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Le IIme livre des masques

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The Project Gutenberg eBook of Le IIme livre des masques

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Title: Le IIme livre des masques

Author: Remy de Gourmont

Illustrator: Félix Vallotton

Release date: November 3, 2005 [eBook #16988]
Most recently updated: December 12, 2020

Language: French

Credits: Produced by Marc D'Hooghe


From images generously made available by Gallica
(Bibliothèque Nationale de France) at http://gallica.bnf.fr.

*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK LE IIME LIVRE DES MASQUES ***

LE IIme LIVRE DES MASQUES

PAR

REMY DE GOURMONT

LES MASQUES AU NOMBRE DE XXIII, DESSINÉS
PAR F. VALLOTTON

DEUXIÈME EDITION

PARIS

1898


Table des matières

PRÉFACE

Si l'on croit nécessaire de connaître la méthode générale qui a guidé l'auteur dans cette seconde série de Masques, on se reportera aux pages placées en tête du premier tome.

Goethe pensait:

«Quand on ne parle pas des choses avec une partialité pleine d'amour, ce qu'on dit ne vaut pas la peine d'être rapporté.»

C'est peut-être aller loin. La critique négative est nécessaire; il n'y a pas dans la mémoire des hommes assez de socles pour toutes les effigies: il faut donc parfois briser et jeter à la fonte quelques bronzes injustes et trop insolents. Mais c'est là une besogne crépusculaire; on ne doit pas convier la foule aux exécutions. Quand nous l'appellerons, ce sera pour qu'elle participe à une fête de gloire.

Certains critiques ont toujours l'air de juges qui, leur sentence rendue, attendent le bourreau.

«Ah! voici le bourreau! Nous allons faire un feu de joie et danser autour des cendres de nos amours!»

Il n'y a plus besoin de bûchers pour les mauvais livres; les flammes de la cheminée suffisent.

Les pages qui suivent ne sont pas de critique, mais d'analyse psychologique ou littéraire. Nous n'avons plus de principes et il n'y a plus de modèles; un écrivain crée son esthétique en créant son oeuvre: nous en sommes réduits a faire appel à la sensation bien plus qu'au jugement.

En littérature, comme en tout, il faut que cesse le règne des mots abstraits. Une oeuvre d'art n'existe que par l'émotion qu'elle nous donne; il suffira de déterminer et de caractériser la nature de cette émotion; cela ira de la métaphysique à la sensualité, de l'idée pure au plaisir physique.

Il y a tant de cordes à la lyre humaine! C'est déjà un travail considérable que d'en faire le dénombrement.

27 février.


Francis Jammes

FRANCIS JAMMES

Voici un poète bucolique. Il y a Virgile, et peut-être Racan, et un peu Segrais. Nulle sorte de poète n'est plus rare: il faut vivre à l'écart dans les vraies maisons de jadis, à la lisière des bois gardés par les seules ronces, au milieu des ormes noirs, des chênes ridés et des hêtres à la peau douce comme celle d'une amie très aimée; l'herbe n'est pas un gazon vain tondu pour simuler le velours des sofas: on en fait du foin, que les boeufs mangent avec joie en cognant contre la crèche l'anneau qui attache leur licou; et les plantes ont une vertu et un nom:

Dans les bois vous trouverez la pulmonaire
dont la fleur est violette et vin, la feuille vert-
de-gris, tachée de blanc, poilue et très rugueuse;
il y a sur elle une légende pieuse;
la cardamine où va le papillon aurore,
l'isopyre légère et le noir ellébore,
la jacynthe qu'on écrase facilement
et qui a, écrasée, de gluants brillements;
la jonquille puante, l'anémone et le narcisse
qui fait penser aux neiges des berges de la Suisse;
puis le lierre-terrestre bon aux asthmatiques.

Cela fait partie d'un «mois de mars» raconté par Francis Jammes (pour l'Almanach des Poètes de l'an passé), petit poème qui parut tel qu'une violette (ou une améthyste) trouvée le long d'une haie, parmi les premiers sourires de l'année. Tout entier, il est admirable d'art et de grâce et d'une simplicité virgilienne. C'est le premier fragment connu de ces «Géorgiques Françaises» où de bonnes volontés s'essayèrent jadis, en vain.

Septima post decimam felix et ponere vitem
Et prensos domitare boves et licia telae
Addere. Nona fugoe melior, contraria furtis.
Multa adeo gelida melius se nocte dedere
Aut cum sole novo terras irrorat Eous.
Nocte leves melius stipulae, nocte arida prata
Tondentur: noctis lentus non deficit humor.

C'est avec la même sécurité, la même maîtrise que M. Jammes nous dit les travaux du mois de mars:

......................................................
Pour les bestiaux les rations d'hiver finissent.
On ne mène plus, dans les prairies, les génisses
qui ont de beaux yeux et que leurs mères lèchent,
mais on leur donnera des nourritures fraîches.

Les jours croissent d'une heure cinquante minutes.
Les soirées sont douces et, au crépuscule,
les chevriers traînards gonflent leurs joues aux flûtes.
Les chèvres passent devant le bon chien
qui agite la queue et qui est leur gardien.

Il n'y a sans doute pas aujourd'hui en France un autre poète capable d'évoquer un tableau aussi clair et aussi vrai avec des mots aussi simples, avec une phrase qui semble celle d'une causerie distraite et qui pourtant, comme par hasard, forme des vers charmants, purs et définitifs. Cependant le poète suit bien sagement son calendrier et, comme Virgile oublie un instant les soins que l'on donne aux abeilles pour nous conter l'aventure d'Aristée, M. Francis Jammes, arrivé à la fête des Rameaux, nous dit en quelques vers une histoire de Jésus belle et tendre ainsi que les vieilles gravures que l'on clouait dans les alcôves.

.....................................................
Jésus pleurait dans le jardin des oliviers....
On était allé, en grande pompe, le chercher....
A Jérusalem les gens pleuraient en criant son nom....
Il était doux comme le ciel, et son petit ânon
trottinait joyeusement sur les palmes jetées.
Des mendiants amers sanglotaient de joie,
en le suivant, parce qu'ils avaient la foi....
De mauvaises femmes devenaient bonnes
en le voyant passer avec son auréole
si belle qu'on croyait que c'était le soleil.
Il avait un sourire et des cheveux en miel.
Il a ressuscité des morts ... Ils l'ont crucifié...

Quand nous aurons (et peut-être l'aurons-nous) un calendrier complet écrit dans ce ton de simplicité pathétique, il y aura d'ajouté aux tomes épars qui sont la poésie française un livre inoubliable.

M. Francis Jammes offrit ses premiers vers au public en 1894. Il devait avoir vingt-cinq ans et sa vie avait été ce qu'elle est restée, solitaire au fond des provinces, vers les Pyrénées, mais non dans la montagne:

Les villages brillent au soleil dans tes plaines,
pleins de clochers, de rivières, d'auberges noires....

Les femmes des paysans «ont la peau en terre brune», mais les matins sont bleus et les soirées sont bleues,

avec des champs de paille qui sentent la menthe,
avec des fontaines crues où l'eau claire chante....

avec des sentiers où quand c'est le mois d'octobre
le vent fait voler les feuilles des châtaigners....

ainsi vont les doux villages éparpillés
sur les coteaux, aux flancs des coteaux, à leurs pieds,
dans les plaines, dans les vallées, le long des gaves,
près des routes, près des villes et des montagnes;
avec les clochers minces au-dessus des toits,
avec, sur les chemins qui se croisent, des croix,
avec des troupeaux longs qui ont des cloches rauques
et le berger fatigué traînant ses sabots....

avec les palombes aux yeux rouges et tout ronds
qui arrivent de loin dans le gris des nuages
et les grues qui grincent dans le froid et qui font,
comme des serrures rouillées, un bruit sauvage....

Voilà, tout déchiqueté, vu par bribes, le paysage où évoluèrent les émotions de ce poète dont la solitude a exaspéré et parfois troublé l'originalité. Soucieux d'abord de dire son impression du moment, il se répète volontiers, variant par de faible nuances les détails de la vie qu'il aime. Mais que de visions émues, que de jolies imaginations, et comme les mots viennent doucement écrire des pages dont la fraîcheur fait envie! Ainsi le tableau, de chaste volupté:

Tu serais nue sur la bruyère humide et rose....

et cet autre, d'un sentiment plus intime:

La maison serait pleine de roses et de guêpes....

et la complainte d'amour et de pitié qui commence ainsi:

J'aime l'âne si doux
marchant le long des houx.

Il prend garde aux abeilles
et bouge les oreilles;
et il porte les pauvres
et des sacs remplis d'orge.

et (malgré une strophe mauvaise) la discrète élégie que résument ces quatre vers d'une musique si tiède et si lasse:

Le soleil pur, le nom doux du petit village,
les belles oies qui sont blanches comme le sel,
se mêlent à mon amour d'autrefois, pareil
aux chemins obscurs et longs de Sainte Suzanne.

Après encore un an ou deux d'une vie sans doute toujours pareille, le poète a pris une conscience plus décisive de lui-même; son émotion devient parfois presque plaintive en même temps que la sensualité de l'homme s'exalte, s'avoue avec moins de pudeur, mais toujours soeur d'un sentiment et alors toujours pure malgré sa franchise et la nudité de ses gestes. Ce triple aspect humain, orgueil, émotion, sensualité, le poème en dialogue, appelé Un Jour, le développe, en couleurs vives et douces: quatre scènes où la poésie vole au-dessus d'une vie monotone et presque triste, quatre images très simples, et même, si l'on veut, naïves, mais d'une naïveté qui se connaît et qui connaît sa beauté. Plus que d'ambitieuses paraphrases c'est bien là la journée (ou la vie) d'un poète, qui perçoit le monde extérieur d'abord comme une sensation brute (ainsi que tout autre homme), puis en dégage aussitôt, en son esprit prompt aux généralisations, la signification symbolique ou absolue. Et tout ce poème est plein de vers admirables et graves, des vers d'un vrai poète dont le génie encore en croissance éclate, tel des rayons de soleil à travers une haie d'acacias:

C'est la mère douce aux cheveux gris dont tu es né.

Les gens pauvres et fiers sont pareils à des cygnes.

Cache-lui ton ennui parce qu'elle est une femme.
Elle est trop jeune pour pouvoir porter deux âmes.

Bois les baisers de ta douce et tendre fiancée.
Les larmes des femmes sont lourdes et salées
comme la mer qui noie ceux qui y sont allés.

Ne semble-t-il pas que la gaucherie ou le dédaigneux laisser-aller de ce dernier vers ajoute à la pensée sérieuse comme un sourire? Il y a beaucoup de ces sourires dans la poésie de M. Francis Jammes. Je ne trouve pas qu'il y en ait trop; j'aime le sourire.

Voilà donc un poète. Il est d'une sincérité presque déconcertante; mais non par naïveté, plutôt par orgueil. Il sait que vus par lui les paysages où il a vécu tressaillent sous son regard et que les chênes tout secoués parlent et que les rochers resplendissent comme des topazes. Alors il dit toute cette vie surnaturelle et toute l'autre, celle des heures où il ferme les yeux: et la nature et le rêve s'enlacent si discrètement, dans une ombre si bleue et avec des gestes si harmoniques, que les deux natures ne font qu'une seule ligne, une seule grâce:

Ils ont une ligne douce comme une ligne.

Il est grand temps, pour notre bon renom, de donner de la gloire à ce poète et, pour notre plaisir, de respirer souvent cette poésie, qu'il a appelée lui-même une poésie de roses blanches.


Paul Fort

PAUL FORT

Celui-ci fait des ballades. Il ne faut rien lui demander de plus, ou de moins, présentement. Il fait des ballades et veut en faire encore, en faire toujours. Ces ballades ne ressemblent guère à celles de François Villon ou de M. Laurent Tailhade; elles ne ressemblent à rien.

Typographiées comme de la prose, elles sont écrites en vers, et supérieurement mouvementés. Cette typographie a donné l'illusion à d'aimables critiques que M. Paul Fort avait découvert la quadrature du cercle rythmique et résolu le problème qui tourmentait M. Jourdain de rédiger des littératures qui ne seraient ni de la prose ni des vers; il y a bien de la désinvolture dans ce compliment, mais ce n'est qu'un compliment. Si la ligne qui sépare le vers de la prose est souvent devenue, en ces dernières années littéraires, d'une étroitesse presque invisible, elle persiste néanmoins; à droite, c'est prose; à gauche, c'est vers; inexistante pour celui qui passe, les yeux vagues, elle est là, indélébile, pour celui qui regarde. Le rythme du vers est indépendant de la phrase grammaticale; il place ses temps forts sur des sons et non sur des sens. Le rythme de la prose est dépendant de la phrase grammaticale; il place ses temps forts sur des sens et non sur des sons. Et comme le son et le sens ne peuvent que très rarement coïncider, la prose sacrifie le son et le vers sacrifie le sens. Voilà une distinction sommaire qui peut suffire, provisoirement.

La question ne se pose d'ailleurs pas à propos des Ballades Françaises, lesquelles sont bien d'un bout à l'autre en vers, ici très pittoresques, très vifs, là très sobres, très beaux; et non pas même en vers libres (sauf quelques pages); en ce vieux vers «nombreux», mais dégagé heureusement de la tyrannie des muettes, ces princesses qu'on ne sait comment saluer. Avec un instinct sûr d'homme de l'Isle-de-France, il les a remises à leur vraie place, leur imposant quand il le faut le silence qui convient à leur nom.

Un roi conquit la reine avec ses noirs vaisseaux.
La reine n'a plus de peine, est douce comme un agneau.

Et tout ce petit poème, vraiment parfait:

Cette fille, elle est morte, est morte dans ses amours.
Ils l'ont portée en terre, en terre au point du jour.
Ils l'ont couchée toute seule, toute seule en ses atours.
Ils l'ont couchée toute seule, toute seule en son cercueil.
Ils sont revenus gaîment, gaîment avec le jour.
Ils ont chanté gaîment, gaîment: «Chacun son tour.
«Cette fille, elle est morte, est morte dans ses amours.»
Ils sont allés aux champs, aux champs comme tous les jours....

J'aime beaucoup de tels vers; je n'aime guère que de tels vers, où le rythme par des gestes sûrs affirme sa présence et pour une syllabe de plus, une de moins, ne s'évanouit pas. Qui s'aperçoit que le troisième des vers que voici n'a que onze syllabes accentuées?

Au premier son des cloches: «C'est Jésus dans sa crèche....»
Les cloches ont redoublé: «O gué, mon fiancé!»
Et puis c'est tout de suite la cloche des trépassés.

Mais assez de rythmique; il est temps que nous aimions la poésie et non plus seulement les vers des Ballades Françaises. Elles chantent sur trois tons principaux; le pittoresque, l'émotion, l'ironie régissent successivement, et parfois en même temps, chacun de ces poèmes dont la diversité est vraiment merveilleuse; c'est le jardin des mille fleurs, des mille parfums et des mille couleurs. Le livre premier est le plus charmant: c'est celui des ballades qui empruntent à la chanson populaire un refrain, le charme d'un mot qui revient comme un son de cloche, un rythme de ronde, une légende; on sent que le poète a vécu dans un milieu où cette vieille littérature orale était encore vivante, contée ou chantée. De vieux airs sonnent dans ces ballades d'un art pourtant si nouveau:

La mer brille au-dessus de la baie, la mer brille comme
une coquille. On a envie de la pêcher. Le ciel est gai, c'est
joli Mai.

C'est doux la mer au-dessus de la baie, c'est doux comme
une main d'enfant. On a envie de la caresser. Le ciel est gai,
c'est joli Mai.

Voici une ronde (peut-être) qui fera encore mieux entendre sa musique oubliée:

Un gentil page vint à passer, une reine gentille vint à
chanter.—Roi! hou—tu les feras pendre, hou, hou, tu
les feras tuer.

Un gentil page vint à chanter, une reine gentille vint à
descendre.—Roi! hou—tu les feras moudre, hou, hou, tu
les feras tuer.

Le grand gibet dans l'herbe tendre, la meule dorée dans le
grand pré.—Roi! hou—tu feras moudre, hou, hou, tu
les feras pendre.

Un moine blanc vint à passer, un moine rouge vint à
chanter:—Roi! hou tu les feras tondre, hou, hou, pour le
moutier.

L'émotion régit le second livre. C'est celui de l'amour, de la nature et du rêve: celui des paysages doux et nuancés, bleu et argent. La mer est d'argent, les saules sont d'argent, l'herbe est d'argent; l'air est bleu, la lune est bleue, les animaux sont bleus.

L'Aube a roulé ses roues de glace dans l'horizon. La terre
se découvre en gammes de jour pâle. Un mont reflète, hu-
mide, les dernières étoiles, et les animaux bleus boivent l'herbe
d'argent.
................................................................

Et c'est gai, pur, un peu triste aussi comme quand on regarde l'étendue des campagnes, ou la mer, ou le ciel. Les choses ont une manière si solennelle de se coucher dans la brume, une telle attitude d'éternité quand elles sont couchées que nous devenons graves, tout au moins, à ce spectacle qui trouble la mobilité de nos pensées et les arrête et les fixe douloureusement; mais il y a une joie dans la vue de la beauté, qui, à certaines heures de la vie, peut dominer les autres sensations et nous préparer à l'état de grâce nécessaire à la communion parfaite. C'est le mysticisme dans sa fraîcheur la plus ingénue et dans son amour le plus éloquent. Ainsi la ballade: L'ombre comme un parfum s'exhale des montagnes. Je veux déclarer que cet hymne est beau comme un des beaux chants de Lamartine:

Laisse nager le ciel entier dans tes yeux sombres et mêle
ton silence à l'ombre de la terre: si ta vie ne fait pas une
ombre sur son ombre, tes yeux et ta rosée sont les miroirs des
sphères.
..............................................................
A l'espalier les nuits aux branches invisibles, vois briller
ces fleurs d'or, espoir de notre vie, vois scintiller sur nous—
scels d'or des vies futures—nos étoiles visibles aux arbres
de la nuit.
...............................................................
Contemple, sois ta chose, laisse penser tes sens, éprends-
toi de toi-même épars dans cette vie. Laisse ordonner le ciel
à tes yeux, sans comprendre, et crée de ton silence la musique
des nuits.

La rime manque, parfois même l'assonance; on n'y prend garde. C'est, renouvelée par de belles images inédites, la grande poésie romantique. Mais, sans être unique, une émotion aussi profonde est rare dans les Ballades. Le poète a pour l'humour un penchant qu'il veut satisfaire même hors de propos et voici, après un livre sentimental (vieilles estampes en demi-teinte), toute une bizarre mythologie, Orphée, Silène, Hercule, restaurée avec quelque hardiesse, puis l'extraordinaire Louis XI, curieux homme, et Coxcomb, plus étrange encore, puis des ballades étranges encore et encore,—et pas une où il n'y ait quelque trait d'originalité, de poésie ou d'esprit. Nous avons donc le livre le plus varié et les gestes les plus dispersifs. On a peine, si tôt, à y bien retrouver son chemin, tant les pistes s'enroulent et s'enlacent sous les branches, disparaissent dans les buissons, dans les ruisseaux, dans les mousses élastiques, tant l'animal entrevu est singulier, rapide et mouvant. On a défini M. Paul Fort, dans une intention sans doute amicale: le génie pur et simple. Ironique, cela ne serait pas encore très cruel; sérieux, cela dit une partie de la vérité. Ce poète en effet est une perpétuelle vibration, une machine nerveuse sensible au moindre choc, un cerveau si prompt que l'émotion souvent s'est formulée avant la conscience de l'émotion. Le talent de Paul Fort est une manière de sentir autant qu'une manière de dire.


Hugues Rebell

HUGUES REBELL

Des hommes ne sont pas d'accord avec leur temps; ils ne vivent jamais de la vie du peuple; l'âme des foules ne leur apparaît pas bien supérieure à l'âme des troupeaux.

Si l'un de ces hommes réfléchit sur lui-même et arrive à se comprendre et à se situer dans le vaste monde, peut-être va-t-il s'attrister, car il sent autour de lui une invincible étendue d'indifférence, une nature muette, des pierres stupides, des gestes géométriques: c'est la grande solitude sociale. Et, au fond de son ennui, il songe au plaisir simple d'être d'accord, de rire avec naïveté, de sourire d'un air discret, de s'émouvoir aux longues commotions. Mais aussi une fierté peut lui venir de son renoncement et de son isolement, soit qu'il ait adopté la pose du stylite, soit qu'il ait fermé sur ses plaisirs la porte d'un palais.

M. Rebell a choisi ce dernier mode: il se présente à nous dans l'attitude de l'aristocrate heureux et dédaigneux.

En un temps où, petits plagiaires de Sénèque le philosophe, les agents de change, les avocats populaires, les professeurs retirés dans un héritage, les millionnaires, les ambassadeurs, les ténors, les ministres et les banquistes, où toute la «noblesse républicaine», hypocritement joyeuse de vivre, s'attendrit avec soin sur le «sort des humbles», au moment même qu'elle leur met le pied sur la nuque, en ce temps-là, il est agréable d'entendre quelques paroles de franchise et M. Rebell dire: «Je veux jouir de la vie telle qu'elle m'a été donnée, selon toute sa richesse, toute sa beauté, toute sa liberté, toute son élégance; je suis un aristocrate.»

Cela ne signifie pas qu'insensible à toutes les souffrances naturelles il dédaigne le peuple (comme le bourgeois-type qui hait au-dessus de lui et méprise au-dessous); il l'aime au contraire, mais d'un amour trop raisonnable et trop élevé pour que le peuple en soit touché. Au pauvre monde que de stupides sermons ont incliné vers les satisfactions de la vanité et du civisme, il enseignerait volontiers la joie toute simple d'être un brave animal. Les plaisirs intellectuels, à quoi bon en suggérer le désir à des cerveaux infailliblement rétifs aux émotions désintéressées, aux élixirs qui n'ont pas tout d'abord gratté le palais et chauffé le ventre? Donc «le devoir présent est de guérir les vignes malades et de replanter les vignes détruites, afin d'enivrer la France entière».

Dans le dialogue ou je recueille cette phrase, pour une telle opinion le personnage se fait traiter d'humanitaire et d'utopiste, mais on vient à son aide, l'on prouve qu'il en est de l'intelligence comme d'un fleuve et que de trop nombreuses saignées font baisser son niveau. La conclusion est le vieux panem et circenses, du pain, du vin et les jeux,—et fermer les musées et les bibliothèques «et briser les urnes abominables qui, durant tout un siècle, auront livré à la canaille le destin et la pensée des plus grands hommes». Opinions, comme on le voit, assez insolentes; il n'est pas nécessaire de les taxer d'excessives: assez de bons esprits les trouveront monstrueuses, car les bons esprits s'éloignent peu des idées communes.

Transporté dans les oeuvres d'imagination, l'aristocratisme de M. Rebell devient obscur, se confond volontiers avec la licence des moeurs. On est un peu dérouté. Il n'est pas bien certain que le gitonisme soit une forme très heureuse du mépris des convenances sociales; ni que l'opposition d'un cardinal débauché à un capucin malpropre soit une démonstration très probante de la supériorité de l'aristocrate sur le mercenaire; ni qu'un peintre hystérique et vaniteux nous fasse songer aussitôt à Titien ou à Véronèse; ni qu'une courtisane familière des bouges évoque sans faillir les images émouvantes de la volupté vénitienne. Il y a bien des défauts et bien de la grossièreté dans cette Nichina qui a mis en lumière le nom de M. Rebell; mais c'est tout de même une oeuvre vivante, amusante et riche. On y voit une Venise à la fois délicate et basse, opulente et sordide, superstitieuse et lubrique, plus près sans doute de l'histoire que de la légende; c'est pourquoi quelques-uns furent choqués.

Nul, au surplus, n'a cru que ce livre dût être regardé comme capital; essai, qui pour d'autres apparaîtrait un considérable effort, la Nichina n'est qu'un prologue pour Hugues Rebell romancier: on attend de lui des histoires et des combinaisons moins arbitraires, des récits dont la tragi-comédie accoucherait d'une idée. Des idées, il en est riche, autant que le plus opulent penseur d'hier ou d'aujourd'hui: il ne lui manque que de savoir les insérer plus solidement dans le cerveau de ses personnages. Ouvrir les Chants de la pluie et du soleil, c'est tomber dans une mine où l'on puiserait longtemps sans l'appauvrir. Ce sont des poèmes en vers ou en prose, mais où le souci de l'expression est toujours dominé par la volonté de dire quelque chose de nouveau. Le thème fondamental est la joie de vivre, d'être un homme libre, fier, qui ne songe qu'à accomplir son destin naturel, en aimant la beauté, en jouissant de tous les plaisirs des sens et de l'intelligence, et cela sans mesure, sans hypocrisie, avec une fougue ignorante de tous les ménagements et de toutes les morales. C'est un livre tumultueux, grondant, qui donne l'impression d'une gare immense pleine de locomotives, de sifflements, de cris et de baisers d'adieu ou de retour. C'est un livre vraiment tout gonflé d'idées et où la nature, ivre de sève, se fleurit des rouges et des verts les plus puissants. On peut le comprendre aussi selon son vrai titre; il est bien de pluie et de soleil (il y a des pages lumineuses, il y en a de troubles), mais à condition qu'on y joigne l'idée d'une foule en rut qui s'exalte dans la poussière ou hurle dans la boue.

Je crois que c'est là qu'il faut, au moins provisoirement, aller chercher la vraie pensée de M. Hugues Rebell et ses vraies chimères. Cet écrivain est d'ailleurs apte à nous surprendre de plus d'une manière avec tout ce qu'il y a en lui de liberté d'esprit, d'imaginations audacieuses. Mais dès maintenant son originalité est visible et indiscutable: il est celui qui préfère le manteau de soie au fichu de coton, le tapis de pourpre au paillasson socialiste, la beauté à la vertu, la splendeur de Vénus nue aux «yeux funèbres de la pâle Virginité».

Il est aristocrate et païen.


Félix Fénéon

FÉLIX FÉNÉON

Le véritable théoricien du naturalisme, l'homme qui contribua le plus à former cette esthétique négative dont Boule-de-Suif est l'exemple, M. Th.... n'écrivit jamais. C'est par des causeries, par de petites remarques doucement sarcastiques qu'il apprenait à ses amis l'art de jouir de la turpitude, de la bassesse, du mal. Sa résignation aux ennuis de la vie était discrètement hilare: avec quel air fin, prudent et satisfait je l'ai vu fumer un mauvais cigare! Il avait le projet d'un livre, un seul, d'une synthèse de la vie offerte par les moyens les plus simples, les plus frappants. Un vieux petit employé se lève un dimanche, dans une banlieue, et il met du vin en bouteilles; et quand toutes les bouteilles sont pleines, sa journée est finie. Rien que cela, sans une réflexion d'auteur (cela est réprouvé par Flaubert), sans un incident (autre que, par exemple, la crise d'un bouchon avarié), sans un geste inutile, c'est-à-dire capable de faire soupçonner qu'il y a peut-être, derrière les murs, une atmosphère de fleurs, de ciel et d'idées. Ce M. Th.... est resté pour moi, car son esprit me charmait, le type de l'écrivain qui n'écrit pas. Si sa vie n'a été qu'une longue ironie, s'il y avait de l'amertume au fond de cette délectation morose, nul ne s'en est jamais douté: on l'a toujours vu fidèle à conformer sa conduite à des principes qu'il avait patiemment déduits de son expérience et de ses lectures.

M. Félix Fénéon n'est pas moins mystérieux que ce théoricien secret.

Ne jamais écrire, dédaigner cela; mais avoir écrit, avoir prouvé un talent net dans l'exposé d'idées nouvelles, et tout d'un coup se taire? Je crois qu'il y a des esprits satisfaits dès qu'ils savent leur valeur; un seul essai les rassure. Ainsi des hommes froids ayant expérimenté leur virilité abandonnent un jeu qui pour eux n'était que la recherche d'une preuve. M. Fénéon est un cerveau froid.

Froid, non pas tiède, car le dédain de l'écriture n'a pas entraîné chez lui le dédain de l'action: les coeurs froids sont les plus actifs et leur patience à vouloir est infinie. Ayant donc des idées sociales (ou anti-sociales), M. Fénéon décida de leur obéir jusqu'au delà de la prudence. Cet homme qui s'est donné l'air d'un méphistophélès américain eut le courage de compromettre sa vie pour la réalisation de plans qu'il jugeait peut-être insensés, mais nobles et justes: une telle page dans la vie d'un écrivain rayonne plus haut et plus loin que de rutilantes écritures. On ne doit pas, comme un Blanqui, se rendre esclave des idées au point de s'ensevelir vivant dans la vanité du sacrifice perpétuel, mais il est bon d'avoir eu l'occasion de témoigner quelque mépris aux lois, à la société, au troupeau des citoyens; si d'une vaine lutte on emporte quelque blessure, la cicatrice est belle.

Il ne fallait guère moins de courage pour opposer, en 1886, au «brocanteur Meissonier» le «radieux Renoir», pour vanter Claude Monet «ce peintre dont l'oeil apprécie vertigineusement toutes les données d'un spectacle et en décompose spontanément les tons. M. Fénéon se prouvait, il y a plus, de dix ans, non seulement juge hardi de la peinture nouvelle, mais excellent écrivain. Il analyse ainsi les marines de Monet: «Ces mers, vues d'un regard qui y tombe perpendiculairement, couvrent tout le rectangle du cadre; mais le ciel, pour invisible, se devine: tout son changeant émoi se trahit en fugaces jeux de lumières sur l'eau. Nous sommes un peu loin de la vague de Backnysen, perfectionnée par Courbet, de la volute en tôle verte se crêtant de mousse blanche dans le banal drame de ses tourmentes.» M. Fénéon avait toutes les qualités d'un critique d'art: l'oeil, l'esprit analytique, le style qui fait voir ce que l'oeil a vu et comprendre ce que l'esprit a compris. Que n'a-t-il persévéré! Nous n'avons eu depuis l'ère nouvelle que deux critiques d'art, Aurier et Fénéon: l'un est mort, l'autre se tait. Quel dommage! car l'un ou l'autre aurait suffi à mettre au pas une école (la pseudo-symboliste) qui, pour un Maurice Denis et un Filiger, nous donna toute une bande de copistes infidèles ou maladroits!

En cherchant bien, on grossirait la valise littéraire de M. Fénéon. Outre qu'après la disparition de la Vogue il continua dans la Revue Indépendante ses notes sur les peintres, il signa aussi dans cette revue mémorable des pages amusantes de petite critique littéraire. On peut les relire; cela mord à froid, comme l'eau seconde, et cela laisse parfois dans la blessure le sous-entendu d'un venin très spirituel. D'un mot il définit tel génie: «Les contes que l'on connaît, petits travaux de fleurs et plumes.»—En somme, juste assez d'écritures pour qu'on regrette ce qui est resté dans les limbes du possible; mais si M. Fénéon s'imagine qu'il y a, en ce moment, trop d'écrivains, quelle erreur! Il y en a si peu, qu'un seul de plus serait un renfort très appréciable. Surtout, il pourrait nous donner l'aide d'une critique sûre et semer, avec ironie, quelques vérités souriantes.

M. Fénéon a pris trop à coeur son état de fidèle de «l'église silencieuse» dont parle Goethe, et que, nous autres, nous fréquentons trop peu.


Léon Bloy

LÉON BLOY

M. Bloy est un prophète. Il eut soin, parmi ses écrits, de nous le certifier lui-même: «Je suis un prophète.» Il pouvait ajouter, il n'y a pas manqué:—et aussi un pamphlétaire: «Je suis incapable de concevoir le journalisme autrement que sous la forme du pamphlet.» Les deux mots sont des équivalents historiques: le pamphlétaire a remplacé le prophète, le jour où les hommes ont perdu la puissance de croire pour acquérir la puissance de jouir. Le prophète fait saigner les coeurs; le pamphlétaire écorche les peaux; M. Bloy est un écorcheur.

Non pas le tortionnaire élégant qui, romain ou chinois, décortique un sein, une joue, un hémicrâne, selon la science parfaite de la douleur animale; mais le boucher qui, après une entaille circulaire, arrache toute la dépouille, comme un fourreau. Tel de ses patients, toujours au vif, crie encore aussi haut qu'à l'heure où on lui enlevait sa tendre robe de chair; l'homme est tout nu et à travers la transparence de sa seconde peau on voit le double cloaque d'un coeur putréfié: privés de leur hypocrisie, les hommes ainsi pelés apparaissent vraiment comme des fruits trop mûrs; l'heure est passée des vendanges, on ne peut plus en faire que du fumier.

Le spectacle (même celui du fumier) n'est pas désagréable. Il y a des besognes auxquelles on ne voudrait pas mettre le doigt (peut-être par lâcheté ou par orgueil), mais que l'on aime à voir brassées par des mains sans dégoût, et quand la place est propre, on est content; on se réjouit, dans la simplicité de son âme, d'une atmosphère meilleure; les parfums retrouvés passent sans se corrompre d'une rive à l'autre par-dessus le ruisseau purifié, et la vie des fleurs sourit encore une fois au-dessus des herbes reverdies.

Hélas! qu'elle est fugitive, la purification des cloaques! A quoi bon écraser un Albert Wolff si la racine du champignon, restée sous la terre gluante, doit repousser le lendemain un nouveau noeud vénéneux? «J'ai mépris et dédain», disait Victor Hugo. M. Bloy n'a qu'une arme, le balai: on ne peut lui demander de la porter comme une épée; il la porte comme un balai, et il râcle les ruisseaux infatigablement.

Le pamphlétaire a besoin d'un style. M. Bloy a un style. Il en a recueilli les premières graines dans le jardin de Barbey d'Aurevilly et dans le jardinet de M. Huysmans, mais la sapinette est devenue, semée dans cette terre à métaphores, une puissante forêt qui escalada des sommets, et l'oeillet poivré, un champ resplendissant de pavots magnifiques M. Bloy est un des plus grands créateurs d'images que la terre ait portés; cela soutient son oeuvre, comme un rocher soutient de fuyantes terrés; cela donne à sa pensée le relief d'une chaîne de montagne. Il ne lui manque rien pour être un très grand écrivain que deux idées, car il en a une: l'idée théologique.

Le génie de M. Bloy n'est ni religieux, ni philosophique, ni humain, ni mystique; le génie de M. Bloy est théologique et rabelaisien. Ses livres semblent rédigés par saint Thomas d'Aquin en collaboration avec Gargantua. Ils sont scolastiques et gigantesques, eucharistiques et scatalogiques, idylliques et blasphématoires. Aucun chrétien ne peut les accepter, mais aucun athée ne peut s'en réjouir. Quand il insulte un saint, c'est pour sa douceur, ou pour l'innocence de sa charité, ou la pauvreté de sa littérature; ce qu'il appelle, on ne sait pourquoi, «le catinisme de la piété», ce sont les grâces dévouées et souriantes de François de Sales; les prêtres simples, braves gens malfaçonnés par la triste éducation sulpicienne, ce sont «les bestiaux consacrés», «les vendeurs de contremarques célestes», les préposés au «bachot de l'Eucharistie»,—blasphèmes effroyables, puis-qu'ils vont jusqu'à tourner en dérision au moins deux des sept sacrements de l'Eglise! Mais il convient à un prophète de se donner des immunités: il se permet le blasphème, mais seulement par excès de dilection. Ainsi sainte Thérèse blasphéma une fois quand elle accepta la damnation comme rançon de son amour. Les blasphèmes de M. Bloy sont d'ailleurs d'une beauté toute baudelairienne, et il dit lui-même: «Qui sait, après tout, si la forme la plus active de l'adoration n'est pas le blasphème par amour, qui serait la prière de l'abandonné?» Oui, si le contraire de la vérité n'est qu'une des faces de la vérité, ce qui est assez probable.

Il est fâcheux qu'on ne discute pas davantage les notions théologiques de M. Bloy; elles sont curieuses par leur tendance vaine vers l'absolu. Vaine, car l'absolu, c'est la paix profonde au fond des immensités silencieuses, c'est la pensée contemplative d'elle-même, c'est l'unité. Les efforts magnifiques de M. Bloy ne l'ont pas encore sorti assez souvent du chaos des polémiques contradictoires; mais s'il n'a pas été, aussi souvent qu'il aurait dû, le mystique éperdu et glorieux qui profère les «paroles de Dieu», il l'a peut-être été plus souvent que tout autre; il a été éliséen en certaines pages de la Femme Pauvre.

Comme écrivain pur et simple,—c'est le seul Bloy accessible au lecteur désintéressé de la crise surnaturelle,—l'auteur du Désespéré a reçu tous les dons; il est même amusant; il y a du rire dans les plus effrénées de ses diatribes: la galerie de portraits qui s'étage en ce roman du LVeau LXe chapitre est le plus extraordinaire recueil des injures les plus sanglantes, les plus boueuses et les plus spirituelles. On voudrait, pour la sécurité de la joie, ignorer que ces masques couvrent des visages; mais quand tous ces visages seront abolis il restera: que la prose française aura eu son Juvénal.

Il faut que tout le monde meure, y compris M. Bloy; que des générations soient nées sans trouver dans leur berceau des tomes de Chaudesaignes ou de Dulaurier; que notre temps soit devenu de la paisible histoire anecdotique: alors seulement on pourra glorifier sans réserves—et sans crainte d'avoir l'air d'un complice, par exemple de la Causerie sur quelques Charognes—des livres qui sont le miroir d'une âme violente, injuste, orgueilleuse—et peut-être ingénue.


Jean Lorrain

JEAN LORRAIN

C'est, depuis un grand nombre de siècles, le jeu de l'humanité de creuser des fossés pour avoir le plaisir de les franchir; ce jeu devint suprême par l'invention du péché, qui est chrétienne. Qu'il est agréable de lire les vieux casuistes espagnols ou le Confessarius Monialum, oeuvre italienne et cardinalice, si riches en questions singulières, si pleine des délicieuses opinions du tolérant Lamas et du complaisant Caramuel. Charmant Caramuel que tu aurais de bonnes et fructueuses causeries avec Jean Lorrain, rue d'Auteuil, dans le salon où il y a une tête coupée, sanglante et verte! Tu aurais sur les genoux ta Théologie des Réguliers avec à la page contestée ton bonnet carré dont la houppette pendrait comme un signet; et, en face de toi, Lorrain te lirait un des sermons qu'il médita dans son Oratoire.

Il faut des choses permises et des choses défendues, sans quoi les goûts hésitants et paresseux s'arrêteraient à la première treille, se coucheraient sur le premier gazon venu. C'est peut-être la morale sociale qui a créé le crime et la morale sexuelle qui a créé le plaisir. Qu'un pacha doit être vertueux au milieu de trois cents femmes! J'ai toujours pensé que la destruction de Sodome fut un incendie volontaire, le suicide d'une humanité lasse de voir toujours le désir mûrir implacable dans le fastidieux verger de la volupté.

De ce fruit éternel, M. Jean Lorrain, au lieu de le manger tout cru, fait des sirops, des gelées, des crèmes, des fondants, mais il mêle à sa pâte je ne sais quel gingembre inconnu, quel safran inédit, quel girofle mystérieux, qui transforme cette amoureuse sucrerie en un élixir ironique et capiteux. Le chef-d'oeuvre d'un tel laboratoire, il me semble bien que c'est le petit volume allégué plus haut: jamais l'art n'alla plus loin dans le dosage méticuleux dû sucre et du piment, de la confiture de rose et du poivre rouge. Autre «drageoir à épices,» plus véritable et moins innocent, il semble sortir de la poche d'un de ces abbés damnés capables de boire le vin de la messe dans le soulier de leur maîtresse; livre vénéneux et souriant, fallacieux bréviaire où chaque vice a sa rubrique et son antiphone et qui tire ses «leçons» du martyrologe de Lesbos!

Oratoire parfumé à l'ambre gris, des femmes y ferment les yeux sous la voix de l'abbé Blampoix, de l'abbé Octave, du frère Hepicius, du père Reneus; elles ne sont pas bien sages sur leurs chaises; d'aucunes, tout à coup, tombent à genoux; d'autres se renversent, comme de grandes fleurs pleines de larmes; et les doigts se crispent et cherchent on ne sait quoi parmi le froissis des soies et le cliquetis des bracelets. L'abbé de Joie monte en chaire: on écoute, la paume appuyée sur les seins, avec émoi, avec délices, car l'abbé prêche Adonis sous le nom de Jésus et son discours équivoque va changer en amoureuses les fidèles du Christ....

M. Lorrain a, lui aussi, beaucoup prêché Adonis, car comment retenir les femmes si on ne prêche Adonis? Et, comment les observer, si on les laisse fuir? Sous ce titre insolent, Une Femme par jour, et sous ce titre doux, Ames d'Automne, il a noté la complexité de la physionomie féminine, la naïveté ou l'inconscience de ces petites âmes, leurs détresses, leurs férocités, leur folie ou leur grâce. Toutes les pénitentes de l'Oratoire et quelques autres se sont confessées avec une rare sincérité.

Il y a bien de la méchanceté en tel ou tel chapitre de ce dernier livre, auquel je reviens toujours avec amour, bien de la cruauté, certaines gaucheries, mais quel charme aussi en cette première fleur, même empoisonnée, de l'esprit de serre chaude, de la plante rare qu'est M. Jean Lorrain!

Depuis ces temps, il y a dix ans, l'auteur de tant de chroniques a été très prodigue de son parfum originel, mais il n'a pu l'épuiser, et l'arbuste a garde assez de sève pour fleurir avec persévérance: ce sont alors des poèmes, des contes, de petites pages où l'on retrouve, avec plus ou moins de miel, tout le poivre sensuel, toute l'audace parfois un peu sadique du disciple,—du seul disciple de Barbey d'Aurevilly. Né dans l'art, M. Lorrain n'a jamais cessé d'aimer son pays natal et d'y faire de fréquents voyages. S'il est enclin à la maraude, aux excursions vers les mondes du parisianisme louche, de la putréfaction galante, le monde «de l'obole, de la natte et de la cuvette», dont un rhéteur grec (Démétrius de Phalère) signalait déjà les ravages dans la littérature, s'il a, plus que nul autre et avec plus de talent que Dom Reneus, propagé le culte de sainte Muqueuse, s'il a chanté (à mi-voix) ce qu'il appelle modestement «des amours bizarres», ce fut, au moins en un langage qui, étant de bonne race, a souffert en souriant ses familiarités d'oratorien secret; et si tels de ses livres sont comparables à ces femmes d'un blond vif qui ne peuvent lever les bras sans répandre une odeur malsaine à la vertu, il en est d'autres dont les parfums ne sont que ceux de la belle littérature et de l'art pur; son goût de la beauté a triomphé de son goût de la dépravation.

Il ne faudrait pas, en effet, le prendre pour un écrivain purement sensuel et qui ne s'intéresserait qu'à des cas de psychologie spéciale. C'est un esprit très varié, curieux de tout et capable aussi bien d'un conte pittoresque et de tragiques histoires. Il aime le fantastique, le mystérieux, l'occulte et aussi le terrible. Qu'il évoque le passé ou le Paris d'aujourd'hui, jamais la vision n'est banale; elle est même si singulière qu'on est surpris jusqu'à l'irritation par l'imprévu, quelquefois un peu brusque, qui nous est imposé. Il est, même quand il n'est que cela, le rare chroniqueur dont on peut toujours lire la prose, même trop rapide, avec la certitude d'y trouver du nouveau. Il aime le nouveau, en art, comme dans la vie, et jamais il ne recula devant l'aveu de ses goûts littéraires, les plus hardis, les plus scandaleux pour l'ignorance ou pour la jalousie.

A tous ces mérites qui font de M. Lorrain un des écrivains les plus particuliers d'aujourd'hui, il faut joindre celui de poète. En vers, il excelle encore à évoquer des paysages, des figures,—ou des figurines; voici, par exemple, une image inoubliable du danseur Bathyle:

Bathyle alors s'arrête et, d'un oeil inhumain
Fixant les matelots rouges de convoitise,
Il partage à chacun son bouquet de cytise
Et tend à leurs baisers la paume de sa main.

C'est avec une sensualité discrète et rêveuse qu'il peint les Héroïnes; chacune est symbolisée par une fleur qui se dresse d'entre ses pieds; cela est fort joli.

Enilde, à ses pieds,

Blanche étoile au coeur d'or s'ouvre une marguerite.

Elaine,

Pile et froide à ses pieds fleurit une anémone.

Viviane,

Et sous son rouge orteil jaillit un lys fantasque.

Mélusine,

Et près d'elle, érigeant ses fleurs en clairs trophées,
Jaillit un glaïeul rose à feuillage de houx.

Yseulte,

Et, fleur de feu comme elle, auprès de son orteil,
Flambe et s'épanouit un jaune et clair soleil.

Que d'images de grâce ou de volupté, en ces verrières bleues ou glauques, avivées çà et là de l'or d'une renoncule ou du pourpre d'un pavot! Que de femmes de rêve ou d'effroi, que de mortes!

Pauvres petites Ophélies
Qui sans batelier ni bateau
Vous en allez au fil de l'eau,
Comme vos Hamlets vous oublient!...

Voici un beau panneau de la tapisserie des Fées:

Un pâle clair de lune allonge sur la grève
L'ombre de hauts clochers et de grands toits, où rêve
Tout un choeur de géants et d'archanges ailés.

Pourtant la ville est loin, à plus de deux cents lieues;
La dune est solitaire et les toits dentelés,
Les clochers, les pignons et les murs crénelés,
Sur le sable et les flots montent en ombres bleues.

Au fond des profondeurs du ciel gris remuées
Toute une ville étrange apparaît: des palais,
Des campaniles d'or, hantés de clairs reflets,
Et des grands escaliers croulant dans les nuées.

Leur ombre grandissante envahit les galets
Et Morgane, accoudée au milieu des nuages,
Berce au-dessus des mers la ville des mirages.

Il y a beaucoup de fées parmi les vers de M. Lorrain. Toutes les fées, couronnées de verveine ou «d'iris bleus coiffées», se promènent langoureuses et amoureuses dans les strophes de cette poésie lunaire.

Quel est le vrai Jean Lorrain, celui des Fées ou celui des Ames d'Automne? Tous les deux et il ne faut pas les séparer l'un de l'autre.


Edouard Dujardin

EDOUARD DUJARDIN

Fondée, sous l'inspiration de M. Fénéon, par un sieur Chevrier, qui n'a pas laissé d'autres traces dans la littérature, la Revue Indépendante passa en 1886 aux mains de M. Edouard Dujardin. Le premier fascicule s'ouvre par un programme d'une insignifiance dédaigneuse, simple, prise de possession, mais les noms des collaborateurs, alors aimés de quelques-uns et tous devenus célèbres, affirmaient une volonté de bien dire et de bien faire, une certitude dans l'acheminement vers un but d'art pur et de beauté nue qu'un prologue explicite eût proclamées moins bien. Les chroniqueurs étaient: Mallarmé, Huysmans, Laforgue, Wyzewa. Celui-ci pendant plus d'un an analysa les livres nouveaux avec une discrétion et un détachement prophétiques, mais il avait de l'esprit, une lecture immense,—et il aimait Mallarmé: c'était malgré tout impressionnant. M. Huysmans vivisectait les peintres avec la joie d'un chat de gouttière dévorant une souris vivante; Laforgue était ironique, léger, mélancolique et délicieux; M. Mallarmé expliquait l'inutilité de compliquer les spectacles par la récitation de littératures généralement déplorables. En deux ans presque tous les écrivains versés depuis sur les contrôles académiques (ou bien près de subir cette formalité), M. Bourget, M. France, M. Barrès, passèrent par cette revue d'une laideur (physique) si originale et si barbare. On y lisait aussi Villiers, Rosny, Paul Adam, Verhaeren, Moréas; Ibsen y débuta comme écrivain francisé.

Dans la dernière année, M. Kahn, laissant la Vogue, remplaça par un dogmatisme utile le plaisant scepticisme de M. de Wyzewa; en janvier 1889, la Revue Indépendante passa en d'autres mains, perdit d'année en année son caractère aristocratique, mourut lentement.

Seule revue d'art pendant deux ans, elle avait eu un rôle important, celui, peut-être, de gardien du sanctuaire, héritière de tous ces recueils ouverts à la seule littérature avouable qui s'étaient succédé depuis presque un demi-siècle, la Revue française, la Revue fantaisiste, la Revue des Lettres et des Arts, le Monde Nouveau, la République des Lettres. Ces deux années furent fécondes et nous en ressentons toujours la très bienfaisante influence. Ayant pris charge de la littérature vers le déclin du naturalisme, M. Dujardin la conduisit par deux chemins qui devaient se rejoindre un peu plus tard, d'un côté vers Ibsen, de l'autre vers le symbolisme français. On voit l'évolution. Elle se fit assez vite (des Esseintes y avait déjà contribué) du précis à l'imprécis, du grossier au doux, du reps à la peluche, du fait à l'idée, de la peinture à la musique. Avec la Vogue la Revue Indépendante redressa bien des mauvaises éducations, détermina bien des vocations, ouvrit bien des yeux alors aveuglés par la boue naturaliste.

La musique, c'est-à-dire Wagner, inquiéta beaucoup M. Dujardin, à la même époque; déjà il avait fondé la Revue Wagnérienne, dont l'action, peu étendue, fut profonde. Il n'y a rien de plus utile que ces revues spéciales dont le public élu parmi les vrais fidèles admet les discussions minutieuses, les admirations franches; la Revue Wagnérienne, de critique sûre, de littérature vraie, créa en France le wagnérisme sérieux et presque religieux. On croyait avoir trouvé l'art intégral,—et cela dura dix ans: ce fut encore M. Dujardin qui avertit le public que le culte du génie ne doit pas être une adoration aveugle. Son article sur les Représentations de Bayreuth en 1896 est, comme le premier numéro de la Revue Wagnérienne, une date dans l'histoire du wagnérisme. En voici l'argument: «Un art n'est-il pas d'autant plus élevé qu'il exige moins de collaborations?» Le rêve de Wagner, interprété sur un théâtre, par des cabotins, par des décors et des costumes («qui en sont l'extériorisation»), échoue à donner l'impression d'un art absolu, complet; tel qu'il fut conçu, le drame wagnérien est «impossible». Ainsi M. Dujardin a ouvert et refermé la porte.

Au milieu de ces multiples activités, et aux heures mêmes de son apostolat wagnérien, M. Dujardin ne s'oublia pas lui-même; il écrivit des contes, des poèmes, un roman et une trilogie dramatique, la Légende d'Antonia.

«Un jour, comme je regardais dans un album le vague portrait d'une jeune fille, quelqu'un passa qui dit un nom....

«Ainsi je vous connus; ayant entendu votre nom, ô vous, je vous rêvai.»

Ainsi débute un poème à la gloire de cette femme de rêve que l'on retrouve, souvenir ou vision, «face adorable», en plusieurs autres pages où elle est le symbole de l'idéal, de l'inaccessible. Ils sont très doux ces poèmes en prose paresseusement rythmée et d'une grande pureté de ton; et toujours Antonia surgit aux dernières lignes, rappelant le poète aux impossibles amours. Mais les femmes, les vraies femmes en vraie chair et en vraies robes détestent cette inconnue qu'elles devinent, nuage miraculeux, entre leur beauté et les yeux du berger;—et la bergère dit: «... Et puis, nous savons bien, berger de mensonge, que nous ne sommes pour vous que l'occasion, que le quotidien, le hasard. Vous ne nous aimez point. Celle que tu aimes réside au ciel de cet esprit qui s'envole si loin au-dessus de nous. Oh! nous finissons par comprendre que tu sois si volage, si aveugle, si dur. La seule que tu aimes, menteur, n'est pas parmi nous.... Habite-t-elle de l'autre côté de la mer, ou sur la montagne de neige ou dans la lune? Est-elle de là-haut ou d'en bas? est-elle ange, ou femme, ou bête? Celle que tu aimes, elle est chimère. Ah! nous sommes de doux passe-temps, des façons de se consoler, d'attendre. Ton Antonia, je lui ressemble, alors tu veux de moi! moi, j'ai sa chevelure... mais voici que la voisine a le son de sa voix; et puis celle-là ce soir te représente un brin de ton rêve.... Va, nous savons bien que tu nous méprises au fond véritable de ton coeur de fou. Abdique le rêve, homme! sois époux et tu sauras si les femmes savent aimer constamment. Renonce le ciel! nous sommes la terre; nous ne pouvons appartenir au Chevalier du Cygne.» N'est-ce pas d'une bonne psychologie et la juste transposition par de petites phrases très simples, très nettes, de la secrète pensée des femmes qui est d'asservir l'homme tout en le servant? La poésie comme la prose de M. Dujardin est toujours sage, prudente et calme; s'il y a des écarts de langue, des essais de syntaxe un peu osés, la pensée est sûre, logique, raisonnable. Qu'on lise le deuxième Intermède de Pour la Vierge du roc ardent; en quelques strophes aux rimes monotones, éteintes, le poète y dit toute la vie et tout le rêve de la jeune fille. C'est une entrée de ballet, et les Jeunes Filles s'avancent, fleurs en robes de mousseline:

Fleurs au sol attachées
Dans les gazons et les ruisseaux natals cachées,
Fleurs de tiges jamais tachées,
Nulle haleine que du soleil ne s'est sur nous jamais penchée;
Fleurs sur le sein maternel couchées,
Nous fleurissons dans les feuillées et les jonchées;
Quelques-unes avant l'heure se sont séchées,
Avant l'heure quelques-unes ont été tranchées;
Nous avons des pitiés pour les fleurs que l'aurore a fauchées;
Puisse le sol nourricier nous garder attachées!

Mais, en même temps, elles prévoient sans effroi que le jardinier va venir:

Vers le midi le jardinier viendra cueillir nos têtes prêtes,
Le jardinier aux yeux de joie, aux pas de fête,
..............................................................
Il brisera sous le soleil les robes de nos corolles muettes,
Et nous prendra vers le midi toutes défaites.

Après la résignation, le cri de joie:

Oh! que douces seront les blessures
Dont il ouvrira nos tiges pures!
.....................................
Oh! la délicieuse morsure,
L'arrachement de l'âme et la sûre
Jubilation de notre torture
Au jour de la divine meurtrissure!

Ensuite, c'est l'attente et c'est l'impatience,—puis le don:

L'attendu qui viendra pour nous,
Le triomphant au sexe inexorable, au sexe doux,
Oh! qu'il nous prenne entre ses mains d'époux.

Il est charmant ce petit poème; s'il contient quelques fautes d'harmonie, des vers rudes (surtout dans la longue laisse dont nous n'avons rien cité), c'est que M. Dujardin ne fait jamais à la netteté de sa pensée aucun de ces sacrifices auxquels les poètes se résignent d'ordinaire si volontiers. Autre remarque par quoi l'on verra que le sens musical et le sens poétique sont très différents: M. Dujardin, excellent musicien, ne transporte en ses vers presque aucun des dons du musicien; les effets qu'il cherche et qu'il trouve ne sont pas de rythme ou d'harmonie. C'est un descriptif purement pictural; son imagination est visuelle, très rarement auditive: il voit, dessine, dispose, et colore ce qu'il voit.

Cette faculté de se représenter la vie, et non seulement comme un tableau, mais comme un tableau animé où les personnages marchent, s'agitent selon les mille petits gestes, il l'a utilisée de la façon la plus curieuse en un roman qui semble en littérature la transposition anticipée du cinématographe.

Les Lauriers sont coupés: relu, ce petit livre garde sa candeur et son velours; psychologie d'un amoureux, un peu heureux, un peu berné, doux, tendre, enfin résigné à ne plus revenir, content tout de même du souvenir d'agréables heures, de la vision qu'il emporte de cheveux blonds dénoués. C'est un récit en forme d'aveux, et la confession relate tous les mouvements, toutes les pensées, tous les sourires, toutes les paroles, tous les bruits; rien n'est omis de ce qui arrive en la vie coutumière d'un jeune homme de moyenne fortune et de bon ton, à Paris, vers 1886; la notation du détail descend à une minutie presque maladive. A rédiger ainsi l'Education sentimentale, il aurait fallu une centaine de tomes; et cependant ce n'est pas ennuyeux: le personnage vit curieusement, gentiment, avec les airs d'une petite souris trotte-menu, et Léa est une jolie petite chatte blonde sans méchanceté. Oui, tout cela est un peu minuscule, mais si vivant (jusqu'à l'agacement) et si logique!

De la logique, de la sincérité, de la volonté, de la douceur et du sentiment, avec l'amour très désintéressé de l'art surtout en ses formes les plus nouvelles, voilà des mots que l'on peut lire, je crois, dans le caractère de M. Dujardin. Sa littérature, quoique très volontaire, demeure toujours très personnelle; et c'est un mérite, sans lequel tous les autres sont nuls. Il faut se dire soi-même, chanter sa propre musique, quitte à chanter moins bien, parfois, que si on récitait, sur des airs connus, les paroles traditionnelles.


Maurice Barrès

MAURICE BARRÈS

Il était vraiment bien modéré, bien touchant, aussi, un peu sentimental et très verlainien le voeu de jeunesse de M. Maurice Barrès, aux dernières lignes de la préface des Taches d'encre: «Et peut-être qu'après m'avoir été un agréable entretien cet hiver avec des amis bienveillants, elle me sera plus tard un agréable souvenir, la brochure un peu fanée que je relirai en souriant, tandis que la soeur infirmière, avec onction, me tendra la douce tisane promise au bon poète devenu mûr.» Après quatorze ans, la brochure est fraîche comme au premier jour et M. Barrès n'a siroté, à Broussais, que peu de camomille. Mais n'est-ce point charmant de se prédire les joies d'un maternel hôpital, par imitation, par amour pour un poète cher? Et n'est-ce point galamment ingénu et brave? Oui, à moins qu'il ne faille voir là (c'est plus prudent) la précoce ironie d'un jeune homme qui savait son destin et que les gens de son génie meurent dans un fauteuil au Sénat, un jour qu'ils reviennent de l'Académie. Les existences mouvementées de l'ambitieux s'achèvent d'ordinaire parmi la paix des sinécures; tout l'intervalle, quel qu'il ait pu être, refleurit dans les potiches, en fleurs un peu amères. Avoir désiré beaucoup, n'avoir rien eu, avoir eu tout, cela se rejoint un jour, aux heures crépusculaires; cela fait des bouquets en l'air et sur les murs; cela s'appelle le jardin des souvenirs. D'ici que M. Barrès cultive ce jardin-là, en quelque beau château du temps du roi Stanislas, il faut souhaiter qu'il ait eu «tout», car cela serait vraiment dommage qu'une vie aussi logique s'achevât en fût brisé. Ensuite l'exemple serait mauvais: toute une génération que M. Barrès inclina vers le rêve d'agir se coucherait, déçue, dans l'attitude de soldats qui ne voient plus sur la colline le profil du cavalier impérieux, qui est leur maître.

Beaucoup de jeunes gens ont cru en M. Barrès; et quelques-uns, encore, qui sont moins jeunes que lui. Qu'enseigna-t-il donc? Ce ne fut pas certainement l'arrivisme tout pur. Il y a dans une intelligence jeune une originelle noblesse qui répugne à livrer à la vie sans condition les forces de son activité: arriver, oui, mais vers une victoire et à travers une bataille. Comme but, M. Barrès montra la pleine possession et la pleine jouissance de soi-même; comme moyen, la séduction des Barbares qui nous entourent, entravent nos voies, s'opposent, par leur masse, au développement de nos activités et de nos plaisirs. Trop intelligent pour se soucier de ce qu'on appelle la justice sociale, trop finement égoïste pour songer à détruire des privilèges où il voulait entrer, il se fit ouvrir par le peuple la porte de la forteresse que le peuple, alors, crut avoir prise. Cette tactique qu'on croit celle des seuls révolutionnaires est celle de tous les ambitieux; elle n'a encore mené M. Barrès que dans la première enceinte, mais de là, le jour qu'il le voudra bien et quand le boulangisme sera tout à fait oublié, il pénétrera au coeur, dans la poudrière,—et ne la fera pas sauter.

Jusqu'ici, une telle psychologie pourrait s'appliquer à plusieurs autres hommes, à M. Jaurès, par exemple, qui, lui non plus, ne mettra pas le feu aux poudres; M. Barrès, de meilleure race et de cerveau supérieur, n'a joué sur cette carte, le Pouvoir, que la moitié de sa fortune; l'autre moitié, jusqu'ici plus fructueuse, fut placée par lui, et dès la première heure, dans la littérature.

Je ne crois pas que M. Barrès, sinon peut-être tout à fait à ses débuts, ait jamais écrit un livre, ou même une page, d'art tout à fait pur, d'un désintéressement absolu, et c'est une véritable originalité et un mérite très rare pour des écrits de circonstance (au sens élevé que Goethe donna à ce mot) qu'ils aient, avec leur valeur d'idée et de propagande égoïste, une valeur littéraire égale à celle des oeuvres de beauté ingénue. Par cette méthode, toute spontanée, il apparut aux uns tel qu'un philosophe, aux autres tel qu'un poète, et les clients qui suivirent sa litière sortirent de toutes les régions intellectuelles. Il séduisait: on demanda à sa méthode des leçons de séduction. Quelques-uns ne suivirent M. Barrès que jusqu'au culte du moi, inclusivement; ils propagèrent autour d'eux un individualisme un peu sauvage, mais qui a donné de beaux fruits; ils enseignèrent (ceci est encore du Goethe) que le meilleur moyen de faire régner le bonheur universel, c'est que chacun commence par faire son propre bonheur,—boutade qu'il faudrait malaxer avec patience pour en extraire une pensée définitive; enfin, ils connurent ainsi les premiers éléments de l'idéalisme sentimental: M. Barrès a certainement dégrossi bien des intelligences. D'autres disciples allèrent plus loin dans la connaissance de leur maître et ils surent que pour arriver à la vie bienheureuse—qui comme dans Sénèque comporte beaucoup d'or et beaucoup de pourpre—il faut plaire, et que pour plaire il faut avoir l'air de faire coïncider sa pensée avec l'émotion générale. Ils comprirent qu'il faut à un certain moment être boulangiste, et socialiste à un autre; qu'on rédige un roman anarchiste à l'heure où l'anarchisme est respiré avec bienveillance, et une comédie parlementaire quand le Parlement compromis est le sujet des conversations au déjeuner des gens simples: ainsi l'on devient soi-même un sujet de conversation; ainsi l'on arrive à hanter doucement l'esprit de ceux-là même que l'on bafoue et que l'on méprise.

Cette coïncidence, dont M. Barrès ne s'est jamais abstenu, est-elle vraiment méthodique, ou faut-il l'attribuer à une très vive mobilité d'esprit? Est-il naturel qu'un homme supérieur soit toujours inquiété des mêmes inquiétudes que la foule? Peut-être, car il ne faut pas oublier qu'un homme, même supérieur, s'il demande toujours les faveurs du peuple, finit par penser en même temps que le peuple. Le triomphe de M. Barrès, c'est qu'en écrivant un article électoral, il y met du talent et des idées et que celui-là même qui méprise le but qu'il vise ne méprise pas le moyen qu'il emploie.

Parmi les études annoncées dans le prospectus des Taches d'encre, un titre frappe: Valets de Gloire: le Nouveau Moyen de parvenir; je ne sais si ce pamphlet fut écrit; il aurait dû l'être, car M. Barrès, de tous les hommes arrivés (ou qui arriveront), est celui qui ressemble le moins à un parvenu. Nul n'a passé plus simplement, avec plus d'aisance, de l'ombre à la pénombre et de la pénombre à la lumière. Il a le sens inné de l'aristocratisme et ce sens lui a quelquefois servi de critère pour juger tout un mouvement littéraire: «... les dernières recrues du naturalisme, ces plats phraseurs, ces fils grossiers de paysans obtus, cerveaux pétris par des siècles de roture et qui ne savent ni penser ni sourire....» M. Barrès sait penser et il sait écrire; et sourire: le sourire est même son attitude familière et peut-être le secret de sa séduction.

Non pas rire; cela est vulgaire: sourire: de tout, de tous, de soi-même. Il faut être très heureux pour ne jamais rire. C'est sans doute cette sérénité intérieure, cette certitude indifférente ou déjà blasée qui permet à M. Barrès de produire une oeuvre en trois volumes appelée le Roman de l'énergie nationale, avec les titres de «tableaux» tels que la Justice! l' Appel à l'épée. Cette manifestation doit-elle troubler la véritable idée que nous avons de M. Barrès dilettante, sceptique et aimable? Il y a des moments où don Juan rêve de mariage; il y a des moments où le dilettante songe à s'enfermer dans la prison d'une idée forte.

Ensuite, il en est des intelligences personnelles comme de ces intelligences collectives qu'on appelle des civilisations: après un long labeur vers la complexité, elles se couchent dans la sérénité de la paix conquise. Cette attitude est presque toujours belle; plus belle que les gestes disparates de la période ascendante: le repos est plus beau que le travail. C'est le moment des amours et des enfantements, l'heure de la plus grande richesse humaine: et celui, alors, qui sous le soleil déclinant appelle la flamme de l'épée, trouble les âmes sans faire vibrer les muscles, ni son propre coeur.

Aussi je ne verrai provisoirement dans cette oraison à l'énergie que le spectacle d'un homme qui élève une barrière ingénieuse, ou quelque monument commémoratif, entre le passé et le futur de sa vie. Ce que l'on en connaît témoigne que M. Barrès sait réfléchir encore bien mieux qu'il ne sut agir et qu'il ne sait imaginer. Les Déracinés sont moins un roman qu'une thèse de philosophie sociale ou encore autre chose, les premiers mémoires d'un conspirateur qui analyse son système et inspecte son arsenal.

Disraéli, s'il ne réussit pas, parfois s'exaspère et devient Blanqui; il paraît que c'est toujours de l'énergie: comme la caricature est encore un portrait. M. Barrès a déjà conspiré, sans craindre le ridicule d'une défaite; raconte-t-il ses désillusions ou ses espérances? Ses espérances: un homme comme M. Barrès n'est jamais déçu; il a en lui trop de ressources et il s'estime trop lui-même pour avouer un insuccès, sans sourire en même temps: et le sourire cicatrise toutes les blessures de l'amour-propre. Le repos où nous le voyons n'est donc que passager; mais il devra se lever seul et combattre seul: il y compte bien: ses ambitions ne sont pas de celles qui ont besoin de complices intelligents; il n'a pas d'élèves en politique, parce que ses disciples, restés à la phase littéraire, ont pris pour but ce qui n'est pour lui qu'un moyen et une méthode.

Peut-être qu'à vouloir se faire le champion d'une vertu, M. Barrès s'est trompé de vertu: la persévérance semble lui convenir mieux que l'énergie. L'énergie, c'est Napoléon; la persévérance, c'est Disraéli. Se servir de tout pour arriver à tout, c'est du Disraéli. La devise est brutale; M. Barrès en a fait une prière qui ne se dit pas sur l'Acropole, mais dans les salons, et cela prend, le long de l'Ennemi des Lois, par exemple, un air innocent et pieux qui a ravi une génération bien décidée à mettre des gants blancs pour toucher à la vie.

Arriver est donc devenu, dès l'adolescence, l'occupation de toute la jeunesse française. Ce qui est nouveau dans ce fait, c'est le «dès l'adolescence» et aussi le cynisme de l'attitude avouée et affichée. M. Barrès est certainement responsable, non du cynisme mais de l'attitude; ce qu'elle a de laid doit être imputé à l'inélégance croissante de la race. Quand Stendhal voulait coucher avec la Duchesse pour tirer de ses caresses le profit d'un avancement dans la carrière, il se dérobait à lui-même sa honte en se couvrant du nom de Banti; il ne jouissait qu'en secret d'une turpitude imposée par les moeurs à un homme qui aurait eu le goût d'amours moins productives; les Banti d'aujourd'hui avouent volontiers de telles combinaisons et les duchesses, qui en seraient froissées, n'en seraient pas surprises. C'est que M. Barrès, qui avait des raisons d'estimer hautement son moi et de le juger intachable, n'a pu transmettre ces raisons essentielles à la foule de ses imitateurs. Le danger des opinions extrêmes c'est que sorties du cerveau qui les engendra, comme d'une fleur où elles étaient gracieuses, elles s'en vont, germes insensés, se décomposer dans les terrains les plus revêches à produire de la grâce et des fleurs. Ce danger n'a pas arrêté M. Barrès; il n'eût jamais écrit le Disciple, même s'il y avait songé; car il sait que la responsabilité n'est qu'un mot quand il s'agit de l'idée et que le verbe, qui est un commandement, ne peut commander aux volontés que dans le sens de leur nature et selon l'élasticité de leurs gestes.

Une telle apologie, si elle n'était très courte, seulement indiquée, aurait quelque chose de désobligeant: on ne défend pas les droits de l'intelligence, puisqu'ils sont absolus. Il reste que M. Barrès, quelle que soit sa fortune future, a eu des idées originales et qu'il les a dites en beau langage; c'est tout ce que l'on peut exiger, pour le mettre au premier rang, d'un écrivain qui s'est offert aux discussions des hommes: le reste, l'homme seul peut l'exiger de lui-même.


Camille Mauclair

CAMILLE MAUCLAIR

D'une précocité intellectuelle comparable, pour la date, à celle de Maurice Barrès, homme des lentes avenues, ou à celle de Charles Morice, homme des méandres et des labyrinthes, M. Mauclair est l'homme des déductions et des prolongements. Tempérament fin et à longues fibres, souple à la façon des ployantes cimes des pins, il s'incline sous les vents du large et accepte leur direction avec une fière simplicité. Selon une autre image, on le verrait, berger des idées, surveiller la croissance et la toison des brebis, les mener paître aux pâturages gras, les rassembler par des cris vers la douce étable; il les aime; c'est sa vocation.

On l'a représenté tel qu'un disciple de M. Barrès; il le fut aussi de M. Mallarmé, de M. Maeterlinck, de plusieurs modes d'art, de plusieurs philosophies, de toutes les manières nouvelles de vivre et de penser. Nul plus que lui n'a passionnément cherché la fleur qui ne se cueille pas, celle qu'on regarde, celle dont on emporte pour toujours le parfum dans les yeux: s'il chante le rêve ou s'il conseille l'énergie, c'est que, au cours de sa promenade fiévreuse, il a rencontré les iris bleus de l'étang vert ou deux taureaux aux cornes entrelacées. Tout entier à sa dernière rencontre, c'est sur elle qu'il reporte toutes ses dilections anciennes, au risque de dérouter ceux qui, sans avoir oublié celle de la veille, écoutent la confidence de l'heure présente. En cela un peu féminin, il se donne sincèrement à des passions successives dont le sourire lui dérobe le reste du monde et il se couche aux pieds de l'idole qu'il renversera demain.

Je crois bien que cette variété de gestes dans une même attitude est caractéristique de tous ceux qui ont le bonheur d'être inquiets, c'est-à-dire d'avoir des sens tellement délicats que le moindre bruit les émeut, ou la moindre odeur, ou la moindre lueur. La certitude a sa beauté; l'inquiétude n'est pas laide. Elle est le signe d'une intelligence particulière, celle de l'abeille quêteuse, en opposition à celle de l'abeille maçonne.

M. Mauclair est supérieurement intelligent. Il n'y a pas d'idées qu'il ne puisse comprendre et s'assimiler aussitôt; il les revêt immédiatement avec une élégance suprême; elles semblent toutes mesurées à sa taille: il y a là un sortilège singulier; on dirait qu'il possède, comme la marraine de Cendrillon, le don de transformer les choses en objets immédiatement utilisables; il a touché à tout et tiré parti de tout ce qu'il a touché.

Son intelligence est pure; cela veut dire qu'elle n'est pas sensualiste et que la définition de Locke ne lui est pas applicable. Loin que les idées lui entrent uniquement par les sens, il semble au contraire que les sens n'aient qu'un rôle mineur dans leur élaboration. Il les reçoit à l'état de boutures plus souvent qu'à l'état de graines: mais comme le terreau est excellent, elles reprennent, elles verdoient, elles fructinent. Il fait en ses mois d'août d'abondantes cueillaisons.

Je suppose que, moins influencé par la vie que par la pensée, il réfléchit plus volontiers sur une phrase que sur un fait, sur un aphorisme que sur une sensation. Il aime les syntaxes affirmatives; les complexités lui plaisent non pour en débrouiller l'écheveau, mais pour en certifier l'essence. Les choses disent des paroles contradictoires; il n'en retient qu'une et il la commente; il est simplificateur, parce que les modes de son intelligence sont successifs. Cela lui permet de tenter des analyses dont le titre seul est un prodige, et d'écrire, par exemple, une «Psychologie du Mystère» très raisonnable, puisque tout y est ramené à l'unité du moi. Le besoin de comprendre explique de tels jeux, mais résoudre une question n'est pas la même chose que de traiter une question. Quant M. Maeterlinck a écrit sur la «Parole intérieure», il n'a fait qu'enrichir de quelques étoiles la nuit profonde où se meuvent nos âmes; quand M. Mauclair a écrit sur le «Mystère», il a détruit par son affirmation le mystère lui-même. On voit la différence des deux esprits: l'un médite et l'autre conclut; M. Maeterlinck creuse davantage le puits, M. Mauclair le comble. Lequel de ces travaux nous sera-t-il le plus profitable? L'un ou l'autre, selon que nous aurons besoin de boire, ou selon que nous serons désaltérés.

Il faut beaucoup de subtilité et de magnifiques ressources logiques pour vaincre l'entêtement des mots, pour les agenouiller dans une posture humble, quand ils sont orgueilleux, gracieuse, quand ils sont laids. D'une telle lutte M. Mauclair sort toujours vainqueur, et on le vit forcer le symbolisme à ne plus être qu'un système d'allusions, un pont de lianes jeté au-dessus de rien pour relier l'abstrait au concret. Ce pont de lianes, c'est une des méthodes préférées de M. Mauclair dans sa dialectique; il cherche toujours et réussit toujours à relier ensemble un mot connu et une signification inusitée; mais le pont ne chevauche pas le néant; il passe hardi et svelte au-dessus du fleuve des idées qui bouillonnent au fond du précipice. Penché sur le parapet, M. Mauclair regarde et songe.

Il songe que de la luxure qui est un péché, parce qu'elle est une diminution, on peut faire une vertu, peut-être une religion (ce qui serait moins neuf), ou, selon une courbure un peu forte des significations, un art: «Elle est l'ancienne joie de l'humanité et elle participe de l'art et de notre désir de ce qui est caché.» Ici, la jonction a lieu entre deux idées, l'idée de jouissance physique, presque impersonnelle à force d'être animale, d'être la nécessité qui recrée incessamment les races, et l'idée de jouissance intellectuelle, si noble qu'elle constitue à elle seule comme le signe d'une caste. M. Mauclair réussit parfaitement à réunir, pour le temps que durent ses pages d'écriture, ces deux antinomies, la femme debout dans ses voiles à la proue d'un vaisseau et la femme couchée nue dansai une alcôve; son analyse, qui procède par juxtaposition de termes, trouble les logiques coutumières; on éprouve la fugitive sensation de coucher avec les madones de Raphaël ou avec les nymphes de Jean Goujon: sensation rare, mais peu désirable et peut-être glaciale. La dialectique du rêveur a joué victorieusement, quoique sans résultat définitif, sur ce que le mot luxure comporte de petites idées adventices toutes prêtes, semble-t-il, à s'emmêler aux cheveux de l'Antiope, mais le luxurieux, qui regarde froidement cette; nudité peinte, n'est pas sûr «que la sensualité ait été mêlée à l'esthétique depuis les origines». Les hommes, ceux du commun, ont-ils vraiment tort de se révolter contre la confusion des mots et de ne pas vouloir comprendre que «la luxure est si princièrement riche en songes qu'elle atteint à la pureté»? Ils ont tort, mais seulement quand c'est M. Mauclair qui parle, car il faut se laisser convaincre par l'éloquence.

Quel charme en ses phrases et que ses périodes sont belles! Si pour thème d'un discours il prend ce mot de M. André Gide: «J'appelle symbole tout ce qui paraît», nous sommes surpris, mais non déconcertés, car nous savons que de cette formule obscure M. Mauclair va tirer une suite de formules dont l'élégance, fatalement, clarifiera, jusqu'au blanc éclatant, la pensée douteuse qu'il a choisie pour ses expériences. Il faut que cela devienne lumineux; il faut que nous soyons éblouis à fermer les paupières. La formule de M. Gide, qui n'est pas claire, n'est même pas expressive, en soi; résumé d'une manière de sentir toute personnelle, il semble que sa vérité soit, réduite à un mot, incommunicable à tout autre esprit. Elle est banale au degré où la vérité est banale; riche des significations que son auteur seul peut lui donner; pauvre, s'il la délaisse. Il paraîtrait donc que, simple manière de dire, elle fût particulièrement impropre à supporter un commentaire logique et surtout un commentaire précis. C'est un Sunt cogitationes rerum, qui tire toute sa valeur de la valeur même de l'intelligence qui le proféra.

Or, et voici où l'éloquence triomphe magnifiquement, M. Mauclair s'empare de cette formule sèche et rude, l'enveloppe dans les somptueux plis de son style opulent; il drape, il ajuste, il ordonne, il dispose; les longues étoffes deviennent tunique, robe et manteau; le mannequin s'anime; en vérité il sourit et on croit qu'il respire; la créature est complète: on la voit, on l'admire, on l'aime. D'une phrase sombre toute une théorie du symbole vient de naître, qui s'épanouit dans sa richesse verbale. Peut-être qu'ensuite nous reviendrons à la phrase sombre précisément parce qu'elle est sombre, mais nous aurons joui, merveilleux intermède, de toutes les douceurs de la lumière.

M. Mauclair fait parfaitement comprendre la justesse de cette vieille métaphore, «la magie du style». Son style est magique non par l'éclat des couleurs, ou par l'éclat des sonorités, mais pour la beauté de sa couleur unique et la pureté de son timbre. Il ressemblerait à ces rivières qui coulent avec une fluidité riche sur un fond de sable doré mêlé de cailloux dont la résistance se résout en une musique lente, profonde et continue. Si cela ne devait être totalement incompréhensible, je dirais que je perçois dans ce bruit des harmoniques métaphysiques, et, à la surface, la perpétuelle lueur des idées que charrie la rivière.

Quelle qu'en soit la cause, il y a un grand charme dans tous les écrits de M. Mauclair, qui sont déjà très variés et prouvent une fécondité exceptionnelle. Tout jeune encore, plus jeune même qu'on ne le supposerait raisonnablement, il se veut, non le mentor, sans doute, mais le frère aîné et le conseiller indulgent de la Jeunesse; cette charge lui convient, mais il l'exercera mieux quand son intelligence, moins avide de toutes les idées, de toutes les fleurs, se tiendra plus volontiers dans la forteresse de la ruche. Mais n'est-il pas surprenant qu'il parle avec maîtrise, à l'âge où d'autres savent à peine écouter, et qu'on ne l'ait jamais connu écolier, et que son premier livre, Eleusis, soit aussi substantiel que l'Orient vierge, qui paraissait naguère? Le secret de ce prestige et de cette autorité, je le trouve peut-être dans cet aveu: «Je me préoccupe de me donner tout entier à toute minute de ma vie....», et dans cet autre: «... en m'offrant aux variations sensitives de la minute qui va venir....»


Victor Charbonnel

VICTOR CHARBONNEL

Hier encore prêtre de l'église catholique, apostolique et romaine, M. Charbonnel est un esprit libre, si la liberté est autre chose que la négation pure et simple, si elle est le choix que l'on fait volontairement parmi l'abondance des vérités intellectuelles, morales et religieuses, qui nous sont offertes depuis les siècles. Qu'on lui accorde un impératif catégorique, la révélation intérieure, il n'en demande pas davantage: ayant sauvé ce thème de son apostolat, il concède à, tout ce qui n'est pas essentiel une belle force symbolique, une indiscutable valeur de figuration. C'est donc un esprit religieux, puisqu'il soulève le manteau des apparences pour contempler respectueusement la nudité divine, et un esprit mystique, puisqu'il délaisse l'appareil des mages populaires pour n'admettre que les rapports directs entre l'âme et l'infini.

La plupart des hommes sont si mal fixés sur ce que les anciens grammairiens appelaient la propriété des termes que certains seront surpris de voir opposer deux mots que leur ignorance a l'habitude de confondre. M. Charbonnel les a délimités lui-même en plusieurs passages de son essai sur les Mystiques d'aujourd'hui. Il a constaté que ce n'est plus que par exception que le mysticisme est réellement religieux, quoiqu'il adopte, presque toujours, des allures religieuses. La religion, c'est de croire en Dieu, en acceptant toutes les conséquences d'une croyance précise; le mysticisme, c'est de croire à l'échelle de Jacob. Où mène-t-elle nécessairement? Nulle part, qu'en haut. Où mena-t-elle Plotin, où mena-t-elle Spinoza? En joignant les deux termes on arrive à un troisième état d'esprit où les deux tendances se confondent, où l'échelle de Jacob, montée du coeur où elle s'appuie, ne s'arrête en son ascension qu'en ce point de l'infini où commence la certitude. Il y a un mysticisme divin; il y a un mysticisme sans Dieu et, entre ces deux extrêmes, plusieurs nuances où les intelligences jouent à sauter de branche en branche, comme les oiseaux d'une forêt.

Le mysticisme qui chanta récemment dans la littérature et dans l'art était le concert de tous ces oiseaux. M. Charbonnel s'en est fait le critique exact et ironique, et il a très bien senti courir et murmurer sous la mélancolie dominante, un peu affligée, un second air plus vif qui disait les joies de l'idéalisme, de la liberté retrouvée, de l'idée reconquise. Il ne lui a pas échappe que le mysticisme moderne se sert de la religion, mais ne la sert pas; que la théologie n'a plus de servantes, qu'elle balaie elle-même ses sanctuaires, et que, sans le vouloir expressément mais par son attitude, elle en défend l'entrée à tout ce qui est intelligence, originalité, poésie, art, libération. Les écrivains naturellement portés vers le catholicisme ont dû s'éloigner presque tous: leur mysticisme, s'il boit encore aux sources pures de Denys et de Hugues, a renoncé à s'abreuver au lac devenu le marécage de toutes les bêtes amphibies. Où est le temps où Gerbert était élu pape parce qu'il était le plus grand génie de l'Europe?

Mais non seulement le mysticisme, la religion elle-même, nous est-il affirmé, s'est séparée de l'Eglise. L'homme le plus hautement religieux de notre temps, Tolstoï, est hérétique à toutes les confessions. M. Charbonnel a expliqué cela, en analysant une doctrine à laquelle il reconnaît «la grandeur et aussi le caractère absolu de l'héroïsme.» Il a bien fallu admettre, puisque Tolstoï est chrétien, qu'il y a un christianisme essentiel hostile à la religion, de même que la religion lui est hostile; et il a bien fallu mesurer les deux tendances et chercher laquelle se rapproche le plus des origines évangéliques. Beaucoup d'esprits se sont inquiétés d'un tel problème et il s'est trouvé à la fois parmi les catholiques et parmi les protestants des hommes prêts à provoquer non une réforme des dogmes, mais une réforme dans la manière d'interpréter les dogmes. M. Sabatier créa le nouveau symbolisme religieux dont la science de M. l'abbé Duchesne avait posé les premiers principes.

C'est là le point de contact entre les deux mysticismes, entre la religion et la littérature: tout se rejoint parfaitement dans l'idéalisme, qui aura vaincu le jour où il aura pleinement résorbé la morale.

Elle est encore libre. M. Charbonnel veut la sauver. Evangélique ou naturelle, il lui offre l'abri de la conscience; il la veut intérieure et non extérieure à l'homme. Ensuite pour protéger sous un même toit les deux soeurs, il édifiera un temple vaste, religieux et solennel. On en trouvera les premières pierres dans l'ouvrage qu'il vient d'achever, la Volonté de vivre.

«Notre vie n'est rien, si elle n'est pas vraiment notre vie.» L'originalité de la vie est aussi nécessaire et plus belle encore que toutes les autres originalités. Il faut être différent des autres êtres; par l'âme, comme on est différent par les apparences corporelles, «craindre que l'habitude, la routine, ne dominent notre conduite, prolongeant en nous l'envahissement d'une vitalité étrangère». Les grands tyrans à craindre, ce sont les mots; il y a là une page remarquable:

«Qui dira jamais le pouvoir des mots sur la vie? Ils mènent l'humanité et parfois les plus libres consciences. Les mots de devoir, de vertu, d'honneur, de dignité, de liberté, de dévouement, exaltant la volonté jusqu'aux résolutions aveugles et jusqu'à l'héroïsme. Nous vivons de mots, je crois. Or, la force qu'ils semblent avoir, d'où leur vient-elle, sinon du conventionnel prestige que les hommes leur ont constitué? Chacun de nous ne les entend guère qu'avec la signification que tous leur ont donnée et qui fait leur, efficacité morale. Obéir à des mots, c'est en somme obéir au vouloir confus et obscur que l'opinion humaine profère et impose à la manière des antiques oracles. Inconsciemment soumis à l'habitude et au pouvoir des mots, nous ne sommes point hors de servitude.»

Nous devrons nous défier encore de nos instincts, même s'ils nous «poussent vaguement à faire oeuvre de bien, de bonté et de justice»; l'instinct n'est pas la conscience; c'est à la conscience et non à l'instinct que nous devons obéir. Arrivés à ce degré, capables «de puiser à la seule source pure de notre âme le jaillissement des eaux fécondes qui feront fleurir la vie dans nos mains», il ne faudra pas nous reposer même un instant, car «la chair ressaisit toujours ce que l'esprit a créé».

Là, il y a la page des dentellières, qui est un des plus beaux poèmes des récentes littératures, du style le plus pur, du symbolisme le plus élégant; elle signifie que, de même que les dentellières «font oeuvre d'artistes suprêmes et n'en ont pas le sentiment», si, en faisant oeuvre de vie, nous faisons oeuvre de beauté, «cette beauté, ce n'est pas nous qui l'avons conçue».

«Or, et le thème reprend, notre vie n'est rien si elle n'est pas vraiment notre vie.»

C'est en nous-mêmes que nous en devons chercher le principe. De l'extérieur il ne peut guère nous venir que la science, mais «c'est un peu le mal du temps d'avoir compté sur l'action du savoir plus que sur l'énergie spontanée». Ibsen, sur ce point, s'accorde avec l'auteur de l'Imitation, qui rejette les versets des prophètes et ne veut ouvrir l'oreille qu'au verbe suprême. Ce verbe, il suffit peut-être de se taire et on l'entend. Pour converser avec l'infini, il ne faut que de la bonne volonté, du silence et une âme. L'âme est le seul principe d'égalité entre les hommes; c'est ce bien commun à tous, mystérieux et sûr, qui est la grande richesse, le grand jardin dont la culture est, pour tous, rémunératrice et significative.

Cependant, l'énergie acquise, il faut sortir du jardin pour exercer son énergie. Selon quel principe? Le principe du devoir, mais entendu comme Emerson: «Ce que je dois faire, c'est ce qui concerne ma personnalité et non ce que les gens pensent que je dois faire.» Quel que soit le conseiller, son autorité et son caractère, nous ne lui obéirons pas; nous écouterons sa parole avec bienveillance, en nous souvenant que nous sommes les souverains juges de nous-mêmes.

Nous voici à la liberté de la conscience, à la morale personnelle; il s'agit de rattacher ces principes au sentiment religieux, qui est le «sentiment d'une dépendance absolue». C'est facile. La révélation intérieure dénoue le drame et, finalement, l'homme est libre en Dieu.

M. Charbonnel est donc un spiritualiste mystique; il n'expose pas une doctrine, mais une méthode, en même temps qu'il introduit la littérature dans une région qu'elle ne fréquente guère. Emerson, lu trop souvent à travers M. Maeterlinck, semble l'avoir guidé pendant ce voyage spirituel qui s'apothéose par une belle prière au Dieu inconnu, cantique d'amour divin, d'une pureté toute métaphysique. Ainsi, il élève à côté de l'église des dogmes une chapelle sans dôme, d'où on voit le ciel sans regarder à travers des nuages d'encens. Il agrandit un horizon que le clergé d'aujourd'hui a réduit aux dimensions d'un panorama, et, comme les mystiques catholiques de race grecque, il fait entrer dans sa religion la philosophie de son temps.

On dirait qu'il a particulièrement souffert de la grossièreté et du matérialisme ecclésiastiques, du contact de tant de superstitions pieuses et lucratives. Il s'en est écarté et il est entré en lui-même, seule demeure digne d'une âme délicate. Mais incapable d'égoïsme même intellectuel, dès qu'il a été assuré d'avoir récolté de bonnes graines, il est sorti pour les semer au hasard du geste. Il accomplit, selon la vérité morale, l'apostolat qu'il n'a pu se résoudre à entreprendre selon la vérité religieuse. Il n'est pas un négateur, mais il est loyal; s'il tait ce qu'il ne doit pas nier, il n'affirme que ce qu'il peut croire.

Son attitude, très indépendante, ne fut jamais conciliatrice. Il n'ignora ni la profondeur des fossés ni la fragilité des ponts que l'on peut jeter, phrases, d'une rive à une autre rive. Il n'y a pas, en ses écrits, de traces de ces illusions malheureuses qui ont incliné des hommes, d'ailleurs sages, à réconcilier des contraires, à nouer la tête et la queue du serpent. Aussi quand il se crut mis en demeure de choisir entre ses idées et son état, il choisit de garder ses idées, sans se demander si l'abandon de son état n'allait pas diminuer l'intérêt même de ses idées. Le prêtre hardi deviendra-t-il un philosophe modéré, ou bien de nouvelles hardiesses seront-elles le fruit de sa libération? On verra bien. Je disais de lui, avant cette aventure:

«Je veux juger de la forme et non de la qualité de son influence. Je ne sais si nous avons besoin d'un surcroît d'idées morales, mais je sais que M. Charbonnel parle à beaucoup d'âmes et qu'il fut salutaire à beaucoup d'inquiétudes. Sa face qui semble rude est pleine de tendresse pour ceux que la vie a déconcertés, pour les barques dont les voiles folles battent le long des mâts: il redresse les vergues, il oriente de nouveau la voilure, il donne le coup de barre qui décide le voyage; il est le bon pilote qui connaît la carte des écueils et la rose des vents.»

Je disais encore, et si ce n'était pas une prophétie, maintenant c'est un espoir:

«Qu'importe où va la barque, pourvu qu'elle ne fasse pas naufrage en route?»


Alfred Vallette

ALFRED VALLETTE

On a beaucoup célébré les mérites des fondateurs d'ordres religieux; on a dit leur foi en l'idéal, l'enthousiasme de leurs rêves, la persévérance de leurs gestes d'espoir vers la gloire d'avoir vécu généreusement, leur prosternement devant l'infini, leur culte de cet art suprême, la charité, leur amour des formes nouvelles de l'activité sociale, leur génie à plier à leurs désirs la paresse humaine, la peur humaine, l'avarice humaine.

De ces ordres, les uns se sont éteints, après avoir donné au monde ce qu'ils avaient de lumière; les autres ont prolongé dans les siècles l'agonie lente qui étouffe doucement les institutions en désaccord avec les goûts de l'humanité; d'autres enfin n'ont vécu qu'en pliant et en repliant leurs statuts selon les transformations si rapides et si déconcertantes de l'idéal éternel. Mais quelles qu'aient pu être ces différentes fortunes, une période est surtout intéressante dans l'histoire des ordres, celle, des débuts, celle de la lutte contre la première hostilité.

Pareillement, on écrirait de curieux chapitres sur les fondateurs de revues littéraires, et l'on trouverait, sans doute avec étonnement, que Philippe de Néri et tel de nos contemporains ont des caractères communs, par exemple le goût de l'inconnu et le désintéressement qui sacrifie à la fortune d'une idée les satisfactions présentes.

Pour qu'une oeuvre soit importante, c'est-à-dire inexplicable, inexcusable, admirable dans le bien, exécrable dans le mal, il faut qu'elle apparaisse désintéressée, que les roues initiales qui la meuvent soient d'un métal absurde, d'un système incompréhensible, que tout le mécanisme se déroule selon le mystère de principes tout à fait inabordables au peuple des fidèles. Quoi de plus stupide, aux yeux d'un socialiste, que le renoncement à toute joie tangible d'une créature qui se voue au soin de vieillards malades, dans le seul but de «gagner le ciel»? Et quoi de plus stupide aux yeux, du chroniqueur parisien, que le renoncement de l'écrivain qui, pouvant gagner de l'argent, voue sa fortune ou sa jeunesse au seul but de faire du nouveau, d'ouvrir le long de la montagne un sentier de plus menant vers rien, vers l'art pur, vers une statue toute nue de la Beauté?

C'est peut-être là qu'il faut placer le fameux sperne te sperni, car il arrive que les entreprises les plus méprisées deviennent une source de gloire et une source de bonheur. Il arrive, dans le domaine social, qu'une association fondée par une servante bretonne soulage à Paris plus de pauvres que l'Assistance publique; et il arrive, dans l'ordre littéraire, qu'une revue fondée avec quinze louis a plus d'influence sur la marche des idées, et par conséquent sur la marche du monde (et peut-être sur la rotation des planètes), que les orgueilleux recueils de capitaux académiques et de dissertations commerciales.

Misère et stérilité de l'argent, de l'argent pourtant vénérable et adorable, car il est le signe de la liberté et l'une des seules chasubles qui donnent aux épaules humaines leur grâce et leur force! Heureusement que la foi et la bonne volonté sont ses immédiats succédanés et qu'il y a des paroles magiques qui valent de l'or. Tout organisme, dès qu'il est né, tend vers sa réalisation; les organismes conditionnés par la société ne peuvent se réaliser que selon le plan social; alors vivre c'est créer de la richesse; le mot est inéluctable. Mis en activité, un million ou une idée ont des aboutissements pareils; seulement le million est limité par son chiffre, tandis que l'idée, outre qu'elle est invulnérable, peut, matériellement, être productive à l'infini.

Ceci n'est pas un jeu d'allusions: j'écris des figures dans l'espace. Cependant, il s'agit d'un fondateur: ainsi ces pages vont se relier aux suivantes par la seule sonorité d'un mot.

Identifié dès la naissance du Mercure de France avec la revue qu'il avait nettement contribué à faire naître, M. Alfred Vallette en est devenu, par la suite, le fondateur réel, puisque toutes les pierres au-dessus de la première ont été touchées par ses seules mains, et puisque seul il y représente, depuis le premier coup de marteau, le principe de continuité, qui est le principe même de la vie. A partir donc du moment où il assuma cette charge, sa littérature a été tout en actes; il n'a plus exercé qu'une imagination pratique, une critique à conséquences immédiates et certaines.

Il n'y eut là aucun phénomène de dédoublement ou de rénovation: une intelligence naturellement réaliste s'adaptait à des fonctions réalistes, comme, d'abord, elle s'était adaptée, en littérature, à l'analyse logique et minutieuse de la réalité. Ecrire un roman ou le vivre, il n'y a entre les deux occupations qu'une différence musculaire, tout extérieure: quel que soit le geste, le travail du cerveau est identique; l'équivalence est parfaite entre l'acte et l'idée de l'acte, ce qui rend inutile leur superposition; devenu matériellement actif, et avec surabondance, M. Vallette ne pouvait plus écrire; s'il abandonnait ses fonctions actuelles, il se remettrait à écrire, immédiatement. C'est la rivière qui, selon la vanne remontée ou descendue, coule par ici ou par là. L'intelligence n'est libre que dans les limites des lois dynamiques.

Il faut cependant noter que l'activité extérieure de M. Vallette surpasse ce qu'on lui a connu d'activité intérieure. Il n'aurait jamais été un écrivain fécond, de ceux qui, l'oeuvre achevée, la jettent sans souci, déjà pleins d'un amour exclusif pour celle qui va naître. Capable de s'abstraire pendant des années dans une idée et dans une oeuvre unique, il est de ceux qui ont le souci de ne pas achever pour n'avoir pas la peine de recommencer. Les commencements épouvantent certaines intelligences: mais ce sont celles-là qui ont le sens de la continuité, ce qui est une grande vertu, c'est-à-dire une grande force. La patience de Flaubert est presque incompréhensible pour ceux qui vivent dans un océan d'idées dont les vagues battent; mais l'agitation de Balzac déconcerte les esprits méthodiques.

M. Vallette est de l'école de Flaubert.

Observer la vie un peu de loin, sans prendre part au combat des intérêts, comme s'il s'agissait d'une autre race, c'est la première règle de l'écrivain réaliste; il ne doit mettre aucune passion dans ses peintures. Flaubert l'observa fidèlement, car les aveux que l'on découvre sous ses phrases toujours oratoires sont la trace que l'inconscient laisse dans une oeuvre profondément pensée; il y a aussi, en l'unique roman de M. Vallette, des marques personnelles, çà et là, de ces empreintes qui prouvent à Robinson qu'un homme a passé par là, mais le Vierge n'en est pas moins un des romans les plus objectifs que l'on puisse citer, un de ceux qui furent écrits avec un sentiment parfait de l'inutilité définitive de tout. Ce sentiment, qui n'est aucunement négateur d'une activité sociale, ne s'oppose pas davantage à l'activité purement cérébrale: il permet au contraire à un esprit de se condenser dans une direction unique, sans regret de tous les possibles, puisque, en somme, toutes les directions se valent, sentiers tracés vers le même néant. Alors on se recueille dans une vie très seule et l'on dissèque M. Babylas, labeur d'autant plus difficile que la psychologie du personnage est plus élémentaire. Babylas est en effet une figuration de la vie représentée par l'absence même de la vie; c'est la créature à laquelle il n'arrive jamais rien que de très ordinaire, qui se meut dans un milieu on dirait fluide où les chocs sont rares et adoucis, à laquelle rien ne réussit, mais qui, d'ailleurs, n'entreprend à peu près rien; souffre-douleur né, mais souffrant peu comme il s'amuse peu, Babylas est surtout content d'être assis sans rien faire «dans une pose de petite fille qui s'ennuie à la messe»; changeant d'âge sans changer de besoins, il est à peine touché par la puberté, enfin meurt encore jeune, ou toujours vieux, sans avoir jamais pu, malgré des luttes contre sa couardise maladive, se renseigner personnellement sur la différence des sexes. Babylas n'est pas le médiocre d'un milieu humble; c'est un être nul arrêté dans son développement vers une nullité équilibrée; et encore autre chose, car il contient du grotesque: c'est une larve, un gnome. Il n'a ni cheveux, ni barbe; dès sa première jeunesse, il doit couvrir d'une perruque son crâne de poussin duveté à peine; pourtant, ce n'est ni un idiot ni un noué: c'est une maquette.

Il est presque prodigieux que l'auteur ait réussi à donner l'existence à un être qui semble si peu fait pour vivre, à déterminer ses paroles, ses gestes et jusqu'à sa vie intérieure, à le bien poser d'aplomb dans son ambiance, debout sur ses maigres jambes, bien logique avec lui-même du dehors au dedans et du dedans au dehors. On est en présence d'une création baroque, bizarre, falote, mais tout de même d'une création; tels, un ivoire de Chine, un bronze du Japon nous donnent, si loin qu'ils soient de nos goûts secrets, l'impression d'une oeuvre d'art.

S'il est réussi, c'est-à-dire si l'impression première qu'il laisse est celle que l'auteur a voulue, un livre offre par surcroît une impression seconde qui peut varier selon les lectures ou selon l'heure des lectures; ainsi, il m'a semblé que la misère dont souffrait Babylas est la misère de l'isolement par timidité sentimentale: et alors le grotesque gnome devient un être humain et sa timidité en fait un frère de l'orgueilleux. Le même mal peut tourmenter l'humble victime qui a peur et le superbe qui dédaigne d'avouer son désir.

On pouvait, après ce premier livre, attendre une suite d'études dans le même ton de sincérité et de détachement; l'ironie sans doute se serait accentuée et, portant sur des faits plus généraux, aurait donné aux analyses une force plus convaincante. Il n'est rien de durable sans l'ironie; tous les romans de jadis qui se lisent encore, le Satyricon et Don Quichotte, l'Ane d'or et Pantagruel se sont conservés dans le sel de l'ironie. Ironie ou poésie; hors de là, tout est fadeur et platitude. Peut-être ne saurons-nous jamais si M. Vallette eût manié supérieurement ce don, mais nous savons qu'il le possède: en écrivant de littérature, il faut regretter que la Vie soit intervenue et, d'un geste un peu satanique, ait renversé l'encrier sur la page commencée.

Mais il n'y a pas d'activités inférieures en soi, comme il n'y a pas de matière méprisable, et l'intelligence peut s'exercer aussi bellement à gérer le bien temporel des écrivains qu'à rédiger des écritures. L'important est que l'intelligence soit: dès qu'elle est, elle agit; et partout où elle agit on sent le bienfait de sa présence.


Max Elskamp

MAX ELSKAMP

Voici, une âme de Flandre et d'en haut. Dans les campagnes nues ou dans les cathédrales fleuries, qu'il regarde la mélancolie de l'Escaut jaune et gris ou la sérénité des vieux vitraux couleur de mer, qu'il aime les douces Flamandes aux bras nus ou Marie-aux-cloches, Marie-aux-îles, Marie des beaux navires, Max Elskamp est le poète de la Flandre heureuse. Sa Flandre est heureuse, parce qu'il y a une étoile à la pointe de ses mâts et de ses clochers, comme il y avait une étoile sur la maison de Bethléem. Sa poésie est charmante et purificatrice.

Je veux dire avec lui d'abord les chansons du pauvre homme de Flandre. Il y en a six, seulement six, parce que le dimanche, c'est la chanson des cloches.

Un pauvre homme est entré chez moi
pour des chansons qu'il venait vendre,
comme Pâques chantait en Flandre
et mille oiseaux doux à entendre,
un pauvre homme a chanté chez moi.

Et à mesure que chantait le pauvre homme, le poète a écrit les chansons de la semaine de Flandre, ensuite a taillé dans le bois des images naïvement nouvelles, ensuite a fait avec tout cela un petit livre qui semble tombé par la cheminée un jour de Noël, tant il est miraculeusement doux. J'aime que les poètes aient le goût de la beauté extérieure et qu'ils vêtent de grâces réelles leurs grâces rêvées: mais que nul ne veuille la pureté d'art des Six chansons de Pauvre homme; il ne saurait,—car la semaine est finie, et

A présent c'est encore Dimanche,
et le soleil, et le matin,
et les oiseaux dans les jardins,
à présent c'est encore Dimanche,
et les enfants en robes blanches
et les villes dans les lointains,
et, sous les arbres des chemins,
Flandre et la mer entre les branches....

Les idées se présentent presque toujours à M. Elskamp sous la forme d'images significatives; sa poésie est emblématique. Vraiment, et surtout dans son premier recueil, Dominical, elle a l'air parfois de raconter les emblèmes dont s'ornaient les singuliers livres où l'on s'édifiait jadis, surtout en pays flamand, le Miroir de Philagie (Den Spieghel van Philagie) ou cette Contemplation du Monde (Beschouwing der Wereld) que l'art admirable de Jan Luiken diversifie à l'infini. L'âme, personnifiée en un jeune homme, une jeune fille, en un enfant, traverse des paysages, agit sur les éléments, subit la vie, travaille à des métiers, se promène en barque, pêche, chasse, danse, souffre, cueille des roses ou des chardons; c'est très mièvre le plus souvent et diffamé par une naïveté qui a d'elle-même une conscience trop précise. Pourtant il y a une poésie mystique, en ces estampes et voici comment M. Elskamp la sent et l'exprime:

Dans un beau château,
la Vierge, Jésus et l'âne
font des parties de campagne
à l'entour des pièces d'eau,
dans un beau château.

Dans un beau château,
Jésus se fatigue aux rames,
et prend plaisir à mon âme
qui se rafraîchit dans l'eau,
dans un beau château.

Dans un beau château,
de cormorans d'azur clament
et courent après mon âme
dans l'herbe du bord de l'eau,
dans un beau château.

Dans un beau château,
seigneur auprès de sa dame
mon coeur cause avec mon âme
en échangeant des anneaux,
dans un beau château.

Ici, l'intention emblématique est évidente. L'emblème est une figure par laquelle on matérialise, mais sous leurs noms, les idées, les passions, les vertus des hommes, ainsi que les abstractions pures, et surtout l'âme qui alors se trouve dédoublée et jouant dans la vie son rôle d'âme vis-à-vis du corps qui joue son rôle de corps. Cela diftère donc du symbole, car le symbole monte de la vie à l'abstraction et l'emblème descend de l'abstraction à la vie....

(En réfléchissant sur cette question, je songe que la littérature de M. Maeterlinck paraît emblématique, le plus souvent: La Mort de Tintagiles semble une vraie estampe de Luiken; pareillement dans l'effroyable, le fiévreux, l'occulte, le génie de M. Odilon Redon est emblématique.)

L'emblème pose tout d'abord l'abstraction; il se sert de paysages, de personnages, de matérialités, mais vues selon des attitudes volontairement significatives; tandis que le symbole présente la nature telle qu'elle est et nous laisse la liberté de l'interprétation, l'emblème affirme la vérité qu'il exprime; il l'affirme avant tout et ne se sert de figurations que comme d'un moyen purement mnémonique.

Tels emblèmes peints comme enluminures dans les missels de M. Max Elskamp sont d'une obscurité magnifique et qui fait rêver longuement. Je ne crois pas que, depuis la Nuit obscure de l'âme, la poésie emblématique se puisse vanter de plusieurs aussi belles images:

Mais les anges des toits des maisons de l'Aimée,
les anges en allés tout un grand jour loin d'Elle
reviennent par le ciel aux maisons de l'Aimée;

les anges-voyageurs, buissonniers d'un dimanche,
les anges-voyageurs se sont fait mal aux ailes,
les anges-voyageurs, buissonniers d'un dimanche;

les anges-voyageurs savent le colombier,
et se pressent, au soir, vers le coeur de l'Aimée,
les anges-voyageurs savent le colombier;

mais les plus petits anges se donnant la main,
les plus petits anges se trompent de chemin,
mais les plus petits anges sont encor très loin;

et les anges plus las, sur leurs bateaux à voiles.
.....................................................
Et les anges ont froid parmi les hirondelles,
.....................................................

et la bien-aimée attend, inquiète, les anges attardés. M. Elskamp est familier avec les anges; on dirait qu'il y en a toute une légion répandue autour de son rêve; il les interpelle, il leur fait des aveux et des prières; il les voit, il voit que les oiseaux leur mangent dans la main: poète, ces oiseaux, ce sont vos vers.

Le second livre des visions de Max Elskamp, en une légende «un peu plus dorée» salue la Vierge, mais la Vierge de Flandre, et il monte à la tour, à la «tour de sa race», qui est aussi la tour d'ivoire, si haut qu'il peut monter. De là, d'où les fanaux du fleuve sont des étoiles pareilles aux étoiles d'en haut, il salue

Marie des choses ineffables,
Marie des pures senteurs,
Marie du soleil et des pluies,

et c'est avec bien de l'humilité qu'après de si charmantes litanies, il demande pardon:

Marie de mes beaux navires,
Marie étoile de la mer,
me voici triste et bien amer
d'avoir si mal tenté vous dire.

La mer, de sa tour, il la salue aussi, la mer et tous ses bateaux.

... Allez vos chemins,
Les tartanes, les balancelles,
Avec vos tout petits noms d'ailes,

Le dernier volet du Triptyque à la louange de la vie est un cantique d'amour et de bonté:

Et me voici vers vous, les hommes et les femmes,
avec mes plus beaux jours pour le coeur et pour l'âme

et la bonne parole où tous les mots qui s'aiment
semblent des enfants blancs en robes de baptême ...
......................................................
... ma douce soeur joie et son frère Innocence
s'en sont allés cueillir, en se donnant la main,
sous des oiseaux chantants les fleurs du romarin....

Le jour de joie est arrivé, coeurs, faites maison neuve, soyez bons, afin de mériter la vie heureuse qui va s'étendre sur les villes et les campagnes,

jusqu'aux arbres loins comme des tentures.

On va respirer enfin un air d'amour, tout s'apaise, tout se purifie, tout est printemps,

et, cloches de bonnes nouvelles,
lors, aux gens sur le pas des portes
dites qu'enfin Doctrine est morte
et qu'aujourd'hui c'est vie nouvelle.

Cette vie nouvelle bourdonne dans le coeur et dans la poésie de Max Elskamp, et dans le jardin bêché et semé de ses mains, dans le jardin fleuri par son désir. Si l'arrosoir du jardinier semble avoir été quelquefois rempli à cette rivière de grâce, Sagesse, c'est que la miraculeuse rivière a débordé de toutes parts et s'est infiltrée dans toutes les fontaines: le jardin de Max Elskamp est bien la création d'un jardinier original. Le sentiment religieux est moins large et moins profond dans la poésie d'Elskamp que dans celle de Verlaine; mais il est plus intime, plus pur, plus de sanctuaire, de lampe, de cierges, de cloches; ce n'est plus l'amour qui pleure d'avoir mal aimé; c'est tout au contraire l'amour qui s'exalte dans le sourire et le souvenir d'une pureté parfaite; c'est l'amour chaste; nulle trace d'une sensualité même mystique, que ceci:

Anges de velours, anges bons ...
Anges, la chair du soir m'envoûte ...
La reine de Saba me baise
sur les yeux; anges très chrétiens,
dans le noir des maisons mauvaises....

et c'est tout, avec, à l'autre page, une allusion douce et triste à la plus aimée, qui plonge, ainsi que des fleurs, ses mains aux sources de ses yeux: mais, tentation charnelle, amour sentimental, également loin dans un paysage de maisons ou d'arbres.

Max Elskamp chante comme chante un enfant ou un oiseau de paradis. Il se veut un enfant; il est l'oiseau des légendes qu'un, moine écouta pendant plus de cinq cents ans; et, de même qu'en la légende, lorsqu'on l'a écouté et qu'on revient à la vie, il y a du nouveau dans les gestes des hommes et dans les yeux des femmes; les choses signifient des pensées qu'on n'avait plus, et même ce buveur du dimanche,

au dimanche ivre d'eau-de-vie,

semble songer à une communion avec les puissances invisibles et belles. Qui sait,

car nous avons beaucoup voyagé, Théophile,
par les coeurs des hommes qui sont aussi des villes,

ce qu'il y a au fond des hommes muets et l'obscure chanson chantée en ces âmes qui sont tout de même des églises? Cette obscure chanson, M. Elskamp la devine et la transpose, sous la protection de Saint-Jean-des-Harmonies; il est tout musique, tout rythme; on dirait ses vers presque toujours modelés sur un air; parfois trop sévèrement, car poésie et musique c'est très différent, et il en résulte que le poète sacrifie la poésie à la musique, la langue au rythme, le mot à la mélodie. C'est un défaut assez fréquent dans les anciennes proses latines où le rythme et la rime riche empiètent sur le sens. Il ne faut pas chercher la beauté d'un vers en dehors de l'accord des mots et des significations; le vers a naturellement une tendance à trahir la pensée: l'obscurité, si elle n'est pas volontaire, est une défaillance.

Il y a des traces d'obscurité spontanée dans la poésie de Max Elskamp et aussi des traces de préciosité: l'expression, qui est toujours originale, l'est parfois avec gaucherie. Dans les pages parfaites, la pureté est délicieuse, nuancée comme un humide ciel flamand, transparente comme l'air du soir au-dessus des dunes et des canaux; dans toutes, on a l'impression d'une constante recherche d'art, d'une passion charmante pour les nouvelles manières de dire l'éternelle vie.

On peut aller sans peur vers Max Elskamp et accepter la corbeille de fruits qu'il nous offre dorés «par un printemps très doux», et boire au puits qu'il a creusé et d'où jaillissent «des eaux heureuses», des eaux fraîches et pleines d'amour. On mangera et on boira de la grâce et de la tendresse.


Henri Mazel

HENRI MAZEL

Naguère un écrivain feignait de s'étonner que «le Mercure, revue d'initiés, s'intéressât aux question sociales». Initiés est bon. L'initié est celui qui sait tous les secrets d'un métier, d'un art, d'une science; c'est le contraire de l'amateur. L'initié, juge de soi-même, l'est aussi de ses compagnons, et ses jugements, qui n'ont pas à tenir compte de l'opinion publique, ont, par cela même, quelque chance de durée et une autorité qui, pour n'être pas bruyante, n'en est que plus profonde. Confiant dans sa propre valeur, l'initié n'est aucunement exclusif; il s'allie volontiers, initié d'un art, avec l'initié d'une science, et parfois, à ces fréquentations, il élargit assez son esprit pour que plusieurs passions intellectuelles s'y développent et parlent. Le moment de notre histoire littéraire appelé symboliste, et qui est aujourd'hui en pleine floraison, a sonné le réveil à plusieurs clochers; comme il réintégrait l'idée dans l'art, il l'introduisait dans la politique, substituant à une vague conception oscillatoire, la notion d'un développement indéfini de la liberté individuelle. Il n'est pas un symboliste qui n'ait, au moins une fois, abandonné la page aux belles métaphores, pour aller, en quelque journal libertaire, défendre, à côté d'ouvriers surexcités, les droits, non plus politiques, mais humains (tout simplement), non plus du citoyen, mais de l'homme. Nous fûmes tous anarchistes, Dieu merci! et nous le sommes encore assez (je l'espère) pour respecter en nous-mêmes et en autrui le développement libre de toutes les tendances intellectuelles.

Il faut donc comprendre tout ce qu'il y a de légitime et de vrai dans la modération de M. Henri Mazel.

Comme M. Barrès, et bien davantage, car il connaît le passé mieux et plus loin, M. Mazel est un traditionaliste; l'un a pris de M. Taine son art de philosopher sur de menus faits; l'autre a trouvé dans le même héritage le goût de comparer aujourd'hui avec hier, et la force de comprendre que le dernier état social d'un peuple, s'il n'est pas le meilleur, n'est pas non plus le pire de tous les états possibles. La théorie de la régression, qui vient d'entrer dans le domaine des discussions ouvertes, est alléguée à chaque page, au moyen d'un fait, dans l'oeuvre historique de Taine et dans l'oeuvre scientifique de Darwin: il serait très possible que M. Mazel voulût un jour ou l'autre la systématiser, dans l'ordre sociologique, et nous montrer enfin clairement ce que nous avons gagné et ce que nous avons perdu par les transformations brusques de la fin du dernier siècle. Taine a cru la Révolution beaucoup plus destructive et beaucoup plus transformatrice qu'elle ne le fut vraiment. A-t-on observé que tel pays où les idées révolutionnaires n'ont pas pénétré en est exactement au même point social que nous-mêmes, et peut-être un peu plus loin dans le sens de la liberté, de la vigueur individuelle, de l'indépendance des artisans? Une révolution peut très bien n'être qu'une régression violente: ce mot n'a rien de magique pour celui qui connaît l'histoire. On nous montrera peut-être prochainement que trente ans après 1793, l'ancienne France s'était reconstituée avec la simplicité instinctive d'une fourmilière. Tous les changements sociaux que le siècle a subis proviennent du machinisme.

Ce sont des questions de ce genre que M. Mazel aime à traiter dans les solides études qui, paralipomènes de ses fresques dramatiques, requièrent fréquemment ses méditations. Il les a réunies en un volume austère, la Synergie sociale, austère, mais non pas rébarbatif, car son esprit est clair, logique, simplificateur.

Le simplificateur veut comprendre. Parmi la quantité des faits, il choisit ceux qui semblent d'abord contenir en eux-mêmes leur signification; ainsi, en écartant toutes les figures obscures, mal peintes, il se constitue un jeu de cartes logiques avec lequel il gagne facilement la partie contre le mystère des choses. M. Mazel ne commence la bataille que muni d'armes irréfutables; il définit ses mots; c'est faire preuve d'une grande franchise et c'est, en même temps, affirmer que non seulement on veut comprendre soi-même mais qu'aussi on désire offrir à autrui, loyalement, tous les moyens de se défendre contre une conviction trop rapide.

Ainsi, dans un article récent où il a voulu se faire un peu théologien, M. Mazel entreprend de démontrer que «le libre examen est à la base du catholicisme comme du protestantisme». Pour cela, rejetant toutes les idées secondes, il pose cette seule affirmation: l'adhésion à une croyance est un acte de liberté. Sans doute, mais la vérité trop franchement dite prend un ton de paradoxe; une simplification si extrême me fait peur et je préfère me promener dans la forêt des opinions, contradictoires.

Cette méthode un peu tranchante sera utile à M. Mazel quand l'autorité de son opinion sera plus forte; déjà, si elle conseille à quelques douteurs une certaine défiance, elle doit influer heureusement sur les esprits qui aiment les logiques toutes broyées, toutes prêtes à s'étendre en belles couleurs sur la toile qui attend. Il faut bien aussi admettre la nécessité d'esprits affirmateurs; si l'ensemble des idées flottait en un perpétuel suspens, nous serions plus troublés que nous ne pourrions le supporter; des notions précises, fermes, sont indispensables, ainsi que des rames à un canot: le bois dont seront faites les rames importe moins; le hêtre est bien, le frêne aussi. Une notion fausse est souvent d'aussi bon usage qu'une notion vraie: il sera sans doute utile à certains de croire que le libre examen est le fondement du catholicisme; ceux qui choisiront la thèse contraire n'auront pas un point d'appui moins sérieux; enfin, ceux qui refuseront d'admettre la parenté de l'acte de foi et de l'acte de liberté et qui, au contraire, opposeront l'une à l'autre ces deux idées, auront acquis pareillement une base excellente pour l'évolution future de leurs déductions.

On dit que la sociologie est une science et que l'histoire est un vaste cours de logique; je crois plutôt que la logique est une des catégories de notre esprit et que nous ne pouvons concevoir que logiquement un enchevêtrement de faits: c'est pourquoi l'histoire se plie si volontiers à monter sur le théâtre qui est le paradis de la logique. Le goût de M. Mazel pour la simplification explique aussi son goût pour le théâtre, conçu tel qu'une refonte des grands événements ou des grandes périodes historiques. Le Nazaréen, le Khalife de Carthage sont de larges tableaux d'une civilisation; l'action humaine en des décors fictifs prend quelquefois un air plus humain que dans le cadre de la réalité; il y a des époques du monde qu'un dialogue entre des personnages imaginaires, mais logiques, simples, tout émus par l'unique idée qui est leur vie, nous rend mieux que des chroniques ou des annales. Que savons-nous de la conquête de l'Egypte par les Romains qui soit plus vrai qu'Antoine et Cléopâtre? Le drame historique ne doit pas être dédaigné: il est seulement fâcheux que notre goût absurde d'une mise en scène réaliste le réduise de plus en plus aux trahisons de la lecture. Je crois d'ailleurs que M. Mazel considère ses premiers drames comme des études plutôt que comme des pièces de théâtre; il ne les avait que peu destinés au plaisir des foules; il les composa en manière d'exercices pour coordonner les divers éléments d'un talent scénique. Au théâtre, on s'adresse à la fois à un seul et à tous, à un homme et à une foule; il faut être poète et tribun, artiste et logicien; mettre en action une idée, mais que l'action se puisse comprendre au vu de son mouvement propre. Un art si complexe demande un apprentissage et veut aussi la plus longue patience. M. Henri Mazel est arrivé à l'heure où l'effort se réalise, et si, en des drames donnés comme des essais, il a pu émouvoir le lecteur du coin du feu, c'est sans doute que le théâtre est son destin.

Il n'a point réussi moins bien, dans un ordre d'activité tout différent, lorsqu'il organisa une revue, non la plus sérieuse, mais la plus grave de celles qui naquirent vers 1890, l'Ermitage. De cet ermitage qui ressembla parfois à un monastère, et qui est devenu un petit chalet suisse, M. Mazel fut longtemps le discret prieur: c'est là qu'il se fit connaître par des «affirmations» où déjà se dévoilaient ses tendances simplificatrices et son goût de la critique sociale.

Il y a donc une remarquable unité dans l'oeuvre de Henri Mazel; et ses poèmes, d'une prose ample et attristée, ne contredisent pas cette impression, c'est un écrivain qui aime les idées et qui s'exprime avec une sincérité spontanée, mais prudente et judicieuse.


Marcel Schwob

MARCEL SCHWOB

Entre les différents écrits de M. Schwob, conte, histoire, analyse psychologique, je ne fais d'abord aucune distinction, afin de me conformer à sa méthode, à laquelle je crois. Du réel au possible, il y a la distance d'un nom; le possible, qui n'a pas de nom, pourrait en avoir un et le réel souvent s'est aboli sous l'anonyme. Parmi les bustes d'inconnus qui sont au Louvre (et partout) taillés en marbre, il y a peut-être celui qui nous manque, de Lucrèce ou de Clodia, et, parce qu'il est innommé nous ne sentons, en le regardant, aucun de ces frissons qui nous troublent devant les figures qui ont vécu. Révérencieux par l'héritage d'un enseignement héroïque, nous voulons que les masques un instant posés sur nos yeux aient abrité, ruches privilégiées, un grand mouvement de pensées, une noble rumeur d'abeilles; mais nous oublions que ni les idées des hommes, ni leurs actes ne sont écrits dans leur apparence charnelle, et que d'ailleurs, vue et reproduite par un artiste, cette apparence contient désormais le génie de l'artiste et non le génie du personnage. Devant celui qui est né pour interpréter des figures, la face d'un tisserand et la face de Goethe, l'arbre obscur du bois inconnu et le figuier de saint Vincent de Paul ont absolument la même valeur: celle d'une différence.

Le monde est une forêt de différences; connaître le monde, c'est savoir qu'il n'y a pas d'identités formelles, principe évident et qui se réalise parfaitement dans l'homme puisque la conscience d'être n'est que la conscience d'être différent. Il n'y a donc pas de science de l'homme; mais il y a un art de l'homme. M. Schwob a dit là-dessus des choses que je veux déclarer définitives, ceci par exemple: «L'art est à l'opposé des idées générales, ne décrit que l'individuel, ne désire que l'unique. Il ne classe pas; il déclasse.» Paroles singulièrement lumineuses et qui ont encore un autre mérite: celui de fixer nettement par quelques syllabes la tendance actuelle des meilleurs esprits. Que j'aurais voulu, lors de la guerre en Grèce, qu'un voyageur m'eût parlé de la marchande d'herbes qui promène sa corbeille le long de la rue d'Eole, le matin! Que pensait-elle? Comment sa vie se mouvait, particulière, «unique», au milieu des rumeurs, voilà ce que j'aurais voulu savoir. Elle, ou un cordonnier, ou un colonel, ou un portefaix. J'attends cela aussi des explorateurs, mais aucun ne semble avoir jamais compris l'intérêt des vies individuelles coudoyées le long des fleuves: l'homme vit au milieu de décors qu'il n'a même pas la curiosité de frapper du doigt pour les savoir en bois, en toile ou en papier.

Cet art inconnu de différencier les existences est pratiqué par M. Schwob avec une sagacité vraiment aiguë. Sans user jamais du procédé (légitime aussi) de la déformation, il particularise très facilement un personnage d'allures même illusoires; pour cela il lui suffit de choisir dans une série de faits illogiques ceux dont le groupement peut déterminer un caractère extérieur qui se superpose, sans le cacher, au caractère intérieur d'un homme. C'est la vie individuelle créée ou recréée par l'anecdote. Ainsi, que Lalande mangeât des araignées, ou qu'Aristote collectionnât toutes sortes de vases de terre, cela ne caractérise ni un grand astronome ni un grand philosophe, mais il faut compter ces traits parmi ceux qui serviront à différencier Lalande de lui-même et Aristote de lui-même. Faute de connaître de tels détails, le vulgaire s'imagine les hommes célèbres en la perpétuelle attitude d'une figure de cire; et si on les lui révèle, il s'indigne, faute de les comprendre, contre ce qui est un des signes les plus clairs d'une vie individuelle. Les hommes veulent que les hommes qu'on leur raconte soient logiques, sans s'apercevoir que la logique est la négation même d'une existence particulière.

Je tente d'expliquer une méthode; c'est plus difficile que de dire son impression sur le résultat obtenu. Le résultat, en plusieurs volumes de contes et particulièrement dans les Vies Imaginaires, est qu'une centaine d'êtres sont nés, remuent, parlent, suivent les routes de terre ou de mer avec une merveilleuse certitude vitale. Si l'ironie de M. Schwob s'était un peu inclinée vers le genre de mystification (où excella Edgar Poe) que les Américains appellent boaxe, que de lecteurs même savants il aurait pu duper avec cette vie de Cratès, cynique, où pas un mot ne détruit la sérénité d'une biographie authentique! Pour arriver à donner une telle impression, il faut une grande sûreté d'érudition, une pénétrante imagination visuelle, un style pur et flexible, un tact fin, une légèreté de main et une délicatesse extrêmes, enfin le don de l'ironie: avec toutes les vertus bien à leur aise dans un génie particulier, il était très facile d'écrire les Vies Imaginaires.

Le génie particulier de M. Schwob est une sorte de simplicité effroyablement complexe; c'est-à-dire, que par l'arrangement et l'harmonie d'une infinité de détails justes et précis, ses contes offrent la sensation d'un détail unique; il y a dans la corbeille de fleurs une pivoine que seule on voit parmi les autres abolies, mais si les autres fleurs n'étaient pas groupées autour d'elle, on ne verrait pas la pivoine. Comme Paolo Uccello dont il a analysé le génie géométrique, il envoie ses lignes vers la périphérie puis les ramène au centre; la figure de Frate Dolcino, hérétique, semble dessinée d'une seule spirale comme le Christ de Claude Mellan, mais le bout du trait est enfin relié à son point de départ par une courbe brusque.

L'ironie de ces contes ou de ces vies n'est que rarement accentuée comme au début de MM. Burke et Hare assassins: «M. William Burke s'éleva de la condition la plus basse à une renommée éternelle»; elle est plutôt latente, répandue sur toutes les pages comme un ton discret et d'abord invisible. M. Schwob, au cours d'un récit, ne sent jamais le besoin de faire comprendre ses inventions; il n'est aucunement explicatif: cela encore donne une impression d'ironie par le contraste naturel que nous découvrons entre un fait qui nous semble merveilleux ou abominable et la brièveté dédaigneuse d'un conte. Mais, à un très haut degré, devenue tout à fait supérieure et désintéressée, l'ironie confine à la pitié; enfin, il se fait une métamorphose et nous ne voyons plus les lumières de la vie que comme «des petites lampes qui éclairent à peine la pluie obscure». L'ironie a dévoré sa cause, nous ne savons plus nous distinguer d'avec les misères qui nous faisaient sourire et nous aimons l'erreur humaine dont nous faisons partie: diminuée de l'intérêt que nous donnions à notre supériorité, la vie ne nous apparaît plus que comme une petite chambre d'hospice où des poupées mangent des grains de mil dans des sous d'étain: c'est le douloureux et pourtant cordial Livre de Mortelle, chef-d'oeuvre de tristesse et d'amour.

Il n'y a qu'un défaut dans Monelle, c'est que le premier chapitre est une préface et que les paroles de Monelle, obscures et fermes, n'ont point d'application inévitable dans l'histoire de Madge, de Bargette ou de la petite Femme de Barbe-Bleue, toutes pages, et d'autres, d'une psychologie infiniment délicate, avec ce qu'il faut de mystère pour relever un récit d'entre les anecdotes. M. Schwob a voulu faire dire à ces douces petites filles plus de choses que peut-être n'en contient leur petite tête étonnée, et même celle de Monelle: à faire alterner les explications et les figures, on gêne celui qui voudrait trouver tout seul l'explication de la figure; il a couru le risque, parfois, de tuer ses imaginations par ses raisonnements. Il faut goûter les unes et les autres, mais successivement, et ne pas trop vouloir jouir de Monelle selon les paroles de Monelle. Les préfaces dérangent les lignes d'une oeuvre d'art; celui qui regarde ou qui lit ne comprend pas selon qu'il est écrit par des taches ou des caractères; il ne comprend pas selon le génie du poète, mais selon son propre génie. J'ai vu un livre qui à un tel sembla de pur sensualisme, incliner un autre lecteur à des vues métaphysiques et un autre à des pensées seulement tristes. Laissons à ceux que nous sollicitons le plaisir d'une collaboration ingénue.

Pourtant nous ferons toujours, et M. Schwob fera toujours des préfaces, mais, des siennes, qui en valent la peine, on ordonnera des livres, à mesure, dans le goût de Spicilège, et nous ne serons pas distraits par le devoir de changer à chaque chapitre la robe de notre poupée.

Elle est d'ailleurs importante, cette préface de Monelle, pour la psychologie de M. Schwob et pour la psychologie générale d'une période; j'y vois notées en phrases décisives et prophétiques presque toutes les notions qui sont demeurées communes aux intellectuels d'une génération: le goût d'une morale surtout esthétique, d'une vie sentie dans le résumé d'un moment, d'un infini qui se peut encercler dans l'espace de l'heure présente, d'une liberté insoucieuse de son but. L'humanité est pareille à un filet nerveux, c'est-à-dire discontinu, formé d'une série de petites étoiles dont les chevelures, dans un mouvement incessant, touchent les chevelures voisines, au hasard pendant le sommeil et, dans la veille, selon des volontés, dont le caprice fait les dissemblances humaines; si l'on coupe un morceau central du nerf, les cheveux s'allongent au-dessus de la blessure, parce qu'ils sentent le besoin de toucher d'autres cheveux: de petits égoïsmes vitaux sont juxtaposés dans l'infini.

Les livres de M. Schwob engagent à réfléchir après qu'ils ont plu par l'imprévu des tons, des mots, des faces, des robes, des vies, des morts, des attitudes. C'est un écrivain des plus substantiels, de la race décimée de ceux qui ont toujours sur les lèvres quelques paroles neuves de bonne odeur.


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