Le IIme livre des masques
PAUL CLAUDEL
On a toujours vu les hommes supérieurs, dès qu'ils n'ont pas de goût à diriger la civilisation, vivre en dehors de la civilisation. Celui-ci, dont le nom est presque inconnu, n'a jamais coudoyé ses frères; à la première occasion il est parti, voué, farouche, à un consulat lointain; pour caverne, il a une pagode abandonnée et, sûr qu'elles ne voient pas son âme, il promène ses yeux parmi les fourmis jaunes. Mais ces détails même n'intéresseront personne avant cinquante ans: l'auteur de Tête d'or est ici ou là, selon qu'il a choisi. Il importe, pour les bateaux, que le vent souffle d'ici ou de là; pour les livres, nullement: ils vont de tous les côtés à la fois, ils arrivent partout, venant de partout, épaves que les naufrages roulent dans des langes éternels. Tête d'or fut mis à la mer un jour par un homme qui écrivit en français avec génie, il y a sept ou huit ans, et qui depuis s'est tu.
Je la prendrai par les épaules et toi par les pieds.
(Ils soulèvent le corps.)
Pas ainsi! Qu'elle repose la face contre le fond.
(Ils la descendent dans la fosse.)
CÉBÈS
Qu'elle repose.
SIMON
Va dans la fosse où tu ne recevras pas la pluie!
C'est avec cette simplicité grandiose qu'un homme enterre son amour. L'oeil de celui qui regarde est au niveau de la douleur humaine, un peu plus haut: alors, tout s'exalte et les mots pleurent avec sérénité. Ce qui disparaît était tout, mais n'est plus rien: une femme, les nuits vécues, les fleurs vues ensemble, la vie écoulée comme du sable d'une main dans une main, enfants! le jeu est le jeu et la mort est la mort, mais pas davantage.
Ecoute ceci que mourante elle serrait ma main sur sa joue
Et me la baisait, fixant sur moi ses yeux.
Et elle disait qu'elle pourrait me chanter des présages.
Comme une vieille barque arrivée à la fin de la mer ...
... Ma fortune féminine! Mon amour
Plus doux que le duvet que s'arrache le cygne polaire de
dessous les ailes!
Va-t'en dans la fosse.
CÉBÈS
Veux-tu que je t'aide à l'ensevelir?
SIMON
Oui.
Je le veux. Fais cela avec moi; et que cela ne soit pas oublié!
Ces premières pages sont bien le signe du tout. Quelle douloureuse tragédie de la mort et du néant! L'infini humain se réduit à une petite princesse clouée par les mains: il y a un conquérant, «car l'homme est une tragédie dont le héros est le vers conquérant»; d'ici le dénouement, il faut agir selon une action d'amour égoïste, jouir de tout en méprisant tout. De la nuit éternelle nous allons à travers des obstacles vers la nuit éternelle, nous sommes un drapeau qui flotte une journée au bout d'un mât et qu'on rentre le soir et qui ne reverra jamais la lumière. Que l'enfant de la mort, avant de mourir, secoue sa tête, s'il en a la force et qu'il produise dans l'air la rumeur du chêne dont le vent remue la chevelure. Il n'y a que des gestes; les uns font du mal, ils sont pareils à ceux qui ne font rien que des signes dans l'air:
Je l'ai tué sans le voir, comme un gibier que l'on chasse en
rêve,
Ou comme le voyageur qui se hâte vers l'auberge arrache
l'importune fougère.
Un sentiment profond de la mort implique un sentiment profond de la vie. Celui qui ne meurt pas une fois par jour ignore la vie; les cigales sont des crécelles: elles chantent la vie qu'elles nient par leur stupidité; elles ne savent pas que cette lumière renaîtra sans elles; «cette journée et les autres jours seront la vie d'autres gens»: il faut sentir cela pour que toute l'amertume des piqûres du soleil se change en baume. L'amour de la vie toute bonne et simple est triste comme le regard d'un chien. Mourir, c'est laisser en proie au hasard des yeux les yeux qui vous parlent. Tête d'or voit mourir Cébès:
D'abord, c'est Mai joli, puis la saison se termine et les
hommes tombent comme des pommes.
L'heure est finie. Mais écoutez, à toute les heures, la chute des pommes: ainsi vous saurez que vous vivez encore. Cébès meurt,
La Mort l'étrangle avec ses douces mains nerveuses,
et il fait un soir d'été.
Comme c'est beau, un soir d'été!
Le silence béni s'emplit
De l'odeur du blé qui fait le pain.
Les seigles, et les luzernes, et les sainfoins et les haies,
Les rondes au sortir des villages, la tranquillité de tous
les êtres....
Et Cébès meurt. Et Tête d'or, des bras du cadavre passionné, bondit à l'action avec un désespoir froid, un mépris sombre; il pense, dès cette minute, ce qu'il dira plus tard:
Quelle différence y a-t-il entre un homme et une taupe qui
sont morts,
Quand le soleil de la putréfaction commence à les mûrir
par le ventre?
Simon est devenu le conquérant, Simon Agnel, que ses cheveux de femme blonde disent Tête d'or. Général vainqueur, il tue l'Empereur et s'empare du trône. La scène est shakespearienne, et même trop; avec ses revirements de la foule dominée par une volonté, elle rappelle trop l'ironie de Jules César. L'ironie, dans Shakespeare, est plus sûre, plus vraie, plus simple; l'auteur de Tête d'or nous montre trop la logique dans l'illogisme de la foule, mais cela reste beau par le tonnerre de paroles hautaines et brutales et par un geste: Tête d'or a jeté son épée au peuple qu'il veut mépriser et maîtriser les mains inermes; sur un signe, le peuple vaincu rapporte à genoux l'épée.
La fille de l'Empereur s'avance; elle n'est plus rien; le peuple lui parle avec une haine de peuple, non profonde, mais jaillie de la joie de voir souffrir une princesse, une beauté héréditaire, une grâce innée:
A présent, va-t'en vivre de glaner et de ce que te donneront
les pauvres pour s'amuser de toi,
Quand tu leur raconteras que tu fus reine
Va, épouse un rustre, travaille! Que le soleil brûle ton visage
et roussisse tes mains!
Et on la revoit mendiante, plus tard, secourue par un cavalier qui, pour mourir, rejoint une bataille, et la princesse mange le pain dur tiré d'une fonte:
O bouchée noire! bouchée de pain plus chère que la bouche
même!
Nous sommes à ce plus tard, et voici qu'un soldat déserteur survient et dans la mendiante de pain reconnaît la princesse, et comme elle est seule et faible, il se venge sur cette beauté dégradée de sa lâcheté, de sa misère, de sa bassesse. Aventure inexprimablement tragique: il la cloue par les mains à un arbre, comme par les ailes, un émouchet:
Le sang jaillit de mes mains! mais malgré ces bras renversés,
je reste ce que je suis.
Je suis fixée au poteau! mais mon âme
Royale n'est pas entamée et, ainsi,
Ce lieu est aussi honorable qu'un trône.
Cependant Tête d'or est blessé. On le croit mort et on l'étend dans la nuit non loin de l'arbre dont les branches tombantes cachent la reine agonisante. Elle se réveille de sa douleur, elle crie; Tête d'or sort de la mort, se traîne, arrache les clous. La princesse délivrée lui pardonne et l'aime, mais Tête d'or veut mourir seul, comme un roi, sans espoir et sans amour. Héros sauvage, il chante un chant de mort:
Ah! je vois du nouveau! Ah! Ah!
O soleil! Toi mon
Seul amour! A gouffre et feu! ô sang, sang, ô
Porte! Or, or! Colère sacrée!
Je vois donc! O forêts roses, lumière terrestre qu'ébranle
l'azur glacé!
Buissons, fougères d'azur!
Et toi, église colossale du flamboiement,
Tu vois ces colonnes qui se dressent devant toi pousser vers
toi une adoration séculaire!
Ah! ah! cette vie!
Verse un vin âpre dans la souffrance! Emplis de lait la
poitrine des forts!
Une odeur de violettes excite mon âme à se défaire!
LA PRINCESSE
Est-ce là mourir?
LE ROI
O Père,
Viens! ô Sourire, étends-toi sur moi!
Comme les gens de la vendange au devant des cuves
Sortent de la maison du pressoir par toutes les portes,
Mon sang par toutes ses plaies va à ta rencontre en triomphe!
Je meurs. Qui racontera
Que mourant, les bras écartés, j'ai tenu le soleil sur ma
poitrine comme une roue?
O Bacchus, couronné d'un pampre épais,
Poitrine contre poitrine, tu te mêles à mon sang terrestre!
bois l'esclave!
O lion, tu me couvres, tu poses tes naseaux sur mon menton!
O ... cher ... chien!
Sacrée, la princesse reçoit les insignes de la royauté, ironie qui efface Tête d'or, sa vie, sa gloire, sa mort,—et quelle pitié quand la petite main déclouée ne peut se fermer sur le sceptre: un officier lui presse le poing, courbe un à un ses doigts déshonorés!
Mais ayant baisé les lèvres de l'usurpateur, elle meurt aussi, car il faut que la toile tombe sur la scène comme une taie sur les yeux.
Ce que cette littérature forte et large doit aux tragiques grecs, à Shakespeare, à Whitman, on le sent plutôt qu'on ne peut le déterminer. Il y a là une originalité puissante appuyée à ses premiers pas sur la main paternelle des maîtres: mais pour s'appuyer à ces mains hautes comme des cimes, il faut être naturellement grand. Telle image avoue son origine; que d'autres frappent par l'impudeur de leur beauté neuve!
... O la Marne dorée
Où le batelier croit qu'il vogue sur les coteaux, et les pampres
et les maisons!
cela, sans doute, n'est que la paraphrase du vers d'Ausone; c'est la Moselle, où
... vitreis vindemia turget in undis.
Mais l'habitude constante de l'auteur de Tête d'or est de puiser dans le souvenir de ses yeux; il a une puissante mémoire visuelle; il voit les pensées écrites dans les gestes de la nature: «Les hommes, comme des feuilles dans le magnifique Mai, se donnaient des baisers tranquilles»; et ceci, d'une femme pleurant sur un cadavre:
Voyez comme elle se penche, pareille au tournesol
défleuri,
Qui tourne tout entier son visage de graines vers la terre.
Et ceci:
L'heure est triste comme le baiser de deux femmes en deuil.
Cette vision de l'Adieu:
La figure de la Cueilleuse de fleurs qui chante
S'efface tellement dans l'épais crépuscule
Qu'on ne voit plus que ses yeux et sa bouche qui paraît
violette.
Le ciel, sans abaissement, rendu sensible pour
notre imagination:
La transparente garenne d'étoiles, chasse brumeuse du Sagittaire.
C'est la vie vue à travers un éblouissant réseau d'images, la vie même, mais avec toute sa féerie intérieure; toute la nature tremble et rêve dans ces versets lents, comme une femme portée dans une barque à travers le soir. Les abstractions mêmes lèvent des bras où le sang coule en bleu; voici «les Victoires qui passent sur le chemin comme des moissonneuses, avec les joues sombres comme le tan,—Couvertes d'un voile et appuyant un tambour sur leurs cuisses d'or». Des images sont d'une énergie comme surgie de l'obscurité de la conscience nerveuse, des images qu'on dirait nées, çà et là, le long d'un corps pensant, dans les plexus:
... A quoi
Quand mon corps comme un mont hérisserait
Un taillis de membres, emploierais-je ma foule?
...............................................
Nous avions réuni nos bouches comme un seul fruit
Avec notre âme pour noyau.
Les accidents les plus vulgaires de la vie animale se haussent à des significations nobles; l'on voit les mourants d'un champ de bataille «bourbiller comme des crevettes».
Pleine d'images, cette tragédie est pleine d'idées; le solitaire «a un compagnon partout: sa propre parole»; «le sang, l'homme doit le répandre comme la femme, son lait»; et toutes, images et idées, créatures d'une magnifique richesse de sang, de cheveux, de peau, vivantes et belles, se meuvent et fleurissent dans la forêt somptueuse d'une tragédie surhumaine.
Il ne s'agit que de Tête d'or et déjà mes paroles débordent, sans atteindre peut-être à la hauteur grave dont il faudrait donner l'impression. On est entré dans un génie vaste où les pas résonnent sur les dalles d'écho en écho: la multiplicité des sons pourrait empêcher qu'on ait bien entendu ce que des voix disent tout bas derrière les piliers.
En ce temps où l'opinion, en littérature, obéit aux gestes honteux de plusieurs indigences intellectuelles, il est inutile de qualifier autrement que par des allusions le talent de l'auteur de Tête d'or. Dirions-nous qu'il a le don du tragique et, en puissance, toutes les vertus d'un grand poète dramatique: peu de têtes se retourneraient et peu sans un mauvais sourire. D'ailleurs, il s'est enfermé volontairement dans un tombeau à secret, fakir de la gloire qui a préféré être ignoré que d'être incompris. L'attitude, qui est belle, est rassurante. Donné par le poète (lui-même, il est très vrai) le mot d'ordre du silence a été gardé depuis sept ans avec une religion vraiment exemplaire, mais ceux qui ont souffert de se taire me pardonneront peut-être d'avoir parlé. Je ne voudrais pas avoir vécu dans un temps où seule l'infernale médiocrité ait été louangée; et si j'erre, j'aime mieux que cela ne soit pas le long de la rive d'ombre.
Relu, Tête d'or m'a enivré d'une violente sensation d'art et de poésie; mais, je l'avoue, c'est de l'eau-de-vie un peu forte pour les temps d'aujourd'hui; les fragiles petites artères battent le long des yeux, les paupières se ferment: trop grandiose, le spectacle de la vie se trouble et meurt au seuil des cerveaux las de ne jamais songer. Tête d'or dramatise des pensées; cela impose aux cerveaux un travail inexorable à l'heure même où les hommes ne veulent plus que cueillir, comme des petites filles, des pâquerettes dans une prairie unie; mais il faut être impitoyable à la puérilité: c'est pourquoi nous exigeons de l'auteur de Tête d'or et de La Ville l'oeuvre inconnue de sept années de silence.
RENÉ GHIL
M. René Ghil est un poète philosophique. Sa philosophie est une sorte de positivisme panthéiste et optimiste; le monde évolue, du germe à la plénitude, de l'inconscience à l'intelligence, de l'instinct à la loi, du droit au devoir,—vers le mieux. C'est la théorie du progrès indéfini, mais affecté de sentimentalisme; c'est le transformisme par l'amour. Plus brièvement, quoique peut-être avec moins de clarté, on pourrait appeler cela un positivisme mystique.
Ce positivisme mystique est, à vrai dire, le positivisme même, celui de Comte et de ses plus fidèles disciples. Car, tandis que, dans la série des notions générales, positivisme prenait le sens, tout moderne, de réalisme philosophique, pour les adeptes, le mot gardait un sens religieux, sentimental et presque amoureux.
Absolument, le positivisme est le christianisme retourné bout pour bout; ce que l'une des croyances met au commencement, l'autre le met à la fin; c'est une question topographique: le paradis terrestre a-t-il été la première étape de l'humanité, ou en sera-t-il la dernière? Les gens irrespectueux classent cette question dans l'histoire des superstitions populaires; ils constatent que la croyance au paradis terrestre initial a été et est encore répandue sur tous les points du globe; ensuite, ils constatent encore, et avec non moins de plaisir, que la croyance au paradis terrestre futur, si l'on néglige le millénarisme et quelques autres rêveries, fit sa première apparition dans le monde vers le début du XVIIIe siècle; des recherches méthodiques fixeraient facilement une date qui doit être contemporaine des écrits utopistes de l'abbé de Saint-Pierre, homme d'un génie aventureux.
Favorisée par les observations de Darwin et la philosophie allemande du devenir, aussi par la puissante illusion du progrès matériel, l'idée du paradis terrestre futur est devenue la base du socialisme: aujourd'hui, toutes les populaces européennes sont persuadées que la réalisation du bonheur social est scientifiquement possible.
Ainsi donc, en haut, des esprits cultivés croient à la venue de plus de justice, de plus de bonté, de plus d'amour, de plus d'intelligence; en bas, des esprits simples croient à la venue d'un bonheur tangible, réel, corporel: jamais un milieu plus favorable ne s'est offert à un poète décidé à chanter les joies de l'avenir. Si M. René Ghil n'avait pas faussé comme à plaisir son talent et son instrument, il aurait pu être ce poète, celui qui dit au vaste peuple sa propre pensée, qui clarifie ses obscurs désirs. La langue dont a usé M. Ghil lui a rendu ce rôle impossible.
Nous voici au chapitre de la Méthode intitulé: Manière d'art: Instrumentation verbale.
On connaît le phénomène de l'audition colorée. Intrigués par le sonnet de Rimbaud, des physiologistes firent une enquête; et à cette heure il est avéré que certaines personnes perçoivent les sons à la fois comme des sons et comme des couleurs. Ces perceptions doubles, outre qu'on les croit assez rares, diffèrent, quant aux couleurs, selon les sujets:
A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu ...
Voilà qui excite aussitôt la contradiction du choeur des sympathiques malades, et aussi l'étonnement des autres, de ceux pour qui les sons demeurent obstinément invisibles. Sans être affligé du mal de l'audition colorée, on peut néanmoins, si l'on réfléchit, associer une couleur et un son; personnellement, je contesterais la classification de Rimbaud, pour dire par exemple: U noir, O jaune, et je serais en contradiction avec M. Ghil qui classe l'U dans les ors et l'O dans les rouges.
M. Ghil, d'autre part, a voulu lier le bruit des consonnes aux sons d'une série d'instruments d'orchestre; ainsi: r avec une lettre rouge, o, par exemple, répond à «la série grave des Sax» et aux idées de domination, de gloire, etc.; la même lettre r jointe à une lettre or, u, par exemple, répond à «la série des trompettes, clarinettes, fifres et petites flûtes et aux idées de tendresse, du rire, d'instinct d'aimer», etc.
Les mots assument donc, en dehors de leur sens interne, un autre sens, extérieur, moins précis, qui leur est départi par les lettres dont ils sont formés; de là, la possibilité: soit de renforcer une idée en l'exprimant avec des mots contenant des syllabes appartenant par leur son à cette famille d'idées; soit de faire courir sous l'idée exprimée par les mots un sens contradictoire ou atténué, en choisissant ses mots dans une série instrumentale différente.
C'est fort ingénieux. Mais, si le principe de l'instrumentation verbale peut s'expliquer et peut se comprendre, il ne peut être ni senti ni même perçu, le long de l'oeuvre du poète, par un lecteur même prévenu et de très bonne volonté. Si je vois les U en noir et les O en jaune, tout l'orchestre coloré de M. Ghil jouera faux pour mon imagination visuelle, et l''r et l'o, au lieu de sonner comme des cuivres glorieux, me donneront, si on les joint, l'ingénuité des petites flûtes.
Il ne veut pas dormir, mon enfant ...
mon enfant
ne veut dormir, et rit! et tend à la lumière
le hasard agrippant et l'unité première
de son geste ingénu qui ne se sait porteur
des soirs d'Hérédités,—et tend à la lumière
ronde du haut soleil son geste triomphant
d'être du monde!...
Ces vers simples et clairs donneraient, selon M. Ghil, une succession de tons dont les premiers sont: bleu, blanc, rose, vermillon, rouge, bleu. Je suis arrêté par les mots: mon enfant, la grammaire instrumentale étant muette sur la couleur des nasales, qui sont pourtant des voyelles. L'accompagnement le long de ces cinq couleurs pourrait être de violon, harpe, etc. Le mot lumière se traduit par de l'or mêlé de blanc et de bleu, ce qui est assez heureux.
Mais je ne veux pas insister sur une méthode à laquelle je ne crois pas et qui a été si dangereuse pour le seul poète qui y ait cru réellement, M. René Ghil, lui-même. Ses vers ont heureusement une valeur que la fantaisie instrumentale a diminuée sans l'effacer complètement. Le jour où le poète du Dire du Mieux oublierait que les voyelles sont colorées et que les consonnes sonnent comme des cors ou des violes, nous aurions un barde un peu rude et un peu lourd, mais capable peut-être d'épopées, sûrement de larges et profonds lyrismes.
Telle qu'elle est, l'oeuvre de M. Ghil chante avec force la vie, la terre, les usines, les villes, les labours, la fécondité des ventres et des glèbes. Il est obscur, volontairement; il est brutal, quelquefois avec grandeur. Quand le sujet de son poème est vraiment riche d'images et d'idées, il les rassemble toutes, avec la fièvre du botteleur que presse l'orage, et il nous les jette tout odorantes encore de la terre dont elles sont nées; il s'agit du livre III du Voeu de Vivre, tableau tourmenté d'une nature ivre et en sueur:
Oh! la Terre
la Terre! en les sueurs et le hâle:
et l'odeur, l'aiguë odeur d'engrais
vit, et de terre grasse et de glu de ma mis
qu'emporte dans son poil la taure allant au mâle
giglant lié aux portes sourdes, tout vermeil ...
C'est de la peinture à pleine pâte, jetée fougueusement, aplatie au couteau sur la toile comme sur une palette. La mort de la vieille paysane, qui agonise pendant que ronfle la machine à battre, est une belle page: et avec quelle simplicité grave est dite la vie de la mère de toute la maison:
Vous Autres! elle a été la Femme-Forte
qui sur le seuil assise sut garder la porte
de tout malheur et de tout étranger: elle a
été autant que tous les hommes que voilà,
vaillante à l'oeuvre de la terre: elle a
été, autant que toutes Femmes que voilà,
grosse de l'ouvre des entrailles, et les mâles
qu'elle a portés ont trouvé doux et nourrissant
le lait de ses mamelles autant que le sang
de son ventre aux veines larges et animales....
Il y a plusieurs jolies chansons intercalées à propos dans ce poème champêtre; en voici une pour montrer que M. René Ghil n'est pas toujours le sourd marteleur dont les vers ont des gémissements rauques:
En m'en venant au tard de nuit
se sont éteintes les ételles:
ah! que les roses ne sont-elles
tard au rosier de mon ennui
et mon amante, que n'est-elle
morte en m'aimant dans un minuit.
Pour m'entendre pleurer tout haut
à la plus haute nuit de terre
le rossignol ne veut se taire:
et lui, que n'est-il moi plutôt
et son Amante ne ment-elle
et qu'il en meure dans l'ormeau.
En m'en venant au tard de nuit
se sont éteintes les ételles:
vous lui direz, ma tendre mère,
que l'oiseau aime à tout printemps ...
mais vous mettre le tout en terre,
mon seul amour et mes vingt ans.
Arrivé à la partie de son oeuvre qu'il appelle l'Ordre Altruiste, M. René Ghil s'engage dans les sombres défilés d'un dangereux didactisme: il nous initie aux mystères de la formation des cellules primordiales, mères lointaines de la triste humanité qu'il voudrait rénover et moraliser. C'est un petit traité de chimie biologique ou peut-être d'histologie élémentaire; il est assez difficile de s'y reconnaître; mais cela serait bien inutile, puisque nous avons sur toutes ces matières une abondante littérature scientifique. Il n'est pas certain que la Science soit le «meilleur devenir»; elle tend, par sa croissante complexité, à ne plus guère représenter qu'un amas de notions infiniment incohérentes; l'heure des synthèses est passée. On nous soumet périodiquement, avec emphase, de nouvelles théories de la vie; elles sont bonnes durant quelques mois, parce qu'elles nous font réfléchir, mais aucune n'a encore proféré la première lettre de la première syllabe du mot. Les autorités scientifiques de M. Ghil ne sont plus bonnes et quelques-uns de ses répondants, les Ferrière et les Letourneau, ne furent jamais des autorités. D'ailleurs il s'agit de poésie, et, sans nier que le Phosphore puisse être chanté à l'égal des Dieux, il nous est assez indifférent que le poète, résigné à cette tâche, soit au courant des derniers travaux du laboratoire de biologie et de physiologie expérimentales; il nous plairait seulement qu'il eût exprimé de la beauté, de la vie ou de l'amour, qu'il eût égalé Lamartine ou Verlaine. Mais M. Ghil, acharné à comprendre, se fait mal comprendre et son originalité s'éteint souvent sur le seuil de nos intelligences comme un fanal allumé à la pointe des récifs par un naufragé solitaire. Il s'enfonce fièrement dans les brouillards et dans les embruns de son orgueil, et la nuit retentit de vagissements prodigieux; des mots sonnent sous la lune voilée, qui ne sont d'aucune langue et tombent nuls dans les oreilles humaines. A la vérité, on comprend, lorsqu'on le veut absolument, les phrases de M. Ghil, mais ainsi que l'on comprend une symphonie très rude et ponctuée de dissonances; à travers le chaos des néologismes, l'amoncellement des vocables défilés du fil de la syntaxe, on démêle de sérieuses intentions; M. Ghil garde une grande sérénité dans le paradoxe, et sa conviction d'être sincère amène parfois au-dessus du torrent grondant de son verbe une flottille agréable d'herbes et de fleurs. J'ai cité déjà quelques beaux fragments; il y en a beaucoup de pareils dans les dix petits volumes qu'il a offert à nos efforts divinatoires,—mais vraiment, ceci:
IX
Le rudiment hésitant se retrouve
complexe et sûr aux nuits humides de l'ovaire
et des lourds génitoires, de l'oogone et
de l'anthéridie en la même algue où itère
le génital attrait de deux pôles!
ou ceci:
X
Tout étonnés et languissants de l'éparrant
choc en retour,
qui de tous Sens de notre grand
néoraxe impressionna, d'éclair! et à les rendre
notre présente réduction,—nos germes à
s'unir en ustion de leur phosphore,
cendre
vivante et qui efferve....
ceci ou cela n'appartient à aucun langage connu, et aucune musique verbale ne tempère l'horreur de telles incohérences. Je sais bien que, même ici ou là, l'intention est encore grave et que toute idée de mystification ou de démence doit être écartée: cependant M. Ghil, s'il procède à un examen de conscience, ne conviendrait-il pas, à cette heure, du droit évident des railleurs?
Le dernier volume de l'Ordre Altruiste (et de l'Oeuvre, provisoirement) est beaucoup mieux écrit: il y a des tentatives certaines, peut-être volontaires, peut-être inconscientes, de clarification. Des manières de dire, d'une préciosité encore rude, y sont curieuses; ainsi en ce passage un peu technique où il est enseigné à l'enfant que les mots ont avec les choses qu'ils dénomment des rapports de surface, d'aspect, et non d'essence:
Les mots ne disent point en même temps l'Essence
et la mesure: et
c'est pourquoi, dedans les roses
qu'ils te nomment de loin, la nature des Choses
demeure vierge de tes doigts et de ton vain
esprit....
et tout le motif des roses, et ses rappels, et la page de l'Amphore, et:
indulgentes longtemps rêvent les vierges, qu'aime
un midi de lumière et d'antiques rameaux....
Ce dernier volume est donc une indication du poème dont serait capable M. Ghil le jour où il secouerait le harnais qu'il endossa volontairement et qui paralyse son talent. L'art appartient en grande partie au domaine de l'inconscient, de cette intelligence obscure et magnifique qui rêve en certains cerveaux privilégiés; l'intelligence ordinaire, active et visible, ne doit avoir en art que le rôle de prudente et timide conseillère; si elle veut dominer et diriger, l'oeuvre se fausse, se brise, éclate comme sous de maladroits marteaux. En d'autres termes, c'est le génie qui compose une oeuvre et c'est le talent qui la corrige et l'achève; chez M. Ghil la spontanéité a été dévorée par la volonté.
Qu'il s'évade donc de ses méthodes et surtout de sa dangereuse instrumentation; guidé par ses seules forces naturelles, il entendra et nous fera entendre plus clairement
les métamorphoses
De la voix humaine dans la voix des roseaux.
ANDRÉ FONTAINAS
Des esprits abondent en désirs; leur volupté est de cueillir le plus grand nombre de fleurs et d'images; la fièvre de l'idée exalte leur activité cérébrale: ils doivent se réaliser perpétuellement, ou mourir. D'autres, après de brèves périodes d'action, entrent en sommeil; ou bien, le jeu de leur imagination est si lent qu'il faut des années de moulin pour que la farine pleuve autour du blutoir. Il s'agit du genre et non de la qualité des meules: Alfred de Vigny, qui fut un des plus grands, fut un des plus lents parmi les poètes de notre siècle.
Et en regardant autour de nous, avec quelle précaution majestueuse ne voyons-nous pas Léon Dierx espacer le long de sa vie de nobles et mélancoliques floraisons. Il ne faut donc avoir nulle surprise devant l'infécondité de certains poètes: à peine devrons-nous en rechercher la cause, qu'elle ait nom dédain, dégoût, défiance, ou placidité.
M. Fontainas ne semble pas le poète des violentes et fréquentes émotions. Il représente le calme des lacs abrités et des palais sans tragédies. La vie lui est apparue telle qu'un prétexte à songer, l'oreille ouverte à de rares musiques, l'oeil à demi-clos tendu vers de sereines, et lointaines visions dont, bientôt fatigué, il se détourne avec une résignation qui n'est pas sans amertume:
Je fus le banneret lassé que nul espoir ne lente.
Il serait cependant maladroit d'identifier sa psychologie avec celle de ce chevalier découragé dont les soupirs sont du désespoir:
En mon âme d'ennui jamais ne s'élève
Le désir d'un désir ni le rêve d'un rêve....
Un tel état d'âme serait impropice à la poésie, et puisque M. Fontainas a fait dés vers et même de beaux vers, il faut bien qu'il y ait en lui quelques nerfs sensibles et quelques veines prêtes à se gonfler par le désir, la colère ou l'amour. Cela nous est d'ailleurs certifié par la tendresse mélancolique du poème qui scelle les Vergers illusoires:
J'entre dans le verger natal loin des allées
Qui conduisent aux bassins des rêves trompeurs
Par la clairière où l'air s'adoucit des vapeurs
Odorantes de buissons fleuris d'azalées....
Les joies qu'il n'a pas trouvées dans le monde extérieur, il les implore avec certitudes du bercail dont la porte ouverte attendit longtemps, et non pas en vain, l'aventurier. C'est assez bien le thème de l'Enfant Prodigue. Alors le poète entre dans le calme définitif où sa nature doit se plaire et où elle se prélasse avec un peu de complaisance.
Les vers de M. Fontainas ont certainement été écrits dans une oasis. Travaillés avec méthode, ils apparaissent comme des bronzes bien ciselés, débarrassés de toute mousse et de toute bavure: ainsi ils ont acquis une grande pureté de profil; les lignes sont nettes, les surfaces, harmonieuses, les contours, dégagés; l'ensemble est solide, sérieux et d'aplomb. Si les poèmes ordonnés avec de tels vers manquent presque toujours de fantaisie et d'imprévu, ils ont des qualités particulières: la certitude, la noblesse, l'ampleur, la force. Jusque dans le rêve, M. Fontainas garde une grande netteté de vision une lucidité parfaite; voici des songes composés comme ceux de Racine avec logique et clairvoyance, où les sensations et les images soigneusement enchaînées se déroulent selon d'impérieuses concordances. Telle est le poème,
Les nobles vaisseaux bercés le long de leurs amarres....
composition excellente et savante qui a toute la beauté et toute la froideur d'un jardin romain. Pour bien sentir la différence qu'il y a entre un poète réfléchi et un poète spontané, il faut comparer ce poème au Bateau ivre, de Rimbaud; il y a dans chacune de ces oeuvres exactement tout ce que l'autre poète n'aurait pu y mettre.
J'ai suivi des mois pleins, pareille aux vacheries
Hystériques, la houle à l'assaut des récifs,
Sans songer que les pieds lumineux des Maries
Pussent forcer le muffle aux Océans poussifs;
J'ai heurté, savez-vous? d'incroyables Florides.
Mêlant aux fleurs des yeux de panthères, aux peaux
D'hommes, des arcs-en-ciel tendus comme des brides,
Sous l'horizon des mers, à de glauques troupeaux....
Et maintenant:
Nos yeux veulent voir les grands mirages aveuglants,
Et, las de la vie et de ses landes monotones,
Se perdre aux vallons sans fin des astres ruisselants:
D'étranges forêts et l'orgueil fauve des automnes
Encadrent des lacs pensifs assoupis dans le soir
Aux vagues baisers épars des lentes argemones....
Voilà les deux tempéraments: le hasard de la sensation, les images arrachées brutalement par touffes, herbes et fleurs mêlées, l'ivresse d'une ruche que frappe un rayon de soleil sorti d'entre deux nuages; d'autre part: la sensation raisonnée, pressurée jusqu'à ce qu'il en sorte une image normale et raisonnable; des oppositions de mots choisis pour ce qu'ils contiennent de clarté et de vérité; une imagination logique, sage et calme. Il y a de l'imprudence dans cette expression absurde, mais qui frappe et séduit, les vacheries hystériques; il y a trop de prudence dans le mot argémone, car on suppose que si nous découvrons, par hasard, que cette plante est un vague pavot épineux, nous accepterons volontiers la somnifère douceur de ses baisers.
Comme tous les poètes sûrs de leur instrument et assurés qu'un excès d'émotion ne leur fera pas trembler la main, M. Fontainas est capable de très curieuses virtuosités. il n'abuse pas de son adresse à emmêler les sons et les images, peut-être par dédain, mais on voit qu'il serait très capable de composer en perfection les poèmes à forme fixe les plus compliqués et les plus décourageants. Voici une page à laquelle pour être une sextine il n'a manqué que la volonté du poète: alors Banville l'eût citée parmi les modèles, et elle semble d'ailleurs une fleur destinée à tous les futurs florilèges:
Sur le basalte, au portique des antres calmes,
Lourd de la mousse des fucus d'or et des algues
Parmi l'occulte et lent frémissement des vagues
S'ouvrent en floraisons hautaines dans les algues
Les coupes d'orgueil de glaïeuls grêles et calmes.
Le mystère où vient mourir le rythme des vagues
Exhale en lueurs de longues caresses calmes,
Et le rouge corail où se tordent des algues
Etend à la mer des bras sanglants dé fleurs calmes
Qui mirent leurs reflets sur le repos des vagues.
Et te voici parmi les jardins fleuris d'algues
En la nocturne et lointaine chanson des vagues,
Reine dont les regards pensifs en clartés calmes
Sont de glauques glaïeuls érigeant sur les vagues
Leurs vasques aux pleurs doux du corail et des algues.
Oui, voilà évidemment qui surpasse les forces intermittentes des poètes dispersifs: chacun, dans les champs de l'art, a sa place et sa besogne.
J'ai trouvé dans le volume de M. Fontainas des traces d'un emploi heureux de l'allitération et de la répétition; il use encore avec modération de ces artifices, souvent nécessaires, car l'assonance intérieure, par exemple, facilite singulièrement l'expression du rythme; elle est des plus légitimes dans le vers de douze syllabes, alors que l'écartement des finales empêche les rimes de donner toute leur sonorité.
Le cor de corne sonne au loin dans le hallier.
C'est fort joli. Et encore:
Les danses souples vont s'enlaçant par guirlandes,
Et les filles rieuses aux bras des garçons
Rythment folles avec leurs naïves chansons
Leurs danses en méandres souples par les landes.
Ceci est un peu précieux:
L'azur vert appâli d'une opale....
....................................
Nos pas suivaient le regard pâle de l'opale....
Et ceci, plutôt mauvais:
Le givre: vivre libre en l'ire de l'hiver.
A ces jeux il faut préférer le lent déploiement, comme de soies changeantes, des images translucides qui flottent et jouent sur l'Eau du fleuve:
Qui donc n'a vu des yeux du rêve
Léthargique s'épandre et se pâmer aux grèves
Et se tordre, boucles blondes
Que surchargent les pierreries,
La chevelure douloureuse de l'onde?
Ce dernier vers n'est-il pas beau et pur et d'une tragique simplicité?
Ecrite en vers libres, cette dernière partie du volume est la plus originale et la plus agréable. Là, s'il procède, pour la technique, de M. Vielé-Griffin, il n'est aucunement imitateur; l'influence est légitime et tout extérieure. Tandis que dans les Estuaires d'ombre M. Fontainas avait subi, trop exactement, l'empreinte de M. Mallarmé, dans l'Eau du Fleuve, il se rend personnel le mode prosodique qui s'est imposé à lui. Il donne alors au vers libre l'allure qu'il avait donnée à l'alexandrin; il le fait lent, calme, un peu solennel, sérieux, un peu sévère:
Midi s'apaise et les vagues s'allongent.
O rêves reposés de langueur et de charme,
O calmes songes!
Sur la mousse à l'ombre d'aulnes et d'ormes
Les pêcheurs paisibles dorment
Tandis qu'en l'eau presque mourante un long fil plonge.
Nul frisson ne court plus aux feuillages,
Le soleil ne jette aucun rayon,
Tout est calme....
Et c'est bien, dite avec grâce par lui-même, l'impression finale que donne la poésie de M. Fontainas: l'eau calme, grave et tiède d'une anse où, parmi les roseaux, les nénuphars et les joncs, le fleuve, dans la sérénité du soir, se repose et s'endort.
JEHAN RICTUS
Du temps que M. Gabriel Randon sculptait la Dame de Proue d'une nef qui n'a pas encore vu la mer, nul ne prévoyait que, nouveau Bruant, il dût lancer aux foules troublées les apostrophes argotiques, violentes et goguenardes qui ont fait à Jehan Rictus la réputation singulière d'un poète du pavé et d'un déclamateur du tréteau. Il y a des vocations soudaines et des aiguillages imprévus. M. Randon avait été l'une des voix de l'anarchisme littéraire, au temps où de futurs académiciens démolissaient (très peu) la Société au moyen de phrases élégantes et de sarcasmes spirituels. C'est à lui, je crois, qu'on doit le mot fameux: «Il n'y a pas d'innocent», mot terrible et digne d'un prophète plus biblique, opinion grave qui nous mettait plus bas que la ville maudite d'où Loth ne devait sortir, il est vrai, que pour donner un exemple fâcheux aux familles futures. Enfin, les poètes ayant réintégré leur campement, aux sources de l'Hippocrène, on s'aperçut de la disparition de celui qui taillait, avec un soin délicieux, la proue vierge d'un navire en partance pour les Atlantides: peu de temps après, nous fûmes informés de la naissance de Jehan Rictus et des Soliloques du Pauvre.
Il y avait une rumeur du côté de Montmartre: quelque chose de nouveau surgissait d'entre la foule des diseurs de gaudrioles et de bonne aventure; quelqu'un, pour la première fois, faisait parler, avec un abandon original et capricieux, le Pauvre des grandes villes, le trimardeur parisien, le loqueteux en qui il reste du bohème, le vagabond qui n'a pas perdu tout sentimentalisme, le rôdeur en qui il y a du poète, le misérable capable encore d'ironie, le déchu dont la colère s'évapore en malédictions blagueuses, dont la haine recule si
L'espoir luit comme un brin de paille dans l'étable,
dont l'amertume n'est que du désir ranci, l'homme enfin qui voudrait vivre et que l'égoïsme des élus rejette éternellement dans les ténèbres extérieures.
C'est là un type humain, admissible à la fraternité. Il posera peut-être une bombe, un jour de désespoir; il ne surinera pas un pante le long des fortifs. Entre ce Pauvre et les humanités basses que célébra M. Bruant, il y a toute la profondeur des douves qui séparent l'homme de l'animalité et l'art de la crapule.
Le Pauvre de Jehan Rictus penche certainement vers l'anarchisme. Comme il est privé de toute jouissance matérielle, les grands principes le laissent froid. Le Socialiste en paletot et le Républicain en redingote lui inspirent un identique mépris et il ne conçoit guère comment les malheureux, doucement leurrés par les politiciens gras, peuvent encore écouter sans rire la honteuse promesse d'un bonheur illusoire autant que futur. Il n'est pas sot, il pense à aujourd'hui et non à demain, à lui-même, qui a faim et froid, et non aux problématiques mômes encore prisonniers dans les reins faciles du prolétariat:
Nous ... on est les pauv's 'tits Fan-fans,
Les p'tits flaupés ... les p'tits fourbus,
Les p'tits fou-fous ... les p'tits fantômes
Qui z'ont soupe du méquier d'môme....
Elle est très amusante, cette ronde biscornue, la Farandole des Pauv's 'tits Fan-fans.
C'est surtout dans la première pièce du volume, l'Hiver, qu'il faut chercher la pittoresque expression de ce mépris du Pauvre pour tous les professionnels de la politique ou de la bienfaisance, pour les sereines pleureuses, entretenues par la misère qui les écoute et les paie, rentées par les larmes des crève-la-faim, pour tous les hypocrites dont le fructueux métier est de «plaind' les Pauvr's» en faisant la noce. Dans les sociétés égoïstes et avachies, nul commerce ne rapporte davantage que celui de la pitié, et la traite des Pauvres demande moins de capitaux et fait courir moins de dangers que la traite des nègres. C'est tout plaisir. Jehan Rictus dit cela ironiquement, en son langage:
Ah! c'est qu'on n'est pas muff' en France,
On n's'occup' que des malheureux;
Et dzimm et boum! la Bienfaisance
Bat l'tambour su'les ventres creux!
L'en faut, des Pauv's, c'est nécessaire,
Afin qu'tout un chacun s'exerce,
Car si y gn'avait pas d'misère,
Ça pourrait ben ruiner l'commerce.
Le poème le plus curieux, le plus étrange et aussi le plus connu des Soliloques est le Revenant. On en connaît le thème: le Pauvre attardé dans la nuit resonge à ce qu'on lui a conté jadis d'un Dieu qui s'est fait homme, qui vécut, lui aussi, pauvre parmi les pauvres, et qui, pour sa bonté et la divine hardiesse de sa parole, fut supplicié. Il était venu pour sauver le monde; mais la méchanceté du monde a été plus forte que sa parole, plus forte que sa mort, plus forte que sa résurrection. Alors, puisque les hommes sont aussi cruels, vingt siècles après sa venue, qu'aux jours de sa venue, peut-être l'heure a-t-elle sonné d'une incarnation nouvelle, peut-être va-t-il descendre pareil à un pauvre de Paris, de même que jadis il vécut pareil un pauvre de Galilée? Et il descend. Le voilà:
Viens! que j'te regarde ... ah! comm' t'es blanc.
Ah! comm' t'es pâle ... comm' t'as l'air triste....
..................................................
Ah! comm' t'es pâle ... ah! comm' t'es blanc.
Tu grelottes, tu dis rien, tu trembles
(T'as pas bouffé, sûr ... ni dormi!),
Pauv' vieux, va ...Si qu'on s'rait amis?
Veux-tu qu'on s'assoye su' un banc,
Ou veux-tu qu'on ballade ensemble?
..........................................
Ah! comme t'es pâle ... ah! comme t'es blanc!
Sais-tu qu't'as, l'air d'un Revenant?...
Et te Pauvre continue, faisant du Christ des misérables un portrait qui, trait pour trait, s'applique à lui, le Pauvre. L'idée n'est pas banale et je ne suis pas surpris qu'à l'audition, dit avec émotion et force par le poète, ce morceau soit d'un effet saisissant.
Plus loin, après avoir expose à Jésus combien sa religion a dégénéré avec la bassesse des prêtres et la lâcheté des fidèles, Jehan Rictus, le Pauvre, se souvient qu'il est aussi poète lyrique; il y a là une strophe qui est belle et qui le serait davantage en style pur:
Toi au moins, t'étais un sincère,
Tu marchais ... tu marchais toujours;
(Ah! coeur amoureux, coeur amer),
Tu marchais même dessus la mer
Et t'as marché jusqu'au Calvaire.
Cela finit par de durs reproches, qui ne manquent pas de grandeur:
Ah! rien n't'émeut, va, ouvr' les bras,
Prends ton essor et n'reviens pas;
T'es l'Étendard des sans courage,
T'es l'Albatros du grand Naufrage,
T'es l'Goëland du Malheur!
Ici, c'est l'idée de la résignation qui trouble le Pauvre; comme tant d'autres, il la confond avec l'idée bouddhiste de non-activité. Cela n'a pas d'autre importance en un temps où l'on confond tout et où un cerveau capable d'associer et de dissocier logiquement les idées doit être considéré comme une production miraculeuse de la Nature. Passons. Finalement le Pauvre reconnaît qu'il a interpellé son lamentable reflet dans la glace d'un marchand de vins. La conclusion de la troisième partie est brutale, mais bien dans le ton de sincérité libertaire qui anime les Soliloques: Toi qui as jeté les hommes à genoux, maintenant remets-les debout,
Y faut secouer au coeur des Hommes
Le Dieu qui pionc' dans chacun d'nous.
A la fin du livre intitulé Déception, il y a un morceau particulièrement curieux et qui n'est pas sans faire songer que la grande poésie n'est peut-être pas incompatible avec le style populaire, et souvent grossier, adopté par Jehan Rictus. Il s'agit de la Mort.
Tonnerr' de dieu, la Femme en Noir,
La Sans-Remords ... la Sans-Mamelles,
La Dure-aux Coeurs, la Fraîche-aux-Moëlles,
La Sans-Pitié, la Sans-Prunelles,
Qui va jugulant les pus belles
Et jarnacquant l'jarret d' l'Espoir;
Vous savez ben ... la Grande en Noir
Qui tranch' les tronch's par ribambelles
Et dans les tas les pus rebelles
Envoie son Tranchoir en coup d'aile
Pour fair' du Silence et du Soir!
Les apocopes et les mots déformés n'ont pu gâter tout à fait ces deux strophes, mais comme elles auraient gagné à être écrites sérieusement! Il m'est vraiment difficile d'admettre le patois, l'argot, les fautes d'orthographe, les apocopes, tout ce qui, atteignant la forme de la phrase ou du mot, en altère nécessairement la beauté. Ou, si je l'admets, ce sera comme jeu; or, l'art ne joue pas; il est grave, même quand il rit, même quand il danse.
Il faut encore comprendre qu'en art, tout ce qui n'est pas nécessaire est inutile; et tout ce qui est inutile est mauvais. Les Soliloques du Pauvre exigeaient peut-être un peu d'argot, celui qui, familier à tous, est sur la limite de la vraie langue; pourquoi en avoir rendu la lecture si ardue à qui n'a pas fréquenté les milieux particuliers où il semble que l'on parle pour n'être pas compris? Ensuite, l'argot est difficile à manier; Jehan Rictus, malgré son abondance, évolue assez difficilement parmi les écueils de ce vocabulaire. Beaucoup des mots qu'il emploie ne sont peut-être plus en usage, car l'argot, malgré ce qu'il retient de permanent, se transforme avec tant de rapidité que d'une année à l'autre les choses les plus usuelles ont changé de nom. Autrefois le grand mot des voleurs (et des autres), l'argent, ne gardait que très peu de temps son manteau argotique; constamment rhabillé, il échappait à la connaissance immédiate des non-initiés. Dès que le nom argotique de l'argent avait passé dans le peuple les voleurs en imaginaient un autre. Il paraît qu'il n'y a plus de jargon ou argot spécial aux voleurs; c'est-à-dire que son domaine se serait étendu et aurait pénétré jusque dans les ateliers et les usines: une telle langue n'en demeure pas moins une langue secrète.
Tout cela ne m'empêche pas de reconnaître le talent très particulier de Jehan Rictus. Il a créé un genre et un type; il a voulu hausser à l'expression littéraire le parler commun du peuple, et il y a réussi autant que cela se pouvait; cela vaut la peine qu'on lui fasse quelques concessions, et qu'on se départisse, mais pour lui seul, d'une rigueur sans laquelle la langue française, déjà si bafouée, deviendrait la servante des bateleurs et des turlupins.
HENRY BATAILLE
La confession est un des besoins spirituels de l'homme. Or, dès que l'homme a un peu d'intelligence, de sensibilité, de goût pour les jeux de l'esprit, il se confesse en langage rythmé: telle est l'origine de la poésie intime et personnelle. Il y a des élégies d'aveu ou de désespoir parmi les plus anciennes poésies connues, l'ode de Sapho ou le «Chant de la soeur dédaignée», retrouvé sur un papyrus hiéroglyphique, et admirable. Catulle s'est confessé avec tant d'ingénuité que toute sa vie sentimentale se trouve écrite dans ses poèmes déjà verlainiens. Les manuscrits du moyen âge sont pleins de confessions en rythme, mélancoliques et réprobatives, si elles sont l'oeuvre de moines ou de clercs pénitents, effrontées, à la manière d'Horace ou d'Ausone, si ce sont des Goliards qui ont chanté leurs amours et leurs ripailles. La poésie française la plus assurée de vivre et de plaire est celle où des âmes troublées dirent leur désir et leur peine de vivre: il y eut Rutebeuf, il y eut Villon, Ronsard et Théophile; il y eut Vigny, il y eut Lamartine, il y eut Baudelaire et Verlaine; il y en eut des centaines et le plus gauche à découvrir son coeur nous émeut encore après des années de cimetière ou des siècles de poussière.
En ces temps derniers on abusa un peu de cette poésie subjective. D'innombrables poètes atteints d'un psittacisme morbide et prétentieux s'appliquèrent à publier d'abondants décalques des aveux les plus célèbres: les arts d'imitation ne sont-il pas la gloire de notre industrie? Mais rares sont les confessions où l'on ne s'ennuie à aucune redite; rares, les hommes dont la perversité est originale, dont la candeur est nouvelle. Du nouveau, encore du nouveau, toujours du nouveau: voilà le principe premier de l'art. M. Henry Bataille s'y est conformé spontanément (c'est ainsi qu'il le faut) avec une délicate simplicité.
Ce que l'on connut d'abord de M. Bataille, c'étaient de petites impressions tendres, à propos de choses mystérieuses et vagues, d'une nature malade, évanouie, de femmes muettes qui passaient parfumées de douceur, de petites filles sages et déjà tristes, d'une enfance frêle et peureuse, des vers écrits dans la Chambre Blanche, des vers pour Monelle, peut-être... Le poète s'est refait tout petit enfant, jusqu'au conte de fées, jusqu'à la berceuse; mais l'intérêt est précisément dans le spectacle de cette métamorphose; et, à voir comment le jeune homme revit son enfance, on devine comment l'homme revivra sa jeunesse. Il y a toujours un oiseau bleu qui est parti et qui ne reviendra plus; hier est toujours le paradis perdu, et dans vingt ans M. Bataille songera encore:
Oiseau bleu, couleur du temps,
Me connais-tu? fais-moi signe:—
La nuit nous donne des airs sanglotants,
Et la lune te fait blanc comme les cygnes....
Oiseau bleu, couleur du temps,
Dis, reconnais-tu la servante
Qui tous les matins ouvrait
La fenêtre et le volet
De la vieille tour branlante?...
Où donc est le saule où tu nichais tous les ans,
Oiseau bleu, couleur du temps?
Oiseau bleu, couleur du temps.
Dis un adieu pour la servante
Qui n'ouvrira plus désormais
La fenêtre, ni le volet
De la vieille tour où tu chantes ...
Ah! reviendras-tu tous les ans,
Oiseau bleu, couleur du temps?
Et toujours il y aura des villages qu'on se souviendra d'avoir vu mourir un soir, et qu'on n'oubliera pas, et où l'on voudrait revenir,—oh! un seul instant, revenir vers le passé qu'on a vu mourir, un soir d'adolescence, un soir de jeunesse, un soir d'amour:
Il y a de grands soirs où les villages meurent—
Après que les pigeons sont rentrés se coucher.—
Ils meurent, doucement, avec le bruit de l'heure
Et le cri bleu des hirondelles au clocher ...
Alors, pour les veiller, des lumières s'allument,
Vieilles petites lumières de bonnes soeurs,
Et des lanternes passent, là-bas, dans la brume ...
Au loin le chemin gris chemine avec douceur ...
De toutes ces visions le poète enfin se détache avec une fermeté attristée:
Mon enfance, adieu, mon enfance.—Je vais vivre.
Nous nous retrouverons après l'affreux voyage,
Quand nous aurons fermé nos âmes et nos livres,
Et les blanches années et les belles images ...
Peut-être que nous n'aurons plus rien à nous dire!
Mon enfance ... tu seras la vieille servante,
Qui ne sait plus bercer et ne sait plus sourire....
Et ainsi jusqu'à la mort chacune de nos existences successives nous sera une belle et douce étrangère qui s'éloigne lentement et se perd dans l'ombre de la grande avenue où nos souvenirs sont devenus des arbres qui songent en silence....
Il y a donc, dans ce livre de l'enfance, toute une philosophie de la vie: un regret mélancolique du passé, une peur fière de l'avenir. Les poèmes plus récents de M. Bataille, encore épars, ne semblent pas contrarier cette impression: il y demeure le rêveur nerveusement triste, passionnément doux et tendre, ingénieux à se souvenir, à sentir, à souffrir. Quant à ses deux drames, la Lépreuse et Ton sang, sont-ils bien, comme l'auteur le croit, la transposition en action des mêmes sensations et des mêmes idées que, parallèlement, il transpose en poèmes? Poèmes et tragédies sont nés dans la même forêt, viornes et frênes, voilà tout ce que l'on peut affirmer: ils ont puisé à la même terre, au même vent, à la même pluie, mais la différence essentielle est celle que j'ai dite: les deux drames sont deux beaux arbres tragiques.
La Lépreuse est bien le développement naturel d'un chant populaire: tout ce qui est contenu dans le thème apparaît à son tour, sans illogisme, sans effort. Cela a l'air d'être né ainsi, tout fait, un soir, sur des lèvres, près du cimetière et de l'église d'un village de Bretagne, parmi l'odeur âcre des ajoncs écrasés, au son des cloches tristes, sous les yeux surpris des filles aux coiffes blanches. Tout le long de la tragédie l'idée est portée par le rythme comme selon une danse où les coups de sabots font des pauses douloureuses. Il y a du génie là-dedans. Le troisième acte devient admirable, lorsque, connaissant son mal et son sort, le lépreux attend dans la maison de son père le cortège funèbre qui va le conduire à la maison des morts, et l'impression finale est qu'on vient de jouir d'une oeuvre entièrement originale et d'une parfaite harmonie.
Le vers employé là est très simple, très souple, inégal d'étendue et merveilleusement rythmé: c'est le vers libre dans toute sa liberté familière et lyrique:
Je sais où j'ai été empoisonné.
C'est en buvant du vin dans le même verre
qu'une jeune fille que j'aimais....
..................................................
Sur la table il y avait nappe blanche,
un vase rempli de beurre jaune,
et elle tenait à la main un verre
du vin qui plaît au coeur des femmes....
..................................................
Elle n'avait pas pourtant lieu de me haïr....
Je ne suis qu'un pauvre jeune fermier,
fils de Matelinn et de Maria Kantek
J'ai passé trois ans à l'école ...
mais maintenant je n'y retournerai plus....
Dans un peu de temps je m'en irai encore loin du pays,
Dans un peu de temps je serai mort,
et m'en irai en purgatoire....
Et pendant ce temps mon moulin tournera
diga-diga di,
Ah! mon moulin tournera
Diga-diga da....
Ton sans est écrit en prose, très simple aussi, et comme transparente. Je n'aime guère cette histoire, trop médicale, de transfusion du sang, mais le thème accepté, on est en présence d'un vrai drame d'aujourd'hui, hardi et vrai. Le ton singulier de cette tragédie est donné par une sorte de mysticisme charnel. Les affinités corporelles sont substituées aux affinités morales: c'est un psychisme matériel. Voici un passage du rôle de Daniel (le jeune homme à qui Marthe a donné son sang), par lequel le principe du drame sera un peu expliqué:
«Tu ne peux pas le voir couler dans mes veines ... mais c'est si
extraordinaire de le contenir en moi ... si étrange ... si absurde
et si doux.... Je contemple mes mains comme si je les voyais pour
la première fois.... Je ne sais quelle tiédeur fraîche y coule en
cascade ... et sous le réseau transparent des veines, il me semble
que je suis dans sa fuite toute la source lâchée de ton coeur....
Il y a une douceur nouvelle qui court en moi comme un printemps....
Je t'assure, pose ta main sur la mienne ... elle t'appartient ...
je suis un peu toi maintenant ... Je veux que tu sentes se faire la
confusion, je veux que tu reconnaisses en moi le battement
inconscient de ta vie.... Ah! que ma joie ne te paraisse pas
puérile!... je t'en supplie.... Ta vie! pense à cela ... la vie de
ta chair, à défaut de ton âme.... Ce sang m'apporte un peu de ton
éternité ... oui de ton passé, de ton présent, de ton avenir, et
c'est comme s'il accourait à moi du fond de ta plus lointaine et
mystérieuse enfance....»
Il n'y a peut-être pas là une seule métaphore qui n'ait été lue dans les effusions attribuées d'ordinaire aux amants; il semble pourtant qu'on les lise pour la première fois, car c'est la première fois qu'elles sont justes. Cependant le style de Ton sang n'est pas toujours assez pur, et trop parfois de vraie conversation, sous prétexte de «théâtre». Le prétexte n'est pas valable.
Les deux tragédies se rejoignent par cette idée que le sang de la femme, pur ou impur, haine ou amour, est une malédiction pour l'homme. L'amour est une joie empoisonnée; la fatalité veut que ce qui est le suprême bien de l'homme soit la source de ses plus cruels tourments, que le fleuve où il boit la vie soit le même où il boit la douleur et la mort.
C'est, du moins, l'impression que j'ai retirée de cette lecture, mais, comme dit M. Bataille dans sa Préface, « plus le drame apparaît simple et dépourvu de haute signification, mieux le vrai but est atteint». Une oeuvre d'art, tableau, statue, poème, roman ou drame, ne doit jamais avoir une signification trop précise, ni vouloir démontrer quelque vérité morale ou psychologique, ni être un enseignement, ni contenir une théorie. Il faut opposer Hamlet à Polyeucte.
M. Henry Bataille dont les idées semblent sagement imprécises ne sera jamais tenté par l'apostolat: le goût de la beauté le préservera de se plaire dans les chambres resserrées et malsaines de la maison des formules. Il est appelé à sentir confusément la vie, à ne pas trop la comprendre; c'est la condition même de l'enfantement des oeuvres. Tous les grands actes naturels de l'existence humaine sont dirigés ou dominés par l'inconscient.
EPHRAÏM MIKHAËL
Puisqu'il ne nous laissa que de trop brèves pages, l'oeuvre seulement de quelques années; puisqu'il est mort à l'âge où plus d'un beau génie dormait encore, parfum inconnu, dans le calice fermé de la fleur, Mikhaël ne devrait pas être jugé, mais seulement aimé. Il était charmant, quoique très fier; aimable, quoique triste et replié; doux, quoiqu'il eût à souffrir ou de la vie, ou des importuns et des envieux, car il eut une gloire précoce, comme son talent. A dix-huit ans déjà, son originalité était sensible: il introduisait dans le vers parnassien, sans le déhancher ainsi que M. Coppée, une grâce mélancolique, alors neuve surtout par le contraste de la pureté de l'accent avec la sincérité du sentiment. La femme à la beauté impassible souffre en silence, sans gestes, sans parade, sans larmes: sa peine est adoucie par la joie d'être belle.
Il y a sans doute, dans la Dame en deuil un peu de la psychologie de Mikhaël: son orgueil l'enchaînait à son ennui:
Va-t'en! Je veux rester la veuve taciturne
De mes rêves d'antan que j'ai tués moi-même.
Presque aucun de ses poèmes où ne se répète ta plainte de l'orgueil et de l'ennui; ce n'est pas l'ennui de vivre—il vécut si peu; ce n'est pas l'ennui de ne pas vivre—il n'eut pas le temps de s'apercevoir que la vie donne moins qu'elle promet; c'était un ennui maladif et invincible, l'ennui des prédestinés qui sentent obscurément, comme l'eau glacée d'un fleuve gonflé, monter le long de leurs membres les vagues de la mort; et c'était aussi l'orgueil de ne pas avouer ses pressentiments et de chercher des causes vaines à une tristesse plus forte que l'âme qui la portait. Mais il ne faudrait pas exagérer l'influence d'une santé chétive sur les tendances et les goûts d'une intelligence. Nous ne savons rien de précis ni rien d'utile sur la formation des personnalités. A chaque homme nouveau, le mystère recommence. La botanique n'est pas applicable aux plantes humaines: au degré de différenciation où les hommes sont arrivés, chaque exemplaire de l'humanité est une terre inexplorée,—et inexplorable, puisque, relativement à ta conscience, l'homme lui-même, avec sa pensée comme avec ses gestes, est un fragment du monde extérieur.
Mikhaël était ainsi: doux et fier, plein d'un ennui très triste:
Mais le ciel gris est plein de tristesse calme
ineffablement douce aux coeurs chargés d'ennuis.
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L'ennui, rythme dolent de flûte surannée.
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Chère, mon âme obscure est comme un ciel mystique,
Un ciel d'automne, où nul astre ne resplendit....
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Je sombre dans un grand et morne nonchaloir.
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N'écoute pas le cri lointain qui le réclame,
Les conseils exhalés dans la senteur des nuits.
Tu sais que nul baiser libérateur, mon âme,
Ne rompt l'enchantement de tes subtils ennuis.
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Quand le vent automnal sonne le deuil des chênes,
Je sens en moi, non le regret du clair été,
Mais l'ineffable horreur des floraisons prochaines.
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Voici tout entier le Crépuscule Pluvieux, où jamais peut-être l'ennui, le mystérieux ennui, n'a été avoué avec une éloquence aussi sereine:
L'ennui descend sur moi comme un brouillard d'automne
Que le soir épaissit de moment en moment;
Un ennui lourd accourt mystérieusement,
Qui m'opprime de nuit épaisse et monotone.
Pourtant nul glorieux amour ne m'a blessé,
Et c'est sans regretter les heures envolées
Que je revois au loin, vagues formes voilées,
Mes souvenirs errants au jardin du passé.
Et pourtant, maintenant, dans l'horreur languissante
D'un soir de pluie et dans la lente obscurité,
Je sens mon coeur que nul amour n'a déserté
Mélancolique ainsi qu'une chambre d'absente.
Plus loin, dans l'Acte de Contrition, c'est encore le même sentiment de déréliction et d'accablement:
Je confessais que les Printemps et les Automnes
Passent en vain le seuil sacré des horizons,
Car mon âme est pareille aux déserts monotones
Assoupis dans l'oubli stérile des saisons.
Quelques mois avant sa mort, il dit, en un doux
et beau vers, son état d'âme:
Nous sommes les amants tristes parmi les fleurs.
Cependant, vers le même temps, le poète eut des heures heureuses, des moments de joies et d'espoir:
Joyeuses, sur les claires ondes
D'un golfe paisible et splendide,
Des galères aux voiles blondes
Appareillent pour l'Atlantide.
Et des lys ravis par les brises
Neigent dans la douce venelle,
Tandis qu'au loin des voire éprises
Proclament la joie éternelle.
Et ceci, tiré de l'Ile Heureuse:
Dans le golfe aux jardins ombreux,
Des couples blonds d'amants heureux
Ont fleuri les mâts langoureux
De la galère,
Et, caressé du doux été,
Notre beau navire enchanté
Vers les pays de volupté
Fend l'onde claire!
Mais où sont les jardins d'Armide? Les conquérants de son rêve (avril 1890) qui devaient venir le délivrer et remporter
................................vers les îles
Qui parfument les mers de fruits mûrs et d'aromates
Et fleurissent au loin l'eau des golfes tranquilles,
les conquérants furent les anges de la nuit et nous ne savons rien de plus.
Ces vers, les derniers écrits par Mikhaël, peu de semaines, ou de jours, avant sa fin, ont un intérêt presque testamentaire. S'il faut les prendre pour autre chose qu'un thème, qu'un canevas où la broderie n'est qu'indiquée, si, alors, ils étaient, dans son esprit, définitifs, ils marquent le premier pas d'une évolution du poète vers le vers libre,—ou vers un certain vers libre, celui qui conservant les allures des rythmes traditionnels, se libère néanmoins de la tyrannie de la rime romantique et de la superstition du nombre constant. L'intention de faire des vers d'une forme nouvelle me paraît évidente dans ce morceau unique; les assonances, heureuses et non de hasard, en témoignent: pourpres-sourdre; terribles-marines; thyrse-triste; plages-aromates,—et, comme Mikhaël connaissait l'ancienne poésie française et tes règles précises de la vieille assonance, il a voulu les respecter dans cet essai, qui, malgré sa brièveté, est, à ce point de vue, remarquable. Le parnassien allait donc évoluer naturellement vers l'esthétique d'aujourd'hui, quand la mort le surprit; il avait sans doute compris qu'il ne faut pas dédaigner les manières nouvelles d'exprimer l'émotion et la beauté.
Parrallèlement à ses poèmes, Mikhaël avait écrit des contes en prose; il tiennent dans le petit volume des Oeuvres, juste autant, juste aussi peu de place que les vers. Là encore il fut curieusement précoce et, à dix-neuf ans, il produisait des pages tout à fait charmantes par la franchise de la philosophie, telles que le Magasin de jouets, avec, déjà, de jolies phrases: «Ces belles Poupées, vêtues de velours et de fourrures et qui laissent traîner derrière elles une énamourante odeur d'iris.» Dans Miracles, l'incroyance au divin est analysée avec une belle sûreté de main et d'intelligence; presque partout, on sent un esprit maître de soi et qui tient à ne revêtir de la forme que des idées qui valent la forme. Il est surtout attiré par les histoires significatives et révélatrices d'un état d'âme hermétique: il aime la magie et le prodige, les créatures oppressées par le mystère et qui ont mal à la raison. C'était un lecteur assidu de Spinoza, qui lui avait enseigné, selon la juste expression de M. Pierre Quillard, avec un mysticisme supérieur, «la vanité de la joie et de la douleur», et il devait goûter également la vie et la philosophie nirvâniennes du philosophe de sa race. Le chef-d'oeuvre de ces proses, c'est Armentaria, poème très pur, très clairement auréolé d'amour, fleur mystique et candide, flos admirabilis! Il y a des lignes comme celle-ci; Armentaria dit: «Soyons purs dans les ténèbres et allons au ciel silencieusement.»
Il suffit d'avoir écrit ce peu de vers et ce peu de prose: la postérité n'en demanderait pas davantage, s'il y avait encore place pour les préférés des Dieux dans le musée que nous enrichissons vainement pour elle et que les barbares futurs n'auront peut-être jamais la curiosité d'ouvrir.
ALBERT AURIER
Avec un tempérament outrancier d'observateur ironiste, une tendance à des jovialités rabelaisiennes, Aurier se trouva, dès ses premières années d'étudiant, engagé dans un groupement littéraire en apparence très opposé à ses penchants. Mais, de même que tout n'était pas ridicule dans le Décadent, tout n'est pas de simple jeu dans les vers qu'Aurier y donnait abondamment; ce sonnet, Sous Bois, daté de Luchon, août 1886, n'a pas qu'une valeur de précocité:
Les forêts de sapins semblent des cathédrales
Qu'ombrent d'immenses deuils. Infinis, sans espoir,
Montent des noirs piliers se perdant en le noir,
Et l'ombre bleue emplit les voûtes colossales!...
Tandis que, pour voiler l'invisible ostensoir,
Pendent sur les vitraux des loques sépulcrales,
Vagues, passent des chants tristes comme des râles,
Les chants de la forêt à la brise du soir.
—O Temple! Bien souvent je suis le labyrinthe
De tes nefs, par la nuit cherchant ton Arche-Sainte!...
Mais, en vain! L'horizon, toujours sombre et béant,
Fuit devant moi; le Vide dort au fond des salles!
—Ainsi, mon coeur, sondant les célestes dédales,
Marche, toujours heurtant l'implacable néant!
Si, après cette estampe romantique, j'extrais du même recueil la Contemplation, on aura peut-être une idée assez juste d'Aurier très jeune, partagé entre le vouloir d'être sérieux et l'amusement de ne pas l'être:
Le coeur inondé d'une ineffable tristesse,
Je contemple le crâne aimé de ma maîtresse.
Dans ses orbites creux, d'épouvantés remplis,
J'ai fait coller deux très beaux lapis-lazulis;
J'ai mis artistement sur l'os blanc de sa nuque,
Poli comme un ivoire, une vieille perruque;
J'ai, dans ce faux chignon, répandu ses parfums
Préférés (souvenir de mes amours défunts);
J'ai placé, pour cacher son rictus trop morose,
A ses troublantes dents ma cigarette rose,
Puis j'ai posé le tout (à la place d'un saint)
Dans une niche, sur les velours d'un coussin.
Et je songe qu'ainsi (méditations mornes!)
La Catin ne peut plus me gratifier de cornes!
Ces deux notes, l'une de mélancolie, l'autre d'ironie, persistèrent à sonner jusqu'à la fin dans les vers d'Aurier, et on les retrouvera dans le Pendu et dans Irénée.
Quant aux caractères propres, différentiels de sa poésie, ce sont, il me semble, la spontanéité et l'inattendu. Il ne fut jamais un chercheur de pierres précieuses: il sertissait celles qu'il avait sous la main, plus soucieux de leur mise en valeur que de leur rareté; mais, pêcheur de perles, il le fut aussi trop peu et, trop confiant en sa force improvisatrice, il laissa, même en des morceaux jugés par lui définitifs, échapper des à peu près et des erreurs. Cela vaut-il mieux que d'être trop parfait? Oui, quand la perfection de la forme n'est que le résultat d'un pénible limage, d'une quête aveugle des raretés éparses dans les dictionnaires, d'un effort naïf à tirer, sur le vide d'une oeuvre, un rideau constellé de fausses émeraudes et de rubis inanes. Il est cependant une certaine dextérité manuelle qu'il faut posséder; il faut être à la fois l'artisan et l'artiste, manier le ciseau et l'ébauchoir, et que la main qui a dessiné les rinceaux puisse les marteler sur l'enclume.
Mais là, Aurier pécha moins par omission que par jeunesse, et s'il montra un talent moins sûr que son intelligence, c'est que toutes les facultés de l'âme n'atteignent pas à la même heure leur complet développement; chez lui, l'intelligence avait fleuri la première et attiré a soi la meilleure partie de la sève.
L'intelligence et le talent, voila, je crois, une distinction qui n'a guère été faite en critique littéraire; elle est pourtant capitale, il n'y a pas un rapport constant ni même un rapport logique entre ces deux manières d'être; on peut être fort intelligent et n'avoir aucun talent; on peut être doué d'un talent littéraire ou artistique évident et n'être qu'un sot; on peut aussi cumuler ces deux dons: alors on est Goethe ou Villiers de l'Isle-Adam, ou moins, mais un être complet.
Aurier manqua de quelques années pour s'harmoniser définitivement. Il en était encore à la période où l'on ressent une si grande tendresse pour toutes ses idées qu'on se hâte de les revêtir, même d'étoffes un peu frustes, de peur qu'elles n'aient froid dans la chemise aux notules: d'ailleurs, presque rien de ce que nous connaissons de lui, en fait de vers, n'avait reçu la suprême correction.
Mais que l'on ne prenne pas cette opinion pour absolue; on pourrait la contrarier en citant l'extraordinaire Sarcophage vif, par exemple, ou le Subtil Empereur:
En l'or constellé des barbares dalmatiques,
La peau fardée et les cheveux teints d'incarnat,
je trône, contempteur des nudités attiques
Dans la peau royale où mon rêve s'incarna....
Je regarde en raillant agoniser l'empire
Dans les rires du cirque et les cris des jockeys,
Et cet écroulement formidable m'inspire
Des vers subtils fleuris de vocables coquets!...
Je suis le Basileus dilettante et farouche!
Ma cathèdre est d'or pur sous un dais de tabis....
Quand je parle, on dirait qu'il tombe de ma bouche
Des anges, des saphirs, des fleurs et des rubis....
Poète, Aurier l'est encore jusqu'en sa critique d'art. Il interprète les oeuvres, il en rédige le commentaire, me—esthète, peut-être, mais non pas esthéticien, et la valeur de sa critique, presque toujours positive, tient en partie au choix qu'il sut faire, de main sûre, entre les artistes et entre les oeuvres.
Sa critique est positive; il exalte le sujet de son analyse; il dit les signifiances; obscurément voulues par le peintre et, ce disant, recompose très souvent une oeuvre un peu différente, par les tendances nouvelles qu'il y trouve, de celle qu'il a eue sous les yeux: ainsi, dans son étude sur Henry de Groux, un grandiose pendu nous apparaît, plus grandiose encore et plus lamentable aussi, parmi le renouveau luxuriant des sèves, que le grandiose et lamentable bonhomme du peintre de la Violence.
Quant aux défauts des oeuvres qu'il aimait, il les voyait bien, mais il préféra souvent les taire, sachant que l'éloge doit, pour porter, être un peu partial, et sachant aussi que le rôle du critique est de nous signaler des beautés et des joies, non des imperfections et des causes de tristesse. A l'oeuvre mauvaise, médiocre ou nulle, le silence seul convient, et, contrairement à l'opinion d'Edgar Poe, j'affirme que la plupart des chefs-d'oeuvre même ont besoin pour être compris, à l'heure où ils éclosent, de la charitable glose d'une intelligence amie. Malheureusement, la critique influente, si peu qu'elle le soit encore, étant devenue prudente ou servile, il est nécessaire de la contredire de temps à autre, rien que pour montrer que l'on n'est pas dupe: cela seul induisit Aurier à contester non le talent, mais le génie de M. Meissonier, peintre fameux des états-majors et dés cuirassiers. Ce ne fut que par occasion qu'il livra bataille au taureau; il avait, comme critique, une besogne plus urgente: mettre en lumière les «isolés», comme il disait, forcer vers eux l'attention de quelques-uns. La première étude de ce genre, son Van Gogh eut un succès inattendu; elle était excellente, d'ailleurs, disait la vérité sans ménagements pour l'opinion, et vantait le peintre du soleil et des soleils sans ces emballements puérils qui sont la tare de l'enthousiasme. Dès là, il exprimait les deux inquiétudes dont il se souciait avant tout: le peintre est-il sincère? et que signifie sa peinture? La sincérité, en art, est bien difficile à démêler de l'inconsciente fraude où se laissent aller les artistes les plus purs et les plus désintéressés; l'extrême talent dégénère très souvent en virtuosité: il faut donc, en principe, croire l'artiste sur sa parole, sur son oeuvre. A la seconde question, la réponse est généralement plus facile. Voici ce qu'Aurier dit à propos de Van Gogh, et cela peut servir de définition assez nette du symbolisme en art:
«C'est, presque toujours, un symboliste. Non point, je le sais, un symboliste à la manière des Primitifs italiens, ces mystiques qui éprouvaient à peine le besoin de désimmatérialiser leurs rêves, mais un symboliste sentant la continuelle nécessité de revêtir ses idées de formes précises, pondérables, tangibles, d'enveloppes intensément charnelles et matérielles. Dans presque toutes ses toiles, sous cette enveloppe morphique, sous cette chair très chair, sous cette matière très matière, gît, pour l'esprit qui sait l'y voir, une pensée, une Idée, et cette Idée, essentiel substratum de l'oeuvre, en est, en même temps, la cause efficiente et finale. Quant aux brillantes et éclatantes symphonies de couleurs et de lignes, quelle que soit leur importance pour le peintre, elles ne sont dans son travail que de simples procédés de symbolisation.»
En son étude sur Gauguin, un an plus tard, il revint sur cette théorie, la développa, exposant, avec une grande sûreté de logique, les principes élémentaires de l'art symboliste ou idéiste, qu'il résume ainsi:
L'oeuvre d'art devra être:
«1° Idéiste, puisque son idéal unique sera l'expression de l'Idée;
«2° Symboliste, puisqu'elle exprimera cette idée par des formes;
«3° Synthétique, puisqu'elle écrira ces formes, ces signes, selon un mode de compréhension générale;
«4° Subjective, puisque l'objet n'y sera jamais considéré en tant qu'objet, mais en tant que signe d'idée perçu par le sujet;
«5° (C'est une conséquence) Décorative—car la peinture décorative proprement dite, telle que l'ont comprise les Égyptiens, très probablement les Grecs et les Primitifs, n'est rien autre chose qu'une manifestation d'art à la fois subjectif, synthétique, symboliste et idéiste.»
Après avoir ajouté que l'art décoratif est le seul art, que «la peinture n'a pu être créée que pour décorer de pensées, de rêves et d'idées les murales banalités des édifices humains», il impose encore à l'artiste le nécessaire don d'émotivité, en alléguant, seule, «cette transcendantale émotivité, si grande et si précieuse, qui fait frissonner l'âme devant le drame ondoyant des abstractions».
«Grâce à ce don, les symboles, c'est-à-dire les Idées, surgissent des ténèbres, s'animent, se mettent à vivre d'une vie qui n'est plus notre vie contingente et relative, d'une vie essentielle, la vie de l'Art, l'être de l'Être.
«Grâce à ce don, l'art est complet, parfait, absolu, existe enfin.»
Sans doute, tout cela est plutôt, au fond, une philosophie qu'une théorie de l'art, et je me méfierais de l'artiste, même supérieurement doué, qui s'appliquerait à la réaliser par des oeuvres; mais c'est une philosophie très haute et possiblement féconde: quelques artistes en seront peut-être touchés même à travers leur cuirasse d'inconscience.
En critique, Aurier était encore d'avis que l'on doit examiner l'oeuvre en soi et qu'il est ridicule de faire intervenir dans sou jugement des motifs aussi vagues et aussi trompeurs que l'hérédité et le milieu. Il y a un lien de cause à effet, cela est naïvement clair, entre l'homme et l'oeuvre, mais de quel intérêt peut bien être la connaissance de l'homme pour qui s'amuse aux fantastiques marines de Claude Lorrain? La logique, si j'y réfléchissais, m'affirmerait ce Claude Napolitain ou Vénitien, méridional tout au moins, et qu'il soit né en Lorraine, cela me suffoquerait, si j'étais M. Taine; l'histoire, il est vrai, m'apprend qu'il séjourna à Naples et qu'il passa par Venise: je m'en doutais, mais cela n'ajoute rien à mon rêve, et Cléopâtre, appuyée à l'épaule de Dellius, n'y puise pas une beauté nouvelle.
Sans être un bon roman, ni de bonne littérature, Vieux est un roman amusant, et, avec cela, bien ordonné. La personnalité d'Aurier n'y est pas encore bien nette; son esprit ne s'y affirme qu'à l'état de collaborateur,—collaborateur de Scarron et de Théophile Gautier, de Balzac et même de certains petits naturalistes qui tentèrent d'être goguenards. Mais le plus grave défaut de ce livre fut qu'il n'exprimait plus, quand il fut achevé, les tendances esthétiques de l'auteur, ou qu'il n'en exprimait que la moitié et la partie la moins neuve et la plus caduque. Qu'on lise, cependant, le chapitre VII: ce sont de fort belles pages et bien à leur place, quoique d'un ton plus élevé que le reste du roman; qu'on lise, au chapitre XXI, la psychologie de l'«heure du coucher», et ce qui suit: c'est d'une finesse un peu simple, mais comme c'est observé et quelle belle ironie en action! Qu'on lise encore la déclaration d'amour du vieux Godeau, les tendres paroles dont se soulage le malheureux pendant que la bien-aimée se livre, cyniquement, à d'autres soulagements: c'est d'un genre de comique qui n'a de vulgaire que la forme, et qui laisse dans le souvenir une impression de rabelaisianisme ingénu.
Enfin, Vieux est une oeuvre très imparfaite,—mais non pas médiocre.
Aurier annonçait plusieurs romans, les Manigances, la Bête qui meurt: comme toujours, et comme tous les faiseurs de projets, il se préoccupa de réaliser ses promesses dans l'ordre inverse où il les avait faites. On a retrouvé dans ses papiers un manuscrit intitulé Edwige, mais qu'il avait verbalement débaptisé quelques semaines avant sa mort; il a paru sous ce titre: Ailleurs.
Plus qu'une esquisse et moins qu'une oeuvre achevée, ce petit roman philosophique est curieux: c'est un duel tragi-comique entre la Science et la Poésie, entre l'Idéalité et le Positivisme, conté en un style adéquat au sujet, tantôt bizarrement familier, tantôt mesuré et stellé de belles métaphores. On y retrouve l'auteur de Vieux, mais plus sobre; on y retrouve le poète et le critique d'art, mais plus sûr de sa philosophie et plus maître de l'expression de ses idées ou de ses sentiments.
Aurier avait, comme romancier, un don assez rare et sans lequel le meilleur roman n'est qu'un recueil de morceaux choisis: il savait ériger en vie un personnage, lui attribuer un caractère absolu et dévoiler logiquement, au cours d'un volume, les phases de ce caractère, non par de vagues analyses, mais par la mise en scène de faits systématiquement choisis pour leur valeur révélatrice: tel, dans Vieux, M. Godeau; tels, dans Ailleurs, Hans et l'ingénieur. Cet ingénieur est une merveilleuse caricature: Aurier lui prête des propos d'un comique vraiment énorme et pourtant lamentablement vraisemblables, car c'est encore un autre de ses dons, comme romancier, de n'outrer jamais que le vrai ou le possible: il y avait en lui le génie d'un Daumier,—et Daumier, seul, aurait pu conter avec des images un symbolique épisode aussi amèrement comique que la colère du Dr Cocon accusé d'héroïsme. Aurier serait allé très loin en ce genre, le roman de l'ironie comique, de l'amertume exhilarante: que de joies il nous eût données!
C'était un homme de talent et d'un talent peu ordinaire, un esprit supérieur; il ne doit pas être oublié: on peut encore lire ses romans, goûter plus d'une page de ses vers et, pendant longtemps, ses critiques d'art fourniront des idées, une méthode et des principes.
LES GONCOURT
Quoique les dernières évolutions littéraires se soient faites loin de M. de Goncourt et qu'il ait eu l'orgueil—ou la faiblesse—de s'en désintéresser, on ne trouverait sans doute pas à cette heure un «symboliste» de marque, et même le plus absolu en ses idées, qui ne consentit à signer un éloge cordial de l'auteur de Madame Gervaisais. Le doute qui assombrit l'éclat des obsèques d'Alexandre Dumas, ou les moins illustres funérailles de M. Daudet, s'est résolu en évidente lumière et en certitude pure et simple: les Goncourt furent un grand écrivain.
Ils en eurent tous les caractères: l'originalité, la fécondité, la diversité.
L'originalité est le don premier, mystérieux et formidable; sans lui, toutes les autres qualités de l'écrivain sont stériles, nuisibles, et même un peu ridicules, le jour où l'homme de lettres laborieux et intelligent, mais pas davantage, fier de multiples aptitudes, se veut dressé en statue sur un piédestal de tomes. Plus digne de gloire est le génie intermittent ou soudain qui se manifeste par de capricieux éclairs ou par la lueur inattendue d'un rayon seul et qu'on ne reverra pas. Les Goncourt appartiennent à la caste des génies continus et sans défaillance; s'ils ne doivent pas être nombrés parmi les demi-dieux, ils le seront parmi les héros qui accumulèrent un total de belles actions égal à une oeuvre unique et grandiose. Chacun des livres des Goncourt fut une de ces belles actions, chacune d'une beauté différente et neuve.
Historiens, appliquant aux événements d'hier la méthode documentaire d'Augustin Thierry, ils restituèrent, en place d'une vision de parade, un XVIIIe siècle vivant et sincère, rajeuni par la typique anecdote, éclairé par le sourire des femmes, expliqué par le costume, par le billet, par l'estampe, par le cri de la rue, par l'épigramme, par le mot. Cette sorte d'histoire n'est pas toute l'histoire, mais c'est peut-être la seule qui puisse intéresser désormais des esprits devenus sceptiques par trop de lectures et plus curieux de comprendre les différences que de ramener à l'unité la diversité des événements. Si l'on ne retient de l'histoire que les faits les plus généraux, ceux qui se prêtent aux parallèles et aux théories, il suffit, comme disait Schopenhauer, de conférer avec Hérodote le journal du matin: tout l'intermédiaire, répétition évidente et fatale des faits les plus lointains et des faits les plus récents, devient inutile et fastidieux; Bossuet le rejette. Ce fut la première originalité des Goncourt de créer de l'histoire avec les détritus même de l'histoire. Tout un mouvement de curiosité date de là; la publication de l'Histoire de la Société française pendant la Révolution et sous le Directoire ouvrit l'ère du bibelot,—et que l'on ne voie pas en ce mot une intention dépréciatrice; le bibelot historique jadis s'appela relique: c'est le signe matériel qui témoigne devant le présent de l'existence du passé. En ce sens, le musée Carnavalet, pour prendre un exemple bien clair, est l'oeuvre des Goncourt,—et, s'il avait acheté la partie historique du cabinet d'Auteuil, il aurait pu tout naturellement changer de nom en s'enrichissant.
L'Oeuvre historique des Goncourt, laissées de côté ses conséquences et son influence, a une valeur certaine. D'abord ils imaginèrent d'«écrire» l'histoire; ils ne font ni des discours ni des dissertations, mais des livres; ils traitent Marie-Antoinette non pas en sujet mais en motif autour duquel se viennent rassembler tous les petits faits de vie dont vivait la reine: à connaître ses jeux, ses paroles, ses robes et ses coiffures, ils pénètrent plus facilement jusqu'à son âme qui, occupée sans doute de combinaisons politiques, l'était aussi de jeux, de robes et de coiffures. Tous ces détails, que les gens graves de l'an 1855 taxaient d'enfantillages, ne les empêchèrent pas de dégager les premiers le véritable rôle de la reine et de montrer que tous les fils venaient se nouer autour de ses doigts fins et redoutables. La clef de l'énigme que cherchaient en vain les historiens «sérieux» et professionnels, les Goncourt la trouvèrent dans une boîte à mouches, peut-être, mais ils la trouvèrent.
Leur période uniquement historique se clôt vers 1860: alors, sans modifier leurs procédés, ils demandent aux faits de la vie contemporaine ce qu'ils avaient demandé au document du passé: la vérité réaliste.
Chercher la vérité semble une entreprise illusoire et paradoxale. Avec de la patience, on atteint quelquefois l'exactitude, et avec de la conscience, la véracité; ce sont les qualités fondamentales de l'histoire; on les retrouve dans les romans des Goncourt. Leurs fictions, plus que toutes autres, inspirent confiance; on peut y étudier la vie comme dans la vie elle-même; les faits, transposés selon le ton nécessaire, loin d'être défigurés, sont encore accentués et rendus plus vivants par l'art qui les remet en leur place et en leur lumière logiques. Le réalisme ne s'y étale jamais avec la brutalité démocratique où il descendit plus tard; ils manient les anecdotes sociales avec délicatesse, comme les médecins font des plaies les plus sales; avec pitié, avec dédain, avec joie,—toujours avec cette supériorité aristocratique, don de ceux qui, élevés au-dessus de la basse vie, n'y inclinent que leur intelligence et n'y mettent pas les mains. Tous leurs romans sont observés de haut, par un regard qui plonge; ils dominent leurs personnages; ils ne sont jamais familiers, mais jamais insolents.
Observateurs désintéressés, sans croyances, sans opinions sociales, ils vont dans la vie, la poitrine bravement tournée vers la lame, et ils notent, après le choc, leur sensation. Ils se font ainsi un répertoire authentique d'attestations dont ils ont éprouvé sur eux-mêmes la vérité immédiate. Que ces fiches soient rangées dans leur cerveau ou dans des boîtes, c'est là qu'ils puisent s'ils ont à dire, ressentie par un de leurs personnages, une impression analogue à celle qu'ils éprouvèrent. Aussi ils écoutaient, attentifs aux involontaires confidences, aux cris de nature, prompts à saisir la valeur significative d'un sourire, d'un regard, d'un geste. Voulant reproduire en son élémentaire véracité la langue des enfants, ils s'astreignirent à passer sur un banc des Tuileries d'immobiles après-midi, figés en un feint sommeil, pour ne pas effaroucher la piaillerie des moineaux. L'un comme l'autre, ils avaient la passion d'écouter aux portes de la vie; ils cherchaient des secrets comme des gens cherchent de minuscules coquillages dans le sable des dunes; le survivant garda jusqu'à sa dernière heure ce besoin de savoir ce qui se passe, de regarder par la fenêtre, de soulever les stores et les rideaux. Tout ce qui ne put logiquement trouver place dans les romans devint la matière du Journal,—ce carnet colossal d'un romancier réaliste.
On appelle réaliste le romancier qui ne travaille que d'après l'observation minutieuse des faits de la vie ordinaire, mais un romancier qui ne serait que réaliste ne serait que la moitié d'un romancier, ou moins: on le vit bien lorsque le réalisme fut manié par le déplorable Champfleury. Comme méthode, le réalisme avait été inventé par les romantiques qui se vantaient, à l'imitation de Goethe, de mêler exactement dans leurs oeuvres la vérité et la poésie. Plus tard, tandis que les uns gardaient la seule poésie et, par Musset, arrivaient à Octave Feuillet, les autres, rejetant toute poésie, venant de Stendhal, aboutissaient aux sèches analyses de Duranty,—qu'aucun effort n'a pu tirer de son sépulcre. Cependant Flaubert, qui ne fit jamais que subir impatiemment le réalisme, continuait la tradition de Chateaubriand. Les Goncourt perpétuèrent, en le rénovant, le véritable romantisme des romanciers, celui de Balzac; si l'on veut bien étudier leur oeuvre d'un peu près, se remémorer Renée Mauperin ou Soeur Philomène, ou même la tragique Germinie Lacerteux, on sera forcé de le reconnaître et on le reconnaîtra un jour ou l'autre, si équivoque que cela paraisse à cette heure, après l'oraison funèbre de M. Zola: les Goncourt furent des romantiques. Par eux, par Edmond de Goncourt qui fit la Faustin, se clôt le cycle ouvert par Balzac.
En aucun des romans qui vont de Charles Demailly à Chérie, on ne sent cette affectation d'insensibilité, d'ironie froide qui caractérisa depuis les oeuvres de presque tous les médanistes. Il y a même chez eux un penchant à la pitié ou à la tendresse qui va jusqu'au sentimentalisme, mais discret, et si pur. Renée Mauperin est un livre de ce ton, plein de larmes cachées; Soeur Philomène est une oeuvre de sentiment: dégagée par la pensée du réalisme adventice qui l'encombre et le défigure, ce roman serait, en même temps que la plus émouvante, la plus pure histoire d'amour écrite depuis Atala. Ici, la méthode a gâté le génie, mais le génie et la tradition ont vaincu la méthode.
En même temps qu'ils continuaient une période littéraire, ils en ouvraient une autre, fraternellement avec Gustave Flaubert. Quant parut Germinie Lacerteux, M. Zola regardait la lune se jouer sur l'onde azurée du ruisseau bordé de saules où Ninon, chantant une barcarolle, prend un bain sentimental. Il est inutile d'insister: tout le naturalisme, en sa partie populaire, vient de Germinie Lacerteux; cette oeuvre forte et hardie n'était qu'un épisode dans l'épopée des Goncourt; les années suivantes ils donnaient Manette Salomon, puis Madame Gervaisais, analyse suraiguë du mysticisme maladif; néanmoins, c'est l'histoire de la servante hystérique qui semble avoir eu l'influence la plus décisive sur le développement ultérieur du naturalisme, tel qu'il fut compris par M. Zola et par ses disciples immédiats.
La domination des Goncourt s'étendit plus loin que sur une école; hormis peut-être Villiers de l'Isle-Adam, il n'est aucun écrivain qui ne l'ait subie pendant vingt ans, de 1869 à 1889: leur instrument de règne fut le style.
On leur attribue le mot, démonétisé depuis, d'écriture artiste; ils inventèrent du moins la chose et se firent ainsi des ennemis de tous ceux qui sont dénués de style personnel et, naturellement, des journalistes, qui rédigent en hâte, dont le métier pour ainsi dire est de ne pas «écrire». Ecrire, selon l'exemple des Goncourt, c'est forger des métaphores nouvelles, c'est n'ouvrir sa phrase qu'à des images inédites ou retravaillées, déformées par le passage forcé au laminoir du cerveau; c'est encore plusieurs choses et d'abord c'est avoir un don particulier et une sensibilité spéciale. On peut cependant, par la volonté et par le travail, acquérir un style presque personnel en cultivant, selon sa direction naturelle, la faculté qu'a tout homme intelligent d'exprimer sa pensée au moyen de phrases. Trouver des phrases que nul n'a encore faites, en même temps claires, harmonieuses, justes, vivantes, émondées de tout parasitisme oratoire, de tout lieu commun, des phrases où les mots, même les plus ordinaires, prennent, comme les notes en musique, une valeur de position, des phrases un peu tourmentées, greffées adroitement de ces incidentes qui déconcertent, puis charment l'oreille et l'esprit lorsqu'on a saisi le ton et le mécanisme de l'accord, des phrases qui se meuvent comme des êtres, oui, qui semblent vivre d'une vie délicieusement factice, comme des créations de magie.
Quand on a goûté à ce vin on ne veut plus boire l'ordinaire vinasse des bas littérateurs. Si les Goncourt étaient devenus populaires, si la notion du style pouvait pénétrer dans les cerveaux moyens! On dit que le peuple d'Athènes avait cette notion.
Après l'originalité de leur style, l'importance de leur rôle littéraire, historique, artistique, ce qu'il faut admirer chez les Goncourt, et chez le survivant jusqu'à la dernière heure, c'est la fécondité. Non pas la banale et abondante moisson de lignes qu'ils engerbèrent en d'infinis tomes, non pas cette fécondité à la Sand toute pareille au travail naturel de l'animal prolifique,—mais une production raisonnée et voulue d'oeuvres choisies entre toutes celles qui leur étaient possibles, et diversifiées assez pour que rien d'essentiel n'ait échappé à leurs mains d'entre les fruits de l'arbre. Ils ont vraiment cueilli les fruits les plus beaux et les plus variés de forme, de couleur et de saveur; ils ont dit de l'homme, des choses, de la vie tout ce qu'ils avaient à en dire, et cela méthodiquement, d'après un plan secret, mais certainement élaboré dès leurs premières années de travail. Demeuré seul, Edmond de Goncourt compléta l'oeuvre commune par des livres où, s'il y a quelque chose de moins, il y a aussi quelque chose de plus: la Faustin et Chérie témoignent que si les deux frères avaient ensemble du génie, le mourant légua au survivant la part qu'il aurait pu emporter. Quoi que l'on ait dit, le second des Goncourt était peut-être le moins âpre des deux, en même temps que le moins esclave des règles réalistes; dans les oeuvres qu'il signa seul, le ton est plus uniforme, la tendresse plus profonde, la pitié plus humaine: peu de livres sont aussi touchants que les Frères Zemganno et peu sont plus poignants que la Fille Elisa. Les pages où il dit l'horreur du silence dans les bagnes de femmes auraient fait abolir cette coutume abominable si nous étions un peuple apte encore aux sentiments élémentaires de la miséricorde.
Enfin, et pour résumer l'impression que donne la vue panoramique de cette double existence, si noblement prolongée par l'un d'eux jusque vers l'extrême vieillesse, les Goncourt furent de miraculeux hommes de lettres. Victor Hugo souligna un jour sur un contrat son nom de ces mots, si vilipendés: homme de lettres. Plus justement encore, Edmond de Goncourt eût pu signer ainsi son testament. Il était «de lettres», comme on était jadis «de robe» ou «d'épée»; il l'était tout entier, simplement, fièrement,—mais jusqu'à la souffrance et jusqu'à la manie, comme le prouve cette entreprise de monographies japonaises, qui, oeuvre de tout autre, eût paru inutile et même absurde. Il écrivait pour se réaliser, pour dire ses sensations, ses admirations, ses goûts et ses dégoûts. Nul autre souci,—et surtout quel mémorable désintéressement! En tout autre temps, nul n'aurait songé à louer Edmond de Goncourt pour ce dédain de l'argent et de la basse popularité, car l'amour est exclusif et celui qui aime l'art n'aime que l'art: mais, après les exemples de toutes les avidités qui nous ont été donnés depuis vingt ans par les boursiers de lettres, par la coulisse de la littérature, il est juste et nécessaire de glorifier, en face de ceux qui vivent pour l'argent, ceux qui vécurent pour l'idée et pour l'art.
La place des Goncourt dans l'histoire littéraire de ce siècle sera peut-être aussi grande que celle même de Flaubert, et ils la devront à leur souci si nouveau, si scandaleux en une littérature alors encore toute rhétoricienne, de la «non-imitation»; cela a révolutionné le monde de l'écriture. Flaubert devait beaucoup à Chateaubriand; il serait difficile de nommer le maître des Goncourt. Ils conquirent pour eux, ensuite pour tous les talents, le droit à la personnalité stricte, le droit à l'égoïsme artistique, le droit pour un écrivain de s'avouer tel quel, et rien qu'ainsi, sans s'inquiéter des modèles, des règles, de tout le pédantisme universitaire et cénaculaire, le droit de se mettre face à face avec la vie, avec la sensation, avec le rêve, avec l'idée, de créer sa phrase—et même, dans les limites du génie de la langue, sa syntaxe.
Ainsi, ils complétèrent l'oeuvre de Victor Hugo qui se vantait justement d'avoir libéré les mots du dictionnaire; ainsi ils achevèrent l'évolution du romantisme en fondant définitivement la liberté du style.
HELLO
OU LE CROYANT
Hello représente la foi, en ce qu'elle doit avoir d'absolu, et la crédulité, en ce qu'elle peut avoir de plus transitoire.
La vie de l'homme est un acte de foi et un acte de confiance (ces deux mots sont presque des doublets); il faut que l'homme croie, sinon à la réalité, du moins à la véracité de sa vie et de la vie; il faut qu'il ait foi dans la floraison, aux heures où il plante son verger, et foi dans la fructification aux heures où il se promène sous les fleurs. Les fleurs qu'il désire et les fruits qu'il attend diffèrent selon la nature de son âme, mais il croit aux fleurs et aux fruits, et qu'il mangera les fruits, et qu'il s'endormira rassasié au pied de l'arbre de sa prédilection. Il a la foi, puisqu'il vit et puisque la faillite de tous les vieux automnes ne l'incline pas à se coucher avant tout travail, parmi la terrible stérilité de l'herbe.
Hello, par l'absolutisme de sa foi, est bien un représentant de l'humanité croyante, de l'humanité qui, ayant à peine semé, se penche déjà anxieuse vers les secrets du sillon; mais il y a une malédiction sur le sein de la terre; il est peut-être pourri depuis le meurtre d'Abel: la semence ne germe pas: et l'homme recommence à jeter des graines dans la glèbe pourrie; il y verse du sang, il y enfonce son coeur, il y enterre son âme, il descend tout entier dans cette tombe miraculeuse, et là, paisible sous le terrible manteau des herbes stériles, il attend, imputrescible germe, l'heure de la germination divine.
La foi est imputrescible, puisque l'humanité vit et puisque le silence des tombes ne l'a pas découragée de creuser de nouvelles tombes.
Hello est le croyant. Sa foi n'est pas l'espérance imprécise d'un hédoniste inconscient; elle est absolue dans son principe comme dans son but, et ce principe et ce but sont uns; parti de la vérité, il va vers la vérité. Il sait ce qu'il sème, il sait ce qu'il récoltera, et quand il se confie à la tombe, quel fruit d'illumination, quel fruit d'éternité.
S'il va vers la vérité, c'est par obéissance; pour aller vers la vérité, il est forcé de la prendre dans son coeur, de l'arracher, chair de sa chair, et de la jeter loin, devant lui, admirable proie, qu'il disputera, sûr de la victoire, aux chiens de l'erreur.
Il sait ce que c'est que la vérité; il sait donc ce que c'est que l'erreur.
Pour lui, le monde des idées se divise en deux hémisphères; l'un est continuellement éclairé par le rayonnement de l'infini; l'autre est continuellement enténébré par les vapeurs de l'orgueil. Il sait pourquoi l'orgueil engendre les ténèbres: l'orgueil est un écran entre l'intelligence humaine et l'intelligence divine; l'orgueil se contemple lui-même et se contemple seul, car il se croit seul. C'est là l'erreur absolue, comme la vérité absolue est de ne pas croire en soi, mais de croire en Dieu seul, qui est la vérité unique.
La croyance d'Hello est la croyance au Dieu providentiel. «Rien n'arrive sans son ordre ou sans sa permission.» Mais Dieu est logique; il y a un «plan divin»: Hello le connaît sommairement. Dieu veut ce que Hello croit. Dieu veut l'accomplissement de la vérité; Dieu veut s'accomplir lui-même et se réaliser partiellement en toute créature de bonne volonté. Les moyens de Dieu sont obscurs; ses desseins sont clairs. Ses actes sont parfois terribles, mais ceux-là seuls en souffrent parmi les hommes qui habitent l'hémisphère des ténèbres; ceux qui se sont rangés du côté de la lumière peuvent être passagèrement éblouis et navrés: un jour viendra où le souvenir même des agonies ne sera plus que la joie de comprendre la nécessité fugitive de la douleur humaine.
La Providence, ayant organisé, administre par l'intermédiaire de l'Eglise. L'Eglise résout les affaires courantes et de logique; en ce domaine elle est souveraine. La Providence se réserve l'extraordinaire et l'absurde, c'est-à-dire le surnaturel; en cet ordre d'idées, elle opère le plus souvent au moyen des saints et d'abord de la Vierge Marie, qui est la Sainte au-dessus des saints. Hello croit fermement à tout miracle admis par l'Eglise; à la vertu des reliques; aux apparitions; aux guérisons subites; aux punitions providentielles; aux bienveillances temporaires de l'infini. Dieu est penché sur nous; il nous observe comme nous observons une fourmilière; il relève, si elles tombent trop chargées du fardeau de la croix élue, les fourmis croyantes, les fourmis au coeur pur et mêmes les fourmis pécheresses mais en qui le souffle du péché n'a pas éteint toutes les flammes de l'amour. Dieu parle à ses fourmis préférées; il les encourage; il leur prédit l'avenir; il leur dévoile les cataclysmes par quoi les méchants seront avertis et inclinés au repentir, s'il en est temps encore. Hello, fourmi de bonne volonté, s'arrête sur la pente du fétu, et rend à Dieu son regard d'amour.
Hello est chrétien et catholique absolument; il croit avec génie; il croit spontanément, sans effort, mais avec l'énergie du batelier, emporté par le courant du fleuve et qui croit au courant du fleuve. Il sait que la vie l'emporte et il sait vers quel pays. Le paysage des rives l'intéresse à peine et ne l'intéresse pas comme paysage. Quand il a regardé un défilé de saules, de roseaux ou de peupliers, il ferme les yeux un bon moment et médite sur la signification des arbres, des arbustes et des herbes. Ayant médité, il comprend, car il est apte à comprendre tout, et il comprend à l'inverse du savant. Le comment des choses ne l'inquiète pas; il en cherche le pourquoi, et il le trouve toujours, toujours satisfait par l'explication la plus simple, l'éternelle explication dont le croyant se contente: Dieu l'a voulu ainsi.
On dirait qu'il se contente de peu, mais c'est une apparence: il ne se contente que de l'infini. A chaque pas, à chaque coup d'aviron, à chaque pont, à chaque gué, il a besoin de l'infini, Christophe qui, pour traverser le torrent tumultueux, a besoin d'un bâton lourd et haut comme un chêne. Sans ce bâton le croyant tombe et s'évanouit: Hello manie le sien avec certitude et avec délectation. Selon les circonstances de la route il en fait un épieu, une perche, une passerelle, un rempart; dans les menues branches il taille des flèches; les ramilles lui servent de verges: il a du plaisir à fustiger le monde avec les verges de l'infini.
Le croyant n'est pas le voyant. Le voyant ne se trompe jamais humainement sur l'essence des âmes ou des intelligences; son regard pénètre les écorces et les carapaces et porte jusqu'au milieu des secrets une lumière pareille à ces lampes par quoi on éclaire subitement les cavernes et les abîmes. Le regard du croyant et sa lampe s'arrêtent à la porte ou à la surface: il n'ose ni enfoncer les portes, ni briser les surfaces; il est prudent; sa lumière s'appelle la Foi: il a peur de la diminuer, car il sait que la diminuer, c'est la perdre. Il rôde autour du mystère comme le loup autour du troupeau, et il croit avoir compté les brebis parce qu'il a fait le tour du troupeau pendant une nuit sans lune. Hello n'entre jamais au coeur des problèmes, ces troupeaux d'idées; il les cerne, il les ceint d'un cercle d'où il leur défend de sortir, puis il leur parle; ses discours sont uniformes: problème, tu es simple, trop simple pour que je m'attarde autour de toi, si simple que tu n'existes pas. Troupeau d'idées réunies là sous un berger de hasard pour brouter l'herbe de l'erreur, tu es mon prisonnier, parce que j'ai dessiné un cercle autour de ton pâturage et parce que tu pâtures l'herbe de l'erreur. Regarde-moi, du fond de ta prison circulaire, vois comme les étincelles jaillissent quand mes pieds foulent l'herbe de la vérité; et toutes ces étincelles, vois comme elles se rejoignent en longues et douces flammes: alors je les moissonne, je les engerbe, je les emporte sur mes épaules, fardeau glorieux de vérité, et je te laisse pâturer l'ignominie empoisonnée.
Il y a le bien et le mal. Hello est très simplet sous son air de profondeur. C'est un prophète infiniment naïf. Il a la naïveté du génie et la naïveté de l'ignorance. Il est douloureusement ignorant. N'ayant vu jamais les paysages d'idées que de loin, dans un brouillard d'aurore ou de crépuscule, il n'est pas nomenclateur: il ne sait pas comment se nomment les arbres; il ne sait pas comment s'appellent les hommes; et dans le troupeau des idées il ne fait que cette distinction: il y a des brebis blanches et des brebis noires.
Toutes les sciences lui sont étrangères, même celles que les chrétiens cultivent en vue de fins apologétiques. En histoire, il est demeuré à Bossuet, et de Maistre lui semble hardi; en philologie, presque jovial, il sait que Babel veut dire confusion, et il ne sait guère que cela.
Ignorant, il est crédule: ne l'ayant pas lu, il suppose que l'admirable Darwin est un farceur dans le genre de Voltaire. Il le méprise pour exalter Benoît Labre et M. Dupont (de Tours). N'ayant de principes que des principes extérieurs à lui-même, il ne juge pas, il accepte et il explique. Il a endossé la foi comme un vêtement; il s'est orné de superstitions comme de breloques. Il vante le pouvoir miraculeux de la langue de M. Olier conservée dans un bocal à Saint-Sulpice. On dirait qu'il veut décourager l'intelligence, mais il n'a vraiment qu'un dessein: étaler sa foi comme les lessiveuses étalent du linge sur une haie. Il étale toute sa foi, toute la lessive et jusqu'aux linges les plus troués et les plus tachés. Il est fier de sa foi et de son ignorance, et de sa crédulité, et de ses chiffons mal blanchis. Il voudrait que l'Eglise lui ordonnât des croyances et des étalages plus humiliants. Ayant baisé les sandales de Labre, la redingote de M. Dupont et la calotte de M. Vianey, il souhaiterait de plus répugnantes joies: par un côté, la vénération des reliques se rapproche des divagations sensuelles. Il y a des baisers qui ne sont sensuels que parce qu'ils sont sales; il y a des reliques qui ne sont saintes que parce qu'elles sont malpropres.
Mais le croyant est humble. La pure cendre des palmes n'a taché son front que d'un signe symbolique; il lui faut de la vraie poussière, celles des sentiers où des sueurs ont suinté, celles des dalles où des femmes accroupies ont laissé l'odeur de leurs glandes. Il y a l'hystérie de la poussière. Il y aussi l'hystérie du débris de cimetière et de la pièce anatomique. La rotule a des pouvoirs et l'omoplate a des volontés: l'humble s'agenouille devant la rotule et le croyant se signe devant l'omoplate. Il veut se faire plus humble qu'un vieil ossement; il veut se faire si croyant qu'il croira au pouvoir de l'inerte et à la volonté de la mort.
Dans l'excès de l'humilité il y a de l'orgueil; il y a de la vanité dans l'excès de la croyance. Hello a la vanité de la croyance et l'orgueil de l'humilité. Il accepte l'absurde avec ostentation; il déprécie son intelligence avec fierté. Il se donne à croire des choses dont la stupidité ferait rire une gardeuse d'oies; il se salit l'esprit et les mains à des contacts où hésiteraient des manouvriers, mais c'est pour dire: Voyez comme je suis supérieur aux gentils. Je suis supérieur aux gentils parce que je suis obéissant, croyant et humble. Si je suis un être d'élection, ce n'est ni par mon intelligence ni par mon amour: l'infini m'a élu au-dessus des autres hommes parce que je me suis couché dans la poussière, parce que j'ai léché la poussière, parce que je me suis roulé dans la poussière, poussière sur laquelle je vous prie, frères, de marcher avec assurance et de cracher avec mépris. Puisque l'infini m'a élu, je veux que vous me méprisiez: cela sera ma seule récompense terrestre. Je veux paraître un Labre intellectuel. Vous marcherez sur moi et vous ne me verrez pas: je suis si grand que je puis, comme une vermine, me cacher dans la poussière. Je suis grand, je suis fort, je suis beau, je suis pur, je suis vrai parce que je suis un atome imprégné de la grandeur, de la force, de la beauté, de la pureté et de la vérité de Dieu. Quand je parle, on ne m'écoute pas, parce que ma voix est si puissante qu'on l'entend sans l'écouter: on n'écoute pas le tonnerre. Quand je passe, on ne me voit pas, car on ne voit pas le vent et je passe au milieu des galères mortes comme une triomphante barque dont les voiles sont gonflées par le souffle des anges: elle glisse comme un fantôme divin, au milieu des galères mortes, et les rameurs s'agitent, mais elle a fui, si rapide et si tumultueuse qu'ils s'arrêtent en se disant l'un à l'autre: quelque chose vient de passer pendant que nous dormions.
Je passe et on ne me voit pas, je parle et on ne m'écoute pas. Voit-on Dieu? Ecoute-t-on Dieu? Pourtant Dieu passe incessamment parmi nous, arbres, barques, tabernacles ou pierres! Pourtant Dieu parle éternellement à chacun de nous, et il nous dit des choses si douces et si merveilleuses! On ne me voit pas et on ne m'écoute pas, parce que je suis l'envoyé de Dieu et le porte-parole de Dieu. Je suis le génie.
«Le Génie est armé d'une partialité terrible, comme une épée à deux tranchants! Non seulement il aime le bien, mais de plus il hait le mal! Cette seconde gloire lui est inhérente tout autant que la première. J'insiste, il hait le mal, et cette sainte haine est le couronnement de son amour.»
Voilà Hello peint par lui-même, croyant qui croit à lui-même.
Il ajoute:
«Une des meilleures manières, non de définir, malt de faire deviner l'homme de génie, serait cette parole; il est le contraire de l'homme médiocre.»
C'est encore vrai. Hello, type du croyant, n'est pas médiocre, puisqu'il est excessif; il est vraiment le contraire du médiocre.
Il continue:
«Peut-être une définition complète du génie est-elle impossible, parce que le génie fait éclater toutes les formules.
«Il est tellement son nom à lui-même qu'il n'en peut pas supporter d'autres. Son nom est le génie, son atmosphère est la gloire.
«Aucune périphrase n'équivaut à son nom, aucune atmosphère ne remplace son atmosphère.
«Il refuse de se laisser enfermer dans une définition. Il brise tous les cadres. Il est le Samson du monde des esprits: et quand vous avez cru le circonscrire, il fait comme le héros juif: il emporte avec lui sur la montagne les portes de sa prison.»
Mais Hello, qui a du génie, n'est pas le génie. Il n'emportera pas sur la montagne les portes de sa prison. Sa prison, c'est la foi. Il demeure là, il s'y trouve bien. Au lieu de désarticuler les portes, il y ajoute de nouveaux verrous. Samson est le révolté; Hello est le croyant.
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