← Retour

La Saga de Njal

16px
100%

XCIX

Parlons maintenant de Skarphjedin et de ses frères, qui s'en allaient vers la Ranga. «Arrêtons-nous, dit Skarphjedin, et écoutons.» Ainsi firent-ils. «Marchons sans faire de bruit, reprit-il; car j'entends des voix d'hommes en amont de la rivière. Voulez-vous, Grim et Helgi, vous charger de Lyting seul, ou de ses deux frères?» Ils dirent qu'ils se chargeaient de Lyting seul. «C'est lui pourtant qui nous importe le plus, dit Skarphjedin; s'il nous échappe, ce sera fâcheux; et c'est à moi que je me fierais le mieux pour l'empêcher.»--«Si nous en venons aux mains, dit Helgi, nous ferons en sorte qu'il ne s'échappera pas.»

Ils allèrent du côté où Skarphjedin avait entendu des voix, et virent Lyting et ses frères auprès d'un ruisseau. Skarpjedin sauta par dessus le ruisseau, sur un banc de sable qui se trouvait de l'autre côte. Là étaient Halgrim et son frère, Skarphjedin frappe Halgrim à la jambe, et la lui tranche sous lui; de l'autre main il s'empare de Halkel.

Lyting pointa son épée sur Skarphjedin, Helgi accourut et mit son bouclier devant; l'épée s'y enfonça. Lyting ramassa une pierre et la lança à Skarphjedin, qui laissa échapper Halkel. Halkel se mit à courir le long du banc du sable, mais il ne pouvait remonter qu'en grimpant sur ses genoux. Skarphjedin lui lança de côté sa hache Rimmugygi, et lui brisa l'épine du dos. À ce moment, Lyting s'échappe, Grim et Helgi courent après lui et chacun d'eux lui fait sa blessure, mais il réussit à passer la rivière et à se mettre hors de poursuite. Il retrouve son cheval, et court d'une traite à Vörsabæ.

Höskuld était chez lui. Lyting va le trouver, et lui dit ce qui s'est passé. «Il fallait t'y attendre, dit Höskuld, tu t'es conduit comme un fou. Tu trouveras vrai ce qui a été dit: La main ne se réjouit pas longtemps du coup qu'elle a donné. Tu vas être, je crois, en grand doute si tu pourras te garder des fils de Njal.»--«Il est certain, dit Lyting, que j'aurai peine à m'en tirer; je te prie donc de faire la paix entre moi et Njal, et les fils de Njal, de manière que je puisse rentrer dans mon domaine.»--«Ainsi ferai-je» dit Höskuld.

Alors Höskuld fit seller son cheval, et partit pour Bergthorshval, lui sixième. Les fils de Njal étaient rentrés, et ils s'étaient couchés pour dormir. Höskuld vint trouver Njal, et ils se mirent à parler tous deux. Höskuld dit à Njal: «Je suis venu en suppliant de la part de mon oncle Lyting. Il a commis un grand méfait envers vous: il a rompu la paix, et tué ton fils.»--«Lyting pense peut-être, dit Njal, qu'il a assez payé par la mort de ses frères. Mais si je consens à un arrangement, ce n'est que par égard pour toi. Je te dirai donc d'avance ceci: les frères de Lyting seront traités comme gens hors la loi, Lyting n'aura rien pour ses blessures, et payera pour Höskuld l'amende entière.»--«Je veux, dit Höskuld, que tu prononces seul.»--«Je le ferai, puisque tu le veux» dit Njal.--«Ne faut-il pas que tes fils soient là?» dit Höskuld.--«Alors nous ne pourrons rien conclure, dit Njal, mais ils garderont la paix que j'aurai faite.»--«Finissons-en donc, dit Höskuld, et promets la paix à Lyting, au nom de tes fils.»--«Ainsi ferai-je, dit Njal. Je veux donc que Lyting paie deux cents d'argent pour le meurtre d'Höskuld, et qu'il garde son domaine de Samstad. Mais il me semble préférable qu'il le vende et s'en aille. Non pas que moi et mes fils ne rompions la paix faite, mais il se peut que quelqu'un surgisse dans le pays, qui lui deviendrait redoutable. S'il semble que je le chasse, je lui permets de rester, qu'il réponde seul des suites.» Après cela, Höskuld retourna chez lui.

Les fils de Njal s'éveillèrent et demandèrent à leur père qui était venu. Il leur dit que c'était Höskuld, son fils adoptif. «Il venait demander la paix pour Lyting» dit Skarphjedin.--«C'est vrai» dit Njal.--«C'était mal fait,» dit Grim.--«Höskuld ne l'aurait pas couvert de son bouclier, dit Njal, si tu l'avais tué comme tu t'en étais chargé.» Et Skarphjedin chanta:

«Ne faisons pas, nous autres, de reproches à notre père. Nous devions nous attendre à ce qu'il fît la paix. Si l'on savait que nous l'avons blâmé, on verrait l'acier reluire encore en de nouveaux combats.»

«Ne blâmons pas notre père» dit Skarphjedin.

Nous ne devons pas oublier de dire que cette paix fut toujours gardée.


C

Il y avait eu changement de chefs en Norvège. Le jarl Hakon avait fini ses jours, et on avait mis à sa place Olaf fils de Trygvi. Voici quelle fut la fin du jarl Hakon: un esclave nommé Kark lui coupa la gorge à Rimul dans le Gaulardal.

En même temps que ces nouvelles, on apprit que la Norvège avait changé de croyances. Les gens avaient rejeté la vieille foi, et le roi Olaf avait fait chrétiens les pays de l'ouest, le Hjaltland, les îles Orkneys et les Féröe.

Beaucoup de gens dirent en présence de Njal que c'était mal fait de quitter les vieilles croyances. Mais Njal dit: «Il me semble que la nouvelle foi est bien meilleure, et que celui qui la suivra, au lieu de l'autre, fera bien. Et s'il vient ici de ces hommes qui annoncent cette foi, je les aiderai de mon mieux.» Et il redisait cela souvent. Il s'en allait volontiers à l'écart, se parlant à lui-même.

Ce même automne, il arriva un vaisseau dans les fjords de l'est, à l'endroit que l'on nomme Gautavik sur le Berufjord. L'homme qui le menait s'appelait Thangbrand. Il était fils du comte Vilbald, du pays de Saxe. Thangbrand était envoyé par le roi Olaf fils de Trygvi, pour annoncer la vraie foi. Avec lui venait un homme d'Islande nommé Gudleif. Il était fils d'Ari, fils de Mar, fris d'Atli, fils d'Ulf le louche, fils d'Högni le blanc, fils d'Utryg, fils d'Ublaud, fils de Hjörleif Kvensama, roi du Hördaland. Gudleif était un grand tueur d'hommes. C'était l'homme le plus hardi et le plus querelleur qu'on pût voir.

Il y avait deux frères qui demeuraient à Berunes. L'un s'appelait Thorleif et l'autre Ketil. Ils étaient fils de Holmstein, fils d'Ossur du Breiddal. Ils tinrent une assemblée où il fut défendu d'avoir aucun commerce avec les hommes qui venaient d'arriver.

Hal de Sida l'apprit. Il habitait à Thvatta sur l'Alptafjord. Il monta à cheval, avec trente hommes, et vint au vaisseau. Il alla droit à Thangbrand et lui dit: «Vos affaires ne vont pas bien, n'est-il pas vrai?» L'autre dit que c'était vrai. «Je vais donc te dire mon message, dit Hal; je vous invite tous à venir chez moi, et je tâcherai de faire marcher vos affaires.» Thangbrand le remercia et vint à Thvatta.

Un jour de l'automne suivant, Thangbrand sortit de bonne heure, il se fit dresser une tente, et il y chanta la messe avec beaucoup de pompe; car c'était jour de grande fête. «En l'honneur de qui fais-tu cette fête?» dit Hal.--«En l'honneur de l'ange Michel» dit Thangbrand.--«Quelle dignité ont les anges?» dit Hal.--«Une très grande, dit Thangbrand. Il pèse tout ce que tu fais, le bien et le mal; et il est si miséricordieux, qu'il donne toujours l'avantage aux bonnes actions.»--«Je voudrais bien, dit Hal, l'avoir pour ami.»--«Il ne tient qu'à toi, dit Thangbrand; donne-toi à lui, et à Dieu, aujourd'hui.»--«Je veux bien, dit Hal, à une condition, c'est que tu me promettes de sa part qu'il sera mon ange gardien.»--«Je te le promets» dit Thangbrand. Et Hal reçut le baptême, avec toute sa maison.


CI

Le printemps suivant, Thangbrand s'en alla annoncer la foi, et Hal avec lui. Et quand ils arrivèrent dans l'ouest, par la plaine de Lonsheidi, à Stafafell, là demeurait Thorkel. Il s'éleva grandement contre la foi nouvelle, et défia Thangbrand en combat singulier. Thanghrand vint au combat avec le signe de la croix sur son bouclier: il fut vainqueur et tua Thorkel.

De là ils allèrent au Hornafjord, et reçurent l'hospitalité à Borgarhöfn, à l'ouest d'Heinabergssand. Là demeurait Hildir le vieux. Son fils était Glum, qui fut de la troupe de Flosi quand on brûla Njal. Hildir reçut la foi, et toute sa maison avec lui.

De là ils allèrent à Fellsvherfi, et logèrent à Kalkafell. Là demeurait Kol fils de Thorstein, et ami de Hal; il reçut la foi, lui et toute sa maison.

De là ils allèrent à Breida. Là demeurait Ossur fils de Hroald, et ami de Hal; il se fit marquer du signe de la croix.

De là ils allèrent à Svinafell, et Flosi se fit marquer du signe de la croix, et promit de les aider au ting.

De là ils allèrent dans l'ouest, à Skogahverfi, et logèrent à Kirkjubæ. Là demeurait Surt fils d'Asbjörn, fils de Thorstein, fils de Ketil le fou. Tous ceux là avaient été chrétiens, de père en fils.

Après cela, ils quittèrent Skogahverfi, et vinrent à Höfdabrekka. On commençait à parler beaucoup de leur voyage. Il y avait un homme nommé Galdrahjedin, qui demeurait dans le Kerlingardal. Des païens vinrent faire marché avec lui pour qu'il tuât Thangbrand et ses compagnons. Il vint à Arnarstaksheidi et y fit un grand sacrifice. Et comme Thangbrand s'approchait, venant de l'est, la terre s'ouvrit sous son cheval, il sauta et se trouva sain et sauf sur le bord du précipice; mais le cheval fut englouti, avec tout son harnais, et plus jamais on ne le revit. Et Thangbrand loua Dieu.


CII

Voici que Gudleif se met à la poursuite de Galdrahjedin, il le trouve dans la plaine et lui donne la chasse jusqu'au Kerlingardal. Arrivé à une portée de trait, il lui lance un javelot, et le perce de part en part.

De là, ils allèrent à Dyrholm, où ils tinrent une assemblée. Thangbrand y annonça la foi, et baptisa Ingjald fils de Thorkel Hæyrartyrdil.

De là, ils allèrent dans le Fljotshlid, et y annoncèrent la foi. Là ils trouvèrent Vetrlidi le skald et son fils Ari, qui s'élevèrent grandement contre eux, et à cause de cela ils tuèrent Vetrlidi. Voici ce qu'on a chanté à ce sujet:

«Il est allé, celui qui faisait retentit son épée sur les casques, dans le pays du Sud. Il a terrassé l'enclume où se forgent les chants. Ses armes ont retenti sur le crâne d'un héros, de Vetrlidi le skald.»

De là Thangbrand vint à Bergthorshval, et Njal reçut la foi, avec toute sa maison. Mais Mörd fils de Valgard était fort contre eux.

Ils partirent de là et passèrent la rivière. Ils vinrent dans le Haukadal, où ils baptisèrent Hal, âgé de trois ans.

De là ils vinrent à Grimsnes. Thorvald le malade rassembla une troupe pour marcher contre eux, et il envoya un message à Ulf fils d'Uggi, pour l'engager à courir sus à Thangbrand, et à le tuer. Et voici le chant qu'il fit:

«Au loup qui jamais n'a peur, au terrible fils d'Uggi, moi qui brandis le fer, j'ai envoyé ce simple message: qu'il chasse celui qui est le proscrit des dieux, et qui a blasphémé Odin; et nous, nous chasserons l'autre.»

Ulf fils d'Uggi répondit par cet autre chant:

«Je me garderai bien d'accueillir ce cormoran, le message de cette bouche pleine d'artifice. Le hennissement du cheval a retenti; mais je le vois, ce serait ma perte. Il est dangereux de happer des mouches.»

«Je n'ai nulle envie, dit Ulf, de me laisser enjôler par ses belles paroles. Mais qu'il prenne garde que sa langue ne devienne un lacet autour de son cou.» Le messager retourna vers Thorvald, et lui dit les paroles d'Ulf. Thorvald avait déjà rassemblé beaucoup de monde: il annonça qu'il irait attendre Thangbrand dans les bruyères de Blaskog.

Thangbrand et Gudleif chevauchaient, venant du Haukadal. Ils virent un homme qui venait à leur rencontre. L'homme demanda Gudleif, et quand il fut près de lui, il lui dit: «Je viens t'avertir, Gudleif, pour l'amour que je porte à ton frère Thorgil, de Reykjahol, qu'ils t'ont préparé plus d'une embuscade, et voici que Thorvald le malade est avec sa troupe à Hestlæk, sur le Grimsnes.»--«Nous n'en irons pas moins tout droit à sa rencontre» dit Gudleif. Et ils descendirent vers Hestlæk. Thorvald était déjà là, et il avait passé le ruisseau. Gudleif dit à Thangbrand: «Voici Thorvald; courons à lui.» Thangbrand lança un javelot, qui transperça Thorvald, et Gudleif le frappa à l'épaule, et lui coupa un bras: il mourut sur le champ.

Après cela ils allèrent au ting, et il s'en fallut de peu que les parents de Thorvald ne vinssent les attaquer. Mais Njal et les gens de l'est prirent la défense de Thangbrand. Hjalti fils de Skeggi fit ce couplet:

«Je ne crains pas d'insulter les dieux. Je tiens Freyja pour une chienne. Ce sont des chiens tous deux, Odin et Freyja.»

Cet été là, Hjalti s'en alla à l'étranger, et aussi Gissur le blanc.

Cependant le vaisseau de Thangbrand se brisa au Bulandsnes, sur la côte de l'est: ce vaisseau s'appelait le Bison.

Thangbrand et ses compagnons parcouraient tout le pays de l'ouest. Steinunn, mère de Skaldref, vint à leur rencontre. Elle venait prêcher à Thangbrand la foi païenne, et elle lui parla longuement. Thangbrand se taisait pendant qu'elle parlait, mais ensuite il parla longuement à son tour, et retourna contre elle tout ce qu'elle avait dit. «Sais-tu, dit-elle, que Thor a défié Christ en combat singulier, et que Christ n'a pas osé se mesurer avec Thor?»--«Je sais, dit Thangbrand, que Thor n'eût été que cendre et poussière, si Dieu n'avait bien voulu le laisser vivre.»--«Sais-tu, dit-elle encore, qui a brisé ton vaisseau?»--«Qui dis-tu qui l'a fait?» demanda-t-il.»--«Je vais te le dire,» répondit-elle. Et elle chanta:

«Les dieux ont chassé les sonneurs de cloches comme le faucon du rivage; ils ont dispersé leurs vaisseaux, les bisons qui courent sur les vagues. Christ a refusé de boire avec les nôtres. Odin n'a pas épargné ses vaisseaux, les rennes de la mer.»

Elle chanta encore:

«Thor a arraché de leurs ancres les vaisseaux de Thangbrand. Il les a mis en pièces, et il les a brisés contre le rivage. Jamais plus les patins du Viking ne sillonneront les flots, car la tempête a été rude, et les a réduits en poussière.»

Après cela Thangbrand et Steinunn se séparèrent, et Thangbrand et les siens continuèrent leur route vers l'ouest, jusqu'au Bardastrand.


CIII

Gest fils d'Odleif habitait à Haga, au Bardastrand. C'était le plus sage des hommes, et il voyait les destins dans l'avenir. Il donna un festin à Thangbrand et aux siens, qui vinrent à Haga, au nombre de soixante. On leur dit que deux cents hommes païens y étaient déjà rassemblés et qu'on s'attendait à voir arriver un sorcier nommé Utryg; ils avaient tous grand'peur de lui. On disait qu'il ne craignait ni le fer ni la flamme; et tous ces païens étaient fort effrayés. Thangbrand leur demanda s'ils voulaient recevoir la foi, mais ils refusèrent tous. «Je vous ferai donc, dit Thangbrand, une proposition, afin de voir quelle foi est la meilleure. Nous allons faire trois feux. Vous autres païens, vous en bénirez un, et moi un autre, et le troisième restera sans bénédiction. Si le sorcier a peur du feu que j'aurai béni, mais passe à travers les deux autres, vous recevrez la foi.»--«C'est bien dit, répondit Gest, et je consens à cela pour moi et ceux de ma maison.» Et après que Gest eut ainsi parlé, beaucoup d'autres dirent qu'ils feraient comme lui.

Et voici qu'on vint dire que le sorcier s'approchait du domaine. Les feux étaient allumés et brûlaient. Les hommes prirent leurs armes, sautèrent sur les bancs, et attendirent. Le sorcier arrive, tout armé; le voilà qui passe la porte. Il entre dans la chambre et passe tout droit au travers du feu que les païens avaient béni, et aussi de celui qui était resté sans bénédiction. Il arrive au feu que Thangbrand avait béni, et il n'ose pas le traverser, et il dit que ce feu le brûle grandement. Il brandit son épée vers les bancs, mais l'épée qu'il avait levée en l'air entre dans une poutre, de côté. Alors Thangbrand le frappa au bras avec son crucifix, et on vit ce prodige, que l'épée tomba de la main du sorcier. Thangbrand lui enfonce l'épée dans la poitrine. Gudleif lui enlève un bras, les autres s'approchent et achèvent de le tuer.

Alors Thanghrand leur demanda s'ils voulaient recevoir la foi. Gest répondit qu'il n'avait promis que ce qu'il comptait tenir. Et Thangbrand baptisa Gest et toute sa maison, et bien d'autres encore.

Thangbrand demanda à Gest s'il ne pourrait pas continuer sa route vers les fjords de l'ouest. Gest l'en détourna, disant que les gens de là-bas étaient des hommes rudes, à qui il n'était pas bon d'avoir à faire «mais s'il est écrit, ajouta-t-il, que la foi finira par s'établir, c'est au ting qu'on l'établira, et alors tous les chefs de chaque district seront présents.»--«J'ai déjà annoncé la foi au ting, dit Thangbrand, et j'ai trouvé beaucoup de résistance.»--«Tu as fait de grandes choses, dit Gest, quoiqu'il soit réservé à d'autres de mettre la foi dans nos lois. C'est comme on l'a dit: un arbre ne tombe pas du premier coup.» Après cela, Gest fit à Thangbrand de riches présents, et Thangbrand et les siens retournèrent dans le pays du Sud.

Thangbrand vint dans le district des gens du Sud et de là aux fjords de l'est. Il reçut l'hospitalité à Bergthorshval, et Njal lui fit de beaux présents. De là il continua sa route vers l'est, jusqu'à l'Alptafjord, pour retrouver Ifal de Sida. Il fit remettre son vaisseau en état. Les païens avaient nommé ce vaisseau le panier de fer. Thangbrand s'y embarqua, et Gudleif avec lui.


CIV

Cet été là, Hjalti fils de Skeggi fut mis hors la loi, au ting, pour avoir blasphémé les dieux.

Thangbrand dit au roi Olaf les mauvais traitements que lui avaient faits les Islandais, et comme quoi ils étaient si grands sorciers, qu'ils avaient fait ouvrir la terre sous les pieds de son cheval, qui fut englouti. Le roi Olaf entra en si grande colère qu'il fit prendre et mettre en prison tous les hommes d'Islande, et il voulait les tuer. Alors Gissur le blanc et Hjalti vinrent le trouver. Ils offrirent de se porter caution pour ces hommes, et de s'en aller en Islande pour y annoncer la foi. Le roi prit bien la chose, et on mit les gens en liberté.

Gissur et Hjalti mirent leur vaisseau en état pour s'en aller en Islande: ils furent bientôt prêts. Ils prirent terre à Eyra, comme dix semaines d'été étaient déjà passées. Ils se firent amener des chevaux, et prirent des hommes pour décharger leur vaisseau. Après quoi ils partirent pour le ting, au nombre de trente. Ils avaient fait dire à tous les chrétiens de se tenir prêts. Hjalti était resté en arrière à Reydarmula; car il avait appris qu'on l'avait mis hors la loi pour avoir blasphémé les dieux. Mais comme ils arrivaient à Vellandkatla, descendant de Gjabakka, voici que Hjalti vint les rejoindre disant qu'il ne voulait pas laisser croire aux païens qu'il avait peur d'eux.

Et voilà que beaucoup de chrétiens vinrent à leur rencontre, et ils arrivèrent au ting en troupe nombreuse. Les païens aussi avaient beaucoup de monde. Et peu s'en fallut que tous les gens du ting n'en vinssent aux mains; il n'en fut rien pourtant.


CV

Il y avait un homme nommé Thorgeir. Il était fils de Tjörvi, fils de Thorkel le long. Sa mère s'appelait Thorunn et était fille de Thorstein, fils de Sigmund, fils de Gnupi le barde. Sa femme s'appelait Gudrid. Elle était fille de Thorkel le noir, du domaine de Hleidrar. Son frère était Orm Töskubak, père de Hlenni le vieux, de Saurbæ.

Thorkel et ses frères étaient fils de Thorir Snepil, fils de Ketil Brimil, fils d'Ornolf, fils de Björnolf, fils de Grim le barbu, fils de Ketil Hæing, fils de Halbjörn le sorcier, de Hrafnista.

Thorgeir habitait à Ljosavatn. C'était un grand chef, et le plus sage des hommes.

Les chrétiens dressèrent leurs huttes; Gissur et Hjalti étaient dans la hutte de ceux de Mosfell.

Le jour d'après, les deux partis vinrent au tertre de la loi; chacun des deux prit des témoins, le parti des chrétiens comme celui des païens, et déclara qu'il n'avait plus rien à voir avec la loi de l'autre parti; et là-dessus il s'éleva au tertre de la loi une clameur si grande qu'on ne s'entendait plus parler. Alors on se sépara, et il semblait à tous que cela finirait mal.

Les chrétiens firent choix de Hal de Sida, pour leur donner une loi. Mais Hal vint trouver Thorgeir, Godi de Ljosavatn, qui avait été jusque-là l'homme de la loi, et il lui donna trois marcs d'argent, pour faire la loi. C'était une chose hasardeuse, car il était païen.

Thorgeir fut couché tout le jour. Il avait mis un manteau sur sa tête, en sorte que nul ne pouvait lui parler. Le jour suivant, les hommes allèrent au tertre de la loi. Thorgeir fit faire silence, et parla ainsi: «Il me semble que nos affaires seront en mauvaise passe si nous n'avons pas tous, une seule et même loi. Si la loi est rompue en deux, la paix aussi sera rompue; et il n'y aura pas moyen de vivre ainsi. C'est pourquoi je demande à tous, chrétiens et païens, s'ils veulent prendre pour leur loi celle que je vais dire». Ils dirent tous que oui. Il répondit qu'il voulait avoir leur serment, et des gages qu'ils le tiendraient. Ils dirent que oui encore, et des gages furent donnés.

«Voici, dit alors Thorgeir, le commencement de notre loi. Tous seront chrétiens dans le pays, et croiront en un seul Dieu, père, fils, et saint esprit; ils renonceront au culte des idoles, ils n'exposeront plus leurs enfants, et ils ne mangeront plus de viande de cheval. On mettra hors la loi ceux qui auront fait ces choses, si cela est certain; s'ils l'ont fait en secret, on ne les inquiètera pas». Mais ces coutumes païennes disparurent entièrement à peu d'années de là; et il ne fut plus permis de faire ces choses, ni en secret, ni à découvert.

Il dit encore qu'on garderait les dimanches et les jours de jeûne, le jour de Noël et le jour de Pâques, ainsi que toutes les grandes fêtes. Les païens furent d'avis qu'on les avait grandement trompés. Mais la foi n'en était pas moins introduite dans la loi, et tous les hommes du pays faits chrétiens.

L'affaire étant ainsi terminée, les gens quittèrent le ting.


CVI

À trois années de là, voici ce qui se passa au Ting de Tingskala. Amundi l'aveugle, fils d'Höskuld, fils de Njal, était venu au ting. Il se fit amener parmi les huttes, et vint à celle où était Lyting de Samstad. Il se fit conduire dans la hutte, jusqu'à l'endroit où Lyting était assis. «Lyting de Samstad est-il ici?» demanda-t-il. «Oui, dit Lyting; que me veux-tu?»--«Je veux savoir, dit Amundi, quel prix tu veux me payer pour le meurtre de mon père. Je suis un fils bâtard, et je n'ai point reçu d'amende».--«J'ai payé pour ton père l'amende entière, dit Lyting; c'est le père de ton père qui l'a reçue, et ses frères; mais pour le meurtre de mes frères il n'a rien été payé. Si j'ai mal fait, on m'a traité bien durement».--«Je ne te demande pas, dit Amundi, ce que tu as payé aux autres. Je sais que vous avez fait la paix. Je te demande ce que tu me paieras à moi».--«Rien du tout» dit Lyting. «Je ne peux pas croire, dit Amundi, que cela soit juste devant Dieu, quand tu m'as frappé si près du cœur. Mais voici tout ce que je puis le dire: si j'avais mes deux yeux, il me faudrait une de ces deux choses: ou l'amende, ou mort d'homme. Que Dieu juge entre nous». Et il sortit. Mais comme il était à la porte de la hutte, il se retourna vers l'intérieur; et voici que ses yeux s'ouvrirent. «Loué sois-tu, dit-il, Dieu mon Seigneur; je vois maintenant ce que tu veux». Il rentre en courant dans la hutte, arrive devant Lyting et lui porte un si grand coup de hache sur la tête, que la hache s'y enfonça jusqu'au manche, après quoi il la retira. Lyting tomba la face en avant: il était mort sur le coup.

Amundi retourne vers la porte pour sortir. Comme il arrivait à l'endroit où ses yeux s'étaient ouverts, voici qu'ils se refermèrent, et il resta aveugle tout le temps qu'il vécut.

Après cela, il se fit conduire vers Njal et ses fils. Il leur dit le meurtre de Lyting. «On ne peut pas t'imputer ceci à mal, dit Njal, car de telles choses sont écrites à l'avance; et quand elles arrivent, c'est un avertissement pour nous de ne pas laisser dehors ceux qui sont les plus proches».

Alors Njal offrit la paix aux parents de Lyting. Höskuld, godi de Hvitanes, s'entremit auprès d'eux et les décida à accepter l'amende. On mit fin à l'affaire par une sentence, et l'amende fut réduite de moitié, à cause des droits qu'Amundi était réputé avoir eus contre Lyting. Après cela, on alla échanger des gages, et les parents de Lyting donnèrent des gages à Amundi. Les gens quittèrent le ting et retournèrent chez eux, et tout fut tranquille pendant longtemps.


CVII

Valgard le rusé revint cet été-là. Il était encore païen. Il vint à Hof chez son fils Mörd, et il y passa l'hiver. Il dit à Mörd: «J'ai parcouru tout le pays et il ne me semble plus que ce soit le même. Je suis allé à Hvitanes, et là j'ai vu beaucoup d'emplacements de huttes, et le sol tout remué. Je suis allé aussi au ting de Tingskala, et là j'ai vu toutes nos huttes mises à bas. Que signifient toutes ces choses étranges?»--«On a établi de nouveaux Godords, répondit Mörd, et un cinquième tribunal, et il y a des gens qui se sont séparés de mon ting, pour aller joindre le ting d'Höskuld.»--«C'est mal me remercier, dit Valgard, du Godord que je t'ai transmis, que de te conduire si lâchement. Je veux que tu les en punisses de telle sorte qu'ils y trouvent tous leur mort. Il faut pour cela, à force de paroles mensongères, amener les fils de Njal à tuer Höskuld. Ceux qui auront à le venger sont nombreux, et les fils de Njal périront dans cette querelle.»--«Ce n'est pas facile» dit Mörd. «Je vais te dire comment il faut t'y prendre, répondit Valgard. Tu vas inviter chez toi les fils de Njal, et tu les renverras avec des présents. Mais tu ne commenceras tes histoires que lorsqu'il y aura une grande amitié entre vous, et qu'ils se fieront à toi comme à eux-mêmes. C'est ainsi que tu te vengeras de Skarphjedin pour l'argent qu'il t'a forcé de lui donner après la mort de Gunnar. Quand tous ceux là seront morts, tu pourras devenir un chef.» Et ils convinrent que Mörd agirait selon ce conseil.

«Je voudrais, mon père, dit Mörd, te voir recevoir la foi, car tu es vieux.»--«Je ne veux pas, dit Valgard; tu devrais plutôt la rejeter, et nous verrions ce qui s'ensuivrait.» Mais Mörd dit qu'il ne ferait pas cela. Valgard brisa devant Mörd toutes les croix et autres choses saintes. Peu après, il tomba malade et mourut, et il fut déposé dans un tertre.


CVIII

À quelque temps de là, Mörd vint à Bergthorshval trouver Skarphjedin. Il leur donna, à lui et à ses frères, beaucoup de belles paroles; il parla tout le long du jour et dit qu'il désirait grandement faire amitié avec eux. Skarphjedin prit bien la chose: il dit pourtant qu'il ne s'y attendait pas.

Mörd finit par entrer en si grande amitié avec eux, que des deux côtés nul conseil ne semblait bon si les autres n'y avaient eu part. Njal trouvait toujours mauvais que Mörd vint, et chaque fois qu'il venait, il se montrait fâché.

Un jour, Mörd vint à Bergthorshval et dit aux fils de Njal: «J'ai résolu de donner un festin, et de boire la bière d'héritage en l'honneur de mon père. Je vous invite à ce festin, vous, fils de Njal, et Kari, et je vous promets que vous ne partirez pas sans présents.» Ils promirent de venir. Mörd retourne chez lui, et fait ses préparatifs. Il invita beaucoup de possesseurs de domaines, et il y eut grande foule. Les fils de Njal vinrent, et Kari aussi. Mörd donna à Skarphjedin une grande agrafe d'or, à Kari une ceinture d'argent, et à Grim et à Helgi de beaux présents. Ils rentrent chez eux, vantent les cadeaux qu'ils ont reçus, et les montrent à Njal. Njal dit qu'ils sont chèrement achetés: «Prenez garde, ajoute-t-il, que vous ne veniez à les payer de la manière qu'il voudra.»


CIX

Peu de temps après, Höskuld et les fils de Njal donnèrent des festins. Les fils de Njal commencèrent, et invitèrent Höskuld.

Skarphjedin avait un cheval brun, de quatre ans, grand et beau. C'était un étalon, mais il n'avait pas encore combattu. Skarphjedin en fit don à Höskuld, avec deux juments. Ils firent tous des présents à Höskuld, et se promirent bonne amitié.

Un peu plus tard, Höskuld les invita chez lui à Vörsabæ. Il en avait invité beaucoup d'autres, et il y eut grande foule. Il venait de faire abattre sa grande salle, mais il avait trois bâtiments extérieurs, et c'est là que les logements furent préparés. Ceux qu'il avait invités vinrent tous, et la fête se passa bien. Quand les gens furent sur le point de partir, Höskuld leur donna de beaux présents, et il fit la conduite aux fils de Njal. Les fils de Sigfus l'accompagnaient, et toute la foule des invités. Ils disaient les uns et les autres que jamais personne ne pourrait se mettre entre eux.

À quelque temps de là, Mörd vint à Vörsabæ et demanda à parler à Höskuld. Ils s'en allèrent à l'écart, et Mörd dit: «Il y a grande différence entre toi et les fils de Njal. Tu leur as fait de beaux présents; mais ceux qu'ils t'ont donnés, c'était pour se moquer de toi.»--«Qu'est-ce qui te fait penser cela?» dit Höskuld. «Ils t'ont donné, répondit-il, un cheval qu'ils n'appelaient eux-mêmes qu'un poulain, et ils l'ont fait par dérision, car ils te tiennent, toi aussi, pour jeune et sans expérience. Je peux te dire aussi qu'ils t'envient ton siège de godi. Skarphjedin s'en est emparé au ting, quand tu ne t'es pas rendu à la convocation du cinquième tribunal; et il entend bien ne pas le lâcher.»--«Ce n'est pas vrai, dit Höskuld; je l'ai repris à la session d'automne.»--«C'est que Njal s'en est mêlé, dit Mörd. De plus, ajouta-t-il, ils ont rompu la paix avec Lyting.»--«Je ne leur en ferai pas un crime» dit Höskuld.--«Tu ne peux pas nier pourtant, dit Mörd, qu'un jour où Skarphjedin et toi vous vous en alliez à l'est, vers le Markarfljot, sa hache est tombée de sa ceinture, et ce jour-là il avait en tête de te tuer.»--«C'était sa hache à fendre du bois, dit Höskuld; je l'ai vue quand il l'a mise à sa ceinture. Et je veux te dire tout de suite, ajouta-t-il, que tu ne me diras jamais si grand mal des fils de Njal que j'arrive à le croire. Et quand il y aurait quelque chose, quand tu dirais vrai en me prévenant que j'aurai à les tuer ou à être tué moi-même, j'aime bien mieux souffrir la mort de leur main que de leur faire le moindre mal. Mais toi, tu n'en es que plus méchant homme, de m'avoir dit cela.» Et Mörd s'en retourna chez lui.

Quelque temps après, Mörd va trouver les fils de Njal. Il parle longuement avec les trois frères, et Kari. «J'ai su, dit-il, qu'Höskuld godi de Hvitanes avait dit que toi, Skarphjedin, tu avais rompu la paix avec Lyting. Je suis certain aussi qu'il a cru que tu en voulais à sa vie le jour où vous alliez à l'est, vers le Markarfljot. Mais il me semble qu'il n'en voulait pas moins à la tienne, quand il t'a invité à son festin, et qu'il t'a logé dans le bâtiment le plus éloigné du domaine. On a apporté du bois toute la nuit devant ce bâtiment, et il avait résolu de vous brûler. Mais il se trouva que Högni fils de Gunnar arriva pendant la nuit, et il ne fut plus question de vous attaquer, car ils avaient peur de lui. Plus tard il t'a fait la conduite avec une troupe nombreuse. Cette fois encore il voulait t'attaquer, et il avait mis près de toi pour te tuer Grani fils de Gunnar et Gunnar fils de Lambi. Mais le cœur leur a manqué, et ils n'ont pas osé».

Quand il eut ainsi parlé, d'abord les autres le contredirent; mais à la fin pourtant ils le crurent. Et à cause de cela ils entrèrent en défiance d'Höskuld, et ils ne lui parlaient presque pas quand ils se rencontraient. Mais Höskuld se tenait à l'écart. Il se passa ainsi quelque temps.

L'automne suivant, Höskuld s'en alla dans l'est, à Svinafell, où on l'avait invité. Flosi lui fit bon accueil. Hildigunn était venue aussi, Flosi dit à Höskuld: «Hildigunn me dit qu'il y a de la froideur entre toi et les fils de Njal. Ceci me déplaît. Je te propose donc de ne plus retourner dans le pays de l'ouest. Je t'établirai à Skaptafell; et j'enverrai mon frère Thorgeir habiter à Vörsabæ».--«Alors on dira, répondit Höskuld, que j'ai fui, parce que j'avais peur, et je ne veux pas de cela».--«Il est donc à craindre, dit Flosi, qu'il ne sorte de là de grands malheurs».--«J'en suis fâché, dit Höskuld, car j'aimerais mieux rester sans vengeance que d'être cause qu'il arrive mal à d'autres».

Peu de jours après, Höskuld s'apprêta à retourner chez lui. Flosi lui fit présent d'un manteau d'écarlate, orné de broderies jusqu'en bas. Höskuld rentra chez lui à Vörsabæ, et tout fut tranquille pendant quelque temps.

Höskuld était d'humeur si agréable, que peu de gens étaient ses ennemis. Mais il y eut pendant tout cet hiver, la même froideur entre lui et les fils de Njal.

Njal avait pris chez lui, comme son fils d'adoption, le fils de Kari, nommé Thord. Il avait élevé aussi Thorhal fils d'Asgrim fils d'Ellidagrim. Thorhal était un vaillant homme, hardi en toutes choses. Il avait si bien appris la loi chez Njal qu'il était le troisième homme de loi de toute l'Islande.

Cette année-là, le printemps vint de bonne heure, et les gens se hâtèrent de semer leur grain.


CX

Il arriva un jour, que Mörd vint à Bergthorshval. Ils se mirent tout de suite à parler ensemble, Mörd, les fils de Njal, et Kari. Mörd calomnie Höskuld comme il en a l'habitude: il a encore de nouvelles histoires à raconter, et il presse très fort Skarphjedin et ses frères de tuer Höskuld, disant qu'il irait plus vite qu'eux, s'ils ne l'attaquaient sur le champ. «Nous ferons comme tu veux, dit Skarphjedin, si tu viens avec nous prendre part à la chose».--«Je le ferai» dit Mörd. Ils s'engagèrent les uns aux autres par promesses, et il fut convenu que Mörd reviendrait le soir.

Bergthora demanda à Njal: « Que disent-ils là dehors?»--«Je ne suis pas dans leurs conseils» dit Njal. Pourtant ils m'ont rarement laissé à l'écart quand leurs conseils étaient bons».

Skarphjedin ne se coucha pas ce soir-là, ni ses frères non plus, ni Kari. Vers la fin de la nuit, Mörd arriva. Ils prirent leurs armes, les fils de Njal et Kari, montèrent à cheval, et partirent. Ils marchèrent sans s'arrêter jusqu'à Vörsabæ. Là ils attendirent, derrière une haie. Le temps était beau, et le soleil venait de se lever.


CXI

À ce même moment, Höskuld, godi de Hvitanes, s'éveilla. Il se revêtit de ses habits, et mit sur son dos le manteau, présent de Flosi. Il prit un panier à grain d'une main, de l'autre une épée; puis il s'en va vers la haie et se met à semer son grain.

Skarphjedin et les autres étaient convenus entre eux qu'ils l'attaqueraient tous à la fois.

Skarphjedin s'élança de derrière la haie. Quand Höskuld le vit, il voulut fuir. Mais Skarphjedin courut après lui, en disant: «Ne crois pas que tu puisses t'échapper, godi de Hvitanes!» Il le frappe et le touche à la tête, et Höskuld tombe sur ses genoux. «Que Dieu m'aide et vous pardonne» dit-il en tombant. Alors ils coururent tous à lui, et le frappèrent tous.

Après cela, Mörd dit: «Il me vient une idée».--«Laquelle?» dit Skarphjedin.--«C'est, dit Mörd, de retourner chez moi tout d'abord. Ensuite j'irai à Grjota, je leur dirai la nouvelle, et que je trouve cela très mal fait. Je sais que Thorgerd me priera de dénoncer le meurtre. Et je le ferai; car ce sera le meilleur moyen d'embrouiller leur affaire. J'enverrai aussi un homme à Vörsabæ pour savoir s'ils se hâtent de prendre un parti. Il y apprendra la nouvelle et je ferai comme si je l'avais reçue de lui».--«Fais cela; tu feras bien» dit Skarphjedin.

Les trois frères retournèrent chez eux, avec Kari. En arrivant, ils dirent à Njal la nouvelle. «C'est une triste nouvelle que celle-ci, dit Njal, et fâcheuse à entendre; ce malheur me touche de si près que, je puis le dire en vérité, j'aimerais mieux avoir perdu deux de mes fils, et qu'Höskuld fût en vie».--«Il faut t'excuser, dit Skarphjedin, car tu es vieux, et il était à prévoir que ceci te ferait de la peine».--«Ce n'est pas seulement, dit Njal, parce que je suis vieux, mais aussi parce que je sais mieux que vous ce qui s'ensuivra».--«Qu'est-ce qui s'ensuivra?» dit Skarphjedin.--«Ma mort, dit Njal, celle de ma femme, et de tous mes fils».--«Que lis-tu dans l'avenir pour moi?» dit Kari.--«Il leur sera difficile, dit Njal, de s'opposer à ton heureux destin, et tu seras plus fort qu'eux tous».

Et ce fut la seule chose au monde qui touchât Njal de telle sorte qu'il ne pouvait en parler sans pleurer.


CXII

Hildigunn s'éveilla et vit qu'Höskuld n'était plus dans la chambre. «J'ai fait de mauvais rêves, dit-elle, et qui ne m'annoncent rien de bon; allez me chercher Höskuld». Ils le cherchèrent dans le domaine, et ne le trouvèrent pas. Cependant Hildigunn s'était habillée. Elle sort, et deux hommes avec elle, ils s'en vont vers la haie, et trouvent là Höskuld mort. À ce moment, arrive le berger de Mörd fils de Valgard. Il lui dit qu'il a rencontré les fils de Njal, venant de ce lieu, «et Skarphjedin m'a appelé, dit-il, et s'est déclaré l'auteur du meurtre».--«Ce serait un exploit de brave, dit Hildigunn, si un seul y avait eu part». Elle prit le manteau, essuya tout le sang des blessures, y rassembla les gouttes de sang caillé, et le mit dans son coffre.

Puis elle envoya un homme à Grjota pour y annoncer la nouvelle. Mörd était là qui l'avait déjà dite. Ketil de Mörk était venu aussi. Thorgerd dit à Ketil: «Voici qu'Höskuld est mort comme vous savez. Rappelle-toi maintenant ce que tu m'as promis, quand tu l'as pris pour ton fils d'adoption».--«Il se peut, dit Ketil, que j'aie promis alors trop de choses; car je ne pensais guère qu'il viendrait des jours comme ceux-ci. Me voici fort en peine; car le nez est près des yeux, et je suis marié à une fille de Njal».--«Veux-tu donc, dit Thorgerd, que ce soit Mörd qui porte plainte pour le meurtre?»--«Je ne sais pas, dit Ketil, car je crois qu'il vient de lui plus de mal que de bien». Mais dès que Mörd eut parlé à Ketil, il en fut de lui comme des autres, et il crut que Mörd lui serait fidèle. Ils convinrent donc que Mörd porterait plainte pour le meurtre, et s'occuperait de porter l'affaire devant le ting.

Après cela, Mörd descendit à Vörsabæ. Il vint là neuf hommes, les plus proches voisins du lieu du meurtre, pour servir de témoins. Mörd avait dix hommes avec lui. Il montre aux voisins les blessures d'Höskuld, les prenant à témoins des coups, et il nomme l'auteur de chaque blessure, sauf d'une. Celle-là, il fit comme s'il ne savait pas qui l'avait faite; mais c'était celle qu'il avait faite lui-même. Puis il déclara qu'il portait plainte contre Skarphjedin pour le meurtre, et contre ses frères et Kari pour les blessures. Après quoi il cita les neuf proches voisins du lieu du meurtre, à comparaître devant l'Alting.

Après cela il retourna chez lui. Il ne voyait presque jamais les fils de Njal, et quand ils se rencontraient, ils se faisaient mauvais visage. C'était ainsi convenu entre eux.

La nouvelle du meurtre d'Höskuld se répandit dans tous les cantons. On disait que c'était mal fait.

Les fils de Njal allèrent trouver Asgrim fils d'Ellidagrim, et lui demandèrent son aide. «Vous savez bien, dit-il, que je vous aiderai dans toute affaire grave. Pourtant j'augure mal de celle-ci; ils sont nombreux, ceux à qui appartient la vengeance, et dans tous les cantons ce meurtre a été grandement blâmé». Alors les fils de Njal retournèrent chez eux.


CXIII

Il y avait un homme nommé Gudmund le puissant. Il habitait à Mödruvöll sur l'Eyjafjord. Il était fils d'Eyjolf, fils d'Einar, fils d'Audun le chauve, fils de Thorolf Smjör, fils de Thorstein le lâche, fils de Grim Kamban. La mère de Gudmund s'appelait Halbera: elle était fille de Thorod Hjalm. Et la mère de Halbera s'appelait Reginleif, fille de Sæemund, des pays du Sud, celui qui donna son nom à la plaine de Sæmund sur le Skagafjord.

La mère d'Eyjolf, le père de Gudmund, était Valgerd fille de Runolf. La mère de Valgerd s'appelait Vilborg. Sa mère était Jorunn la bâtarde, fille du roi Osvald le saint. La mère de Jorunn était Bera, fille du roi Jatmund le saint.

La mère d'Einar, père d'Eyjolf, était Helga, fille d'Helgi le maigre, qui s'établit dans l'Eyjafjord. Helgi était fils d'Eyvind du pays de l'est, et de Rafört, fille de Kjarval, roi d'Irlande. La mère d'Helga fille d'Helgi était Thorunn la cornue, fille de Ketil Flatnef, fils de Björn Buna, fils de Grim, seigneur de Sögn.

La mère de Grim était Hervör. La mère de Hervör était Thorgerd, fille d'Halegg, roi d'Halogaland.

La femme de Gudmund le riche s'appelait Thorlaug. Elle était fille d'Atli le fort, fils d'Eilif l'aigle, fils de Bard, fils de Ketil Ref, fils de Skidi le vieux.

Herdis était le nom de la mère de Thorlaug. Elle était fille de Thord de Höfda, fils de Björn Byrdusmjörs, fils de Hroald, fils de Hrodlaug le triste, fils de Björn Jarnsida, fils de Ragnar Lodbrok, fils de Sigurd Hring, fils de Randæs, fils de Radbard.

La mère d'Herdis fille de Thord était Thorgerd fille de Skidi. Sa mère était Fridgerd fille de Kjarval roi d'Irlande.

Gudmund était un grand chef. Il était riche en biens Il avait cent serviteurs dans sa maison. Il avait pris la toute-puissance sur tous les chefs du pays qui est au nord de la plaine d'Öxnadal: les uns durent quitter leurs domaines, à d'autres il ôta la vie; d'autres lui laissèrent leur siège de Godi. C'est de lui que viennent les meilleures familles du pays: les Oddaverjar, les Sturlungar, les Hvammverjar, et ceux de Fljota, et aussi Ketil l'évêque, et beaucoup d'autres parmi les meilleurs.

Gudmund était ami d'Asgrim fils d'Ellidagrim, et Asgrim songeait à lui demander son aide.


CXIV

Il y avait un homme nommé Snorri, surnommé le Godi. Il demeurait à Helgafell, avant que Gudrunn, fille d'Usvif, ne lui eût acheté ses terres. Elle y demeura jusqu'à sa mort. Mais Snorri s'en alla sur le Hvammsfjord et s'établit à Sælingsdalstunga.

Le père de Snorri s'appelait Thorgrim et était fils de Thorstein Thorskabit, fils de Thorolf Mostrarskegg fils d'Örnolf Fiskrek. Mais Ari le sage dit qu'il était fils de Thorgil Reydarsida. Thorolf Mostrarskegg avait pour femme Oska, fille de Thorstein le rouge.

La mère de Thorgrim s'appelait Thora. Elle était fille d'Oleif le lâche, fils de Thorstein le rouge, fils d'Oleif le blanc, fils d'Ingjald, fils d'Helgi. La mère d'Ingjald s'appelait Thora, fille de Sigurd à l'œil de serpent, fils de Ragnar Lodbrok.

La mère de Snorri le Godi était Thordis, fille de Sur et sœur de Gisli.

Snorri était grand ami d'Asgrim fils d'Ellidagrim, et Asgrim comptait sur son aide.

Snorri était l'homme le plus sage de l'Islande, parmi ceux qui ne voyaient pas dans l'avenir. Il était bon pour ses amis, et terrible pour ses ennemis.

À ce moment-là, il y eut grande affluence au ting, de tous les districts, et les gens avaient beaucoup de procès à juger.


CXV

Flosi apprend le meurtre de son gendre Höskuld, et cette nouvelle le met en grand souci et grande colère. Pourtant il se tint tranquille. On lui dit comment l'affaire avait été engagée après la mort d'Höskuld, mais il ne fit pas paraître ce qu'il en pensait. Il envoya un messager à Hal de Sida, son beau-père, et à son fils Ljot, pour leur dire d'amener beaucoup de monde avec eux au ting. Ljot passait pour être en espérance le plus grand chef du pays de l'est. On lui avait prédit que s'il allait trois étés de suite au ting, et revenait sain et sauf, il deviendrait le plus grand chef et l'homme le plus vieux de sa race. Il était déjà allé un été au ting, et il allait partir pour la seconde fois.

Flosi envoya encore des messages à Kol, fils de Thorstein, et à Glum, fils de Hildir le vieux, à Geirleif, fils d'Önund Töskubak et à Modolf, fils de Ketil. Ils vinrent tous à la rencontre de Flosi. Hal avait promis d'amener beaucoup de monde.

Flosi se mit en route et vint à Kirkjubæ chez Surt, fils d'Asbjörn. De là, il envoya chercher Kolbein, fils d'Egil, son neveu, qui vint se joindre à lui.

Après cela, Flosi vint à Höfdabrekka. Là demeurait Thorgrim Skrauti, fils de Thorkel le beau. Flosi le pria de venir au ting avec lui. Il consentit à la chose et dit à Flosi: «Je t'ai souvent vu, messire, plus gai que maintenant; mais tu as de bonnes raisons pour qu'il en soit ainsi».--«Certes, dit Flosi, il s'est passé de tristes choses, et je donnerais tout ce que je possède pour que ceci ne fût pas arrivé. Du mauvais grain a été semé: mauvaise récolte en poussera».

Il partit de là, traversant la plaine d'Arnarstak, et fut à Solheima le soir. Là demeurait Lodmund, fils d'Ulf. Il était grand ami de Flosi. Flosi y passa la nuit. Au matin, Lodmund partit avec lui pour Dal, où ils passèrent la nuit. Là demeurait Runolf, fils d'Ulf godi d'Ör. Flosi dit à Runolf: «Nous allons savoir ici la vérité sur le meurtre d'Höskuld, godi de Hvitanes. Tu es un homme véridique, et bien informé; je croirai tout ce que tu me diras de leur querelle».--Runolf dit: «Il n'y a pas à mesurer ses paroles, et il a été tué sans la moindre cause. Sa mort a affligé tout le monde. Mais personne n'en a si grand deuil que Njal, son père d'adoption».--«Ils auront donc de la peine à trouver des gens qui leur viennent en aide», dit Flosi.--«Je le crois, dit Runolf, s'il ne survient rien».--«Qu'y a-t-il de fait?» dit Flosi. «Les voisins ont été cités à témoins, dit Runolf, et plainte a été portée pour le meurtre».--«Qui a fait cela?» dit Flosi.--«Mörd fils de Valgard» dit Runolf.--«Peut-on se fier à lui?» dit Flosi.--«Il est mon parent, dit Runolf, mais, s'il faut dire vrai, on dit de lui plus de mal que de bien. Maintenant je t'en prie, Flosi, apaise ta colère, et prends le parti qui amènera le moins de trouble; car Njal va te faire sans doute des offres honorables, et les hommes les meilleurs seront avec lui». Flosi répondit: «Viens donc au ting. Runolf, et tes paroles pourront beaucoup sur moi; à moins que les choses ne tournent plus mal qu'il ne faudrait». Ils n'en dirent pas d'avantage, et Runolf promit de venir. Il envoya un message à Haf le sage, son parent, qui arriva aussitôt. Flosi partit de là et vint à Vörsabæ.


CXVI

Hildigunn était dehors et dit: «Il faut que tous mes serviteurs sortent quand Flosi entrera dans le domaine. Les femmes nettoieront la maison et l'orneront de tentures, et elles prépareront un siège élevé pour Flosi».

Alors Flosi entra dans l'enceinte. Hildigunn vint à sa rencontre: «Salut à toi, mon oncle, dit-elle; mon cœur se réjouit de ta venue».--«Nous allons prendre notre repas, dit Flosi, et ensuite nous nous remettrons en route». Et on attacha leurs chevaux.

Flosi entra dans la salle et s'assit. Il renversa sur le banc le siège qu'on lui avait préparé, en disant: «Je ne suis ni roi ni jarl, je ne veux pas qu'on me fasse un trône, et il n'est pas besoin de se moquer de moi». Hildigunn était debout à son côté: «Il est fâcheux, dit-elle, que cela te déplaise, car nous l'avions fait de bon cœur».--«Si tu agis de bon cœur avec moi, dit Flosi, tes actions se loueront elles-mêmes; et elles se blâmeront elles-mêmes si elles sont mauvaises». Hildigunn eut un rire froid: «N'en parlons plus, dit-elle. Nous aurons souvent encore affaire l'un avec l'autre avant la fin». Elle s'assit près de Flosi, et ils parlèrent longtemps à voix basse.

On apporta les tables; Flosi et ses hommes se lavèrent les mains. Flosi regarda la serviette, elle était pleine de trous, et un des coins était arraché. Il ne voulut pas s'en servir et la jeta sur le banc. Il déchira un morceau de la nappe, s'y essuya les mains, et le lança à ses hommes. Après quoi il se mit à table et leur dit de manger.

Alors Hildigunn entra dans la salle. Elle vint droit à Flosi, écarta ses cheveux, qui couvraient son visage, et se mit à pleurer. «Tu as le cœur bien gros, ma nièce, dit Flosi, pour pleurer ainsi. Tu as raison pourtant, car tu pleures un bon mari».--«Quelle vengeance me donneras-tu, dit-elle, et quelle aide?» Flosi répondit: «Je porterai ta cause devant la justice, et j'irai jusqu'au bout, ou bien je ferai une paix telle que tous les hommes de bien puissent dire qu'elle nous fait honneur de tout point».--«Höskuld te vengerait, dit-elle, si c'était lui qui eût à te venger».--«Tu es féroce, répondit Flosi, et je vois bien ce que tu veux». Hildigunn reprit: «Moins grande était l'offense d'Arnor fils d'Örnolf de Forsarskog envers ton père Thord godi de Frey, et pourtant tes frères Kolbein et Egil l'ont tué au ting de Skaptafell.

Alors Hildigunn s'en alla dans la pièce d'entrée et ouvrit son coffre. Elle prit le manteau que Flosi avait donné à Höskuld. C'est dans ce manteau qu'Höskuld avait été tué, et elle l'avait gardé là tout plein de sang comme il était. Elle rentra dans la salle avec le manteau, et vint, sans dire un mot, droit à Flosi. Flosi avait mangé son saoul, et on avait emporté les tables. Hildigunn jeta le manteau sur Flosi, et le sang caillé tomba à grand bruit tout autour. «Voici, Flosi, dit-elle, le manteau que tu donnas à Höskuld; je veux te le donner à mon tour. C'est dans ce manteau qu'il a été tué. J'appelle à témoins Dieu et tout ce qu'il y a de vaillants hommes, que je t'adjure, par la puissance du Christ, par ta renommée et ta bravoure, de venger toutes les blessures qui couvraient son cadavre; sinon, puisse chacun t'appeler un lâche!»

Flosi arracha le manteau et le lui jeta: «Tu es une sorcière d'enfer, dit-il; tu voudrais nous voir faire ce qui serait notre perte à tous; mais les conseils des femmes sont toujours cruels». Flosi était tellement hors de lui, que son visage était tantôt rouge comme du sang, tantôt pâle comme du foin séché, et tantôt noir comme la mort.

Flosi monta à cheval, avec ses hommes, et s'en alla. Il vint à Holtsvad pour y attendre les fils de Sigfus et le reste de ses amis.

Il y avait un homme nommé Ingjald qui demeurait à Kelda. C'était le frère de Hrodny, mère d'Höskuld, fils de Njal. Ils étaient tous deux les enfants d'Höskuld le blanc, fils d'Ingjald le fort, fils de Geirfin le rouge, fils de Sölvi, fils de Gunnstein le tueur de sorciers. Ingjald avait pour femme Thraslaug, fille d'Egil, fils de Thord, godi de Frey. La mère d'Egil était Thraslaug fille de Thorstein Titling. La mère de Thraslaug était Unn, fille d'Eyvind Karf, et sœur de Modolf le sage.

Flosi envoya dire à Ingjald de venir le trouver. Ingjald arriva aussitôt avec quatorze hommes, tous de sa maison. Ingjald était grand et fort. Il parlait peu, chez lui, mais c'était le plus brave des hommes, et il donnait volontiers de ses biens à ses amis.

Flosi fit bon accueil à Ingjald et lui dit: «De grandes calamités sont venues sur nous, et je ne sais comment nous sortirons de là. Je te prie, mon neveu, de ne pas abandonner ma cause avant que nous soyons sortis de peine.» Ingjald répondit: « Me voici moi-même en grand embarras. Je suis parent de Njal et de ses fils, et il y a d'autres choses importantes qui me font réfléchir.» Flosi reprit: «Quand je t'ai donné en mariage la fille de mon frère, j'ai cru que tu m'avais promis de m'aider en toute circonstance.»--«Il est probable aussi que je le ferai, dit Ingjald, mais je vais retourner chez moi d'abord, et de là j'irai au ting.»


CXVII

Les fils de Sigfus apprirent que Flosi était à Holtsvad. Ils montèrent à cheval et vinrent le trouver. Il y avait là Ketil de Mörk et Lambi son frère, Thorkel et Mörd, et Sigmund, tous fils de Sigfus. Il y avait aussi Lambi fils de Sigurd, et Gunnar fils de Lambi, et Grani fils de Gunnar, et aussi Vjebrand fils d'Hamund.

Flosi se leva à leur arrivée et leur souhaita la bienvenue, très amicalement. Ils s'en allèrent vers la rivière. Flosi leur fit faire un récit véridique, et il ne s'écartait en rien de celui de Runolf de Dal. Flosi dit à Ketil de Mörk: «Je te demande une chose: jusqu'où voulez-vous pousser la vengeance dans cette affaire, toi et les autres fils de Sigfus?»--«Je voudrais, dit Ketil, qu'on pût faire la paix. Pourtant j'ai juré un serment, de ne pas abandonner cette affaire qu'elle n'ait pris fin, de façon ou d'autre, quand je devrais y laisser ma vie.»--«Tu es un brave homme, dit Flosi, et tout tourne bien aux hommes tels que toi.»

Alors Grani fils de Gunnar et Gunnar fils de Lambi parlèrent tous deux à la fois: «Nous voulons, dirent-ils, le bannissement et la vengeance du sang.»--«Nous n'aurons pas à choisir», répondit Flosi. Grani reprit: «Quand ils ont tué Thrain à Markarfljot, et plus tard son fils Höskuld, je me suis dit que jamais je ne ferais avec eux de paix qui dure; car je voudrais bien être là, quand ils seront tous tués.»--«Tu as été assez près d'eux, répondit Flosi, pour tirer d'eux ta vengeance, si tu avais eu le cœur d'un homme. À ce qu'il me semble, tu veux maintenant des choses (toi et beaucoup d'autres) auxquelles tu voudrais bien, dans quelque temps d'ici, n'avoir jamais pris part, et pour cela tu donnerais très cher. Je vois cela clairement: quand il nous arriverait de tuer Njal et ses fils, ce sont des hommes si considérables et de si grande race qu'on tirera d'eux une vengeance terrible. Il nous faudra tomber aux pieds de bien des gens pour demander leur aide, avant que nous puissions sortir de peine et obtenir la paix. Sachez aussi que beaucoup deviendront pauvres, qui possédaient de grands biens, et que d'autres perdront à la fois leurs biens et la vie».

Mörd fils de Valgard vint trouver Flosi. Il lui dit qu'il irait au ting avec lui, et qu'il amènerait tout son monde. Flosi fut content de son offre et lui fit la proposition de marier Rannveig, sa fille, à Starkad, qui demeurait à Stafafell, et qui était fils du frère de Flosi. Flosi pensait s'assurer par là de la fidélité de Mörd, et de l'aide de ses gens. Mörd prit bien la chose, mais il dit qu'il s'en remettait à l'avis de Gissur le blanc, et qu'on en parlerait au ting. Mörd était marié à la fille de Gissur, Thorkatla.

Mörd et Flosi partirent ensemble pour le ting, et ils parlèrent, à eux deux, tout le long du jour.


CXVIII

Njal dit à Skarphjedin: «Qu'avez-vous résolu de faire, toi et tes frères, et Kari?» Skarphjedin répondit: «Ce n'est pas notre habitude de ruminer longtemps les choses. Voici ce que j'ai à te dire: Nous irons à Tunga, chez Asgrim fils d'Ellidagrim, et de là au ting. Et toi, mon père, qu'as-tu décidé pour ton voyage?»--«J'irai au ting, répondit Njal; car je tiens à l'honneur de ne pas abandonner votre cause, tant que je vivrai. Je trouverai là-bas bien des gens qui auront pour moi de bonnes paroles: je pourrai vous servir, et je ne vous ferai pas de tort.»

Thorhal fils d'Asgrim et fils adoptif de Njal était là. Les fils de Njal riaient de lui, parue qu'il avait une casaque brune. Ils lui demandèrent combien de temps il comptait la porter. «Je l'ôterai, répondit-il, quand j'aurai à venger mon père adoptif.»--«Tu montreras que tu es brave, dit Njal, quand on aura besoin de toi.»

Ils se préparèrent tous à partir, et ils étaient près de trente hommes. Ils se mirent en route, et chevauchèrent sans s'arrêter jusqu'à la Thjorsa. Là vinrent les retrouver les parents de Njal, Thorleif Krak et Thorgrim le grand. Ils étaient fils d'Holta-Thorir. Ils offrirent aide et assistance aux fils de Njal. Et les fils de Njal acceptèrent.

Ils partirent tous ensemble, passèrent la Thjorsa et vinrent sur les bords de la rivière de Lax, où ils firent halte. Là vint les rejoindre Hjalti fils de Skeggi. Njal et ses fils le prirent à l'écart, et ils parlèrent longtemps tout bas. Hjalti dit: «Je vais montrer que je ne suis pas un ingrat. Njal m'a demandé mon aide. Je lui ai accordé sa demande, et j'ai promis de l'aider. Il m'a récompensé d'avance, moi et beaucoup d'autres, par les bons conseils qu'il nous a donnés.» Hjalti dit à Njal toutes les allées et venues de Flosi. Ils envoyèrent Thorhal en avant, à Tunga, dire à Asgrim qu'ils seraient chez lui le soir.

Asgrim fit aussitôt ses préparatifs. Il était dehors, quand Njal entra dans l'enceinte. Njal était vêtu d'un manteau bleu, il avait sur la tête un chapeau de feutre, et une petite hache à la main. Asgrim l'aida à descendre de cheval, le mena dans la maison, et le fit asseoir sur un siège élevé. Après eux entrèrent tous les fils de Njal, et Kari. À ce moment Asgrim sortit. Il vit Hjalti qui voulait s'en aller sans bruit, pensant qu'il y avait trop de monde. Asgrim prit son cheval par la bride, en disant qu'on ne lui avait pas permis de partir. Il fit mettre pied à terre à ses hommes, mena Hjalti dans la salle, et le fit asseoir à côté de Njal. Thorleif et ses hommes avaient pris place sur l'autre banc.

Asgrim s'assit sur un siège devant Njal: «Que te semble de notre affaire?» lui demanda-t-il. «Rien de bon, répondit Njal: car j'ai peur qu'il n'aient pas la chance pour eux, ceux qui ont part à cette querelle. Je voudrais, mon ami, te faire une demande, c'est de rassembler tous tes hommes, et de venir au ting avec moi.»--«C'est ce que je compte faire, dit Asgrim, et je te promets de plus que je n'abandonnerai jamais votre cause, tant que j'aurai quelques hommes pour me suivre.» Tous ceux qui étaient là le remercièrent, et dirent que c'était parler en brave homme.

Ils passèrent la nuit là. Le jour d'après, tous les gens d'Asgrim arrivèrent. Ils partirent tous ensemble, et chevauchèrent sans s'arrêter jusqu'au ting; leurs huttes étaient déjà dressées.


CXIX

Flosi était déjà arrivé, et il avait logé tout son monde dans ses huttes. Runolf habitait la hutte des gens de Dal, et Mörd celle des gens de la Ranga. Hal de Sida était venu de l'est depuis longtemps, et il n'était guère venu que lui de ce pays-là, mais il avait beaucoup de monde à sa suite, il joignit sa troupe à celle de Flosi, et il l'engageait fort à conclure la paix. Hal était un homme sage et bienveillant. Flosi lui donna de bonnes paroles, mais n'en fit pas davantage. Hal lui demanda quelles gens lui avaient promis leur aide. Flosi nomma Mörd fils de Valgard, et dit qu'il avait demandé la fille de Mörd en mariage pour son parent Starkad. C'est un bon parti, répondit Hal, mais de Mörd il ne peut venir que du mal, et tu t'en apercevras avant que ce ting n'ait pris fin.» Et ils n'en dirent pas davantage.

Il arriva un jour que Njal et Asgrim parlèrent longtemps en secret. Tout à coup Asgrim sauta sur ses pieds, et dit aux fils de Njal: «Allons, et cherchons-nous des amis, pour que nous ne soyons pas écrasés sous le nombre; car dans cette affaire, c'est la force qui décidera.» Asgrim sortit, et derrière lui Helgi fils de Njal, puis Kari fils de Sölmund, puis Grim fils de Njal, puis Skarphjedin, puis Thorhal fils d'Asgrim, puis Thorgrim le grand, puis Thorleif Krak.

Ils allèrent à la hutte de Gissur le blanc, et ils entrèrent. Gissur se leva pour venir à leur rencontre. Il les fit asseoir et leur offrit à boire. «Ce n'est pas notre affaire, répondit Asgrim, et ce qui nous amène nous n'avons pas à le dire tout bas: quelle aide pouvons-nous attendre de toi, mon oncle?» Gissur répondit: «Ma sœur Jorunn serait d'avis que je ne puis me dispenser de t'aider. Il en sera donc ainsi, maintenant et toujours, et nous aurons un même sort, tous les deux.» Asgrim le remercia, et s'en alla.

«Où allons-nous maintenant?» demanda Skarphjedin. «À la hutte des gens d'Ölfus» répondit Asgrim. Et ils y allèrent. Asgrim demanda si Skapti fils de Thorod était dans sa hutte. On lui dit qu'il y était. Ils entrèrent. Skapti était assis sur le banc. Il souhaita la bienvenue à Asgrim, et Asgrim lui fit une bonne réponse. Skapti pria Asgrim de s'asseoir à côté de lui. «Je n'ai pas le loisir, répondit Asgrim, et pourtant j'ai quelque chose à te demander.»--«Que je l'entende donc» dit Skapti. «Je viens, dit Asgrim, te demander aide et assistance pour moi, et mes parents que voici.»--«J'aurais souhaité, dit Skapti, que vos embarras ne vinssent pas me chercher jusque dans ma demeure.»--«C'est mal parler, répondit Asgrim, que de refuser d'aider les gens au moment où ils en ont le plus grand besoin.»--«Quel est cet homme, dit Skapti, qui en a quatre devant lui, grand, pâle, à la face de malheur, qui a l'air terrible, et semble être un sorcier?»--«Je me nomme Skarphjedin, répondit l'autre, et tu m'as vu au ting plus d'une fois. Mais moi je suis plus sage que toi et je n'ai pas besoin de te demander comment tu t'appelles. Tu t'appelles Skapti fils de Thorod. Mais tu t'es appelé d'abord Burstakol, l'homme à la tête rasée, après que tu as tué Ketil d'Elda. Alors tu as rasé tes cheveux, et tu as frotté ta tête de goudron. Après quoi tu as payé des esclaves pour lever de terre une bande de gazon, et tu t'es caché dessous pendant la nuit. Ensuite tu as été trouver Thorolf, fils de Lopt, du pays d'Eyra, qui t'a pris à son bord et t'a emmené au loin en te cachant dans ses sacs de farine.» Et là-dessus ils sortirent, Asgrim et eux tous.

«Où allons-nous maintenant?» demanda Skarphjedin. «À la hutte de Snorri le Godi» dit Asgrim. Et ils allèrent à la hutte de Snorri. Il y avait un homme devant. Asgrim lui demanda si Snorri était dans sa hutte. L'homme dit qu'il y était. Asgrim entra, et tous les autres avec lui. Snorri était assis sur le banc. Asgrim vint à lui et le salua amicalement. Snorri lui fit bonne mine, et le pria de s'asseoir. «Je n'ai pas le loisir, dit Asgrim, et pourtant j'ai quelque chose à te demander.»--«Parle donc» dit Snorri. «Je te demande, dit Asgrim, de venir avec moi au tribunal, et de me donner ton aide; car tu es un homme sage, et tu t'entends à mener les affaires.»--«Nous avons des procès qui vont mal, dit Snorri, et bien des gens sont contre nous; c'est pourquoi nous n'avons pas envie d'entrer dans les querelles de ceux des autres districts.»--«Nous n'avons pas à t'en vouloir, dit Asgrim, car tu ne nous dois rien.»--«Je sais que tu es un brave homme, dit Snorri; je te promets donc de n'être jamais contre toi et de ne pas donner d'aide à tes ennemis.» Asgrim le remercia. «Qui est cet homme, dit Snorri, qui en a quatre devant lui, pâle et au visage dur, qui rit en montrant ses dents, et qui porte sa hache levée sur son épaule?»--«Je me nomme Hjedin, dit l'autre, mais il y en a qui m'appellent Skarphjedin, de mon nom tout entier. Qu'as-tu à me dire de plus?»--«J'ai à te dire ceci, répondit Snorri. Tu m'as l'air d'un homme hardi, et qui ne craint personne. Et pourtant je vois une chose, c'est que ton bonheur est passé, et que tu n'as plus devant toi qu'une courte vie.»--«C'est bien, dit Skarphjedin; c'est une dette que nous paierons tous. Mais toi tu ferais mieux de venger ton père que de me faire tes prophéties.»--«Bien d'autres me l'ont dit avant toi, dit Snorri, et je ne me fâcherai pas pour cela.» Ils sortirent et ils n'avaient pas trouvé là de secours.

De là ils allèrent à la hutte des gens du Skagfjord. Dans cette hutte demeurait Haf le riche. Il était fils de Thorkel, fils d'Eirik, de la vallée de God, fils de Geirmund, fils de Hroald, fils d'Eirik à la barbe hérissée, qui tua Grjotgard, en Norvège, dans la vallée de Sokn. La mère de Haf s'appelait Thorunn et était fille d'Asbjörn Myrkarskall, fils de Hrossbjörn.

Asgrim et les autres entrèrent dans la hutte. Asgrim vint à Haf, et le salua. Haf lui fit bon accueil, et le pria de s'asseoir. «Je suis venu, dit Asgrim, te demander ton aide, pour moi et mes parents.» Haf répondit vivement: «Je ne veux pas me mêler de vos embarras. Mais dis-moi, qui est cet homme pâle, qui en a quatre devant lui, et qui a l'air si terrible qu'on le dirait sorti des gouffres de la mer?»--«Que t'importe qui je suis, face de bouillie, dit Skarphjedin. Là où tu seras en embuscade pour m'attendre, je n'aurai pas peur d'aller en avant; ce ne sont pas des compagnons comme toi sur ma route, qui m'effraieront beaucoup. Tu ferais bien d'aller chercher ta sœur Svanlög; qu'Eydis Jarnsaxa et Stedjakol ont enlevée de ta maison, sans que tu aies osé bouger.»--«Sortons, dit Asgrim, il n'y a point d'aide à attendre ici.»

Après cela ils allèrent à la hutte de ceux de Mödruvöll, et ils demandèrent si Gudmund le puissant était dans sa hutte. On leur dit qu'il y était. Ils entrèrent. Il y avait au milieu de la hutte un siège élevé. Là était assis Gudmund. Asgrim vint devant Gudmund et le salua. Gudmund lui fit bon accueil et le pria de s'asseoir. «Je ne veux pas m'asseoir, dit Asgrim. Je suis venu te demander ton aide; car tu es un chef brave et puissant.» Gudmund répondit: «Je ne serai pas contre toi. Mais pour ce qui est de te donner mon aide, nous pourrons en parler plus tard.» Et il eut avec eux des façons fort gracieuses. Asgrim le remercia de ses paroles. Gudmund dit: «Il y a un homme dans ta troupe que je considère depuis un instant, et qui me semble plus terrible qu'aucun de ceux que j'aie jamais vus.»--«Qui est-il?» demanda Asgrim. «C'est celui qui en a quatre devant lui, dit Gudmund; l'homme à la chevelure foncée et au teint pâle, à la haute taille et à l'air hardi. Il me semble si redoutable que j'aimerais mieux l'avoir dans ma suite que dix autres. Et pourtant cet homme a une face de malheur.»--«Je vois, dit Skarphjedin, que c'est de moi que tu parles. Nous avons, toi et moi, des destins divers. J'ai été blâmé pour le meurtre d'Höskuld, godi de Hvitanes, et ce n'est pas sans raison. Mais toi, Thorkel Hak et Thorir fils d'Helgi ont raconté de fâcheuses histoires sur ton compte, et tu as pris cela fort à cœur.» Et là-dessus ils sortirent.

«Où allons-nous maintenant?» demanda Skarphjedin. «À la hutte des gens de Ljosvatn» répondit Asgrim. Dans cette hutte logeait Thorkel Hak. Il était fils de Thorgeir le Godi, fils de Tjörvi, fils de Thorkel le long. La mère de Thorgeir était Thorunn, fille de Thorstein, fils de Sigmund, fils de Gnupabard. La mère de Thorkel Hak s'appelait Gudrid. Elle était fille de Thorkel le noir de Hleidrargard, fils de Thorir Snepil, fils de Ketil Brimil, fils d'Örnolf, fils de Björnolf, fils de Grim Lodinkin, fils de Ketil Hæing, fils de Halbjörn Halftroll.

Thorkel Hak avait été à l'étranger, et y avait acquis de la gloire. Il avait tué un brigand dans la forêt de Jamt, au pays de l'est. Après quoi il était allé en Suède où il s'était joint à Sörkvi Karl, et tous deux avaient guerroyé dans l'est, ensemble. Un soir, sur les côtes de la Baltique, Thorkel eut à chercher de l'eau pour les autres. Il rencontra un monstre à tête humaine et se battit contre lui, longtemps. À la fin il le tua. De là, il vint à Adalsysli, où il tua un dragon. De là il revint en Suède, de là en Norvège, d'où il retourna en Islande. Il avait fait graver tous ses exploits sur son alcôve, et sur un tabouret devant son siège. Il attaqua sur le chemin de Ljosvatn Gudmund le puissant et ses frères, et ceux de Ljosvatn eurent la victoire. Thorir fils d'Helgi et Thorkel Hak firent une chanson sur Gudmund. Thorkel disait qu'il n'y avait pas un homme en Islande avec qui il ne se mesurât volontiers en combat singulier, ou qui pût le faire reculer d'une semelle. On l'appelait Thorkel Hak (la mauvaise langue) parce qu'il ne ménageait ni en paroles, ni en actions, ceux à qui il avait affaire.


CXX

Asgrim fils d'Ellidagrim et ses compagnons vinrent à la hutte de Thorkel Hak. Asgrim dit aux autres: «Cette hutte est à Thorkel Hak, un vaillant champion; ce serait pour nous un grand avantage si nous pouvions avoir son aide. Il s'agit ici de prendre garde, car il est opiniâtre et d'humeur difficile. Je t'en prie, Skarphjedin, ne te mêle pas à notre entretien.»

Skarphjedin se mit à rire en montrant ses dents. Voici comme il était vêtu ce jour-là. Il avait une casaque bleue, et des pantalons rayés de bleu. Il avait aux pieds de hauts souliers noirs, et une ceinture d'argent autour de la taille. Il tenait à la main, la hache qui avait tué Thrain, et qu'il appelait Rimmugygi; et aussi un bouclier léger. Il avait autour de la tête un bandeau de soie, et ses cheveux étaient rejetés derrière ses oreilles. C'était le plus terrible des guerriers, et, à cela, tous pouvaient le reconnaître sans l'avoir jamais vu. Il marchait au rang qu'on lui avait marqué sans avancer ni reculer.

Ils entrèrent dans la hutte, et allèrent jusqu'à la chambre du fond. Thorkel était assis au milieu du banc, et ses hommes de chaque côté. Asgrim le salua. Thorkel lui fit bon accueil. «Nous sommes venus, dit Asgrim, te demander de nous aider, et de venir au tribunal avec nous.»--«Qu'avez-vous besoin de mon aide» dit Thorkel, puisque vous venez de chez Gudmund? Il a dû vous promettre la sienne.»--«Il ne nous a rien promis» dit Asgrim. «C'est donc, dit Thorkel, que Gudmund a trouvé l'affaire mauvaise; et elle l'est en effet, car ce meurtre est la plus méchante action qui jamais ait été commise. Je ne sais ce qui t'a pris de venir ici, ni comment tu as pu croire que je serais plus traitable que Gudmund, et que je soutiendrais une mauvaise cause.» Asgrim se taisait. Il pensait que cela prenait une mauvaise tournure. Thorkel reprit: «Qui est cet homme, grand, et à l'air terrible, qui en a quatre devant lui, pâle et au visage dur, effroyable à voir, une face de malheur?» Skarphjedin répondit: «Je me nomme Skarphjedin; mais toi, tu as tort de m'adresser tes paroles insultantes, car je ne t'ai rien fait. Jamais je n'ai mis mon père à mes pieds, jamais je n'ai combattu contre lui, comme toi contre le tien. Ce n'est pas souvent que tu es venu au ting, et que tu t'es mêlé des procès qu'on y juge. Tu aimes bien mieux rester chez toi, à Öxara, à t'occuper de tes laitages avec ta poignée de serviteurs. Tu ferais bien aussi de te nettoyer les dents, et d'en ôter la viande de cheval que tu as mangée avant de partir pour le ting; ton berger t'a vu, et il s'est émerveillé de te voir faire une telle horreur.» Alors Thorkel, en grande colère, sauta sur ses pieds. Il tira son épée et dit: «Voici une épée que j'ai prise en Suède, à un des meilleurs champions qu'on pût voir; et depuis, je m'en suis servi pour tuer plus d'un homme. Que je t'approche, et je te la passerai au travers du corps, en récompense de tes injures.» Skarphjedin était là, sa hache levée. Il rit en montrant ses dents, et dit: «J'avais cette hache à la main quand j'ai fait un saut de douze aunes au travers du Markarfljot, pour tuer Thrain fils de Sigfus; ils étaient huit contre moi, et pas un d'eux ne me toucha. Mais moi je n'ai jamais levé une arme contre un homme, sans le frapper.» Et là-dessus il poussa de côté ses frères et Kari, et vint droit à Thorkel. «Choisis, Thorkel Hak, lui dit-il. Ou bien rengaine ton épée et va t'asseoir, ou bien je te plante ma hache dans la tête, et je la fends en deux jusqu'aux épaules.» Thorkel rengaina son épée et s'assit. Pareille chose jamais ne lui était arrivée, et jamais ne lui arriva depuis.

Asgrim et les autres sortirent. «Où allons-nous maintenant?» dit Skarphjedin. «Chez nous, dans nos huttes» dit Asgrim. «Nous sommes las de demander, alors» dit Skarphjedin. Asgrim se tourna vers lui et dit: «Dans plus d'un endroit tu as eu la langue bien prompte. Mais pour Thorkel, je suis d'avis que tu l'as traité comme il le méritait.»

Ils rentrèrent dans leur hutte, et dirent à Njal ce qui s'était passé, d'un bout à l'autre. Njal dit: «Nous allons vers la destinée: ce qui doit arriver arrivera.»

Gudmund le puissant apprit ce qui s'était passé entre Skarphjedin et Thorkel. «Vous savez, dit-il, ce que m'ont fait les gens de Ljosvatn; mais je n'ai jamais souffert d'eux tant de mépris ni d'injures, que Thorkel vient d'en avoir de Skarphjedin; et c'est bien fait pour lui.» Puis il dit à son frère Einar de Thværa: «Tu prendras tous mes hommes, et tu te mettras du côté des fils de Njal quand leur cause viendra devant le ting; et si l'été prochain ils ont besoin d'aide j'irai moi-même leur en donner.» Einar promit d'y aller, et le fit savoir à Asgrim. «Gudmund est le plus brave homme qu'on puisse voir» dit Asgrim; et il alla le redire à Njal.


CXXI

Le jour suivant, Asgrim et Gissur le blanc, Hjalti fils de Skeggi et Einar de Thværa se réunirent. Mörd fils de Valgard était là aussi. Il s'était déchargé de la poursuite, et l'avait remise aux mains des fils de Sigfus.

Asgrim dit: «Je vous ai fait appeler, toi d'abord Gissur le blanc, et vous Hjalti et Einar, pour vous dire où en est notre affaire. Vous savez que Mörd a porté plainte. Mais la vérité est que Mörd a eu part au meurtre d'Höskuld, et que c'est lui qui lui a fait cette blessure dont on n'a pas nommé l'auteur. Il me semble donc que la poursuite doit être déclarée nulle, pour cause d'illégalité.»--«Il faut dénoncer cela tout de suite.» dit Hjalti. «Il vaudrait mieux, dit Thorkel fils d'Asgrim, tenir la chose secrète jusqu'au jour du jugement.»--«Pourquoi faire?» dit Hjalti. Thorhal répondit: «S'ils savent dès à présent qu'il y a une nullité dans leur affaire, ils peuvent encore la sauver en envoyant, du ting chez eux, un homme qui citera de nouveau les témoins et les amènera au ting. Et de la sorte leur poursuite sera rendue légale.»--«Tu es un homme sage, Thorhal, dirent-ils, et nous suivrons ton conseil.» Et là-dessus ils retournèrent chacun à sa hutte.

Les fils de Sigfus firent déclaration de leur poursuite, au tertre de la loi, et ils s'informèrent de la juridiction à laquelle ils appartenaient, et du domicile de leurs adversaires. Le vendredi soir les tribunaux devaient s'assembler, et les audiences commencer. Tout fut tranquille jusque là.

Bien des gens cherchaient à amener un arrangement mais Flosi fit beaucoup de résistance; les autres employèrent encore plus de paroles que lui, et on vit bien qu'il n'y avait rien à faire.

Voici qu'on arrive au vendredi soir. C'est le moment où les tribunaux doivent s'assembler. Tous les hommes présents au ting viennent au tribunal.

Flosi se tenait avec sa troupe au Sud du tribunal du district de la Ranga. Avec lui étaient Hal de Sida et Runolf de Dal, fils d'Ulf godi d'Ör, et les autres qui avaient promis leur aide à Flosi. Et au Nord du tribunal du district de la Ranga étaient Asgrim fils d'Ellidagrim, et Gissur le blanc, Hjalti fils de Skeggi, et Einar de Thværa. Mais les fils de Njal étaient restés dans leur hutte avec Kari, Thorleif Krak, et Thorgrim le grand. Ils étaient là tous avec leurs armes, et il ne fallait pas songer à les attaquer.

Njal pria les juges d'entrer en séance. Et voici que les fils de Sigfus introduisent leur plainte. Ils prirent des témoins, et sommèrent les fils de Njal d'entendre leur serment. Puis ils prêtèrent serment, après quoi ils exposèrent la cause. Puis ils firent comparaître les témoins du meurtre. Puis ils les firent asseoir. Puis ils sommèrent les fils de Njal de les récuser.

Alors Thorhal, fils d'Asgrim, se leva. Il prit des témoins et récusa les témoins du meurtre, «et cela, dit-il, parce que l'homme qui a porté plainte était lui-même tombé sous le coup de la loi, et s'est mis hors la loi.»--«De qui parles-tu?» dit Flosi. «De Mörd fils de Valgard» répondit Thorhal. Il est allé tuer Höskuld avec les fils de Njal, et c'est lui qui lui a fait cette blessure dont on n'a pas nommé l'auteur le jour où on a pris des témoins. Vous n'avez rien à dire là-contre, et la plainte est à néant.»


CXXII

Alors Njal se leva et dit: «Je vous adjure, toi Hal de Sida, et Flosi, et vous tous fils de Sigfus, et aussi tous les nôtres, de ne pas vous retirer, et d'écouter mes paroles». Ils firent comme il disait, Njal reprit: «Il me semble que cette poursuite est réduite à néant, et c'est justice, car elle était sortie d'une mauvaise racine. Je vous déclare que j'aimais Höskuld plus que mes propres fils. Et quand j'ai appris qu'il avait été tué, il m'a semblé que la plus douce lumière de mes yeux venait de s'éteindre. J'aimerais mieux avoir perdu tous mes fils, et qu'il fût encore en vie. Je vous prie donc, toi, Hal de Sida, et toi, Runolf de Dal, et aussi Gissur le blanc, et Einar de Thværa, et Haf le sage, de consentir à faire la paix avec moi, au sujet de ce meurtre, pour le compte de mes fils. Et je veux qu'on prenne pour arbitres ceux qui en sont les plus dignes».

Gissur, Einar et Haf, parlèrent à leur tour, longuement. Ils prièrent Flosi de consentir à la paix, et lui promirent en échange leur amitié. Flosi leur donna à tous de bonnes paroles, mais il ne promit rien. Alors Hal de Sida dit à Flosi: «Veux-tu tenir ta parole, et m'accorder ma demande comme tu as promis de le faire, quand j'ai aidé à sortir du pays ton parent Thorgrim, fils de Digrketil, après qu'il eut tué Hal le rouge?»--«Je veux bien, beau-père, dit Flosi; car tu ne me demanderas rien qui ne soit pour me faire honneur».--«Je veux donc, dit Hal, que tu fasses la paix au plus vite, et que tu prennes pour arbitres des hommes de bien. Par là tu gagneras l'amitié de ceux qui sont les meilleurs parmi nous».

«Sachez tous, dit Flosi, que je vais faire selon les désirs de Hal, mon beau-père, et des autres vaillants hommes qui sont ici. Je veux que six hommes de chaque côté, prononcent dans l'affaire, comme le veut la loi. Et je trouve que Njal vaut bien que je lui accorde cela». Njal le remercia, lui et les autres, et tous ceux qui étaient là le remercièrent aussi, et dirent que Flosi avait bien agi.

Flosi reprit: «Je vais donc nommer mes arbitres. Je nomme en premier lieu Hal mon beau père, et Össur de Breida, Surt fils d'Asbjörn de Kirkjubæ, Modolf fils de Ketil (il demeurait alors à Asa), Haf le sage et Runolf de Dal. Et il n'y aura qu'une voix pour dire que ce sont les meilleurs parmi les miens».

Puis il pria Njal de nommer ses arbitres. Njal se leva et dit: «Je nommerai d'abord Asgrim fils d'Ellidagrim, puis Hjalti fils de Skeggi, Gissur le blanc et Einar de Thværa, Snorri le Godi, et Gudmund le puissant».

Après cela, ils se donnèrent tous la main, Njal, et Flosi, et les fils de Sigfus. Njal, au nom de ses fils et de Kari son gendre, promit d'exécuter la sentence des douze, et on peut dire que tous les hommes présente au ting en furent réjouis. On envoya chercher Snorri et Gudmund, qui étaient dans leurs huttes. Il fut convenu que les arbitres siégeraient au tribunal, et les autres s'éloignèrent.


CXXIII

Snorri le Godi prit la parole: «Nous voici douze arbitres, dit-il, pour prononcer dans cette affaire. Je veux vous prier tous de ne soulever aucune difficulté qui les empêche de faire la paix».--«Voulez-vous, dit Gudmund, que nous bannissions quelqu'un d'eux du district, ou même du pays?»--«Ni l'un ni l'autre, dit Snorri, car souvent ces sortes de sentences ne sont pas exécutées, et bien des gens ont été tués pour cela, et bien des paix rompues. Mais je veux fixer une amende en argent si forte, que nul homme dans ce pays n'aura coûté plus cher qu'Höskuld». On trouva qu'il avait bien parlé.

Ils entrèrent donc en discussion, et d'abord on ne put s'entendre pour savoir qui parlerait le premier, et fixerait la somme. Enfin on tira au sort, et le sort tomba sur Snorri.

«Je ne réfléchirai pas longtemps, dit-il, et voici ma sentence: je veux qu'il soit payé pour Höskuld trois fois le prix d'un homme; ce qui fait six cents d'argent. À vous de la changer, si cela vous semble trop ou trop peu». Ils répondirent qu'ils n'en feraient rien. «J'ajoute, dit-il, que la somme sera payée toute entière, ici, au ting».--«Cela ne me semble guère possible, dit Gissur le blanc; car ils n'en ont sans doute qu'une petite partie sur eux».--«Je sais, dit Gudmund le puissant, ce que veut Snorri. Il veut que nous donnions, nous autres arbitres, chacun suivant sa générosité; et après nous plus d'un fera comme nous». Hal de Sida le remercia et dit qu'il donnerait volontiers autant que celui qui donnerait le plus. Tous les autres arbitres approuvèrent à leur tour.

Après cela ils s'en allèrent, et il fut convenu que Hal prononcerait la sentence au tertre de la loi. On sonna la cloche, et tous les hommes vinrent au tertre.

Hal de Sida se leva et dit: «Nous nous sommes mis d'accord sur l'affaire confiée à notre arbitrage, et nous avons fixé une amende de six cents d'argent. Nous autres arbitres nous en paierons la moitié, et il faut que la somme toute entière soit payée ici même au ting. Et maintenant j'adresse une prière à toute cette assemblée: c'est que chacun donne quelque chose pour l'amour de Dieu.» Et tous dirent que c'était bien.

Alors Hal prit des témoins de la sentence, pour que nul ne pût la détruire. Et Njal les remercia de la sentence qu'ils avaient prononcée. Mais Skarphjedin était là, qui se taisait, et qui ricanait.

Les gens quittèrent le tertre de la loi, et retournèrent à leurs huttes. Mais les arbitres s'en allèrent au cimetière des hommes libres, et là ils rassemblèrent tout l'argent qu'ils avaient promis de donner. Les fils de Njal apportèrent ce qu'ils avaient, Kari aussi; et cela faisait un cent d'argent. Njal donna ce qu'il avait; et c'était un autre cent. Alors on apporta tout cet argent au tertre de la loi. Et les hommes donnèrent de si grosses sommes qu'il ne s'en manquait pas d'un denier. Njal prit encore un manteau de soie et une paire de bottes, et les mit sur le tas.

Après cela Hal dit à Njal: «Va chercher tes fils; moi j'amènerai Flosi, et ils se jureront la paix les uns aux autres.» Njal retourna donc à sa hutte, et dit à ses fils: «Voici notre affaire venue à bonne fin. La paix est faite, et tout l'argent est rassemblé. Il faut maintenant que les deux partis se rencontrent et se jurent paix et fidélité. Et je viens vous prier, mes fils, de ne rien gâter.» Skarphjedin passa la main sur son front en ricanant.

Et voici qu'ils arrivent tous au tribunal. Hal était allé trouver Flosi: «Viens avec moi au tribunal lui dit-il; tout l'argent est là, rassemblé en un tas.» Flosi pria les fils de Sigfus de venir avec lui. Ils sortirent tous, et arrivèrent au tribunal, venant de l'est, comme Njal et ses fils arrivaient venant de l'ouest. Skarphjedin s'avança jusqu'au banc du milieu, et resta là debout.

Flosi entra dans l'enceinte du tribunal pour regarder l'argent: «Voilà une grosse somme, dit-il, en belle monnaie, et bien comptée, comme il fallait s'y attendre.» Puis il prit le manteau, l'agita en l'air, et demanda qui l'avait donné. Mais personne ne lui répondit. Une seconde fois il agita le manteau, demandant qui l'avait donné, et il riait. Et personne ne lui répondit. «Quoi donc, dit-il alors, personne de vous ne sait-il à qui est ce vêtement, ou bien n'osez-vous pas me le dire?»--«Qui penses-tu qui peut l'avoir donné?» dit Skarphjedin. «Si tu veux le savoir, dit Flosi, je vais te dire ce que je pense. Je pense que c'est ton père qui l'a donné, le drôle sans barbe; car ceux qui le voient ne savent pas si c'est un homme ou une femme.» Skarphjedin dit: «C'est mal parler d'insulter un vieillard, et jamais, jusqu'à ce jour, un brave homme n'a fait pareille chose. Vous savez bien qu'il est un homme, car il a engendré des fils avec sa femme; et pas un de nos parents n'est tombé percé de coups, près de notre domaine, que nous l'ayons laissé sans vengeance.» Là-dessus il prit le manteau, et jeta à Flosi un pantalon bleu. «Tu en as plus besoin que lui» dit-il. «Et pourquoi?» dit Flosi. «Parce que, répondit Skarphjedin, tu es la fiancée du démon de Svinafell. On m'a dit qu'il faisait de toi une femme, chaque neuvième nuit.» Alors Flosi donna un coup de pied dans le tas d'argent, et dit qu'il n'en voulait pas avoir un seul denier: «De deux choses l'une, dit-il, ou Höskuld ne sera pas vengé, ou il aura une vengeance sanglante.» Et il refusa d'échanger les promesses de paix. «Retournons chez nous, dit-il aux fils de Sigfus. Un même sort sera pour nous tous.» Et ils retournèrent à leurs huttes.

Hal dit: «Ceux qui ont part à cette querelle sont des gens voués au malheur.»

Njal et ses fils rentrèrent dans leurs huttes. «Voici qu'il arrive, dit Njal, ce que je vois venir depuis longtemps, et cette querelle finira mal pour nous.»--«Non pas, dit Skarphjedin, car ils n'ont plus de recours légal contre nous.»--«Il nous arrivera donc pis encore» dit Njal.

Ceux qui avaient donné l'argent parlèrent de le reprendre. Mais Gudmund le puissant dit: «Je ne me ferai jamais cette honte de reprendre ce que j'ai une fois donné, soit ici, soit ailleurs.»--«C'est bien parlé» dirent-ils. Et personne ne voulut plus reprendre l'argent. «Voici mon avis, dit Snorri le Godi. Il faut que Gissur le blanc et Hjalti fils de Skeggi prennent cet argent en garde jusqu'au prochain Alting. J'ai idée que nous en aurons besoin avant qu'il soit longtemps.» Hjalti prit donc en garde une moitié de l'argent, et Gissur l'autre. Puis chacun rentra dans sa hutte.


CXXIV

Flosi donna rendez-vous à tous ses hommes dans l'Almannagja, et il y alla lui-même. Ils y étaient tous venus, et cela faisait cent hommes.

Flosi dit aux fils de Sigfus: «Comment vous aiderai-je dans cette affaire, de façon que vous soyez satisfaits?» Gunnar fils de Lambi dit: «Nous ne serons contents que quand tous ces frères, les fils de Njal, auront été tués.» Flosi dit: «Je vous fais une promesse, fils de Sigfus: c'est de ne pas me séparer de vous qu'un des deux partis n'ait été écrasé par l'autre. Et maintenant je veux savoir s'il est quelqu'un ici qui ne veuille pas nous aider dans cette entreprise.» Mais tous dirent qu'ils voulaient marcher avec lui. «Venez donc tous avec moi, dit Flosi, et jurez qu'aucun de vous ne nous abandonnera.» Ils vinrent tous à Flosi, et lui prêtèrent serment. «Et maintenant, dit Flosi, nous allons nous donner la main, et faire un pacte: c'est que celui-là aura forfait ses biens et sa vie, qui se retirera de l'entreprise avant que nous l'ayons menée à bonne fin.»

Voici les nom des chefs qui étaient avec Flosi: Kol, fils de Thorstein Breidmagi et neveu de Hal de Sida; Hroald, fils d'Össur de Breida; Össur, fils d'Önund Töskubak, Thorstein le beau, fils de Geirleif, Glum, fils d'Hildir le vieux, Modolf, fils de Ketil, Thorir, fils de Thord Illugi de Mörtunga, les parents de Flosi Kolbein et Egil, Ketil, fils de Sigfus, et Mörd, son frère, Thorkel et Lambi, Grani, fils de Gunnar, Gunnar, fils de Lambi, et Sigurd son frère, Ingjald de Kelda, Hroar, fils d'Hamund.

Flosi dit aux fils de Sigfus: «Prenez maintenant pour chef celui qui vous semblera le meilleur; car il faut qu'il y en ait un qui commande dans cette entreprise.» Ketil de Mörk répondit: «Si le choix ne tient qu'à nous autres frères, nous aurons vite fait de choisir, et c'est toi que nous mettrons à notre tête. Il y a bien des raisons pour cela: tu es un homme de noble race et un grand chef, hardi et sage. Nous pensons que tu verras mieux que personne ce qu'il y a à faire dans une telle entreprise.»--«Il faut bien, dit Flosi, que je vous accorde votre demande. Je vais donc vous dire tout de suite comment nous nous y prendrons. Voici mon avis: que chacun quitte le ting et retourne chez lui, et veille à son domaine tout l'été, tant qu'on n'aura pas fait les foins. Moi aussi je vais rentrer chez moi, et j'y passerai l'été. Le dimanche qui tombera huit semaines avant l'hiver, je me ferai chanter une messe, après quoi je monterai à cheval et je m'en irai dans l'ouest, en passant par Lomagnupssand. Chacun de nous aura deux chevaux. Je n'en veux pas d'autres avec moi que ceux qui ont juré ici; nous serons assez, si nous nous tenons bien. Je chevaucherai tout le dimanche et la nuit d'après; et le second jour de la semaine j'arriverai à Trihyrningshals vers le milieu de la soirée. Il faudra que vous soyez tous là, vous qui avez prêté serment; mais s'il manque quelqu'un de ceux qui ont promis d'être à l'entreprise, il perdra la vie, si c'est en notre pouvoir.»

«Comment pourra-t-il se faire, dit Ketil, que tu partes de chez toi le dimanche, et arrives le second jour de la semaine à Trihyrningshals?» Flosi répondit: «Je partirai de Skaptartunga, et je passerai, venant du Nord, devant le Jökul d'Eyjafell. De là je descendrai dans le Godaland; et j'arriverai, en chevauchant dur. Je vais maintenant vous dire tout mon plan: quand nous serons rassemblés, nous marcherons, la troupe tout entière, sur Bergthorshval; nous attaquerons les fils de Njal par le fer et par le feu, et nous ne nous séparerons pas, que tous ne soient morts. Tenez notre projet secret, car il y va de notre vie. Et maintenant, montons à cheval, et retournons chez nous.» Et ils rentrèrent tous dans leurs huttes. Flosi fit seller ses chevaux et partit sans attendre personne. Il n'avait pas voulu voir Hal son beau-père, car il savait bien que Hal blâmerait toute violente entreprise.

Njal quitta le ting et retourna chez lui avec ses fils, et ils restèrent tous chez eux pendant l'été. Njal demanda à Kari son gendre s'il n'avait pas envie de s'en aller dans l'est, à son domaine de Dyrholm. «Je n'irai pas dans l'est, répondit Kari; je veux qu'un même sort nous frappe, moi et tes fils.» Njal le remercia et dit qu'il attendait cela de lui.

Il y avait toujours à Bergthorshval près de trente hommes prêts à combattre, les serviteurs compris.

Il arriva un jour que Hrodny, fille d'Höskuld, et mère d'Höskuld, fils de Njal, vint à Kelda. Ingjald son frère lui fit bon accueil. Elle ne lui rendit pas son salut, et le pria de venir avec elle dehors. Ingjald fit comme elle voulait, et tous deux sortirent ensemble du domaine. Alors elle le prit par la main, et ils s'assirent à terre. «Est-ce vrai, dit Hrodny, que tu as juré un serment d'aller attaquer Njal, et de le tuer, lui et ses fils?» Il répondit: «C'est vrai.»--«Tu es un grand misérable, dit-elle, toi que Njal a sauvé trois fois, quand tu n'étais qu'un proscrit, traqué dans les bois.»--«Mais j'en suis là maintenant, dit Ingjald, qu'il y va de ma vie si je ne le fais pas.»--«Non pas, dit-elle, tu vivras, et tu seras un brave homme si tu refuses de tromper celui à qui tu dois plus qu'à personne.»

Alors elle tira de son sein un bonnet de lin tout sanglant et percé de trous: «Ce bonnet, dit-elle, couvrait la tête de ton neveu Höskuld, fils de Njal, quand ils l'ont tué. Il me semble que c'est mal fait à toi de donner ton aide à ceux qui ont à répondre de sa mort.»--«Il se peut, dit Ingjald, que je n'aille pas attaquer Njal, quoiqu'il arrive. Mais je sais bien qu'ils s'en vengeront sur moi.»--«Tu pourrais, dit Hrodny, être d'un grand secours à Njal et à ses fils en leur disant tout ce qui a été tramé contre eux.»--«Cela, dit Ingjald, je ne le ferai pas; car je mériterais d'être montré au doigt par chacun, si je disais ce qui m'a été confié. Ce sera agir en brave, au contraire, que de me retirer de cette entreprise, quand je sais que je dois m'attendre à leur vengeance. Dis à Njal et à ses fils qu'ils prennent garde à eux tout cet été (ce sera toujours un bon conseil), et qu'ils aient beaucoup de monde.»

Elle s'en alla donc à Bergthorshval et répéta à Njal tout ce qu'ils avaient dit. Njal la remercia et dit qu'elle avait bien fait: «car, dit-il, ç'aurait été plus mal fait à lui qu'à tout autre, de venir m'attaquer.» Elle retourna chez elle. Et Njal dit la chose à ses fils.

Il y avait une vieille à Bergthorshval, qui s'appelait Sæun. Elle était fort avisée et voyait dans l'avenir. Elle était arrivée à un âge très avancé; et les fils de Njal l'appelaient radoteuse parce qu'elle parlait beaucoup. Mais il arrivait souvent comme elle avait dit.

Un jour, elle prit un bâton à la main et s'en alla derrière la maison, vers un tas de foin qui était là. Elle se mit à frapper le foin de son bâton, le maudissant et le chargeant d'imprécations. Skarphjedin était là qui riait. Il lui demanda ce qu'elle avait contre ce foin. «Ce foin servira, dit la vieille, à allumer l'incendie qui fera périr Njal mon maître et Bergthora ma bienfaitrice. Jetez-le dans l'eau, ou brûlez-le au plus vite.»--«Nous ne ferons pas cela, dit Skarphjedin; si pareille chose doit arriver, on trouvera bien de quoi allumer le feu, quand ce foin ne serait pas là.» La vieille radota tout l'été de ce foin qu'il fallait brûler, mais on n'en fit rien.


CXXV

Au domaine de Reykja, dans le Skeid, demeurait Runolf fils de Thorstein, Son fils s'appelait Hildiglum.

La nuit du dimanche qui tombe douze semaines avant l'hiver, Hildiglum était sorti de la maison. Il entendit un grand bruit, et il lui sembla que le ciel et la terre en tremblaient. Il regarda du côté de l'ouest et crut voir un cercle de feu, et dans ce cercle un homme sur un cheval blanc. Il s'approchait au galop et il avait à la main un tison ardent. Il passa si près qu'Hildiglum put le voir distinctement. Il était noir comme de La poix. Il chantait d'une voix éclatante:

«Je monte un cheval couvert de givre, à la crinière de glace. Il apporte la ruine. Ses jambes sont de feu, son cœur est de venin. Tel ce brandon que j'agite, telle court la vengeance de Flosi.»

Alors Hildiglum vit l'homme lancer son tison sur les montagnes qui sont à l'est, et il lui sembla qu'il s'élevait des montagnes une flamme si grande qu'il ne pouvait la regarder. L'homme continua sa route vers l'est et disparut dans le feu.

Hildiglum rentra, se mit au lit, et fut longtemps sans connaissance. Quand il eut reprit ses sens, il se rappela tout ce qui s'était passé, et le dit à son père. Son père l'engagea à le dire à Hjalti fils de Skeggi. Il alla trouver Hjalti, et lui dit la chose. «C'est la chevauchée des fantômes que tu as vue, dit Hjalti; et c'est toujours signe d'événements graves.»


CXXVI

Quand on fut à deux mois de l'hiver, Flosi se tint prêt à quitter le pays de l'est, et il appela à lui tous ceux qui lui avaient promis leur aide. Chacun d'eux avait deux chevaux et de bonnes armes. Ils vinrent tous à Svinafell et y passèrent la nuit. Le dimanche, de grand matin, Flosi fit célébrer le service divin, après quoi il se mit à table. Il dit à ses serviteurs ce que chacun d'eux aurait à faire pendant qu'il serait au loin. Puis il monta à cheval.

Flosi et les siens s'en allèrent vers l'ouest, suivant le rivage. Il dit à ses hommes de ne pas aller trop vite d'abord, car on arriverait toujours; et de s'arrêter tous si l'un d'eux voulait se reposer. Ils s'avancèrent vers l'ouest jusqu'à Skogahverfi, et vinrent à Kirkjubæ. Flosi dit à ses hommes d'entrer tous avec lui dans l'église, pour prier. Ils le firent. Après quoi ils remontèrent à cheval et commencèrent à gravir la montagne jusqu'au lac des poissons. Là ils prirent à l'ouest des lacs et traversèrent la plaine laissant à leur gauche les glaciers de l'Eyjafjöll. De là ils descendirent dans le Godaland, et furent bientôt sur le Markarfljot. Le second jour de la semaine vers l'heure de none, ils arrivèrent à Thrihyrningshals, où ils se reposèrent jusqu'au soir. Là tous les autres les rejoignirent, sauf Ingjald de Kelda. Les fils de Sigfus le blâmaient grandement. Mais Flosi leur dit de ne pas mal parler d'Ingjald tant qu'il n'était pas là: «Nous lui ferons, dit-il, payer cela plus tard.»


CXXVII

Il nous faut reparler maintenant de Bergthorshval. Grim et Helgi s'en allèrent à Hola (c'est là qu'on élevait leurs enfants) et dirent à leur père qu'ils ne rentreraient pas le soir. Ils passèrent tout le jour à Hola. Il y vint de pauvres femmes qui disaient arriver de loin. Les deux frères leur demandèrent des nouvelles. Elles dirent qu'elles n'avaient point de nouvelles à donner: «mais nous pouvons conter pourtant, ajoutèrent-elles, quelque chose de singulier.» Ils demandèrent ce que c'était et les prièrent de n'en rien cacher. «Nous arrivions, dirent-elles, dans le Fljotshlid, quand nous avons vu chevaucher devant nous tous les fils de Sigfus, armés jusqu'aux dents. Ils allaient droit sur Thrihyrningshals, et ils étaient quinze avec leur troupe. Nous avons vu aussi Grani, fils de Gunnar, et Gunnar, fils de Lambi. Ils étaient cinq avec leurs gens et ils suivaient le même chemin. On peut dire en vérité que tout est en l'air dans ce pays.»

Helgi, fils de Njal, dit: «Il faut que Flosi soit venu de l'est, et tous les autres allaient sans doute à sa rencontre. Nous devrions, Grim, être là où est Skarphjedin.» Grim dit qu'ainsi fallait-il faire, et ils retournèrent à Bergthorshval.

Ce soir-là, Bergthora dit à ses serviteurs: «Vous allez choisir vous-mêmes votre repas du soir: que chacun prenne ce qu'il aime le mieux; car c'est la dernière fois que je servirai le souper à mes serviteurs.»--«À Dieu ne plaise » dirent-ils.--«C'est la vérité pourtant, répondit-elle, et je pourrais en dire davantage si je voulais. Je vais vous donner un signe, c'est que Grim et Helgi vont revenir ce soir avant que vous n'ayez fini votre repas. Si cela arrive il se passera plus de choses encore que je n'ai dit.» Et elle mit les viandes sur la table.

«Voilà qui est étrange, dit Njal. Je regarde autour de moi dans la salle, et il me semble que je vois les murailles renversées, et la table et les viandes toutes couvertes de sang.» Ils furent tous saisis d'une grande terreur, hormis Skarphjedin. Il conjura les hommes de ne pas s'effrayer et de ne pas s'exposer à la risée des autres par une contenance indigne d'eux: «Il nous convient plus qu'à personne, dit-il, de nous conduire en braves. Et c'est bien là ce qu'on attend de nous.»

Avant qu'on eût ôté les tables, Grim et Helgi arrivèrent, et grand fut l'émoi des gens à cette vue. Njal demanda ce qui les ramenait si vite. Ils contèrent ce qu'ils avaient appris. Njal dit que personne n'irait se mettre au lit, et qu'on se tiendrait sur ses gardes.


CXXVIII

Il faut revenir à Flosi. Il dit à ses gens: «Le moment est venu d'aller à Bergthorshval: il faut y arriver avant l'heure du souper.» Et ils se mirent en route. Il y avait une vallée au pied de la colline; ils y entrèrent, attachèrent leurs chevaux, et y attendirent jusqu'à ce que la soirée fût fort avancée. «Maintenant, dit Flosi, marchons sur le domaine; allons en troupe serrée, et lentement; et voyons à quoi ils vont se décider.»

Njal était dehors, avec ses fils et Kari, et tous ses serviteurs; ils étaient rangés devant l'entrée, et cela faisait près de trente hommes. Flosi s'arrêta et dit: «Voyons quel parti ils vont prendre; s'ils restent dehors, je crois que nous n'en viendrons jamais à bout.»--«Nous avons donc manqué notre voyage, dit Grani, fils de Gunnar, si nous n'osons pas les attaquer.»--«Non pas, dit Flosi, nous les attaquerons quand même ils resteraient dehors, mais nous y perdrons tant de monde qu'on ne pourra dire où est le vainqueur.»

Njal dit à ses hommes: «Pouvez-vous voir combien ils sont?»--«Ils sont beaucoup de monde, et de vaillantes gens, dit Skarphjedin; et pourtant ils se sont arrêtés; ils pensent qu'ils auront du mal à venir à bout de nous.»--«Ils n'en viendront pas à bout, dit Njal; et je veux que nous rentrions tous. C'est à grand-peine qu'ils ont vaincu Gunnar à Hlidarenda, quoiqu'il fût seul contre eux. La maison est solide, comme était la sienne, et ils n'arriveront pas à s'en emparer.»--«C'est un mauvais parti à prendre, dit Skarphjedin; les chefs qui ont attaqué Gunnar étaient des hommes de grand cœur, qui auraient abandonné l'entreprise plutôt que de le brûler dans sa maison. Mais ceux-ci vont sans tarder nous attaquer par le feu, s'ils ne peuvent pas autrement; car tous les moyens leur seront bons pour nous détruire. Ils pensent, avec raison, que leur mort est certaine si nous leur échappons. Pour moi, je n'ai nulle envie de me laisser brûler comme un renard dans son trou.»--«Il en est donc, dit Njal, à présent comme toujours; mes fils me donnent des conseils et n'ont nul égard pour moi. Quand vous étiez plus jeunes, vous ne faisiez pas cela, et vos affaires allaient mieux.»--«Faisons, dit Helgi, ce que veut notre père. Nous nous en trouverons bien.»--«Je n'en suis pas sûr, dit Skarphjedin, car le voilà voué à la mort. Mais je ferai volontiers ce plaisir à mon père, de me laisser brûler avec lui; car je ne crains pas de mourir.» Puis il dit à Kari: «Tenons-nous bien, mon frère, et que nul ne puisse nous séparer.»--«C'est ce que je veux aussi, dit Kari; et pourtant s'il en doit être autrement il en sera autrement et nous n'y pourrons rien.»--«Alors venge-nous, dit Skarphjedin, et nous te vengerons, si c'est nous qui te survivons.» Kari promit qu'ainsi ferait-il. Alors ils rentrèrent tous, et se rangèrent dans l'embrasure de la porte.

«Maintenant qu'ils sont rentrés, dit Flosi, ce sont des hommes morts. Il faut nous approcher au plus vite, nous ranger en troupe serrée devant la porte et prendre garde que personne ne s'échappe, soit Kari soit quelqu'un des fils de Njal; car ce serait notre mort.» Ils s'avancèrent donc, Flosi et ses gens, et entourèrent la maison, de peur qu'il n'y eût quelque porte de derrière. Flosi se mit devant avec les siens.

Hroald fils d'Össur, courut à Skarphjedin et pointa sa lance sur lui. Skarphjedin, d'un coup de sa hache, sépara le fer de la hampe. Puis il leva sa hache une seconde fois. Elle entra dans le bouclier et le brisa en morceaux, pendant que le coin frappait Hroald au visage. Il tomba à la renverse, et mourut sur le coup. «Il n'a pas eu de chance avec toi, Skarphjedin, dit Kari; tu es le plus vaillant de nous tous.»--«Je n'en sais rien» dit Skarphjedin; et il riait en montrant ses dents. Kari, Grim et Helgi donnaient de grands coups de lance et blessaient beaucoup de monde. Flosi et ses gens n'arrivaient à rien.

«Voici que nous avons fait de grandes pertes, dit Flosi. Beaucoup de nos hommes sont blessés, et on nous a tué celui que nous aurions le moins voulu perdre. Il est clair maintenant que nous n'en viendrons jamais à bout par les armes. Il y en a plus d'un ici qui n'est plus aussi brave qu'il semblait l'être quand il nous pressait si fort. Et je parle surtout de Grani, fils de Gunnar, et de Gunnar, fils de Lambi, qui se donnaient pour les plus enragés. Mais il s'agit maintenant de prendre un autre parti. Nous avons le choix entre deux choses (ni l'une ni l'autre n'est bonne): ou bien laissons-là l'entreprise, et c'est notre mort; ou bien mettons le feu à la maison et brûlons-les, et c'est un grand crime dont nous répondrons devant Dieu, nous qui sommes aussi des chrétiens. Et pourtant nous n'avons plus que cela à faire.»


CXXIX

Ils allumèrent donc du feu, et firent un grand bûcher devant la porte. «Vous faites du feu, compagnons?» dit Skarphjedin. Allez-vous faire cuire quelque chose?»--«Oui, dit Grani, fils de Gunnar, et tu n'auras pas besoin d'un four mieux chauffé que celui-là.»--«C'est ainsi que tu me récompenses d'avoir vengé ton père, dit Skarphjedin; tu es bien homme à faire cela, toi qui n'as d'égards que pour ceux qui n'ont rien fait pour toi.» Alors les femmes jetèrent du petit lait sur le feu, et l'éteignirent. D'autres apportèrent de l'eau.

Kol fils de Thorstein dit à Flosi: «Il me vient une idée. J'ai vu un grenier au dessus de la salle, sous les solives du toit. C'est là qu'il faut mettre le feu, nous l'allumerons avec ce foin qui est en tas devant la maison.»

Ils prirent donc le foin, et mirent le feu au grenier. Ceux qui étaient dans la maison ne s'en aperçurent que quand toute la salle fut éclairée par les flammes. Alors les femmes commencèrent à se lamenter. Njal leur dit: «Faites bonne contenance, et ne dites pas de ces paroles effrayées; c'est une courte bourrasque, et de longtemps nous n'en verrons une semblable. Sachez aussi que Dieu est miséricordieux, et qu'il ne nous laissera pas brûler deux fois, et dans ce monde et dans l'autre.» Par ces paroles et d'autres encore il cherchait à les réconforter.

Et voici que la maison tout entière se mit à flamber. Njal vint à la porte et dit: «Flosi est-il assez près pour entendre mes paroles?» Flosi dit que oui. «Veux-tu, dit Njal, faire la paix avec mes fils, ou bien laisser sortir quelques-uns des nôtres?» Flosi répondit: «Je ne veux pas faire de paix avec tes fils; voici que notre querelle va être finie, et je ne partirai pas d'ici que tous ne soient morts. Mais je laisserai sortir les femmes, les enfants, et les serviteurs.»

Njal rentra et dit aux gens: «Que tous ceux-là sortent, qui en ont la permission. Sors, Thorhalla fille d'Asgrim, et les autres sortiront avec toi.» Thorhalla dit: «Nous allons nous séparer, Helgi et moi, d'une autre manière que je ne pensais tout à l'heure. Mais je vais presser mon père et mes frères, pour qu'ils vengent cette tuerie qui se fait ici.»--«Que Dieu te protège, dit Njal, car tu es une bonne femme.» Elle partit donc, et beaucoup de monde avec elle.

Astrid de Djuparbakka dit à Helgi, fils de Njal: «Sors avec moi: je vais jeter sur tes épaules un manteau de femme, et j'envelopperai ta tête d'un voile.» Il refusa d'abord, mais elle le priait tant qu'il finit par faire comme elle voulait. Astrid mit un voile sur la tête d'Helgi, et Thorhild, femme de Skarphjedin, le couvrit d'un manteau: il sortit au milieu d'elles. Thorgerd, fille de Njal, sortit aussi, et Helga sa sœur, et bien d'autres.

Comme Helgi sortait, Flosi dit: «Voici une grande femme, aux larges épaules, qui s'en va là-bas. Emparez-vous d'elle et tenez-la bien.» Dès que Helgi eut entendu ces paroles, il jeta son manteau. Il avait gardé par dessous son épée à la main; il en frappa l'homme qui s'approchait et atteignit son bouclier, le coup trancha la pointe du bouclier, et la jambe de l'homme. Alors Flosi s'approcha, il leva sa hache sur la tête de Helgi, et l'abattit d'un coup.

Flosi vint près de la porte, et dit qu'il voulait parler à Njal, et aussi à Bergthora. Ils s'approchèrent. Flosi dit: «Je viens, Njal, t'offrir de sortir; tu n'as pas mérité d'être brûlé dans ta maison.» Njal répondit: «Je ne sortirai pas; je suis vieux, et je ne pourrais venger mes fils; et je ne veux pas vivre dans la honte.» Alors Flosi dit à Bergthora: «Sors, toi, femme; car pour rien au monde je ne veux te brûler.» Bergthora répondit: «J'ai été mariée jeune à Njal, et je lui ai promis que je partagerais avec lui heur et malheur.» Et ils rentrèrent tous les deux.

«Qu'allons-nous faire maintenant?» dit Bergthora. «Allons à notre lit, dit Njal et couchons-nous. Il y a longtemps que j'ai envie de me reposer.» Bergthora dit au petit Thord, fils de Kari: «On va te mener dehors, il ne faut pas que tu brûles ici.»--«Tu m'as promis, grand'mère, répondit l'enfant, que nous ne nous séparerions jamais, tant que je serais chez toi. J'aime bien mieux mourir avec toi et Njal que de vous survivre à tous deux.» Elle porta donc l'enfant sur le lit. Njal dit à son intendant: «Viens voir où nous nous couchons, et comment je dispose toute chose autour de nous; car je ne bougerai pas, quelque tourment que me causent la fumée ou la chaleur. Tu sauras donc où il faut chercher nos os.» Et l'autre dit qu'ainsi ferait-il. On avait tué un bœuf, et la peau était là. Njal lui dit de l'étendre sur eux, et il promit de le faire. Alors Njal et Bergthora se couchèrent dans le lit et mirent le petit garçon entre eux. Ils firent le signe de la croix sur eux et sur lui, et recommandèrent leurs âmes à Dieu, et ce furent les dernières paroles qu'on entendit d'eux. L'intendant prit la peau, l'étendit sur eux, et sortit.

Ketil de Mörk vint à sa rencontre et le tira dehors. Il s'informa de Njal, son beau-père, et l'intendant lui dit tout ce qui s'était passé. «Voici de grands malheurs qui fondent sur nous, dit Ketil; et cela fait bien des calamités à la fois.»

Skarphjedin avait vu que son père allait se coucher, et comment toutes choses s'étaient passées. «Voici notre père qui va se mettre au lit de bonne heure, dit-il; il fallait s'y attendre, car il est vieux.»

Il tombait des tisons enflammés. Skarphjedin, Kari et Grim les ramassaient comme ils tombaient, et les lançaient sur ceux du dehors; et cela dura un moment. Alors les autres leur lancèrent des javelots. Mais ils les arrêtaient au vol, et les leur renvoyaient. Flosi dit à ses gens de cesser: «Nos armes, dit-il, ne mous servirons de rien contre eux. Vous pouvez bien attendre que le feu en soit venu à bout.»

Les grosses poutres commençaient à tomber du toit. «Maintenant, dit Skarphjedin, mon père doit être mort. Je ne l'ai entendu ni tousser ni gémir.» Et ils s'en allèrent au bout de la salle. Il y avait là une poutre qui s'était effondrée. Elle était toute brûlée au milieu. Kari dit à Skarphjedin: «Saute dehors par là, et je sauterai après toi. De cette façon nous pourrons tous deux nous échapper; car toute la fumée vient de ce côté» Skarphjedin répondit: «C'est toi qui sauteras le premier; je serai sur tes talons.»--«Ce n'est pas sage, dit Kari; moi, je pourrai bien m'échapper d'un autre côté, si je n'y parviens pas ici.»--«Et moi je ne veux pas, dit Skarphjedin; saute le premier, je te suis.»--«C'est le devoir de tout homme» dit Kari, de sauver sa vie quand il le peut; et c'est ce que je vais faire. Voici que nous nous séparons pour ne plus nous revoir; car si je saute dehors, je ne rentrerai certes pas dans le feu pour t'y retrouver. Que chacun donc suive son chemin.»--«Je me réjouis de penser, mon frère, dit Skarphjedin, que si tu échappes tu me vengeras.» Alors Kari prit à la main une solive enflammée et se mit à courir vers la poutre qui brûlait. Il lança son tison du haut du mur, au milieu de ceux qui étaient dehors. Ils se sauvèrent tous. Les vêtements de Kari et ses cheveux étaient tout en flammes. Il sauta du haut du mur, et s'éloigna en courant le long de la fumée. Un de ceux, qui étaient le plus près demanda: «Est-ce qu'il ne vient pas de sauter un homme du haut du mur?»--«Non pas, dit un autre, c'est Skarphjedin qui nous a lancé un brandon.» Et ils ne s'en inquiétèrent pas davantage.

Kari courut jusqu'à un ruisseau, où il se jeta, pour éteindre le feu qui l'entourait. Puis il reprit sa course dans la fumée, et vint à un fossé où il se reposa. On l'appelle depuis lors le fossé de Kari.


CXXX

Il faut revenir à Skarphjedin. Il sauta sur la poutre tout de suite après Kari; mais quand il vint à l'endroit où elle était le plus brûlée, elle s'écroula sous lui. Il tomba sur ses pieds et essaya d'escalader la muraille; et voici qu'un pan du mur tomba sur lui, et le rejeta au dedans. «Je vois bien à présent où j'en suis» dit Skarphjedin. Et il s'avança le long de la muraille. Gunnar, fils de Lambi, grimpe sur la muraille et voit Skarphjedin. «Voilà que tu pleures, Skarphjedin?» dit-il.--«Non pas, dit Skarphjedin; mais les yeux me font mal, c'est la vérité. Et toi, tu ris, à ce que je vois?»--«Oui certes, dit Gunnar, et je n'avais pas ri encore depuis que tu tuas Thrain au Markarfljot.»--«Voici un cadeau, dit Skarphjedin, qui t'en fera souvenir.» Il prit dans sa poche une grosse dent qu'il avait arrachée à Thrain, et la jeta à Gunnar. La dent lui entra dans l'œil, qui vint pendre sur sa joue. Gunnar tomba du haut du mur.

Skarphjedin s'approcha de son frère Grim. Ils se mirent à piétiner sur le feu, en se tenant par la main. Quand ils furent au milieu de la salle, Grim tomba à terre, mort.

Alors Skarphjedin s'en alla vers le bout de la maison. À ce moment il y eut un grand fracas, et tout le toit s'effondra. Skarphjedin fut pris entre les décombres et le mur du pignon. Et il ne pouvait plus bouger de là.

Flosi et ses gens restèrent devant l'incendie jusqu'au matin. Et voici venir vers eux un homme à cheval. Flosi lui demanda son nom. Il s'appelait Geirmund et dit qu'il était parent des fils de Sigfus. «Vous avez fait là de grandes choses» dit-il. «On les appellera grandes, et mauvaises aussi, dit Flosi. Mais il n'y a plus rien à y faire maintenant.»--«Combien y en a-t-il de morts?» dit Geirmund. Flosi répondit: «Njal et Bergthora sont morts, et tous leurs fils, et Thord fils de Kari, et Kari fils de Sölmund, et Thord l'affranchi. Mais il peut y en avoir d'autres encore que nous ne savons pas.» Geirmund dit: «Il y en a un que tu nommes parmi les morts, et à qui j'ai parlé ce matin.»--«Qui donc?» dit Flosi. «Kari fils de Sölmund, dit Geirmund. Nous l'avons rencontré, moi et mon voisin Bard, et Bard lui a donné son cheval. Ses cheveux et ses vêtements étaient tout brûlés.»--«Avait-il des armes?» demanda Flosi. «Il avait son épée Fjörsvafni, dit Geirmund, et la lame était toute bleue d'un côté. La voilà ramollie, lui avons-nous dit, moi et Bard. Il a répondu qu'il la tremperait pour la durcir dans le sang des fils de Sigfus et des autres qui ont mis le feu avec eux.»--«Qu'a-t-il dit de Skarphjedin?» demanda Flosi. «Il a dit, répondit Geirmund, que lui et Grim étaient en vie quand ils s'étaient séparés, mais qu'à présent ils devaient être morts.»

--«Tu nous as conté là une nouvelle, dit Flosi, qui ne nous promet ni paix ni repos; car celui qui nous a échappé est l'homme qui approchait le plus, en toutes choses, de Gunnar de Hlidarenda. Souvenez-vous de mes paroles, fils de Sigfus, et vous aussi, tous les autres: il y aura de telles représailles à cet incendie, que plus d'un y laissera sa tête, et d'autres tous leurs biens. Je doute qu'aucun de vous, fils de Sigfus, ose rester dans son domaine. Je vous offre donc à tous de venir chez moi, dans l'est, pour qu'un même sort nous frappe tous ensemble.» Ils le remercièrent de son offre, et dirent qu'ils l'acceptaient, Modolf fils de Ketil chanta:

«Un seul rejeton vit encore, de la maison de Njal. Tout le reste a été brûlé. Les vaillants fils de Sigfus ont accompli ce haut fait. La flamme est montée jusqu'au toit. La lueur de l'incendie a éclairé la maison. Voici vengé sur le fils de Gollnir le meurtre du brave Höskuld.»

«Vantons-nous d'autre chose, dit Flosi, que d'avoir brûlé Njal; car ce n'est pas un honneur pour nous.» Et il s'en alla vers le mur du pignon avec Glum fils d'Hildir, et quelques autres.

Glum dit: «Skarphjedin est-il mort à présent?» Les autres dirent qu'il devait l'être depuis longtemps. Par moments la flamme reprenait, et par moments s'éteignait tout à fait.

Et voici qu'ils entendirent en bas, du fond de l'incendie, une voix qui chantait:

«Vous auriez pleuré à chaudes larmes parmi le combat et le choc des épées, si mes amis et moi, nous avions pu nous acquérir de la gloire et marcher en avant, le tranchant de nos haches laissant des traces sanglantes.»

«Est-ce Skarphjedin vivant ou mort qui chante ainsi?» dit Grani, fils de Gunnar. «Peu nous importe» dit Flosi. «Cherchons les cadavres de Skarphjedin, et des autres qui ont brûlé ici.» dit Grani.--«Non pas, dit Flosi; il n'y a qu'un sot comme toi pour avoir une telle idée, au moment où dans le pays on se rassemble contre nous. Tel qui est à son aise à présent aura bientôt si grande peur qu'il ne saura où fuir. Voici mon avis, c'est que nous partions tous au plus vite.» Et Flosi s'en alla en hâte à l'endroit où étaient les chevaux, et tous les autres avec lui.

Flosi dit à Geirmund: «Ingjald est-il chez lui, à Kelda?» Geirmund dit qu'il croyait qu'il y était. «Cet homme, dit Flosi, a trahi son serment envers nous et manqué à la foi jurée.» Et se tournant vers les fils de Sigfus: «Que voulez-vous, dit-il, que nous fassions à Ingjald? Voulez-vous lui pardonner? Ou bien irons-nous l'attaquer et le tuer?» Ils dirent tous qu'il fallait l'attaquer et le tuer. Alors Flosi sauta sur son cheval, les autres aussi, et ils se mirent en route.

Flosi marchait le premier. Il alla droit vers la Ranga, et remonta le long de la rivière. Voici qu'il vit un homme qui chevauchait de l'autre côté. Il reconnut Ingjald de Kelda. Flosi l'appela. Ingjald s'arrêta et s'approcha du bord de la rivière. Flosi lui dit: «Tu as manqué à la parole que tu nous avais donnée et tu as forfait ta vie et tes biens. Voici les fils de Sigfus qui voudraient bien te tuer, mais moi je sais que tu t'es trouvé en un grand embarras, et je te donnerai la vie, si tu veux t'en remettre à mon jugement.»--«Avant de le faire, répondit Ingjald, il faut que j'aille trouver Kari. Quand aux fils de Sigfus, je leur répondrai que je n'ai pas plus peur d'eux qu'ils n'ont peur de moi.»--«Attends donc, dit Flosi, si tu n'as pas peur; je vais t'envoyer un message.»--«J'attends.» dit Ingjald.

Thorstein fils de Kolbein, neveu de Flosi, marchait à côté de lui, et il avait un javelot à la main. C'était un des plus braves et des meilleurs dans la troupe de Flosi. Flosi lui arracha son javelot et le lança à Ingjald: le javelot l'atteignit au côte gauche, traversa le bouclier au-dessous de la poignée et le fendit en deux, puis il entra dans la jambe d'Ingjald au dessous du genou, et vint s'enfoncer dans le bois de la selle. «T'ai-je touché?» dit Flosi. «Tu m'as touché certes, dit Ingjald; mais c'est une égratignure et non une blessure.» Il arracha le javelot, et dit à Flosi: «Attends, toi, maintenant, si tu n'es pas un lâche.» Et il lui renvoya le javelot à travers la rivière. Flosi le voit venir droit sur lui. Il tire son cheval en arrière. Le javelot le manque et passe devant sa poitrine. Il atteint Thorstein au milieu du corps; et Thorstein tombe mort, à bas de son cheval. Ingjald s'enfuit au galop vers les bois, et ils ne peuvent l'approcher.

Flosi dit à ses hommes: «Nous avons fait là une grande perte, et nous pouvons dire qu'après cela nous sommes des gens voués au malheur. Voici mon avis: c'est que nous nous en allions au col de Trihyrning. De là nous pouvons voir toutes les chevauchées du district; car ils vont rassembler autant de monde qu'ils pourront. Ils croiront sans doute que nous aurons fait route vers l'Est et vers le Fljotshlid, en tournant le dos au col de Trihyrning. De là, ils croiront encore que nous sommes entrés dans la montagne, marchant toujours vers l'est, jusqu'à notre pays. C'est de ce côté que le gros de leurs forces ira nous poursuivre. D'autres aussi nous chercheront plus bas dans l'est, du côté de Seljalandsmula, quoiqu'ils doivent trouver moins probable que nous ayons pris ce chemin. Mon avis est donc de monter sur la montagne de Trihyrning, et d'y rester jusqu'à ce que le soleil se soit couché trois fois.»

Ils montèrent donc sur la montagne, et entrèrent dans un vallon qu'on a appelé depuis le vallon de Flosi. De là ils pouvaient voir toutes les allées et venues du pays.


CXXXI

Il faut revenir à Kari. Il sortit du fossé où il s'était reposé, et marcha devant lui jusqu'à l'endroit où il rencontra Bard. Et ils se parlèrent de la manière que Geirmund avait dite. De là Kari s'en vint à cheval trouver Mörd fils de Valgard et lui dit la nouvelle. Mörd s'en lamenta beaucoup. Kari dit que de vaillants hommes avaient autre chose à faire que de pleurer sur les morts; et il le pria de rassembler du monde, et de venir le trouver à Holtsvad.

Après cela, Kari s'en alla dans la vallée de la Thjorsa, chez Hjalti fils de Skeggi. Comme il chevauchait le long de la Thjorsa, il vit un homme qui le suivait à bride abattue. Kari attendit l'homme, et vit que c'était Ingjald de Kelda. Il vit aussi qu'il avait une jambe toute couverte de sang. Kari demanda à Ingjald qui l'avait blessé. Ingjald le lui dit. «Où vous êtes vous rencontrés?» dit Kari. «Sur la Ranga, dit Ingjald, et il m'a lancé son javelot à travers la rivière.»--«Ne lui as-tu rien rendu?» dit Kari. «J'ai renvoyé le javelot, dit Ingjald, et ils ont dit qu'il avait touché un homme, qui était mort sur le coup.»--«Sais-tu qui c'était?» dit Kari.--«Il m'a paru ressembler à Thorstein neveu de Flosi.» dit Ingjald.--«Puisses-tu avoir toujours pareille chance» dit Kari.

Ils s'en allèrent tous deux ensemble chez Hjalti fils de Skeggi, et lui dirent la nouvelle. Il dit qu'on avait fait là de méchante besogne, et qu'il fallait se mettre sur l'heure à leur poursuite, et les tuer tous. Il rassembla du monde, appelant aux armes tous les hommes du pays. Avec cette troupe lui et Kari vinrent trouver Mörd fils de Valgard. Ils se réunirent à Holtsvad. Mörd y était avant eux, avec une grosse troupe. Ils se séparèrent pour battre le pays. Les uns descendirent à l'est vers Seljalandsmula, d'autres remontèrent le Fljotshlid, d'autres passant par le col de Trihyrning descendirent dans le Godaland. De là ils vinrent au nord jusqu'à Sand, et quelques-uns mêmes poussèrent jusqu'aux lacs des poissons, où ils tournèrent bride.

D'autres prirent plus bas dans l'est, et vinrent à Holt, où ils dirent la nouvelle à Thorgeir. Ils lui demandèrent si Flosi et les siens n'avaient pas passé par là. Thorgeir répondit: «Je ne suis pas un grand chef, mais il me semble que Flosi prendra un autre parti que de passer ici sous mes yeux, quand il vient de tuer Njal, le frère de mon père, et ses fils, mes cousins. Vous n'avez rien de mieux à faire que de vous en retourner; car vous avez cherché de droite et de gauche. Dites à Kari qu'il vienne me trouver, et qu'il demeurera ici chez moi, s'il lui plaît. S'il ne veut pas venir dans ce pays de l'Est, je veillerai, s'il veut bien, à son domaine de Dyrholm. Dites-lui aussi que je lui donnerai toute l'aide que je pourrai, et que j'irai à l'Alting avec lui. Il sait, je pense, que c'est à moi et à mes frères qu'appartient la vengeance, comme aux plus proches parents. Nous porterons plainte, et nous tâcherons de faire en sorte qu'une sentence de proscription s'ensuive, et mort d'hommes ensuite. Je ne vais pas avec vous maintenant, car je sais que cela ne servirait de rien. Ils vont se tenir sur leurs gardes autant que possible.»

Ils s'en allèrent et se retrouvèrent tous à Hofi. «C'est une honte pour nous, se disaient-ils les uns aux autres, de ne pas les avoir trouvés.» Mais Mörd disait que non. Beaucoup étaient d'avis qu'il fallait aller dans le Fljotshlid, et s'emparer des biens de tous ceux qui avaient pris part à la chose. On s'en remit là-dessus à l'avis de Mörd. Il dit que c'était le pire parti qu'on pût prendre. Ils demandèrent pourquoi. «Si leurs domaines restent debout, dit-il, ils reviendront pour les voir, et voir leurs femmes; et nous pourrons tomber sur eux, d'ici à quelque temps. Et maintenant ne doutez pas que je ne sois fidèle à Kari dans tout ce qu'il entreprendra; car j'ai à me garder moi-même.» Et Hjalti l'engagea à faire en sorte de tenir sa promesse.

Hjalti pria Kari de venir chez lui. Kari promit d'y aller sur l'heure. Les autres lui redirent l'offre de Thorgeir. «J'en profiterai plus tard, dit-il, et j'augure bien de notre affaire, s'il y en a beaucoup comme lui.» Et là-dessus, la troupe se sépara.

Flosi et ses gens avaient vu tout cela du haut de leur montagne. «Maintenant, dit Flosi, montons à cheval, et allons-nous en; c'est ce que nous avons de mieux à faire à présent.» Les fils de Sigfus demandèrent s'ils ne feraient pas bien de s'en aller chez eux, pour s'occuper de leurs domaines. «Mörd a bien pensé, dit Flosi, que vous iriez voir vos femmes. Et je vois d'ici qu'il a donné le conseil de ne pas toucher à vos domaines. Moi je suis d'avis qu'il ne faut pas nous séparer, et que vous veniez tous avec moi dans le pays de l'est.» Et ils se rangèrent tous à son avis.

Ils se mirent donc en route, passèrent au nord du Jökul, et marchèrent sans s'arrêter jusqu'à Svinafell. Flosi envoya de suite chercher des vivres, pour qu'on ne manquât de rien. Il ne parlait jamais de l'expédition, mais il ne montrait pas la moindre crainte. Il resta chez lui tout l'hiver, jusqu'après la fête de Jol.


CXXXII

Kari pria Hjalti de venir avec lui chercher le corps de Njal: «car chacun croira, dit-il, à ce que tu diras avoir vu.» Hjalti dit qu'il irait volontiers chercher le corps de Njal pour le porter à l'église. Ils partirent donc, et ils étaient quinze hommes. Ils s'en allèrent à l'est, passant la Thjorsa; là ils rassemblèrent encore du monde, si bien qu'ils furent cent, en comptant les voisins de Njal.

Ils arrivèrent à Bergthorshval au milieu du jour. Hjalti demanda à Kari à quel endroit devait être le corps de Njal. Kari le lui montra. Il y eut beaucoup de cendre à ôter. Par dessous ils trouvèrent la peau, et elle était toute racornie par le feu. Ils l'ôtèrent, et dessous, Njal et sa femme étaient là tous deux, sans que le feu les eût touchés. Tous louèrent Dieu, et furent d'avis que c'était un grand prodige. On ôta le petit garçon qui était couché entre eux deux; de tout son corps il n'y avait de brûlé qu'un doigt, qu'il avait sorti de dessous la peau. On emporta Njal au dehors, puis Bergthora. Et tous s'approchèrent pour voir leurs cadavres.

«Que vous semble de ces cadavres?» dit Hjalti. «Nous attendons ton jugement» répondirent-ils. «Je vais dire en vérité ce que je pense, dit Hjalti. Le cadavre de Bergthora est tel qu'il fallait s'y attendre, quoiqu'elle soit encore belle: mais le visage de Njal est si resplendissant, que je n'ai jamais vu son pareil chez un homme mort.» Et ils dirent tous que c'était vrai.

Alors ils se mirent à la recherche de Skarphjedin. Des serviteurs leur montrèrent l'endroit où Flosi et les siens avaient entendu chanter. À cet endroit, le toit et le mur du pignon s'étaient effondrés. C'est là que Hjalti dit qu'il fallait creuser. Ils se mirent à l'ouvrage, et trouvèrent le corps de Skarphjedin. Il était debout, appuyé contre la muraille. Ses jambes étaient brûlées jusqu'aux genoux. Du reste de son corps, rien n'avait été touché par le feu. Il s'était mordu la lèvre. Ses yeux étaient grands ouverts, et la flamme ne les avait pas gonflés. Il avait enfoncé sa hache dans la muraille, si avant qu'elle y tenait jusqu'au milieu du tranchant; et elle s'était trouvée ainsi à l'abri du feu. On retira la hache, Hjalti la prit et dit: «Voici une arme rare; il y en a peu qui pourraient la porter.»--«Je sais un homme qui le pourra» dit Kari.--«Qui cela?» dit Hjalti.--«Thorgeir Skorargeir, dit Kari. Je le tiens maintenant pour le meilleur de leur race.»

Alors on ôta à Skarphjedin ses vêtements, que le feu n'avait pas brûlés. Il avait mis ses mains en croix, la droite dessus. On trouva sur lui une marque entre les épaules, et une autre sur la poitrine, toutes deux en forme de croix. Et les gens pensèrent que c'était lui qui s'était fait lui-même ces brûlures. Tous disaient qu'ils étaient plus à l'aise qu'ils n'auraient cru, près de Skarphjedin mort; car pas un n'avait peur de lui.

Ils cherchèrent le corps de Grim, et le trouvèrent au milieu de la salle. En face de lui, au pied de la muraille de côté, on trouva Thord l'affranchi; dans la chambre des fileuses, la vieille Sæun, et trois hommes. En tout, on trouva onze corps. On les porta à l'église, puis Hjalti s'en retourna et Kari avec lui.

Il vint une enflure à la jambe d'Ingjald. Il alla chez Hjalti, qui le guérit, mais il boita depuis ce moment.

Kari alla à Tunga, trouver Asgrim fils d'Ellidagrim. Thorhalla y était déjà, qui avait appris la nouvelle à son père. Asgrim reçut Kari à bras ouverts, et le pria de passer tout l'hiver chez lui. Kari le promit. Asgrim fit la même offre à tous ceux qui avaient été à Bergthorsval. «L'offre est bonne, et j'accepte pour eux» dit Kari. Et ils vinrent tous chez Asgrim.

Quand Thorhal fils d'Asgrim sut que Njal, son père nourricier, était mort, brûlé dans sa maison, il en fut si saisi que tout son corps enfla, et un flot de sang lui sortit des oreilles, si violent qu'on ne pouvait l'arrêter. Enfin il tomba en faiblesse, et le sang s'arrêta. Il se releva bientôt: «Ce n'est pas me conduire en homme, dit-il, mais j'espère me venger de ce qui vient de m'arriver, sur quelqu'un de ceux qui ont brûlé Njal.» Les autres lui dirent que personne ne lui en ferait honte. «Je ne m'inquiète pas de ce qu'on dit» fut sa réponse.

Asgrim demanda à Kari quelle aide on pouvait attendre de ceux du pays de l'est. Kari dit que Mörd fils de Valgard, et Hjalti fils de Skeggi lui donneraient autant de monde qu'ils pourraient, et aussi Thorgeir Skorargeir, et tous ses frères. Asgrim dit que c'était beaucoup. «Et quelle aide aurons-nous de toi?» dit Kari.--«La plus forte que je pourrai, dit Asgrim; et j'y laisserai ma vie, s'il le faut.»--«Fais ainsi, ce sera bien», dit Kari.--«J'ai parlé aussi, dit Asgrim, à Gissur le blanc. Je lui ai demandé son avis, et ce que nous avions à faire.»--«Bien, dit Kari, et qu'a-t-il conseillé?» Asgrim répondit: «Il a dit qu'il fallait nous tenir tranquilles jusqu'au printemps, qu'alors il nous fallait aller dans l'est et commencer la procédure contre Flosi pour le meurtre d'Helgi, prendre à témoins les voisins les plus proches, et citer Flosi devant le ting pour fait d'incendie, puis citer ces mêmes voisins à comparaître devant le tribunal. J'ai demandé à Gissur, qui avait à porter plainte pour le meurtre. Il a dit que c'était à Mörd à le faire, qu'il le trouve bon ou non: cela lui déplaira d'autant plus, a-t-il dit, que jusqu'ici tout dans cette affaire a tourné mal pour lui. Mais il faut que Kari se fâche toutes les fois qu'il verra Mörd, et il finira par l'y amener. Il aura du reste peur de moi. Voilà ce qu'a dit Gissur.» Kari répondit: «Nous suivrons tes conseils tant que nous pourrons, et c'est toi qui nous guideras.»

Nous parlerons encore de Kari. Il ne pouvait pas dormir la nuit. Asgrim s'éveilla une fois, et entendit que Kari était éveillé. «Ne peux-tu donc dormir la nuit?» dit Asgrim. Et Kari chanta:

«Le sommeil fuit mes yeux, car j'entends toujours la prière de ma femme; depuis qu'ils ont brûlé, l'automne passé, la maison de Njal, sans cesse je songe au mal qu'ils m'ont fait.»

Il n'y avait personne dont Kari parlât si souvent que de Njal et de Skarphjedin. Mais jamais il ne disait de mal de ses ennemis, jamais non plus il ne faisait entendre de menaces contre eux.


CXXXIII

Voici ce qui arriva une nuit à Svinafell. Flosi s'agitait en dormant. Glum fils d'Hildir, vint l'éveiller et il fut longtemps avant d'y arriver. Flosi dit: «Va me chercher Ketil de Mörk.» Ketil vint. «Je vais te conter mon rêve» dit Flosi. «--Fais le,» dit Ketil.--«J'ai rêvé, dit Flosi, que j'étais à Lomagnup. J'étais sorti, et je regardais en haut vers le sommet de la montagne. Et la montagne s'ouvrit. Un homme en sortit: il était vêtu de peau de chèvre, et il avait une barre de fer à la main. Il s'approchait en criant. C'étaient mes hommes qu'il appelait, d'abord les uns, puis les autres; et il les nommait par leur nom. Le premier qu'il appela fut mon parent Grim le rouge, après lui vint Arni fils de Kol. Et cela me parut étrange. Ensuite, il appela Eyjolf fils de Bölverk, et Ljot, fils de Hal de Sida, et six autres. Puis il se tut quelque temps. Après cela, il appela encore cinq des nôtres, et parmi eux, les fils de Sigfus, tes frères. Et puis encore cinq autres, et parmi eux, Lambi, Modulf, et Glum. Après ceux-là, il en appela trois, et en dernier lieu, Gunnar fils de Lambi, et Kol fils de Thorstein. Alors il vint à moi. Je lui demandai s'il avait quelque nouvelle à me donner. Et il me dit que oui. Je lui demandai son nom. Il dit qu'il se nommait Jarngrim. Je lui demandai où il allait. Il dit qu'il allait à l'Alting. «Que feras-tu là?» lui dis-je. Il répondit: «Je vais récuser les témoins, après quoi je récuserai les juges, pour laisser la place aux combattants.» Et il chanta:

«Les serpents du combat vont accourir, la tête levée. On verra la terre couverte de crânes. Les lames bleues feront retentir les plaines. Les hommes marcheront dans une rosée sanglante.»

Il frappa la terre de sa barre de fer, et il se fit un grand fracas. Alors il rentra dans la montagne. Mais moi, je fus saisi de frayeur. Et maintenant dis-moi ce que tu penses de mon rêve.»--«Je pense, dit Ketil, que tous ceux qu'il a appelés sont voués à la mort. Et mon avis est que nous ne parlions de ce rêve à personne, pour le moment.» Flosi dit qu'ainsi ferait-il.

Voici que l'hiver s'avance, et la fête de Jol est passée. Flosi dit à ses hommes: «Il faut nous en aller maintenant; car je ne pense pas qu'on nous laisse longtemps tranquilles. Nous allons chercher de l'aide, et il va arriver comme je vous le disais: il nous faudra tomber aux genoux de bien des gens avant que cette affaire ait pris fin. »


CXXXIV

Ils se préparèrent donc tous à partir. Flosi avait mis des pantalons longs, car il voulait aller à pied. Il savait qu'alors il déplairait moins aux autres de marcher eux-mêmes.

Ils partirent, et vinrent d'abord à Knappavöll; le jour suivant ils allèrent jusqu'à la Breida, et de la Breida au Kalfafell, de là au Bjarnanes sur le Hornafjord, de là au Stafafell, dans le pays de Lon, et enfin à Thvatta, chez Hal de Sida. Flosi avait pour femme sa fille Steinvör. Hal leur fit grand accueil. Flosi lui dit: «Je viens te demander, mon beau-père, de venir, toi et tous tes hommes, au ting avec moi.» Hal répondit: «Voici qu'il est arrivé comme dit le proverbe: La main ne se réjouit pas longtemps du coup qu'elle a porté. Tu en as plus d'un dans ta troupe, qui à présent baisse la tête, et qui poussait à la pire des besognes quand il n'y avait encore rien de fait. Mais moi, je te dois mon aide toutes les fois que cela me sera possible.» Flosi dit: «Que me conseilles-tu de faire, au point où nous en sommes?»--«Il faut que tu t'en ailles au Nord, répondit Hal, jusqu'au Vapnafjord, et tu demanderas du secours à tous les chefs du pays; tu auras besoin d'eux tous avant la fin du ting.»

Flosi resta là trois nuits. Quand il fut reposé, il s'en alla du côté de l'est, à Geitahellna, et de là au Berufjord. Ils y passèrent la nuit. De là ils prirent à l'est encore jusqu'à Heydal dans le Breiddal. Là demeurait Halbjörn le fort. Il avait pour femme Odny fille de Sörli fils de Brodhelgi. Flosi trouva chez lui un bon accueil. Halbjörn fit beaucoup de questions sur l'incendie. Et Flosi lui raconta tout par le menu. Halbjörn demanda jusqu'où Flosi comptait aller dans le pays des fjords du nord. Flosi dit qu'il irait jusqu'au Vapnafjord.

Flosi ôta de sa ceinture une bourse pleine d'argent, et la donna à Halbjörn. Halbjörn prit l'argent, tout en disant qu'il n'avait rien fait pour recevoir des présents de Flosi: «et je voudrais savoir, dit-il, en quelle manière je pourrai m'acquitter envers toi.»--«Je n'ai pas besoin d'argent, dit Flosi; mais je veux que tu sois pour moi dans ma querelle. Je n'ai aucun droit à te faire cette demande, car tu n'es ni mon parent ni mon allié.» Halbjörn répondit: «Je te promets d'aller au ting avec toi, et de prendre parti pour toi dans ta querelle comme je ferais pour mon frère.» Flosi le remercia.

De là, ils allèrent, par la plaine du Breiddal, à Hrafnkelstad. Là demeurait Hrafnkel fils de Thorir, fils de Hrafnkel, fils de Hrafn. Flosi trouva chez lui un bon accueil, et il lui demanda de venir au ting avec lui et de lui donner son aide. Hrafnkel s'en défendit longtemps. À la fin il promit que son fils Thorir irait au ting avec tous leurs hommes, et qu'il serait du même côté que les autres godis du district. Flosi le remercia et partit pour Bersastad. Là demeurait Holmstein fils de Spakbersir. Il reçut Flosi à merveille. Flosi lui demanda son aide. Holmstein dit qu'il la lui devait depuis longtemps.

De là ils allèrent à Valthjofstad. Là demeurait Sörli fils de Brodhelgi, et frère de Bjorni fils de Brodhelgi. Il avait pour femme Thordis, fille de Gudmund le puissant, de Mödruvöll. Flosi et les siens trouvèrent là un bon accueil. Le lendemain au matin, Flosi fit sa demande à Sörli de venir au ting avec lui, et il lui offrit de l'argent. «Je ne sais ce que je ferai, dit Sörli, tant que je ne saurai pas de quel côté sera Gudmund le puissant, mon beau-père; je veux être avec lui, là où il sera lui-même.»--« Je vois à ta réponse, dit Flosi, que c'est une femme qui commande ici.» Il se leva, et dit à ses gens de prendre leurs manteaux et leurs armes. Ils partirent, et ils n'avaient pas trouvé là de secours.

Ils descendirent le Lagarfljot, et vinrent à travers la plaine, à Njardvik. Là demeuraient deux frères, Thorkel Fulspak et Thorvald. Ils étaient fils de Ketil Thrim, fils de Thidrand le sage, fils de Ketil Thrim, fils de Thorir Thidrand. La mère de Thorkel Fulspak et de Thorvald était Yngvild fille de Thorkel Fulspak. Flosi trouva là un bon accueil. Il conta son affaire aux deux frères, et leur demanda du secours. Et ils refusèrent jusqu'à ce qu'il leur eût donné trois marcs d'argent à chacun. Alors ils promirent de l'aider.

Yngvild leur mère était là, comme ils promirent d'aller au ting. Elle se mit à pleurer. «Pourquoi pleures-tu, mère?» dit Thorkel. Elle répondit: «J'ai rêvé que Thorvald ton frère avait une casaque rouge, et elle était si étroite qu'il semblait qu'on l'eût cousu dedans. Il avait aussi des pantalons rouges, attachés par des lanières serrées. J'avais de la peine, en le voyant si mal à l'aise, mais je n'y pouvais rien.» Ils se mirent à rire, et dirent que c'étaient là des sottises, et que son bavardage ne les empêcherait pas d'aller au ting. Flosi les remercia fort et partit, s'en allant du côté du Vapnafjord.

Ils vinrent à Hof. Là demeurait Bjorni fils de Brodhelgi, fils de Thorgil, fils de Thorstein le blanc, fils d'Ölvir, fils d'Eyvald, fils d'Öxnathorir. La mère de Bjorni était Halla, fille de Lyting. La mère de Brodhelgi était Asvör fille de Thorir, fils de Graut Atli, fils de Thorir Thidrand. Bjarni fils de Brodhelgi avait pour femme Rannveig fille de Thorgeir, fils d'Eyrik de Goddal, fils de Geirmund, fils de Hroald, fils d'Eyrik Ördigskeggi. Bjarni reçut Flosi à bras ouverts. Flosi lui offrit de l'argent pour avoir son aide. Bjarni dit: «Jamais je n'ai vendu pour de l'argent ma vaillance et mon aide. Puisque tu en as besoin, je te la donnerai par amitié. J'irai au ting avec toi, et je prendrai ton parti, comme je ferais pour mon frère.»--«J'aurai donc une grosse dette envers toi, dit Flosi; mais je n'attendais pas moins de ta part.»

De là, Flosi et les siens vinrent à Krossavik. Là demeurait Thorkel fils de Geitir. Thorkel était grand ami de Flosi. Flosi lui fit sa demande. «C'est mon devoir, dit Thorkel, de te donner toute l'aide que je pourrai, et de prendre parti pour toi dans ta querelle, jusqu'au bout.» Et au départ il fit à Flosi de riches présents.

Alors Flosi quitta le pays du Nord. Venant du Vapnafjord, il entra dans le district du Fljotsdal, et fut l'hôte de Holmstein fils de Spakbersir. Flosi lui dit que tous avaient accueilli sa demande et promis de l'aider, hormis Sörli, fils de Brodhelgi. «C'est que Sörli est un homme pacifique» dit Holmstein; et il fit à Flosi de beaux présents.

Flosi remonta le Fljotsdal; de là, passant la montagne, il vint au Sud par les laves de l'Öxara et descendit dans le Svidinhornadal puis il prit à l'ouest jusqu'à l'Alptafjord. Et il ne s'arrêta pas, qu'il ne fut arrivé à Thvatta, chez Hal, son beau-père. Flosi y passa un demi-mois, avec ses hommes, à se reposer. Il demanda à Hal ce qu'il lui conseillait de faire, et s'il fallait changer ses projets. «Mon avis est, répondit Hal, que tu restes chez toi, dans ton domaine, avec les fils de Sigfus: ils enverront des gens pour prendre soin de leurs domaines. Allez donc chez toi tout d'abord; et quand vous partirez pour le ting, chevauchez tous ensemble, et ne dispersez pas votre monde. Sur la route, les fils de Sigfus iront voir leurs femmes. Moi j'irai au ting avec mon fils Ljot et tous nos hommes et je vous donnerai toute l'aide que je pourrai.» Flosi le remercia. Nul lui fit au départ de riches présents.

Flosi quitta donc Thvatta. Et il n'y a rien à conter de son voyage, sinon qu'il arriva sans encombre à Svinafell. Il passa chez lui le reste de l'hiver, et l'été jusqu'au moment du ting.


CXXXV

Kari fils de Sölmund et Thorhal fils d'Asgrim allèrent un jour à Mosfell trouver Gissur le blanc. Il les reçut à bras ouverts, et ils restèrent chez lui longtemps. Une fois, comme ils parlaient, eux et Gissur, de l'incendie et de la mort de Njal, il arriva à Gissur de dire que c'était un grand bonheur que Kari eût échappé. Alors il vint un chant sur les lèvres de Kari:

«C'est à regret que j'ai quitté, moi l'aiguiseur des épées qui fendent les casques, la maison de Njal en flammes. Là ont brûlé nombre de vaillants hommes. Écoutez mes paroles, vous à qui je conte ma douleur.»

«Il est naturel, dit Gissur, que tu ne puisses pas l'oublier. Mais nous n'en parlerons plus pour cette fois.»

Kari dit qu'il avait envie de retourner chez lui. Gissur répondit: «Je vais me montrer ton ami, et te donner un conseil. Ne retourne pas chez toi, mais va t'en à l'est, au pied de l'Eyjafjöll, trouver Thorgeir Skorargeir, et Thorleif Krak. Il faut qu'ils quittent le pays de l'est et qu'ils viennent avec toi; car c'est à eux qu'appartient la poursuite dans cette affaire. Il faudra que Thorgrim le grand, leur frère, vienne avec eux. Vous irez trouver Mörd fils de Valgard. Tu lui diras de ma part qu'il ait à se charger de la poursuite contre Flosi pour le meurtre d'Helgi, fils de Njal. Et s'il dit quoi que ce soit là-contre, tu feras mine d'entrer en grande colère, et de lui planter ta hache dans la tête. Tu lui parleras aussi de la colère que j'aurai s'il montre du mauvais vouloir. Tu lui diras que j'enverrai chercher ma fille Thorkatla pour la ramener chez moi. Cela, il ne pourra le souffrir, car il y tient comme à la prunelle de ses yeux.»

Kari le remercia de son conseil. Il ne lui parla pas de venir à son aide avec ses gens; car il savait qu'en cela comme en toute chose Gissur se montrerait son ami.

Kari partit donc, faisant route vers l'est; il passa la rivière et vint dans le Fljotshlid. Marchant toujours à l'est, il traversa le Markarfljot et vint à Seljalandsmula. Enfin ils furent à Holt, lui et les siens. Thorgeir les reçut avec de grandes marques d'amitié. Il leur conta le voyage de Flosi, et tout le secours qu'on lui avait promis dans le pays des fjords de l'est. Kari dit qu'il fallait s'attendre à le voir chercher de l'aide, après tous les meurtres dont il avait à répondre. «Plus leurs affaires vont bien, plus ils s'en repentiront» dit Thorgeir. Et Kari répéta à Thorgeir tout ce qu'avait dit Gissur.

Après cela ils quittèrent le pays de l'est, et vinrent dans la plaine de la Ranga chez Mörd fils de Valgard. Il les reçut bien. Kari lui dit le message de Gissur son beau-père. Il fit des façons, et dit que c'était une plus grosse affaire de citer Flosi en justice, que dix autres. «Il arrive donc, dit Kari, comme Gissur pensait; il n'y a rien que de mauvais à attendre de toi: tu es poltron et sans cœur. Mais tu auras ce que tu mérites, et Thorkatla va retourner chez son père.» Thorkatla se prépara sur l'heure, disant que depuis longtemps elle était toute disposée à se séparer de Mörd. Alors Mörd changea tout à coup de sentiment et de langage. Il pria Kari de ne se point mettre en colère, et promit de poursuivre Flosi. Kari lui dit: «Voici que tu t'es chargé de la poursuite; fais en sorte de la mener à bien, sans crainte; car ta vie en dépend.» Mörd dit qu'il mettrait tous ses soins à bien mener cette affaire, et à se conduire en vaillant homme.

Après cela, Mörd cita auprès de lui neuf hommes libres. Ils étaient tous les plus proches voisins du lieu du meurtre. Mörd prit Thorgeir par la main, et fit approcher deux témoins: «Vous m'êtes témoins, dit-il, que Thorgeir fils de Thorir me transmet son droit de poursuite contre Flosi fils de Thord, pour le meurtre d'Helgi fils de Njal, et me met à sa place dans toute la procédure qui s'ensuivra. Tu me transmets, Thorgeir, ta cause pour la poursuivre ou pour faire la paix, avec les mêmes droits que si c'était à moi, comme au plus proche, que la vengeance appartînt. Tu me la transmets selon ta loi et je m'en charge selon la loi.»

Une seconde fois, Mörd fit approcher des témoins: «Vous m'êtes témoins, dit-il, que je dénonce comme qualifiée par la loi l'attaque de Flosi, fils de Thord, sur Helgi, fils de Njal, quand il lui a fait, soit à la tête, soit à la poitrine, soit aux membres inférieurs, une blessure qui s'est trouvée être une blessure mortelle, et au moyen de laquelle Helgi a trouvé la mort. Je dénonce cette attaque devant cinq témoins (et il les nomma tous les cinq); je la dénonce selon la loi; je la dénonce en vertu de la délégation de Thorgeir fils de Thorir.»

Encore une fois, il fit approcher des témoins: «Vous m'êtes témoins dit-il, que je dénonce la blessure que Flosi, fils de Thord, a faite à Helgi, soit à la tête, soit à la poitrine, soit aux membres inférieurs, blessure qui s'est trouvée être une blessure mortelle, et au moyen de laquelle Helgi a reçu la mort. Je la dénonce comme faite sur le lieu même où Flosi fils de Thord attaqua Helgi fils de Njal, attaque qualifiée par la loi. Je la dénonce devant cinq témoins (et il les nomma tous les cinq). Je la dénonce selon la loi. Je la dénonce en vertu de la délégation de Thorgeir fils de Thorir.»

Encore une fois, Mörd fit avancer des témoins: «Vous m'êtes témoins, dit-il, que je cite en témoignage les neuf plus proches voisins du lieu du meurtre (et il les nomma tous par leur nom), pour qu'ils comparaissent à l'Alting, et qu'ils y fassent leur déclaration en qualité de voisins au sujet de l'attaque, qualifiée par la loi, que Flosi fils de Thord a commise sur la personne d'Helgi fils de Njal, sur le lieu même où il lui a fait une blessure soit à la tête, soit à la poitrine, soit aux membres inférieurs, blessure qui s'est trouvée être mortelle, et au moyen de laquelle Helgi a trouvé la mort. Je vous fais sommation de n'oublier aucune des paroles que la loi vous oblige à prononcer, que je réclamerai de vous devant le tribunal, et qui sont de rigueur dans ces poursuites. Je vous fais cette sommation selon la loi, de manière que vous puissiez m'entendre. Je vous fais sommation en vertu de la délégation de Thorgeir fils de Thorir.»

Mörd fit avancer encore des témoins: «Vous m'êtes témoins, dit-il, que j'ai cité ces neuf hommes, tous proches voisins du lieu du meurtre, à comparaître devant l'Alting, et à faire leur déclaration, en qualité de voisins, au sujet de la blessure faite par Flosi fils de Thord à Helgi fils de Njal, à la tête, à la poitrine, ou aux membre inférieurs, blessure qui s'est trouvée être une blessure mortelle, et au moyen de laquelle Helgi a reçu la mort, sur le lieu même où Flosi fils de Thord attaqua Helgi fils de Njal, attaque qualifiée par la loi. Je vous fais sommation de n'oublier aucune des paroles que la loi vous oblige à prononcer, que je réclamerai de vous devant le tribunal, et qui sont de rigueur dans ces poursuites. Je vous fais sommation selon la loi. Je vous fais sommation de manière que vous puissiez m'entendre. Je vous fais sommation en vertu de la délégation de Thorgeir fils de Thorir.»

Alors Mörd dit: «Voici que l'affaire est engagée, comme vous l'avez demandé. Je te prie maintenant, Thorgeir Skorargeir, de venir me trouver quand tu iras au ting. Nous ferons route tous deux ensemble avec nos troupes réunies, et nous nous tiendrons de notre mieux; mes hommes seront prêts dès le commencement du ting: et je vous serai fidèle en toute chose.» Et ils furent contents de ce qu'il avait dit. Ils s'engagèrent par serment à ne pas se séparer les uns des autres, tant que Kari ne l'aurait pas permis, et à mettre leur vie en jeu les uns pour les autres. Ils se quittèrent en grande amitié, et se donnèrent rendez-vous au ting.

Thorgeir s'en retourna dans l'est. Mais Kari prit à l'ouest, passa la rivière, et vint à Tunga, chez Asgrim. Asgrim le reçut à merveille. Kari lui dit tous les conseils qu'avait donnés Gissur le blanc, et le commencement des poursuites. «J'attendais cela de lui, dit Asgrim; je savais qu'il se conduirait bien, et c'est ce qu'il a fait.» Et il demanda: «Qu'as-tu appris de Flosi, et du pays de l'est?» Kari répondit: «Il est allé dans l'est jusqu'au Vapnafjord; presque tous les chefs lui ont promis leur aide, et viendront avec lui au ting. Il attend aussi du secours de ceux du Reykardal, de Ljosvatn et de l'Öxfjord.» Et ils en parlèrent encore longtemps.

Voici que le temps se passe, et on approche de l'Alting.

Thorhal, fils d'Asgrim prit grand mal à la jambe. Elle enfla si fort au-dessus de la cheville qu'il ne pouvait plus marcher sans un bâton. Thorhal était fort, et de haute taille, noir de cheveux et de visage, prudent dans ses paroles, et pourtant d'humeur vive. Il fut le troisième parmi les grands hommes de loi de l'Islande.

Voici le moment venu où les hommes s'en vont au ting. Asgrim dit à Kari: «Tu vas partir pour être au ting dès le commencement, et tu dresseras nos huttes: mon fils Thorhal ira avec toi; traite le bien, et prends grand soin de lui, car il est infirme: mais nous aurons besoin de lui à ce ting. Je vous donnerai vingt hommes pour vous accompagner.» Et on fit les préparatifs du départ. Après quoi ils partirent pour le ting, dressèrent les huttes, et préparèrent toutes choses.


CXXXVI

Flosi se mit en marche, quittant le pays de l'est, avec les cent hommes qui étaient à l'incendie. Ils chevauchèrent sans s'arrêter jusqu'au Fljotshlid. Là, les fils de Sigfus allèrent voir leurs domaines, et ils y passèrent tout un jour. Le soir, ils s'en allèrent à l'ouest, passant la Thjorsa, et ils dormirent là cette nuit. Le lendemain de bonne heure ils remontèrent à cheval et reprirent leur route.

Flosi dit à ses hommes: «Il nous faut aller à Tunga, chez Asgrim fils d'Ellidagrim. Nous prendrons notre repas chez lui, et nous rabattrons son orgueil.» Et ils dirent que ce serait bien fait. Ils allèrent donc, et furent vite à Tunga. Asgrim était dehors, et il avait quelques hommes avec lui. Ils virent la troupe qui s'approchait. Les gens d'Asgrim dirent: «Ce doit être Thorgeir Skorargeir.»--«Je ne crois pas, dit Asgrim; ces gens là s'avancent avec des cris et des rires; mais des parents de Njal, comme Thorgeir, ne riraient pas tant que l'incendie ne sera pas vengé. J'ai une autre idée: il se peut que cela vous semble improbable, mais je crois que c'est Flosi et les autres qui ont brûlé Njal, et j'imagine qu'ils viennent pour nous faire un affront. Il faut que nous rentrions tous.» Et ils firent comme il avait dit.

Asgrim fit balayer la maison, dit qu'on l'ornât de tentures, qu'on mît des tables, et des viandes dessus. Il fit placer des sièges le long des bancs, par toute la salle.

Flosi entra dans l'enceinte. Il ordonna à ses hommes de mettre pied à terre et d'entrer. Ils le firent. Flosi et ses gens arrivèrent dans la salle. Asgrim était assis sur le banc du milieu. Flosi regarda les bancs et les tables, et vit qu'il y avait là, tout prêt, tout ce dont on avait besoin. Asgrim dit à Flosi, sans le saluer: «Les tables sont servies: ceux qui ont faim peuvent manger.» Flosi se mit à table et tous ses hommes avec lui. Ils placèrent leurs armes contre la muraille. Ceux qui n'eurent pas de place sur les bancs s'assirent sur les sièges devant les tables. Mais quatre hommes armés se tenaient devant l'endroit où Flosi était assis, pendant qu'ils mangeaient tous. Asgrim se taisait tant que dura le repas, mais son visage était rouge comme du sang. Quand ils eurent mangé leur saoul, les femmes ôtèrent les tables; d'autres apportèrent de l'eau pour laver les mains. Flosi prenait tout son temps, comme s'il eût été chez lui.

Il y avait, contre le banc du milieu, une hache à fendre le bois. Asgrim la prit à deux mains, et sautant sur le banc, en porta un coup à la tête de Flosi. Glum fils d'Hildir avait vu ce qu'il allait faire. Il sauta sur Asgrim, lui ôta des mains la hache et la leva sur lui à son tour; car Glum était d'une grande force. Alors beaucoup d'autres accoururent, voulant se jeter sur Asgrim. Mais Flosi défendit que personne lui fît du mal: «Nous l'avons mis, dit-il, à trop rude épreuve. Il n'a rien fait que ce qu'il devait faire; et il a montré qu'il avait le cœur bien placé.» Puis il dit à Asgrim: «Nous allons nous séparer sains et saufs, mais nous nous retrouverons au ting, et là, nous viderons notre querelle.»--«Oui, dit Asgrim, et j'espère qu'avant que le ting n'ait pris fin, vous aurez appris à le prendre de moins haut.» Flosi ne répondit rien. Ils sortirent, lui et ses hommes, remontèrent à cheval, et s'éloignèrent.

Ils chevauchèrent sans s'arrêter jusqu'à Laugarvatn, où ils passèrent la nuit. Le lendemain ils allèrent à Beitivöll, où ils firent halte. Là, quantité de gens vinrent les rejoindre. Hal de Sida en était, et tous les autres des fjords de l'est. Flosi les accueillit avec beaucoup de joie. Il leur conta son voyage et sa rencontre avec Asgrim. Beaucoup approuvèrent, et dirent que c'était agir hardiment. Mais Hal dit: «Je ne suis pas du même avis que vous; et il me semble que c'était une idée peu sensée. Ils se souvenaient bien assez des offenses qu'on leur a faites, sans qu'il fût besoin de les leur rappeler. Ceux-là n'ont que du mal à attendre, qui excitent les autres si rudement.» Et Hal laissait bien voir qu'il trouvait qu'on était allé trop loin.

Ils partirent tous ensemble et marchèrent sans s'arrêter jusqu'à la plaine d'en haut. Là ils mirent leur monde en bataille et descendirent au ting. Flosi avait fait dresser d'avance les huttes de ceux de Byrgir; les gens des fjords de l'est s'en allèrent vers les leurs.


CXXXVII

Il nous faut parler maintenant de Thorgeir Skorargeir. Il partit du pays de l'est avec une troupe nombreuse. Ses frères, Thorleif Krak et Thorgrim le grand, étaient avec lui. Ils chevauchèrent sans s'arrêter jusqu'à Hof, chez Mörd fils de Valgard; et ils attendirent là qu'il fût prêt à partir. Mörd avait rassemblé tous les hommes en état de porter les armes, et il avait l'air d'un homme qui ne craint nulle chose. Ils se mirent en route, et passant la rivière, vinrent dans le pays de l'ouest. Là on attendit Hjalti fils de Skeggi. Il n'y avait pas longtemps qu'ils attendaient, quand il arriva. Ils l'accueillirent avec joie et ils marchèrent tous ensemble jusqu'à Reykja, dans le district de Biskupstunga. Là ils attendirent Asgrim fils d'Ellidagrim. Il vint se joindre à eux, et on fit route vers l'ouest, passant par la Bruara.

Asgrim leur dit ce qui s'était passé entre lui et Flosi. «J'espère, dit Thorgeir, que nous pourrons éprouver leur courage, avant que le ting n'ait pris fin.» Et ils continuèrent à marcher jusqu'à Beitivöll. Là, Gissur vint les joindre, avec beaucoup de monde. Et ils parlèrent longtemps tous ensemble.

Enfin ils arrivèrent à la plaine d'en haut: là, ils mirent tout leur monde en bataille, et descendirent ainsi vers le ting. Flosi et ses gens coururent aux armes, et peu s'en fallut qu'on n'en vint à combattre. Mais Asgrim et les siens ne s'y laissèrent pas amener, et vinrent tout droit à leurs huttes. Le jour se passa tranquillement, sans qu'ils eussent affaire les uns aux autres. Il était venu des chefs de tous les pays, et de mémoire d'homme on n'avait vu un ting aussi nombreux.


CXXXVIII

Il y avait un homme nommé Eyjolf. Il était fils de Bölverk, fils d'Eyjolf le rusé, de l'Otradal, fils de Thord Gellir, fils d'Oleif Feilar. La mère d'Eyjolf le rusé était Hrodny, fille de Skeggi, du Midfjord, fils de Skinabjörn, fils de Skutadarskeggi.

Eyjolf fils de Bölverk était un homme de grande importance, et fort instruit dans la loi. Il fut le troisième parmi les meilleurs hommes de loi de l'Islande. C'était l'homme le plus beau de visage qu'on pût voir. Il était grand et fort, et il avait tout ce qui fait les grands chefs, mais il était avare, comme tous ceux de sa famille.

Un jour, Flosi vint à la hutte de Bjarni fils de Brodhelgi. Bjarni le reçut à bras ouverts, et le fit asseoir à côté de lui. Ils parlèrent de bien des choses. Flosi dit à Bjarni: «Que me conseilles-tu de faire à présent?»--«Il est difficile, répondit Bjarni, de donner un conseil dans une affaire comme la tienne; mais le mieux serait, il me semble, d'aller demander du secours; car ils ont rassemblé de grandes forces contre vous. Je te demanderai aussi, Flosi, s'il y a parmi vos gens quelque homme bien versé dans la loi; car vous avez le choix entre deux choses: ou bien offrir la paix, ce qui serait, pour le mieux; ou bien défendre votre cause selon les lois, s'il y a des moyens de défense, mais il faudra de la hardiesse pour mener à bien ce parti. C'est, je crois, ce qu'il vous faut faire, car vous avez commencé fièrement, et il ne vous convient guère de vous rabaisser.»

--«Pour ce qui est d'hommes habiles dans la loi, répondit Flosi, je te dirai tout de suite que nous n'en avons point parmi les nôtres, si ce n'est Thorkel fils de Geitir, ton parent.»--«Nous n'avons pas à compter sur lui, dit Bjarni. Il est versé dans la loi, c'est vrai, mais il est d'une prudence telle qu'il ne servira de bouclier à personne. Il combattra pour toi comme le meilleur de tes hommes, car il est vaillant. Mais je te le dis, celui qui produira un moyen de défense dans l'affaire de l'incendie est un homme mort, et je ne me soucie pas que ce soit mon parent Thorkel. Il faut donc que nous cherchions ailleurs.»

Flosi dit qu'il ne savait en aucune façon quels étaient les meilleurs hommes de loi. Bjarni lui dit: «Il y a un homme nommé Eyjolf, fils de Bölverk. C'est le meilleur homme de loi des districts des fjords de l'ouest. Nous aurons à lui donner beaucoup d'argent, si nous voulons l'avoir pour nous dans cette affaire. Mais il ne faut pas nous arrêter à cela. Il faudra aussi que nous allions en armes à toutes les séances du tribunal, et que nous nous montrions aussi prudents que possible, en sorte que nous n'en venions aux mains que si nous avons à nous défendre. Maintenant, je vais aller avec toi demander du secours; car je crois que nous n'avons pas longtemps à rester tranquilles.»

Alors il sortirent de la hutte, et allèrent chez ceux de l'Öxfjord. Bjarni parla à Lyting, et à Blæing, et à Hroa fils d'Arnstein, et il eut vite fait d'obtenir d'eux ce qu'il demandait. Ensuite, ils allèrent trouver Kol, fils de Vigaskuta, et Eyvind fils de Thorkel, fils d'Askel le godi. Ils leur demandèrent du secours, et les autres s'en défendirent longtemps. À la fin pourtant, ils acceptèrent trois marcs d'argent, et promirent d'être avec Flosi dans son affaire.

Après cela, Flosi et Bjarni allèrent aux huttes de ceux de Ljosvatn, et là, ils s'arrêtèrent longtemps. Flosi leur demanda du secours. Mais ils firent toutes sortes de difficultés. Alors Flosi entra dans une grande colère: «Vous êtes de méchantes gens, dit-il. Là-bas, dans votre pays, vous êtes avides et injustes, et au ting vous refusez votre aide à ceux qui vous la demandent. Vous en aurez honte et reproches à ce ting même, si vous ne vous souvenez plus des injures dont Skarphjedin vous a couverts, vous autres gens de Ljosvatn.» Après quoi, baissant la voix, il leur offrit de l'argent pour avoir leur aide, et à force de belles paroles, il leur fit promettre qu'ils la donneraient. Ils s'enhardirent si bien qu'ils dirent que si Flosi en avait besoin, ils combattraient avec lui.

«Voilà qui va bien, dit Bjarni à Flosi. Tu es un grand chef et un homme hardi. Tu vas droit devant toi, et tu ne ménages personne.»

Ils s'en allèrent de là, et prirent à l'ouest, passant l'Öxara. Ils vinrent à la hutte de ceux de Hlad. Il y avait beaucoup d'hommes dehors devant la porte. L'un d'eux avait un manteau d'écarlate sur les épaules et un bandeau d'or autour de la tête. Il tenait à la main une hache incrustée d'argent. «Cela se trouve bien, dit Bjarni. Voilà Eyjolf fils de Bölverk, si tu veux lui parler, Flosi.» Ils allèrent donc trouver Eyjolf et le saluèrent. Eyjolf reconnut de suite Bjarni, et lui fit bon accueil. Bjarni prit Eyjolf par la main, et le conduisit dans l'Almannagja. Les hommes de Bjarni et ceux de Flosi marchaient derrière eux. Les hommes d'Eyjolf étaient aussi venus avec lui.

Bjarni les mena sur le bord d'en haut, et leur dit de rester là, et de regarder autour d'eux. Lui et Flosi avec Eyjolf s'en allèrent jusqu'à l'endroit, où le chemin commence à descendre le long du précipice. «Voilà un bon endroit pour s'asseoir, dit Flosi, et d'où on peut voir au loin.» Et ils s'assirent. Ils étaient quatre en tout.

Bjarni dit à Eyjolf: «Nous sommes venus te trouver, mon ami; parce que nous avons grand besoin de ton aide en beaucoup de choses.»--«Il ne manque pas de vaillants hommes au ting, répondit Eyjolf; et vous n'aurez pas de peine à trouver quelqu'un qui vous aide mieux que moi.»--«Non pas, dit Bjarni. Sur beaucoup de points, tu n'as pas ici ton pareil. D'abord tu es d'aussi bonne race que tous ceux qui descendent de Ragnar Lodbrok. Ensuite tes ancêtres ont été souvent parties dans de grands procès, soit au ting, soit là-bas dans les districts, et toujours ils ont eu le dessus. Nous ne doutons pas que tu n'aies comme eux la victoire dans les procès auxquels tu te mêleras.»--«Tu parles bien, Bjarni, dit Eyjolf; mais je ne sais pas ce que j'ai à faire dans tout ceci.» Alors Flosi dit: «Voilà trop de paroles pour en venir à ce que nous avons en tête. Nous sommes venus te demander ton aide, Eyjolf; nous te prions d'être avec nous dans notre affaire, de venir avec nous devant le tribunal, et de trouver des moyens de défense, s'il y en a, de les présenter en notre lieu et place et de nous aider en toute circonstance qui puisse se produire devant ce ting.»

Alors Eyjolf sauta sur ses pieds, tout en colère: «Je ne permets à personne, dit-il, de se servir de moi comme d'un bouffon, et de me mettre en avant, quand je n'en ai pas envie. Je vois bien à présent où vous vouliez en venir avec toutes vos belles paroles.» Halbjörn le fort le prit par la main et le força à s'asseoir entre lui et Bjarni: «L'arbre ne tombe pas du premier coup, mon ami, lui dit-il; assieds-toi près de nous d'abord.» Flosi ôta de son bras un anneau d'or, et dit: «Je veux te donner cet anneau, Eyjolf, en retour de ton amitié et de ton aide, et par là, je te montrerai que je ne me moque pas de toi. Tu feras bien d'accepter cet anneau, car il n'y a nul homme ici au ting, à qui j'aie fait jamais un présent semblable.» L'anneau était si beau, si large et si bien travaillé, qu'il valait bien douze cents aunes de drap. Halbjörn le passa au bras d'Eyjolf. «Je crois, dit Eyjolf, que je vais accepter cet anneau, puisque tu agis si bien avec moi. Tu peux compter que je me chargerai de trouver des moyens de défense, et de faire tout ce qu'il faudra.»--« Vous vous êtes bien conduits tous les deux, dit Bjarni; et nous voici, Halbjörn et moi, tout trouvés pour être témoins qu'Eyjolf s'est chargé de l'affaire.»

Alors Eyjolf se leva, Flosi aussi, et ils se donnèrent la main. Eyjolf prit sur lui, des mains de Flosi, toute la conduite de la défense, et de tout nouveau procès qui pourrait résulter des moyens présentés; car il arrive souvent que la défense dans une cause devient poursuite dans une autre. Il se chargea de même de toutes les preuves à présenter dans cette affaire, soit devant le tribunal de district, soit devant le cinquième tribunal. Flosi lui délégua ses droits selon la loi, et Eyjolf les accepta selon la loi.

Alors Eyjolf dit à Flosi et à Bjarni: «Voici que je me suis chargé de l'affaire, comme vous m'en aviez prié. Mais je veux que pour l'instant vous teniez ceci caché. Si l'affaire vient devant le cinquième tribunal, gardez-vous bien de dire que vous m'avez fait un présent pour avoir mon secours.»

Alors Flosi se leva, et aussi Bjarni, et les autres. Flosi et Bjarni retournèrent chacun dans sa hutte. Mais Eyjolf vint à la hutte de Snorri le godi, et il s'assit à côté de lui. Ils parlèrent de bien des choses. Snorri prit le bras d'Eyjolf, releva sa manche, et vit qu'il avait un large anneau d'or. «As-tu acheté cet anneau, ou te l'a-t-on donné?» dit Snorri. Eyjolf ne trouvait rien à dire, et se taisait.--«Je vois bien, dit Snorri, que c'est un présent qu'on t'a fait. Puisse cet anneau ne pas te coûter la vie.» Eyjolf sauta de son siège et s'en alla, sans dire un mot. En le voyant se lever en telle hâte Snorri dit: «Je crois qu'avant que ce ting n'ait pris fin, tu sauras quel cadeau tu as accepté là.» Et Eyjolf s'en retourna dans sa hutte.


CXXXIX

Il faut revenir à Asgrim fils d'Ellidagrim. Ils se réunirent, lui et Kari fils de Sölmund, et aussi Gissur le blanc, et Hjalti fils de Skeggi, et Thorgeir Skorargeir, et Mörd fils de Valgard. Asgrim prit la parole: «Nous n'avons pas besoin, dit-il, de nous parler à part, car il n'y a ici que des hommes qui ont confiance les uns dans les autres. Je vous demande maintenant si vous savez quelque chose des desseins de Flosi. Car il faut, je crois, que nous aussi nous décidions ce que nous allons faire.»

Gissur le blanc répondit: «Snorri le Godi m'a envoyé dire que Flosi avait reçu des renforts nombreux des pays du Nord; et aussi qu'Eyjolf fils de Bölverk, son parent, avait accepté de quelqu'un un anneau d'or, et qu'il s'en cachait. Snorri dit qu'à ce qu'il croit ils ont décidé Eyjolf à présenter des moyens de défense dans leur affaire, et que l'anneau lui a été donné pour cela.» Ils furent tous d'avis qu'il devait en être ainsi.

Gissur reprit: «Voici mon gendre Mörd fils de Valgard, qui s'est chargé de la partie de l'affaire la plus dangereuse, de l'avis de tous; la poursuite contre Flosi. Je viens vous prier maintenant de vous partager le reste; car il sera bientôt temps de porter plainte au tertre de la loi. Il faut aussi que nous allions chercher du secours.»--«C'est ce que nous allons faire, dit Asgrim; mais nous te prierons de venir avec nous.» Gissur dit qu'il voulait bien.

Gissur choisit pour venir avec lui tous les hommes les plus sages de leur troupe. Il y avait là Hjalti fils de Skeggi, Asgrim, et Kari, et Thorgeir Skorargeir. «Nous irons d'abord, dit Gissur, chez Skapti fils de Thorod.» Et ils allèrent à la hutte de ceux d'Ölfus. Gissur le blanc marchait le premier, puis Hjalti, puis Kari, puis Asgrim, puis Thorgeir Skorargeir, puis ses frères. Ils entrèrent dans la hutte. Skapti était assis sur le banc du milieu. Dès qu'il vit Gissur le blanc il se leva pour venir à sa rencontre, lui souhaita la bienvenue, à lui et à tous les autres, et le pria de s'asseoir près de lui. Gissur le fit. Puis il dit à Asgrim: «Parle le premier, et demande son aide à Skapti; j'ajouterai ce qui me semblera bon.»

Asgrim dit: «Nous sommes venus ici, Skapti, te demander aide et secours.» Skapti répondit: «Vous avez bien vu la dernière fois qu'on ne venait pas à bout de moi, quand je n'ai pas voulu me charger de vos embarras.»--«Cette fois c'est autre chose, dit Gissur. Il s'agit de porter plainte pour la mort de Njal, et de Bergthora son épouse, qui ont été brûlés dans leur maison, sans l'avoir mérité, et aussi pour la mort des trois fils de Njal, et de maints autres braves hommes. Tu ne feras jamais pareille chose, de refuser ton aide à des hommes qui te la demandent, et qui sont tes parents et tes alliés.»

--«Skarphjedin m'a dit un jour, répondit Skapti, que j'avais enduit ma tête de goudron, et que j'avais levé une bande de gazon pour me cacher dessous. Il a dit aussi que j'avais si grande peur, que Thorolf fils de Lopt, d'Eyra, m'avait caché sur son vaisseau, parmi ses sacs de farine, et m'avait amené de la sorte en Islande; ce jour-là j'ai résolu de ne jamais porter plainte pour sa mort.»--«Il ne faut plus penser à ces choses, dit Gissur, celui qui a dit cela est mort. Tu me donneras bien ton aide, à moi, si tu ne veux pas le faire pour d'autres.»--«Ce n'est pas ton affaire, répondit Skapti; pourquoi as-tu été t'en mêler?»

Alors Gissur entra en grande colère et dit: «Tu n'es pas comme ton père; bien qu'il ne fallût pas toujours se fier à lui, il était du moins toujours prêt à porter secours à ceux qui avaient besoin de lui.»--«Nous ne sommes pas du même avis, vous et moi, dit Skapti. Vous croyez tous deux avoir fait de grandes choses, toi Gissur en attaquant Gunnar de Hlidarenda, et toi, Asgrim, en tuant Gauk, ton frère d'adoption.» Asgrim répondit: «Peu d'hommes disent le bien quand ils savent le mal, mais chacun te dira que je n'ai tué Gauk que lorsque j'y ai été forcé. On peut t'excuser de ne pas nous venir en aide, mais non pas de nous dire des injures. Je souhaite qu'avant la fin du ting, cette affaire tourne à ta honte, et qu'il ne se trouve personne pour t'en tirer.»

Alors Gissur et les siens se levèrent tous et sortirent. Ils allèrent à la hutte de Snorri le Godi, et ils y entrèrent. Il les reconnut tout de suite, et se leva pour venir à leur rencontre. Il dit qu'ils étaient tous les bienvenus, et leur fit place pour s'asseoir près de lui. Après quoi ils demandèrent quelles nouvelles on racontait. Asgrim dit à Snorri: «Nous sommes venus te demander ton aide, moi et mon parent Gissur.» Snorri répondit: «Tu parles comme il fallait s'y attendre; et tu as raison de porter plainte pour le meurtre de parents tels que les tiens. Nous avons reçu de Njal plus d'un bon conseil, quoique peu de gens s'en souviennent encore. Mais je ne sais pas de quelle sorte d'aide vous avez le plus besoin.»--«Nous avons besoin, dit Asgrim, qu'on nous mette en état de nous battre ici même au ting.»--«Il est vrai dit Snorri, qu'il y a des chances pour cela. Je prévois que vous irez de l'avant, hardiment, et qu'ils se défendront de même. Et aucun des deux partis ne pourra obtenir justice. Vous ne pourrez souffrir cela, vous les attaquerez, et vous n'aurez pas autre chose à faire; car ils vous feraient honte de la mort de vos parents, si vous la laissiez sans vengeance.» Il était facile de voir qu'il cherchait à les exciter.

«Tu parles bien, Snorri» dit Gissur le blanc, et quand on a besoin de toi, tu te montres toujours le plus vaillant de tous.»--«Je voudrais savoir, dit Asgrim, quelle aide tu nous donneras, si les choses se passent comme tu dis.»--Snorri répondit: «Je vous donnerai une preuve d'amitié qui vous fera grand honneur. Mais je n'irai pas avec vous au tribunal. Si vous devez vous battre au ting, ne les attaquez que si vous n'avez avec vous que des gens résolus; car vous aurez contre vous de rudes champions. Si vous êtes repoussés, faites-vous amener de notre côté; je tiendrai ma troupe ici, toute rangée en bataille, et je serai prêt à venir à votre secours. Si ce sont eux qui plient, j'ai idée qu'ils courront vers l'Almannagja, pour s'y fortifier. S'ils y arrivent, vous n'en viendrez jamais à bout. Je me charge donc de rassembler mes gens devant, et de les empêcher de s'y établir. Mais nous ne les poursuivrons pas s'ils s'enfuient le long de la rivière, soit vers le Nord, soit vers le Sud. Quand vous aurez tué assez des leurs pour faire face aux amendes à payer, sans y perdre vos dignités et votre droit de résider dans le pays, alors j'accourrai avec mes gens et je vous séparerai. Mais il faut que vous cessiez le combat dès que je vous en prierai, si j'ai fait de mon côté ce que je vous promets à présent.» Gissur lui fit de grands remerciements, et dit qu'il avait bien parlé, et prévu toutes les difficultés. Là-dessus, ils sortirent.

«Où allons-nous maintenant?» dit Gissur. «À la hutte de ceux de Mödruvöll.» dit Asgrim. Et ils y allèrent.


CXL

Comme ils entraient dans la hutte, ils virent Gudmund le puissant, assis, qui parlait avec Einar fils de Konal, son fils d'adoption. Einar était un homme sage. Asgrim et les autres s'avancèrent vers Gudmund. Il les accueillit bien, et fit faire place pour eux dans la hutte, de manière que tous pussent s'asseoir. Alors on se demanda les nouvelles. Asgrim dit: «Je n'ai pas à murmurer tout bas ce que j'ai à te dire: nous sommes venus ici pour te demander de nous prêter secours, hardiment.»--«Avez-vous déjà vu d'autres chefs?» demanda Gudmund. Ils répondirent qu'ils avaient été trouver Skapti fils de Thorod, et Snorri le godi, et ils lui dirent en confidence comment l'un et l'autre s'étaient comportés. Alors Gudmund dit: «Il n'y a pas longtemps que je vous ai fait des difficultés, et ce jour-là je ne me suis pas conduit en vaillant homme. Aujourd'hui je veux vous aider d'autant plus que j'ai fait alors plus de résistance. J'irai avec vous devant le tribunal, et tous mes hommes avec moi. Je vous aiderai en toutes choses à ce ting; je combattrai avec vous, s'il faut en venir là, et je mettrai ma vie en jeu pour la vôtre. Je veux aussi punir Skapti, en menant son fils Thorstein Holmud, au combat avec nous; il n'osera pas faire autre chose que ce que je veux, car il a pour femme ma fille Jodis, et Skapti sera forcé d'arriver pour nous séparer.»

Ils lui firent de grands remerciements, et parlèrent encore longtemps à voix basse, de manière à n'être entendus de personne. Gudmund les engagea à ne plus aller trouver d'autres chefs, pour se mettre à leurs pieds, disant que ce ne serait pas digne de vaillants hommes comme eux: «Nous tenterons l'aventure avec ce que nous avons de monde. Venez en armes à toutes les audiences, mais pour l'instant, évitez d'engager le combat.» Alors ils sortirent tous, et retournèrent à leurs huttes. Et ceci ne fut su que de très peu de gens. Le ting suivait son cours.


CXLI

Il arriva un jour que les hommes vinrent au tertre de la loi. Voici comme étaient placés les chefs: Asgrim fils d'Ellidagrim et Gissur le blanc, Gudmund le puissant et Snorri le godi étaient en haut, tout contre le tertre, et ceux des fjords de l'est se tenaient en bas, Mörd fils de Valgard était à côté de Gissur le blanc, son beau-père. Mörd était le plus beau parleur qu'il y eût au monde. Gissur prit la parole, et dit que Mörd allait porter plainte dans l'affaire de meurtre, et il l'engagea à parler haut pour que tous pussent l'entendre.

Mörd prit des témoins: «Vous m'êtes témoins, dit-il, que je dénonce comme qualifiée par la loi l'attaque de Flosi fils de Thord sur Helgi fils de Njal, attaque commise sur le lieu même où Flosi fils de Thord a fait à Helgi une blessure soit à la tête, soit à la poitrine, soit aux membres inférieurs, blessure qui s'est trouvée être mortelle, et au moyen de laquelle Helgi a reçu la mort. Je dis que pour cette action il mérite d'être proscrit, réduit à vivre dans les bois, qu'il doit être défendu à tout homme de le nourrir, de le transporter, de l'aider en nulle manière. Je dis que tous ses biens doivent être confisqués, moitié pour moi, moitié pour les juges du tribunal de district qui ont droit, selon la loi, sur les biens saisis. Je porte plainte, pour ce meurtre, devant le tribunal de district de qui ressort l'affaire, d'après la loi. Je porte plainte selon la loi. Je porte plainte de manière à être entendu de tous, au tertre de la loi. Je cite Flosi fils de Thord en justice cet été même, et je demande que la peine de la proscription lui soit appliquée dans son entier. Je porte plainte en vertu de la délégation de Thorgeir fils de Thorir.»

Il se fit une grande rumeur au tertre de la loi, et tous disaient qu'il avait bien parlé, et comme il fallait.

Mörd prit la parole une seconde fois: «Vous m'êtes témoins, dit-il, que je porte plainte contre Flosi fils de Thord pour la blessure qu'il a faite à Helgi fils de Njal, soit à la tête, soit à la poitrine, soit aux membres inférieurs, blessure qui s'est trouvée être mortelle, et au moyen de laquelle Helgi a reçu la mort sur le lieu même où Flosi fils de Thord a commis sur Helgi fils de Njal une attaque qualifiée par la loi. Je dis, Flosi, que pour cette action tu dois être proscrit, réduit à vivre dans les bois, qu'il doit être défendu de te nourrir, de te transporter, de t'aider en nulle manière. Je dis que tous tes biens doivent être confisqués, moitié pour moi, moitié pour les juges du tribunal de district qui ont droit, selon la loi, sur les biens saisis. Je porte plainte devant le tribunal de district de qui ressort l'affaire, d'après la loi. Je porte plainte selon la loi. Je porte plainte de manière à être entendu de tous, au tertre de la loi. Je cite Flosi fils de Thord en justice cet été même, et je demande que la peine de la proscription lui soit appliquée dans son entier. Je porte plainte en vertu de la délégation de Thorgeir fils de Thorir.»

Alors Mörd s'assit. Flosi l'avait écouté attentivement, mais il ne disait pas un mot.

Thorgeir Skorargeir se leva à son tour et prit des témoins: «Vous m'êtes témoins, dit-il, que je porte plainte contre Glum, fils d'Hildir, pour avoir pris du feu, l'avoir attisé, et porté l'incendie au domaine de Bergthorshval, où il a fait brûler dans leur maison Njal fils de Thorgeir et Bergthora, fille de Skarphjedin, et tous les autres hommes, qui ont été brûlés avec eux. Je dis que pour cette action il doit être proscrit, réduit à vivre dans les bois, qu'on n'ait ni à le nourrir, ni à le transporter, ni à l'aider en nulle manière. Je dis que tous ses biens doivent être confisqués, moitié pour moi, moitié pour les juges du tribunal de district qui ont droit, selon la loi, sur les biens saisis. Je porte plainte devant le tribunal de district de qui ressort l'affaire, d'après la loi. Je porte plainte selon la loi. Je porte plainte de manière à être entendu de tous, au tertre de la loi. Je cite Glum fils d'Hildir en justice, cet été même, et je demande que la peine de la proscription lui soit appliquée dans son entier.»

Kari, fils de Sölmund, porta plainte contre Kol fils de Thorstein, Gunnar fils de Lambi, et Grani fils de Gunnar. Et les gens dirent qu'il avait parlé merveilleusement bien. Thorleif Krak porta plainte contre tous les fils de Sigfus. Thorgrim le grand, son frère, porta plainte contre Modolf fils de Ketil, Lambi fils de Sigurd, et Hroar fils d'Hamund, frère de Leidolf le fort. Asgrim fils d'Ellidagrim porta plainte contre Leidolf, Thorstein fils de Geirleif, Arni fils de Kol, et Grim le rouge. Et ils parlèrent bien, tous. Après cela, d'autres portèrent plainte dans d'autres affaires. Et il se passa ainsi une bonne partie du jour. Puis, les hommes rentrèrent dans leurs huttes.

Eyjolf fils de Bölverk vint à la hutte de Flosi. Ils s'en allèrent derrière la hutte, du côté de l'est. Flosi dit à Eyjolf: «Vois-tu quelque moyen de défense dans cette affaire?»--«Aucun» dit Eyjolf. «Que me conseilles-tu?» dit Flosi. «Il est difficile de donner un conseil là-dessus, dit Eyjolf; je vais pourtant te dire le mien. Il faut que tu déposes ta dignité de godi, et que tu la transmettes à ton frère Thorgeir. Et toi, fais-toi inscrire parmi ceux qui vont au ting avec Askel le godi, fils de Thorketil, du Reykjardal, dans le pays du Nord. S'ils n'arrivent pas à savoir cela, il se peut qu'ils y trouvent leur perte; car ils porteront plainte contre toi devant le tribunal des fjords de l'est quand il eût fallu le faire devant le tribunal des districts du Nord. Et il est probable qu'ils n'y feront pas attention. Alors tu auras un recours contre eux devant le cinquième tribunal, s'ils ont porté plainte devant un autre tribunal que celui qu'il fallait. Et nous pourrons reprendre l'affaire, mais nous ne ferons cela que comme dernière ressource.»

--«Je crois, dit Flosi, que nous voici bien payés de notre anneau.»--«Je n'en sais rien, dit Eyjolf, mais je veux vous conseiller si bien, que les gens soient forcés de dire qu'on ne saurait mieux faire. Et maintenant, envoie chercher Askel. Il faut aussi que Thorgeir vienne te trouver tout de suite, et un homme avec lui.»

Peu après, Thorgeir arriva, et Flosi lui transmit son siège de Godi. Puis Askel vint à son tour. Flosi déclara qu'il se rangeait parmi ceux qui le suivaient au ting. Ceci resta entre eux, et ne vint à la connaissance de personne.


CXLII

Le temps se passe et on vient au moment où les affaires doivent être jugées.

Des deux côtés, ils firent leurs préparatifs et s'armèrent. Ils avaient mis les uns et les autres des marques de ralliement à leurs casques.

Thorhal, fils d'Asgrim, lui dit: «Prenez garde d'aller trop vite, mon père, mais faites en toutes choses selon la loi. S'il survient quelque difficulté, faites-le moi savoir au plus vite, et je viendrai vous aider de mes conseils.» Asgrim et les siens le regardèrent. Son visage était rouge comme du sang, et de grosses gouttes, comme de la grêle, sortaient de ses yeux. Il se fit apporter sa lance, que Skarphjedin lui avait donnée; c'était le joyau le plus précieux qu'on pût voir.

Comme ils s'en allaient, Asgrim dit: «Mon fils Thorhal n'était pas à son aise quand nous l'avons laissé dans la hutte. Je ne sais ce qu'il médite de faire. Mais nous, allons trouver Mörd fils de Valgard, et ne pensons plus à rien d'autre; car c'est plus grosse affaire de s'en prendre à Flosi qu'à personne.»

Alors Asgrim envoya chercher Gissur le blanc, et Hjalti fils de Skeggi, et Gudmund le puissant. Ils vinrent tous ensemble et s'en allèrent sur le champ au tribunal des fjords de l'Est. Ils se mirent au Sud du tribunal. Flosi et tous ceux des fjords de l'Est prirent place au Nord. Il y avait là aussi, avec Flosi, ceux du Reykdal, de l'Öxfjord et de Ljosvatn. Il y avait aussi Eyjolf fils de Bölverk. Flosi se pencha vers Eyjolf et lui dit: «Voilà qui va bien, et je crois que les choses vont se passer comme tu l'as dit.»--«N'en dis rien à personne, dit Eyjolf; il nous faudra peut-être employer ce moyen.»

Mörd fils de Valgard prit des témoins; puis il somma tous ceux qui avaient à porter devant le tribunal des accusations entraînant la proscription, de tirer au sort, à qui porterait plainte le premier, qui ensuite, qui en dernier lieu. Il déclara qu'il faisait cette sommation selon la loi, devant le tribunal, de manière que les juges pussent l'entendre. On tira au sort, et il fut désigné pour porter plainte le premier.

Mörd fils de Valgard prit des témoins une seconde fois. «Vous m'êtes témoins, dit-il, que je retire toutes les erreurs que je pourrais commettre en présentant cette affaire, en disant trop, ou mal. Je me réserve le droit de rectifier mes paroles, jusqu'à ce que j'aie présenté ma plainte dans la forme légale. Je vous prends à témoins de ceci, pour moi et pour tous ceux qui pourront avoir à récuser votre témoignage ou à en profiter.»

Mörd fils de Valgard prit encore des témoins: «Vous m'êtes témoins, dit-il, que je somme Flosi fils de Thord, ou tout autre qui s'est chargé de sa défense à sa place, d'entendre mon serment, et mon exposé de l'affaire, et aussi toutes les preuves que je me propose d'apporter contre lui. Je lui fais cette sommation selon la loi, devant le tribunal, et de manière que les juges puissent nous entendre de leur siège au tribunal.»

Mörd fils de Valgard parla encore: «Vous m'êtes témoins, dit-il, que je prête serment sur le livre, le serment prescrit par la loi, et que je jure devant Dieu de poursuivre cette affaire en la manière la plus véridique, la plus juste et la plus conforme à la loi, aussi longtemps que je serai mêlé à cette affaire.»

Après cela il dit encore: «J'ai pris à témoins Thorod, et aussi Thorbjörn; je les ai pris à témoins que j'ai porté plainte pour l'attaque, qualifiée par la loi, commise par Flosi fils de Thord, sur le lieu même où Flosi fils de Thord a commis cette attaque, qualifiée par la loi, sur Helgi fils de Njal, quand Flosi fils de Thord a fait à Helgi fils de Njal une blessure, soit à la tête, soit à la poitrine, soit aux membres inférieurs, blessure qui s'est trouvée être mortelle, et au moyen de laquelle Helgi a reçu la mort. J'ai dit que pour cette cause il méritait d'être proscrit, réduit à vivre dans les bois, qu'on n'eût ni à le nourrir, ni à le transporter, ni à l'aider en nulle manière. J'ai dit qu'il fallait que ses biens fussent confisqués, moitié pour moi, moitié pour les juges du district qui ont droit, d'après la loi, sur les biens saisis. J'ai porté plainte devant le tribunal de district de qui ressort l'affaire, selon la loi. J'ai porté plainte selon la loi. J'ai porté plainte de manière que tous pussent m'entendre, au tertre de la loi. J'ai cité Flosi fils de Thord en justice, cet été même, et j'ai demandé que la peine de la proscription lui fût appliquée dans son entier. J'ai porté plainte en vertu de la délégation de Thorgeir fils de Thorir. J'ai porté plainte dans les termes mêmes que je viens d'employer maintenant dans mon exposé de l'affaire. Et ma poursuite en proscription, ainsi engagée, je la porte devant le tribunal des fjords de l'est, à la charge de N... comme je l'ai déclaré le jour où j'ai porté plainte.»

Mörd dit encore: «J'ai pris à témoin Thorod, et aussi Thorbjörn; je les ai pris à témoins que j'ai porté plainte contre Flosi fils de Thord, pour avoir fait à Helgi fils de Njal une blessure soit à la tête, soit à la poitrine, soit aux membres inférieurs, blessure qui s'est trouvée être mortelle et au moyen de laquelle Helgi a reçu la mort, sur le lieu même où Flosi fils de Thord a commis sur Helgi, fils de Njal, une attaque qualifiée par la loi. J'ai dit que pour cette cause il méritait d'être proscrit, réduit à vivre dans les bois, qu'on n'eût ni à le nourrir, ni à le transporter, ni à l'aider en nulle manière. J'ai dit qu'il fallait que ses biens fussent confisqués, moitié pour moi, moitié pour les juges du tribunal de district qui ont droit, suivant la loi, sur les biens saisis. J'ai porté plainte devant le tribunal de district de qui ressort l'affaire, selon la loi. J'ai porté plainte selon la loi. J'ai porté plainte de manière que tous pussent m'entendre, au tertre de la loi. J'ai cité Flosi fils de Thord, en justice, cet été même, et j'ai demandé que la peine de la proscription lui fût appliquée dans son entier. J'ai porté plainte en vertu de la délégation de Thorgeir fils de Thorir. J'ai porté plainte dans les termes mêmes, que je viens d'employer maintenant dans mon exposé de l'affaire. Et ma poursuite en proscription ainsi engagée, je la porte devant le tribunal des fjords de l'est, à la charge de N..., comme je l'ai déclaré le jour où j'ai porté plainte.»

Alors ceux que Mörd avait pris à témoins quand il avait porté plainte s'avancèrent devant le tribunal, et prirent la parole en cette manière: l'un d'eux donna son témoignage, et tous deux ensuite le confirmèrent d'une seule voix: «Mörd a pris à témoins, dit le premier, Thorod, et moi qui m'appelle Thorbjörn,» et il ajouta le nom de son père, «Mörd nous a pris tous deux à témoins qu'il portait plainte contre Flosi fils de Thord, pour l'attaque, qualifiée par la loi, commise par lui sur Helgi fils de Njal, au lieu même où Flosi fils de Thord a fait à Helgi fils de Njal une blessure, soit à la tête, soit à la poitrine, soit aux membres inférieurs, blessure qui s'est trouvée être mortelle, et au moyen de laquelle Helgi a reçu la mort. Il a dit que pour cette cause Flosi méritait d'être proscrit, réduit à vivre dans les bois, qu'on n'eût ni à le nourrir, ni à le transporter, ni à l'aider en nulle manière. Il a dit qu'il fallait que tous ses biens fussent confisqués, moitié pour lui Mörd, moitié pour les juges du tribunal de district qui ont droit, suivant la loi, sur les biens saisis. Il a porté plainte devant le tribunal de district de qui ressort l'affaire, selon la loi. Il a porté plainte selon la loi. Il a porté plainte de manière que tous pussent l'entendre, au tertre de la loi. Il a cité Flosi, fils de Thord, en justice, cet été même, et il a demandé que la peine de la proscription lui fût appliquée dans son entier. Il a porté plainte en vertu de la délégation de Thorgeir fils de Thorir. Il a porté plainte dans les termes mêmes qu'il vient d'employer dans son exposé de l'affaire et que nous employons maintenant pour notre témoignage. Voici que nous avons déposé notre témoignage, dans les formes, et tout d'une voix. Et ce témoignage, ainsi conçu, nous le portons devant le tribunal des fjords de l'est, à la charge de N... comme Mörd l'a déclaré quand il a porté plainte.»

Une seconde fois ils déposèrent leur témoignage devant le tribunal, mettant la blessure la première, et l'attaque en dernier lieu, et se servant des même paroles que la première fois. Ils dirent qu'ils déposaient leur témoignage, ainsi conçu, devant le tribunal des fjords de l'Est, comme Mörd l'avait déclaré quand il avait porté plainte.

Alors, ceux que Mörd avait pris à témoins quand Thorgeir lui avait remis sa cause, s'avancèrent devant le tribunal. L'un des deux prononça le témoignage, et tous deux ensemble le confirmèrent tout d'une voix: «Mörd fils de Valgard et Thorgeir fils de Thorir, dirent-ils, nous ont pris à témoins que Thorgeir fils de Thorir avait remis aux mains de Mörd fils de Valgard, sa cause et son droit de poursuite contre Flosi fils de Thord, pour le meurtre d'Helgi fils de Njal. Il lui a remis sa cause de manière à le mettre en son lieu et place dans toute la procédure qui s'ensuivra. Il lui a remis sa cause pour la poursuivre ou pour faire la paix avec les mêmes droits que si c'était à lui Mörd, comme au plus proche, que la vengeance appartint. Thorgeir lui a remis sa cause selon la loi, et Mörd s'en est chargé selon la loi.» Et ils déposèrent leur témoignage ainsi conçu devant le tribunal des fjords de l'Est, à la charge de N... comme Thorgeir et Mörd les avaient mis en demeure de le faire, en les prenant à témoins.

On fit prêter serment à tous les témoins, avant de donner leur témoignage, et aux juges aussi.

Alors Mörd fils de Valgard prit des témoins: «Vous m'êtes témoins, dit-il, que j'invite les neuf voisins du lieu du meurtre, que j'ai cités à comparaître dans cette affaire, quand j'ai porté plainte contre Flosi fils de Thord, à prendre place à l'ouest sur le bord de la rivière, et à se tenir prêts à faire leur déclaration. Je leur fais sommation selon la loi, devant le tribunal, et de manière que les juges puissent m'entendre.»

Encore une fois, Mörd fils de Valgard prit des témoins: «Vous m'êtes témoins, dit-il, que je somme Flosi fils de Thord, ou tout autre qu'il aurait chargé de sa défense en son lieu et place, d'avoir à reprocher la déclaration de ces hommes que j'ai placés à l'ouest, sur le bord de la rivière. Je lui fais sommation selon la loi, de manière que les juges puissent m'entendre de leur siège au tribunal.»

Mörd prit encore des témoins: «Vous m'êtes témoins, dit-il, que voici terminée toute la procédure préparatoire à employer dans cette affaire: le tribunal sommé d'avoir à entendre mon serment, le serment prêté, la cause exposée, les témoins de la plainte produits, les témoins de la transmission des droits produits également, les voisins du lieu du meurtre invités à prendre place, Flosi sommé d'avoir à reprocher leur déclaration. Je prends ces hommes à témoins de tous ces préliminaires déjà accomplis, et encore de ceci, que je ne veux pas être réputé avoir abandonné la cause, si je quitte le tribunal pour apporter des preuves, ou pour tout autre motif.»

Alors Flosi et les siens allèrent à l'endroit où les voisins du lieu du meurtre étaient assis. Flosi dit: «Les fils de Sigfus doivent savoir si ces voisins du lieu du meurtre, qui ont été cités ici, l'ont été légalement.» Ketil de Mörk répondit: «Il y en a un parmi eux, qui a tenu Mörd fils de Valgard sur les fonts du baptême; il y en a un autre qui est son parent au troisième degré.» Et ils comptèrent les degrés de parenté, et confirmèrent leur dire par serment. Eyjolf prit des témoins, et constata que la déclaration des voisins était suspendue jusqu'à ce qu'on eût fini de les reprocher. Il prit des témoins une seconde fois: «Vous m'êtes témoins, dit-il, que je récuse ces deux hommes, et les ôte du nombre de ceux qui ont à faire la déclaration (et il les nomma par leur nom, et le nom de leurs pères) pour cette cause, que l'un est parent de Mörd au troisième degré, et l'autre son compère, à raison de quoi la loi me permet de les récuser. Vous êtes, selon la loi, incapables de prendre part à la déclaration; car vous voici récusés par un moyen légal. Je vous récuse donc, d'après la coutume de l'Alting et la loi du pays. Je vous récuse en vertu de la délégation de Flosi, fils de Thord.»

Alors tout le peuple éleva la voix, pour dire que la cause de Mörd était réduite à néant. Et tous étaient d'avis que la défense valait mieux que l'accusation.

Asgrim dit à Mörd: «Ils ne sont pas encore venus à bout de nous, quoiqu'il leur semble qu'ils avancent vite. Envoyons dire ceci à Thorhal mon fils, et sachons quel conseil il nous donnera.»

On envoya à Thorhal un homme sûr, qui lui dit par le menu où en était l'affaire, et comment Flosi pensait avoir réduit à néant la déclaration. Thorhal dit: «Je vais faire en sorte que la cause ne soit pas perdue pour cela; dis-leur de ne pas en croire les autres, s'ils leur font des chicanes; avec toute sa sagesse, Eyjolf s'est embrouillé. Retourne là bas au plus vite, dis à Mörd fils de Valgard de s'avancer devant le tribunal, et de prendre des témoins, comme quoi leur récusation est nulle,» et il lui dit en grand détail ce qu'il y avait à faire.

Le messager revint et leur dit les conseils de Thorhal. Alors Mörd fils de Valgard s'avança devant le tribunal et prit des témoins: «Vous m'êtes témoins, dit-il, que je déclare la récusation d'Eyjolf fils de Bölverk nulle et de nul effet. Je me fonde sur ce qu'il a récusé ces hommes, non pour leur parenté avec le véritable plaignant, mais pour leur parenté avec celui qui s'est chargé de la cause. Je prends ceux-ci à témoins, pour moi et pour ceux qui pourraient avoir besoin de leur témoignage.» Puis il produisit le témoignage devant le tribunal. Après cela il vint à l'endroit où les voisins étaient placés, et dit à ceux qui s'étaient levés de se rasseoir, déclarant qu'ils avaient été bien et dûment choisis.

Alors tous dirent que Thorhal avait fait de grandes choses. Et il leur semblait à tous que la poursuite valait mieux que la défense.

Flosi dit à Eyjolf: «Penses-tu que ceci soit légal?»--«Certes je le pense, dit Eyjolf, et assurément nous nous étions trompés. Mais nous allons leur donner un nouvel assaut.» Et Eyjolf prit des témoins: «Vous m'êtes témoins, dit-il, que je récuse ces deux hommes du nombre de ceux qui ont à faire la déclaration» et il les nomma tous deux par leur nom «pour cette cause qu'ils sont habitants, mais non propriétaires. Je vous refuse à tous deux, le droit de prendre part à la déclaration, car vous voici récusés par un moyen légal. Je vous récuse donc, d'après la coutume de l'Alting, et la loi du pays.» Et Eyjolf dit à Flosi: «Ou je me trompe fort, ou ils n'arriveront pas à mettre ceci à néant ».

Et tous dirent que la défense valait mieux que l'accusation. Ils louaient grandement Eyjolf, et disaient qu'il n'avait pas son pareil pour sa connaissance de la loi.

Alors Mörd, fils de Valgard, et Asgrim fils d'Ellidagrim, envoyèrent dire à Thorhal ce qui s'était passé. Quand Thorhal eut entendu cela, il demanda si ces hommes avaient quelque bien. Le messager répondit que l'un deux, vivait de la vente de ses laitages, et possédait des vaches et des moutons. «L'autre, dit-il, possède le tiers des terres qu'il cultive, et il se suffit à lui-même. Lui et son bailleur ont un seul foyer, et un seul berger pour tous deux. Thorhal dit: «Il en sera comme tout à l'heure, et ils se sont trompés encore cette fois. Je n'aurai pas de peine à mettre ceci à néant, malgré tous les grands mots d'Eyjolf pour nous dire que ceci est légal. Et Thorhal dit au messager dans le plus grand détail ce qu'il y avait à faire.

Le messager revint, et dit à Mörd et à Asgrim ce qu'avait conseillé Thorhal. Mörd s'avança devant le tribunal et prit des témoins: «Vous m'êtes témoins, dit-il, que je déclare la récusation d'Eyjolf fils de Bölverk nulle et de nul effet. Je me fonde sur ce qu'il a récusé, du nombre de ceux qui ont à faire la déclaration, des hommes qui en étaient légalement. Tous deux ont droit d'en être, celui qui possède trois cents de terres, ou davantage, quoiqu'il n'ait pas de bétail; et celui qui élève du bétail, quoiqu'il n'ait pas de terres à ferme.» Et il produisit le témoignage devant le tribunal. Puis il vint à l'endroit où les voisins étaient placés. Il leur dit de se rasseoir, et qu'ils étaient bien et dûment choisis pour faire la déclaration.

Alors il s'éleva une grande clameur. Tous disaient que la cause de Flosi et d'Eyjolf était en mauvais point, et ils étaient d'accord pour dire que l'accusation valait mieux que la défense.

Flosi dit à Eyjolf: «Ceci est-il légal?» Eyjolf répondit qu'il n'était pas assez habile pour en être tout à fait sûr. Ils envoyèrent donc quelqu'un à Skapti, l'homme de la loi, pour lui demander si c'était légal. Il leur fit répondre que c'était bien selon la loi, quoique peu de gens en eussent connaissance. Et cela fut redit à Flosi et à Eyjolf.

Alors Eyjolf fils de Bölverk demanda aux fils de Sigfus ce qu'il en était des autres voisins cités. Ils dirent qu'il y en avait quatre cités à tort «car d'autres qui demeuraient plus près qu'eux sont à l'heure qu'il est dans leurs maisons.» Alors Eyjolf prit des témoins, et récusa les quatre hommes du nombre de ceux qui avaient à faire la déclaration, disant qu'il les récusait pour un motif légal. Après quoi il dit aux autres: «Vous êtes tenus de rendre justice aux deux parties. Il faut donc que vous vous présentiez devant le tribunal, quand on va vous appeler, et que vous preniez des témoins comme quoi vous vous trouvez dans l'impossibilité de faire votre déclaration, n'étant plus que cinq, quand vous devriez être neuf. Et maintenant Thorhal est capable de mener à bien tous les procès du monde, s'il trouve remède à ceci.»

Flosi et Eyjolf avaient l'air de gens qui sont sûrs de leur affaire. Il se fit une grande rumeur, et on disait que l'accusation de meurtre était réduite à néant, et que cette fois la défense valait mieux que la poursuite.

Asgrim dit à Mörd: «Il n'est pas dit qu'ils aient raison de se vanter si fort, tant que nous n'aurons pas fait savoir ceci à mon fils Thorhal. Njal m'a dit qu'il avait si bien instruit Thorhal dans la loi, qu'il serait le meilleur homme de loi de toute l'Islande, et qu'il le prouverait un jour.»

On envoya donc dire à Thorhal ce qui s'était passé, et l'insolence de Flosi et des siens, et le bruit qui courait que l'accusation de meurtre, portée par Mörd et Asgrim, était réduite à néant. «Ils auront du bonheur, dit Thorhal, si ceci ne tourne pas à leur honte. Va dire à Mörd qu'il prenne des témoins, et prête serment que le plus grand nombre des voisins a été bien et dûment choisi. Il produira ce témoignage devant le tribunal, et il déclarera qu'il est en droit de poursuivre l'accusation. Il aura à payer une amende de trois marcs pour chacun de ceux qu'il a cités à tort. Mais il ne pourra être poursuivi pour cela à ce ting.»

Le messager revint et redit à Mörd et à Asgrim, par le menu, toutes les paroles de Thorhal. Mörd s'avança devant le tribunal, il prit des témoins et prêta serment que le plus grand nombre des voisins avait été bien et dûment choisi. Il déclara qu'il était en droit de poursuivre l'accusation. «Et il faut, dit-il, que nos ennemis se vantent d'autre chose que de nous avoir trouvés en défaut grave.» Alors une grande clameur s'éleva: on disait que Mörd menait bien son affaire, et que Flosi et les siens n'avançaient qu'à force de chicanes et de détours.

Flosi demanda à Eyjolf si cela était légal. Eyjolf répondit qu'il n'en était pas sûr, et que c'était à l'homme de la loi à en décider. Alors Thorkel fils de Geitir alla de leur part dire à l'homme de la loi ce qui s'était passé, et il lui demanda si ce qu'avait dit Mörd était légal. Skapti répondit: «Il y a maintenant plus de gens habiles dans la loi que je ne croyais. Il faut bien le dire, ceci est légal de toute manière, et il n'y a pas moyen d'aller à l'encontre. Je croyais être le seul à savoir cela, depuis que Njal est mort; car lui seul, à ma connaissance, le savait.»

Thorkel retourna vers Flosi et Eyjolf et leur dit que la chose était légale. Alors Mörd fils de Valgard s'avança devant le tribunal et prit des témoins: «Vous m'êtes témoins, dit-il, que je somme ces voisins, que j'ai cités ici quand j'ai intenté ma poursuite contre Flosi fils de Thord, de faire leur déclaration, soit pour, soit contre lui. Je leur fais sommation selon la loi, devant le tribunal, de manière que les juges puissent l'entendre de leur siège au tribunal.»

Alors les voisins de Mörd s'avancèrent devant le tribunal. L'un d'eux prononça la déclaration, et les autres la confirmèrent tout d'une voix. Ils parlèrent ainsi: «Mörd fils de Valgard nous a cités ici, nous neuf hommes libres. Nous voici cinq à présent, quatre d'entre nous ayant été récusés. On a constaté devant témoins l'absence de ces quatre qui devaient déposer avec nous. Nous avons maintenant à déposer notre déclaration, comme la loi nous y oblige. Nous avons été cités pour faire notre déclaration sur ce point, s'il est vrai que Flosi fils de Thord a commis sur Helgi fils de Njal une attaque qualifiée par la loi, sur le lieu même où Flosi fils de Thord a fait à Helgi fils de Njal une blessure, soit à la tête, soit à la poitrine, soit aux membres inférieurs, blessure qui s'est trouvée être mortelle, et au moyen de laquelle Helgi a reçu la mort. Mörd nous a sommés de n'omettre aucune des paroles que la loi nous oblige à prononcer, qu'il réclame de nous devant le tribunal, et qui sont de rigueur dans ces poursuites. Il nous a fait sommation selon la loi. Il nous a fait sommation de manière que nous pussions l'entendre. Il nous a fait sommation en vertu de la délégation de Thorgeir fils de Thorir. Voici maintenant que nous avons tous prêté serment, et rendu notre déclaration légale. Nous nous sommes mis d'accord, tous. Nous déposons donc notre déclaration, et nous la déposons contre Flosi fils de Thord. Nous déclarons qu'il est véritablement coupable dans cette affaire. Et nous déposons cette déclaration des neuf voisins, ainsi conçue, devant le tribunal des fjords de l'Est, à la charge de N... comme Mörd nous a sommés de le faire. Et ceci est notre déclaration.» Ainsi parlèrent-ils.

Une seconde fois ils déposèrent leur déclaration, mettant la blessure d'abord et l'attaque ensuite, et en se servant pour le reste des mêmes paroles que la première fois. Ils dirent qu'ils prononçaient contre Flosi, et qu'ils le déclaraient véritablement coupable dans cette affaire.

Mörd fils de Valgard s'avança devant le tribunal et prit des témoins, comme quoi les voisins qu'il avait cités, quand il avait intenté sa poursuite contre Flosi fils de Thord, avaient déposé leur déclaration contre lui, et avaient déclaré qu'il était véritablement coupable dans cette affaire. Il dit qu'il les prenait à témoins, pour lui et pour tous ceux qui pourraient avoir à profiter de leur témoignage, ou à le récuser.

Une seconde fois Mörd prit des témoins: «Vous m'êtes témoins, dit-il, que je somme Flosi fils de Thord, ou tout autre qui s'est chargé légalement de sa défense, de venir présenter ses moyens de défense contre l'accusation à lui intentée par moi; car voici accomplis tous les préliminaires que la loi nous obligeait d'employer dans cette affaire: tous les témoignages déposés, ainsi que la déclaration des voisins; et les témoins pris de la déclaration, comme de toutes les autres formalités remplies. S'il se présente dans leur défense telle chose qui me donne contre eux un nouveau motif de poursuite, je me réserve le droit d'en faire usage. Je fais sommation à Flosi, selon la loi, devant le tribunal et de manière que les juges puissent m'entendre.»

«Je ris d'avance, Eyjolf, dit Flosi, en pensant comme ils vont froncer les sourcils et se gratter la tête, quand tu vas présenter notre moyen de défense.»


Chargement de la publicité...