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Le grizzly

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CHAPITRE XI
BRUCE ET LANGDON SUR LE THÉATRE DU COMBAT

Trois minutes après que les chasseurs essoufflés et en sueur furent arrivés sur le lieu du conflit sanguinaire, Bruce était prêt à continuer la poursuite de Tyr.

Il savait que le grand grizzly ne pouvait être loin et il était certain qu’il avait dû gravir le flanc de le montagne.

Il découvrit des empreintes de Tyr dans le gravier de la ravine au moment où le grizzly et l’ourson à la frimousse brune s’engageaient sur le sentier des chèvres.

Mais Langdon ne voulait rien savoir pour continuer la poursuite immédiatement.

Ému jusqu’au plus profond de l’âme par ce qu’il avait vu et par ce qu’il voyait maintenant autour de lui, le chasseur naturaliste refusa de quitter la roche tachée de sang sur laquelle le grizzly et l’ours noir s’étaient battus en duel à mort.

— Même si j’étais sûr de ne pas pouvoir tirer un coup de fusil en chemin, je n’hésiterais pas à parcourir cinq cents milles pour revoir pareil spectacle, dit-il. Cela vaut la peine qu’on y pense et qu’on y consacre son temps.

Le grizzly ne perdra rien pour attendre. Ceci, au contraire, y perdrait beaucoup : les mouches commencent à s’y mettre.

S’il est une histoire là-dedans que nous puissions découvrir, j’y tiens !

Sans se lasser, minutieusement, Langdon parcourut le champ de bataille, étudiant le sol labouré, les larges taches d’un sang sombre, les lambeaux de peau arrachés et les terribles blessures dont le grand ours noir était mort.

Pendant une demi-heure, Bruce prêta moins d’attention à ces choses qu’à la carcasse du caribou.

A la fin de ce laps de temps, il appela Langdon à la lisière du bois de sapins.

— Tu veux savoir ce qui s’est passé ? Je peux te le raconter, Jimmy.

Il pénétra sous bois et Langdon le suivit.

A quelques pas, sous le couvert, Bruce s’arrêta et désigna le creux dans lequel Tyr avait caché sa viande ; le creux était taché de sang.

— Tu avais bien deviné, Jimmy, fit-il. Notre grizzly est un carnivore. Hier soir, il tua un caribou là-bas dans la prairie. Je sais que c’est lui qui le tua et non pas l’ours noir, car les traces le long de la lisière de la forêt sont des traces de grizzly. Viens-t’en, je vais te montrer à quel endroit il sauta sur le caribou !

Il conduisit son camarade jusqu’à l’endroit où Tyr avait abattu le jeune mâle.

Il y avait des fragments de viande et une énorme tache à l’endroit où Tyr et Muskwa s’étaient régalés.

— Il cacha la carcasse dans le bois après s’être rempli, dit Bruce.

Ce matin le noir s’est amené, a flairé la viande et violé la cache.

Là-dessus, le grizzly est revenu pour déjeuner… et voilà comment ça s’est passé.

— Il peut donc revenir encore.

— Tu n’y penses pas. Il ne toucherait plus à cette carcasse, même s’il mourait de faim. L’odeur de cet endroit doit lui être horriblement désagréable à l’heure actuelle.

Après cela, Bruce laissa Langdon méditer et se remit à pister Tyr.

A l’orée des pins, Langdon s’assit une grande heure, se levant fréquemment pour établir un fait nouveau ou pour en confirmer d’autres déjà découverts.

Cependant, le montagnard gravissait la ravine pied à pied. Tyr n’avait pas laissé de trace de sang ; mais où les autres n’auraient rien vu, Bruce distingua les signes de son passage.

Lorsqu’il rejoignit Langdon, qui achevait de compléter ses notes, il avait l’air satisfait.

— Il a franchi la montagne, dit-il brièvement.

Il était grand jour lorsqu’ils atteignirent le point où Tyr et Muskwa avaient observé l’aigle et les moutons.

Ils y déjeunèrent et contemplèrent la vallée avec les jumelles.

Bruce demeura silencieux pendant un temps, puis il abaissa son télescope et se tourna vers Langdon.

— Je crois que je suis à peu près fixé sur son territoire, dit-il. Il règne sur ces deux vallées et notre camp est trop au Sud.

Tu vois ces arbres là-dessous… eh bien ! c’est là que devrait être notre camp.

Qu’est-ce que tu dirais d’aller rechercher les chevaux et de s’installer là ? On laisserait notre grizzly jusqu’à demain…

Langdon fit un signe de tête affirmatif.

— On ne peut pas continuer et laisser les chevaux attachés au piquet dans la vallée.

Langdon rentra ses jumelles et se leva.

Brusquement, il devint rigide.

— Qu’est-ce que c’est que ça ?

— Je n’ai rien entendu, dit Bruce.

Pendant un moment, ils demeurèrent côte à côte à écouter.

Une bouffée de vent leur siffla aux oreilles.

— Écoute, chuchota Langdon.

— Les chiens ! cria Bruce.

— Oui, les chiens !

Ils se penchèrent en avant, tournés vers le Sud. Là-bas, tout là-bas dans le lointain, les airdales donnaient de la voix.

Metoosin était arrivé et les cherchait dans la vallée.

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