Le chasseur noir
XI
UN NOUVEAU PERSONNAGE
Le petit camp de Nick Whiffles était comme un oasis dans le désert, si loin s'étendaient les chaînes de montagnes; si vastes se déployaient les prairies; si nombreux étaient les fleuves et les lacs; si grande était la distance jusqu'aux confins de la civilisation.
Au moment où l'instinct des deux chiens fut brusquement éveillé, le soleil s'abaissait derrière la cabane et plaquait d'or les arêtes des pics altiers.
Pathaway sauta sur ses armes et courut à la porte.
L'ours gris fut la première chose qu'il aperçut.
On s'attendait si peu à cette apparition que tous, Nick excepté, tressaillirent.
—N'ayez pas peur, n'ayez pas peur, dit-il. C'est seulement l'ours apprivoisé dont je vous ai parlé. Ne le touchez point Pathaway. Je m'en vas le renvoyer. Il me connaît.—Dehors, maudite vermine!
—Nicolas prononça précipitamment ces paroles et avec une accentuation qui ne lui était pas ordinaire.
Il craignait sans doute que l'animal n'attirât l'attention particulière de ses hôtes. En même temps, il le poussait devant lui et l'ours battait rapidement en retraite, mais avec des grognements formidables.
Bientôt homme et bête eurent disparu. Nick resta absent une dizaine de minutes, et quand il revint à la hutte, on remarqua qu'il était soucieux et triste.
Ayant observé que Pathaway et Sébastien l'examinaient attentivement,
il tâcha de recouvrer la gaîté. Mais ses efforts mêmes le trahissaient.
D'ailleurs on le vit prendre pour son cheval des précautions inusitées.
Il l'appela et l'attacha solidement près de la porte.
Tandis qu'il s'occupait à cette besogne, Sébastien se glissa vers lui et d'un ton bas:
—Il y a du danger, n'est-ce pas, Nicolas?
—Bonté divine! mais non, il n'y a pas la plus petite difficulté, pas la plus petite! et c'est drôle, car il y a un monde de difficultés ici, et il y en aura toujours plus ou moins… surtout plus, ô Dieu oui! Je pourrais te raconter un tas de difficultés que j'ai eues, et ça durerait, vois-tu, petiot, d'aujourd'hui à demain, rien que pour t'en indiquer une. Mais rappelle-toi que quelle que soit la difficulté, qui arrive il y aura toujours près de toi quelqu'un qui n'aura pas peur de la rencontrer.
—J'en suis bien sûr, oh! bien sûr! répliqua chaleureusement Sébastien.
Puis il ajouta avec hésitation et un ton bas:
—Mais cet homme, ce Pathaway?
—Ah! je t'entends, je t'entends, fit Nick en souriant. On en aura soin, mon Sébastien, quoiqu'il ait l'air d'un gaillard bien capable de songer à lui. Tu l'as vu, il n'y a pas longtemps, se tirer en brave d'une diablesse de petite difficulté. Mais rentrons; celui dont nous parlons a maintenant l'oeil sur nous. Il épie tout. C'est singulier comme il te surveille parfois.
—Peut-être méprise-t-il ma faiblesse, répliqua Sébastien en rougissant.
—Parfois ça pourrait bien être ça; mais parfois aussi, ça pourrait bien être autre chose…, oui, autre chose. Je sais ce que je veux dire. C'est comme si tu lui rappelais une créature à laquelle il n'aime pas à penser. Il y a du trouble, vois-tu, dans son esprit. Ça lui donne l'apparence d'une matinée brumeuse. Il ne dort pas bien la nuit. Il rêve, tressaute et marmotte des paroles comme un meurtrier, c'est-à-dire, non, pas comme un meurtrier, mais plutôt comme un jeune homme qui a été désappointé en amour.
Nick fit une pause, et, arrachant des profondeurs les plus basses de sa poitrine un soupir, mi-partie lamentable, mi-partie sentimental comme il en jaillit des souvenirs à moitié ensevelis, il s'exclama:
—O Dieu, oui!
—Sébastien était agité.
Le bon trappeur avait touché une corde sensible dans cette sortie soudaine sur les bords de l'océan des émotions. Il se retourna pour cacher un mouvement de trouble.
Nick secoua la tête comme si une pensée brillait devant son cerveau, mais il demeura silencieux.
—Montagnard, demanda alors Sébastien affectant d'être joyeux, avez-vous jamais été désappointé en amour?
Nicolas, qui marchait au moment où cette question lui fut posée, s'arrêta court comme s'il avait reçu autour du cou un lazzo mexicain.
—Désappointé! mon garçon, désappointé! Nous sommes tous plus ou moins désappointés, plutôt plus que moins. Oui…
Il aspira longuement l'air et poursuivit:
—Oui, je puis dire que j'ai été désappointé. Il fut un temps où l'aspect de deux beaux yeux, d'une jolie bouche et d'un petit pied gentillement chaussé me mettaient de la poudre dans le sang. Mais n'en parlons plus. Ce qui est passé est passé. Quand l'occasion se présentera, je te dirai peut-être une histoire, peut-être bien aussi que non; car à quoi bon revenir sur ce qui n'est plus? Ma maxime, c'est qu'il faut rire des vieilles petites difficultés et s'armer constamment pour affronter les nouvelles.
Là-dessus, il rentra dans la hutte. Mais à peine y avait-il mis le pied que les chiens aboyèrent une seconde fois.
—Le trappeur fronça les sourcils et s'avança vers la porte qui s'ouvrit alors pour livrer passage à un homme d'un extérieur repoussant.
Sa physionomie était basse et sournoise, ses vêtements en haillons; des trappes rouillées pendaient à son dos. Un mauvais fusil et un couteau tout ébréché composaient ses armes.
Il avait le visage, le cou et les mains affreusement sales les cheveux dans un état de désordre étudié. Il voulait évidemment faire croire qu'il venait de loin, et que la faim l'avait tourmenté dans son voyage; mais un oeil exercé ne pouvait manquer de découvrir l'artifice; car ses joues n'étaient pas creusées et pâlies comme celles de l'homme qui est resté longtemps privé de nourriture: plutôt sa personne annonçait un homme bien repu qui a peu marché.
Il s'assit sur un tronc d'arbre, promena un regard scrutateur sur ce qui l'entourait, jeta ses trappes à terre, plaça son fusil entre ses jambes et salua la compagnie par ces paroles:
—Comment ça va, vous autres?
—Bien, merci. J'espère que vos gens sont bien aussi, répondit sèchement
Nick.
—Nos gens! je n'ai pas vu de nos gens ces mois derniers; car j'étais allé chasser dans les prairies de la Saskatchaouane près de l'extrémité de la branche Sud et j'ai failli y mourir de faim. Les Pieds-noirs m'ont joué de vilains tours. Je suis heureux de revoir des blancs. Mes hardes sont un peu en loques; mais je pense que ça ne fait pas de différence pour des chrétiens.
Le nouveau venu paraissait ne pas plaire au chasseur noir et son aspect avait considérablement ému Sébastien.
—Comment vous appelez-vous? demanda Nick.
—Hendricks, chez les civilisés, répliqua l'étranger en jetant un coup d'oeil sur Portneuf.
—Comment se fait-il que vous soyez tombé sur mon camp? continua le trappeur d'un ton dur et qui contrastait vivement avec les façons qu'il déployait d'habitude envers les hôtes que le hasard lui envoyait.
—Singulière question à faire à un franc-trappeur qui a faim et qui flairerait un morceau de viande à douze milles à la ronde!
Il ramena lentement ses regards de Portneuf à Sébastien; et on le vit changer tout à coup.
Sa mâchoire inférieure s'abaissa. Il resta bouche béante avec une expression d'étonnement, de curiosité et une sorte d'effroi.
Ce fut l'affaire d'une seconde. Mais Hendricks avait vu ou redouté une chose qu'il ne pouvait plus désormais oublier. Si ses traits basanés eussent été débarrassés de la fange qui les masquait, on les eût trouvés plus défaits que ceux d'André Jeanjean.
Nick, qui était en train de ranimer le feu, ne remarqua point l'émoi soudain de son visiteur; toutefois Pathaway le surprit et chercha à se l'expliquer.
—Ce'n'est pas une singulière question, répliqua Whiffles. Je donne volontiers à manger et à boire quand j'ai de quoi, mais j'aime à savoir à qui je donne, car il y a dans ces cantons des gens qui ne valent pas la corde pour les pendre.
Et il ponctua cette phrase de son affirmation favorite
—O Dieu, oui!
—Je ne suis pas de ceux-là, commença l'étranger…
—Sais pas, sais pas, interrompit Niok. Je ne suis pas votre juge et tant mieux pour vous, je vous jugerais trop sévèrement, car, voyez-vous, vous n'avez pas une de ces bonnes figures franches comme je les aime, oui bien, je le jure, votre serviteur!
Hendricks se dressa tout d'une pièce en mâchonnant un juron.
—Vous voulez me chercher querelle, Nick Whiffles, dit-il ensuite, en se mordant la lèvre..
—Tiens, il paraît que vous me connaissez à présent, fit tranquillement le trappeur.
—Oh! vous n'êtes pas assez novice dans le Nord-ouest pour en être surpris, répondit Hendricks, toisant Nick de la tête aux pieds. Il vous est possible sans doute, de m'insulter ici, entouré de vos amis; mais si nous nous tenions entre quatre yeux dans quelque prairie solitaire, ou dans une sombre gorge vous n'auriez pas la langue si bien pendue… c'est moi qui vous le dis.
Il ramassa ses trappes et son fusil et ajouta:
—C'est bon, je me rappellerai votre hospitalité, Nick Whiffles.
—Vous feriez bien mieux de vous restaurer avant de partir, dit l'autre toujours calme..
—Non, non, merci, je m'en vais.
—Vous auriez tort, car vraiment, vous devez être plus affamé qu'un ours au sortir de l'hiver. Dieu de Dieu, qu'il est décharné! Pauvre homme, il a bien perdu dix livres de graisse! Je parie qu'il n'a pas avalé une bouchée depuis une semaine!
Les épigrammes de Nick blessaient comme des flèches celui qui en était l'objet.
Mais si d'un côté le ressentiment le poussait à se venger; d'un autre la vue de Sébastien semblait refroidir magiquement ses belliqueuses dispositions. Laissant tomber ses trappes et déposant son fusil en un coin, il dit d'un ton bourru:
—Je vois bien que vous m'aimeriez mieux dehors que dedans. Mais je ne m'arrêterai que pour tâter à un morceau de viande si vous en avez au service d'un pauvre diable qui a perdu ses pelleteries et une partie de ses trappes, d'une manière ou d'une autre, entre des Indiens et des blancs malhonnêtes.
—Vraiment! Bon, voilà ce que vous désirez, une tranche de venaison et un bâton pour la faire rôtir Arrangez-vous!
—Ouah! grommela Hendricks.
Et, sans autre formalité, il fit cuire sa viande, qu'il mangea ensuite, mais de l'air d'un homme plus contrarié qu'affamé. Puis il reprit ses instruments de chasse et s'apprêta à partir.
—Vous pouvez rester et passer la nuit, étranger lui cria Nick.
—Votre invitation vient trop tard, un petit peu trop tard. Vous m'avez fait mauvaise mine, Nick, mais nous nous retrouverons, je vous le garantis.
Les prunelles d'Hendricks se fixèrent comme par une attraction irrésistible sur Sébastien qui s'effaçait dans un coin derrière Portneuf.
L'enfant eut le frisson.
Mais bientôt l'étranger tourna sur les talons et partit en marmottant des menaces.
Il s'éloigna comme s'il était content de s'en aller, quoiqu'un pressant motif l'engageât à s'arrêter.
Une fois hors du camp, il prit une allure ferme et rapide qui ne trahissait ni ce long jeûne, ni cette fatigue accablante dont il s'était plaint.
Dans la hutte de Nick Whiffles, sa présence avait laissé une impression semblable à celle que cause souvent le cri d'un oiseau nocturne sur les esprits qui croient aux présages.
—Drôle de visiteur! fit Pathaway, voulant rompre un silence qui devenait fatigant. Je pense aussi que vous ne l'avez pas très-bien repu, ami Nicolas.
—C'est vrai; mais il y a, comme ça, dans le monde, voyez-vous, Pathaway, des têtes qui vous répugnent au premier aspect. Mon caractère et le sien ne pourraient s'accorder. Ils sont comme l'huile et l'eau; vous auriez beau faire, vous ne les mélangeriez pas. Mais, ce n'est pas la première fois que nous nous abouchons, lui et moi. Seulement, je ne me rappelle ni où, ni comment, ni pourquoi je l'ai vu, ô Dieu, non!
Nick passa la main dans sa barbe, l'allongea, en porta l'extrémité à sa bouche, et mordit les poils à belles dents, en regardant distraitement le feu qui flambait devant lui.
Sébastien s'approcha du trappeur et se hissant sur les pieds jusqu'à son oreille prononça quelques mots à voix basse.
Whiffles recula comme s'il eût été mordu par un serpent à sonnettes.
Puis il se frappa le front; ses yeux lancèrent des éclairs.
Il décrocha sa carabine et se précipita vers la porte de la cabane, avant que les autres témoins de cette acène fussent revenus de l'étonnement que leur causait un pareil changement de manières chez un homme habituellement aussi paisible et aussi flegmatique que l'était Nick Whiffles.
XII
LE REMORDS DE NICK
Cette transfiguration de Nick Whiffles fut si soudaine, si complète que
Pathaway en resta stupéfait.
Sébastien lui-même parut surpris au plus haut point. Mais comme le trappeur sortait, suivi de ses chiens, le jeune garçon courut à lui et le saisissant par la manche de sa chemise de chasse:
—Montagnard, montagnard, s'écria-t-il avec une vivacité et une fermeté qu'on n'aurait pas soupçonnées en lui; montagnard, ne sortez pas! ne sortez pas!
—Ta! ta! ta! fit Nick, tournant à demi la tête.
—Nicolas, écoutez-moi! poursuivit Sébastien. Si vous m'aimez, écoutez-moi!
—Impossible, enfant, impossible, répliqua le trappeur d'un ton impatienté. Allons, laisse-moi; chaque minute d'arrêt retarde la vengeance du ciel.
Et Nick secoua un peu solidement la main de Sébastien.
—Ce n'est pas pour moi, mais pour vous que je parle.
—Pour moi!
—Oui, pour vous.
—Pour moi, allons donc! est-ce que la vie de Nick est trop précieuse pour être exposée dans une affaire comme celle-là? Est-ce qu'il ne s'agit pas de faire justice, hem? Non, je ne céderai pas, ô Dieu, non!
—Oh! je vous en prie, mon bon protecteur, ne le suivez pas!
—Si fait, repartit le trappeur, oui bien je…
—Et moi, je vous dis que non, entendez-vous! s'écria impérieusement
Sébastien.
Pathaway était confondu.
Mais Nick, après avoir abaissé sur l'enfant un regard plein de bienveillance, le souleva et le mit doucement de côté, puis il quitta la hutte précédé d'Infortune qui poussait des aboiements prolongés.
Sébastien s'élança à leur poursuite. Mais à peine eut-il fait quelques pas qu'il s'aperçut de l'inutilité de sa tentative et rentra dans la cabane.
Jeanjean chantait, d'une voix dolente, son refrain de la Fille du trappeur, et le Canadien soupirait:
—Nannette, ma pauvre Nannette.
Cette exclamation sembla frapper Jeanjean.
—Nannette! répéta-t-il d'un ton singulier.
Et ses yeux brillèrent.
Mais ce fut l'affaire d'une seconde; le feu s'éteignit aussi vite qu'il s'était allumé. Et nul rayon d'intelligence n'anima la physionomie du blessé.
En ce moment Pathaway vit Nick qui revenait en s'essuyant les yeux. Le trappeur s'approcha timidement de Sébastien, comme un coupable; et lui touchant le bras:
—Pardonne à la rudesse de Nick, mon enfant, dit-il. Vois-tu, il n'avait pas l'intention de te peiner, non, pas du tout, c'est moi qui te l'assure. Te peiner! il ne pourrait le faire. Ça n'entre pas dans son coeur, ô Dieu, non!
Le trappeur attendit une réponse, mais n'en recevant pas, il ajouta:
—Te voilà donc fâché! fâché contre un homme qui donnerait tout son sang pour toi! est-ce que c'est possible?
Sébastien sourit légèrement et murmura:
—Je croyais que vous étiez parti, Nicolas.
—Parti! oui, c'est-à-dire, non, enfant. La nature m'a emporté, c'est vrai; mais je n'étais pas parti, quoique j'aurais peut-être dû partir pour donner une leçon à ce coquin-là. Mais si tu ne m'en veux pas; c'est bon, n'est-ce pas?—Encore ce Pathaway qui écoute. Il écoute toujours, lui! Enfin si c'est son idée à lui d'écouter. Je n'aime pas ça, mais chacun a ses idées! La paix est faite, hein, petit?
—J'avais peur pour votre sûreté. Cet homme m'effraye tant, articula
Sébastien avec un accent douloureux.
—Et tu as raison! oui lu as raison, s'écria Whiffles d'une voix tonnante. Et c'est parce que tu as raison que je suis si furieux contre ce coquin-là.
—Mais le poursuivre à cette heure ne serait-ce pas vous mettre en péril? Vous pouvez être certain que quelques-uns de ses camarades rôdent dans le voisinage. Surveillez-le si vous voulez, et vous arriverez à lui. Mais pas d'empressement. La précipitation est toujours nuisible, vous le savez bien, Nicolas. Découvrez donc sa retraite et vous trouverez, j'en suis sûr, des gens prêts à vous aider.
—Beaucoup! beaucoup! dit Pathaway en se rapprochant d'eux. Il est sans doute question de ces brigands qui infestent le pays, eh bien, moi pour un, je suis disposé à les chasser de leur repaire. Les compagnons ne nous manqueront pas, j'en suis certain. Mais partir ce soir serait imprudent, je crois. N'est-ce pas aussi votre avis, trappeur?
—Oui, dit Portneuf à qui s'adressaient ces paroles.
—Oh! fit Nick, je sais bien, je sais bien! Mais il est joliment, dur de violenter son caractère, et le mien c'est de marcher tout de suite au but, oui bien, je le jure, votre serviteur!
—Bon, dit Pathaway, demain nous nous mettrons en route.
Sébastien le remercia d'un regard.
—Oui, demain, fit Whiffles en tourmentant sa barbe, suivant son habitude quand; il était contrarié ou qu'il cherchait à se tirer d'une «maudite petite difficulté». Demain, sans doute. Mais pourtant, ce soir, j'aimerais bien à grimper sur la colline là-bas, pour voir quelle route prend ce fils du diable. Il fait un bien beau clair de lune. Ma foi j'y vais; ce sera l'affaire de quelques minutes.
Et il s'éloigna de nouveau.
Pathaway saisit affectueusement la main de Sébastien et lui dit avec un intérêt marqué:
—Vous êtes fort attaché à ce brave trappeur. Si vous étiez son fils, je m'expliquerais une tendresse aussi vive, mais vous ne l'êtes pas. C'est impossible, il va trop de dissemblance entre vous et lui. Me serait-il permis de vous demander quelle est la cause de cette ardente sympathie?
—Il m'a sauvé la vie, répliqua simplement le jeune garçon.
Et en même temps il fut saisi d'un frisson fébrile.
—Enfant, lui dit Pathaway, votre main tremble dans la mienne. La faiblesse n'est pas de notre sexe. Soyez donc plus ferme. Le courage est indispensable à l'homme. La poltronnerie le rend méprisable.
Sébastien retira sa main de celle du chasseur noir.
—Si mes nerfs sont délicats, mon coeur est fort, dit-il, en redressant sa taille souple et admirablement cambrée.
—Quel est votre âge? demanda Pathaway d'un ton moins brusque.
—Treize ou peut-être quatorze ans.
—Treize ou quatorze! répliqua l'autre, comme se parlant à lui-même, cependant vous avez l'air plus âgé.
—Pensez-vous! fit Sébastien en rougissant.
—C'est singulier, singulier, dit le chasseur noir. La nature a commis une méprise en ne faisant pas une femme de ce joli garçon.
—J'ai ouï dire que la nature ne commettait jamais de méprises, riposta
Sébastien en riant.
—Vous riez, mais vous êtes ému, fit Pathaway
—Ah! s'écria Delaunay, voilà Nicolas qui revient. Que je suis aise!
—Nick? reprit Pathaway en plongeant ses regards à travers la porte.
En effet, on distinguait le trappeur qui descendait la colline avec
Infortune et un ours de respectable embonpoint.
Ils marchèrent de compagnie jusqu'à l'entrée du camp. Là, le plantigrade quitta Nick, qui entra aussitôt dans la hutte.
Le chasseur noir sortit.
Il était en proie à une de ces mélancolies indéfinissables, auxquelles sont sujettes les personnes d'un certain tempérament. Il désirait être seul, car il y a des heures dans la vie où la solitude est préférable aux charmes de la société humaine.
Pathaway était profondément affecté et, cependant il ne savait pourquoi. En songeant à Sébastien il éprouvait à la fois du plaisir et de la peine.
Cet enfant lui rappelait-il des souvenirs? Était-il un anneau entre son passé et son présent? C'est ce que l'avenir nous dira.
Quoi qu'il en soit, Pathaway se rendit à une petite pelouse, où il s'étendit et s'abandonna à un torrent de réflexions.
XIII
BILL BRACE
La lune brille dans toute sa splendeur.
Pathaway médite toujours, couché sur un tapis de mousse.
Le jeune homme se pense bien à l'abri de tout regard humain.
Mais voyez-vous ce corps qui s'avance silencieusement à travers les hautes herbes, se faufile au milieu des buissons, escalade les saillies de rochers et s'approche du lieu où le chasseur noir dévide l'écheveau de ses pensées.
Parfois une tête s'élève; deux yeux scintillent comme des escarboucles; puis la tête s'abaisse et la marche du corps, une seconde suspendue, recommence.
Ce n'est point une bête fauve, car un bras s'allonge; il est armé d'un couteau dont la lame projette des lueurs sinistres.
Nos lecteurs n'ont pas oublié Bill Brace et son duel avec le chasseur noir.
La lutte terminée, au grand désavantage de Bill, ses compagnons le transportèrent à une cabane abandonnée. Cette cabane s'élevait non loin du théâtre du combat.
Là, Brace put se rétablir et méditer à son aise sur l'instabilité des choses, mondaines. Ses blessures corporelles le faisaient, toutefois, moins souffrir que les blessures faites à son amour-propre.
On conçoit que l'idée de se venger fût la première à laquelle il s'attacha. La douleur et la fièvre donnèrent du poids à cette idée.
Bientôt, il ne désira plus sa guérison que pour jouer un méchant tour à son rival. Ses camarades Ben et Joice l'approvisionnaient de nourriture; mais rarement ils restaient plus de quelques minutes avec lui. Aussi, la solitude envenima-t-elle considérablement la haine de Bill Brace.
Un autre que lui eût succombé. Mais il était doué d'un tempérament très-vigoureux, et, au bout de quelques jours, il fut sur pieds quoiqu'il ne fût pas entièrement rétabli. Il se mit aussitôt à la recherche de Pathaway.
D'abord il découvrit le camp de Nick, et, dans la même soirée, il assista au retour du trappeur qui venait, avec Pathaway, d'arracher Portneuf à son supplice. Restant blotti derrière un bouquet de pruches, Bill Brace ne cessa de surveiller la cabane de Nick Whiffles. Il remarqua la sortie de Pathaway, le lieu où il s'était placé, et son coeur bondit d'une joie féroce.
L'apercevez-vous encore qui rampe et se glisse vers la pelouse occupée par le chasseur noir?
Il va lentement, mais sans bruit; il est malade encore, mais cependant le sang afflue à son visage et il ne sent plus ses souffrances. Il est en proie à une émotion voluptueuse. Il n'a rien mangé, rien bu depuis plus de vingt-quatre heures, et pourtant les aiguillons de la soif et de la faim ont cessé de le tourmenter.
Ah! que prompte et patiente est la vengeance à la poursuite de son objet et que timide et impatiente est quelquefois la vertu engagée à la meilleure des causes!
Comment se fait-il, mon Dieu, que les passions mauvaises brûlent plus profondément et possèdent une énergie de détermination mieux trempée que les bonnes?
A mesure qu'il avançait, Bill Brace éprouvait une jouissance plus intense.
Tuer son ennemi devait lui causer des délices pareilles à celles de l'Indien qui scalpe une chevelure.
Heureusement pour Pathaway que ce bandit n'avait pas d'autre arme qu'un couteau, car déjà la distance entre eux était si courte qu'un pistolet eût été un instrument fatal dans la main exercée de Bill.
Il se traînait toujours, avec plus de circonspection, mais en rétrécissant; toujours aussi l'intervalle qui le séparait du chasseur noir. Toutes ses facultés étaient tendues vers un point, le meurtre.
Et il approchait et aucun frémissement du feuillage n'avait trahi son dessein, et Pathaway était encore enfoncé dans l'abîme de ses réflexions.
Bill Brace se mit sur son séant, puis debout, et il éleva son couteau pour frapper le chasseur noir.
L'arme descendit rapidement vers le coeur du jeune homme qui allait périr victime de ce scélérat, quand un enfant, Sébastien Delaunay, s'élança subitement au-devant du coup et reçut la pointe du couteau dans le bras.
L'assassin prit la fuite.
Pathaway bondit sur ses pieds et le vit descendant la colline à toutes jambes, tandis que Sébastien conservait l'attitude dans laquelle il avait reçu la blessure.
Sa main droite était étendue vers l'endroit où naguère se tenait Bill
Brace, et l'autre s'avançait comme un bouclier pour protéger Pathaway.
Des gouttes de sang tombaient de son bras droit et rougissaient le sol.
Avant que le chasseur noir eût eu le temps de faire une remarque, Nick
Whiffles était accouru tout alarmé.
—Ah! je me doutais bien qu'il allait nous arriver une maudite petite difficulté, s'écria-t-il. Qu'est-ce que cela? Du sang à ton bras, petiot? Mais oui, c'est du sang, et bien du sang. Que voulais-tu donc faire avec ce bras qui n'est pas plus gros qu'un roseau?
—Lui! il paraît cependant qu'il a beaucoup fait, répliqua Pathaway qui comprenait enfin le danger auquel il venait d'échapper, grâce au courage de Sébastien. Il a sans doute reçu le coup qui m'était destiné. Brave enfant, j'espère que vous oublierez mon injustice à votre égard.
Mais le pauvre Delaunay n'entendit pas, car ses bras retombèrent lourdement sur les côtés. Il fut pris d'un tremblement nerveux et s'évanouit.
Nick le saisit aussitôt et le porta à la cabane.
—Il faudrait lui enlever son habit, dit Pathaway, quand Whiffles eut déposé l'enfant sur une peau d'ours.
—Non, pas pour tout l'or du monde, répliqua hâtivement le trappeur. Il a bien assez de son rhume dont il ne se débarrassera pas tant qu'il vivra. Je connais sa nature, ce que vous ne connaissez pas, sauf votre respect.
Tout en parlant, Nick avait coupé la manche de l'habit de Sébastien et il s'empressait de bander la blessure, heureusement assez légère.
Le chasseur noir remarqua que le bras était d'une rondeur et d'une délicatesse rares et qui plus est tout à fait blanc, chose bien singulière chez un bois-brûlé.
Un doute—doute vague mais saisissant—flotta comme un nuage sur le cerveau de Pathaway.
Tandis qu'il cherchait à le définir d'une façon plus précise, Sébastien ouvrit les yeux en frissonnant et se plaignant d'avoir froid.
Nick achevait son pansement avec une vivacité extraordinaire. Pathaway voulut l'aider, mais le trappeur s'y opposa.
—Je crains, dit Pathaway, que la bande ne soit trop lâche pour prévenir l'effusion du sang. Vous l'avez posée avec trop de précipitation.
—Pas du tout, pas du tout, répondit Nick. Quand un enfant saigne, on n'a pas besoin d'arrêter trop vite le sang. Les enfants ça a toujours assez de sang. D'ailleurs il n'y a que la fièvre de dangereuse pour les enfants. On peut les battre comme plâtre, ou les couper tant que l'on veut et ça ne leur fait rien. Mais les fièvres ne m'en parlez pas. Mon oncle; c'est-à-dire mon frère Whiffles, le docteur, disait toujours ça et il s'y connaissait. Quant à cette maudite difficulté ce ne sera rien. Nick vous l'assure.
Le jeune garçon avait les yeux fermés, mais Pathaway le vit sourire à l'observation de Nick.
—Il y a tant de puissance de guérison dans le sang des enfants, poursuivit le trappeur. Je crois bien, ma foi, que si on m'avait un soir coupé les doigts et les orteils, quand j'étais petit, ils auraient repoussé le lendemain matin. Toute notre famille est comme ça, ô Dieu, oui!—Comment ça va, maintenant, petiot?
—Assez bien, répondit Sébastien.
—La petite difficulté ne te fait plus trop mal, hein?
—Non, père Nicolas.
—Qu'est-ce que je vous disais? fit le trappeur se tournant d'un air triomphant du côté de Pathaway.
—Vous êtes d'étranges gens tous deux, répondit le chasseur noir. Mais je dois une reconnaissance éternelle à ce brave enfant et je vous garantis qu'elle ne lui manquera point.
Sébastien rougit et, comme il allait répliquer, Nick l'en empêcha par ces mots:
—Pas à toi, petiot, pas à toi. Je sais ce qui convient. Les enfants ne savent pas toujours ce qui convient dans les cas subits. La vérité c'est, ami Pathaway, qu'il n'a rien fait qui ne lui soit habituel et qu'il oubliera dès que son bras ira bien. Vous ne connaissez pas ce gaillard-là. Il faut toujours qu'il sauve la vie de quelqu'un; c'est-à-dire pas toujours, mais chaque fois qu'il en trouve l'occasion. C'est pas la peine d'en parler. Mais, diable, quelle heure est-il?
Nicolas feignit de chercher comme pour savoir quelle heure il était et tout en furetant il marmottait:
—J'ai bien eu une montre, moi aussi, dans mon temps, ô Dieu, oui! et une belle montre encore! mais pas de ces fariboles comme on en a maintenant. C'était un instrument large, gros, solide, et qui marchait comme un cheval au galop, quand il marchait. Par malheur il lui survint, je ne sais comment, une diablesse de maudite petite difficulté qui vous la dérangea complètement. J'essayai bien de tirer la pauvre montre de cette diablesse de maudite petite difficulté. Pas moyen. Après l'avoir travaillée, travaillée pendant une semaine, je vendis l'intérieur à un chef sioux et fis cadeau du reste de la chose à une squaw[26] qui en fit une chaudière…. Bon Dieu, il doit être tard; j'ai une fière envie de faire un somme.
[Note 26: Femme indienne. «La famille de ce mot s'étend depuis les Kinstmann en Canada et les Montagnards d'Acadie, jusqu'aux Nanticokes, sur les confins de la Virginie,» dit Duponceau, dans son Mémoire sur les langues d'Amérique.]
Portneuf et Jeanjean dormaient déjà.
Pathaway sortit pour reprendre le cours de ses réflexions.
Des incidents nouveaux devaient le lendemain compliquer encore la situation de nos personnages.
Nicolas bâilla, donna un peu d'eau à Sébastien, et, l'ayant enveloppé dans sa couverte, s'étendit à ses pieds.
XIV
LE CAPITAINE DICK
Au lever du jour, Pathaway quitta le camp sous prétexte de chasser, mais réellement parce qu'il lui était impossible de demeurer en repos.
Du reste, il désirait vivement étudier la physionomie du pays où il se trouvait.
Peut-être n'avait-il aucun but bien déterminé et obéissait-il à une de ces impulsions indéfinies qui poussent si souvent l'homme à l'action,—impulsions auxquelles les coureurs du désert ne sont pas moins sujets que les habitants des cités.
Bien que l'esprit de Pathaway fût naturellement réfléchi, rarement il avait été aussi disposé à la rêverie qu'en cette occasion.
Le jeune homme marchait sans voir le terrain qu'il foulait aux pieds. Collines et vallées, eaux et forêts semblaient fuir derrière lui comme flottent les objets dans nos rêves.
Une chèvre des montagnes passa à son côté mais le chasseur noir ne la remarqua point. Une antilope se montra à la portée de son fusil, il n'y fit pas attention.
Pensait-il à Sébastien? ou bien songeait-il aux mystères de la vallée du
Trappeur, ou bien encore évoquait-il les images de personnes éloignées?
Quel que fût l'aspect du monde intérieur qui absorbait ses facultés mentales, le chasseur noir fut rappelé aux réalités qui l'entouraient par l'apparition d'un individu descendant le versant d'un mamelon et venant directement à lui.
La vue de cet individu rappela immédiatement à Pathaway celui qui, dans le canon, avait parlé avec tant d'autorité à Ben Joice et à Bill Brace. C'était un événement inattendu, et Pathaway se demanda un instant quelle conduite il allait tenir vis-à-vis de ce personnage.
Son premier soin fut de s'assurer s'il était seul, son second de chercher une retraite. Mais observant que l'inconnu n'était pas accompagné, le chasseur noir résolut de ne point éviter la rencontre. Bientôt il comprit aux mouvements de l'autre qu'il avait été lui-même aperçu.
Ils continuèrent de marcher jusqu'au pied du mamelon. Là, s'étendait une petite gorge tapissée de mousse. Nos deux hommes s'y arrêtèrent à portée de pistolet et se tinrent sur la défensive; mais ni l'un ni l'autre ne semblait disposé à prendre l'initiative des hostilités—si hostilités il devait y avoir entre eux.
L'inconnu portait toujours sa ceinture écarlate. Il était armé d'un fusil à deux coups, d'une paire de revolvers, d'une hache et de deux couteaux-bowie.
Le premier, Pathaway parla.
—La paix ou la guerre? demanda-t-il.
—Comme il vous plaira; ça m'est égal! répondit brusquement l'autre.
—C'est bien; la paix pour le présent, reprit le chasseur noir.
Après quoi, il s'avança vers l'étranger, qui imita son exemple.
Pathaway avait une vague idée d'avoir déjà entendu sa voix. Aussi, en approchant, examina-t-il ses traits avec un soin extrême.
Il n'était plus qu'à trois ou quatre pas de distance, lorsque, enfin, il reconnut Hendricks, le trappeur déguenillé qui s'était présenté la veille au camp de Nick.
—Oh! oh! fit Pathaway, il paraît que vous n'avez pas mis longtemps à réparer vos désastres, ami Hendricks.
—Vous ne m'avez pas oublié. Diable, vous avez de bons yeux. Que pensez-vous de moi, étranger? fut-il riposté d'un ton ironique.
—Vous tenez à mon opinion?
—Oui.
—Eh bien, répliqua froidement Pathaway, elle n'est pas flatteuse pour vous. Les muscles et l'assurance ne vous manquent pas. Mais décidément votre mine n'inspire pas la confiance.
—Vous croyez? fit Hendricks grimaçant un sourire.
Et après une pause:
—Qu'est-ce que vous êtes venu faire par ici, étranger?
—Ce que bon me semble, répliqua sèchement Pathaway.
—Oh! oh! nous sommes d'un caractère indépendant.
—Mais oui. Assez fort pour me protéger moi-même je ne crains ni les voleurs, ni les assassins, ni les trappeurs hors la loi.
Ces paroles furent dites d'un accent calme et ferme qui irrita
Hendricks.
—Ne le prenez pas si haut, jeune homme, dit-il. Je sais comment on dompte les élèves comme vous. La barbe aura besoin de pousser à votre menton avant qu'il vous soit permis d'afficher les airs et la valeur d'un vieux montagnard. Croyez-moi: retournez à l'école. Vous m'amusez, parole d'honneur. Sans cela je vous aurais déjà rogné les ailes. Oui, partez et emmenez Nick Whiffles avec vous…
—Et s'il me plaît de rester? dit lentement Pathaway en faisant un pas de plus vers Hendricks.
—S'il vous plaît! s'écria ce dernier dont les prunelles s'allumèrent aussitôt d'un feu sombre! S'il vous plaît! ha! ha! Quand je dis: «allez!» les gens s'en vont. Ils disparaissent et on n'en entend plus parler. Quand je dis: «restez!» ils restent. La parole du capitaine Dick, c'est la loi.
Le personnage se redressa avec un air d'orgueil qui ne manquait pas d'une certaine dignité.
La conscience de son pouvoir lui donnait quelque grandeur. On sentait que, depuis longtemps il avait imposé sa volonté à plusieurs hommes, et qu'il ne pouvait endurer la résistance à ses ordres.
Mais le chasseur noir n'était pas homme à se laisser facilement intimider.
Il soutint, sans baisser les yeux, le regard farouche du capitaine Dick.
—Bah! dit-il en souriant, vous ne vous attendiez pas à trouver un sujet en moi. Je n'ai que faire de votre autorité et ne crains pas vos menaces.
—Je t'apprendrai à me connaître.
—Oh! je vous connais assurément plus que vous ne pensez. On m'a parlé de vous,—pas en bien, je l'avoue. On vous donne même comme le héros de plusieurs forfaits commis dans le voisinage de la vallée du Trappeur.
—Mais es-tu fou! s'écria le capitaine; es-tu fou de parler de la sorte à un homme comme moi, qui fais trembler les plus hardis! Peut-être es-tu fatigué de la vie, hein?
Il mit la main sur la crosse d'un de ses pistolets.
—Pas si vite, capitaine, dit flegmatiquement Pathaway sans paraître alarmé.
—Vermine! proféra le capitaine serrant avec force la poignée de son pistolet.
—Vous commettez une inadvertance; prenez donc garde à vos doigts, dit négligemment Pathaway.
—Qu'est-ce à dire?
—C'est-à-dire que vous jouez avec une arme dangereuse.
Le visage de Dick se contracta. Néanmoins il maîtrisa la colère qui l'étouffait pour proférer d'une voix sourde:
—Quand un homme rencontre un animal féroce dans la forêt, il est assez sage pour ne pas le provoquer; mais il paraît que toi, jeune fou, tu veux jeter ton cou sous sa griffe. N'est-ce pas cela?
Et il allongea sa tête vers celle de Pathaway
—Comme il vous plaira, dit celui-ci, toujours calme, et magnétisant, pour ainsi dire, son antagoniste par le regard glacial qu'il opposait à ses fureurs.
—Oh! articula Dick, rouge d'exaspération.
—Mais qui êtes-vous donc? demanda le chasseur noir d'un ton léger.
—Qui je suis? il veut savoir qui je suis!
—Pourquoi pas?
—Insensé!
—Eh bien, je vais vous dire qui vous êtes! vous êtes un assassin, un chef d'assassins; vous êtes le pillard des montagnes; le voleur des trappeurs et des chasseurs, l'ennemi des blancs aussi bien que des Peaux-rouges! Ah! je suis heureux de vous rencontrer aujourd'hui, monsieur le fier-à-bras; oui, bien heureux, pour vous dire certaines vérités qui ne seront pas de votre goût; car vous méritez bien richement la corde!
Cette déclaration fut faite avec une lenteur et une gravité qui étourdirent le capitaine Dick.
Il blêmit et s'appuya sur son fusil.
Durant quelques secondes, ses traits exprimèrent une profonde consternation; mais bientôt ses joues s'empourprèrent de nouveau.
—Sais-tu, hurla-t-il, que ce que tu viens de prononcer là, c'est ton arrêt de mort?
—Je sais ce que je fais; et je n'ai point peur de vous. Regardez-moi!
Pathaway redressa sa belle taille, et, d'une voix pénétrante comme l'acier, il ajouta:
Je vaux mieux que vous.
Le capitaine Dick ébaucha un sourire contraint et haussa les épaules.
—Ah! laissez-moi souffler, de grâce, dit-il ironiquement. Allons, je vais vous tuer, monsieur le gentil garçon. Ça me fait de la peine, vrai! car je me sentais une inclination pour vous. Mais excusez, j'ai besoin de respirer.
—Vous avez besoin d'autre chose; vous avez besoin de châtiment.
—Pour l'amour de vous, mon cher blanc-bec, amenez donc l'homme qui me châtiera.
—Le voici.
—Où?
—Regardez-moi et vous le verrez, répliqua Pathaway avec un coup d'oeil perçant.
—Toi! Vous!…
—Moi!
Le chasseur noir imprima une vigueur si grande à ce mot «moi», que le capitaine Dick recula.
Il ne riait plus, quoiqu'il essayât de donner encore à son visage un air de dédain. Il était évident que l'énergie de Pathaway l'avait ébranlé.
—Quand? où? comment? balbutia-t-il.
—Quand, où, comme il vous sera agréable: répondit le chasseur noir, dont les narines se dilataient avec une espèce de satisfaction.
—Les armes! quelles sont les armes?
—A votre choix, répartit simplement Pathaway.
Le capitaine Dick ne savait s'il devait en croire ses oreilles et ses yeux. Quoi! lui qui jamais n'avait rencontré un émule; lui qui avait commandé en despote dans le Nord-ouest; lui la terreur des aventuriers, l'effroi des Indiens, il était insulté, attaqué par un jeune homme presque imberbe!
Fallait-il rire ou se fâcher?
Les coquins eux-mêmes admirent le vrai courage. Dick se jugeant de beaucoup supérieur à Pathaway, voulut s'amuser à ses dépens.
—Je ne sais, dit-il en fermant le poing et le mettant sous le nez de Pathaway, je ne sais ce qui m'empêche de t'effondrer la tête avec ce marteau. Mais je suppose que c'est le même instinct qui empêche le chat de manger la souris avant qu'il n'ait joué avec elle.
—Vous n'avez pas désigné les armes, dit froidement Pathaway.
Hendricks ricana, en s'exclamant avec mépris:
—Peuh!
Et allongeant un peu le bras, il saisit le nez du jeune homme entre son pouce et son index.
Aussitôt le poing de Pathaway bondit en avant et frappa la poitrine du capitaine avec tant de violence qu'il tomba à la renverse.
Un instant Dick resta étourdi; puis il se releva en chancelant comme un homme ivre; puis il s'assit sur lu gazon pour attendre que le nuage qui obscurcissait sa vue se dissipât. Il avait la face très-pâle et regardait Pathaway d'un air hébété.
Peu à peu, toutefois, il se remit de ce premier assaut. Son courroux sembla même apaisé. Mais le chasseur noir savait assez ce que vaut la modération chez des gens de cette trempe pour se tenir sur ses gardes.
C'était le calme qui précède la tempête.
—Vous me rendrez raison de ce coup, dit Hendricks; oui, vous m'en rendrez raison. Je pourrais vous tuer maintenant; mais je ne le veux pas. Il me faut une punition plus complète. Vous m'avez pris par surprise et frappé dur; mais le couteau-bowie frappe plus dur encore; je choisis cette arme.
—Soit, répliqua Pathaway.
Hendricks ou le capitaine Dick, comme il se nommait, suivant les circonstances, tira de sa gaine un énorme coutelas dont il essaya le tranchant avec le dessous du pouce, et qu'il plaça à côté de lui.
Dans le cours des événements ordinaires de la vie, cette action eût été simple, mais alors elle devait faire trembler; tellement les motifs de l'homme donnent de coloris à ses actes; car toute chose a sa signification et nous cherchons la signification de toute chose.
—Ne vous hâtez pas, capitaine, il y a temps pour tout, dit Pathaway. Ne suffira-t-il pas que l'un de nous meure avant demain soir? Pensez-vous que raisonnablement il faille à chacun de nous moins de temps pour se préparer? Pour vous, vous avez sur les bras quelques mauvaises affaires dont vous devrez rendre compte. Le sang, vous le savez, n'est jamais silencieux. Il crie toujours vengeance. On ne peut ni l'ensevelir, ni l'étouffer. Peut-être le juge suprême vous demandera-t-il: «Où est Portneuf, le voyageur? où est André Jeanjean, le trappeur?» quelle sera votre réponse, capitaine Dick?
—Je vois que tu en sais trop, beaucoup trop. Je dois fermer ta bouche et livrer ta langue aux vers.
Ce disant, il déposait ses pistolets à terre et débouclait sa ceinture rouge.
—Un moment, dit Pathaway. Nos avantages ne sont pas égaux. Je connais l'effet d'un coup comme celui que je vous ai donné. Vos membres sont faibles; vos bras ont perdu la moitié de leur énergie; vos regards ne sont pas fermes. Si nous nous battions dans l'état où vous êtes, je vous tuerais à la première passe. Rencontrons-nous demain soir au coucher du soleil.
—Artifice! ce n'est qu'un artifice! grommela le capitaine.
—Demain soir, au coucher du soleil, je vous rejoindrai sur cette pelouse, avec cette arme unique.
Et le chasseur noir toucha le manche de son couteau-bowie.
—A demain alors, dit Dick, comme s'il se ravisait.
—Bien, vous pourrez compter sur moi.
—Et vous sur moi.
—Vous viendrez seul? dit Pathaway d'un ton soupçonneux.
—Oh! je n'ai pas besoin de témoins pour te tuer, répliqua le bandit avec hauteur. Après-demain il y aura un coq de moins pour chanter le réveil.
Et, enchanté du trait, il poussa un bruyant éclat de rire.
Sans répondre, même par un geste, Pathaway tourna ses pas vers le camp de Nick Whiffles.
XV
LE DUEL
Le soleil à son déclin versait sur la terre des rayons obliques qui mordoraient la cime des forêts. Les insectes achevaient de bruire sous l'herbe; les murmures du jour s'éteignaient peu à peu, et les oiseaux nocturnes commençaient à secouer leurs ailes.
Pathaway, les bras croisés, se tenait dans le vallon où la veille il avait eu, avec Hendricks, la scène racontée dans notre précédent chapitre. La mélancolie de cette heure solennelle se mariait à la mélancolie de ses pensées.
Insensiblement, le crépuscule jeta sur les objets des teintes vagues qui finirent par se perdre sous une mantille grisâtre. La brise cessa de faire frissonner les feuilles; le calme envahit la montagne.
Cette tranquillité parlait, comme une voix au coeur du jeune homme. Ses sympathies entraient en ardente communion avec la nature. Il en ressentait toutes les douces impressions.
Tout à coup, un homme parut sur le flanc de la colline.
C'était Hendricks.
—Je vous attendais, dit Pathaway quand il fut arrivé près de lui; et je craignais que vous n'eussiez oublié notre rendez-vous.
—Je suis venu pour me battre et non pour bavasser, répondit Dick d'un ton bourru.
—Vous serez satisfait, capitaine.
Ils déposèrent sur le gazon leurs ceintures et leurs pistolets. Hendricks ôta sa chemise de chasse, et montra nues ses épaules musculeuses.
—Les conditions? commença le chasseur noir.
—La vie pour le vainqueur, la mort pour le vaincu.
—C'est bien, dit Pathaway.
A son tour, il se dépouilla de sa tunique noire, mais sans affectation aucune.
Son adversaire put voir qu'il avait la poitrine pleine et arrondie, le bras bien fait et souple aux attaches, le buste admirablement proportionné.
Pathaway ne tremblait pas; mais la pâleur couvrait son visage. Ses yeux brillaient d'un éclat qu'Hendricks n'avait pas encore observé chez lui.
Il saisit, son bowie-knife. Le capitaine était prêt déjà. Tous deux se toisèrent une seconde. Hendricks se précipita sur Pathaway. Leurs armes se rencontrèrent. Des étincelles jaillirent du choc.
Une clameur aiguë déchira l'air et Dick se prit à ferrailler d'estoc et de taille avec une ardeur qui prouvait qu'il avait hâte d'en finir.
Il maniait avec une dextérité et une rapidité rares le terrible instrument qu'il avait choisi. Son couteau volait de côté et d'autre avec la célérité de la foudre. Mais partout il trouvait un autre couteau pour parer ses attaques. On eût dit qu'un bouclier invisible protégeait le corps du chasseur noir.
Celui-ci, cependant, demeurait sur la défensive: tantôt il reculait d'un pas, tantôt il se jetait à gauche, tantôt à droite, mais sans jamais se découvrir, sans faire d'effort pour répondre aux bottes de son antagoniste.
Le capitaine Dick ne tarda point à s'apercevoir qu'il consommait en vain sa vigueur et son adresse. Il s'arrêta pour reprendre haleine; car son coeur battait violemment, son poignet tremblait; la sueur baignait ses tempes.
Pathaway attendît silencieusement la reprise du combat. Mais il n'était pas difficile de voir qu'il commençait à s'intéresser à cette affreuse partie.
La confiance d'Hendricks dans sa force baissait, et perdre confiance en pareil cas, c'est perdre beaucoup quand ce n'est pas tout perdre. Celui-là qui ne doute pas de la victoire l'a gagnée à demi. Le doute est l'ennemi du succès.
Après un moment de repos, Hendricks s'avança pour continuer le duel, mais il s'avança avec plus de circonspection et moins d'assurance.
Alors Pathaway le pressa un peu et montra une habileté et une sûreté de coups qui réfrénèrent l'impétuosité du capitaine.
—Vous l'avez! s'écria soudain le chasseur noir… Et l'arme de Dick partit de sa main pour aller tomber à dix pas de là sur le sol.
Le misérable resta le bras tendu et soufflant comme un boeuf surmené.
Pathaway lui avait appliqué la pointe de son couteau sur le coeur et il l'envisageait avec la fermeté sombre d'un ministre de vengeance.
Les traits d'Hendricks se contractèrent. Son visage devint cadavéreux.
Ses dents cliquetèrent.
Il semblait déjà sentir le froid de la mort envahir ses membres. Mais, tandis qu'ils se regardaient, l'un avec le rayonnement du triomphe, l'autre avec une consternation impossible à peindre, un coup de pistolet retentit derrière Pathaway.
Le jeune homme tourna vivement la tête.
—Arrêtez! cria une voix féminine. On ne tue pas un homme désarmé. En frappant cet homme c'est moi que vous frapperiez.
En même temps une amazone se jeta entre eux.
Pathaway reconnut la jeune femme qu'il avait aperçue à l'entrée de la vallée du Trappeur et que Portneuf appelait Carlota.
Il se retira, s'inclina gracieusement et dit:
—Pour vous, madame, je l'épargne, quoique sa vie m'appartienne d'après les conditions de notre cartel.
—Et quel bien vous ferait sa mort? demanda Carlota.
—Demandez à Portneuf et à André Jeanjean, répliqua sévèrement le chasseur noir.
—Je ne vous comprends pas, dit Carlota changeant de couleur.
—Cet homme me comprend bien, lui! reprit Pathaway dont le doigt indiqua Dick qui frémissait encore, quoiqu'un sourire sinistre glissât sur ses lèvres.
Carlota passa la main sur son front et fixa ses yeux perçants sur le chasseur.
—Chut! chut! fit-elle brusquement. Ne parlez pas de cela, car cela ne vous regarde point.
Un regard d'avertissement accompagna sa remarque.
—Croyez-moi, jeune femme, dit Pathaway, je ne me tairai pas tant que la vérité me commandera de parler, et mon bras saura défendre mes paroles. Je dis que la vie de ce coquin m'appartient, et pas à moi seul, mais à la loi, car la loi atteint les gueux dans tous les pays, si loin que ce puisse être des grands centres de civilisation. La présence d'êtres humains fait la loi, même dans le désert.
—Vous êtes un fou, jeune homme, répondit Carlota impatientée. Je vous aurais donné la vie pour la sienne, mais votre imprudence vous perd; tant pis pour vous!
Elle étendit la main, et, aussitôt une vingtaine d'hommes surgirent des buissons voisins.
On les eût pris pour un peloton de démons détachés de l'enfer.
Ils entourèrent Pathaway, tandis que le capitaine Dick poussait des éclats de rire féroces.
Après le danger les lâches se font braves. La passion insoumise est insolente. Nous oscillons comme des pendules d'une idée à l'autre.
Cette joue que blêmit maintenant la terreur rougira bientôt d'orgueil. La délivrance soudaine produit souvent une révulsion qui atteint l'extrême même de l'émotion opposée.
Hendricks, oubliant la clémence de son vainqueur, se sentait disposé à abuser de son pouvoir.
Cependant, Pathaway, intérieurement fort troublé, gardait en apparence son sang-froid, remettait sa tunique, et glissait son couteau dans la poche de côté.
—Bien, dit-il, d'un ton assez léger, il paraît, mademoiselle ou madame, que je suis votre prisonnier. A votre prière j'ai épargné la vie de ce scélérat. Est-ce là la récompense que vous me réserviez?
Pathaway, en prononçant ces paroles, regardait Carlota. Il n'y avait ni embarras, ni impertinence dans ses manières ou son accent. Aussi excita-t-il l'intérêt de la jeune femme.
Le chasseur noir ressentait pour elle une véritable pitié, mélangée de curiosité.
Quelle était l'histoire de cette étrange et belle créature? Quel destin l'avait plongée au milieu de ces êtres farouches sur qui elle paraissait exercer un pareil ascendant?
—Oh! six pieds de terre, près de la piste du Trappeur, répliqua-t-elle avec un semblant de négligence, mais en étudiant la physionomie de Pathaway.
—Six pieds de terre! c'est ce qui doit m'échoir un jour, répondit-il tranquillement.
—Mais ce que tu ne désires pas maintenant s'écria Hendricks riant d'un rire sardonique.
—Je ne dis pas cela, je ne dis pas cela, capitaine Dick, repartit le chasseur. Car peut-être vous et les vôtres n'aurez pas cette bonne fortune, et qu'à la dernière heure, vos corps mesureront cinq ou six pieds dans l'air.
—Et si nous te pendions, toi aussi! hé! hé!
Cette menace souleva l'hilarité de la troupe.
Au bout d'un instant:
—Allons, mes gars, en avant! à la vallée du Trappeur et ayez l'oeil sur ce mangeur de lard, dit le capitaine à ses gens. Ah! j'oubliais de vous dire: j'ai retrouvé ce diable de Canadien-français chez notre ennemi juré, Nick Whiffles. Que le ciel le confonde! Oh! nous les ramènerons à la souricière.
Puis à la jeune femme:
—Carlota, ma chère, tu es arrivée à propos. Ce drôle m'avait pris par surprise.
Un sourire ironique arqua les lèvres de Pathaway; mais il dédaigna de répondre à cette grossière calomnie.
Quelques-uns des hommes haussèrent les épaules et s'adressèrent des oeillades moqueuses.
On se mit en marche.
La colline franchie, Pathaway aperçut dans la plaine plusieurs chevaux. Il devina que les brigands les avaient laissés à cet endroit afin de le surprendre plus aisément.
Chacun d'eux enfourcha un des animaux. Carlota elle-même se mit en selle, et fit placer Pathaway sur un cheval à côté d'elle.
Jamais notre héros ne s'était trouvé dans une situation aussi neuve, aussi propre à éveiller de sérieuses réflexions.
La nuit était tout à fait venue. Mais il ne faisait pas si noir que le jeune homme ne pût voir et admirer les attraits de sa compagne, car elle était belle, Carlota, la reine de cette horde sauvage!
Elle portait le même costume que le jour où Pathaway l'avait vue pour la première fois.
Ses traits étaient accentués, mais empreints d'une grande noblesse. Un ruban de velours, très étroit, ceignait son front et retenait ses cheveux dont les boucles tombaient capricieusement sur ses épaules.
Elle avait la taille fine, les épaules bien développées et tous les signes d'une santé robuste, capable de résister aux fatigues et aux privations. Ses yeux étaient noirs et d'un éclat difficile à soutenir.
Elle montait son cheval avec une élégance merveilleuse: tout en elle annonçait la femme habituée depuis l'enfance aux périls de la vie du désert. Pathaway fit, on le conçoit, un examen détaillé de sa personne, car il voulait savoir s'il pourrait s'échapper en l'intéressant à son sort.
—Singulière vie pour une charmante femme comme vous! dit-il, en se penchant à demi vers Carlota.
Elle arrêta brusquement son cheval.
—Singulière, dites-vous; mais n'est-ce pas celle de la liberté?
—Liberté… sans doute!… murmura Pathaway.
—Eh bien?
—Vous me pardonnerez mon audace, je trouve cette liberté trop grande.
—Vous trouvez?
—Je le confesse.
—A votre point de vue cela se peut. Mais nous sommes ce que nous font les impressions extérieures.
—Il y a de mauvaises impressions.
—Vous dites?
—Je dis que les impressions qui forcent une personne de votre sexe à jouer le rôle que vous semblez jouer sont mauvaises.
—Et que pensez-vous donc que je sois?
—Une femme égarée, la complice de gens flétris par la loi.
—Vous êtes franc, monsieur, répliqua sèchement Carlota.
—Pourquoi ne le serais-je pas? Est-ce que ces bandits qui vous entourent…
—Assez! interrompit Carlota. Il serait mieux pour vous de diriger vos pensées d'un autre côté.
—Je vous comprends. Vous voulez dire qu'il vaudrait mieux que je songeasse à mourir. Croyez-moi; mon existence n'a pas été si mauvaise que les remords puissent en troubler l'heure suprême. Et, après tout, est-ce qu'on doit se lamenter à l'approche du dernier ennemi de l'homme? Je parle sincèrement car je ne doute pas que je meure bientôt. Et vous jeune femme vous serez coupable de mon assassinat.
—Vous vous entretenez froidement d'une chose qui fait pâlir les plus braves, répondit Carlota avec une nuance d'intérêt.
—Je vous l'ai dit, je n'ai point à me reprocher d'avoir sciemment fait le mal; et j'ai foi en la miséricorde infinie de notre Créateur.
—Il suffit! s'écria Carlota en piquant son cheval, qui partit au galop.
Pathaway la suivit.
Elle parut lui savoir gré de ce mouvement.
—Vous venez des établissements? dit-elle tout à coup.
—Certes…
—Oh! oui, je le vois. Vous apportez ici des idées qui ne sont point les nôtres. Car vous ne savez pas que nous sommes une communauté, un monde! nous faisons nos lois et ne reconnaissons aucune autre législation. Je sais que cette terre est grande, qu'elle renferme une foule d'habitants, mais ces habitants me sont étrangers et je leur suis étrangère.
—Est-ce donc une raison pour vous faire louve? dit brutalement
Pathaway.
—C'est la loi de la nature, reprit Carlota avec une emphase marquée. Il faut que tout animal vive aux dépens d'un autre. Les poissons dans l'eau, les fauves dans la forêt, les oiseaux dans l'air se dévorent les uns les autres. L'araignée tisse sa toile pour attraper la mouche imprudente, la panthère guette le daim pour le mettre en pièces, le vautour fond sur les poules, et, suivant cette grande loi de la nature, l'homme dépouille l'homme. Pourquoi mépriserions-nous les enseignements de la nature? Comment résister au commandement qu'elle a donné à toutes les choses animées? Les végétaux eux-mêmes ne se nourrissent-ils pas du suc des végétaux et même d'insectes?
Le visage de Carlota s'était incarné d'un enthousiasme farouche. Ses yeux noirs brillaient comme des diamants. Son coeur battait avec force.
Pathaway était muet d'étonnement.
—Quelle est votre opinion? dit-elle soudain et d'un ton souriant.
—Est-ce possible? est-ce possible? murmurait le jeune homme. Un esprit naturellement bien doué peut-il être aussi pervers? D'où lui viennent ces connaissances, cette facilité d'élocution? cette aptitude pour la comparaison?
Puis, élevant la voix:
—Vous m'affligez profondément, dit-il, car je vois qui vous êtes et je pense à ce que vous auriez pu être! Oui, en vous contemplant, j'oublie jusqu'à ma destinée. Et je me dis que votre sort est pire que le mien, quoique je sois menacé d'une mort violente.
Carlota, qui mordillait le pommeau de sa cravache, rassembla les rênes et mettant son cheval au trot, dit:
—Je n'ai jamais eu le bonheur de rencontrer un être aussi bizarre que vous. A quelle espèce appartenez-vous?
Cette question fut faite d'un accent moitié badin, moitié curieux.
—Je suis, répliqua le chasseur noir, un membre de la grande famille humaine et pas une bête de proie comme ceux qui m'entourent. Je ne suis pas un animal, mais un être humain.
—Et, moi, repartit amèrement Carlota, moi je suis l'animal à l'état sauvage.
Le chasseur noir se prit à sourire, en s'écriant:
—Et moi, votre butin légitime. Me mangerez-vous?
Elle haussa les épaules.
—Ne me sauverez-vous pas? fit Pathaway, se rapprochant d'elle.
—Non, répondit-elle d'un ton qui n'admettait pas d'équivoque.
Et pressant le flanc de son cheval, elle alla se placer près d'Hendricks.
Le chasseur noir demeura plongé dans un chaos de doute et d'agitation.
XVI
LA PISTE DU TRAPPEUR
La route devenait plus difficile et la nuit plus noire. Après avoir contourné les montagnes, franchi des ravines, traversé des parties de terrain boisées, ils arrivèrent à un étroit sentier, profondément encaissé entre des rochers à pic.
Pathaway roulait dans son esprit des projets d'évasion, mais sans trouver une occasion favorable pour les exécuter.
Une fois ou deux il songea sérieusement à fuir, lorsqu'ils atteindraient un pays plus découvert. Mais on le gardait avec tant de vigilance qu'il lui fallut renoncer encore à ce dessein.
Carlota se rapprocha de lui par hasard, ou peut-être intentionnellement.
Pathaway ne demandait pas mieux que de renouer la conversation avec cette jeune femme, et, d'ailleurs, il ne désespérait pas de l'intéresser à son sort.
—Voici une contrée bien sauvage! dit-il. Serait-ce une indiscrétion que de vous demander dans quelle partie de votre territoire nous sommes à présent?
—Nous parcourons la piste du Trappeur, répondit Carlota. Elle a reçu son nom de la légende d'un trappeur blanc qui, le premier, explora cette région solitaire. Ce trappeur s'égara au milieu des montagnes, et ce ne fut qu'au bout de deux mois qu'il parvint à s'en tirer. C'était au milieu de l'hiver. Aussi le pauvre homme eut-il à souffrir terriblement de la faim et du froid.
—Si ce fait fût arrivé maintenant, il eût été facile de s'expliquer la disparition du trappeur, dit Pathaway avec une légère teinte d'ironie.
—Sans doute, repartit sèchement Carlota.
—Je suppose que la piste du Trappeur conduit à la vallée du Trappeur, reprit le chasseur noir. J'ai ouï dire que plus d'un trappeur a perdu son chemin dans ces défilés.
—C'est bien possible, répondit Carlota.
—Il n'est pas non plus très-surprenant qu'on ne puisse toujours retrouver sa route quand on s'est engagé au milieu de ces gorges. M'est avis qu'on devrait y ériger des cabanes de refuge et y entretenir une meute de chiens, comme ceux du Saint-Bernard, pour sauver les trappeurs et les chasseurs égarés.
Pendant qu'ils causaient, la lune se leva, la sente s'élargit et
Pathaway put mettre son cheval à la hauteur de celui de Carlota.
—La vallée du Trappeur! fit-elle en indiquant du bout de sa cravache un petit village à quelques pas devant eux.
Ce village se composait d'une quarantaine de huttes grossières et enfumées.
Pathaway laissa échapper une exclamation de surprise.
—Je supposais, dit-il ensuite à sa conductrice, que les tanières de vos gens étaient plus loin… dans quelque caverne.
—Ceux qui vont plus loin reviennent rarement répondit Carlota à voix basse. Mettez pied à terre.
Le chasseur noir s'empressa d'obéir, et il offrit la main à Carlota pour l'aider à descendre.
Mais, repoussant cette galanterie, elle sauta lestement de sa selle.
Pathaway se retourna et remarqua des signes de mécontentement non équivoques sur les visages de ceux qui l'entouraient.
Hendricks semblait particulièrement choqué de la familiarité qu'il avait témoignée à Carlota.
Le chasseur noir ne s'en émut pas.
—Vous reverrai-je? lui dit-il.
Elle ne répondit point et entra dans une cabane.
—Allons! cria Hendricks en le poussant vers me autre loge; allons, il est temps de vous préparer à sortir de ce monde. Nick Whiffles et vous nous avez joué de mauvais tours, mais j'espère que ce sont les derniers. Je suis bien sûr que vous n'êtes pas étrangers à l'évasion du Canadien. Peut-être vous figurez vous que je ne l'ai pas reconnu au camp de Nick, hein?
—Je sais que quelque chose vous a fait peur, répondit froidement
Pathaway.
—C'est faux… faux! Je n'ai jamais eu peur.
—Bah! ou aurait dit que vous aperceviez un spectre.
—Mensonge! je regardais le gamin.
—Le gamin! riposta Pathaway avec une surprise parfaitement jouée.
—Lui-même.
Pathaway hocha la tête en signe de doute.
—Je crains fort que vous n'ayez pas la conscience bien nette, capitaine
Hendricks, dit-il.
L'autre essaya un rire de mépris, mais il y avait plus d'effroi que de dédain dans les sons creux qui s'exhalèrent de sa poitrine. Cependant, pour se donner de l'aplomb, il lâcha une volée de blasphèmes épouvantables.
—Allons, entrez ici; c'est assez joué comme cela, grommela-t-il ensuite. Est-ce que vous pensez que parce que nous sommes des pirates de terre, nous devons tuer tous les enfants que nous rencontrons?
—Je ne vous comprends pas, capitaine, fit le chasseur noir.
—Le diable vous emporte! hurla Hendricks.
—On m'a dit, reprit Pathaway, que les criminels n'avaient point de repos. Je ne fais pas allusion à vous, capitaine; mais sans doute on vous a appris la même chose. Il est juste que les fantômes de ceux qui ont été assassinés viennent jour et nuit harasser leurs meurtriers. Il est de ces meurtriers qui ont été ainsi poussés à confesser leur crime, à se jeter entre les dents de ce monstre terrible, LA LOI, sombre dragon qui dévore impitoyablement les coupables.
—Ta! ta! ta! fit Hendricks en haussant les épaules et tournant sur les talons.
—Je sais ce que je dis, répliqua Pathaway avec un redoublement d'énergie. Moi-même, j'ai eu le malheur de tuer un homme en duel, et son cadavre sanglant ne me quitte pas.
—Jack Wiley! Jack Wiley, ici! cria le capitaine Dick.
Un homme parut. Il chancelait comme s'il eût été ivre.
—Hendricks ne s'aperçut probablement pas de l'état où se trouvait son subalterne, car il lui dit:
—Prends soin de ce gibier-là jusqu'à demain, et veille au grain, car si par malheur tu le laisses échapper, tu auras affaire à moi.
—C'est bien, capitaine; bien! on y verra, marmotta Jack. A-t-il des armes sur lui?
—Je ne pense pas, répondit Hendricks; mais, au surplus, tu as tes pistolets et ton fusil; il me semble que c'est plus que suffisant.
—Bah! il vaudrait mieux l'expédier ce soir, ça vous épargnerait l'ennui de le garder. C'est bien simple, une demi-once de plomb, vous savez?
—Fais ce que je te dis, et pas d'observation! répliqua aigrement
Hendricks.
Et il sortit de la cabane.
XVII
L'ÉVASION
En un coin de la hutte flambait un bon feu de sapinette, dont les chauds rayons éclairaient parfaitement le visage du chasseur noir.
—Tiens, c'est vous M. Pathaway! dit Jack d'un ton narquois; du diable si je vous aurais reconnu. Mauvaise chance, mal tombé cette fois! Vous n'avez plus longtemps à vivre. On vous a prévenu, n'est-ce pas?
—Oh! je ne désespère pas encore, dit le chasseur noir en souriant.
—Et vous avez tort.
Pathaway examina son interlocuteur.
Le visage de Wiley était sombre, presque impénétrable.
—Vous êtes un honnête homme? demanda notre héros.
—Moi, honnête, allons donc! je suis coquin et si je ne m'enorgueillis pas du titre, je ne m'en fâche pas non plus.
Pathaway comprit qu'il ne réussirait pas à faire battre un sentiment de générosité chez son gardien.
Il tourna alors ses batteries d'un autre côté et tâcha de le séduire.
—Si, dit-il, je vous offrais la fortune pour ma liberté.
—La fortune! et qu'en ferais-je? La fortune c'est bon dans les établissements; mais au milieu des montagnes à quoi ça peut-il servir?
—Mais ne pourriez-vous aller visiter les établissements?
—Moi! reprit Jack riant d'un rire incrédule! moi, visiter les établissements! Qu'est-ce que j'y ferais? à quoi serais-je propre? Est-ce que je saurais me coiffer d'un chapeau? mettre des bottes cirées. La belle tête que j'aurais dans un salon, hein? Ah! ah! ah! chacun me prendrait pour un ours gris.
—Oh! vous vous habitueriez bien vite à la vie civilisée!
—La civilisation, castors et loutres! qu'est ce que c'est que ça? Parlez du Nord-ouest et des jeunes beautés rouges et je vous comprendrai. Mais Jack Wiley ne veut pas de vos squaws au visage pâle. Elles ont l'air malade ces créatures-là. Vive les Indiennes! Ah! oui les Indiennes! Passe encore pour les bois-brûlées, mais vos filles blanches, pouah! je ne voudrais pas de la plus belle, pour une côte de bison. Assez causé. Ne me bâdrez plus à ce sujet, ou je me fâche.
—J'espérais qu'un millier de dollars en or, commença le chasseur noir…
—Un millier de dollars en or, hein! ça fait un boa tas, monsieur, interrompit Jack d'un ton pensif. Un millier de dollars! On peut faire diantrement des belles fêtes avec un millier de dollars, et même un fameux tour à Selkirk ou à Montréal.
—Mais oui, dit Pathaway, enchanté qu'il mordît à l'amorce.
—Est-ce que vous les auriez sur vous? fit Wiley jetant sur ses pistolets un coup d'oeil rapide, mais qui n'échappa point au prisonnier.
—Cet or sur moi, non, ma foi, je ne l'ai pas; je ne suis pas assez niais pour me charger d'une pareille somme quand je parcours ces régions.
—Psit! siffla Wiley. Vous vouliez m'en faire accroire; mais si vous n'êtes pas niais, vous n'êtes pas des plus fins, mon cher M. Pathaway. Allons, couchez-vous; il est temps, et tâchez de renforcer vos nerfs pour demain matin. Vous sentez que je ne suis pas un de ces oiseaux qui se laissent prendre avec deux grains de sel sur la queue.
—Soit! comme il vous plaira, répondit Pathaway, assez bon observateur pour s'apercevoir que sa tentative n'avait plus chance de succès.
Il s'étendit près du feu et se remit à réfléchir, car il avait découvert que le trappeur était sous l'influence de l'alcool.
Le chasseur noir ne savait guère comment il éviterait le danger mortel dont il était menacé. Mais il avait une de ces natures qui se plaisent au milieu des périls.
Sans se l'avouer peut-être, il aimait, comme Nick Whiffles, affronter «une maudite petite difficulté». Et, loin d'être abattu, son esprit se ranimait à mesure que les embarras de sa position augmentaient.
Wiley se tenait appuyé le dos contre la porte.
Il se remuait, tournait, agitait ses armes, mais ses paupières vacillantes étaient chargées de sommeil. Sa récente visite au monde des rêves et son rappel soudain par le capitaine Hendricks, avaient plongé son cerveau en une sorte d'état léthargique qui le pressait irrésistiblement de retomber dans l'oubli des choses extérieures. Son premier somme avait été comme le premier verre pour l'ivrogne: il sollicitait tous ses appétits vers un second. Aussi ses yeux se fermèrent-ils, malgré une ferme résolution de ne pas céder à la tentation.
Pathaway attendit ce moment avec une grande impatience. Mais il savait trop combien la circonspection lui était nécessaire pour agir en imprudent.
C'est pourquoi, lorsqu'il jugea que Wiley était bien endormi, il se souleva sur son coude, allongea le pied contre un fagot et brisa quelques branchages.
Il en résulta un son sec qui fit tressaillir la sentinelle.
Elle se redressa galvaniquement et baîlla.
Pathaway reprit aussitôt sa position première, et Jack, ayant une vague idée que tout allait bien, se reprit à ronfler de plus belle. Il n'y a rien que nous désirions tant que le sommeil quand il nous est défendu.
Prémuni par cette expérience, le captif prit encore plus de précautions.
D'un mouvement aussi rapide que léger, il fut sur ses pieds et se précipita sur Wiley, qui, malheureusement, se rappelait dans ses rêves la menace que lui avait faite le capitaine Hendricks. Pathaway était certain de n'avoir fait aucun bruit; mais quelque chose avertit son geôlier du danger: il bondit comme un automate mu par des ressorts et chercha ses armes, qui étaient tombées à ses côtés.
Mais il était trop tard; car, d'une main, Pathaway l'avait saisi à la gorge et renversé avant que Jack eût seulement pu ramasser un pistolet.
Le jeune homme noua ses doigts d'acier autour du cou de son gardien, et, plantant son genou sur sa poitrine, lui dit d'une voix sourde, mais impérative:
—Silence ou tu es mort!
En même temps, il retirait le couteau qu'il avait, on se le rappelle, caché dans sa poche de côté, et en faisait briller la lame sous les yeux de Wiley qui, interdit autant que suffoqué, ne put faire avec la tête un signe de consentement.
Le chasseur noir desserra ses doigts.
—Pour l'amour du ciel ne me tuez pas! balbutia le bandit.
—Ta vie, répliqua Pathaway, dépend entièrement de ton obéissance. Mais si tu ouvres la bouche, je t'étrangle.
Wiley aurait voulu parler, mais une crainte mortelle le tenait muet, à demi paralysé sur le sol.
Le chasseur noir tailla aussitôt une large bande de peau d'antilope dans la casaque de chasse du brigand. Puis il lui dit:
—Tourne-toi et dépêche.
Jack obéit avec un grognement.
Aussitôt Pathaway lui appliqua sur la bouche ce bâillon d'un nouveau genre, en découpant dans le même vêtement deux autres lanières, il lia avec rapidité les mains et les pieds de Wiley qui n'osait bouger quoique les ligatures faites, sans trop de délicatesse on le conçoit, fissent jaillir le sang de son épiderme.
Cela terminé, Pathaway s'adressa encore à Wiley:
—Tu vois, coquin, que les choses changent quelquefois plus vite que nous ne le prévoyons. Si tu avais été le prisonnier et moi la sentinelle endormie tu m'aurais tué, n'est-pas?
En prononçant ces paroles, le chasseur noir passait à sa ceinture les pistolets de Wiley, s'emparait de munitions et tout en jetant la carabine sur son épaule il ajouta:
—Il suffirait d'un coup, tu vois, pour mettre fin à ta misérable existence. Mais je ne suis pas de ceux qui aiment à verser le sang. Je ne le fais qu'à mon corps défendant… Je t'avertis, néanmoins, que je demeurerai quelques instants sur le seuil de cette cabane, et si tu fais un effort pour crier ou te détacher, j'en finirai avec toi.
Cette menace était inutile. Abruti par le whiskey, terrifié par ce qui venait de se passer; Wiley ne songeait pas à lutter, contre ce redoutable adversaire.
On comprend bien que, malgré sa déclaration, le chasseur noir ne s'arrêta point à la porte de la cabane et qu'aussitôt dehors il chercha à s'orienter.
La nuit étendait son aile noire sur le camp des bandits.
Un à un les feux s'étaient éteints; les habitants de ce terrible repaire dormaient dans leurs loges, et la plupart étaient en proie à une ivresse complète.
L'heure était favorable pour s'enfuir.
Le coeur de Pathaway battit avec violence au moment où il respira l'air de la liberté. Mais son émotion ne dura que quelques secondes.
Il s'élança bravement à travers le réseau de huttes et s'enfonça dans un chemin creux, qui lui parut être le même qu'on lui avait fait suivre pour arriver à la vallée du Trappeur.
Déjà les maisonnettes disparaissaient derrière lui et il ralentissait sa course pour reprendre baleine, quand, tout à coup, une ombre se dressa devant lui.
Cette ombre,.c'était; celle d'une créature humaine, celle de Carlota.
Pathaway l'avait trop bien examinée pour ne pas la reconnaître. Son apparition, à cet instant, ne pouvait être agréable au chasseur-noir.
Mais l'avait-elle aperçu? La lune était cachée, l'obscurité épaisse.
Peut-être avait-il échappé aux regards de la jeune femme.
Il s'arrêta Immobile, espérant que les ténèbres la protégeraient de leur bouclier.
Pathaway se trompait.
Carlota l'avait découvert. Elle s'approcha avec incertitude d'abord, puis avec décision en arrivant plus près.
Sa démarche et ses gestes indiquaient une surprise.
—Veuillez être silencieuse, dit Pathaway d'un ton impérieux quoique bas.
—Me commanderiez-vous? répondit hautainement Carlota:
—Non, vous êtes femme, je vous prie.
—Eh bien, donc?
—Écoutez, je m'échappe, parce que j'ai voulu m'échapper, et, à présent ni femme ni homme ne m'arrêterait impunément.
L'accent du chasseur noir exerçait un puissant empire. Mais Carlota n'était, paraît-il, pas femme à se laisser facilement intimider, car elle répliqua négligemment:
—Et s'il me plaît d'élever la voix et de crier «holà!»
Pathaway se jeta sur elle et lui colla la main contre la bouche.
—Excusez! nécessité oblige! siffla-t-il entre ses dents.
Elle ne fit aucun effort pour le repousser, ne bougea point, mais se tint calme, dédaigneuse, grande de dignité.
Cessant de la bâillonner, Pathaway la saisit au poignet.
—Nous sommes devant Dieu, mais prenez garde! dit-il avec une solennité lugubre.
—Oh! je sais, répliqua-t-elle froidement. Mais les menaces ne sauraient émouvoir Carlota.
—Alors, par le ciel, j'userai de la force!
Pathaway entoura de son bras droit la taille de cette Mystérieuse créature, et il allait lui fermer une seconde fois la bouche avec sa main gauche quand elle cria «Arrêtez!» avec tant d'impétuosité que ce dernier mouvement fut comprimé.
—Et que voulez-vous? ajouta Carlota avec une certaine agitation.
Croyez-vous qu'on m'effraye ainsi? Ai-je dit que je vous trahirais?
Le chasseur noir tressaillit.
—Vous alliez appeler au secours, dit-il presque timidement: je craignais que l'alarme….
—Laissez-moi continuer avant de parler, interrompit Carlota. Ce que je voulais dire, je ne l'ai point encore dit, et je voulais simplement crier: «Holà, Montagnards!»
—Pour l'amour de Dieu, taisez-vous! fit Pathaway, avec une intonation vibrante, quoique caverneuse.
—Ai-je donc élevé la voix plus haut que son timbre naturel? demanda-t-elle doucement. N'aurais-je pu crier si je l'eusse voulu… voyons? Était-il en votre pouvoir de m'empêcher d'éveiller le camp? Eh! vous ne le pensez point.
Elle prêta à ces mots l'emphase d'une femme habituée à dominer et qui se sent blessée dans ses fibres les plus délicates.
—Carlota répondit Pathaway changeant de manière et déployant plus d'affabilité; Carlota, je me suis mépris sur votre compte. Pardonnez-moi, je vous en conjure; mais, de grâce, laissez-moi partir sans retard. Souvenez-vous que c'est à votre sollicitation que j'ai épargné les jours d'Hendricks—votre père ou votre mari, ou votre amant, n'importe! J'en appelle à la compassion qui vous anime et je me confie à votre miséricorde.
—Oh! fort bien, après m'avoir insultée, après avoir osé lever la main sur moi!
—L'instinct de la conservation! balbutia Pathaway.
—Oui, cela se peut; mais les outrages ne s'oublient pas, surtout quand ils s'adressent à une femme de mon caractère. Vous êtes à ma merci.
Le chasseur noir fut prit d'un accès de colère qu'il essaya en vain de refouler.
—Oh! madame, s'écria-t-il, faites que je ne vous implore pas inutilement, car….
—N'avez-vous pas mendié mon assistance? interrompit-elle, en redressant sa belle tête, dont la brise de nuit faisait ondoyer l'opulente chevelure'.
—Oh! oui, repartit Pathaway avec empressement.
—Et si je ne mettais, aucun obstacle à votre fuite, trouveriez-vous le moyen de sortir de la vallée?
—J'en ai la conviction. Une fois dans le sentier de la piste du
Trappeur, je suis sauvé.
—Peut-être oui, peut-être non. J'ai entendu parler de vous et je sais que vous êtes aussi brave qu'habile, mais….
Elle fit une pause.
—Mais? répéta Pathaway tout ému.
—Suivez-moi.
Il n'hésita point. Elle l'avait fasciné.
Carlota fit un détour et le mena, à travers des amas de rochers, et d'épais halliers, à un chemin rétréci, que le chasseur noir ne reconnut pas, de prime abord.
Bientôt ils arrivèrent près d'un cheval sellé et bridé.
—Qu'est-ce que cela? s'enquit Pathaway étonné.
—Eh, mon Dieu! ne devinez-vous point pourquoi ce cheval est ici? répliqua Carlota en souriant.
Les yeux du chasseur percèrent les ténèbres et cherchèrent à lire sur les traits de la jeune femme.
Mais elle avait détourné la tête.
—Puis-je croire que vous méditiez mon évasion et m'ayez amené un cheval?
—Croyez ce que vous voudrez; l'animal est maintenant à vous.
—Quoi?… oh! que vous êtes bonne et généreuse! Combien j'ai eu tort de vous soupçonner!…
—Assez! dit-elle fièrement. Une fois faite, une méprise l'est pour toujours.
—Elle s'arrêta, comme si elle luttait, contre une violente émotion. Son petit pied battait le sable, et de sa cravache elle vergettait les larges plis de son amazone.
Pathaway la considérait avec émerveillement.
Enfin, elle dit:
—Vous êtes discret?
—Oh, madame!
—C'est bien, pas de protestations, votre parole me suffit. Je vais vous procurer un guide… mais à une condition.
Cette déclaration n'accommodait sans doute point le chasseur noir, car il fit un geste que la jeune femme interpréta aussitôt défavorablement.
—Vous me suspectez, s'écria Pathaway. Votre sexe est toujours prêt à manquer de confiance dans le mien.
—Après? prononça-t-elle sèchement.
—Je pensais que les femmes ne faisaient pas de condition, et que leurs actes étaient libres et volontaires.
—Pour ce qui les regarde, cela se peut, répliqua-t-elle, mais quand il s'agit des autres c'est différent. La trahison, voyez-vous, c'est une terrible chose…. Promettez-moi cependant que vous ne partirez pas avec des intentions hostiles.
Pathaway se taisait.
—Vous hésitez? demanda-t-elle d'une voix frémissante.
—Vous me mettez dans une pénible position, répondit le chasseur noir fort embarrassé. Sans refuser de me rendre à un ordre de ma bienfaitrice, je manquerais à mon devoir envers l'humanité si je vous donnais la parole que vous désirez, car, je vous le confesse, mon plus grand bonheur sera de chasser de cette retraite les misérables qui s'y réfugient et de venger les nombreuses victimes de leur cupidité et de leur barbarie.
—Oui, voilà bien ce que je prévoyais. Vous bondissez à l'idée de revenir promptement ici avec une force écrasante… n'est-ce pas cela?
—Tel n'est pas mon dessein.
—J'ai ouï dire que le gouvernement anglais organisait une expédition contre nous, et qu'un détachement militaire devait partir de Montréal—s'il n'était déjà en route—pour nous donner la chasse.
—Je promets, répliqua Pathaway, de ne conduire contre vous ni troupe de guerre ni gens armés, mais je ne puis jurer de ne plus revenir dans la vallée du Trappeur. Vous oubliez, belle Carlota, ajouta-t-il galamment, que votre présence ici peut avoir de l'influence sur mes opérations. Des charmes comme les vôtres…
—Finissez! pas d'outrage, je vous prie. Un futile compliment ne me trompe pas; l'hypocrisie me fâche. Je n'exige plus rien. Demeurez ici quelques instants, et je vous enverrai une personne qui vous mènera fidèlement au camp de votre ami.
—La femme sera toujours femme! murmura Pathaway. Excusez, Carlota; il est un sujet dont je dois, comme homme d'honneur, vous parler avant de nous séparer. Il s'agit de la fille du Canadien.
—Ce n'est pas l'heure de faire des questions, répondit-elle précipitamment, avec un trouble manifeste.
—Et, baissant la voix, elle reprit:
—Connaîtriez-vous cette Nannette?
—Je ne l'ai jamais vue, dit Pathaway, mais au nom de l'humanité, je voudrais pouvoir la protéger. Qu'est-elle devenue? Ne pouvez-vous rien faire pour la sauver? Portneuf s'est échappé, je l'ai vu.
—Hendricks avait raison. Il a beaucoup à craindre de vous. C'est la première fois que je déserte ses intérêts. N'importe, ce qui est fait est fait. Ne bougez pas jusqu'à l'arrivée du guide.
Carlota s'éloigna d'un pas léger et rapide. Bientôt elle eut disparu dans les profondeurs de la nuit.
XVIII
JOE
Ce ne fut pas sans méfiance que Pathaway attendit l'arrivée du guide que
Carlota lui avait promis.
Il se disait que peut-être elle se repentirait de ce qu'elle avait fait pour lui, et, qu'au lieu d'un conducteur, elle enverrait une troupe de bandits pour le reprendre. Son anxiété croissait de plus en plus et ses doutes prenaient la forme de la réalité quand le trot d'un cheval l'avertit que quelqu'un approchait.
En manière de précaution, Pathaway tira un pistolet et se tint sur le qui-vive.
Mais heureusement ces mesures étaient inutiles, car le cavalier qui arrivait était le guide annoncé par la jeune femme.
Il appartenait à la race indienne et pouvait avoir quatorze ou quinze ans.
—Squaw blanche avoir envoyé moi, dit-il. Moi montrer chemin à visage pâle.
—Carlota t'a envoyé? demanda le chasseur noir tout à fait rassuré.
—Joe l'a dit; Joe jamais dire même chose deux fois. Indien pas faire question; homme blanc faire question, pas juste.
Voyant que le jeune garçon n'était pas disposé à causer, Pathaway, qui s'était mis en selle, le suivit en silence.
Il songeait à Carlota, à Sébastien, à Nick, et à bien d'autres choses qui se rattachaient aux derniers événements de sa vie.
Quand l'aurore commença de blanchir l'orient, Joe mit son cheval au galop, partout où il fut possible, et marcha au grand trot dans les passes difficiles.
Sans doute, il avait hâte d'être hors de la vallée du Trappeur. En bien des endroits le sentier était dangereux, mais les deux animaux paraissaient accoutumés à le parcourir, et ils allaient d'un pas rapide, ferme et sûr.
Le soleil se leva au moment où il débouchèrent du défilé.
Pathaway supposait que son guide le quitterait à ce point; mais il n'en fut rien. Joe continua sa course vers le lieu où Hendricks et le chasseur noir s'étaient, rencontrés la veille.
—Je pense, dit alors Pathaway, que nous allons nous séparer ici.
—Séparer! non. Joe aller plus loin, répliqua le jeune garçon.
—Mais le capitaine Hendricks s'apercevra de ton absence? reprit le chasseur noir.
—Joe pas peur du capitaine. Il ira avec toi au camp de l'homme blanc,
Nick, comme tu l'appelles.
Il jeta un coup d'oeil à Pathaway, puis il fixa ses regards sur la tête de son cheval.
—Ta maîtresse, Carlota, t'a-t-elle dit de m'accompagner jusque là? demanda Pathaway.
—Maîtresse avoir dit à Joe rester aussi longtemps qu'il voudrait. Joe revenir peut-être, et peut-être pas. Lui aller, ici, là, partout—pas savoir où il va. Parfois être guerrier.
—Alors, tu es libre de faire ce que tu veux? reprit le chasseur qui avait été tellement préoccupé jusqu'à ce moment qu'il n'avait pas fait grande attention au jeune Indien.
—Oui, repartit-il nettement.
Pathaway se prit à l'examiner.
C'était un garçon bien constitué et de fort bonne mine, qui semblait aussi capable que tout autre de sa race de faire son chemin dans le monde.
Il avait des cheveux longs, noirs, dont les boucles abondantes baignaient son visage et ses épaules. Son teint était très-foncé, et on remarquait en lui un penchant à la coquetterie, car il était chamarré de peintures, de plumes et de broderies, en rassade.
Il devait évidemment être un favori, parmi les habitants de la vallée du
Trappeur, sans quoi il n'eût pas été aussi galamment attifé.
—Je parle pour ton bien, dit le chasseur noir, car il vaudra mieux pour toi ne pas retourner au milieu de cette bande de coquins. Mais il me semble aussi que tu es bien jeune pour te lancer sur la piste des guerriers, la tribu doit camper loin d'ici.
—Joe pouvoir chasser, pêcher et subvenir à ses besoins. Ne t'inquiète pas de lui.
—Depuis combien de temps as-tu quitté les tiens?
—Deux ou trois lunes. Squaw blanche donner à moi des habits, beaucoup à manger, rien à faire. Joe pas aimer ouvrage. Femmes faire ouvrage pour lui.
Le jeune Indien toucha son cheval de la main et accéléra son allure au point que Pathaway fut obligé de mettre sa monture au galop pour se maintenir à sa hauteur. Au bout d'une heure, ils atteignirent le but de leur destination, c'est-à-dire la cabane de Nick Whiffles.
Le brave trappeur était devant sa porte et appuyé sur sa carabine.
A la vue des deux cavaliers, il éprouva un double sentiment de plaisir et d'étonnement, qui se refléta instantanément sur son visage.
—Ma foi, je partais, ô Dieu, oui! exclama-t-il. J'ai fait une tournée la nuit dernière et j'allais en recommencer une autre. Je savais bien que vous reviendriez; je me tuais de le dire à Sébastien, mais il n'en voulait rien croire, oui. Dieu, je le jure, votre serviteur! Drôle de garçon que Sébastien, c'est moi qui vous le dis. Figurez-vous qu'il n'a pas fermé l'oeil de toute la nuit dernière. Il n'a fait que geindre et brailler comme une Madeleine. Tiens, mais vous avez l'air de vous être colleté avec quelque guerrier indien. Vous revenez avec deux chevaux et un prisonnier. Tant mieux; vous êtes le bienvenu; Quelle diablesse de maudite petite difficulté?…
Tandis que Nick faisait cette question, Sébastien sortit de la hutte.
Sa première impulsion fut évidemment de se précipiter vers Pathaway et de lui saisir la main. Mais il s'arrêta à mi-chemin, dans une attitude qui indiquait la surprise et la joie.
Le chasseur noir s'empressa de le saluer affectueusement.
—Quelle espèce de bagage avez-vous là? demanda Nick en désignant l'Indien.
Joe n'avait pas mis pied à terre. Ses regards étaient attachés sur
Sébastien.
—Ce garçon m'a servi de guide depuis la vallée du Trappeur, répondit
Pathaway.
—La vallée du Trappeur! exclama Sébastien, en frappant ses mains l'une contre l'autre.
Il avait l'air effaré et contemplait attentivement le guide.
Le chasseur observa ce tressaillement et le changement soudain de posture.
—Ainsi, dit Nick, vous êtes allé à la vallée du Trappeur et vous en revenez vivant? C'est bien extraordinaire, oui bien, je le jure, bien extraordinaire!
S'adressant ensuite à Joe:
—Pied à terre, et voyons quelle mine tu nous as.
—L'Indien ne parut pas avoir entendu.
—Mais Pathaway lui ayant, fait un signe, il sauta prestement sur le gazon.
—Joli marmot, joli marmot, quoiqu'il ait un petit brin l'air d'un gesteux. Il a bonne façon, tout de même, oui bien, je le jure, votre serviteur!
Sébastien et Joe échangeaient, durant cette apostrophe, des oeillades étranges.
Pathaway crut y découvrir des signes d'une vive inimitié.
—Ainsi donc, poursuivit Nick, changeant brusquement de sujet de conversation, vous êtes allé à la vallée du Trappeur. Voyons, mettez-moi ces bêtes-là au pâturage, et venez nous dire ce que vous avez vu et entendu.
A cet instant, Sébastien poussa un cri de terreur, en montrant du doigt la tunique de Pathaway, tailladées et déchirée en plusieurs places.
—Une maudite petite difficulté, oui bien, je le jure, votre serviteur! dit Nick qui avait fait la même observation. Moi, je me suis toujours bien tiré des difficultés. Chacun a les siennes. Elles vous tombent sur les épaules quand vous ne vous y attendez pas, et ce n'est pas toujours facile de les mettre de côté, ô Dieu non! C'est vrai, ça, les difficultés nous pleuvent sur la caboche dès que nous touchons la terre. Le premier souffle se fait au milieu d'un tas de difficultés, tout aussi bien que le dernier.
Puis viennent les dents, la coqueluche, la rougeole, la petite vérole, la fièvre scarlatine et tout le tremblement des maladies!… Et les coupures, les bosses, les claques, les torgnoles, les roulées, les piles qu'on attrape à l'école! Les bosses? ça me rappelle que j'avais une polissonne de disposition pour tomber quand j'étais moutard.
Je savais parfaitement grimper sur les arbres, mais c'était bien le pis pour moi, car au plus haut que je montais, de plus haut je tombais. Il y avait dans la maison une couple d'escaliers que je ne descendis jamais que la tête en bas, jusqu'à l'âge de onze mois. Et je faisais tant de vacarme alors, que les voisins croyaient que j'apprenais à jouer de la grosse caisse. Et c'est que je vous avais aussi une voix! Ce fut surtout dans ma deuxième année que cette superbe voix se développa.
Les difficultés l'avaient tant élargie que quand j'ouvrais la bouche les vitres tremblaient et tout le monde se bouchait les oreilles. Il fallait m'entendre quand j'étais tombé d'un pommier ou d'un cerisier! Quelle musique, bon Dieu! Regardant ceux qui l'entouraient, Nick s'interrompit pour dire ensuite:
—Sébastien, ne mange pas ainsi l'Indien avec tes yeux, Indien, ne mange pas ainsi Sébastien avec tes yeux. J'ai connu des enfants qui sont devenus enragés pour s'être ainsi dévisagés.
Où en étais-je? Ils m'ont fait perdre le fil de ma pensée, avec leurs mauvaises façons…. Votre chemise de chasse est pas mal endommagée, Pathaway.
Il s'arrêta et se prit à considérer alternativement le chasseur noir elles deux adolescents.
—Pour vous tout dire en peu de mots, répliqua Pathaway, j'ai eu, avant-hier, une rencontre avec cet Hendricks. Nous nous sommes dit de gros mots; il s'est montré insolent et je lui ai donné une leçon.
—Ah! j'en suis content, ô Dieu, oui! s'écria Nick en frappant le sol avec la crosse de sa carabine, bien content, répéta-t-il, et je pense que cette leçon a été bonne.
—Quelques coups de poing qui l'ont envoyé rouler à terre.
—Bravo!
L'oreille tendue, la paupière dilatée, la respiration haletante,
Sébastien écoutait.
—Est-ce tout? demanda Nick.
—Non. Il fallut une revanche. J'ai proposé un duel au couteau, il a accepté; et, dans la soirée d'hier, nous étions sur le terrain, un charmant endroit. La victoire me favorisa; je désarmai mon adversaire.
Le jeune Indien, qui jusqu'alors avait paru indifférent au récit, se rapprocha du narrateur.
—Hendricks était à ma merci, reprit Pathaway, et je ne sais ce que j'aurais fait quand une femme s'interposa.
—Carlota, c'était Carlota! murmura Portneuf qui venait de les rejoindre, car cette conversation avait lieu hors de la hutte.
—Oui, c'était Carlota, et avant que je connusse le danger, j'étais entouré par les vagabonds de la vallée du Trappeur.
—La misérable! exclama Sébastien.
Le jeune indien lui décocha un regard irrité; mais resta immobile.
—J'étais prisonnier, reprit Pathaway; et, après m'avoir fait marcher quelque temps ils m'ont donné un cheval et conduit à la vallée du Trappeur perdu où je suis entré par l'est.
—Vrai! dit Nick, dont le visage s'épanouit, et qu'avez-vous vu?
—Oh! peu de chose, peu de chose; quelque pauvres huttes, pas loin de la piste du Trappeur, qui est à la vallée du même nom ce qu'est un petit ruisseau se jetant dans un lac. Tous les mystères du local ne me furent pas révélés. Les bandits m'ont caché leurs antres les plus secrets.
—Sans doute, dit Nick; mais je crois que ces antres ne sont pas loin du lieu où nous avons trouvé Portneuf.
—Je fus, continua le chasseur, commis à la garde de Jack Wiley, avec promesse d'être pendu le lendemain matin. Fort heureusement mon geôlier s'endormit; je sortis de la hutte et je cherchais la piste du Trappeur quand je rencontrai….
—Vous rencontrâtes? interrompit fiévreusement Sébastien.
Le jeune Indien fronça les sourcils.
—Carlota, répondit Pathaway.
—Que dit-elle? que vous dit-elle? s'écria, Sébastien avec une agitation extraordinaire.
—Que je ne la comprenais pas; que j'avais été grossier envers elle, et qu'elle m'apprendrait à la connaître.
Les prunelles de Joe dardèrent des éclairs.
—La femme n'était pas tout à fait morte en Carlota, poursuivit le chasseur noir. Elle avait préparé mon évasion et je faillis tout perdre par ma vivacité.
—Est-ce que, demanda timidement Sébastien, est-ce que cette
Carlota—cette femme-homme—est belle?
Les regards de Joe se rivèrent sur le visage de Pathaway.
—Je ne m'en suis pas occupé sérieusement, répliqua ce dernier en souriant; mais maintenant que je me rappelle ses traits un à un, je déclare qu'elle est avenante. Pour mieux dire, elle a une certaine beauté sauvage capable de séduire bien des hommes. Elle est brillante et audacieuse. Ce sont des qualités qui éblouissent certaines gens.
S'adressant à l'Indien:
—Voyons, que penses-tu de ta maîtresse, Joe?
—Pour ceux qui l'aiment, elle belle; pour ceux qui ne l'aiment point, pas belle, répondit-t-il.
Et ses yeux, un instant abaissés, se portèrent de nouveau sur Sébastien.
—Eh diable! qu'est-ce que ça te fait, petiot, qu'elle soit belle ou non? dit Nick d'un ton goguenard. Est-ce que tu aurais envie de lui faire un doigt de cour? Ah! si c'était le cas, tu peux bien être sûr que je ne donnerai jamais mon consentement pour te marier avec la fille d'un pirate de terre, si ce n'est pas sa femme, ô Dieu, non!
—Je crois plutôt que c'est sa fille, dit Pathaway.
—Donc, reprit Nick, la vermine vous donna un cheval et un guide pour vous tirer de cette diablesse de vallée? hum! hum! hum! C'est pas tout à fait naturel ça. Je gagerais Maraudeur contre la première cagne venue que vous avez mis sa poitrine dans une maudite petite difficulté; c'est-à-dire, pas sa poitrine, mais son sein, ce qui n'est pas encore exact, car j'aurais dû dire son coeur, n'est-ce point Pathaway?
Sébastien sourit et Joe se mordit la lèvre inférieure.
—Oh! dit le chasseur noir, je ne suis pas assez fat pour m'imaginer que je fais ainsi des conquêtes à première vue. Du reste, Carlota n'est pas une femme commune.
—C'est aussi mon opinion, appuya Portneuf. Mais vous ne m'avez point parlé de mon enfant, de ma Nannette. J'attendais….
L'émotion lui coupa la parole.
—Non, dit doucement Pathaway, mais je ne sais rien encore sur son compte. Pourtant j'ai grande espérance….
La voix de Jeanjean s'éleva plaintive de la hutte.
Il chantait sa complainte de la Fille du trappeur.
—Allons, dit Nick en réfléchissant; il nous faudra lever le camp demain, pas plus tard.
A ce moment, Maraudeur se mit à aboyer; les chevaux qui paissaient sur le plateau dressèrent leurs têtes et leurs oreilles en donnant des signes d'effroi.
XIX
ENCORE JOE
—Tiens, mais c'est votre Martin, s'écria Pathaway, indiquant du doigt un ours gris énorme qui se dirigeait vers eux.
—C'est ma foi vrai; un bon animal, joliment bien apprivoisé, répliqua,
Nick en se grattant le front. Ici Maraudeur! à bas, Infortune!
Puis, entre ses dents, il grommela
—Quelle diablesse de maudite petite difficulté?
Il prit sa carabine sous son bras et marcha droit à l'ours.
L'animal se dressa sur ses pattes de derrière… et approchant son museau de l'oreille de Whiffles:
—Mon frère, suis-moi, dit-il.
Le trappeur continua d'avancer à grands-pas, et Multonomah,—nos lecteurs l'ont reconnu—trotta lourdement à son côté.
A l'est et au versant du plateau sur lequel Nick avait planté sa tente, se trouvait une grotte assez profonde et masquée par d'épais buissons.
C'est là que Nick et son compagnon se rendirent.
En y arrivant, Multonomah laissa tomber sa peau d'ours, la serra dans un enfoncement de la caverne et dit à l'autre:
—Moi et mon frère, nous retournerons à la cabane. Grandes choses à dire.
Nick ne répondit point. Il était plus soucieux que d'habitude.
Ils revinrent au camp, où la sortie de Whiffles avec l'ours avait laissé un certain émoi.
—Mon ami Multonomah, un Shoshoné, vous le connaissez Pathaway, dit le trappeur, en présentant l'Indien.
La vue de ce dernier parut impressionner douloureusement Sébastien.
—Allons, petiot, cria Nick, d'un ton qu'il tâchait de rendre dégagé autant que possible; allons, prépare une bonne tranche de bison;—la meilleure, entends-tu? Voici un hôte qui doit avoir faim.
—Non, pas besoin, pas manger, répondit le Shoshoné d'un ton grave.
Multonomah veut parler à Ténébreux.
—On écoute! dit Nick, faisant signe à Sébastien de s'éloigner et à
Pathaway de se rapprocher.
Ces deux gestes furent compris, ceux qu'ils appelaient obéirent aussitôt, quoique Sébastien éprouvât quelque répugnance à quitter la compagnie.
—Va! dit Whiffles à l'Indien.
—Le Shoshoné a chassé et trappé avec Ténébreux. Il est son ami et son frère.
—C'est vrai, vrai, tout ce qu'il y a de plus vrai. Et, malgré la couleur de ta peau qui n'est pas la couleur de la mienne, nos natures sont semblables, c'est moi qui le dis,—car tu es un humain assez honnête,—est-ce qu'un Indien n'est pas un humain, après tout?—oui, un humain aussi honnête que le plus humain qu'on peut découvrir d'ici au Grand Rouge[27]. Je sais bien que tu as un faible pour les chevelures; mais qui n'a ses faiblesses ici-bas? J'ai bien aussi les miennes, oui bien, je le jure, votre serviteur!
[Note 27: La rivière Rouge du Nord est ainsi appelée par les Indiens et les trappeurs.]
Nicolas regardait le Shoshoné avec des yeux cent fois plus éloquents encore que ses bonnes et franches paroles.
S'adressant ensuite à Pathaway:
—Il y en a pourtant, dit-il, qui ne se fieraient pas à cet Indien, parce qu'il n'est pas ce qu'il n'est pas, c'est-à-dire un blanc; mais, sauf votre respect, sa peau n'est pas plus épaisse qu'une feuille de papier, et, si vous vous glissiez derrière, vous ne pourriez dire la différence qu'il y a entre vous et lui, ô Dieu, non! Là, prenez-moi cet Indien, écorchez-le et je défie qui que ce soit de dire à quelle race il appartient.
—Ce n'est pas le cuir qui fait l'Indien, dit Multonomah; l'Indien est
Indien par le dedans. Nick aime une chose, Multonomah en aime une autre.
Le buffle n'aime pas le loup des prairies, ni l'antilope la panthère.
—Cela se peut, reprit Nick; cela se peut. Nous ne nous disputerons pas à cet égard; mais le dedans d'une montre ressemble diantrement au dedans d'une autre montre, quoiqu'il y ait des montres qui marchent pas mal plus vite que d'autres. Il y a aussi des horloges, mais le principe des montres est le principe des horloges, c'est mon opinion, ô Dieu, oui!
—Frère, dit lentement l'Indien, je ne suis pas venu pour parler de la manière dont le Grand Esprit nous a faits. N'as-tu pas vu des nuages dans le ciel? Fera-t-il beau, demain?
Nick et le Shoshoné échangèrent un double coup d'oeil.
—Indien, dit le premier, le ciel n'est pas clair; il est marbré de taches rouges et noires.
—Ténébreux n'est pas aveugle et j'en suis aise. Mais s'il voit, pourquoi est-il ici? Pourquoi, à la veille de la tempête ne cherche-t-il pas un abri, ainsi que font les oiseaux?
—Les oiseaux ne laissent pas de traces, murmura Nick en hochant la tête.
—Les oiseaux sont sages. L'homme n'a pas seul le don de la sagesse. Le serpent lui-même sait discerner l'approche de son ennemi, et alors il se retire dans son trou.
—Shoshoné, dit Pathaway s'adressant à l'Indien, parle ouvertement et sans figures.
—Je parlé comme je parle, repartit fièrement Multonomah! Le Maître de la vie ne parle jamais à ses enfants que par signes. Il ne dit pas: «Il y aura un orage,» mais il rend l'air lourd et place un nuage à son ciel. Il ne dit pas:—«Il fera beau demain,» mais il rougit et chauffe son soleil, comme s'il voulait l'envoyer sur un champ de bataille.
—Où, le ciel sera-t-il clair? demanda Nick.
—Il ne sera pas clair. Mais Multonomah tournerait ses mocassins vers le nord. Il a remarqué que quelques oiseaux font leurs nids dans les crevasses au sommet des rochers.
—Les oiseaux ne sont pas fous, dit Nick.
—Les plus petites choses nous instruisent, répliqua simplement le chef.
—Mais l'homme étant doué de la faculté de parler, il devrait exercer cette faculté d'une manière intelligible, fit observer Pathaway.
—Je parle pour ceux qui peuvent me comprendre. Ceux qui ne me comprennent pas, quand je m'exprime comme la nature me l'a appris, ne tireraient aucun profit de mes discours, si je parlais le langage des visages pâles.
Puis à Nick:
—Ténébreux, tu m'as entendu, et tu sais lire dans le livre du ciel et de la terre.
—Je le puis et je te remercie, mon frère, pour ta visite amicale. Je te souhaite d'heureuses chasses et l'appui constant du Grand Manitou.
—Ténébreux, j'ai dit, je m'en vas.
Multonomah tourna sur les talons et partit comme une flèche.
—Un Indien est un Indien, fit Nick Whiffles en mordillant l'extrémité de sa barbe, qu'il avait portée à la bouche avec sa main gauche.
Sébastien se tenait pâle, accoudé contre un arbre.
On eût dit qu'il avait entendu et compris cette conversation.
—Multonomah a bien parlé, dit Nick, après un moment de silence.
—Oui, répliqua distraitement Pathaway; j'admire bien des choses dans le véritable type indien. C'est à la nature que les Peaux-rouges empruntent leurs moyens de communication. La terre et le ciel sont leurs livres.
—Livres que j'ai pas mal étudiés moi-même, ô Dieu, oui! Souvent je les ai lus, voyez-vous, quand je reposais la nuit au milieu des prairies et que le ciel étalait ses grandes pages devant moi. Chaque étoile me disait quelle route je devais suivre pour trouver tel lac ou telle-rivière, cette montagne-ci ou cette vallée-là?
—Vrai! dit le chasseur noir.
—Je n'ai jamais été un astrologue très-fort et je ne connais pas une seule consternation…
—Constellation, voulez-vous dire?
—Ça ne fait pas de différence, répliqua imperturbablement Nick. Ça s'écrit des deux manières, quoique celle dont vous parlez puisse être plus-propre au point de vue grammatical. Comme je le disais, je n'ai jamais connu une consternation par le nom que lui donnent les savants, car je ne suis pas savant moi, ô Dieu non! Mais je les ai nommées à ma façon, j'en appelle une le Buffle, une autre le Chat-sauvage, une troisième le Loup, une quatrième le Serpent et ainsi de suite. Pour les étoiles isolées, je les nomme généralement comme mes chevaux—les favoris s'entend! de même que Suggestion, Firebug, etc. Ça m'épargne diablement des études, et c'est suivant la nature, qui est aussi une bonne maîtresse d'école, à peu près la seule que j'aie jamais eue, car je ne suis jamais allé à l'école qu'une couple de jours dans ma vie. Le maître m'appela et dit: «Qu'est-ce que c'est que ça? dit-il, en montrant la lettre A. «Sais pas» que je lui dis. «Savez pas, n'est-ce pas», dit-il, en me flanquant un coup dans les jambes. «C'est pas la peine», dis-je en me sauvant au bout de la salle. «C'est ce que nous verrons», qui dit. «Pourquoi avez-vous été envoyé ici? Regardez bien ça, monsieur», qui dit encore. Je revins près du maître d'école avec le frisson dans le dos et j'ouvris les yeux aussi grands que je pouvais. «Qu'est-ce que c'est que ça», dit-il, montrant son A. «Ça, je dis, ça ressemble au pignon de notre maison.» «Au pignon de votre maison, polisson!» qui dit, et pan pan, son bâton me tomba si dru sur la tête et les épaules que je ne vis plus que des tas de chandelles devant mes yeux. «Ah! gueux! ah! scélérat! ah! petit gibier de potence, tu es venu ici pour te moquer de moi, pour corrompre et empoisonner toute la jeunesse de mon institution,» qui disait, en cognant de plus en plus fort. Je me retournai, il n'y avait dans toute l'école que trois ou quatre mauvaises petites vermines comme moi, qui grelottaient de froid, car c'était au coeur de l'hiver et on avait oublié d'allumer le poêle, ô Dieu oui! Je compris tout de suite que le maître était devenu fou parce que son établissement n'était pas mieux encouragé. «Tu veux me gâter la génération naissante», qui disait. «Qu'est ce que ça me fait que votre génération naissante?» que je lui dis. Et là-dessus je pris mes jambes à mon cou et me sauvai aussi vite que je pus chez nous. Ma mère voulut me renvoyer le lendemain, mais nenni—ni, ni-ni, tout était était fini, oui bien, je le jure, votre serviteur!
Sans doute le brave trappeur ne se serait pas arrêté en si beau chemin et il aurait continué son comique récit. Mais Sébastien l'interrompit.
—Vous avez oublié l'ours gris et le Shoshoné, père Nicolas, dit-il.
—Oublié? pas une miette. Mais à quoi bon nous rendre malheureux quand nous pouvons être autrement? Croyez-moi, Nick Whiffles ne perd pas la mémoire pour des bagatelles. Quand, ainsi que l'a dit cet Indien, il y a des signes dans l'air et le ciel, je suis prêt à les examiner et à suivre leur conseil. Ce soir, nous coucherons au Rocher Noir.
Sébastien frémit d'épouvanté.
—Au Rocher Noir, répéta-t-il. Vous ne m'emmènerez pas avec vous, ou plutôt vous n'irez pas là. Le souvenir de cette affreuse rivière et de ces roches menaçantes, avec…
—Je sais, je sais, interrompit brusquement Nick. C'est, de vrai, un vilain endroit, mais il peut nous servir de refuge pour une nuit. Un garçon de ton âge ne devrait pas avoir peur des fantômes.
—Qu'est-ce donc? demanda Pathaway.
—Oh! des niaiseries. On dit qu'un meurtre a été commis dans cette place, et cet enfant s'imagine que les gens assassinés y reviennent… Une bêtise!
—Il me semble vous avoir entendu dire que vous aviez été témoin d'une tragédie près de ce Rocher Noir.
—Presque… pas tout à fait. Une jolie créature, et bonne! ô Dieu oui, bien bonne!
Ces dernières paroles paraissaient s'adresser plus à lui-même qu'à tout autre.
—Vous l'avez ramenée à ses amis, si je me rappelle.
—Je vous ai dit la vérité. Oui, je l'ai renvoyée chez elle, quoiqu'il m'en ait bien coûté de me séparer d'une si charmante… Enfin, ce qui est fait est fait.
—Vous l'aimiez? s'enquit le chasseur noir souriant.
—J'aimais jusqu'au gazon qu'elle foulait aux pieds, repartit Nick. Et ce n'était pas une de vos poupées de cire comme on en voit dans les établissements; mais une bonne créature, forte, substantielle, courageuse, oui bien, je le jure, vôtre serviteur!
L'Indien Joe, qui s'était sournoisement glissé derrière Pathaway, échangea un regard avec Sébastien.
Les yeux du dernier s'inclinèrent vers le sol; il s'approcha de Whiffles et il dit en lui prenant la main:
—J'y consens, Nicolas, nous nous rendrons au Rocher Noir; j'aimerais à voir le lieu où vous avez accompli un pareil acte de bravoure.
Joe fit un demi-tour sur lui-même et se dirigea vers le flanc de la montagne.
Nick remarqua ce mouvement.
Veillez sur le mauricaud, Pathaway, dit-il au chasseur noir. Je n'aime pas son air d'avoir deux airs. Il pourrait bien essayer de nous prendre dans une trappe. Si vous m'en croyez, nous allons lui lier les pieds et les poings. Ce sera un moyen de le garder, car je crains fort qu'il ne décampe et ne nous trahisse. Le Shoshoné le regardait d'une drôle de façon et je sais ce que veulent dire ces regards-là.
—Non, répondit Pathaway, j'ai meilleure opinion de lui. Ménageons-le.
—Soyez tranquille, dit Nick.
Il suivit aussitôt Joe, qui s'était avancé vers une petite pelouse où les chevaux paissaient.
Le trappeur arriva sur lui avec la promptitude et la légèreté d'un Indien. Il le toucha à l'épaule. Joe se retourna avec un tressaillement de stupeur.
—Tu n'es pas un vrai Peau-rouge, lui dit tranquillement Nick. Un Indien ne se serait pas laissé surprendre ainsi.
Joe recula de plusieurs pas. Il était si fortement impressionné que la peinture paraissait blanchir sur son visage.
—Joe jeune: Joe jamais avoir suivi piste des guerriers; homme blanc grand chasseur, très-adroit, balbutia-t-il.
—Ma foi, je ne puis en dire autant de toi, ô Dieu non! Mais que diable veux-tu à ces animaux-là?
—Joe fatigué; pas entendre discours des visages pâles; vouloir s'en aller.
—Ah! oui-dà, c'est comme ça, fit Nick le saisissant au collet; tu voulais décamper; je m'en doutais, maudite vermine. Tu entends bien ce que nous disons, et tu ne l'as que trop entendu; pas de conte.
Et le trappeur le souleva deux ou trois fois de terre, comme pour lui donner un échantillon de sa force.
—J'ai déjà pas mal tué de ton espèce, ce qui ne m'empêche point de dormir, disait-il négligemment.
L'Indien tremblait de tous ses membres; cependant il finit par reprendre un peu de courage.
—Pourquoi blesser Joe? dit-il. Joe enfant, toi homme. Si Joe homme et toi enfant, Joe pas blesser toi.
—Serpent, tu en sais trop long; je suis moins disposé que jamais à méfier à toi. Il se peut que tu aies raison, mais je ne le crois pas. Quand il y a un soupçon, le meilleur moyen, par ici, c'est de traiter un honnête homme comme un coquin. Après ça, tu dois te considérer comme prisonnier de guerre; c'est-à-dire, pas de guerre, mais des circonstances.
Cette déclaration souleva au plus haut point l'indignation de l'Indien. Sa couleur se manifesta par la vive rougeur des joues et l'éclat des yeux. Un moment, Nick crut que cet accès d'emportement allait se noyer dans un flot de larmes; mais bientôt il fut désabusé. Le jeune garçon réussit à se maîtriser, et, quoique son coeur battît avec force, il s'écria d'une voix assez ferme:
—Qu'est-ce à dire?
—Qu'est-ce à dire? as-tu dit; qu'est-ce à dire? répéta Nick en tracassant impitoyablement sa barbe. Est-ce que tu as si vite appris à parler comme les blancs? Diable, tu me fais l'effet d'un luron un peu finaud, ô Dieu oui!
—Joe demande pourquoi toi tourmenter jeune Indien. Lui ami de visage pâle. L'avoir dirigé dans une longue route. L'amener ici sain et sauf; pas laisser méchants blancs lui faire mal.
—Possible! possible! répondit plus doucement Nick. Possible et peut-être certain; oui, certain. Tu l'as aidé à se tirer de cette maudite difficulté et je te suis obligé. Mais les gens dans le danger ne s'arrêtent pas à ces petites distinctions. Tu sais sans doute ce que c'est qu'une distinction, Peau-rouge?
Joe branla lentement la tête.
—Comme de raison, non, reprit le trappeur. Un païen de ton espèce n'entend rien aux distinctions. C'est bête, les Indiens, vois-tu. Pourtant je suis content qu'ils n'y comprennent rien, car je n'aime pas que les gars de ta couleur imitent ceux qui valent mieux qu'eux. Mais assez causé, revenons au camp.
Ce disant, il l'entraîna vers la hutte.
—Pas serrer si fort! exclama le pauvre Joe.
—Bon, bon, tu n'en mourras pas. Je ne veux pas te faire de la peine, mais seulement t'empêcher de lever le pied.
—Joe pas vouloir s'en aller; pas aller à la vallée du Trappeur.
—Oh! je sais bien, oui je sais bien. Si tu te sauvais après que je t'aurai attaché les pieds et les poings, ça ne serait plus dans la nature des choses, ô Dieu, non!
Nick jeta les yeux sur son captif et remarqua que deux grosses larmes tremblotaient aux coins de ses paupières.
—C'est heureux, dit-il, qu'il n'y ait personne de ta race ici pour voir ça. Chez vous il n'y a que les femmes qui aient le droit de pleurnicher. Les guerriers ne laissent pas leurs yeux trahir leurs émotions.
A ce moment Pathaway arriva près d'eux. Il engagea Nick à traiter moins rigoureusement le jeune Indien. Mais ses représentations furent inutiles. Nick comptait l'obstination parmi ses défauts, et, quand il s'était mis quelque chose dans la tête, il n'était guère possible de le faire changer.
Il garrotta l'Indien, l'attacha à l'un des pieux qui supportaient le toit de la cabane et quitta le camp, après avoir recommandé au Canadien de faire sentinelle.
Dès qu'il fut parti, le chasseur noir s'approcha de Joe et lui dit d'un ton affectueux:
—Ne t'afflige pas, mon garçon. Il ne te sera fait aucun mal. Soumets-toi patiemment aux caprices de Nick Whiffles. Je suis assuré qu'il n'a pas de mauvaises intentions.
Ensuite, il examina la corde qui liait les poignets de Joe et, la trouvant trop roide, il en desserra le noeud.
L'Indien ne dit pas un mot.
Il se tenait les yeux baissés, le front couvert de nuages.
XX
NICK APPREND A SE CONNAÎTRE
Nicolas revint au bout d'une heure. Il semblait fort préoccupé. Appelant Pathaway, il sortit de nouveau avec lui, et tous deux passèrent le reste de la journée à faire le guet autour du camp. On les vit escalader les montagnes, puis explorer les vallées environnantes. Ils cherchaient à s'assurer que des ennemis n'étaient point déjà cachés près de leur retraite. Au coucher du soleil, le trappeur revint avec Pathaway. Le souper fut servi froid, sur l'ordre de Whiffles, qui craignait que la fumée d'un feu ne les trahît.
Ensuite, Nick amena les chevaux à la porte de la hutte et couvrit leurs sabots avec de larges bandes de peau de buffles et de daims, en apportant un soin extrême à cette opération.
L'homme qui n'a pas, disait-il, été doué de l'instinct des animaux inférieurs, a la raison pour y suppléer. Tu vois, Sébastien, que je place ces fourrures le poil en dehors. Ça forme un bon coussin pour le pied et ne laisse pas de trace. De cette manière, on fait la nique aux Indiens, ces renégats de Peaux-rouges que la nature a marqués exprès pour en faire le point de mire d'une honnête carabine.
—Indien meilleur que visage pâle! exclama Joe.
—Oh! qu'est-ce que c'est que ça? reprit Nick laissant tomber le pied de l'Hérissé qu'il avait achevé de matelasser.
—De grâce, laissez-le! s'interposa Pathaway.
Whiffles grommela quelques paroles de mauvaise humeur, mais se tut jusqu'à ce que sa besogne fut terminée.
Les animaux une fois chaussés, Nick plaça Sébastien sur le sien.
—Il faut, dit-il, que cet enfant aille à cheval à cause de sa blessure, ô Dieu, oui!
Et se tournant vers l'Indien que le chasseur noir avait délivré de ses liens:
—Allons, saute-moi là-dessus! visage de cuivre.
Joe obéit avec une répugnance marquée, et, malgré les remontrances de Pathaway, Nick l'attacha sur sa selle, comme si c'eût été un captif légitime.
—En avant, Canadien! dit-il à Portneuf, et vous, Pathaway, ayez l'oeil sur les enfants, tandis que j'aurai les yeux sur tout le monde.
La petite troupe se mit en marche, à l'exception de Nick, qui demeura près de la cabane, accoudé sur sa carabine, avec ses deux chiens à ses côtes.
Le pas assourdi des chevaux cessa bientôt de se faire entendre et un silence complet régna dans le désert.
Pas un rayon de lune n'argentait le ciel; pas une étoile ne scintillait au firmament. L'obscurité était profonde. La brise n'agitait point la cime des arbres. On eut dit que tout était plongé dans un sommeil léthargique. Mais, tout à coup, le feuillage d'un gros buisson, placé à gauche de la cabane, ondula; la tête d'un Indien sortit des branches et deux yeux brillants comme des charbons étudièrent le terrain. Infortune et Maraudeur bondirent sur leurs pieds. Mais un regard de Nick Whiffles arrêta la démonstration qu'ils se disposaient sans doute à faire. La chevelure du sauvage, fixée droite sur son crâne, était ornée de sept plumes. Quelques secondes après, une seconde tête se montra. Elle était hérissée d'une abondante chevelure; malgré les ténèbres, Nick Whiffles reconnut tout de suite un blanc.
—Je m'y attendais, murmura-t-il. Les coquins se sont coalisés. Voilà bien Bill Brace. Il doit y avoir derrière eux quelque autre corbeau d'Hendricks. Ils vont soulever les Pieds-Noirs contre nous. Ils les achèteront avec du whiskey, des bimbeloteries ou des couteaux de pacotille, il y aura bien quelque maudite petite difficulté, mais j'en ai vu d'autres, ô Dieu, oui!
Comme les gens qui mènent souvent une vie solitaire, Nick aimait à exprimer sa pensée par des paroles quand il était seul. Maia il parlait si bas, qu'à peine le son s'échappait de ses lèvres.
Un gros arbre l'empêchait d'être aperçu par les deux arrivants.
L'Indien ne soupçonnant pas la présence du trappeur acheva de se lever et entra dans la cabane suivi de Bill Brace.
Un moment après ils en sortirent, et le dernier s'écria du ton d'un homme vivement désappointé:
—Partis! ils sont partis! C'est encore là l'ouvrage de ce damné Nick
Whiffles. Qu'on penses-tu, Peau-rouge?
—Ténébreux bien noir; aller et venir comme renard; bon oeil pour longue carabine; tirer, tuer, courir, pas prendre lui. Sept Plumes essayer souvent enlever sa chevelure; pas pouvoir.
—O Dieu, non! pensa tranquillement Nick.
—Cacher dans les bois, pour tuer lui, quand lui aller dans les bois; lui pas aller dans les bois; aller dans la prairie, un, deux, trois, quatre milles plus loin. Pas tuer lui!
—Pas une miette! dit mentalement le trappeur.
—Suivre sa trace trois jours, continua Sept Plumes avec amertume, trois jours pour le surprendre endormi. Arriver à son camp, la nuit; chiens aboyer comme diables. Pas trouver lui endormi.
—C'est, fit Nick, grâce à Dieu, qui m'a donné assez de sagesse pour éviter les griffes des païens de cette espèce.
—Une fois, entourer sa loge avec guerriers et tirer dix, quinze, vingt-cinq coups fusil. Lui tirer aussi avec longue carabine. Tuer Indien à chaque coup. Pas bon ça! Une autre fois à moi faire visage pâle prisonnier; emmener lui, mais Ténébreux cacher lui dans vallées, voler prisonnier et prendre avec lui. Ténébreux difficile à attraper.
—Pour ça, je ne puis dire que j'en sois fâché, Pied-Noir, repartit Bill Brace. Cet homme dont tu parles est Jack Wiley, et il appartient aux compagnons du capitaine Dick. Si vous aviez fait du mal à Jack, il n'y aurait pas eu d'amitié entre nous.
Nick souleva la crosse de sa carabine et ses doigts se portèrent à la platine. Mais, soit par politique, soit par humanité, il se contenta de rester sur la défensive.
—Sept Plumes aura Ténébreux et le traînera à son village, continua Brace avec détermination. Sa chevelure ornera son wigwam, après que sa femme et ses enfants auront joué avec elle, l'auront portée triomphalement au bout d'une perche. Ce sera beau de la montrer et de dire:—«Voici la chevelure de Nick Whiffles.»
—Lui grand guerrier, grand chasseur, grand trappeur, grand pour tout, répliqua Sept Plumes d'un accent pensif.
—Si grand qu'il soit, il sera à toi.
L'Indien fit un signe de tête en s'exclamant:
—Ouah! avec un accent qui décelait une profonde joie.
Bill Brace comprit qu'il avait frappé juste.
Aussi poursuivit-il sur le même ton:
—Depuis bien longtemps le grand Nord-Ouest est fatigué de Whiffles ou Ténébreux, comme on l'a appelé. Il a bien à lui seul enlevé plus de cent chevelures à vos Indiens.
—Non, Ténébreux pas scalper guerriers tués par lui… jamais, intervint gravement Sept Plumes.
—Ça ne fait rien, se hâta de reprendre Brace; non, ça ne fait rien. Il a couché à terre des Peaux-Rouges tant et plus. On ne peut maintenant faire un pas sans entendre parler de lui.
—Vrai; mon frère dit vrai?
—Allez au Grand Rouge et à mille milles dans l'intérieur, tous ceux que vous rencontrerez vous demanderont si vous l'avez vu.
—Vrai, ça; vrai.
—Descendez à la Colombie, c'est encore la même chose.
—Oui, très-vrai; Ténébreux grand chasseur.
—Traversez les lacs jusqu'à Montréal; rendez-vous même à Gaspé, et les
Canadiens-Français vous demanderont si vous connaissez Nick Whiffles?
—Indien pas savoir, jamais marcher dans cette direction.
—Sur le flanc méridional des montagnes rocheuses, poursuivit Bill Brace en s'animant, on veut savoir ce que fait ce damné Nick Whiffles et s'il se propose de venir bientôt. Je sais que c'est comme ça, tant par ma propre expérience que par ce que j'ai appris des autres.
—Lui grand guerrier, grand chasseur, grand trappeur, grand pour tout, recommença Sept Plumes sans déguiser son admiration.
—Oui, mais je le répète, si tu veux, il sera à toi Le capitaine Hendricks dit que tu l'auras, s'il a assez de monde pour s'emparer de lui, quoiqu'il ne semble pas trop avoir l'air de s'être mêlé de cette affaire, car tout ce qui se passe ici finit par être rapporté dans les établissements, et le capitaine n'aimerait pas qu'on y dît du mal de lui. Il a une grande provision de couteaux, de couvertes et de rassades pour ses frères, les Pieds-Noirs.
—Mon frère dit-il vrai?
—Oui, le capitaine a aussi de longues carabines pour le grand chef Sept
Plumes.
—Longues carabines bonnes. Ténébreux avoir une.
—Amène donc tes braves et tu auras ces armes. Mais souviens-toi qu'il y a avec Nick un homme et un enfant qui m'appartiennent. Ça entre dans les conditions de notre marché, n'est-ce pas?
—Moi voir, dit l'Indien. Vous combattre comme des squaws. Ténébreux frapper dur, avoir aussi un jour abattu Bill Brace comme une branche morte. Et Bill Brace avoir visage de femme quand elle battue par Indien enflammé par eau-de-feu, ouah! ouah!
Et Sept Plumes détourna la tête en signe de mépris.
Bill Brace proféra un juron épouvantable, qui exprimait très-énergiquement son dépit.
L'Indien partit d'un éclat de rire, lequel acheva d'exaspérer Brace.
—Mon frère, continue, dit ensuite le premier avec le flegme particulier aux individus de sa race.
Et comme Bill ne l'écoutait pas:
—Sept Plumes pas temps à perdre; partir maintenant.
Ces mots rappelèrent à l'agent d'Hendricks qu'il lui fallait, avant tout, s'acquitter du message qu'on lui avait confié.
—Tu auras douze longues carabines pour ta part, dit-il.
—Douze, pas connaître.
Bill rompit un rameau et le divisa en douze parties qu'il montra à l'Indien.
—Bien connaître à présent, dit celui-ci.
—Oui, mais pour avoir ces douze longues carabines pour toi et les autres choses pour tes guerriers, tu devras te soumettre à la volonté du capitaine.
—Faire quoi?
—Prendre aussi l'enfant. Le capitaine le veut.
—Ouah! ouah!
—Puis il y a un Canadien, nommé Portneuf, que tu devras mettre de côté avant qu'il ne respire l'air des établissements. Pas de cérémonie avec lui, chef! Enlève sa chevelure aussi vite que possible.
—Mais celle du petit.
—Oh! celle-là, elle appartient au capitaine. Défense formelle à toi ou aux tiens d'y toucher.
—Ouah! ouah!
—Je n'ai pas fini.
—Bill Brace trop long, trop, fit Sept plumes en regardant la lune qui commençait à percer les nuages.
—Comme ça, l'affaire est réglée? demanda le bandit.
L'autre ne répondit pas.
—Est-ce que tu m'entends, Pied-Noir?
—Indien est-il arbre ou pierre?
—Qu'il parle donc alors, s'il a compris.
—Tu seras bien fin si tu le fais parler, en l'interrogeant de cette façon, ô Dieu, oui! murmura Nick dans sa cachette, ou il se tenait toujours aux aguets.
—Si Bill Brace connaît la piste de Ténébreux, qu'il la montre, reprit
Sept Plumes éludant ainsi la question.
—Ça n'est pas difficile, dit Brace.
—Pas difficile! pas difficile, comme il y va ce brigand de menteur! pensa Nick. Ah! je te fourrerai encore dans une maudite petite difficulté, avant que tu ne trouves ma piste.
Brace se prit à examiner le sol, à la faveur d'un rayon de lune, et, tandis qu'il se livrait à ce travail, Nick décampa silencieusement et reprit la route qu'avait suivie la petite troupe à laquelle il portait un si vif intérêt.
Néanmoins, en se rapprochant, il eut soin de cacher sa trace, soit en faisant de longs détours, soit en brisant des branchages dans des clairières éloignées, pour tromper les yeux de ses ennemis.
XXI
UNE ÉMOUVANTE DÉCLARATION
Pathaway et le reste des aventuriers étaient déjà loin.
En chemin, suivant sa promesse, le chasseur noir s'était tenu auprès de
Sébastien pour le protéger, avant tout, en cas de nécessité.
L'adolescent recevait ses attentions avec un singulier mélange de gratitude et de timidité, et s'il eût fait plus clair on l'eût vu rougir plus d'une fois. Souvent aussi on eût vu s'arrêter sur eux les yeux de Joe, pleins d'une sombre expression.
Cependant, l'Indien s'étant rapproché, Pathaway appuya un peu sur la droite pour lui parler.
—Je regrette fort, dit-il amicalement, qu'un garçon qui m'a rendu un si grand service soit traité de la sorte. Mais, nous sommes placés dans une position si périlleuse que nous devons user de toutes les précautions raisonnables, quoique j'avoue que si ce n'était pas notre ami, le trappeur, je ne consentirais pas à cette mesure.
—Indien pas s'en occuper; avoir guidé visage pâle, mauvaise récompense. Chasseur blanc pas de mémoire. Attacher Joe comme chien—mais Joe pas sentir—pas mal aux chairs.
Il prononça ces phrases saccadées d'un ton si affligé que Pathaway n'aurait pas été surpris que des larmes coulassent sur ses joues. Mais le chagrin de l'Indien—chagrin il y avait—était empreint d'un ressentiment qui semblait aussi tout près d'éclater. Ne sachant comment adoucir un caractère de cette trempe, Pathaway continua de se tenir à son côté, en cherchant l'occasion de renouer l'entretien.
Sébastien trottait à une faible distance, qui ne lui permettait cependant, pas d'entendre les paroles du chasseur noir et de Joe.
—Pourquoi toi marcher près de moi? dit ce dernier au bout d'un moment.
Joe pas blanc. Va vers ta squaw!
-Ces mots furent accompagnés d'un dédaigneux regard à l'adresse de
Sébastien.
—Que dis-tu, Joe? demanda le chasseur noir n'en croyant pas ses oreilles.
—Joe dire à toi d'aller avec squaw.
—Une squaw! où?
—Celle-là! répliqua l'Indien montrant Sébastien par un mouvement de tête.
—Lui une squaw! non. Il ne mérite pas ce reproche. C'est au contraire un garçon courageux. La blessure qu'il porte au bras l'atteste.
—Quoi? comment ça? demanda vivement Joe, comme s'il eût été mis hors de garde.
—Il m'a sauvé la vie, en jetant son bras entre moi et le couteau d'un assassin,—un brigand fieffé, nommé Bill Brace..
—Bill Brace! répéta l'Indien d'une voix émue.
—Oui, Bill Brace, une de ces créatures d'Hendricks. Et sans Sébastien Delaunay je dormirais, pour ne plus me réveiller, sous le vert gazon des solitudes. Je dois donc à cet enfant plus qu'à tout autre.
—Personne autre n'a-t-il sauvé la vie du chasseur au visage pale? demanda sèchement Joe.
—Oui, Carlota,—une femme bien mystérieuse, répondit Pathaway en soupirant. Elle aurait pu être aussi recommandable par l'esprit que par le physique; mais maintenant, hélas! c'est une beauté perdue.
—Elle a sauvé vie à toi et toi pas aimer elle. Pas ainsi fait Indien. Lui pas oublier, quand rencontrai un ami, prendre lui par la main et dire: «Toi libre. Voici cheval, selle, avec bride et garçon indien qui trahira pas toi.»
—Ces liens te blessent-ils? demanda Pathaway, après une pause embarrassante.
—Joe pas se plaindre. Lui pas pleurer comme squaw.
Cependant ses poignets étaient déjà fort gonflés. Le chasseur noir s'en aperçut.
—Je vais te dégager les mains, s'écria-t-il touché de remords.
Et aussitôt il trancha la corde en ajoutant:
—Je me fie à toi, j'espère que tu n'abuseras pas de ma bienveillance.
—Joe pas faire promesse; faire ce qui plaît à lui, mais pas promesse.
Lui dire à visage pâle que ce garçon pas garçon, lui squaw, lui femme!
—Mais qui?
L'index de l'Indien désigna clairement Sébastien.
—Comment, lui? fit Pathaway, répétant avec l'Indien le geste du doigt qu'avait fait Joe.
—Lui!
Un nuage monta au cerveau du chasseur noir.
—Joe dire vérité; lui pas mentir; ce garçon, femme!
Pathaway ne répondit pas immédiatement.
Peut-être comparait-il l'assertion du jeune indien avec des soupçons vagues qui étaient déjà entrés dans son esprit. Peut-être cette déclaration si précise soulevait-elle en lui un monde d'idées.
Quoi qu'il en soit, il demeura préoccupé pendant plusieurs minutes.
A la fin, relevant sa tête, qui s'était penchée sur sa poitrine, il dit, de ce ton de réflexion que prennent certaines personnes, en répondant plutôt à leurs propres pensées qu'à leurs interlocuteurs:
—C'est une plante délicate que Sébastien, un bois-brûlé d'une faible, mais charmante complexion; néanmoins cette conjecture est bien improbable.
—Visage pâle sage, mais Joe savoir, savoir ce garçon femme, Coeur d'homme blanc dire à lui, garçon, femme; mais homme blanc pas croire coeur; marcher comme homme qui rêve, maintenant satisfait, maintenant pas; maintenant pas souci, maintenant beaucoup souci.
Les yeux pénétrants de l'Indien étaient fixés sur le chasseur noir comme pour lire au plus profond de son âme.
Défait, ce dernier était grandement ému; et il ne songeait plus ni à
Carlota, ni aux bandits de la vallée du Trappeur.
Joe avait-il vraiment fait une découverte? Ce joli garçon était-il une femme? Si c'était réel, comment se trouvait-elle en ces lieux? Pourquoi portait-elle ces vêtements masculins? Quel intérêt Nick, ce brave trappeur, fait pour la chasse et les «maudites petites difficultés,» avait-il à la garder ainsi avec lui? Quelle était donc son histoire? et dans quel but errait-elle comme une fée nomade des déserts du Nord-Ouest?
« Ses grands yeux bleus brillaient vers le soir
» Comme turquoise sur velours noir,
» Et de sa voix, si douce et charmante,
» Elle disait ses soupirs d'amante.
» O belle était la fille du trappeur,
» O belle était la fille du trappeur!»
La naïve complainte, échappée tout à coup aux lèvres de Jeanjean, rompit mélancoliquement le calme de la nuit.
Mais au moment où le pauvre fou disait son refrain, une voix bien connue retentit aux oreilles de la troupe.
—C'est joli, bonne musique, ô Dieu, oui; un moment toutefois! Cette musique-là n'aurait pas le pouvoir d'adoucir les animaux à deux pattes qui nous entourent. Aussi, André, mon garçon, cesse de chanter, quoique tu chantes aussi bien que mon oncle Whiffles, le grand explorateur de l'Afrique centrale. Ce que tu ne sais pas, ignorant! c'est qu'un jour, pour avoir trop bien chanté, il s'est fait scalper par les nègres noirs de là-bas. Si tu continues, les nègres rouges d'ici pourront bien se passer une pareille fantaisie…… oui bien, je le jure, votre serviteur!…
—S'adressant ensuite à Sébastien, Nick Whiffles ajouta:
—Tiens, est-ce que tu dors? petiot? Et comment va notre bobo? Pas trop bien, n'est-ce pas? La nuit est fraîche et la fraîcheur n'est pas bonne pour les éclopés, ô Dieu, non! J'ai connu, une fois, une femme qui s'était coupé le bras…—mais non, ce n'était pas une femme, qu'est-ce que je dis là, moi? C'était ma soeur Maggy Whiffles, une belle créature, s'il vous plaît. Mais tu ne te sens pas plus mal, hein, Sébastien?
Pathaway se tourna du côté de Whiffles, comme un homme qui sort d'un rêve.
Le jour venait enfin de dissiper les brumes qui voltigeaient sur le cerveau du chasseur noir.
Il comprenait les soins exquis, malgré leur rude simplicité, dont Nick entourait Sébastien, sa tendresse vraiment féminine, sa constante sollicitude et les mille attentions qu'il avait pour l'enfant.
Mais il restait un mystère à approfondir, et notre héros se plongea tout entier dans ce mystère. Déjà il n'était plus indifférent aux périls qui les environnaient… Il avait à sa charge un être frêle et gracieux, qui prêtait un immense intérêt à la fuite ou à la défense.
Un roman de femme venait colorer les vastes régions du Nord-Ouest.
Le charme de son innocence, de son infortune, de sa beauté remuait puissamment le coeur du jeune homme.
Il sentait ses forces grandir et désirait presque qu'un incident lui fournît l'occasion de déployer sa valeur et son adresse sous les yeux de l'attrayante inconnue. Car ainsi sommes-nous faits qu'il se mêle toujours un petit grain d'amour-propre au calice de nos plus généreuses émotions.
Cependant, après l'échange de quelques poignées de main, Nick Whiffles reprit, avec ses amis, la marche un instant suspendue.
Ils ne tardèrent pas à arriver au cul-de-sac conduisant au petit bassin qui avait reçu le nom de Rocher Noir, à cause des masses de granit sourcilleuses qui le surplombaient.
Nick Whiffles avait de justes raisons pour se rappeler cette localité, car, non-seulement il y avait perdu nombre d'attrapes, mais il y avait été témoin de ce terrible drame décrit dans le premier chapitre de notre récit.
Pathaway remarqua que Sébastien frissonnait de tous ses membres et que Nick, placé à côté de lui, semblait l'encourager par d'affectueuses paroles.
—Dans des circonstances ordinaires, dit le trappeur, d'un ton assez dégagé, ce lieu serait sûr; mais au point où nous en sommes, il serait difficile de lui accorder toute confiance, car il est à croire que les païens rouges sont ligués avec nos ennemis; et peut-être bien qu'ils nous donneront de leurs nouvelles avant que le monde ne soit beaucoup plus vieux, mais, après tout, trois bonnes carabines dans des mains exercées parlent honnêtement aux oreilles et au coeur d'une troupe de ces vermines!… oui bien, je le jure, votre serviteur! Et puis une petite difficulté, si petite qu'elle fût, me ragaillardirait. Il y a longtemps que je n'en ai eu une. Elles deviennent rares les difficultés, ça s'use, comme toute chose, ô Dieu, oui! Mais n'aie pas peur, Sébastien, on se tirera de celle-là comme des vieilles.
—Je n'ai pas peur, père Nicolas, répondit Sébastien.
—Pas un petit brin? pas un petit brin? vrai? Ah? je savais bien, moi, que tu n'étais pas poltron.
L'Indien fit un haussement d'épaules qui attira l'attention de Nick, car, lui lançant un regard aigu comme une flèche, il dit avec vivacité:
—Ces polissons de Peaux-Rouges sont déjà de taille à vous scalper quand ils ont fait leurs dents de lait. Mais je connais un moyen excellent pour leur rogner dents et griffes.
Joe pensa-t-il que cette remarque s'appliquait à lui? voilà qui est problématique.
Un sourire s'épanouit sur les lèvres pâlies de Sébastien, mais pour s'effacer tout de suite.
Les voyageurs débouchaient alors de la passe dans le bassin du Rocher
Noir.
XXII
LES ENNEMIS
Le rempart irrégulier de rochers qui prête son nom à cette place, dressant à perte de vue ses sombres crêtes, ressemblait à une muraille bâtie par quelque race de géants éteinte. On eût dit que la main active et dévastatrice du temps, seule, en avait altéré l'uniformité. Le cours d'eau, auquel Nick avait donné l'appellation de coulée Noire, marquetait comme une plaque d'ébène l'espace enfermé par les rochers.
Sébastien se serra près de Whiffles et le chasseur noir se rapprocha d'eux.
—Notre jeune ami a encore le frisson? dit-il doucement.
—Pas le frisson, du tout, répliqua Nick; ce n'est que l'animosité de sa blessure. Ça lui donne de fières douleurs, voyez-vous? mais comme il est de sang indien, en partie au moins, il ne bronche pas. La vanité l'empêche de se plaindre. Je connais ça, moi! Vous n'avez pas idée de la quantité de tourments qu'il peut endurer. Je crois réellement qu'il pourrait se laisser arracher une double dent par un docteur de Selkirk, sans brailler, ce qui prouve pas mal en faveur de son courage, car les dents de Whiffles poussent joliment dures. On a bien essayé une fois de m'en tirer une, à moi—les docteurs s'entend: mais ça n'a pas payé, ô Dieu, non! Après qu'ils eurent cassé un tas d'instruments à n'en plus finir et après m'avoir mis la bouche tout on sang, je leur dis:
«Arrêtez!»—et je vous prie de croire qu'ils s'arrêtèrent à coeur joie.
«Apportez une lanière,» que je dis ensuite. La lanière fut apportée.
«Passez un noeud coulant autour du marteau.» et ils le passèrent.
«Attachez l'autre bout à un arbre,» que je leur dis.
Ils ne demandaient pas mieux que d'obéir. Quand ça fut fait, prenant un pistolet dans chaque main, je leur dis: «Saisissez-moi par les talons,»—et par les talons ils me saisirent.
—«Maintenant, tirez!» que je dis, «et le premier de vous qui lâche avant que le chicot»—c'était un chicot, je me rappelle—«ne soit dehors, je le tue!…»
Après ça, ils s'échauffèrent, se démenèrent et tiraillèrent pendant bien quinze minutes ou même plus, et la sueur découlait sur eux comme la pluie du toit, d'une maison dans une averse.
Ça me faisait mal en diable, Dame! j'imaginais que tous les os de mon système allaient y sauter. Mais, faut vous dire que j'avais un coquin de mal de dents qui me tarabustait depuis deux mois et que j'en étais tombé dans le désespoir.
«A quoi bon, pensais-je, avoir des os si l'on doit en tout temps avoir une maudite difficulté avec eux aujourd'hui celui-ci, demain celui-là. C'est aussi bien de n'avoir point d'os que d'en avoir des pourris?»
«Il y a des animaux,» raisonnai-je, «qui n'ont pas d'os. Il y a les serpents, par exemple, qui n'en ont point pour les faire enrager, ce qui ne les empêche pas de courir comme le tonnerre. Je vaux bien un serpent, il me semble?» que je dis. Et là-dessus je menaçai les docteurs de mes armes, et le marteau, non, le chicot, ou plutôt le chicot-marteau—car c'était le chicot d'un marteau—sortit de son trou avec un bruit de tremblement de terre.
Nick fit une pause, et puis il ajouta en secouant la tête:
—Jamais ensuite on ne m'en tira d'autres, car mon esquelette en fut terriblement ébranlé; et ça m'emporta un bon morceau du système nerveux, car, vous le savez, les chicots-marteaux sont plantés droit dans le système nerveux.
Pathaway ne manqua pas de remarquer le tact que déployait le trappeur pour lui détourner l'esprit de Sébastien; et pour porter les pensées de ce dernier vers un sujet plus agréable que celui qui le troublait évidemment.
—Votre blessure vous fait-elle donc beaucoup souffrir? demanda-t-il: d'un ton caressant et respectueux à la fois; car depuis l'étrange déclaration de l'Indien Joe, il éprouvait un violent désir de causer avec Sébastien, dont la voix, toujours claire, quoique basse, lui semblait de plus en plus mélodieuse.
—Vous vous inquiétez trop à cause de moi, répondit Sébastien, en faisant un violent effort pour être gai. Ce bon Nicolas m'a trop gâté. S'il s'était montré plus dur à mon égard et s'il avait voulu plus soigner ma réputation comme chasseur, je serais aguerri aux fatigues de la vie dans laquelle je suis né.
—Niaiserie! niaiserie! interrompit brusquement Nick. Je sais mieux que toi ce dont tu es capable. Tu peux voyager et pâtir de la faim aussi bien que nous, et mieux que nous, oui, oui, monsieur l'entêté, mieux que nous, c'est-à-dire que moi qui te parle.
—Sait-il trapper? demanda machinalement Pathaway.
—Trapper! Je voudrais vous voir trapper comme lui, répondit Nick avec onction. Il vous pose son pied sur le ressort d'une trappe, comme vous ne vous en douteriez jamais. Et crac! elle bâille, et ses doigts vous travaillent entre les mâchoires de la trappe, attachent l'appât, que c'est merveille!….. Il sait aussi où placer le piège, et le cacher dans le gazon. Vous seriez étonné, si vous voyiez le paquet de pelleteries que ce garçon-là a déjà ramassées, ô Dieu, oui!
—C'est, sans doute, aussi un bon tireur? continua le chasseur noir, qu'intéressait le zèle honnête de Nick.
—Il tire et frappe à toute distance. Un jour il a coupé en deux une plume placée sur la tête d'un Pied-Noir à cent verges de lui, rien que ça! Il avait un petit fusil, qui m'avait bien coûté cent dollars, mais il lui fut volé eu même temps que son cheval. Je vous ai raconté comment un coquin prit son animal, n'est-ce pas? C'était une bonne bête, ça m'a fait diantrement de la peine, oui bien, je le jure, votre serviteur!
Sébastien, qui marchait au milieu d'eux, chancela tout à coup, et il serait tombé si Pathaway ne l'eût aussitôt reçu dans ses bras. Malheureusement, dans sa précipitation, le jeune homme saisit l'adolescent par son bras blessé. La douleur que ressentit Sébastien lui rendit en partie l'usage des sens, car il rougit et une légère contraction plissa son visage mais il ne laissa pas échapper une exclamation.
Tandis que le chasseur noir soutenait son protégé, Nick courait à la rivière et y remplissait d'eau son casque.
Aussitôt revenu, le trappeur jeta quelques gouttelettes du frais liquide au visage de Sébastien, ce qui acheva de lui rendre la connaissance.
En tenant dans sa main le bras de Sébastien, Pathaway sentit quelque chose de tiède qui tombait sur ses doigts. Il s'aperçut avec effroi qu'ils étaient maculés de taches cramoisies.
La bande qui couvrait la blessure de l'adolescent s'était dérangée et le sang en sortait avec abondance, Nicolas le remarqua et parut embarrassé. Mais cet embarras dura à peine quelques secondes. Tirant vivement d'une poche mystérieuse une sorte d'étoffe jaunâtre, il lia le bras du blessé par dessus son capot.
Pathaway, mécontent de ce pansement incomplet, voulut le refaire avec plus de soin; mais Nick s'y opposa fermement en disant au chasseur noir:
—Oui bien, ce pansement est bon pour le moment, je le jure, votre serviteur!
—Mais non, mais non, insista Pathaway, le sang coule en telle abondance que dans quelques instants les forces feront défaut au blessé.
—Non, non, reprit l'opiniâtre Nick, les enfants ont toujours trop de sang, disait mon frère le docteur Whiffles.
Et il finit d'enrouler la bande par-dessus la manche du capot de
Sébastien.
Joe s'était glissé furtivement près de Pathaway; il insinua, dans l'oreille du chasseur noir, plutôt qu'il ne prononça:
—Homme blanc pas croire Indien… homme blanc tient squaw par la main…
L'ouïe subite de Nick Whiffles perçut l'avis donné au chasseur noir bien avant qu'il n'y répondit.
—Te tairas-tu, vermine rouge!… ou sinon je t'écrase! oui bien je le jure, votre serviteur!…
L'Indien se refit muet et impassible; mais le jour, qui remplaçait le crépuscule, permit de lire dans ses grands yeux fixes, exempts de cillements comme ceux des grands carnassiers, qu'une sourde colère couvait en lui.
Toutefois Joe resta muet.
Un bruit lui était parvenu, aussi vague que celui des branches murmurant au loin entre elles ou que celui du cours d'eau rendu squameux par la brise. Ce bruit quelque léger qu'il fût, éveilla cependant la susceptible attention de l'Indien et de Nick.
En même temps, ils interrogèrent du regard l'étroit horizon qui les encerclait.
—C'est du côté où le soleil se couche, dit sourdement Nick à l'Indien, que tu les entends venir… Dieu, oui nous allons avoir une maudite petite difficulté; je vous le jure, votre serviteur.
Pathaway, Portneuf et Sébastien, s'étaient rapprochés, tandis que
Jeanjean regardait tout et ne voyait rien.
—Qu'est-ce donc, père Nicolas? demanda craintivement l'adolescent.
—Rien de bon, petiot, non, rien de bon!…
—«O belle était la fille du trappeur,» fomenta inconsciemment André; d'une voix froide, comme celle d'un écho.
—Mais tais-toi donc!… dit entre ses dents serrées Nick Whiffles.
Et chacun d'eux retenait sa respiration pour mieux écouter.
Dans le silence qui les entourait tout bruit eût été perceptible; mais ils n'entendaient que le souffle de l'air et le frôlement de l'eau contre les pierres de ses rives.
—Allons-nous rester ici?… demanda le chasseur noir.
Au lieu de répondre, Nick fît un geste énergique pour de nouveau commander le silence.
—«O belle était la fille du trappeur,» jeta d'une voix éclatante le pauvre Jeanjean.
Portneuf, le plus rapproché de son ami, lui mettant une main sur la bouche, comprima la voix du chanteur.
A ce moment, une pierre, détachée du haut des roches par un pas furtif, celui d'un animal peut-être, rebondit sur la tête de Joe. Par ce heurt, tiré de la contemplation de ses pensées intimes, ses regards se portèrent en haut.
Rien d'insolite ne s'y montrait.
Mais, en observant autour de lui, le jeune Indien vit les yeux de
Sébastien contemplativement fixés sur le chasseur noir.
Quelque empire qu'exerçât sur lui sa volonté, Joe eut un tremblement visible et ses dents se serrèrent à se briser.
Infortune et Maraudeur, plâtrés dans les hautes herbes que broutaient les chevaux, se levèrent; chacun des veilleurs vigilants se plaça près de Sébastien, éventant au loin, inventoriant et de l'ouïe et de la vue.
Soudainement averti d'où s'approchait quelque chose ou quelqu'un, Maraudeur, par une aspiration prolongée, sembla dire à son maître—«prends garde!…»—Que tu sens mon vieux!… demanda Nick au brave chien.
Ce fut un sourd grondement d'infortune qui répondit. Poussé du côté d'où le soleil dardait ses premiers feux, il indiqua aux aventuriers le point de mire à leur suspicion.
Peut-être n'était-ce que le souffle de la brise matinale, qui agitait les plantes et, les arbustes poussés au faîte de la muraille basaltique, on bien un oiseau inquiet pour sa couvée du voisinage d'un reptile?—Non… Qu'était-ce donc?… Rien encore de visible!…
Mais le danger s'avançait… un réel danger, puisque Nick Whiffles, sans mot dire, prit en mains sa longue carabine et l'arma, mit à la portée de sa dextérité ses pistolets et le bowie-knife, qu'il portait, comme tous les trappeurs.
Ce que voyant, Portneuf et le chasseur noir firent de même.
Joe resta, lui, à la même place, immobile, pensif et désarmé, tandis que Sébastien se mit au centre du groupe et tout près du Canadien. Malgré la douloureuse blessure de son bras, l'adolescent prit une flèche, la tint entre ses dents, tandis qu'il bandait son grand arc.
La violente tension imposée à son bras blessé en fit jaillir le sang, mais elle n'arracha pas une plainte à Sébastien.
Ainsi que les hommes, il attendait la venue du danger.
Une balle, partie de haut, une détonation formidable, dirent de quel point il était redoutable.
—Personne n'est blessé, oui bien, je le jure! dit le Ténébreux.
—Si, père Nicolas.
Et Sébastien s'élança bravement vers Joe, pour le secourir en voyant son sang couler abondamment de sa poitrine, traversé par une balle.
—Paix donc! fit sourdement Portneuf, attention!
Un arbuste duquel les branches s'agitaient à peine, devint le but des trois tireurs. L'oeil d'un sauvage ou d'un coureur des bois, seul, entre les oscillations de la feuillée, pouvait apprécier la présence d'un être humain, parce que dans les rameaux une plume se mouvait.
Trois gâchettes pressées, trois tonnerres répercutées par les échos s'éloignèrent, tandis qu'un corps tombait mort et mutilé sur l'herbe, croissant au pied du rocher noir.
—Et d'un… je vous jure, votre serviteur, compta stoïquement Nick Whiffles, en voyant le chef des Pieds-Noirs, portant encore ses sept plumes au crâne.
—Garde à vous, insista tout bas Pathaway, en mettant en joue; vise à gauche.
Et le canon de son fusil servit d'indicateur.
Joe tressaillit et pâlit sous son bistre: ses yeux de braise lancèrent des étincelles. Il avait vu flottant quelque chose de rouge au but indiqué par le chasseur noir.
Était-ce la crainte, la colère ou sa blessure qui faisait trembler le jeune Indien?… Qui le peut dire?… Sébastien peut-être, dont toute l'attention était condensée par lui. Il s'approcha cordialement de Joe, qui le repoussa brutalement.
—Squaw, laisse Joe mourir?… le grand Manitou le veut!
Et les yeux de l'Indien, élevés au ciel par cette impulsion commune à tous les êtres, eurent une si terrible vision qu'elle le terrassa, ce que n'avait point fait le plomb meurtrier.
En même temps, et de divers points, des coups de feu se croisèrent, du sommet du rocher noir, tirés sur ceux guettant à sa base; et ceux-ci répondant à ceux qui les assaillaient. C'était terrible…
—Touché!… dit sourdement Portneuf en tombant à genoux.
La joie de la vengeance assouvie fit se démasquer le capitaine Dick.
«Dieu aveugle toujours le criminel qu'il veut perdre.»
—A toi, bandit! cria le blessé en tombant à genoux.
Et, frappé en plein front par la balle du Canadien, le chef des pirates de la ville hantée vint rouler à la place même où bourreau, implacable, il fit noyer la jeune femme qui le suppliait en vain!
—Justice de Dieu! s'écria Sébastien, c'est là qu'il vient mourir!…
Seul, Joe entendit l'adolescent.
—Visage pâle, cria-t-il en faisant un suprême effort pour s'élancer vers le chasseur noir, garde toi! garde toi!
C'était Bill Brace qui se glissait comme un serpent, par une fente du rocher, du côté opposé à celui d'où étaient partis les premiers coups de feu.
Bill Brace eût pu tuer Pathaway à bout portant sans l'avertissement de l'Indien.
Prompt et souple comme un félin, le chasseur noir se jette de côté, esquive la balle du bandit, l'ajuste et lui brise l'épaule droite.
La rage de l'impuissance au coeur, Bill Brace laisse choir sa carabine de son bras droit mutilé; mais de la main gauche, il décharge son pistolet sur celui qui l'a vaincu une première fois, et qu'il ne sait atteindre…
La vue du sang, les détonations, ont rappelé l'esprit égaré d'André Jeanjean. L'honnête trappeur regarde, étonné d'abord, autour de lui; puis, se saisissant de l'arme du bandit, encore chargée d'un côté il met en joue, et la balle meurtrière atteint Bill Brace en plein corps… il tombe, vociférant, hurlant, et sans courage, attendant la mort…
Les yeux de Bill Brace rencontraient ceux de Joe, il cria:
—Grâce!… grâce!…
—Pourquoi le bandit demande-t-il grâce à l'Indien?… Pourquoi!… La vie des Outlaws a des mystères insondables…
—Achève cette cagne, ou je t'achève, oui bien je le jure, votre serviteur! dit à Pathaway Nick Whiffles en tombant à côté de lui, comme la pierre que lançait la baliste.
Le Ténébreux, agile et subtil comme le lynx, s'était hissé au sommet sourcilleux à la poursuite d'un Pied-Noir, et quatre plumes avait servi de gaine à la lame altérée du bowie-knife du Ténébreux.
Cela s'était fait vite et sans bruit.
Point ne fut nécessaire que quelqu'un achevât Bill Brace… pris d'un hoquet sanglant, durant quelques instants il se tordit dans d'horribles convulsions, et puis, masse inerte, mais horrible, il resta les poings crispés et menaçants sur l'herbe ensanglantée.
Quatre dos bandits étaient là gisants… desquels le capitaine Dick et le chef des Pieds-Noirs… C'était un résultat immense, non-seulement pour ceux desquels nous avons suivi les luttes, mais pour tous les trappeurs Nordouestiers.
Et le soleil radieux épanchait ses chauds rayons sur ce sombre tableau… lorsqu'un grognement d'impatience de Maraudeur fouetta de nouveau la surveillance de Nick Whiffles, qui reprenait baleine.
—Encore une maudite petite difficulté, oui bien je vous le jure! votre serviteur! Maraudeur a l'oreille fine, ô Dieu, oui!
—Non, c'est Bruin, répliqua le chasseur noir; il vient sans doute savoir si le ciel est dégagé des nuages orageux que Multonomah y voyait hier soir.
C'était bien en effet l'Ours gris qui descendait lentement et sans bruit par l'anfractuosité qu'avait déjà suivie Ténébreux.
Un soupir, plutôt une plainte qu'un soupir, arraché à Joe par la souffrance, attira Sébastien près de lui. L'Indien, épuisé par deux blessures, s'affaissait sur lui-même privé de sentiment. La main droite convulsivement crispée sur sa poitrine semblait y comprimer un douloureux secret.
Prenant le casque de Bill Brace, qu'il trouvait à portée de sa main,
Sébastien s'élança pour puiser de l'eau et secourir l'Indien Joe.
Mais, horrible! horrible vision!… il vit, réfléchie par le miroir liquide au-dessus duquel il se penchait, non point l'image de la pâle jeune femme noyée par le capitaine Dick, mais la sinistre silhouette de Jack Wiley.
Immobile et caché comme un carcajou, Wiley choisissait prudemment la proie le mieux à sa portée… n'importe lequel des quatre hommes.
Se relever, sans hâte, sans lever la tête, saisir le bras de Nick
Whiffles et lui dire sans voix, mais seulement des lèvres:
—Au-dessus de nous, visez vite et bien… Wiley nous guette.
Prompt comme la pensée, Nick ajuste un coup de roi, presse la gâchette, et Wiley tombe comme un bloc détaché du rocher noir.
En même temps l'Ours gris s'approche de Nick Whiffles. Et reprenant son contre-pied, Ténébreux le suit par le chemin des antilopes qui l'avait amené…
Attaque et défense avaient duré peut-être le quart d'une heure; mais c'était suffisant pour ôter la vie à cinq créatures de Dieu et pour épuiser les forces de deux blessés.
De ceux-là, Portneuf, adossé contre un rocher, perdait son sang à flots par sa jambe brisée, malgré les efforts de Jeanjean pour arrêter l'hémorrhagie.
Le Canadien restait inanimé, le pouls éteint, les yeux clos, la bouche entr'ouverte et sans haleine.
Pathaway le crut mort.
—Pauvre diable! dit-il à André Jeanjean, pour peu de jours nous l'avions sauvé des terreurs de la ville hantée!
—La mort revient toujours à la charge contre ceux qu'elle a une fois flairés de près, répondit André, qui contemplait stoïquement son ami.
—Je voudrais le secourir encore!… mais que faire?
Et, ce disant, le chasseur noir cherchait autour de lui Nick Whiffles, l'homme au coeur d'or et d'imperturbable sang-froid.
Ce fut Multonomah qui répondit, comme une apparition, à ce tacite appel.
—Le grand esprit a dit à Multonomah: «Guéris visage pâle.» Homme blanc, viens.
Et le chasseur noir suivit docilement le Shoshoné.
Lorsqu'ils revinrent, munis du dictame cueilli par le sauvage, Sébastien était agenouillé près du Canadien, étendu sur une civière improvisée.
Portneuf, mourant, baisait avec amour le visage de l'adolescent.
Les sanglots de celui-ci ébranlaient sa poitrine à craindre qu'elle ne se rompît.
—O père! père! vivez pour votre enfant!…
Et de nouveaux sanglots arrêtèrent l'ardente et suprême prière de
Sébastien…
Le Shoshoné toujours froid et réfléchi tandis qu'il lavait et sondait la blessure du Canadien:
—Mon frère, le visage pâle, marchera avant que trois fois les lunes n'aient changé.
Et il retira la balle et les esquilles qu'elle avait faites. Les plantes cueillies par Multonomah, broyées entre deux granits, le suc de ces plantes répandu sui la plaie, il la recouvrit ensuite avec la pulpe des simples; enveloppant le tout d'un tissu fourni par Nick Whiffles, le docteur de la nature consolida l'appareil à l'aide de filaments et de terre blanchâtre.
Portneuf n'eut pas une plainte, pas un mouvement qui pût exprimer sa souffrance.
Ces aventuriers sont trempés dans l'héroïsme comme les demi-dieux de la
Grèce et de Rome.
Pathaway, durant l'opération du peau-rouge, assisté par Whiffles et
Jeanjean, Pathaway pensait profondément, se demandant:
—Portneuf cherchait sa fille Nannette?… Elle serait donc
Sébastien?…
La voix de Nick Whiffles rappela le chasseur noir à l'actualité.
—Encore une nouvelle petite difficulté dont on se tirera, ô oui Dieu, je le jure! Mon oncle le voyageur en a traversé bien d'autres, votre serviteur!…
Un bruit sourd, multiple et cadencé, répercuté par les échos des rochers, frappa d'abord l'oreille subtile et toujours éveillée du Shoshoné, et puis simultanément celle des trois trappeurs.
Anxieux, ils s'interrogeaient mentalement.
—Frères, visages pâles viennent en troupe, répondit à tous le chef des
Shoshoné.
L'attention de tous fut ensuite distraite par une plainte de l'Indien
Joe revenant à la vie.
Sébastien le premier s'élança vers lui.
Dis au chasseur noir et à Nick Whiffles de s'approcher.
Ils vinrent près de Joe.
En échange de votre vie que j'ai sauvée, dit le mourant à Pathaway, donnez au capitaine Dick cette eau pour sépulture… Et sans chercher à savoir qui il fut, avant de quitter le monde, ni pourquoi il le quitta!… faites, je vous supplie!…
L'approche de la mort donne-t-elle la prescience?… peut-être!… ou les sens doublent-ils leur clairvoyance avant de s'anéantir?… toujours est-il que l'Indien reprit:
—Avant que les troupes envoyées par la Compagnie ne soient arrivées, rendez-vous à ma prière!… Elle est respectable… Je suis Carlota, la fille du capitaine Dick. J'aimais le chasseur noir et j'étais jalouse… Je vais mourir! faites aussi pour moi ce que je vous demande pour mon père!
—Je vous le jure! dit Ténébreux, la voix strangulée par l'émotion.
Et Carlota tendant sa main pour l'adieu suprême:
—Pathaway, gardez le souvenir de la ville hantée!…
Sans effort et sans peur, l'étrange femme rendit son âme, calme et sereine comme une vestale…
Par les trappeurs, sa dernière prière fut accomplie. La dépouille mortelle du père et de la fille fut confiée à la garde du gouffre, et la pierre entraînant le corps dans ses profondeurs fut peut-être la même que celle devant y garder morte la fille de Portneuf, qui leur était jetée vivante.
Le Shoshoné, grandement attentif, écoutait au loin le bruit indéfini d'abord, et qui maintenant s'accusait.
Du point élevé ou il était, dans la masse noire, alors visible, Multonomah reconnut les éclaireurs de la troupe justicière, marchant contre les ennemis du Nord-Ouest.
N'ayant à attendre des agents de la Compagnie que bon accueil et
protection, les aventuriers allèrent au-devant d'eux, Pathaway et
André Jeanjean portant la civière sur laquelle reposait Portneuf, Nick
Whiffles se demandant craintivement:
—Pourvu que mon nom ne tombe point encore au bout de la langue des gens des établissements, pour être mis dans les papiers!…
—Que dites-vous donc, père Nicolas?…
—Rien, rien, enfant. Une mauvaise difficulté, je vous le jure! votre serviteur, on s'en tirera, ô Dieu oui!
Se retournant pour interroger Multonomah, le Ténébreux vit l'Ours gris qui marchait au midi sur la crête des rochers basaltiques.
Ou allait-il?
Peut-être à la vallée du Trappeur perdu.
FIN
TABLE
I.—Tragédie nocturne.
II.—Le Trappeur captif.
III.—La Porte du Diable.
IV.—Chasseur noir.
V.—La Hutte.
VI.—La Vallée du Trappeur.
VII.—La séparation.
VIII.—Bandits et Trappeurs.
IX.—Le Blessé.
X.—Scène de la Vallée du Trappeur perdu.
XI.—Un Nouveau personnage.
XII.—Le Remord de Nick.
XIII.—Bill Brace.
XIV.—Le Capitaine Dick.
XV.—Le Duel.
XVI.—La Piste du Trappeur.
XVII.—L'Évasion.
XVIII.—Joe.
XIX.—Encore Joe.
XX.—Nick apprend à se connaître.
XXI.—Une Émouvante déclaration.
XII.—Les Ennemis.
OUVRAGES D'EMILE CHEVALIER
Publiés dans la collection Michel Lévy
LA CAPITAINE LE CHASSEUR NOIR LES DERNIERS IROQUOIS LA FILLE DES INDIENS ROUGES LA FILLE DU PIRATE LE GIBET LA HURONNE L'ILE DE SABLE LES NEZ-PERCÉS PEAUX-ROUGES ET PEAUX-BLANCHES LES PIEDS NOIRS POIGNET-D'ACIER LA TÊTE-PLATE.
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ÉMILE COLIN ET Cie—IMPRIMERIE DE LAGNY