La petite Fadette
Toute Fadette a son Fadet.
La pluie tombait et grésillait sur le vitrage, et Fanchon pensait à son amoureux, lorsqu'on frappa à la porte, et une voix lui dit:
—Fanchon Fadet, êtes-vous là, et me reconnaissez-vous?
Elle ne fut point engourdie pour aller ouvrir, et grande fut sa joie en se laissant serrer sur le cœur de son ami Landry. Landry avait eu connaissance de la maladie de la grand'mère et du retour de Fanchon. Il n'avait pu résister à l'envie de la voir, et il venait à la nuit pour s'en aller avec le jour. Ils passèrent donc toute la nuit à causer au coin du feu, bien sérieusement et bien sagement, car la petite Fadette rappelait à Landry que le lit où sa grand'mère avait rendu l'âme était à peine refroidi, et que ce n'était l'heure ni l'endroit pour s'oublier dans le bonheur. Mais, malgré leurs bonnes résolutions, ils se sentirent bien heureux d'être ensemble et de voir qu'ils s'aimaient plus qu'ils ne s'étaient jamais aimés.
Comme le jour approchait, Landry commença pourtant à perdre courage, et il priait Fanchon de le cacher dans son grenier pour qu'il pût encore la voir la nuit suivante. Mais, comme toujours, elle le ramena à la raison. Elle lui fit entendre qu'ils n'étaient plus séparés pour longtemps, car elle était résolue à rester au pays.
—J'ai pour cela, lui dit-elle, des raisons que je te ferai connaître plus tard et qui ne nuiront pas à l'espérance que j'ai de notre mariage. Va achever le travail que ton maître t'a confié, puisque, selon ce que ma marraine m'a conté, il est utile à la guérison de ton frère qu'il ne te voie pas encore de quelque temps.
—Il n'y a que cette raison-là qui puisse me décider à te quitter, répondit Landry; car mon pauvre besson m'a causé bien des peines, et je crains qu'il ne m'en cause encore. Toi, qui es si savante, Fanchonnette, tu devrais bien trouver un moyen de le guérir.
—Je n'en connais pas d'autre que le raisonnement, répondit-elle: car c'est son esprit qui rend son corps malade, et qui pourrait guérir l'un guérirait l'autre. Mais il a tant d'aversion pour moi, que je n'aurai jamais l'occasion de lui parler et de lui donner des consolations.
—Et pourtant tu as tant d'esprit, Fadette, tu parles si bien, tu as un don si particulier pour persuader ce que tu veux, quand tu en prends la peine, que si tu lui parlais seulement une heure, il en ressentirait l'effet. Essaie-le, je te le demande. Ne te rebute pas de sa fierté et de sa mauvaise humeur. Oblige-le à t'écouter. Fais cet effort-là pour moi, ma Fanchon, et pour la réussite de nos amours aussi, car l'opposition de mon frère ne sera pas le plus petit de nos empêchements.
Fanchon promit, et ils se quittèrent après s'être répété plus de deux cents fois qu'ils s'aimaient et s'aimeraient toujours.
XXXIII.
Personne ne sut dans le pays que Landry y était venu. Quelqu'un qui l'aurait pu dire à Sylvinet l'aurait fait retomber dans son mal, il n'eût point pardonné à son frère d'être venu voir la Fadette et non pas lui.
A deux jours de là, la petite Fadette s'habilla très-proprement, car elle n'était plus sans sou ni maille, et son deuil était de belle sergette fine. Elle traversa le bourg de la Cosse, et, comme elle avait beaucoup grandi, ceux qui la virent passer ne la reconnurent pas tout d'abord. Elle avait considérablement embelli à la ville; étant mieux nourrie et mieux abritée, elle avait pris du teint et de la chair autant qu'il convenait à son âge, et l'on ne pouvait plus la prendre pour un garçon déguisé, tant elle avait la taille belle et agréable à voir. L'amour et le bonheur avaient mis aussi sur sa figure et sur sa personne ce je ne sais quoi qui se voit et ne s'explique point. Enfin elle était non pas la plus jolie fille du monde, comme Landry se l'imaginait, mais la plus avenante, la mieux faite, la plus fraîche et peut-être la plus désirable qu'il y eût dans le pays.
Elle portait un grand panier passé à son bras, et entra à la Bessonnière, où elle demanda à parler au père Barbeau. Ce fut Sylvinet qui la vit le premier, et il se détourna d'elle, tant il avait de déplaisir à la rencontrer. Mais elle lui demanda où était son père avec tant d'honnêteté, qu'il fut obligé de lui répondre et de la conduire à la grange, où le père Barbeau était occupé à chapuser. La petite Fadette ayant prié alors le père Barbeau de la conduire en un lieu où elle pût lui parler secrètement, il ferma la porte de la grange et lui dit qu'elle pouvait lui dire tout ce qu'elle voudrait.
La petite Fadette ne se laissa pas essotir par l'air froid du père Barbeau. Elle s'assit sur une botte de paille, lui sur une autre, et elle lui parla de la sorte:
—Père Barbeau, encore que ma défunte grand'mère eût du dépit contre vous, et vous du dépit contre moi, il n'en est pas moins vrai que je vous connais pour l'homme le plus juste et le plus sûr de tout notre pays. Il n'y a qu'un cri là-dessus, et ma grand'mère elle-même, tout en vous blâmant d'être fier, vous rendait la même justice. De plus, j'ai fait, comme vous savez, une amitié très-longue avec votre fils Landry. Il m'a souventes fois parlé de vous, et je sais par lui, encore mieux que par tout autre, ce que vous êtes et ce que vous valez. C'est pourquoi je viens vous demander un service, et vous donner ma confiance.
—Parlez, Fadette, répondit le père Barbeau; je n'ai jamais refusé mon assistance à personne, et si c'est quelque chose que ma conscience ne me défende pas, vous pouvez vous fier à moi.
—Voici ce que c'est, dit la petite Fadette en soulevant son panier et en le plaçant entre les jambes du père Barbeau. Ma défunte grand'mère avait gagné dans sa vie, à donner des consultations et à vendre des remèdes, plus d'argent, qu'on ne pensait: comme elle ne dépensait quasi rien et ne plaçait rien, on ne pouvait savoir ce qu'elle avait dans un vieux trou de son cellier, qu'elle m'avait souvent montré en me disant: Quand je n'y serai plus, c'est là que tu trouveras ce que j'aurai laissé: c'est ton bien et ton avoir, ainsi que celui de ton frère; et si je vous prive un peu à présent, c'est pour que vous en trouviez davantage un jour. Mais ne laisse pas les gens de loi toucher à cela, ils te le feraient manger en frais. Garde-le quand tu le tiendras, cache-le toute ta vie, pour t'en servir sur tes vieux jours, et ne jamais manquer.
Quand ma pauvre grand'mère a été ensevelie, j'ai donc obéi à son commandement; j'ai pris la clef du cellier, et j'ai défait les briques du mur, à l'endroit qu'elle m'avait montré. J'y ai trouvé ce que je vous apporte dans ce panier, père Barbeau, en vous priant de m'en faire le placement comme vous l'entendrez, après avoir satisfait à la loi que je ne connais guère, et m'avoir préservée des gros frais que je redoute.
—Je vous suis obligé de votre confiance, Fadette, dit le père Barbeau sans ouvrir le panier, quoiqu'il en fût un peu curieux, mais je n'ai pas le droit de recevoir votre argent ni de surveiller vos affaires. Je ne suis point votre tuteur. Sans doute votre grand'mère a fait un testament?
—Elle n'a point fait de testament, et la tutrice que la loi me donne c'est ma mère. Or, vous savez que je n'ai point de ses nouvelles depuis longtemps, et que je ne sais si elle est morte ou vivante, la pauvre âme! Après elle, je n'ai d'autre parenté que celle de ma marraine Fanchette, qui est une brave et honnête femme, mais tout à fait incapable de gérer mon bien et même de le conserver et de le tenir serré. Elle ne pourrait se défendre d'en parler et de le montrer à tout le monde, et je craindrais, ou qu'elle n'en fît un mauvais placement, ou qu'à force de le laisser manier par les curieux, elle ne le fît diminuer sans y prendre garde; car la pauvre chère marraine, elle n'est point dans le cas d'en savoir faire le compte.
—C'est donc une chose de conséquence? dit le père Barbeau, dont les yeux s'attachaient en dépit de lui-même sur le couvercle du panier; et il le prit par l'anse pour le soupeser. Mais il le trouva si lourd qu'il s'en étonna, et dit:
—Si c'est de la ferraille, il n'en faut pas beaucoup pour charger un cheval.
La petite Fadette, qui avait un esprit du diable, s'amusa en elle-même de l'envie qu'il avait de voir le panier. Elle fit mine de l'ouvrir; mais le père Barbeau aurait cru manquer à sa dignité en la laissant faire.
—Cela ne me regarde point, dit-il, et puisque je ne puis le prendre en dépôt, je ne dois point connaître vos affaires.
—Il faut pourtant bien, père Barbeau, dit la Fadette, que vous me rendiez au moins ce petit service-là. Je ne suis pas beaucoup plus savante que ma marraine pour compter au-dessus de cent. Ensuite je ne sais pas la valeur de toutes les monnaies anciennes et nouvelles, et je ne puis me fier qu'à vous pour me dire si je suis riche ou pauvre, et pour savoir au juste le compte de mon avoir.
—Voyons donc, dit le père Barbeau qui n'y tenait plus: ce n'est pas un grand service que vous me demandez là, et je ne dois point vous le refuser.
Alors la petite Fadette releva lestement les deux couvercles du panier, et en tira deux gros sacs, chacun de la contenance de deux mille francs écus.
—Eh bien! c'est assez gentil, lui dit le père Barbeau, et voilà une petite dot qui vous fera rechercher par plusieurs.
—Ce n'est pas le tout, dit la petite Fadette; il y a encore là, au fond du panier, quelque petite chose que je ne connais guère.
Et elle tira une bourse de peau d'anguille, qu'elle versa dans le chapeau du père Barbeau. Il y avait cent louis d'or frappés à l'ancien coin, qui firent arrondir les yeux au brave homme; et, quand il les eut comptés et remis dans la peau d'anguille, elle en tira une seconde de la même contenance, et puis une troisième, et puis une quatrième, et finalement, tant en or qu'en argent et menue monnaie, il n'y avait, dans le panier, pas beaucoup moins de quarante mille francs.
C'était environ le tiers en plus de tout l'avoir que le père Barbeau possédait en bâtiments, et, comme les gens de campagne ne réalisent guère en espèces sonnantes, jamais il n'avait vu tant d'argent à la fois.
Si honnête homme et si peu intéressé que soit un paysan, on ne peut pas dire que la vue de l'argent lui fasse de la peine; aussi le père Barbeau en eut, pour un moment, la sueur au front. Quand il eut tout compté:
—Il ne te manque, pour avoir quarante fois mille francs, dit-il, que vingt-deux écus, et autant dire que tu hérites pour ta part de deux mille belles pistoles sonnantes; ce qui fait que tu es le plus beau parti du pays, petite Fadette, et que ton frère, le sauteriot, peut bien être chétif et boiteux toute sa vie: il pourra aller visiter ses biens en carriole. Réjouis-toi donc, tu peux te dire riche et le faire assavoir, si tu désires trouver vite un beau mari.
—Je n'en suis point pressée, dit la petite Fadette, et je vous demande, au contraire, de me garder le secret sur cette richesse-là, père Barbeau. J'ai la fantaisie, laide comme je suis, de ne point être épousée pour mon argent, mais pour mon bon cœur et ma bonne renommée; et comme j'en ai une mauvaise dans ce pays-ci, je désire y passer quelque temps pour qu'on s'aperçoive que je ne la mérite point.
—Quant à votre laideur, Fadette, dit le père Barbeau en relevant ses yeux qui n'avaient point encore lâché de couver le panier, je puis vous dire, en conscience, que vous en avez diantrement rappelé, et que vous vous êtes si bien refaite à la ville que vous pouvez passer à cette heure pour une très-gente fille. Et quant à votre mauvaise renommée, si, comme j'aime à le croire, vous ne la méritez point, j'approuve votre idée de tarder un peu et de cacher votre richesse, car il ne manque point de gens qu'elle éblouirait jusqu'à vouloir vous épouser, sans avoir pour vous, au préalable, l'estime qu'une femme doit désirer de son mari.
Maintenant, quant au dépôt que vous voulez faire entre mes mains, ce serait contre la loi et pourrait m'exposer plus tard à des soupçons et à des incriminations, car il ne manque point de mauvaises langues; et, d'ailleurs, à supposer que vous ayez le droit de disposer de ce qui est à vous, vous n'avez point celui de placer à la légère ce qui est à votre frère mineur. Tout ce que je pourrai faire, ce sera de demander une consultation pour vous, sans vous nommer. Je vous ferai savoir alors la manière de mettre en sûreté et en bon rapport l'héritage de votre mère et le vôtre, sans passer par les mains des hommes de chicane, qui ne sont pas tous bien fidèles. Remportez donc tout ça, et cachez-le encore jusqu'à ce que je vous aie fait réponse. Je m'offre à vous dans l'occasion, pour porter témoignage devant les mandataires de votre cohéritier, du chiffre de la somme que nous avons comptée, et que je vais écrire dans un coin de ma grange pour ne pas l'oublier.
C'était tout ce que voulait la petite Fadette, que le père Barbeau sût à quoi s'en tenir là-dessus. Si elle se sentait un peu fière devant lui d'être riche, c'est parce qu'il ne pouvait plus l'accuser de vouloir exploiter Landry.
XXXIV.
Le père Barbeau, la voyant si prudente, et comprenant combien elle était fine, se pressa moins de lui faire faire son dépôt et son placement, que de s'enquérir de la réputation qu'elle s'était acquise à Château-Meillant, où elle avait passé l'année. Car, si cette belle dot le tentait et lui faisait passer par-dessus la mauvaise parenté, il n'en était pas de même quand il s'agissait de l'honneur de la fille qu'il souhaitait avoir pour bru. Il alla donc lui-même à Château-Meillant, et prit ses informations en conscience. Il lui fut dit que non-seulement la petite Fadette n'y était point venue enceinte et n'y avait point fait d'enfant, mais encore qu'elle s'y était si bien comportée qu'il n'y avait point le plus petit blâme à lui donner. Elle avait servi une vieille religieuse noble, laquelle avait pris plaisir à en faire sa société plus que sa domestique, tant elle l'avait trouvée de bonne conduite, de bonnes mœurs et de bon raisonnement. Elle la regrettait beaucoup, et disait que c'était une parfaite chrétienne, courageuse, économe, propre, soigneuse, et d'un si aimable caractère, qu'elle n'en retrouverait jamais une pareille. Et comme cette vieille dame était assez riche, elle faisait de grandes charités, en quoi la petite Fadette la secondait merveilleusement pour soigner les malades, préparer les médicaments, et s'instruire de plusieurs beaux secrets que sa maîtresse avait appris dans son couvent, avant la révolution.
Le père Barbeau fut bien content, et il revint à la Cosse, décidé à éclaircir la chose jusqu'au bout. Il assembla sa famille et chargea ses enfants aînés, ses frères et toutes ses parentes, de procéder prudemment à une enquête sur la conduite que la petite Fadette avait tenue depuis qu'elle était en âge de raison, afin que, si tout le mal qu'on avait dit d'elle n'avait pour cause que des enfantillages, on pût s'en moquer; au lieu que si quelqu'un pouvait affirmer l'avoir vue commettre une mauvaise action ou faire une chose indécente, il eût à maintenir contre elle la défense qu'il avait faite à Landry de la fréquenter. L'enquête fut faite avec la prudence qu'il souhaitait, et sans que la question de dot fût ébruitée, car il n'en avait dit mot, même à sa femme.
Pendant ce temps-là, la petite Fadette vivait très-retirée dans sa petite maison, où elle ne voulut rien changer, sinon de la tenir si propre qu'on se fût miré dans ses pauvres meubles. Elle fit habiller proprement son petit sauteriot, et, sans le faire paraître, elle le mit, ainsi qu'elle-même et sa marraine, à une bonne nourriture, qui fit vitement son effet sur l'enfant; il se refit du mieux qu'il était possible, et sa santé fut bientôt aussi bonne qu'on pouvait le souhaiter. Le bonheur amenda vite aussi son tempérament; et, n'étant plus menacé et tancé par sa grand'mère, ne rencontrant plus que des caresses, des paroles douces et de bons traitements, il devint un gars fort mignon, tout plein de petites idées drôles et aimables, et ne pouvant plus déplaire à personne, malgré sa boiterie et son petit nez camard.
Et, d'autre part, il y avait un si grand changement dans la personne et dans les habitudes de Fanchon Fadet, que les méchants propos furent oubliés, et que plus d'un garçon, en la voyant marcher si légère et de si belle grâce, eût souhaité qu'elle fût à la fin de son deuil, afin de pouvoir la courtiser et la faire danser.
Il n'y avait que Sylvinet Barbeau qui n'en voulût point revenir sur son compte. Il voyait bien qu'on manigançait quelque chose à propos d'elle dans sa famille, car le père ne pouvait se tenir d'en parler souvent, et quand il avait reçu rétractation de quelque ancien mensonge fait sur le compte de Fanchon, il s'en applaudissait dans l'intérêt de Landry, disant qu'il ne pouvait souffrir qu'on eût accusé son fils d'avoir mis à mal une jeunesse innocente.
Et l'on parlait aussi du prochain retour de Landry, et le père Barbeau paraissait souhaiter que la chose fût agréée du père Caillaud. Enfin Sylvinet voyait bien qu'on ne serait plus si contraire aux amours de Landry, et le chagrin lui revint. L'opinion, qui vire à tout vent, était depuis peu en faveur de la Fadette; on ne la croyait pas riche, mais elle plaisait, et, pour cela, elle déplaisait d'autant plus à Sylvinet, qui voyait en elle la rivale de son amour pour Landry.
De temps en temps le père Barbeau laissait échapper devant lui le mot de mariage, et disait que ses bessons ne tarderaient pas à être en âge d'y penser. Le mariage de Landry avait toujours été une idée désolante à Sylvinet, et comme le dernier mot de leur séparation. Il reprit les fièvres, et la mère consulta encore les médecins.
Un jour, elle rencontra la marraine Fanchette, qui, l'entendant se lamenter dans son inquiétude, lui demanda pourquoi elle allait consulter si loin et dépenser tant d'argent, quand elle avait sous la main une remégeuse plus habile que toutes celles du pays, et qui ne voulait point exercer pour de l'argent, comme l'avait fait sa grand'mère, mais pour le seul amour du bon Dieu et du prochain. Et elle nomma la petite Fadette.
La mère Barbeau en parla à son mari, qui n'y fut point contraire. Il lui dit qu'à Château-Meillant la Fadette était tenue en réputation de grand savoir, et que de tous les côtés on venait la consulter aussi bien que sa dame.
La mère Barbeau pria donc la Fadette de venir voir Sylvinet, qui gardait le lit, et de lui donner son assistance.
Fanchon avait cherché plus d'une fois l'occasion de lui parler, ainsi qu'elle l'avait promis à Landry, et jamais il ne s'y était prêté. Elle ne se fit donc pas semondre et courut voir le pauvre besson. Elle le trouva endormi dans la fièvre, et pria la famille de la laisser seule avec lui. Comme c'est la coutume des remégeuses d'agir en secret, personne ne la contraria et ne resta dans la chambre.
D'abord, la Fadette posa sa main sur celle du besson, qui pendait sur le bord du lit; mais elle le fit si doucement, qu'il ne s'en aperçut pas, encore qu'il eût le sommeil si léger qu'une mouche, en volant, l'éveillait. La main de Sylvinet était chaude comme du feu, et elle devint plus chaude encore dans celle de la petite Fadette. Il montra de l'agitation, mais sans essayer de retirer sa main. Alors, la Fadette lui mit son autre main sur le front, aussi doucement que la première fois, et il s'agita encore plus. Mais, peu à peu, il se calma, et elle sentit que la tête et la main de son malade se rafraîchissaient de minute en minute et que son sommeil devenait aussi calme que celui d'un petit enfant. Elle resta ainsi auprès de lui jusqu'à ce qu'elle le vit disposé à s'éveiller; et alors elle se retira derrière son rideau, et sortit de la chambre et de la maison, en disant à la mère Barbeau:—Allez voir votre garçon et donnez-lui quelque chose à manger, car il n'a plus la fièvre; et ne lui parlez point de moi surtout, si vous voulez que je le guérisse. Je reviendrai ce soir, à l'heure où vous m'avez dit que son mal empirait, et je tâcherai de couper encore cette mauvaise fièvre.
XXXV.
La mère Barbeau fut bien étonnée de voir Sylvinet sans fièvre, et elle lui donna vitement à manger, dont il profita avec un peu d'appétit. Et, comme il y avait six jours que cette fièvre ne l'avait point lâché, et qu'il n'avait rien voulu prendre, on s'extasia beaucoup sur le savoir de la petite Fadette, qui, sans l'éveiller, sans lui rien faire boire, et par la seule vertu de ses conjurations, à ce que l'on pensait, l'avait déjà mis en si bon chemin.
Le soir venu, la fièvre recommença, et bien fort. Sylvinet s'assoupissait, battait la campagne en rêvassant, et, quand il s'éveillait, avait peur des gens qui étaient autour de lui.
La Fadette revint, et, comme le matin, resta seule avec lui pendant une petite heure, ne faisant d'autre magie que de lui tenir les mains et la tête bien doucement, et de respirer fraîchement auprès de sa figure en feu.
Et, comme le matin, elle lui ôta le délire et la fièvre; et quand elle se retira, recommandant toujours qu'on ne parlât point à Sylvinet de son assistance, on le trouva dormant d'un sommeil paisible, n'ayant plus la figure rouge et ne paraissant plus malade.
Je ne sais où la Fadette avait pris cette idée-là. Elle lui était venue par hasard et par expérience, auprès de son petit frère Jeanet, qu'elle avait plus de dix fois ramené de l'article de la mort en ne lui faisant pas d'autre remède que de le rafraîchir avec ses mains et son haleine, ou le réchauffer de la même manière quand la grand'fièvre le prenait en froid. Elle s'imaginait que l'amitié et la volonté d'une personne en bonne santé, et l'attouchement d'une main pure et bien vivante, peuvent écarter le mal, quand cette personne est douée d'un certain esprit et d'une grande confiance dans la bonté de Dieu. Aussi, tout le temps qu'elle imposait les mains, disait-elle en son âme de belles prières au bon Dieu. Et ce qu'elle avait fait pour son petit frère, ce qu'elle faisait maintenant pour le frère de Landry, elle n'eût voulu l'essayer sur aucune autre personne qui lui eût été moins chère, et à qui elle n'eût point porté un si grand intérêt: car elle pensait que la première vertu de ce remède-là, c'était la forte amitié que l'on offrait dans son cœur au malade, sans laquelle Dieu ne vous donnait aucun pouvoir sur son mal.
Et lorsque la petite Fadette charmait ainsi la fièvre de Sylvinet, elle disait à Dieu, dans sa prière, ce qu'elle lui avait dit lorsqu'elle charmait la fièvre de son frère:—Mon bon Dieu, faites que ma santé passe de mon corps dans ce corps souffrant, et, comme le doux Jésus vous a offert sa vie pour racheter l'âme de tous les humains, si telle est votre volonté de m'ôter ma vie pour la donner à ce malade, prenez-la; je vous la rends de bon cœur en échange de sa guérison que je vous demande.
La petite Fadette avait bien songé à essayer la vertu de cette prière auprès du lit de mort de sa grand'mère; mais elle ne l'avait osé, parce qu'il lui avait semblé que la vie de l'âme et du corps s'éteignaient dans cette vieille femme, par l'effet de l'âge et de la loi de la nature qui est la propre volonté de Dieu. Et la petite Fadette, qui mettait, comme on le voit, plus de religion que de diablerie dans ses charmes, eût craint de lui déplaire en lui demandant une chose qu'il n'avait point coutume d'accorder sans miracle aux autres chrétiens.
Que le remède fût inutile ou souverain de lui-même, il est bien sûr, qu'en trois jours, elle débarrassa Sylvinet de sa fièvre, et qu'il n'eût jamais su comment, si en s'éveillant un peu vite, la dernière fois qu'elle vint, il ne l'eût vue penchée sur lui et lui retirant tout doucement ses mains.
D'abord il crut que c'était une apparition, et il referma les yeux pour ne la point voir; mais, ayant demandé ensuite à sa mère si la Fadette ne l'avait point tâté à la tête et au pouls, ou si c'était un rêve qu'il avait fait, la mère Barbeau, à qui son mari avait touché enfin quelque chose de ses projets et qui souhaitait voir Sylvinet revenir de son déplaisir envers elle, lui répondit qu'elle était venue en effet, trois jours durant, matin et soir, et qu'elle lui avait merveilleusement coupé sa fièvre en le soignant en secret.
Sylvinet parut n'en rien croire; il dit que sa fièvre s'en était allée d'elle-même, et que les paroles et secrets de la Fadette n'étaient que vanités et folies; il resta bien tranquille et bien portant pendant quelques jours, et le père Barbeau crut devoir en profiter pour lui dire quelque chose de la possibilité du mariage de son frère, sans toutefois nommer la personne qu'il avait en vue.
—Vous n'avez pas besoin de me cacher le nom de la future que vous lui destinez, répondit Sylvinet. Je sais bien, moi, que c'est cette Fadette qui vous a tous charmés.
En effet, l'enquête secrète du père Barbeau avait été si favorable à la petite Fadette, qu'il n'avait plus d'hésitation et qu'il souhaitait grandement pouvoir rappeler Landry. Il ne craignait plus que la jalousie du besson, et il s'efforçait à le guérir de ce travers, en lui disant que son frère ne serait jamais heureux sans la petite Fadette. Sur quoi Sylvinet répondait:
—Faites donc, car il faut que mon frère soit heureux.
Mais on n'osait pas encore, parce que Sylvinet retombait dans sa fièvre aussitôt qu'il paraissait avoir agréé la chose.
XXXVI.
Cependant le père Barbeau avait peur que la petite Fadette ne lui gardât rancune de ses injustices passées, et que, s'étant consolée de l'absence de Landry, elle ne songeât à quelque autre. Lorsqu'elle était venue à la Bessonnière pour soigner Sylvinet, il avait essayé de lui parler de Landry; mais elle avait fait semblant de ne pas entendre, et il se voyait bien embarrassé.
Enfin, un matin, il prit sa résolution et alla trouver la petite Fadette.
—Fanchon Fadet, lui dit-il, je viens vous faire une question à laquelle je vous prie de me donner réponse en tout honneur et vérité. Avant le décès de votre grand'mère, aviez-vous idée des grands biens qu'elle devait vous laisser?
—Oui, père Barbeau, répondit la petite Fadette, j'en avais quelque idée, parce que je l'avais vue souvent compter de l'or et de l'argent, et que je n'avais jamais vu sortir de la maison que des gros sous; et aussi parce qu'elle m'avait dit souvent, quand les autres jeunesses se moquaient de mes guenilles:—Ne t'inquiète pas de ça, petite. Tu seras plus riche qu'elles toutes, et un jour arrivera où tu pourras être habillée de soie depuis les pieds jusqu'à la tête, si tel est ton bon plaisir.
—Et alors, reprit le père Barbeau, aviez-vous fait savoir la chose à Landry, et ne serait-ce point à cause de votre argent que mon fils faisait semblant d'être épris de vous?
—Pour cela, père Barbeau, répondit la petite Fadette, ayant toujours eu l'idée d'être aimée pour mes beaux yeux, qui sont la seule chose qu'on ne m'ait jamais refusée, je n'étais pas assez sotte pour aller dire à Landry que mes beaux yeux étaient dans des sacs de peau d'anguille; et pourtant, j'aurais pu le lui dire sans danger pour moi; car Landry m'aimait si honnêtement, et d'un si si grand cœur, que jamais il ne s'est inquiété de savoir si j'étais riche ou misérable.
—Et depuis que votre mère-grand est décédée, ma chère Fanchon, reprit le père Barbeau, pouvez-vous me donner votre parole d'honneur que Landry n'a point été informé par vous, ou par quelque autre, de ce qui en est?
—Je vous la donne, dit la Fadette. Aussi vrai que j'aime Dieu, vous êtes, après moi, la seule personne au monde qui ait connaissance de cette chose-là.
—Et, pour ce qui est de l'amour de Landry, pensez-vous, Fanchon, qu'il vous l'ait conservé? et avez-vous reçu, depuis le décès de votre grand'mère, quelque marque qu'il ne vous ait point été infidèle?
—J'ai reçu la meilleure marque là-dessus, répondit-elle; car je vous confesse qu'il est venu me voir trois jours après le décès, qu'il m'a juré qu'il mourrait de chagrin, ou qu'il m'aurait pour sa femme.
—Et vous, Fadette, que lui répondiez-vous?
—Cela, père Barbeau, je ne serais pas obligée de vous le dire; mais je le ferai pour vous contenter. Je lui répondais que nous avions encore le temps de songer au mariage, et que je ne me déciderais pas volontiers pour un garçon qui me ferait la cour contre le gré de ses parents.
Et comme la petite Fadette disait cela d'un ton assez fier et dégagé, le père Barbeau en fut inquiet.—Je n'ai pas le droit de vous interroger Fanchon Fadet, dit-il, et je ne sais point si vous avez l'intention de rendre mon fils heureux ou malheureux pour toute sa vie; mais je sais qu'il vous aime terriblement, et si j'étais en votre lieu, avec l'idée que vous avez d'être aimée pour vous-même, je me dirais: Landry Barbeau m'a aimée quand je portais des guenilles, quand tout le monde me repoussait, et quand ses parents eux-mêmes avaient le tort de lui en faire un grand péché. Il m'a trouvée belle quand tout le monde me déniait l'espérance de le devenir; il m'a aimée en dépit des peines que cet amour-là lui suscitait; il m'a aimée absente comme présente: enfin, il m'a si bien aimée que je ne peux pas me méfier de lui, et que je n'en veux jamais avoir d'autre pour mari.
—Il y a longtemps que je me suis dit tout cela, père Barbeau, répondit la petite Fadette; mais, je vous le répète, j'aurais la plus grande répugnance à entrer dans une famille qui rougirait de moi et ne céderait que par faiblesse et compassion.
—Si ce n'est que cela qui vous retient, décidez-vous, Fanchon, reprit le père Barbeau; car la famille de Landry vous estime et vous désire. Ne croyez point qu'elle a changé parce que vous êtes riche. Ce n'est point la pauvreté qui nous répugnait de vous, mais les mauvais propos tenus sur votre compte. S'ils avaient été bien fondés, jamais, mon Landry eût-il dû en mourir, je n'aurais consenti à vous appeler ma bru; mais j'ai voulu avoir raison de tous ces propos-là; j'ai été à Château-Meillant tout exprès; je me suis enquis de la moindre chose dans ce pays-là et dans le nôtre, et maintenant je reconnais qu'on m'avait menti et que vous êtes une personne sage et honnête, ainsi que Landry l'affirmait avec tant de feu. Par ainsi, Fanchon Fadet, je viens vous demander d'épouser mon fils, et si vous dites oui, il sera ici dans huit jours.
Cette ouverture, qu'elle avait bien prévue, rendit la petite Fadette bien contente; mais ne voulant pas trop le laisser voir, parce qu'elle voulait à tout jamais être respectée de sa future famille, elle n'y répondit qu'avec ménagement. Et alors le père Barbeau lui dit:
—Je vois, ma fille, qu'il vous reste quelque chose sur le cœur contre moi et contre les miens. N'exigez pas qu'un homme d'âge vous fasse des excuses; contentez-vous d'une bonne parole, et, quand je vous dis que vous serez aimée et estimée chez nous, rapportez-vous-en au père Barbeau, qui n'a encore trompé personne. Allons, voulez-vous donner le baiser de paix au tuteur que vous vous étiez choisi, ou au père qui veut vous adopter?
La petite Fadette ne put se défendre plus longtemps; elle jeta ses deux bras au cou du père Barbeau; et son vieux cœur en fut tout réjoui.
XXXVII.
Leurs conventions furent bientôt faites. Le mariage aurait lieu sitôt la fin du deuil de Fanchon; il ne s'agissait plus que de faire revenir Landry; mais quand la mère Barbeau vint voir Fanchon le soir même, pour l'embrasser et lui donner sa bénédiction, elle objecta qu'à la nouvelle du prochain mariage de son frère, Sylvinet était retombé malade, et elle demandait qu'on attendît encore quelques jours pour le guérir ou le consoler.
—Vous avez fait une faute, mère Barbeau, dit la petite Fadette, en confirmant à Sylvinet qu'il n'avait point rêvé en me voyant à son côté au sortir de sa fièvre. A présent, son idée contrariera la mienne, et je n'aurai plus la même vertu pour le guérir pendant son sommeil. Il se peut même qu'il me repousse et que ma présence empire son mal.
—Je ne le pense point, répondit la mère Barbeau; car tantôt, se sentant mal, il s'est couché en disant: «Où est donc cette Fadette? M'est avis qu'elle m'avait soulagé. Est-ce qu'elle ne reviendra plus?» Et je lui ai dit que je venais vous chercher, dont il a paru content et même impatient.
—J'y vais, répondit la Fadette; seulement, cette fois, il faudra que je m'y prenne autrement, car, je vous le dis, ce qui me réussissait avec lui lorsqu'il ne me savait point là, n'opérera plus.
—Et ne prenez-vous donc avec vous ni drogues ni remèdes? dit la mère Barbeau.
—Non, dit la Fadette: son corps n'est pas bien malade, c'est à son esprit que j'ai affaire; je vas essayer d'y faire entrer le mien, mais je ne vous promets point de réussir. Ce que je puis vous promettre, c'est d'attendre patiemment le retour de Landry et de ne pas vous demander de l'avertir avant que nous n'ayons tout fait pour ramener son frère à la santé. Landry me l'a si fortement recommandé que je sais qu'il m'approuvera d'avoir retardé son retour et son contentement.
Quand Sylvinet vit la petite Fadette auprès de son lit, il parut mécontent et ne lui voulut point répondre comment il se trouvait. Elle voulait lui toucher le pouls, mais il retira sa main, et tourna sa figure du côté de la ruelle du lit. Alors la Fadette fit signe qu'on la laissât seule avec lui, et quand tout le monde fut sorti, elle éteignit la lampe et ne laissa entrer dans la chambre que la clarté de la lune, qui était toute pleine dans ce moment-là. Et puis elle revint auprès de Sylvinet et lui dit d'un ton de commandement auquel il obéit comme un enfant:
—Sylvinet, donnez-moi vos deux mains dans les miennes, et répondez-moi selon la vérité; car je ne me suis pas dérangée pour de l'argent, et si j'ai pris la peine de venir vous soigner, ce n'est pas pour être mal reçue et mal remerciée de vous. Faites donc attention à ce que je vas vous demander et à ce que vous allez me dire, car il ne vous serait pas possible de me tromper.
—Demandez-moi ce que vous jugerez à propos, Fadette, répondit le besson, tout essoti de s'entendre parler si sévèrement par cette moqueuse de petite Fadette, à laquelle, au temps passé, il avait si souvent répondu à coups de pierres.
—Sylvain Barbeau, reprit-elle, il paraît que vous souhaitez mourir.
Sylvain trébucha un peu dans son esprit avant de répondre, et comme la Fadette lui serrait la main un peu fort et lui faisait sentir sa grande volonté, il dit avec beaucoup de confusion:
—Ne serait-ce pas ce qui pourrait m'arriver de plus heureux, de mourir, lorsque je vois bien que je suis une peine et un embarras à ma famille par ma mauvaise santé et par...
—Dites tout, Sylvain, il ne me faut rien celer.
—Et par mon esprit soucieux que je ne puis changer, reprit le besson tout accablé.
—Et aussi par votre mauvais cœur, dit la Fadette d'un ton si dur qu'il en eut de la colère et de la peur encore plus.
XXXVIII.
—Pourquoi m'accusez-vous d'avoir un mauvais cœur? dit-il; vous me dites des injures, quand vous voyez que je n'ai pas la force de me défendre.
—Je vous dis vos vérités, Sylvain, reprit la Fadette, et je vais vous en dire bien d'autres. Je n'ai aucune pitié de votre maladie, parce que je m'y connais assez pour voir qu'elle n'est pas bien sérieuse, et que, s'il y a un danger pour vous, c'est celui de devenir fou, à quoi vous tentez de votre mieux, sans savoir où vous mènent votre malice et votre faiblesse d'esprit.
—Reprochez-moi ma faiblesse d'esprit, dit Sylvinet; mais quant à ma malice, c'est un reproche que je ne crois point mériter.
—N'essayez pas de vous défendre, répondit la petite Fadette; je vous connais un peu mieux que vous ne vous connaissez vous-même, Sylvain, et je vous dis que la faiblesse engendre la fausseté; et c'est pour cela que vous êtes égoïste et ingrat.
—Si vous pensez si mal de moi, Fanchon Fadet, c'est sans doute que mon frère Landry m'a bien maltraité dans ses paroles, et qu'il vous a fait voir le peu d'amitié qu'il me portait, car, si vous me connaissez ou croyez me connaître, ce ne peut être que par lui.
—Voilà où je vous attendais, Sylvain. Je savais bien que vous ne diriez pas trois paroles sans vous plaindre de votre besson et sans l'accuser; car l'amitié que vous avez pour lui, pour être trop folle et désordonnée, tend à se changer en dépit et en rancune. A cela je connais que vous êtes à moitié fou, et que vous n'êtes point bon. Eh bien! je vous dis, moi, que Landry vous aime dix mille fois plus que vous ne l'aimez, à preuve qu'il ne vous reproche jamais rien, quelque chose que vous lui fassiez souffrir, tandis que vous lui reprochez toutes choses, alors qu'il ne fait que vous céder et vous servir. Comment voulez-vous que je ne voie pas la différence entre lui et vous? Aussi, plus Landry m'a dit de bien de vous, plus de mal j'en ai pensé, parce que j'ai considéré qu'un frère si bon ne pouvait être méconnu que par une âme injuste.
—Aussi, vous me haïssez, Fadette? je ne m'étais point abusé là-dessus, et je savais bien que vous m'ôtiez l'amour de mon frère en lui disant du mal de moi.
—Je vous attendais encore là, maître Sylvain, et je suis contente que vous me preniez enfin à partie. Eh bien! je vas vous répondre que vous êtes un méchant cœur et un enfant du mensonge, puisque vous méconnaissez et insultez une personne qui vous a toujours servi et défendu dans son cœur, connaissant pourtant bien que vous lui étiez contraire; une personne qui s'est cent fois privée du plus grand et du seul plaisir qu'elle eût au monde, le plaisir de voir Landry et de rester avec lui, pour envoyer Landry auprès de vous et pour vous donner le bonheur qu'elle se retirait. Je ne vous devais pourtant rien. Vous avez toujours été mon ennemi, et, du plus loin que je me souvienne, je n'ai jamais rencontré un enfant si dur et si hautain que vous l'étiez avec moi. J'aurais pu souhaiter d'en tirer vengeance et l'occasion ne m'a pas manqué. Si je ne l'ai point fait et si je vous ai rendu à votre insu le bien pour le mal, c'est que j'ai une grande idée de ce qu'une âme chrétienne doit pardonner à son prochain pour plaire à Dieu. Mais, quand je vous parle de Dieu, sans doute vous ne m'entendez guère, car vous êtes son ennemi et celui de votre salut.
—Je me laisse dire par vous bien des choses, Fadette; mais celle-ci est trop forte, et vous m'accusez d'être un païen.
—Est-ce que vous ne m'avez pas dit tout à l'heure que vous souhaitiez la mort? Et croyez-vous que ce soit là une idée chrétienne?
—Je n'ai pas dit cela, Fadette, j'ai dit que... Et Sylvinet s'arrêta tout effrayé en songeant à ce qu'il avait dit, et qui lui paraissait impie devant les remontrances de la Fadette.
Mais elle ne le laissa point tranquille, et, continuant à le tancer:
—Il se peut, dit-elle, que votre parole fût plus mauvaise que votre idée, car j'ai bien dans la mienne que vous ne souhaitez point tant la mort qu'il vous plaît de le laisser croire afin de rester maître dans votre famille, de tourmenter votre pauvre mère qui s'en désole, et votre besson qui est assez simple pour croire que vous voulez mettre fin à vos jours. Moi, je ne suis pas votre dupe, Sylvain. Je crois que vous craignez la mort autant et même plus qu'un autre, et que vous vous faites un jeu de la peur que vous donnez à ceux qui vous chérissent. Cela vous plaît de voir que les résolutions les plus sages et les plus nécessaires cèdent toujours devant la menace que vous faites de quitter la vie; et, en effet, c'est fort commode et fort doux de n'avoir qu'un mot à dire pour faire tout plier autour de soi. De cette manière, vous êtes le maître à tous ici. Mais, comme cela est contre nature, et que vous y arrivez par des moyens que Dieu réprouve, Dieu vous châtie, vous rendant encore plus malheureux que vous ne le seriez en obéissant au lieu de commander. Et voilà que vous vous ennuyez d'une vie qu'on vous a faite trop douce. Je vais vous dire ce qui vous a manqué pour être un bon et sage garçon, Sylvain. C'est d'avoir eu des parents bien rudes, beaucoup de misère, pas de pain tous les jours et des coups bien souvent. Si vous aviez été élevé à la même école que moi et mon frère Jeanet, au lieu d'être ingrat, vous seriez reconnaissant de la moindre chose. Tenez, Sylvain, ne vous retranchez pas sur votre bessonnerie. Je sais qu'on a beaucoup trop dit autour de vous que cette amitié bessonnière était une loi de nature qui devait vous faire mourir si on la contrariait, et vous avez cru obéir à votre sort en portant cette amitié à l'excès; mais Dieu n'est pas si injuste que de nous marquer pour un mauvais sort dans le ventre de nos mères. Il n'est pas si méchant que de nous donner des idées que nous ne pourrions jamais surmonter, et vous lui faites injure, comme un superstitieux que vous êtes, en croyant qu'il y a dans le sang de votre corps plus de force et de mauvaise destinée qu'il n'y a dans votre esprit de résistance et de raison. Jamais, à moins que vous ne soyez fou, je ne croirai que vous ne pourriez pas combattre votre jalousie, si vous le vouliez. Mais vous ne le voulez pas, parce qu'on a trop caressé le vice de votre âme, et que vous estimez moins votre devoir que votre fantaisie.
Sylvinet ne répondit rien et laissa la Fadette le réprimander bien longtemps encore sans lui faire grâce d'aucun blâme. Il sentait qu'elle avait raison au fond, et qu'elle ne manquait d'indulgence que sur un point: c'est qu'elle avait l'air de croire qu'il n'avait jamais combattu son mal et qu'il s'était bien rendu compte de son égoïsme; tandis qu'il avait été égoïste sans le vouloir et sans le savoir. Cela le peinait et l'humiliait beaucoup, et il eût souhaité lui donner une meilleure idée de sa conscience. Quant à elle, elle savait bien qu'elle exagérait, et elle le faisait à dessein de lui tarabuster beaucoup l'esprit avant de le prendre par la douceur et la consolation. Elle se forçait donc pour lui parler durement et pour lui paraître en colère, tandis que, dans son cœur, elle sentait tant de pitié et d'amitié pour lui, qu'elle était malade de sa feinte, et qu'elle le quitta plus fatiguée qu'elle ne le laissait.
XXXIX.
La vérité est que Sylvinet n'était pas moitié si malade qu'il le paraissait et qu'il se plaisait à le croire. La petite Fadette, en lui touchant le pouls, avait reconnu d'abord que la fièvre n'était pas forte, et que s'il avait un peu de délire, c'est que son esprit était plus malade et plus affaibli que son corps. Elle crut donc devoir le prendre par l'esprit en lui donnant d'elle une grande crainte, et dès le jour elle retourna auprès de lui. Il n'avait guère dormi, mais il était tranquille et comme abattu. Sitôt qu'il la vit, il lui tendit sa main, au lieu de la lui retirer comme il avait fait la veille.
—Pourquoi m'offrez-vous votre main, Sylvain? lui dit-elle; est-ce pour que j'examine votre fièvre? Je vois bien à votre figure que vous ne l'avez plus.
Sylvinet, honteux d'avoir à retirer sa main qu'elle n'avait point voulu toucher, lui dit:
—C'était pour vous dire bonjour, Fadette, et pour vous remercier de tant de peine que vous prenez pour moi.
—En ce cas, j'accepte votre bonjour, dit-elle en lui prenant la main et en la gardant dans la sienne; car jamais je ne repousse une honnêteté, et je ne vous crois point assez faux pour me marquer de l'intérêt si vous n'en sentiez pas un peu pour moi.
Sylvain ressentit un grand bien, quoique tout éveillé, d'avoir sa main dans celle de la Fadette, et il lui dit d'un ton très-doux:
—Vous m'avez pourtant bien malmené hier au soir, Fanchon, et je ne sais comment il se fait que je ne vous en veux point. Je vous trouve même bien bonne de venir me voir, après tout ce que vous avez à me reprocher.
La Fadette s'assit auprès de son lit et lui parla tout autrement qu'elle n'avait fait la veille; elle y mit tant de bonté, tant de douceur et de tendresse, que Sylvain en éprouva un soulagement et un plaisir d'autant plus grands qu'il l'avait jugée plus courroucée contre lui. Il pleura beaucoup, se confessa de tous ses torts, et lui demanda même son pardon et son amitié avec tant d'esprit et d'honnêteté, qu'elle reconnut bien qu'il avait le cœur meilleur que la tête. Elle le laissa s'épancher, le grondant encore quelquefois, et, quand elle voulait quitter sa main, il la retenait, parce qu'il lui semblait que cette main le guérissait de sa maladie et de son chagrin en même temps.
Quand elle le vit au point où elle le voulait, elle lui dit:
—Je vas sortir, et vous vous lèverez, Sylvain, car vous n'avez plus la fièvre, et il ne faut pas rester à vous dorloter, tandis que votre mère se fatigue à vous servir et perd son temps à vous tenir compagnie. Vous mangerez ensuite ce que votre mère vous présentera de ma part. C'est de la viande, et je sais que vous vous en dites dégoûté, et que vous ne vivez plus que de mauvais herbages. Mais il n'importe, vous vous forcerez, et, quand même vous y auriez de la répugnance, vous n'en ferez rien paraître. Cela fera plaisir à votre mère de vous voir manger du solide; et quant à vous, la répugnance que vous aurez surmontée et cachée sera moindre la prochaine fois, et nulle la troisième. Vous verrez si je me trompe. Adieu donc, et qu'on ne me fasse pas revenir de si tôt pour vous, car je sais que vous ne serez plus malade si vous ne voulez plus l'être.
—Vous ne reviendrez donc pas ce soir? dit Sylvinet. J'aurais cru que vous reviendriez.
—Je ne suis pas médecin pour de l'argent, Sylvain, et j'ai autre chose à faire que de vous soigner quand vous n'êtes pas malade.
—Vous avez raison, Fadette; mais le désir de vous voir, vous croyez que c'était encore de l'égoïsme: c'était autre chose, j'avais du soulagement à causer avec vous.
—Eh bien, vous n'êtes pas impotent, et vous connaissez ma demeurance. Vous n'ignorez pas que je vais être votre sœur par le mariage, comme je le suis déjà par l'amitié; vous pouvez donc bien venir causer avec moi, sans qu'il y ait à cela rien de répréhensible.
—J'irai, puisque vous l'agréez, dit Sylvinet. A revoir donc, Fadette; je vas me lever, quoique j'aie un grand mal de tête, pour n'avoir point dormi et m'être bien désolé toute la nuit.
—Je veux bien vous ôter encore ce mal de tête, dit-elle; mais songez que ce sera le dernier, et que je vous commande de bien dormir la prochaine nuit.
Elle lui imposa la main sur le front, et, au bout de cinq minutes, il se trouva si rafraîchi et si consolé qu'il ne sentait plus aucun mal.
—Je vois bien, lui dit-il, que j'avais tort de m'y refuser, Fadette; car vous êtes grande remégeuse, et vous savez charmer la maladie. Tous les autres m'ont fait du mal par leurs drogues, et vous, rien que de me toucher, vous me guérissez; je pense que si je pouvais toujours être auprès de vous, vous m'empêcheriez d'être jamais malade ou fautif. Mais, dites-moi, Fadette, n'êtes-vous plus fâchée contre moi? et voulez-vous compter sur la parole que je vous ai donnée de me soumettre à vous entièrement?
—J'y compte, dit-elle, et, à moins que vous ne changiez d'idée, je vous aimerai comme si vous étiez mon besson.
—Si vous pensiez ce que vous me dites là, Fanchon, vous me diriez tu et non pas vous; car ce n'est pas la coutume des bessons de se parler avec tant de cérémonie.
—Allons, Sylvain, lève-toi, mange, cause, promène-toi et dors, dit-elle en se levant. Voilà mon commandement pour aujourd'hui. Demain tu travailleras.
—Et j'irai te voir, dit Sylvinet.
—Soit, dit-elle; et elle s'en alla en le regardant d'un air d'amitié et de pardon, qui lui donna soudainement la force et l'envie de quitter son lit de misère et de fainéantise.
XL
La mère Barbeau ne pouvait assez s'émerveiller de l'habileté de la petite Fadette, et, le soir, elle disait à son homme:—Voilà Sylvinet qui se porte mieux qu'il n'a fait depuis six mois; il a mangé de tout ce qu'on lui a présenté aujourd'hui, sans faire ses grimaces accoutumées, et ce qu'il y a de plus imaginant, c'est qu'il parle de la petite Fadette comme du bon Dieu. Il n'y a pas de bien qu'il ne m'en ait dit, et il souhaite grandement le retour et le mariage de son frère. C'est comme un miracle, et je ne sais pas si je dors ou si je veille.
—Miracle ou non, dit le père Barbeau, cette fille-là a un grand esprit, et je crois bien que ça doit porter bonheur de l'avoir dans une famille.
Sylvinet partit trois jours après pour aller quérir son frère à Arthon. Il avait demandé à son père et à la Fadette, comme une grande récompense, de pouvoir être le premier à lui annoncer son bonheur.
—Tous les bonheurs me viennent donc à la fois, dit Landry en se pâmant de joie dans ses bras, puisque c'est toi qui viens me chercher, et que tu parais aussi content que moi-même.
Ils revinrent ensemble sans s'amuser en chemin, comme on peut croire, et il n'y eut pas de gens plus heureux que les gens de la Bessonnière quand ils se virent tous attablés pour souper avec la petite Fadette et le petit Jeanet au milieu d'eux.
La vie leur fut bien douce à tretous pendant une demi-année; car la jeune Nanette fut accordée à Cadet Caillaud, qui était le meilleur ami de Landry après ceux de sa famille. Et il fut arrêté que les deux noces se feraient en même temps. Sylvinet avait pris pour la Fadette une amitié si grande qu'il ne faisait rien sans la consulter, et elle avait sur lui tant d'empire qu'il semblait la regarder comme sa sœur. Il n'était plus malade, et de jalousie il n'en était plus question. Si quelquefois encore il paraissait triste et en train de rêvasser, la Fadette le réprimandait, et tout aussitôt il devenait souriant et communicatif.
Les deux mariages eurent lieu le même jour et à la même messe, et, comme le moyen ne manquait pas, on fit de si belles noces que le père Caillaud, qui, de sa vie, n'avait perdu son sang-froid, fit mine d'être un peu gris le troisième jour. Rien ne corrompit la joie de Landry et de toute la famille, et mêmement on pourrait dire de tout le pays; car les deux familles, qui étaient riches, et la petite Fadette, qui l'était autant que les Barbeau et les Caillaud tout ensemble, firent à tout le monde de grandes honnêtetés et de grandes charités. Fanchon avait le cœur trop bon pour ne pas souhaiter de rendre le bien pour le mal à tous ceux qui l'avaient mal jugée. Mêmement par la suite, quand Landry eut acheté un beau bien qu'il gouvernait on ne peut mieux par son savoir et celui de sa femme, elle y fit bâtir une jolie maison, à l'effet d'y recueillir tous les enfants malheureux de la commune durant quatre heures par chaque jour de la semaine, et elle prenait elle-même la peine, avec son frère Jeanet, de les instruire, de leur enseigner la vraie religion, et même d'assister les plus nécessiteux dans leur misère. Elle se souvenait d'avoir été une enfant malheureuse et délaissée, et les beaux enfants qu'elle mit au monde furent stylés de bonne heure à être affables et compatissants pour ceux qui n'étaient ni riches ni choyés.
Mais qu'advint-il de Sylvinet au milieu du bonheur de sa famille? une chose que personne ne put comprendre et qui donna grandement à songer au père Barbeau. Un mois environ après le mariage de son frère et de sa sœur, comme son père l'engageait aussi à chercher et à prendre femme, il répondit qu'il ne se sentait aucun goût pour le mariage, mais qu'il avait depuis quelque temps une idée qu'il voulait contenter, laquelle était d'être soldat et de s'engager.
Comme les mâles ne sont pas trop nombreux dans les familles de chez nous, et que la terre n'a pas plus de bras qu'il n'en faut, on ne voit quasiment jamais d'engagement volontaire. Aussi chacun s'étonna grandement de cette résolution, de laquelle Sylvinet ne pouvait donner aucune autre raison, sinon sa fantaisie et un goût militaire que personne ne lui avait jamais connu. Tout ce que surent dire ses père et mère, frères et sœurs, et Landry lui-même, ne put l'en détourner, et on fut forcé d'en aviser Fanchon, qui était la meilleure tête et le meilleur conseil de la famille.
Elle causa deux grandes heures avec Sylvinet, et quand on les vit se quitter, Sylvinet avait pleuré, sa belle-sœur aussi; mais ils avaient l'air si tranquilles et si résolus, qu'il n'y eut plus d'objections à soulever lorsque Sylvinet dit qu'il persistait, et Fanchon, qu'elle approuvait sa résolution et en augurait pour lui un grand bien dans la suite des temps.
Comme on ne pouvait pas être bien sûr qu'elle n'eût pas là-dessus des connaissances plus grandes encore que celles qu'elle avouait, on n'osa point résister davantage, et la mère Barbeau elle-même se rendit, non sans verser beaucoup de larmes. Landry était désespéré; mais sa femme lui dit:—C'est la volonté de Dieu et notre devoir à tous de laisser partir Sylvain. Crois que je sais bien ce que je te dis, et ne m'en demande pas davantage.
Landry fit la conduite à son frère le plus loin qu'il put, et quand il lui rendit son paquet, qu'il avait voulu tenir jusque-là sur son épaule, il lui sembla qu'il lui donnait son propre cœur à emporter. Il revint trouver sa chère femme, qui eut à le soigner; car pendant un grand mois le chagrin le rendit véritablement malade.
Quant à Sylvain, il ne le fut point, et continua sa route jusqu'à la frontière; car c'était le temps des grandes belles guerres de l'empereur Napoléon. Et, quoiqu'il n'eût jamais eu le moindre goût pour l'état militaire, il commanda si bien à son vouloir, qu'il fut bientôt remarqué comme bon soldat, brave à la bataille comme un homme qui ne cherche que l'occasion de se faire tuer, et pourtant doux et soumis à la discipline comme un enfant, en même temps qu'il était dur à son propre corps comme les plus anciens. Comme il avait reçu assez d'éducation pour avoir de l'avancement, il en eut bientôt, et, en dix années de temps, de fatigues, de courage et de belle conduite, il devint capitaine, et encore avec la croix par-dessus le marché.
—Ah! s'il pouvait enfin revenir! dit la mère Barbeau à son mari, le soir après le jour où ils avaient reçu de lui une jolie lettre pleine d'amitiés pour eux, pour Landry, pour Fanchon, et enfin pour tous les jeunes et vieux de la famille: le voilà quasiment général, et il serait bien temps pour lui de se reposer!
—Le grade qu'il a est assez joli sans l'augmenter, dit le père Barbeau, et cela ne fait pas moins un grand honneur à une famille de paysans!
—Cette Fadette avait bien prédit que la chose arriverait, reprit la mère Barbeau. Oui-da qu'elle l'avait annoncé!
—C'est égal, dit le père, je ne m'expliquerai jamais comment son idée a tourné tout à coup de ce côté-là, et comment il s'est fait un pareil changement dans son humeur, lui qui était si tranquille et si ami de ses petites aises.
—Mon vieux, dit la mère, notre bru en sait là-dessus plus long qu'elle n'en veut dire; mais on n'attrape pas une mère comme moi, et je crois bien que j'en sais aussi long que notre Fadette.
—Il serait bien temps de me le dire, à moi! reprit le père Barbeau.
—Eh bien, répliqua la mère Barbeau, notre Fanchon est trop grande charmeuse, et tellement qu'elle avait charmé Sylvinet plus qu'elle ne l'aurait souhaité. Quand elle vit que le charme opérait si fort, elle eût voulu le retenir ou l'amoindrir; mais elle ne le put, et notre Sylvain, voyant qu'il pensait trop à la femme de son frère, est parti par grand honneur et grande vertu, en quoi la Fanchon l'a soutenu et approuvé.
—Si c'est ainsi, dit le père Barbeau en se grattant l'oreille, j'ai bien peur qu'il ne se marie jamais, car la baigneuse de Clavières a dit, dans les temps, que lorsqu'il serait épris d'une femme, il ne serait plus si affolé de son frère; mais qu'il n'en aimerait jamais qu'une en sa vie, parce qu'il avait le cœur trop sensible et trop passionné.
FIN.
ŒUVRES COMPLÈTES
DE
GEORGE SAND
FORMAT GRAND IN-18
| Les Amours de l'age d'or | 1 | vol. |
| Adriani | 1 | — |
| André | 1 | — |
| Antonia | 1 | — |
| Les Beaux messieurs de Bois-Doré | 2 | — |
| Cadio | 1 | — |
| Le Chateau des Désertes | 1 | — |
| Le Compagnon du tour de France | 2 | — |
| La Comtesse de Rudolstadt | 2 | — |
| La Confession d'une jeune fille | 2 | — |
| Constance Verrier | 1 | — |
| Consuelo | 3 | — |
| Les Dames vertes | 1 | — |
| La Daniella | 2 | — |
| La Dernière Aldini | 1 | — |
| Le Dernier amour | 1 | — |
| Le Diable aux champs | 1 | — |
| Elle et Lui | 1 | — |
| La Famille de Germandre | 1 | — |
| La Filleule | 1 | — |
| Flavie | 1 | — |
| François le Champi | 1 | — |
| Histoire de ma vie | 10 | — |
| Un Hiver a Majorque—Spiridion | 1 | — |
| L'homme de neige | 3 | — |
| Horace | 1 | — |
| Indiana | 1 | — |
| Isidora | 1 | — |
| Jacques | 1 | — |
| Jean de la Roche | 1 | — |
| Jean Ziska.—Gabriel | 1 | — |
| Jeanne | 1 | — |
| Laura | 1 | — |
| Lélia.—Métella.—Cora | 2 | — |
| Lettres d'un voyageur | 1 | — |
| Lucrezia Floriani—Lavinia | 1 | — |
| Mademoiselle La Quintinie | 1 | — |
| Mademoiselle Merquem | 1 | — |
| Les Maîtres mosaïstes | 1 | — |
| Les Maîtres sonneurs | 1 | — |
| La Mare au Diable | 1 | — |
| Le Marquis de Villemer | 1 | — |
| Mauprat | 1 | — |
| Le Meunier d'Angibault | 1 | — |
| Monsieur Sylvestre | 1 | — |
| Mont-Revêche | 1 | — |
| Narcisse | 1 | — |
| Nouvelles | 1 | — |
| La Petite Fadette | 2 | — |
| Le Péché de M. Antoine | 2 | — |
| Le Piccinino | 2 | — |
| Promenades autour d'un village | 1 | — |
| Le Secrétaire intime | 1 | — |
| Simon | 1 | — |
| Tamaris | 1 | — |
| Teverino.—Léone Léoni | 1 | — |
| Théatre Complet | 4 | — |
| Théatre de Nohant | 1 | — |
| L'Uscoque | 1 | — |
| Valentine | 1 | — |
| Valvèdre | 1 | — |
| La Ville noire | 1 | — |
NOTES
[1]Napée, Nymphæa, Nénufar.