Le gibet de Montfaucon (étude sur le vieux Paris)
The Project Gutenberg eBook of Le gibet de Montfaucon (étude sur le vieux Paris)
Title: Le gibet de Montfaucon (étude sur le vieux Paris)
Author: Firmin Maillard
Release date: May 12, 2020 [eBook #62106]
Most recently updated: October 18, 2024
Language: French
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LE GIBET
DE
MONTFAUCON
PARIS, IMPRIMERIE JOUAUST ET FILS, RUE SAINT-HONORÉ, 338
LE GIBET
DE
M O N T F A U C O N
(ÉTUDE SUR LE VIEUX PARIS)
GIBETS.—ÉCHELLES.—PILORIS.—MARQUES DE HAUTE JUSTICE.
DROIT D’ASILE.—LES FOURCHES PATIBULAIRES
DE MONTFAUCON.—DOCUMENTS HISTORIQUES.
DESCRIPTION.—LA LÉGENDE DES SUPPLICIÉS.
SCÈNES DE LA DERNIÈRE HEURE.
PAR FIRMIN MAILLARD
PARIS
AUGUSTE AUBRY, ÉDITEUR
RUE DAUPHINE, 16
1863
Avoir desdaing, quoyque fusmes occis
Par justice, Toutesfois, vous sçavez
Que tous les hommes n’ont pas bon sens assis;
Intercédez doncques, de cueur rassis,
Envers le Filz de la Vierge Marie:
Que sa grace ne soit pour nous tarie,
Nous préservant de l’infernale fouldre.
Nous sommes mors, ame ne nous harie;
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre!
LE GIBET
DE
MONTFAUCON
écrire tous les lieux où jadis on exécutait serait une rude besogne:
chaque pavé de notre bonne ville de Paris est rouge. Cependant, avant de
faire l’historique du gibet de Montfaucon, objet de cette monographie,
indiquons sommairement quels étaient les principaux emplacements
affectés au supplice des criminels.
Les plus anciens lieux patibulaires furent,—à ce que dit Sauval, et il n’en est pas sûr,—Saint-Denys du Pas, Montmartre et la Croix du Tiroi[1].
Sur la place Sainte-Marguerite-Saint-Germain s’élevaient une échelle et un pilori où étaient exécutés ceux qui se trouvaient sous la haute justice de l’abbé de Saint-Germain-des-Prés;—le pilori était plus que l’échelle, et ces marques de haute justice, l’échelle et le pilori réunis ne devaient appartenir qu’à un grand seigneur: cependant, quelque rang qu’il eût, il ne pouvait avoir un pilori là où le roi avait le sien.
L’évêque de Paris[3] avait son échelle sur la place du Parvis; on y prêchait et mitrait les individus condamnés à faire amende honorable. Ce fut sur cette place qu’on lut le décret du pape Clément V (Bertrand de Got), décret qui condamnait à mort tous les Templiers.—L’échelle du Parvis-Notre-Dame disparut au commencement du XVIIIᵉ siècle.
Le Chapitre de l’église Notre-Dame avait établi la sienne près du port Saint-Landry: on la rompit et l’emporta en 1410;—le prieur de l’abbaye de Saint-Martin-des-Champs, au coin de la rue Aumaire et de la rue Saint-Martin, et le grand prieur de France, à l’extrémité de la rue des Vieilles-Audriettes, qui s’est longtemps appelée rue de l’Echelle-du-Temple, à droite en entrant dans la rue du Temple.—Pendant la minorité de Louis XIV, des jeunes seigneurs, une nuit d’orgie, y mirent le feu; elle fut rétablie sans bruit quelques temps après[4].
L’abbé de Sainte-Geneviève avait son échelle près de l’église. Enfin, le prieur de Saint-Éloi, les abbés de Saint-Magloire et de Saint-Victor, le prieur de Saint-Lazare, la Ville..... tous avaient leur échelle et rendaient haute et basse justice sur leurs terres. Les habitants de Paris s’étant plaints du voisinage de ce grand nombre de Justices subalternes, le roi, pour mettre un terme aux conflits que l’incertitude de leurs limites et la prévention des officiers du Châtelet faisaient souvent naître, rendit un édit (février 1674) par lequel il réunit et incorpora à la Justice du Châtelet le Baillage du palais et toutes les Justices des seigneurs qui se trouvaient soit dans la ville et les faubourgs de Paris, soit même dans la banlieue.
Dix-neuf Justices furent comprises dans cette suppression; cependant, pour des considérations particulières, le roi excepta depuis les Justices de l’Archevêché, du Chapitre de Paris, de l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés, du Temple et de Saint-Jean-de-Latran; seulement elles devaient être exercées dans les enclos, cours et cloîtres, selon les conditions et restrictions portées par les Lettres et par les Arrêts d’enregistrement[5].
On brûlait au cimetière Saint-Jean; il y avait une croix à la porte Baudete,—à la place de l’échelle du prieur de Saint-Eloi,—en vertu d’une autorisation donnée en 1320 par Philippe le Long aux bourgeois qui demeuraient près de l’église Saint-Gervais. Quelquefois on exécutait impasse des Bourdonnais, sur la place aux Chats, à la fosse aux Chiens, sur le marché aux Pourceaux, qui était à la butte Saint-Roch.
Il y avait au carrefour Guilleri une échelle et un pilori, et c’était là principalement que se pratiquait l’essorillement[6]. On coupait une oreille au voleur, les deux en cas de récidive. Pour certains crimes on coupait d’abord l’oreille gauche, à cause, paraîtrait-il, d’une veine correspondant aux parties de la génération;—et ce n’est que justice, dit charitablement Sauval, ces gens-là ne pouvant faire que de petits voleurs.
Les soldats étaient exécutés sur la place de l’Estrapade, entre les rues du Poste de la Vieille-Estrapade et des Fossés-Saint-Jacques. On les y arquebusait plus souvent qu’au Pré-aux-Clercs[7].
La place qui était devant la Bastille, les cours de cette forteresse, le Pont-Neuf, la porte Saint-Jacques, la porte Saint-Denis, la cour du Châtelet, la cour du Palais de Justice, le pont Saint-Michel, la place de la Porte-Saint-Antoine, que sais-je encore? tous ces lieux ont servi de lieux patibulaires tout aussi bien que la croix du Tiroi, la Seine, le marché aux Pourceaux, la place Maubert, le pilori des Halles[8], la place de Grève et le gibet de Montfaucon, qui fait l’objet de cette notice.
Montfaucon, selon J. Aymar Piganiol de la Force[9], prit son nom d’un seigneur nommé Fulco ou Faucon, qui en était propriétaire, ainsi que des terres environnantes. Sauval,—s’il faut s’en rapporter à lui,—assure même qu’en 1189, Robert, fils de ce Faucon, vendit à Saint-Lazare deux pièces de terre qui étaient entre Saint-Lazare et ce gibet[10]. On remarque encore que sous Lothaire et Louis V, derniers rois de la seconde race, un comte nommé Faucon possédait une terre près de là, terre dont il fit don à l’abbaye de Saint-Magloire. C’était donc sur cette butte, située près de la route d’Allemagne, à l’extrémité du faubourg Saint-Martin, entre les rues des Morts et de la Butte-Saint-Chaumont, et à l’ouest de la route qui conduisait à Pantin (la rue de l’Hôpital-Saint-Louis), que se trouvait la grande Justice de Paris, comme on appelait alors les fourches patibulaires de Montfaucon. Depuis combien de temps le gibet était-il dressé en cet endroit, c’est ce que l’on ignore, et les plus anciens actes dans lesquels il en soit fait mention sont un acte d’accommodement du mois de septembre 1233, entre le prieur de Saint-Martin-des-Champs et le Chapitre de l’église Notre-Dame[11], et un acte de vente du mois de juin 1249[12], parlant tous deux du gibet établi sur le fief du Cens-Commun. Ce fief du Cens-Commun, appartenant au Chapitre Notre-Dame, était situé sur la route de Meaux, entre l’enclos Saint-Lazare et la butte Saint-Chaumont.
Dans un roman composé en 1270 ou 1274, Berte aus grans piés, du poëte Adenès, ou, comme dit Moreri, dy roix Adnès, il est aussi question d’un certain Tybert pendu aux fourches de Montfaucon.
Tout parmi la grant rue le firent trainer,
A Montfaucon le firent sus au vent encrouer[13].
Tout ceci démontre victorieusement que ce gibet ne doit sa fondation ni à Enguerrand de Marigny (né en 1260), ni à Pierre Rémy, comme le prétend Corrozet,—Pierre Rémy ayant été pendu le 25 mai 1328.—Est-ce Pierre de Brosse (ou La Brosse) qui le fit construire? rien ne le prouve, mais on ne peut s’empêcher de remarquer avec Etienne Pasquier que le gibet toucha cruellement ceux qui y avaient touché, et Enguerrand de Marigny, Pierre de Brosse, Pierre Rémy, qui tous le firent réparer, y furent pendus, à l’exception du dernier, qui y fit amende honorable.
Quant à la description du gibet, c’était, du temps de la Ligue, nous dit Sauval, une masse de pierres surmontée de seize piliers[14]; on y arrivait par une rampe faite de pierres assez larges et que fermait une porte solide. Cette masse avait la forme d’un parallélogramme; elle était haute de deux à trois toises, longue de six à sept, large de cinq à six, et composée de dix ou douze assises de gros quartiers de pierres bien liées et bien cimentées. Les piliers étaient gros, carrés, et chacun avait trente-deux ou trente-trois pieds de hauteur. Pour joindre ensemble ces piliers et y attacher les corps des suppliciés, on avait enclavé dans leurs chaperons, à moitié de leur hauteur et à leur sommet, de grosses poutres de bois qui traversaient de l’un à l’autre et supportaient des chaînes de fer d’un mètre cinquante de longueur. Contre les piliers étaient toujours dressées de longues échelles destinées à monter le patient au gibet. Au milieu de la masse, sur laquelle se trouvaient les piliers, était une cave disposée pour recevoir les corps des suppliciés, qui devaient y rester jusqu’à destruction entière du squelette[15].
Quelques autres Justices croissaient aussi là, à l’ombre du grand gibet[16]; mais, petits gibets suppléants, ils ne fonctionnaient que le temps qu’on passait à remettre en bon état leur glorieux aïeul.
Marques de haute justice, les fourches patibulaires différaient en raison de la qualité des seigneurs auxquels elles appartenaient[17]. Elles différaient par le nombre des piliers: ainsi les ducs en avaient huit, les comtes six, les barons quatre, les châtelains cinq, et les simples gentilshommes haut-justiciers deux.—Le roi seul pouvait en avoir autant qu’il le jugeait convenable. Sous Charles IX, il n’était pas rare de voir de soixante à quatre-vingts personnes faire le guet à Montfaucon, comme disait le populaire[18].
En tout temps ces misérables dépouilles répandaient une telle odeur que, lorsqu’on enterra Louise de Savoie, morte au château de Saint-Maur en 1532, on fut obligé de dégarnir les potences placées sur le trajet du convoi[19], tant hors la porte Saint-Antoine qu’au faubourg Saint-Quentin (faubourg de la ville de Saint-Denis du côté de Paris). Tous ces débris furent portés au cimetière de l’église Saint-Paul à Paris, et à celui de la chapelle Saint-Quentin[20].
A cette époque, la loi voulait rendre visible à tous la punition du crime et anéantir ensuite dans un éternel oubli les restes ignominieux des infâmes. On exécutait le criminel les fêtes et les dimanches de même que les autres jours;—on lui refusait les consolations de la religion: condamné, il n’appartenait plus qu’au bourreau. Philippe de Maisière, conseiller de Charles V, avait cherché à abolir cette coutume, qu’il regardait comme odieuse; mais la volonté royale vint échouer contre une violente résistance des autres membres du conseil[21]. Ce fut, quoi qu’en dise l’auteur de la Chronique de Saint-Denis, Charles VI qui, par des lettres expédiées le 12 février 1396, ordonna de présenter le sacrement de pénitence aux condamnés, et, de crainte que la préoccupation de la mort ne leur fît oublier de demander un confesseur, il enjoignit à ses officiers de leur en amener un d’office[22]. Cette décision fut prise surtout, dit-on, à l’instigation pressante de Pierre de Craon, qui avait à se faire pardonner bien des choses, entre autres sa tentative d’assassinat sur le connétable de Clisson; il fit élever au pied du gibet une croix portant ses armes, et dota richement le couvent des Cordeliers pour que ces religieux confessassent les condamnés.—Louise de Lorraine, veuve de Henri III, constitua sur l’Hôtel-Dieu, au denier dix-huit, 5,600 livres pour la fondation de trois bourses de bacheliers en théologie, chargés de prêcher les fêtes solennelles à la Conciergerie, au Grand et au Petit-Châtelet, de visiter et consoler les prisonniers, et de les assister à leurs derniers moments. Mᵐᵉ de Simié, à peu près à la même époque, donna aussi 100 écus de rentes à la Sorbonne dans la même intention[23].
Les cadavres exposés à Montfaucon étaient toujours couverts de vêtements, et, sous aucun prétexte, ne devaient en être dépouillés[24]. Les corps des individus qu’on avait décapités ou fait bouillir sur une des places de Paris, et qu’on exposait ensuite aux fourches patibulaires, étaient ou pendus par les aisselles, ou renfermés dans des sacs de treillis ou de cuir, sacs que l’on suspendait aux chaînes de fer du gibet. Quant au mode de transport des condamnés, il n’était pas uniforme: c’était tantôt à pied, tantôt à cheval; celui-ci dans une charrette, celui-là sur une claie;—seulement, misérable ou grand seigneur, tous subissaient le cérémonial de cette lugubre promenade. La tête nue quelquefois,—mais ce n’était pas l’habitude,—les mains liées, le patient partait du Châtelet accompagné de son confesseur, d’un lieutenant criminel, etc., etc., ainsi que d’un certain nombre de sergents du Châtelet et d’archers. Arrivé devant le couvent des Filles-Dieu, à l’extrémité de la rue Saint-Denis, le cortége s’arrêtait, et le condamné était conduit dans la cour auprès d’un grand crucifix de bois adossé à l’église du couvent et recouvert d’un dais; là, l’aumônier des Filles-Dieu récitait quelques prières, lui jetait de l’eau bénite et lui faisait baiser le crucifix; les religieuses lui donnaient alors trois morceaux de pain et un verre de vin[25]. C’était le dernier morceau du patient; s’il mangeait avec appétit, on en augurait bien pour son âme. Cela terminé, le cortége se remettait en marche, et ne s’arrêtait plus que devant la croix de Pierre de Craon, où le condamné faisait sa dernière prière[26] et était immédiatement après livré au bourreau. Après s’être assurés qu’il avait rendu le dernier soupir, les divers officiers, le prêtre, qui l’avaient accompagné, se hâtaient de revenir au Châtelet, où les attendait un repas payé par la Ville; le prêtre recevait en outre un salaire pour frais de déplacement[27].
La première exécution dont l’histoire ait conservé le souvenir fut celle de Pierre de Brosse (ou La Brosse), favori de Philippe le Hardi. Il fut convaincu d’avoir empoisonné Louis de France, fils aîné du roi et d’Isabelle d’Aragon, et d’avoir accusé de ce crime odieux Marie de Brabant, seconde femme de Philippe le Hardi[28]. Le 30 juin 1278 (1277, ou encore 1276), de grand matin, avant le lever du soleil, il fut pendu parisius latronum communi patibulo, «laquelle chose fut moulte plaisante aux barons de France, car le convoyèrent au gibet le duc de Bourgogne, le duc de Brabant, le comte d’Artois et plusieurs autres nobles barons. Le peuple de Paris s’émut de toutes parts, car il ne pouvoit croire en nulle manière qu’un homme de si haut état fût dévalé et abaissé si bas»[29]. Après lui avoir mis la corde au cou, le bourreau lui demanda s’il voulait parler; sur sa réponse négative, il ôta l’échelle et le laissa aller[30].
A la mort de Philippe le Bel, les finances étaient dans un état déplorable; le trésor royal était vide, et, comme on s’occupait de cette grave question dans le conseil du roi, le comte de Valois se leva brusquement, sommant Enguerrand de Marigny de rendre ses comptes, puisque c’était lui qui l’avait administré. Marigny déclara qu’il était prêt.
«Que ce soit donc maintenant, ajouta le prince.
—Je vous en ay baillé, Monsieur, une partie, et de l’autre j’ay payé les debtes de monseigneur vostre frère.
—Vous en avez menty!
—Pardieu! c’est vous-mesme», s’écria Marigny ne se possédant plus.
Le comte de Valois mit l’épée à la main, et, malgré la présence du roi, voulut se jeter sur Marigny; mais il fut retenu par les autres membres du conseil. Après cette scène de violence, Enguerrand fut arrêté et mis d’abord dans la tour du Louvre, dont lui-même était châtelain; mais, sur les instances du comte de Valois, qui trouvait cette prison trop honorable pour lui, il fut transféré au Temple et enfermé dans un cachot. On le condamna sans l’entendre; un célèbre avocat de ce temps, Jean d’Asnières, trouva même contre ce malheureux quarante et un chefs d’accusation;—cependant le roi ne put se résoudre à l’envoyer à la mort et conclut au bannissement. Alors le comte de Valois, dont la vengeance était loin d’être satisfaite, fit arrêter la femme et la sœur de Marigny, et on trouva des témoins qui affirmèrent qu’elles se servaient d’images de cire pour tuer le roi. On arrêta aussi un magicien nommé Jacques de Lor[31], sa femme et son domestique; ce Jacques de Lor se pendit dans sa prison, sa femme fut brûlée; quant à Enguerrand, reconnu coupable, il fut condamné à être pendu à la plus haute traverse de bois de Montfaucon. Le 30 avril 1315, au point du jour, cette sentence fut exécutée au milieu d’une foule considérable. «Bonnes gens, s’écriait Marigny assis dans une charrette, priez Dieu pour moi.»
Ce furent ces bonnes gens-là qui, immédiatement après le supplice, coururent au Palais abattre la statue de l’ancien ministre de Philippe le Bel[32].
Au-dessous d’Enguerrand on pendit Paviot, le domestique de Jacques de Lor. Pendant la nuit, le corps d’Enguerrand de Marigny fut détaché du gibet, dépouillé de ses vêtements et laissé nu au pied de la potence; il fallut le pendre de nouveau, après l’avoir habillé.—«C’est, dit Sauval, le premier vol en l’air et l’exemple le plus bizarre de la persécution de la fortune dont vous ayés peut-être ouï parler.»
Marigny était innocent, car, dès le commencement de l’année 1315, une commission, dont le comte de Valois faisait lui-même partie, avait examiné les comptes de son administration, et, sur le rapport de cette commission, Louis X avait donné au ministre de son père pleine et entière décharge[33]. Comme il n’avait consenti à cette mort que par faiblesse, il fit don de 10,000 livres aux enfants d’Enguerrand, c’est-à-dire 5,000 à Louis l’aîné, qui était son filleul, et le reste aux autres. Sous le règne suivant, ils rentrèrent en possession du corps de leur père, qui fut d’abord enterré aux Chartreux, puis dans l’église collégiale d’Escouï, qu’Enguerrand avait fondée en 1310.
Dix ans après cette exécution, le comte de Valois, fort malade, fit distribuer des aumônes, et ceux qui les donnaient disaient aux pauvres: Priez Dieu pour M. de Marigny et pour le comte de Valois, «espérant par ce moyen éviter le traict inévitable de la mort, laquelle il pensoit luy faire telle guerre pour ce qu’il estoit cause du supplice dudict Enguerrand»[34].
En 1320, Henri Tapperel, prévôt de Paris, subit le dernier supplice pour s’être laissé corrompre par un prisonnier riche, l’avoir mis en liberté et avoir fait pendre à sa place un pauvre diable parfaitement innocent[35].
Gérard Guerte (ou de la Guette), homme de basse extraction, avait occupé sous Philippe le Long un emploi assez élevé dans les finances. A l’avénement de Charles IV dit le Bel, il fut enfermé dans la tour du Louvre comme ayant détourné les finances du Trésor royal. «On le resserra en une très estroite prison, où il fut interrogé qu’estoient devenues les rentes du Royaume.» Mais il ne put supporter les tortures de la question; «elles luy causèrent une fièvre ardente, dont il mourut en prison, si par adventure, ajoute Mézeray, ses parens ne luy donnèrent le boucon pour luy sauver l’honneur.—Le Roy commanda qu’il fust enterré dans l’Hostel-Dieu, sans pompe funèbre, de peur qu’il ne semblast avoir été injustement calomnié.» D’après Mézeray, il ne passa donc pas par les fourches patibulaires de Montfaucon; mais, si nous ouvrons l’Abrégé chronologique du même Mézeray, nous lisons: «Il fut appliqué à la question, qu’on luy donna si rude qu’il mourut au milieu des tourments. On ne laissa pas de traisner son corps par les rues et de le pendre au gibet de Paris[36].»
Jourdain de l’Isle, gentilhomme du Périgord, convaincu de quarante-huit crimes capitaux, venait, à la considération du pape Jean XXII, dont il avait épousé la nièce[37], d’être gracié par Charles le Bel, lorsqu’il tua un sergent qui exploitait avec l’Écu royal au cou, disent les uns; deux huissiers qui étaient venus lui signifier un arrêt du Parlement, disent les autres. Quoi qu’il en soit, il fut cité à Paris, emprisonné, jugé, condamné, puis traîné à la queue d’un cheval et pendu à Montfaucon le 22 mai 1323.—Le curé de Saint Merry écrivit à ce sujet à Jean XXII: «..... A peine votre neveu était-il pendu, qu’avec grand luminaire nous allâmes le prendre à la potence et nous le fîmes porter dans notre église, et nous l’avons enterré honorablement et gratis. Saint Père, nous continuant de vous demander très-humblement votre sainte et paternelle bénédiction.
«J. Thomas, chevecier[38].»
Pierre Remy, seigneur de Montigny et successeur de Gérard de la Guette, fut accusé de concussion et condamné par arrêt du Parlement du 25 avril 1328 à être pendu;—ce qui fut exécuté à Montfaucon le 25 mai suivant. On le conduisait d’abord au petit gibet de Montigny, lorsqu’il avoua beaucoup de crimes dont on ne le soupçonnait même pas: Unde et propter hanc confessionem ad caudam quadrigæ quæ eum ad patibulum portaverat applicatus, statim de parvo patibulo usque ad magnum patibulum, quod ipse novum fieri fecerat, modumque faciendi et ordinem cum magna, ut dicitur, diligentia operariis tradiderat, trahitur, et primus ibidem suspenditur. En effet, depuis les quelques réparations qu’il avait fait faire à Montfaucon, personne n’y avait été supplicié: comme maître du logis, dit Mézeray, il eut l’honneur d’être mis au haut bout, au-dessus de tous les autres voleurs.
La justice du Parlement avait, cette fois, été devancée par la justice populaire, car, depuis les réparations faites aux fourches de Montfaucon, on lisait sur le principal pilier ces deux vers:
Sera pendu Pierre Remy[39].
Macé des Maches (ou Massé de Machy), trésorier-changeur, fut pendu en 1331[40].
René (ou Rémond) de Siran, maître des monnaies, accusé d’abus de confiance, se suicida dans sa prison, mais n’en fut pas moins transporté et pendu à Montfaucon en 1333[41].
Hugues de Cuisy, ancien Prévôt de Paris et président au Parlement, atteint et convaincu de prévarication, fut pendu le 21 juillet 1336[42].
Adam de Hourdaine (ou Claude de Hourdery), conseiller au Parlement, fut pendu le 3 juillet 1348, pour avoir falsifié des dépositions de témoins[43].
En 1386, la femme d’un nommé Jean de Carrouges accusa un certain Jacques Legris, gentilhomme normand, d’avoir abusé d’elle par violence. Or, voici dans quelles circonstances ce crime aurait été accompli: profitant de l’absence de Jean de Carrouges, Jacques Legris vint dîner chez la femme de son ami, et, la nuit venue, comme cette dame le conduisait à la chambre qui lui était destinée, il se précipita sur cette malheureuse femme et en abusa. C’est ainsi que le raconte Le Laboureur. D’autres disent que, profitant du sommeil de la dame, Legris se serait introduit dans le lit conjugal et aurait été parfaitement reconnu par elle. Toujours est-il que, lorsque le mari, Jean de Carrouges, revint de voyage, sa femme s’écria: Un étranger a souillé vostre couche, et ce Jacques Legris, ce bon amy de tant années, vous doit être le plus méprisable des hommes. Legris nia le fait; cependant, sur les affirmations de cette femme, et devant un manque absolu de preuves, on eut recours au jugement de Dieu, et Carrouges et Legris, en présence du roi Charles VI et devant une foule immense[44], se battirent en combat singulier auprès des murs de Saint-Martin-des-Champs[45]. La victoire fut longtemps indécise, «finalement Jacques Legris cheut. Et lors Carrouget monta sur luy, l’espée traite, en luy requerant qu’il luy dist vérité. Et il respondit que, sur Dieu et sur le péril de la damnation de son âme, il n’avoit oncques commis le cas dont on le chargeoit. Et pourtant Carrouget, qui croyoit sa femme, lui bouta l’espée au corps par dessous et le fit mourir.»
«Il passa pour convaincu par le succez du duel, et son corps fut traisné au gibet (le 29 décembre 1386) selon la coustume de pareils événemens»[46].
Ce fut grande pitié, car le jugement de Dieu avait été un jugement inique: un individu condamné à mort pour certains crimes (d’autres disent un malade à l’article de la mort), se reconnut coupable de celui que l’innocent Legris avait si chèrement expié. Je ne sais au juste à quelle époque cela arriva; mais, dix ans après le duel, le vrai coupable n’était pas encore connu, puisque Denys Godefroy, dans ses notes sur l’histoire de Charles VI, cite un arrêt du Parlement (du 9 février 1396) qui donne à Carrouges une somme de 6,000 livres à prendre sur les biens de Jacques Legris.
Quant à Mᵐᵉ Carrouges, le malencontreux auteur de cette tragédie, elle se jeta dans un cloître, pour y achever ses jours en demandant à Dieu d’être plus circonspecte à l’avenir[47].
Exécution d’un malfaiteur émérite, Richard Bourdon, dit le Petit-Bourdon: «A maître Guillaume Barrau, secrétaire du roi notre sire, pour avoir été, par le commandement et ordonnance du roi notre sire, et pour le bien de justice, en la ville de Fougères, au pays de Bretagne, pour prendre et ammener ès prisons du Chastelet de Paris un malfaiteur nommé Richard Bourdon, autrement dit le Petit-Bourdon, lequel malfaicteur avoit été mis ès prisons du chastel de Fougières, et d’icelles s’estoit eschapé et mis en franchise en la chapelle dudit chastel; lequel secretaire l’a pris et mis hors de ladite chapelle à très-grande diligence, peine et péril de sa personne et de sa compagnie, et icelui amené ès prisons dudit Chastelet de Paris, où il a été exécuté; c’est à sçavoir traîné et pendu à Montfaucon.»[48]
(1402) Maître Jean le Charton, procureur au Parlement, avait épousé une fort jolie femme; or, de ce mariage, écoutez ce qu’il advint: «Et à un vendredy, on luy avoit ordonné d’une sole, laquelle il mangea et dit ces paroles: Il me semble que j’ai mangé un mauvais morceau.» Et ce disant, maître Charton était dans le vrai, car il alla quatre jours après de vie à trépas. Jeune et jolie, sa femme ne pouvait rester veuve: elle se remaria avec le clerc du défunt. Jusqu’ici rien que de très-naturel; mais, des contestations s’étant élevées entre les nouveaux époux et les autres héritiers du défunt, ceux-ci les accusèrent hautement d’avoir empoisonné maître Charton. La justice s’en mêlant, ils furent bientôt en prison; là ils n’avouèrent rien et se défendaient très-habilement, lors que le lieutenant du prévôt de Paris, se servant d’un moyen (il ne devait pas être bien nouveau même à cette époque) qui réussit encore aujourd’hui, fit venir la femme et lui dit que son mari s’était décidé à tout avouer, qu’elle n’avait donc plus à nier, mais à implorer la clémence de ses juges. «Et feut amenée devant le mari et l’appela traistre, de ce qu’il avoit confessé; et toutes fois il n’en estoit rien. Et à la fin confessa tout, et aussi feit le mari. Et feut la femme arse en la présence du mari. Et après, le mari feut mené au gibet et pendu. Qui feut exemple aux autres femmes de n’en ainsi faire[49].»
Deux écoliers, l’un normand, l’autre breton, Légier de Montilhier (ou Roger de Montillet) et Olivier Bourgeois, tous deux convaincus de meurtre, avaient été, en 1403, pendus à Montfaucon par ordre de Guillaume de Tigouville (ou Tignouville), prévôt de Paris. Faite au mépris des droits de l’Université, cette exécution avait eu lieu pendant la nuit; en allant au supplice, les deux condamnés n’avaient cessé de crier «Clergé, afin d’être recous»; mais, personne n’étant venu les secourir, la sentence qui les frappait avait été exécutée. Tigouville allait expier chèrement cet acte de justice. Privé de tout office royal, il fut condamné à élever une pyramide sur le chemin de Paris, près du gibet, et de faire sculpter dessus l’image des deux clercs. En outre, le 17 mai 1408, il alla en grande pompe dépendre les corps, les baisa sur la bouche et les amena au parvis Notre-Dame dans une charrette recouverte d’un drap noir, et conduite par un charretier «vestu d’un surplis de prestre». De là, ils furent menés à Saint-Mathurin et enterrés honorablement dans le cloître de cette église, «et fut derechef fait une épitaphe à leur semblance, pour perpétuelle mémoire: Hic subtus jacent Leodegarius du Moussel de Normania, et Oliverius Bourgeois de Britannia oriundi, clerici scolares quondam ducti ad justitiam secularem, ubi obierunt, restituti honorifice et hic sepulti, anno domini M. CCCC VIII, die XVI mensis Maii[50].»
En 1411, on prit aux environs de la capitale une bande de pillards, qu’on amena à Paris le 4 mai. On en jeta quelques-uns dans la rivière; ceux qui n’avaient pas encore quinze ans furent fouettés publiquement, puis bannis du royaume; «mais, pour Polifer Radingue, il fut, avec sept capitaines et trente autres, condamné au gibet, qu’ils avaient bien mérité[51].»
En 1413, après une de ces émeutes si fréquentes à Paris, on se saisit de quelques-uns des séditieux, entre autres d’un bourgeois qui avait assassiné un nommé Courtebotte, violon du duc de Guyenne, et que son maître aimait beaucoup; puis de deux bouchers, les frères Cailles, qui, durant les mêmes troubles, avaient noyé maître Raoul Brisac: ils furent tous pendus[52].
Au mois de septembre 1425, «on coppa la teste à ung chevalier mauves brigant, nommé messire Estienne de Favières, né de Brie, très maulvais larron, et pire que larron, et furent pendus aucuns de ses disciples au gibet de Paris et en autres gibets[53].»
Le 15 décembre 1427, un écuyer nommé Sauvage de Fromonville, après une résistance désespérée, fut pris dans le château de l’Ile-Adam; son exécution donna lieu à une scène émouvante et terrible.—Je laisse la parole au chroniqueur:
«Il fut mis sur ung cheval, les piés liez et les mains sans chaperon; en ce point admené à Baignolet, où le Régent estoit, qui tantost commanda que sans nul délay on l’allast pendre au gibet hastivement, sans estre ouy en ces deffenses, car on avoit grant paour qu’il ne fust recoux; car de très-grant lignaige estoit. Ainsi fut admené au gibet accompaigné du prevost de Paris et de plusieurs gens, et avec ce estoit ung nommé Pierre Baille qui avoir esté varlet cordouanier à Paris, et puis fut sergent à verge, et puis receveur de Paris, et lors estoit grant trésorier du Meinne, lequel Pierre Baille ne volt oncques, quand ledit Sauvaige demanda confession, qu’il requist si longuement, mais lui fist tantost monter l’échelle, et monta après en deux ou trois eschelons en lui disant groses paroles. Le Sauvaige ne lui répondit pas à sa voulenté, pourquoy ledit Pierre luy donna un grand cop de baston, et en donnoit cinq ou six au bourrel, pour ce qui l’interrogeoit du sauvement de son âme. Quand le bourrel vit que l’autre avoit si male voulenté, si ot paour que ledit Baille ne lui fist pis, si se hasta plustost qu’il ne devoit pour la paour, et le pendit; mais pour ce que trop se hasta, la corde rompi ou ce desnoüa, et chut ledit jugié sur les rains, et furent tous rompus et une jambe brisée; mais en celle douleur lui convint remonter, et fut pendu et estranglé, et pour vray dire, on lui portoit une très male grace, espécialement de plusieurs meurtres très-horribles, et disoit-on qu’il avoit tué de sa main ou pays de Flandres ou de Haynault un évesque.»
L’année suivante, nous trouvons cette note: «Le vendredy 10 jour de septembre 1428, fut despendu du gibet de Paris ung nommé Sauvaige de Fromonville, à qui Pierre Baille fist tant de déplaisir quand on le pendoit, car il le frappa en l’eschelle moult cruellement, et si battit le bourrel d’un gros baston qu’il tenoit, et estoit pour lors ledit Pierre receveur de Paris[54].»
En 1430 la misère était si grande, que les pauvres se réunissaient par bandes, pillant et dévastant les environs de Paris. On fit contre eux une expédition; quatre-vingt-dix-huit furent pris la première fois et amenés à Paris: on en pendit douze le 2 janvier. L’année suivante, on fut obligé d’aller à Chevreuse faire le siége «d’une vieille forte maison nommée Dannette», dans laquelle s’étaient réfugiés une quarantaine de pillards; ils furent pris et amenés à Paris; le plus vieux n’avait pas trente-six ans. Treize purent s’échapper; il y en eut deux de pendus devant Dannette, et treize au gibet de Paris. Le 22 avril, on fit une nouvelle expédition qui amena la capture d’une centaine de ces misérables; six furent pendus immédiatement, «les autres, tous accouplez et liez de cordes», furent dirigés sur Paris, et le lundi suivant on en pendit trente-deux à Montfaucon, et le 4 mai trente autres[55].
On enterrait aussi sous le gibet des personnes toutes vives; en 1440, 1457 et 1460, nous trouvons trace de quelques-unes de ces exécutions: Jannette la Bonne-Valette et Marion Bonnecoste, Ermine Valancienne et Louise Chaussier, subirent cet horrible supplice pour leurs «démérites», et furent enfouies dans une fosse de sept pieds de long. En 1460, Perrette Mauger, voleuse et recéleuse de profession, fut condamnée par Robert d’Estouville, prévôt de Paris, «à souffrir mort et à estre enfouye toute vive devant le gibet.» Elle en appela au Parlement, qui confirma la sentence. «Ce qui fut dit à icelle Perrette, laquelle déclara lors qu’elle estoit grosse, parquoy fut derechef différé de l’exécuter. Et fut fait visiter par ventrières et matrones, qui rapportèrent à justice qu’elle n’estoit point grosse.» Immédiatement Henri Cousin, exécuteur des hautes œuvres l’entraîna au supplice[56].
Le 6 juin 1465, on trouva pendu chez lui Jehan Marceau, ancien marchand bonnetier, demeurant rue Saint-Denis, à la Barbe-d’Or. Cette mort était le résultat d’un suicide; aussi le corps fut-il dépendu, apporté au Châtelet, et de là traîné à Montfaucon pour y être pendu.[57]
Le 19 juillet de la même année fut pendu et étranglé au gibet de Paris un gentilhomme nommé Laurent de Mory. Accusé d’avoir des intelligences avec les Bourguignons, il avait été enfermé à la Bastille et jugé par une commission qui l’avait déclaré «crimineux de crime de leze-Majesté, et comme tel l’avoit condamné à estre escartellé ès Halles de Paris.» Il en appela au Parlement, qui l’envoya alors à Montfaucon.[58]
En 1466, on fit aussi de nombreuses exécutions «de povres et indigentes créatures, comme de larrons, sacriléges, pipeurs et crocheteurs». Les uns furent pendus à Montfaucon, les autres au petit gibet de Montigny, «de nouvel créé et estably, pour la grande vieillesse, ruyne et décadence du précédent et ancien gibet, nommé Montfaucon». Ceux qui ne furent pas pendus furent fouettés au cul de la charrette qui les promenait dans tous les carrefours.—De semblables exécutions avaient eu lieu en 1460[59].
Au mois de septembre 1666, on pendit un gros Normand du Cotentin «pour ce qu’il avoit longuement maintenu une sienne fille, et en avoit eu plusieurs enfans, que luy et laditte fille, incontinent qu’elle en estoit délivrée, meurdrissoient». La fille fut brûlée à Magny, près Pontoise, où ils étaient venus demeurer[60].
Le 16 février 1468, par ordre du prévôt de Paris, on menait de sa prison en la chambre de la question un nommé Charlot le Tonnelier, dit la Hote-Varlet, chaussetier, demeurant à Paris, lorsque tout à coup il saisit un «cousteau qu’il apperceut sur son chemin, et d’icelluy se couppa la langue». On le ramena immédiatement dans sa prison, où, bien soigné, il guérit vite. Ramené à la question, il se décida à avouer ses crimes et compromit un de ses frères qu’on appelait le Gendarme, un serrurier, un orfévre, un sergent nommé Pierre Moynel, et un fripier nommé Martin de Coulongne. Le mardi de la semaine peneuse[61], ils furent tous condamnés à être pendus. De cette sentence du prévôt de Paris ils en appelèrent au Parlement, qui confirma l’arrêt seulement à l’égard de quatre, qui furent pendus sous les yeux du fripier et du sergent: ceux-ci furent ramenés en prison. Ils allaient peut-être tirer leur cou de cette affaire, lorsque, «le vendredy sainct et aouré, vint et issit du ciel plusieurs grans esclats de tonnerre, espartissemens et merveilleuse pluye, qui esbahist beaucoup de gens, pourceque les anciens dient tousjours que nul ne doit dire hélas! s’il n’a ouy tonner en mars. Et après ce que dit est, ledit fripier nommé Martin de Coulongne fut rendu par la dicte Cour du Parlement audit prevost de Paris, et fut envoyé audit gibet le samedy veille de Quasimodo 1469[62].»
Nous n’avons pu trouver la date exacte de l’exécution de deux bons amis de François Villon, dont nous avons parlé plus haut, René de Montigny et Colin de Cayeux, deux coupeurs de bourse émérites.
Meny vous chante mieux que caille
Que n’y laissez ne corps, ne pel,
Comme fist Colin de l’Escaille,
Devant la roe babiller:
Il babigna, pour son salut.
Pas ne sçavoit oingnons peller...
Dont Lemboureux lui rompt le suc.
Quant à Villon, on sait qu’il ne fut pas pendu comme il l’appréhendait si fort. Condamné à mort deux fois, en 1460 et 1461, et gracié par Louis XI, cette épitaphe, qu’il avait composée, ne put lui servir:
Né de Paris, près de Pontoise,
Qui d’une corde d’une toise
Sçaura mon col que mon cul poise,
Non plus que cette magnifique ballade (l’Épitaphe en forme de Ballade que feit Villon pour luy et ses compaignons) dans laquelle il se représente pendu avec cinq ou six de ses amis:
Et le soleil dessechez et noirciz;
Pies, corbeaulx, nous ont les yeux cavez,
Et arrachez la barbe et les sourcilz.
Jamais, nul temps, nous ne sommes rassis;
Puis çà, puis là, comme le vent varie,
A son plaisir, sans cesser nous charie,
Plus becquetez d’oyseaulx que dez à couldre.
Hommes, icy n’usez de mocquerie,
Mais priez Dieu que tous nous vueille absouldre!
Comme il possède son sujet! «Il en parle en connaisseur; il sait sa potence à fond, et le pendu, dans tous ses aspects, profils et perspectives, lui est singulièrement familier. Colin de Cayeux et René de Montigny[63], ses camarades, avaient eu la maladresse de se laisser mourir longitudinalement, comme il appert par une des ballades du Jargon, et lui-même ne pouvait guère s’attendre à trépasser en travers. Il me semble le voir maigre, hâve et déguenillé, tourner autour du gibet comme autour du centre où doit aboutir sa vie, et contempler piteusement ses bons amis faisant l’I et tirant la langue, le tout pour s’être allés esbattre à Ruel. Remarquez le mot, quel euphémisme! esbattre. Que diable faisaient donc ces gens-là quand ils travaillaient sérieusement, puis qu’on les cravatait de chanvre seulement pour s’être amusés?»[64]
On ne sait au juste quel délit avait pu amener sur Villon ces deux terribles condamnations; on peut croire que c’était un vol à main armée près de Ruel; un passage de ses poésies permet aussi de supposer que c’était un viol[65].
«Un jeune fils de Brigandinier», qui avait été élevé par Jean Pensart, marchand de poissons, sachant que son père adoptif avait assez d’argent à la suite de la vente du carême, résolut de le dépouiller. Ses complices dans cette affaire étaient deux Ecossais, Mortemer, dit Lescuyer, et Thomas le Clerc; surpris au milieu du crime, ils se sauvèrent, et Brigandinier, pris et amené au Châtelet, nomma ses compagnons. Mortemer, confié à la surveillance de deux Ecossais de la garde du roi, put facilement s’échapper; quant à Thomas le Clerc, il se réfugia dans l’église Sainte-Catherine du Val des Ecoliers, et là soutint un véritable siége contre les gens du prévôt de Paris, qu’il blessa en grande partie avant de tomber entre leurs mains. Condamné à être pendu à Montfaucon, il en appela au Parlement, qui confirma la sentence. L’exécution eut lieu le 16 mars 1474, «pour veoir laquelle furent jusques audit gibet sire Denis Hesselin, maistre Jehan de Ruel, comme commis par maistre Pierre de Ladehors à l’exercice de l’office de lieutenant-criminel, pour occasion de la maladie dudit Ladehors[66].»
En 1476 fut pendu à Montfaucon le sieur Laurent Garnier, de Provins, pour avoir tué un collecteur des tailles de Provins, «duquel cas il avoit obtenu rémission qui ne luy fut point entérinée par la Cour du Parlement». Un an et demi après cette exécution, sur les instances de son frère, le corps fut dépendu par maître Henri Cousin, «et illec fut ensevely et mis en une bière couvert d’un cercueil, et dudit gibet mené dedans Paris par la porte Sainct Denys; et devant icelle biere aloient quatre crieurs de ladite ville sonnant de leurs clochettes, et en leurs poitrines les armes dudit Garnier; et autour d’icelle biere y avoit quatre cierges et huict torches, qui estoient portées par hommes vestus de dueil et armoyez comme dit est. Et en tel estat fut mené passant parmy ladite ville de Paris, jusques à la porte Sainct Anthoine, où fut mis ledit corps en un chariot couvert de noir, pour mener inhumer audit Provins. Et l’un desdits crieurs, qui aloit devant ledit corps, crioit: «Bonnes gens, dites vos patenostres pour l’âme de feu Laurens Garnier, en son vivant demeurant à Provins, qu’on a nouvellement trouvé mort sous un chesne; dites-en vos patenostres, que Dieu bonne mercy luy fasse[67].»
«Audit mois d’aoust 1477 advint que un jeune fils bourreau à Paris, nommé Petit-Jehan, fils de maistre Henry Cousin, maistre Bourreau en laditte ville de Paris, qui déjà avoit fait plusieurs exploits de Bourreau[68], fut tué et meurtry ledit Petit-Jehan en laditte ville de Paris.»
Voici comment arriva la chose. Petit-Jehan avait eu maille à partir pour affaires d’intérêt avec un menuisier picard, nommé Oudin du Bust, et l’avait battu. Celui-ci résolut de se venger; il s’associa trois compagnons: Lempereur du Houx, sergent à verge; Jehan du Foing, fontainier et plombeur, et un orfévre nommé Regnault Goris, qui tous quatre, «de guet apens et propos délibéré, vinrent assaillir ledit Petit-Jehan, qu’ils trouvèrent au coing de la rue de Garnelles, près de l’hostel du Moulinet, et vint le premier à luy ledit Lempereur du Houx soubs fiance amiable, qui le prit par dessous le bras.» Aussitôt Regnault Goris se précipita sur lui et le frappa d’une pierre à la tête; Petit-Jehan chancela, et, Lempereur du Houx l’ayant lâché, Jehan du Foing le perça d’un coup de javeline. Oudin du Bust arriva alors et coupa les jambes du cadavre, puis tous les quatre allèrent se mettre en franchise aux Célestins[69]. Le prévôt de Paris, Robert d’Estouville, les en arracha. Les Célestins en appelèrent, l’évêque de Paris les réclama comme ses clercs; mais ce fut en pure perte, le Parlement ayant déclaré qu’ils ne jouiraient pas des priviléges de l’Eglise. «Ils furent tous quatre pendus au gibet de Paris, par les mains dudit maistre Henry[70], père dudit Petit-Jehan, qui pourtant fut vengé de la mort de sondit fils, le jeudy veille de monseigneur sainct Jehan, décolassé, vingt-huictiesme jour dudit mois, et est assavoir que lesdits Empereur, du Foing et Goris estoient trois beaux jeunes hommes.»
On battit de verges et on bannit du royaume un jeune cordonnier qui était compromis dans cette affaire, mais qui, heureusement pour lui, n’avait point assisté au meurtre[71].
En 1484, fut pendu,—et cela à la satisfaction générale,—le comte de Meulent, Olivier le Dain, «varlet de chambre et barbier de corps du roy».
Son procès fait, on délibéra si l’on avertirait le roi de l’arrêt de mort qui frappait le Dain; il fut résolu qu’il ne le saurait que l’exécution faite. Ce fut Hugues Alligret, greffier criminel de la Cour, qui se rendit à la Conciergerie pour lire au condamné la sentence rendue contre lui. Nous extrayons ce qui suit du rapport dudit Alligret: lecture faite, «le Dain m’a répondu puisqu’il plaisait à Messieurs, que bien, et que je lui baillasse confesseurs.» Je lui envoyai alors deux cordeliers, et devant eux je le conjurai une dernière fois, sur le salut de son âme, de dire la vérité au sujet des sommes qu’il avait à restituer. Il me répondit qu’il avait tout dit, «et atant se départit de moi, et pareillement je lui délaissai en ladite chapelle avec sesdits confesseurs, en délaissant tant huissiers que sergens à l’huis de la chapelle, pour la garder, et m’en suis retourné en ladite Cour; de laquelle environ l’heure de dix heures suis revenu en ladite Conciergerie, et en ladite chapelle, en laquelle je trouvai ledit Olivier le Dain avoir achevé de s’être confessé.» Là, je lui demandai encore s’il n’oubliait rien, et le prévins que, s’il le faisait à dessein, son âme serait perdue; il répondit toujours que non. «Et atant l’ai livré à Henry, exécuteur de la haute justice, lequel l’a prins, lié, mené dedans la charrette, étant près et au devant de la porte de ladite Conciergerie en la cour du Palais, attelée de chevaux, pour être mené en la Justice patibulaire, et illec être exécuté selon ledit arrêt; et après que a été fait le cri accoutumé, ledit Henry a conduit ledit Olivier le Dain en ladite charrette, accompagné de ses confesseurs jusques à ladite Justice. Et nous, greffier, huissiers de ladite Cour, accompagnés de plusieurs sergens royaux, ainsi qu’il est accoutumé de faire, avons suivi jusqu’au dit lieu.» Arrivé devant l’église Saint-Lazare (Saint Ladre, dit le rapport), Olivier le Dain déclara à Hugues Alligret certaines petites dettes, puis «ledit Henry l’a fait monter à l’échelle, l’a attaché, et icelui pendu et étranglé.»
Nommé maistre Olivier,
Vollant par son plumage
Hault comme ung esprevier;
Fort bien sçavoit complaire
Au roy; mais je veis que on
Le feist, pour son salaire,
Percher au Monfaucon.
Olivier le Dain était accusé d’avoir abusé d’une femme en lui promettant de sauver son mari, que néanmoins il fit pendre. Le corps ne resta que deux jours exposé et fut enterré à Saint-Laurent, paroisse de Montfaucon; les lettres patentes, à cette occasion, sont fondées sur ce qu’Olivier le Dain avait rendu de grands services au feu roi.
On pendit avec lui un de ses gens, Daniel Bar, qui avait été capitaine du pont de Saint-Cloud, et avait abusé de son autorité pour rendre des jugements dans lesquels il était juge et partie.
Pendant qu’on traînait à Montfaucon Olivier le Dain, un autre favori de Louis XI, Jean Doyac (ou Jean de Doyat), recevait un châtiment exemplaire. Après avoir été fouetté dans les carrefours de Paris, il fut conduit aux Halles, où il eut une oreille coupée et la langue percée d’un fer chaud; puis on le remit entre les mains de Jean II, duc de Bourbon, son ancien maître, qu’il avait trahi, et qui le fit conduire à Montferrand, où on lui coupa l’autre oreille, après l’avoir encore fouetté publiquement. Mais Charles VIII, à sa majorité, fit réviser le procès de Doyac, qui fut acquitté et rétabli en possession de sa fortune[72].
La même année furent pendus les sieurs Jehan Hugot et Martin Portier (ou Potier), et cela pour leurs démérites, je suppose, n’ayant à cet égard aucun autre document que celui-ci: «A Regnault Chasteau, Garde du scel de la Prévôté de Paris, pour la dépense de bouche faite par maître Jehan de la Porte, Lieutenant Criminel, et Pierre Quatre-Livres, Procureur du Roi; Guillaume Diguet, Greffier audit Chastelet, et plusieurs Examinateurs et sergens dudit Chastelet, au dîné au retour du gibet de Paris, où furent exécutés et pendus Jehan Hugot et maître Portier ou Potier[73].»
Le 8 mars 1522, on pendit deux orfévres qui avaient volé pour 4,000 livres de la vaisselle de François Iᵉʳ chez M. de Villeroy. Ce fut le prévôt de l’hôtel du roi qui les condamna à mort[74].
Le 28 septembre 1526, fut pendu et étranglé au gibet de Paris un jeune écolier de vingt-deux ans, nommé Gasper Gosse, «bedeau de la nation d’Allemaigne en l’Université de Paris». Il avait tué de Selve, neveu du premier président au Parlement de Paris. «On dit qu’il avoit beaucoup cousté à son père pour luy cuider saulver la vie, mais ses parents ne peurent[75].»
Le 9 août 1527[76], à une heure après midi, un vieillard sortait de la Bastille au milieu d’une troupe d’archers et de sergents; il était monté sur une mule, avait la tête nue et tenait à la main une croix de bois peinte en rouge. «Il avoit vestu une robbe de drap frisé couleur tannée, obscur, enfumé, un saye de veloux noir. Son cry luy fut faict en trois lieux, c’est asseavoir porte Bauldetz, devant Chastelet et au Gibet.» Là, le malheureux attendit longtemps au pied de l’échelle que sa grâce arrivât, mais ce fut en vain; c’est alors qu’il s’écria: J’ai bien mérité la mort, pour avoir plus servi les hommes que Dieu[77].
Quelques instants après, une victime de plus se balançait aux piliers de Montfaucon, et cette victime innocente s’appelait Jacques de Beaune, baron de Samblançay[78], surintendant des finances sous Charles VIII, Louis XII et François Iᵉʳ, sacrifié par la reine mère. On sait qu’il lui avait prêté les sommes destinées à Lautrec, faute desquelles celui-ci perdit le duché de Milan, ce que le roi ne put pardonner[79].
Le 12, Jean Maillard[80], lieutenant criminel, et le sieur de Gonais, confesseur, attachèrent au gibet ces deux vers:
Hujus vos memores convenit esse loci.
Plusieurs pièces de vers contre Samblançay coururent Paris:
Vous et vos clercs, si n’êtes gros asniers,
Bien retenir devés ce quolibet:
Que pareil bruit avez que les meusniers;
Car pour larcin, un de ces jours derniers,
Votre guidon fut pendu au gibet.
«Ce guidon des voleurs», dit l’Estoile, avait fait faire son tombeau avant sa mort; c’est sur ce tombeau que de Bèze fit ces vers:
Struxerat, invidit cui laqueus titulum.
Debuerat certe, sors omnibus ut foret æqua,
Tardius hic fieri, vel prius ille mori[81].
Le 24 septembre 1533, Jean Poncher, trésorier du Languedoc, fut pendu à Montfaucon; son corps, enlevé pendant la nuit et enterré secrètement à une certaine distance du gibet, fut retrouvé et pendu de nouveau.—Il fut encore enlevé, mais cette fois on le coupa par morceaux, qu’on enterra dans différents endroits, afin de rendre les recherches infructueuses[82].
René Gentil, président au Parlement, fut pendu le 2 septembre 1543 au gibet où, dix ans avant, il avait fait pendre Jean Poncher, innocent. Brantôme, Varillas et le Président Hénault ont accusé à tort René Gentil d’avoir soustrait à Samblançay les reçus de Louise de Savoie, et cela sur les instances d’une des femmes de la duchesse d’Angoulême, femme dont il était amoureux. Amelot de la Houssaie croit même que Marot fait allusion à René Gentil quand, dans l’élégie 22, Samblançay dit de la Fortune:
Secrètement me filoit une corde,
Qu’un de mes serfs[83], pour sauver sa jeunesse,
A mis au col de ma blanche vieillesse.
René Gentil ne fut jamais le commis de Samblançay, il avait été celui de Jean Poncher. Théodore de Bèze lui fit l’épitaphe suivante[84]:
Impellique vides et huc et illuc,
Quondam purpureo sedem Senatu
Primam Parhisio in foro tenebat.
Verum (proh facinus scelusque grande!),
Dum, lucri studio impotente captus,
Bonos non minus ac malos coercet,
Justo numine sic jubente Divum,
Vivus qui male sederat tot annos
Stare nunc male mortuus jubetur.
Jean Moulnier, qui avait fait réparer les fourches patibulaires de Montfaucon, y fit amende honorable en 1558, à l’occasion d’un procès intenté contre lui par la comtesse de Senigau.
Le 9 septembre 1566, les frères Miloirs, trésoriers des compagnies, reçurent la question extraordinaire et furent pendus à Montfaucon pour avoir volé une somme de soixante mille écus et fait plusieurs faux. A l’échelle, le frère aîné, croyant toujours que sa grâce allait arriver, résolut de gagner du temps; il se cramponna aux échelons, et fit si bien que le bourreau, de guerre lasse, le pendit à l’échelon même auquel il s’était accroché[85].
Gaspard de Châtillon, sire de Coligny, amiral de France, assassiné par le Bohême Charles Dianowitz dans la nuit de la Saint-Barthélemy, fut traîné dans tout Paris; après avoir subi d’affreuses mutilations, son cadavre fut transporté au gibet de Montfaucon, où on le pendit par les cuisses avec des chaînes de fer. Toute la cour voulut l’aller voir, et la reine mère, son fils, sa fille et son gendre en firent une partie de plaisir. A la vue du corps mutilé de l’amiral, la figure du sombre Charles IX s’éclaira d’un reflet joyeux; on l’accuse même, mais à tort, d’avoir répété à ses courtisans, qui se détournaient avec dégoût, la fameuse phrase d’Aulus Vitellius visitant le champ de bataille de Bedriac.
D’Aubigné et de Thou prétendent que la tête de l’amiral fut envoyée à Rome; d’autres disent que l’on en fit présent au roi d’Espagne. François de Montmorency fit dépendre le cadavre, pendant la nuit, par un de ses valets nommé Antoine, et le fit transporter à Chantilly. Ses os se voient aujourd’hui, dit le Père Griffet, dans la chambre des archives, à Châtillon-sur-Loire,—soit qu’on les ait retirés du tombeau, ou qu’ils n’y aient jamais été mis, quoi qu’en dise d’Aubigné. Ils sont en petit nombre et renfermés dans un petit coffre de plomb: une balle de plomb est restée dans l’épaule: cette balle fut tirée probablement lorsque le corps était pendu au gibet de Montfaucon.
On sait que le Parlement mit en accusation Coligny mort, le déclara, par arrêt du 27 octobre 1572, coupable de lèse-majesté, et le condamna à être pendu par figure au gibet de Montfaucon. En effet, on traîna sur la claie un homme fait de paille, représentant l’amiral Coligny; par une dérision cruelle, et en souvenir d’une habitude de ce malheureux, le fantôme tenait dans sa bouche un cure-dent.
C’est peut-être le seul exemple d’un homme subissant deux fois cette exposition ignominieuse[86].
Le 25 septembre 1584 fut pendue à Montfaucon la Sœur Tiennette Petit, de l’Hôtel-Dieu de Paris, pour avoir donné quelques coups de couteau à une de ses compagnes et coupé la gorge à Jeanne Lenoir, vieille religieuse. Tiennette Petit, allant au-devant du châtiment, s’était jetée à la Seine par une fenêtre; mais elle fut retirée, mise dans les prisons du Chapitre de Paris, et condamnée par le bailli de ce Chapitre à être pendue devant l’Hôtel-Dieu. Un arrêt de la Cour confirma la sentence, mais l’envoya pendre à Montfaucon «avec le couteau»[87].
Sylva, médecin piémontais, détenu à la Conciergerie pour sodomie, était à table avec quelques prisonniers, lorsqu’il se prit de querelle avec l’un d’eux et lui donna des coups de couteau; tous se levèrent et voulurent se précipiter pour lui arracher cette arme des mains, lorsqu’il déclara qu’il la rendrait volontiers au sieur de Friaize, gentilhomme beauceron; et comme celui-ci s’avançait sans défiance, Sylva se jeta sur lui et l’assassina lâchement. Jeté dans un cachot, il se suicida pendant la nuit en s’étouffant avec des boulettes de linge arraché à sa chemise.—Son corps, attaché à la queue d’un cheval, fut traîné à Montfaucon, où il fut pendu par les pieds en janvier 1586[88].
Le 24 mars 1608, on traîne à la voirie, la face contre terre, le cadavre de Francesco Fava, médecin italien. C’était un maître fourbe que le signor Fava; très-intelligent, plus instruit que la moyenne des individus de cette époque, notre intrigant personnage avait pu prendre différentes qualités et jouer divers rôles qui le mirent à même de s’enrichir rapidement, trop rapidement peut-être. Il était venu à Paris pour y vendre une fort jolie collection de diamants, qu’il avait emportée en souvenir de la cordiale hospitalité du signor Ange Bossa, et cherchait à s’en débarrasser, lorsqu’il fut arrêté. Il soutint d’abord que les diamants lui appartenaient, qu’il les avait achetés et qu’il ne pouvait répondre de leur origine; mais, se voyant serré de toutes parts, il avoua tout, se jeta à genoux et cria miséricorde: on l’envoya au Fort l’Évêque. Là, il essaya plusieurs fois de se tuer; il s’ouvrit les veines, s’empoisonna; mais, sauvé malgré lui, il tenta de fuir: cette tentative n’eut pas plus de succès que les autres. Alors il demanda à sa femme une sorte de pâte italienne qu’il aimait beaucoup, mit dedans une très-grande quantité d’arsenic (on ne sut jamais comment il se l’était procuré), et attendit tranquillement la mort. Quand sa femme et son fils furent partis «il demanda un prestre. Un qui estoit prisonnier se présenta, mais il le refusa et en voulut un autre. Pendant que l’on en cherchoit, le poison, qui estoit violent, commence son opération, presse Fava et le travaille extrêmement. Alors il se fit oster du lict où il estoit couché et mettre sur une paillasse, où il dit qu’il vouloit mourir, et y mourut misérablement peu de temps après, sans que le geôlier ni les prisonniers sceussent la cause de sa mort et eussent le temps et le moyen d’y remédier.»
Le lundi matin 24 mars, «le corps est ouvert, le poison trouvé dans l’estomac, curateur créé au cadaver, information de la mort, la femme ouye, le procèz faict et parfaict au cadaver; sentence du mesme jour, par laquelle François Fava, accusé et déclaré deuëment atteint et convaincu d’avoir mal pris, desrobbé et vollé à Ange Bossa, par faulsetez et supposition de nom, qualitez escritures et cachets, neuf mil trois cents cinquante six ducats douze gros, monnoye de Venise, tant en diamants, perles et chaisne d’or qu’en deniers comptans, en espèce de sequins d’or; ensemble d’avoir attenté à sa propre personne, estant en prison, par incision de ses veines, et finalement, le procez estant sur le bureau, s’estre fait mourir par poison; et pour réparation de ces crimes, ordonné que son corps sera traisné la face contre terre à la voirie par l’exécuteur de la haute justice, et là pendu par les pieds à une potence qui pour cest effect y sera mise et dressée, etc.[89].»
L’affaire de Fava est une des plus curieuses et des plus singulières causes célèbres du XVIIᵉ siècle.
Sur la fin de juin 1611, un certain baron d’Arquy attendait à cinq heures du matin, sur le Pont-Neuf, le sieur de Montescot. A l’arrivée de celui-ci, ils mirent l’épée à la main et l’affaire s’engagea; Montescot fut d’abord blessé au visage, mais, ripostant vivement, il transperça d’Arquy, qui tomba raide mort. Les passants voulaient l’arrêter, lorsque heureusement pour lui arriva le sieur de Balagny, qui lui donna sa bourse et son cheval et lui fit prendre la fuite.
Cette affaire faillit en amener une seconde entre Balagny et le duc d’Aiguillon, mais enfin cela s’apaisa, et «le corps d’Arquy, par sentence et dernier jugement du Prevost de Paris, fut mené dans un tombereau depuis le Chastelet jusques au bout du Pont-Neuf, où, la sentence leuë, il fut mené au gibet de Montfaucon. Depuis, Montescot aussi fut décapité en effigie[90].»
Chose semblable arriva quelques années plus tard (1617). Malgré les édits contre les duels, un jeune seigneur Tourangeau se battit près de la rue aux Ours et fut tué. Son cadavre «fut traisné à Montfaucon, ainsi que de deux autres qui en semblable subject furent ignominieusement traisnez.»
Là s’arrête la chronique sanglante de Montfaucon.—Nous venons de donner la liste à peu près exacte des malheureux qui y ont été exécutés; seulement, comme les cadavres des individus suppliciés sur les places de Paris y étaient souvent exposés, nous n’avons pas cru devoir les omettre, et nous avons réuni ici la plupart des misérables qui, bouillis, rompus ou décapités à la Croix du Tiroi, au pilori des Halles, sur la place de Grève, allèrent aux Fourches patibulaires, après leur mort, garder les moutons à la lune. De ces expositions, nous n’avons pris que les plus remarquables et celles que l’histoire nous a désignées comme ayant eu lieu réellement à Montfaucon.
En 1328, Guillaume, doyen de Bruges, eut les mains coupées, fut pilorié, lié sur une roue, les mains attachées autour, et le lendemain, après avoir perdu presque tout son sang, fut transporté à Montfaucon; il était le principal auteur d’une révolte arrivée en Flandre.
En 1377 très-probablement, les nommés Jacques de Rue et Pierre du Tertre, accusés de conspiration, avouèrent leur crime et déclarèrent devant toute la Cour qu’ils se reconnaissaient coupables et méritaient la mort «se le Roy n’en avoit mercy». Mais celui-ci voulut que justice se fît, «et raison en fust faite, selon le jugement du Parlement, lequel Parlement les condampna estre traynez du pallaiz jusques ès Halles, et là, sur un eschaffault, avoir les testes trenchiéez, et puis escartelez, et pendus leurs membres aux quatre portes de Paris, et le corps au gibet. Et ainsi fut fait[91].»
En 1398, les nommés Pierre Tosant et Lancelot Martin, tous deux religieux Augustins, furent décapités aux Halles pour leurs démérites, qui consistaient à avoir mis Charles VI en très-grand danger de mort à force de lui avoir fait des incisions à la tête, le tout pour le guérir de sa folie. Ils se disaient au duc d’Orléans et avaient touché, en beaux et bons écus, le prix de cette fameuse guérison, pour laquelle ils comptaient probablement sur l’intervention du Ciel, car avant de mourir ils avouèrent qu’ils ne connaissaient rien à la maladie du Roi. Malheureusement ce ne furent pas les seuls qui payèrent de leur vie le danger d’avoir touché à cette tête sans cervelle. «Ils furent donc menés en Grève; et là, sur un échafaud qui tenoit au Saint-Esprit par un pont de bois, tous deux revêtus d’un chasuble, d’une aube et des autres ornements qu’ont les Prêtres quand ils disent la Messe. Ensuite, après quelques exhortations, l’Evêque en habits Pontificaux vint à eux pardessus le pont, leur fit raser la couronne et ôter leurs ornemens. Cela fait, s’en étant retourné au Saint-Esprit par le même Pont, aussitôt on acheva de les dépouiller jusqu’à la chemise et à une certaine jacquette; après quoi on les mit dans une charette, liés, pour être conduits aux Halles, où, après avoir été décapités et écartelés, leurs corps furent portés à Montfaucon et leurs têtes mises sur deux demi-lances.»
Et au fait, ne lui avaient-ils pas pratiqué des incisions telles que le pauvre imbécile aurait pensé en mourir s’il eût pu seulement penser!
On accusa le duc de Bourgogne de leur mort, sous prétexte qu’il avait à venger la perte de Bar, son «négromancien et invocateur des Diables», que le duc d’Orléans avait fait brûler[92].
Exécution de Jean Montaigu, vidame du Laonnais, surintendant des finances et Grand-Maître de France sous Charles VI[93]. Ce fut Pierre des Essarts qui arrêta lui-même Jean Montaigu; les seigneurs de Heilly et de Rubais ainsi que messire Rolant de Hutequerque, tous dévoués au duc de Bourgogne, accompagnaient le Prévôt de Paris dans cette expédition. Ils rencontrèrent Montaigu qui allait avec l’évêque de Chartres, Martin Gouge, entendre la messe au moutier de Saint-Victor. Des Essarts s’avança vers eux et s’écria: Je mets la main à vous de par l’autorité royale, à moi commise en cette partie.—Montaigu, «oyant les paroles dudit prévôt, fut fort émerveillé et eut très-grand crémeur (crainte). Mais, tantôt que le cœur lui fut revenu, il répondit audit prévôt: Et tu, ribaut, traître, comment es-tu si hardi de moi oser attoucher? Lequel prévôt lui dit: Il n’en ira pas ainsi que vous cuidez; mais comparerez (paierez) les grands maux que vous avez faicts et perpétrés.»
Le procès marcha rapidement; Montaigu avait su gagner les bonnes grâces des rois Charles V et Charles VI, et, en devenant Grand-Maître de la Maison du Roi, surintendant des finances et enfin ministre, s’était créé bien des ennemis, un entre autres fort redoutable, le duc de Bourgogne, qui, sur certaines accusations peu fondées, et profitant de la démence du roi, le fit déclarer coupable de lèse-majesté et condamner à avoir la tête tranchée.
«Va, dirent les juges à Pierre des Essarts, et sans demeure, toy accompaigné du peuple de Paris bien armé, prens ton prisonnier et expédie la besongne selon justice, en luy faisant copper la teste doloüaire et mettre ès halles sur une lance.»
Le Prévôt de Paris multiplia les précautions usitées en pareil cas, tant il craignait que Montaigu «ne feust rescous, et pour ce, en allant, il disoit qu’il estoit traistre et coulpable de la maladie du Roy, et qu’il desroboit l’argent des tailles et aides.» Un grand nombre de Bourgeois qu’on avait mis sous les armes formaient la haie au milieu de laquelle devait passer le condamné. «Et le 15ᵉ jour du mois d’octobre (1409), jeudi, fut le dessusdit Grant-Maistre d’Ostel mis en une charrette vêtu de sa livrée d’une Houpelande de blanc et de rouge et chapperon de mesmes, une chauce rouge et l’autre blanche[94], ungs Esperons dorés, les mains liées devant, une Croix de boys entre ses mains, haut assis sur la charrette, deux trompettes devant lui.»
Du Petit-Châtelet aux Halles, tout le long du trajet, Montaigu baisa avec ardeur la petite croix de bois qu’il tenait dans la main. Lorsqu’il se fut livré au bourreau, celui-ci «lui coupa la teste du premier coup de hache et la mit aussitôt au bout d’une lance, et de là il alla pendre le tronc au gibet de Paris[95]; mais on observa qu’il ne fit aucune mention des causes de sa condamnation, comme c’est la coutume, et je remarqueray encore que ceux que les Princes avoient envoyez pour estre témoins de ses dernières paroles en furent assez touchez pour manquer au devoir des Courtisans. Ils en revinrent tristes et pleurans, et, plusieurs s’étant enquis d’eux pourquoy l’on avoit oublié de faire lecture de l’Arrest à la mort d’un si grand seigneur, ils répondirent qu’il avoit protesté devant toute l’Assemblée; qu’il avoit confessé tout ce qu’on avoit voulu, dans la violence de la gehenne; qu’il avoit mesme fait voir qu’il en avoit les mains disloquées, et qu’il estoit rompu par le bas du ventre, mais qu’il avoit persévéré à dire que le Duc d’Orléans et luy n’estoient aucunement coupables de ce qu’on leur avoit imposé, et qu’il demeuroit seulement d’accord qu’ils avoient, à la vérité, mal usé des Finances du Roy, qu’il ne pouvoit nier qu’ils n’eussent trop dissipées.»
Ce fut partout grande tristesse que cette exécution, et, au premier moment lucide qu’eut le roi, il déplora la mort de Montaigu, disant: «que ce fut un jugement trop soubdain et mal faict, venant de haine et de volonté plus que de raison. Et ordonna qu’on allast au gibet et qu’il feut despendu et baillé aux amis pour mectre en terre sainte, et ainsi feut faict.»
Le corps avait été porté au gibet dans un sac rempli d’épices, donné par les Célestins de Marcoussis; de plus, ces religieux avaient payé le bourreau afin qu’il veillât sur ce cadavre jusqu’à ce qu’il leur fût permis de l’enterrer.
Or, «par ordonnance de justice, un certain jour[96] le Prévost de Paris et son bourreau, qui portoit une eschelle, accompagné d’un Prestre vestu d’une aulbe, paré d’un fanon et estolle, avec douze hommes portans grands flambeaux de cire allumez, vindrent aux Halles, et plusieurs Religieux Celestins, tant de Marcoussis que de Paris, avec plusieurs gens d’honneur et estat. Lors le bourreau par ladite eschelle monta et print le chef dudit deffunct de la lance où il estoit fiché, qui fut mis en un beau suaire, que tenoit ledit Prestre, et honnestement enveloppé. Ce fait, en la compagnie du dessusdit, avec leurs flambeaux, fut porté par ledit Prestre en tout honneur et révérence en l’hostel dudit de Montagu, près Sainct-Paul, à Paris. Et le lendemain, en pareille solemnité, le corps, qui estoit au gibet de Montfaucon, fut apporté audit hostel et joint avec le chef, mis et enclos en un beau cercueil[97].»
En cette même année il y eut un jour, aux Halles, onze individus décapités; onze... c’est-à-dire qu’il n’y en eut que dix, car «le onziesme estoit un très-bel jeune filx d’environ vingt-quatre ans. Il fut despoüillé et prest pour bander ses yeux, quand une jeune fille née des Halles le vint hardiement demander, et tant fit par son bon pourchas qu’il fut ramené au Chastellet, et depuis furent espousez ensemble[98].»
«La mort de messire Maussart du Bos, Chevalier illustre de Picardie, servira de leçon au danger de mal parler des grands.» En effet, le crime de Messire Maussart du Bos, ou mieux Maussart du Bois, était d’avoir manifesté trop ouvertement l’horreur que lui causait l’assassinat du duc d’Orléans et de s’être déclaré hautement l’ennemi du duc de Bourgogne. Il fut pris à Saint-Cloud et de là mené au Châtelet, où «il fut gehenné», et finalement condamné à être décapité aux Halles.
«Et en la prison où il estoit y avoit autres prisonniers. Et à l’heure qu’ils vouloient prendre leur réfection à disner, le bourreau avoit la charrette preste en bas. Et y eut un qui commença à appeler Messire Maussart du Bois, si hault qu’il l’ouit. Et lors va dire à ceux qui estoient avec luy: Mes frères et compaignons, on m’appelle pour me faire mourir, dont je remercie Dieu, et ne crains point la mort, une fois me falloit-il mourir. Ne jà Dieu ne veuille que j’évite la mort, pour renoncer à la querelle que j’ai tenue. Et à Dieu vous dis, mes frères et compaignons, et priez pour moy. Et tous les baisa l’un après l’autre, et feit le signe de la croix, et descendit très-constamment et fermement d’un bon visage et monta en la charrette, et feut mené aux Halles et luy-mesme se despouilla. Et quand il feut en chemise, la rompit devant et luy-mesme la renversoit, pour faire plus beau col à frapper. Et après ce qu’il eut les yeux bandez, le bourreau luy pria qu’il luy pardonnast sa mort, lequel le fit de bon cœur et le pria qu’il le baisast.»
«Et de la force de ses espaules, depuis qu’il ot la teste couppée, bouta le tranchet si fort, qu’à pou tint qu’il ne l’abbaty, dont le Bourreau ot telle freour, car il en mourut à tantost après six jours, et estoit nommé Maistre Guieffroy.—Après fut Bourel Capeluche son varlet.»
Ce Maussart du Bois était très-aimé; c’était du reste, les historiens sont d’accord là-dessus, ung des beaux Chevaliers que on peust voir.—Le bourreau n’osait y toucher, «foison de peuple y avoit; mais comme tous ploroient à chaudes larmes. Et accomplit le bourreau ce qui luy avoit esté commandé. Et disoit que oncques il n’avoit faict chose si envis, et estoit très-déplaisant d’avoir osté la vie à un si bon et vaillant chevalier. Et advint une chose qu’on tenoit merveilleuse, car au dedans de huict jours ledict bourreau mourut et quatre de ceux qui feurent à le tirer et gehenner[99].»
Cette exécution eut lieu le 16 janvier 1411. Immédiatement après, le corps fut pendu au gibet de Montfaucon[100].
Colinet de Pisex (ou de Puisieux), «cy-devant Capitaine du Pont de Saint-Cloud», ayant livré l’entrée du pont aux Armagnacs, fut exécuté aux Halles avec sept de ses complices, le 12 novembre 1411; son beau-frère, qui était du parti d’Orléans, l’avait gagné à cette cause par l’entremise de sa sœur. Lorsque Colinet fut pris il était déguisé en prêtre et s’était caché tout au haut du clocher de l’église de Saint-Cloud.
«Le jeudi, douzième jour de novembre, audit an (1411), fut mené le faulx traître Colinet de Pisex, lui septiesme, ès Halles de Paris, lui estant en la charrette sur un aiz plus hault que les autres, une croix de fust (bois) en ses mains, vestu comme il fut prins, comme un Prestre. En telle manière fut mis en l’eschaffault et dépouillé tout nu, et lui coppa-on la teste à lui sixiesme, et le septiesme fut pendu, car il n’estoit pas de leur faulse Bende. Et ledit Colinet, faulx traistre, fut despécé les quatre membres, et à chascune des maistres Portes de Paris l’un de ses membres pendus et son corps au Gibet, et leurs testes ès Halles sur six places, comme faulx traistres qu’ils estoient.»
«Pour sa femme, elle fut retenuë dans les prisons du Chastelet, parce qu’elle estoit grosse, et l’on disoit publiquement qu’on n’attendoit qu’après ses couches pour la faire décapiter; mais elle évita la honte du supplice par la mort naturelle, qui l’emporta avec son enfant.»
Le 15 septembre 1413, le corps de Colinet de Pisex fut enlevé du gibet, ainsi que ses membres des Portes de Paris où ils étaient exposés.
«Et néanmoins il estoit mieulx digne d’estre ars ou baillé aux chiens que d’estre mis en terre benoistre, sauf la chrétienté; mais ainsi faisoient à leur volonté les faulx bandez.»—Inutile de dire que Labarre, dont nous citons les paroles, était tout dévoué à la maison de Bourgogne[101].
Je lis dans Monstrelet (1412): «Et entre temps ladicte duchesse de Bourbon impétra devers le Roy les Ducs d’Acquitaine et de Bourgongne, que le corps de Binet d’Espineuse, jadis Chevalier du Duc de Bourbon son seigneur et mary, fust osté de Montfaucon, et le chef des Halles, où il avoit esté mis paravant par justice du Roy: si le feit porter par plusieurs de ses amis en la ville d’Espineuse, en la comté de Clermont, où il fut mis en terre dedans l’Eglise assez honorablement».
A la page 141 je lis qu’en 1411 on exécuta aux Halles un vaillant chevalier, nommé messire Pierre de Faméchon «lequel estoit de l’hostel et famille du duc de Bourbon, et fut sa teste mise sur une lance comme les autres. Pour la mort duquel ledit duc de Bourbon fut très-fort troublé et courroucé, et par espécial quand il sceut qu’il avoit esté exécuté et mis honteusement à mort.»
Ce Binet d’Epineuse et le chevalier de Faméchon n’étaient peut-être qu’une seule et même personne[102].
Il y avait à la tête des Cabochiens un Chevalier nommé Hélion de Jacqueville qui avait su se rendre très-redoutable et surtout très-populaire. Un jour il alla au Châtelet avec quelques-uns de sa faction pour y voir Messire Jacques de la Rivière et Petit-Mesnil, qui y étaient détenus, et là les interpella vivement sur certains faits. La Rivière, n’ignorant pas qu’il avait tout à redouter de la colère de cet homme, lui répondit le plus gracieusement possible; mais Jacqueville l’ayant appelé faux, traître et déloyal, il s’écria qu’il en avait menti et qu’il le combattrait, avec la permission du Roy, bien entendu. Jacqueville simplifia la situation: «Et lors ledit Jacqueville, qui avoit une hachette en son poing, la haulsa et frappa tellement ledict de la Rivière sur la teste qu’il le tua. Les aucuns disent que ce feut d’un pot d’estain[103].»
Le 18 juin 1413[104], «jour de Saint-Landry, vigille de la Pentecoste», on traîna jusqu’aux Halles le cadavre de Jacques de la Rivière, ainsi qu’un nommé Symonet Petit-Mesnil (ou Petitmeny, Petit-Maisnel, Jean du Mesnil), «gentilhomme fort bien fait et de bonne mine, Escuyer tranchant du duc de Guyenne. Et celuy-cy fit grande pitié dans toutes les ruës où il passa, par les larmes qu’il versoit et par tous les signes qu’il donna d’une parfaite dévotion et d’une contrition extrême.»
Ce malheureux, une croix à la main, était assis dans la charrette à côté du cadavre de la Rivière. Arrivé aux Halles, on décapita le mort et le vivant, leurs têtes furent fichées à deux fers de lances, et les corps, pendus par les aisselles, allèrent se balancer à Montfaucon, attestant que c’étaient bien les bouchers qui régnaient à Paris.
«Le jeudy d’icelle sepmaine de Penthecoste, semblablement Thomelin de Brie[105], qui n’aguères avoit esté page du Roy, fut mis hors du Chastellet avec deux autres et mené ès Halles, et là furent décollez, et les testes mises sur trois lances, et les corps penduz par les esselles au gibet de Montfaucon: et se faisoient toutes ces besongnes à l’instance et pourchas des Parisiens[106].»
Pierre des Essarts, ex-grand bouteillier de France, favori du duc de Bourgogne, surintendant des finances sous Charles VI, Prévôt de Paris, et, comme tel, appelé le père du peuple, venait de se détacher peu à peu de la faction des Cabochiens, à laquelle il avait été longtemps très-dévoué. Le Dauphin lui avait ouvert les portes de la Bastille, et des Essarts, maître de cette forteresse, se préparait à une vigoureuse défense, quand il se vit entouré par vingt mille Cabochiens. Effrayé, il se rendit au duc de Bourgogne qui lui promit la vie sauve; «mais les bouchers et leurs alliez en tenoient bien peu de compte, et feirent faire le procès dudict Messire Pierre des Essars; et luy imposoit-on plusieurs cas et choses qu’on disoit qu’il avoit commis et perpétré.»
Certes, la vie de l’ancien Prévôt de Paris n’était pas irréprochable; mais son plus grand crime était d’avoir imprudemment dit qu’il manquait au Trésor deux millions d’écus d’or, et que, si jamais on le mettait en accusation à ce sujet, il montrerait les reçus du duc de Bourgogne, à qui il avait donné cet argent.
«Je ne diray pas, écrit Le Laboureur, si ce fut à la gehenne qu’il confessa, ou si volontiers il se reconnut coupable des crimes qui luy estoient objectez.» Toujours est-il qu’il fut condamné à être traîné sur une claie, du Palais au Châtelet, et ensuite à être décapité aux Halles[107].
«Le premier jour de juillet 1413, fut ledit Prevost prins dedans le Palais, traîsné sur une claye jusques à la Heaumerie, et puis assis sur ung ais en la charrette tout jus, une croix de bois en sa main, vestu d’une houppelande noire, déchiquetée, fourrée de martres, unes chausses blanches, ungs escasinous (souliers) noirs en ces piez.
«Il y fut avec une fermeté de cœur qui donna de l’admiration à tout le monde, car il avoit le visage gay, il regardoit la mort et tout son appareil avec des yeux aussi asseurez que s’il n’eût eu aucune appréhension de ce que les hommes trouvent le plus terrible. Il dit constamment adieu à tout le monde, et il ne désira qu’une grâce, qu’il obtint du juge qui le menoit: ce fust qu’on lui epargnast la honte des crimes portez par son procès et qu’on n’en fist la lecture qu’après l’exécution.»
Des Essarts montra en effet beaucoup de courage; mais cette gaîté, ce visage souriant devant la mort, n’étaient-ils pas peut-être un suprême appel à ceux dont il avait été l’idole quelques années auparavant?
«Et en le menant, soubrioit, et disoit-on qu’il ne cuidoit pas mourir et qu’il pensoit que le peuple, dont il avoit été fort accoincté et qui encores l’aimoit, le deust rescourre. Et s’il y en eust eu un qui eust commencé, on l’eust rescous. Car en le menant ils murmuroient très-fort de ce qu’on luy faisoit.»
Labarre a là-dessus la même opinion que Juvénal des Ursins: «Et si est vray que, depuis qu’il fut mis sur la claye jusques à sa mort, il ne faisoit toujours que rire, comme il faisoit en sa grant majesté, dont le plus de gens le tenoient pour un foul; car tous ceux qui le veoient plouroient si piteusement, que vous ne ouyssiez oncques parler de plus grans pleurs pour mort d’homme, et lui tout seul rioit, et estoit la pencée que le commun le gardast de mourir.»
Mais, comme le remarquent fort justement MM. de Sismondi et Michelet, les Cabochiens redoutaient les talents, le courage et la cruauté de Pierre des Essarts. Ni le duc de Bourgogne, qui lui avait promis la vie sauve, ni la protection du duc de Guyenne, ni l’affection du peuple, ne firent un effort pour le sauver.
«Et saichiez que, quand il vit qui convenoit qu’il mourust, il s’agenouilla devant le Bourrel et baisa ung petit image d’argent que le Bourrel avoit en sa poitrine, et lui pardonna sa mort moult doucement.»
Il présenta franchement, dit Le Laboureur, son col au bourreau, «qui d’un seul coup luy trencha la teste. Il la mit au bout d’une lance (et fut mise plus hault que les autres plus de trois piez, dit Labarre), et le premier jour de juillet il porta le tronc du corps pendre au mesme gibet où le mesme Pierre des Essarts avoit fait attacher peu d’années auparavant celuy de Montagu.»—Et, ajoute Juvénal des Ursins, «aucuns disoient: que c’estoit un jugement de Dieu.»
Et comme pour Jehan Montaigu «le vingt-troisiesme jour d’aoust, fut dépendu le devant dit Prevost et Jacques de la Rivière, et furent mis en terre benoiste par nuyt, et n’y avoit que deux torches; car on le fist très-celéement pour le commun, et furent mis aux Mathurins.»
A propos de l’exécution de Pierre des Essarts, il circula dans Paris une anecdote qui, si elle fait honneur à la perspicacité du duc de Brabant, ne prouve pas en faveur du Prévôt de Paris. Causant un jour avec des Essarts, le duc lui aurait dit: «Prevost de Paris, Jehan de Montagu a mis vingt et deux ans à soy faire coupper la teste, mais vrayement vous n’y en mettrez pas trois.» Et non fist-il, car n’y mist qu’environ deux ans et demy depuis le mot; et disoit-on par esbattement parmy Paris que ledit Duc estoit Prophète vray disant[108].»
En 1415, «feut prins en son hostel, à la porte de Paris, Robin Copil, pâtissier, et fut dict qu’il estoit banni. Aucuns disent qu’il estoit nouvellement venu de l’ost (armée) du duc de Bourgogne, et qu’il avoit escript à ses amis qu’on dict au duc de Bourgogne qu’il s’advançast de venir, et qu’ils estoient plus de quatre mille dedans Paris qui lui ouvriroient une porte. Pourquoy le dict patissier feut décapité ès Halles le Mercredy ensuivant, et porté le corps de nuict au gibet[109].»
Le lundi 20 novembre 1475, on écartela aux Halles, par arrêt du Parlement, un gentilhomme du Poitou, nommé Regnault de Veloux, de la maison de Monseigneur du Maine. Il était accusé de haute trahison. «Et fut ledit Regnault par l’ordonnance de ladicte Court fort secouru, pour le fait de son âme et conscience. Car il luy fut baillé le Curé de la Magdeleine, Pénitencier de Paris et moult notable Clerc Docteur en Théologie, et deux grans Clercs de l’ordre des Cordeliers, et furent pendus ses membres aux quatre portes de Paris, et le corps au gibet.»
Le 23 décembre, on alla chercher, avec la permission du roi, les membres épars de ce malheureux; «et puis furent portez inhumer et enterrer au Couvent desdits Cordeliers de Paris, auquel lieu luy fut fait son service honnorablement, pour le salut et remède de son ame, tout au coust, mises et dépens des parents et amis dudit deffunct Regnault de Veloux[110].»
Le 19 août 1518, fut décapité, par arrêt du Parlement, Christophe Legon, avocat, demeurant à Angers; après l’exécution, son corps fut pendu au gibet de Paris, le tout «pour ses démérites et falcifications». L’histoire ne nous rapporte que la dernière fourberie de Mᵉ Christophe Legon. «Mesmement pour la dernière foys, contre un gentilhomme du pays, nommé monsieur du Boys-Daulphin, pour et à la faveur d’un relligieux de l’ordre de Prémontret, abbé de l’abbaye, pour raison du droict de chasse de quelques boys prétendu par ledict seigneur du Boys-Daulphin contre ledict abbé, pour lequel il avoit falsifié aucunes lettres, par les avoyr frottées d’eaue forte en aucuns lieux d’escripture pour y mettre quelque chose contre vérité.»
Six faux témoins qu’il avait subornés furent battus de verges par les carrefours de Paris et au pilori devant Mᵉ Christophe Legon; il y en eut même un qui fut marqué au front d’un fer chaud. «Et depuys la mort dudict Legon, iceulx faux tesmoings furent encore menez à Angers, où ils furent battuz et fustigez de verges parmi la ville[111].»
En 1539, il se fit aux Halles une exécution par contumace: Jean Frolo «auditeur des basses audictoires du Chastelet», fut condamné pour meurtre à faire amende honorable sur la place du Chastelet, à avoir le poing coupé devant la demeure de sa victime, à être traîné sur une claie jusqu’à la place du Pilori, où on lui trancherait la tête, et enfin à être pendu à Montfaucon.—Ce qui eut lieu par figure[112].
Un gentilhomme du Nivernais, François Andras, seigneur de Changy, venait de gagner devant le Parlement un procès que lui faisaient ses trois beaux-frères au sujet d’une terre qu’ils prétendaient leur appartenir. Il sortait de la messe, lorsqu’il fut abordé par François Yssot, un de ses anciens domestiques, qui lui dit: «Monsieur, Dieu vous gard; je m’en voys au pays, mon maistre m’a donné congé, vous y plaist-il rien mander?—Je te remercie, laquais, dit le sieur de Changy, vien-t’en disner à mon logis avec moy, là où j’escriray, et tu porteras les lettres à ma femme de mon procès que j’ay gagné.» Et il lui dit qu’il restait à l’enseigne du Grand Cornet, près l’église Saint-Gervais. C’était, du reste, tout ce que voulait savoir le rusé coquin, qui en avertit immédiatement les trois beaux-frères de de Changy, François, Joachim et Charles du Chastel. Ceux-ci, avec Yssot et un autre de leurs domestiques nommé Guillaume Clauseau, allèrent attendre le sieur de Changy, et, comme il sortait de l’église de Saint-Jean-en-Grève et qu’il regagnait l’enseigne du Grand Cornet, tous cinq, bien armés, lui tombèrent dessus. Il se défendit vaillamment, l’épée à la main, et en blessa un au nez; mais, accablé par le nombre, il tomba mort sur la place. Les assassins passèrent aussitôt la rivière et coururent se cacher dans le collége des Lombards.
Promptement prévenue, la justice les y suivit; le Procureur du Roi, le Lieutenant-criminel et plus de quarante sergents à verge envahirent le collége; bientôt arrêtés, les cinq assassins furent mis au Châtelet, où leur procès fut fait en grande diligence par maître Guillaume Maillard, lieutenant-criminel, auquel la Cour l’avait spécialement recommandé. Le 28 juillet 1526, les cinq condamnés sortirent du Châtelet pour aller en Grève subir le dernier supplice; les trois gentilshommes, criant à Dieu merci, la tête nue, firent amende honorable devant l’église Saint-Gervais, où avait été enterrée leur victime, et y fondèrent une messe quotidienne pendant un an pour le repos de son âme. Ils laissèrent de l’argent pour une fondation semblable dans le Nivernais, et 6,000 livres à la veuve et aux enfants, sans compter encore quelques rentes comme dommages et intérêts: le reste fut confisqué au profit du roi.
Les trois gentilshommes furent décapités, leurs corps transportés à Montfaucon et leurs têtes mises sur des pieux: celle de François en la place de Grève, celle de Joachim devant la porte Saint-Jacques, et celle de Charles hors la porte Saint-Antoine. Guillaume Clauseau fut pendu, et François Yssot brûlé vif. Leurs corps furent traînés et suspendus à Montfaucon[113].
Le samedi 19 septembre 1528, on pendit à la place Maubert un jeune garçon du pays d’Anjou, âgé seulement de vingt et un ans: jusqu’ici rien que de très ordinaire, «mais par le vouloir de Dieu et de la Vierge Marie Nostre-Dame-de-Recouvrance des Carmes, à laquelle il s’estoit recommandé quand on le pendist, il fut ressuscité; c’est assçavoir qu’il fut pendu et estranglé, et que le bourreau le laissa pendu bien l’espace de demie heure. Le vallet dudict bourreau le descendit de ladicte potence par une corde et le mist en la charrette pour le mener au gibet; luy, estant en la charrette, leva une jambe hault et commença à respirer, dont incontinent ledict vallet luy donna un coup de pied dans l’estomac pour achever de le faire mourir, et incontinent print un cousteau et luy voulut coupper la gorge. Lors d’advanture il y eust une pauvre femme qui estoit là, qui print ledict vallet et cria en luy disant: «Ha, traistre! le tueras-tu? Vois-tu pas que c’est un miracle?» Lors le pauvre pendu fut secouru de plusieurs personnes et fut porté dedans l’église des Carmes à Paris, devant la glorieuse Dame; puis il fut mis en une chambre, sur un lit devant le feu, puis fut seigné et donné un breuvage, fut oingt et frotté la gorge et le col d’huilles, et fut un temps sans parler et voir, comme environ au lendemain; mais à la fin il bust et mangea peu après, et fust environ deux jours qu’il n’avoit mémoire ne congnoissance de rien, ne qu’il eust été pendu. Finalement il lui souvint de tout et rentra en bonne prospérité, moiennant l’aide de la Vierge Marie, à laquelle ils s’estoit toujours recommandé.»
Pendant que s’opérait cette guérison miraculeuse, le Parlement avait commis à la garde du pendu un huissier et un sergent; puis maître Jean Morin voulut l’avoir; mais, grâce aux sollicitations des bons Carmes, le roi ne se montra pas plus sévère que la Vierge Marie et lui pardonna son méfait.
Il avait, avec deux autres domestiques, enterré le corps de son maître, ignorant, prétendait-il, que celui-ci eût été assassiné. On découvrit, en effet, que l’auteur du crime était la veuve, et qu’elle s’était servie de ses domestiques pour l’aider à faire disparaître le cadavre de son mari, en leur affirmant qu’il était mort subitement. La sainte Vierge, qui, paraît-il, s’occupait de cette affaire, aurait bien dû y penser un peu plus tôt, «car huict jours devant il en avoit été pendu un autre à la place Maubert, qui estoit son compaignon, qui fut pendu et estranglé pour le mesme cas[114].»
Un avocat de Poitiers, le sieur Breton, ayant perdu une cause à Poitiers et à Paris, en conçut un vif ressentiment. «Il prend si bien ceste affaire dans la teste, qu’il s’imagine de vouloir et pouvoir réformer tous les abus de la justice. Il se présente au Roy, il luy parle, on le mesprise. Il s’adresse à M. de Guise, qui ne tient compte de lui respondre. Il va en Guyenne trouver M. de Mayenne, qui le desdaigne. Il va à la Rochelle vers le roy de Navarre, qui ne voulut prendre la peine de l’escouter.» Enfin, il revint à Paris, et fit imprimer un livre dans lequel étaient énumérés tout au long les torts dont, disait-il, la justice s’était rendue coupable envers la veuve et l’orphelin dont il avait perdu la cause. Il avait eu soin d’entremêler cela de reproches très-violents au roi et au Parlement; ce n’était cependant pas un fou que Mᵉ Le Breton, «il étoit homme de lettres, bien vivant et bon catholique, mais entêté comme un ligueur.» Le livre saisi, auteur et imprimeur furent mis à la Conciergerie, et leur procès fut bientôt fait. Le Breton fut condamné à être pendu, son livre brûlé devant lui; Jean Ducarroy, maître imprimeur, et Gilles Martin, compositeur, furent condamnés à être battus de verges au pied de la potence, la corde au cou, et bannis de France pendant neuf années. Quant à Guiton, serviteur de Le Breton, il fut seulement banni de la prévôté et vicomté de Paris pendant un an.
L’exécution eut lieu le 22 novembre 1586, «dans la cour du Palais, à quelques vingt pas des grands degrez.» Le Breton «endura la mort avec une assurance et une magnanimité admirables, et avec un tel regret de tout le peuple, que, quand on ôta son corps pour le porter à Montfaucon, le peuple y était en grande foule, qui lui baisoit les pieds et les mains. Il est enterré en une moinerie de cette ville, où on lui a fait un service comme à un bien grand prince, et il n’y a guère religion ou moinerie à Paris où on ne lui en ait fait, les gens d’église principalement le tenant digne d’être canonisé.»
A la nouvelle de cette exécution, le curé Poncet, qu’on avait mis en prison pour avoir prêché contre le roi, puis relâché en lui faisant quelques remontrances, mais qui avait recommencé, «se coucha au lit, et peu de jours après mourut[115].»
Après l’exposition du cadavre de ce jeune seigneur Tourangeau (le duelliste de la rue aux Ours), exposition qui eut lieu en 1617 et que nous avons citée plus haut, nous ignorons s’il y en eut encore. Quoi qu’il en soit, à partir de ce moment, elles devinrent plus rares, et cessèrent même entièrement vers 1627 ou 1629[116], à cause du voisinage de l’hôpital Saint-Louis, fondé par Henri IV, vers 1607, pour les pestiférés, et terminé en 1611[117].
Aussi Claude Le Petit, qui rit de tout, n’avait garde d’oublier le vieux gibet découronné:
Pour regarder les environs,
Et par régal censurons
Ce que je voy là sur la gauche:
Vieil Gibet démantibulé,
Par Enguerrand si signalé;
Pilliers maudits, que les orfrayes
Ont pris là pour leur tribunal;
Montfaucon, avecque tes clayes,
Tu fais plus de peur que de mal!
Claude le Petit! qui sait s’il n’alla pas non plus se balancer à Montfaucon?[118]... Mais poursuivons. Sauval dit que de son temps le gibet tombait en ruines: «Présentement (1650), la cave est comblée, la porte de la rampe rompue, ses marches brisées: des pilliers, à peine y en reste-t-il sur pied trois ou quatre, les autres sont entièrement ou à demi ruinés: la plupart de leurs pierres, entassées les unes sur les autres, confusément, couvrent de ruines une partie de la plate-forme de la masse: en un mot, de ce lieu patibulaire, si solidement bâti, à peine la masse en est-elle encore debout. De l’éminence même sur laquelle il était élevé, il ne subsiste que la terre, que cette masse remplit: les environs ont été couverts et sont convertis en plâtrières. Rien ne s’est garanti des injures du temps et des hommes, qu’une grande croix de pierre qui semble moderne[119].»
En 1760, comme les faubourgs Saint-Martin et du Temple commençaient à se peupler, on détruisit le gibet et on le transporta à l’endroit où est la grande voirie que l’on appelle aussi Montfaucon; mais on n’y pendit plus.—Il en fut de même pour les expositions: le gibet royal resta comme un symbole de la haute justice du trône, et l’on ne fit plus qu’enterrer à son ombre les suppliciés de la place de Grève. Le patient auquel on venait d’arracher la vie était transporté dans la salle basse du Pilori; vers minuit, le bourreau, assisté de ses aides, prenait le cadavre, le mettait dans une voiture et le conduisait, sans autre appareil, jusqu’à l’enclos des Fourches patibulaires, où le matin on avait creusé une fosse. Le corps y était descendu, recouvert de terre, et personne n’eût pu le lendemain retrouver trace de la tombe maudite.
Après le 21 janvier 1790 les pilliers restants furent détruits, et les blocs de grès achetés par un plâtrier nommé Fessard.—C’est avec eux qu’on a bâti le parapet le long duquel s’arrêtaient les voitures de vidanges.
Avoir desdaing, quoyque fusmes occis
Par justice. Toutesfois, vous sçavez
Que tous les hommes n’ont pas bon sens assis;
Intercédez doncques, de cueur rassis,
Envers le Filz de la Vierge Marie:
Que sa grace ne soit pour nous tarie,
Nous préservant de l’infernale fouldre.
Nous sommes mors, ame ne nous harie;
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre!
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