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Le Tour du Monde; À travers la Perse Orientale: Journal des voyages et des voyageurs; 2e Sem. 1905

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The Project Gutenberg eBook of Le Tour du Monde; À travers la Perse Orientale

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Title: Le Tour du Monde; À travers la Perse Orientale

Author: Various

Editor: Édouard Charton

Release date: September 10, 2009 [eBook #29950]

Language: French

Credits: Produced by Carlo Traverso, Christine P. Travers and the
Online Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net
(This file was produced from images generously made
available by the Bibliothèque nationale de France
(BnF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr)

*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK LE TOUR DU MONDE; À TRAVERS LA PERSE ORIENTALE ***

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LE TOUR DU MONDE

PARIS
IMPRIMERIE FERNAND SCHMIDT
20, rue du Dragon, 20

NOUVELLE SÉRIE—11e ANNÉE 2e SEMESTRE

LE TOUR DU MONDE
JOURNAL
DES VOYAGES ET DES VOYAGEURS

Le Tour du Monde
a été fondé par Édouard Charton
en 1860

PARIS
LIBRAIRIE HACHETTE ET Cie
79, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, 79
LONDRES, 18, KING WILLIAM STREET, STRAND
1905

Droits de traduction et de reproduction réservés.

TABLE DES MATIÈRES

L'ÉTÉ AU KACHMIR
Par Mme F. MICHEL

I. De Paris à Srinagar. — Un guide pratique. — De Bombay à Lahore. — Premiers préparatifs. — En tonga de Rawal-Pindi à Srinagar. — Les Kachmiris et les maîtres du Kachmir. — Retour à la vie nomade. 1

II. La «Vallée heureuse» en dounga. — Bateliers et batelières. — De Baramoula à Srinagar. — La capitale du Kachmir. — Un peu d'économie politique. — En amont de Srinagar. 13

III. Sous la tente. — Les petites vallées du Sud-Est. — Histoires de voleurs et contes de fées. — Les ruines de Martand. — De Brahmanes en Moullas. 25

IV. Le pèlerinage d'Amarnath. — La vallée du Lidar. — Les pèlerins de l'Inde. — Vers les cimes. — La grotte sacrée. — En dholi. — Les Goudjars, pasteurs de buffles. 37

V. Le pèlerinage de l'Haramouk. — Alpinisme funèbre et hydrothérapie religieuse. — Les temples de Vangâth. — Frissons d'automne. — Les adieux à Srinagar. 49

SOUVENIRS DE LA COTE D'IVOIRE
Par le docteur LAMY
Médecin-major des troupes coloniales.

I. Voyage dans la brousse. — En file indienne. — Motéso. — La route dans un ruisseau. — Denguéra. — Kodioso. — Villes et villages abandonnés. — Où est donc Bettié? — Arrivée à Dioubasso. 61

II. Dans le territoire de Mopé. — Coutumes du pays. — La mort d'un prince héritier. — L'épreuve du poison. — De Mopé à Bettié. — Bénie, roi de Bettié, et sa capitale. — Retour à Petit-Alépé. 73

III. Rapports et résultats de la mission. — Valeur économique de la côte d'Ivoire. — Richesse de la flore. — Supériorité de la faune. 85

IV. La fièvre jaune à Grand-Bassam. — Deuils nombreux. — Retour en France. 90

L'ÎLE D'ELBE
Par M. PAUL GRUYER

I. L'île d'Elbe et le «canal» de Piombino. — Deux mots d'histoire. — Débarquement à Porto-Ferraio. — Une ville d'opéra. — La «teste di Napoleone» et le Palais impérial. — La bannière de l'ancien roi de l'île d'Elbe. — Offre à Napoléon III, après Sedan. — La bibliothèque de l'Empereur. — Souvenir de Victor Hugo. Le premier mot du poète. — Un enterrement aux flambeaux. Cagoules noires et cagoules blanches. Dans la paix des limbes. — Les différentes routes de l'île. 97

II. Le golfe de Procchio et la montagne de Jupiter. — Soir tempétueux et morne tristesse. — L'ascension du Monte Giove. — Un village dans les nuées. — L'Ermitage de la Madone et la «Sedia di Napoleone». — Le vieux gardien de l'infini. «Bastia, Signor!». Vision sublime. — La côte orientale de l'île. Capoliveri et Porto-Longone. — La gorge de Monserrat. — Rio 1 Marina et le monde du fer. 109

III. Napoléon, roi de l'île d'Elbe. — Installation aux Mulini. — L'Empereur à la gorge de Monserrat. — San Martino Saint-Cloud. La salle des Pyramides et le plafond aux deux colombes. Le lit de Bertrand. La salle de bain et le miroir de la Vérité. — L'Empereur transporte ses pénates sur le Monte Giove. — Elbe perdue pour la France. — L'ancien Musée de San Martino. Essai de reconstitution par le propriétaire actuel. Le lit de Madame Mère. — Où il faut chercher à Elbe les vraies reliques impériales. «Apollon gardant ses troupeaux.» Éventail et bijoux de la princesse Pauline. Les clefs de Porto-Ferraio. Autographes. La robe de la signorina Squarci. — L'église de l'archiconfrérie du Très-Saint-Sacrement. La «Pieta» de l'Empereur. Les broderies de soie des Mulini. — Le vieil aveugle de Porto-Ferraio. 121

D'ALEXANDRETTE AU COUDE DE L'EUPHRATE
Par M. VICTOR CHAPOT
membre de l'École française d'Athènes.

I. — Alexandrette et la montée de Beïlan. — Antioche et l'Oronte; excursions à Daphné et à Soueidieh. — La route d'Alep par le Kasr-el-Benat et Dana. — Premier aperçu d'Alep. 133

II. — Ma caravane. — Village d'Yazides. — Nisib. — Première rencontre avec l'Euphrate. — Biredjik. — Souvenirs des Hétéens. — Excursion à Resapha. — Comment atteindre Ras-el-Aïn? Comment le quitter? — Enfin à Orfa! 145

III. — Séjour à Orfa. — Samosate. — Vallée accidentée de l'Euphrate. — Roum-Kaleh et Aïntab. — Court repos à Alep. — Saint-Syméon et l'Alma-Dagh. — Huit jours trappiste! — Conclusion pessimiste. 157

LA FRANCE AUX NOUVELLES-HÉBRIDES
Par M. RAYMOND BEL

À qui les Nouvelles-Hébrides: France, Angleterre ou Australie? Le condominium anglo-français de 1887. — L'œuvre de M. Higginson. — Situation actuelle des îles. — L'influence anglo-australienne. — Les ressources des Nouvelles-Hébrides. — Leur avenir. 169

LA RUSSIE, RACE COLONISATRICE
Par M. ALBERT THOMAS

I. — Moscou. — Une déception. — Le Kreml, acropole sacrée. — Les églises, les palais: deux époques. 182

II. — Moscou, la ville et les faubourgs. — La bourgeoisie moscovite. — Changement de paysage; Nijni-Novgorod: le Kreml et la ville. 193

III. — La foire de Nijni: marchandises et marchands. — L'œuvre du commerce. — Sur la Volga. — À bord du Sviatoslav. — Une visite à Kazan. — La «sainte mère Volga». 205

IV. — De Samara à Tomsk. — La vie du train. — Les passagers et l'équipage: les soirées. — Dans le steppe: l'effort des hommes. — Les émigrants. 217

V. — Tomsk. — La mêlée des races. — Anciens et nouveaux fonctionnaires. — L'Université de Tomsk. — Le rôle de l'État dans l'œuvre de colonisation. 229

VI. — Heures de retour. — Dans l'Oural. — La Grande-Russie. — Conclusion. 241

LUGANO, LA VILLE DES FRESQUES
Par M. GERSPACH

La petite ville de Lugano; ses charmes; son lac. — Un peu d'histoire et de géographie. — La cathédrale de Saint-Laurent. — L'église Sainte-Marie-des-Anges. — Lugano, la ville des fresques. — L'œuvre du Luini. — Procédés employés pour le transfert des fresques. 253

SHANGHAÏ, LA MÉTROPOLE CHINOISE
Par M. ÉMILE DESCHAMPS

I. — Woo-Sung. — Au débarcadère. — La Concession française. — La Cité chinoise. — Retour à notre concession. — La police municipale et la prison. — La cangue et le bambou. — Les exécutions. — Le corps de volontaires. — Émeutes. — Les conseils municipaux. 265

II. — L'établissement des jésuites de Zi-ka-oueï. — Pharmacie chinoise. — Le camp de Kou-ka-za. — La fumerie d'opium. — Le charnier des enfants trouvés. — Le fournisseur des ombres. — La concession internationale. — Jardin chinois. — Le Bund. — La pagode de Long-hoa. — Fou-tchéou-road. — Statistique. 277

L'ÉDUCATION DES NÈGRES AUX ÉTATS-UNIS
Par M. BARGY

Le problème de la civilisation des nègres. — L'Institut Hampton, en Virginie. — La vie de Booker T. Washington. — L'école professionnelle de Tuskegee, en Alabama. — Conciliateurs et agitateurs. — Le vote des nègres et la casuistique de la Constitution. 289

À TRAVERS LA PERSE ORIENTALE
Par le Major PERCY MOLESWORTH SYKES
Consul général de S. M. Britannique au Khorassan.

I. — Arrivée à Astrabad. — Ancienne importance de la ville. — Le pays des Turkomans: à travers le steppe et les Collines Noires. — Le Khorassan. — Mechhed: sa mosquée; son commerce. — Le désert de Lout. — Sur la route de Kirman. 301

II. — La province de Kirman. — Géographie: la flore, la faune; l'administration, l'armée. — Histoire: invasions et dévastations. — La ville de Kirman, capitale de la province. — Une saison sur le plateau de Sardou. 313

III. — En Baloutchistan. — Le Makran: la côte du golfe Arabique. — Histoire et géographie du Makran. — Le Sarhad. 325

IV. — Délimitation à la frontière perso-baloutche. — De Kirman à la ville-frontière de Kouak. — La Commission de délimitation. — Question de préséance. — L'œuvre de la Commission. — De Kouak à Kélat. 337

V. — Le Seistan: son histoire. — Le delta du Helmand. — Comparaison du Seistan et de l'Égypte. — Excursions dans le Helmand. — Retour par Yezd à Kirman. 349

AUX RUINES D'ANGKOR
Par M. le Vicomte DE MIRAMON-FARGUES

De Saïgon à Pnôm-penh et à Compong-Chuang. — À la rame sur le Grand-Lac. — Les charrettes cambodgiennes. — Siem-Réap. — Le temple d'Angkor. — Angkor-Tom — Décadence de la civilisation khmer. — Rencontre du second roi du Cambodge. — Oudong-la-Superbe, capitale du père de Norodom. — Le palais de Norodom à Pnôm-penh. — Pourquoi la France ne devrait pas abandonner au Siam le territoire d'Angkor. 361

EN ROUMANIE
Par M. Th. HEBBELYNCK

I. — De Budapest à Petrozeny. — Un mot d'histoire. — La vallée du Jiul. — Les Boyards et les Tziganes. — Le marché de Targu Jiul. — Le monastère de Tismana. 373

II. — Le monastère d'Horezu. — Excursion à Bistritza. — Romnicu et le défilé de la Tour-Rouge. — De Curtea de Arges à Campolung. — Défilé de Dimboviciora. 385

III. — Bucarest, aspect de la ville. — Les mines de sel de Slanic. — Les sources de pétrole de Doftana. — Sinaïa, promenade dans la forêt. — Busteni et le domaine de la Couronne. 397

CROQUIS HOLLANDAIS
Par M. Lud. GEORGES HAMÖN
Photographies de l'auteur.

I. — Une ville hollandaise. — Middelburg. — Les nuages. — Les boerin. — La maison. — L'éclusier. — Le marché. — Le village hollandais. — Zoutelande. — Les bons aubergistes. — Une soirée locale. — Les sabots des petits enfants. — La kermesse. — La piété du Hollandais. 410

II. — Rencontre sur la route. — Le beau cavalier. — Un déjeuner décevant. — Le père Kick. 421

III. — La terre hollandaise. — L'eau. — Les moulins. — La culture. — Les polders. — Les digues. — Origine de la Hollande. — Une nuit à Veere. — Wemeldingen. — Les cinq jeunes filles. — Flirt muet. — Le pochard. — La vie sur l'eau. 423

IV. — Le pêcheur hollandais. — Volendam. — La lessive. — Les marmots. — Les canards. — La pêche au hareng. — Le fils du pêcheur. — Une île singulière: Marken. — Au milieu des eaux. — Les maisons. — Les mœurs. — Les jeunes filles. — Perspective. — La tourbe et les tourbières. — Produit national. — Les tourbières hautes et basses. — Houille locale. 433

ABYDOS
dans les temps anciens et dans les temps modernes
Par M. E. AMELINEAU

Légende d'Osiris. — Histoire d'Abydos à travers les dynasties, à l'époque chrétienne. — Ses monuments et leur spoliation. — Ses habitants actuels et leurs mœurs. 445

VOYAGE DU PRINCE SCIPION BORGHÈSE AUX MONTS CÉLESTES
Par M. JULES BROCHEREL

I. — De Tachkent à Prjevalsk. — La ville de Tachkent. — En tarentass. — Tchimkent. — Aoulié-Ata. — Tokmak. — Les gorges de Bouam. — Le lac Issik-Koul. — Prjevalsk. — Un chef kirghize. 457

II. — La vallée de Tomghent. — Un aoul kirghize. — La traversée du col de Tomghent. — Chevaux alpinistes. — Une vallée déserte. — Le Kizil-tao. — Le Saridjass. — Troupeaux de chevaux. — La vallée de Kachkateur. — En vue du Khan-Tengri. 469

III. — Sur le col de Tuz. — Rencontre d'antilopes. — La vallée d'Inghiltchik. — Le «tchiou mouz». — Un chef kirghize. — Les gorges d'Attiaïlo. — L'aoul d'Oustchiar. — Arrêtés par les rochers. 481

IV. — Vers l'aiguille d'Oustchiar. — L'aoul de Kaënde. — En vue du Khan-Tengri. — Le glacier de Kaënde. — Bloqués par la neige. — Nous songeons au retour. — Dans la vallée de l'Irtach. — Chez le kaltchè. — Cuisine de Kirghize. — Fin des travaux topographiques. — Un enterrement kirghize. 493

V. — L'heure du retour. — La vallée d'Irtach. — Nous retrouvons la douane. — Arrivée à Prjevalsk. — La dispersion. 505

VI. — Les Khirghizes. — L'origine de la race. — Kazaks et Khirghizes. — Le classement des Bourouts. — Le costume khirghize. — La yourte. — Mœurs et coutumes khirghizes. — Mariages khirghizes. — Conclusion. 507

L'ARCHIPEL DES FEROÉ
Par Mlle ANNA SEE

Première escale: Trangisvaag. — Thorshavn, capitale de l'Archipel; le port, la ville. — Un peu d'histoire. — La vie végétative des Feroïens. — La pêche aux dauphins. — La pêche aux baleines. — Excursions diverses à travers l'Archipel. 517

PONDICHÉRY
chef-lieu de l'Inde française
Par M. G. VERSCHUUR

Accès difficile de Pondichéry par mer. — Ville blanche et ville indienne. — Le palais du Gouvernement. — Les hôtels de nos colonies. — Enclaves anglaises. — La population; les enfants. — Architecture et religion. — Commerce. — L'avenir de Pondichéry. — Le marché. — Les écoles. — La fièvre de la politique. 529

UNE PEUPLADE MALGACHE
LES TANALA DE L'IKONGO
Par M. le Lieutenant ARDANT DU PICQ

I. — Géographie et histoire de l'Ikongo. — Les Tanala. — Organisation sociale. Tribu, clan, famille. — Les lois. 541

II. — Religion et superstitions. — Culte des morts. — Devins et sorciers. — Le Sikidy. — La science. — Astrologie. — L'écriture. — L'art. — Le vêtement et la parure. — L'habitation. — La danse. — La musique. — La poésie. 553

LA RÉGION DU BOU HEDMA
(sud tunisien)
Par M. Ch. MAUMENÉ

Le chemin de fer Sfax-Gafsa. — Maharess. — Lella Mazouna. — La forêt de gommiers. — La source des Trois Palmiers. — Le Bou Hedma. — Un groupe mégalithique. — Renseignements indigènes. — L'oued Hadedj et ses sources chaudes. — La plaine des Ouled bou Saad et Sidi haoua el oued. — Bir Saad. — Manoubia. — Khrangat Touninn. — Sakket. — Sened. — Ogla Zagoufta. — La plaine et le village de Mech. — Sidi Abd el-Aziz. 565

DE TOLÈDE À GRENADE
Par Mme JANE DIEULAFOY

I. — L'aspect de la Castille. — Les troupeaux en transhumance. — La Mesta. — Le Tage et ses poètes. — La Cuesta del Carmel. — Le Cristo de la Luz. — La machine hydraulique de Jualino Turriano. — Le Zocodover. — Vieux palais et anciennes synagogues. — Les Juifs de Tolède. — Un souvenir de l'inondation du Tage. 577

II. — Le Taller del Moro et le Salon de la Casa de Mesa. — Les pupilles de l'évêque Siliceo. — Santo Tomé et l'œuvre du Greco. — La mosquée de Tolède et la reine Constance. — Juan Guaz, premier architecte de la Cathédrale. — Ses transformations et adjonctions. — Souvenirs de las Navas. — Le tombeau du cardinal de Mendoza. Isabelle la Catholique est son exécutrice testamentaire. — Ximénès. — Le rite mozarabe. — Alvaro de Luda. — Le porte-bannière d'Isabelle à la bataille de Toro. 589

III. — Entrée d'Isabelle et de Ferdinand, d'après les chroniques. — San Juan de los Reyes. — L'hôpital de Santa Cruz. — Les Sœurs de Saint-Vincent de Paul. — Les portraits fameux de l'Université. — L'ange et la peste. — Sainte-Léocadie. — El Cristo de la Vega. — Le soleil couchant sur les pinacles de San Juan de los Reyes. 601

IV. — Les «cigarrales». — Le pont San Martino et son architecte. — Dévouement conjugal. — L'inscription de l'Hôtel de Ville. — Cordoue, l'Athènes de l'Occident. — Sa mosquée. — Ses fils les plus illustres. — Gonzalve de Cordoue. — Les comptes du Gran Capitan. — Juan de Mena. — Doña Maria de Parèdes. — L'industrie des cuirs repoussés et dorés. 613

TOME XI, NOUVELLE SÉRIE.—26e LIV. No 26.—1er Juillet 1905.

À TRAVERS LA PERSE ORIENTALE
Par le MAJOR PERCY MOLESWORTH SYKES,
Consul général de S. M. Britannique au Khorassan.

I. — Arrivée à Astrabad. — Ancienne importance de la ville. — Le pays des Turkomans: à travers le steppe et les Collines-Noires. — Le Khorassan. — Mechhed: sa mosquée; son commerce. — Le désert de Lout. — Sur la route de Kirman.

UN PONEY PERSAN ET SA CHARGE ORDINAIRE.—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

La Perse a toujours exercé une grande fascination sur mon esprit. J'avais servi longtemps dans les Indes, sans avoir l'occasion de la visiter. Ce ne fut qu'en janvier 1893, après avoir passé mes vacances de Noël en Angleterre, que je pus mettre enfin mes projets à exécution et rejoindre, en passant par la Perse, le bâtiment qui m'attendait à Bouchir.

Ma route me conduisit en chemin de fer, par Vienne, à Odessa, où je m'embarquai pour Batoum; de Batoum à Bakou je suivis la ligne bien connue de Transcaucasie, puis je m'embarquai à Bakou, non pas pour Enzeli et Recht, ce qui est la voie ordinaire, mais pour Bandar-Gaz.

Le vapeur devait d'abord stopper à Ouzoun-Ada, à ce moment encore point de départ du chemin de fer Transcaspien. Après une rude traversée qui prit tout un jour, nous remontâmes lentement l'étroit chenal, dans lequel un bateau à l'ancre nous avertit d'être prudents, et, bien que notre tirant d'eau ne fût que de neuf mètres, nous fûmes continuellement requis de nous éloigner du bord, de peur d'échouer. La mer, peu profonde, était couverte d'une pellicule de glace. À tous égards, Ouzoun-Ada me parut être une très mauvaise base pour un chemin de fer. Aussi ai-je été heureux d'apprendre, un an plus tard, que Krasowodsk, beaucoup plus rapproché de la haute mer, et possédant un port en eau profonde, avait été finalement choisi pour remplacer Ouzoun-Ada.

Nous ressortîmes péniblement du chenal et nous mîmes le cap au sud, pour atteindre, après quinze heures, la ville russe frontière de Chikichliar. Le mouillage est presque hors de vue de la ville; je ne pus donc la visiter. Mais elle n'offre pas grand'chose à voir, et elle a une mauvaise réputation au point de vue du sol et du climat. Elle est reliée par Astrabad au réseau télégraphique de la Perse, mais le chemin de fer Transcaspien lui a enlève son ancienne importance comme poste militaire.

Continuant notre route vers le sud, nous vîmes bientôt le climat changer rapidement. Après déjeuner, nous étions au large de la station navale russe d'Achour Ada, ayant devant nous le pays d'Iran, couvert d'un épais brouillard.

Les îles d'Achour Ada sont, en réalité, des parties d'un banc de sable formé par le vent du nord, qui domine dans ces parages; derrière elles s'étend une vaste lagune appelée ici même Murdal, ou «eau morte», où se déversent des cours d'eau chargés d'alluvions. On trouve plusieurs de ces lagunes le long de la côte; celle d'Enzeli est la plus connue; mais la baie d'Astrabad, pour nous servir de l'appellation qui figure communément sur les cartes, est la plus profonde; les bateaux à vapeur peuvent naviguer tout près des côtes, et ne sont pas contraints d'opérer leur déchargement en dehors de la barre, comme à Enzeli.

Achour Ada, qui doit être une station terriblement malsaine, fut occupée en 1838 par la Russie, déterminée alors à écraser la piraterie turkomane. Le Gouvernement du tsar a été invité à se retirer de ce qui, à parler en termes stricts, est encore territoire persan; mais s'il le faisait, la piraterie ne tarderait pas à relever la tête. Comme en vertu du traité de Gulistan, le pavillon persan ne peut flotter sur la Caspienne, toute la police est faite par la grande puissance du Nord.

Trois pontons étaient ancrés devant l'île, qui est si étroite que l'embrun des vagues la traverse par le mauvais temps. Après une lente navigation dans la tranquille lagune, nous finîmes par aborder à un ponton ancré à un mille environ au large de Bandar-Gaz. Nous rassemblâmes nos bagages, et nous nous vîmes bientôt transportés, à coups de rames, à un port qui était parvenu à son dernier état de vétusté, et, à la tombée de la nuit, nous étions nous-mêmes sur le sol de la Perse, formé d'une boue épaisse et gluante.

LE PLATEAU DE L'IRAN. CARTE POUR SUIVRE LE VOYAGE DE L'AUTEUR D'ASTRABAD À KIRMAN.

Je ne savais trop où aller; mais Yousuf Abbas, un Persan instruit, que j'avais engagé à Odessa et qui doit avoir voyagé plus qu'aucun homme de son âge, me dit que nous pourrions trouver à nous loger chez le fonctionnaire du télégraphe; celui-ci nous reçut, en effet, très aimablement; je pus bientôt savourer chez lui un pilaf persan.

Au jour, Bandar-Gaz me parut un endroit mélancolique. La boue y est si profonde qu'une paire d'échasses y serait très utile. Les cabanes en troncs d'arbres paraissaient sales et misérables.

Le Mazandéran, qui occupe avec le Ghilan la côte méridionale de la mer Caspienne, est une province d'un grand intérêt, ne serait-ce que par le contraste frappant qu'elle offre avec les autres parties de la Perse, ou même les autres districts bordant la mer intérieure. En quittant les lagunes, couvertes d'une végétation pourrie, on traverse une bande de jungle, de largeur variable, très dense et infestée de toutes sortes de vermine et de moustiques, qui y rendent la vie insupportable en été. On dit que les tigres y abondent, mais il arrive rarement qu'on en tue. Lorsqu'on atteint les montagnes, le pays change soudain d'aspect, et le voyageur peut se croire dans le Kachmir; il y trouve les mêmes arbres, les mêmes prairies, et, au-dessus, les pentes nues de la montagne. Ce pays est également l'habitat d'un cerf magnifique.

Les Mazanderanis sont des individus au teint jaunâtre, mais nullement rabougris, comme on pourrait l'attendre du pays qu'ils habitent. Ils se vêtent de laine et se nourrissent de riz, dont ils consomment d'énormes quantités. Ils sont heureux de vivre et jamais ne désirent quitter leur province. En fait, ils ne prospèrent pas dans les autres parties de la Perse.

En deux jours, nous atteignîmes Astrabad par une route lamentable. Le soleil se couchait; nous entrâmes en ville par un passage également dépourvu de porte et de garde, et le premier être que nous aperçûmes fut un chacal. Nous finîmes par trouver un homme dans les rues abandonnées, et il nous guida fort aimablement jusqu'à la maison de Mirza Taki, l'agent britannique, où nous eûmes la grande satisfaction de pouvoir endosser des vêtements secs. La combinaison de l'humidité et du froid est très désagréable, pour ne pas dire dangereuse, plus encore en Orient qu'ailleurs, et je me sentais heureux d'avoir passé sans malaise la zone de la fièvre et d'avoir atteint une des plus fameuses cités de la Perse.

LES FEMMES PERSANES S'ENVELOPPENT LA TÊTE ET LE CORPS D'AMPLES ÉTOFFES.—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

Astrabad, surnommée, dans le style hyperbolique de l'Orient, Dar-ul-Muminin, ou «Demeure des Fidèles», n'est pas, autant que nous pouvons le savoir, une ancienne ville, bien que, d'après la légende, elle ait été fondée par Nochirevan, avec l'argent donné par Azad Mahan, gouverneur des Keronan. Son intérêt pour les Anglais vient surtout de la tentative malheureuse qu'on fit, au XVIIIe siècle, pour y ouvrir un trafic anglo-persan.

Au commencement du IXe siècle, on s'était beaucoup exagéré l'importance d'Astrabad. Napoléon et le tsar Paul avaient formé un projet d'invasion de l'empire des Indes par cette route. Il fut repris par la Russie durant la guerre de Crimée, mais à l'une et l'autre période, l'exécution en aurait presque infailliblement abouti à un désastre. Aujourd'hui le chemin de fer Transcaspien a enlevé à la ville toute l'importance qu'elle a pu avoir, quoique dans le cas d'une attaque de la Perse par le nord, la capture de Chahroud faite par la voie d'Astrabad séparerait Mechhed de la capitale.

Astrabad remplit peut-être une moitié de sa superficie primitive, et l'on me dit que sa population ne dépasse pas dix mille habitants. La plupart des rues ont été pavées, probablement par Chah Abbas, et les maisons sont construites en briques ou en pierre, avec des toits de toiles rouges ou de chaume, dont l'aspect est gai, même en hiver; au printemps, comme les crêtes des murs sont plantées de fleurs, l'effet doit être très joli. La ville fabrique du savon en grande quantité. La potasse est extraite d'une plante curieuse qui croît sur les bords de la rivière. Enfin on fabrique aussi de la poudre. Ce sont là toutes les industries locales.

Une lourde chute de neige survint, qui fit paraître plutôt bizarres les oranges dans les arbres. Je partis pour la chasse, espérant que la neige ferait descendre les cerfs des hauteurs. Je n'en vis pas un, malgré mes efforts, pendant toute une semaine. En revanche, j'aperçus quelques daims et de nombreux sangliers, dont je ne tuai qu'un, pour essayer un nouveau fusil.

Quand je revins à Astrabad, les préparatifs de ma petite expédition dans le pays turkoman étaient terminés, et je me mis en route dans la direction du nord. Tandis que la forêt atteint presque le côté sud de la ville, le pays, au nord, est tout à fait plat et ouvert, avec beaucoup de cultures. Après avoir dépassé quelques hameaux, nous atteignîmes le Kara-Sou, ou «Eau-Noire», au cours lent et boueux. Un pont le traverse, qui mène en plein pays turkoman. Quelques milles d'une plaine admirablement fertile nous conduisirent jusqu'aux bords du Gurgan, un fleuve dont le nom a la même racine que le mot d'Hyrcanie. Un second pont, aussi solide que le premier, est commandé par le fort d'Akkala, ou le Fort-Blanc, une des anciennes places des Kadjars, encore occupé par une garnison, et d'une apparence imposante. Nous ne franchîmes pas le fleuve, mais nous longeâmes sa rive gauche, et, dépassant divers groupes d'alachouk, nous parvînmes au camp de Mousa khan, chef des Ak-Atabai, pour lesquels j'avais une lettre du colonel Stewart.

Pour vous représenter un alachouk, imaginez un cadre de branches recourbées ressemblant à une ruche d'abeilles et d'environ 20 pieds de diamètre; du feutre noir est étendu sur ce cadre, et le résultat est une maison mobile qui, au moins par les temps froids, est préférable à une tente. À l'intérieur, les lares et les pénates sont rassemblés en énormes paquets, tandis que la carabine du maître de l'habitation est suspendue à portée de la main. Des morceaux de tapis sont disposés sur les interstices du feutre, et quand le feu est allumé sur le foyer découvert, on éprouve là-dedans l'impression d'un confort réel, un peu gâtée, il est vrai, par la tomée. Chaque camp était occupé par un nombre de familles allant de dix à trente; elles passent cinq mois au sud du Gurgan, font leurs moissons, puis mènent leurs troupeaux paître près de l'Atrek.

On peut considérer comme la patrie des Turkomans une bande de terrain qui partant de la baie d'Astrabad aboutit aux confins des trois États: la Russie, la Perse et l'Afghanistan.

Leur première apparition importante dans l'histoire date du XIIe siècle, époque où ils renversèrent le sultan Sandjar.

Chah Abbas, lors de son accession au trône, établit de grandes colonies de Kurdes notamment à Boujnourd, et à Koutchan; ce fut évidemment un coup pour les bandits turkomans; mais jusqu'à leur chute définitive, après la prise de Khiva et celle de Merv, ils furent un véritable fléau pour la Perse. On n'en peut juger que lorsque, comme moi, on a vu de leurs anciens prisonniers et su ce qu'ils eurent à supporter; d'autant plus qu'à la férocité naturelle des Turkomans s'ajoutait la haine des Sunnites pour les Chiites. M. Vambéry m'a raconté que, quoique très bien traité lui-même lors de son séjour sur l'Atrek, les spectacles dont il fut témoin lui firent maudire ses hôtes.

PAYSAGE DU KHORASSAN: UN SOL ROCAILLEUX ET RAVAGÉ, UNE RIVIÈRE PRESQUE À SEC; AU FOND, DES CONSTRUCTIONS À L'ASPECT DE FORTINS.—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

À ma grande contrariété, j'appris que Mousa khan était allé pour la nuit à Astrabad. Je mis à profit le jour de l'attente que je dus passer là pour visiter les ruines d'une ville nommée aujourd'hui Kizil-Alan. Il y a aussi des monticules, dispersés le long de la vallée du Gurgan, qui ont intrigué les voyageurs. Quelques-uns y ont vu des séries de postes à signaux. Il est plus simple de supposer que ce sont des ruines de villages ou de villes. Nous n'en pouvons dire plus, avant qu'on ait fait des fouilles systématiques. Alors une riche moisson récompensera les explorateurs de l'ancienne Hyrcanie.

Dès son arrivée, Mousa khan me fit savoir par Yousouf qu'il ne pouvait prendre sur lui de me laisser passer à travers le pays turkoman. J'étais certain d'être tué ou volé, et lui en serait tenu comme responsable par le Gouvernement persan. J'eus beaucoup de peine à le faire revenir sur sa décision; enfin, au bout de trois jours, il céda sur la menace que sa réputation d'autorité en souffrirait en Europe, et consentit à me faire escorter jusqu'à l'Atrek par trois de ses parents, qui organiseraient mon voyage plus loin.

Je me séparai ainsi de mon hôte au passage du Gurgan, et nous prîmes au nord, à travers le steppe neigeux. D'abord il était tout à fait plat, mais en approchant de l'Atrek, nous passâmes une chaîne de collines basses, connues sous le nom de Kara-Tapa, les «Collines-Noires». Le soir, au milieu d'une tempête de neige, nous atteignîmes à Tengli un camp d'Atabaï, où nous couchâmes. La tribu des Atabaï compte environ deux mille familles en Perse et mille en Russie. Nous continuâmes ensuite à longer l'Atrek, guidés, pendant quelques étapes, par un mullah turkoman, Hak Nafas, qui se trouva fort peu sur. J'appris de Yousouf qu'il était un bandit réclamé à la fois par Astrabad et par Boujnourd. C'était beaucoup pour un seul homme.

Un peu avant de nous quitter, il avait eu à mi-voix une conférence avec quelques hommes de notre escorte. Le soir de ce jour, ayant franchi la rivière, nous campâmes auprès d'un groupe de cinq tentes. On ne nous invita pas, comme d'ordinaire, à entrer dans les alachouk, et nous devinâmes sans peine que quelque chose se préparait contre nous. Je barricadai donc ma tente et je veillai, ce qui me fut facile, étant tourmenté par un violent mal de dents. Vers minuit, les Turkomans se mirent à ramper vers nos tentes avec leurs carabines; quand ils furent à cinquante mètres, Yousouf alla très poliment s'enquérir de leur santé. Sur quoi, sans dire un mot, ils disparurent. Nous chargeâmes nos mules avant le lever du soleil, et Yousouf, qui montra pendant tout ce temps là une crânerie splendide, harangua nos voleurs in partibus, en leur reprochant leur violation des lois de l'hospitalité et les menaçant de toutes sortes de châtiments. Finalement, ils disparurent et nous laissèrent en paix. Le même jour, nous faillîmes être attaqués par nos guides de l'avant-veille, qui nous suivaient sur l'autre rive de l'Atrek. Mais ils se retirèrent, persuadés que le Sahib devait avoir de puissants protecteurs, et que, sans cela, il ne se serait jamais hasardé dans ce pays.

À Akchanim, en aval d'une gorge de l'Atrek, j'arrivais sur le territoire des Turkomans Goklan. C'est le premier endroit où je fus l'objet d'une réception aimable. Mon hôte, Moustafa Kouli, avait été attaché en 1874 à la mission de l'Hon. G. Napier au Gurgan.

Nous franchîmes ensuite, par une pente très raide, le passage connu sous le nom de passe Hanaki; son sommet est à 1020 mètres d'altitude. De là, la vallée que nous venions de remonter apparaissait comme une carte en relief; derrière, se dressait le Sonar-Dagh. Au sud, il y avait de la neige partout, avec des présages de chute nouvelle. Nous hâtâmes donc le pas; ce ne fut pas néanmoins avant le coucher du soleil que nous atteignîmes le fort en ruines d'Amend, autour duquel se groupaient quelques tentes des Toktimach.

Le lendemain, nous remontâmes péniblement la vallée de l'Incha, pour passer ensuite un second col, et le surlendemain, nous atteignions, dans un district cultivé et sur la route d'Astrabad à Boujnourd, le village de Semalgan, probablement le Samangan du Chah Nameh, un des nombreux villages appartenant aux Kurdes. Inutile de dire que j'étais enchanté d'avoir derrière moi le pays des Turkomans, mais aussi d'avoir eu un coup d'œil sur leurs coutumes et leurs idées, ce que je n'aurais jamais pu obtenir si j'avais voyagé avec une escorte.

Les Kurdes me reçurent aimablement. Ils avaient gardé de bons souvenirs du colonel Napier. Mais j'étais un peu embarrassé de venir après lui: il avait généreusement distribué des cadeaux, et moi je passais les mains vides.

Franchissant la passe de Halinur, qui s'ouvre dans une haute chaîne de montagnes, nous arrivâmes enfin à la petite ville de Boujnourd. J'y fus reçu très aimablement par le gouverneur, qui me félicita d'avoir accompli sans encombre un aussi périlleux voyage. Et de fait, je ne me rendis compte qu'à ce moment des risques que j'avais courus. Le colonel Yate, qui parcourut cette contrée l'année suivante avec soixante-dix hommes et une escorte armée, l'appelle «la partie la plus sauvage et la plus insoumise de tout le territoire turkoman, où les Persans n'osent pas mettre le pied».

La province de Khorassan, dans laquelle nous venions d'entrer, est dans l'angle nord-est de la Perse; son nom signifie «Pays du Soleil». Elle occupait autrefois un espace énorme; elle s'étendait de la mer Caspienne à Samarkand, et au sud, jusqu'aux confins du Sind. Aujourd'hui, elle va de la Transcaspie, au nord, au Seistan au sud, et de l'Afghanistan à l'est jusqu'à Astrabad à l'ouest. Sa superficie est évaluée par lord Curzon de 375 000 à 435 000 kilomètres carrés.

Le soir de mon arrivée, je rendis visite au Saham-u-dola, qui est gardien des Marches depuis de longues années, et qui jouit d'une grande réputation. Je ne lui dis pas tout d'abord que j'étais un officier voyageant pour mon plaisir; mais voyant qu'il me considérait comme employé à quelque extraordinaire mission, je lui révélai le fait. Il ne me crut pas, naturellement: un Oriental ne voyageant jamais que pour gagner de l'argent ou comme pèlerin.

Boujnourd est une petite ville qui compte peut-être dix mille habitants et une longue rue, et qui est reliée à Mechhed par une ligne télégraphique et par une poste hebdomadaire. La rue est bordée de boutiques pleines de samovars russes et de calicot de Manchester. J'achetai trois tapis turkomans pour une somme équivalant à sept livres. La fortune favorisa mon ignorance: ils valaient quatre ou cinq fois cette somme en Angleterre.

Trois jours nous ayant suffi à épuiser les curiosités de Boujnourd, nous engageâmes de nouvelles mules et nous partîmes pour Koutchan. Sortis par la porte de Mechhed, nous passâmes à côté de l'ancienne ville, aujourd'hui en ruines, et nous descendîmes à l'Atrek. Parmi les nombreux villages que nous traversâmes, quelques-uns avaient des tours carrées ressemblant, à distance, à celles des églises anglaises; il y avait partout un air de prospérité que nous n'avions pas trouvé dans le district, mieux doué de richesses naturelles, d'Astrabad. Le lendemain, nous traversions la rivière sur un pont en bon état, et passant à Sissah, nous entrions dans le territoire de Koutchan. La vallée s'élargit, la terre est très fertile, et les villages sont aussi serrés que dans diverses parties du Pendjab.

ENFANTS NOMADES DE LA PERSE ORIENTALE.—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

Pendant notre marche, nous fûmes témoins de la survivance de cette très ancienne coutume, le mariage par capture. Nous rencontrâmes d'abord l'escorte d'une fiancée allant à cheval, dans un somptueux costume blanc et rouge. Un peu plus loin se trouvaient des cavaliers, et, à l'approche de la dame, on organisa une sorte d'escarmouche, jusqu'à ce qu'elle eût fait mine de se rendre.

À Chirwan, je me retrouvai en terrain exploré, et j'arrivai à la route de Koutchan à l'endroit où se fait évidemment un important trafic avec Geok-Tapa, le point le plus rapproché du chemin de fer Transcaspien. L'Atrek était maintenant réduit aux dimensions d'un large ruisseau. Une marche de 35 000 milles, à travers une des vallées les plus fertiles de la Perse, nous mena jusqu à Koutchan. Le district dont cette ville est le chef-lieu est le plus important des trois districts kurdes; jusqu'à ces dernières années, il était semi-indépendant. Nadir Chah fut assassiné en 1747, en essayant de le réduire. L'Ilkhani a été décrit de très amusante façon par lord Curzon; il est généralement dans un tel état d'ébriété, par l'effet de l'opium ou de l'alcool, qu'il est nécessaire de lui annoncer sa visite trois jours à l'avance. Je m'abstins d'aller le voir, désireux de ne pas perdre de temps.

Je trouvai à Koutchan une lettre du consul général britannique à Mechhed, M. Elias, qui m'annonçait fort aimablement qu'il avait envoyé à ma rencontre, à une étape de la ville, un sowar et deux chevaux. Nous frétâmes une voiture pour nous transporter, nous et nos biens, jusqu'à la ville.

Le pays était fertile, mais monotone. Par suite de la forte gelée, la chaussée était dure et unie. Dans l'après-midi du troisième jour, j'aperçus un homme au sommet d'un caravansérail. C'était le sowar, et, en moins de cinq minutes, je trottais dans la direction de Mechhed, laissant Yousouf suivre en voiture. Devant nous, à plusieurs milles de distance, le magnifique dôme doré brillait comme une flamme sous les rayons du soleil couchant.

JEUNES FILLES KURDES DES BORDS DE LA MER CASPIENNE.—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

Une foule curieuse nous attendait sur les places de la ville. Par le Khiaban, l'avenue principale, l'Unter den Linden de l'endroit, puis par les rues enchevêtrées, nous arrivâmes au Consulat général, où nous reçûmes un accueil chaleureux. Sans nouvelles du monde extérieur depuis deux mois, j'étais inexprimablement heureux de me trouver dans un milieu ami.

Mechhed, dont le nom signifie «la Tombe d'un Martyr», est ainsi appelée parce qu'elle renferme la tombe d'un saint, Reza, le huitième iman. Son sanctuaire est parmi les plus riches et les plus visités de l'Asie. Le trésor qu'il possède absorbe non seulement de larges tributs annuels en argent et en bijoux, mais reçoit encore en dons et en legs, des terres et des jardins de toutes les classes de la société. Il n'est pas ouvert aux visiteurs chrétiens, ce qui est en Perse une règle presque générale. Cependant elle n'a pas toujours été exactement observée, et l'ambassadeur espagnol à la cour de Timour, Ruy Gonzalez de Clavijo, nous raconte qu'il visita précisément la mosquée de Mechhed.

Le sanctuaire actuel, à ce que j'appris, est au centre de trois belles cours. Ses briques, ses lampes ouvragées et ses grilles d'or mettent autour de lui une atmosphère de beauté bien calculée pour impressionner les dévots.

Aujourd'hui, l'importance politique et commerciale de Mechhed est considérable. Au point de vue britannique, c'est un bon poste pour surveiller l'Afghanistan occidental, et aussi un entrepôt du commerce anglo-indien. Mais pour la Russie, le poste est encore beaucoup plus important, Mechhed étant la capitale de la province du Khorassan, dont Askhabad dépend pour sa subsistance. Comme on peut le supposer, les bazars sont presque entièrement remplis par des marchandises russes, mais les objets de provenance anglaise sont également très appréciés. On trouve donc là l'image de la lutte entre les deux pays qui se disputent l'influence.

LES PRÉPARATIFS D'UN CAMPEMENT DANS LE DÉSERT DE LOUT.—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

Lors de ma visite, le poste de consul général britannique était occupé par M. Ney Elias (mort depuis), le doyen d'une série de grands voyageurs dans l'Asie centrale. Les intérêts de la Russie étaient confiés à M. Vlassof, qui devait trouver une sphère d'activité plus vaste en Abyssinie. Comme cela arrive souvent, lui et son secrétaire avaient épousé des Anglaises, ce qui ajoutait beaucoup pour moi aux plaisirs de la société. Je n'ai jamais trouvé un meilleur accueil que dans cette petite colonie européenne. Aussi quand je partis, au bout d'une semaine, pour me rendre à Kirman par le désert de Lout, je me sentis tout à fait malheureux de quitter des amis, dont huit jours auparavant je ne connaissais pas un seul.

En quittant Mechhed, nous suivîmes la route de Téhéran jusqu'à Chérifabad. Elle traverse une région ondulée et tourne à un point d'où les pèlerins, venant du sud, peuvent contempler pour la première fois le dôme sacré.

Le surlendemain, nous eûmes à franchir la passe Bidar, où, à notre grand étonnement, nous trouvâmes une neige épaisse. De ce passage, qui a près de 2 000 mètres d'altitude, nous descendîmes dans la vallée d'une rivière, dont le cours inférieur porte le nom de Kal-i-Sala. Elle est traversée par un pont récemment construit, ce qui est rare en Perse.

Après avoir de nouveau franchi une région accidentée, nous arrivâmes à Turbat, ville de 15 000 habitants, appelée encore archaïquement Turbat-i-Haidari, de la tombe en briques rouges d'un saint réputé, Kutb-u-Din-Haider. Actuellement, on la nomme plutôt Turbat-i-Ichak-Khan, du nom d'un chef des Karaï, mis à mort après avoir essayé de conquérir Mechhed, à la tête d'une confédération de tribus. Turbat, entourée de jardins, est devenue, depuis 1901, un centre russe important; un médecin russe y a été établi, sous la protection des cosaques, pour surveiller les épidémies de peste, ou peut-être de choléra. La soie était autrefois le principal produit de la région; sa culture est redevenue prospère. Mais dans cette région comme dans d'autres, la famine ayant suivi la maladie du ver à soie lui a porté un coup qui se fait sentir encore.

Après Turbat, nous longeâmes le Kal-i-Sala, en changeant plusieurs fois de direction. Il était intéressant de noter que tous les villages marqués sur la carte étaient en ruines, de nouveaux hameaux ayant été construits à côté, tandis que, surprise plus grande encore, la rivière, qui tourne à l'ouest, était figurée comme se dirigeant vers le sud-est.

Nous passâmes ensuite à Djangal, Bimurgh, Beidukht, ce dernier village connu comme la demeure d'un des rares grands murschid de Perse. Ce maître, qui exerce une immense influence, spécialement sur les marchands de Téhéran, est appelé Hadji Mulla sultan Alé; il a construit une belle méderssé où collège, où il enseigne et prêche tous les jours. On le dit âgé d'environ soixante ans.

Djouncin, le petit chef-lieu du district de Gunabab, administré par le gouverneur de Turbat, a une population de 8 000 habitants environ et un petit bazar. Il a pour spécialité une fabrication de poteries si grossières et si laides que je m'abstins d'en acheter une seule.

La plaine de Gunabad est au pied d'une chaîne montagneuse, qui va du sud-est au nord-ouest, et sépare ici le pays relativement élevé que j'avais traversé du funèbre désert de Lout, où j'allais bientôt entrer. Plus loin à l'ouest, elle se confond avec la partie nord de ce désert. Après avoir traversé cette chaîne nous arrivâmes à Toun, ville murée, de 4 000 habitants. Dans l'enceinte même, il y a de nombreuses cultures. L'aspect général n'est pas déplaisant.

J'avais ainsi atteint la lisière nord du grand désert, que j'allais traverser pour la première fois et parcourir souvent dans la suite. Une courte description en paraîtra ici à sa place. Je dirai d'abord que divers géographes ont, sans raison suffisante, divisé le grand désert de Perse en deux régions, celle du nord, le Dacht-i-Kavir et celle du sud, le Dacht-i-Lout. Lord Curzon citant, d'après le général Houtum Schindler, trois dérivations possibles du mot kavir, choisit avec raison l'arabe hafr, qui signifie «marais salin». Ce mot arabe est encore communément en usage dans la Perse méridionale. Pour le terme Lout, il est sûrement dérivé de Lot, et les guides montrent souvent, dans le grand désert, des Chahr-i-Lout, ou «cités de Lot». Ils expliquent que le Tout-Puissant les détruisit par les feux du ciel, comme les villes sur lesquelles pèsent aujourd'hui les eaux de la mer Morte.

Après de nombreuses recherches, je suis arrivé à cette conclusion que le désert de Perse tout entier ne porte que l'unique nom de Lout (Dacht-i-Lout est une redondance rarement employée) et qu'il renferme un nombre considérable de kavir, dont les caractères sont partout identiques. J'admets cependant qu'ils sont plus nombreux dans la partie nord, qui reçoit une plus grande abondance d'eau. Un Persan, élevé en Angleterre, m'a dit qu'il avait bien vu la route Yezd-Pabas indiquée sur la carte comme le point où se rencontrent deux déserts, mais que toutes ses tentatives pour s'assurer sur les lieux de l'existence d'un désert de Dacht-i-Kavir avaient échoué. Cela avait diminué son respect pour la cartographie européenne.

LE DÉSERT DE LOUT N'EST SURPASSÉ, EN ARIDITÉ, PAR AUCUN AUTRE DE L'ASIE.—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

Le grand désert de Lout s'étend du voisinage de Téhéran jusqu'à la frontière du Baloutchistan britannique, sur une distance dépassant 1 100 kilomètres. C'est le rebord oriental de cette vaste étendue, dont le point le plus haut, le village de Basiran, que j'ai visité en 1899, s'élève à 1 400 mètres. L'altitude moyenne est d'environ 600 mètres; les points les plus bas, près de Khabis, sont à 300 mètres. La plus mauvaise partie du Lout est celle qui s'étend entre la Perse orientale et Khabis, et qui fut traversée par M. Khemikoff vers le milieu du XIXe siècle. Voici ce qu'il écrit: «On peut imaginer facilement notre plaisir de nous trouver sains et saufs, après avoir traversé un désert qui n'est surpassé en aridité par aucun autre de l'Asie; comparés au Lout, le Gobi et le Kizil-Koum sont, on effet, de fertiles prairies. J'ai vu l'aspect désolé de l'isthme de Suez. Bien des parties de cette aride région semblent frappées de la même stérilité que le Lout, mais ce caractère ne s'étend jamais à d'aussi vastes surfaces».

Il est admis généralement que le Lout est le fond d'une ancienne mer intérieure. Cette opinion s'appuie entre autres sur l'existence d'un volcan actif à Sarhad, du volcan éteint de Kouh-i-Bazamn... et sur beaucoup de légendes.

Je suis aussi d'avis que, par suite des guerres d'extermination dont la Perse a souffert, les limites désertiques se sont étendues. La Perse est un désert, avec des villages séparés par des intervalles de quelques milles, et péniblement entretenus en vie par le moyen de l'irrigation. Quand l'eau vient à cesser, les villageois s'en vont; inversement, quand les villageois ont été tués, les canaux s'obstruent, l'eau manque et le désert s'agrandit.

En dehors du Lout, il y a bien des régions en Perse où, pendant trois ou quatre étapes, on ne rencontre pas de villages. Tous ces déserts en miniature reproduisent les traits du grand. Je dois ajouter encore que, comme tout l'indique, la chute de pluie a diminué. La cause à la fois et la conséquence de ce fait, c'est que le pays est à peu près dépourvu d'arbres. Les deux grandes nécessités pour la régénération matérielle de la Perse sont donc l'eau et la reforestation.

J'ai la prétention, que je crois justifiée, d'être le premier Européen qui ait traversé cette partie du Lout, bien que, au moment où j'étudiais la question, je fusse persuadé que je suivais les traces de Marco Polo. D'ailleurs, avec des arrangements convenables, la route n'offre pas de grandes difficultés, au moins pendant sept mois de l'année. C'est la principale route de Kirman à Mechhed, et elle est suivie en conséquence par des milliers de voyageurs, spécialement par des pèlerins.

Au delà de Toun, nous prîmes la direction du sud et, après avoir quitté la zone cultivée, nous entrâmes dans un district de collines basses, noires, brûlées de soleil. Tous les quatre milles, nous rencontrions des réservoirs d'eau, connus sous le nom de hauz, et consistant en voûtes souterraines, où l'on entre par des escaliers. L'eau qui s'y trouve est généralement souillée; ils en manquent tout à fait dans les années sèches.

Pendant la seconde journée, tandis que nous rampions péniblement dans la plaine, nous vîmes apparaître une chaîne de montagnes neigeuses qui n'était marquée sur aucune carte. Le lendemain, nous étions au village de Duhuk, dans une dépression de cette chaîne, dont la hauteur doit bien atteindre 2 700 mètres et qui s'appelle le Mour Kouch.

Les habitants montraient une curiosité intense et bien naturelle à voir les premiers Européens venus dans leur pays. Elle était encore augmentée, nous dirent-ils, par ce qu'ils avaient entendu des pèlerins sur les miracles accomplis, plus ou moins extraordinaires, par les Farangis, spécialement à Bombay.

Cette partie du Lout se trouvait beaucoup plus peuplée que nous ne l'avions cru. Nous passâmes par les villages d'Arababad et de Zenagoun, d'où une route de 50 milles nous mena à Naïband. Nous fîmes halte à Ab-i-Garm, qui était un vrai kavir, quoique d'un type un peu anormal. Le district environnant se drainait dans le marais, dans lequel on trouvait des eaux saumâtres. Les tamaris étaient en abondance; quelques bêtes à cornes paissaient l'herbe grossière, et nous levâmes quelques canards.

Le soir, une tempête nous fit perdre de vue la piste qui formait la route. Voyant que nous n'avions plus d'eau et ne sachant pas à quelle distance était Naïband, je partis le lendemain, dès l'aurore, et j'allai en avant à cheval, afin de renvoyer de l'eau à mes compagnons.

À un détour du chemin, j'eus tout d'un coup la vision d'un pays de féerie. Les montagnes opposées étaient couvertes de palmiers qui se balançaient dans l'air, et avec lesquels les blés verts faisaient un contraste exquis. Au sommet, un vieux fort rouge se dressait pittoresquement. En entrant dans le bois de palmiers, je vis des cours d'eau coulant dans toutes les directions. De vastes grottes complétaient le tableau qui était vraiment magnifique.

J'envoyai une provision d'eau à mes compagnons, qui ne tardèrent pas à arriver. Nous établîmes notre camp au sommet de la montagne, d'où nous voyions, entre les palmes vertes, le désert jaune et brûlant de Lout s'étendre jusqu'au bout de l'horizon. J'appris que le village de Naïband a été fondé il y avait deux siècles comme poste avancé contre les Baloutches. Nous allions entrer dans la sphère des déprédations de ce peuple.

Les mules ayant besoin de repos, je passai deux jours à explorer la chaîne de montagnes voisine, dont la hauteur est d'à peu près 2 800 mètres. Elle est presque entièrement dépourvue d'eau.

L'étape suivante devait être de 40 milles. Elle nous mena à travers de véritables cités de Lot, collines aux flancs escarpés, donnant des visions de tours, de maisons et de formes humaines, sous le brillant clair de lune. Nous atteignîmes, ce jour-là, le caravansérail de Darband, gardé par un soldat solitaire, qui gagne sa vie en vendant des provisions à des prix de famine. Le lendemain, nous arrivions à la petite ville de Rawar, qui a 8 000 habitants, et qui est renommée pour ses figues et ses grenades; c'est aussi un centre de l'industrie des tapis. À Ab-Bid, nous nous vîmes entourés soudain d'une bande d'Arabes, qui, après nous avoir inutilement demandé de l'argent, se mirent en devoir de piller le caravansérail. Deux hommes vinrent nous raconter la chose, nous priant de les aider à recouvrer leurs biens. «Volontiers», répondîmes-nous. Ce fut un vrai plaisir de faire dégorger leur vol à ces bandits. Tout d'abord, ils tirèrent leurs couteaux; mais la vue de deux revolvers les terrorisa, et finalement, ils rendirent tout ce qu'ils avaient pris.

Notre campement suivant fut établi à Hur, petit hameau occupé à l'origine par quelques familles de soldats, mis là pour garder le pays contre les Baloutches. Puis vinrent les étapes de Gwark et de Tejen. Avant d'atteindre Khabis, la route traverse le fameux Kar-i-Chikan, ou défilé de «la Destruction des ânes». Un immense rocher la barre, de telle sorte qu'il faut décharger tous les animaux et prendre leurs charges à la main. Un peu de dynamite suffirait pour remédier promptement au mal.

La petite ville de Khabis, où nous arrivâmes ensuite, a 8 000 habitants environ; elle produit d'excellentes dattes, des oranges, du henné, et c'est une station d'hiver fréquentée. Elle fut plusieurs fois au pouvoir des Afghans, avant que la dynastie Kadjar fût solidement établie en Perse. Le Rev. A. R. Blackett, de la Church Missionary Society, qui a visité Khabis en 1900, me raconte qu'il y a trouvé les ruines de ce qui était probablement une église chrétienne, dans un groupe de constructions connu sous le nom d'Akus, à un mille à l'est de la ville.

Avant d'arriver à Kirman, nous avions encore à traverser la chaîne de Kouhpaia, par le col de Goudai-i-Khouchab, qui s'élève à 2 200 mètres; nous campâmes au petit village d'Amaristan, et le lendemain matin, nous nous élevions jusqu'au Gudar-i-Galgazut, d'où nous ne tardâmes pas à descendre par degrés sur la plaine de Kirman.

Au point où cessent les montagnes, se dresse un vieil érable, à l'ombre duquel le voyageur fatigué peut contempler une des grandes cités de la Perse. Cependant l'aspect de Kirman n'offre pas une apparence imposante, les maisons et le sol étant uniformément de couleur khaki. Près des limites de la ville, le quartier des zoroastriens, qui a été détruit par les Afghans, montrait tous les signes d'une mélancolique décadence, tandis qu'à gauche des collines de calcaire étaient couvertes par des forts en ruines. Après avoir traversé une bande de jardins et de maisons, nous atteignîmes les murailles, et j'entrai pour la première fois à Kirman, ne pensant guère que je devais avoir, plus tard, de si nombreux rapports avec cette ville.

(À suivre.) Adapté de l'anglais par H. Jacottet.

Droits de traduction et de reproduction réservées.

TOME XI, NOUVELLE SÉRIE.—27e LIV. No 27.—8 Juillet 1905.

À TRAVERS LA PERSE ORIENTALE[1]
Par le MAJOR PERCY MOLESWORTH SYKES,
Consul général de S. M. Britannique au Khorassan.

II. — La province de Kirman. — Géographie: la flore, la faune; l'administration; l'armée. — Histoire: invasions et dévastations. La ville de Kirman, capitale de la province. — Une saison sur le plateau de Sardou.

UN MARCHAND DE KIRMAN.—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

La province de Kirman a toujours eu, depuis qu'elle est apparue dans l'histoire, une importance considérable, sinon de premier ordre. Peut-être, étant donné la configuration physique du pays, son étendue est-elle approximativement aujourd'hui ce qu'elle était il y a deux mille ans. D'autre part, la différence est minime entre le nom classique de Kermania et celui de Kirman.

Au point de vue géographique, la province, qui est presque aussi grande que la France, offre un réel intérêt, ne fût-ce que pour la différence des climats, des productions naturelles et des populations que l'on y rencontre. Sur une grande étendue, le pays est plat, les palmiers prospèrent; le froment et l'orge poussent en hiver et sont moissonnés au premier printemps. Dans quelques régions, le Djiruft, par exemple, de beaux plateaux, montant jusqu'à 2 700 mètres, constituent la partie la plus méridionale du principal système orographique de la Perse, dans lequel les chaînes se dirigent approximativement vers le nord-ouest. Dans la partie sud du Kirman, on trouve des pics qui atteignent presque 5 000 mètres. Dans le nord et dans l'est de la province, l'altitude décroît progressivement; cependant les montagnes qui avoisinent la capitale sont élevées, mais au delà s'étendent les basses dépressions désertes du Lout.

La meilleure description qu'on puisse donner de l'ensemble de la province est d'ailleurs qu'elle consiste en partie en désert pur et simple, en partie en désert diversifié par des oasis. Ainsi, le désert s'étend bien à l'ouest, au sud et à l'est de Kirman; mais, à une distance de quelques milles, on trouve de petits hameaux, et sur certains points des villages, entretenus en vie par des sources blotties dans les montagnes, et dont l'eau est amenée à la plaine par des kanats. Dans certains cas, la première source peut se trouver à 120 mètres de profondeur, et de nouveaux puits doivent être creusés à des distances de quelques mètres. Il est impossible de ne pas admirer la patiente industrie des paysans, qui réussissent à assurer leur existence au prix des plus grandes difficultés. Souvent, une forte pluie ou une trombe de sable vient, en effet, obstruer les canaux.

Naturellement, les rivières sont sans importance. Le Halil Roud mérite seul d'être mentionné. Il naît au sud de la grande chaîne dont j'ai parlé, coule à travers le district de Djiruft, et se jette dans la rivière de Bampour. On n'a fait jusqu'ici aucune tentative pour utiliser son eau.

On n'a pris aucune mesure de la chute des pluies dans la province. Comme elle est de 25 centimètres environ à Téhéran, on peut admettre pour Kirman une moyenne de 17 centimètres, ou même moins. Mais il y a, à ce point de vue, des différences entre les districts. Celui de Djiruft est le plus favorisé.

Dans les hauts plateaux, le commencement du printemps est gâté par d'incessantes rafales et des tempêtes de poussière venues pour la plupart du sud-ouest. Les pluies d'orage sont fréquentes dans les bonnes années. À Kirman, au milieu de l'été, les jours sont chauds, mais les nuits sont agréables, et la brise souffle presque chaque après-midi. Les chaleurs sont passées vers le milieu de septembre. Après l'équinoxe d'automne, un brouillard dense règne pendant quelques jours. C'est sans doute la brume dont Marco Polo parle en ces termes: «Et vous devez savoir que lorsque les Caraonas veulent faire une incursion de pillage, ils ont certains enchantements diaboliques, au moyen desquels ils répandent l'obscurité sur la face du jour, à tel point que vous pouvez à peine reconnaître votre camarade chevauchant à côté de vous, et ils peuvent faire durer cette obscurité jusqu'à sept jours.»

À part cette exception, l'automne est délicieux, quoique les Persans en trouvent la température fiévreuse. Cela s'explique, parce qu'ils mangent trop de fruits. En hiver, il y a de fortes gelées, avec des jours qui sont encore d'une clarté admirable. Il y a généralement un jour de pluie vers la fin de novembre, et une légère chute de neige en décembre. En janvier, quand l'année est bonne, on compte trois ou quatre lourdes chutes d'une neige qui ne tarde pas à fondre dans les plaines. Ainsi chante le poète Omar Khaygam: «L'espérance du monde à laquelle les hommes mettent leurs cœurs devient cendre ou se réalise; et de nouveau, comme la neige sur la face poudreuse du désert, brillant une petite heure à peine, elle s'en va».

Mais en même temps, sans les montagnes dans lesquelles «les trésors de la neige sont en réserve pour les temps de trouble», la Perse du sud-est serait, autant que j'en puis juger, inhabitable. Dans le Garmsir, les mois d'hiver sont fort agréables; mais, même en mars, une tente devient horriblement chaude, et l'été est à la fois éprouvant et malsain, quoique, sur beaucoup de points, il y ait des montagnes fraîches, d'un accès facile.

La population de cette grande province compte peut-être 750 000 habitants, qui peuvent se diviser en sédentaires et nomades, ceux-ci très nombreux. Les gens des villes et des villages sont, pour la plupart, des Iraniens. Les hordes des envahisseurs successifs ont mené, presque dans tous les cas, une vie errante, la même à peu près qui nous est décrite dans le Livre de Job.

Le voyageur qui vient d'Europe trouve la stérilité du pays épouvantable, et, chose triste à dire, elle ne fait que croître. À mesure que la population devient plus stable, les provisions de bois s'épuisent, spécialement par la main des charbonniers—il n'y a pas de mines de houille,—et peu de chaînes possèdent quoi que ce soit qui ressemble à une forêt. On ne trouve généralement que des fourrés dispersés; l'un donne la gomme «tragacanthe» qui est appréciée dans le commerce; un autre l'assa fœtida. Les montagnes, m'a-t-on dit, possèdent toutes sortes de plantes alpines.

Voyager dans le sud de la Perse signifie généralement marcher sur un sol dont la réverbération est aveuglante, entre des chaînes de montagnes pierreuses. Le voyageur lassé salue avec enthousiasme la moindre petite source; même un saule rabougri lui semble une chose admirable, dans une si vaste étendue sans arbres.

Les principales productions du pays sont le froment, l'orge, l'opium; les plantes d'automne, sur les plateaux inférieurs, sont le millet, le coton et la betterave; sur les hauts plateaux et dans les vallées, on cultive beaucoup de pois. Dans le Garmsir, les céréales d'été sont le riz et le maïs. Le précieux henné est aussi une source de richesse, spécialement pour Bam et Khabis. On cultive encore les melons, les pastèques, le raisin, les lentilles, les concombres, les choux, les laitues, les oignons, etc. Les pommes de terre commencent à acquérir une certaine popularité. Des fruits de toute espèce croissent avec la plus grande facilité: pommes, poires, abricots, mûres, coins, nectarines, pêches, prunes, cerises, figues, grenades, amandes, avelines, noisettes, noix, pistaches; mais comme on n'en prend aucun soin, ils sont généralement d'une saveur médiocre. Cependant les oranges et les citrons de Khabis et de Bam sont excellents, et les pistaches de la province sont renommées.

Les arbres, qui, presque tous, ne peuvent prospérer que par l'irrigation, sont en petit nombre. Le platane vient au premier rang; puis viennent le peuplier, le saule ordinaire et le saule pleureur, l'orme, l'olivier de Bohême, le cyprès, le pin, l'acacia et l'aubépine à la senteur délicieuse. Les fleurs les plus répandues sont les roses, qui croissent presque à l'état sauvage, et le jasmin. Les semences d'Europe sont fort appréciées, les Persans étant très grands amateurs de floriculture. On emploie beaucoup d'eau de rose, même pour en boire.

En ce qui concerne la faune sauvage, le léopard fréquente les montagnes, mais on le rencontre et on le tue rarement. On peut dire la même chose de l'ours. Les moutons sauvages et les bouquetins m'ont donné l'occasion de plus d'une chasse, et l'on trouve des gazelles dans toutes les plaines. On rencontre occasionnellement des loups, des hyènes, des chacals, des renards, des chats et des ânes sauvages et des sangliers. Le gibier à plume est représenté par des perdrix de diverses espèces, des grouses des sables et des pigeons. Les cailles sont rares, de même que les canards.

Actuellement encore, comme aux premiers temps de la monarchie perse, la province est administrée par un gouverneur général tenu comme responsable de la rentrée des impôts, et obligé de payer au shah un pichkach, ou présent officiel; les ministres reçoivent, eux aussi, quelques gratifications. Grâce à la coutume de donner des salaires aux descendants de presque tous les fonctionnaires et même à chaque khan—on m'a parlé d'un fonctionnaire recevant 172 salaires pour lui-même et pour ses parents,—il arrive que tout le revenu de la province, qui monte, abstraction faite du pichkach et du bénéfice du gouverneur, etc., à 315 000 tonneaux, soit 1 575 000 francs, est dépensé sur les lieux mêmes.

Pour maintenir l'ordre dans la province, il y a deux régiments d'infanterie, dont quatre compagnies environ sont toujours sous les armes. Il y a aussi une poignée d'artilleurs, avec quelques batteries de campagne. Le Bam et le Narmachir ont ensemble un régiment, dont une moitié est en garnison au Baloutchistan. Les soldats ont, en général, bonne façon, et sont durs à la fatigue. Mais leur matériel est défectueux, tandis que les brigands possèdent généralement des fusils Martini.

D'après Hérodote, les Kermanii formaient une des douze tribus de la Perse, et la province de Kirman faisait partie de la quatorzième satrapie. Strabon la décrit comme très fertile. Ainsi que nous le verrons tout à l'heure, elle fut traversée de l'est à l'ouest par Alexandre. Je n'ai trouvé aucune mention de Kirman à l'époque des Parthes, mais la province devint fameuse lorsque, après la conquête du Fars, elle fut prise par Ardechis, fils de Papak, fondateur de la dynastie nationale des Sassanides, qui dura jusqu'à la conquête arabe. Pendant le règne de cette dynastie, la province, éloignée des frontières de l'ouest et du nord, jouit d'une paix complète.

À l'époque où la secte nestorienne se propagea en Perse, Kirman devint un diocèse dépendant du métropolitain de Fars. Chose curieuse, la Perse était à ce point identifiée avec le christianisme, qu'en Chine, un décret de l'empereur I-ouen-tsoung parle des églises comme de «temples persans».

UNE AVENUE DANS LA PARTIE OUEST DE KIRMAN.—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

Le dernier des rois sassanides, le malheureux Yezdigerd, se retirant devant les soldats d'Omar, séjourna quelque temps à Kirman, avant de fuir dans le désert.

La révolte qui eut lieu en Perse après la mort d'Omar eut pour effet de resserrer davantage encore les liens de la conquête arabe, surtout pour les provinces les moins éloignées du centre de la domination, comme l'était celle de Kirman. Des forts furent construits et des colonies d'Arabes introduites, spécialement dans le pays chaud, les fidèles de Zoroastre tenant encore les hauts plateaux, trop froids pour les Arabes.

Nous ne suivrons pas l'histoire du Kirman pendant les deux siècles de la conquête arabe, et après la fondation de dynasties nationales indépendantes du califat. Ce serait refaire l'histoire entière de la Perse. Le Kirman lui-même eut quelques souverains indépendants, Abou-Ali, un chef de brigands, et la dynastie des Deilamites. Puis, lors des conquêtes des Seldjoucides, qui suivirent la mort du sultan Mahmoud de Ghazna, Malik-Kaouard, fils de Chakar-Beg, se tailla un empire dans la province de Kirman; sa dynastie dura un siècle et demi. Cette période a vu naître deux historiens, dont les ouvrages n'ont pas été traduits dans une langue européenne. Les deux souverains les plus notables de cette dynastie furent Malik Chah et Arslan Chah. Ce dernier, durant un règne prospère de quarante ans, fit faire de grands progrès au Kirman, de telle sorte qu'on put le comparer avec avantage au Khorassan et à l'Iran; des caravanes venant de toutes les directions, passaient à travers la province; le Fars et l'Oman étaient soumis au Kirman. Togrou Chah lui succéda; mais, à sa mort, les rivalités de ses trois frères réduisirent la province à un état d'anarchie.

Elle fut ensuite envahie par la tribu des Ghazz, qui venaient de piller Merv, et qui la transformèrent, en quelques années, en un désert. Cette tribu fut finalement écrasée par l'armée de l'atabeg Sad-bin-Zangi, et depuis lors elle ne devait plus relever la tête. Elle est maintenant représentée par les Rais, tribu nomade sans importance.

LES GARDES INDIGÈNES DU CONSULAT ANGLAIS DE KIRMAN.—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

Le Kirman eut le bonheur rare d'échapper aux ravages de la conquête mongole, la plus terrible dont l'histoire fasse mention. Mais l'invasion de Gengis-Khan n'en eut pas moins une répercussion indirecte sur ses destinées. Un officier du khan des Kara-Kitaï, Borak-Hadjib, passant par la province, s'en improvisant gouverneur, demanda et obtint l'investiture de Gengis-Khan. Il mourut en 1234. Il fut remplacé par son cousin et gendre Koutb-ou-Din, qui, après s'être vu disputer le pouvoir par son beau-frère, devint de nouveau gouverneur, et mourut en 1258 des suites d'une blessure reçue d'un bouquetin, dans la chaîne de Djoupar, la même année où le calife Mostasim-Billa était mis à mort par Houlagou, fils de Gengis-Khan.

À Koutb-ou-Din succéda sa veuve, sous laquelle le pays prospéra. Elle fonda des villages et fit creuser des kanats; c'était elle qui occupait le trône lorsque Marco Polo passa par la province, à son voyage de retour. Elle mourut vers l'an 1282. Une autre femme qui régna sur le Kirman fut Padchah Katoun; souveraine remarquable; elle eut aussi une réputation comme poétesse. Il est intéressant de noter que, pendant cette période, l'île d'Ormuz fut tributaire du Kirman.

En 1340, Mobauz-u-Din fonda la dynastie des Mouzaffar, qui régna jusqu'à Tamerlan. Le conquérant tatare la détruisit en 1393. La gloire principale de cette dynastie est peut-être d'avoir été célébrée par le poète Hafiz. Le Kirman fut alors donné à Amir-Adugui, neveu d'Amir-Jargui, de la tribu des Barlas, celle même à laquelle appartenait le conquérant.

Vers 1450, Djahan-Chah, fils de Kara-Yousouf, et le membre le plus fameux de la dynastie turkomane des Kara Koinlou ou Moutons Noirs, envahit l'Iran, conquit Ispahan et ordonna un massacre général. Il envoya son fils Abd-oul-Kasim à Kirman, qui capitula sans résistance. L'autorité de ce gouverneur fut bientôt si solidement établie, qu'il fut capable de rejoindre son père, occupé à conquérir Hérat. Mais les Moutons Noirs furent à leur tour vaincus par les Moutons Blancs, et le Kirman fut donné au fils du chef victorieux de cette dynastie, Onzoun-Hassan. En 1470, la province de Kain fut réunie à celle de Kirman; en 1473, toutes deux furent réunies au Fars, sous le gouvernement de Chah-Kalil.

Plus tard, et après la fondation, au commencement du XVIe siècle, de la grande dynastie des Sefair, la province de Kirman n'a plus d'histoire, et il est inutile de donner ici la liste de ses gouverneurs.

Lors de l'invasion de la Perse par l'Afghan Mahmoud, la ville de Kirman fut vainement assiégée une première fois par les envahisseurs; mais, une seconde fois, en 1720, elle dut capituler. Lorsque, peu de temps après, en 1735, Nadis-Chah, le dernier grand conquérant asiatique, eut envahi à son tour l'Afghanistan, il fut accompagné par un détachement de Kirmanis, que commandait Iman Verdi Beg, et dans lequel étaient représentés les sectateurs de Zoroastre.

Durant l'anarchie qui suivit son assassinat, en 1747, il semble que les Afghans pillèrent de nouveau Kirman et détruisirent le quartier de Zoroastre, imparfaitement protégé par un mur à demi construit. Après quoi, Chahrouk-Khan s'empara de la province. En 1758, il fut assassiné par Mourah-Khan.

En 1793, Louth-Ali-Khan s'étant réfugié dans la ville, y fut assiégé par Afgha-Mohammed. Sa position étant désespérée, il jeta une planche sur les fossés et s'échappa à Bam. Là, il fut trahi par son hôte, aveuglé et finalement mis à mort. La ville dut subir des horreurs dont elle ne se relèvera pas avant un siècle encore. 20 000 femmes et enfants furent emmenés en esclavage, et le brutal vainqueur compta 70 000 yeux qu'on lui avait apportés. «Si un seul avait manqué, j'aurais pris les vôtres», dit-il à ses ministres. Pendant de longues années, Kirman ne fut plus qu'une ville désolée, peuplée d'aveugles. Elle fut gouvernée d'abord par Mohamed Taki, puis par Ibrahim Khan qui, pendant les vingt années de son administration, rendit quelque prospérité à la province épuisée; il reconstruisit la ville à l'ouest de son site primitif, creusa des kanats et fonda des villages.

Agha-Khan, nommé gouverneur en 1839, est connu par une rébellion qui dura trois ans. Le dernier des grands gouverneurs du Kirman est Mohamed-Ismaïl-Khan (1860-1869). La province lui doit un renouveau de prospérité; il construisit la plupart des caravansérails actuellement existants, les bazars de Kirman et de nombreux villages. Le gouverneur actuel est Mirza-Mahmoud-Khan, Ala-oul-Moulk, qui fut ambassadeur à Constantinople, et qui doit trouver que Kirman est bien loin du reste du monde.

En octobre 1894, on me donna la mission de créer un consulat à Kirman et dans le Baloutchistan persan. Je l'acceptai avec plaisir, bien que pécuniairement le profit en fût maigre, et je m'y rendis accompagné de ma sœur, qui a publié ses impressions de voyage et de séjour dans son ouvrage intitulé Through Persia on a Side Saddle. Nous nous rendîmes à notre poste par Enzeli, Téhéran, où nous demeurâmes quelque temps, Koum, Kachan, Yezd, Bahramabad.

À 4 milles de Kirman, un général vint me souhaiter la bienvenue et m'offrir le thé sous la tente. Les environs de la ville comptent d'ailleurs quelques maisons de thé. À ma grande surprise, je vis arriver un cheval microscopique, couvert de velours éclatant et harnaché d'or. C'est sur cette monture que je devais faire mon entrée en ville. Le Sahib Divan l'avait envoyé tout exprès pour moi. Je pus heureusement me débarrasser de cette pénible obligation en alléguant que étant revêtu de mon uniforme, j'étais obligé de me servir d'une selle militaire, et que ma selle évidemment n'irait pas à un poney d'aussi petites dimensions.

Lorsque nous nous fûmes entendus sur ces préliminaires, nous nous mîmes en marche vers la ville, avec une lenteur désespérante, précédés d'une troupe d'environ deux cents cavaliers et de nombreux chevaux tenus en laisse. Les commerçants hindous et la communauté zoroastrienne nous souhaitèrent la bienvenue en chemin. À la porte occidentale, une fanfare sonna, et une centaine de faraches et de porteurs de masses se joignirent au cortège, qui passa lentement le long des étroits bazars, dans lesquels tout trafic était suspendu.

Le jardin qui avait été loué pour le consulat était à un mille au delà des remparts; mais, avec le temps, nous finîmes par l'atteindre. On nous poussa dans les escaliers pour nous offrir une seconde fois du thé. Après quoi, à mon grand soulagement, ceux qui avaient participé à l'istikbal, ou réception, s'en allèrent.

La capitale de la province de Kirman a été, dès l'aurore de l'histoire, un centre important, mais il est certain que l'ancienne Karmana n'occupait pas le même emplacement que la ville d'aujourd'hui. Kirman, qui s'appela d'abord la «cité de Bardchii», fut fondé, d'après Afzal-Kermani, par Ardechir, fils de Babak. Abou-Ali-Mohammed ibn Ilias en fit la capitale de la province, à la place de Sirjan. Son but était évidemment de s'établir aussi loin que possible de la trop puissante famille des Deilami, dans la province de Fars.

Comme c'est souvent le cas des villes de Perse, Kirman dépend des kanats pour son approvisionnement d'eau. Elle est située dans une dépression, à l'altitude de 1 730 mètres, au pied d'une chaîne calcaire, qui dominait autrefois la ville. Elle est de tous côtés entourée par le désert, qui est absolument nu, tous les buissons ayant été déracinés pour servir aux fours à briques et aux bains; mais, comme elle est à la jonction de plusieurs routes, sa position en fait naturellement un centre de commerce. Le mont Djoupa, qui s'élève à près de 4 000 mètres, à environ 30 milles au sud-est, forme le trait principal du paysage; la chaîne qui forme le bastion oriental du plateau de l'Iran est à peu près de même altitude, mais plus apparente. Au nord, se dresse la chaîne, haute et escarpée, de Kouhpaia; plus loin, à l'ouest, le pic Kouh-i-Chah Timorz. Au sud-ouest, au sud et au sud-est s'étend une large zone de collines sablonneuses, qui rendent la vie désagréable lorsque la brise souffle. Cela, et peut-être la rareté de l'eau, en même temps que la haute altitude, explique la grande salubrité de la ville; mais ce sont autant d'obstacles à son développement, car, avec si peu de terres en culture, le pain à bon marché est presque hors de question. Même l'approvisionnement en fruits de la capitale ne peut venir que de Djoupar et de Mahoun.

Quand on arrive à Kirman en venant de l'est, la ville présente une apparence assez confuse de minarets et de mosquées, entourés de ruines presque de chaque côté; l'harmonie est un peu rétablie par les hautes murailles des glacières, à l'ombre desquelles l'eau est gelée. Mais d'une façon générale, comme dans toute l'Asie, les approches de la ville sont extrêmement sordides.

Les deux forts qui dominent la ville étaient autrefois le centre de la vie. Celui qui est connu sous le nom de Kala-Ardechir couvre la crête et les ramifications d'un rocher, qui se dresse à 150 mètres au-dessus de la plaine. Les murs, construits de briques séchées au soleil, de dimensions colossales, sont encore presque entiers et reposent en partie sur des fondations de pierre. Au-dessous, sur un éperon occidental, se dresse un second réduit, relié autrefois par une poterne dont on retrouve quelques traces, avec l'ouvrage principal. Un chemin qui tourne, en longeant un cours d'eau, monte, du côté du nord-ouest, à la crête, qui possède une triple ligne de défense assez semblable à celle du Kalah-i-Bandar de Chiraz. On y jeta tant de victimes assassinées, que le Vakil-ul-Mulk ordonna qu'il fût comblé.

Entre ce fort et le second, plus petit et connu sous le nom de Kala-i-Dukhtar, ou Fort de la Vierge, s'élevaient les principaux bâtiments, y compris le palais et la mosquée; c'est dans une partie de ce terrain qu'on a trouvé des briques lustrées; les gens du pays, qui viennent prendre la terre des ruines pour en faire de l'engrais, m'en ont souvent offert, et dans le nombre il y en avait de très belles.

Le Kala-i-Dukhtar est beaucoup plus bas que l'autre fort; il borde deux crêtes qui se coupent à angle obtus, et il est si étroit qu'on s'en servait seulement comme d'un chemin couvert. Au contraire, Kala-Ardechir était très bien aménagé.

Sur l'éperon sud de la roche principale, est un rocher détaché. À partir de la moitié de sa hauteur, un escalier de cent quarante-trois marches, qui semble relativement moderne, est taillé dans le roc. Il domine l'ancienne ville, dont la muraille partait d'un point situé immédiatement au-dessous. Plus au sud est le quartier désert de Farmitan, avec ses nombreuses maisons en pisé, presque intactes.

DANS LA PARTIE OUEST DE KIRMAN SE TROUVE LE BAGH-I-ZIRISF, TERRAIN DE PLAISANCE OCCUPÉ PAR DES JARDINS.—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

À l'angle sud de la chaîne s'ouvre une dépression, avec une plate-forme terminant le rocher, et surmontée d'une tombe en l'honneur de Reza Kouli Beg. Au-dessous sont les restes d'un réservoir, que remplissaient autrefois les eaux du Bahramjird.

Dans la plaine, parmi les ruines nombreuses, on trouve un bâtiment en pierre, de forme octogonale, surmonté d'un dôme en parenthèse, avec un diamètre intérieur de 12 mètres, chaque face mesurant 6 mètres. On le connaît sous le nom de Djabalia, et c'est à peu près le seul bâtiment en pierre de Kirman. Les Persans croient fermement que c'est là le «Dôme des Gabrs». On a dit aussi que c'était la tombe de Seid-Mohammed-Tabachiri, mais cela est contesté. Au sud, tout près de la petite chaîne nue de calcaire, est un groupe de constructions en pisé, connues sous le nom de Tandarustan, et qui sont fréquentées en partie par des disciples de Zoroastre, en partie par des musulmans. On y expose des offrandes de viandes, et si les péris ou bonnes divinités les mangent, le vœu qu'on forme en même temps sera accompli. C'est peut-être la survivance corrompue de l'usage parsi de faire des offrandes aux morts.

En se dirigeant à l'ouest, on approche du Bagh-i-Zirisf, le terrain de plaisance de Kirman. Il consiste en un certain nombre de jardins, et couvre une superficie d'environ 250 hectares. Au delà, on atteint de nouveau les anciennes murailles de la ville, et, en les longeant, on arrive au quartier zoroastrien moderne. Plus loin, au nord, est leur ancien faubourg, détruit par les Afghans, et dont la principale ruine est connue sous le nom de Khana Farang, ou «Maison Européenne». Immédiatement en dehors des murs est le champ de courses, qui a environ 800 mètres de longueur.

La ville actuelle de Kirman est entourée d'une muraille en bon état, qui est percée de six portes, dont l'une, connue sous le nom de Sultani, est censée avoir été l'œuvre de Chah-Rouk. La forme est irrégulière, son diamètre étant exactement d'un mille anglais (1 609 mètres) de l'est à l'ouest, et un peu plus du nord au sud. Elle est divisée en cinq quartiers, portant les noms de Chahr, Khodja-Khizr, Koutbabad, Meidan-i-Kala, Chah-Actil. On peut y ajouter les trois quartiers extra-muraux de Gabri, Mahouni, You-Mouidi.

Touchant aux murs de l'ouest est l'Arche ou Fort, où réside le gouverneur général. On y trouve aussi le bureau du Télégraphe, les casernes et l'Arsenal. Ces bâtiments sont, pour la plupart, de construction moderne; ils sont beaux et en bon état. Un grand jardin entoure les appartements particuliers de Son Excellence.

Les mosquées ne sont pas sans intérêt. La plus ancienne est la Masdjid-i-Malik. Elle fut fondée par le Seldjoucide Malik-Touran-Chah, qui régna de 1084 à 1096. L'historien Mohamed Ibrahim, qui vivait au XVIe siècle, dit qu'il la vit debout, mais en ruines. Depuis lors, elle a été reconstruite; elle couvre un vaste espace, mais on ne peut dire qu'elle soit belle.

On peut encore mentionner, parmi les quatre-vingt-dix mosquées de Kirman, la Masdjid Djami, ou Masdjid Mouzaffar, construite en 1349, et la Masdjid-i-Pa-Minas, construite en 1390. Parmi les six madarsi (pluriel de médressé) la plus belle est celle qui fut fondée par le Zahis-u-Dola. Il y a encore dans la ville cinquante bains et huit caravansérails.

Jusqu'en 1896, année où il fut détruit par un tremblement de terre, le plus notable des édifices de Kirman était le Kouba Sabz, ou Dôme Vert. C'était la tombe de la dynastie des Kara Khites, et elle faisait partie de la médressé de Turkabad. La Kouba était un curieux bâtiment cylindrique, d'à peu près 16 mètres de haut, avec des mosaïques d'un bleu verdâtre, le dallage intérieur montrant des vestiges d'une riche dorure.

Non loin est une pierre, sculptée d'une façon exquise, avec des versets du Coran en caractères koufiques et nachk, insérés dans la muraille d'un bâtiment carré et recouvert d'un dôme, orné dans le même style que la Kouba Sabz. Une voûte au-dessous montre évidemment que c'était une tombe; mais la seule information que je pus obtenir à ce sujet à Kirman, c'est qu'elle est connue sous le nom de Khodja-Atabeg, ou Sang-i-Atabeg.

Kirman, que, dans la phraséologie orientale, on nomme Das-ul-Aman, ou «demeure de la Paix», peut avoir, avec ses faubourgs, une population d'un peu moins de 50 000 habitants. Au point de vue religieux, elle est ainsi répartie entre les diverses sectes: Musulmans chiites, 37 000; Musulmans sunnites, 70; Babis Behai, 3 000; Babis Ezeli, 60; Cheikhis, 6 000; Soufis, 1 200; Juifs, 70; Zoroastriens ou Parsis, 1 700; Hindous, 20.

Les Babis, disciples de Mirza-Ali-Mohammed, de Chiraz, exécuté en 1848, font, en secret, beaucoup de prosélytes. Ils ont des principes élevés: ils veulent des relations amicales entre tous les hommes, l'abolition des guerres religieuses, l'étude des sciences utiles, etc. L'expansion des doctrines du Bab pourrait aider puissamment à la régénération de la Perse. Les Babis se sont divisés en Ezeli ou Behai, selon qu'ils suivent les doctrines de Mirza-Yahya, Sub-i-Ezel, successeur désigné par le Bab lui-même, ou celles de Mirza-Husein-Ali, Beha-Ulla, son frère aîné, qui se déclara chef de la secte en 1866.

La secte des Cheikhis a, quoiqu'on ait soutenu le contraire, des vues identiques à celle des Babis. Elle a été fondée par Cheikh-Ahmad, d'Ahsa ou Lahsa, dans les îles Bahreïn, qui naquit aux environs de 1750. La secte compte environ 7 000 adeptes dans la province de Kirman et 50 000 en Perse. Son chef actuel est Hadji-Mohammed-Khan, un homme d'apparences distinguées, de manières charmantes, possédant une connaissance du monde extérieur qui rend sa société très agréable, et entièrement dégagé de tout fanatisme.

Les Juifs de Kirman sont dans une condition misérable; ce sont de petits commerçants, d'une rapacité absurde, assimilant l'extorsion au profit. C'est un rameau d'une colonie plus nombreuse, établie à Yezd, et qui doit être venue de Bagdad.

Les Zoroastriens, intéressants par la survivance d'un très ancien culte, le sont aussi par la pureté de leur sang. Ce sont des Iraniens authentiques, sans ce mélange de sang arabe, mongol et turc, que des invasions successives ont apporté en Perse. Ils forment une race plus belle et plus saine que leurs coreligionnaires musulmans; leurs coreligionnaires de Bombay offrent un exemple de la détérioration physique que produit sûrement le climat de l'Inde.

Au point de vue industriel, Kirman était, jusqu'à une date toute récente, spécialement célèbre pour ses châles, mais actuellement elle l'emporte par les tapis. Ces produits sans rivaux de ses métiers sont tissés en soie et laine, et leur finesse, leurs couleurs brillantes, en font incontestablement les plus remarquables que le monde ait vus; tout autre paraît commun à côté d'eux. Les modèles sont très anciens, et évidemment antérieurs au mahométisme; des figures humaines y sont fréquemment représentées, mais ce sont surtout les fleurs stylisées qui en constituent le dessin; et le mélange de leurs couleurs est admirable.

UNE «TOUR DE LA MORT» OU LES ZOROASTRIENS EXPOSENT LES CADAVRES.—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

À Kirman même, on compte environ un millier de métiers. Chaque tapis est exécuté par un maître tisseur et deux ou trois petits garçons, travaillant d'après une formule qui est récitée et qui contient beaucoup de mots archaïques; on dit que ces formules ont été transmises oralement de père en fils pendant de longs siècles. On n'emploie ni femmes, ni filles à ce travail. Les couleurs d'aniline, qui ont presque ruiné l'industrie des tapis des nomades, sont soigneusement évitées.

Le châle est tissé de poil de chèvre ou de laine. Comme pour les tapis, les modèles sont appris par cœur; le travail est beaucoup plus fin et ne peut être exécuté que par des enfants.

D'autres industries, de moindre importance, sont la fabrication de feutres, d'abas (la robe de dessus, d'origine arabe, que portent les Persans), les objets en bronze, etc.

Mon séjour à Kirman a toujours été fort agréable; dans aucune partie du monde, nous n'aurions pu être traités avec plus de considération, et à mon avis les injures lancées contre les Persans par des Européens qui n'avaient jamais appris leur langue sont tout à fait imméritées. Les Persans sont, en général, extrêmement courtois et spirituels, et leur esprit de repartie est proverbial. Français par leur politesse et leur amour des compliments, ils sont tout à fait Anglais en ce qu'ils considèrent comme le meilleur emploi de leur argent d'acheter de la nourriture et des vêtements.

L'éducation de la jeunesse a été, jusqu'ici, honteusement négligée; mais on peut remarquer aujourd'hui un mécontentement de bon augure, grâce auquel on pourra plus tard apprendre aux enfants autre chose que quelques chapitres du Coran, qui, étant écrits en arabe, leur sont incompréhensibles. Aujourd'hui la position d'un maître d'école est aussi mauvaise que dans l'Angleterre du XVIIe siècle, et sa paie égale celle d'un domestique. Il n'est donc pas étonnant d'en voir qui enseignent encore que Londres est le nom d'un pays dont l'une des villes est l'océan Atlantique.

En juin, les nuits commencèrent à devenir chaudes, et ma sœur souffrit beaucoup des attaques des moustiques. Nous nous décidâmes donc à un changement de résidence. On nous avait recommandé beaucoup de régions fraîches. Comme je désirais particulièrement retrouver la route de Marco Polo, nous résolûmes de nous rendre d'abord à Kouh-i-Hazar, ou «montagne de la Tulipe», puis de visiter Sardou, où j'étais sûr que le grand Vénitien avait passé.

En quatre étapes, nous étions au village de Hazar, et nous campions au cœur des montagnes, à 3 300 mètres d'élévation. Je fis là des chasses superbes; la montagne avait été réservée pour le gouverneur général, et l'on n'y avait pas chassé depuis plusieurs années.

Un jour, nous fîmes, avec ma sœur, l'ascension du grand pic de Kouh-i-Chah-Koutb-ou-Din-Haides, ou la «Montagne du Saint», «l'Étoile Polaire de la Foi». C'est le second en altitude des sommets de la Perse du Sud-Est; il atteint 4 180 mètres. Au sommet se trouve une châsse, avec une collection de monnaies, dont l'une, avec l'effigie de la reine Victoria, datant de 1837.

Le ciel était tout à fait clair, le panorama magnifique. Au nord, nous voyions la chaîne carrée au pied de laquelle est Kirman; à l'est, le gigantesque Kouh-i-Hazar, qui dépasse 4 000 mètres. C'est une montagne superbe; elle est visible de plus de 100 milles sur la route du Baloutchistan, et elle a dû réjouir les yeux de plus d'un Kermani. Au sud, se trouvent Sardou, et la succession de grandes chaînes, qui, sous différents noms, soutiennent le plateau de l'Iran. Presque dans chaque direction de l'horizon, nous avions devant nous un pays réellement inexploré; les routes principales apparaissent seules sur les cartes, et de chaque côté, à quelques milles de distance, il y a des régions entièrement inconnues.

De là, nous nous rendîmes sur le plateau de Sardou. À Rahbour, nous visitâmes le gouverneur, et nous vîmes chez lui un vieillard, de la tribu des Mehni, qui s'attribuait l'âge de cent vingt-cinq ans. Son visage était de la couleur de la cire, ses cheveux semblaient des fils d'argent.

En quittant Rahbour, nous gardâmes approximativement la direction de l'Est, traversant différentes branches du Halil-Roud, dont l'une était plus profonde que nous ne l'aurions souhaité. La nuit, nous fîmes halte près d'un jardin, autour duquel campaient une cinquantaine de familles. C'était le mois de Moharram, et, pendant des heures, nous dûmes entendre la funèbre mélopée de la Passion. Elle finit cependant, et, à notre grande satisfaction, la chose tourna à la comédie, rappelant les pièces de Ladakh, où la même transformation se produit. C'est la seule fois que j'aie pu voir en Perse autre chose que la plus sincère dévotion; mais les nomades sont généralement considérés comme moins stricts que les sédentaires dans leurs observances religieuses.

L'étape suivante nous fit traverser le district fertile de Herza, dont les arbres nombreux contrastent agréablement avec l'ordinaire nudité des campagnes. Franchissant un col de 2 700 mètres, nous arrivâmes graduellement, par des champs ondulés de froment, à Dar-i-Mazar, capitale du Sardou. On y voit un sanctuaire bien entretenu en l'honneur de Sultan-Seiid-Ahmad-Saghis, descendant de l'imam Mousa. Le pays environnant est la propriété du sanctuaire, et des paysans appelés cheiks sont à peu près les seuls habitants permanents du district, les nomades, au nombre de quatre cent six familles, ne passant dans ces régions que les quelques mois d'été. Autour du sanctuaire, on voit une douzaine de boutiques, et une station de bains y a été récemment établie. Quelques Kermani y étaient venus jouir d'un climat admirablement frais.

Nous campâmes plus loin près du col de Sarbizan, où se trouvent les ruines d'un caravansérail, bâti par le septième sultan seldjoucide, Malik-Mohammed. La chasse était fort belle, et nous serions volontiers restés un mois en cet endroit. Mais le Sahib-Divan venait d'être renvoyé, le Farman-Fara était de nouveau investi de ses fonctions, et il nous fallut rentrer à Kirman avant l'arrivée de Son Altesse.

Un peu avant Noël 1895, deux Allemands, qui avaient parié de faire le tour du monde en gagnant leur vie, arrivèrent à Kirman. Ç'aurait été un grand discrédit pour notre colonie que des Européens demandant l'aumône; je me crus donc obligé de venir en aide, de toutes façons, à ces voyageurs. Mais je ne puis dire que j'aie été fâché d'apprendre qu'ils avaient finalement échoué dans leur entreprise: de pareils excentriques, au moins en Orient, ne font que du mal. Les renseignements qu'ils rapportent ne peuvent être que sans valeur, sinon dangereux. En outre, il n'y a pas un Oriental qui ne sente s'amoindrir l'idée qu'il se faisait des Européens, lorsqu'il en voit qui voyagent sans domestiques, et couchent dans le premier trou venu.

(À suivre.) Adapté de l'anglais par H. Jacottet.

Droits de traduction et de reproduction réservés.

TOME XI, NOUVELLE SÉRIE.—28e LIV. No 28.—15 Juillet 1905.

LE «FARMAN FARMA».—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

À TRAVERS LA PERSE ORIENTALE[2]
Par le MAJOR PERCY MOLESWORTH SYKES,
Consul général de S. M. Britannique au Khorassan.

III. — En Baloutchistan. — Le Makran: la côte du golfe Arabique. — Histoire et Géographie du Makran. — Le Sarhad.

Dans son premier voyage de 1893, le major Sykes partit de Kirman pour se rendre à Bouchir, sur le golfe Persique. De là, longeant les côtes du golfe, il arriva à Karatchi. Il repartit de ce poste pour son second voyage, que nous avons maintenant à raconter. Il était accompagné du major Brazier Creagh, du service médical de l'armée, de sultan Soukhrou, officier de la 3o de cavalerie du Pendjab, de deux sowars du corps des guides, et de deux domestiques hindous.—Nous lui rendons la parole:

Partis de Karatchi, notre première étape fut Gwadour, possession du sultan de Mascate, où se réfugient de nombreux esclaves persans. Le lendemain, par un beau temps calme, notre vapeur entra dans la baie de Chahbar, qui est la plus sûre et la plus accessible de la côte. Elle est abritée de la mousson du sud-ouest par la terre d'Oman, du côté de laquelle s'allonge le promontoire de Ras-Koulab, tandis qu'au sud-ouest un long écueil forme un brise-lames naturel. Mais, avec une entrée large de 12 kilomètres et une profondeur d'une vingtaine de kilomètres, l'ancrage n'est que relativement sûr.

Le débarquement ne s'opéra pas sans quelque difficulté, au moyen d'une barque ou baggala indigène. Quand nous fûmes débarqués, nous transportâmes tous nos impedimenta au prochain bureau de télégraphe.

Avant de raconter notre voyage, quelques notes sur la province où nous venions d'entrer ne seront pas inutiles. Baloutchistan est le nom, généralement admis, d'une région vaste, mais faiblement peuplée, et partagée entre la Grande-Bretagne et la Perse. Cette province déserte correspond approximativement à la dix-septième satrapie de Darius, mentionnée par Hérodote. Le grand roi envahit le Hapta Sindou ou Pendjab, probablement par la route du Baloutchistan, tandis qu'une flotte commandée par l'amiral grec Scylax descendait l'Indus, et, sans s'effrayer des marées, explorait les rives de la Gédrosie et de l'Arabie. Cette expédition eut lieu en 512 avant Jésus-Christ, et, dans un certain sens, elle diminue la gloire d'Alexandre, qui sans doute ignorait que des Grecs eussent déjà navigué dans la mer Érythrée,—à supposer qu'ils l'aient fait, ce qui n'est pas prouvé.

Au temps d'Alexandre, la côte du Makran était connue comme le pays des Ichthyophages, et l'intérieur s'appelait Gédrosie. Sir Thomas Holdich voit dans le mot Makran, une contraction des deux mots persans Mahi et Khouran, qui forment l'exact équivalent d'Ichthyophages. Mais je crois que le mot est beaucoup plus ancien, et je suggérerais l'étymologie suivante. Les assyriologues diffèrent sur le point de savoir si le nom de Magan désigne la péninsule sinaïtique ou la côte d'Arabie, derrière les îles Bahreïn et y compris l'Oman; en tout cas, nous avons le Maka des inscriptions, forme qui se retrouve peu altérée dans les Mykians ou Mekians d'Hérodote. Or, le Makran était particulièrement connu pour ses mangliers et ses marais, le pays étant semblable à la côte voisine qu'on appelle le Ran de Katch, mot provenant du sanscrit aranya ou irina, et signifiant un désert ou un marais. N'est-il donc pas admissible que l'origine de ce mot fort discutée soit Maka irina, ce qui signifie «le désert de Maka»? Dans le Sind, la prononciation moderne est Makaran, exactement la forme que devaient prendre ces deux mots réunis.

Physiquement, le Makran s'étend jusqu'à la première chaîne importante, formant faîte de partage. Jusqu'à une trentaine de kilomètres du littoral, on trouve une plaine sablonneuse, parcourue par plusieurs cours d'eau, et en maint endroit recouverte de tamaris. Sauf après la pluie, la plupart de ces rivières ne coulent qu'en partie à la surface du sol. Leur cours devient ensuite souterrain, ce qui a l'avantage de soustraire leurs eaux à l'évaporation. Ce district devrait être moins pauvre qu'il n'est, car le sol est bon et suffisamment arrosé, et l'on y trouve d'excellents pâturages pour les chameaux. Derrière s'étend une zone de collines d'argile, basses et arrondies, auxquelles succèdent de rugueuses chaînes calcaires, dont les crêtes forment le faîte de partage du Makran.

Sir Thomas Haldich décrit ce paysage en termes excellents dans son volume The Indian Borderland: «Une suite monotone et sans vie d'épines dorsales d'argile laminées, disposées en scie comme les vertèbres d'une baleine, se dressant au-dessus des lignes plus douces de collines de boue, qui s'inclinent des deux côtés, jusqu'à l'endroit où un petit rebord de sel indique une ligne de drainage dans laquelle l'eau suinte; et un petit décor flétri de tamaris aux teintes neutres, reflétant les tiges jaunes des herbes oubliées de l'année précédente,—tel était l'aspect sylvestre d'un paysage que nous avions trop souvent sous les yeux.»

Les pontes nord de la chaîne calcaire plongent dans les rivières de Bampour et de Mechkil, qui n'arrivent à la mer ni l'une ni l'autre. Au nord-ouest, le Lout s'étend jusqu'à la rivière de Bampour, tandis qu'à l'est de la plaine de Fahradj, les chaînes des montagnes persanes qui allaient du nord-ouest au sud-est, prennent la direction est-ouest qui est si caractéristique dans le Baloutchistan du sud, et qui explique en partie l'état arriéré de cette région, en rendant de la côte son accès très difficile. Plus au nord, enfin, est situé le district de Sarhad, où deux chaînes dirigées parallèlement vers le nord-ouest, séparent cette région élevée du Lout à l'ouest et du désert de Kharan également bas à l'est.

CARTE DU MAKRAN.

La zone centrale du Baloutchistan est très montagneuse, mais elle possède des ressources en eau qui ont été peu utilisées jusqu'ici, et une étendue presque illimitée de maigres pâturages. La rivière Bampour, moyennant une faible dépense pour les travaux d'irrigation, nourrirait facilement une population considérable.

Le Sarhad, qui était encore il y a quelques années un vrai nid de brigands, et qui n'est guère autre chose aujourd'hui, a de grandes ressources latentes avec ses hautes plaines allant jusqu'au Kouh-i-Taftan. Cependant le district est presque dépourvu de population, bien que le creusement des kanats ait déjà eu certains résultats et qu'on retrouve dans le pays beaucoup de vestiges d'anciennes cultures. L'ouverture de la ligne de Quetta au Seistan aura un effet lent, mais sûr: le Gouvernement anglais ne peut plus être, comme par le passé, indifférent aux razzias; d'ailleurs, la Perse y met elle-même bon ordre, et les razzias ne sont plus ce qu'elles étaient tout récemment encore, quand les Baloutches tuaient tous ceux qu'ils faisaient prisonniers, ou, exceptionnellement, les retenaient en esclavage et les mutilaient pour leur ôter l'envie de retourner chez eux.

Nous ne savons rien de certain sur l'origine des Baloutches, car ils n'ont pas de livres anciens, sont très ignorants et en sont fiers, comme l'étaient les barons du moyen âge. Sir Henry Pottinger leur attribue une origine turkomane; mais, d'après le professeur Rawlinson, le mot Baloutche est dérivé du nom de Belus, roi de Babylone, qu'on identifie au Nemrod fils du Kouch de l'Écriture. Le mot kouch peut être l'origine de celui de kedg et peut-être de kach. À l'époque des Sassanides, le Baloutchistan était connu sous le nom de Koussoun, qui est peut-être une forme de kouch. Dans le Chah Nameh de Firdousi, les Baloutches sont mentionnés comme une tribu fixée dans le Ghilan, sous le règne de Nochirwan. De là, ils ont dû émigrer dans le Baloutchistan, par le Seistan. Très probablement ils sont de race aryenne, mais la race a été altérée par le croisement avec des immigrants arabes fuyant les persécutions qui suivirent la mort d'Hussein. Les chefs se réclament d'ancêtres arabes, et ils paraissent appartenir à une race différente de celle des paysans. Les Brahouis, qui forment un autre élément de la population, ont un type très distinct: ils sont petits, ramassés et ont la figure ronde, tandis que les Baloutches sont grands et élancés, avec de longues figures. Les Brahouis parlent une langue parente du tamoul et doivent être d'origine dravidienne.

Il est très important de noter que plusieurs milliers de Baloutches vivent en dehors du Baloutchistan; on les trouve jusque dans les provinces frontières de l'Inde.

Les seules ruines préislamiques que j'aie rencontrées sont les Gorbasta ou «barrages d'infidèles», qu'on a comparées aux murs cyclopéens de la Grèce. Ils sont généralement construits à l'embouchure d'un défilé, et ils avaient pour but de retenir l'eau pour l'irrigation. Dans quelques cas, on les trouve sur des pentes, et, dans le Baloutchistan oriental, il y avait probablement une nombreuse population dépendant de ces barrages, œuvres probablement des Baloutches et des Kouchs.

Mais le colonel Mockler, voyageant à une soixantaine de kilomètres au nord-ouest de Gwadour, a exhumé quelques anciennes constructions en briques, et a vu également des barrages en pierre. Il a découvert aussi des os, des poteries, des couteaux de pierre. Dans d'autres parties du Makran, il a trouvé des maisons en pierre, probablement des tombes, appelées localement damba-koah. Mais il ne tire aucune conclusion précise de ces découvertes, non plus que des fouilles exécutées à Bahreïn, et où des tombes en pierre ont également été exhumées.

Le Baloutchistan fut tributaire de l'ancienne monarchie persane. Il est certain qu'Alexandre le Grand le traversa de l'est à l'ouest, puis on le perd de vue pour quelques centaines d'années. Il n'en est plus question que sous le règne de Nochirwan, qui, pour punir les Baloutches de leurs razzias, on fit de grands massacres. Ils se tinrent alors tranquilles au moins pendant une génération, puis reprirent leurs habitudes de pillage, et leur indépendance ne fut jamais menacée d'une façon durable.

Vinrent les Musulmans; la province de Kirman fut conquise dès les premières années de l'Hégire, et le Baloutchistan eut bientôt le même sort. Mais il est douteux qu'il ait été gouverné d'une façon permanente par les Musulmans, jusqu'à ce qu'il eût été définitivement conquis par Yakoub-bin-Lais, de la dynastie des Saffar. Celui-ci régna sur un empire qui s'étendait de l'Indus au Chat el-Arab, mais cette prospérité dura peu, son frère Amz ayant été fait prisonnier par Ismaïl, de la famille des Samanides, et mis à mort à Bagdad.

Cependant les Saffar gardèrent encore plusieurs siècles le Baloutchistan, et ils devinrent, dans le cours des temps, une confédération de chefs. Divers voyageurs arabes, Masoudi entre autres, Istakhri et Ibn Hankal, nous ont donné un intéressant tableau du Makran à leur époque. Deux siècles plus tard, nous avons les rapports d'Idrisi et de Benjamin de Tudèle. À ce moment, la plus grande ville du pays était Kir, actuellement un sordide petit hameau de pêcheurs à l'ouest de Chahbar. Idrisi parle d'un grand commerce de sucre; le Makran se trouvait évidemment, à son époque, sur une route fréquentée.

Lors de l'invasion des Mongols, Djelaleddin de Khiva vint de l'Inde au Makran pour se mesurer avec les hordes des envahisseurs, et, en 1223, Djenghiz-Khan ayant détruit Hérat, envoya Dchagataï dévaster le Makran pour couper les lignes de communication de Djelaleddin.

DES FORTS ABANDONNÉS RAPPELLENT L'ANCIENNE PUISSANCE DU BALOUTCHISTAN.—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

À la fin du XIIIe siècle, Marco Polo, à son retour de Chine, navigua le long du Makran, mais il est peu probable que le grand Vénitien ait touché un point quelconque de la côte.

Au commencement du XVe siècle, après l'extermination par Timour de la famille des Mouzaffar, Timour conféra le Kirman à l'émir Adagui, lequel envoya dans le Baloutchistan Djelaleddin Djamchid, qui pilla le pays jusqu'à Kedj. C'est à la fin de ce siècle que les Baloutches commencent à arriver à Moultan. Un peu plus tard, on les rencontre dans le Pendjab.

Lors de l'invasion de l'Inde par Nadir Chah, le pays était gouverné par Abdoulla Khan. Son second fils, Natiz Khan, revendiqua son indépendance après l'assassinat du Chah; mais il dut, bientôt après, reconnaître la suzeraineté afghane. Il étendit le plus qu'il put la domination baloutche, et son pouvoir était respecté jusqu'à Bampour. Mais ses successeurs ne furent plus que les souverains dégénérés d'un royaume aux dimensions restreintes, et lorsque sir Henry Pottinger le traversa en 1810, le pays que nous appelons aujourd'hui Baloutchistan persan était indépendant.

En 1839, un intelligent voyageur, Hadji Abdoul Nali, nous montre les différents chefs baloutches se livrant à toutes sortes de razzias en Perse, et se riant des menaces du gouverneur général de Kirman.

CHAMELIERS BRAHMANES DU BALOUTCHISTAN.—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

Mais, à partir de 1844, le Baloutchistan commença à perdre son indépendance. Aboul-Hassan, puis Ali Khan furent faits prisonniers. Deux membres de la tribu des Kadjars furent désignés pour gouverner ce turbulent district; mais ils ne réussirent pas dans leur tâche, et ce fut le mérite d'Ibrahim Khan, fils d'un boulanger de Cam, d'achever la conquête de ce qui est connu aujourd'hui comme le Baloutchistan persan. On l'accuse d'avoir été cruel, et il avait, il est vrai, une certaine propension pour la traite des esclaves; mais il faut tenir compte de tout l'argent et de tous les présents qu'on exigeait de lui. Sir Oliver-Saint-John le décrit ainsi en 1872: «Le redoutable souverain du Bam, du Narmachir et du Baloutchistan est un petit homme à figure de Polichinelle(!), qui peut avoir n'importe quel âge, entre quarante-cinq et soixante ans. Il a une barbe pleine et bien teinte et de petits yeux perçants. Rien dans son visage ne paraît indiquer l'homme réellement supérieur qu'il doit être, non seulement pour s'être élevé à sa position actuelle par son simple mérite, sans argent et sans aide intéressée, mais pour avoir rétabli l'ordre et la tranquillité dans une des régions les plus turbulentes de l'Asie.» C'est là, fort bien tracé, le portrait d'un maître du Baloutchistan.

Ibrahim Khan reçut assez mal la commission de délimitation commandée par sir Frederic Goldsmid pour délimiter la frontière perso-baloutche, et, aussitôt la mission partie, il se saisit de Kouhak, qui n'avait pas été attribué à la Perse. Il mourut on 1884, après avoir été pendant trente ans gardien de cette marche du royaume; renvoyé à l'occasion, il était aussitôt réinstallé. Son fils mourut quelques mois après lui, et son beau-fils, Zein ul-Abidin Khan, devint gouverneur; mais il fut remplacé en 1887 par un Turc, Aboul Fath Khan, puis bientôt après remis à la tête du pays. Il était là quand j'y arrivai, en 1893. Je puis ajouter, par anticipation, que Zein ul-Abidin eut à réprimer deux soulèvements des Baloutches, l'un après l'assassinat du chah en 1896, l'autre l'année suivante.

C'est en partie à l'action du Gouvernement britannique, qui interdit la vente des fusils, que le Baloutchistan est plus soumis aujourd'hui qu'il n'a jamais été. Mais les perspectives ne sont pas brillantes. La paresse, la passivité de ce peuple est telle que, je crois pouvoir le prédire, dans cent ans sa vie ne différera pas plus qu'aujourd'hui de celle des patriarches.

J'en reviens à notre voyage: grâce à M. Lovell, les chameaux étaient prêts. Mais les Baloutches n'avaient pas de cordes; aussi fut-il très difficile de répartir les charges. Ils se plaignaient, en outre, de la lourdeur de ces charges, qu'un muletier persan aurait trouvées légères. Nous fîmes à ce sujet la constatation intéressante que chaque chameau avait un propriétaire, et que quelquefois il y avait jusqu'à quatre hommes pour se répartir les quatre jambes de l'animal. L'arrangement ordinaire est cependant que le propriétaire garde trois jambes, et donne, en guise de paiement, la quatrième au conducteur.

Nous nous décidâmes enfin à diviser les charges nous-mêmes, et nous partîmes tard dans l'après-midi, pour marcher jusqu'à Tiz, distant de 12 kilomètres. Nous passâmes d'abord par le village de Chahbar, habité par de nombreux commerçants hindous, avec ses repaires sordides, que quelques arbres empêchent d'être absolument hideux; puis nous nous élevâmes graduellement sur la chaîne rocheuse qui le sépare du fameux port médical de Tiz. Cette dernière localité occupe un emplacement bien meilleur que Chahbar, étant situé à l'issue de la route principale qui se dirige vers l'intérieur par Kasakand, et commandant absolument la route du littoral, qui à l'est descend la montagne en zigzag, et à l'ouest doit passer par une porte pratiquée dans un mur qui va des falaises à la mer.

Il était trop tard pour parcourir les ruines, qui ne consistent guère aujourd'hui qu'en un millier de tombes. Nous eûmes juste le temps de jeter un coup d'œil sur l'ancien fort persan, construit il y a vingt ans environ pour protéger Chahbar, conquis par les Persans sur un cheikh arabe; il fut bientôt après abandonné par sa garnison.

En 1188 de notre ère, Tiz était évidemment un grand port; les caravanes venant de l'ouest suivaient cette route, lorsque, à la suite de troubles locaux, celle d'Ormuz était bloquée. Leur itinéraire passait probablement de l'Irak à Kirman, et de là à Bampour, Kasakand et Tiz; l'autre route possible, par Geh, étant impraticable pour les caravanes. L'importance de Tiz lui venait en outre, de ce qu'elle était le contre du commerce du sucre au Makran, et peut-être le débouché des blés du Seistan; c'était sans doute la résidence des marchands, qui répugnaient à pousser jusqu'à Ormuz. Dans l'œuvre d'Afzal Kirmani, le port est appelé le «Trou de Tiz», et c'est probablement le Falmena d'Arrien.

Ayant établi notre camp dans une vallée étroite où il n'y avait un peu d'eau que dans quelques trous boueux, nous repartîmes le lendemain par une chaleur atroce, en nous dirigeant vers Parag, un sordide petit hameau d'ichthyophages. Là, nous tournâmes le dos à la mer et aussi à la ligne du télégraphe, qui, longeant de près le rivage, souffre beaucoup de l'humidité. Nos chevaux étant fatigués par leur récent voyage en chemin de fer et en bateau, nous nous reposâmes quelque temps à l'ombre des tamaris, et nous ne reprîmes notre chemin qu'à la fraîcheur du soir, traversant une plaine de lave, parsemée de quelques maigres champs de coton.

Notre campement de ce jour se fit au petit hameau de Nour-Mouhamedi. Le lendemain, sous prétexte que leurs chameaux, arrivés tard dans la nuit, avaient besoin de se restaurer, nos Baloutches nous contraignirent à faire halte.

Une nouvelle marche, de 25 kilomètres, nous conduisit à Pich-Mant, dont le nom signifie «Place du palmier nain». Les feuilles de cet arbre sont employées à divers usages: on en fait des sandales, des nattes, des corbeilles, des toits, des cordes; on en fait aussi, dit l'auteur d'Eastern Persia, des bonnets, des fourreaux de sabre, des courroies, etc. Les baies, séchées, font des chapelets, les jeunes pousses sont mangeables, et les racines sont un combustible qui s'allume toujours, grande ressource dans ce pays où le bois est rare.

Quittant la plaine, qui est d'une formation relativement récente, nous entrâmes dans une vallée pierreuse et désolée, connue sous le nom de Pir Ghourik, ou Défilé herbeux; et de là, franchissant un col bas, nous arrivâmes sur un plateau. Ce jour-là, un essaim de frelons s'abattit sur notre déjeuner, et le mangea pour nous.

La journée suivante, un peu plus longue, nous mena jusqu'à Ziarat, sanctuaire construit en l'honneur de Pir Chamil, un saint habitant de l'Inde, qui mourut ici, il y a à peu près trois siècles. Nous eûmes l'agréable surprise, après avoir franchi un vaste plateau, de trouver de l'eau courante, où nos chevaux s'abreuvèrent avec délices.

Le seul Européen qui nous ait précédés dans cette région est le capitaine Grant, un de ces explorateurs envoyés en Perse par Sir John Malcolm, dans la première décade du XIXe siècle. Ses renseignements sont très maigres.

À Ziarat, nous avions atteint la limite septentrionale du Dacht, ou District littoral, qui est affermé, nous dit-on, pour environ 5 000 francs par an. L'eau de la rivière, qui avait disparu au bout de quelques milles, reparut un peu en amont, et nous passâmes par une série de petits hameaux et de bosquets de dattiers, nous arrêtant finalement à Nokinja, où nous pûmes nous procurer des bottes de riz vert pour nos chevaux, et des œufs et du lait pour nous-mêmes.

MUSICIENS AMBULANTS DU BALOUTCHISTAN.—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

Nous étions sortis enfin des collines arrondies d'argile, et les chaînes par lesquelles nous passions se terminaient en promontoires effilés, au-dessus du lit de la rivière. Immédiatement en amont de Nokinja, on trouve le confluent du Sirha. Plus haut encore, nous fûmes enchantés d'atteindre Geh, la localité principale du district. J'ai vu des centaines de villages baloutches, mais Geh—le Bih du voyageur arabe—reste gravé dans ma mémoire comme le plus joli. Un magnifique bosquet de dattiers s'élève à la source de deux fleuves, le Gung et le Kichi; un vieux fort pittoresque se dresse sur un rocher, et des collines désolées, tout alentour, rehaussent le vert d'émeraude des rizières.

L'altitude du village est de 450 mètres environ. Bien que nous fussions à la fin d'octobre, le thermomètre, à midi, marquait près de 38°.

Geh, Kasakand à l'est, et Bint à l'ouest, forment les trois villes du Makran persan que le voyageur atteint en venant de la côte. Chacune, dit-on, possède la même population, qui ne doit guère dépasser deux mille habitants, pour autant que nous pûmes en juger.

Nous reçûmes la visite de Chakar Khan, frère aîné de Sardar Hussein Khan, qui représente l'ancien ordre de choses dans la province, et se rappelle le Baloutchistan à l'époque où il était indépendant de la Perse; naturellement, il désapprouve les changements survenus. Quelques-uns des habitants parlaient hindoustani, et nous apprîmes qu'ils avaient un petit commerce avec la côte, un des principaux articles étant le poisson, qu'on vend quand il est déjà très avancé. En somme, l'état de la population est misérable, le gouverneur, qui n'est arrêté, comme en Perse, ni par l'opinion publique, ni par le télégraphe, la pressurant terriblement. Beaucoup d'habitants émigrent vers Karatchi, Mascate et Zanzibar.

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