jour, quand cette terrible guerre sera finie, dormir son dernier sommeil au pays natal et que sur sa tombe nous pourrons aller lui dire que nous ne l'oublierons jamais. C'est la volonté de Dieu qui l'a rappelé à lui; du haut du ciel, il prie maintenant pour ceux qui étaient sur la terre l'objet de ses préoccupations et pour ses camarades qui combattent toujours, car ce sont les vivants qui ont besoin de prières. Priez pour nous tous et pour que cette terrible guerre finisse un jour.

Votre fils dévoué qui vous embrasse pour lui et pour son frère,

JEAN-MARIE.

Lettre écrite par Paul LEVEQUE, engagé volontaire à 17 ans, le 7 Septembre 1915, disparu près de Verdun, au 54e Régiment d'Infanterie, le 21 Juin 1916.

Belrupt, 19 Juin 1916.

Maman chérie,

Nous montons ce soir à Verdun. La bataille diminue sur ce front-ci. Il ne faut rien craindre pour moi; nous sommes prêts tous; vraiment, il est magnifique de voir de près l'enthousiasme de certains soldats qui paraissaient si fermés.

J'ai eu la grande joie de communier ce matin … te dire ce que j'ai été heureux de le pouvoir faire. Le bon Dieu décidera de mon sort, et au fond du coeur il faut dire: que votre volonté soit faite et non la nôtre.

Il faut te dire aussi que nous serons au moins dix jours sans écrire et sans avoir rien comme ravitaillement; ton colis m'arrive comme si Dieu l'avait permis.

Oh! ma maman, qu'il m'est doux de faire mon grand devoir d'homme, de soulager ainsi notre plus grande France; prie bien et reste ferme avec moi pour nous retrouver tous à la victoire glorieuse. Ton Paulo restera bon et deviendra meilleur encore; prions plus que jamais, que ton coeur soit haut et gai pour nous tous, que je le savoure encore comme le bon Dieu le voudra bien.

J'aurais voulu avoir quelques lignes de toi ce soir! mais tu n'auras pas non plus de mes lettres, il ne faut pas que tu t'ennuies!

Dis bonjour à Madame X… de ma part, je n'écris qu'à toi et n'ai le temps de rien.

Bons baisers à toi, à papa et de toi à tous.

Ton petit,

PAULO.

Lettre écrite par le Sous-Lieutenant Georges LEVY, 3e Bataillon de marche d'Infanterie légère d'Afrique, tombé au champ d'honneur, au combat de Moronvilliers, le 17 Mars 1917.

Ma chère petite Maman,

Si cette lettre te parvient, c'est que je ne serai plus. Je veux que tu reçoives alors ce dernier adieu. Certes, ce n'est pas très gai de mourir à 22 ans, mais tu pourras être fière de moi comme je le serai moi-même.

J'aurai fait mon devoir et pour un israélite c'est deux fois plus beau. J'aurais voulu vivre pour te rendre heureuse, Dieu ne l'a pas voulu, que sa volonté soit faite. Je n'ai pas toujours été un fils modèle, mais mes bêtises m'avaient servi de leçon et j'aurais voulu te prouver combien je t'aimais!…

Avec ta pensée, je vais au combat et t'embrasse avec toute la tendresse et l'affection que j'ai pour toi.

GEORGES.

Lettre écrite par l'Aspirant LORMIER, 54e Régiment d'Infanterie Coloniale, tombé glorieusement au champ d'honneur le 15 Septembre 1918.

Aux armées, le 2 Septembre 1918.

Mon cher Papa,

Nous allons attaquer sous peu. La compagnie est en première ligne; si tu reçois cette lettre, c'est que je serai tombé au champ d'honneur, comme je l'ai toujours souhaité, car c'est la seule mort pour un soldat.

Je ne veux pas que l'on porte mon deuil, car il n'y a pas à pleurer dès l'instant que j'ai terminé ma vie en campagne et face à l'ennemi.

Je demande qu'on laisse mon corps là où je serai tombé, parmi mes camarades de combat.

Notre attaque sera dure, très dure, mais je pense qu'elle réussira quand même, ce qui permettra de libérer Monastir de ces êtres exécrés que nous aurons bientôt. Ma mort n'est rien si nous avons la victoire et si le drapeau français continue à flotter sur tout l'univers comme précédemment et si je ferme les yeux en voyant l'objectif atteint.

Je te prie de faire savoir ma mort aux parents, aux proviseurs des Lycées Henri IV et Michelet, ainsi qu'à Madame Magnien, à Brémont, par Rotter (Saône-et-Loire), et à mon camarade Henri Blin, dont les parents habitent 27, rue d'Ulm, à Paris (5e). Je te prie, en outre, d'annoncer au commandant ma joie de tomber à l'attaque, en tête de ma section et en contemplant le drapeau tricolore sur lequel vos têtes qui me sont chères apparaissent à la place des victoires, gravées en lettres d'or, de la France.

Encore une fois, je ne veux pas que l'on porte mon deuil, car j'ai 22 ans et l'on attaque, c'est-à-dire que j'ai fait volontiers le sacrifice de ma vie pour la victoire de mon pays et l'écrasement de l'hydre germanique.

Nous allons sortir dans peu d'instants, je pense en revenir et, si je meurs, ce ne sera pas sans avoir embrassé une dernière fois votre photographie qui est placée dans mon portefeuille. Je regarde aussi une dernière fois notre drapeau et le portrait du Maréchal Joffre, qui symbolisent la France et que je mets au-dessus de vous, mes chers parents, car c'est pour elle que je mourrai au champ d'honneur.

Vive la France!

Adieu, mes chers parents.

LORMIER.

Lettre écrite par le Sergent Marcel DE LOSME, 116e Chasseurs Alpins, tombé pour la France, le 26 Octobre 1916, sous le fort de Douaumont (Verdun).

14 Octobre 1916.

Maman chérie, chers tous,

Ce soir, pendant la manoeuvre, je relisais vos lettres si chères. Quel bon temps elles me font passer!… Tous ces petits détails que vous me racontez, bien loin de m'ennuyer, me font vivre avec vous. Les bruyères de Nans iront rejoindre les lis séchés dans mon carnet de route, et ainsi je me raccroche à toutes ces choses qui sont pour moi comme le souvenir du Paradis perdu et comme un aperçu de la terre promise.

Parfois je rêve aussi, couché sur les coteaux meusiens arides sous le ciel gris … je rêve, car dans les manoeuvres actuelles on ne marche pas beaucoup, et alors c'est la vision, si vive qu'elle semble réelle, de vous tous dans les lieux que j'aime tant. Je vous vois, en ce moment, tous réunis, faisant, le soir, la promenade de Lorges, alors qu'au-dessus des rochers gris la première étoile brille dans le ciel encore clair.

Je vous vois, plus tard, à la veillée, autour de la table de famille, plongés dans la lecture des journaux…. J'entends l'appel de vos voix dans le jardin. Alors je me laisse bercer par des rêves de paix et de tendresse.

Mais, tout à coup, un appel de sifflet me réveille au milieu de la guerre et de son attirail … et je suis la voie que le devoir m'a tracée.

Je la suis volontiers et sans regret, fortifiant au contraire cette volonté qui nous est si souvent nécessaire…. Je ne regrette rien, non rien, quelque pénible que soit ma vie parfois. Je sens que c'est là ce que je devais faire et que je suis bien à ma place, et la satisfaction de faire son devoir est encore quelque chose.

Et puis ce rude contact est une bonne chose: il faut avoir souffert physiquement pour être solide; il faut souffrir moralement pour avoir la notion exacte de la vie et avoir l'âme haut placée.

Je sens qu'à ces deux points de vue j'ai fait d'immenses progrès. Quelquefois, quand, le barda sur mon dos, je chemine sur les interminables routes, je songe que vous me prédisiez que je n'irais pas bien loin en pareil équipage et que je supporterais fort mal la vie militaire, et, ma foi! je donne un démenti assez catégorique à ces craintes. Quant au moral, j'étais trop heureux et incapable d'un effort de longue haleine. J'ai pris l'habitude de ne pas me rebuter aux désillusions; parce qu'il le fallait, j'ai fait par volonté ce que je rêvais de faire par enthousiasme….

J'entends la musique qui, sur la place de l'Eglise, joue une marche entraînante au rythme des chasseurs, et je vois notre retour triomphal après la victoire, sur les boulevards de Nice, au milieu des pavois et des fleurs. J'entends le bruit des cuivres dans le tumulte des vivats, je vois les baïonnettes brillantes et les visages heureux de ceux qui retournent.

Je vous vois sur un trottoir attendant le défilé, puis vous mêlant à la foule qui suit enthousiaste, en cherchant Marco.

Et puis, voilà Marco qui passe, aussi heureux de ce qu'il a souffert que de la joie immense du retour.

Ah! quelles belles expansions!

Quelles extravagances ne ferai-je pas?

Oui, mes chéris, ça viendra, encore un effort et puis ce sera le retour triomphant!

Marcel DE LOSME.

Lettre écrite par le Sous-Lieutenant Max MAGNUS, 1er Régiment Etranger, tombé au champ d'honneur, à Florina (Macédoine), en 1916.

23 Septembre, 12 h. 45.

Ma chère Bérénice,

Depuis quatre jours, nous sommes au feu sans nous déchausser ni nous déséquiper. Il fait aujourd'hui un temps splendide. Je me sens très fort et très vigoureux. Nous allons attaquer dans quelques instants. Si je suis tué, mes dernières pensées seront pour toi.

Je t'embrasse.

Max MAGNUS.

Lettres du Commandant IMHAUS DE MAHY, officier en retraite, qui a repris volontairement du service à 60 ans, tué héroïquement à Verdun, à 62 ans, le 30 Mars 1916.

28 Mars 1916.

A sa Femme.

…Bombardement effroyable. De temps en temps, j'apprends que quelqu'un ou quelques-uns de mes bien-aimés petits soldats, fils de femmes de France et mères éplorées, sont tués ou blessés. L'assaut peut venir d'un moment à l'autre. J'ai choisi mon P.C. dans la tranchée au centre de l'attaque, puis mon dernier réduit où, entouré des derniers défenseurs, je lutterai jusqu'à la mort. Ton mari, ma chère femme, sera digne de nos enfants, des DE MAHY, des DE LA SERVE. S'il tombe, ce sera face à l'ennemi, ce sera la plus belle des morts. Vous que je laisse, je vous plains. Quant à moi, mon sort sera digne d'envie. Celui qui meurt ressuscite. Vive la France! A toi de tout coeur. J'ai la conviction de retrouver des êtres adorés….

A ses deux plus jeunes Fils après la mort de son Fils aîné.

…Vous serez dignes de vos devanciers qui ont regardé la mort en face, leur sang fécond a arrosé la terre de France. Nos bien-aimés sont entrés dans l'immortalité. Comme eux, vous frapperez fort et vous tomberez s'il le faut sans peur, sans reproche, face au ciel qui vous attend. La cause de la France est celle de l'Univers. Gloire à notre France immortelle….

…Notre force morale vient de ce que nous défendons non seulement notre sol et nos libertés, mais encore les droits imprescriptibles de l'Humanité contre la plus odieuse des machinations qui sera renversée. Mais ce résultat exige un holocauste sanglant.

Extraits de lettres écrites par le Sergent André IMHAUS DE MAHY, 5e Régiment d'Infanterie Coloniale, engagé volontaire, disparu le 29 Septembre 1915, à Souain (Champagne).

…Il m'est impossible de vous exprimer ma grande satisfaction de servir la Patrie. Je suis heureux de faire mon devoir….

…Mes chers parents, je montrerai que j'ai une Patrie pour laquelle nous devons nous donner, que j'ai la qualité d'être Français, que j'ai un nom. Je me montrerai digne de vous, de mes frères, et je n'oublie pas que je dois en venger un. Je ne commettrai jamais de cruauté….

Fragment de lettre écrite par le Sergent Emile IMHAUS DE MAHY, engagé volontaire, disparu le 29 Septembre 1915, à Souain (Champagne).

«Nous sommes prêts aux prochains sacrifices. Tout le monde fait son devoir sans broncher et avec honneur».

Extrait de lettre écrite par François IMHAUS DE MAHY, Caporal au 22e Régiment d'Infanterie Coloniale, engagé volontaire, blessé mortellement, le 27 Août 1914, à Stenay.

«Je suis heureux de mourir en ayant fait mon devoir.»

François IMHAUS DE MAHY.

Fragment de lettre du Capitaine Georges IMHAUS DE MAHY, 33e Régiment d'Infanterie Coloniale, tombé au champ d'honneur, le 29 Juillet 1918, à Romigny (Marne), après son père, son frère aîné et la disparition de ses deux plus jeunes frères.

«…Nous avons tous fait le sacrifice de notre vie….»

Georges IMHAUS DE MAHY.

Dernière lettre du Capitaine Henri MARQUIZAA, tué devant Loos (Belgique), le 20 Octobre 1915, à sa mère.

Chère Maman,

Si je meurs à la guerre, sache que mes dernières pensées auront été pour le bon Dieu, pour la France et pour toi.

Pour le bon Dieu à qui je demande de me mettre en état de grâce.

Pour la France que j'aurais voulu voir victorieuse.

Pour toi enfin que j'adorai et que j'aurais voulu embrasser avant de partir.

Ton HENRI.

Lettre écrite par le Caporal Léon-Roger MARX, 4e Zouaves, tombé au champ d'honneur le 27 Juin 1917.

J'ai découvert la beauté simple de cette volonté de tenir, de résister à sa sensibilité, de se dominer. Ne crois pas que cela m'ait rendu plus dur; mais j'ai été très content de voir que j'arrivais à ne plus craindre la tristesse, à ne plus me laisser noyer par elle, comme j'ai su, et je t'assure que j'en suis fier, n'avoir jamais peur du danger. Cet équilibre, je voudrais le garder toute ma vie sans pour cela que ma sensibilité s'amoindrisse….

Ne te frappe pas pour les bonnes années qu'on a passées si loin; d'abord, la France est si belle et nous a valu une si admirable formation morale et esthétique! Enfin, nous apprécierons mieux encore notre bonheur pour avoir vu et pressenti tant de choses tristes … tristes, tu sais.

Cette vie éreintante, je l'ai voulue et elle est celle que je devais mener…. Je me trouve, ce matin, presque calme et sans tristesse, plein de force et de clarté en moi. Je pense qu'on est heureux de se sentir valide, au pied, pour ainsi dire, de son devoir; et vraiment rien ne me fait peur tant que je me sens fort et comme fier.

Lettres de Roger MEYER et de Raymond LOUIS, tombés au champ d'honneur, le 23 Août 1914, dans une petite maison d'Hanzinelle (Belgique) qu'ils avaient mission de défendre.

Quand la mère et belle-mère des deux soldats est allée, en 1919, en Belgique, pour tâcher de parvenir à les reconnaître, la femme qui habitait la maison, dans laquelle un obus les a tués tous, a remis en pleurant à Mme LOUIS un petit bout de papier qu'elle a trouvé dans la poche d'un jupon, en rentrant chez elle après l'armistice, et sur lequel étaient tracées les lignes ci-dessous:

Monsieur, Madame, chers Alliés,

Nous sommes 15 petits soldats français barricadés dans votre maison. Nous y sommes entrés précipitamment et force nous a été de faire des dégâts; nous en sommes très fâchés pour vous, mais il nous est impossible de faire autrement. Avant de mourir pour la France, pour la Belgique, nous vous réitérons nos regrets et vous saluons.

LOUIS.

Le 20 Août 1914.

Bien chers Parents, Frères et Soeurs,

Les deux bonnes lettres de père m'ont causé la plus grande joie et c'est avec un plaisir toujours nouveau que je les lis et relis aux moments où l'esprit se repose de cette vie un peu ahurissante et mouvementée. Depuis cinq jours, nous marchons, nous marchons sous la pluie, le soleil, les nuages de poussière. Nous faisons à peu près 25 kilomètres chaque jour, sans voir autre chose de tous côtés que des fantassins, des zouaves, des tirailleurs sénégalais, des cavaliers, des artilleurs, bref tout ce qu'un pays comme le nôtre peut aligner contre les lâches et barbares Allemands.

Depuis trois jours, nous sommes en Belgique, et l'accueil si chaleureux et si hospitalier de la population nous réconforte et nous donne des jambes et du coeur à l'ouvrage. Ce ne sont qu'acclamations sur notre passage; on nous donne des fleurs, des drapeaux, des rubans; les seaux de café, de bière, de cidre sont alignés sur le pas des portes, on distribue à profusion d'immenses tartines de beurre et de confitures, des cigarettes, des cigares.

Nous trouvons dans les villages la plus large hospitalité. Jusqu'à présent, je n'ai connu le lit dans la paille que deux fois. Vous voyez que nous n'avons pas lieu jusqu'à présent de nous plaindre. D'autre part, les succès journaliers des armées belges et françaises nous donnent confiance et espoir. Nous sommes maintenant à peu de distance de l'ennemi, et il est fort probable qu'aujourd'hui nous aurons le baptême du feu. Je vous assure que je n'ai aucune appréhension. Que voulez-vous, c'est au petit bonheur; j'ai toujours eu l'idée que nous en reviendrons; si le contraire se produit, ma foi, vous pourrez avoir la certitude que nous y sommes allés gaiement, sachant que nous travaillons pour le bien-être de tous ceux qui resteront et qui seront à jamais débarrassés de ce fléau germanique qui empoisonne le monde depuis quarante ans.

Quelle fête à notre retour! Nous aurons à célébrer les victoires françaises, la joie du retour et la venue au monde du cher petit que nous attendons avec tant d'impatience et que je voudrais tant avoir connu avant de partir.

Enfin, l'avenir nous réunira tous, plus unis et plus joyeux que jamais. Je vous donnerai bientôt d'autres nouvelles; communiquez celles que je vous donne à tous ceux qui me sont chers.

Je vous embrasse tous, bien chers parents, frères et soeurs que j'aime tant, avec toute l'affection de mon coeur de soldat français.

Vive la France et à bientôt la joie du retour.

Votre fils qui pense toujours à vous,

ROGER.

Je joins un petit mot à la lettre de Roger, à mon vieux frangin, pour vous assurer de notre inséparable amitié et vous envoyer, à vous et à tous les vôtres, mon plus affectueux souvenir. Ayez confiance, nous reviendrons tous deux. Dieu ne nous abandonnera pas. Si toutefois le sort nous désignait, vous auriez la satisfaction de savoir que c'est pour votre bien-être à tous que notre sang aurait été versé.

Encore une fois, soyez tous courageux comme nous-mêmes en cas de malheur et recevez encore mes affectueuses amitiés.

RAYMOND.

Dernière lettre du Lieutenant René MONIER, du 43e Régiment d'Infanterie Coloniale, mort pour la France, le 28 Septembre 1915, à Givenchy.

Le 11 Septembre 1915.

…L'heure n'est pas aux discours, à la phraséologie. Le vocabulaire de l'héroïsme épistolaire est d'ores et déjà épuisé et je n'ai garde de vous laisser une de ces belles lettres in extremis en «trémolo majeur», du genre de celles qui trouvent place chaque jour dans nos quotidiens en mal de copie.

Inutile de vous redire ce que je fus pendant ma vie, vous le savez, je ne vous ai jamais rien caché.

Inutile de vous dire ce que je serai devant la mort, au champ d'honneur, vous le devinez ou d'autres vous le diront.

«Mourir pour la Patrie est le sort le plus beau». Ce n'est pas moi qui l'ai dit; mais je tiens du moins à tirer de cette vérité universellement acceptée toutes ses conséquences logiques. Donc:

1° Pas de larmes! On ne pleure pas un être que l'on sait avoir joui du sort le plus beau.

2° Pas de deuil, mon désir est formel et devra être respecté.

3° Ni discours, ni fleurs, ni couronne sur ma tombe … mais un simple drapeau!

Je lègue mon sabre et mon épée à papa, qui les mettra en panoplie dans son bureau pour symboliser les deux états où je sus, grâce à l'exemple qu'il m'a donné, faire droitement et simplement mon devoir.

Lettre de MONNIER, Charles, 217e Régiment d'Infanterie, 4e Compagnie de Mitrailleuses, tué à Locre (devant le mont Kemmel), le 31 Mai 1918.

Mai 1918.

Parents chéris, Soeur et Frère,

Quand vous recevrez cette lettre, je ne serai plus.

Ne vous désolez pas trop, chers parents; Dieu m'appelle à lui; la Patrie demande mon sang; volontiers je le donne, après tant d'autres.

Ne vaut-il pas mieux mourir jeune, au cours d'une bataille qui peut-être décidera du sort du monde, de la belle mort du soldat et ne pas affronter tous les chagrins, toutes les peines dont la vie est remplie?

J'ai fait toujours courageusement mon devoir; vous pouvez être fiers de moi, je n'ai pas failli à ma tâche de bon soldat. Cela m'a été assez facile: je n'ai eu qu'à mettre en pratique les fiers et patriotiques principes que vous m'avez toujours inculqués.

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